vendredi 9 janvier 2015 champs libres dÉbats...

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vendredi 9 janvier 2015 LE FIGARO 14 CHAMPS LIBRES DÉBATS L’ abominable attentat islamiste qui a décimé la rédaction de Charlie Hebdo a occasionné à la France, et au-delà au monde, une blessure qui ne se refermera pas de sitôt. Le crime a touché ce que les Français considèrent comme leur bien le plus précieux, la liberté de parole. Ce crime va certainement relancer, et de manière très clivée, le débat sur l’islamisation de la France amorcé dans les médias au moment de la sortie du dernier opus de Michel Houellebecq. Les Français savent déjà beaucoup sur l’islam, son histoire, son contenu et les mécanismes par lesquels il assure sa formidable expansion dans un monde qui a beaucoup perdu de son âme. Les livres pour parfaire leur information ne manquent pas. J’ai moi-même apporté ma petite pierre à l’œuvre de sensibilisation et de mise en garde avec un modeste opuscule publié en 2013 sous le titre Gouverner au nom d’Allah. Le titre dit ce qu’il veut dire, à savoir que la vocation de l’islam est de convertir et de gouverner, but que les islamistes modérés cherchent à atteindre par la prédication, l’action sociale et le grignotage politique et les islamistes radicaux par la terreur et la destruction. Le vrai islam, l’islam de paix et de tolérance, hélas très silencieux, aspire lui aussi à gouverner mais à petite échelle, dans le cercle familial, la communauté, le quartier, le clan. Le fait est là, l’islam est devenu le sujet d’inquiétude numéro un des Français, au même niveau que la crise économique, le chômage, la pollution et les impôts de François Hollande. Avec tant de sujets anxiogènes, les Français se sentent cernés, humiliés. Houellebecq avait là tous les ingrédients d’un bon roman, il s’en est saisi et il l’a écrit avec l’art macabre et poétique qu’on lui connaît. Soumission est un livre de circonstance, il dit ce qu’il veut dire. Le contexte étant ce qu’il est, il imagine les musulmans de France (ou les Français musulmans, on ne sait trop comment les appeler) se constituer en parti politique puissant et déterminé, et partir, contre tous, à l’assaut du pouvoir par la voie des urnes. Et le gagner en 2022. Le livre a été bien annoncé, avec tout le suspens voulu pour provoquer un choc de réception, pour utiliser une expression à la mode – on parle beaucoup ces dernières années de choc de compétitivité, de choc de confiance, de choc de simplification, etc –, pendant que la réalité, doucement mais sûrement, et parfois tragiquement, balaie tout sur son passage, les rêves et les pétitions de principe. L’attentat contre Charlie Hebdo est de ce point de vue un choc planétaire. Avec Soumission, on pouvait espérer voir s’enclencher d’utiles débats autour de l’islamisation réelle ou fantasmée de la France et notamment des thèmes suivants : le financement des mouvements islamiques, le rôle de l’Arabie, du Qatar et de l’Iran, qui ont beaucoup à voir avec l’expansion de l’islam politique, le soutien direct-indirect des pays arabes, de la Chine et de la Russie, le mode d’élaboration et d’adoption de la fatwa dans une république française laïque gouvernée par des islamistes, la place de l’islam dans la future Constitution (sera-t-il religion d’État comme dans les pays musulmans ?), la probable radicalisation de ce gouvernement islamique sous l’effet de la crise et des revendications identitaires et communautaristes des chrétiens et des juifs, les droits des femmes, des enfants et des minorités, la réaction de l’Union européenne (exclura-t-elle la France ?), des États-Unis et celle très symbolique du Pape… Mais tel ne semble pas être le cas, on préfère regarder ailleurs et parler de Houellebecq, de ses provocations, de ses manies, on s’offusque, on applaudit, on joue l’indifférent. Il y a comme un culte de la personnalité qui ne dit pas son nom autour de lui. Un gouvernement musulman dans un pays comme la France n’est certes pas pour demain, mais comme la chose est plausible, en tout cas des gens déterminés y travaillent sérieusement, notamment en muselant la parole par le tabou et le politiquement correct, il est bon de se préparer ne serait-ce que par le débat. Oublions donc Houellebecq, le sujet n’est pas sa personne mais l’islamisation de la France. Est-elle réelle ? On ne sait pas, le fait est que l’islam sous ses différentes formes, douce, modérée, radicale, avance dans le monde comme un train dans la pampa. L’islamisation menace- t-elle la France ? On ne sait trop, le fait est que les islamistes radicaux et les djihadistes font beaucoup de dégâts dans le monde et que parmi eux les convertis français commencent à bien remplir les rangs. La France saura-elle se rénover autrement que par l’islamisation ? Sans doute, mais peut- être est-il trop tard. C’est toujours hier que commence le futur, mais la France continue de penser que tout commence demain. Voilà les thèmes à débattre. Il faut le tenir, ce débat, pour Charlie Hebdo, qui n’a jamais hésité à parler vrai et libre, même face à la barbarie islamiste. * Dernier ouvrage: «Gouverner au nom d’Allah. Islamisation et soif de pouvoir dans le monde arabe,» Éditions Gallimard. DESSINS DOBRITZ cœur. Douze morts, peut-être plus encore. Des journalistes massacrés dans l’exercice de leur métier. Des policiers blessés et froidement assassinés. La guerre est parmi nous. Chacun de nous désormais, sur les marchés, dans les transports, au spectacle, à son travail, est un soldat désarmé. Nous avions des adversaires. Désormais, nous avons un ennemi. L’ennemi n’est pas l’islam. L’ennemi, c’est la barbarie se servant d’un islam qu’elle déshonore et trahit. Les plus hauts responsables de l’islam en France L’ émotion submerge Paris, la France, le monde. Nous savions depuis longtemps que, renaissant sans cesse de ses cendres, la barbarie était à l’œuvre. Nous avions vu des images insoutenables de cruauté et de folie. Une compassion, encore lointaine, nous avait tous emportés. La sauvagerie, cette fois, nous frappe au ont dénoncé et condamné cette horreur. Il faut leur être reconnaissants. La force des terroristes, c’est qu’ils n’ont pas peur de mourir. Nous vivions tous, même les plus malheureux d’entre nous, dans une trompeuse sécurité. Nous voilà contraints au courage. L’union se fait autour des martyrs libertaires d’un journal défendant des positions qui n’étaient pas toujours les nôtres. Des journalistes sont morts pour la liberté de la presse. Ils nous laissent un exemple et une leçon. Loin de tous les lieux communs et de toutes les bassesses dont nous sommes abreuvés, nos yeux s’ouvrent soudain sous la violence du coup. Nous sommes tous des républicains et des démocrates attachés à leurs libertés. Mieux vaut rester debout dans la dignité et la liberté que vivre dans la peur et dans le renoncement. Devant la violence et la férocité, nous sommes tous des Charlie Hebdo. * De l’Académie française. Le fait est que l’islam sous ses différentes formes, douce, modérée, radicale, avance dans le monde comme un train dans la pampa BOUALEM SANSAL L’écrivain algérien* réagit à l’attentat contre « Charlie Hebdo » et regrette l’absence de vrais débats en France sur l’islamisme radical. JEAN D’ORMESSON POUR « LE FIGARO » politiquement correct face à l’islamisme radical ? Ce fameux « déni du réel » dont vous parliez ? Si le déni est une dérive, l’amalgame en est une autre. Je déteste l’islamisme, mais ce n’est pas l’islam. Il faut rappeler qui sont les victimes de cette idéologie : les journalistes qui sont morts, dont quatre m’étaient très proches, les policiers abattus dans l’exercice de leurs fonctions, mais aussi, ne l’oublions pas, des centaines de milliers de musulmans un peu partout dans le monde arabe. Ces derniers se battent pour les mêmes valeurs que nous, et ce serait une folie que de les rejeter dans les bras de l’ennemi. Nous devons nous battre aussi avec eux ! Par ailleurs, il faut se méfier du réflexe de l’autoculpabilisation. S’interroger sur notre part de responsabilité, c’est faire le jeu des agresseurs. Il y a une barbarie, point final. Ceux qui défendent aujourd’hui la liberté d’expression sont parfois les mêmes qui hier réclamaient la tête d’Éric Zemmour. N’est-ce pas un peu paradoxal ? Il est évident qu’on ne peut pas plaider le droit au blasphème et en même temps considérer que certains blasphèmes doivent être soumis à toutes les répressions. Si le droit à l’opinion est aussi un droit au blasphème, c’est un droit à tous les blasphèmes. Que ces derniers horrifient la droite ou la gauche. Que pensez-vous de la polémique naissante autour de l’unité nationale ? Faut-il inviter le FN à se joindre à celle-ci ? Pour commencer, je n’ai pas compris pourquoi le PS avait dans un premier temps appelé uniquement les partis de gauche à manifester de République à Nation, comme s’il s’agissait d’une manifestation syndicale de plus. Ce drame n’appartient à personne : pas plus au Parti socialiste qu’à l’UMP. Si on considère que la réponse au défi posé par le terrorisme islamique est l’union nationale, comme beaucoup l’ont dit avec courage, alors il fallait aller jusqu’au bout et faire corps : appeler d’emblée toutes les sensibilités républicaines à se rassembler à la Concorde. Pour ce qui est du Front national, c’est un faux problème, car personne ne pourra empêcher ses représentants de se joindre au cortège s’ils le souhaitent. Mais il est vrai qu’il est compliqué pour des formations qui appellent à faire front républicain contre le FN de le convier à une manifestation pour la défense de la République. Reste à démontrer que le FN, qui n’est pas interdit, n’est pas un parti républicain. Enfin, invoquer la République dans ce cas précis ne me paraît pas forcément approprié. Dieu sait si je suis attaché à ses principes, mais il ne faut pas la mettre à toutes les sauces. On peut très bien être monarchiste et être choqué par cet attentat. C’est l’humanisme, la tolérance, la lutte contre la barbarie, contre le fanatisme et l’obscurantisme, qui sont en cause. Cela dépasse la République. Entretien PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE DEVECCHIO LE FIGARO. – En tant que défenseur de la liberté d’expression, que vous inspire l’attentat qui a visé Charlie Hebdo ? Jean-François KAHN. - Les journalistes de Charlie Hebdo sont morts au champ d’honneur. La seule manière d’être fidèle à leur combat et de manifester réellement notre solidarité, sans rester dans l’indignation incantatoire, c’est de reprendre à notre compte cette strophe du chant des partisans que je trouve formidable : « Ami, si tu tombes, un ami sort de l’ombre à ta place. » Si certains sont encore dans l’ombre, ils doivent en sortir pour prendre la place de ceux qui sont tombés mercredi. Il faut être clair : si nous ne sommes pas capables de prendre le risque qu’ils ont pris, alors ce n’est pas la peine de singer un deuil absolu. Il faut avoir la force de les relever au front, de continuer le combat. Et comment le continuer ? En publiant tous les dessins qu’ils ont faits pour justement combattre le fanatisme et l’intolérance. Et pourtant, je précise que je n’étais pas favorable à certaines caricatures publiées par Charlie Hebdo. Je n’aime pas la provocation gratuite, et surtout je n’aime pas le blasphème, qui est pour moi un pur enfantillage. Mais à partir du moment où on est confronté à une monstruosité mentale qui consiste à transformer toute critique d’une croyance en blasphème, je suis même prêt à assumer celui-ci. Il ne faut pas oublier que la bataille contre l’obscurantisme a été symbolisée par le combat de Voltaire pour défendre le chevalier de La Barre, décapité et jeté au bûcher, après avoir été accusé, à tort d’ailleurs, d’avoir mutilé un crucifix. Vous avez regretté que le FN ait été le premier à avoir parlé de « terrorisme islamiste ». Pourquoi ? Dans l’heure qui a suivi l’attentat, il y a eu une cataracte de réactions indignées, nécessaires mais vagues. Cette horreur, cette barbarie que l’on dénonçait, d’où venait-elle ? Il a malheureusement fallu attendre un communiqué d’un des responsables du Front national pour que les coupables, de toute évidence les terroristes islamistes, soient désignés. N’importe qui d’autre aurait pu le dire. On se doutait bien que ce n’était pas un mari jaloux qui avait tué ces douze journalistes. Ce déni du réel est terriblement contre-productif. Comment pouvons-nous nous battre si nous intériorisons la peur de désigner l’adversaire ? Les islamistes veulent nous terroriser. Or, si on accepte la moindre prudence, la moindre compromission, on intègre leur stratégie de la terreur. Il y a une montée du radicalisme islamiste. Ce n’est pas la peine de le dissimuler, de le cacher. Il faut regarder la vérité en face, et l’affronter. Comme l’ont fait courageusement les journalistes de Charlie Hebdo. Sommes-nous justement en train de payer aujourd’hui une forme de JEAN-FRANÇOIS KAHN L’essayiste et fondateur de l’hebdomadaire « Marianne » appelle à poursuivre le combat pour la liberté d’expression des journalistes de « Charlie Hebdo ».

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vendredi 9 janvier 2015 LE FIGARO

14 CHAMPS LIBRESDÉBATS

L’abominable attentatislamiste qui a décimé la rédactionde Charlie Hebdo a occasionné à laFrance, et au-delà

au monde, une blessure qui ne se refermera pas de sitôt. Le crime a touché ce que les Français considèrent comme leur bien le plus précieux, la liberté de parole. Ce crime va certainement relancer, et de manière très clivée, le débat sur l’islamisation de la France amorcé dans les médias au moment de la sortie du dernier opus de Michel Houellebecq.

Les Français savent déjà beaucoup sur l’islam, son histoire, son contenu et les mécanismes par lesquels il assure sa formidable expansion dans un monde qui a beaucoup perdu de son âme. Les livres pour parfaire leur information ne manquent pas. J’ai moi-même apporté ma petite pierre à l’œuvre de sensibilisation et de mise engarde avec un modeste opuscule publié en 2013 sous le titre Gouverner au nom d’Allah. Le titre dit ce qu’il veut dire, à savoir que la vocation de l’islam est de convertir et de gouverner, but que les islamistes modérés cherchent à atteindre par la prédication, l’action sociale et le grignotage politique et les

islamistes radicauxpar la terreur et la destruction.Le vrai islam,l’islam de paix etde tolérance, hélastrès silencieux,aspire lui aussi

à gouverner mais à petite échelle, dans le cercle familial, la communauté, le quartier, le clan.

Le fait est là, l’islam est devenu le sujet d’inquiétude numéro un des Français, au même niveau que la crise économique, le chômage, la pollution et les impôts de François Hollande. Avec tant de sujets anxiogènes, les Français se sentent cernés, humiliés.

Houellebecq avait là tous les ingrédients d’un bon roman, il s’en est saisi et il l’a écrit avec l’art macabre et poétique qu’on lui connaît. Soumission est un livre de circonstance, il dit ce qu’il veut dire. Le contexte étant ce qu’il est, il imagine les musulmans de France (ou les Français musulmans, on

ne sait trop comment les appeler) se constituer en parti politique puissant et déterminé, et partir, contre tous, à l’assaut du pouvoir par la voie des urnes. Et le gagner en 2022.

Le livre a été bien annoncé, avec tout le suspens voulu pour provoquer un choc de réception, pour utiliser une expression à la mode – on parle beaucoup ces dernières années de choc de compétitivité, de choc de confiance, de choc de simplification, etc –, pendant que la réalité, doucement mais sûrement, et parfois tragiquement, balaie tout sur

son passage, les rêves et les pétitions de principe. L’attentat contre Charlie Hebdo est de ce point de vue un choc planétaire.

Avec Soumission, on pouvait espérervoir s’enclencher d’utiles débats autour de l’islamisation réelle ou fantasmée de la France et notamment des thèmes suivants : le financement des mouvements islamiques, le rôle de l’Arabie, du Qatar et de l’Iran, qui ont beaucoup à voir avec l’expansion de l’islam politique, le soutien direct-indirect des pays arabes, de la Chine et de la Russie, le mode d’élaboration et d’adoption de la fatwa dans une république française laïque gouvernée par des

islamistes, laplace de l’islamdans la futureConstitution(sera-t-il religiond’État commedans les paysmusulmans ?),

la probable radicalisation de ce gouvernement islamique sous l’effet de la crise et des revendications identitaires et communautaristes des chrétiens et des juifs, les droits des femmes, des enfants et des minorités, la réaction de l’Union européenne (exclura-t-elle la France ?), des États-Unis et celle très symbolique du Pape… Mais tel ne semble pas être le cas, on préfère regarder ailleurs et parler de Houellebecq, de ses provocations, de ses manies, on s’offusque, on applaudit, on joue l’indifférent.

Il y a comme un culte de la personnalité qui ne dit pas son nom autour de lui.

Un gouvernement musulman dansun pays comme la France n’est certes pas pour demain, mais comme la chose est plausible, en tout cas des gens déterminés y travaillent sérieusement, notamment en muselant la parole par le tabou et le politiquement correct,il est bon de se préparer ne serait-ce que par le débat.

Oublions donc Houellebecq, le sujet n’est pas sa personne mais l’islamisation de la France.

Est-elle réelle ? On ne sait pas, le faitest que l’islam sous ses différentes formes, douce, modérée, radicale, avance dans le monde comme un train dans la pampa. L’islamisation menace-t-elle la France ? On ne sait trop, le fait est que les islamistes radicaux et les djihadistes font beaucoup de dégâts dans le monde et que parmi eux les convertis français commencent à bien remplir les rangs. La France saura-elle se rénover autrement que par l’islamisation ? Sans doute, mais peut-être est-il trop tard. C’est toujours hier que commence le futur, mais la France continue de penser que tout commence demain.

Voilà les thèmes à débattre. Il faut letenir, ce débat, pour Charlie Hebdo, qui n’a jamais hésité à parler vrai et libre, même face à la barbarie islamiste.

* Dernier ouvrage: «Gouverner au nom d’Allah. Islamisation et soif de pouvoir dans le monde arabe,» Éditions Gallimard.

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cœur. Douze morts, peut-être plus encore. Des journalistes massacrés dans l’exercice de leur métier. Des policiers blessés et froidement assassinés. La guerre est parmi nous. Chacun de nous désormais, sur les marchés, dans les transports, au spectacle, à son travail, est un soldat désarmé.

Nous avions des adversaires. Désormais, nous avons un ennemi. L’ennemi n’est pas l’islam. L’ennemi, c’est la barbarie se servant d’un islam qu’elle déshonore et trahit. Les plus hauts responsables de l’islam en France

L’émotion submergeParis, la France, lemonde. Nous savionsdepuis longtemps que,renaissant sans cessede ses cendres,

la barbarie était à l’œuvre. Nous avions vu des images insoutenables de cruauté et de folie.

Une compassion,encore lointaine, nousavait tous emportés.La sauvagerie, cettefois, nous frappe au

ont dénoncé et condamné cette horreur. Il faut leur être reconnaissants.

La force des terroristes, c’est qu’ils n’ont pas peur de mourir. Nous vivions tous, même les plus malheureux d’entre nous, dans une trompeuse sécurité. Nous voilà contraints au courage.

L’union se fait autour des martyrs libertaires d’un journal défendant des positions qui n’étaient pas toujours les nôtres. Des journalistes sont morts pour la liberté de la presse. Ils nous

laissent un exemple et une leçon. Loin de tous les lieux communs et de toutes les bassesses dont nous sommes abreuvés, nos yeux s’ouvrent soudain sous la violence du coup. Nous sommes tous des républicains et des démocrates attachés à leurs libertés. Mieux vaut rester debout dans la dignité et la liberté que vivre dans la peur et dans le renoncement. Devant la violence et la férocité, nous sommes tous des Charlie Hebdo.

* De l’Académie française.

Le fait est que l’islam sousses différentes formes, douce,

modérée, radicale, avance dans le mondecomme un train dans la pampa

BOUALEM SANSAL

L’écrivain algérien* réagit à l’attentat

contre « Charlie Hebdo » et regrette l’absence

de vrais débats en France sur l’islamisme radical.

JEAN D’ORMESSON POUR « LE FIGARO »

politiquement correct face à l’islamisme radical ? Ce fameux « déni du réel » dont vous parliez ?Si le déni est une dérive, l’amalgame en est une autre. Je déteste l’islamisme, mais ce n’est pas l’islam. Il faut rappeler qui sont les victimes de cette idéologie : les journalistes qui sont morts, dont quatre m’étaient très proches, les policiers abattus dans l’exercice de leurs fonctions, mais aussi, ne l’oublions pas, des centaines de milliers de musulmans un peu partout dans le monde arabe. Ces derniers se battent pour les mêmes valeurs que nous, et ce serait une folie que de les rejeter dans les bras de l’ennemi. Nous devons nous battre aussi avec eux ! Par ailleurs, il faut se méfier du réflexe de l’autoculpabilisation. S’interroger sur notre part de responsabilité, c’est faire le jeu des agresseurs. Il y a une barbarie, point final.

Ceux qui défendent aujourd’hui la liberté d’expression sont parfois les mêmes qui hier réclamaient la tête d’Éric Zemmour. N’est-ce pas un peu paradoxal ?Il est évident qu’on ne peut pas plaider le droit au blasphème et en même temps considérer que certains blasphèmes doivent être soumis à toutes les répressions. Si le droit à l’opinion est aussi un droit au blasphème, c’est un droit à tous les blasphèmes. Que ces derniers horrifient la droite ou la gauche.

Que pensez-vous de la polémique naissante autour de l’unité nationale ?

Faut-il inviter le FN à se joindre à celle-ci ?Pour commencer, je n’ai pas compris pourquoi le PS avait dans un premier temps appelé uniquement les partis de gauche à manifester de République à Nation, comme s’il s’agissait d’une manifestation syndicale de plus. Ce drame n’appartient à personne : pas plus au Parti socialiste qu’à l’UMP. Si on considère que la réponse au défi posé par le terrorisme islamique est l’union nationale, comme beaucoup l’ont dit avec courage, alors il fallait aller jusqu’au bout et faire corps : appeler d’emblée toutes les sensibilités républicaines à se rassembler à la Concorde.Pour ce qui est du Front national, c’est un faux problème, car personne ne pourra empêcher ses représentants de se joindre au cortège s’ils le souhaitent. Mais il est vrai qu’il est compliqué pour des formations qui appellent à faire front républicain contre le FN de le convier à une manifestation pour la défense de la République. Reste à démontrer que le FN, qui n’est pas interdit, n’est pas un parti républicain. Enfin, invoquer la République dans ce cas précis ne me paraît pas forcément approprié. Dieu sait si je suis attaché à ses principes, mais il ne faut pas la mettre à toutes les sauces. On peut très bien être monarchiste et être choqué par cet attentat. C’est l’humanisme, la tolérance, la lutte contre la barbarie, contre le fanatisme et l’obscurantisme, qui sont en cause. Cela dépasse la République. ■

Entretien

PROPOS RECUEILLIS PAR

ALEXANDRE DEVECCHIO

LE FIGARO. – En tant que défenseur de la liberté d’expression, que vous inspire l’attentat qui a visé Charlie Hebdo ?Jean-François KAHN. - Les journalistes de Charlie Hebdo sont morts au champ d’honneur. La seule manière d’être fidèle à leur combat et de manifester réellement notre solidarité, sans rester dans l’indignation incantatoire, c’est de reprendre à notre compte cette strophe du chant des partisans que je trouve formidable : « Ami, si tu tombes, un ami sort de l’ombre à ta place. » Si certains sont encore dans l’ombre, ils doivent en sortir pour prendre la place de ceux qui sont tombés mercredi. Il faut être clair : si nous ne sommes pas capables de prendre le risque qu’ils ont pris, alors ce n’est pas la peine de singer un deuil absolu. Il faut avoir la force de les relever au front, de continuer le combat. Et comment le continuer ? En publiant tous les dessins qu’ils ont faits pour justement combattre le fanatisme et l’intolérance.Et pourtant, je précise que je n’étais pas favorable à certaines caricatures publiées par Charlie Hebdo. Je n’aime pas la provocation gratuite, et surtout je n’aime pas le blasphème, qui est pour moi un pur enfantillage. Mais à partir du moment où on est confronté à une monstruosité mentale qui consiste à transformer toute critique d’une croyance en blasphème, je suis même prêt à assumer celui-ci.

Il ne faut pas oublier que la bataille contre l’obscurantisme a été symbolisée par le combat de Voltaire pour défendre le chevalier de La Barre, décapité et jeté au bûcher, après avoir été accusé, à tort d’ailleurs, d’avoir mutilé un crucifix.

Vous avez regretté que le FN ait été le premier à avoir parlé de « terrorisme islamiste ». Pourquoi ?Dans l’heure qui a suivi l’attentat, il y a eu une cataracte de réactions indignées, nécessaires mais vagues. Cette horreur, cette barbarie que l’on dénonçait, d’où venait-elle ? Il a malheureusement fallu attendre un communiqué d’un des responsables du Front national pour que les coupables, de toute évidence les terroristes islamistes, soient désignés. N’importe qui d’autre aurait pu le dire. On se doutait bien que ce n’était pas un mari jaloux qui avait tué ces douze journalistes. Ce déni du réel est terriblement contre-productif. Comment pouvons-nous nous battre si nous intériorisons la peur de désigner l’adversaire ? Les islamistes veulent nous terroriser. Or, si on accepte la moindre prudence, la moindre compromission, on intègre leur stratégie de la terreur. Il y a une montée du radicalisme islamiste. Ce n’est pas la peine de le dissimuler, de le cacher. Il faut regarder la vérité en face, et l’affronter. Comme l’ont fait courageusement les journalistes de Charlie Hebdo.

Sommes-nous justement en train de payer aujourd’hui une forme de

JEAN-FRANÇOISKAHNL’essayiste

et fondateur de

l’hebdomadaire

« Marianne » appelle

à poursuivre le combat

pour la liberté

d’expression

des journalistes

de « Charlie Hebdo ».

0123SAMEDI 10 JANVIER 2015 éclairages | 19

Pour « Charlie » | par adria fruitos

POLITIQUE | CHRONIQUE

par françoise fressoz

La redoutable ambiguïté du front républicain

N’en déplaise aux prophètes de malheurpour qui « la République est morte », cequi se passe aujourd’hui dans le pays res-

semble à un cinglant démenti. Le peuple d’ordinairechamailleur fait bloc. Il est grave, digne, ému, ras-semblé, recueilli pour dire non à la barbarie, défen-dre la liberté d’expression, clamer : « Nous sommes tous des Charlie. » Cabu, Wolinski, Charb, Tignous, Honoré, Maris, lâchement assassinés mercredi7 janvier aux côtés de six autres innocents, pour avoir défendu par leurs dessins et leurs écrits le droit de rire de tout et la libre-pensée, sont devenus une partie de lui-même. Charlie Hebdo n’est pasmort. Comme Voltaire il survivra, car le peuple l’afait sien. La République n’est pas morte. Elle se régé-nère dans les manifestations, le deuil national et l’union qui s’est imposée comme une évidence, ac-couchant de l’improbable scénario d’un Nicolas Sarkozy gravissant, jeudi 8 janvier, les marches de l’Elysée pour s’entretenir avec « le président Hol-lande ». Le patron de l’UMP, en grande vigilance sé-

curitaire, est prêt à participer, dimanche 11 janvier, avec ses troupes à « une marche républicaine » qui s’annonce comme une grande vague populaire con-tre « la barbarie », mais, à présent que le tripartismeest installé, se pose la question du Front national. Les organisateurs ne souhaitent pas sa présence.

LE SEUL BOUCLIER QUI VAILLE

Marine Le Pen redoute, quant à elle, de voir accoler l’étiquette FN à celles de l’UMP et du PS, dont elle dé-nonce la collusion à longueur de colonnes. Si elle pouvait dire non comme le faisait son père, cela ar-rangerait tout le monde. Mais elle ne dit pas non, ellese revendique républicaine, elle veut en être, renvoiesur les autres la responsabilité d’une exclusionqu’elle dit « politicienne ». Et tout cela complique la nature et l’interprétation du sursaut républicain quiest en train de se produire.

Dans un pays en guerre contre le terrorisme, oùchaque individu, civil et militaire, est exposé à un possible tir de mitrailles, l’union nationale, habile-

ment encouragée par le président de la République, est le seul bouclier qui vaille. Il n’est pas seulement lerappel de tout ce qui fonde le modèle français – li-berté, égalité, fraternité, laïcité –, il est un acte de ré-sistance, un geste de légitime défense, le peuple con-sidéré comme un seul bloc, rempart contre la divi-sion et les peurs recherchées par les terroristes. Celuiqui la fissure prend un risque.

Marine Le Pen l’a compris. Elle a tout fait pour res-ter dans le jeu, en limitant la surenchère, en rappe-lant son combat contre « l’islamisme radical », mais en récusant l’amalgame avec la population musul-mane, elle qui, naguère, menait une lourde charge contre les minarets. Et à présent qu’elle est exclue dela marche républicaine, elle se pose en victime en faisant le pari que l’acte barbare qui vient de se pro-duire lui donnera raison d’avoir dénoncé plus tôt, plus haut et plus fort que les autres les dangers del’islam radical. C’est toute l’ambiguïté de ce momentrépublicain : tout le monde veut en être mais pas pour la même cause. p

jean birnbaum

Le Monde des Livres

En 2006, dans un livre intitulé On a tuéTheo Van Gogh (Flammarion), l’es-sayiste Ian Buruma s’interrogeait sur le

massacre du cinéaste hollandais, « enfant pro-vocateur » des années 1960, par un jeune isla-miste, en plein cœur d’Amsterdam. Qualifiant cet acte de « meurtre à principes », Buruma avait sous-titré son ouvrage Enquête sur la finde l’Europe des Lumières. Près de dix ans plustard, le carnage qui a eu lieu dans les locaux deCharlie Hebdo, autre « enfant provocateur » de l’après-68, apparaît également comme un crime à principes, qui pourrait bien menacerde mort, en France, la gauche antiraciste.

Autrefois consensuelle, sûre de ses repères,cette tradition antiraciste est en crise depuis ledébut des années 1990. Au lendemain de lapremière « affaire du foulard », en 1989, les mi-litants qui la portent commencent à se divisersur la question du voile islamique et de sa si-gnification pour les femmes. « Nous sommesentrés dans une zone d’ambiguïté », prévienten 1991 le politologue Pierre-André Taguieff, soulignant que le nouveau racisme n’invoque plus l’inégalité biologique mais la différence culturelle et l’incompatibilité des mœurs.

Par la suite, de controverses sur les « émeu-tes de banlieue » en polémiques sur l’incons-cient « postcolonial » de la République, les

choses se seront déjà beaucoup dégradéesquand surgira le traumatisme du 11 septem-bre 2001. Les associations traditionnelles de lagauche antiraciste, à commencer par la Liguedes droits de l’homme, la Licra, le MRAP ou en-core SOS Racisme, sont alors en proie à de vio-lents débats autour de l’islam, d’autant plus douloureux qu’ils mettent en lumière despoints aveugles au cœur de la tradition antira-ciste, mais aussi féministe, de la gauche fran-çaise. « Universalistes » contre « Indigènes », partisans du « droit à l’indifférence » contremilitants du « droit à la différence », tout le monde se déchire, les uns accusant les autresde relativisme et de complaisance à l’égard de l’islamisme, les autres rétorquant que leurs adversaires instrumentalisent la défense des femmes pour instiller l’islamophobie.

