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Évaluation de la qualité d’un processus métier à l’aide d’informations issues de réseaux informels Malika Grim-Yefsah*,** Camille Rosenthal-Sabroux* Virginie Thion-Goasdoué* *Université Paris-Dauphine, LAMSADE, F-75016, France {Malika.Grim, Camille.Rosenthal-Sabroux}@dauphine.fr [email protected] ** Inserm, F-75016 PARIS, France RÉSUMÉ. Nous nous intéressons dans cet article à la phase de réversibilité d’un processus métier de gestion de projet externalisé. Nous évaluons une partie de sa qualité : sa robustesse par rapport au risque de perte de connaissance des personnes impliquées dans le processus. Pour cela, nous nous appuyons sur le paradigme Goal-Question-Metric proposant une démarche de gestion de la qualité pour définir des métriques d’évaluation permettant de répondre en partie au besoin opérationnel. Les métriques que nous proposons utilisent des informations issues de l’analyse des réseaux informels sous-jacents aux tâches du processus métier ; ceci permet de tenir compte de la connaissance tacite des personnes. Nous discutons ensuite de quelques perspectives métier en nous appuyant sur les résultats de cette évaluation. MOTS-CLÉS : processus métier, gestion de projet externalisé, réversibilité, métrique d’évaluation de qualité, robustesse, connaissance tacite.

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Évaluation de la qualité d’un processus métier à l’aide d’informations issues de réseaux informels Malika Grim-Yefsah*,** — Camille Rosenthal-Sabroux* — Virginie Thion-Goasdoué* *Université Paris-Dauphine, LAMSADE, F-75016, France {Malika.Grim, Camille.Rosenthal-Sabroux}@dauphine.fr [email protected] ** Inserm, F-75016 PARIS, France RÉSUMÉ. Nous nous intéressons dans cet article à la phase de réversibilité d’un processus métier de gestion de projet externalisé. Nous évaluons une partie de sa qualité : sa robustesse par rapport au risque de perte de connaissance des personnes impliquées dans le processus. Pour cela, nous nous appuyons sur le paradigme Goal-Question-Metric proposant une démarche de gestion de la qualité pour définir des métriques d’évaluation permettant de répondre en partie au besoin opérationnel. Les métriques que nous proposons utilisent des informations issues de l’analyse des réseaux informels sous-jacents aux tâches du processus métier ; ceci permet de tenir compte de la connaissance tacite des personnes. Nous discutons ensuite de quelques perspectives métier en nous appuyant sur les résultats de cette évaluation. MOTS-CLÉS : processus métier, gestion de projet externalisé, réversibilité, métrique d’évaluation de qualité, robustesse, connaissance tacite.

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1. Introduction Depuis une dizaine d’années, les Etablissements Publics à caractère Scientifique et Technologique (EPST) se concentrent sur leur cœur de métier, à savoir la recherche, et externalisent certains métiers support tels que les métiers des directions des ressources humaines, des affaires financières, du système d’information. Le métier de Direction de Système d’Information (DSI), centré sur la conception et le développement de nouvelles applications, outils et logiciels, s’en est trouvé modifié. Les DSI sont maintenant organisées en mode projet, chacun des projets dit externalisé [WK98, BBP04] impliquant trois partenaires : deux partenaires internes que sont la DSI et une direction métier, et une société de service sous-traitante [PEY00] partenaire externe aussi appelée prestataire choisie à l’issue d’un appel d’offre. Dans les organisations publiques, telles que les EPST, les règles du marché public concernant la sous-traitance obligent à mettre (ou remettre) en concurrence les marchés tous les trois ans. Des appels d’offre sont donc lancés au moins tous les trois ans et l’analyse des offres peut amener à changer de prestataire externe. Ainsi, périodiquement, l’équipe du prestataire sortant transfère les projets vers l’équipe du prestataire entrant. Ce transfert constituant l’une des phases du processus de gestion d’un projet externalisé est appelé « réversibilité ». Il s’agit du cadre d’application de notre article.

Un processus décrit qui fait quoi, comment et quand [KRU98]. De façon à fonctionner efficacement, une entreprise doit savoir identifier et gérer ses processus. Gérer un processus métier inclut, parmi nombre d’autres actions, la surveillance de la qualité du processus. Pour parler très simplement, évaluer la qualité consiste à définir puis mesurer des métriques d’évaluation selon différentes dimensions de la qualité.

