van enis secret des sources journalistiques

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Extrait du Journal des Tribunaux, 2010, p.

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Page 1: Van Enis Secret des sources journalistiques

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http://jt.larcier.be24 avril 2010 - 129e année - 16

Georges-Albert DAL, rédacteur en chef

N° 6392

ISSN

002

1-81

2X

DOCTRINE

Développements récents relatifs à la protection des sources journalistiques en Belgique

Pierre angulaire ou pierre d’achoppement?

ANS LA LIGNÉE d’une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme, la protection des sources journalistiques a été consacrée dans notre pays par la loi du 7 avril 2005. En adoptant ce

texte, le législateur a tenté de concilier le secret des sources journalistiques et les besoins d’une justice efficace. Cinq ans plus tard, il nous a paru opportun de faire le point sur les principales forces et faiblesses du dispositif mis en place, à la lumière des derniers développements jurisprudentiels, notamment strasbourgeois, et compte tenu de la nouvelle loi du 4 février 2010 relative aux méthodes de recueil de données par les services de renseignement et de sécurité1.

IIntroduction

1. La Cour européenne des droits de l’hommen’a eu de cesse, depuis un arrêt de principeGoodwin c. Royaume-Uni du 27 mars 1996,d’affirmer l’importance de la protection dessources journalistiques dans une société démo-cratique. Selon la formule constamment reprisepar la Cour, « la protection des sources journa-listiques est l’une des pierres angulaires de la li-berté de la presse. L’absence d’une telle protec-tion pourrait dissuader les sources journalisti-ques d’aider la presse à informer le public surdes questions d’intérêt général. En conséquen-ce, la presse pourrait être moins à même dejouer son rôle indispensable de “chien de gar-de” et son aptitude à fournir des informationsprécises et fiables pourrait s’en trouveramoindrie »2.

2. En Belgique, la question de la protection dessources journalistiques est réglée par la loi du7 avril 20053, entrée en vigueur le 7 mai 2005.

Quoique directement inspirée de la jurispru-dence de la Cour européenne des droits del’homme relative à la question de la protectiondes sources, ancrée dans l’article 10 de la Con-vention européenne des droits de l’homme4, laloi belge se révèle plutôt libérale dans la pro-tection qu’elle octroie.Pour confirmer cette impression, il suffitd’abord de songer à l’ouverture très large duchamp des bénéficiaires de la loi après son ex-t ens ion pa r un a r r ê t de no t r e Courconstitutionnelle5.Dans le même sens, on peut également releverl’extrême restriction des hypothèses dans les-quelles la confidentialité des sources pourraitcéder le pas devant un « impératif prépondé-rant d’intérêt public »6.

(1) M.B., 10 mars 2010, pp. 14.916-14.937.(2) Voy. notamment C.E.D.H., arrêt Goodwin c. Royau-me-Uni du 27 mars 1996, § 39; C.E.D.H., arrêt Roemenet Schmit c. Luxembourg du 25 février 2003, § 46;C.E.D.H., arrêt Ernst et autres c. Belgique du 15 juillet2003, § 91.

(3) M.B., 27 avril 2005. L’intitulé exact de la loi est lesuivant : « Loi relative à la protection des sourcesjournalistes ». Il s’agit d’une erreur matérielle, la versionnéerlandaise du titre de la loi se lisant : « Wet tot be-scherming van de journalistieke bronnen ». Le législa-teur a indirectement corrigé son erreur lors de l’adop-tion, le 9 mai 2006, d’une loi « visant à modifierl’article 5 de la loi du 7 avril 2005 relative à la protec-tion des sources journalistiques »...(4) C.E.D.H., arrêt Goodwin c. Royaume-Uni du 27 mars1996; C.E.D.H., arrêt De Haes et Gijsels c. Belgique du24 février 1997; C.E.D.H., gde ch., arrêt Fressoz et Roirec. France du 21 janvier 1999; C.E.D.H., arrêt Roemen etSchmit c. Luxembourg du 25 février 2003; C.E.D.H., arrêtErnst et autres c. Belgique du 15 juillet 2003.(5) Alors « Cour d’arbitrage ». C.A., arrêt no 91/2006 du7 juin 2006, M.B., 23 juin 2006. Voy. infra, no 7.(6) Voy. infra, nos 31-33.

S O M M A I R E

■ Développements récents relatifs à la protection des sources journalistiques en Belgique - Pierre angulaire ou pierre d’achoppement?, par Q. Van Enis . . 261

■ Assurance protection juridique - Libre choix d’un avocat par le preneur d’assurance (directive 87/344/CEE, article 4, § 1er) - Limitation contractuelle - Pluralité d’assurés préjudiciés par le même événement - Action collective - Choix du représentant légal par l’assureur (non).(C.J.C.E., 2e ch., 10 septembre 2009, observations de C. Paris) . . . . . . . . . 269

■ I. Presse - Délits de presse - Calomnie ou injures envers un fonctionnaire public (articles 4 et 12 du décret du 20 juillet 1831 sur la presse) - Notion - Ministre d’État - N’est pas un fonctionnaire public - Conséquence - Prescription de l’action publique - Cinq ans (oui) - Trois mois (non) - II. Ministres - Ministre d’État - Statut, devoirs et droits - Fonctionnaire public (non) - Conséquence - Prescription de l’action publique née d’un délit de presse (articles 4 et 12 du décret du 20 juillet 1831 sur la presse) - Cinq ans (oui) - Trois mois (non).(Cass., 2e ch., 3 février 2010) . . . . . 274

■ Chronique judiciaire :La robe prétexte - Coups de règle - Échos - Dates retenues.

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262 DOCTRINE 2010

La loi présente pourtant certaines imprécisionsque les juges ne seront pas toujours en mesurede clarifier. La consécration légale d’un droitn’est jamais sans risque. L’ancrage d’un droitdans un texte de loi peut entraîner un effet limi-tatif lorsque son énoncé ne permet pas de ren-contrer toutes les hypothèses qui pourraient seprésenter dans la pratique...

3. Plusieurs auteurs se sont déjà livrés à uneanalyse approfondie des dispositions du textede loi7. La présente étude se limite, quant à elle,à rappeler les grands axes de la loi à la lumièredes derniers développements jurisprudentiels.Dans cette optique, une attention particulièreest accordée aux enseignements livrés par laCour européenne des droits de l’homme depuisl’entrée en vigueur de la loi.

4. Après une présentation du champ d’applica-tion personnel de la loi (section 1), l’étude ana-lyse, de manière synthétique, le contenu de laprotection offerte par la loi à ses bénéficiaires(section 2). Elle examine ensuite l’exception dudroit au secret des sources (section 3). Enfin,elle s’interroge sur les sanctions applicables encas de violation des dispositions légales (sec-tion 4).

1Le champ d’application personnel

de la loi

5. L’une des questions les plus débattues lorsdes discussions parlementaires fut sans doutecelle de la définition des bénéficiaires du droitau secret des sources. En son article 2, la loi dis-tingue finalement deux catégories de bénéfi-ciaires. Nous les envisageons successivement.

A. « Toute personne exerçant des activités journalistiques »

6. L’intention première du législateur était defaire coïncider l’obligation déontologique quiest faite au journaliste de ne pas révéler sessources d’information8 avec un droit corrélatifde taire ses sources, fût-ce devant un juge9.

La plus grande difficulté rencontrée lors del’élaboration de la loi a été de circonscrire lanotion de journaliste dont nulle définitionn’existait en droit belge.En fait de « journaliste », le droit belge ne con-naissait, en effet, que le seul « journalisteprofessionnel » dont le titre est reconnu et pro-tégé sous certaines conditions strictes10.Cette catégorie s’avérant trop restreinte, il futrapidement exclu de limiter le bénéfice du se-cret des sources aux seuls titulaires du titre de« journaliste professionnel »11.À l’origine, la première catégorie de bénéficiai-res, regroupés sous la notion de journaliste,comprenait donc « toute personne qui, dans lecadre d’un travail indépendant ou salarié, ainsique toute personne morale, contribue réguliè-rement et directement à la collecte, la rédac-tion, la production ou la diffusion d’informa-tions, par le biais d’un média, au profit dupublic » (article 2, 1o).

7. Saisie par des blogueurs qui jugeaient tropétroit, et partant discriminatoire, le champd’application personnel du droit au secret dessources, la Cour d’arbitrage considéra que « ledroit au secret des sources journalistiques de-vait être garanti « non pas pour protéger les in-térêts des journalistes en tant que groupe pro-fessionnel, mais bien pour permettre à la pressede jouer son rôle de “chien de garde” et d’infor-mer le public sur des questions d’intérêt général(...) ». Elle estima dès lors que « toute personnequi exerce des activités journalistiques » pou-vait prétendre au secret de ses sourcesd’information12 et annula certains passages dela définition contenue à l’article 2, dont le ter-me même de journaliste13.Désormais, la première catégorie de bénéficiai-res de la protection des sources s’entend doncde « toute personne qui contribue directementà la collecte, la rédaction, la production ou ladiffusion d’informations, par le biais d’un mé-dia, au profit du public ».Cette définition très large permet, sans conteste,d’ouvrir les garanties de la loi aux blogueurs14,

pour autant qu’ils s’expriment sur des questionsrelevant de l’intérêt général15.Relevons, en outre, le caractère alternatif desdifférentes « activités journalistiques » (collec-te, rédaction, production ou diffusion d’infor-mations, par le biais d’un média, au profit dupublic) énoncées à l’article 2, 1o, de la loi. Dèslors, rien ne s’opposerait, en l’état actuel de lalégislation, à ce que la diffusion d’une informa-tion sur un réseau social16 (Twitter, Face-book…) ou la mise en ligne d’une vidéo sur unsite de partage de contenu (YouTube, Dailymo-tion…) puissent être considérées comme des« activités journalistiques » dignes de protec-tion, pour autant qu’elles portent sur des ques-tions d’intérêt public...Remarquons que si elle n’a jamais eu à connaî-tre d’affaires où une personne non-journalisterevendiquait à son profit la protection de sessources, la Cour européenne des droits del’homme a, elle aussi, pu reconnaître que, dansune société démocratique, certains acteursétrangers au monde des médias traditionnelsdoivent pouvoir bénéficier du niveau élevé deprotection accordé à la presse au titre del’article 10 de la Convention lorsqu’ils s’expri-ment sur des questions relevant de l’intérêtgénéral17.

