Évaluation des enseignants · des enseignants est de cont ibue à édui e les effets des...

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Inspecteur aujourdhui, n°96 5 Avant même les élecons présidenelles de 2012, Vin- cent Peillon avait exprimé sa volonté de réformer léva- luaon des enseignants. Dès son arrivée au ministère, il annonçait l abrogaon du décret Chatel qui réduisait l évaluaon à une procédure administrave et faisait disparaître sa dimension pédagogique. Dans la lere quil adressait à tous les personnels de lÉducaon nao- nale, le 26 juin 2012, Vincent Peillon annonçait son in- tenon : « Le décret du 7 mai 2012, relaf à l'évaluaon des personnels, sera abrogé […]. Conçu et publié sans l'adhésion des personnels, ce texte ne permet pas de fonder une évaluaon sasfaisante. Pour autant, un simple retour à la situaon antérieure n'est pas non plus souhaitable. C'est pourquoi, en concertaon avec tous les partenaires concernés, nous préparerons de nouvelles disposions qui entreront en applicaon à la rentrée 2013. » Ce nest que quatre ans plus tard, en mai 2016, que le projet dune réforme de lévaluaon réapparaît. Quelle concepon de l évaluaon des enseignants? On peut assigner à lévaluaon plusieurs finalités : celle du contrôle de la mise en œuvre des programmes et des poliques naonales, celle de lamélioraon qualitave des praques professionnelles, celles de la disncon dune part des personnels par la reconnaissance de leur mérite ou celle dune contribuon à la geson des car- rières. Dans lhistoire des systèmes éducafs, les finali- tés de linspecon ont évolué, pas tant en lui assignant de manière exclusive lune ou lautre des finalités mais plutôt par le choix de l une comme plus essenelle. Depuis les dernières décennies du XXème siècle, une tendance se dégage, et pas uniquement en France, pour prioriser une foncon daccompagnement des person- nels desnée à lamélioraon qualitave de leurs pra- ques professionnelles comme élément central de pilo- tage des poliques publiques déducaon. Cee ten- dance ne conduit cependant pas à une uniformisaon des concepons dans les différents systèmes éducafs qui restent fortement marqués par des différences structurelles, notamment en termes de dépendance entre linspecon et le ministère. Diffèrent aussi la place donnée à lévaluaon individuelle ou à lévaluaon détablissement ou celle de lintégraon des résultats des élèves comme élément dévaluaon des ensei- gnants. Mais lessenel des différences reste inscrite dans le choix dune évaluaon pédagogique versus une évaluaon gesonnaire. Défendre l évaluaon pédagogique Pour le SNPI-FSU, la foncon essenelle de lévaluaon des enseignants est de contribuer à réduire les effets des inégalités sociales sur la réussite scolaire par le ren- forcement des compétences pédagogiques et didac- ques qui permeent lexercice de la responsabilité pro- fessionnelle. Une telle concepon ne peut admere que lexcepon que constue aujourdhui lévaluaon des enseignants au sein de la foncon publique dÉtat soit remise en cause pour un alignement sur lentreen professionnel tel quil est praqué pour les autres fonconnaires. Le cœur de l évaluaon doit rester basé sur les échanges entre inspecteur et enseignants à parr de lanalyse par- tagée des praques en classe. Le passage à une modalité basée sur le compte-rendu par l enseignant de son acvité aura des incidences très importantes et peu favorables à lamélioraon du ser- vice public déducaon. Il privilégiera les compétences à mere en valeur formellement une acon profession- nelle en se centrant sur les discours plutôt que sur les praques. On voit bien comment, dans un contexte où les stratégies managériales prennent souvent le pas sur le pilotage pédagogique, une telle évoluon ferait glisser l objet central du travail de lanalyse objecve des pra- ques vers leur mise en valeur communicaonnelle. Or, pour que l école puisse relever le défi de la démocrasa- on de la réussite scolaire, il ne peut être queson de se contenter de valoriser les acons sans interroger leurs effets réels sur les apprenssages. Certains défendront que point nest besoin de lanalyse au sein de la classe pour mesurer de tels effets : il suffirait de baser lévalua- on sur la mesure des résultats des élèves. Les pays qui ont fait ce choix connaissent les effets pervers de la pro- ducon dune réussite dapparence, celle qui consiste à Évaluaon des enseignants

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Page 1: Évaluation des enseignants · des enseignants est de cont ibue à édui e les effets des inégalités sociales su la éussite scolai e pa le en-fo cement des compétences pédagogi