C’est à la lumière de ces batailles intestines ausein de la gauche que s’éclaire le destin de Char-lie Hebdo. Comme toute la sphère antiraciste, l’hebdomadaire satirique a dû affronter un double péril : à droite, la pression du Front na-tional et le retour de flamme de la pensée réac-tionnaire fragilisaient le discours antiraciste, sans cesse fustigé comme une idéologie bien-pensante, « politiquement correcte », bref dangereuse ; et à gauche, donc, ce même anti-racisme était de plus en plus souvent accusé dedérive islamophobe. Parce qu’il a poussé très loin sa ligne « anticléricale », et surtout parce qu’après les attentats du 11 Septembre il a tendu à concentrer sur l’intégrisme musul-

man l’essentiel de ses sarcasmes, Charlie Hebdo s’est retrouvé au milieu du front.

« Non, Charlie Hebdo n’est pas raciste ! », pro-clamaient Charb, le directeur du journal, quivient de mourir sous les balles, et son con-frère Fabrice Nicolino. Dans une tribune pu-bliée le 21 novembre 2013 par Le Monde, ils te-naient à réaffirmer : « Nous sommes des anti-racistes de toujours. » Ce texte témoignait dela violence des attaques dont le journal avait fait continuellement l’objet, de la part de toute une partie de la gauche. Etaient particu-lièrement visés l’ancien directeur, Philippe Val, et Caroline Fourest, longtemps chroni-queuse à Charlie.

HAINE TENACE

En 2012, celle-ci fut gratifiée d’un « Y’a bonaward », distinction infamante attribuée parRokhaya Diallo et ses amis des « Indivisibles »,censée « couronner » une figure du racismecontemporain. La même année, à la Fête de L’Humanité, des militants sabotèrent un dé-bat auquel la journaliste avait été conviée enscandant « Fourest, raciste, dégage ! » Mais bien au-delà, c’est tout le collectif Charlie Hebdo qui s’est attiré la haine tenace de quel-ques blogueurs d’extrême gauche, jusqu’à de-venir l’une de leurs cibles prioritaires.

En témoignent deux épisodes emblémati-ques : en novembre 2011, quand un cocktail Molotov mit le feu aux locaux du journal, ungroupe de militants se réclamant de l’antira-

cisme lança une pétition intitulée « Pour la dé-fense de la liberté d’expression, contre le sou-tien à Charlie Hebdo ! »… Deux ans plus tard, et alors que la France commémorait les 30 ansde la Marche contre le racisme et pour l’éga-lité, le rappeur Nekfeu réclamait « un autodafépour ces chiens de Charlie Hebdo » dans labande-annonce du film intitulé, justement, La Marche.

Autant d’épisodes qui montrent l’état de di-vision et de confusion qui est désormais celuide la conscience antiraciste. Depuis des an-nées maintenant, les femmes et les hommes qui persistent à se dire de gauche, et pour les-quels l’antiracisme fut longtemps l’un des ra-res repères solides, se posent la question :quand on se réclame de l’universalisme et de l’émancipation sociale, comment faire face à la réalité de l’intégrisme islamique tout en dé-nonçant la haine de l’islam ? Comment lutter à la fois contre la terreur islamiste et contre l’islamophobie ?

Cette question, l’hebdomadaire satirique l’aprise en charge, dans son style propre, aveccourage et outrance, pour le pire et pour lemeilleur. Charlie Hebdo vivant, son équipe avoulu se maintenir sur la ligne de crête, quitte à s’exposer dangereusement. Si le jour-nal ne s’en relevait pas, alors demeureraitseulement la trace sanglante d’une espé-rance assassinée. p

[email protected]

COMMENT FAIRE FACE À LA RÉALITÉ DE L’INTÉGRISME ISLAMIQUE TOUT EN DÉNONÇANT

LA HAINE DE L’ISLAM ?

On a tué « Charlie », et la gauche antiraciste avec

« Nous ne sommes pas comme eux »

L’attentat contre Charlie Hebdo,mercredi 7 janvier à Paris, etl’assassinat odieux de nos col-lègues, farouches défenseurs

de la libre pensée, ne sont pas seulement une attaque contre la liberté de la presse et la liberté d’opinion. C’est une attaque contre les valeurs fondamentales de nos sociétés démocratiques européennes.

C’était déjà la liberté de penser et d’in-former qui était visée, ces derniers mois, par la décapitation d’autres journalistes, américains, européens ou de pays arabes,enlevés et tués par l’organisation Etat is-lamique. Quelle que soit son idéologie, le terrorisme refuse la recherche de la véritéet récuse l’indépendance d’esprit. Le ter-rorisme islamique, plus encore.

Refusant de céder à la menace après lapublication, il y a près de dix ans, des cari-catures de Mahomet, le magazine CharlieHebdo n’avait rien changé à sa culture de l’irrévérence. De même, nous, journauxeuropéens, qui travaillons ensemble ré-gulièrement au sein du groupe Europa, continuerons à faire vivre les valeurs de liberté et d’indépendance qui sont le fon-dement de notre identité et que nous par-tageons.

Nous continuerons à informer, à en-quêter, à interviewer, à éditorialiser, à pu-blier et à dessiner sur tous les sujets qui nous paraissent légitimes, dans un espritd’ouverture, d’enrichissement intellec-tuel et de débat démocratique. Nous le devons à nos lecteurs. Nous le devons à lamémoire de tous nos collègues assassi-nés. Nous le devons à l’Europe. Nous le devons à la démocratie. « Nous ne som-mes pas comme eux », disait l’écrivain tchécoslovaque Vaclav Havel, opposant victorieux du totalitarisme devenu prési-dent. C’est notre force. p

le monde, the guardian,

süddeutsche zeitung,

el pais, la stampa, gazeta wyborcza

0123DIMANCHE 11 - LUNDI 12 JANVIER 2015 débats | 19

Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?

Un collectif composé de personnalités commeJamel Debbouzeet Rachid Taha, appelleà défendre les valeurs portées par la France

collectif

E t maintenant, qu’est-ce qu’onfait ? On regarde la télévision, enattendant que le temps passe ?

On pense à autre chose jusqu’à ce qu’onne pense à rien ? On se lève, on se cou-che ? On répète encore mille fois que cesfurieux n’ont rien à voir avec nous ? Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait alors ?On s’énerve, on se tait ?

Nous sommes Rachid, Melissa,Ramdane, Faiza, Bernard, Alice, Moha-med, Mouna, Philippe, Mouloud, Bri-gitte, Mehdi et Badrou, Mustapha etd’autres. Nous sommes artiste, gale-riste, entrepreneur, chômeur, vendeur,étudiant, journaliste, en galère ou enréussite. Nous sommes nous tous. Fran-çais, chrétiens ou bouddhistes, musul-mans ou juifs, shintoïstes ou athées.Terrifiés.

Mais prêts à la mobilisation citoyennecontre les esprits sombres. Prêts aussi àapporter de la lumière, de la beauté, del’amour, dans un pays où tout ça n’étaitpas forcément évident ces dernierstemps. Prêts à résister, à se battre s’il le faut, par les mots, par la pensée, parl’art, par le travail.

Nous avons chacun notre destin, nésici ou arrivés de loin, en France. Nos pa-rents ont aidé à reconstruire notre pays.Entretenons leurs rêves. Nous savonschacun que ce pays a contribué à nousconstruire, qu’il a nourri nos imaginai-

res, nos fantasmes, nos possibilités, nosréussites. La France, notre pays, a été lemoteur, nous avons fait le reste : écrire,créer, penser, vivre. Nous défendons sonesprit, nous le portons. Nous contri-buons à faire vivre la Franced’aujourd’hui, à créer la France de de-main avec nos idées, nos envies et nospassions. Nous continuerons.

Ces assassinats sont l’expression dupire. Ces morts sont les nôtres. Mais nous ne devons pas pleurer dans notrecoin, nous devons unifier nos larmes pour qu’elles deviennent un flux, uneforce. Et maintenant, qu’est-ce qu’onfait ? Ensemble, soyons solidaires. Res-tons debout ! p

¶Les signataires de ce texte sont :

Elena Amalou, étudiante ; Mouloud

Achour, journaliste ; Mourad Belkeddar,

producteur ; Malik Bentalha, humoriste ; Mustapha Bouhayati, directeur de centre culturel ; Abdel Bounane, éditeur ; Youness Bourimech, entrepreneur ; Alice Diop, cinéaste ; Jamel Debbouze,

artiste ; Ihab Djaé, étudiant ; Hana El

Hjeri, vendeuse ; Faiza Guène, écrivain ; Mohamed Hamidi, cinéaste ; Karim Idir, entrepreneur ; Rabih

Kayrouz, créateur de mode ; Lyna

Khoudri, étudiante ; Tariq Krim, entrepre-neur ; Ladj Ly, cinéaste ; Laïla Marrakchi,

cinéaste ; Mourad Mazouz, restaurateur ; Mehdi Meklat, journaliste ; Mouna

Mekouar, commissaire d’exposition ; Ali

Mrabet, entrepreneur ; Nordine Nabili, journaliste ; Philippe Parreno,

artiste ; Djamila Said, comptable ; Badroudine Said Abdallah, journaliste ; Rachid Taha, musicien ; Melissa Theu-

riau, journaliste ; Ramdane Touhami, en-trepreneur ; Bernard Zekri-Ouddir, jour-naliste.

Nous sommes tousdes charlotsSi chacun s’empresse aujourd’hui de clamer « Je suis Charlie », qui aura le courage demain de dessiner commele faisaient les artistes de « Charlie Hebdo » ?

par nicolas-jean brehon

N ous sommes tous des Charlie ?Ah oui, vraiment ? Personnen’est Charlie. Charlie avait une

audace, une irrévérence, une liberté dont j’use et abuse aujourd’hui, mais dont per-sonne n’est à la hauteur. Car si c’était le cas, toute la presse, nationale, euro-péenne, mondiale, devrait publier les fa-meuses caricatures qui, sans nul doute, ont été à l’origine de la vengeance meur-trière. Mais qui osera ?

Certes, on va tous se réunir pour une mi-nute de silence, on va tous porter notre badge « Je suis Charlie ». Le fameux soir, des textos circulaient pour mettre des bougies aux fenêtres. Même les Améri-cains sont des Parisiens, pour l’heure, et les symboles de cette bonne conscience hypocrite, en publiant des dessins floutés.Ces gestes de compassion ne doivent pas faire illusion. Non seulement Charlie a été lâché par de nombreux politiques, en son temps, mais, demain, qui osera dire, écrire, dessiner comme ces assassinés ? Maintenant que tout le monde sait que le premier qui le fait sera buté. Un jour. Même dix ans après.

Ce n’est pas faire d’amalgame que direqu’il existe un terrorisme islamique. C’est au contraire faire le partage entre le bon grain et l’ivraie, entre les hommes de bonne volonté et l’ivresse religieuse. J’es-père être des premiers. Mais j’ai peur.

Peur de la terreur bien sûr, mais peur denos faiblesses surtout. Tellement limpi-des à l’examen des propos convenus des officiels. « Acte terroriste », « Neutraliser les criminels », qui relèvent de la psychia-trie, ajoutent même certains. L’affaire est traitée comme s’il s’agissait d’une attaque

de bijouterie ou d’un attentat dans la rue, voire d’une maladie mentale. Alors qu’il s’agit d’une explosion d’un pilier de la dé-mocratie. Il faut voir les choses en face. Seul Philippe Val, l’ancien patron de Char-lie Hebdo, a eu les mots justes sur BFM : « Il faut apprendre à ne plus parler de la même façon de tout ça. »

LA TERREUR IMPOSÉE DANS NOS TÊTES

Mais qui dira les mots ? Qui redessinera ? Puisque la terreur, ou pire, l’autocontrôle, s’est imposée dans nos têtes. Il y a deux fa-çons de lire cet événement. L’intellec-tuelle et la déjantée.

La liberté de la presse est au fronton dela Déclaration des droits de l’homme de 1789. Elle a été assassinée en 2015. Le 7 janvier 2015 à 11 h 28. A cette heure, des Français ont tué ce que la France de 1789 avait su créer. Les auteurs du massacre avaient sans doute d’autres lumières en tête et avaient pour ressort un sens du sa-cré qui fait leur folie mais aussi leur force. Face à une société qui n’en a plus.

Et puis, il y a la façon Charlie. Cette tueriea été commise par des Pieds Nickelés gro-tesques qui n’ont aucune idée de ce que veut dire la liberté de la presse. Grotes-ques – qui perdent leur carte d’identité ! d’identité ? – mais armés. Rien à faire ce matin, tiens, si on allait buter Cabu ?

Une idée pour conclure : changer lenom de la rue Nicolas-Appert en rue Cabuou en rue Charlie-Hebdo. Un nom de rue, ça conserve. p

¶Nicolas-Jean Brehon est initiateur du parcours du Paris arabe historique, créé à la demande de l’Institut du monde arabe

Intellectuels, l’heure du réveil a sonné

Trop silencieux,les chercheurs doivent redonner enfin de la voix

Nous n’avons pas su prendre notreplace dans le débat public. Elle nous a simultanément été déniée par les sphè-res médiatique et politique ainsi que par la destruction méthodique du sys-tème d’enseignement et de recherche à travers ses réformes successives.

L’URGENCE D’UNE RÉACTION

L’acte de barbarie commis à la rédac-tion de Charlie Hebdo et certaines réac-tions haineuses qu’il a suscitées sont aussi le produit d’une démocratie et d’une société qui dysfonctionnent. Ils viennent s’ajouter à la longue liste de propos et d’actes nauséabonds. Ils révè-lent notre incapacité à former des ci-toyens tolérants et convaincus de l’éga-lité de toutes et de tous. Notre rôle n’estpas de pointer des coupables mais bien de dire l’urgence d’une réaction collec-tive pour comprendre comment un cli-mat aussi délétère a pu se banaliser. Il faut reconstruire un projet de société.

Les événements du 7 janvier nousrappellent que la démocratie n’est pas seulement un régime politique, c’est undéfi, une lutte, un bien public qui doit être défendu. Non pas contre des enne-mis fantasmés mais contre nos propresfaiblesses, nos propres limites, notre ré-

signation. L’abandon de certaines thé-matiques ou plutôt leur circonscriptionà des cercles académiques fermés parceque trop polémiques, trop complexes, ou nécessitant trop de temps d’explica-tion ont contribué au développement de l’intolérance, à la simplification et à la radicalisation des opinions.

C’est pourquoi nous appelons les in-tellectuels français et plus spécifique-ment les membres de la communauté universitaire, de recherche et d’éduca-tion à tous les niveaux à prendre leurs responsabilités pour imaginer les con-ditions de notre redéploiement afin de retrouver une véritable utilité sociale.Notre mission et notre engagement personnel consistent à éduquer et à ré-fléchir sur le monde. Réinvestissons le débat public. Mettons cette pédagogie et cette capacité d’analyse au service de la société tout entière. Réagissons et or-ganisons-nous. Imaginons. p

par aurélie quentin

et stéphanie vermeersch

L es manifestations un peu par-tout en France et dans le mondemontrent que des milliers de ci-

toyens se sont endormis et réveillés meurtris par cette tentative de repous-ser plus loin les limites de la connerie humaine si ardemment combattue par Charlie Hebdo. Ce carnage nous inter-pelle au même titre que bien des êtres humains et citoyens.

Mais c’est en tant qu’intellectuellestravaillant au sein du système académi-que français que nous réagissons aujourd’hui. Ces faits sont une gifle qui nous punit de notre disparition collec-tive. Ils nous montrent cruellement à quel point le rôle qui devrait être le nô-tre dans la société n’a pas été tenu de-puis plus de dix ans, quand les caricatu-ristes, eux, tenaient le terrain.

¶Aurélie Quentin est maître de conféren-ces à l’université de NanterreStéphanie Vermeersch est chargéede recherche au CNRS

Réparons l’injustice faite à la jeunessePour convaincre les déshérités de nos cités de ne pas verser dans le terrorisme, nous devons à tout prix les aider à s’intégrer. L’action doit prendre la place du racisme et de la cupidité

par luc besson

M on frère, si tu savaiscombien j’ai mal pourtoi aujourd’hui, toi et

ta belle religion ainsi souillée, hu-miliée, montrée du doigt. Oubliésta force, ton énergie, ton humour,ton cœur, ta fraternité. C’est in-juste et l’on va ensemble réparer cette injustice. On est des mil-lions à t’aimer et on va tous t’aider. Commençons par le com-mencement. Quelle est la société que l’on te propose ?

Basée sur l’argent, le profit, laségrégation, le racisme. Dans cer-taines banlieues, le chômage desmoins de 25 ans atteint 50 %. On t’écarte pour ta couleur ou tonprénom. On te contrôle dix fois par jour, on t’entasse dans des barres d’immeubles et personnene te représente. Qui peut vivre et

s’épanouir dans de telles con-ditions ?

On fait passer le profitavant toute chose. On

coupe et vend le boisdu pommier, etaprès, on s’étonnede ne plus avoir defruits. Le vrai pro-blème est là, et c’est

à nous tous de le ré-soudre.J’en appelle aux puis-

sants, aux grands pa-trons, à tous les diri-

geants. Aidez cette jeu-

nesse, humiliée qui ne demande qu’à faire partie de la société.Faire du bien est le plus beau des profits. Chers puissants, vous avez des enfants ? Vous les aimez ? Que voulez-vous leur laisser ? Du pognon ? Pourquoipas un monde plus juste ? C’est cequi rendrait vos enfants les plus fiers de vous.

On ne peut pas construire sonbonheur sur le malheur des autres. Ce n’est ni chrétien, ni juif,ni musulman. C’est juste égoïste, et ça entraîne notre société et no-tre planète droit dans le mur. Voilà le travail que nous avons à faire dès aujourd’hui pour hono-rer nos morts.

Et toi mon frère, tu as aussi duboulot. Comment changer cettesociété qu’on te propose ? En bos-sant, en étudiant, en prenant uncrayon plutôt qu’une kalach-nikov. La démocratie a ça de bien qu’elle t’offre des outils noblespour te défendre. Prends ton des-tin en main, prends le pouvoir.

JOUE AVEC LES RÈGLES

Ça coûte 250 euros d’acheter une kalachnikov mais à peine 3 euros pour acheter un stylo, et ta ré-ponse peut avoir mille fois plusd’impact. Prends le pouvoir et joue avec les règles.

Prends le pouvoir démocrati-quement, aide tous tes frères. Leterrorisme ne gagnera jamais. L’histoire est là pour le prouver. Et la belle image du martyr mar-che dans les deux sens. Aujourd’hui il y a mille Cabu et mille Wolinski qui viennent de naître.

Prends le pouvoir, et ne laissepersonne prendre le pouvoir sur toi. Sache que ces deux frères san-glants ne sont pas les tiens, etnous le savons tous. Ce n’étaittout au plus que deux faibles d’es-prit, abandonnés par la société puis abusés par un prédicateur qui leur a vendu l’éternité…

Les prédicateurs radicaux quifont leur business et jouent de ton malheur n’ont aucune bonne intention. Ils se servent de ta reli-gion à leur seul avantage. C’estleur business, leur petite entre-prise. Demain, mon frère, nous serons plus forts, plus liés, plussolidaires. Je te le promets. Mais aujourd’hui, mon frère, je pleure avec toi. p

¶Luc Besson est réalisateur, produc-teur et scénariste français.

Aucune balle ne

tuera la lumière

par caroline fourest

Ils ont tiré sur des clowns. Ils ont tiré sur l’humour. Ils ont tiré sur des poètes.Ils ont tiré sur la beauté. Ils ont tiré sur des journalistes.Ils ont tiré sur la démocratie. Ils ont tiré sur des policiers. Ils ont tiré sur la République. Ils ont tiré sur de grands enfants. Ils ont tiré sur notre enfance. Ils ont tiré sur des blasphémateurs. Ils ont tiré sur la laïcité. Ils ont tiré sur des antiracistes. Ils ont tiré sur l’égalité.Ils ont tiré sur des Juifs.Ils ont tiré sur la fraternité.Ils ont tiré au nom de l’islam. Ils ont tiré sur l’islam.

C’est le Mahomet de Cabu qui avaitraison… Ces obscurantistes sont vrai-ment des cons.

Ils ont tué nos amis, nos compatrio-tes, mais aucune balle ne peut tuer la lumière.

Pour un qu’ils tueront, nous seronscent à renaître pour la maintenir allu-mée. p

¶Caroline Fourest est essayiste et ancienne collaboratrice à « Charlie Hebdo »

GILLES RAPAPORT

La d�mocratie fran�aise et rien d'autreLes mouvements citoyens montrent que la France reste profond�ment attach�e aux valeurs de laR�publique. Pourtant, m�me les moments de communion et de c�l�bration massifs et rapides nesuffisent pas � nous rassurer pour demain. par Bernard Cohen-Hadad, Pr�sident du Think TankEtienne Marcel

N¡ 5624

mardi 13 janvier 2015

Page 105

1181 mots

OPINIONS

L es odieux attentats commis dans

les locaux de Charlie Hebdo,

dans la superette Casher, les sau-

vages assassinats � l'encontre de ci-

vils et des personnels de police, sont

un choc indicible et une v�ritable

peine. Et les mots pour exprimer,

sans passion, ce que nous ressentons

difficiles � venir. Ç La volont�

d'espoir, quand il n'y a plus d'espoir

s'appelle l'esp�rance È �crivait Jean-

Fran�ois Deniau. Les premi�res pen-

s�es sont pour les victimes et leurs

familles. Dans un sursaut salutaire,

tous les rassemblements du week-

end ont su r�unir l'Europe, la France,

une partie du monde, en un hom-

mage �mouvant, sinc�re et r�confor-

tant. L'immense majorit� des

hommes et des femmes de notre

pays, quelles que soient leur origines,

leur religion ou leur philosophie,

quels que soient leurs engagements

partisans ont voulu exprimer le refus

des int�grismes destructeurs.

Une partie de notre soci�t� a per-

du ses rep�res

Les mouvements citoyens montrent

que la France reste profond�ment

attach�e aux valeurs de la R�pu-

blique : la libert�, l'Egalit�, la Frater-

nit� et la Solidarit�. Pourtant, m�me

les moments de communion et de c�-

l�bration massifs et rapides ne suf-

fisent pas � nous rassurer pour de-

main. Nous devons d�sormais affir-

mer, avec force, avec vigueur, que

nous ne voulons pas vivre pas vivre

ensemble et en paix sans nous atta-

cher � la la�cit�, lutter contre

l'antis�mitisme et garantir durable-

ment la s�curit� de tous.

Nous ne sommes pas arriv�s � un tel

degr� d'obscurantisme par hasard.

Depuis des ann�es une partie de

notre soci�t� a perdu ses rep�res. Le

monde est � l'envers. La notion de

bien commun, le sentiment de

l'int�r�t g�n�ral sont devenus sus-

pects ou brocard�s. Les partis poli-

tiques ont leur responsabilit�. Le res-

pect des valeurs religieuses, philoso-

phiques ou morales ont �t� discr�di-

t�s. Au nom de la tol�rance, en r�a-

lit� du laisser-faire, on assiste r�gu-

li�rement � un effondrement de pans

entiers de ce qui fait de la France une

terre de paix et d'�panouissement.

C'est-�-dire une soci�t� de progr�s.

Les communautarismes dictent

leurs r�gles moyen�geuses

Dans la mondialisation des r�seaux,

les communautarismes dictent leurs

r�gles moyen�geuses du repli sur soi

et du jugement d'un Dieu extermina-

teur sur la terre. Ils grippent tous les

niveaux de l'espace public, national

ou territorial, mais aussi la vie asso-

ciative et le monde de l'entreprise. Ce

qui �tait, hier, cantonn� au domaine

intime ou priv� est d�sormais exhi-

b� ou revendiqu� au nom du droit �

la diff�rence et de la libert�. La crise

�conomique n'explique pas tout. La

violence permanente des attitudes et

des mots, la simplification extr�me

des enjeux, la disparition de la notion

d'humanisme, le conservatisme de la

pens�e et la mont�e des violences

physiques font que le principe de la�-

cit�, fondement de notre vivre en-

semble, est devenu une peau de cha-

grin voire une caricature. La France

doit retrouver, dans son espace pu-

blic, les conditions du respect par

chacun d'une la�cit� partag�e, condi-

tion de l'�galit�.

Le cancer de l'antis�mitisme

La lutte contre l'antis�mitisme est

devenu une cause nationale. Le dire

est, d�j�, reconna�tre un �chec. Um-

berto Ecco avait cette belle formule

Ç la limite de la tol�rance est

l'intol�rable È. Depuis des si�cles

juifs et musulmans, les gens du Livre,

ont su se comprendre. Comment en

est-on arriv� l� ? Au moindre grip-

page d'une situation, dans nos villes

ou en dehors de nos fronti�res, le

cancer de l'antis�mitisme ressurgit

au grand jour ou de mani�re ram-

pante. Sur nos familles, nos enfants,

dans les rues, dans les �changes com-

merciaux, m�me dans la reconnais-

sance de ce que nous faisons pour

1

justifier promotions, m�rites ou les

bloquer.

Comment peut-on encore accepter,

en France, la d�localisation perma-

nente de conflits arm�s qui nous sont

�trangers et qui se d�roulent tr�s loin

de nous. Juifs pratiquants ou non,

militants ou non, nous ne pouvons

plus tol�rer de voir remis en cause

notre attachement � notre identit�,

� notre pays la France, � notre reli-

gion celle de nos p�res. L'Islam n'a

jamais enseign� de torturer un jeune

homme dans une cave, tuer des en-

fants � la sortie d'une �cole, s�ques-

trer une famille parce qu'ils sont

juifs. Ces actions visent en r�alit� �

�branler nos principes d�mocra-

tiques et enterrer l'esprit des Lu-

mi�res. Les r�ponses adapt�es

existent. Elles passent par le dia-

logue, l'�ducation, l'instruction et la

connaissance. Et elles ne peuvent pas

faire l'impasse de la fermet� et d'une

lutte efficace contre l'ins�curit�.

Quelle vie dans un pays soumis �

la loi de groupuscules terroristes ?

Les politiques de s�curit�, p�riodi-

quement au centre du d�bat public,

viennent de montrer leurs limites.

Les politiques carc�rales aussi. Tous

les professionnels mettent en �vi-

dence que les prisons ne sont plus

l'�cole du crime mais celle du fana-

tisme religieux. Au lieu de s'ouvrir,

les esprits se radicalisent et se

chargent de haine. Ç La libert� com-

mence o� l'ignorance finit È �crit

Victor Hugo.

Personne ne souhaite vivre dans un

Etat policier. Mais quelle vie peut-on

avoir, en temps de paix, dans un pays

soumis � la loi de groupuscules terro-

ristes ? Non, tirer sur des civils, des

gendarmes ou des policiers ne va pas

de soi. C'est pourquoi, il faut d'abord

valoriser l'action des personnels de

Police et de Gendarmerie. En terme

image, de formations, en moyens

mat�riels, humains et financiers.

Leur permettre d'exercer pleinement

leur mission c'est faire respecter

l'ordre r�publicain. Ces derniers jours

leur action, comme leur sacrifice, ont

�t� exemplaires, on ne l'a pas assez

dit. D'autant qu'ils ont subi, ces der-

niers mois, des pertes dans la dignit�

et dans une indiff�rence quasi g�n�-

rale.

Nous ne lutterons pas seuls contre

le terrorisme

Ensuite, nous ne lutterons pas seuls

contre le terrorisme, qui cherche

avant toute chose � d�truire. C'est-

�-dire sans renforcer urgemment les

dispositifs d'informations et de ren-

seignements avec nos partenaires

europ�ens. Et en multipliant nos

�changes avec nos partenaires mon-

diaux. Enfin, quand arr�terons-nous

de crier � la bavure, de souffler le

chaud et le froid, � l'occasion de la

moindre arrestation de ceux qui ba-

fouent nos lois et r�glements. La R�-

publique ne doit pas devenir une co-

quille vide. Sans la confiance en nos

institutions, tout combat est perdu

d'avance. Nous ne retrouverons pas

notre tranquillit� en multipliant les

lois de circonstances face � ceux qui

veulent nous emmener sur le chemin

de la terreur, mais en affirmant avec

courage le seul choix qui vaille : la

d�mocratie fran�aise.

Bernard COHEN-HADAD

Pr�sident du Think Tank Etienne

Marcel�

par Bernard Cohen-Hadad

Tous droits r�serv�s La Tribune 2015

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Parution : Quotidienne

2

20 | les rassemblements du 11 janvier MARDI 13 JANVIER 2015

0123

détenus de Guantanamo. Mais, pour élargir la base derecrutement du djihad, les islamistes doivent identi-fier l’adversaire comme le mal absolu. Ces groupesdjihadistes sont très minoritaires dans le monde mu-sulman. Mais si ces dizaines de milliers de personnes,face à plus d’un milliard d’individus, sont endoctri-nées et armées, cela devient extrêmement efficace.

Beaucoup de commentateurs insistent sur les ris-ques d’amalgame entre les islamistes et les mu-sulmans en général. Vous dites pourtant que, sur certains sujets, la sensibilité ne peut être que dif-férente. Pensez-vous que les islamistes de l’ère Daech puissent en profiter ?Ces groupes ont besoin de frapper des cibles qui sus-

citent le plus de soutien. Il est certain que les caricatu-res du Prophète publiées dans Charlie Hebdo ont sus-cité dans le monde musulman une vague de protesta-tion. C’est un fait social et culturel. Dans l’assassinat des caricaturistes de Charlie Hebdo, nous voyons celuide la culture française contemporaine. Mais, dans le monde musulman, il est indéniable que le malaise existe : certes, on y manifeste de la compassion pour les victimes ; mais le problème du blasphème est cen-tral, surtout quand il porte sur la personne du Pro-phète, incarnation des vertus islamiques faites homme. Celui qui s’est montré capable d’exécuter ceux qui ont été désignés comme des blasphéma-teurs est donc susceptible d’attirer un courant de sympathie plus large que celui qui commet un atten-tat aveugle dans une gare dont les victimes sont « collatérales ». Là encore, la différence entre l’ère Al-Qaida et l’ère de l’Etat islamique est patente.Il faut bien voir que, dans la pensée de Moussab Al-

Souri, l’objectif, c’est d’ouvrir un front en Europeavec des guerres d’enclaves islamiques radicalisées qui s’identifient à leurs héros et leurs défenseurs, et face à cela une société qui surréagit. On se retrouve ainsi dans une situation où nous avons des identi-taires de chaque côté, qui ont la même grammaire, mais dont le vocabulaire est différent. C’est ce qu’a assez bien vu Michel Houellebecq dans son dernier roman Soumission. p

propos recueillis par

gaïdz minassian et nicolas weill

apostats qui revêtent l’uniforme des impies. D’où les meurtres de soldats, notamment d’origine maghré-bine, perpétrés à Montauban par Mohamed Merah avant qu’il s’en prenne à des écoliers juifs d’Ozar Hato-rah. De même, l’assassinat délibéré du brigadier vété-tiste Ahmed Merabet boulevard Richard-Lenoir : ter-roriser tous les musulmans qui ne suivraient pas leur voie.

