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    20 IDocumentaliste - Sciences de linformation I 2011, vol. 48, n1

    et innovation

    ansun monde globalisde plus en plus concurrentiel, len-treprise se trouve dans lobligation dinnover si elle ne veutpastre supplante,absorbe ou dtruite. Dans ce contexte,la veille apparat comme une solution miracle !Quelle est la ralit ? La veille est-elle la panace qui dunseul coup va indiquer le chemin de linnovation ? Savons-nous bien de quoi nous parlons, lorsque nous parlons din-novation ? Avons-nous une comprhension sufsante duprocessus de linnovation et donc de la faon dont la veilledoit sy insrer pour tre efcace ? Avons-nous des idesclaires sur lorganisation mettre en place pour que la veillesoit rellement au service de linnovation ? Connaissons-

    nous des expriences concrtes de mise en uvre de la veillepour unepo-litique dinnovation ?Ce dossier a pour seule ambition de poser des questions, si possibleles bonnes, et de fournirdes informations sur la faon dont ont rponduceux qui ont essay de nous clairer. Au lecteur de voir commenttirer parti de ce dossier en fonction de sa situation professionnelle et sesproccupations !

    Serge ChambaudDirecteur de la culture scientique et technique et du muse

    du Conservatoire national des arts et mtiers (CNAM)Coordinateur du dossier avec l'aide de Patrice Noailles

    dS'informer pour conqurir

    de nouveaux territoires

    Veille

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    2011, vol. 48, n1 I Documentaliste - Sciences de linformation I 23

    pementqui est aujourdhui celle de la plupart des en-treprises.

    En ralit, il faut bien comprendre que linnova-tion est la raisonprincipale du considrabledvelop-pement de la veille depuis vingt ans. En contribuant la parfaite information des acteurs du march ,cette veille contribue aiguiser la concurrence et stimuler linnovation, selon un mcanisme aujour-dhui bien connu.

    En effet, il est clair que la veille peut servir bienautre chose qu linnovation. Citons ainsi la sur-veillance de lvolution des normes et rglementa-tions, lvolution des parts respectives des diffrentsintervenantsdunmarch,le suivi de la jurisprudenceenmatire juridique, le suividesorganigrammesetdesorganisationsinternes des concur-rents, la connaissance des actuali-ts vhicules par la presse natio-nale et la presse quotidiennergionale,etc. Lensemble de cesin-formationset biendautres doiventtre connues delentreprisecarellesconcourent dfinir la stratgieau jour le jour.

    Il reste cependant que le sort moyen et longtermes de lentreprise,qui aujourdhui doit affrontertous azimuts une concurrence exacerbe et sans r-pitdpendessentiellementde sa capacit innover etdonc en grande partiedesa matrise de laveille.Ainsi,mme si les autres applications de la veille ont leurimportance pour la vie de lentreprise, on peut sansrisquer de se tromper affirmer que le dveloppementde la veille peuten grandepartietreattribuaux be-soins de linnovation.

    Au premier abord, cette approche de la veille entant quoutil au service de linnovation peut appa-ratre rductrice. Il nen est rien car, arme dfensiveet/ou offensive, la veille permet lentreprisedappr-hendersonenvironnement,dclairer sa route, de d-finir sa stratgie de dveloppement en prenant encompte lensemble des facteurs extrieurs et doncdinnover en minimisant les risques et en optimisantles opportunits. Aussi, il nest pas de politique din-novation efficacesans un service de veillecomptentet efficient.Noublions pas, de surcrot,que linnovation peuttre scientifique, technique, commerciale, organisa-tionnelle, sociale ou mme politique. La veille doitdonc pouvoir porter sur nimporte lequel de ces do-maines ousur tous la fois, ce qui implique pour lesservices en question une polyvalence et unecapacitdadaptationtout fait exceptionnelles.Ainsi, du seulfait de sa complexit et de ses aspects stratgiques, le

    Aprs avoir exerc, de 1973 1981, diverses responsabilits au sein duBureau national de linformation scientifique et technique (BNIST) etde la Mission interministrielle pour la documentation et linformationscientifique et technique (MIDIST), puis de 1981 1989 au sein de la Directiondes bibliothques, des muses et de linformation scientifique et technique(DBMIST),Serge Chambauda intgr lInstitut national de la propritindustrielle (INPI) o il a t successivement responsable du DpartementDocumentation Information (1991-2006) et directeur du projet der-ingnierie du systme dinformation (2006-2007). Depuis 2007,il est directeur de la culture scientifique et technique et du muse duConservatoire national des arts et mtiers (CNAM). Il est par ailleurs,depuis 1994, professeur associ lUniversit Paris-Est Marne-la-Valle,responsable du master 2 Valorisation du patrimoine immatriel desentreprises et a longtemps prsid le Groupement franais delindustrie de linformation (GFII)[email protected]

    1 Voir notamment le livre de William J. Baumol : The free market innovation machine: Analyzing the growth miracle of capitalism,Princeton University Press, 2004.

    sujet Veille et innovation mritait bien que Documentalistelui consacre ce cahier spcial.

    Panorama, outils, tmoignagesNous avons choisi de regrouper les contributions que nous

    avons sollicites en trois grands ensembles.Le premier dresse un panorama de la situation, en prsen-

    tant les fondements et lesenjeux, en prcisant quelquesdfini-tions ncessaires et en donnant quelques repres historiques.Notre objectif tant :- dexpliquer clairement ce que lon entend par innovation, carce terme est souvent utilisde faon ambigu et confondu avecles termes invention ou dcouverte ;- de montrer larticulation entre veille et innovation, articula-tion qui nest pas toujours naturelle et qui ncessite toujours

    dtre pense et structure ;- de resituer le problme dans le contexte de lorganisationet dufonctionnement de lentreprise.

    Ledeuximepleaborde les outilsdelaveilleet la faon dontils sont utiliss pour linnovation. Ainsi est prsente la faondont ces outils interviennent dans les processus de dcision etexplique la manire dont ils vont voluer avec les nouvellestechnologies de linformation, en particulier le Web 2.0.

    Le troisime chapitre regroupe des tmoignages dutilisateursde la veillepour linnovationdans dessecteurs conomiques di-vers comme la proprit industrielle, les affaires juridiques etlindustrie pharmaceutique. Ces exemples montrent la varitdes formes que peut prendre la veille pour linnovation suivantles lieux o elle se dveloppe ainsi que la diversit des struc-tures mises en place au sein des entreprises pour laccueillir.

    Ces contributionsmettent clairement en vidence le rle ma- jeur des techniques de veille dans le dveloppement des entre-prisesconfrontes uneconcurrenceexacerbeet mondialise.Dans ce contexte, comprendre, matriser et appliquer ces tech-niques est devenu une condition indispensable pour innover.

    Nous esprons que ce dossier, qui se veut la fois fondamen-talet pragmatique,vous apportera lesconnaissances et lesclai-rages que vous tes en droit dattendre sur un sujet dune telleimportance pour lavenir des entreprises.

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    24 IDocumentaliste - Sciences de linformation I 2011, vol. 48, n1

    dossier Veilleet innovation 0 1[p. 24] Quatre approches de linnovation[p. 28] Les dfis de l'innovation contemporaine pour les entreprises[p. 30] Architecture dun plan de veille au service d'une vision systmique de l'innovation[p. 32] Lentreprise innovante : un espace privilgi de veille et dintelligence

    DfinitionDans linnovation et son analyse, tout ou presque tient

    dans la dfinition1. Linnovation estuneamliorationdurable delefficacitconomique globaledune socit(ausenssociologiquedu terme). Autrement dit, linnovation est une cration de va-leur globale et durable pour la socit.

    TypologieLinnovation peut tre incrmentale (faible variation de la

    rentabilit) ou derupture (forte amliorationen un faible temps),voire intermdiaire comme cest le cas de lvolution du micro-processeur depuis cinquanteans.La nature de cette innovationpeut tre technique ou organisationnelle,voire lgale.Cest soneffet conomique global qui la dfinit et non sa forme ou sa ma-tire. Elle peut tre matrielle ou intellectuelle (une loi). Ellepeut tre de produit ou de process. Peu importe, lessentiel estquelle apporte une amlioration durable de lefficacit cono-mique de la socit. Elle peut mme tre une simple trans-

    Quatre approches de linnovation

    1Dfinition (conomique)de l'innovationOrigine

    Linnovation est un concept conomique relative-ment rcent. Joseph Schumpeter a tent de lintro-duire dans la science conomique juste avant lePremire Guerre mondiale. Sans grand succs. Leconcept reste ignor jusque dans les annes 1980, laplupart des conomistes la considrant comme unedonne externe leur thorie.Puis,savisant quonnepeut ignorer un phnomne qui explique plus de 50% de la croissance, un courant de la thorie cono-mique essaie de rintgrer cette variable essentiellesous forme de thorie de la croissance endogne ensefforant de trouver des explications rationnelles etmcaniques linnovation : la formation, la recherche,la facilit decommunication, etc. Avecunsuccs limit.