Nous considérons ici un processus métier composé de tâches effectuées par des personnes. Afin d’effectuer une tâche, les personnes « officiellement » exécutrices font souvent appel à d’autres personnes de façon informelle. Ainsi, l’exécution d’une tâche nécessite l’utilisation de la connaissance de toutes ces personnes et plus particulièrement leur connaissance dite tacite. L’une des particularités de la connaissance tacite est qu’elle n’est généralement pas entièrement explicitable. Par conséquent, toute cette connaissance ne peut pas être transmise d’une personne à une autre ou à un système : la connaissance tacite est inhérente à une personne. Le problème sous-jacent est que si l’une des personnes impliquées dans l’exécution d’une tâche est absente, alors la tâche peut être mise en péril puisque qu’une partie de sa connaissance tacite nécessaire à l’exécution de la tâche peut être manquante. Il est donc important d’être capable d’évaluer la robustesse d’un processus métier dans ce cadre. De notre point de vue, la robustesse est l’une des dimensions de la qualité du processus. Elle est, dans notre contexte, focalisée sur l’importance de l’absence ou la présence de la connaissance tacite généralement non explicitée car difficilement explicitable voire non explicitable totalement.

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Un autre domaine de recherche se concentre sur les personnes (et donc implicitement leur connaissance) : le domaine de l’analyse de réseaux sociaux, abordé par des sociologues. L’analyse d’un Réseau Social (RS) consiste à modéliser un réseau, généralement sous la forme d’un graphe, puis analyser ce graphe afin d’identifier par exemple des positions sociales, des groupes d’amis, des nœuds centraux. Dans [RT10], nous avons proposé une première panoplie de métriques utilisant les résultats d’une analyse de réseau social permettant d’évaluer la robustesse d’un processus métier par rapport au risque de perte de la connaissance. Ici, nous nous intéressons à l’évaluation de la robustesse de la phase de réversibilité d’un processus de gestion de projet externalisé, en nous appuyant sur le paradigme Goal-Question-Metric (GQM) [BCR94] qui propose une démarche permettant de définir des métriques d’évaluation de la qualité à partir d’un besoin opérationnel.

Cet article est organisé de la façon suivante. Dans la Section 2, nous présentons notre contexte d’application : la phase de réversibilité d’un processus de gestion de projet externalisé. La Section 3 décrit ensuite le besoin d’évaluation de la qualité que nous traitons c’est-à-dire l’évaluation de la robustesse de la phase de réversibilité par rapport au risque de perte de connaissance liée aux personnes. Nous nous intéressons dans la Section 4 à la notion de réseau informel de personnes sous-jacent au processus métier. Les métriques d’évaluation reposeront sur cette notion. Dans la Section 5, nous définissons, calculons et étudions des métriques d’évaluation de la qualité permettant de répondre au besoin exposé en Section 3. Enfin, après avoir situé notre travail par rapport aux travaux connexes dans la Section 6, nous concluons en donnant quelques perspectives (Section 7).

2. Phase de réversibilité d’un processus de gestion de projet externalisé D’après [BBP04], « […] outsourcing involves the outsourcing of IT resources such as a data centers and different IT processes such as application development and network management ». Dans cet article, nous nous intéressons à ce type d’externalisation c’est-à-dire l’externalisation [WK98, BBP04] du projet informatique par la DSI. Les projets au sein de la DSI sont sous-traités en respectant la loi n°2001-11681 relative à la sous-traitance [PEY00]. Cette loi définit la sous-traitance dans son Article 1 comme étant « l'opération par laquelle une entreprise confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant tout ou partie de l'exécution du contrat d'entreprise ou du marché public conclu avec le maître de l'ouvrage ». Dans la DSI, cet acte de sous-traitance des projets qui consiste à externaliser la maintenance des applications, c'est-à-dire confier tout ou partie de la maintenance des applications à un prestataire informatique tiers contre rémunération en définissant des niveaux de disponibilité, de délais et de qualité est nommée Tierce Maintenance Applicative (TMA). 1 Loi n°2001-1168 du 11 décembre 2001 (Article 6) modifiant l’article 1 de la loi relative à la sous-traitance, la loi [Loi n°75-1334 du 31 décembre 1975].