8. Si l’extension du champ des bénéficiaires dela loi opérée par la Cour d’arbitrage se justifiepar le rôle particulier assigné à la presse18, lebénéfice des — solides — garanties mises enplace par la loi devrait, nous semble-t-il, êtreréservé aux personnes qui respectent une cer-taine « éthique de l’information », et dont le ga-rant ne pourrait être, in fine, que le juge, sta-tuant au cas par cas19.Ainsi, la Cour européenne a-t-elle pu affirmerque l’article 10 de la Convention « protège ledroit des journalistes de communiquer des in-formations sur des questions d’intérêt général

(7) Voy. E. BREWAEYS, « Informatiebronnen vanjournalisten », NjW, 2005, pp. 542-550; K. LEMMENS, « Laprotection des sources journalistiques - Un commentairede la loi du 7 avril 2005 », J.T., 2005, pp. 669-676;B. MOUFFE, « La loi sur la protection des sourcesjournalistiques », in A. MASSET (coord.), Actualités de droitpénal et de procédure pénale, Bruxelles, Larcier, 2006,pp. 7-59; idem, « Observations relatives au texte de la loisur la protection des sources journalistiques », A&M,2007, pp. 20-36; J. CEULEERS, « De journalistieke bronnenwettelijk berschermd », R.W., 2005-2006, pp. 48-52;F. JONGEN, « La Belgique, modèle de protection pour lesecret des sources? », Légipresse, 2005, pp. 71-73.(8) Voy. le septième devoir de la Déclaration des devoirset des droits des journalistes qui fait obligation aux jour-nalistes de « garder le secret professionnel et ne pas di-vulguer la source des informations obtenuesconfidentiellement ». Voy., en Belgique, le huitièmeprincipe du Code de principes de journalisme qui pré-voit que « les sources d’information confidentielles nepeuvent être communiquées sans autorisation expressedes informateurs ».(9) Voy. notamment B. MOUFFE, « La loi... », op. cit.,p. 23.

(10) Loi du 30 décembre 1963 relative à la reconnais-sance et à la protection du titre de journaliste profession-nel, M.B., 14 janvier 1964. Aux termes de l’article pre-mier de la loi, l’obtention du titre de journaliste profes-sionnel est réservée à toute personne qui, âgée de vingtet un ans au moins et n’étant pas déchue de ses droits ci-vils et politiques, participe, à titre de profession princi-pale et moyennant rémunération, à la rédaction de jour-naux quotidiens ou périodiques, d’émissions d’informa-tion radiodiffusées ou télévisées, d’actualités filmées oud’agences de presse consacrés à l’information générale(c’est-à-dire, qui, d’une part, rapportent les nouvellesconcernant l’ensemble des questions d’actualité et qui,d’autre part, s’adressent à l’ensemble des lecteurs, desauditeurs ou des spectateurs) et a fait, de cette activité,sa profession habituelle pendant deux ans au moins,sans la cesser plus de deux ans, en exerçant aucune es-pèce de commerce et notamment aucune activité ayantpour objet la publicité, si ce n’est en qualité de directeurde journal, d’émission d’information, d’actualités fil-mées ou d’agences de presse.(11) Voy. , parmi d ’aut res , K . LEMMENS , « Laprotection... », op. cit., p. 672, no 17.(12) C.A., arrêt no 91/2006 du 7 juin 2006, M.B.,23 juin 2006, considérants B.12 et B.13.(13) Arrêt précité, considérant B.40.(14) J. ENGLEBERT, « Le statut de la presse : du “droit dela presse” au “droit de l’information” », Rev. dr. U.L.B.,2007, no 35, pp. 229-288 ; B. MOUFFE, « Observationsrelatives au texte de la loi sur la protection des sourcesjournalistiques », A.&M., 2007, pp. 20-36 ; E. WERKERS,E. LIEVENS et P. VALCKE, « Bronnengeheim voorbloggers », NjW, 2006, pp. 630-636.

(15) Le texte de loi ne reprend pas cette dernière condi-tion qui se déduit de l’arrêt de la Cour d’arbitrage. Enmatière de protection des données à caractère person-nel, la C.J.C.E., réunie en grande chambre, a considéréqu’au regard du régime dérogatoire mis en place dans ladirective 95/46/CE, « des activités (…) peuvent être qua-lifiées d’“activités de journalisme”, si elles ont pour fina-lité la divulgation au public d’informations, d’opinionsou d’idées, sous quelque moyen de transmission que cesoit. Elles ne sont pas réservées aux entreprises de médiaet peuvent être liées à un but lucratif », sans faire échoau rôle particulier de la presse de communiquer des in-formations et des idées sur des questions d’intérêt public(C.J.C.E., gde ch., 16 décembre 2008, aff. Tietosuojaval-tuutettu c. Satakunnan Markkinapörssi Oy et SatamediaOy), C-73/07. Pour une analyse critique de cet arrêt, voy.C. DE TERWANGNE, « Les dérogations à la protection desdonnées en faveur des activités de journalisme enfinélucidées », R.D.T.I., 2010, pp. 130-144. Voy. égale-ment B. DOCQUIR, « Arrêt Satamedia : la (re)diffusiond'informations publiques dans les médias et les exigen-ces de la protection des données », R.E.D.C., 2009,pp. 560-581.(16) Le réseau social doit être configuré de telle manièreque le message posté par son utilisateur s’adresse bien àun public indéterminé et non à un cercle d’amis. Enpratique, toutefois, la frontière ne sera pas toujours aiséeà établir entre les deux types de situations...(17) Voy. C.E.D.H., arrêt Steel et Morris c. Royaume-Unidu 15 février 2005, § 89 et arrêt Vides AizsardzïbasKlubs c. Lettonie du 27 mai 2004, § 42.(18) Voy. B. MOUFFE, « Observations... », op. cit., p. 23,no 5; K. LEMMENS, « La protection... », op. cit., p. 672,no 18, qui se prononce avant l’arrêt de la Cour d’arbitra-ge; et plus généralement, l’ouvrage de A. GUEDJ, La pro-tection des sources journalistiques, Bruxelles Bruylant,1998.(19) Dans le même sens, voy. E. WERKERS, E. LIEVENS etP. VALCKE, op. cit., pp. 635-636, nos 25-29.

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263DOCTRINE2010

dès lors qu’ils s’expriment de bonne foi, sur labase de faits exacts et fournissent des informa-tions “fiables et précises” dans le respect del’éthique journalistique »20.

B. Les collaborateurs de la rédaction

9. La loi du 7 avril 2005 permet également auxcollaborateurs de la rédaction de se prévaloirde la protection due aux sources journalisti-ques.Par collaborateur de la rédaction, la loi entend« toute personne qui, par l’exercice de sa fonc-tion, est amenée à prendre connaissance d’in-formations permettant d’identifier une source,et ce à travers la collecte, le traitement éditorial,la production ou la diffusion de ces mêmesinformations » (article 2, 2o).

2Le contenu de la protection

offerte par la loi

A. Le droit de taire ses sources

10. Par le passé, rien ne permettait aux journa-listes de se soustraire à leur obligation de té-moigner en justice21.On le sait, les journalistes ne sont nullement te-nus, pas plus hier qu’aujourd’hui, au respectd’un quelconque secret professionnel, leur mé-tier consistant précisément à diffuser les infor-mations qu’ils reçoivent22.

Désormais, c’est dans la loi relative à la protec-tion des sources journalistiques que les bénéfi-ciaires puisent le droit de taire leurs sourcesd’information, dans la continuité des principesdégagés par la Cour européenne des droits del’homme sur le terrain de l’article 10 de la Con-vention.Ainsi, au titre de l’article 3 de la loi, les bénéfi-ciaires ne peuvent être contraints « de révélerleurs sources d’information et de communiquertout renseignement, enregistrement et docu-ment susceptible notamment : 1o de révélerl’identité de leurs informateurs; 2o de dévoilerla nature ou la provenance de leurs informa-tions; 3o de divulguer l’identité de l’auteur d’untexte ou d’une production audiovisuelle; 4o derévéler le contenu des informations et des do-cuments eux-mêmes, dès lors qu’ils permettentd’identifier l’informateur ».Cette disposition, qui prohibe l’atteinte directeau secret des sources, rappelle l’affaire Good-win c. Royaume-Uni23, dans laquelle la Coureuropéenne des droits de l’homme conclut à laviolation du droit à la liberté d’expression aprèsqu’un journaliste eut été sommé de dévoiler àun juge l’identité de la personne qui lui avaitdélivré des informations confidentielles sur lasituation financière d’une entreprise, et eut étécondamné, ensuite, au paiement d’une amen-de pour « Contempt of Court », vu son refuspersistant d’obtempérer.

11. La loi belge ne se limite pas à proscrirel’obligation faite à un bénéficiaire de dévoilerses sources, mais interdit également de le con-traindre à communiquer des documents quipourraient aboutir au même résultat24.

12. Le droit de taire ses sources trouve à s’appli-quer tant en matière pénale que civile25.

13. Le simple fait d’interroger un journaliste surl’origine de certaines pièces en lui laissant la pos-sibilité d’en appeler, en toute liberté, à son droit ausilence n’emporte pas la violation de la loi relativeà la protection des sources journalistiques26.Certains auteurs plaident toutefois pour que lejournaliste soit systématiquement informé dudroit de taire ses sources avant d’être interrogé27.

14. La loi belge ne dit mot sur ce qu’il faut enten-dre par une « source d’information ». La Coureuropéenne des droits de l’homme, quant à elle,dans une décision sur la recevabilité, a eu l’oc-casion de circonscrire quelque peu cette notion.En l’espèce, un journaliste avait travaillé sousune fausse identité et les personnes qui s’étaientconfiées à lui ignoraient sa qualité de journalis-te. En outre, dès lors qu’il filmait en caméra ca-chée, les personnes interrogées n’avaient pasconscience d’être enregistrées. D’après l’appré-ciation faite par la Cour, ces personnes n’ont« pas assisté de leur plein gré la presse dans sonrôle d’information du public sur des sujets d’in-térêt général ou sur des questions concernantautrui, au contraire. Elles n’ont pas non plusconsenti à être filmées ou enregistrées et doncà fournir des informations de cette manière. Enconséquence, ces personnes ne sauraient êtreconsidérées comme des sources journalistiquesd’information au sens traditionnel du terme »28.

15. En aucun cas, le bénéficiaire du droit au se-cret des sources ne pourra se retrancher derriè-re son silence pour échapper à sa responsabili-té, pénale29 ou civile.Ainsi, à l’occasion d’une procédure engagéecontre lui pour atteinte à l’honneur et à la répu-tation d’une personne, le bénéficiaire du secretdes sources devra toujours être en mesure deconvaincre le juge qu’il disposait d’une basefactuelle suffisante pour soutenir les proposqu’il a tenus30.Récemment encore, le tribunal de première ins-tance de Bruxelles a condamné des journalistesdu quotidien néerlandophone Het LaasteNieuws à la réparation du dommage subi par lacélèbre équipe belge de cyclisme Quick Step,son directeur sportif et son médecin sportif, à lasuite des accusations de dopage dont ces der-niers avaient fait l’objet. Rejetant l’argumenta-tion tirée du droit au secret des sources de l’undes défendeurs, le tribunal a souligné que lesinformations issues de témoignages anonymesappellent la plus grande prudence dans le con-trôle de leur véracité en vue de délivrer une in-formation correcte au public31.

