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LES CAHIERS DU JOURNALISME N O 13 – PRINTEMPS 2004 80 Quand le cadre fait le tableau : référentiels cognitifs et perception de l’actualité Bertrand LABASSE Directeur du Centre d’études en communication publique, Enseignant à l’ESJ-Lille et à l’Université Lyon 1 [email protected] I l y a cinq ans de cela, une coalition de journalistes a, pour la première fois peut- être dans l’histoire de cette profession, décidé d’en rechercher méthodiquement les fondements. Quelques années plus tard, après des dizaines de colloques, de synthèses et d’études qualitatives et quantitatives, le Committee of Concerned Journalists était en mesure de présenter dans une déclaration un peu solennelle les ancrages essentiels qui définissaient le journalisme et le distinguaient de toutes les activités parallèles revendiquant un rôle (ou une part de marché) dans la « société de l’information ». Une telle démarche apporte une remarquable base de réflexion dans le bourdonnement d’un débat journalistique à la recherche de ses repères. Toutefois, le premier de ces neuf principes – le fondement des fondements, en quelque sorte – semble si problématique qu’il pourrait compromettre tout l’édifice : « Journalism’s first obligation is to the truth » (Kovach & Rosenstiel, 2001, p.37). Voici donc la « vérité » revenue au premier rang de la promesse du journalisme, au centre de « ce que les hommes de presse devraient savoir et que le public devrait en attendre », comme le spécifie le sous-titre du livre. Ce n’est pas anodin, et ses implications le sont moins encore. Sans prétendre faire ici le tour du vieux problème de la vérité – il faudrait parcourir tout le chemin qui mène de Platon (voire des présocratiques) au scepticisme post-moderne – il est suffisamment évident que cette vérité, dans LABASSE CORRIGÉ 3/17/07, 1:34 PM 80

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  • LES CAHIERS DU JOURNALISME NO13 PRINTEMPS 2004

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    Quand le cadre fait le tableau :rfrentiels cognitifs et perceptionde lactualit

    Bertrand LABASSE

    Directeur du Centre dtudesen communication publique,Enseignant lESJ-Lille et lUniversit Lyon 1 [email protected]

    Il y a cinq ans de cela, une coalition dejournalistes a, pour la premire fois peut-tre dans lhistoire de cette profession, dcidden rechercher mthodiquement lesfondements. Quelques annes plus tard, aprsdes dizaines de colloques, de synthses etdtudes qualitatives et quantitatives, leCommittee of Concerned Journalists tait enmesure de prsenter dans une dclaration unpeu solennelle les ancrages essentiels quidfinissaient le journalisme et le distinguaientde toutes les activits parallles revendiquantun rle (ou une part de march) dans la socitde linformation .

    Une telle dmarche apporte uneremarquable base de rflexion dans lebourdonnement dun dbat journalistique larecherche de ses repres. Toutefois, le premierde ces neuf principes le fondement desfondements, en quelque sorte semble siproblmatique quil pourrait compromettre toutldifice : Journalisms first obligation is to thetruth (Kovach & Rosenstiel, 2001, p.37). Voicidonc la vrit revenue au premier rang dela promesse du journalisme, au centre de ceque les hommes de presse devraient savoir et que lepublic devrait en attendre , comme le spcifie lesous-titre du livre. Ce nest pas anodin, et sesimplications le sont moins encore.

    Sans prtendre faire ici le tour du vieuxproblme de la vrit il faudrait parcourir toutle chemin qui mne de Platon (voire desprsocratiques) au scepticisme post-moderne il est suffisamment vident que cette vrit, dans

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    son sens absolu, est inaccessible pour que toute promesse journalistiquereposant sur elle semble trs prilleuse. Si lon sengage devant le public dire la vrit , alors le public est en droit de juger le journalisme enfonction de ce critre principal. Et le rsultat ne peut tre que dsastreux,car mme un journalisme tendant la perfection serait, par nature,condamn chouer.

    En posant par convention quil existe bien une ralit, cest--dire une qualit propre des phnomnes que nous reconnaissons comme ayantune existence indpendante de notre propre volont (Berger et Luckmann,1971, p.13)1, un examen sommaire suffit pour constater que cette ralitest un trs mauvais matriau pour fabriquer des nouvelles. Elle est mmefoncirement inadapte aux besoins et aux possibilits du journalismepour les raisons suivantes : 1. la ralit na pas dheure de bouclage. Laconnaissance que lon peut en avoir se modifie en permanence (telsuspect savrera innocent, telle entreprise apparemment florissante servlera agonisante) tandis que le journal tlvis ou imprim doitlivrer heure fixe une vision du monde rpute vraie mais probablementdj obsolte ; 2. la ralit ne tient pas en un feuillet ou en une minutedantenne. Seul un extrait de rel peut tre prsent, mais celui-ci, pardfinition, lui est aussi semblable quun steak hach est semblable unevache. Cest l tout le problme de la complexit ; 3. la ralit sest passeailleurs. moins dtre omniprsent, le journaliste ne rapporte quuneralit de seconde main, ce que des tmoins lui en ont dit ; 4. la ralit estun travail dexpert. moins dtre omniscient, le journaliste ne peut pas,dans bien des domaines, accder directement lintelligibilit desphnomnes quil aborde (scientifiques, sociaux, conomiques,stratgiques). L encore, il ne rapporte pas le rel, mais ce que des tiersen disent ; 5. la ralit est complique. Mme sil surmonte lobstacleprcdent, le journaliste devra rendre ces phnomnes intelligibles seslecteurs ou auditeurs, ce qui le condamne ncessairement lapproximation ; 6. la ralit est hors de porte. Un travail minutieuxdapproche du rel, par exemple une enqute judiciaire (ou une tudescientifique), rclame souvent des mois de travail et tout un outillage.Un journaliste na gnralement que quelques heures, un tlphone etun stylo.

    Lintensit de ces diffrents problmes est variable. Elle estnotoirement plus faible pour les rsultats dun match de football quepour la guerre en Yougoslavie. Mais dans labsolu, nimporte laquellede ces raisons et il y en a encore bien dautres pourrait elle seuleconduire assumer limpossibilit du contrat implicite du journalisme. Nous ne pouvons pas vous vendre de la vrit : peut-tre cet aveu serait-

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    il salvateur. Mais il faudrait dans ce cas pouvoir remplacer cette promessepar une autre, plus tenable. Cest la possibilit thorique et pratique decette alternative que nous nous proposons dexplorer dans cet article, travers une tude de cas prcde et suivie de quelques dveloppementsplus abstraits.

    Valeur suprme ou promesse sociale ?

    Le rapport la vrit nest pas un quelconque problme dujournalisme, cest son problme central, peut-tre mme sa maldiction (Esquenazi, 2002, p.19). En tout cas la question devantlaquelle son identit professionnelle, voire son idologie, se fracasse surles rcifs de lvidence. Mme C.-P. Scott (1921), lditeur du ManchesterGardian qui lon doit le mot dordre du journalisme positif (oupositiviste ?) Le commentaire est libre, mais les faits sont sacrs abdiquait peu de lignes plus loin, aprs quelques mots sur lobjectivitet lhonntet : Ceci est un idal. Laccomplissement en pareille matire estdifficilement donn aux hommes. Nous ne pouvons quessayer, demander lepardon pour nos insuffisances. Et la question en restera l...

    Les animateurs du Committee of Concerned Journalists ne sontnullement candides. Pleinement conscients de la difficult de ce quilsdsignent comme le premier et plus droutant des principes (p.36),Kovach et Rosenstiel en analysent mme avec une grande clairvoyanceles difficults tant conceptuelles que concrtes et ouvrent (ou plussouvent rouvrent) des pistes extrmement fcondes. Le problme rsidemoins dans ce quils disent que dans ce quon en retiendra probablement :le journalisme est prioritairement dfini par la poursuite dsintresse dela vrit (p.42). Or cette dfinition, que les auteurs le veuillent ou non,consacre lassimilation entre la vrit comme valeur de rfrence et lavrit comme engagement de rfrence. Comme valeur, la question ne sepose gure. linstar de la justice en droit ou de la dmocratie enpolitique, le fait que la vrit parfaite soit de facto hors datteinte nelinvalide nullement en tant que principe suprieur du journalisme, et ilntait certes pas inutile de le rappeler ainsi. Il aurait pu dailleurs enaller de mme de la notion dobjectivit, quun sophisme drisoire lobjectivit parfaite est impossible, donc lobjectivit est vaine a suffi discrditer alors que ce repre essentiel aurait mrit un rflexion moinsdsinvolte (il est vrai que cet abandon, caution intellectuelle dessubjectivits les plus dbrides, ntait pas dsintress). Mais le statutde la vrit comme valeur fondamentale nimplique nullement la

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    promesse sociale de dire la vrit, et assimiler les deux ne laisse quunchoix tout ou rien extrmement prilleux.