La plupart des autorités et des pays musulmans ont condamné la tuerie. Sur quoi se fonde le radi-calisme qui, selon vous, caractérise l’ère de l’Etat islamique ?Dans la logique d’EI, l’« autre » se réduit au statut

d’impie ou d’apostat. L’espace de la cohabitationcomplexe de l’islam traditionnel avec les « religionsdu Livre » – le christianisme et le judaïsme, le zo-roastrisme – s’est réduit dans la mentalité des djiha-distes à l’affrontement contre les kuffar [« impies »]d’autant plus qu’ils proclament que les pays occi-dentaux sont déchristianisés et ne peuvent plus être comptés comme ressortissant des « religionsdu Livre ». Pour eux, soit on est musulman à leurmanière, soit on mérite la mort. Leur salafisme ab-solu est en concurrence avec celui des Saoudiens quivendent à l’Occident le pétrole dont celui-ci fait labase de sa puissance industrielle. Eux veulent dé-truire l’Occident hic et nunc.

Les autorités traditionnelles de l’islam sunnite n’en imposent plus comme avant. Sont-elles en perte de vitesse et d’influence ?Dans l’islam sunnite, il y a une grande plasticité,

car il n’y a pas de hiérarchie cléricale qui autorise desinterprétations, contrairement à l’islam chiite. Chezles sunnites, toute personne qui peut s’autoriserd’une congrégation qui le reconnaît édicte de la norme. Et elle le fera d’autant plus facilement à l’èrede Twitter qu’elle se réfère littéralement et de ma-nière simpliste aux injonctions des textes sacrés en 140 signes. C’est l’aboutissement paradoxal de la lo-gique du salafisme. Là où le prédicateur FaridBenyettou agissait en 2003 dans le 19e arrondisse-ment de Paris en réunissant des individus à la sortiede la mosquée dans un garage, aujourd’hui l’oumma est virtuelle, universelle.

La violence djihadiste n’est-elle pas aussi réactive à celle de l’Occident, aux attaques aveugles des drones, à la torture pratiquée par les Américains après le 11 septembre 2001 ?Il est certain que le discours djihadiste se nourrit des

restes d’anti-impérialisme, de réactions aux interven-tions armées occidentales. A cet égard, il est significa-tif que les condamnés à mort de l’Etat islamiquesoient revêtus des mêmes uniformes orange que les

mement moral au sens noble du terme : un nouveau consensus sur les valeurs, mais aussi des dérives. Il importe d’en tirer les leçons.

Ce « réarmement moral » a tout de même conduit à des situations désastreuses (Irak, Guantanamo, etc.) de la part des Etats-Unis. Quel peut être le ris-que négatif pour notre société ?Justement, le défi, c’est d’éviter que la réponse ma-

ladroite à EI aboutisse à une polarisation de nos so-ciétés entre, d’un côté, la mouvance identitaire et d’extrême droite qui apparaîtrait comme le défen-seur de valeurs menacées et, de l’autre côté, une prise en otage de type communautaire par des mou-vements salafistes qui basculent vers le djihadisme. La morale commune, c’est d’arriver à faire vivre en-semble des gens qui ont des cultures et des référen-ces différentes, mais pour lesquelles ce qui est com-mun l’emporte sur ce qui est clivant. Aux Etats-Unis,on a vu que la projection de cette affaire s’est tra-duite par la « guerre contre la terreur ». Notre enjeuest de ne pas tomber là-dedans.

L’émotion et l’horreur suscitées par le massacre de Charlie Hebdo et la prise d’otages porte de Vin-cennes nous empêchent d’entrer dans la logique des djihadistes. Pouvez-vous la reconstituer ?La Weltanschauung (« vision du monde ») du dji-

hadisme de l’ère Daech, qui tire les leçons de l’échec politique d’Al-Qaida, a été formalisée dès la fin de 2004 par l’idéologue syrien Abou Moussab Al-Souri.A l’époque d’Al-Qaida, un corpus complexe, peu dif-fusé, faisait le lien entre action armée djihadiste et réinterprétation littéraliste des textes de l’islam.Avec Daech, on passe au domaine de la sourceouverte et à la diffusion massive des manuels pour l’action sur les réseaux sociaux, avec la volontéd’inscrire celle-ci dans la lettre des textes sacrés. Onl’a vu avec la persécution des yézidis d’Irak dont les hommes se sont retrouvés désignés comme des im-pies et massacrés ipso facto, et les femmes comme des captives (esclaves sexuelles). La protestation quecette pratique a suscitée jusque dans le monde mu-sulman a contraint EI à recourir à l’un de ses « muf-tis on line » pour confectionner à partir du corpusmédiéval un recueil juridique fondé sur la charia pour affirmer l’islamité de pareilles pratiques.

L’attentat contre l’hebdomadaire satirique com-mis par Chérif et Saïd Kouachi a été revendiqué par Al-Qaida dans la péninsule Arabique (AQPA) et le terroriste Amédy Coulibaly se réclamait de l’or-ganisation Etat islamique, selon les sources. Y a-t-il des différences de méthode entre Al-Qaida et EI ?On est passé de l’ère Al-Qaida à l’ère Daech. Il y a une

concurrence entre des individus qui se réclament desdeux groupes, mais cela n’a globalement pas d’im-portance. La vidéo en ligne où Coulibaly justifie son action est placée par lui-même sous les auspices d’EI. On n’est plus dans l’ère d’Al-Qaida qui procédait selon une structure pyramidale, avec un état-major plani-fiant et finançant dans le détail des attentats lointainsdont il missionnait les exécutants. Aujourd’hui, l’en-jeu est l’« inspiration » en Irak ou en Syrie, voire au Yé-men ou en Libye – et réinjectés dans l’espace euro-péen. Le théoricien du djihadisme, Abou Moussab Al-Souri l’avait prescrit il y a dix ans : mais ce qui l’a rendu possible aujourd’hui, c’est le développement massif des réseaux sociaux depuis lors, et des compa-gnies aériennes low cost qui mettent le champ de ba-taille djihadiste à portée de la bourse du tout-venant, via Istanbul, en Turquie. L’égorgement des pilotes syriens prisonniers, tout

comme l’attaque de Charlie Hebdo, le meurtre de la policière de Montrouge ou la tuerie de l’hypermarchéprocèdent de la même scénographie : on y retrouve lenoir de la voiture volée, la tenue blanche de Coulibaly censée le faire ressembler à un combattant de l’épo-que du Prophète. Dans cette mise en scène, la distinc-tion classique faite par les oulémas entre Dar al-islam et Dar al-kufr (« territoire de l’islam » et « territoire desinfidèles ») est abolie. Le monde entier devient pour EI le domaine de la guerre, Dar al-harb. Notre société, Paris, sont maintenant autant de prolongations du champ de bataille syrien… Wolinski et ses amis sont des impies pour les djihadistes. Ils ont blasphémé le Prophète. Al-Souri avait précisé, parmi les cibles à vi-ser, les juifs – mais en dehors des synagogues – et les

ENTRETIEN

Deux jours après la Marche républi-caine, qui a réuni plus de 4 millionsde personnes en France en hom-mage aux victimes des attentatscontre Charlie Hebdo le 7 janvier, àParis, et en région parisienne les 8

et 9 janvier, Gilles Kepel, professeur à Sciences Po et auteur notamment de Passion française. Les voix descités (Gallimard, 2014), analyse le sens des manifes-tations de solidarité organisées en France contre leterrorisme et pour la liberté d’expression, et dé-crypte la représentation du monde des djihadistes.

Que vous inspire la marche républicaine organi-sée ce week-end à Paris et en France ?La marche est un sursaut vital de la société fran-

çaise, et de tous les peuples qui l’ont soutenue en en-voyant défiler leurs dirigeants, contre un nouveautype de terrorisme djihadiste, celui de Daech [orga-nisation Etat islamique; EI], qui s’est infiltré par les réseaux sociaux au cœur de l’Europe pour la dé-truire en déclenchant la guerre civile entre ses ci-toyens et résidents musulmans et non musulmans. Dessinateurs « blasphématoires », musulmans« apostats », policiers, juifs, sont les cibles de prédi-lection. La marche a senti ce défi mortel et a expli-cité un premier réflexe, massif, de résistance. Mais Daech a identifié précisément des clivages culturels,religieux et politiques, et s’est donné pour objectifd’en faire des lignes de faille. Et il ne faudrait pas sous-estimer le danger : une bataille a été gagnéehier, mais il reste beaucoup à faire.

Comment reconstruit-on en France un pacte so-cial après le 7 janvier ?Si une large majorité de nos concitoyens de confes-

sion musulmane sont convaincus de la nécessité du pacte républicain, d’intégration de l’islam à la culture française, de même que juifs, chrétiens ou libres-pen-seurs ont construit ce processus historiquement, il existe aujourd’hui un pôle d’attraction djihadistehostile à ce pacte. Toute la difficulté est de relativiserles choses, sans amalgame, mais sans se dissimuler laréalité. Et dans ce cadre-là, l’enjeu de dire les normes sur ce que sont nos valeurs communes et ce qui estinacceptable est essentiel. C’était le grand défi des ma-nifestations du week-end : car si la société civile ne ditni ne fait rien, ce consensus peut s’effriter. La logique du clivage civilisationnel structure la vision du monde de Daech.Français et Européens, mais aussi les musulmans,

doivent en avoir conscience, car ils sont les premiersconcernés. Et le véritable débat est de savoir com-ment renforcer un pacte social qui identifie ce clivagecomme un danger mortel et parvient à le contrer. C’est la seule manière de surmonter une situation où il faut le reconnaître, c’est l’Etat islamique et sa cul-ture qui mènent le jeu – comme Al-Qaida le menait ausoir du 11-Septembre, avant d’être vaincue quelques années plus tard. La tuerie de Charlie Hebdo, et de l’hy-permarché casher de Vincennes, représente un re-make culturel du 11-Septembre, selon les modes opé-rationnels qui sont désormais ceux de EI. Après le 11-Septembre, il y a eu aux Etats-Unis une sorte de réar-

Qui est ciblé par le terrorisme ?Déjouer l’idéologie meurtrière des djihadistes impose de saisir les ressorts du fanatisme

LE PROBLÈME DU BLASPHÈME EST CENTRAL, SURTOUT QUAND IL PORTE

SUR LA PERSONNE DU PROPHÈTE, INCARNATION DES VERTUS ISLAMIQUES

FAITES HOMME

« C’est un 11-Septembre culturel »Selon le politologue Gilles Kepel, ces attaques montrent quenous sommes passés de l’èred’Al-Qaida à celle de l’Etat islamique

¶Gilles Kepel Politologue, professeur à Sciences Po, spécialiste de l’islam. Dernier ouvrage paru : « Passion arabe ; Journal 2011-2013 » (Gallimard 2014).

SILIO DURT

ENTRETIEN. P. Christian Delorme, sp�cialiste du dialogue islamo-chr�tien etpr�tre du Prado dans le dioc�se de Lyon (1) : Ç Nous n'avons pas �t� � la hauteurdu d�fi de l'int�gration È

Engag� de longue date dans le dialogue islamo-chr�tien, le P. Christian Delorme constate queles Fran�ais de confession musulmane se sont tenus � l'�cart de la manifestation nationale dedimanche. Pour lui, le foss� s'agrandit dans la soci�t� fran�aise.

N¡ 40087

jeudi 15 janvier 2015

1037 mots

FRANCE

Comment les �v�nements de la

semaine derni�re retentissent-ils

chez les musulmans que vous

connaissez ?

P. Christian Delorme : J'ai �t� frapp�

par la quasi-absence de nos conci-

toyens d'origine maghr�bine dans le

formidable rassemblement de Lyon,

malgr� l'appel des responsables mu-

sulmans. Les �chos que j'ai eus ve-

nant de Paris sont semblables. Ma-

joritairement, la France musulmane

n'a pas rejoint la manifestation. Cela

pose de graves questions. Plusieurs

m'ont fait part de leur peur de sortir :

Ç On est regard�s de travers, on est

stigmatis�s. È Beaucoup m'ont dit

aussi : Ç On ne se sent pas concer-

n�s. Cette soci�t� est hypocrite. Elle

avance en permanence des id�aux de

fraternit�, de d�mocratie, or nous

sommes sans cesse stigmatis�s. On

doit toujours montrer qu'on est plus

r�publicains que les autres È, etc.

Il y a encore un sentiment tr�s fort Ð

et c'est tr�s inqui�tant Ð d'in�galit�

de traitement en ce qui concerne les

musulmans et les juifs de France.

Plusieurs m'ont dit : Ç On trans-

forme les journalistes de Charlie

Hebdo en h�ros de la libert� mais

Dieudonn� est un pestif�r�. On peut

caricaturer les musulmans et les

chr�tiens, on ne peut pas caricaturer

les juifs. È

Depuis 20 ans, je vois s'accentuer le

ressentiment � l'encontre des juifs,

qui aboutit � des actes

d'antis�mitisme. De plus en plus de

juifs ont peur et pensent � partir. Ce

malentendu jud�o-musulman est

tragique. Il y a, de fait, un antis�mi-

tisme des banlieues qui enfle. Il faut

qu'on accepte que nous ayons des

sensibilit�s diff�rentes, des solidari-

t�s diff�rentes. Le drame isra�lo-

arabe ne doit pas d�chirer la soci�t�

fran�aise. Il faut montrer la com-

plexit� de ce conflit qui n'est pas aus-

si sch�matique qu'on le dit. Il y a en

Isra�l plus de juifs qu'on le croit qui

sont solidaires des Palestiniens.

ætes-vous inquiet ?

P. C. D. : Je suis inquiet parce que le

foss� s'approfondit dans la soci�t�

fran�aise. Beaucoup de choses ont

�t� r�alis�es depuis trente ans en

mati�re de politique d'int�gration, de

politique de la ville, mais nous

n'avons pas �t� � la hauteur du d�fi.

Rattraper cela sera tr�s difficile. Je

vois deux priorit�s. La premi�re :

construire en France un r�cit natio-

nal o� chacun a sa place.

La France maghr�bo-musulmane, qui

repr�sente environ 10 % de la popu-

lation, doit pouvoir dire : Ç Nous

sommes de la nation fran�aise. È Ce-

la passe par l'�ducation. Il faut

mettre en valeur les grandes figures

maghr�bines, les h�ros de l'histoire

du Maghreb qui ont un lien avec la

FranceÉ Les grands m�dias ont un

r�le � jouer.

Ce sentiment de ne pas �tre aim� est

pr�sent depuis longtemps. Jusqu'au

milieu des ann�es 1990, cette part de

la population fran�aise se d�finissait

plus comme maghr�bine que musul-

mane ; l'islam �tait peu visible, sans

revendication d'identit�. Depuis les

ann�es 1990, les courants musul-

mans vindicatifs, en rupture avec

l'Occident, atteignent notre popula-

tion maghr�bine. Sans les courants

du wahhabisme ou des Fr�res musul-

mans, la recherche d'une identit�

digne ne serait pas forc�ment pass�e

par l'islam.

L'incompr�hension se situe aussi sur

le registre culturel, et c'est le

deuxi�me d�fi. Nous n'avons pas per-

�u que les populations qui ont grandi

dans l'islam sont tr�s soucieuses de

pudeur, une valeur centrale dans

l'islam. Elle fa�onne les mentalit�s de

mani�re tr�s profonde. Or l'Occident

tient de son h�ritage gr�co-romain

d'�tre une soci�t� du d�voilement

des corps. Beaucoup de jeunes de la

troisi�me g�n�ration ont le senti-

ment de vivre dans une soci�t� impu-

dique.

Les d�bats sur les caricatures du pro-

ph�te sont un autre point important

d'incompr�hension entre nous. Les

soci�t�s musulmanes sont des soci�-

t�s de la non-repr�sentation, �

l'inverse des soci�t�s d'Occident.

Pour nous, les caricatures font partie

de l'histoire de nos libert�s depuis le

XIX e si�cle. Elles ont contribu� � la

d�fense de nos libert�s. Les musul-

1

mans, m�me quand ils ne sont pas

pratiquants, s'identifient � leur reli-

gion. Ils ont une relation fusionnelle

avec elle. Des soutiens actifs des r�-

seaux terroristes soutenant les fr�res

Kouachi avaient un bon niveau

d'�tude.

Comment analysez-vous cela ?

P. C. D. : Les connaissances ne suf-

fisent pas � d�finir un humanisme.

Nous avons besoin de remettre au

centre de l'�ducation notre culture

humaniste. Voil� plus de trente ans

qu'on dit que le fait religieux doit

�tre enseign� � l'�cole Ð R�gis Debray

a fait un livre sur la question Ð, mais

il y a eu un barrage. On ne peut plus

en faire l'�conomie. L'enseignement

du fait religieux, c'est justement une

prise de distance critique et intelli-

gente. C'est la seule mani�re de se

pr�munir contre le fanatisme reli-

gieux. Malheureusement, une partie

de la classe politique est analphab�te

au plan religieux et habit�e d'un fort

anticl�ricalisme qui n'est pas en

phase avec la r�alit� de la soci�t�. Le

chantier est immense. La soci�t�

fran�aise est conservatrice, elle

bouge difficilement. Mais quand il y

a des drames, elle est capable de sur-

saut. On l'a vu ce dimanche, m�me

si toute la France n'�tait pas dans la

rue.

par Chaland Christophe

Tous droits r�serv�s La Croix 2015

1E6B07368B001A02605906F16B07A1B473959A8CE5630B30E6357EA

Parution : Quotidienne

Diffusion : 93 668 ex. (Diff. pay�e Fr.) - © OJD DSH 2013/

20142

jeudi 15 janvier 2015 LE FIGARO

littérairelittéraireL'ÉVÉNEMENT

2222222222

JACQUES DE SAINT VICTOR

G AVROCHE avait beaudire que si le peuplefrançais est ce qu’ilest, « c’est la faute àVoltaire, c’est la faute

à Rousseau », le fait est que depuis les récents attentats, c’est Voltaireet non Rousseau qui triomphe. On s’arrache depuis jeudi son Traité sur la tolérance. 2015, année Voltaire ? Ce ne sera pas la premiè-re fois que le philosophe de Ferney incarne le combat contre l’obscu-rantisme. Un siècle avant le J’accu-se de Zola, en faveur de Dreyfus,Voltaire a symbolisé le pouvoir del’écrivain qui, par sa plume, s’estlevé contre ceux qui tentaient defaire triompher les préjugés. Église catholique, monarques absolus, religion juive ou musulmane, il n’a épargné aucun pouvoir établi. La même raison qui en a fait lepremier « panthéonisé » de la Révolution après Mirabeau expli-que pourquoi on se tourne aujour-d’hui vers lui.

L’islamisme radical nous re-plonge dans un monde qu’onaurait pu croire disparu en Occi-dent depuis « le siècle de Voltai-re ». Or, dès la révolution iranien-ne de 1979, il n’a pas fallu attendre longtemps pour que l’esprit soit à nouveau objet d’inquisition ; que lareligion l’emporte sur la liberté. Lafatwa lancée par les mollahs contreLes Versets sataniques de SalmanRushdie, à la fin des années 1980, ad’abord surpris. En Europe, cegenre de « condamnations judi-ciaires » émanant « d’autorités » religieuses était oublié depuis les pires heures de l’Inquisition espa-gnole. Bien avant que Voltaire nevoie le jour. On s’interrogea. Fal-lait-il prendre vraiment au sérieuxcette fatwa improbable en Occi-dent ? Par peur du « choc des civi-lisations », beaucoup, tout en sou-tenant l’auteur des Versetssataniques, suggéraient de ne pas« provoquer » les islamistes. Onespérait que les choses s’arran-gent. Du respect des consciences à l’acceptation du pire…

Car les « condamnations judi-ciaires » lancées par quelquesautorités religieuses, ici ou ailleurs,n’ont cessé de se multiplier. Il y aeu l’interdiction de la pièce de Vol-taire, Mahomet, à Genève en 1993, puis l’affaire Redecker, en 2006, oùil a fallu cacher un professeur de

piétiné Le Franc de Pompignan, lepère naturel d’Olympe de Gouges. Il utilisait l’abbé Morellet pour sescroisades. « Mords-les » ! Musset aparlé du « sourire hideux » deVoltaire car le poète romantique n’appréciait pas ce ton caustiqued’une star d’aujourd’hui - tout sourire sur scène et impitoyable en privé - qui a, selon lui, gâté l’esprit français, jadis plutôt franc et géné-reux. Et lorsqu’un étranger lance : « c’est un trait très français », notreorgueil national croit y percevoir un compliment. C’est au contraire souvent une pique contre notre lé-gendaire mépris « voltairien ».

Baudelaire écrivait dans Le Spleende Paris : « Je m’ennuie en France car tout le monde y ressemble à Voltaire. » Tout le monde ? Peut-être ne faudrait-il pas confondre les

fils de Voltaireavec ses « bâ-tards » à la Ho-mais. En 1992,l’écrivain JohnSaul faisait pa-raître un livreintitulé Les Bâ-tards de Vol-taire, dans le-quel il dénonçaitla dictature de laraison en Occi-dent à travers le

triomphe d’une pensée managéria-le déshumanisée. Il y voyait le fruit des héritiers abâtardis de la sèche raison voltairienne. Il n’avait pas entièrement tort. Triste époque,confrontée aux derniers attentatsislamistes, qui nous ramène à des questions hélas trop simplistes. Faut-il aujourd’hui se résigner à n’avoir d’autre choix que d’être les bâtards de Voltaire ou ceux de la barbarie ? ■

Portrait de Voltaire (1718). Copie d’après le tableau de Nicolas de Largillière. COLL. MUSÉE DU CHATEAUDEVERSAILLES/RUE DES ARCHIVES/RDA

LE CONTEXTE

L’attentat contre Charlie Hebdo mercredi 7 janvier

a reposé en France la question du droit à la satire

et de la liberté d’expression. Un débat dans lequel

Voltaire fait figure de précurseur. L’auteur

du Traité sur la tolérance, actuel best-seller

en librairies, s’est aussi illustré en prenant fait

et cause contre les injustices de son temps.

Ses biographies révèlent cependant que l’homme

avait aussi ses contradictions et ses petitesses.

Je ne suis pasd’accord avec

ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez le dire

DE VOLTAIRE

Autodictionnaire Voltaire, édité par André Versaille, Omnibus, 621 p., 28 €.

Œuvres d’humour (contes, théâtre, textes philosophiques) de Voltaire, présenté par Clémentine Pradère-Ascione, Omnibus, 1 024 p., 26 €.

Traité sur la tolérance, de Voltaire, « Folio », 143 p., 2 €.

Le Fanatisme, ou Mahomet

le prophète, tragédie de Voltaire, Mille et une nuits, 142 p., 3,60 €.

Correspondance de Voltaire, 13 volumes dans la « Bibliothèque de la Pléiade ».

Mélanges, de Voltaire, « Bibliothèque de la Pléiade », 1 588 p., 50,50 €.

Romans et Contes, de Voltaire, « Bibliothèque de la Pléiade », 1 316 p., 52 €.

Œuvres historiques, de Voltaire, « Bibliothèque de la Pléiade », 1 816 p., 60,50 €.

Bibliographie express

21 NOVEMBRE 1694

Naissance à Paris de François Marie Arouet, dit Voltaire.

1734

Parution des Lettres philosophiques.

1750-1753

Il s’installe à la cour de Prusse. Conseille Frédéric II.

1762

Affaire Calas. Il réside alors au château de Ferney.

1764

Affaire Sirven. Parution du Dictionnaire philosophique.

1778

Retour à Paris après vingt-huit ans d’absence. Meurt le 30 mai.

1791

Entre au Panthéon. Il est le deuxième après Mirabeau.

CHRONOLOGIE

SUR VOLTAIRE

Voltaire, d’André Maurois, « Cahiers rouges », Grasset, 245 p., 8,75 €.

Voltaire en son temps,

de René Pomeau, Fayard,2 vol., 1920 p., 110 €.

lycée pour une tribune sur l’islamparue dans Le Figaro, et mainte-nant l’atroce massacre contreCharlie Hebdo, après un attentat au cocktail Molotov en novembre 2011. À cette époque, certains bons esprits étaient très loin de sedéclarer « Je suis Charlie ». Un comique célèbre déclarait que« “Charlie Hebdo”, ce n’est pas mes copains » ; et certaines pétitions re-fusaient de s’apitoyer sur le sort du journal, en considérant qu’il parti-cipait « en publiant des dessinsantimusulmans, à la confusiongénérale », voire « à la lepénisationdes esprits ».

Trop d’aveuglement, de déni...Il semble que, cette fois-ci, aprèsle bilan macabre des tueries, uneétape majeure soit franchie. Levoile se déchire sur les menacesde l’islamisme radical, et l’opi-nion ne veut plus céder aux inti-midations univoques de certains.Dans ce contexte, Voltaire rede-vient une boussole. Face à l’into-lérance ouverte ou larvée, celuiqui préfigure « l’intellectuel »avant la lettre a fixé la route :l’ironie, la dérision, la remise encause du sacré sont les seules ré-ponses à tous ceux qui brandis-sent les foudres du « blasphème »ou de l’anathème.

Plus de deux siècles après la mortde Voltaire, il n’y a plus de despoteséclairés, ni de monarques absolus,ni la Sainte Inquisition, ni, bien sûr, les totalitarismes effrayants du « court XXe siècle ». La traditions’était prise en Occident de respec-ter les œuvres de l’esprit, plus ou moins raffinées, là n’est pas la question. On connaît le mot du gé-néral de Gaulle, lorsque des servi-teurs zélés lui proposèrent de pour-suivre Sartre après le Manifeste des 121 en faveur de l’insoumission du-rant la guerre d’Algérie. De Gaulleécarta cette intimidation judiciaireen affirmant : « On n’emprisonne pas Voltaire. » Mais notre société procédurière a oublié cette éviden-ce. Et l’intolérance est de retour. Voltaire, ce « grand libérateur de l’esprit », comme disait Nietzsche,s’impose à nouveau.

Plus que tout autre, il symboliseavec Zola la liberté d’opinion.C’est peut-être même son premiertitre de gloire. On connaît le motcruel de Paul Valéry : si Voltaireétait mort à soixante ans, il serait àpeu près oublié aujourd’hui. Il n’ani la profondeur politique de

Rousseau ou de Montesquieu, ni lapuissance philosophique de Kant,ni le génie romanesque de Laclos.C’est avant tout un styliste hors pair, comme en témoigne son im-mense correspondance qui a ins-piré la plupart de nos grands écri-vains, de Stendhal à AnatoleFrance, en passant par Flaubert.Mais, à l’exception de quelquescontes philosophiques, commeCandide ou Zadig, il faut bien direqu’on le délaissait. Il n’est ni Bal-zac, ni Stendhal. Qui consulte en-core ses hagiographies du Roi-So-leil (Le Siècle de Louis XIV) oud’Henri IV avec son épopée en dixchants à la gloire de la tolérance(La Henriade) ? Et que dire de sespièces de théâtre, dont il était sifier et qui sont presque toutestombées dans l’oubli, à l’exceptionbien sûr de son Mahomet qui sus-cite un engouement biaisé.

En réalité, le philosophe de Fer-ney a forgé sa statue de comman-deur en se lançant, sur le tard, àprès de soixante-dix ans, dans ladéfense de victimes d’erreurs ju-diciaires, avec l’avocat Éliede Beaumont. Il se mobilisad’abord pour le protestant Calas,accusé par le parlement de Tou-louse d’avoir assassiné son filsparce qu’il s’était converti aucatholicisme. Il inondera l’Europe de courriers pour sensibiliser lesgrands au sort de cette famille deprotestants qu’il tenait, en privé,pour des « imbéciles ». Et, miracle,cette frénésie littéraire portera sesfruits. Voltaire obtiendra deLouis XV une pension pour laveuve de Calas. Il récidivera avecSirven, le chevalier de La Barre, lecomte de Lally, etc. Courageux etclairvoyant, il deviendra le sym-bole du combat de la raison contre

la barbarie. Et son message estd’une très grande lucidité. Ne par-tageant nullement l’optimisme deses disciples comme Condorcet, ilest obsédé par la fragilité du pro-cessus de civilisation. Il sait,comme il l’écrit dans ses Lettresphilosophiques, que « toutes lesacadémies de l’univers ne change-ront rien à la croyance du peuple ».Et il n’a pas pour la « vile popu-lace » beaucoup d’estime. La gau-che a même longtemps eu du malavec cet auteur qui fit l’éloge duluxe (contre la frugalité spartiateet républicaine de Rousseau) etspécula dans le trafic d’esclaves.

Mais son combat pour la libertéd’opinion lui vaut d’être entière-ment pardonné. Il entendait« écraser l’infâme », « Écrinf’ », comme il disait à propos des dog-

mes. Et il le reconnaît : « Je fais la guerre. » Dans ces conditions, qu’importe qu’il n’ait jamais pro-noncé la phrase fameuse laissantcroire qu’il se ferait tuer pour lais-ser à son adversaire le droit de s’ex-primer. La belle blague !

Voltaire était à l’opposé de cebeau procédé libéral. Il était prêt à tous les mauvais tours pour pour-fendre ses adversaires. Il a persé-cuté Rousseau, humilié Fréron,

On entend aujourd’hui par fanatisme une folie religieuse,

sombre et cruelle. C’est une maladie de l’esprit qui se gagne comme la petite vérole. Les livres la communiquent beaucoup moins que les assemblées et les discours. VOLTAIRE, ARTICLE « FANATISME »

DANS QUESTIONS SUR L’ENCYCLOPÉDIE, 1771.

Cette formule célèbre, longtemps attribuée à Voltaire,

n’a jamais été écrite ni prononcée par lui. L’Anglaise Evelyn Beatrice

Hall avoua au conservateur du Musée Voltaire de Genève

qu’elle en était l’auteur mais que cette phrase n’aurait jamais dû être

mise entre guillemets dans la biographie qu’elle consacra à Voltaire,

en 1906. Cette phrase était censée résumer la pensée de Voltaire

au moment de sa prise de position dans l’affaire Helvétius,

philosophe qu’il exécrait mais défendit pourtant au moment

de la parution de son livre De l’esprit , violemment attaqué à l’époque.

LE FIGARO jeudi 15 janvier 2015

CHAMPS LIBRES 15IDÉES

Cet homme a l’œil rieur,même si les temps sontendeuillés. Ces jours-ci,il court de médias en mé-dias en costume cravate.Car il est de ces musul-

mans des lumières qu’on s’arrache en-tre le Flore et le Café de la Paix. À luiseul un condensé de cet islam de Francequi reste pour l’essentiel un islam en chambre. Il a publié récemment un groslivre intitulé L’Érotisme arabe, où il af-firme que les préliminaires ont été in-ventés en terre musulmane. On estd’emblée bien prédisposé à son égard.Même si cet Islam de Shéhérazade n’existe pour le moment que dans lesrêves iconoclastes des trop peu nom-breux lecteurs d’Averroès.