(20) Voy., parmi d’autres, C.E.D.H., gde ch., arrêt Fres-soz et Roire c. France du 21 janvier 1999, § 54.(21) En effet, l’article 80 du Code d’instruction criminel-le dispose que « Toute personne citée pour être enten-due en témoignage, sera tenue de comparaître et de sa-tisfaire à la citation; sinon, elle pourra y être contraintepar le juge d’instruction, qui, à cet effet, sur les conclu-sions du procureur du Roi, sans autre formalité ni délai,et sans appel, prononcera une amende qui n’excéderapas cent francs, et pourra ordonner que la personne citéesera contrainte par corps à venir donner sontémoignage ». Voy. B. DEJEMEPPE, « Protection des sour-ces ou secret professionnel - D’un faux problème à unevraie responsabilité », Journ. proc., no 196, 31 mai1991, pp. 33-35, qui fait référence à deux anciens arrêtsdans lesquels la Cour de cassation avait refusé aux jour-nalistes un quelconque droit de taire leurs sources(Cass., 7 novembre 1855, Pas., 1855, I, 424 et Cass.,25 avril 1870, Pas., 1870, I, 226). Voy., pour un com-mentaire de ces deux arrêts, G. LEROY, « Le journaliste a-t-il le droit de taire ses sources? », J.T., 1980, p. 181 etP. LAMBERT, Le secret professionnel, Bruxelles, Nemesis,1985, pp. 294-296.(22) Dans l’arrêt Stoll c. Suisse du 10 décembre 2007, laCour européenne des droits de l’homme, réunie en gran-de chambre, a soulevé une importante question d’inter-prétation relative à l’objectif légitime de la prévention« de la divulgation d’informations confidentielles »,énoncé à l’article 10, § 2, de la Convention. En effet,alors que la version française de la Convention évoqueles mesures nécessaires « pour empêcher la divulgationd’informations confidentielles », le texte anglais fait ré-férence aux mesures nécessaires « for preventing the dis-closure of information received in confidence », ce quipourrait laisser croire qu’« est visée seulement la person-ne qui se trouve dans un rapport de confidentialité avecl’auteur du document secret et, par conséquent, qu’elleexclut de son champ d’application des tierces person-nes, parmi lesquelles les professionnels des médias ».Considérant cette dernière interprétation comme troprestrictive compte tenu de l’objet et du but de la Conven-

tion, la Cour a décidé qu’« il y a lieu d’adopter une in-terprétation de la phrase “empêcher la divulgation d’in-formations confidentielles” englobant les informationsdivulguées aussi bien par une personne soumise à undevoir de confidentialité que par une tierce personne, etnotamment, comme en l’espèce, par un journaliste ».Voyez spécialement les paragraphes 56 à 62 de l’arrêt.(23) Arrêt précité.(24) Récemment, la Cour européenne des droits del’homme a affirmé que la distinction entre ces deux hy-pothèses n’était pas cruciale : « A chilling effect will ari-se wherever jounalists are seen to assist in the identifica-tion of anonymous sources » (C.E.D.H., arrêt FinancialTimes et autres c. Royaume-Uni du 15 décembre 2009,§ 70).(25) K. LEMMENS, « La protection... », op. cit., p. 674,no 32 et B. MOUFFE, « Observations... », op. cit., p. 28,no 16, faisant tous deux référence aux travaux prépara-toires de la loi.(26) Corr. Termonde, 19e ch., 3 novembre 2008, A&M,p. 455.(27) Voy. P. DELTOUR, « Uitstekende bronnenwet botstop taaie gerechtel i jke gewoonten en nieuweuitdagingen », in D. VOORHOOF (éd.), Het journalistiekbronnengeheim onthuld, Bruges, die Keure, 2008, p. 46.Voy. également la proposition de loi déposée parMme Smeyers modifiant la loi du 7 avril 2005 relative àla protection des sources journalistiques en ce qui con-cerne la protection à l’égard des services de renseigne-ments et de sécurité, du 27 janvier 2009, Doc. parl., Ch.,

sess. ord., 2008-2009, no 52-1757/001, et qui vise no-tamment à compléter l’article 3 de la loi du 7 avril 2005relative à la protection des sources journalistiques par unalinéa rédigé comme suit : « Simultanément à toute de-mande de révéler des sources d’information, les person-nes visées à l’article 2 sont informées de leur droit de tai-re leurs sources ». Voy., enfin, le principe no 5, b, de larecommandation no R (2000) 7 du comité des ministresaux États membres sur le droit des journalistes de ne pasrévéler leurs sources d’information.(28) C.E.D.H., Nordisk Film & TV A/S c. Danemark(déc.) du 8 décembre 2005, spécialement pp. 10-11.(29) Dans notre pays, les auteurs de « délits de presse »bénéficient toutefois d’une impunité pénale de fait vu lerefus systématique des parquets généraux de réunir lacour d’assises, seule compétente en la matière d’aprèsl’article 150 de la Constitution. Depuis 1999, les délitsde presse inspirés par le racisme ou la xénophobie ontcependant été soustraits à ce régime d’impunité et relè-vent désormais de la compétence du tribunal correction-nel. La question de l’application de ce « privilège dejuridiction » à l’internet n’a pas encore été tranchée parla Cour de cassation, laquelle a toutefois constammentréservé la notion de délit de presse aux seuls « écritsimprimés ».(30) Il y a peu, dans un arrêt Ruokanen et autres c. Fin-lande, la Cour européenne de droits de l’homme a ap-prouvé la décision du juge finlandais considérant qu’enchoississant de ne pas révéler leurs sources, les requé-rants avaient pris le risque d’être condamnés pour diffa-mation (arrêt du 6 avril 2010, § 47).(31) Civ. Bruxelles, 21e ch., 15 octobre 2009, inédit,R.G. no 2007/3130/A et 2007/3458/A, p. 35. Voy., dans

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264 DOCTRINE 2010

B. Les mesures d’information ou d’instruction concernant

des données relatives aux sources d’information

16. La jurisprudence strasbourgeoise a rapide-ment mis en lumière le danger que pouvaiententraîner les méthodes employées par les auto-rités judiciaires pour mettre la main sur lessources que refusaient de leur dévoiler les jour-nalistes.En particulier, la Cour européenne des droits del’homme a eu l’occasion de souligner que « desperquisitions ayant pour objet de découvrir lasource d’information des journalistes — mêmesi elles restent sans résultat — constituent unacte encore plus grave qu’une sommation dedivulgation de l’identité de la source »32 en rai-son des pouvoirs d’investigation très larges dontdisposent les enquêteurs.L’article 5 de la loi tente de rencontrer ces pré-occupations.

17. Dans sa formulation initiale, cette disposi-tion se lisait comme suit : « Les mesures d’infor-mation ou d’instruction telles que fouilles, per-quisitions, saisies, écoutes téléphoniques et en-registrements ne peuvent concerner desdonnées relatives aux sources d’informationdes personnes visées à l’article 2 que si cesdonnées sont susceptibles de prévenir la com-mission des infractions visées à l’article 4, etdans le respect des conditions qui y sontdéfinies ».Un doute subsistait, dans certains esprits, sur laportée qu’il fallait donner à cette dispositionénumérant, à titre d’exemple, certaines des me-sures d’information ou d’instruction qui se trou-vaient prohibées.Malgré le caractère manifestement non exhaus-tif de cette liste, des voix se sont élevées lors del’adoption, en décembre 2005, d’une loi insé-rant dans le Code d’instruction criminelle unarticle 46quinquies autorisant, sous certainesconditions, « le contrôle visuel discret » dansdes lieux privés33.En particulier, les journalistes, qui ne s’étaientpas vu reconnaître de garanties comparables àcelles prévues pour les lieux occupés par lesavocats et les médecins, évoquaient le risqueque soit mis à mal le secret de leurs sourcesprotégé par la loi, toute récente alors, du 7 avril200534.Le législateur leva toute ambiguïté en mai200635.Désormais, se trouve clairement interdite, au ti-tre de l’article 5 de la loi, toute mesure d’infor-

mation ou d’instruction, quelle qu’elle soit, quiconcernerait des données relatives aux sourcesd’information.

18. Jusqu’il y a peu, l’on pouvait encore s’inter-roger sur ce qu’il fallait entendre par « mesured’information ou d’instruction concernant desdonnées relatives aux sources d’information ».Par cette expression, la loi se bornait-t-elle àprohiber les actes d’enquête dirigés vers les bé-néficiaires des garanties de la loi dans le butd’identifier leur source? Ou le législateur enten-dait-il également interdire toute mesure d’in-vestigation à l’égard d’une personne suspectéed’avoir commis une infraction en révélant desinformations confidentielles à un bénéficiairede la protection du secret des sources?La Cour de cassation mit fin à l’incertitude parun arrêt rendu le 6 février 2008.En l’espèce, un policier était soupçonné d’avoirviolé le secret de l’instruction en dévoilant cer-taines informations à un journaliste. En vued’évaluer le bien-fondé de ces soupçons, il futprocédé à un repérage des appels téléphoni-ques donnés et reçus par le téléphone portabledu policier. L’appareil fut ensuite saisi par lejuge d’instruction. Sollicitant la mainlevée de lasaisie, tout en contestant la régularité des de-voirs accomplis, le policier vit sa demande re-jetée tant par la chambre du conseil que par lachambre des mises en accusation.Amenée, quant à elle, à se prononcer sur laportée de l’article 5 de la loi, la Cour de cassa-tion, en prenant appui sur les travaux prépara-toires de la loi, affirma que « la loi du 7 avril2005 relative à la protection des sources jour-nalistiques n’interdit pas de procéder à des me-sures d’enquête pénale visant une personne quin’a pas la qualité de bénéficiaire de la protec-tion des sources et qui est soupçonnée d’avoircommis une infraction en transmettant des in-formations à l’un de ces bénéficiaires »36.Cet arrêt nous inspire deux remarques.

19. Tout d’abord, il convient de rappeler quel’enseignement de notre Cour suprême doit selire en parallèle avec la jurisprudence de laCour européenne des droits de l’homme qui,dans certaines circonstances exceptionnelles,dénote le souci de protéger directement la sour-ce de l’information37.

20. Ensuite, si l’intention du législateur a étéd’interdire le recours à la voie du journalistepour remonter à la source d’une information38,l’on peut toutefois se demander s’il sera tou-jours possible, s’agissant d’une communicationentre deux personnes, de faire le départ entrel’acte d’émission de la source, à propos duquelil serait permis d’enquêter, et le travail de récep-tion de l’information, qui, lui, serait protégé parle secret des sources.

Une affaire portée devant la Cour européennedes droits de l’homme montre ainsi les limitesque pourrait présenter, dans certains cas, la dis-tinction opérée par la Cour de cassation.

En l’espèce, une journaliste indépendante sou-tenait qu’en permettant au service fédéral desrenseignements d’enregistrer certaines conver-sations en fonction de mots clés spécifiques, lalégislation allemande portait atteinte à son tra-vail d’investigation mené dans des domainesfaisant précisément l’objet de la surveillance(notamment l’armement, les préparatifs deguerre, le trafic de stupéfiants et d’armes, et leblanchiment d’argent).

En particulier, l’application de la loi lui rendaitimpossible de garantir que la confidentialitédes informations qu’elle recevait dans le cadrede ses activités de journaliste fût préservée.