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A chaque changement de prestataire, un transfert de documentations, logiciels et connaissances, entre l’équipe sortante assurant la TMA et la nouvelle équipe de maintenance, est mis en œuvre. Ce processus est appelé « réversibilité ». Il est l’une des phases du processus de gestion de projet externalisé. La réversibilité implique trois acteurs : la DSI (dans notre cas, de l’EPST), l’équipe sortante et l’équipe entrante. Elle comporte six activités : l’initialisation, l’arrêt et restitution, la rédaction et validation du plan de réversibilité, le transfert de connaissances, la maintenance en coopération, et le transfert de responsabilité. Elle peut être formalisé à l’aide d’un diagramme d’activités UML [RJB99] assez complexe décrivant l’enchaînement des activités et des tâches au sein de ces activités. Par manque de place, nous ne pourrons pas détailler la démarche adoptée pour les six activités du processus, nous la présenterons donc sur deux activités (l’activité d’Arrêt et restitution et l’activité de Rédaction et validation du plan de réversibilité) limitées à la partition concernant l’acteur EPST. La Figure 1 présente cette partie du processus de réversibilité.

Figure 1. Activités 2 et 3 du processus de réversibilité limitées à l’acteur EPST

Pour des raisons de simplification de discours dans la suite, les différentes tâches apparaissant ci-dessus sont abrégées de la façon suivante : « Commande de la prestation de réversibilité » devient « Commande », « Inventaire des éléments gérées par la TMA » devient « Inventaire », « Validation du plan d’arrêt et planning » devient « Validation arrêt », « Rédaction du plan d’arrêt » devient « Rédaction » et enfin, « Validation du plan de réversibilité » devient « Validation réversibilité ». 3. Besoin d’évaluation de la qualité du processus métier en tenant compte des connaissances tacites des personnes On peut noter que, comme cela se fait classiquement pour la modélisation de processus métier, les partitions des diagrammes d’activité dénotent des rôles et non des personnes. Ce choix n’est pas neutre car il suppose que deux personnes ayant le

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même rôle sont interchangeables pour l’exécution du processus. Ainsi, la connaissance individuelle n’est pas considérée. Il s’agit là d’une lacune de ce type de représentation en terme de gestion de la connaissance. Thomas A. Stewart a mis en exergue la nécessité de considérer la connaissance d’une entreprise comme une ressource essentielle. Il a également dénoncé les effets négatifs de la prise en compte exclusive de processus orientés contenu [STE02]. En considérant que le Knowledge Management (KM) est souvent étudié d’un point de vue technologique qui amène à sous-évaluer l’importance des personnes, le groupe de travail CCRC ECRIN (2001) a définit le KM par : « KM is the management of the activities and the processes that enhance the utilization and the creation of knowledge within an organization [..]. » Cette définition implique, entre autres, que « la connaissance n’est pas un objet » [RSG08]. Ce postulat est fondé sur les théories étudiant la création de la connaissance individuelle tacite [TSU93, NT95]. Selon ces théories, la connaissance tacite, située « dans le cerveau d’une personne », est le résultat du sens que la personne donne à la donnée reçue. Par exemple, la connaissance tacite renvoie à des éléments intangibles, inhérents à la personne les possédant, tels que les compétences, les tours de mains artisanaux, les « secrets du métier », la connaissance de l’environnement (des clients, des concurrents, des technologies, des facteurs socio-économiques). Cette connaissance tacite est souvent impossible à expliciter et n’est, quoi qu’il arrive, jamais entièrement explicitable. Cela signifie que (Constat 1) deux personnes, même si elles ont le même rôle, peuvent ne pas être interchangeables pour l’exécution d’une tâche dans un processus métier.

De plus, (Constat 2) les personnes officiellement affichées comme exécutrices d’une tâche font souvent appel à d’autres personnes de façon informelle. La connaissance de ces personnes « contributrices » est généralement nécessaire à une exécution de bonne qualité de la tâche mais leur intervention n’apparaît pas dans la modélisation du processus métier.

La responsable de projet de l’EPST avec laquelle nous sommes en contact, est pleinement consciente des deux constats énoncés ci-dessus. En effet, ans le cadre de la gestion d’un projet externalisé, la connaissance des personnes est primordiale afin de réussir au mieux la phase de réversibilité. C’est pourquoi elle souhaiterait pouvoir évaluer la robustesse, par rapport au risque de perte de la connaissance –des personnes–, de la phase de réversibilité pour l’acteur EPST afin d’identifier les activités et tâches menées par l’EPST les plus sensibles.