Malek Chebel est né en 1953, dansune Algérie encore française. Il a étéélevé par les instituteurs. « Ma vraie re-ligion, c’est l’école républicaine », nousdit-il. Chebel n’est pas un croyant fer-vent. « Je garde mon libre arbitre », nousconfie-t-il. Il fait partie de ces person-nalités qui ont grandi au croisement del’islam et des lumières. D’autres sontsortis de ce moule hybride, à la jointurede la présence française et des premiè-res indépendances. Nous les avons croisés dans cette chronique : le Séné-

« Pour aimer la France, disait Simone Weil, il faut sentir qu’elle a un passé. » Debray a fait le chemin inverse de noséminences bien pensantes qui ont fini, à force de bons sentiments, par ramener en France des révolutions exotiques. « Et si la condition libanaise était la condition humaine de demain chauffée à blanc ? (…) Et si ce qu’on avait cru derriè-re nous était en réalité devant : le clan, le fief, la famille ? Et si la tribu était la glis-sade du post-moderne ? La glissade de l’État-nation à l’ethnie, de la citoyennetéà la communauté, n’est-ce pas ce à quoi

on assiste en Europe même où se dire ci-toyen commence à faire vieux jeu ?... » Et puis, quelques pages plus loin : « LesFrères musulmans vont bientôt mettrel’intelligentsia occidentale devant la “réalité rugueuse à étreindre” (Hegel), mais, en attendant, notre petit monde s’en donne à cœur joie dans Shéhérazadeet le tapis volant. Il devra bien toucher terre un jour. »

C’est dans les vieux pots qu’on fait lesmeilleures soupes. Debray lit les an-ciens, se délecte des plus sulfureux, re-connaît la prescience prophétique d’un Arnold Toynbee sur la révolte du « pa-nislamisme » ou le génie littéraire des vieilles canailles Morand et Chardonne :« très goûteux et très dégoûtant… le culot, le sans-gêne des deux moralistes joyeusement immoraux… ». Il brocardemême avec des audaces de fieffé hussard

de la Réaction les maîtres à penser de lagauche divine : « Conseil aux apprentis Spartacus : commencez par vous tenir sous la couette. Gardez-vous pour vosvieux jours. Faites-vous d’abord titulari-ser. Voyez comment Sartre, Foucault, Bourdieu, Blanchot et tant d’autres pha-res de l’intelligence sont venus à l’extrêmegauche comme au démon de midi. Pourrattraper le temps perdu, ils ont mis les bouchées doubles. » Il ose brocarder l’exploitation à outrance de l’image de Mandela, « remarquable chef terroriste,devenu sur le tard grand-papa gâteau »,

à la fois par les diri-geants occidentaux(« destin final de cegrand Noir à la re-traite : laver plusblanc les vilains pe-tits Blancs du pre-mier monde »),autant que par la ca-marilla noire aupouvoir en Afrique

du Sud (« maffia de malandrins, avec ses bidonvilles à vau-l’eau et ses mineurs su-rexploités »). Il ne lâche pas ses cibles habituelles, « le journalisme épisco-pal », qui passe son temps à prêcher plusqu’à informer, et l’avilissement du pou-voir sous Sarkozy, « la République enmarcel », offrant et désacralisant son corps de roi dans la souffrance du sportif en maillot.

Bien sûr, Debray ne renie pas tout cequ’il a aimé ; ne brûle pas tous ses vais-seaux. Il a encore des amis dans la li-gne, qui le rattrapent par la manchedans le « camp du bien », vivants com-me Christiane Taubira ou défunts com-me Jorge Semprun. Sa sincérité n’estnullement en cause, mais ses dilectionsmaintenues paraissent désormais sau-grenues, comme des queues de comèted’une planète disparue. L’ancien révo-

lutionnaire est devenu depuis long-temps une des plus hautes et brillantesfigures de réac magnifique. Il en a lesconvictions, la culture, le style, etmême ce brin d’aigreur d’atrabilairequi couronne le tout. Mais il ne l’assu-mera jamais tout à fait. C’est sa coquet-terie, son clin d’œil à sa jeunesse. Songoût ultime pour les compromis, venu au radical-socialisme sur le tard. Il aencore des prudences matoises de jeu-ne ambitieux qui craint la puissance de feu du qu’en dira-t-on médiatique : « Entre le nouveau matriarcat d’Occi-dent et la remontée du pouvoir mâle à l’Orient (pas un ministre femme dans le gouvernement du Hamas), celui ou cellequi rêve de marier l’Occident à l’Orientne peut s’empêcher de rêver à un pointd’équilibre… une transaction sur le fil…Incorrect. Changeons de sujet. »

On a envie de lui murmurer àl’oreille : cher Régis, ce point d’équilibrea existé ; il s’appelait le patriarcat d’Oc-cident. Patriarcat hérité de Rome, mais adouci, féminisé, par le christianisme.Autorité du père, mais sans enferme-ment des femmes, avec monogamie etégalité des héritages. Mais ce patriarcat mesuré a été saccagé et est désormais objet d’opprobre. Mais comme dirait Debray : incorrect. Changeons de sujet.

Un véritable écrivain écrit toujours lemême livre et jamais le même. Un candi-de à sa fenêtre est une nouvelle pierre dans son superbe chemin de Damas. Ré-gis Debray est trop lucide pour ne pas voir que la gauche est morte, et plusprofondément que le monde accouché par les progressistes depuis deux siècles est cul par-dessus tête ; mais il se croit trop vieux pour assumer les nouveaux affrontements à venir, qui lui feraientcoudoyer d’anciens ennemis héréditai-res. Il reste ainsi entre deux eaux, immo-bile sur son gué, spectateur désengagé. ■

galais Souleymane Bachir Diagne, re-marquable philosophe, qui démontretexte à l’appui que le Coran n’est pas unsystème clos, ou Faouzia Charfi, qui en-seigne la physique théorique en Tunisie et a participé au premier gouvernementde la révolution dite « de jasmin ». Elle nous avait annoncé avec courage la ré-sistible ascension des fondamentalistesdans son pays. Malek Chebel, lui, ad’abord étudié en arabe à l’université de Constantine, puis il s’est transporté à Paris. « Je suis un francophone accidentelet un arabophone contrarié », résume-t-il. Il a étudié la psychanalyse avec Jean Laplanche – grand ponte du freudis-me – et multiplié les thèses, jonglant avec les « ismes » et les sciences humai-nes. Non sans parfois verser dans un sa-bir analytique compris de lui seul. Mais,depuis quinze ans, il est avant toutlaïque de combat. En 2004, lors du dé-bat sur le voile, il militait pour cette loi, affirmant « entre le voile et l’école, je préfère l’école ».

« Je n’ai jamais cherché à occuper uneplace à l’intérieur de l’islam : ce qui m’in-téresse, c’est la marche des idées. Je suisavant tout un militant fou de la raison », nous annonce-t-il. Un fou de la raisonen accepte les excès, et cette passionfrançaise pour le blasphème – rage ren-trée à l’égard d’une institution ecclé-siastique dont on ne se souvient plusaujourd’hui combien elle pesait sur tousles aspects de la vie. « Je défends le droit au blasphème en France, je n’en parle pasdans les pays musulmans, ce n’est pas lapeine de créer de désordres inutiles », re-

conscient de l’islam, où il traite en éru-dit de la structure du harem. Songrand-père était bigame. Son père nel’était déjà plus. Mais il se souvientd’avoir été, jeune homme, entouréd’une noria féminine le comblant d’af-fection. Il évoque avec émotion « tou-tes ces poitrines de femmes, leur chair,leur peau, leur tendresse ». Selon lui,cette hypervalorisation du garçon estla cause du machisme pathologique del’homme et de la femme arabes. La so-ciété patriarcale européenne, aujour-d’hui démantelée, était en effet du jus de chaussette face au modèle musul-man, beaucoup plus épicé. Citons cepassage surprenant : « Tout-puissant,le petit enfant arabe ? Tous les indices le laissent entendre, à commencer par lavalorisation excessive de son pénis, tan-tôt embrassé, mordu, titillé, sucé, ca-ressé, ou happé par l’amour incandes-cent des femmes » ! Chebel nousregarde, rieur, et nous confirme quecela faisait partie des mœurs. On com-prend qu’il ne reste après tout ça quel’illusion d’une « toute-puissance mas-culine », une « addiction au paradis del’enfance, et une immaturité affective ».L’histoire ne dit pas si les djihadistesont, d’une façon ou d’une autre, étéimprégnés de ce machisme-là.

Peu orthodoxe, cette psychanalysedu mâle musulman a pour ambition derompre avec le « harem mental » qui ca-denasse, selon l’auteur, « l’inconscient culturel de l’islam ». Chebel veut « fen-dre la mer gelée en nous » et entrepren-dre « la déconstruction de l’être-arabe ».Car un pays qui « n’accepte pas la trans-gression ne peut pas évoluer ». Rien demoins. Un milliard huit cents millions de musulmans à transformer du tout au tout. Les révolutions arabes ont mis en mouvement quelque chose. Il a une chance : à Tunis et au Caire, certainsl’écoutent. ■

L’INCONSCIENTDE L’ISLAMMalek ChebelCNRS Éditions,

120 p., 15,90 euros.

TÊTE À TÊTECharles [email protected]

Régis Debray file un mau-vais coton. Déjà, il y aquelques semaines, ilavouait dans un texte brefmais saignant son incom-patibilité farouche avec le

libéralisme et l’économisme de la gau-che au pouvoir. Il récidive en ce débutd’année nouvelle avec un texte plus am-ple, plus charnu, chroniques jetées dans un savant désordre, qui lui permettent de revenir, au gré de l’actualité, de ses voyages, ou de ses lectures, sur la Francequi s’affaisse et s’efface dans un monde qui le hérisse. Jeune homme, il fut un héros de Stendhal, ou plutôt d’Alejo Carpentier, fringant révolutionnaire rê-vant de renverser l’ordre établi ; ilvieillit en personnage de Flaubert, reve-nu de tout et surtout de ses illusions ro-mantiques, regrettant moins ce qu’il avait fait que ce qu’il n’avait pas fait,rencontrer ses contemporains les plus brillants par exemple, de Pompidou à Malraux, en passant par Romain Gary ouJean Giono, pour des mauvaises raisons, c’est-à-dire pour de trop bonnes, croyait alors le jeune homme dogmati-que et un brin sectaire qu’il était : « Quand je fais la liste, et elle est longue,des personnes que je ne me pardonne pas de n’avoir pas voulu côtoyer, interroger, fréquenter – idéologie oblige -, je m’en-tends dire, in petto, que j’aurai été, le plus clair de ma vie, un sacré con. »

Le jeune con a grandi, mûri, compris.L’échec des révolutions exotiques l’a ra-mené à la France. Une France qu’il aime à l’ancienne, comme on ne sait plus :

CHRONIQUEÉric [email protected]

Chebel veut « fendre la mer gelée en nous »et entreprendre« la déconstruction de l’être-arabe ».Car un paysqui « n’accepte pasla transgressionne peut pas évoluer »

Debray lit les anciens, se délectedes plus sulfureux, reconnaîtla prescience prophétiqued’un Arnold Toynbee sur la révolte du « panislamisme » ou le génie littéraire des vieilles canailles Morand et Chardonne

UN CANDIDEÀ SA FENÊTRE. Régis Debray.Gallimard, 391 p., 21 €.

connaît-il. Un propos roué, qui montreune partie de son embarras. « La libertéd’expression est absolue, mais cela n’ex-clut pas le talent qui trouve le moyen de provoquer sans heurter », nuance Che-bel. Est-ce à dire que le talent supposeune dose d’autocensure ? Chebel s’entire par une habile pirouette : « On s’autocensure tout le temps ! Regardez la psychanalyse, elle nous montre qu’il n’y apas de civilisation sans censure, sans re-foulement de nos désirs. » C’est vrai,mais en France le blasphème est consubstantiel à la liberté d’expression. Ainsi, pour illustrer la définition dumot, Le Petit Robert, vénérable institu-tion de la langue française, cite cettephrase de Renan : « Le blasphème des grands esprits est plus agréable à Dieu que la prière intéressée de l’homme vul-gaire. » Chebel, lui aussi irrévéren-cieux, s’en accommode : n’a-t-il pas étél’un des premiers à soutenir le philo-sophe Robert Redeker qui a fait l’objetd’une quasi-fatwa pour une tribune pu-bliée en 2006 dans Le Figaro ?

Reste que la solitude du musulmanvoltairien est grande. Pour qu’un islamde France émerge, il faudrait que ceuxqui le représentent osent pointer dudoigt les intégristes de leur camp. « Lesimams sont ainsi car ils n’ont pasconfiance en eux. Et cette confiance leur manque car ils n’ont pas de légitimité.C’est pour cette raison que je me batspour faire émerger une autorité démo-cratiquement élue, comme le consistoire juif. C’est l’élection qui donne le cha-risme », avance Chebel. Une idée à la-quelle s’était attelé Nicolas Sarkozy, en2003. Pour finalement échouer. « J’ai suivi de près la grande épopée des minis-tres de l’Intérieur, depuis Joxe jusqu’àSarkozy, se souvient-il, elle s’est fracas-sée sur la communauté musulmane ! »

Il y a quelques années, il a publié unetraduction du Coran, « un travail de dixans ». Depuis, ses propos sont mieuxacceptés dans les milieux religieux.L’Arabie saoudite l’a même très offi-ciellement invité à un pèlerinage à La Mecque. « Je suis traduit en quinze langues, j’ai de l’influence partout, ycompris dans les pays arabes », fanfa-ronne-t-il gentiment, en ajoutant que « les jeunes filles viennent me baiser lamain pour me remercier de ce que je dis sur la femme musulmane ».

C’est en effet la spécialité de Chebel.Il l’aborde dans un livre intitulé L’In-F

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4 | france JEUDI 15 JANVIER 2015

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Pourquoi un Patriot Act à la française est impossibleUne bonne partie de la sécurité de la France ne dépend plus de Paris mais de Bruxelles

Quelques heures, àpeine, après la tuerieperpétrée, mercredi7 janvier, dans les lo-caux de Charlie Hebdo,

le mot « Patriot act » apparaissait déjà dans les échanges informels entre certains conseillers prési-dentiels et ministériels sur les conséquences politiques d’unetelle violence pour le pays. Cette loi, votée aux Etats-Unis, dans la foulée des attentats du 11 septem-bre 2001, donnait, notamment, tout pouvoir au monde du rensei-gnement face au judiciaire. Ledeuxième pilier du « Patriot act » consistait à réviser en profondeur le contrôle des frontières de ma-nière à empêcher la menace de rentrer sur le sol américain.

Quatre jours après le dénoue-ment d’une crise qui a fait vingt morts (dont les trois terroristes), Manuel Valls a livré, mardi 13 jan-vier, devant les députés, une pre-mière réponse visant à mieux pro-téger le pays du terrorisme. Son in-tervention a montré que la France n’était pas en mesure de dupliquerune forme de « Patriot act » à l’américaine car une bonne partie de sa sécurité ne dépend plus de Paris mais de Bruxelles et de ses partenaires occidentaux.

M. Valls a ainsi prié, avec insis-tance, les parlementaires euro-péens d’adopter le système sur les échanges de données des passa-gers européens dit « PNR » (Pas-senger name record). « J’appelle so-lennellement le Parlement euro-péen à prendre enfin toute la me-sure de ces enjeux, et à voter, comme nous le lui demandons de-puis deux ans, avec l’ensemble des gouvernements, ce dispositif qui estindispensable », a-t-il lancé avant d’en souligner l’urgence, « nous ne pouvons plus perdre de temps ».

« Droits fondamentaux »

Fin novembre, le Parlement euro-péen a gelé l’accord conclu avec le Canada dans l’attente d’un avis dela justice européenne, montrant ainsi sa défiance envers cet ins-trument réclamé pour lutter con-tre les djihadistes. Il a été accepté, sous conditions, en 2012, avec les Etats-Unis. Les données « PNR »comportent des informations sur les passagers aériens, noms, dateset itinéraire du voyage, adresses,numéros de téléphone, moyensde paiement, numéro de carte decrédit et de siège ainsi que des élé-ments sur les bagages.

La commission des libertés civi-les, de la justice et des affaires in-

térieures du Parlement européen a expliqué, le 21 février 2014, les raisons de cette méfiance dansson rapport d’enquête sur « l’inci-dence des programmes de sur-veillance de la NSA et des Etats membres sur les droits fondamen-taux des citoyens européens ». Se-lon elle, « les mesures de sécurité, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, doivent s’inscrire dans l’Etat de droit et res-pecter les obligations en matière de droits de l’homme, y compris celles qui ont trait à la vie privée et à la protection des données ».

Les traités relatifs aux transfertsde données personnelles ou fi-nancières européennes vers les Etats-Unis sont jugés « dépassés » par la commission. « Le cadre juri-dique des Etats-Unis en matière de protection des données, dit-elle, negarantit pas à un niveau adéquat

les citoyens de l’Union euro-péenne ». Pour cette commission, souvent en pointe sur le terrain des libertés, les quinze dernières années d’antiterrorisme ont vusurgir des « programmes de sur-veillance [qui] constituent unenouvelle étape vers la mise enplace d’un Etat ultra-préventif s’éloignant du modèle du droit pé-nal en vigueur dans les sociétés dé-mocratiques ». Pour les rappor-teurs de l’enquête, « un mélange d’activités de répression et de ren-seignement avec des garanties ju-ridiques floues et affaiblies allantbien souvent à l’encontre des freinset contrepoids démocratiques sesubstitue à la loi ».

De dépit, M. Valls a annoncé quela France lancerait son propre sys-tème « PNR » en septembre avant d’appeler aussi l’Europe « à une plus forte contribution aux opéra-

tions militaires menées par la France contre le djihadisme au Sa-hel ». Interrogé par Le Monde,Gilles de Kerchove, coordinateur européen de la lutte contre le ter-rorisme, a soutenu la demande deM. Valls sur le « PNR » mais rap-pelé que « l’Europe fait déjà beau-coup pour le Sahel avec des centai-

nes de millions d’euros pour le dé-veloppement » qui ont un impactsur la sécurité des pays en les sta-bilisant. Bruxelles dépense aussi, dit-il, « des dizaines de millions d’euros pour soutenir les polices et les armées régionales ».

Enfin, si le Premier ministre nel’a pas évoqué directement, le con-trôle des entrées et sorties dans l’espace Schengen, au sein duquel 26 Etats européens ont déclaré la totale liberté de circulation, sous-tend le débat. Paris reproche aux frontières extérieures d’être po-reuses. « Schengen est une affaire européenne, ce n’est pas un pro-blème, c’est la solution, répond M. de Kerchove. C’est le cadre dans le-quel on doit bâtir cette sécurité européenne en harmonisant tout d’abord les indicateurs de risque. »

Pour être complète, la liste deM. Valls des moyens nécessaires à

une lutte plus efficace contre le ter-rorisme aurait dû mentionner la question centrale du renseigne-ment. Le silence du premier minis-tre illustre la situation de porte-à-faux dans lequel se trouvent les Etats-membres. Si le président du conseil italien Matteo Renzi a sou-haité, vendredi 9 janvier, la « créa-tion d’une agence européenne du renseignement », ses partenaires ne veulent pas en entendre parler. Ils ont fait inscrire, en 2007, dans leTraité de Lisbonne, que cette ma-tière relevait de la stricte souverai-neté nationale.

« Renforcer l’existant »

Interrogé par Le Monde, Jean-PaulLaborde, directeur du Comité con-tre le terrorisme au Conseil de sé-curité des Nations unies, constate également que « les Etats ont cha-cun leurs méthodes et privilégient la coopération bilatérale » en ma-tière de renseignement. Ce quicompte, ajoute-t-il, « c’est qu’ils mettent cette menace au premierrang de leur travail national derenseignement. Ne serait-il doncpas plus judicieux, si cela est néces-saire, de renforcer les structures existantes plutôt que d’en créer denouvelles et d’ajuster leurs métho-des de travail aux menaces actuel-les. (…) Personne n’a le monopole de la lutte contre le terrorisme, mais tout le monde doit faire face à ses responsabilités ». p

jacques follorou

et franck johannès

« L’islam doit s’imprégner de la réalité de la société »Le socialiste Julien Dray regrette qu’une partie de la population des quartiers ne soit pas descendue dans la rue dimanche

ENTRETIEN

J ulien Dray, vice-président PSdu conseil régional d’Ile-de-France et proche de FrançoisHollande, appelle la gauche à

mener une « bataille idéologi-que » pour promouvoir les va-leurs républicaines.

Vous avez fondé SOS-Racisme et organisé beaucoup de mani-festations. Qu’est ce qui était différent dimanche ?

Ce qui est fort, c’est que ceux quidoutaient de la France républi-caine capable de se mobiliser, ceuxqui, commercialement ou intellec-tuellement, menaient le débat po-litique sur le déclin, ont eu une ré-ponse qui dépassait les espéran-ces. Le monde a été surpris de la fa-çon dont la France s’est ressaisie.

Avez-vous trouvé le cortège re-présentatif de la société ?

C’est difficile d’avoir une vision

globale. D’abord une remarque : on a tellement décrié les jeunes, soi-disant peu intéressés par la chose publique. Et là d’un coup, ona retrouvé la jeunesse que j’aime, mobilisée, concernée, fraternelle. L’avenir du pays se joue là. En re-vanche, on n’a pas vu dans la ma-nifestation l’ampleur de la diver-sité de la société.

J’ai le sentiment qu’il y a des gensqui, au dernier moment, n’ont pas franchi le pas en allant jusqu’au bout de leur dénonciation et en descendant dans la rue. Ceux qui dans les dernières heures ont fait campagne sur le thème « Nous ne sommes pas Charlie » ont pesé surcette hésitation. Il faut qu’on com-batte pied à pied les arguments quiont creusé cette hésitation.

Quels sont-ils selon vous ?Il y a deux personnes qui ont dit

ça en premier : Jean-Marie Le Pen et Tariq Ramadan. Le premier n’avait de toute façon pas sa place

dans cette manifestation. Le se-cond a donné le sentiment à uncertain nombre de familles, dansles cités notamment, qu’elles ne devaient pas se mélanger, qu’ellesne devaient pas être là. On a vu cette argumentation sur Internetpuis dans certaines classes : « Ils nous ont provoqués » ; « Ils ont ca-ricaturé notre Prophète » ; ou,plus grave encore : « Puisqu’ils font les caricatures, on a le droit defaire nos quenelles. » Là, il y a une bataille idéologique qui doit se mener. Sans ultimatum mais sans complaisance.

La gauche a-t-elle les armes pour mener ce débat ?

Nous avons un joyau qui s’ap-pelle la laïcité. La laïcité, c’est la sé-paration de la sphère publique et de la sphère privée, et la volonté que la religion reste dans la se-conde. Mais la République discute avec les cultes et ne peut pas les ignorer. Quand une religion

comme l’islam apparaît comme une composante majeure de la Ré-publique, elle doit s’imprégner de la réalité de la société française. Il ya un dialogue respectueux mais nécessaire pour moderniser etfaire évoluer cette religion. Si l’is-lam reste dans une théologie du prosélytisme dans un monde qui ne peut pas le supporter, il y aura conflit. Ce n’est pas faire injure à l’islam ou la désigner à la vindicte populaire que de lui demander de mener ces débats nécessaires.

On a aussi beaucoup entendu « la crainte de l’amalgame »…

Il y a besoin de lever l’ambiguïtéqui se crée autour de cette for-mule. Evidemment, il ne faut pasd’amalgame, ni d’injonction àl’égard des uns plus que des autres. Nous sommes tous les égaux les uns des autres. Mais il ne faut pas non plus que la notiond’amalgame soit un prétexte pour rester à part et ne pas se mé-

langer. Attention à l’argumen-taire spontanément victimaire.

Le dialogue n’a pas été suffisant avec cette partie de la société ?

On pourra avoir tous les systè-mes de répression mais si on veut éradiquer cette violence djiha-diste, on a besoin d’une société to-talement mobilisée. Une part im-portante de la bataille se joue dansun certain nombre de cités. Il faut éviter les mots qui blessent et qui empêchent la discussion, servant d’alibis pour ne pas répondre aux questions posées. Mais il faut dire la vérité. Il y a par exemple un anti-sémitisme nouveau qui existe. Et ceux qui ont expliqué qu’ils ne ve-naient pas dimanche à cause de la présence de Benyamin Nétanya-hou en tête de la manifestation, ont oublié qu’il y avait au même moment Mahmoud Abbas. Ilsétaient plus palestiniens que les Palestiniens eux-mêmes. En cesens, quelle belle leçon ont donné

nos amis kurdes en descendant dans la rue, malgré la présence du premier ministre turc.

Quelles réponses la gauche peut-elle apporter dans les quartiers ?

On est confronté à une crise so-ciale qui a généré une ghettoïsa-tion et des discriminations qui sont autant de blessures qui ne se cicatriseront pas d’un coup de ba-guette magique. Il faut bien cibler les personnages-clés. Il y a les mè-res, qui restent des personnages centraux et à qui nous n’avons pasassez parlé ces dernières années, il y a les professeurs et les tra-vailleurs associatifs. On a aban-donné le tissu associatif en lui ap-pliquant une logique comptable. Travailleurs sociaux et ensei-gnants, sont les héros de notre temps. Ils n’ont pas besoin de mots. Ils ont besoin de moyens. p

propos recueillis par

nicolas chapuis

LES CHIFFRES

30voix contre le « PNR »

En avril 2013, au sein de la com-mission des libertés civiles du Parlement européen, la proposi-tion de création d’un fichier commun des données des pas-sagers aériens (PNR, pour « pas-senger name record »), présen-tée en 2011 par la Commission européenne, a reçu 30 voix con-tre et 25 pour.

500 000inscrits sur la « no fly list »

Un demi-million de personnes du monde entier sont inscrites par les autorités américaines sur la liste d’interdiction de séjour sur le sol américain, appelée la « no fly list ».

« Schengen

est une affaire

européenne,

ce n’est pas un

problème, c’est

la solution »

GILLES DE KERCHOVE

coordinateur européende la lutte antiterroriste

Ç L'�cole ne peut pas r�soudre tous les probl�mes de la soci�t� È

Se sentant mis en cause, ayant le sentiment que leurs �l�ves ont �t� point�s du doigt, desprofesseurs racontent d�bats et contestations

vendredi 16 janvier 2015

Page 2

1876 mots

FRANCE

Tous les enseignants se souviennent

de ce qu'ils faisaient, jeudi 8 janvier

� midi, vingt-quatre heures apr�s

l'attentat contre Charlie Hebdo. Dans

sa classe de coll�ge � Montreuil

(Seine-Saint-Denis), Benjamin Marol

a �crit quelques mots au tableau :

Ç Les offenses commises vis-�-vis des

dieux sont l'affaire des dieux. È Une

phrase de Tacite, historien romain du

premier si�cle de notre �re. " Pour

moi, �a correspondait bien au dessin de

Tignous : celui o� Dieu dit � un djiha-

diste : ÒAllah est assez grand pour d�-

fendre Mahomet tout seulÓ ", explique

l'enseignant.Le dessinateur Tignous,

l'une des douze victimes de l'attaque

du 7 janvier, �tait connu de tous �

Montreuil, poursuit, �mu, M. Marol.

Ç Pour mes coll�giens, c'est un proche

qui est tomb�. È

A Saint-Denis, l'�motion a �t� tout

aussi forte ; les d�bats, parfois, vifs.

" J'�tais �puis� nerveusement, se rap-

pelle Iannis Roder, professeur

d'histoire-g�ographie en coll�ge. Jeu-

di au petit matin, le principal nous

avait tenu un discours de combat en

salle des profs. On allait avoir des pro-

bl�mes, mais il faudrait accepter le d�-

bat. Des gamins de 11-12 ans, qui me-

na�aient de ne pas faire la minute de

silence, ont �t� convoqu�s dans le bu-

reau du principal. " Iannis Roder

compte parmi les enseignants qui

confient avoir entendu le pire : "

Charlie Hebdo l'a bien cherch� " ; les

caricaturistes Ç n'�taient pas tout

blancs È ; Ç Dieudonn�, lui, on le cen-

sure, mais pas les dessinateursÉ È.

Des propos entendus en ZEP, sou-

vent, mais pas uniquement. Dans un

lyc�e parisien, on a vu des �l�ves por-

ter un badge Ç Je suis Sa�d È.

Tous les souvenirs ne sont pas aussi

durs. Certains bouleversent encore

les enseignants qui les relatent.

Quelques minutes avant midi, Isa-

belle Lagadec, la proviseure du lyc�e

professionnel Jean-Moulin de Port-

de-Bouc (Bouches-du-Rh�ne), a ou-

vert les grilles de l'�tablissement. "

Je voulais que cette minute de silence

soit sinc�re, �clair�e et solennelle,

explique-t-elle. Les �l�ves qui

n'�taient pas dans cette d�marche, on

devait l'entendre, ils pouvaient partir.

Ils n'ont �t� qu'une dizaine � le faire. "

Beaucoup moins que ce que redoutait

l'�quipe.

L'institution en accusation

Six jours sont pass�s depuis que ce

moment national de recueillement a

�t� entach� de r�ticence, voire dans

certains cas de franche opposition.

Combien ? O� ? Le d�compte officiel

est en cours. De 70 incidents annon-

c�s le 12 janvier, le minist�re de

l'�ducation nationale �tait pass�,

mercredi 14, au chiffre de 200. Ce

m�me jour, la ministre de l'�ducation

nationale, Najat Vallaud-Belkacem, a

d�clar� � l'Assembl�e qu'" une qua-

rantaine - d'incidents - ont �t� trans-

mis aux services de police, de gendar-

merie, de justice, parce que pour cer-

tains, il s'agissait m�me d'apologie du

terrorisme ".

Quoi qu'il en soit, la contestation ne

concerne qu'une minorit�. Mais que

dit-elle, cette minorit�, de l'�cole ? A

peine quelques heures apr�s

l'attentat contre Charlie Hebdo,

l'institution �tait mise en accusation.

Ç Comment avons-nous pu laisser nos

�l�ves devenir des assassins ? È,

s'interrogeaient quatre professeurs

d'Aubervilliers dans Le Monde dat�

du 14 janvier.

Une telle question blesse beaucoup

d'enseignants, prompts � d�noncer,

sur les forums de discussion, une

stigmatisation de leurs �l�ves et des

territoires o� ils sont engag�s.

Prompts, aussi, � rappeler que

Ç l'imm�diate compassion Èn'est pas

un exercice ais�.Sans compter que

Ç les �l�ves ne sont face � leurs profs

que 10 % du temps, les 90 % restants

sont consacr�s � la famille, les amis, le

quartier, les r�seaux sociaux È, relati-

vise Benjamin Marol.

Ç L'�cole ne peut r�soudre tous les pro-

bl�mes de la soci�t� È : le constat fait

l'unanimit� des personnels interro-

g�s. Une petite musique reprise �

l'unisson par les syndicats

d'enseignants, convoqu�s en urgence

le 12 janvier par la ministre, pour

une tr�s m�diatique Ç grande mobili-

sation de l'�cole pour les valeurs de la

R�publique È. Et pourtant, des voix se

font entendre pour d�noncer Ç une

instrumentalisation de l'�cole dans un

d�bat qui n'est pas le sien È, comme

l'�crit Bernard Girard, professeur

d'histoire en coll�ge, sur son blog le 8

janvier.

Mobilis�s, tous ne l'ont pas �t�.