    Il y a quelque chose daccablant considrer que sur ce point, nonseulement la thorie interne du journalisme na pas sensiblementprogress au fil de lhistoire, mais quelle a peut-tre mme recul. Lerepre nest pas Walter Lippmann qui, en 1922, affirmait que lhypothsequi [] semble la plus fertile est que les nouvelles et la vrit ne sont pas lamme chose et doivent tre clairement distingues (1991, p.358). Il fautremonter aux origines. En effet, ds la naissance de la presse franaise,Thophraste Renaudot (1632) avait identifi cette difficult et lui avaitapport une rponse dont la finesse a surmont le temps. En premierlieu, le pre du journalisme franais prenait soin de distinguer la vritcomme valeur fondatrice et la vrit comme promesse sociale : En uneseule chose ne cderais-je personne, en la recherche de la vrit, de laquellenanmoins je ne me fais pas garant, tant malais quentre cinq cents nouvellescrites la hte dun climat lautre, il nen chappe quelquune noscorrespondants qui mrite dtre corrige par notre pre le Temps, mais encore[ faut-il] savoir quen ce temps-l, tel bruit tait tenu pour vritable.

    On voit au passage que certaines des objections notes plus hautsont si consubstantielles la presse quelles sont souleves ds le premiertexte crit par un journaliste sur ses pratiques (dabord la vrit esthors de porte , puis la vrit na pas dheure de bouclage ). Mais leproblme demeure : si la vrit nest pas la promesse, alors quoi lejournalisme pourrait-il donc sengager ? Renaudot ouvre ici la voie quenous emprunterons plus loin dans cet article (et que Kovach et Rosenstielvisitent galement). Il recourt lpistmologie compare, cest--direquil confronte la faon journalistique dapprocher le rel des faonsplus nobles dobserver celui-ci, en loccurrence lHistoire : [] lHistoireest le rcit des choses advenues, La Gazette seulement le bruit qui en court. Lapremire est tenue de dire toujours la vrit, la seconde fait assez si elle empchede mentir. Et elle ne ment pas, mme quand elle rapporte quelque nouvellefausse qui lui a t donne pour vritable. (ibid).

    Un problme de cadrage

    Sous des dehors de pirouette, la proposition de Renaudot va loin.Le double impratif de ne pas mentir et de sefforcer de confondre lemensonge arrive mme triompher de toute la liste des obstacles voqusplus haut sans pour autant desserrer trop la laisse de la propagande (enthorie, du moins)2.

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    Il reste cependant une difficult, et de taille. Le mensonge ne pourraittre effectivement oppos la vrit que si lun et lautre avaient unevaleur universelle. Un contemporain de Renaudot, Blaise Pascal, auraitdu reste pu le lui objecter : Vrit au-de des Pyrnes, erreur au-del (1952, p.53). Ce problme-ci est beaucoup plus radical que ceux listsplus haut : il ne provient pas dune limitation en pratique , mais estli lessence mme de la pense. Il mrite donc un petit dtour.

    Si une crature intelligente, ft-elle journaliste, pouvait accder aurel en soi (ou dans labsolu, cest--dire indpendamment de sapropre position par rapport aux Pyrnes), celui-ci lui apparatraitcomme il apparat un nouveau-n : un kalidoscope dpourvu de sens3

    ou, selon le mot de William James, une confusion bourdonnante etfoisonnante 4. Prtendre accder au rel sans ides prconues estabsurde : ce sont justement celles-ci, cest--dire les schmas pralables,qui permettent de comprendre le monde en structurant sa perception.Ces schmas, briques de base de la cognition (Rumelhart, 1980) sont desconnaissances gnriques qui rsument les proprits typiques deschoses, des tres ou des situations, et leurs interactions : un nouveau-nne stonnerait pas de voir une infirmire porter des gants de boxe. Samre si, car la confrontation entre les schmas disponibles et le mondeperu est ce qui permet den distinguer les aspects significatifs ou non.Selon les traditions intellectuelles qui sy sont intresses, ces structurescognitives ont reu de multiples noms : le terme de schma estcurieusement commun la philosophie kantienne et la psychologieexprimentale, mais dautres parlent de scripts, de schmes, de strotypes,de reprsentations sociales, de cadres, etc.

    Chacune de ces notions diffre sensiblement des autres, mais ellesont suffisamment de proprits communes pour que lon puisse lesrapprocher (mme si, sur le fond, un tel travail resterait faire). Lessentielici est que ces intermdiaires symboliques, la monnaie dchange dusens en quelque sorte, sont la clef de la perception individuelle du monde,mais aussi des interactions sociales son propos. Or, ils ne sontvidemment pas uniformes dun individu lautre ou dun groupe lautre (les proprits saillantes du schma chasse ne sont pas lesmmes pour un pratiquant ou pour un dfenseur des animaux). Et, biensr, ils ne sont pas inertes : si la perception du rel peut modifier lesschmas individuels ou collectifs (par exemple dans le cas du bagne audbut du sicle dernier), les schmas utiliss modifient beaucoup plusfacilement la perception du rel (un pre de famille ou un multircidiviste peuvent dsigner la mme personne, mais ils luiconfrent des proprits assez diffrentes).

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    Pour insister sur cette capacit encadrer la perception du rel,on parlera partir ici de cadres et de cadrage (suivant en cela Minsky,1975 et Goffman, 1991), plutt que de schma5. Une bonne partie desinteractions humaines porte sur le cadre quil convient de slectionnerpour interprter lexprience vcue. Des expressions aussi triviales que vous plaisantez ? , cest un scandale , vous tes un saint , attention,ce nest pas un jouet , ils appellent a de lart ? , tmoignent a minima decette ngociation permanente du cadrage visant slectionner les traitspertinents du rel. Et le journalisme, lvidence, est au premier chefune entreprise de cadrage du rel. Ce point a souvent t dnonc, tantil est manifeste. Mais il est important dinsister sur le fait que, commeon la vu, cadrer le rel nest pas en soi une anomalie ou une faute deperception, mais la condition mme de toute perception. Si ce cadragecorrespond un consensus social ( le sida est un flau ), il napparatrapas comme tel. Si ce nest pas le cas ( la fourrure est un matriauvestimentaire lgant ), son vidence simposera ceux qui le contestent.

    Navons-nous donc, en fin de compte, fait quhabiller decirconvolutions verbeuses les banales notions d opinion ou de pointde vue ? Non, car poses en ces termes vagues et plats, elles ne menaientqu un fatalisme ou un relativisme sans issue. Les voil au contrairecontournes. Le journalisme na pas vocation affter ses opinions. Ilpourrait en revanche beaucoup gagner affter sa faon de recouriraux cadres, en particulier deux de leurs types les plus frquents : lescadres quon lui propose (les relations publiques sont fondamentalementdes instances de cadrage) et ceux qui lui paraissent aller de soi . Parailleurs, tandis que la simple mention de point de vue ou d opinion est inerte, la rfrence au cadrage permet de distinguer des aspectscruciaux : le cadrage ne joue pas seulement sur ce quon pense durel, mais il a galement la proprit de guider les questions quon sepose propos du rel. Et pour un journaliste, rflchir aux questionsquon se pose, et donc aux questions quon pose, na rien dinsignifiant.Mais au-del de cela, les cadres semblent une voie plus fconde pouraborder entre autres6 le problme de la vrit. Et au-del de lui, leproblme de la nature mme du journalisme. Cependant, comme on vale voir, la route reste longue en thorie comme en pratique.

    Le cadrage en action : de quoi parlons-nous ?

    Au plus court, le cadrage se rsume une question : de quoi parlonsnous ? Sa rponse peut tre simplement induite par la rubrique dujournal : Esquenazi (op. cit.) remarque ainsi que le fait quune information

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    sur une entreprise soit publie dans la rubrique conomie rendrapertinents certains caractres (par exemple commerciaux, financiers) etcertains acteurs, tandis que dans une autre rubrique ( social , environnement , etc.), ce sont dautres aspects ou acteurs de la mmeentreprise qui attireront lattention.

    Le cadrage peut aussi tre induit ou, en tout cas, suggr par lestermes utiliss. Ainsi un responsable de la Croix-Rouge soulignait-il quelexpression catastrophe humanitaire pour des tragdies rsultantdaffrontements arms suggre pour les publics et les gouvernementsoccidentaux une approche fataliste de type rparatrice (pallier lesconsquences) plutt que corrective (intervenir sur les causes) : Unviol est un viol et personne ne le dcrirait comme une "catastrophegyncologique". Or, de nombreux conflits ne cessent dtre prsents commedes "catastrophes humanitaires" alors quen fait, ils sont bien plus que cela.Cela dirige lintervention internationale dans une fausse direction celle duneaction purement humanitaire dans des cas o cest une action politique quisimpose (Boegli, 1998). Cet exemple renvoie directement la distinctionquopre Goffman entre les cadres naturels , qui ne dpendent pasde la volont humaine et les cadres sociaux qui soumettent laction des "normes" et laction une valuation sociale (op. cit., p.31). Mais onvoit que ses consquences nont rien dabstraites.