Intuitivement, un processus métier est robuste si ses tâches ne sont pas en péril. Une tâche est en péril si une partie de la connaissance nécessaire à son exécution est manquante c’est-à-dire si une personne p exécutant la tâche est absente ou si une personne à qui p fait appel (éventuellement informellement) est absente. Dans la pratique une tâche en péril échoue (ne peut pas être exécutée), se bloque ou encore s’exécute avec un niveau de qualité moindre. Prenons par exemple le cas de la tâche Inventaire. Si Arnold, intervenant dans l’exécution de cette tâche, est absent (et donc sa connaissance est manquante pour effectuer la tâche), la tâche peut :

! soit être bloquée si l’intervention de Arnold est indispensable,

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! soit échouer si l’intervention de Arnold est indispensable et que le temps imparti à la tâche est écoulé,

! soit être effectuée avec un moindre niveau de qualité si l’intervention de Arnold est optionnelle (la tâche serait effectuée mais sans vérification auprès de Arnold, administrateur de bases de données).

Il est bien connu dans la communauté de la qualité des données et des modèles conceptuels (voir [BE04, MOO05, BS06] pour quelques points d’entrée) que la définition de la qualité dépend du contexte opérationnel. D’un objectif opérationnel peuvent être dégagés des objectifs en terme de qualité décris par des questions qualité. On répond aux questions qualité en définissant des métriques d’évaluation, en les mesurant puis en les analysant. Cette démarche bien connue pour l’évaluation de la qualité des données (voir [BCR94] pour des détails méthodologiques et [VTK09] pour un exemple pratique dans le contexte de la qualité des données) est connue sous le paradigme Goal-Question-Metric (GQM) [BCR94]. Par analogie avec le paradigme GQM, on peut considérer que l’objectif opérationnel dans notre cas est réussir au mieux la phase de réversibilité du projet. L’objectif qualité est mesurer la robustesse (de la phase de réversibilité) à la perte de connaissance liée aux personnes afin, entre autres, d’identifier les activités et tâches les plus sensibles de la phase de réversibilité. Les questions qualité que nous traitons afin de tenter de répondre à l’objectif qualité sont :

Question 1 (Q1) Combien de personnes sont « réellement » impliquées dans chaque tâche/activité ?

Question 2 (Q2) Quelle est la longueur de la chaîne de soutien d’un exécuteur à un contributeur dans chaque tâche/activité ?

Question 3 (Q3) Quelle est la densité du réseau informel sous-jacent à chaque tâche/activité ?

Tableau 1. Questions qualité

Les métriques d’évaluation associées à ces questions seront présentées en Section 5.

4. Réseau informel et processus métier Les questions qualité (voir Tableau 1) que nous désirons traiter sont fondées sur la notion de réseau informel sous-jacent à une tâche ou une activité. Dans cette section, nous définissons la notion de réseau informel et mettons en lien ce réseau avec le processus métier.

4.1. Réseau informel sous-jacent au processus métier La notion de réseau informel repose sur celle de réseau social. Pour le présenter simplement, un réseau social est un système composé d’individus connectés par des

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relations d’interdépendances. Pour nos travaux, nous nous intéressons au réseau social des relations informelles entre personnes dans l’objectif d’effectuer les tâches du processus métier que nous appelons réseau informel. Comme nous sommes convaincues du fait que la majorité des échanges informels entre employés d’une entreprise ne se fait pas uniquement via un support numérique, nous considérons un réseau informel capturé indépendamment du moyen de communication. La découverte de la structure d’un tel réseau repose en grande partie sur la mise en œuvre d’entretiens guidés par un questionnaire auprès des individus susceptibles d’appartenir au réseau. Le réseau est généralement représenté sous la forme d’un ensemble de graphes qui peut être analysé. Cette démarche intégrant le choix des relations à observer, la définition du périmètre du système, l’acquisition des informations (entretiens), la modélisation de ce système sous forme de graphe(s) et l’analyse de ceux-ci est appelée l’Analyse Structurelle de Réseau Social (ASRS) [DF94, WFA94, LJMS07, LJMS08].

Pour notre application, la seule ressource à observer est la demande informelle d’aide liée à l’exécution des tâches de l’acteur EPST de la phase de réversibilité du processus de gestion de projet. Le terme « aide » est ici volontairement général, il peut désigner une aide à la rédaction, une demande d’information supplémentaire, une demande de validation informelle, etc. Pour caractériser le réseau informel, notre démarche consiste à mener des interviews. Nous interrogeons chaque exécuteur ou contributeur du processus métier, en lui demandant de nous indiquer s’il sollicite informellement l’aide d’autres personnes pour exécuter une tâche du processus métier2. Il s’agit ici d’une démarche inspirée de celle menée pour une ASRS (et bien sûr très simplifiée), permettant de caractériser un ou plusieurs graphe(s) modélisant le réseau informel sous-jacent aux tâches du processus métier.