    FondementsETenjeux

    [ repres ] Quentend-on prcisment par innovation ? En ouverture ce dossier, il simpose dedfinir cette notion ainsi que celle dinnovateur, de rappeler brivement dans quel processus histo-rique sinscrit linnovation contemporaine et dintroduire la notion de valeur dinnovation.

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    2 Linnovateur, principal acteurde l'innovationDfinition

    Linnovateur est le personnage central du processus dinno-vation. Il est parfois trsclbre,mais leplussouvent il est ignor.Il est celuiqui trouve le financement et ralise la premire misesur le march dun produit dont il a dfini le standardtechniqueet le modle conomique. Ces premires ventes significativesdmontrent la justesse de ses vues, et engagent alors un proces-sus de choix collectif progressif qui fera basculer les usages dela socit.

    TypologieSelon que linnovateur agit au sein dune entreprise ou

    comme dirigeant, et ventuellement crateurdentreprise, il seraun intrapreneurou un entrepreneur. Mais il y a aussi desinnova-teurs dans le domaine des lois ou de la politique. Les innovateursen entreprise restent inconnus car ils travaillent pour celle-ci.Seuls les innovateurs chefs dentreprises sont parfois connus.

    Prsident et fondateur du fonds de capital-risque Seillans Investissement et du siteWeb MemPage.com,Patrice Noaillesest administrateur de Financire de Brienne(Paris) et dAtlamed (Casablanca). Il a t conseiller technique du ministre de laRecherche pour linformation et la culture scientifique et technique en 1986. Il est lteur, en 1994, de De Gaulle et la technologie, prfac par Stanley Hoffmann, et, en2008, de Linnovation valeur, conomie, gestion, avec Serge Chambaud.

    [email protected]

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    plantation , comme le dveloppement de la pommede terre en Europequi a amlior lacapacitde notreagriculture nourrir la population.

    Pour souligner les limites du concept, il faut no-ter que lamode nest pas de linnovation : elle ne crepasde valeurmais dplace simplement le bnficiairede la valeur (le concepteur-fabricant).Par contre lap-parition de nouveauxtextiles constitue gnralementune innovation. La cration nest donc pas ncessai-rement innovante dupointde vueconomique. Elle est diffren-ciante mais pas innovante. Cestlinventiondu cinma qui est uneinnovation, mais chaquefilm nestpas une innovation conomique.De mme pour le livre.

    Invention et innovationIl faut aussi remarquer quune invention nest

    pas une innovation. Pour rsumer, il est possible dedire que ce qui caractrise une innovation, cest lacommercialisation gnralise dune invention.Ce nest pas linvention du moteur quatre tempsqui fait lautomobile (cette tape prcde lautomo-bile de prs de 30 ans), cest la combinaison dunmoteur suffisamment abouti avec une structuretechnique qui permet de crer un objet dnomm automobile . Linnovateur est celui qui accomplitce basculement : dfinition du standard techniqueefficient, dfinition du modle conomique bnfi-ciaire et ralisation des premires ventes.

    Le processus dinnovationOn a longtemps cru quil y avait une rgle de

    continuitentre les diffrentes tapes de linnovation[figure12]. Aujourdhui, il restede cette premire ap-proche un certain nombre dtapes franchir, sanslogique mcanique et selon un cheminement ha-sardeux .Bref, cest une sorte de cuisine dont les in-grdients sont connus mais la recette toujours diff-rente.Cela conduit une approcheplusstructuraliste[figure 23] quemcanique. La comprhension du che-minement dune innovation, depuis les ides (sou-vent innombrables) jusqu la concrtisation, relvedune analyse de type culinaire (les produits de basesont les mmes, mais le produit est variable) ou my-thique (les rcits sont trs varis, mais la morale esttoujours la mme). Dans linnovation, les ingrdientssont globalement toujours les mmes mais le chemi-nement est toujours diffrent, selon le produit et les artistes qui dirigent ce cheminement.

    //// ///

    FIGURE 1 - VISION DTERMINISTE OU MCANIQUE DE LINNOVATIO

    FIGURE 2 - VISION STRUCTURALISTE DU PROCESSUS DINNOVATION

    1 Nous reprenons ici les travaux prsents dans un ouvrage publi en2008 : Patrice Noailles, en collab. avec Serge Chambaud, Linnovation - valeur, conomie, gestion, ditions ESKA, 229 p.2 Source : Linnovation - valeur, conomie, gestion.3 Source : www.valeur-innovation.com

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    gement admise). Cette rvolution dmarre avec ladoption detechniques anciennes, mais inutilises jusque-l : le moulin vent, la charrue, le ferrage des chevaux, le collier dpaule, etc., partir du XIe sicle. Le progrs de productivit sera tel quilpermettra de financer une forte hausse de population, les croi-sades, la constructiondescathdrales, le dfrichage acclr desterres non productives. La rvolution industrielle moderne commence avec la ma-chine vapeur en 1715 en Angleterre et avec des efforts de m-canisation en France (Vaucanson)et en Angleterre, sans oublierle dmarrage de la chimie avec la soude (Leblanc). Cette rvo-lution industrielle sacclre grce la synergie entre la scienceet la technique, dans le cadre dune socit qui permet la diffu-sion de linnovation grce un systme conomique libral.

    Il nexiste pasdhistoire globale de linnovation.Dansle pass,le premier effet de laccroissement de la productivit a souventt un accroissement de la population. Cest pourquoi, enpremire approximation et jusquau XXe sicle, on peut suivrelinnovation occidentale depuis lan mille grce la courbe dedensit de la population qui donne une ide mais pas plus de la formidable acclration du progrs [figure 34]. La mmecourbe, pour autant que les sources soient fiables, sur dixmillnaires, donne aussi un aperu du blocage technologiquede lAntiquit, entre linvention de lcriture et celle de laroue(au IVe millnaire avant J.-C.)et la fin duIer millnaire aprs J.-C.

    Quelques grands innovateurset les inventeurs oublis

    Svre et injuste, lhistoire ne retient que ceux parfois inventeurs, souvent chefs dentreprises quifont parler deux !- James Watt, en 1775, a considrablement amliorla machine vapeur invente par un inconnu ,Thomas Newcomen en 1710.- Thomas Edison, un des premiers mettreen uvredes processus de production de masse.- Nicolas Appert na pas dpos de brevet, a obtenuquelques contrats avec la marine mais na pas russi dvelopper son invention (la conserve) qui naprisson essor qu la fin du XIXe sicle.- Steve Jobs, le trs mdiatique patron dApple, a d-velopp le micro-ordinateur en 1977, en croisant lesfabrications existantes et les travaux danalyse duPARCde Xerox.Il a dfini la structure fondamentalede cet outil. Mais on a oubli le Franais Andr Truong :

    il avait cr en 1973le premier micro-ordinateur et lapremire socit qui en avait fabriqu (Micral).- Peugeot, parmi les premiers faire confiance auxmoteurs explosion,en1890. Maisona oubliCugnotqui a fait circuler la premire automobile en 1765.- Les frres Wright : ayant matris le dispositif decontrle du vol selon les trois dimensions (1903-1905), ils ont jou un rle fondamental dans lessorde laviation. Mais on a oubli Clment Ader qui afait voler un premier avion dix ans auparavant.- Mac Lean (inconnu, toujours et encore inconnu !)a dvelopple systme de transport parconteneurs endfinissant le standard technique(les dimensions duconteneur sont celles du semi-remorque amricaindesannes1950) et le modle conomique (leconte-neurest indpendant du transporteur). Certainsana-lystes affirment que cest linnovation la plus impor-tante du XXe sicle !

    3 Histoirede linnovationCest lhistoire de lhumanit Mais elle est peu

    connue et les travaux sur ce sujet sont souvent em-bryonnaires .

    Quelques repres La rvolution nolithique (thse universellementadmise). Cest une priode, qui dmarre avant le Xemillnaireet se termine au IVe millnaire avec la roueet lcriture, pendant laquelle la Msopotamie (lactuelIraq) semble avoir tout invent et dvelopp. La crise du progrs technique de la Grce antique(thse de Bertrand Gille). Cethistorien souligne quele progrs technique de lAntiquit steint en Grceet ilprcise que, siAlexandrie a t une relle cit desavoirscientifique, il nen estpratiquement rien sortidu point de vue de la technique. La rvolution technologique du Moyen ge(thsedveloppe par Jean Gimpel, aujourdhui assez lar-

    dossier Veilleet innovation 0 1 //// ///

    FondementsET enjeux

    FIGURE 3 VOLUTION DE LA POPULATION EUROPEENNSUR LE LONG TERME

    Points de repre Dclenchement de la rvolution technologique occi-dentale au XIe sicle : fer des chevaux, collier dpaule,moulin vent, assolement triennal Rvolution industrielle du XII e sicle Basculement du XV e sicle : Gutenberg (1450), premierinnovateur reconnu ; les brevets Venise (1474),premire politique tatique dinnovation, etc. Rapprochement de la science avec linnovation, avecdes savants comme Huygens, Denis Papin, Newton, etc.(XVII e et XVIII e sicles) Machine innover europenne du XIX e sicle :chimie, mcanique, nergie, etc. Arrive des Amricains : fin du XIX e et XX e sicles Ouverture aux nouveaux pays la fin du XX e sicle

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    Elle rejoint alors la notion de cration de valeur trs largementdveloppe par les financierspour la valorisationdesentreprises.Mais cette cration de valeur doit tre ici envisage pour len-semble du corps social et non seulement pour une entrepriseousesactionnaires.Et la mthode decalculde la valeur cre re- joint alors celle de la rente technique.