Inspecteur aujourd’hui, n°96 5

Avant même les élections présidentielles de 2012, Vin-

cent Peillon avait exprimé sa volonté de réformer l’éva-

luation des enseignants. Dès son arrivée au ministère, il

annonçait l’abrogation du décret Chatel qui réduisait

l’évaluation à une procédure administrative et faisait

disparaître sa dimension pédagogique. Dans la lettre

qu’il adressait à tous les personnels de l’Éducation natio-

nale, le 26 juin 2012, Vincent Peillon annonçait son in-

tention : « Le décret du 7 mai 2012, relatif à l'évaluation

des personnels, sera abrogé […]. Conçu et publié sans

l'adhésion des personnels, ce texte ne permet pas de

fonder une évaluation satisfaisante. Pour autant, un

simple retour à la situation antérieure n'est pas non plus

souhaitable. C'est pourquoi, en concertation avec tous

les partenaires concernés, nous préparerons de nouvelles

dispositions qui entreront en application à la rentrée

2013. »

Ce n’est que quatre ans plus tard, en mai 2016, que le

projet d’une réforme de l’évaluation réapparaît.

Quelle conception de l’évaluation des enseignants? On peut assigner à l’évaluation plusieurs finalités : celle

du contrôle de la mise en œuvre des programmes et des

politiques nationales, celle de l’amélioration qualitative

des pratiques professionnelles, celles de la distinction

d’une part des personnels par la reconnaissance de leur

mérite ou celle d’une contribution à la gestion des car-

rières. Dans l’histoire des systèmes éducatifs, les finali-

tés de l’inspection ont évolué, pas tant en lui assignant

de manière exclusive l’une ou l’autre des finalités mais

plutôt par le choix de l’une comme plus essentielle.

Depuis les dernières décennies du XXème siècle, une

tendance se dégage, et pas uniquement en France, pour

prioriser une fonction d’accompagnement des person-

nels destinée à l’amélioration qualitative de leurs pra-

tiques professionnelles comme élément central de pilo-

tage des politiques publiques d’éducation. Cette ten-

dance ne conduit cependant pas à une uniformisation

des conceptions dans les différents systèmes éducatifs

qui restent fortement marqués par des différences

structurelles, notamment en termes de dépendance

entre l’inspection et le ministère. Diffèrent aussi la place

donnée à l’évaluation individuelle ou à l’évaluation

d’établissement ou celle de l’intégration des résultats

des élèves comme élément d’évaluation des ensei-

gnants. Mais l’essentiel des différences reste inscrite

dans le choix d’une évaluation pédagogique versus une

évaluation gestionnaire.

Défendre l’évaluation pédagogique Pour le SNPI-FSU, la fonction essentielle de l’évaluation

des enseignants est de contribuer à réduire les effets

des inégalités sociales sur la réussite scolaire par le ren-

forcement des compétences pédagogiques et didac-

tiques qui permettent l’exercice de la responsabilité pro-

fessionnelle.

Une telle conception ne peut admettre que l’exception

que constitue aujourd’hui l’évaluation des enseignants

au sein de la fonction publique d’État soit remise en

cause pour un alignement sur l’entretien professionnel

tel qu’il est pratiqué pour les autres fonctionnaires. Le

cœur de l’évaluation doit rester basé sur les échanges

entre inspecteur et enseignants à partir de l’analyse par-

tagée des pratiques en classe.

Le passage à une modalité basée sur le compte-rendu

par l’enseignant de son activité aura des incidences très

importantes et peu favorables à l’amélioration du ser-

vice public d’éducation. Il privilégiera les compétences à

mettre en valeur formellement une action profession-

nelle en se centrant sur les discours plutôt que sur les

pratiques. On voit bien comment, dans un contexte où

les stratégies managériales prennent souvent le pas sur

le pilotage pédagogique, une telle évolution ferait glisser

l’objet central du travail de l’analyse objective des pra-

tiques vers leur mise en valeur communicationnelle. Or,

pour que l’école puisse relever le défi de la démocratisa-

tion de la réussite scolaire, il ne peut être question de se

contenter de valoriser les actions sans interroger leurs

effets réels sur les apprentissages. Certains défendront

que point n’est besoin de l’analyse au sein de la classe

pour mesurer de tels effets : il suffirait de baser l’évalua-

tion sur la mesure des résultats des élèves. Les pays qui

ont fait ce choix connaissent les effets pervers de la pro-

duction d’une réussite d’apparence, celle qui consiste à

Évaluation des enseignants

Page 2: Évaluation des enseignants · des enseignants est de cont ibue à édui e les effets des inégalités sociales su la éussite scolai e pa le en-fo cement des compétences pédagogi

Inspecteur aujourd’hui, n°96 6

enseigner dans la perspective de la réussite des tests. On

ne peut s’en satisfaire sauf à renoncer aux perspectives

d’émancipation intellectuelle, culturelle et sociale dont

nous défendons l’ambition pour l’école.