Pour arriver à la conclusion qu’une telle ingé-rence dans la liberté d’expression était bienproportionnée à l’objectif de la protection na-tionale et/ou de la prévention des infractionspénales, la Cour observa que les autorités pro-cédaient à une telle surveillance pour prévenircertaines infractions graves et précisément déli-mitées et que cette mesure ne visait donc pas àsurveiller des journalistes...

À ce propos, la Cour souligna que « les garan-ties grâce auxquelles les données recueillies nepeuvent être utilisées que pour prévenir certai-nes infractions pénales graves doivent égale-ment passer pour adéquates et effectives auxfins de maintenir au minimum inévitable la di-vulgation des sources journalistiques »39.

Un élément ressort de la motivation de la Cour :lorsque, pour prévenir la commission d’infrac-tions graves, les pouvoirs publics recourent àdes moyens qui portent en germe le dangerd’une violation du secret des sources, il importeque les données recueillies demeurent bienliées aux fins ayant justifié leur collecte.

Une récente affaire Sanoma Uitgevers B.V. c.Pays-Bas40 applique également ce critère de fi-nalité.

Il était question d’un éditeur qui avait été con-traint de remettre aux autorités judiciaires unCD-ROM susceptible de révéler l’identité desources journalistiques. Ce matériel contenaitdes images prises lors d’une course automobileillégale et permettait d’en identifier les partici-pants auxquels le journal avait garanti l’anony-mat. Le but de la saisie n’était pas ici d’identi-fier les sources des journalistes en tant que tel-les mais d’identifier un véhicule utilisé pourcommettre d’autres infractions graves (il s’agis-sait de vols de distributeurs automatiques debillets avec menace d’utiliser des armes à feu).

En l’espèce, la Cour constata qu’il n’y avait pasd’autre alternative raisonnable41. En outre, ellejugea significatif que les autorités n’avaient nul-lement fait usage de l’information obtenue pourd’autres buts que de poursuivre les auteurs deces vols42. Elle conclut, par quatre voix contretrois, à la non-violation de l’article 10. L’arrêt atoutefois fait l’objet d’une demande de renvoidevant la grande chambre.

le même sens, C.E.D.H., arrêt Tønsbergs Blad AS etHaukom c. Norvège du 1er mars 2007, § 95. Voy.également C.E.D.H., Falter Zeitschriften Gmbh c. Autri-che (dec.) du 20 février 2007.(32) Voy. C.E.D.H., arrêt Roemen et Schmit c. Luxem-bourg du 25 février 2003, § 57 et C.E.D.H., arrêt Ernst etautres c. Belgique du 15 juillet 2003, § 103.(33) Loi du 27 décembre 2005 portant des modifica-tions diverses au Code d’instruction criminelle et auCode judiciaire en vue d’améliorer les modes d’investi-gation dans la lutte contre le terrorisme et la criminalitégrave et organisée, M.B., 30 décembre 2005.(34) Voy. notamment M. SIMONIS, « Protection des sour-ces - Entre terreurs et libertés », Journalistes, décembre2005, no 66, pp. 1 et 4.(35) Loi du 9 mai 2006 visant à modifier l’article 5 de laloi du 7 avril 2005 relative à la protection des sourcesjournalistiques, M.B., 7 mars 2007.

(36) Cass., 6 février 2008, A&M, 2008, p. 130, noteJ. ENGLEBERT; Rev. dr. pén. crim., 2008, p. 802, noteF. LUGENTZ; J.L.M.B., 2008, p. 777; R.W., 2008-2009,pp. 1728-1729, note B. DE SMET.(37) Voy. C.E.D.H., gde ch., arrêt Guja c. Moldavie, du12 février 2008, spécialement §§ 72-77.(38) Rapport fait au nom de la commission de la justicepar M. Wathelet, du 15 avril 2004, Doc. parl., Ch., sess.ord., 2003-2004, no 51-0024/010, pp. 48-49 et spécia-lement l’intervention de M. Maingain : « (...) la protec-tion porte exclusivement sur l’information du journalis-te, et pas sur l’information dont dispose un tiers. Unemesure d’information ou d’instruction est donc parfaite-ment possible si le journaliste n’y est pas associé (...) ».

(39) C.E.D.H., Weber et Saravia c. Allemagne (déc.) du29 juin 2006, § 152.(40) C.E.D.H., arrêt Sanoma Uitgevers B.V. c. Pays-Basdu 31 mars 2009.(41) Voy. le paragraphe 60 de l’arrêt.(42) Voy. le paragraphe 61 de l’arrêt.

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265DOCTRINE2010

21. La loi prohibe les mesures d’investigation« concernant des données relatives aux sourcesd’information ». Il est clair que les autorités ju-diciaires ne peuvent procéder à de telles mesu-res dans le but de découvrir les sources d’un bé-néficiaire.

Mais qu’adviendrait-il si, au hasard d’une per-quisition, par exemple, les enquêteurs tom-baient involontairement sur des documents sus-ceptibles de révéler des sources d’informationd’un bénéficiaire43?

Le risque de se trouver confronté à ce genre desituation s’agrandit considérablement avecl’extension du champ d’application personnelde la loi... D’autant que de nombreux docu-ments sont susceptibles de comporter des ren-seignements permettant d’identifier une sourced’information44. Devra-t-on, en toutes circons-tances appliquer le critère de finalité dégagédans la jurisprudence de Strasbourg45?

22. Qu’en serait-il de la régularité de mesuresd’information ou d’instruction prises à l’égardd’un « journaliste » dont on a de sérieuses rai-sons de penser qu’il se serait rendu coupable,en qualité de coauteur, par exemple, d’un volde documents ou d’un acte de corruption envue de recevoir des informations couvertes parle secret professionnel?

De la formulation très générale de l’article 5,qui ne retient pour seule exception que celle vi-sée à l’article 4 de la loi46, il est permis de pen-ser que de telles mesures seraient égalementproscrites47.

Dans l’affaire Tillack c. Belgique, portée devantla Cour européenne, et dont les faits étaient, ilest vrai, antérieurs à l’entrée en vigueur de la loidu 7 avril 2005, le gouvernement belge arguaitque les perquisitions et les saisies menées con-tre le journaliste étaient destinées non seule-

ment à découvrir l’identité de la personnen’ayant pas respecté le secret professionnelauquel elle était assujettie, mais également à re-chercher des preuves indiquant que le requé-rant était l’auteur ou le coauteur d’une corrup-tion passive et active de fonctionnaire48.La Cour rejeta l’argument du gouvernement dèslors que le requérant n’était soupçonné que surle fondement de vagues rumeurs non étayées,ce qui fut confirmé par le fait qu’il ne fut pas in-culpé par la suite49.Il est permis de penser, vu la motivation del’arrêt, que les juges strasbourgeois ne seraientpas forcément opposés à de telles mesures d’in-vestigation dans l’hypothèse où de réels soup-çons pèseraient sur le journaliste...50

23. Enfin, nous ne pourrions passer sous silencel’adoption de la récente loi relative aux métho-des de recueil de données par les services derenseignement et de sécurité51.Le texte n’est pas sans impact sur la protectiondes sources journalistiques52 dès lors qu’en casd’indices sérieux relatifs à la commission d’uncrime ou d’un délit, les services de renseigne-ment et de sécurité ont un devoir de communi-cation à une commission de surveillance qui, sielle constate les même indices, est tenue d’in-former le parquet ou le parquet fédéral par lebiais d’un procès-verbal53 dressé par son prési-dent.

Curieusement, la nouvelle loi semble faire fi del’extension du champ d’application personnelde la loi du 7 avril 2005 opérée par l’arrêt de laCour d’arbitrage du 7 juin 2006 et ne se préoc-cupe de la situation que des seuls journalistes« admis à porter le t i t re de journalis teprofessionnel »54.Le principe reste celui de l’interdiction pour lesservices de renseignement et de sécurité d’ob-tenir, d’analyser ou d’exploiter des donnéesprotégées par le secret des sources des journa-listes.À titre exceptionnel, il est permis d’obtenir,d’analyser ou d’exploiter les données protégéespar le secret des sources lorsque le service enquestion dispose au préalable d’indices sérieuxrévélant que le journaliste professionnel parti-cipe ou a participé personnellement et active-ment à la naissance ou au développementd’une menace potentielle contre un certainnombre d’intérêts cruciaux.D’emblée, il est à noter que la liste de cesmenaces55 dépasse le champ de la préventiondes infractions pouvant porter atteinte à l’inté-grité physique des personnes qui, nous le ver-rons, constitue pourtant la seule exception à laprotection due aux sources journalistiques ad-mise par la loi du 7 avril 2005.Il conviendra également de rester attentif à l’in-terprétation que feront les services de rensei-gnement et de sécurité, ainsi que les instanceschargées de leur contrôle, de la condition de« participation personnelle et active » à la me-nace. L’on ne pourrait, à cet égard, se contenterd’un simple contact avec une personne pourconclure que cette condition est remplie56.La mise en œuvre d’une méthode spécifique ouexceptionnelle est subordonnée au respect desprincipes de subsidiarité et de proportionnalité.Dans cette hypothèse, le texte prévoit, en outre,d’importantes garanties de procédure mais quine protègent, rappelons-le, que les seuls« journalistes professionnels »57.(43) D’après le principe no 6, b, de la Recommandation

no R (2000) 7 du Comité des Ministres aux États mem-bres sur le droit des journalistes de ne pas révéler leurssources d’information, « Lorsque des informations iden-tifiant une source ont été obtenues de manière régulièrepar la police ou les autorités judiciaires à travers l’unequelconque des actions précitées — il s’agit des inter-ceptions des communications, de la surveillance et desperquisitions judiciaires et saisies — même si cela pour-rait ne pas avoir été le but de ces actions, des mesuresdevraient être prises pour empêcher l’utilisation ulté-rieure de ces informations comme preuve devant les tri-bunaux (...) » (souligné par nous). La loi luxembourgeoi-se du 8 juin 2004 sur la liberté d’expression dans les mé-d ia s (d i spon ib le à l ’ ad res se : h t tp : / /www.legilux.public.lu/leg/a/archives/2004/0085/a085.pdf) prévoit très clairement que : « Si des informa-tions identifiant une source ont été obtenues de manièrerégulière à travers l’une des actions visées auparagraphe (3) du présent article qui n’avait pas pour ob-jet ou pour but de découvrir l’identité d’une source, cesinformations ne peuvent pas être utilisées comme preu-ve dans le cadre d’une action ultérieure en justice, saufdans le cas où la divulgation de celles-ci serait justifiéeen application de l’article 8 de la présente loi »(article 7, § 4).(44) Voy. en particulier les pertinentes observations deS.-P. DE COSTER, « Petites réflexions dérangeantes sur lamanière de bien perquisitionner une rédaction », A&M,2008, pp. 176-179.(45) Voy. toutefois nos développements sur l’absence desanction procédurale en cas de violation de la loi (infra,no 34).(46) Il s’agit de la prévention de certaines infractionsportant atteinte à l’intégrité physique des personnes.Voy. nos observations relatives à l’article 4 de la loi (in-fra, nos 31-33).(47) Voy. F. LUGENTZ, « La loi sur la protection des sour-ces des journalistes : le point de vue des sources », Rev.dr. pén. crim., 2008, p. 812, note no 19.