Intéressons-nous maintenant à la formalisation du réseau informel sous forme de graphe(s) appelé système d’interdépendances. Nous nous appuyons sur les définitions introduites dans [RT10] définissant un système d’interdépendances comme étant un ensemble de graphes, à raison d’un graphe par ressource. Un graphe modélise l’échange d’une ressource entre personnes (individus) pour effectuer les tâches du processus (relations). Notre application ne considérant qu’une ressource (la demande d’aide), nous avons pu simplifier ces définitions en représentant un système d’interdépendances par un graphe (et non plus un ensemble de graphes).

Soit Tasks un ensemble fini de tâches. Soit Persons un ensemble fini de personnes.

Définition (Système d’interdépendances). Un système d’interdépendances est un graphe dirigé S= (Persons, R) où Persons est un ensemble fini de nœuds et R={rt | t ! Tasks et rt ! Persons " Persons} est un ensemble d’arc étiquetés entre ces nœuds.

2 Une personne sollicitée informellement est un contributeur à la tâche qu’il convient d’interroger de la même façon. Cette démarche est donc « itérative ».

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Intuitivement, un arc allant d’une personne p1 à une personne p2 étiqueté par la tâche t signifie que p1 a besoin de l’aide de p2 afin d’effectuer t.

Définition (Système d’interdépendances restreint à une tâche). On note S|t où t appartient à Tasks, le graphe S restreint à sa relation rt.

Propriété. Par définition, on a

!

S = S| tt"TasksU .

Le système d’interdépendances correspond à la modélisation du réseau informel.

Pour notre cas d’étude, Tasks correspond aux tâches de l’acteur EPST de la phase de réversibilité du processus de gestion de projet (voir Section 2). L’ensemble Persons et l’instanciation des relations de R sont définis grâce aux informations recueillies lors des interviews. L’ensemble Persons contient toutes les personnes (exécuteurs et contributeurs) impliquées dans l’une des tâches de Tasks. Chaque relation de rt où t ! Tasks modélise les demandes d’aide entre personnes afin d’effectuer t avec la meilleure qualité d’exécution possible.

Par manque de place, nous ne pouvons malheureusement pas présenter le système d’interdépendances complet de notre application. Nous détaillons donc deux systèmes d’interdépendances restreints de façon à illustrer les concepts que nous introduisons dans la suite. La Figure 2 représente le système d’interdépendances restreint à la tâche Inventaire. Les noms de personnes ont bien entendu été anonymisés. Par définition, tous les arcs sont étiquetés par la tâche Inventaire.

Figure 2. S|Inventaire (S restreint à la tâche « Inventaire »)

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Nous commentons ce système d’interdépendances afin de le clarifier. Henry, exécuteur de la tâche, est le responsable de projet en charge d’effectuer l’inventaire des éléments gérés par la TMA. De sa propre initiative, Henry demande l’aide informelle de différentes personnes afin de valider ou compléter son inventaire :

! Mola l’expert technique de l’architecture applicative, ! Marion l’expert architecture logicielle, qui fait elle-même appel à Arnold

(administrateur bases de données), Sallah (front office), et Elsa (développeur JAVA),

! René l’expert architecture matérielle, qui fait lui-même appel aux ingénieurs système et réseau Walter et George,

! Marcus le référent fonctionnel, qui fait lui-même appel à trois experts métier : RH (Charles), application (Irina) et scientifique (Indiana).

Il est important de constater qu’un système d’interdépendances ne permet pas d’exprimer d’options ou d’alternatives. Cela signifie qu’il n’est pas possible de savoir, à la vue du système, si une personne est optionnelle (c.-à-d. que la tâche peut s’effectuer même sans son aide) ou absolument nécessaire. On ne peut pas non plus savoir si une personne peut être substituée par une autre. De façon à être le plus spécifique possible, nous considérons que si on a rt(p,pi) pour tout i dans [1..n] alors toutes les personnes pi où i appartient à [1..n] sont nécessaires à p afin d’effectuer t.

Pour illustrer le cas d’étude, nous présentons également le système d’interdépendances restreint à la tâche « Validation arrêt » (Figure 3).