    La valeur dinnovation dans le tempsLa valeur dinnovation est la totalit de la valeur cre. Mais

    le facteur temps est une cl. Car linnovation nest pas un pro-cessus isol dans le temps, elle samlioresans cesse (effet dex-prience) et elle est adopte par un nombre croissant dutilisa-teurs. La valeur globale de linnovation est donc croissantenaturellement dans le temps. Une multiplication par mille envingt ans nest pas rare.

    Rpartition de la valeur creAprs la question de la grandeur de la valeur dinnovation,

    la deuxime question clestcelle de savoirquibnficie de cettevaleur [figure 46]. Si le principal bnficiaire est aussi celui qui paie , linnovation sera assez facilement diffusable. Sinon,cesera plus alatoire. Cette problmatique a t assez largementtudie parAlfredSauvy7. Cela explique limportance du mo-dle conomique . Dans le cas du Web, le dbat estvigoureuxentre lespartisans de lutilisation collective et gratuite,porteusedun effet collectif maximum,mais qui pose unproblme auxpro-ducteurs, notamment de contenus, et les dtenteurs de droitsintellectuels qui estiment quils doivent tre rmunrs untaux satisfaisant .

    Civilisations, pays et progrs Indubitablement, la rvolution technologiqueocci-dentalequi prend son dpart au Moyen ge et spa-nouit aux XIXe et XXe sicles sest impose tous lespays du monde, comme ce fut le casdes prcdentesrvolutions technologiques au niveau rgional, no-tamment de celledu nolithique qui a pris naissanceau Proche-Orient et sest rpandue tout autour de laMditerrane et dans les profondeurs continentales. La Chine semble avoir dispos dune avance tech-nologique sur lOccident jusquauXVe sicle maisa prisun srieux retard jusquau dbut du XXe. Elle opredepuis1920 un retourprogressif (la Rpublique chi-noise reste timide), un peu mouvement (la priodemaoste avecle grand bond enavant puis la r-volution culturelle) et dispers (Tawan).Mais au- jourdhui, ce retour est avr. LInde elle-mme, aprs troissicles de secoussesetdhsitations, prendaussi le chemindu modle tech-nologique occidental. LURSS, pays occidental , a tent de prendre un raccourci pour acclrer le progrs. Ctait uneimpasse. Aujourdhui, il nexiste plus quun seul mo-dle technico-conomique du progrs, le libralismeconomique associ un effort de R&D et dinnova-tion.

    Claude Lvi-Strauss5 relativisait cette avance oc-cidentale tout en soulignant le caractre inluctablede ce mode de dveloppement qui simpose touspar sa puissance.

    4 Mesurer linnovation :la valeur dinnovationSi nous partons de notre dfinition de linnovationcomme un progrsde lefficacitconomique globaledune socit, la mesure de linnovation consiste valuer cette amlioration de la productivit. Plusfacile dire qu faire ! Lorsquil sagit dune innova-tion technique, les conomistes appellent cela la rentetechnique. Pour la gestion ou lorganisation,il existe un concept proche qui est celui de la cra-tion de valeur . Ces concepts convergent vers celuide valeur dinnovation .

    La rente techniqueCommela rente terrienneou la renteminire, elleest constitue dun avantage dont bnficie son d-tenteur en termesde cots de production,voiredex-clusivit (brevet).

    Cette approchepar lvaluation de lavantageco-nomique global est gnralement transposable pourles innovations de service ou mme dorganisation.

    FIGURE 4 REPARTITION DE LA VALEUR DINNOVATIONDANS LE CORPS SOCIAL

    4 Source : Jean-Pierre Bardet et Jacques Dupquier, Histoire des populations de lEurope, Fayard, 1998-1999.5 Notamment dans son ouvrage Race et histoire, Unesco, 1952.6 Source : Linnovation - valeur, conomie, gestion .7 Dans La Machine et le chmage, Dunod/Bordas, 1980.

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    dossier Veilleet innovation 0 1

    palement certains secteurs relevant de techniques, de marchsou de traditions spcifiques o crateurset concepteurs avaientune place, un statut, des contributions et des modes de travailreconnus, cette place est aujourdhui plus diffuse. Linnovationconcerne dsormais tous les secteurs et aucune entreprise nepeut postuler quelle innove suffisamment. Tout est objet din-novation, la notionsen trouve dailleurs brouille parce quesonespace sest tendu. Linnovation tait rare et ponctuelle, elle devient frquente.Elle permettait le dmarrage des entreprises et introduisait desruptures rares entre lesquelles sintercalaient de longues plagesde stabilit et des phases de progrs plus incrmentaux.Aujourdhui, dans un march globalis o toute bonne ide estrapidement copie, o les rentes gnres par des innovationsponctuelles se raccourcissent, le succs moyen terme provientde la gnration dun flux continu dinnovations fortes. Nonseulement il y a l une remise en cause dune logique dinnova-tion deux vitesses (la traditionnelle opposition radical / in-crmental ), mais surtout linstauration dun nouveau rgimede projets de comptition fonde sur linnovation intensive, oloffre cre sa propre demande.Dans ces stratgies, dites aussi d obsolescence , il sagitbien dtre le premier sur le march avec une offre innovantepour dclasser loffreexistante(y compris la sienne) et satisfaireune demande volatile avant les concurrents ou avantquelle nese transforme nouveau. Le contexte socio-conomique sestprofondment modifi depuis les crises ptrolires, mais nousny reviendrons pas ici. Il ne sagit plus de questionner le clientsur ce quil veut, mais dtre le premier lui proposer ce quilpourraitventuellement vouloir. La raction du marchne pou-vant tre parfaitement prvue, il faut payer pour voir . Dole lancement rcurrent, surdes cycles de dveloppement et descycles de vie de plus en plus courts, de nombreux projets inno-vants. Les profits se font sur les nouveaux produits et services.

    [ dcryptage ] Dsormais intensive, marque din-stabilit identitaire, soumise aux exigences de lac-tionnariat, ouverte et collaborative, linnovationcontemporaine a chang de statut au sein de len-treprise, obligeant celle-ci rinventer ses modesdorganisation et ses critres de performance.

    Les dfis de linnovation contemporainepour les entreprises

    LLinnovation nest pasunequestionnouvelle. Prenonsquelquesexemplesde cettevidencehistorique. Romeavait atteint une perfection de la technique socialeaussi bien civile que militaire1 . Les abbayes cister-ciennes ont diffus le moulin hydraulique et uneforme dorganisation de la vie collective et de divi-siondutravail sur unterritoire enrseau (dans uneterminologie moderne). La premire vritable lgis-lation attribuant un monopole pour les inventionsapparat Venise la Renaissance,poquequi inven-tera, aussi et entre autres, le venturi capitale, anctredu venture capital ou capital risque qui permet le fi-nancement de linnovation,ou encore ledesigno(ac-tuel design), au sens profond dune vritable activitamont et structurede conception, prcdant la ra-lisation ou le dveloppement. La rvolution indus-trielle, quant elle, a deux cents ans

    En multipliant les retours lhistoire on retrouveles gnalogies des innovations actuelles, mais onpourrait aussicroire quil nya rien de nouveau danslinnovation contemporaine. Or ce sontprcismentles caractristiques singulires et renouvelesde lin-novation contemporaine pour les entreprises quenous voulons rapidement souligner ici. Nous en re-tiendrons quatre.

    Linnovation contemporaine est intensiveDabord, reprenant une terminologieissue des tra-

    vaux du Centre de gestion scientifiquedesmines ParisTech sur le management de linnovation2, on quali-fiera linnovation contemporaine dintensive. Questce que cela signifie ? Linnovationtait localise, elle se gnralise.Alorsque, historiquement, linnovationconcernait princi-

    Gilles Garel est professeur au CNAM (chaire de gestion delinnovation / Lirsa) et lcole polytechnique (dpartemenHSS). Il a t professeur lUniversit Paris-Est Marne-la-Valle et professeur invit lUniversit dOttawa auCanada. Depuis le dbut des annes 1990, il mne, en rela-tion avec des entreprises, des travaux en management delinnovation et en management de projet.