Ç Moi, ce sont les sciences physiques

1

que j'enseigne, pas les sujets de soci�-

t� È, confie sous couvert d'anonymat

un enseignant de N�mes. Dans son

lyc�e de centre-ville, Ç plusieurs di-

zaines d'�l�ves ont quitt� les lieux jeudi

pour ne pas avoir � faire la minute de

silence È. Il n'a pas ouvert le d�bat

pour autant.

Ç Comme si de rien n'�tait È

D'autres ont visiblement recul� de-

vant la difficult�. " Ce jeudi matin-l�,

de nombreux coll�gues sont venus voir

la principale pour lui dire qu'ils

n'avaient pas les mots, qu'ils avaient

peur que �a se passe mal en classe ou

que ce soit mal interpr�t�, raconte

Ç Monsieur Le Prof È, qui t�moigne

quotidiennement Ð et anonymement

Ð sur Twitter de sa vie de jeune en-

seignant dans un coll�ge de l'Ouest

parisien. L'�tablissement n'a donc rien

organis�. Chacun des profs faisait

comme il voulait. Beaucoup ont fait

comme si de rien n'�tait. C'�tait assez

d�primant. "

Ce renoncement, m�me s'il n'�tait le

fait que de quelques-uns, Barbara Le-

febvre ne s'y r�sout pas. Ç Quand un

�l�ve vous dit que la loi sacr�e est sup�-

rieure � la loi de la R�publique, le r�le

d'un fonctionnaire, de n'importe quel

enseignant, est de lui r�pondre È,

s'indigne cette enseignante

d'histoire-g�ographie dans un col-

l�ge des Hauts-de-Seine, coauteure

(avec Iannis Roder, notamment) des

Territoires perdus de la R�pu-

blique(Mille et une nuits, 2002). A sa

sortie, l'ouvrage collectif, qui d�non-

�ait la mont�e de l'antis�mitisme, du

sexisme et de l'homophobie � l'�cole,

a fait pol�mique, dans les rangs de la

gauche notamment. Douze ans apr�s,

Barbara Lefebvre ne constate Ç au-

cune am�lioration sur le terrain È.

Jean-Pierre Obin, inspecteur g�n�ral

honoraire de l'�ducation nationale,

d�plore, lui, Ç une aggravation, car, au

niveau international, �a c'est aggra-

v� È.Ç Il y a dix ans, on m'a racont� que

des �l�ves �taient arriv�s au coll�ge en

chantant les louanges de Ben Laden.

Aujourd'hui, ce sont leurs petits fr�res

qui partent faire le djihad. È En 2004,

M. Obin a r�dig� un rapport Ð lui

aussi critiqu� Ð sur les signes

d'appartenance religieuse dans

l'�cole. Rest� plusieurs mois dans les

tiroirs du ministre, il mettait en �vi-

dence la mont�e des communauta-

rismes.

Le d�fi du vivre-ensemble

Comment relever le d�fi du vivre-en-

semble en l'absence de mixit� sociale

et scolaire ? Dans le coll�ge des quar-

tiers nord de Marseille o� Seta Kilnd-

jian enseigne depuis quinze ans, 95

% des �l�ves sont musulmans. Plus

de la moiti� sont des Comoriens. "

C'est tr�s difficile de les d�tacher du

seul rapport avec le quartier, explique

la jeune femme. Ils y fr�quentent les

associations, les �coles coraniques, les

mosqu�esÉ Je ne porte aucun juge-

ment, mais la difficult�, pour nous en-

seignants, c'est que nous ne savons pas

comment nous y associer. Avec les fa-

milles, la communication est souvent

g�n�e par le barrage de la langue.

Quand on pose une question aux

�l�ves, ils r�pondent ÒOui, MadameÓ,

mais on a parfois l'impression que cela

glisse sur eux, qu'on n'a pas de prise

sur ce qu'ils pensent. "

Lundi 12 janvier, Seta Kilndjian en a

fait l'am�re exp�rience. Apr�s un jeu-

di tr�s difficile Ð Ç la minute de si-

lence avait �t� contest�e dans toutes

les classes du coll�ge È, dit-elle Ð,

l'enseignante avait eu le sentiment,

vendredi, de parvenir � faire passer

� sa classe le sens d'une caricature.

Ç Mais lundi, ces m�mes �l�ves sont ar-

riv�s les poings serr�s. Avant m�me de

me dire bonjour, ils m'ont signifi� qu'ils

n'�taient pas d'accord, que les images

des attentats �taient un mon-

tageÉ ÈUne r�union de toute l'�quipe

a �t� convoqu�e en urgence pour

passer Ç du constat � l'action È, pour-

suit Mme Kilndjian : Ç Faire le lien

avec les familles, sortir les jeunes du

quartier, c'est vital autant pour eux que

pour nous ! È

Th�orie du complot

Ç Mes �l�ves sont en vase clos, mais la

mixit�, ce n'est pas nous qui pouvons

la d�cr�ter È, soupire Benjamin Marol.

Pour l'enseignant de Montreuil, ce

n'est peut-�tre pas le plus grave : Ç Le

probl�me central, le nÏud, c'est la

faillite du langage. Ils n'arrivent pas �

d�coder, � ma�triser les concepts, faire

la diff�rence entre blasph�me et ra-

cisme, entre offense et pr�judice ou

entre opinion et d�litÉ È M�me

constat chez Iannis Roder, � Saint-

Denis : Ç Nous avons dans notre col-

l�ge un contingent d'�l�ves qui se d�-

battent avec 500 mots. Sur eux, tout

glisse. Ils sont incapables d'abstraction

et ils se construisent un monde simple

et manich�en qui n'est pas celui dans

lequel ils vivent. È

Mais comme ils sont aussi Ç hyper-

connect�s È, ils se nourrissent de ce

que Benjamin Marol appelleÇ une

sous-litt�rature È laissant libre cours

aux th�ories les plus fumeuses. Celle

du complot fait des ravages. Ç Lutter

contre le complotisme est l'un des d�fis

� relever È, estime M. Marol.

Il y en a bien d'autres, � commencer

par la formation des professeurs,

auxquels on demande d'enseigner la

la�cit� et le fait religieux mais aussi

d'�tre incollables sur le droit,

l'utilisation d'Internet, les m�diasÉ

Tous le reconnaissent : c'est une r�-

ponse pr�cise, argument�e, docu-

ment�e, tenant l'�motion � distance,

qui fait avancer le d�bat et permet

aux jeunes de s'�lever.

Apr�s une nuit blanche suite �

l'attaque de Charlie Hebdo, pass�e �

relire l'histoire de la R�publique,

Zimba Benguigui, enseignante d'arts

appliqu�s dans le 20e arrondisse-

ment de Paris, est arriv�e dans son

�tablissement avec une conviction :

la n�cessit� de se donner du temps

Ç pour �couter les �l�ves È. Ç Et c'est

eux qui ont pris l'initiative de se re-

2

cueillir. È Dans cet �tablissement

charg� de prendre en charge des ado-

lescents en grande difficult� scolaire

et sociale, parfois handicap�s, le

temps est, depuis, comme suspendu.

" Impossible de faire cours depuis mer-

credi, raconte Mme Benguigui. Les

jeunes ont besoin de parler, ils oublient

la r�cr�É La prise de conscience a

jailli. On fr�le parfois le concours

d'�loquence. Je suis �blouie. "

Mattea Battaglia et Beno�t Floc'h �

Tous droits r�serv�s Le Monde 2015

3F6667398CD07B02B07A0021FF00D1B37A05858645A109F7C59E8DB

Parution : Quotidienne

Diffusion : 274 887 ex. (Diff. pay�e Fr.) - © OJD DSH 2013/

2014

Audience : 2 023 000 lect. - © AudiPresse One 2013/20143

PHILIPPE WATRELOT (PR�SIDENT DES CAHIERS P�DAGOGIQUES, ENSEIGNANT DANS UN LYC�E DE SAVIGNY-SUR-ORGE(ESSONNE) )

Philippe Watrelot : Ç L'�cole n'a pas su prendre la mesure de ce que sont les�l�ves d'aujourd'hui È

N¡ 21857vendredi 16 janvier 2015

Page 3851 mots

FRANCEÑLE D�BAT SUR LA LAìCIT� EN FRANCE

Question : Parleriez-vous d'un �chec

de l'�cole, apr�s les difficult�s sur-

venues dans les �tablissements suite

aux attentats ?

C'est une d�faite �ducative, quand on

pense au refus de certains �l�ves de

faire la minute de silence. L'�cole

n'est pas seule responsable, mais la

responsabilit� existe. Elle n'a pas �t�

suffisamment � la hauteur des en-

jeux, ni permis � certains �l�ves de se

sentir int�gr�s.

Question : L'�cole produit elle-m�me

des discriminationsÉ

L'�chec de l'�cole fran�aise est bien

celui-l�. Les in�galit�s existent dans

la soci�t�, mais sont renforc�es �

l'�cole, qui en produit d'autres. On

a le triste record d'�tre le pays o�

l'origine sociale joue le plus dans

l'acc�s aux dipl�mes. Certains �l�ves

se sentent exclus. Pour eux, l'�cole

ne fait pas sens.

Question : Que faire contre cela ?

L'�cole doit d'abord arr�ter de pro-

duire de l'�chec ! Et l'instruction fait

partie de nos missions. Les th�ories

du complot sont tr�s en vogue chez

certains de nos �l�ves, elles rendent

encore plus n�cessaire la formation

� l'esprit critique, le travail sur la

presse, l'enseignement moral et ci-

viqueÉ Tous ces �l�ments doivent

reposer sur une p�dagogie active qui

fasse que l'�l�ve se sente reconnu, et

qu'il ne re�oive pas une parole des-

cendante. Il ne suffit pas d'�noncer

les valeurs, il faut les faire vivre. C'est

le plus important. La p�dagogie, ce

sont des valeurs mises en action.

Question : Sur le papier, la France est

exemplaire pour l'enseignement ci-

vique, mais c'est une Ç fa�ade È, dit le

Cnesco (1)É

Oui, car l'�ducation civique a �t� d�-

voy�e, pour rattraper des heures

d'histoire-g�ographie ou d'autres

disciplines. Or il faut des cours

d'�ducation civique et sociale fond�s

sur le d�bat et la confrontation des

id�es. Plus on am�nera les �l�ves �

faire des d�marches actives, plus on

leur permettra de se sentir entendus,

reconnus, et mieux on �vitera les

ph�nom�nes de rejet et de stigmati-

sation v�cus par certains. L'�cole doit

retrouver sa fonction et la promesse

d�mocratique, car elle est l� pour in-

t�grer et faire r�ussir tous les �l�ves.

Si on n'a plus confiance dans l'�cole,

alors �videmment il ne faut pas

s'�tonner qu'on ne respecte pas ce

que l'�cole propose, y compris les mi-

nutes de silence.

Question : L'�cole est-elle cr�dible

pour transmettre les valeurs de la R�-

publique, alors qu'elle-m�me n'est

pas exemplaire ?

Il faut construire l'�cole d'apr�s.

L'�cole doit �tre am�lior�e. En

r�unissant tous les mouvements

compl�mentaires de l'�cole, la mi-

nistre, Najat Vallaud-Belkacem,

montre qu'elle a compris qu'il fallait

faire �voluer l'�cole.

Question : Apr�s les attentats de

1995, on avait dit aussi qu'il fallait

que l'�cole changeÉ Qu'est-ce que

l'�cole a rat� ?

L'�cole a toujours �t� � la recherche

d'un �l�ve id�al qui n'existe plus ou

n'a jamais exist�. Elle n'a pas su

prendre la mesure de ce que sont les

�l�ves d'aujourd'hui. Et la formation

des enseignants manque singuli�re-

ment de connaissances sociolo-

giques. Quand j'entends des ensei-

gnants s'�tonner que des �l�ves ne

connaissaient pas Ç Charlie Hebdo È,

c'est pour moi un choc culturel. Cela

veut dire qu'ils n'ont pas int�gr� que

les �l�ves n'�taient pas comme eux,

qu'ils n'ont pas les m�mes r�f�-

rences. L'�cole a continu� avec un

mod�le d'enseignants qui n'a gu�re

�volu�. Je vois aussi le d�sarroi

d'enseignants rencontr� au moment

de la minute de silence comme le

signe d'un enseignant centr� sur

l'approche individuelle du m�tier et

sur sa discipline. On n'a pas su r�fl�-

chir collectivement sur la p�dagogie,

sur ce que cela veut dire de g�rer une

classe et des conflits. Et la formation

actuelle dans les �coles sup�rieures

du professorat et de l'�ducation

(Espe) n'est pas � la hauteur.

1

Question : Les annonces minist�-

rielles vont-elles dans le bon sens ?

Je l'esp�re. Mais elles sont un peu

cosm�tiquesÉ J'ai surtout entendu

des grandes d�clarations de principe.

Il faut aller plus loin, Il faut une vraie

refondation de l'�cole. �

par Marie-Christine Corbier

(1) Conseil national d'�valuation

du syst�me scolaire (Cnesco)

Philippe Watrelot

Pr�sident des Cahiers p�dago-

giques, enseignant dans un lyc�e

de Savigny-sur-Orge (Essonne)

Tous droits r�serv�s Les Echos 2015

596A67908A405A0020D70E718D08917F72B53A87A5820C0FB6B3436

Parution : Quotidienne

Diffusion : 124 422 ex. (Diff. pay�e Fr.) - © OJD DSH 2013/2014

Audience : 558 000 lect. - © AudiPresse One 2013/20142

samedi 17 - dimanche 18 janvier 2015 LE FIGARO

16 CHAMPS LIBRESDÉBATS

PROPOS RECUEILLIS PAR

MARIE-LAETITIA BONAVITA @mlbo

LE FIGARO. - L’attentat contre Charlie Hebdo prétend prendre appui sur des motifs religieux. Y a-t-il une violence inhérente à la religion en général ?Rémi BRAGUE. - Le mot de « religion »est déjà trompeur en soi. Notre idée d’une religion est calquée, même chez le bouffeur de curés le plus recuit, sur celle que nous nous faisons du christia-nisme. Nous allons donc dire : dans l’is-lam, il y a du religieux (les prières, le jeûne, le pèlerinage, etc.) et du non-re-ligieux, la charia, dont les règles vesti-mentaires, alimentaires, etc. Et nous avons le culot de dire aux musulmans : renoncez à la charia et nous acceptons votre religion ! Mais ils ne voient pas les choses comme nous ; pour eux, la cha-ria sous ses différentes formes, et avec toutes ses règles, fait partie intégrante de la religion. La mystique, elle, est cer-tes permise, mais facultative. Tout le système de l’islam, si l’on peut dire, re-pose sur la révélation faite à Mahomet.Attaquer le Prophète, c’est mettre endanger tout l’édifice. Allah est de toute

façon bien au-dessus de tous les blas-phèmes, c’est pourquoi le nier est pres-que moins grave…La violence, inhérente à une religion ? Il faut distinguer les adhérents à une reli-gion qui ont pu se laisser aller à des vio-lences. Ils ont même pu les justifier au nom de leur religion. Ainsi Charlemagne convertissant de force les Saxons ou, bien sûr, ceux dont on parle toujours, les croisés et les inquisiteurs. Mais aussi les généraux japonais de la Seconde Guerre, bouddhistes zen. Ou Tamerlan, qui s’appuya au début sur les soufis de la confrérie des naqchbandis, dont les massacres, au XIVe siècle, surpassèrent ceux de Gengis Khan. Et rappelons que le plus grand pogrom antichrétien denotre siècle, en 2008, à Kandhamal (Odisha), a été le fait d’hindouistes, qui ne sont pas tendres envers les musul-mans non plus.Ceci dit, reste à se demander si l’on peut attribuer des actes de violence au fonda-teur d’une religion, à celui qui en reste le modèle et à son enseignement. Pour Jé-sus et Bouddha, on a du mal. Or, mal-heureusement, nous avons les recueils de déclarations attribuées à Mahomet (le hadith) et ses biographies anciennes, et avant tout celle d’Ibn Ishaq-Ibn Hicham (vers 830). Il faut la lire et se méfier des adaptations romancées et édulcorées.Or, ce qu’on y raconte comme hauts faits du Prophète et de ses compagnons ressemble beaucoup à ce que l’on a vu chez nous et à ce qui se passe à une bienplus grande échelle au Nigeria, sur le territoire de l’État islamique, ou ailleurs. Mahomet a en effet fait décapiter quel-ques centaines de prisonniers, torturerle trésorier d’une tribu juive vaincue pour lui faire avouer où est caché le ma-got (on pense au sort d’Ilan Halimi) et, ce qui ressemble fort à notre affaire, commandité les assassinats de trois chansonniers qui s’étaient moqués de lui. Il ne sert de rien de répéter « con-textualiser ! contextualiser ! » Un crimereste un crime.

Comment a évolué la notion de blasphème en France ?La dernière condamnation pour sacrilè-ge, chez nous, a été celle du chevalier de La Barre, en 1766. Je rappelle d’ailleurs qu’il avait été condamné par des tribu-naux civils, les parlements d’Abbeville, puis de Paris, alors que les gens d’Église avaient essayé de le sauver… Nul doute que c’est en reconnaissance de ces ef-forts que l’on a donné son nom à la rue qui longe la basilique de Montmartre !Une loi sur le sacrilège, votée en 1825 au début du règne de Charles X, a été abro-gée dès 1830, au début de la monarchiede Juillet. Depuis lors, on pense davan-tage à des délits verbaux ou picturauxqu’à des profanations d’objets considé-rés comme sacrés. Ce qui n’empêche pasdes crétins de combiner le verbal et le matériel en taguant des insultes sur des églises ou des synagogues et aujourd’hui sur des mosquées.

La représentation de Dieu n’est pas autorisée par toutes les religions. La figuration de Dieu permet-elle plus facilement sa caricature ?La figuration de Dieu dans le christia-nisme repose elle-même sur l’idée d’in-carnation. Le Dieu chrétien n’est pasenfermé dans sa transcendance. On nepeut monter vers lui, mais il a voulu descendre vers nous. Il est d’une liberté tellement absolue qu’il peut, pour ainsi dire, transcender sa propre transcen-dance et se donner lui-même une figure visible en Jésus-Christ. Les icônes, ta-

N’y a-t-il pas, en France, une contradiction entre les usages du politiquement correct, la novlangue qui l’accompagne et l’affirmation que l’on a le droit de tout dire ?Elle est manifeste, et pas seulement enFrance. On a effectivement le droit de tout dire, sauf ce qui fâche… Appeler unchat un chat est devenu difficile. On préfère des euphémismes, au moyen de divers procédés, les sigles par exemple. On dira IVG pour ne pas dire « avorte-ment », et GPA pour ne pas dire « loca-tion d’utérus », etc. Ou alors, on dilueen passant au pluriel : on dira « les reli-gions » alors que tout le monde pense« l’islam ». Ce n’est pas d’hier : on disait naguère « les idéologies » pour ne pas dire « le marxisme-léninisme ».

En Allemagne, en Autriche, en Irlande, les lois proscrivent les atteintes au sacré. En France, le principe de laïcité, âprement défendu, les autorise. Comment concilier l’irrespect, le droit de ridiculiser, avec le respect des croyances ?Les lois dont vous parlez sont très variées selon les pays. Et elles visent avant tout à protéger non les croyances, mais les per-sonnes concrètes qui les professent. Elles ne se distinguent guère de lois contre ladiffamation en général. En tout cas, lesrègles qui régissent notre chère laïcité n’autorisent pas les atteintes au sacré, au sens où elles les recommanderaient ; je préférerais dire qu’elles les tolèrent.Le christianisme n’est pas une religion du sacré, mais de la sainteté. Un objetpeut être sacré : un « lieu où souffle l’es-prit », un monument, un arbre vert, unesource, un animal – une vache par exemple -, mais il ne peut en aucun cas être saint. Seule une personne peut être sainte et, en elle, ce qu’elle a de plus per-sonnel, sa volonté libre. Pour le christia-nisme, Dieu seul est saint. Ceux que nousappelons des saints ne le sont que par participation, par reflet.Aucune croyance ne mérite le respect,même pas les miennes. C’est que lescroyances sont des choses, alors que le respect ne peut avoir pour objet que despersonnes. Et ce dernier respect, le seulqui mérite ce nom, est sans limite. Sou-haitons qu’il soit réciproque…

« Nous vivons un temps de profanation généralisée », disait Alain Finkielkraut au mois de janvier 2013, au moment de l’affaire Dieudonné. Que reste-t-il de sacré dans nos sociétés modernes ?Nous payons le prix d’une vision des choses selon laquelle « ce qui est juste, c’est ce que dit la loi, voilà, c’est tout »,comme l’a rappelé le 14 février 2013 le sénateur Jean-Pierre Michel, faisantd’ailleurs écho, sans le savoir, au systè-me de défense des accusés du procès de Nuremberg. La conséquence de cette fa-çon de voir est que ce que les hommes font, ils peuvent le défaire. En consé-quence, ce qui sera solennellement dé-crété « inviolable et sacré » à un mo-ment donné pourra très bien devenir par la suite un « tabou » qu’il faudra « dépasser ». Rien n’est donc à l’abri de la profanation.Bon nombre de gens font de la profana-tion leur fonds de commerce. Je ne les envie pas, car leur tâche devient de plus en plus difficile. Sans parler du « politi-quement correct » déjà mentionné, ilsont à affronter une baisse tendancielle du taux du profit, car il ne reste plus beaucoup de choses à profaner, faute de sacré encore capable de servir de cible.On a déjà dégommé tant de baudru-ches… Et à la longue, on s’ennuie à tirer sur des ambulances. On ne peut plus,par exemple, se moquer des gens qui se croient distingués, collet monté, comme on le faisait encore dans les films d’avant-guerre, car tout le monde, et surtout les grands bourgeois, a adopté des mœurs cool, décontract, etc.Bien des symboles n’ayant pas ou plus dedivisions blindées pour les défendre, onpourra donc cracher dessus sans danger.Mais alors, « on triomphe sans gloire ».Quand on persiste à s’en prendre à eux, il faudra constamment renchérir sur le blasphème précédent, aller de plus en loin, par exemple dans le scatologique.En revanche, on voit apparaître de nou-velles idoles, que l’on reconnaît à unesorte d’interdiction d’en rire. ■* Dernier ouvrage paru : « Modérément moderne. Les temps modernes ou l’invention d’une supercherie », Flammarion, mars 2014.

bleaux, fresques, statues, etc., bref lesneuf dixièmes de l’art plastique euro-péen, sont, en divers styles, la petite monnaie de cette première entrée dans la visibilité.Quant à se moquer de lui une fois qu’il a pris le risque de prendre une figure hu-maine, cela a été fait depuis longtemps, et en abondance. Les caricatures de Charlie, et les autres, ne sont rien à côtéde ce qu’a dû subir, en vrai, le Crucifié.Leurs tentatives pour blasphémer sont donc moins du scandaleux que du ré-chauffé. Il est en tout cas intéressant que l’on se moque dans ce cas, non des tor-tionnaires, mais de leur victime…

Peut-on dire que « l’esprit Charlie » est héritier de Voltaire ?« Esprit » me semble un bien grand mot pour qualifier ce genre de ricanement et cette manie systématique, un peu ob-sessionnelle, de représenter, dans les dessins, des gens qui s’enculent… Vol-taire savait au moins être léger quand il voulait être drôle.Ceci dit, Voltaire est pour moi, outre l’un des plus enragés antisémites qui fut,celui qui a fait deux fois embastiller LaBeaumelle, qui avait osé critiquer sonSiècle de Louis XIV. Plus que ses tragé-dies, c’est l’affaire Calas qui lui a permis de devenir un de nos totems. Elle n’était pas la seule erreur judiciaire de l’épo-que. Pourquoi Voltaire a-t-il choisi des’y consacrer ? Ses premières lettres, au moment où il apprend l’histoire, fin mars 1762, le montrent à l’évidence :parce qu’il voulait avant tout attaquer le christianisme. On se souvient du cas : un père protestant soupçonné d’avoir tué son fils qui aurait voulu se faire ca-tholique. On pouvait donc gagner àcoup sûr. Si le père Calas était coupable, honte au fanatisme protestant ; s’il était innocent, haro sur le fanatisme catholi-que… Mais attaquer les vrais puissants, les riches fermiers généraux ou les sou-verains, comme le régent ou le roi, pas question.Donc, en ce sens, oui, il y a bien une fi-liation. Et n’avons-nous rien d’autre à offrir à nos concitoyens, et en particu-lier aux musulmans, qu’« être Char-lie » ? Leur proposer, que dis-je, lessommer de s’identifier à cet irrespectcrasseux comme résumant la France, n’est-ce pas les encourager dans le mé-pris de notre pays et dans le repli identi-taire ? J’aurais préféré qu’on défilât en scandant : « Je suis Descartes », « Jesuis Cézanne », « Je suis Proust », « Jesuis Ravel »…

La liberté d’expression étant inhérente à la démocratie, peut-on imaginer un islam modéré qui en accepte la règle, au point d’accepter la représentation de Mahomet ?Je préférerais parler des musulmans dechair et d’os, non de l’« islam », motambigu qui désigne à la fois une religion, une civilisation millénaire et des hom-mes. Il est clair que bon nombre d’entre eux s’accommodent très bien de la dé-mocratie et de la liberté d’expression qu’elle permet en France, liberté qui estplus limitée dans leurs pays d’origine. D’ailleurs, même les extrémistes en pro-fitent, à leur façon, pour répandre leur propagande.Parler d’islam « modéré » me semble de toute façon insultant pour les musul-mans. Car enfin, si l’islam est une bonne chose, alors aucune dose ne sera tropforte. Il y a des musulmans que je ne di-rais pas « modérés », mais tout simple-ment, pour employer un mot qui ferasourire, « vertueux »…L

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ENTRETIEN

Le philosophe* explique

ce qu’est la notion

de blasphème dans

les différentes religions.

Il s’interroge sur les limites

de la liberté d’expression

et sur ce qu’il reste

de sacré dans nos sociétés

modernes.

Ceci dit, reste à se demander si l’on peut attribuer des actes de violence au fondateur d’une religion, à celui qui en reste le modèle et à son enseignement.Pour Jésus et Bouddha,on a du malRÉMI BRAGUE

Aucune croyance ne mérite le respect, même pas les miennes.C’est que les croyancessont des choses, alors que le respect ne peut avoir pour objet que des personnes. Et ce dernier respect, le seul qui mérite ce nom, est sans limiteRÉMI BRAGUE

8 | france SAMEDI 17 JANVIER 2015

0123

« C’est à chaque citoyen de protéger la démocratie »Joël Mergui, le président du Consistoire central, appelle les musulmans à dénoncer l’islamisme radical

ENTRETIEN

Les quatre assassinatscommis dans l’Hyper Ca-cher de la porte de Vin-cennes, à Paris, par

Amedy Coulibaly, vendredi 9 jan-vier, ont ravivé l’inquiétude déjà lancinante de beaucoup de Fran-çais juifs, qui pousse un nombre croissant d’entre eux à faire leur« alya » – s’installer en Israël. JoëlMergui, le président du Consis-toire central, appelle la France à« briser l’indifférence ».

Pourquoi les victimes de l’Hy-per Cacher ont-elles été enter-rées en Israël ?

D’abord en raison du lien spiri-tuel très fort avec Jérusalem. En-suite, en Israël, le repos est éternel, les concessions aussi. Ce n’est pas le cas en France dans les carrés confessionnels, où les sépultures sont exhumées à échéance de la concession. En outre, les familles des victimes du terrorisme s’in-quiètent du risque de profanation des tombes en France.

Comment expliquez-vous la forte progression du nombre de Français juifs vers Israël ?

Nous sentons ce mouvementprendre de l’ampleur depuis plu-sieurs années. Il y a l’antisémi-tisme, mais il y a aussi, ce qu’on oublie un peu en ce moment : une laïcité plus rigide. Les con-cours et les examens program-més les jours de fête et de shabbat,le débat sur l’abattage casher ou sur la circoncision sont pour des juifs pratiquants des raisons de partir vivre ailleurs leur judaïsme.

L’alya a concerné les familles lesplus impliquées dans la commu-nauté, celles qui se sont senties lesplus menacées dans leur vie reli-gieuse et aussi par l’antisémi-tisme, parce qu’ils mettent leurs enfants à l’école juive, vont à la sy-nagogue, achètent casher. Ces personnes se sont senties d’abordmal comprises, puis mal écou-tées, finalement inquiètes et indi-gnées par l’augmentation conti-nue des actes antisémites.

C’est donc d’abord cette partie de la communauté qui est ten-tée par l’alya ?

Au départ, oui. Mais je sens unchangement depuis juillet 2014, quand des synagogues ont été at-taquées et que l’on a crié « mortaux juifs » dans les rues de Parisen présence de certains élus dans la quasi-indifférence de la société.

Les 4 millions de personnes quiont marché dimanche, on ne les a hélas pas vues à ce moment-là, ni après l’assassinat de soldats à Montauban et de quatre person-nes – dont trois enfants – dans uneécole juive à Toulouse en 2012. Le pic de départs de 2014 correspond à l’après Toulouse car c’est le temps nécessaire pour préparer une alya. Depuis juillet 2014, j’ai vudes juifs beaucoup moins impli-qués [dans la communauté] s’in-terroger également sur leur aveniren France. Cette interrogation s’estétendue à une très grande partie de la communauté juive, mais fait aussi partie d’un mouvement de migration plus vaste motivé par un manque de perspectives.

Que dites-vous à ceux qui s’in-terrogent sur un départ ?

On ne peut pas juger des parentsqui s’inquiètent pour leurs en-fants. Quand un enfant à mal au ventre car il a peur d’aller à l’école,peur de mourir, qui ne serait pas bouleversé ? N’importe quel ci-toyen du monde a envie de met-tre sa famille en sécurité. C’est ànous, représentants de la com-munauté juive avec l’Etat, de faire en sorte, avec des mesures con-crètes, que les citoyens de confes-sion juive aient plus confiance en l’avenir. Ils savent pouvoir comp-ter sur moi pour dire les choses telles qu’elles sont. A l’inverse,certains disent : on ne va pas lais-ser les terroristes nous faire peur et transformer cette belle démo-

laquelle s’enfonçait notre pays etqui conduisait certains à se dire : « on s’attaque à des juifs, à des sol-dats, cela ne me concerne pas », comme après Montauban et Tou-louse. Il faut maintenant que cequi arrive à l’autre préoccupe cha-cun. C’est ce qui doit surgir du moment que nous traversons.

Avez-vous eu des témoignages en ce sens depuis l’attentat à l’Hyper Cacher ?

Plus qu’avant. Quelqu’un m’adit : « Si vous partez, c’est qu’il n’y aplus de démocratie. » Les genssentent que si beaucoup de juifs partent, cela veut dire qu’eux-mê-mes ne sont plus en sécurité nonplus. Je sens aussi comme une res-ponsabilité de ne pas donner la victoire à la haine et au terro-risme. Nous avons contribué à cepays et aussi longtemps qu’on nous en donnera les moyens,nous continuerons à y contri-buer. La démocratie nous a proté-gés. Aujourd’hui, c’est à chaque ci-toyen de protéger la démocratie.

Qu’attendez-vous concrète-ment ?

Le seul espoir qui naît de ces dra-mes, c’est la mobilisation interna-tionale contre l’islamisme radical.Enfin on entend les mots justes : islamisme radical, et non plusseulement « terrorisme » ou

« barbarie ». Il faut appeler les choses par leur nom. C’est l’espoird’un réveil des consciences, d’unemobilisation de la société.