Figure 3. S|Validation arrêt (S restreint à la tâche « Validation arrêt ») Définition (Accessibilité). La personne p’ est accessible de la personne p pour une tâche t dans le système d’interdépendances S, noté Needs(S,p,p’,t), s’il existe un chemin de p à p’ dans S|t. Intuitivement, Needs(S,p,p’,t) signifie que la connaissance de p’ est nécessaire à p (même indirectement) afin d’effectuer t.

On peut voir par exemple en se référant aux figures 2 et 3 que Needs(S, Marcus, Charles, Inventaire), Needs(S, Henry, George, Inventaire), Needs(S, Henry, Karen, Validation arrêt) ou encore Needs(S, Henry, Steven, Validation arrêt).

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4.2. Mise en correspondance du réseau informel et du processus métier Les représentations conceptuelles comme les processus métier sont généralement issues d’une phase dite de conception fondée sur l’analyse des besoins. Dans ces représentations, l’acteur est décrit au niveau du rôle. Cela suggère que deux personnes ayant le même rôle sont interchangeables. Dans la pratique, ceci n’est pas toujours vrai (voir discussion dans la Section 3). Dans notre exemple, si Marcus a besoin de l’aide de l’expert métier RH Charles pour effectuer une certaine tâche, alors un autre expert métier RH ne peut généralement pas remplacer Charles sans impacter négativement la qualité d’exécution de la tâche. En d’autres termes, seule la connaissance de Charles peut aider Marcus le plus efficacement possible. Cette hypothèse est souvent vérifiée sur le terrain.

Une analyse de réseau informel quant à elle porte son attention sur l’analyse des problèmes. On y identifie quelle personne a besoin de quelle ressource détenue par une autre personne afin d’effectuer une tâche. Ainsi, le niveau de détail d’une personne dans le système d’interdépendances est la personne alors qu’il est le rôle pour le processus métier, il est donc nécessaire de savoir identifier dans le processus métier quelle(s) personne(s) exécute(nt) chacune des tâches afin de mettre en correspondance le réseau informel et le processus métier.

On note Execute(p,t), où p ! Persons et t ! Tasks, la relation contenant cette information (p execute la tâche t). Cette relation, instanciée au moment des interviews, lie intrinsèquement le système d’interdépendances et le processus métier.

Pour notre application, nous avons identifié les exécuteurs de tâches Henry (le responsable de projet), Earl (assistant administratif), Wu (gestionnaire) et Wilhelmina (directeur de projet), avec :

! Execute(Henry,Inventaire) ; ! Execute(Henry,Commande), Execute(Earl,Commande),

Execute(Wu,Commande), et Execute(Wilhelmina,Commande) signifiant que Henry, Wu, Earl et Wilhelmina sont co-exécuteurs la tâche ;

! Execute(Henry,Redaction arrêt) ; ! Execute(Henry,Validation arrêt), Execute(Wilhelmina,Validation arrêt) ; ! Execute(Henry,Validation reversibilité).

Il convient ici de noter la distinction entre un exécuteur et un contributeur. Un exécuteur est une personne apparaissant dans la procédure « officielle » d’exécution de la tâche. Prenons l’exemple de la tâche Validation arrêt : l’exécuteur responsable de cette tâche est Henry. La procédure officielle prévoie que Henri recueille l’accord préalable de Wilhelmina pour exécuter cette tâche. Dans ce contexte, Wilhelmina n’est donc pas une contributrice mais bien une exécutrice de la tâche. Des contributeurs sont Steven et Karen (voir Figure 3) qui sont les personnes auxquelles un exécuteur (Henry) fait appel, de façon informelle. L’absence de Wilhelmina dans

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la Figure 3 montre qu’elle ne fait appel à personne informellement pour effectuer la tâche, les deux seuls contibuteurs à cette tâche sont donc Steven et Karen. 5. Evaluation de la robustesse

5.1. Définition et calcul des métriques d’évaluation de la robustesse

Après entretien avec le responsable de projet ayant exprimé le besoin d’évaluation de son processus, nous avons choisi de mettre en œuvre quelques métriques d’évaluation, au niveau de chaque tâche puis de chaque activité, permettant de répondre aux questions qualité présentées dans le Tableau 1. Définition (Métrique « Sensibilité globale d’une tâche »). Pour une tâche, cette métrique compte le nombre de personnes impliquées dans la tâche, incluant les exécuteurs et les contributeurs (apparaissant dans le système d’interdépendances). Plus la mesure est haute, plus la tâche est risquée. Pour une tâche t, cette métrique notée global_sensitivity(t) est définie par Cardinality(I), où I est l’ensemble défini par : {p’! Persons | Execute(p’,t) ou il existe p ! Persons tel que (Execute(p,t) et Needs(S,p,p’,t))}.