(48) C.E.D.H., arrêt Tillack c. Belgique du 27 novembre2007, § 49. Voy dans cette affaire, Cass., 2e ch.,1er décembre 2004, J.L.M.B., 2005, p. 1400 et obs.F. JONGEN; Bruxelles, ch. mis. acc., 22 septembre 2004,J.T., 2005, p. 8, précédé du réquisitoire du ministère pu-blic.(49) Voy. le paragraphe 65 de l’arrêt précité. La Cour at-tacha également de l’importance à l’ampleur de la saisieeffectuée. Au total, seize caisses de documents, deuxboîtes d’archives, deux ordinateurs, quatre téléphonesportables et un meuble métallique furent saisis, sansqu’aucun inventaire ne soit dressé. Une caisse entière dedocuments fut même égarée par la police. Elle n’auraitété retrouvée que sept mois plus tard (voy. leparagraphe 67 de l’arrêt précité).(50) Concernant la Belgique, par application del’article 53 de la Convention, la loi nationale, plus pro-tectrice de la liberté de la presse, devrait toutefois trou-ver à s’appliquer.(51) M.B., 10 mars 2010, pp. 14.916-14.937. Le nou-veau dispositif entrera en vigueur à la date fixée par leRoi et au plus tard le 1er septembre 2010 (voy. l’article40 de la loi).(52) Voy. le dossier spécial (« Les nouvelles méthodes dela sûreté menacent-elles les journalistes? ») de Journalis-tes, la revue de l’Association des journalistes profession-nels, du mois d’octobre 2009, disponible à l’adressesuivante : http://www.agjpb.be/ajp/telechargements/dossier_surete_Journalistes108_10_09.pdf. Voy. égale-ment l’exposé de M. Simonis, représentante de l’Asso-ciation générale des journalistes professionnels de Belgi-que (A.G.J.P.B.) et P. Deltour, représentant de l’Algeme-ne Vereniging van Beroepsjournalisten in België(A.V.B.B.), dans le rapport fait au nom de la commissionde la justice par Mmes Taelman et Crombé-Berton sur laproposition de loi relative aux méthodes de recueil desdonnées des services de renseignement et de sécurité,du 14 juillet 2009, Doc. parl, Sénat, sess. ord., 2008-2009, no 4-1053/7, pp. 196-199 et dans le rapport faitau nom de la commission de la justice par Mme Nyssenssur le projet de loi relatif aux méthodes de recueil desdonnées des services de renseignement et de sécurité,sur la proposition de loi modifiant la loi du 30 novembre1998 organique des services de renseignement et de sé-curité, en ce qui concerne la suppression de la sûreté del’État, et sur la proposition de loi modifiant la loi du7 avril 2005 relative à la protection des sources journa-listiques en ce qui concerne la protection à l’égard desservices de renseignements et de sécurité, du16 décembre 2009, Doc. parl., Chambre, sess. ord.,2009-2010, no 52-2128/007, pp. 161-167.(53) Il est précisé que le procès-verbal ne peut constituerle motif exclusif ni la mesure prédominante conduisant

à la condamnation d’une personne, les éléments conte-nus dans le procès-verbal devant être étayés de manièreprédominante par d’autres éléments de preuve. Force estde constater que la loi s’écarte du critère de finalité misen lumière dans la jurisprudence strasbourgeoise etqu’une large marge d’appréciation est laissée au juge...(54) Au sens de la loi du 30 décembre 1963 relative à lareconnaissance et à la protection du titre de journalisteprofessionnel. Cette solution a pour regrettable consé-quence de priver les journalistes étrangers, nombreuxsur notre territoire, du bénéfice des mesures de protec-tion mises en place dans le texte.(55) Y figurent, entre autres, les menaces potentiellespour la sûreté intérieure de l’État et la pérennité de l’or-dre démocratique et constitutionnel, la sûreté extérieurede l’État et les relations internationales, le potentielscientifique ou économique, l’intégrité du territoire na-tional, les plans de défense militaires, l’accomplisse-ment des missions des forces armées ou la sécurité desressortissants belges à l’étranger...(56) Voy. l’exposé de P. Deltour dans le rapport précité,Doc. parl., Ch., sess. ord., 2009-2010, no 52-2128/007,p. 165.(57) Avant de pouvoir mettre en œuvre une méthodespécifique ou exceptionnelle de recueil de données àl’égard d’un journaliste professionnel, de ses locaux oumoyens de communication utilisés à des fins profession-nelles, ou de sa résidence, une commission administra-tive de surveillance composée de trois magistrats doitdonner un avis conforme à la demande motivée intro-duite par le dirigeant d’un service. Une méthode spéci-fique ou exceptionnelle de recueil de données ne peutêtre mise en œuvre sans que le président de l’Associa-tion des journalistes professionnels en soit averti aupréalable par le président de la commission de sur-veillance. Le même président doit fournir toutes les in-formations nécessaires au président de l’association en

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266 DOCTRINE 2010

C. L’interdiction des poursuites du chef de recel

24. En vertu de l’article 6 de la loi, les bénéfi-ciaires du secret des sources ne peuvent êtrepoursuivis sur la base de l’article 505 du Codepénal lorsqu’ils exercent leur droit à ne pas ré-véler leurs sources d’information.De la jurisprudence de la Cour de cassation, ilse déduit que l’infraction de recel requiert laréunion de deux éléments constitutifs : la pos-session ou la détention, en tout ou en partie,d’une chose obtenue à l’aide d’un crime oud’un délit commis par un tiers, et la connaissan-ce, préexistante ou concomitante à la posses-sion ou à la détention, de l’origine illicite dubien58.Si le recel ne concerne que les objetsmatériels59, il peut exister indépendamment dela valeur monétaire des choses recelées. Il enest ainsi, par exemple, de photocopies qui, parles informations qu’elles contiennent, présen-tent un intérêt pour leur propriétaire60.L’on se rappellera que, dans l’affaire Fressoz etRoire c. France61, la Cour européenne desdroits de l’homme fut saisie par le rédacteur enchef et un journaliste du Canard enchaîné quialléguaient une violation de leur droit à la liber-té d’expression, après avoir été condamnés duchef de recel de violation du secret profession-nel pour avoir publié des informations relativesà l’augmentation du salaire du président dePeugeot de l’époque, à partir de photocopiesd’avis d’imposition.Dans son arrêt, la Cour souligna d’emblée quel’article litigieux s’inscrivait dans le cadre d’undébat d’intérêt général relatif à un conflit socialdans une des principales firmes automobilesfrançaises62. Après avoir affirmé que « les jour-nalistes ne sauraient en principe être déliés parla protection que leur offre l’article 10 de leurdevoir de respecter les lois pénales de droitcommun »63, elle insista particulièrement sur labonne foi des requérants qui, au demeurant,n’avaient nullement manqué à leurs obligationsdéontologiques dans la véri f ication del’authenticité des avis d’imposition64, ce quisemble vouloir dire que la simple reproductiondans Le Canard enchaîné des documents déte-nus par les services fiscaux et communiqués aujournal ne pouvait suffire, en l’espèce, à justi-fier leur condamnation du chef de recel.Toutefois, le droit au secret des sources n’empê-che aucunement la condamnation d’un journa-liste — ou de toute autre personne — pour lapublication de documents, dont l’authenticiténe serait nullement mise en cause, et portant

gravement atteinte aux droits d’autrui sans êtrejustifiée par un intérêt suffisant du public à êtreinformé sur des questions d’intérêt général.Ainsi, dans une affaire récemment portée de-vant la Cour de Strasbourg65, le requérant, unjournaliste du quotidien Le Parisien, avait étécondamné du chef de recel de biens provenantd’une violation du secret de l’instruction ou del’enquête après avoir publié une photographied’un suspect identique à l’une de celles prisespar les enquêteurs avec un appareil numériquedurant le temps de la garde à vue.La Cour, après avoir relevé que les juridictionsinternes avaient condamné le requérant en rai-son de la publication d’un cliché portant attein-te au droit à la présomption d’innocence dususpect, considéra que ne se posait nullementen l’espèce un problème relatif au droit du re-quérant de taire ses sources.A contrario, dans un arrêt Dupuis et autres c.France, rendu à l’unanimité le 7 novembre2007, après avoir relevé qu’« en l'occurrence,les juges internes ont considéré, compte tenude la nature des documents reproduits dansl'ouvrage ou ayant servi de support à certainspassages du livre, que les auteurs, journalistesexpérimentés, ne pouvaient ignorer que lesditsdocuments provenaient du dossier d'instruc-tion et étaient couverts, selon les personnes àl'origine de la remise des documents, par le se-c re t de l ' ins t ruc t ion ou pa r le sec re tprofessionnel » et réaffirmé que « les journalis-tes ne sauraient en principe être déliés par laprotection que leur offre l'article 10 de leur de-voir de respecter les lois pénales de droitcommun », la Cour a cependant estimé qu’ilconvenait « d'apprécier avec la plus grandeprudence, dans une société démocratique, lanécessité de punir pour recel de violation de se-cret de l'instruction ou de secret professionneldes journalistes qui participent à un débat pu-blic d'une telle importance66, exerçant ainsileur mission de « chiens de garde » de ladémocratie »67.

D. L’interdiction des poursuites du chef de violation du secret professionnel

25. Aux termes de l’article 7 de la loi, en cas deviolation du secret professionnel68, les person-nes bénéficiaires du secret des sources ne peu-vent être poursuivies pour complicité « lors-qu’elles exercent leur droit à ne pas révélerleurs sources d’information ».Comme l’ont souligné plusieurs auteurs, la ré-daction de cet article est malencontreuse69.

26. Tout d’abord, il convient de remarquer queseul est visé le secret professionnel stricto sen-su.Il existe pourtant d’autres dispositions qui pu-nissent, en droit belge, la révélation d’informa-tions à caractère confidentiel.L’on songe, par exemple, à l’infraction résultantde l’abus du droit de consultation du dossierpénal prévue à l’article 460ter du Codepénal70.Récemment, un journaliste du quotidien HetLaaste Nieuws a ainsi été condamné par la courd’appel de Gand pour avoir participé, commecoauteur, à la commission de cette dernière in-fraction. Rejetant le pourvoi formé par le jour-naliste, la Cour de cassation a confirmé lacondamnation71.La Cour européenne des droits de l’homme,quant à elle, déclara la requête du journalistemanifestement mal fondée, et partant, irreceva-ble. Au titre des motifs qui lui paraissaient« pertinents et suffisants » pour justifier l’ingé-rence, la haute juridiction strasbourgeoise rele-va principalement que le requérant avait exercéune pression financière inacceptable pour inci-ter les parties civiles à commettre une infractionet que la condamnation du requérant résultaitnon pas de l’expression d’une opinion, mais desa collaboration expresse au délit prévu parl’article 460ter du Code pénal72. L’on peut s’in-terroger sur la décision qu’aurait rendue laCour en l’absence de pressions de la part dujournaliste...En tout cas, il paraît peu probable que les courset tribunaux comblent cette lacune en interpré-tant de manière extensive l’article 7 de la loi...Récemment, i l fut rappelé par un jugeque « sans préjudice du fait qu’il existe encored’autres articles dans le Code pénal qui impo-sent une obligation de secret à certaines per-sonnes, tel que l’article 460ter du Code pénal,dans la loi du 7 avril 2005 relative à la protec-tion des sources, il est seulement renvoyé àl’article 458 du Code pénal73 »74.