    Un autre exemple est fourni par le suffixe gate , hrit de laffairedu Watergate. Passons sur la mythification de ce dossier : on sait que ladmission de Richard Nixon na pas t arrache par lopinitret deWoodward et Bernstein, mais essentiellement par la conjonction dunetrs forte impopularit prsidentielle due une situation conomiquedsastreuse et aux dveloppements inexorables des enqutes juridiqueset parlementaires (voir Giles & McGill, 1998). Lintressant est surtoutque laffaire du Watergate et les dngations de Nixon ont depuis lorsfourni un cadre tout prt pour interprter tout vnement plus ou moinssimilaire. Ainsi, lorsquen 1986 a t dcouvert ce quon a aussitt appellIrangate, cest--dire la vente dtourne darmements amricains lIranet lutilisation des fonds pour financer la gurilla au Nicaragua, le cadrefourni par le prcdent du Watergate a largement contribu focaliserle dbat sur la seule question de la responsabilit du Prsident ( Reagansavait-il ? ), plutt que sur les pratiques et finalits de la politiquetrangre du pays (Schudson, in Giles & McGill, op. cit.). Pour la mmeraison, lenqute parlementaire a emprunt la voie dune investigationjudiciaire plutt que celle dauditions de politique trangre dont laporte aurait pu tre bien suprieure.

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    Il existe aussi des situations o la perception du rel, loin de sesoumettre aux cadres disponibles, tient ceux-ci en chec. Les sujets quine se coulent pas aisment dans un cadre nont gure de chancedatteindre la lumire de lactualit, mais il arrive parfois quon ne puisseles passer sous silence. Lorsquen janvier 1992, larme algrienneinterrompit les lections pour empcher les intgristes7 du Frontislamique du salut daccder au pouvoir, les proprits saillantes descadres parti dmocratique et coup dtat militaire sappliquaientsi mal que la confusion des observateurs tait manifeste. Descartes auraitsans doute suggr de suspendre son jugement , mais Descartes najamais eu boucler 20h00 !

    Avant daller plus loin, rglons un problme discursif. Parler de lavrit, sujet crasant, cest videmment accepter de dire bien des chosesqui ont dj t dites (et mieux) et den ngliger plus encore, quil faudraitdire aussi. Or, il en va de mme mais heureusement dans une moindremesure en ce qui concerne la question des effets de cadrage. Ils ontdj t lobjet de travaux si abondants que prtendre en prsenter tousles aspects et les implications conduirait une revue interminabledobservations et danalyses, ou des choix difficiles : pourquoi voquertelle tude de cas plutt que telle autre ? Pourquoi mentionner Tuchman(1978) ou Entman (1993) et omettre Scheufele (1999) ou Iyengar (1991) ?Esquivons donc la difficult en analysant simplement un cas indit etparticulirement net, un cas dcole en quelque sorte, propos duquelse dgageront trs concrtement les principaux aspects qui nousintressent.

    Des cadres en concurrence :le cas du vaccin contre lhpatite B

    Au milieu du mois de novembre 2002, un rapport dexpertisemobilise les mdias franais. Selon ce dernier, la campagne de vaccinationsystmatique des collgiens contre lhpatite B, lance en 1994 par legouvernement, aurait provoqu un dsastre sanitaire : Hpatite B : lerapport qui accuse (Le Parisien, 14.11.02), Vaccination contre lhpatite B :ltat accus de ngligence (Le Figaro, 14.11.02), Hpatite B : un vaccindevant le juge (Libration, 15.11.02), Un rapport dexpertise met en causela vaccination massive contre lhpatite B (Le Monde, 15.11.02), Vaccinationdangereuse ? (LHumanit, 15.11.02) , La vaccination contre lhpatite Bmise en cause dans un rapport (La Croix, 15.11.02).

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    Cet pisode constitue un srieux rebondissement dans la polmiquequi entoure ce vaccin, accus par une association de favoriser la survenuede sclroses en plaques. La polmique semblait en effet retombe depuis1998, date laquelle le secrtaire dtat la Sant avait dcid devantlinquitude du public de renoncer la vaccination systmatique enmilieu scolaire. Lopinion qui prvalait depuis lors tait que cette dcisionpolitique ntait pas justifie dun point de vue mdical, les tudes nayantpas montr de lien entre le vaccin et la sclrose en plaques et lesspcialistes saccordant juger que le rapport cot/ bnfice de cettevaccination tait, en tout tat de cause, favorable : Et pourtant, il sauve ,titrait cette poque Le Nouvel Observateur (08.10.98). Cest donc cetteopinion qui semble tout coup remise en cause. Mais dans quelle mesurelest-elle ?

    Si les informations retransmises par certains mdias audiovisuels,en particulier des radios, consacrent la dangerosit du vaccin, letraitement des agences de presse et des quotidiens nationaux (cette brvetude se cantonne ces derniers)8 est plus nuanc, mais plus ambigu.Tandis que Le Parisien-Aujourdhui et, dans une moindre mesure, Le Figaro(qui sortent tous les deux linformation un jour avant leurs confrres)vont dans le sens du rapport, dans lequel lun et lautre voient undocument accablant pour les autorits sanitaires , Libration et Le Mondeadoptent une certaine distance, comme lindiquent notamment leurssous-titres : La vaccination de masse de la dernire dcennie critique dansun rapport (Libration, op. cit.) ; Le lien avec la sclrose en plaques nacependant pas t tabli. (Le Monde, op. cit.)9. La Croix et LHumanit, pourleur part, choisissent de ne traiter linformation que par une brve,rsistant ainsi la dynamique qui saisit notamment les radios. On noteradonc que le phnomne souvent constat selon lequel les journalistesattribueraient spontanment la mme importance et la mme place auxlments de linformation na aucunement jou ici, lespace accord lvnement stageant entre le traitement laconique de La Croix (103mots) et LHumanit (120 mots) et celui, extensif, du Figaro et du Parisienqui lui accordent plusieurs articles (dont le plus long fait 825 mots pourLe Figaro et 700 mots pour Le Parisien). Libration et Le Monde traitentrespectivement laffaire en 364 mots et 486 mots.

    Pour lessentiel, le rapport semble apporter peu dinformationsfactuelles nouvelles, sauf sur un point capital. Lexpertise ayant tralise dans le cadre dune enqute judiciaire, lexpert sappuie sur desdocuments saisis lors de perquisitions menes dans deux agences desurveillance sanitaire. Or, lun des textes saisi cette occasion reconnatque les complications attribues la vaccination constituent lune des

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    plus grande sries deffets indsirables recueillis par la pharmacovigilance depuissa naissance en 1974 . La nature de ce document est incertaine : unenote interne pour Le Parisien, un rapport de la Direction gnrale de laSant pour Le Figaro, de laveu mme des autorits selon Le Monde, maisil constitue lvidence une lourde reconnaissance de responsabilit dela part des pouvoirs publics. Dans ce dossier confus (rappelons que lonne dispose toujours pas de preuve scientifique contre le vaccin), cet aveu inattendu pse lourd, et la plupart des quotidiens10 lereproduisent textuellement.

    Une preuve ? Quelle preuve ?

    Pourtant cet aveu nouveau nest pas un aveu et il nest pasnouveau. Il est facile de vrifier que cette phrase est en ralit extraitedune valuation externe confie un comit duniversitaires (Dartigueset al., 2002) et nengage donc pas directement ladministration. Parailleurs, le contenu de cette tude na rien de mystrieux ou de cach : ila t rendu public en fvrier 2002, date de sa remise au secrtariat dtat la Sant, et se trouvait notamment en libre accs sur le site internet duministre bien avant que la perquisition ne le dcouvre en quelqueobscure cachette.

    De plus, la phrase extraite qui ne porte que sur les effets attribusau vaccin a pour le moins souffert dtre spare de ses voisines,lesquelles permettaient une interprtation trs diffrente (il y a eubeaucoup deffets dclars parce quil y a eu beaucoup de personnesvaccines) : Il sagit de lune des plus grande srie [sic] deffets indsirablesrecueillis par la pharmacovigilance depuis sa naissance en 1974. Ce nombre estdautant plus lev quil existe une certitude de sous-notification, mais il doittre relativis dans la mesure o de 22 29 millions de personnes ont t vaccinesen France durant cette priode avec 86,5 millions de doses de vaccin vendues (Dartigues et al., op.cit., p.10)

    Enfin et surtout, la consultation complte de cette pice montre queses conclusions vont totalement lencontre de celles que laisseraitsupposer lextrait cit dans la presse, tant sur la question du danger duvaccin qu aucune donne ne permet daffirmer (p.15) que sur lapertinence de la vaccination, dont les bnfices [...] restent suprieurs auxventuels risques (p.16). Cette dcontextualisation prend une certainesaveur devant la vigueur avec laquelle lexpert judiciaire dnonce les dissimulations et les dformations dont les pouvoirs publics seraientresponsables.