Par exemple, pour la tâche Validation arrêt (voir Figure 3 et instanciation de la relation Execute en Section 4), I={Henry, Wilhelmina, Karen, Steven} donc global_sensitivity(Validation arrêt)=4. Pour la tâche Inventaire (voir Figure 2 et instanciation de la relation Execute en Section 4), on a global_sensitivity(Inventaire)=13. Définition (Métrique « Sensibilité d’une tâche par profondeur »). Pour une tâche, cette métrique mesure la taille maximale d’un chemin allant d’un exécuteur à un contributeur. Intuitivement, plus le chemin est long, plus il est risqué d’aller d’un exécuteur à un contributeur (si une personne manque, le chemin est « rompu »). Dans la suite, Max(s), où s est un ensemble d’entiers, renvoie le plus grand élément de s (et renvoie 0 si s est vide); et Max_path(executor,contributor,S’), où {executor, contributor}"Persons et S’ est un système d’interdépendances, renvoie la taille du plus long chemin de executor à contributor dans S’. Pour une tâche t, la métrique de sensibilité par profondeur notée sensitivity_by_depth(t) est définie par Max(depth_paths) où depth_paths est l’ensemble défini par :

!

{Max _ path(executor,contributor,S| t )}{(executor,contributor ) |Execute(executor,t ) etNeeds(S,executor,contributor,t )}

U

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Par exemple, pour la tâche Validation arrêt (voir Figure 3), sensitivity_by_depth (Validation arrêt)=1. Pour la tâche Inventaire (voir Figure 2), sensitivity_by_depth (Inventaire)=2.

Nous considérons maintenant la métrique de densité du réseau informel sous-

jacent à une tâche t mesurant la densité du graphe d’interdépendances restreint aux personnes participant à t. La densité est une métrique classiquement mesurée dans le cadre de l’analyse structurelle de réseau social. Elle mesure le taux du nombre de connexions non orientées présentes dans le graphe d’interdépendances par rapport au nombre maximal de connexions possibles (nombre de connexions du graphe complet non orienté associé). Plus la mesure est élevée, plus le réseau informel est dense et donc résistant au départ d’une personne puisque, dans un réseau dense, les personnes sont très connectées donc proches (i.e. « elles se connaissent »). Nous pointons une petite précision concernant cette mesure. Pour calculer la densité du réseau sous-jacent à une tâche, il serait limitatif de se restreindre aux relations des personnes pour une tâche particulière (en effet, si les personnes se demandent de l’aide et donc se connaissent, ce n’est pas forcément uniquement via cette tâche). On mesure donc la densité pour le réseau informel S limité aux personnes impliquées dans la tâche à mesurer. Définition (Métrique « Densité du réseau informel sous-jacent à une tâche »). Pour une tâche t, cette métrique notée density(t) est définie par :

où |Persons|t| est le nombre de nœuds de S|t et |Et| est le nombre de paires de l’ensemble Et défini par

{ {p1,p2} | p1 ! Persons|t et p2 ! Persons|t et (rt(p1,p2) ou rt(p2,p1) avec t ! Tasks) } c’est-à-dire l’ensemble des paires de personnes, participant à la tâche t, connectées par l’une des tâches de Tasks.

Prenons par exemple la tâche Inventaire. La Figure 4 représente graphiquement l’ensemble EInventaire (une étiquette sur un arc entre deux personnes p1 et p2 indique quelles tâches connectent p1 et p2). On a |EInventaire|=13 et |Persons|Inventaire|=13 donc density(Inventaire)#0,2 (soit 20%).

!

| Et ||Persons| t |" (|Persons| t |#1) /2

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Figure 4. Graphe utilisé pour le calcul de la densité de la tâche « Inventaire » Les trois métriques que nous venons de définir « au niveau de la tâche » sont associées aux questions qualité, décrites dans le Tableau 1, de la façon suivante :

Q1 Pour chaque tâche t, global_sensitivity(t) Q2 Pour chaque tâche t, sensitivity_by_depth(t) Q3 Pour chaque tâche t, density(t)

Tableau 2. Métriques au niveau « tâche » associées aux questions qualité

Voici le résultat de l’évaluation de ces trois métriques pour les tâches des deux activités Activité 2 - Arrêt et restitution et Activité 3 - Rédaction et validation du plan de réversibilité de la phase de réversibilité.