    [email protected]

    FondementsET enjeux

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    Linnovation contemporaine est soumise la contrainte du capitalisme

    Le capitalisme a rapidement volu depuis vingt ans : la d-rglementation financire, le renforcement du pouvoir de lac-tionnaire et lexigence de rsultats court terme viennent mettreune pression sans prcdent sur les ressources, sur la vitesse etsur la performancede linnovation. Face auxnormes scandalesfinanciers rcents et devant la pauvretdesoutilsutiliss par lesfinanciers pour valuer les promesses et les rsultats de linno-vation, lenjeu est de dfinir une vritable nance de linnova-tion . La mesure de linnovation nest pas rductible auxoutilstraditionnels de choix dinvestissement. En particulier, il sagitdvaluer la qualit du travail coopratif entre des acteurs mul-tiples et mondialiss, dvaluer les apprentissages intra et interprojets innovants ou leffet de la rutilisation de concepts ou deconnaissances dans des lignes dinnovation2 .

    Linnovation contemporaine est collaborativeLa quatrime et dernire caractristique de linnovation

    contemporaineque nous voudrions souligner est son caractrecollectif et ouvert renforc. On ninnove plus seul ni entask force. Linnovationsuppose de larges systmes collaboratifsentre entreprises concurrentes (par exemple ITRS sur les semi-conducteurs), entre client et fournisseur pour co-innover3 ouencore entre client final et entreprise. Le terme d innovationouverte sest popularis depuisquelques annesparsoulignerces tendances4 . Par exemple, IBM est au huitime rang dans laliste des plus grands dtenteurs au monde de brevets en bio-technologie. Lindustrie automobile et les tlcoms travaillentensemble sur les systmes tlmatiques embarqus.

    Certaines entreprises ont mme invent le nouveau mtierde courtier de connaissances5 pour mettre en relation deschamps de connaissances traditionnellement dissocis. La mo-bilit du savoir a augment au cours des dernires dcennies.Le dveloppement de logiciels open source peut seffectuer parle travail coordonn de milliers de programmeurs suruneplate-forme mondiale.Enfin, soulignons le dveloppement des inno-vations selondes logiques de plates-formes olenjeu est dedfinir desarchitectures de produits, de services ou de systmesdinformation qui, autourdune entreprise leaderquicontrle laplate-formeet ses interfaces,permettent de coordonnerde nom-breux sous-systmes en volution constante.

    Un changement de statutDans ces conditions, le statut de linnovation dans la strat-

    gie des entreprises change. Comment innover quandon ne saitplus ce quon doit inventer ? Comment concevoir lorsque lesconnaissances et lidentit des produits connaissaient des vo-lutions droutantes etnouvelles? Comment impliquerdesclientsou des partenaires insolites dans le processus dinnovation ?Commeorganiser lactivitdinnovation ou comment fairevo-luer les grandes fonctions traditionnelles de linnovation : la re-cherche, le dveloppement, le design, le marketing? Commentmesurer la performance de linnovation au-del de son seul re-tour sur investissement ? Etc. Depuis lesmanufactures du XVIIesicle, lentreprise a rinvent ses formes dorganisation collec-tive et ses paramtres de performance. Les organisations,les modes de raisonnement et les critres de performancede linnovation se transforment profondment. Lhistoirecontinue.

    La nature mme de ce qui est dvelopp renvoie laseconde caractristique.

    Linnovation contemporaine engendreune rupture identitaire

    Uneseconde caractristiquetient la rupture iden-titaire introduite par linnovation contemporaine.Linnovationintensive provoquedes crisesrcurrentesde lidentit des biens et des services dans de nom-breux secteurs dactivit. La comptition tradition-nelle consistait innover selon des critres de per-formance paramtriques : plus rapide, moins cher,plus petit, plus sr Les modles daffaire taientdonns, les dominants designs ou les architecturesde produits taientstables et les comptences nces-saires au dveloppementconnues. Or, dansde nom-breux secteurs, lidentit des objets est devenue in-certaine.Sousla pressionde technologies diffusanteset volutives, desnouvellesvaleurs sociales,desnou-velles rgulations, des rgles financires et des com-ptiteurs low cost, lidentit des objets est sans cesservise.

    Les accessoires de la nouvelle mobilit illustrentbien cette instabilit identitaire. Aprs le tlphoneet le mobile, linformatique a colonis les appareilsphotos qui ont envahi leur tour les tlphones mo-biles. Si la montre existe comme objet nomade de-puis leXVe sicle, elle nest quetrs rcemmentdeve-nue une bibliothque ambulante. Quelle estaujourdhui la fonctiondune montre,dun tlphonemobile,dun tlviseur ? O est la frontire entre unaliment et un mdicament ? Un journal gratuitest-ilencore un journal ? Dans ces conditions, le dvelop-pementdesinnovationsdpenddescapacitsdesen-treprises imaginer auxobjets, auxservices,aux pro-cess qui nous entoure(ront) dautres proprits quecelles djconnues2. Peudentreprises sont dotes detelles capacits. Cette exigence dinnovation rcur-renteet identitairesest dveloppe dans un contextede retour des exigences actionnariales. Cest la troi-sime caractristique.

    1 J. Ellul, La technique ou lenjeu du sicle, Armand Colin, 1954, rd.conomica, 1990, p. 27.2 P. Le Masson, B. Weil, A. Hatchuel, Les processus dinnovation : conception innovante et croissance des entreprises, Herms sciencepublications, Lavoisier, 2006.3 R. Maniak, C. Midler, Shifting from co-development to co-innovation , International journal of automotive technology and management, 2008, vol. 8, n 4, p. 449-468.4 H. W. Chesbrough, The era of open innovation , MIT Sloan management review, 2003, vol. 44, n 3, p. 3541.5 A. B. Hargadon A. 2002, Knowledge brokering: a networkperspective on learning and innovation , in B. Staw, R. Kramer (eds),Research in organizational behavior, 2002, n 21, p. 41-85.

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    Docteur ingnieur de formation,Herv Danielest spcialistedes stratgies de dveloppement et de diversification des en-treprises lies aux marchs des co-enjeux, du vieillissement dela population et de lconomie de fonctionnalit. Il est directeurde Crativ, Centre europen dentreprise et dinnovation, situ Rennes. Crativ accompagne les PME industrielles et de servicedans le domaine de lanticipation et de la dfinition des strat-gies de dveloppement par linnovation globale.

    [email protected], www.ceei-creativ.asso.fr

    Nicolas Moinet est professeur des universi-ts en sciences de linformation et de la com-munication lInstitut dadministration desentreprises de Poitiers. Il dirige le masterIntelligence conomique & communicationstratgique (ICOMTEC) et l'quipe de rechercheassocie au sein du CEntre de REcherche enGEstion. Auteur de nombreux articles et ou-vrages sur l'intelligence conomique, il estmembre de l'Acadmie de l'intelligence cono-mique et chercheur associ l'Institut dessciences de la communication du CNRS.

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    dossier Veilleet innovation

    stratgiede lentreprise quise nourrit de lanalyse de lvolutionde lcosystme. Matriser le processus dinnovation supposealors une permabilit entre les fonctions de lentreprise, soninsertion dans une nbuleuse tout autant technologique, co-nomique, financire, commerciale quorganisationnelle.Activerle processus dinnovation pousse lentreprise amnager sesstructures pour quil y ait une ralit dvolution. En ce sens,linnovationest linstrumentquipermet lentreprisede sadap-ter linstabilit du systme conomique. Elle est le point depassage obligatoire et incontournable pour toute entreprise, uninstrument cl sans lequel elle ne peut garantir son devenir.

    Concrtement, lentreprisedoitanimer un processus continudanticipation/ adaptation quicombine dune part les techniquesdintelligence conomique dontla veille (anticipation) et dautrepart les techniques de management de projets innovants (adap-tation). Le temps de mise sur le march dune innovation tantrarement infrieur dix-huit mois et le temps de retour sur in-vestissementrarement infrieur trois ans,lentreprisedoit pou-voiravoiren permanence une vision claire desesenjeuxdemar-chs un horizon de trois ans et ce, sans consommer trop deressources.Face la surabondancedes sources dinformation, ladmarche danticipationdoitdonctrestructure en sappuyantsur un modle systmique pragmatique qui lui permette de fo-caliser ses ressources de veille sur des enjeux majeurs. Ce mo-dle systmique, dvelopp par le CEEI Crativ1, devient alorslarchitecture du plan de veille [voir le schma ci-contre].