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    Il nimporte pas ici de savoir si, sur le fond, lopinion de lexpertjudiciaire est fonde ou non11, pas plus quil ne serait opportun deprtendre distribuer des bons ou des mauvais points moralisateurs auxrdacteurs pour navoir pas, cette fois-ci, dtect le pige qui se tendait eux (que Libration a pour sa part esquiv en connaissance de cause).On pourrait, certes, rappeler le risque que fait invariablement natrelloignement par rapport aux documents sources : la phrase en questiontait, pour certains journaux, reprise dune dpche dagencementionnant un rapport dexpert citant lui-mme une autre tude. Laphrase du document initial, qui comportait une faute daccord ( lunedes plus grande srie ) nest du reste reproduite lidentique dans aucunarticle. Mais limportant est surtout de percevoir travers cet exempleles logiques dlaboration du sens de lactualit. On peut en effet douterque cet extrait aurait eu une aussi grande importance si lvnementavait simplement t un vnement en soi . Mais il ny a pasdvnement en soi , seulement des vnements par rapport descadres dinterprtation, quils soient diffus (larges et gnraux, parexemple catastrophe ) ou spcifiques (comme Watergate )12.

    En loccurrence, un cadre trs spcifique semble irrpressible bienque nul ne sy rfre explicitement. Il est fourni, prt utiliser, par laffaireantrieure, dite du sang contamin . On se souvient que celle-ci avait,une dizaine dannes plus tt, conduit en France la mise en cause denombreux responsables de la sant publique (dont trois ministres), qui taient notamment reprochs le retard du dpistage systmatiquedu virus du Sida dans les dons de sang ainsi que le retard mis retirerdes lots sanguins contamins par ce virus. Les analogies apparentes entreles deux affaires sont nombreuses (procdures pnales des patients,injection de produits senss prserver la vie et non la compromettre,recherche de responsables un haut niveau). Mais un examen plusattentif permet de penser quelles sont foncirement diffrentes. Dans lecas du sang contamin, la dangerosit du produit tait dmontre etlincrimination tait prcisment davoir agi ou laiss agir enconnaissance de cause. Dans le cas du vaccin, cette dangerosit nesttoujours pas reconnue, et la traditionnelle question le savaient-ils ? (pivot habituel des scandales dtat) na donc gure de sens. Pourtant,cest bien cet axe dinterrogation qui semble simposer et justifie le succsde la citation tronque. Limposition de ce questionnement est parfoistrs manifeste : Il [lexpert] estime que les pouvoirs publics diffusaient cette poque des messages "rassurants" alors que, de laveu mme desautorits, les complications releves produisaient "lune des plus grandes sries

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    deffets indsirables recueillis par la pharmacovigilance depuis sa naissance en1974" (Le Monde, op. cit., soulign par nous).

    Comme on la vu plus haut, la phrase qui tient lieu d aveu nanullement t crite cette poque (cest--dire au dbut de la campagnede vaccination) comme le texte peut le suggrer, mais quatre ans aprsque celle-ci a t suspendue. Consciente ou non, lanalogie sous-jacente force linterprtation. En effet, Le Monde se fonde explicitement surlAgence France Presse. Or celle-ci, bien quun peu ambigu elle aussi,utilise le temps prsent et ne prcise pas cette poque : Lexpertsouligne en outre que les autorits diffusent un message "rassurant", alors que,"de laveu mme des autorits", les complications dcoulant des vaccinationsproduisent "lune des plus grandes sries deffets indsirables reccueillis [sic]par la pharmacovigilance depuis sa naissance en 1974" (AFP, 14.11.2002,11h53 hdP).

    Le contexte de la dcouverte de cette assertion joue galementun grand rle. Le fait de rsulter de perquisitions lui confre une staturetoute particulire. Dans le rituel implicite (mais imprieux) dune affaire , la vrit ne saurait tre en libre accs : elle doit absolumenttre cache, puis arrache ses dtenteurs. Ainsi la mention desperquisitions valide-t-elle la fois limportance de ce document, maisaussi son caractre compromettant. Lors de laffaire du sang contamin,les documents effectivement dissimuls, importants et compromettants(en particulier un compte rendu de runion accablant) navaient pasmanqu. Il doit donc en tre de mme pour laffaire de lhpatite B, dontlimpact sans cet ingrdient serait bien incertain.

    Le prcdent du sang contamin ne fournit pas seulement un modledinterprtation ponctuel qui force les questions : travers lui se joueun conflit plus profond entre des cadres gnraux. En effet, le problmesous-jacent est de savoir de quelle catgorie du dbat public relvece dossier, ou plutt, quelle catgorie doit prdominer sur les autres. Lastratgie des plaignants, en recourant une procdure pnale, estclairement de le dplacer du cadre mdical au cadre politique. Commecest de plus en plus souvent le cas, le cadre judiciaire (dont les frontiressemblent indfiniment extensibles) sert alors simultanment de passerelleet de dnominateur commun. Le paradoxe embrouill auquel sontconfronts les journalistes (en substance : les pouvoirs publics sont peut-tre responsables davoir administr un vaccin qui, pour autant quon le sache,nest pas particulirement dangereux) sexplique par ce conflit entre descadres dans lesquels la nature et la hirarchie des arguments sontdiffrents. Dans laffaire du sang contamin, cette transposition avaitpu seffectuer assez aisment car les principaux lments taient

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    compatibles avec les deux cadres : mme avec des qualificationsdiffrentes, le lien entre lattitude des pouvoirs publics et les dommagessubis par les victimes restait inchang. Cette transposition du sanitaireau politique navait pas seulement affect les angles dapproche desjournaux, mais aussi lorganisation interne de ceux-ci . Lvolution dudossier stait en effet accompagne dans certaines rdactions dune dpossession des journalistes mdicaux, jugs trop nuancs, au profitdes journalistes dinformation gnrale ou politique, moins comptentssur le fond mais plus incisifs (Champagne & Marchetti, 1994).

    Dans le cas du vaccin contre lhpatite B, les journalistes desquotidiens, qui ne sont pas dupes13, semblent globalement rticents favoriser outre mesure cette transposition. Ce nest en revanche pas lecas de celui du Parisien-Aujourdhui, trs engag dans ce dossier auquelil a consacr un livre dont le titre (Le scandale de lhpatite B) rechercheclairement une analogie avec ce quil est dusage dappeler le scandaledu sang contamin . En 1998, ce journal avait dj analys la suspensionde la campagne de vaccination scolaire comme la preuve de la nocivitdu vaccin ( Hpatite B : le vaccin tait bien dangereux : titre de Une,02.10.98) et soulignait son rle de pointe dans ce succs, neuf moisaprs les rvlations du "Parisien-Aujourdhui" sur les effets nfastes duvaccin . Limplication du journal est mme revendique : Mais il aurafallu pour cela lopinitret dun groupe de victimes, le Revlab, et de quelquesmdias dont "Le Parisien-Aujourdhui" qui ont relay les tmoignages etenqut.

    Cependant, mme ce volontarisme pourrait tre li un dernier effetde cadrage induit par laffaire du sang contamin. En effet, cette dernirene suggre pas seulement un angle de questionnement, mais aussi desenjeux purement journalistiques. Le dossier du sang contamin, associ la longue enqute de la journaliste Anne-Marie Casteret, constitue unrepre professionnel, tant considr comme lun des grands succs dujournalisme dinvestigation franais. On peut donc penser (mais nonaffirmer) que cette dimension interne du modle fourni par laffairedu sang contamin pourrait avoir influ la fois sur la motivation dujournaliste du Parisien, sur son approche de la question du vaccin, etmme sur sa posture. On retrouve ici le caractre prgnant des monuments du journalisme sur le traitement ultrieur de sujets plusou moins similaires : si laffaire du Watergate navait pas constitu untel modle professionnel, ses effets de cadrage sur les questionnementset mme sur la catgorie dominante du dbat public propos delIrangate (pnale plutt que diplomatique) auraient t moinsprononcs.

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    Les cadres pistmiques et la nature du journalisme

    Au-del du cas despce, le dossier de la vaccination fournit avanttout un point dentre sur la question cruciale de la capacit dujournalisme savoir , donc sur sa capacit dire la vrit . En effet,si la question de la catgorie du dbat public privilgie (sanitaire oupolitique) peut apparatre la fois un peu floue (puisque ces catgoriessinterpntrent trop pour tre rigoureusement dlimitables), la questiondes diffrentes faons de savoir est porteuse dune interrogation plusfondamentale : y a-t-il une faon spcifiquement journalistique deconnatre le monde ?