Ce qu’on n’entend pas assez, enrevanche, c’est le lien entre ce ter-rorisme et la volonté de détruire l’Etat d’Israël. Pourtant, c’est lamême chose, la même haine qui refuse l’existence d’un Etat juif et qui, ailleurs, attaque les juifs et ladémocratie. Il faut que le droit à l’existence de l’Etat d’Israël fasse partie intégrante de la lutte con-tre l’islamisme radical. Si on ne fait pas ce lien, on ne pourra pas gagner ce type de combat contre ce terrorisme.

Les mesures annoncées par Manuel Valls sont-elles à la hauteur ?

Oui, les mesures vont dans lebon sens. Elles doivent mainte-nant être accompagnées des

moyens concrets pour être à la hauteur des enjeux. Depuis des années, je répète qu’il faut s’occu-per de la prison. C’est une écolede terrorisme. Il y a donc un tra-vail essentiel à y faire, commepour l’éducation nationale, Inter-net et les réseaux sociaux. Certes,il faut de très gros moyens maisc’est indispensable. Ces terroris-tes sont nés et ont grandi en France, ont été éduqués dans lesécoles, sont passés par les pri-sons. On ne peut plus se conten-ter de discours.

Qu’avez-vous pensé des réac-tions dans la communauté mu-sulmane ?

Il est important que la partie cul-turellement musulmane de notre société soit à l’unisson de la com-munauté nationale et dénonce l’islamisme radical. Si elle le dé-nonce de façon massive, il n’y aurapas d’amalgame, au contraire. Mais il faut que la dénonciation vienne de partout, pas seulement de quelques responsables qui ne sont pas forcément écoutés par lesjeunes. J’appelle les autorités mu-sulmanes à faire en sorte que la pa-role des responsables soit relayée à divers niveaux (imams, artistes, intellectuels, sportifs). Je sens qu’ily a un frémissement. p

propos recueillis par

cécile chambraud

IVAN GUILBERT/COSMOS

Le pape n’est pas « Charlie »Pour François, la liberté d’expression doit s’exercer « sans offenser »

D ans l’avion qui le condui-sait du Sri Lanka aux Phi-lippines, jeudi 15 janvier,

le pape François a exposé sa con-ception de la liberté d’expressiondans le contexte de l’attentatcommis contre Charlie Hebdomercredi 7 janvier. Si la liberté re-ligieuse et la liberté d’expressionsont « deux droits humains fonda-mentaux », a-t-il dit en réponse àune question, « on ne peut provo-quer, insulter la foi de l’autre » ni« la tourner en dérision ».

Le pape a condamné les meur-tres commis au nom de la reli-gion, au siège du journal satiriquequi ne s’est jamais privé de carica-turer le pape et le clergé catholi-que : « Tuer au nom de Dieu est une

aberration », a-t-il dit. Mais il a aussi affirmé que la liberté d’ex-pression n’autorise pas tout et doit s’exercer « sans offenser ». Le pape a illustré son propos par un exemple inattendu. « Il est vraiqu’il ne faut pas réagir violem-ment mais si M. Gasbarri [l’organi-sateur du voyage en Asie au Vati-can, présent à côté de lui] parle mal de ma mère, il peut s’attendre à un coup de poing, et c’est normal.On ne peut provoquer, on ne peut insulter la foi des autres, on ne peutla tourner en dérision ! »

Le pape a profité de cette ques-tion pour reconnaître que l’Eglise catholique est loin d’avoir été tou-jours exemplaire sur le respect de la liberté religieuse. « Ce qui se

cratie qu’est la France. Nous som-mes attachés à notre pays, nous avons contribué à son histoire. Il ya un mélange d’émotion entre la protection des enfants et l’esprit de résistance face aux terroristes.

Dimanche, les manifestants di-saient « je suis Charlie » mais aussi « je suis juif » comme « je suis policier ». La communauté ne s’est-elle pas sentie soute-nue cette fois ?

Oui et non. Beaucoup de juifs sesont posé la question : s’il n’y avait eu que l’attentat de l’HyperCacher, y aurait-il eu 4 millions depersonnes dans la rue ? On abeaucoup vu « je suis Charlie »,on a beaucoup moins vu « je suis juif », il faut être honnête. Cela étant, il y a eu un réveil rassurant de la société.

Je veux penser que la mobilisa-tion intégrait toutes nos valeurs, ycompris la lutte contre l’antisémi-tisme. L’histoire a donné aux juifsdes réflexes rapides. Nous avons compris qu’il se passait quelquechose de grave depuis le début desannées 2000, avec la montée de l’antisémitisme, de l’islam radical et de l’antisionisme. Mais nous n’étions pas entendus et c’est cequi nous mettait en rage. Il faut maintenant qu’on retrouve en France les valeurs des justes, capa-bles de briser l’indifférence dans

passe actuellement [avec les atten-tats] nous étonne, mais pensons à notre histoire : combien de guerresde religion nous avons eues ! Pen-sons à la Nuit de la Saint-Barthé-lémy [le massacre déclenché parles catholiques contre les protes-tants en France en 1572]. Nous avons été aussi pécheurs. »

Ce second périple du pape ar-gentin en Asie après son voyageen Corée du Sud est destiné à en-courager une région perçuecomme une terre d’avenir pour l’Eglise catholique. 80 % des100 millions d’habitants des Phi-lippines, ancienne colonie espa-gnole, pratiquent un catholicismeextrêmement fervent. p

cé. c.

« Depuis juillet

2014, j’ai vu des

juifs moins

impliqués [dans

la communauté]

s’interroger sur

leur avenir

en France »

« Je répète

depuis des

années qu’il faut

s’occuper de

la prison. C’est

une école de

terrorisme »

ATTENTATSDouze interpellés pour « soutien logistique »Douze personnes ont été in-terpellées dans la nuit du 15 au 16 janvier en région pari-sienne pour « soutien logisti-que » dans le cadre de l’en-quête sur les attentats de Paris et Montrouge (Hauts-de-Seine). Ces neuf hommes et trois femmes ont été pla-cés en garde à vue. Des per-quisitions étaient en cours vendredi matin. Les interpel-lations se sont notamment déroulées à Montrouge, Fleu-ry-Mérogis et Grigny (Es-sonne), Epinay-sur-Seine (Sei-ne-Saint-Denis) et Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine). D’après une source judiciaire, il s’agirait de personnes « gravitant dans l’entourage d’Amedy Coulibaly » et sus-pectées notamment d’avoir fourni des armes et des véhi-cules au terroriste.

7 000Français juifs qui ont immigré en Israël en 2014

Selon l’Agence juive, l’organisme mandaté par l’Etat d’Israël pour or-ganiser les retours vers le pays (l’alya), plus de 7 000 Français juifs ont immigré en Israël en 2014 (3 293 en 2013). La France est devant la Russie pour la première fois (4 830) et devant les Etats-Unis (3 870). Les retours d’Israël en France ne sont pas comptabilisés. Au total, en 2014, Israël a accueilli 26 500 nouveaux immigrants.

Le décryptagede l’éco

du lundi au vendredi à 8h10

avecVincent Giret,

journaliste auMonde

avec

0123SAMEDI 17 JANVIER 2015 culture | 17

A l’IMA, répondre à la terreur par la culture L’institut organise deux jours de débats sur les Renouveaux du monde arabe

REPORTAGE

Jeudi 15 janvier, à Paris. Sur lafaçade irisée de l’Institut dumonde arabe (IMA) rayonneun monumental « Noussommes tous Charlie », let-

tres rouges, en arabe et en fran-çais. Cette déclaration choc des vingt et un pays arabes qui siègentà l’IMA accueille la centaine de personnalités – ministres, écono-mistes, intellectuels, chercheurs, universitaires, écrivains… venus des Emirats arabes unis, d’Arabie saoudite, du Koweït, du Maghreb,du Proche-Orient… –, invités à par-ticiper à deux jours de débats surles « Renouveaux du monde arabe ». Un forum prévu de lon-gue date, revu à la lumière d’une actualité douloureuse.

La scène est d’autant plus incon-grue que, derrière ce messaged’union sacrée face au terrorisme qui a endeuillé la France, la frac-ture culturelle reste à vif entre les deux rives de la Méditerranée. Du Maroc au Liban, à l’Egypte, jus-qu’en Jordanie ou en Iran, les ma-nifestants ont fait entendre leur fureur contre Charlie Hebdo qui a réitéré, dans son édition de mer-credi 14 janvier, la publication decaricatures de Mahomet.

François Hollande, qui inaugu-rait ce forum, a rappelé, dans sondiscours – placé sous le signe d’une « renaissance possible », portée par les entrepreneurs et lesartistes –, que « la France est un pays qui a des règles, des principes,des valeurs, dont l’une n’est pas né-gociable, la liberté ». Si le prési-dent de la République a été ova-tionné, dans les couloirs de l’IMA, les avis restaient partagés.

Des tensions policées

Les tensions, bien que policées, sesont exprimées avec force. Dans l’équipe de la fondation qatarie World International Summit for Education (Wise), une étudiantevoilée s’est dite choquée par les caricatures : « Je choisis de vivre enFrance, avec la loi française. Mais pourquoi la caricature des juifs est interdite et pas celle des musul-mans ? [Ce qui est faux selon la loifrançaise] Je suis une avocate de laliberté d’expression, dans la res-ponsabilité de chacun. »

Jack Lang, le président de l’IMA,tempère : « Il y a des confusions, un amalgame. La mission est de tenter d’introduire intelligence, rai-son, compréhension, analyse, dansun univers où la passion, l’igno-rance, l’immédiateté, l’emportent. Les pays arabes m’ont apporté leur soutien, une solidarité antiterroris-tes, antidjihadistes, antifanatisme. La question de la représentation duProphète, qui n’est pas acceptée dans le monde arabe d’aujourd’hui, a été occultée par les

actes de barbarie. Charlie Hebdo, c’est son droit, sa tradition », rap-pelle l’ancien ministre de la cul-ture qui plaide pour la singularité du pays de Rabelais, des Lumiè-res : « On devrait un peu plus sou-vent rappeler la violence de Vol-taire contre les clercs catholiques. »

De la même manière, Aïcha Ech-Chenna, présidente et fondatrice de l’association Solidarité fémi-nine, avoue sans détour : « On ne peut pas rire de tout au Maroc. Nous sommes dans l’étape de la chouma [la honte], ne pas regar-der l’homme dans les yeux, ne pas montrer ses atours. Dans les an-nées 1970, j’ai connu un Maroc, où on sortait tranquillement. On commence à voir venir les ensei-gnements de l’arabisation. On nepeut pas dessiner le Prophète, il estsacré. »

« Aujourd’hui, on est dans uneapproche monolithique du modèledont on ne doit pas sortir, se dé-sole Jamal Belahrach, présidentde la Fondation Zakoura Educa-tion. La philosophie n’est plus en-seignée dans tout le monde arabe. La philosophie, c’est réfléchir sur le rapport à l’autre. Il n’y a pas de dé-mocratie sans éducation, sans li-berté d’expression. Charlie Hebdo est la cristallisation de tout cela. »

Un seul dessein

Du Maghreb aux Emirats, le cons-tat est mêlé d’inquiétude, « face à l’ignorance et à l’obscurantisme qui détournent religion et culture avec un seul dessein, vindicatif, violent, nihiliste. Il faut reprendre possession de nos propres va-leurs… c’est la responsabilité la plus urgente de notre génération, plaide Zaki Nusseibeh, conseiller culturel à la présidence des Emi-rats à Abou Dhabi. Nous n’avons rien à faire de ce qui est publié dansla presse française », ajoute-t-il.

Dans le Golfe, les femmes inves-tissent avec beaucoup d’inventi-vité la sphère artistique, espace prometteur de liberté : le secteur des galeries d’art, florissant à Du-baï (on en compte quarante), comme les foires et biennales, à Dubaï, Chardja ou à Abou Dhabi,les musées en devenir (Louvre, Guggenheim et Al Zayed) ou en-core la Fondation consacrée à la musique et aux arts d’Hoda Al Khamis-Kanoo.

Ne pas être dans la confronta-tion, mais dans la nuance, savoir que les radars de la censure sont braqués sur des standards, opter pour des modules légers, tel est le credo de Lina Lazaar, 31 ans, qui afait ses classes chez Sotheby’s. A

Djedda, près de La Mecque, enArabie saoudite, la Tunisienne a fait « travailler les invisibles » – gardiens, chauffeurs, nounous,philippins – dont elle avait repéré les talents de photographes. Elle

tistes philippins, des ouvriers.Hommes et femmes mêlés sousla bannière de la culture, une ex-ception. Même la police religieusefut de la partie, photographiée dé-gustant des glaces.

Agir contre le fanatisme est unvéritable défi de civilisation desdeux côtés de la Méditerranée.Pour le politologue Gilles Kepel et pour Bassma Kodmani, direc-trice du Centre pour une initia-tive arabe de réforme, qui intro-duisaient le débat, explorer lechamp de la culture est priori-taire. En France, « il vaut mieuxarticuler recherche, éducation etaction publique. Il y a l’impérieusenécessité de permettre l’étude de la langue arabe, pour renforcer laconnaissance des savoirs, commeon le fait pour l’espagnol, l’anglaisou l’allemand », insiste le spécia-liste, qui va remettre au premier ministre un rapport sur le sujet.Le temps de l’action presse. L’ex-position de l’IMA consacrée auMaroc contemporain, montrant des œuvres d’artistes qui tra-vaillent loin des regards, porte l’espoir. p

florence evin

Fleur Pellerin, ministrede la culture,et Jack Lang, présidentde l’IMA, jeudi 15 janvier, à l’Institut du monde arabe. ���������������� ���������

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Si le président

de la République

a été ovationné,

dans les couloirs

de l’IMA,

les avis restaient

partagés

leur demanda comment ilsvoyaient la ville.

L’opération baptisée « Jaou »(« la fête »), dans une galerie éphémère, fut un succès : 5 000visiteurs, la royauté, l’élite, les ar-

LIBREMENT INSPIRÉ DE LA NOUVELLE «L’HÔTE» ISSUE DU RECUEIL «L’EXIL ET LE ROYAUME» D’ALBERT CAMUS ÉDITIONS GALLIMARD©1957

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Recueilli parMARCSEMODessinYANNLEGENDRE Historien

spécialiste desreprésentationspolitiques etdesmouvementsouvriers, SamuelHayat réévaluele sens dumot«République»à traversla révolutionde 1848.

Avec lemouvementpla-nétaire «Je suis Char-lie» et lamanifestationhistoriquedu 11 janviercontre les attentatsqui ont touchéParis, laFrance est redevenue,un temps, et aux yeux

dumonde, la patrie des droits de l’hommeetde la République. Jeune historien, rattachéauConservatoire national des arts etmétiers,SamuelHayat a particulièrement travaillé surla révolutionde 1848qui fut unmomentd’af-frontements sur la citoyenneté, la représen-tation, le social. Autant de sujets aujourd’huiau cœur des débats sur la République.A l’automne dernier, Samuel Hayat a pu-blié 1848: Quand la République était révolu-tionnaire (Seuil, 2014).Faceaudéfi jihadiste, laFrance semobilise aunomde la République. Pourquoi?Avec lamanifestationdu 11 janvier, il y a bieneu une communion autour de la Républiquesur unmode clairement fraternel. Les crain-tes que l’on aurait pu avoir d’unpossible ras-semblement haineux d’une partie de la so-ciété contre une autre n’a pas eu lieu. On avudans ces jours tragiques l’attachementdesFrançais aux valeurs républicaines. Cela faitécho aux grandes proclamations unanimesde 1848. Mais aujourd’hui, comme alors,cette unité se fait sur l’oubli des profondesdivisions de la société et sur unemésententeà propos du sens desmots dont, en premierlieu, celuimêmedeRépublique. Les slogansqui ont réuni des millions de manifestants–«Je suis Charlie», «Vive la République»,«Vive la liberté d’expression», etc.– ne veu-lent pas dire lamême chose pour les uns etles autres. Ces grandes manifestationsd’union risquent d’être éphémères et les dé-

saccords qui vont suivre risquent d’êtred’autant plus difficiles à accepter que l’una-nimité précédente se fondait sur le refoule-ment des différences. A cet égard aussi,l’exemple de 1848 est àméditer: en février,le peuple célébrait la République fraternelle,en juin, c’était la guerre civile.La révolution de 1848 fascina Marx commeTocqueville, puis elle fut longtempsnégligée.Pourquoi?Sous la IIIeRépublique, la révolution de 1848est volontiers présentée comme une simpleétape entre 1789 et l’instauration définitiveen France du système républicain. C’est «larévolution oubliée». Jules Ferry ou Gam-betta, comme tant d’autres, étaient gênéspar cette révolution, notamment les événe-

ments de juin 1848 où, pour le dire crûment,la Républiquemassacra ses enfants, ces ré-publicains qui, quatremois plus tôt, étaientsur les barricades la portant au pouvoir.Maisla fascination que cette révolution exerçapour des raisons opposées, aussi bien sur lejeune Karl Marx, alors journaliste, que surTocqueville ou Flaubert, s’explique avanttout par son caractère social. Pour la pre-mière fois, la classe ouvrière fait irruptionen tant que telle dans l’histoire. Il ne s’agitplus, commeen 1793, du peuple commeunemasse indistincte. Les révolutionnairesde 1848 ouvrent la question sociale et ilsveulent changer le fonctionnementmêmede la société. Et cette révolution fascined’autant plus que les troubles ont secouél’Europe entière.Dans les débats de 1848 se retrouvent déjà lesgrands thèmes des décennies suivantes?C’est justement ce quim’a intéressé dans cesévénements. La question était, et reste, dedépasser l’alternative entre, d’un côté, la dé-mocratie représentative, dont on voitaujourd’hui toutes les limites, voire les im-passes, et, de l’autre, unedémocratie directeen gestation,mais alors finalement non ad-venue. Pendant cesmois de tumulte, on voiten effet apparaître une conception de cequ’est la politique, la représentation, la ci-toyenneté qui n’existait pas avant et qui, en-suite, après l’écrasement du mouvement,sera portée en avant par des acteurs hors duchamp politique.Au début, ces deux conceptionsmarchaientensemble. Pour ceux qui se disaient républi-cains sous lamonarchie de juillet, laRépubli-que était synonymed’émancipation sociale.La révolution en février 1848 lesmet aupou-voir. L’idée républicaine est ainsi mise àl’épreuve de faits. Il y a ceux pour qui la Ré-publique c’est le suffrage universel, un pointc’est tout. Et ceux qui disent que la Républi-que, c’est la République démocratique et so-

«En février 1848,le peuple célébraitlaRépublique, en juin,c’était laguerre civile»

IDÉES

LIBÉRATION SAMEDI 17 ETDIMANCHE 18 JANVIER 201526 • IDÉES GRAND FORMAT

ciale avec le droit au travail.Cesdeuxconceptionsdeviennent vite incon-ciliables. Pourquoi?Victor Hugo écrit par exemple dans uneprofession de foi électorale:«Deux Républi-ques sont possibles. L’une abattra le drapeautricolore sous le drapeau rouge […], ajouteraà l’auguste devise –liberté, égalité, fraternité–l’option sinistre –ou lamort, fera banqueroute,ruinera les riches sans enrichir les pauvres[…], abolira la propriété et la famille, promè-nera des têtes sur des piques.» Le reste dutexte est à l’avenant. Il est d’autant plussignificatif que Victor Hugo, même s’iln’était pas encore à l’époque le grand écri-vain engagé qu’il deviendra ensuite, n’estpas un obscurantiste haïssant le peuple. Lesgens qui, face à lui, défendent la Républiquedémocratique et sociale lui semblent in-compréhensibles: ils ont le suffrage univer-sel, que peuvent-ils vouloir de plus? Et laplupart des leaders du mouvementpartagent ce point de vue.Cette opposition entre les deux con-ceptions de la République conti-nue tout au long du XIXe siè-cle?La communedeParis estla résurgencede laRé-publiquedémocrati-que et sociale. Elletrouve en faced’elle les mêmesforces, parfois lesmêmes hom-mes, que ceuxqui ont écrasé lepeup le enjuin 1848. Il y aaussi tous ceuxq u i , d e -puis 1848, telLedru-Rollin,étaient restés

dans l’ambiguïté, et qui seront à l’origine dela gauche politique. Ils parlent de la Républi-que démocratique et sociale, ils en font unargument de campagne électorale,mais ilsacceptent les institutions de la Républiquemodérée contre laquelle les ouvriers s’étaientlevés, demandant un autre usagedes institu-tions. Pour les partisans de laRépublique so-ciale, la Républiquemodérée détruit le sensmêmedumot«République»et les promessesdont il était porteur depuis 1830.Ledébat en 1848porte aussi sur le gouverne-ment du peuple et ses modalités?C’est en effet la grande question. Les parti-sansde laRépubliquedémocratique et socialese satisfont des institutions républicaines,mais en veulent une autre interprétation.Leur problème n’est pas qu’il y ait une As-semblée nationale élue,mais que cette der-nière puisse se permettre de ne tenir aucuncompte de ce que disent les citoyens et

q u ’ e l l e

agisse comme si elle était souveraine alorsque, pour eux, le seul véritable souverain estle peuple. Ils veulent une autre représenta-tion, une représentation «inclusive» où lesdéputés soient leurs serviteurs et non leursmaîtres. Dans les débats de l’époque, il y aaussi des propositions un peu folles commeuneconventionnationale réunissant les clubspour contrôler l’Assemblée nationale. Laquestion du tirage au sort pour désigner lesreprésentants n’est pourtant abordée quemarginalement. Les révolutions duXVIIIe siècle, dont les révolutionnaires de1848 sont les héritiers, ont mis en avant leprincipe: tout pouvoir doit faire l’objet d’unconsentement de la part des gouvernés. Pourcela, l’élection–malgré ses défauts, car elleestmoins démocratique etmoins égalitaireque le tirage au sort–permet l’expressionduchoix. Pouvoir choisir, c’est aussi pouvoirdémettre. Il ne faut pas oublier que, pendantla révolutionde 1848, onn’élit pas seulementles députés,mais aussi les officiers de la gardenationale, les juges de paix. Certains pro-

posentmêmed’élire les artistes dontlesœuvres doivent être exposées

aux divers salons afin d’évitertoute forme d’élitisme. Lavolonté de choisir est aucœur même de l’idéerépublicaine.Il y a aujourd’huiune redécouvertede ces débats?Oui, justement àcause de la crisegénérale des for-mes de la repré-sentation et desmodalités dechoix des gou-vernants. Lesystème actuelne fonctionne

plus. Il y a une évidente désaffection vis-à-vis du gouvernement représentatif né d’unetraditionmonarchique constitutionnelle etrépublicanisé en 1848. Là où on voit une vi-gueurdémocratique àgaucheetdans le campprogressiste engénéral, commeenAmériquelatine, cela passe par l’expérience de formesalternatives de représentation donnant no-tamment de l’importance aux diversesmi-norités. L’inventivité démocratique se faitaujourd’hui contre le gouvernement repré-sentatif. Ce dernier se fonde sur le refoule-ment et l’empêchement de la participationpopulaire. Il se crée contre la démocratie etl’élection sert avant tout à unemonopolisa-tiondupouvoir par les gouvernants. Ces réa-lités ont été longtempsmasquées par l’émer-gence puis l’affirmationdes grands partis demasse. La participation populaire était réelledans de telles structures politiques tout enétant canalisée dans la lutte pour le pouvoirdes élites dirigeantes. Ces partis n’en repré-sentaient pasmoins unoutil de formationducitoyen. Je ne suis pas nostalgique de cetteépoquemême si ces partis demasse permet-taient au système représentatif de fonction-ner sous perfusion grâce à cette illusion. Parla suite, ces structures, pourdiverses raisons,ont perdu leur pouvoir demobilisation, no-tamment avec l’effondrement du commu-nisme. Le voile a été levé. Aujourd’hui la dé-mystification de tout l’édifice construiten 1848 par la républicanisation du gouver-nement représentatif et l’écrasement de ladémocratie sociale est totale. Ladénonciationde l’oligarchie politique est devenue un lieucommun.Comment répondre à cette crise actuelle?L’une des leçons de 1848 est que les institu-tions existent avant tout par leur pratique,au-delà desnormes juridiques.Ni le tirage ausort, ni l’instauration d’une VIeRépubliquedont le concept reste flou, ni tout autre ré-forme institutionnelle ne suffisent en eux-mêmes à résoudre cette crise de la représen-tation. Changer les institutions sans changerla société ne règle rien. Mais les espoirsde 1848 et de la République sociale nous ontaussi laissé un héritage auquel nous référer.Il nous faut aujourd’hui retisser les fils éparsd’une tradition qui avait essaimé dans desmouvements syndicaux, autogestionnaireset associatifs. Les vaincus de 1848 ont com-pris qu’il était impossible de s’emparer del’appareil de l’Etat et qu’il était nécessaire detravailler à l’émancipation autrement, encommençant ici et maintenant à impulserdes changements. Cela a débuté sous le Se-cond Empire, malgré la répression avec lesassociations de producteurs et les coopérati-ves. Puis cela adonné la Première Internatio-nale et l’émergence dumouvement ouvrier.Cette grande leçon de 1848 reste vraie. Nousdevons, nous aussi, mettre en avant un«anarchisme stratégique».L’arènedupouvoirreste aujourd’hui verrouillée par les partismalgré la crise qui les traverse alors que lacatastrophe guette. Mais, à la différencede 1848, onnepeut s’appuyer seulement surlemonde du travail, même si son rôle restecentral. Desmouvements comme les Indi-gnés ou les zadistes sont emblématiques.Oulesmouvements féministes qui ontmontréqu’il était possible de changer tout unevisiondumonde sans devoir s’emparer des leviersdu pouvoir de l’Etat.•

laRépublique, en juin,c’était laguerre civile»

LIBÉRATION SAMEDI 17 ETDIMANCHE 18 JANVIER 2015 GRAND FORMAT IDÉES • 27

© Dna, Lundi le 19 Janvier 2015 Droits de reproduction et de diffusion réservés

Strasbourg Après les attentats, le colonel Aziz Meliani veut nourrir le débat

La République pour horizon Aziz Meliani est l'élu chargé entre autre de la mémoire et du monde combattant au sein de la

municipalité strasbourgeoise. En cette période d'inquiétude, il rappelle l'apport à la nation

des Algériens, Marocains et Tunisiens. Et plaide pour une nouvelle politique de la ville et un

retour de la République dans les quartiers, via un service civil universel par exemple.

Pendant la guerre d'Algérie, Aziz Meliani a commandé un « commando de chasse » du 3e régiment de tirailleurs algériens. Il est l'arrière-petit-fils d'un militaire venu d'Algérie combattre à Woerth, durant la guerre de 1870.

Aujourd'hui, il est soucieux. « En trois jours, après les attentats des 7 et 9 janvier, il y a eu plus de soixante-dix actes anti-musulmans en France », commence-t-il. « Le pays souffre, il a besoin d'apaisement », considère le colonel. « Notre belle France, pour laquelle ces tirailleurs se sont battus, est traversée par la confusion. Il faut rappeler que des Maghrébins ont franchi à trois reprises la Méditerranée [lors des trois guerres contre

l'Allemagne, N.D.L.R.], pour contribuer à défendre, puis libérer la France ».

« Des moments difficiles »

Souligner les sacrifices des soldats de l'empire colonial pour la France pourrait contribuer à « éviter l'amalgame », le fameux amalgame. « Les musulmans français vivent des moments difficiles ; une peur s'installe », note l'élu.

Que la population de confession musulmane qui vit en France soit stigmatisée, c'est justement ce que souhaitent les auteurs des actes terroristes, considère Aziz Meliani. « Les musulmans sont aussi divers que le reste des Français. Je n'aime pas beaucoup le terme de communauté musulmane », ajoute-t-il.

En guise de contribution à la future conférence citoyenne suscitée par le maire, Aziz Meliani distingue plusieurs domaines de réflexion et d'action. « Il faut une nouvelle politique de la ville. Il nous faut réintégrer la République dans les quartiers. » Pour que les valeurs républicaines soient mieux diffusées, Aziz Meliani soutient la mise en place d'un service civil universel ou le rétablissement d'un service militaire court.

Aziz Meliani souhaite clairement que la croyance religieuse reste dans le domaine privé. « Il y a le culte et la culture », souligne l'élu. Il plaide en faveur d'une séparation entre les instances représentatives de l'islam en France, entre celles qui traitent de la vie en société et de la politique et celles qui se préoccupent des questions religieuses. D'autre part, « il faut réfléchir à la formation des religieux. Actuellement, 50 % des imams parlent mal ou pas du tout le français ».

Sans angélisme, l'ancien militaire considère qu'il faut conduire « une réflexion sur les raisons qui font que des enfants de France s'attaquent à ses valeurs ». Conduire cette réflexion incombe à la classe politique, souligne-t-il.

« La France souffre, elle a besoin d'apaisement », considère Aziz Meliani.

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19/01/2015http://arpro3.sdv.fr/cgi/idxlist_seek?a=art&aaaammjj=201501&num=10433&journal...

« Les réseaux djihadistes veulent nous enfermer dans une rhétorique guerrière. Il n'y a pas de guerre des religions, ni de guerre des civilisations », avance l'élu strasbourgeois.

Propos recueillis par P. Séjournet

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StrasbourgQ MARDI 13 JANVIER 2015

[email protected]

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STRASBOURG Après les rassemblements pour Charlie Hebdo

RolandRies initieune« conférencecitoyenne »

Attention, danger. Et mainte-nant, que fait-on ? « Les ci-toyens sont en attente, ilsont été horrifiés et ont réagi

en républicains. Si dans quelquesjours, rien ne se passe, ils ne com-prendront pas. Et cela pourrait dé-boucher sur de nouvelles désillu-sions… »Pour Roland Ries, l’heure n’est pasaux tergiversations. « Il faut préser-ver ce talisman républicain qui s’estmanifesté dès mercredi », insiste lemaire de Strasbourg. Comment « pré-server cette unité républicaine au-de-là des querelles préélectorales et phi-losophiques ? ». Persuadé qu’il n’estpas du tout opportun d’« être divisésface auxmenaces existantes », il pro-pose une « réunion des uns et desautres au-delà des familles politi-ques ».

Roland Ries suggèrede s’attaquerà la racine du mal

Dans l’immédiat, la question de lasécurité des citoyens est prioritaire.Les différents accès au centre admi-nistratif et aux bâtiments munici-paux ont d’ores et déjà été sécurisés.De même qu’ont été renforcés les ef-

fectifs de la police municipale char-gée des contrôles des visiteurs.Roland Ries suggère de s‘attaquer à

« la racine du mal ». Ce qui passeaussi par un travail sur l’éducationdes élèves. Partie intégrante des nou-

veaux rythmes scolaires strasbour-geois, le cycle actuel d’éducation ci-toyenne pourrait fort bien intégrer

une ouverture à l’histoire des reli-gions, propose le maire, qui en adiscuté hier matin avec le recteur.Avec l’idée sous-jacente de créer ungroupe de travail de coordination dutravail éducatif. Et de permettre« d’intéresser les jeunes à autre chosequ’aux réseaux sociaux et aux jeuxvidéos ».