27. Ensuite, il faut remarquer que l’article 7 dela loi envisage la seule complicité et ne dit motde la corréité, l’autre hypothèse de participa-tion punissable connue en droit belge.L’on enseigne généralement que c’est en appré-ciant le caractère indispensable ou accessoirede l’aide fournie par le participant que le jugedu fond détermine si le participant est coauteurou complice75.Les exceptions aux poursuites étant de stricteinterprétation, les journalistes poursuivis enqualité de coauteurs de la violation du secretprofessionnel ne bénéficient donc d’aucune

question, qui, lui, est tenu au secret professionnel. Il doitencore vérifier que les données obtenues grâce à cetteméthode, lorsqu’elles sont protégées par le secret dessources du journaliste, sont directement liées à la mena-ce. Enfin, le président de la commission ou le membrede la commission délégué par lui doit être présent lorsde la mise en œuvre de la méthode.(58) Voy. M.-L. CESONI et D. VANDERMEERSCH, « Le recelet le blanchiment », in H.-D. BOSLY et C. DE VALKENEER(coord.), Les infractions contre les biens, Bruxelles, Lar-cier, 2008, p. 465.(59) Cass., 30 novembre 2004, Pas., 2004, I, no 578.(60) Cass., 7 avril 1982, Pas., 1982, I, no 476; Bruxelles,8e ch., 27 novembre 1981, J.T., 1982, p. 43.(61) C.E.D.H., gde ch., arrêt Fressoz et Roire c. France,du 21 janvier 1999.(62) Voy. le § 50 de l’arrêt.(63) Voy. le § 52 de l’arrêt.(64) Voy. le § 55 de l’arrêt.

(65) C.E.D.H., Hacquemand c. France (déc.) du 30 juin2009.(66) Il s’agissait, en l’espèce, du fonctionnement desécoutes au sein de l'Elysée.(67) C.E.D.H., arrêt Dupuis et autres c. France du 7 juin2007, §§ 43-46.(68) Au sens de l’article 458 du Code pénal, qui se lit dela manière suivante : « Les médecins, chirurgiens, offi-ciers de santé, pharmaciens, sages-femmes et toutesautres personnes dépositaires, par état ou par profession,des secrets qu’on leur confie, qui, hors le cas où ils sontappelés à rendre témoignage en justice (ou devant unecommission d’enquête parlementaire) et celui où la loiles oblige à faire connaître ces secrets, les auront révé-lés, seront punis d’un emprisonnement de huit jours àsix mois et d’une amende de cent francs à cinq centsfrancs ».(69) Voy., parmi d’autres, K. LEMMENS, op. cit., 674-675,no 36; E. BREWAEYS, op. cit., pp. 547-548, nos 35-37.

(70) Cet article dispose que « Tout usage par l’inculpéou la partie civile d’informations obtenues en consultantle dossier, qui aura eu pour but et pour effet d’entraver ledéroulement de l’instruction, de porter atteinte à la vieprivée, à l’intégrité physique ou morale ou aux biensd’une personne citée dans le dossier est puni d’un em-prisonnement de huit jours à un an ou d’une amende devingt-six francs à cinq cents francs ».(71) Cass., 2e ch., 7 décembre 2004, disponible surwww.juridat.be.(72) C.E.D.H., Masschelin c. Belgique (déc.) du 20 no-vembre 2007, p. 14.(73) Prévoyant l’infraction résultant de la violation dusecret professionnel.(74) Corr. Termonde, 19e ch., 3 novembre 2008, préci-té.(75) Cass., 20 avril 1914, Pas., 1914, I, 187.

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immunité au titre de la loi relative à la protec-tion des sources journalistiques76.

E. Considérations générales

28. Le caractère illicite d’une information com-muniquée à un bénéficiaire n’est pas suffisanten soi pour le priver du droit au secret de sessources.Dans l’arrêt Tillack c. Belgique, la Cour euro-péenne des droits de l’homme a souligné que« le droit des journalistes de taire leurs sourcesne saurait être considéré comme un simple pri-vilège qui leur serait accordé ou retiré en fonc-tion de la licéité ou de l’illicéité des sources,mais un véritable attribut du droit à l’informa-tion, à traiter avec la plus grande circonspec-tion »77.Dans un récent arrêt Financial Times e.a. c.Royaume-Uni, la même Cour a toutefois admisque si le comportement de la source ne peut ja-mais être décisif pour déterminer la nécessitéd’une ordonnance de révélation, il peut toute-fois constituer un important facteur à prendreen considération pour effectuer l’exerciced’équilibrage requis par l’article 10, § 2, de laConvention. En l’espèce, la source, apparem-ment animée de mauvaises intentions, auraitdivulgué de fausses informations préjudiciablesà l’entreprise brassicole belge Interbrew78.

29. Pour véritablement garantir le rôle de lapresse d’informer le public sur des questionsd’intérêt général, ne conviendrait-il pas, lors del’appréciation de la responsabilité du bénéfi-ciaire dans son travail de collecte d’informa-tions, de se limiter à tenir compte du caractèreactif ou passif de son comportement dans l’ob-tention de données protégées, indépendam-ment de sa connaissance (ou de sa connaissan-ce présumée) de l ’o r ig ine i l l ic i te desinformations79 ? Dans un premier temps, la Cour européennes’est inscrite dans cette logique.Dans l’affaire Dammann c. Suisse, le requérant,journaliste au quotidien Blick, avait été con-damné pour « instigation à la violation du se-cret de fonction » pour avoir posé des questionspar téléphone à une assistante administrativedu parquet du canton de Zurich et lui avoir en-voyé une télécopie en lui demandant d’y co-cher les noms des personnes ayant fait l’objetde condamnations pénales. La quatrième sec-tion de la Cour a constaté qu’en l’espèce, « iln’apparaît pas que le requérant ait recouru à laruse ou la menace ou qu’il ait autrement exercédes pressions afin d’obtenir les renseignements

voulus », rejetant l’argument retenu par les juri-dictions internes selon lequel « le requérantaurait dû savoir, en tant que chroniqueur expé-rimenté, que les informations sur les personnesimpliquées dans une procédure pénale encours étaient confidentielles ». Tout au contrai-re, les juges ont estimé « qu’il appartient auxEtats d’organiser leurs services et de formerleurs agents de sorte qu’aucun renseignementne soit divulgué concernant des données consi-dérées comme confidentielles »80.De la même manière, dans une affaire Stoll c.Suisse, qui concernait la condamnation d’unjournaliste en raison de la publication partielled’un rapport diplomatique confidentiel81, lesmêmes juges ont retenu le fait « qu'il n'apparaîtpas que le requérant ait été à l'origine de l'in-discrétion commise » et qu’« en tout état decause, aucune procédure n'avait été ouverte àce titre par les autorités suisses »82.Saisie à son tour de cette dernière affaire, lagrande chambre83 semble s’être écartée del’opinion majoritaire dégagée dans l’arrêt dechambre : tout en énonçant que « la manièredont une personne obtient connaissance d'in-formations considérées comme confidentiellesou secrètes peut jouer un certain rôle dansl'exercice de mise en balance des intérêts à ef-fectuer dans le cadre de l'article 10, § 2 », ellea affirmé que « l'absence de comportement illi-cite de la part du requérant n'est pas nécessai-rement déterminante dans l'appréciation de laquestion de savoir s'il a respecté ses devoirs etresponsabilités ». Ainsi, la Cour a pu estimerqu’en l’espèce, même s’« il n’apparaît pas quele requérant ait été à l’origine de l’indiscrétioncommise » et qu’« en tout état de cause, aucu-ne procédure n'a été ouverte à ce titre par lesautorités suisses », « il ne pouvait, en tant quejournaliste, ignorer de bonne foi que la divulga-tion du document litigieux était réprimée » parle droit suisse.

30. Les bénéficiaires de la loi sont-ils protégésavant toute publication?Certains passages des travaux préparatoire évo-quent cette hypothèse. On peut y lire l’interven-tion d’un des artisans de la loi : « Le journalisted’investigation qui met un an pour finalementpublier dans un journal ou une revue ou pourrendre des choses publiques par le biaisd’autres moyens audiovisuels, est égalementprotégé »84. La solution paraît logique au re-gard de la jurisprudence strasbourgeoise subsé-quente. Dans l’affaire Damman c. Suisse, laCour a expressément précisé non seulementque « les activités de recherche et d’enquête

d’un journaliste » bénéficient de la protectionde l’article 10, mais également que les restric-tions à la liberté de presse visant la phase préa-lable à la publication « présentent même desgrands dangers et, dès lors, appellent de la partde la Cour l’examen le plus scrupuleux »85.En Belgique, l’élargissement du champ d’appli-cation personnel de la loi opéré par la Courd’arbitrage pose immanquablement la questionde l’identification a priori des « nouveaux » bé-néficiaires de la loi... Est-il réaliste de vouloirprotéger de la même façon le travail d’investi-gation de l’ensemble des bénéficiaires avanttoute diffusion au public?

3L’exception

31. La loi ne retient, en son article 4, qu’un seul« impératif prépondérant d’intérêt public » per-mettant, dans le respect de conditions strictes,de contrebalancer la protection due aux sour-ces journalistiques.Selon l’article 4 de la loi, les bénéficiaires nesont tenus de livrer leurs sources d’informationqu’à la requête du juge en vue de prévenir lacommission d’infractions constituant une me-nace grave pour l’intégrité physique d’une oude plusieurs personnes, en ce compris les in-fractions de terrorisme visées à l’article 137 duCode pénal pour autant qu’elles portent attein-te à l’intégrité physique.Deux conditions cumulatives doivent encoreêtre remplies. Il faut, tout d’abord, que les infor-mations demandées revêtent une importancecruciale pour prévenir la commission de ces in-fractions et, ensuite, que les informations de-mandées ne puissent être obtenues d’aucuneautre manière.Ces deux conditions, qui traduisent les princi-pes de proportionnalité et de subsidiarité misen avant dans la Recommandation du Comitédes Ministres du Conseil de l’Europe86, parais-sent difficilement praticables87.N’est-il pas paradoxal d’exiger du juge qu’avantmême de disposer des informations sollicitées,il s’assure que ces dernières soient crucialespour prévenir une atteinte à l’intégrité physiqued’une ou plusieurs personnes?De même, comment le juge peut-il être certainqu’aucune autre méthode de recherche ne luipermette d’obtenir les informations deman-

(76) F. LUGENTZ, op. cit., p. 807, note no 7.(77) Voy. C.E.D.H., arrêt Tillack c. Belgique du27 novembre 2007, § 65.(78) Voy. C.E.D.H., arrêt Financial Times et autres c.Royaume-Uni du 15 décembre 2009, § 63.(79) Voy., dans le même sens, P. TOUSSAINT, « Le secretdes sources des journalistes », Rev. Trim. D.H., 1996,pp. 452-457, spéc. pp. 452-453, où l’auteur, chroni-queur judiciaire de profession, relève avec effroi, sur labase de l’opinion dissidente exprimée par le Juge Walshjointe à l’arrêt Goodwin, précité, que, dans cette affaire,le journaliste anglais « déclara qu’il n’avait aucune rai-son de penser que le document de la firme Tetra avait étévolé, ce qui pourrait signifier (…) que, sinon, il aurait ré-vélé sa source ». Comp. K. LEMMENS, La presse et la pro-tection juridique de l’individu - Attention aux chiens degarde, Bruxelles, Larcier, 2004, pp. 277-278, nos 360-362.