    Il faut ici faire intervenir un type particulier de cadres. Ceux-ci, quelon pourrait appeler des cadres pistmiques , portent directementsur les faons lgitimes ou non de connatre. Or lexemple du vaccinmontre quel point celles-ci peuvent tre conflictuelles.

    Il existe tout dabord une faon de connatre spcifiquementscientifique (qui, sans sy limiter, inclut les mthodologies exprimentaleset quantitatives) et une faon de connatre spcifiquement juridique(dfinie par les codes de procdure pnale et de procdure civile). Lesdeux, trs formalises, ont foncirement vocation produire de la vrit(la connaissance scientifique et la chose juge font toutes deux foi tantque des preuves contraires substantielles ne sont pas produites), maisnombre dexemples rcents montrent quelles peuvent se contredire :telle statue antique sera scientifiquement fausse mais juridiquementauthentique ; telle indemnisation dun prjudice sera scientifiquementinfonde mais juridiquement admise ; tel prsident dune grandepuissance sera statistiquement battu mais juridiquement lu, etc. Pourles journalistes, habitus grer laffrontement de positions antagonistes,il ny a rien l dinsurmontable. Malheureusement, ces deux faons deconnatre sont loin dpuiser les modes lgitimes daccder au rel. Ilexiste, par exemple, une faon de connatre conomique ou administrative (normes comptables14, analyses cot-bnfice, etc.),une faon lgislative (par dfinition, la loi produit du vrai ), unefaon religieuse , etc. Et la moindre de ces faons daccder au relnest pas la sensibilit, celle du pote ou simplement de ltre humain.La compassion ou la tristesse peuvent conduire une erreur, au mmetitre que lanalyse factorielle ou linstruction judiciaire, mais elles nensont pas pour autant des faons intrinsquement errones de connatre. Nous connaissons la vrit non seulement par la raison mais aussi par lecur , rsumait Pascal (op. cit., p.76). Dans le cas du vaccin contrelhpatite B, Le Parisien, seul recourir cet angle, accompagnait ainsi

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    son article principal du rcit poignant de la fin dune jeune fille, Nathalie,tombe malade peu aprs ladministration de ce vaccin.

    Les questions mdicales, qui sont composites par nature (on y trouvetoujours du scientifique, de lhumain et du financier, tandis que lejuridique, voire le politique, ne sont jamais loin), manifestent de ce faitune prodigieuse capacit convoquer les approches lgitimes maisopposes, et laffaire du vaccin les montre en plein affrontement. Deplus, ces matires tendent brouiller encore plus les pistes en produisantdes instances intermdiaires dont le cadre pistmique est trs ambigu :cest en particulier le cas de l expert judiciaire , dont lintitul suggreune comptence indiscutable mais dont la crdibilit scientifique estsouvent floue (cest le juge, et non la communaut scientifique, quidsigne qui peut lgitimement parler au nom de cette dernire). Dans lecas de lhpatite B, par exemple, les journaux indiquent que lexpert estun mdecin spcialiste du mdicament (ne le sont ils pas tous ?), maisaucun indice par exemple lappartenance un laboratoire de rechercheou une formation universitaire ne permet de prsumer ses comptencesscientifiques. Si ce dtail ntait pas pertinent, cest bien que le cadrepistmique science ne prvalait pas dans ce dossier : un article dominante scientifique ne manque jamais de prciser laffiliationacadmique des spcialistes quil voque (le cadre impose la question,car les scientifiques indpendants sont jugs peu crdibles).

    On a du reste soulign ailleurs quen matire de sciences ou derisques technologiques, les difficults des scientifiques communiquerhors de leur propre sphre taient intimement lies leur faible aptitude prendre en compte dautres modes daccs au rel (Labasse, 1999). Ilsressentent comme une dgradation de linformation (ce qui est vrai silon reste dans le cadre pistmique de la science) le fait que des prcisionset des nuances ncessaires dans ce cadre apparaissent comme des dtailsnon pertinents dans le champ des mdias et qu linverse, desquestionnements simposent dans celui-ci (par exemple des prdictionsformelles sur un risque mal connu, des promesses de gurison pour unemolcule peine dcouverte, etc.) alors que ces questions ne sont paslgitimes dans un cadre scientifique. Mais sil existe bien un cadrescientifique, existe-t-il vraiment un cadre pistmique propre aujournalisme ? En dautres termes, le rel tel que les organes de pressesefforcent de lapprhender et de le rapporter nest-il que le patchworkhasardeux et prcaire des diffrents cadres externes qui se proposentdinterprter le monde, ou rsulte-t-il dune faon de connatre propre ce champ ? En somme, peut-il y avoir une vrit journalistique comme il y a une vrit scientifique, juridique ou comptable ?

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    Cette question est, du reste, sous-jacente dans le travail de Kovachet Rosenstiel : Ceci est ce que le journalisme recherche une forme pratiqueou fonctionnelle de la vrit. Ce nest pas la vrit dans un sens absolu etphilosophique. Ce nest pas la vrit dune quation chimique. Mais lejournalisme peut et doit rechercher la vrit dans un sens selon lequel nouspouvons oprer au quotidien (p.42).

    Elle peut paratre purement thorique, mais ses implications ne lesont nullement. Si le journaliste nest que l homme de la rue munidun stylo, le flneur salari dont parlait Henri Braud, alors, il nepeut qutre ballott par les diffrents cadres qui soffrent lui, et oscillerentre lillusion de lengagement et celle de la compltude. Prcisons quenous ne dfinissons ici lengagement que comme le fait de se soumettre un cadre pistmique principal (par exemple, dans le cas de lamondialisation, laffectif ou au contraire lconomique), tandis que lacompltude serait, linverse, le dsir admirable mais utopique derecourir quitablement tous les cadres dinterprtation en deux feuilletsou une minute dantenne. Dans lun o lautre cas ou dans nimportelaquelle des gradations que lon pourrait imaginer entre les deux lapromesse fondamentale de Kovach et Rosenstiel (la conscration dujournalisme la vrit) est intenable. Dans le mme temps, la spcificitventuelle du journalisme face loffre des multiples fournisseurs decontenus et des animateurs de divertissements demeureraitintrouvable, puisquil serait bien dlicat de prciser en quoi lapprochejournalistique sen distingue.

    Si, linverse, il existe bien quelque chose qui puisseapproximativement passer pour une faon journalistique de connatrele monde, alors les donnes du problme sont tout autres. En effet, cettepiste mme encore incertaine et peut-tre sans issue conduirait sintresser aux mthodes du journalisme non comme de simples trucsde mtier consacrs par lusage, mais comme les fragments dunemthodologie spcifique de production de la vrit. Les consquencessont multiples. Dune part, il serait possible de sortir de limplicite maisabsurde obligation morale de rsultats (dire la vrit) en fonction delaquelle on value traditionnellement le journalisme pour lui prfrerprogressivement une obligation morale de moyens (appliquer de bonnes mthodes dinformation 15), ce qui impliquerait videmmentde pouvoir prciser un peu celles-ci. Dautre part, alors que les trucs etusages ne sont que ce quils sont, les lments dune mthode, ds lorsquils sont penss en tant que tels, peuvent collectivement samlioreret tendent mme naturellement le faire. Enfin, la question de laspcificit du journalisme sen trouverait en partie dbloque : si lon

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    juge louvrier ses outils, cest bien la matrise de telle ou telle familledoutils qui dfinit lidentit professionnelle de louvrier.

    La vieille tentation de la science

    Lide de considrer les ficelles professionnelles comme lesconstituants ou les traces dune mthodologie embryonnaire peutparatre incongrue. Incongrue pour les professionnels qui, bien quetenaills par les critiques et par la dilution apparente de leurs repres,pourraient sourire lide de tant de dignit accorde ces rudimentsfamiliers. Incongrue aussi pour les spcialistes, et pour la mme raison.De surcrot, le journalisme se trouve cheval entre les deux cadrespistmiques les plus opposs qui soient : le cadre sensible et le cadrescientifique. Lopposition nest pas propre au journalisme, elle estvidemment lie lhumaine nature, partage entre le sentiment et laraison (Pascal, toujours). Mais la plupart des professions semblent senaccommoder beaucoup mieux que le journalisme, lequel oscille entreune idologie romantique qui, presque par dfinition, rfute toutemthode, et une idologie empiriste, voire positiviste, qui entend ne serfrer quaux faits (mconnaissant donc leur invitable cadrage).Laboutissement de cette dernire est le precision journalism , lequelsinspire explicitement des sciences sociales (quantitatives) et des sciencesde la nature : Le nouveau journalisme de prcision est un journalismescientifique [] Il signifie considrer le journalisme comme sil tait une science,appliquer la mthode scientifique, lobjectivit scientifique et les idauxscientifiques la totalit du processus de communication de masse. Si cela voussemble absurdement prtentieux, souvenez-vous que la science elle-mme faitpreuve de retenue quand ses accomplissements et ses possibilits, et quelle ases propres sanctions contre les prtentions (Meyer, 1991).