    Aujourdhui, lesentreprises qui souhaitentrester com-ptitivesdoivent penseren termesdagilitet dinno-vationglobale. Elles se flexibilisent, intgrent leursprocessus de conception et de production lesprogrstechnologiques, adoptent de nouvelles stratgies degestion,etc.Ces volutions bousculent la conceptionindividualiste de lentreprise. Chaque acteur du sys-tme conomique, quel que soit son chelon et sonchelle, doit trouver sa place au sein dun systmeflou et mouvant. Pour tout entrepreneur, dcider de-vient plus difficile tant les paramtres prendre encompte sontnombreux,diffus,entrelacs.Et, si inno-ver consiste passer dune ide nouvelle un pro-duit ou service qui trouve son march, la ncessitde comprendre les volutions technologiques, soci-tales, juridiques, financires ou concurrentielles etdidentifier des cibles potentielles confre la veilleune place centrale dans le processus dinnovation.

    Un processus danticipation / adaptationEn effet, uneconception de linnovationquiserait

    limite unedimensionpurement technologique oucirconscrite une fonction de cration de produitsnouveaux est rvolue. Dans un contexte totalementmouvant, linnovation doit, au contraire, tre instil-le et devenir une composante part entire de la

    0 1 FondementsET enjeux

    Architecture dun plan de veille au serviced'une vision systmique de l'innovation

    [ analyse ] Comment sarticulent veille et innovation ? Linnovation doit sinscrire dans unprocessus continu danticipation et dadaptation au cur duquel la veille, dmarche danti-cipation,doit tre structure. Un schma systmique permet de construire une telle dmarche,de la collecte de linformation utile la gnration de connaissances stratgiques.

    [email protected]

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    4. La masse critique. Lexploration des enjeux de marcho la veille joue un rle cl doitpermettre de dtecter si le mar-ch et les clients sont en train de son concentrer (augmentationde la taille des clients et des fournisseurs) et si lentreprise doitaugmenter sa taille et sa surface pour rester un interlocuteurcrdible et amortir laugmentation des frais de structure lis lintgration de nouvelles fonctions.5. Le mtier, cl de voute du processus dinnovation.Dernire tape de lanalyse, la dfinition du mtier de lentre-prise, non pas au sens technique mais au sens du position-nement de lentreprise sur un ou plusieurs segments de mar-chs stratgiques. Le mtier est le point de rencontre entre lescapacits de lentreprise et les besoins du march : attention ausens des flches. Il exprime les capacits de lentreprise r-pondre en permanence auxbesoins et attentes du march. Dansun environnement turbulent, tout lart du dirigeant seradajus-ter en permanence sescapacits aux marchs par la matrise deson mtier. Lajustement de ces diffrentes variables impliqueun ou plusieurs programmes de changement rythms la foispar les marchs, les possibilits technologiques, les structuresde lentreprise et ses capacits mobiliser de nouvelles res-sources et in ne prendre des dcisions dans un contextesouvent mouvant, incertain. Ce processus qui conduit la d-cision et son excution correspond au processus danticipa-tion / innovation o se combinent les intelligences technolo-giques, conomiques et organisationnelles.

    Dans ce cadre, le processus dinnovation peut tre compriscomme lajustement permanent du mtier, de loffre ou des ca-pacits que lentreprise doit raliser pour rester comptitive courtet moyen termes. Cest pourquoi il peut tre synonyme demutation mais aussi consister en un ensemble dactions correc-tives court terme. Et cest pourquoi la veille est au cur de ceprocessus, condition quellegnreun fluxcontinude connais-sances stratgiques facilitant la prise de dcision et ne soit pascantonne un rle de fourniture dinformations.

    De la collecte de linformation utile la gnration de connaissancesstratgiques

    Pour mettre en uvre ce schma systmique, ilconvient de travailler dans lordredu premier au cin-quimebloc. Cest ainsi que la veille trouve uneplacevitale dans le processus dinnovation.1. Lexploration des enjeux de march. Leprocessus de veille doitpermettre dclairer le dcideursur ses clients (poids, stratgie, marges,perspectives,etc.), ses concurrents (stratgie de dveloppement,facteurs de diffrenciation, etc.), les nouveaux en-trants (nationaux, internationaux, produits ou ser-vices de substitution, etc.), les attentes et tendances(vieillissement de la population, mergence de nou-veaux bassins de consommation, Internet desobjets,conomie de la fonctionnalit, produits respectueuxde la plante, mais aussi concentration des clientsetdes fournisseurs, dlgation de conception, dloca-lisation desclients, flux tendus), lesvolutions tech-nologiques courtet moyentermessusceptiblesdemodifier la structure et la dynamique du march, lesvolutions rglementaires, lvolution du cot delnergie et des matires premires, etc.2. Loffre de lentreprise. Lexploration des en- jeux de march doitpermettre de dcider si loffre deproduitset services de lentrepriseestadapte lvo-lution de lcosystme et didentifier les nouveauxsegmentsporteurs sur lesquels lentreprise doitse po-sitionnerpour valoriser sesactifset savoir-faire. Sanscette analyse, la veille ralise sera inutile.3. Les capacits de lentreprise. Au regard desenjeuxdvolution de loffre, la connaissanceet lana-lyse desactifset capacitsde lentreprisedoivent per-mettre de dterminer ceux quidoivent tre renforcsou revus : actifs technologiques et organisationnels(dveloppement de briques technologiques, organi-sation industrielle, etc.), actifs conomiques (rf-rencement grands comptes, optimisation de la partde march, etc.),actifscommerciaux (canaux de dis-tribution matriser, webmarketinget lisibilit sur lenet, approche via rseauxsociaux, etc.), actifs finan-ciers, actifshumains (transmissiondessavoirs inter-gnrationnels, volution des comptences, fidlisa-tion des collaborateurs cls, etc.), partenariats,fournisseurs, etc. On le comprend bien, raliser uneveille sur ces actifsne peut se faire que si la rflexionsur loffre a t mene et que si la production deconnaissances est oriente vers la question de massecritique.

    1 Cre en 1993 par Jean-Luc Hannequin, de la CCI de Rennes, etactuellement dirige par Herv Daniel, Crativ a t labellise Centreeuropen dentreprise et dinnovation (CEEI). Crativ a conu,expriment et formalis une mthode, teste et dploye sur plus demille entreprises, conue pour s'adapter toutes les entreprises quelsque soient leur taille et leur secteur d'activit, ainsi qu'aux projetsinnovants et aux crations d'entreprises.

    UN MODELE SYSTEMIQUE POUR STRUCTURERUNE DEMARCHE DE VEILLE

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    dossier Veilleet innovation 0 1 FondementsET enjeux

    [email protected]

    l usages De nombreuses dimensions du capital immatriel(sinon du capital intellectuel et des comptences) de lentre-prise, dont la mesure demeure embryonnaire, sont reconnuescomme des leviers cls de rsultats1.Cette approche englobe la mise en place dorganisationscomplexes fondes sur des processus, des dmarches transver-sales et des mthodes, telles le design, et sur tout ce qui puise sarichesse dans la dynamique humaine de collaboration.Les modes de structuration de la veille font partie dessignes didentification de la maturit des entreprises enmatire dinnovation. Au-del des services constitus, lesfonctions veille sont multiples. En voquant lorganisation dela veille, nous abordons indirectement les relations entre desacteurs spcialiss qui sinscrivent dans des processusinfo-documentaires, de service ou de support, et ceux quiont pour proccupation premire la production de rsultatsoprationnels. Loin de les opposer, une approche par lesrelations, et parconsquentpar la collaboration et lintelligence,alimente des pistes de rflexion. Lvolution des pratiques etdes dmarches de surveillance, dexploitation des donneset des informations mais galement de lintelligence dentre--prise sinscrit dans un cadre plus large de transformation

    Lentreprise innovante, que certains qualifieraientdsormais dentreprise 2.0, estpardfinition une or-ganisation apprenante. La culture qui y est dvelop-pe, son organisation et les processus mis en placeconvergent vers une mme finalit doptimisationpermanente des capacits dinnovation. Ceci nestpossible que par une proccupation affirme de d-velopper les connaissances, louverture, la crativit,la culture du risque et la transversalit. Il sagit, par demultiples moyens,de crer les conditions favorables lmergence denouvelles ides,de nouveaux projets,denvies de faire voluer des situations, de rsoudredes problmes, etc.

    Malgr cet largissement, la notion dinnovationest encore classiquement considre et mesureselon des dimensions essentiellement technolo-giques, sinon Recherche& Dveloppement, avec desindicateurs de type production de brevets et publica-tions scientifiques. Force est de constater que cetteacception, certes ncessaire, nest pas suffisante.Linvention nest pas linnovation, qui induit peu ouprou un renouvellement du modle daffaires, descir-cuits de distribution, du marketing produit, des

    Lentreprise innovante : un espace privilgide veille et dintelligence

    [ retour dexprience ] Quelles sont lesrelations entre lesacteurs de linnovation et lespraticiens de la veille ? Quels types de profilssont impliqus ? Comment sorganise (ou non)la mobilisation des diffrentes comptencesinfo-documentaires ? Quels axes dvolution

    font converger les dmarches informationnelles et oprationnelles ? Cet articlepropose une analyse, sous un angle socio-organisationnel, de quelques spcificitsidentifies du positionnement, des activits et des comptences de la fonction veilledans des entreprises rsolument inscrites, pour tout ou partie de leurs activits,dans des dynamiques dinnovation.