Aux débats, citoyens !

Autre piste : la vocation européennede Strasbourg doit être mise en avantdans le contexte actuel. Autant depropositions qui déboucheront surune « conférence citoyenne » que lemaire souhaite initier très rapide-ment. L’idée est de réunir, sur unepériode d’un mois maximum, desgroupes de travail avec les associa-tions, les administrations de la Ville,de l’eurométropole, mais aussi del’État, du conseil départemental et duconseil régional autour de ces problé-matiques. Avec au final une séance desynthèse qui se veut solennelle, dansun lieu encore à définir. Pourquoi pasà l’hôtel de ville de Strasbourg – toutun symbole.« C’est de ma responsabilité de mairede lancer un tel processus réunissantdes experts et des généralistes, quidialoguent peu », ajoute Roland Ries.Dans quelques jours, la balle seradans leur camp. Aux débats, ci-toyens ! R

DOMINIQUE DUWIG

Roland Ries était en tête de cortège de la marche citoyenne : « Ce qui me préoccupe, c’est la suite desévénements. » PHOTO DNA – CÉDRIC JOUBERT

RolandRies invite lesStrasbourgeoisàprolonger lamobilisationsansprécédentdedimanche. Il veut libérer laparolecitoyenneà traversuneconférencequi réunira les forces vivesde la ville.Objectif : déboucher surdes réponsesconcrètes.

« Il faut continuer »

COMME DE NOMBREUX PASSANTS,

Abdelaziz a fait le tour de la statue deKléber, s’est arrêté, plusieurs fois, apris des photos. Mais pas du général.Des photos du sol sur lequel sont of-ferts aux regards des crayons, desstylos, des affiches, des panneaux, desdessins, des slogans déposés là diman-che par les manifestants à l’issue de lamarche. Il y a aussi des bougies. Certai-nes sont là depuis le rassemblement demercredi, le soir de l’attaque de CharlieHebdo, quand des milliers de Stras-bourgeois se sont rassemblés spontané-ment, sidérés.« C’est malheureux ce qui arrive, expli-que Abdelaziz, 42 ans, de Strasbourg.Ce n’est pas une question de religion.C’est interdit de tuer, même dans lareligion. Moi je suis musulman, je prieparfois le vendredi. Le dessin du pro-phète ? Et alors, Charlie Hebdo, ilsdessinent aussi Jésus ». Abdelaziz amanifesté dimanche. « C’est bien queles gens se rassemblent, mais il ne fautpas que ce soit juste une fois, il fautcontinuer maintenant ».C’est d’ailleurs ce à quoi s’attachent lesorganisateurs des rassemblements dela semaine passée à Strasbourg. Àcommencer par Silvio Philippe, cetétudiant de 19 ans, à l’origine des

rassemblements strasbourgeois.« Mercredi, je suis rentré chez moi àmidi et j’ai vu arriver les informations,c’était une claque. Charlie Hebdo, c’estun journal que je n’ai jamais acheté, jel’avais juste feuilleté quelquefois. Maisla symbolique est très forte. J’ai penséfaire quelque chose, un peu sur le

modèle des rassemblements à Mar-seille suite aux élections européennes.Le Club de la presse m’a aidé pour lesautorisations de la préfecture. Mais jene m’attendais pas du tout à autant demonde ». 5 000 personnes mercredisoir place Kléber suite à l’organisationde l’événement sur Facebook. Le lende-

main, il est contacté par la présidentede l’ASTU, Christine Panzer. Et unappel est lancé : « En trois jours, 95associations strasbourgeoises issues del’éducation populaire, des centressocioculturels, des associations quiluttent contre les discriminations, pourles droits, ont répondu à l’appel, racon-

te Christine Panzer, qui se félicite dudéroulement de la marche strasbour-geoise et de celles qui ont eu lieu par-tout en France : quatre millions dans larue, ça ne s’est jamais vu ! Nous som-mes contents. Ce qui a été le plus im-pressionnant c’est la sérénité, le calme,la diversité, le respect ».Reste désormais à savoir que faire deces mobilisations sans pareille. « Il fautcontinuer, transformer les choses ».Le collectif va désormais se réunir pourdébriefer et engager la suite. PourChristine Panzer et bien d’autres, lasuite commence dès demain avecl’achat du numéro exceptionnel deCharlie Hebdo. Le « numéro des survi-vants ». R

OLIVIER CLAUDON

De nombreux passants s’arrêtentquelques instants au pied de lastatue du général Kléber où sontdéposés des témoignages desmobilisations de mercredi et di-manche en soutien aux victimesdu terrorisme. Les organisateursdes rassemblements travaillent àla suite à donner au mouvement.

Ex-voto laïcs sur la place Kléber après la manifestation « Charlie ». PHOTO DNA – CHRISTIAN LUTZ-SORG

Silvio Philippe, 19 ans, étudiant àSciences Po et à l’origine desrassemblements strasbourgeois"Nous sommes Charlie". DR

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Strasbourg

A Strasbourg, Roland Ries souhaitedes débats pour libérerla parole citoyenne

« Si on n'y prend pas garde, il y aura un feu de paille citoyen ». C'est la crainte qu'exprime Roland Ries au lendemain de la manifestation pour défendre la liberté qui a réuni dimanche quelque 45 000 personnes dans les rues de Strasbourg.

Pour « éviter de retomber dans les ornières anciennes », le maire de Strasbourg suggère de « s'attaquer aux vrais problèmes ». Il entend pour cela réunir très vite les forces vives de la ville autour d'un objectif : déboucher sur des réponses concrètes. Que ce soit dans les écoles strasbourgeoises qui devraient proposer, selon lui, une initiation à l'histoire des eligions dans le cadre des nouveaux rythmes scolaires. Ou à l'échelle des institutions culturelles de la ville qui auraient intérêt à « développer une forme d'éducation populaire ».

Bien entendu, ce ne sont pour l'heure que des pistes qui devront être discutées à l'occasion de la « conférence citoyenne » que Roland Ries veut lancer dans les jours à venir. Objectif : réunir, sur une période d'un mois maximum, des groupes de travail avec les associations, les administrations de la Ville, de l'eurométropole, mais aussi du conseil départemental, du conseil régional et de l'État autour de ces problématiques.

D.D.

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15/01/2015http://arpro3.sdv.fr/cgi/idxlist_seek?a=art&aaaammjj=201501&num=6788&journal=...

Strasbourg initie une Ç conf�rence citoyenne È apr�s les rassemblements pourCharlie Hebdo

= (Photo+Video) =

mardi 13 janvier 2015 16 : 43319 mots

ATTENTAT-M�DIAS-ENQUæTE-CHARLIE-HEBDO-COLLECTIVIT�S

Strasbourg, 13 jan 2015 (AFP) -Pour �viter que le mouvement citoyen apr�s

les attentats en France ne s'essouffle, la ville de Strasbourg va organiser une

Ç conf�rence citoyenne È charg�e d'�laborer des propositions concr�tes pour

am�liorer le Ç vivre ensemble È, a annonc� mardi son maire PS, Roland Ries.

Ç On a march� ensemble dans la fraternit�, il faut d�sormais que ces �changes

se traduisent par des propositions qui concernent par exemple l'�ducation, les

prisons, le +vivre ensemble+ È, a d�clar� le maire de Strasbourg, en marge de

ses voeux � la presse.

Selon M. Ries, l'initiative strasbourgeoise est une premi�re en France.

Ç J'esp�re que ceux qui �taient pr�ts � marcher pour ces id�es, soient pr�ts aus-

si � penser et � faire des propositions È pour �viter que ne se reproduisent des

�v�nements comme les attentats de la semaine derni�re, a-t-il dit.

La ville pourrait ainsi organiser des tables rondes sur des th�matiques particu-

li�res, comme l'instruction civique, ou favoriser des initiatives comme celles

d'avocats qui se disent pr�ts � aller parler dans les �coles de la d�claration uni-

verselle des droits de l'Homme.

Ç Le mouvement doit �tre diversifi� dans ses contenus et son organisation È, a

soulign� le maire.

Selon son entourage, ces propositions pourraient �tre synth�tis�es � l'issue

d'une grande conf�rence citoyenne dans un d�lai d'un mois.

Plusieurs rassemblements ont r�uni des Strasbourgeois depuis les attentats de

la semaine derni�re. Le plus important d'entre eux, dimanche, a r�uni 45.000

personnes dans la capitale alsacienne, si�ge du Conseil de l'Europe, de la Cour

europ�enne des droits de l'Homme et du Parlement europ�en.

yo/cds/ei �

Tous droits r�serv�s AFP G�n�ral 2015

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Strasbourg initie une Ç conf�rence citoyenne È apr�s les rassemblements pourCharlie Hebdo

Pour �viter que le mouvement citoyen apr�s les attentats en France ne s'essouffle, la villede Strasbourg va organiser une Ç conf�rence citoyenne È charg�e d'�laborer des propositionsconcr�tes pour am�liorer le Ç vivre ensemble È.

mardi 13 janvier 2015

258 mots

Ç On a march� ensemble dans la

fraternit�, il faut d�sormais que ces

�changes se traduisent par des pro-

positions qui concernent par

exemple l'�ducation, les prisons, le

'vivre ensemble' È, a d�clar� le maire

de Strasbourg Roland Ries en marge

de ses voeux � la presse, mardi 13

janvier.

Selon M. Ries, l'initiative strasbour-

geoise est une premi�re en France.

Ç J'esp�re que ceux qui �taient pr�ts �

marcher pour ces id�es, soient pr�ts

aussi � penser et � faire des propo-

sitions È pour �viter que ne se repro-

duisent des �v�nements comme les

attentats de la semaine derni�re, a-t-

il dit.

La ville pourrait ainsi organiser des

tables rondes sur des th�matiques

particuli�res, comme l'instruction ci-

vique, ou favoriser des initiatives

comme celles d'avocats qui se disent

pr�ts � aller parler dans les �coles de

la d�claration universelle des droits

de l'Homme. Ç Le mouvement doit

�tre diversifi� dans ses contenus et

son organisation È, a soulign� le

maire.

Selon son entourage, ces proposi-

tions pourraient �tre synth�tis�es �

l'issue d'une grande conf�rence ci-

toyenne dans un d�lai d'un mois.

Plusieurs rassemblements ont r�uni

des Strasbourgeois depuis les atten-

tats de la semaine derni�re. Le plus

important d'entre eux, dimanche, a

r�uni 45.000 personnes dans la capi-

tale alsacienne, si�ge du Conseil de

l'Europe, de la Cour europ�enne des

droits de l'Homme et du Parlement

europ�en. �

par Avec L'afp

2A6C57018CD05E04E05006B1540C515C2AD8580D44557FCB882247BParution : Continue

Diffusion : 998 758 visites (France) - © OJD Internet oct.

20141

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« Conférence citoyenne » Premier comité de pilotage lundi

C'est lundi après-midi que Roland Ries posera l'acte fondateur de la « conférence citoyenne » qu'il appelle de ses voeux après la mobilisation sans précédent des Strasbourgeois dimanche, suite aux actes terroristes (DNA d'hier). Un comité de pilotage - dont la forme reste à définir - se réunira pour la première fois sous l'égide de la mairie, mais ouvert à tous les acteurs parties prenantes (associations, services de l'État...). Objectif : mettre en musique la série de rencontres et de tables rondes qui devront déboucher dans un peu plus d'un mois sur des réponses concrètes aux préoccupations des habitants.

Dès hier, le maire de Strasbourg a été interpellé par des maires de l'Eurométropole, mais aussi de l'Ortenau, pour en savoir plus sur ses intentions. Roland Ries a répété que rien n'est figé. Une nouvelle page reste à écrire.

Philippe Bies fait des propositions

« Nous devons engager un travail moins visible, plus long, mais indispensable. Il nous faut reconstruire ''une spiritualité laïque commune'' comme l'a nommée Abd Al Malik », a réagi hier Philippe Bies, député du Bas-Rhin et conseiller municipal de Strasbourg. « Il convient de poursuivre et d'amplifier le travail de transformation urbaine des quartiers tout en mettant encore davantage l'humain au coeur notre action », insiste-t-il.

Il propose « en hommage aux victimes du terrorisme mais aussi pour poursuivre l'élan fraternel du 11 janvier » de « baptiser une place publique d'un quartier populaire ''Place Charlie'', avec en amont un travail pédagogique. »

Et de suggérer de donner une place à une oeuvre artistique « dans l'allée des droits de l'Homme, aux côtés de la statue de Gandhi. Ce travail devra être le fruit d'une démarche interculturelle et d'une collaboration entre la Ville, l'Éducation nationale, les acteurs de la culture et de l'éducation populaire et toutes les instances de démocratie locale dont le conseil des jeunes, le conseil des résidents étrangers, et tous les conseils de quartier qui souhaiteront s'associer à cette démarche. »

Philippe Bies soumettra ces propositions à Roland Ries, dans le cadre de la démarche citoyenne qu'il souhaite engager.

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15/01/2015http://arpro3.sdv.fr/cgi/idxlist_seek?a=art&aaaammjj=201501&num=7382&journal=...

vers une conf�rence citoyenne apr�s les rassemblements

N¡ 2791mercredi 14 janvier 2015

�dition(s) : StrasbourgPage 3

232 mots

GRAND STRASBOURGÑCHARLIE HEBDO

Le maire de Strasbourg Roland Rieslors de ses vÏux � la presse. Photo :

G. Varela / 20 Minutes

Certains se sont pos� la question

apr�s les rassemblements qui ont

suivi les attaques terroristes � Paris :

Ç Et maintenant ? Qu'est-ce qu'on

fait ? È Visiblement, le maire de

Strasbourg Roland Ries a eu la m�me

interrogation. Il a alors indiqu�, lors

de ses vÏux � la presse mardi, qu'il

souhaiterait que la ville de Stras-

bourg organise une Ç conf�rence ci-

toyenne È pour traduire les derniers

rassemblements r�publicains en pro-

positions concr�tes, notamment �

destination des �coles. Ç Il faut pr�-

server ce talisman r�publicain et ne

pas laisser retomber les choses, af-

firme Roland Ries. Il y a une attente

de la part de nos concitoyens. Il y a

un travail de fond � mener, mais ce

n'est pas � moi de dire ce qu'il faut

faire. È W A.I. �

par A.i.

Tous droits r�serv�s 2015 20 Minutes

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Parution : Quotidienne

Diffusion : 971 237 ex. (Diff. pay�e Fr.) - © OJD PV 2013/2014

Audience : 4 048 000 lect. - © AudiPresse One 2013/20141

© L'alsace, Mercredi le 14 Janvier 2015 Droits de reproduction et de diffusion réservés

« Meurtris, mais pas terrorisés »

Yolande Baldeweck

« La meilleure manière de résister à la barbarie et de protéger la France est de croire en elle, de mieux s'entraider, de mieux s'entr'aimer », a affirmé le grand rabbin René Gutman en accueillant représentants de l'État, élus et membres des autres cultes, hier soir à la synagogue de la Paix à Strasbourg. Une cérémonie rehaussée par le magnifique choeur des hommes. Lorsque les noms des 17 victimes - si différentes, mais unies dans un même malheur - ont été énoncés dans la prière des morts, on a senti l'émotion étreindre l'assemblée.

« Lorsque ceux qui assassinent jusque leurs frères crient que Dieu est grand pour revendiquer leur violence, qu'ils sachent que ce Dieu n'est pas grand. Par leurs crimes, il est rendu dérisoire et petit... Dieu est grand quand cet

employé mu sulman de la supérette de la Porte de Vincennes a caché plusieurs personnes au mépris de sa vie. Il mérite notre reconnaissance pour cet acte héroïque », a relevé le grand rabbin, en évoquant l'image de la jeune femme belge, Sarah Bitton, sortant du magasin, protégeant sa petite Nora, 11 mois, de ses bras....

« Elle s'appelle Sarah »

« Ce drame s'est répété des milliers de fois durant la Shoah. Une bonne cachette était une question de vie ou de mort pour des vieillards, des femmes, des enfants. Lorsque l'enfant criait ou pleurait, la femme n'avait d'autre choix qu'étouffer sa voix, quitte à perdre son bébé », a rappelé René Gutman, effrayé qu'on puisse, « 73 ans après la fin de la Shoah, être obligé en plein Paris de se cacher dans une chambre froide... » Le grand rabbin, qui a rendu hommage aussi à la bravoure de ceux qui ont conduit l'assaut contre les terroristes, a salué la foule qui, dimanche, a marché « contre la haine pour affirmer la vie, la liberté, l'égalité, la fraternité, sans lesquelles la France n'est pas la France ». Mais il a aussi redit « sa détermination à désigner le mal et l'urgence à la dénoncer... »

Tout en fustigeant les terroristes, Alain Fontanel, 1er adjoint au maire de Strasbourg, a estimé que « rien ne peut plus être comme avant ». Faisant allusion à la conférence citoyenne proposée par Roland Ries (lire ci-dessous), il a promis que les élus vont « s'employer pour que l'élan ressenti dans les manifestations ne reste pas lettre morte ». Mais il a aussi « mis en garde contre les amalgames injustes et les actes islamophobes » de ces derniers jours.

« Tous visés,tous concernés »

« Nous ne pouvons pas nous contenter de paroles, nous ne pouvons pas laisser tuer nos compatriotes. Nous sommes tous visés, tous concernés », a assuré le vice-président du conseil général du Bas-Rhin, Yves Le Tallec, en mettant l'accent sur « l'héritage » de Jean Kahn, décédé en août 2013. « L'ancien président du Conseil représentatif des institutions juives de France a consacré sa vie à défendre la liberté de conscience, l'expression de la tolérance, l'ouverture à l'autre », a-t-il

L e grand rabbin René Gutmann, hier soir à Strasbourg, lors de l'hommage aux victimes des terroristes.

Photo L'Alsace/Dominique Gutekunst

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souligné, persuadé que « plus que jamais, il faut célébrer ces mêmes valeurs ».

« Qui sont-ils, ces assassins qui croyaient semer entre nous des ferments de la discorde, qui pensait que la République se laisserait faire ? Depuis mercredi, le pays se rassemble », s'est réjoui le président du conseil régional, Philippe Richert, fier que « la République soit debout, avec la volonté de porter un coup d'arrêt au terrorisme ».

« Nous avons trop toléré l'islamisme du rejet, ce nouveau fascisme », a dénoncé aussi l'ancien ministre, en appelant à « la mobilisation contre cette idéologie de la haine, avec les musulmans de France » et, en Alsace, au « rassemblement de tous les hommes de bonne volonté au sein du comité interreligieux ».

« Pourquoi ces monstrueux attentats dans notre France ? Comment se fait-il qu'on massacre au nom des religions et entre coreligionnaires ? P ourquoi, en 2015, faut-il mettre des gendarmes, des militaires pour protéger les lieux du culte ? Nous devons réagir ! » s'est exclamé le préfet de région, Stéphane Bouillon, pour qui « les ennemis de la République sont minoritaires et plus isolés que jamais ». « Les terroristes nous ont meurtris, mais pas terrorisés », s'est-il félicité, en appelant élus, associations, citoyens, à prendre leur part dans ce combat pour le vivre ensemble et le respect de nos valeurs.

Alors que l'État doit s'occuper de « la sécurité, de l'administration pénitentiaire et de l'Éducation nationale », Stéphane Bouillon de conclure : « Nous avons été nombreux à marcher dimanche, mais pas assez nombreux. Cette marche sera encore longue. Alors marchons vers la tolérance, le respect, la liberté... »

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© L'alsace, Mercredi le 14 Janvier 2015 Droits de reproduction et de diffusion réservés

Ries lance « une conférence citoyenne »

Le maire de Strasbourg, Roland Ries, a profité, hier, de ses voeux à la presse, en présence du président de l'Eurométropole, Robert Herrmann, et du 1er adjoint Alain Fontanel, pour en appeler à « une réflexion citoyenne, sans contenu trop précis ».

Souhaitant « paix et sérénité » aux médias pour 2015, Roland Ries a observé que ce ne sont pas des propos de circonstance, « puisque la presse, la police, des juifs ont été pris pour cible ». « Mais au-delà de ces crimes horribles, c'est le vivre ensemble, le respect de l'autre, la liberté de la presse et plus généralement la liberté de pensée qui ont été attaqués », a-t-il rappelé.

170 militaires

« Face à ces terroristes qui s'attaquent au socle républicain, les réactions des citoyens ont été très fortes. Jamais je n'avais vu des manifestations de ce type », a témoigné le maire PS de Strasbourg, qui a été interpellé par ses concitoyens. « Ils me demandent : Et maintenant, que va-t-il se passer ? » Sa réponse est de chercher à « préserver ce talisman républicain ».

Bien sûr, et Robert Herrmann, président de l'Eurométropole, et son adjoint à la sécurité, l'a rappelé : « Des mesures concrètes ont été prises par l'État au niveau national. » Ainsi, à Strasbourg, 170 militaires supplémentaires sont arrivés. Ils sont affectés à la surveillance des bâtiments sensibles. Car des faits se sont produits qui montrent que le « Je suis Charlie » ne fait pas

l'unanimité dans la ville. Robert Herrmann a dénoncé les 5 000 tweets qui saluent les assassinats perpétrés par le terroriste Coulibaly. « Lundi, nous avons eu à déplorer sept alertes à la bombe, quatre interventions policières avec blocage de secteur, une explosion de mortiers à la Meinau, mais aussi des tags à la gloire des assassins sur la pépinière d'entreprises. Nous devons être vigilants », a-t-il affirmé, conscient également qu'il faut veiller à « un meilleur équilibre au sein de l'Eurométropole ».

En un mois

Pour sa part, le maire de Strasbourg croit en la libération de la parole « pour que ceux qui étaient dans les manifestations de ces jours derniers et ceux qui n'y étaient pas puissent faire des propositions ». Il compte sur « la créativité et l'imagination » de tous ceux, et en premier lieu les associations culturelles, qui voudront apporter leur pierre à l'édifice. Et plutôt qu'un carcan rigide, Roland Ries proposera « une auto organisation » au comité de pilotage qu'il va réunir lundi prochain. L'ancien enseignant n'oublie pas l'école, « creuset du vivre ensemble, proposant une véritable instruction civique dans le cadre des nouveaux rythmes scolaires ». Une seule condition : « Que les travaux se terminent d'ici un mois ! »

Y. B.

Les Strasbourgeois dans la rue dimanche.

Photo L'Alsace /Thierry Gachon

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Place baptis�e, exposition, conf�rence citoyenneÉ les hommages descollectivit�s � Charlie Hebdo

mercredi 14 janvier 2015 06 : 32

1297 mots

: COURRIER DES MAIRES

Moins d'une semaine apr�s l'attentat contre l'�quipe de Charlie Hebdo

le 7 janvier dernier, les collectivit�s locales, des petites communes aux

grandes m�tropoles, ont multipli� les signes de soutien � l'hebdomadaire

satirique et � sa libert� de ton. Morceaux choisis.

Une place de la commune de La Tremblade, pr�s de Royan (Charente), a �t�

baptis�e le 10 janvier Ç Je suis Charlie È. Ç Cela permettra d'inscrire cette m�-

moire dans le temps, et chaque ann�e nous aurons peut-�tre l'occasion de

fleurir la place et rappeler ce qui s'est pass� È, a indiqu� le pr�sident de la Com-

munaut� d'agglom�ration Royan Atlantique (CARA) et maire de La Tremblade,

Jean-Pierre Tallieu (UDI).

La future place Ç Je suis Charlie È est situ�e face � la biblioth�que municipale.

Ç Nous profitons que cette place n'avait pas encore de nom et nous nous en r�-

jouissons, c'est tr�s symbolique È, a-t-il ajout�. Jean-Pierre Tallieu proc�dait

samedi 10 janvier au matin au d�voilement d'une plaque �ph�m�re portant le

nouveau nom de la place avec la date de l'attentat.

Cette d�cision est une initiative du seul maire qui sera soumise ult�rieurement

au Conseil municipal. Ç Une plaque d�finitive sera install�e une fois accom-

plies toutes les formalit�s administratives n�cessaires pour enregistrer la nou-

velle d�nomination È, a-t-il pr�cis�.

Le village de Gourdon (Lot) expose depuis le 13 janvier, pour une semaine, 800

Unes de Charlie Hebdo qu'un de ses habitants de 73 ans conservait soigneuse-

ment depuis le d�but du journal satirique en 1992. Dans une salle de la mai-

rie du village de 4 400 habitants, � 150 km au nord de Toulouse, l'exposition

s'est ouverte six jours apr�s l'attentat qui a tu� 12 personnes au si�ge de

l'hebdomadaire.

Ç Cette abomination a un peu traumatis� tout le monde. Etant d�tenteur d'une

grande quantit� de Charlie Hebdo, il m'a sembl� �vident de les montrer È, a d�-

clar� Marc Tourlan, 73 ans. Ç Il me semblait qu'il fallait le faire tout de suite È,

dit-il. Beaucoup de gens sont d�j� venus voir l'exposition en me disant qu'ils

ne connaissaient pas le journal. È

Ancien lecteur de Hara-Kiri, Marc Tourlan ne se d�finit pas comme un col-

lectionneur, plut�t Ç comme È un conservateur mais pas au sens politique du

terme È, rel�ve-t-il, en se disant Ç un peu anar sur les bords È. Ancien pho-

tographe, ex-marbrier fun�raire puis agent immobilier, l'homme avoue Ç un

faible È pour le num�ro 1, publi� en 1992, Ç avec un dessin de Cabu montrant

Fran�ois Mitterrand angoiss� par la renaissance du journal È.

La maire du village et conseill�re r�gionale PS, Marie-Odile Delcamp, a tout

de suite dit Ç oui È � la proposition de Marc Tourlan. Ç Ca paraissait important

1

� tout le monde, on s'est dit Ç allons-y È dans la continuit� du rassemblement

sur la place du march� (en hommage aux victimes des attentats parisiens) qui

avait r�uni pr�s de 500 personnes samedi È. Ç Il y avait quand m�me un citoyen

qui n'�tait pas d'accord, on lui a dit qu'il �tait libre de ne pas venir È, glisse

l'�dile.

Dans le village, � 150 km au nord de Toulouse, l'exposition a �t� organis�e sans

inqui�tude car Ç Gourdon est une commune o� il fait bon vivre, o� il y a un im-

portant tissu associatif et une forme de tol�rance des uns envers les autres È,

assure Marie-Odile Delcamp, ajoutant : Ç nous avons la chance d'avoir eu (le

chanteur) L�o Ferr� comme habitant, dans les ann�es 60, et l'esprit du village

est teint� d'insolence, contre la bien-pensance ambiante È.

Pour �viter que le mouvement citoyen apr�s les attentats en France ne

s'essouffle, la ville de Strasbourg va organiser une Ç conf�rence citoyenne È

charg�e d'�laborer des propositions concr�tes pour am�liorer le Ç vivre en-

semble È, a annonc� le 13 janvier son maire PS, Roland Ries. Ç On a march�

ensemble dans la fraternit�, il faut d�sormais que ces �changes se traduisent

par des propositions qui concernent par exemple l'�ducation, les prisons, le

+vivre ensemble+ È, a d�clar� le maire de Strasbourg, en marge de ses vÏux �

la presse.

Selon Roland Ries, l'initiative strasbourgeoise est une premi�re en France.

Ç J'esp�re que ceux qui �taient pr�ts � marcher pour ces id�es, soient pr�ts aus-

si � penser et � faire des propositions È pour �viter que ne se reproduisent des

�v�nements comme les attentats de la semaine derni�re, a-t-il dit.

La ville pourrait ainsi organiser des tables rondes sur des th�matiques particu-

li�res, comme l'instruction civique, ou favoriser des initiatives comme celles

d'avocats qui se disent pr�ts � aller parler dans les �coles de la d�claration uni-

verselle des droits de l'Homme.

Ç Le mouvement doit �tre diversifi� dans ses contenus et son organisation È, a

soulign� le maire. Selon son entourage, ces propositions pourraient �tre syn-

th�tis�es � l'issue d'une grande conf�rence citoyenne dans un d�lai d'un mois.

Plusieurs rassemblements ont r�uni des Strasbourgeois depuis les attentats de

la semaine derni�re. Le plus important d'entre eux, dimanche, a r�uni 45.000

personnes dans la capitale alsacienne, si�ge du Conseil de l'Europe, de la Cour

europ�enne des droits de l'Homme et du Parlement europ�en.

Charlie Hebdo a �t� fait le 9 janvier citoyen d'honneur de la Ville de Paris, �

l'unanimit� des �lus du Conseil de Paris r�unis en conseil extraordinaire, deux

jours apr�s l'attentat qui a endeuill� le journal satirique et la police. Ç Cette

distinction extr�mement �lev�e, tr�s peu attribu�e, est r�serv�e aux d�fen-

seurs les plus embl�matiques des droits de l'homme de par le monde. Elle a r�-

compens� d'immenses r�sistants � la dictature et � la barbarie. En choisissant

de la remettre � Charlie Hebdo, Paris, notre ville accorde � un journal coura-

geux et h�ro�que le respect d� aux h�ros È, a d�clar� avec �motion la maire de

Paris, Anne Hidalgo (PS), devant les conseillers de Paris debout, une affichette

Ç Je suis Charlie È sur leur pupitre.

2

Charlie Hebdo est la quinzi�me personne ou institution � se voir d�cerner ce

titre depuis 2001, mais c'est Ç la premi�re fois qu'on le donne � un Fran�ais, et

que ce Fran�ais, ce Parisien, est un journal, Charlie Hebdo È, a relev� aupr�s de

la presse la maire de Paris. Parmi les r�cipiendaires, Nelson Mandela (2013),

Shirin Ebadi (2010), ou encore Aung San Suu Kyi (2004).

Ç C'est un prix qui est rare et qui a une force symbolique importante, compte

tenu des valeurs qu'incarne Paris dans le domaine des droits de l'homme È, a

dit � la presse Anne Hidalgo. Ç Tous (ceux qui l'ont re�u) nous ont dit que cela

les avait aid� � tenir, parce que c'�tait une sorte de protection d'�tre citoyen

d'honneur de la Ville de Paris È, a-t-elle soulign�. Pour l'�dile socialiste, ce prix

est aussi un Ç message È adress� aux survivants de l'attentat pour leur dire que

l' Èesprit È de Charlie Hebdo Ç doit se perp�tuer È, et que la Ville sera Ç � leurs

c�t�s È.

La maire de Paris a annonc� que la Ville accueillerait Ç chaque ann�e un grand

festival international ouvert aux dessinateurs de presse du monde entier È. Elle

a �galement dit son souhait d'organiser � l'H�tel de Ville une Ç exposition avec

les dessins des artistes assassin�s È, et de soutenir Charlie Hebdo en y abon-

nant les 163 conseillers de Paris. L'ensemble des groupes politiques a rendu

hommage aux victimes de l'attaque.

Tous droits r�serv�s 2015 courrierdesmaires.com

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Parution : Continue

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Contact presse : Ariane Laffon : tel 03 88 62 56 64 - mail : [email protected]

Invitation presse Strasbourg, le 16 janvier 2015

Conférence citoyenne de Strasbourg

Roland Ries, Maire de Strasbourg, vous convie à un point presse à l�issue du 1er comité de pilotage partenarial de la « conférence citoyenne » de Strasbourg :

Lundi 19 janvier 2015

à 15 heures 15

Centre Administratif � Salon Carré

Cette première réunion des partenaires de la conférence citoyenne viendra poser les bases de la démarche, en définir précisément l�objectif et en décliner les premières actions.