    De fait, les dveloppements des techniques denqute, notammenten matire danalyse statistique des donnes publiques sont, dans lespays anglosaxons, lorigine de beaux succs journalistiques ayantconduit en diverses occasions rfuter les discours officiels. On a parailleurs vu des enqutes recourir des outils scientifiques sophistiqus,comme la spectromtrie de masse utilise par la BBC pour un sujet surla drogue. La presse consumriste est pour sa part habitue aux essaiscomparatifs reposant sur des protocoles trs formaliss. Plus simplement,les journalistes qui testent en camra cache la rigueur professionnelledes garagistes, des plombiers ou des mdecins seraient sans doute assezsurpris dapprendre que leur dmarche sapparente mutatis mutandis aux

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    normes de recherche les plus classiques qui soient : problmatique ethypothses, mthode utilise, rsultats et discussion.

    Toutefois, ces cas trs particuliers ont le double inconvnient de ntrepas reprsentatifs de lensemble beaucoup plus vaste des pratiquesjournalistiques, et de renvoyer un cadre pistmique exogne, celui dela science (et, qui plus est, une conception un peu sommaire de celui-ci). On notera ce propos que le terme objectivit , qui a pris sonessor dans les annes 1920, dsignait lorigine une mthodologie de travailrigoureuse venue du champ de la recherche en sciences naturelles (Bernier,1994, p.69). La question, en ce qui nous concerne, nest pas de savoir si lejournalisme doit recourir tel o tel cadre, mais de se demander dansquelle mesure il constituerait un cadre en soi. Nous nentendons pasvraiment trancher cette question, qui reste exploratoire. Mais ce stade,quelques remarques peuvent tre avances.

    La premire est quil existe bien, comme en droit ou en science, desrgles explicites de production de la vrit, mme si ce dispositif estvidemment beaucoup moins systmatis et imprieux que dans cesautres cadres. Cest par exemple le cas du principe de recoupement etdu principe contradictoire (que lon confond parfois). Le premier, selonlequel toute information est sense tre contrle auprs de deux sourcesdistinctes, est si souvent mentionn quil est devenu une boutade lintention des jeunes journalistes ( si ta maman te dit quelle taime, recoupe-le quand mme ). On peut noter que, lors de la rcente polmiqueconcernant les affirmations du gouvernement britannique surlarmement irakien, le premier reproche professionnel fait au journalistequi avait soulev laffaire tait quil ne stait fond que sur une seulesource (alors que les reproches mis de lextrieur de champ taient duneautre nature). Le principe contradictoire, quant lui, est que la vritpeut procder simplement de la confrontation de deux opinionsopposes, ce qui peut ressembler au premier mais est en ralit trsdiffrent, le recoupement visant une confirmation neutre .

    On pourrait dire, quitte pousser le raisonnement lextrme, quela philosophie du premier cas sapparente au principe de linstructiondite inquisitoriale du droit continental (o le juge a la responsabilitde recueillir les tmoignages et dtablir les faits) tandis que le secondvoque linstruction accusatoire ( adversarial ) de la Common law(o cette responsabilit incombe aux adversaires, le juge nexerant quunrle darbitre). Il nentre pas dans notre propos de relever combien lesdeux principes peuvent, en pratique, tre ngligs par les praticiens, nide nous interroger sur leurs limites (en particulier celles du second, quipeut conduire, au nom de l objectivit confronter des opinions de

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    poids ingaux : un mage et un prix Nobel, un bourreau et une victime,etc.). Le seul point est que ces principes existent en principe. Onpourrait en trouver dautres, moins gnraliss, par exemple la rgledes agences selon lesquelles tout lment dinformation doit avoir unesource ou une origine (lhomme de la rue dira : Il faisait beau ; lagencierconsciencieux prcisera : Il faisait beau, pouvait-on constater sur place ).De mme, la question de lidentit des acteurs, voire de leur adresse,revt une importance particulire dans ce champ, comme en matirejudiciaire (lhomme de la rue dira : Un vieil homme sest fait craser ; lejournaliste, surtout dans un journal local, dira : Monsieur Untel, tel ge,habitant tel endroit, sest fait craser ). On pourrait aussi noter que lanorme du summary lead les fameux 5 W + H nest pas seulementun procd (discutable) de rdaction, mais une norme danalysemthodique des faits (qui, a fait quoi, o, quand, pourquoi et comment ?) tel point quon la retrouve lidentique dans les anciens manuels desconfesseurs (o elle sert caractriser et valuer le pch) ou encoredans un passage de lthique Nicomaque o Aristote recourt cequestionnement propos de lignorance humaine.

    De mme, le journalisme, confront au mme titre que les sciencessociales laccablant problme de la complexit, a forg comme ellesdes outils pour ne pas sombrer devant la multiplicit des facettes dunmme sujet. Le chercheur dfinira un cadre de rfrence spcifique etune problmatique circonscrite qui lui permettront de limiter saperspective une seule de ces dimensions (encore que certains, commeJacques Ardoino, dfendent le principe dune approche multirfrentielle ). Pour sa part le journaliste en tout cas pendant saformation prendra soin de dfinir le message essentiel de son sujetet l angle de celui-ci. Cette notion d angle est souvent peruecomme une faon dtre original, de se dmarquer de la concurrence.Mais son rle principal est bien de nature pistmologique : il est avanttout un moyen pour rsister la complexit infinie du rel en choisissantle prlvement spcifique quon en livrera et en rputant le reste hors-sujet .

    Peu de dbats mthodologiques

    En approchant les vieilles recettes du journalisme comme lesventuels constituants ou les traces dune (non moins ventuelle) faonparticulire de connatre le rel, on savise que certains aspects restentremarquablement peu dbattus dans ce champ16 et que dautres semblent

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    mme quasiment ignors. Cest en particulier le cas de la question,cruciale, de la prise en compte de lexprience antrieure. Dans la plupartdes systmes organiss dapproche du rel, le processus supposeexplicitement le recours un corpus de connaissances de rfrence : la revue de littrature en sciences, ltat du droit positif et des prcdentsen matire juridique, les textes sacrs et leur exgse en religion, laconnaissance des uvres en littrature, etc. En revanche, la majoritdes manuels de journalisme nvoquent quasiment pas ce point, commesi toute nouvelle information devait tre normalement tre aborde partir de zro, sans lappui dun quelconque rfrentiel documentaire.Il faudrait ici nuancer, notamment en regardant comment cette questionrenvoie aux avantages et inconvnients du journalisme spcialis et enprcisant que cette omission de la doctrine nempche heureusementpas nombre de journalistes de reconnatre limportance dun travail dedocumentation. Mais il nen reste pas moins que, de ce point de vue, ilserait difficile de marquer une diffrence revendique entre lhommede la rue et le journaliste professionnel (il est vrai que pour lun etlautre, le dlai disponible pour connatre le rel et en rendre compte estbeaucoup plus court que celui dont disposent le chercheur, le juge oulartiste).

    Affirmer pour autant que le cadre pistmique du journalismeninclut pas daccs un corpus prexistant serait un peu rapide : cecireviendrait ne prendre en compte que les discours des praticiens eux-mmes, et mme la formalisation de ceux-ci dans les manuels. Or, unefaon de voir le monde ne se rduit pas des rgles dclares. Elle ne selimite mme pas des approches recommandables , mais peut eninclure dautres, prsumes moins avouables. En lespce, par exemple,un point a souvent t remarqu et parfois dnonc : les journalistes,avant tout, se lisent entre eux. Cette circulation circulaire de linformation (Bourdieu, 1996, p.22) ne manque videmment pas de produire des effetspervers, mais peut-on se contenter de la dnoncer comme une pratiqueanormale ou dviante ? Trop gnralise pour ne pas correspondre unbesoin profond, elle constitue aussi, aprs tout, un moyen de collectiviserune base de rflexion et ainsi de ngocier en commun la perception durel. Lhomme de la rue, lui, ne multiplie pas le nombre de journaux etdmissions quil consulte sur un mme sujet (mme sil est par ailleursvrai quil ne vit pas de la hantise de se faire scooper). En revanche, lesmthodes les plus formalises de connaissance du rel (sciences, droit)sont aussi des machines produire du consensus sur linterprtationdes faits, en fournissant une arne o se manifestent, se grent et sersolvent (ou sont touffes) les discordances.