    De formation littraire et information scientifique et technique,Corinne Dupina exerc le mtier de courtier en information, puis deknowledge manager dans des cabinets conseil en stratgie et organi-sation. Elle occupe depuis 2008 le poste de consultante au sein delagence Help Management dont le cur de mtier historique estlingnierie de la veille. Elle accompagne les clients de lagence dans ladfinition des stratgies, la mise en uvre des projets et la matrisedes technologies et outils.

    Consultant de mtier, dot dune forte cultureen sociologie des organisations, Alpha Dialloexerce depuis une dizainedannes dans les domaines du managementde linformation, des TIC et de la veille. Il inter-vient dans des contextesvaris pour accompagner la mise en place dedmarches transversales visant lamliorationdu systme dinformation, la performance delorganisation ou le dveloppement dactivits.Il assure une aide la conception collective desprojets et la conduite du changement.

    alpha.diallo@ help-management.com

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    en matire de veille et dexploitation de linformation, mais ga-lement dans un domaine dexpertise particulier pour lequel ilssont rfrents. Ils sont dailleurssollicits trs directement pourdautres missions dans le cadre de projets ou de fonctions op-rationnelles.

    videmment, dautres formes dexercice de la fonction peu-vent exister, notamment de vritables approches mixtes et par-ticulires. Ces diffrentes formes tendent tout de mme co-exister pas toujours de faon pacifique. Ces activits,transverses par nature, donnent en effet lieu des flous danslattribution des rles et donc des ressources. La msentente neprofite personne et certainement pas lentreprise.

    Enrevanche, unecoordination, mme si elle apparatcommela solution vidente, nest pas simple mettre en uvre. Lescultures et approches professionnelles, en effet, malgr des ac-tivits similaires,au moinsau niveaudesfinalitset destypes demoyens mobiliss, sont parfois bien diffrentes. Par ailleurs, qui confierle rle decoordination ? un service centralis etd-positaire de la gestion de nombreux outils et sources ? Au ser-vice en charge dalimenter lesorientationsstratgiquesou pros-pectives de lentreprise en matire debusiness development? Ouau service dit dintelligence conomique menant desmissions dtudes, denqutes et de surveillance sur desquestions stratgiques ?

    De la veille lintelligence stratgiqueLa veille est un moyen, une fonction support, un processus

    informationnelquine se suffitpas lui-mme : cest la difficultque rencontrent ceux qui la pratiquent. Quelle soit portepar des professionnels originaires ounonde la sphre documen-taire, la question de la lgitimit se pose. Cette dernire seffacelorsque les professionnels acquirent et exploitent des comp-

    moyen terme.

    Une forte implication de la fonctionveille dans le processus dinnovation

    Nous avons constat, auprs dentreprises ayantrsolument adopt des dmarches innovantes, uneimbrication forte de la fonction veille et des proces-susou dmarches dinnovation. Cette fonction estat-tendue,selon lescas, comme pilote ou animateur decertaines actions oprationnelles, comme contribu-teur actifproduisantdescontenus forte valeurajou-te, ou videmment comme support dactivits deR&D, dexprimentation ou de projets ou pro-grammes.

    Au-del mme dune collaboration, nous consta-tons linscription dactivitsbibliographiques, dtatsde lart, dtudesexploratoires ou dopportunitsdansdes processus amont/aval censs structurer la d-marche, de la maturation des ides la mise sur lemarch de nouveaux produits ou services. Les ac-teurs de la recherche, du marketing, de lingnierieou de la productionsontdirectement interpellsdansleur capacit fournir des livrables cls dont la ma-tire premire est informationnelle. Ainsi se pose laquestion de la frontire entre les professionnels delinformation et lesmultiplesacteurs de linnovation.Elle estdautantplus prgnantequelaccs auxsourcessest dmocratis , permettant lmergence et ledveloppementde nombreuses activits de veille plusou moins informelles, parfois encourages par le ma-nagement.

    La constitution plus formelle de fonctions veille,de cellules ou de services,estvariable en fonctiondesorganisations, des cultures professionnelles ou dusecteur dactivit. Sansvouloir tre exhaustif ni nor-matif, nous pouvons citer plusieurs types de confi-gurations :- unservice de documentationet veille ralisant prin-cipalement dessurveillances, produisantdes livrablesplus ou moinsciblset assurant leur diffusion de fa-on assez large. Il est constitu de plusieurs profilsde type documentalistes et, entre autresactivits do-cumentaires, gre souvent, pour son compte et pourdautres, des abonnements et des sources payantes.Il est plutt centralis et centralisateur ;- des cellules de veille spcialisesmenant des acti-vits sur un primtre bien dfini, sur la base dunmtier, de technologies ou de marchs spcifiques.Au-del de la surveillance de sources information-nelles, elles ralisent galement des analyses tech-niques,desenqutes clients,et elles sont impliquestrs directement dans les activits oprationnelles.Elles sont animes par desprofilsplutt mtier, ayantparfois une double comptence en matire de docu-mentation ou de veille ;- des professionnels issus dun mtier de lentre-prise, ayant dvelopp au fil du temps des comp-tences et une vraie reconnaissance, non seulement

    1 Pascal Morand, Delphine Manceau, Pour une nouvelle vision de linnovation, La Documentation franaise, Rapports officiels, 2009 ///////

    Les facteurs cls de succs Une ncessaire prise en compte de la transversalitdes primtres informationnels adresss Un accompagnement de lautonomisation croissantedes chercheurs et ingnieurs en matire de veille, avecnotamment le dploiement dapplications (de plus enplus nombreuses et varies) ou laccs donn dessources payantes (moyennant bien entendu un supportde la fonction information-documentation) La production de livrables dalertes, de vigilance oude prospective labors et leur prsentation descomits ou instances dcisionnelles pour les clairer Lorganisation dvnements internes ou de rencontresvisant dcloisonner les modes de pense, partagerdes tats de lart et ouvrir le personnel de lentreprisevers lextrieur Lanimation de dispositifs collaboratifs pour la remon-te dinformation ou dides, ou encore le partagedes connaissances

    Une ncessaire ractivit, incluant une logique de fluxet de capitalisation qualitative, sur des axes non plus seu-lement thmatiques mais orients projets de produits,processus ou nouveaux marchs encore mconnus Un mix de comptences info-documentaires,proprit intellectuelle/industrielle et brevets, recherche,marketing, etc.

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    Le verre de lunette semble treun objet technologique simpleet de petite taille ( a contrario deceux qui voient le jour dans lindus-trie automobile ou dans linforma-tique). Mais derrire cette appa-rente simplicit se trouve unecomplexit : chaque verre estunique, choisi dans sa forme parmiun milliard de combinaisons pos-sibles, et peut comporter plus devingt couches de compositions etdpaisseurs diffrentes.Linnovation vient ainsi de factodautres domaines, dautres techno-logies, dautres industries. Des do-

    maines aussi varis que la micro-lectronique, la plasturgie, lesneurosciences, lastronomie sontdes sources dinnovation poten-tielles.Faire de la veille chez le leader mon-dial du verre ophtalmique revientinvitablement regarder ce qui sefait ct et au loin. La myopie yest tout fait contre-indique !Essilor est un leader technologiqueet promeut une stratgie dinnova-

    tion depuis les dbuts de son his-toire et linvention du verre Varilux,qui a eu 50 ans en 2009.La moiti du chiffre d'affaires estporte par des produits de moinsde trois ans. Linnovation technolo-gique est mise en avant : chaqueanne, 5 % du chiffre daffairesconsolid sont consacrs la R&Det de nouveaux contrats de parte-nariat sont nous.