StrasbourgQ MARDI 20 JANVIER 2015

[email protected]

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STRASBOURG Première initiative de la « conférence citoyenne »

Unsitepour« l’ouvrir »après lesattentats

Rien ne se fera sans la partici-pation de tous. C’était déjàla conviction de Roland Riesau lendemain de la mani-

festation de Strasbourg contre le cri-me et contre la violence aveugle desfanatiques (DNA du 13 janvier2015). Pendant ces quelques heuresmiraculeuses, les barrières des ori-gines, les différences des croyances,les murs séparant les êtres n’exis-taient plus. Ces jours de sidération,ces moments d’effroi, ces protesta-tions d’espoir ont provoqué unecommunion populaire autour desvaleurs républicaines. Commentconserver cet élan ?

Une démarche« à la Kennedy »

L’ampleur du « rassemblement ré-publicain » renvoie les responsablespolitiques à leurs responsabilités.Comme il s’y était engagé il y a huitjours, le maire de Strasbourg a lancéhier après-midi la « conférence ci-toyenne » en présence de sept de sesadjoints (*).Autour d’eux, Stéphane Bouillon, lepréfet de la région Alsace et du Bas-Rhin, Lila Merabet représentant Phi-lippe Richert, le président du con-seil régional et Jean-PhilippeMaurer, l’un des vice-présidents duconseil départemental. Mais aussiJacques-Pierre Gougeon, le recteurde l’académie de Strasbourg, AlainBeretz, le président de l’Universitéde Strasbourg. Et des représentantsdes associations, tous enthousias-més par la sincérité et la détermina-tion des « marcheurs » : à commen-cer par Christine Panzer, laprésidente d’ASTU, Pierre Greib de la

Cimade… L’objectif est de déboucherd’ici un mois sur des propositionsconcrètes de la part des institutionspubliques, mais aussi – et surtout – de la part des associations et descitoyens.Pour Roland Ries, il faut ouvrir lesportes, donner à chaque habitant decette ville sa chance, entendre savoix, apprendre de lui autant qu’ilapprend des autres. La réflexiondoit porter dans tous les domaines :que ce soit dans l’éducation et laformation, la culture, l’emploi, lafamille, les déplacements… « Ils’agit de faire en sorte que la cons-cience citoyenne soit sollicitée pourexplorer des pistes nouvelles », ap-puie le maire de Strasbourg. « Il n’ya pas de solution miracle qui pour-rait se dégager d’un quelconque cé-nacle… », prévient-il.Citant Kennedy, Roland Ries propo-se que « les citoyens se demandentce qu’ils peuvent apporter à la col-lectivité, et non l’inverse. »

Une boîte à idées sur Internet

Un site de la Ville de Strasbourgwww.strasbourg.eu/ouvrons-la a étémis en place pour recueillir toutesles suggestions. Après la commu-nion populaire autour des valeursrépublicaines, le maire a d’ores etdéjà reçu de nombreuses contribu-tions. Telle cette main tendue parplusieurs avocats strasbourgeois quise proposent d’intervenir dans lesécoles de la ville pour expliquer cequ’est la Déclaration des droits del’homme. Ou ces premiers courrielsqui émanent de citoyens, tous indi-gnés par la lâcheté des attentats.Des conférences et des tables rondes

seront animées dans les prochainsjours à travers la ville.Les nouveaux conseils de quartierinstallés cette semaine se saisirontde la question du vivre ensemble. Etnotamment celui du Conseil des XV-Orangerie-Rotterdam qui se réunis-sait hier soir. Chacun est invité à

présent à confier ses sentiments, sescraintes… et ses espoirs. Vous avezla parole… R

DOMINIQUE DUWIG

Q (*) Sont parties prenantes de la« conférence citoyenne » les adjointssuivants : Alain Fontanel, premier

adjoint ; Mathieu Cahn, en charge dumonde associatif ; Françoise Buffet, encharge de l’éducation ; Mine Günbay, encharge de la démocratie locale ; RobertHerrmann, en charge de la sécurité etprésident de l’eurométropole ; EricSchultz, en charge de la citoyenneté ;Olivier Bitz, en charge des cultes.

Roland Ries a lancé hier après-midi la « conférence citoyenne » en présence des institutions publiques, de 7 de sesadjoints et des associations. PHOTO DNA – CÉDRIC JOUBERT

Commenthonorer l’esprit de lamobilisationsansprécédentdu11 janvier après la récente séried’attentats ?Une réflexionsurle vivreensembleest engagée. LesStrasbourgeoisont laparole sur le sitedédiéde laVille (www.strasbourg.eu/ouvrons-la).

« La rueaparlé ! » etmaintenant…

« LA RUE A PARLÉ ! », ont d’embléeestimé Christine Panzer, présidentede l’ASTU, et Pierre Greib, de la Cima-de, qui ont ouvert une soirée dontl’objectif a été de tenter de faire le« bilan de cette situation exception-nelle », à la maison des syndicats.Les intervenants se sont succédé pourfaire part de leur diagnostic : « Nousavons tous l’espoir de la réconcilia-tion. Mais il faut bien reconnaître quebeaucoup de jeunes sont restés tapisdans les cités et n’ont pas participé àla manifestation », analyse Jean-Luc,de la Maison des potes, dont le but estde promouvoir la « citoyennetéactive. »

« Lavage de cerveaux »

« Les attentats, on ne peut pas lesjustifier. Mais tout le monde ne parta-ge pas la ligne éditoriale de CharlieHebdo. Il y a un problème de discer-nement », appuie Faouzi, de l’ATMF.Un homme qui se présente comme« libre penseur et membre du PC »,

évoque son « immense désespoir »,suite à ces assassinats. Mais celui detenter de trouver des raisons à cescrimes : « Le lavage de cerveau desfous de Dieu et la rancœur liés à laproblématique de la Palestine et dusoutien au néocolonialisme… » Sou-levant l’objection, dans la salle, de nepas déplacer le débat.« Il faut que l’on agisse et que l’on sesente solidaire », a considéré Jacque-line Martin, du théâtre Le Potimar-

ron. « J’ai 63 ans et ça fait 50 ans queje bataille, j’ai envie d’y croire ! »,embraye une responsable de l’asso-ciation Femmes Solidarité Stras-bourg.

« Çame rappellel’Algérie des années 90 »

Pour d’autres, cette vague d’attentatsrouvre des plaies : « Cela me rappelleles années 90 en Algérie avec 100journalistes tués… », appuie un hom-

me qui fait appel à un souvenir per-sonnel. Avant d’ajouter : « Il fautlutter contre ces mouvements sectai-res. Je ne crois pas en l’existence deloups solitaires : ces gosses sontmanipulés, via internet. »De son côté, Michel Quenderff, direc-teur de centre socioculturel, rappelleque, dans l’esprit de certains jeunes,« on ne peut pas transgresser, on necaricature pas le prophète car il est…au-dessus de la République. » Etd’ajouter que, pour un certain nom-bre d’entre eux, « ils ont le sentimentque les juifs sont plus protégés queles musulmans… »

« Il n’y a pas d’égalitéréelle des chances »

Un autre intervenant, travailleursocial, ne souhaite pas « être associéà une opération de récupérationpolitique. » Mais son diagnostic estimplacable : « Il n’y a pas de réelleégalité des chances : c’est plus diffici-le pour celui qui vient de l’étranger,même si cela fait deux ou trois géné-rations. Ils n’ont pas les mêmes chan-ces que les ’’Français’’ donc ils seserrent les coudes. La République neles accueille pas comme elle de-vrait ! » Et l’éducateur, la quarantai-ne, d’ajouter en forme de recette àappliquer : « Il faut développer l’es-prit critique pour mieux apprécier safoi ; aller vers plus d’égalité des chan-

ces pour éviter qu’ils se sentent malaimés ; et travailler sur les libertéspour éviter de tomber dans une socié-té liberticide. »Il faut donc s’attaquer, a poursuivi unautre intervenant, « au terreau et passeulement aux symptômes. » Lesjeunes ne doivent pas se sentir « inu-tiles ou inexistants », car « nousavons tous échoué à trouver à cesjeunes une place dans la société.Certains auraient voulu manifester,mais ils ont eu peur d’être mal vus ! »Pour un autre intervenant, « le dialo-gue interreligieux en Alsace ne doitpas être réservé aux religieux : ça neprésente pas grand intérêt, mais ilfaut l’inscrire dans l’interculturel etl’égalité des droits ! »

Trouver les mots face au« déclassement permanent »

Enfin pour Pascal Kittel, responsablesyndical SGEN-CFDT, au niveau del’éducation, « les enseignants de-vraient pouvoir y faire face dans lesgrands lycées ». En revanche, « dansles lycées professionnels, la situationest parfois désespérée : les profs nesavent plus quoi dire. C’est le déclas-sement permanent qui crée des spira-les négatives ! » Et d’ajouter que « lasituation d’urgence » nécessitait decommencer par enrayer la baisse dessubventions. R

PHILIPPE DOSSMANN

Quelques jours après le traumatis-me, puis l’élan populaire qui asuivi, responsables associatifs,promoteurs de la marche citoyen-ne et simples citoyens se sontretrouvés pour mettre des mots-parfois durs- sur un ressenti col-lectif. Et aborder la suite.

La marche citoyenne a soulevé des questions. Pour les organisateurs,l’objectif est d’aller au-delà du diagnostic. PHOTO ARCHIVES DNA – MICHEL FRISON

© L'alsace, Mardi le 20 Janvier 2015 Droits de reproduction et de diffusion réservés

À Strasbourg, les citoyens invités « à l'ouvrir »

Geneviève Daune-Anglard

La première réunion du comité de pilotage de la conférence citoyenne « Ouvrons-la ! » voulue par Roland Ries, maire PS de Strasbourg, au lendemain de la manifestation historique du dimanche 11 janvier (L'Alsace du 14 janvier), s'est tenue hier à Strasbourg. « Il faut tirer les leçons des événements récents, a indiqué Roland Ries, et trouver des réponses nouvelles à ce qui s'est révélé ces derniers jours. »

« Il faut canaliser »

Dans le comité de pilotage, on trouve des institutions publiques (État, Région, Département du Bas-Rhin,

Strasbourg Eurométropole, Académie de Strasbourg, Université), mais aussi des élus de la Ville et de la Communauté urbaine de Strasbourg, des responsables d'associations et un étudiant de Sciences Po.

Depuis l'annonce du lancement de cette conférence citoyenne la semaine dernière, « on a eu beaucoup de remontées spontanées et il faut canaliser tout cela », a encore indiqué le maire de Strasbourg. Le comité a retenu plusieurs thématiques, qui vont de l'éducation et la formation à la dimension religieuse, en passant par la culture, l'emploi, la famille etc., avec une volonté « d'enseigner le fait religieux, l'histoire des religions, et de travailler sur la tolérance ».

Dès demain, un site internet permettra aux citoyens individuels ou regroupés de faire remonter leurs propositions et de donner également la synthèse des réunions qui vont se tenir avec le label « Conférence citoyenne ». Les nouveaux conseils de quartier, qui vont être installés dans les dix jours à venir, auront aussi à « plancher » sur un nouveau volet, celui du vivre ensemble. Un comité opérationnel, placé sous la direction du premier adjoint, Alain Fontanel, est chargé de suivre les choses de semaine en semaine. D'ici un mois, espère Roland Ries, des pistes de réflexion et d'actions innovantes auront été trouvées, « première étape d'un processus beaucoup plus long ».

SURFER www.strasbourg.eu/ouvrons-la

Le maire Roland Ries, hier à Strasbourg. Photo L'Alsace/Jean-Marc Loos

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20/01/2015http://arpro3.sdv.fr/cgi/idxlist_seek?a=art&aaaammjj=201501&num=8565&journal=a...

Pour que vive lÕesprit du 11 janvier

N¡ 2253

lundi 19 au dimanche 25 janvier 2015

Page 3

449 mots

EDITORIAL

Apr�s lÕattentat contre Ç Charlie

Hebdo È et lÕexceptionnelle mobilisa-

tion du 11 janvier, il est difficile pour

chacun dÕentre nous de reprendre

une vie normale. La r�action � de tels

�v�nements ne peut pas se limiter au

seul sursaut citoyen, aussi fort et em-

bl�matique soit-il. La prise de

conscience doit se poursuivre, pour

redonner du sens au fameux vivre-

ensemble. Une fois lÕ�motion retom-

b�e, il faut la transformer en actions

de fond, durables et � la hauteur des

enjeux. Le d�bat a besoin de

sÕengager au plus vite, tout le monde

doit y participer. Et il y a urgence,

afin que la p�riode qui sÕannonce

nÕattise pas les peurs, ne nourrisse

pas les exclusions et ne fasse pas

lÕamalgame inacceptable entre terro-

risme et islam.

LÕart difficile du d�bat. Attention

toutefois � ce que la r�ponse ne soit

pas uniquement s�curitaire, m�me si

ce volet est indispensable. Contrai-

rement � lÕAm�rique

post-11-Septembre, �vitons le pi�ge

dÕun Ç Patriot Act È � la fran�aise, qui

doterait lÕEtat de trop larges moyens

de surveillance, sans transparence.

DÕautres leviers existent, quÕil nous

faut mobiliser. La r�ponse � la haine

passe forc�ment par une lutte renfor-

c�e contre la radicalisation, en pri-

son mais pas seulement. La premi�re

priorit� est celle de lÕ�cole, avec la

d�licate t�che dÕapprendre aux �l�ves

lÕart difficile du d�bat et du respect

de lÕautre. Les actions de pr�vention

et de civisme, lÕinsertion et lÕemploi,

lÕ�ducation populaire, les projets au-

tour de la m�moire, la culture et le

dialogue, la politique de la ville sont

indispensables pour am�liorer le

vivre-ensemble. R�le des collectivi-

t�s. Les collectivit�s sont en premi�re

ligne de ces diff�rents combats. Dans

une tribune publi�e cette semaine

dans Ç La Gazette È (lire p. 106), une

fonctionnaire territoriale les appelle

avec raison � sÕinterroger sur leur

r�le au service de lÕint�r�t g�n�ral et

de la d�fense des principes r�publi-

cains. Ç Oui, les politiques publiques

mises en Ïuvre par les collectivit�s

ont le pouvoir de faire �voluer les

choses, lance-t-elle. Elles ont cette

capacit� dÕamener les citoyens � se

construire une identit� et des opi-

nions. È Un constat dÕautant plus vrai

dans les quartiers, comme le souligne

lÕassociation Ville et banlieue, qui

plaide notamment pour d�velopper

la participation des citoyens et don-

ner les moyens de Ç faire ensemble È.

La ville de Strasbourg va par exemple

organiser une Ç conf�rence ci-

toyenne È charg�e dÕ�laborer des

propositions concr�tes pour �viter

que la prise de conscience ne

sÕessouffle. LÕesprit du 11 janvier doit

perdurer. �

par Philippe Potti�e-Sperry, R�dac-

teur En Chef

2268071883C07C0D809605F1B10041D96EC4151194774CEE65C3700Parution : Hebdomadaire

Diffusion : 26 294 ex. (Diff. pay�e Fr.) - © OJD DSH 2013/

20141

Conf�rence citoyenne - Ville de Strasbourg

par News Press <[email protected]>

mercredi 21 janvier 2015 13 : 27

110 mots

Ville de Strasbourg -Dimanche 11 janvier, 45 000 personnes se sont ras-

sembl�es en hommage aux victimes des attentats terroristes et ont ma-

nifest� leur d�sir de trouver les voies d'un vivre-ensemble renouvel�.

C'est pour prolonger cet �lan que la Ville de Strasbourg propose une grande

Ç conf�rence citoyenne È.

Exprimez vos attentes et vos id�es. Communiquez vos propositions et vos sug-

gestions. Votre contribution sera utile.

> L'espace de contribution est ouvert � l'adresse �

C16DE76F83A0360B801B02E1F807210B13E40B3BB983405D7018B38Parution : Continue

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Contact presse : Ariane LAFFON � 03 88 60 92 83 � [email protected]

Strasbourg, le 28 janvier 2015

INVITATION PRESSE

Conférence citoyenne

Point d�étape

Alain Fontanel, 1er adjoint au Maire de Strasbourg, vous convie à une conférence de presse relative à l�avancement de la conférence citoyenne :

Jeudi 29 janvier 2015

A 11 heures 45

Centre Administratif � 9ème étage

En présence de :

- Mathieu Cahn, adjoint en charge de la vie associative et des centres socioculturels,

- Françoise Buffet, adjointe en charge de la vie scolaire.

Lancée le 19 janvier dernier, la conférence citoyenne de Strasbourg a pour objectifs de pérenniser l�élan national initié après les événements de début janvier, de créer de nouveaux espaces de dialogue entre citoyens et d�imaginer collectivement le vivre-ensemble de demain.

Cette conférence de presse sera l�occasion de faire un point sur les contributions reçues et les prochaines rencontres prévues.

Contact presse : Ariane Laffon � 03 88 60 92 83 : - Mail : [email protected]

Strasbourg, le 29 janvier 2015

COMMUNIQUE DE PRESSE

Conférence citoyenne :

Dialoguons, échangeons et inventons sur l�éducation

Dans le cadre de la conférence citoyenne, Roland Ries, Maire de Strasbourg, participera à la première réunion thématique dédiée à la question de l�éducation :

Vendredi 30 janvier 2015

à 19 heures 15

Au CSC ARES Esplanade � 10, rue d�Ankara

Cette rencontre est la première d�une série de rendez-vous qui, jusqu�au 19 février prochain, seront dédiés à des thèmes comme la culture, l�emploi ou encore la laïcité et la liberté d�expression.

Entrée libre.

© Dna, Vendredi le 30 Janvier 2015 Droits de reproduction et de diffusion réservés

STRASBOURG Conférence citoyenne « Ouvrons-la »

Six réunions, pour débattre dès ce soir La Ville de Strasbourg va organiser six réunions thématiques ouvertes à tous dansle cadre de

sa conférence citoyenne lancée suite aux attentats du début du mois.

La conférence citoyenne initiée par le maire de Strasbourg va se traduire par six réunions publiques thématiques, réparties à travers le territoire de la ville. La série commence ce soir dans le quartier de l'Esplanade sur le thème de l'éducation en présence de Roland Ries. Une septième rencontre, un « forum », le 19 février, servira à dresser une synthèse de ces rencontres.

« Des pistes nouvelles »

L'idée est « de faire émerger des pistes nouvelles et de permettre à chaque citoyen d'être acteur et de participer à la redéfinition du cadre et du vivre ensemble qui a pu faire défaut » a expliqué hier le premier adjoint Alain Fontanel. La ville veut ainsi mobiliser ceux qui ont marché le 11 janvier, mais aussi ceux qui n'ont pas participé au mouvement, en clair, ceux « qui sont Charlie » et ceux « qui ne sont pas Charlie ». Tout le monde peut venir et participer à ces réunions.

Reste que l'adjointe en charge de l'éducation François Buffet dit découvrir, à la suite du drame parisien, les problèmes du vivre ensemble : « Tout cela nous oblige à une vraie humilité », dit-elle en parlant même de « politique hors sol » dans les quartiers. Étonnant constat pour une municipalité de gauche qui entame son deuxième mandat.

Ces propos n'ont d'ailleurs pas eu l'heur de plaire à son collègue l'adjoint Mathieu Cahn, en charge du quartier de la Meinau et des animations. « Moi je ne découvre pas l'ampleur du travail qu'il y a à faire, répond-il. On a eu plusieurs alertes, comme la journée de retrait de l'école, les réactions sur Dieudonné. Ca fait six ans que je prêche dans le désert ». Et de fustiger les acteurs nationaux. « On a l'impression qu'on découvre les élus locaux quand il y a un drame. Trop souvent, la politique de la ville, cela consiste à faire ce qui devrait être normalement fait, alors que la politique de la ville devrait être un plus. Et nous avons besoin d'acteurs locaux associatifs qui ont des budgets stabilisés. Depuis 2008 à Strasbourg, il n'y a que la ville qui a maintenu ses subventions ». Voilà de quoi alimenter les débats.

O.C.

Le calendrier des réunions ouvertes à tous

Éducation : CSC Ares Esplanade (10 rue d'Ankara) vendredi 30 janvier à 19 h 15 Accès à la culture : Espace Django Reinhardt - Neuhof mercredi 4 février à 18 h 30. Rôle des parents et des familles : CSC Elsau jeudi 5 février (horaire à confirmer). L'accès des jeunes à l'emploi : Kehl Eurodistrict lundi 9 février.

La marche du 11 janvier à Strasbourg.

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(Horaire à confirmer). Liberté d'expression : Nouveau foyer Mélanie, Robertsau, mercredi 11 février (horaire à confirmer). Laïcité et vivre ensemble : CSC Victor Schoelcher, Cronenbourg, (56 rue du Rieth), ou Aquarium vendredi 13 février à 18 h 30. Forum « un mois de conférence citoyenne » : salle de la Bourse jeudi 19 février. Horaire à confirmer.

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© Dna, Samedi le 31 Janvier 2015 Droits de reproduction et de diffusion réservés

Strasbourg Début des conférences citoyennes

L'éducation ? Populaire ! La première des conférences citoyennes d'après Charlie, hier à l'Esplanade, a fait émerger

ceci : pour éduquer et enseigner, il faut, certes, des idées, mais aussi et surtout des moyens, à

l'école et en dehors.

L'Ares, à Esplanade a accueilli hier la première réunion, six sont organisées. Pour la forme, le public assis en cercles entourait Jean-Louis Fournier, chargé d'animer et de faire circuler la parole.

Puisque les conférences sont organisées par la Ville, le maire Roland Ries en a rappelé le principe en préambule, soit convertir l'élan populaire de la manifestation du 11 janvier dernier en quelque chose de durable.

« Que l'enfant devienne un adulte critiquequi ne se fera pas avoir »

L'objectif n'est pas que d'échanger : le maire a précisé qu'il faudra ensuite « peut-être passer par le conseil

municipal, peut-être par des financements, pour mettre en oeuvre des idées nouvelles. »

Il y avait dans l'assemblée des élus (restés discrets), des représentants du monde éducatif et associatif (ce dernier s'est beaucoup exprimé), ainsi que des parents d'élèves, en partie invités directement à assister à cette soirée consacrée à l'éducation. Les jeunes, sujets des interventions, étaient quasiment absents.

« Quelque chose manque pour ces jeunes partis en Syrie. Les jeunes issus du Maghreb, d'Afrique, ne retrouvent pas leur histoire à l'école », a regretté un représentant du MRAP. Un inspecteur académique lui a répondu qu'on « ne peut pas tout aborder mais que les livres on fait des progrès significatifs depuis 2010, avec une ouverture sur la période coloniale ou l'esclavage. »

Un militant de l'éducation populaire, du réseau éducatif Francas, a lancé : « Tant qu'on sera dans la morale injonctive, on perdra son temps. Il faut des espaces où écouter les jeunes, créer des lieux d'éducations populaires. »

Astrid Ruff a elle donné le point de vue de l'artiste en rappelant les vertus de l'enseignement artistique, qui n'est pas une « injonction ».

La question des moyens en baisse, notamment pour les associations, avec pour effet de déserter le terrain, a été pointée par un membre de l'association Astu (Actions citoyennes interculturelles).

Paul Souville, vice-président de l'Ares, qui ne peut que souscrire à la réaffirmation du bienfait de l'éducation populaire, a pointé lui aussi du doigt le contexte économique difficile : « Trop souvent le critère est financier, mais l'important, ce n'est pas ce que ça coûte, c'est le résultat concret obtenu. »

Une centaine de personnes sont venues « l'ouvrir » mais le temps était compté.

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02/02/2015http://arpro3.sdv.fr/cgi/idxlist_seek?a=art&aaaammjj=201501&num=18873&journal...

Un père a parlé du lexique qu'il est en train de créer pour sa fille de cinq ans, dont les questions abondent depuis les attentats.

Une parente d'élève du groupe scolaire Jacques-Sturm, de l'Esplanade, a, elle, livré un témoignage sur les débats philosophiques qui ont lieu depuis cinq ans dans l'établissement, dès le CP : « Les enfants ont pris l'habitude de poser un regard critique sur des sujets très différents. Ils ont aussi énormément d'activités en lien avec l'environnement, la citoyenneté. Ce qu'il faut c'est une bonne mixité, pas mal d'activités, que l'enfant devienne un adulte critique qui ne se fera pas avoir. »

Prochain rendez-vous, le 4 février à 18 h 30 à l'espace Django-Reinhardt, au Neudorf.

M. A.-S.

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Après-Charlie:«Ondoittoutentendre,ycompriscequinenousfaitpasplaisir»Afindeprolonger lamobilisationdu 11 janvier, lamairie de Strasbourg organisait vendredi soir unepremière«conférence citoyenne». Entre groupedeparole et démocratie participative.

ParNOÉMIEROUSSEAUCorrespondanteàStrasbourgPhotosPASCALBASTIEN

Les devoirs terminés, descollégiens s’attardent dansle hall du centre sociocul-turel de l’Esplanade, quar-

tier de grands ensembles de l’Eststrasbourgeois. A côté d’eux, unhomme attend, petitcartable à ses pieds. Ilest inspecteur del’Educationnationale et vient pourla réunionpublique sur le thèmedel’éducation. C’est la première des«conférences citoyennes» lancéespar le maire (PS) Roland Ries aulendemain de la mobilisation du11 janvier. Cinq autres suivront, surla culture, l’emploi, la laïcité…L’opération s’étale sur un mois,histoire de«nepas s’enliser», ni«serépéter», précise Ries.«Il s’agit detirer les leçons de ce qui s’est passé etd’utiliser cettematière première pournos politiques publiques, de réorienternos objectifs, mettre en œuvre desidées nouvelles». L’invitation lancéeaux citoyens tient en deux mots :«Ouvrons-la!»Vendredi, ceux quisont venus l’ouvrir sont ceux quisavent déjà l’ouvrir.Militants asso-ciatifs, bénévoles, universitaires :des gens engagés, plutôt de gauche,plutôt poivre et sel. Deux damesbavardent, disent leur embarras,expliquent avoir«certainement des

torts», comme«tous les acteurs deterrain». Elles sont tiraillées.«Onest encore dans l’émotion et l’émotionempêche de penser. Il ne faut pas agirà la hâte. Mais il faut faire quelquechose, il y a urgence.»

«INSULTES». Une pédiatre com-mence : «On doit profiter de cettefaille de civilité pour créer des espa-

ces où les jeunes pour-raient venir jeter leursslogans et insultes. Toute

cette haine et cette rage peuvent re-descendre si elles sont exprimées.»Elle propose de délaisser la forme,pour «entrer dans la significationdes termes». Analyser lesmots vio-lents pour ensuite,«par analogie,interroger le rapport à soi et àl’autre». Certains lèvent un sourcilperplexe, beaucoup hochent latête. Dans les rangs, on ironise surl’affaire de l’écolier de 8 ans en-tendu par la police. Et sur NajatVallaud-Belkacem, qui a qualifiéd’«insupportables» certaines ques-tions d’élèves sur laminute de si-lence.«Je vois difficilement commentun jeune peut entendre ce qu’on lui dittant qu’on ne l’écoute pas. Lamoraleinjonctive, ça ne marche pas !»,martèle Claude,membre des Fran-cas, une association d’éducationpopulaire.«Et on doit tout entendre,y compris ce qui ne nous fait pas plai-sir». Applaudissements nourris.«Ilfaut le faire avec des gamins qui en

ont vraiment besoin, pas avec ceuxpour lesquels ça marche et qui nousdonne un sentiment de satisfaction».Une jeune femme se lance dans unplaidoyer pour l’éducation popu-laire:«L’école et laméritocratie sontdesmensonges d’Etat pour les jeunesdes quartiers sans emploi. Il faut agirpour de vrai, apprendre à débattre,éduquer aux médias et sortir despostures éducatives.» On réclameplus d’éducation civique, de l’his-toire des religions et des program-mesd’histoire dans lesquels les en-f an t s d ’ immig ré s s ereconnaîtraient.Vice-président de l’université,Ma-thieu Schneider dit «battre sa

coulpe».«Ondébat trop souvent en-tre nous, en cercle clos. Nous allonsmettre nos chercheurs, nos savoirs,au service des associations.»

STAGES.Des associations«qui s’enprennent plein la gueule et sont entrain de crever, faute de finance-ment!», s’insurgeHaydarKaybaki,éducateur spécialisé etmilitant del’Astu (Actions citoyennes intercul-turelles). Il proposerait bien desstages aux futurs profs«pour qu’ilsn’arrivent plus devant leur classe ter-rifiés, comme s’ils allaient êtreman-gés par le jeune de banlieue».Abel-Abdallah, lui, «fabrique desdéfinitions». Ce commerçant inter-

roge sa fille de 6 ans sur le sens desmots : «liberté», «laïcité»…Maisil s’est aperçu que les enfants aveclesquels il fait de l’aide aux devoirssont moins loquaces. «Pour l’ins-tant, on est trois,ma fille, samamanet moi. On cherche des volontairespour fabriquer des définitions avecnous». Une petite dame au carac-tère bien trempé s’émeut de«l’ef-fondrement de langage».«Quand onécoute les jeunes, on ne comprendmêmepas ce qu’ils disent!»Elle pro-pose, avec son association Espacedialogue, de«faire aimer la languepartout où on voudra bien nous rece-voir».Un autre propose une initiationpratique à la politique: «ils réflé-chissent, débattent et prennent desdécisions qui changent leur environ-nement.Aujourd’hui, trop souvent, ilsélisent un délégué qui aura le droitd’effacer le tableau et choisir la cou-leur des poubelles.» Son garçon luia demandé qui décidait de la datedes vacances.«Leministre», a-t-ilrépondu. Le fils:«c’est un adulte ouun enfant ?» La salle sourit. Unquinqua enchaîne: de sa scolaritéil se souvient surtout qu’interne, il«surveillait un dortoir de plus jeu-nes».«Quel pouvoir d’agir laissons-nous à nos jeunes ?» La réunions’achève, on échange les contacts.Le papa des cours du soir a pris lenuméro de portable du vice-prési-dent de l’université.•

REPORTAGE

Quartier de l’Esplanade, à Strasbourg (à gauche). La réunion du 30 janvier consacrée à l’éducation se tenait auCentre social et culturel (à droite).

REPÈRES

45 000 personnes ont parti-cipé, selon la préfecture, à lamanifestation qui s’estdéroulée le dimanche 11 jan-vier à Strasbourg, après lesattentats de Paris ayant viséle journal Charlie Hebdo etl’Hyper Cacher de la porte deVincennes.

«C’est dema responsabilité demaire de lancerun tel processus réunissant des experts et desgénéralistes, qui dialoguent peu.»RolandRiesmairePSdeStrasbourg

«Il y a euune certaineimprovisationdans lesclasses au lendemaindes attentats.»

EricDebarbieuxdéléguéà lapréventionet la lutte contre lesviolences scolaires,mi-janvier

LIBÉRATION LUNDI 2 FÉVRIER 201516 • FRANCE