(80) C.E.D.H., arrêt Dammann c. Suisse du 25 avril2006, § 55. (81) Le rapport, rédigé par l’ambassadeur suisse auxEtats-Unis, concernait la stratégie à adopter par son paysdans les négociations menées notamment entre le Con-grès juif mondial et les banques suisses au sujet de l’in-demnisation due aux victimes de l’Holocauste pour lesavoirs en déshérence sur des comptes bancaires suisses.(82) C.E.D.H., arrêt Stoll c. Suisse, du 25 avril 2006,§ 50.(83) C.E.D.H., gde ch., arrêt Stoll c. Suisse du 10 décem-bre 2007, §§ 141-144. Pour un commentaire critique decet arrêt, voy. M. HOTTELIER, « La liberté de la presse en-tre confidentialité et provocation : mode d’emploi pourfaire chuter une liberté de son piédestal », Rev. Trim.D.H., 2008, pp. 801-819. Voy. également C.E.D.H., ar-rêt Dupuis et autres c. France, précité.(84) Intervention de O. Maingain, rapport fait au nom dela commission de la justice par M. Wathelet, du 15 avril2004, Doc. parl., Ch., sess. ord., 2003-2004, no 51-0024/010, p. 28.

(85) C.E.D.H., arrêt Dammann c. Suisse, précité, § 52.Voy. également la Déclaration du Comité des Ministressur la protection et la promotion du journalisme d’inves-tigation, adoptée le 26 septembre 2007, et qui demandeaux Etats membres « de prendre en compte, et d’incor-porer le cas échéant en droit national, la jurisprudencerécente de la Cour européenne des Droits de l’Homme,qui interprète l’article 10 de la Convention européennedes Droits de l’Homme de manière à étendre sa protec-tion non seulement à la liberté de publier, mais aussi auxrecherches journalistiques, étape préalable indispensa-ble au journalisme d’investigation » (disponible sur lesite du Conseil de l’Europe : http://www.coe.int/).(86) Recommandation no R (2000) 7 du Comité des Mi-nistres aux États membres sur le droit des journalistes dene pas révéler leurs sources d’information, principeno 3, b.(87) Voy., à ce propos, B. MOUFFE, « La loi... », op. cit.,pp. 50-51, no 7.

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dées? Ce n’est qu’a posteriori, nous semble-t-il,que l’on pourra réellement le savoir... Jusqu’oùle juge devra-t-il aller, combien de fausses pis-tes devra-t-il suivre, avant de se résoudre à obli-ger le journaliste à dévoiler ses sources?

32. Au demeurant, la liste retenue par le légis-lateur peut paraître fort étroite au regard de cel-le consacrée à l’article 10, § 2, de la Conven-tion européenne des droits de l’homme88.L’absence la plus manifeste est sans doute cellede la prévention des infractions portant atteinteà l’honneur ou à la réputation des personnes.La Cour d’arbitrage a jugé, à cet égard, qu’iln’était pas discriminatoire de limiter l’excep-tion au droit au secret des sources à l’hypothèsede la prévention d’infractions qui constituentune atteinte à l’intégrité physique des person-nes.En raison de la gravité et du caractère souventirréparable de telles infractions, « la nécessitéde les prévenir pouvait — d’après notre Courconstitutionnelle — justifier l’exception au se-cret des sources ».À ses yeux, il relève de l’appréciation du légis-lateur « de décider si cette exception doit êtreétendue à la prévention d’infractions consti-tuant une atteinte à la vie privée ou familialequi n’ont ni la même gravité, ni le même carac-tère irréparable »89.

33. Par ailleurs, l’exception légale ne vise quela seule prévention — et non la répression —des infractions portant atteinte à l’intégrité phy-sique.En appliquant la loi, les juges devraient veiller,cependant, à ne pas entrer en contradictionavec la jurisprudence strasbourgeoise90.

En particulier, l’on ne saurait exclure qu’au titrede l’obligation procédurale qui impose auxhautes parties contractantes d’investiguer, parexemple, sur des allégations d’atteintes à la vie

des personnes, de tortures ou de traitements in-humains ou dégradants, ou éventuellement, surles motivations racistes de leurs auteurs, la Coureuropéenne des droits de l’homme puisse re-procher aux États de ne pas s’être appuyé, endernier recours, sur les sources d’un journaliste.Ainsi, dans un arrêt Secic c. Croatie, la Cour areproché aux autorités croates, en particulier àla police qui, ayant interrogé un journaliste re-latant les propos d’un skinhead faisant allusionà l’agression, n’avait pas demandé à la juridic-tion compétente d’obliger le journaliste à révé-ler les sources de ses informations comme l’yautorisait le droit interne. En particulier, « laCour estime que pareille démarche, entreprisepar la police ou le parquet compétent, n’auraitpas été a priori incompatible avec la liberté desmédias garantie par l’article 10 de la Conven-tion puisqu’il aurait appartenu dans tous les casà la juridiction saisie de peser l’ensemble desintérêts en cause et de décider si les circonstan-ces de l’espèce exigeaient ou non la révélationde l’identité de la personne interviewée »91.

4Quelle(s) sanction(s)

en cas de violation des garanties offertes par la loi?

A. Aucune sanction procédurale n’est prévue par la loi

34. Aucune sanction n’est prévue dans l’hypo-thèse où les autorités judiciaires ne respecte-raient pas les prescriptions de la loi.Un amendement prévoyant une sanction denullité a été rejeté92.À l’heure actuelle, rien n’empêcherait donc lesautorités judiciaires d’utiliser des preuves oudes informations obtenues en violation des dis-positions légales93. En effet, la jurisprudence ré-cente de la Cour de cassation admet, en princi-pe, l’utilisation de preuves recueillies de ma-nière i l l ici te sous réserve de certainesexceptions, étrangères à la question du respectdu secret des sources94.

B. La réparation du dommage résultant de la violation du secret

des sources par application du droit commun de la responsabilité civile

35. En l’absence de sanction explicite dans laloi, rien n’empêcherait le journaliste victimed’une violation du secret des sources de mettreen cause la responsabilité des pouvoirs publicssur la base du droit commun de la responsabi-lité civile.Une affaire mérite d’être épinglée en ce sens.Une journaliste du quotidien néerlandophoneDe Morgen, ainsi que le journal lui-même, sesont tournés vers le tribunal de première instan-ce de Bruxelles pour entendre condamner l’Étatbelge à la réparation du dommage qui résultaitpour eux de la violation par les autorités judi-ciaires de leur droit au secret des sources jour-nalistiques.En l’espèce, il avait été procédé à un repéragedes appels téléphoniques d’une journaliste envue d’identifier la source d’une fuite judiciaire.Bien que les faits reprochés aux autorités fus-sent antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi re-lative à la protection des sources journalisti-ques, le tribunal de première instance deBruxelles considéra que « compte tenu des dé-bats parlementaires qui étaient alors pleine-ment en cours à propos de l’approbation de laloi du 7 avril 2005 relative à la protection dessources journalistiques, les autorités judiciairessavaient, ou auraient dû savoir, qu’à compter del’entrée en vigueur imminente de cette régle-mentation, l’enregistrement des conversationstéléphoniques d’un journaliste ne pouvait plusavoir lieu qu’en des circonstances très excep-tionnelles, alors qu’en l’espèce, celles-ci fai-saient défaut »95.Concluant à l’existence d’une faute dans le chefde l’État, il condamna ce dernier à réparer tant

tales ou 14 du Pacte international relatif aux droits civilset politiques compte tenu des éléments de la cause prisedans son ensemble, y compris le mode d’obtention de lapreuve et les circonstances dans lesquelles l’illicéité aété commise » et que « lors de cette appréciation, lejuge peut prendre en considération notamment la cir-constance ou l’ensemble des circonstances suivantes :soit que l’autorité chargée de l’information, de l’instruc-tion et de la poursuite des infractions a ou non commisintentionnellement l’acte illicite, soit que la gravité del’infraction dépasse de manière importante l’illicéitécommise; soit que la preuve obtenue illicitement neconcerne qu’un élément matériel de l’existence del ’ in f rac t ion » (Cas s . , 23 mars 2004 , R .G.no P.04.0012.N, disponible sur le site www.juridat.be).La même Cour ajouta encore « que lorsque l'irrégularitécommise ne compromet pas le droit à un procès équita-ble, n'entache pas la fiabilité de la preuve et ne mécon-naît pas une formalité prescrite à peine de nullité, le jugepeut, pour décider qu'il y a lieu d'admettre des élémentsirrégulièrement produits, prendre en considération, no-tamment, la circonstance que l'illicéité commise estsans commune mesure avec la gravité de l'infractiondont l'acte irrégulier a permis la constatation, ou quecette irrégularité est sans incidence sur le droit ou la li-berté protégés par la norme transgressée » (Cass., 2e ch.,2 mars 2005, R.G. no P.04.1644.F, disponible sur le sitewww.juridat.be). A propos de cette nouvelle jurispru-dence, voy., de manière générale, F. KUTY, « La sanctionde l’illégalité et de l’irrégularité de la preuve pénale », inF. KUTY et D. MOUGENOT (dir.), La preuve. Questionsspéciales, Liège, Anthemis, 2008, pp. 7-62 et C.E.D.H.,arrêt Lee Davies c. Belgique du 28 juillet 2009, §§ 32-29.(95) Civ. Bruxelles, 21e ch., 29 juin 2007, A&M, 2007,p. 500. Sur cette affaire, voy. également D. VOORHOOF,« Screenen van telefoongesprekken van journaliste DeMorgen bewijst dat wet bescherming journalistiekebronnen nodig is », A&M, 2005, p. 7.