    Interconnexion des neuronesLa fonction veille est reprsentativede lesprit dinnovation qui prvautdans lentreprise. Fine stratge et

    communicante inspire, sa respon-sable, Muriel Smnri, dploie bonnombre dinitiatives visant contre-carrer tout type denfermement etde restriction de la visionLe service Veille & Innovation seraitimproprement dsign par le motde cellule , dans la mesure o sonmode de fonctionnement nest paslautonomie mais bien linter-connexion des neurones entre eux.Ou alors faudrait-il retenir de la cel-

    lule essentiellement sa membrane,surface de contact qui lui permetdassurer de constants changesavec lextrieurLa fonction Veille & Innovationorganise des rencontres de laveille auxquelles sont convis desinterlocuteurs de renom hors curde mtier, des experts scientifiquesqui viennent sexprimer sur les na-notechnologies, les neurosciences,la couleur, etc.Elle a galement mis en place unprocessus collaboratif intgrant desexperts du Groupe issus de diff-rents horizons et produisant des

    notes de veille : analyses cri-tiques effectues par des expertsdu Groupe de diffrents horizons etconstituant, aujourdhui quellessont au nombre de deux mille, unevritable base de connaissancestrs pertinentes.Ce sont les experts Essilor qui parti-cipent des vnements ou salonssur des sujets au cur du mtier delentreprise. Le service Veille, lui,scrute les vnements dans les

    DE LA VEILLE LINNOVATION EN PASSANT PAR LINTELLIGENCE : ON VOIT PLUS LOIN PLUSIEURS

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    dossier Veilleet innovation

    la notion dintelligence stratgique offre des perspectives. Ellesous-entend en effet un dispositif organis,coordonn et colla-boratif visant faciliter la prise de dcision pour le managementet la direction de lentreprise. Lintelligence stratgique contri-bueen effet rduire lincertitude lie lactivitdcisionnelle2.Il sagit dailleurs dune approche en cours de standardisationau niveau europen,dans le cadredunenormalisation plus largedu management de linnovation3. Un des facteurs cls de suc-cs pour manager linnovation est en effet de favoriser et dac-clrer la veille et la capitalisation des connaissances, produitde lintelligence collective4 .

    Entendue comme capacit collaborative, dadaptationcollective et de dynamique constructive, lintelligence est sansdoute un maillon manquant dans la rflexion sur le manage-ment de linformation et de la veille. force de trop focalisersur la matire informationnelle et ses technologies associes,sans doute avons-nous perdu le sens dune approche fondesur lhumain. Non pas quelle rsolve ipso facto les problmesde la structuration et de la performance en matire de veille ;mais elle prsente lintrt du choix de leviers de typesmanagriaux. La veille, comme activit transverse, prsente unedimension managriale non ngligeable, et linscrire commecomposante dune intelligence dentreprise, corollaire silen est

    tences mtierde lentreprise, largissent leurs champsdaction vers de lanimation, de la formation ou de lacoordination,ou encore lorsquils se forgent uneplacedans la production de livrables vocation de rflexionglobale ou prospective.

    Quoi quil en soit, la recherche de la valeur ajou-te est la gageure de ces activits. La centralisationdactivits pourde largesprimtres prsente lincon-vnient majeurdune dconnexionet dune incompr-hensiondesattentes particulires, tandisque la forteproximit avec les activits oprationnelles ne per-met pas la prise de recul ni la constitution dune vi-sion globale... Ce type de situation se solde par desngociations sur les missions et primtres avec leshirarchies respectives, pardesdiscussions et changesentreprofessionnels, par la mise en place de comitstransverses, limplication dans des projetscommuns,la mutualisation de ressources, etc. En bref, toutes lesconfigurations sont possibles, avec un historique seconstruisant au fil de leau autour des victoires et d-boires de la collaboration.

    Pour sortirde dbatssans fin, dont les tmoignagessontnombreux et loquents, lapproche propose par

    /// ////

    0 1 FondementsET enjeux

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    les relier aux activits.

    tre en prise directe avec les enjeuxde lentreprise

    Lentreprise innovante, en recherche dagilit et de perfor-mance, est amene rsoudre des questionnements rcurrentspropres tous types de fonctions info-documentaires en entre-prise : en tant que fonction support, jusqu quel point faire oune pas faire la place dautres, dsigns comme clients ? Jusququel point sautosaisir dans la production et la diffusion de li-vrables ou dinformations ? Avec quels risques ou espoirs asso-cis ? Quel niveaude valeurajoute apporterlors dune recherchedinformation ? Quels types dtudes ou danalyses raliser pourquelles exploitations a posteriori de leur diffusion ? Quel rleoccuper aux cts dautres professionnels de plus en plus en-clins lautonomie avec des sources auparavant complexes oudifficilesdaccs, aujourdhuifacilementmobilisables ? Quellesrelations et rpartition des tches envisager avec les fonctionscommunication, systme dinforma-tion ou dautres fonctionsplus ou moins complmentaires, connexes ou concurrentes surcertaines activits ?...

    Mettreen relation veille et innovation, cest penser un typede configuration particulire o lexploitation des donnes, de

    de lentreprise innovante, nous sembletre unevraieavance.

    Lautre avantage cl dune approche par lintel-ligence stratgique consiste concevoirun dispositif global et coordonn par le management de lentre-prise. Il inclut lesaspects de systmes dinformation,de gestiondes connaissances, de gestionlectroniquedesressourcesdocumentaires et tout ce quiconcourtau management de limmatriel, et ce non pas souslangle des moyensmaisbiendes finalits oudes ques-tionnements stratgiques souvent transverses. Lintel-ligence stratgique vaau-del de la veille dans le senso elle comprend des actions oprationnelles et d-passent les frontires informationnelles pour mieux

    domaines connexes.

    Selon Muriel Smnri, la veille ap-porte sa contribution essentielle-ment en amont du processus din-novation : elle concourt ladtection de signaux faibles etdopportunits, au reprage de ten-dances (en collaboration avec lemarketing stratgique), puis lali-mentation des chercheurs et ing-nieurs en matire de brevets,contacts, salons, etc., au dmarragedun programme. Sa conviction est

    partage par le directeur de la R&D,

    si lon en croit la premire planchede lune de ses prsentations r-centes, qui sintitulait : La veille est lorigine de tout Les activits de veille au sein delentreprise sont de diffrentes na-tures et distribues au marketing, lengineering, la R&D (veilleconcurrence produits) Des pointsformels mensuels ou cercles deveille runissent ces diffrents ac-teurs. Ils ont galement lopportu-

    nit de travailler ensemble la fa-veur de dossiers communs et mu-tualisent lachat et lexploitation desources et doutils.Ce fonctionnement en rseau est limage du fonctionnement de cetteentreprise mono-produit, dont len-semble des efforts des collabora-teurs se concentre sur le produitunificateur quest le verre de lu-nette

    Lintelligence en exergueLorsquelle se prsente ltranger,Muriel Smnri utilise volontiers leterme de competitive intelligencemanager, selon la dnominationpropose par lassociation amri-caine SCIP et pour mieux mettre

    laccent sur l intelligence , au sensanglo-saxon du terme.Couple des dmarches collec-tives, la veille permet la transforma-tion de linformation en pistes dac-tion. Linnovation technologique etorganisationnelle passe en effet im-manquablement par lchange desavoirs et par des processus cogni-tifs.

    //// ///

    2 Pour plus de dveloppement sur les liens entre incertitude etstratgie et entre incertitude et innovation, lire : Vincent Boly,Ingnierie de linnovation, organisation et mthodologies des entreprises innovantes, Herms Lavoisier, 2008.3 Voir : Alpha Diallo, Loc Lebigre, Lintelligence stratgique en cours de

    normalisation : quelles perspectives ? , Documentaliste - Sciences de linformation, septembre 2010, vol. 47, n 3.4 Pour plus de prcisions sur le management de linnovation, lire :Arnaud Groff, Manager linnovation, 100 questions pour comprendre et agir, Afnor ditions, 2009.

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    dossier Veilleet innovation

    tant, en gnral,de plus en plus courts, lexigencedenouveautet de performance (financire, marketing, environnementale,etc.) tantde plus en plus forte, les organisations sont amenes un renouvellement et uneremise en question du mme ordre ce qui ne sopre pas sans heurts, dysfonctionnements, vainsessais ni erreurs

    Comment ne pas se rjouir de voir rehausses la dimensiondu systme dinformation, limportance de la gestion de limma-triel, la richesse de la veille et de la prospective, la valeur dupatrimoine informationnel ? Unevoie rellesembletre ouvertepour les professionnels de linformation amens voluerdansun contexte organisationnel nouveau.

    Enguise dillustrations de ltroitesse du lien entreveille et in-novation,mais galementcomme exemples dinitiatives proti-formes, nousproposons en encadrs deuxsituations singuliresrelevantdentreprises et de secteurs dactivit diffrents. Lesdis-positifs mis en place sont certes de nature diffrente, mais ils serejoignent, selon lespointscommuns lists plushaut, ainsi quedans lesprit qui les anime :- la R&D dune socit industrielle mono-produit (Essilor), oun service veille innovation sest dveloppcesdernires an-nes dans une Direction Disruptive sur un existant de ser-vice de documentation traditionnel . Lentreprise a structursoneffortdinnovationautour dunprocessus programme trans-verse o les diffrents moments cls de prise de dcision sontassocis aux besoins en information ou connaissances corres-pondants (et leur capitalisation) [page 35] ;- une start up interne ddie la e-sant sur de nouvelleslignes de business dans une entreprise de tlcommunication(ladivision Sant dOrange), quia intgr unefonction tudeset veille stratgique dans une Direction du marketing strat-gique. Cette activit, plutt oriente prospective, est directe-ment relie un processus dexprimentation et de mise sur lemarch de produits ou services innovants [page 37].