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    Il ne sagit videmment pas ici dabsoudre la circulation circulairede linformation des reproches qui peuvent trs juste titre lui treadresss, mais simplement de la prendre au srieux comme un outilpistmique quutilisent effectivement les professionnels. Ds lors, ildevient envisageable, notamment dans les manuels (ou les cours) dejournalisme, de le sortir de lombre pour en discuter lutilit, en dlimiterla pertinence, en tudier techniquement les avantages et surtout lesdangers. On peut dominer ce quon connat, mais on est facilementdomin par ce quon ignore ou quon nie. Notons quil en va a fortiori demme pour les effets de cadrage cognitif : on chercherait en vain dansles manuels une quelconque rfrence ceux-ci. Parce quils conviennentmal lidal professionnel dun journalisme matre de lui comme delunivers , parce quils ne sont perus (lorsquils le sont) que commedes dviances, des anomalies, plutt que comme le contexte ncessairede toute cognition humaine, parce quils souffrent, aussi, des relents peuapptissants de la thorie ou de labstraction, la rflexion journalistiquesabstient de se les approprier. Or, cest bien ainsi que la pratique, etplus encore la formation la pratique, peuvent vraiment produire desrepres oprants. Il ne sagit pas l dthique ou de dontologie. Il sagitde technique. Faire percevoir le rle des cadres dans la cognitionnimplique pas de jugement de valeur : il suffit que les professionnels ensoient plus conscients pour quils en soient moins les jouets et quilspuissent forger leurs propres filtres. On a beaucoup travaill, sansbeaucoup deffets, sur lthique du journalisme. Il serait temps daccorderautant dattention son expertise, cest--dire sur sa matrise techniqueet conceptuelle de ses outils, y compris de ceux qui ne sont jusqu prsentpas reconnus comme tels.

    Peut-on comparer lincomparable ?

    Dans cette perspective, la voie de lpistmologie compare quitransparat souvent en filigrane des discours mais constitue rarementleur objet, reste approfondir. Cette dmarche, on sen souvient, est aussivieille que le journalisme, que Renaudot avait entrepris de comparer lHistoire. Bien plus tt, Socrate comparait de mme lart du tribun celui du mdecin (mais pour rfuter le premier). Et, nombreux sont ceuxqui, depuis, ont eu recours de faon plus ou moins allusive cetteapproche, par exemple des praticiens comme Kovach et Rosenstiel : Ilsdveloppent des procdures et des processus pour arriver ce qui pourrait treappel une "vrit fonctionnelle" [] Les jurys rendent des verdicts dinnocence

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    ou de culpabilit, les entreprises sont rgules, les impts sont collects, les loissont labores [] Toutes ces vrits mme les lois scientifiques sont sujettes rvision, mais nous agissons partir delles parce quelles sont ncessaires etquelles marchent (op. cit., p.42). Mme remarque avec des auteurs plusacadmiques, par exemple Bourdieu : Le champ du journalisme a uneparticularit : il est beaucoup plus dpendant des forces externes que tous lesautres champs de production culturelle, champ des mathmatiques, champ dela littrature, champ juridique, champ scientifique, etc. (op. cit., p. 60).

    Dans la mme optique, Esquenazi, soulignant que les mdias nesont pas les seules institutions auxquelles une mission reprsentative estdvolue (op. cit., p.19), les compare tout aussi brivement auphysicien, au juge et au romancier, situant implicitement le journalistequelque part entre les deux premiers et le troisime.

    Si lon prolonge cette voie, la confrontation entre lventuelle faonde savoir des journalistes et celle dautres communauts peut conduire des questions un peu farfelues. On peut par exemple se demander si ladmarche journalistique sapparente plutt au cadre judiciaire ou aucadre scientifique. Le choix de ces deux rfrentiels de comparaisonsimpose pour deux raisons. La premire est que lun et lautre sontextrmement codifis (il ne serait pas trs malin dapprocher un cadreincertain en le comparant dautres tout aussi flous). La seconde estque le journalisme semble partager avec eux une caractristiquefondamentale : Lessence du journalisme est une discipline de vrification et cest ce qui le spare du divertissement, de la propagande, de la fiction oude lart (Kovach & Rosenstiel, op. cit., p.71).

    Dans ses rapports avec lapproche scientifique et judiciaire, lejournalisme, comme on la vu, emprunte des outils lun comme lautre(aucun cadre pistmique nest tanche). Tous trois concident mmesur certains points, par exemple le principe dindpendance delobservateur : on peut directement rapprocher la Charte des devoirsprofessionnels des journalistes franais (selon laquelle un journaliste,digne de ce nom [] ne touche pas dargent dans un service public ou uneentreprise prive o sa qualit de journaliste, ses influences, ses relations seraientsusceptibles dtre exploites ) des problmes de conflits dintrts quisecouent rgulirement le monde scientifique, largement financ parlindustrie.

    En premire analyse, le journalisme semble plus proche de ladmarche juridique que de la dmarche scientifique. On a vu desjournalistes concurrencer et mme rfuter des enqutes judiciaires ; onles voit rarement refaire et corriger des recherches acadmiques. Desurcrot, la science a en principe une vocation universelle ( il ny a

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    de science que du gnral , crivait Aristote) alors que le journalisme,comme la justice, soccupent du spcifique et de lactuel : le cas demonsieur Untel et non le cas des hommes en gnral. Par ailleurs, lajustice et le journalisme impliquent des valeurs sociales : elles distinguentlacceptable (ou le souhaitable) et linacceptable alors que la science enprincipe toujours na pas dire le bien et le mal.

    Toutefois, lorsquon compare des systmes de connaissance du rel,il faut autant que possible comparer des systmes rels plutt que desvisions enchantes de ces systmes. Or la conception de la science tellenous lavons voque jusqu prsent, et qui transparat galement danslapproche du precision journalism , est une conception un peu idalisede celle-ci. La recherche, comme le journalisme, est une activitentirement oriente vers la publication, et la russite, comme enjournalisme, rside dans le fait dtre le premier (la dcouvertescientifique serait ainsi lhomologue savant du scoop). De surcrot, elleest, comme le journalisme, une lutte pour lattention : dans lun et lautrecas, la conscration est de voir son travail repris et cit par ses pairs.Mieux, ce dsir qui peut apparatre comme une vanit frivole chez lesjournalistes est pour les scientifiques une forme lgitime dvaluation,officialise par une institution le Science citation index qui joue le rledune bourse des valeurs scientifiques en dcomptant chaque citation.

    Sur le fond (le processus mme de production de la vritscientifique), les travaux des historiens et sociologues des sciencesmontrent quel point la dimension sociale de la science influe sur sesaccomplissements. Cest, par exemple, le cas des paradigmes , soclescommuns de connaissances, de suppositions et dusages relatifs unaspect du rel qui, pour Thomas Kuhn (op. cit.), sont la base de ladmarche scientifique (par exemple les paradigmes successivementassocis Ptolme, Copernic et Newton). Or par certains aspects, cesparadigmes peuvent curieusement voquer les cadres dont nous avonsvu limportance dans linterprtation du sens de lactualit17. Ainsi, lesparadigmes forcent la pense en distinguant ce qui est rput significatifou sans importance, en concentrant lattention (p.47), en modifiant laperception du rel ( les objets familiers apparaissent sous une lumirediffrente , p.157) et en dlimitant mme les questionnement que lonpeut avoir. Par exemple, si lon considre que la terre est plate, dterminerce quil y a au bord est une bonne question , tandis que vouloir prcisersa courbure naurait pas de sens. De mme, le succs dun nouveauparadigme suppose quil parvienne recruter un nombre suffisantdadeptes en les soustrayant dautres approches concurrentes. Cetaspect social voque (toutes proportions quantitativement et

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    qualitativement gardes, ce qui nest pas rien) un phnomne bien connuet souvent dnonc, celui du media hype qui voit la communautjournalistique se concentrer tout coup avec une certaine frnsie surun phnomne quelconque, un fait divers apparemment semblable bien dautres ou une situation qui, jusque-l, navait bnfici daucuneattention particulire. Il faudrait de longs et ennuyeux dveloppementspour prciser les similitudes mais aussi les trs nombreuses diffrencesqui font que, si lclairage de Kuhn peut tre stimulant pour penserlactualit, il semble pour autant difficile de considrer purement etsimplement les nouvelles comme des sortes de paradigmes phmres18.