(88) L’exercice du droit à la liberté d’expression« comportant des devoirs et des responsabilités peut êtresoumis à certaines formalités, conditions, restrictions ousanctions prévues par la loi, qui constituent des mesuresnécessaires, dans une société démocratique, à la sécuri-té nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publi-que, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime,à la protection de la santé ou de la morale, à la protec-tion de la réputation ou des droits d’autrui, pour empê-cher la divulgation d’informations confidentielles oupour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoirjudiciaire ». Il est à noter que, dans une récente affaireVoskuil c. Pays-Bas, la Cour européenne des droits del’homme n’a pas jugé nécessaire de se prononcer sur lesconditions qui pourraient justifier l’obligation faite à unjournaliste de dévoiler ses sources en vue de satisfaire audevoir qu’ont les États de respecter le droit à un procèséquitable d’un accusé. Voy. C.E.D.H., arrêt Voskuil c.Pays-Bas du 22 novembre 2007, § 67 : « The Court seesno need on this occasion to consider whether under anyconditions a Contracting Party’s duty to provide a fairtrial may justify compelling a journalist to disclose hissource. Whatever the potential significance in the crimi-nal proceedings of the information which the Court ofAppeal tried to obtain from the applicant, the Court ofAppeal was not prevented from considering the merits ofthe charges against the three accused; it was apparentlyable to substitute the evidence of other witnesses for thatwhich it had attempted to extract from the applicant (...).That being so, this reason given for the interference com-plained of lacks relevance ».(89) C.A., arrêt no 91/2006 du 7 juin 2006, considérantB.25.2.(90) D. VOORHOOF, « De Belgische bronnenwet (dub-bel) gecheckt - Woord vooraf », in D. VOORHOOF (éd.),Het journalistiek bronnengeheim onthuld, Bruges, dieKeure, 2008, pp. 11-12.

(91) C.E.D.H., arrêt Secic c. Croatie du 31 mai 2007,§ 57.(92) Voy. E. BREWAEYS, op. cit., pp. 549-550, nos 48-51.Doc. parl., Sénat, sess. ord. 2004-2005, no 3-670/3.L’amendement no 10 de M. Mahoux visait à insérer dansle texte de loi un article 5bis ainsi rédigé : « Les preuvesrecueillies en violation des conditions posées par lesarticles 4 et 5 seront écartées du débat tandis que lesactes de procédure violant ces conditions seront frappésde nullité, entraînant la nullité des actes de procédurequi en découlent ». Voy. également la proposition de loide M. Smeyers précitée et qui vise notamment à com-pléter l’article 5 de la loi par la phrase suivante : « Lesdonnées obtenues en violation de la présente loi sontnulles ».(93) K. LEMMENS, « La protection... », op. cit., p. 676,no 45.(94) Lorsque le respect de certaines conditions de formeest légalement prescrit à peine de nullité, lorsque l’irré-gularité commise entache la crédibilité de la preuve oulorsque l’usage de cette preuve est contraire au droit àun procès équitable (Cass., 14 octobre 2003, R.C.J.B.,2004, p. 405 et note F. KUTY). La Cour de cassation pré-cisa, dans un arrêt ultérieur, qu’« il appartient au juged’apprécier l’admissibilité d’une preuve obtenue illicite-ment à la lumière des articles 6 de la Convention de sau-vegarde des droits de l’homme et des libertés fondamen-

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le dommage moral subi par la journaliste du faitde l’identification de sa source que le domma-ge matériel du journal résultant du risque de ta-rissement subséquent de ses sources. Tous deuxfurent évalués ex æquo et bono à 500 EUR.

C. Une sanction pénale?

36. Une dernière piste envisageable pourraitrésulter de l’application des articles 148 et 151du Code pénal96. Ces articles érigent en infrac-tion pénale les atteintes portées par des fonc-tionnaires publics aux droits garantis par laConstitution, dont le titre II protège non seule-ment la liberté de la presse (article 25) et la li-berté d’expression (article 19), mais encorel’inviolabilité du domicile (article 15), le droitau respect de la vie privée et familiale(article 22) et le secret des lettres (article 29).

CConclusion

La loi belge relative à la protection des sourcesjournalistiques dépasse sur un certain nombrede points les développements de la Cour euro-péenne des droits de l’homme.

L’adoption de ce texte constitue donc indénia-blement un pas dans le bon sens en vue de per-mettre au véritable journalisme d’investigationde se déployer en toute sérénité et à la presse dejouer son rôle, si important, de « chien degarde » de la démocratie.

Pourtant, sa mise en œuvre ne coule pas néces-sairement de source...

En particulier, il conviendra d’analyser la ma-nière dont les juges pourront tenir compte ducritère de finalité promu par la Cour européen-ne des droits de l’homme au regard de la juris-prudence récente de la Cour de cassation enmatière d’admissibilité des preuves irrégulière-ment recueillies.

Par ailleurs, le législateur devra peut-être, augré des futurs arrêts de la haute juridiction stras-bourgeoise, réajuster l’équilibre entre les diffé-rents intérêts en présence.

Enfin, l’avenir nous dira comment les juges par-viendront à concilier les prescriptions de la loide 2005 avec la nouvelle possibilité offerte auxservices de renseignement et de sécurité de re-courir aux méthodes de recueil de données.

Quentin VAN ENIS97

Assistant à l’Unité de droit des obligationsdes F.U.N.D.P. (Namur)

L’assureur protection juridique ne peut passe réserver le droit, lorsqu’un grand nombred’assurés sont lésés par un même événe-ment, de désigner lui-même le représentantlégal de tous les assurés concernés. Dansl’état actuel du droit communautaire, la li-berté de l’assuré en protection juridique departiciper ou de ne pas participer à un re-cours de nature collective et de choisir, lecas échéant, son avocat, ne peut être limi-tée.

(Extraits)

1. La présente demande de décision préjudi-cielle concerne l’interprétation de l’article 4,§ 1er, de la directive 87/344/CEE du Conseil, du22 juin 1987, portant coordination des disposi-tions législatives, réglementaires et administra-tives concernant l’assurance protection juridi-que (J.O. L 185, p. 77).

2. Cette demande a été présentée dans le cadred’un litige opposant M. Eschig à la compagnied’assurances UNIQA Sachversicherung AG (ci-après « UNIQA »), au sujet de la couverture decertains frais d’avocat et de la validité d’uneclause contenue dans les conditions généralesd’assurance protection juridique habilitant l’as-sureur, lorsque les intérêts de plusieurs pre-neurs d’assurance sont dirigés contre les mê-mes opposants et sont fondés sur une causeidentique ou similaire, à limiter sa prestation àla conduite de procès « pilote » ou, le caséchéant, à des recours collectifs ou autres for-mes collectives de défense par des représen-tants légaux choisis par lui.

Le cadre juridique.

La réglementation communautaire.

3. Les onzième et douzième considérants de ladirective 87/344 sont libellés comme suit :« Considérant que l’intérêt de l’assuré en pro-tection juridique implique que ce dernier puis-

se choisir lui-même son avocat ou toute autrepersonne ayant les qualifications admises par laloi nationale dans le cadre de toute procédurejudiciaire ou administrative et chaque fois quesurgit un conflit d’intérêst;» Considérant qu’il convient de donner auxÉtats membres la faculté d’exempter les entre-prises de l’obligation d’accorder à l’assuré cetteliberté de choix de l’avocat lorsque l’assuranceprotection juridique est limitée à des affaires ré-sultant de l’utilisation de véhicules routiers surleur territoire et que d’autres conditions limita-tives sont remplies ».

4. L’article 3 de la directive 87/344 dispose :« 1. La garantie “protection juridique” doit fairel’objet d’un contrat distinct de celui établi pourles autres branches ou d’un chapitre distinctd’une police unique avec indication du conte-nu de la garantie “protection juridique” et, sil’État membre le requiert, de la prime corres-pondante.» 2. Tout État membre prend les mesures néces-saires pour assurer que les entreprises établiessur son territoire adoptent, suivant l’option im-posée par l’État membre ou à leur choix si l’Étatmembre y consent, au moins l’une des solu-tions suivantes, qui sont alternatives :» a) l’entreprise doit assurer qu’aucun membredu personnel qui s’occupe de la gestion des si-nistres de la branche “protection juridique” oudes conseils juridiques relatifs à cette gestionn’exerce en même temps une act iv i tésemblable :» — si l’entreprise est multibranche, pour uneautre branche pratiquée par celle-ci,» — que l’entreprise soit multibranche ou spé-cialisée, dans une autre entreprise ayant avec lapremière des liens financiers, commerciaux ouadministratifs et exerçant une ou plusieursautres branches de la directive 73/239/CEE;

» b) l’entreprise doit confier la gestion des si-nistres de la branche “protection juridique” àune entreprise juridiquement distincte. Il est faitmention de cette entreprise dans le contrat dis-tinct ou le chapitre distinct visé au paragraphe1er. Si cette entreprise juridiquement distincteest liée à une autre entreprise qui pratique l’as-surance d’une ou de plusieurs autres branchesmentionnées au point A de l’annexe de la di-rective 73/239/CEE, les membres du personnelde cette entreprise qui s’occupent de la gestiondes sinistres ou des conseils juridiques relatifs àcette gestion ne peuvent pas exercer en mêmetemps la même activité ou une activité sembla-ble pour l’autre entreprise. En outre, les Étatsmembres peuvent imposer les mêmes exigen-ces pour les membres de l’organe de direction;» c) l’entreprise doit prévoir dans le contrat ledroit pour l’assuré de confier la défense de sesintérêts, dès qu’il est en droit de réclamer l’in-tervention de l’assureur au titre de la police, àun avocat de son choix ou, dans la mesure oùla loi nationale le permet, à toute autre person-ne ayant les qualifications nécessaires.

» 3. Quelle que soit l’option retenue, l’intérêtdes assurés couverts en protection juridique estconsidéré comme garanti de manière équiva-lente en vertu de la présente directive ».

5. L’article 4 de la directive 87/344 est ainsilibellé :« 1. Tout contrat de protection juridique recon-naît explicitement que :

ASSURANCE PROTECTION JURIDIQUE. — Libre choix d’un

avocat par le preneur d’assurance (directive 87/344/CEE, article 4,

§ 1er). — Limitation contractuelle. — Pluralité d’assurés préjudiciés par le

même événement. — Action collective. — Choix du représentant

légal par l’assureur (non).

C.J.C.E. (2e ch.), 10 septembre 2009

Siég. : M. C.W.A. Timmermans (prés.), MM. J.-C.Bonichot, J. Makarczyk, P. Kris et Mme C. Toader(rapp.).

Min. publ. : V. Trstenjak (av. gén.).

Plaid. : MMes E. Salpius, M. Paar, C. Pesendorfer,M. J. Bauer, M. Smolek, Mme N. Yerrell etM. G. Braun (agents).

(Eschig c. UNIQA Sachversicherung AG).

(96) Voy. E. BREWAEYS, op. cit., pp. 549-550, no 51.(97) L’auteur tient à remercier C. de Terwangne etE. Montero, professeurs aux F.U.N.D.P., ainsi queK. Rosier, assistante aux F.U.N.D.P., chercheuse auC.R.I.D. et avocate au barreau de Namur, pour leurs pré-cieuses observations.

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