Le choix de fonder l’évaluation des enseignants sur celle

des élèves poserait un autre problème. Évaluer à partir

des résultats des élèves permet de mesurer des écarts

mais ne permet de comprendre ni la nature, ni l’origine

de ces écarts. En termes d’évaluation, cela pose le pro-

blème de la part de responsabilité de l’enseignant au

sein d’un ensemble complexe de facteurs qui produisent

la réussite scolaire. En terme d’accompagnement et de

formation, cela ne permet en aucun cas de dégager les

besoins qui ne peuvent être identifiés et appropriés que

par l’analyse partagée des difficultés rencontrées.

Quelles évolutions pour l’évaluation des enseignants? Définir des références déontologiques

Depuis 2010, le SNPI promeut des principes déontolo-

giques nécessaires par sa charte de l’inspection : indé-

pendance d’appréciation et neutralité, respect des

droits, importance du dialogue, valorisation et recon-

naissance du travail. Derrière ces principes, se dessine

une conception de l’évaluation basée sur le partage des

expertises professionnelles et non sur la dissymétrie des

fonctions, sur la co-construction de l’analyse et non sur

l’énoncé d’injonctions. Au-delà des valeurs humanistes

qui guident ces choix, il s’agit de réunir les conditions

qui permettront à l’enseignant de s’approprier l’évalua-

tion et de décider des évolutions nécessaires pour une

pratique professionnelle mieux à même de démocratiser

la réussite scolaire.

Sortir d’un paradoxe

Il ne suffit pas que l’analyse des pratiques profession-

nelles soit pertinente. Pour qu’elle ait une incidence qua-

litative, il faut qu’elle soit produite dans un contexte de

confiance suffisante pour être entendue. La plus perti-

nente des analyses n’a aucun intérêt si elle n’est pas ac-

ceptée par l’enseignant. C’est pourquoi, au-delà des qua-

lités humaines nécessaires à l’observation et l’entretien,

c’est le principe même de l’analyse qu’il convient d’inter-

roger pour qu’elle puisse procéder d’une construction

mutuelle, d’une réflexion partagée. Ce n’est évidem-

ment pas synonyme de démagogie. Il ne s’agit pas de

renoncer à des perspectives de transformation mais de

les rendre effectives par une réflexion et une élaboration

partagées.

Renoncer à l’injonction pédagogique

Bien des raisons conduisent à repenser la place de

l’injonction. Tout d’abord celle d’un principe que rap-

pelle la charte du SNPI qui demande que soit distingué

ce qui relève de la réglementation de ce qui relève du

point de vue de l’inspecteur. Il est évidemment légitime

de demander le respect des programmes ou des obliga-

tions de service et que cette demande se fasse dans une

relation hiérarchique. Mais il n’est pas légitime qu’une

conception pédagogique ayant les faveurs de l’inspec-

teur, qu’une préférence méthodologique ou que l’adhé-

sion à une forme d’action particulière puisse se traduire

par une prescription. L’évaluation n’a pas pour but de

modéliser les pratiques mais d’aider à prendre cons-

cience d’éventuels écarts entre la pratique et les finalités

et de contribuer, par l’échange, à construire les perspec-

tives d’évolution nécessaires. Et ce que nous savons

tous, c’est que le mode injonctif qui dicte des pratiques

et des méthodes n’a aucune incidence réelle sur les

exercices professionnels. C’est un jeu de dupes qui nour-

rit l’illusion de l’inspecteur d’avoir influé sur le travail

enseignant et dégrade inutilement les relations hiérar-

chiques.

Introduire la dimension du travail collectif dans l’évaluation

Si nous affirmons notre attachement à l’inspection indi-

viduelle, il est nécessaire de prendre en compte les di-

mensions collectives du travail enseignant. Il ne s’agit

pas de demander à tous d’assumer la responsabilité

propre de chaque fonctionnaire mais de prendre en

compte la dynamique du travail d’une équipe ensei-

gnante. Cela ne peut se faire autrement que par la cons-

truction collective, au sein de l’équipe, des finalités et

des modalités de cette évaluation. Les expériences me-

nées dans ce domaine témoignent des risques, qu’à dé-

faut de cette concertation, la dimension collective de

l’évaluation n’ait aucune incidence réelle sur les pra-

tiques individuelles ou collectives.