    Il ressort de cesexemples que, loin dtrecantonnes au seulprimtre info-documentaire, et plus labores que des intelli-gences individuelles isoles, la qualit desanalyses, la dtectiondes signauxfaibles et la cration de valeur sont essentiellementle fruit de processus collaboratifs, formels ou informels.Linnovation estun processus complexe et incertaindont il nestabsolument pas possible dvacuer la dimension humaine.

    Lalliance finalement assez naturelle entre veille et innova-tion permet de concevoir des compositions organisationnellesoriginales, au-del de proccupations catgorielles ou verticales.La ncessaire exploration hors les murs , la combinaison desmodesdactionet de penseet la recherche de solutionsou dop-portunits forment une part non ngligeable de lintelligencedentreprise. Celle-ci prime sur des approches techniques, in-formationnelles ou technologiques, qui reprsententune entreinsuffisante car elles sont trop limites pour aborder les ralitsde la performance recherche et penser une cohabitation har-monieuseet complmentaire entre lesacteurs en prsence. Pourbien apprhender la complmentarit et la coordination descomptences informationnelles en matire de veille dans uncontexte dinnovation, lobservation attentive des situationsde travail, des pratiques professionnelles et des relations estun pralable.

    la documentationet de linformation, par le biais dac-tivits spcialises, esten relation directe avec desen- jeuxmajeursde lentreprise, ce qui la conduit dautantplus rechercheroprationnalit et efficacit. Lespar-tiesprenantesdesprojets innovantssont en prise avecles grandes orientations de leurentreprise et suiventun sens global de dveloppement.

    Spcificits et dynamiquedes entreprises innovantes

    Au sein de cesentreprises innovantes, nous avonsdcel plusieurspoints communsprgnants du pointde vue du rapport linformation :- une logique transversale, rendue invitable par lancessit de regards multiples,parfois ncessairementexperts, sur des sujets mal matriss (lensemble descollaborateurs est impliqu,et passeulement la fonc-tion support veille) ;- un positionnement de lingnieriede la veillecommeappui au processus dinnovation la matrise de laveilletant de ce fait ncessaire au-del desseuls pro-fessionnels spcialiss de linfo-documentation ;- un quilibre entre un processus rationalis de col-lecte dinformationsformelles et une structure souplequi favorise les changes informels (il sagit en effetde structurer sans pour autant brider la productiondides).

    Ainsi, instaurer une dynamique transverse dansle domaine de la surveillance des co-systmes tech-nologiques, clients,partenaires, environnementaux,rglementaires, juridiques, financiers ouautres conduit repenser les modes defonctionnement, sinon le rleet la place de certainesentits. Lentreprise innovantesinscrit dans des dmarches et des dynamiques quifavorisent lagilit. Elle est une organisation appre-nante, lafftdinformationspour crer de nouvellesoffres (produits ou services), inventer de nouveauxmodles de distribution, saisir desoccasions trans-former en opportunits, anticiper et dvelopper desvisions de nouveaux positionnements stratgiques,etc.

    Certes le partage de linformation nest pas tou- jours optimal, le collaboratif nestpasgagn davance,mais limportant (et la gageure) estdinstaurer de fa-on pragmatique une dynamique sur la base dunexistant organisationnel, humain et culturel.

    Linnovation est ncessairementorganisationnelle

    Nous avons galement not, au seindentreprises orientes innovation, quelinnovationproduits/ser-vices est indissociable duneinnovation organisation-nelle. Produire du nouveau, ou plus vite, ou mieux,passe en effet pardesmodifications substantielles delorganisation. Cest une entreprise de transformationncessitant une vision globale. Lvolution du sys-tme dinformation, entendu comme systme de ma-nagement destechnologies, contenus et diverses res-sourcesy affrents, estun deslments cls. Lescyclesde dveloppement ou de renouvellementde produits

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    0 1 FondementsET enjeux

  • 8/13/2019 veille.pdf

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    Dans une campagne de publicitlance il y a quelques annes parOrange et baptise Open , unpoisson sort de son bocal pourexplorer limmensit de locan.Louverture semble bien rsonnercomme un mot dordre fdrateur ausein du Groupe. L open innovation fait lobjet dun intrt croissant.Cette dmarche dinnovation consiste mobiliser lcosystmeexterne (fournisseurs, partenaires,clients) et crer des conditionsde stimulation de lintelligencecollective.

    Une dimension exploratoireAu sein de la Direction de la stratgieet du marketing dOrange Healthcare,Franoise Valla assure la fonction deresponsable Veille & tudes. Elle nonplus na pas lintention de rester en-ferme dans son bocal Personnalitdiscrte, lcoute de la temporalitde son organisation, attentive aux en- jeux et aux types de profils qui len-tourent, elle ralise un travail sensiblede rflexion de fond et dentretiendune dynamique collaborative.Soucieuse de ne pas rester prisonnire des livrables de veilledont elle assure la production, ellesoriente de plus en plus vers lintelli-gence prospective en sappuyant sursa bonne matrise de lenvironnementet son inextinguible besoin de com-prendre.La recherche dinnovation au seindOrange Healthcare nest pas tantaxe sur la technologie que sur lor-ganisation et les services. Loin dunenfermement dans lactivit princi-pale dOrange, la division Sant a une

    dimension exploratoire, favorise parune organisation matricielle. La cra-tion de savoirs partags, limmatriel,le travail en rseau y sont valoriss.Lentit Veille & tudes orchestre undispositif collaboratif de dtection etde dcryptage des tendances sus-ceptibles dinfluer sur le secteur de lasant, afin de nourrir la stratgie etles offres de la division.Chaque mois, un comit de lecturecompos de diffrents contributeurs

    (responsables de domaine dactivitstratgique, reprsentants de la R&D,des marchs B2B, du dveloppementproduits et solutions, etc.) slec-tionne en sance les informationscls remontes du systme de veilleet procde une analyse collabora-tive. Elle trouve sa concrtisationdans un bulletin de veille destin aurseau interne veille sant.Tous les trois mois, un autre lieu den-richissement mutuel est institu parla convocation dun comit de rdac-tion, lui aussi transversal et pluridisci-plinaire, plus ax sur la dtection designaux faibles. Vritable commu-

    naut stratgique de connaissances,il produit une revue de conjoncturedestine cette fois exclusivement aucomit de direction de la division.La responsable Veille & tudes quali-fie cet espace dchanges de lieuneutre, bienveillant et convivial, cra-teur de proximit et de confiance,conditions sine qua non dune prisede parole qui est aussi une prise derisque.

    Limplication du managementFranoise Valla a obtenu limplicationdu management dans le processusde veille. Chaque mois, un membredu comit de direction pilote le nu-mro du bulletin de veille et en rdigelditorial. Une autre initiativercente, dans le mme esprit, est unesance de relecture propose au di-recteur de la division Sant, destina-taire principal et commanditaire de larevue de conjoncture, afin dobtenirde lui une vision stratgique desinformations dveloppes dans lapublication.

    Il est tentant de comparer le fonc-tionnement de lentit veille quecoordonne Franoise Valla celui dela division Sant : un foisonnementdinitiatives rgne dans ce territoireen friche.Franoise pointe la difficult dint-grer les circuits dinformation du ma-nagement, qui a ses propres relais etsources privilgis, ainsi que la n-cessit danimer et daccompagnersans relche cette communaut de

    veilleurs dont lavitalit et la prennit ne sont jamaisacquises.Une cl de succs est la remise enquestion rgulire de ses activits,toujours orientes clients, et louver-ture, la fois vers dautresservices en interne et vers lextrieurdu bocalCe mouvement se manifeste notam-ment par le rapprochement souhaitpar lentit Veille avec les chasseursde tendance des laboratoires OrangeLabs, afin de participer aux travauxde prospective.

    Une ouverture la filire santLe dcloisonnement se traduit gale-ment par lorganisation des Amphisde la sant , vnements internesdestins acculturer les acteursOrange en matire de sant et ac-cueillant des experts externes len-treprise sur des thmatiques en lienavec les enjeux de la division.La responsable Veille & tudes a ga-lement pour projet dinitier une sortede club de veille sant qui runi-rait des acteurs de la veille relevantdautres entreprises de la filire, afinde mobiliser lcosystme dans le-quel sinscrit Orange Healthcare et dese nourrir de sa richesse.Franoise Valla a choisi une abeillepour personnaliser la charte gra-phique de ces livrables de veille.Abeille butineuse, la fonction veillecontribue la fertilisation croise desides des diffrents contributeurs.Personne ressource reconnue commetelle et sachant laisser la place auxautres, la responsable Veille & tudesintervient modestement, par touches

    impressionnistes, russissant le tourde force de faire concider ce qui lapassionne avec ce qui reprsente uneutilit pour les marketeurs qui len-tourent.

    OPEN INNOVATION, OPEN INTELLIGENCE