    On se contentera ici de noter, dune part, quil serait intressantdanalyser lemballement mdiatique comme un lment (peut-tredfectueux, l nest pas la question) dune faon de connatre le rel, etdautre part que, de ce point de vue, la science est beaucoup plus prochedu journalisme que du droit. Dans ce dernier cas, le magistrat agit engnral isolment, sans la concurrence dune horde dautres juges quichoisiraient eux aussi de se passionner pour le mme dossier (mais aussisans pouvoir comparer son travail au leur), tandis que dans les deuxpremiers cas, de nombreux chercheurs ou reporters entrent enconcurrence sur un problme. Il est arriv, du reste, que lobjet delexcitation soit commun aux deux communauts, par exemple laquestion dInternet qui, si elle a suscit une attention peut-tredisproportionne de la part des mdias, a dans le mme temps bnficidun effet de mode dmesur dans le monde acadmique. Il faut enfinsouligner que la vrit du journalisme, comme celle de la recherche, nesten gnral pas considre comme la production dindividus, mais commele rsultat mcanique dun processus social drosion qui limineraitlerreur pour ne laisser que le vrai, rput plus rsistant. Dun ct, onvoquera la main invisible de la science qui balayerait inlassablementles thories bancales et les rsultats errons. De lautre, on dira parexemple quil sagit d un processus de tri qui se dveloppe dans la dure,entre le rcit initial et linteraction avec le public, les sources et les journalistes (Kovach et Rosenstiel, op. cit., p.42). Faut-il prciser que, dans les faits,cette vision assez librale dune autocorrection du march de la vrita t amplement rfute (voir Bernier, op. cit.) ?

    Le journalisme est il plus proche de lui-mme ?

    Alors, le journalisme est-il plus proche du droit ou de la science ?Cela na strictement aucun intrt, car la comparaison na pas de sens ensoi. Soyons encore plus clair : il ny a dans notre propos aucun relativisme,

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    aucune volont de mettre la dmarche journalistique sur le mme planque la dmarche scientifique (ou judiciaire), ou encore de renvoyer dos dos ces diffrentes approches. Le but de ce rapide survol ntait que detenter de cerner par lanalogie et la comparaison certaines caractristiquesde lapproche journalistique du rel. Si cette dernire prsente lafois certaines similitudes mais aussi de nettes dissemblances avecchacune des deux autres, alors elle ne peut tre assimile ni lune ni lautre. Et donc, dans la mesure o elle se distingue galement en thoriede la perception commune (celle de lhomme de la rue ), cest peut-tre quil existe bien, mme ltat trs rudimentaire, une faonjournalistique de connatre le monde. Or, sil y a un cadre pistmiquespcifique, alors ses produits sont galement spcifiques, et la possibilitde lexistence dune vrit journalistique doit tre envisage

    Cette ventualit peut faire frmir, tant elle est lourde de possibleauto-justification : les drapages les plus calamiteux pourraient ainsitre facilement absous ( Nous avons dit notre vrit notre faon ). Rienne serait plus abusif. Mme si des indices suggrent la possibilitthorique dune mthodologie, celle-ci reste en ltat trop informelle,fragmentaire et trop peu partage pour que lon puisse sen rclamer. Si, linverse, ces lments taient un jour approfondis, complts etrapprochs dans un systme cohrent revendiqu par les professionnels(sans videmment envisager ou souhaiter un formalisme comparableaux systmes juridique ou scientifique), alors ils conduiraient justement souligner la faute technique qui a pu provoquer telle ou telledfaillance. Une malfaon judiciaire ou scientifique reste une malfaon,et les cadres pistmiques de lun et lautre champ, loin de labsoudre,permettent prcisment de souligner celle-ci. Mais dans dautressituations, ils conduisent effectivement assumer le fait que la vritjuridique ou scientifique nest pas la vrit tout court : leur promesse,on la dit, porte sur les moyens et non sur les rsultats. Appliqu linformation, le mme filtre permettrait de dmler un peu lcheveaudes nombreuses critiques faites la presse, o senchevtrent le juste etlinjuste, le lgitime et le subjectif.

    Quoi quil en soit, la question de lappropriation journalistique dela vrit demeure ouverte, en thorie comme en pratique. En thorie, onvoit que beaucoup resterait faire : considrer le journalisme en tantque mode particulier dapprhension du rel suggre de dpasser lestade des constats, et plus encore les dplorations et la condescendance,pour sintresser dun il nouveau la nature et ladquation de sesoutils (y compris ses outils non lgitims), mais aussi la cohrence oula non-cohrence du dispositif quils dessinent.

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    En pratique, la mme question confronte les journalistes unealternative inconfortable. Dun ct, revendiquer un cadre pistmiquespcifique supposer quon se soit donn la peine de lapprofondir conduirait les acteurs laguer volontairement les franges de leurlatitude daction (en rduisant quelque peu le champ du droit lerreur ). Comme le montrent les exemples extrmes de la recherche,du droit ou de la mdecine, toute explicitation de bonnes pratiquesprofessionnelles revient du coup fabriquer de la faute puisque dfinirce qui est normal, cest du mme coup admettre ce qui ne lest pas.

    Mais, de lautre ct, ce qui est en jeu est bien lautonomie dujournalisme, cest--dire sa capacit rsister lemprise des diffrentes faons de voir qui sefforcent de linfluencer. Cest--dire, aussi, sacapacit redfinir sa promesse vis--vis dune socit de plus en plussuspicieuse et exigeante, et devant un monde rel dont la complexitapparat chaque jour plus difficile traduire. Cest--dire, enfin, sacapacit se dfinir lui-mme en tant que profession spcifique dans legrand brassage de lunivers de la communication

    Notes

    1. Notre traduction. Pour ne pas alour dir la suite de ce texte par ce genre de mention,prcisons que toute citation en franais dun livr e dont le titre figure en bibliographiedans sa langue dorigine nest que le fr uit de notre traduction.

    2. Renaudot qui na gure tent d'empcher Richelieu de mentir est galement undevancier en ce qui concerne la dif frence entre lidologie du journalisme et sa pratiquerelle (sur cette diffrence, voir Le Bohec, 2000).

    3. Faut-il prciser que, mme pour un nouveau-n, quelques stimuli tels que le corpsmaternel sont dj investis d'un sens ?

    4. Cit. in Kuhn, 1983, p. 60.

    5. Ce qui n'implique pas que notre utilisation large de ce terme soit strictement identique celles de Minsky (en psychologie) ou de Gof fman (en sociologie), bien que celles-ciaient largement contribu alimenter celle-l.

    6. Si la place ne manquait, on serait surpris de voir le nombr e de problmes le statut desclichs, la valeur des mtaphores, etc. qui pourraient tre mis en cohrence sous cetangle.

    7. Le cadrage quinduit ce terme, ici comme ailleurs, serait discuter .

    8. Sauf prcision contraire, toutes les citations qui suivent sont extraites des articles dontles titres figurent plus haut.

    9. Le Figaro relve galement ce point et, comme on la vu, r ecourt un titre assez neutre.

    10. Les textes de La Croix et de L'Humanit sont trop brefs pour dtailler cet aspect dudossier.

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    11. Prcisons que les divers lments de ce dossier ne laissent pas pour autant le sentimentdune attitude exemplaire des autorits sanitaires, dont les liens avec les firmespharmaceutiques ont t largement dnoncs et qui auraient fait pr euve en divers pointsdune dsinvolture plus que discutable.

    12. Il serait peut-tre prfrable demployer le terme de modle pour dsigner ce typede cadrage ne reposant sur lexemplarit dune situation prcdente.

    13. On parle couramment dans les mdias de terrain : ainsi laf faire du dopage cyclisteest-elle passe du terrain sportif au terrain judiciair e . Mais cette expression nepermet pas de percevoir toutes les consquences cognitives de ces transpositions, dontle terme de cadre rend beaucoup mieux compte.

    14. crire nous avons employ trente litres de ractif suffit pour donner cet acte un statutde vrit dans une revue savante, mais pas pour les services de l'universit, lesquelsne manqueront pas d'exiger la facture correspondante. Tout analyste financier sait quela ralit comptable d'une entreprise est trs diffrente de sa ralit tout court.

    15. Si limage des avocats ou des mdecins dpendait de leur capacit empcher tous lesinculps dtre condamns ou les hommes de mourir un jour o lautr e, alors le tauxdchec de ces professions serait atterrant. Mais les avocats et les mdecins sont jugssur leur respect de ce que lon appelle les bonnes pratiques pr ofessionnelles . Endautre termes, bien dfendre ou bien soigner namne pas ncessair ement sauver,de mme que bien informer ne conduit pas ncessair ement prsenter la vrit .

    16. Par exemple la question de l'envoi ou non de l'article avant publication aux sour ces ouaux personnes mises en cause ce qui est une forme de vrification r eoit des rponsestrs diffrentes d'un journal l'autre, voire d'une spcialit l'autre (un journalistescientifique soumettra plus facilement son article qu'un journaliste politique). Maiscette question n'est pas ressentie comme digne dintrt dans un champ o le dbat,focalis sur les valeurs plutt que les mthodes, peine dpasser les pr oblmes gnrauxet les cas despce. Cest toutefois moins vrai dans le monde anglosaxon, o cettequestion a parfois t aborde en soi dune manire trs intressante.

    17. La notion de cadre est dans la tradition des "schmas" de Bartlett et des "paradigmes" deKuhn,notait ainsi Minsky (1975), qui il est dusage dattribuer cette notion dans lechamp de la psychologie.

    18. Ce point mriterait toutefois discussion.

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