Q1 Q2 Q3 global_sensitivity sensitivity_by_depth density Activité 2 - Arrêt et restitution

Tâche Commande 7 2 0,5 Tâche Inventaire 13 2 0,2

Tâche Validation arrêt 4 1 0,7 Tâche Rédaction 12 3 0,2

Activité 3 - Rédaction et validation du plan de réversibilité Tâche Valider réversibilité 4 2 0,5

Tableau 3. Evaluation des métriques au niveau des tâches Ces mesures montrent que la tâche Inventaire est plus sensible que la plupart des autres tâches. En effet, elle implique un grand nombre de personnes (métrique

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global_sensibility) avec une faible densité du réseau (métrique density), signifiant que les personnes impliquées dans la tâche sont nombreuses et peu connectées les unes aux autres. Il en est de même pour la tâche Rédaction qui présente en plus une longueur de chemin entre un exécuteur et un contributeur (métrique sensitivity_by_depth) plus importante que les autres tâches.

Intéressons-nous maintenant à la définition de métriques au niveau des activités du processus métier. Soit A une activité et TasksA l’ensemble des tâches de A. Nous définissons les métriques suivantes : moy_global_sensitivity(A) :=

($ t in TasksA (global_sensitivity(t))) / Cardinality(TasksA) max_global_sensitivity(A) := Max({global_sensitivity (t) | t % TasksA}) moy_sensitivity_by_depth (A):=

($ t in TasksA (sensitivity_by_depth (t))) / Cardinality(TasksA) max_sensitivity_by_depth (A) := Max({sensitivity_by_depth (t) | t % TasksA})

Ces métriques au niveau de l’activité sont définies par agrégation (moyenne et maximum) des métriques global_sensitivity et sensitivity_by_depth au niveau de la tâche.

La mesure de la densité, elle, ne peut évidemment pas être calculée par agrégation des mesures de la métrique density au niveau des tâches. Elle est définie par density (A) :=

où |Persons|A| est le nombre de nœuds de &{S|t | t ! TasksA} et |EA| est le nombre de paires de l’ensemble EA défini par

{ {p1,p2} | p1 ! Persons|A et p2 ! Persons|A et (rt(p1,p2) ou rt(p2,p1) avec t ! Tasks) }

c’est-à-dire l’ensemble des paires de personnes participant à une tâche de A connectées par l’une des tâches de Tasks. Ces cinq métriques au niveau « activité » sont associées aux questions qualité décrites dans le Tableau 1 de la façon suivante :

Pour chaque activité A, moy_global_sensitivity(A) Q1 Pour chaque activité A, max_global_sensitivity(A) Pour chaque activité A, moy_sensitivity_by_depth (A) Q2 Pour chaque activité A, max_sensitivity_by_depth (A)

Q3 Pour chaque activité A, density (A) Tableau 4. Métriques au niveau « activité » associées aux questions qualité

!

| EA ||Persons|A |" (|Persons|A |#1) /2

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Voici le résultat de leur évaluation sur les activités du processus de réversibilité :

Initi

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atio

n

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Réd

actio

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sfer

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és

moy_global_sensitivity 5 8,25 4 NA 4 5 Q1 max_global_sensitivity 5 13 4 NA 4 5 moy_sensitivity_by_depth 2 2 2 NA 2 2 Q2 max_sensitivity_by_depth 2 3 2 NA 2 2

Q3 density 0,4 0,12 0,5 NA 0,33 0,4 Tableau 5. Evaluation des métriques au niveau activité

Ces mesures pointent clairement l’activité Arrêt et restitution comme étant l’activité la plus sensible du processus. Examiner les mesures au niveau des tâches (voir Tableau 3) permet d’expliquer en partie ces résultats ainsi que de repérer les tâches les plus sensibles de cette activité.

5.2. Retombées et limites de l’étude

Les métriques mises en œuvre ont permis d’identifier des zones sensibles au risque de perte de connaissance de la phase de réversibilité, tout en permettant d’expliquer cette sensibilité par des mesures objectives. Par sensible, nous entendons ici peu robuste à l’absence des personnes dont la connaissance est nécessaire pour mener à bien la réversibilité (voir Section 3). La mesure de robustesse par une procédure d’évaluation de la qualité permet de rendre justifiables les conclusions de l’étude ; ceci est très important en cas de prise de décisions fondées sur ces résultats.

L’activité identifiée comme étant la plus sensible est celle d’Arrêt et restitution. Au sein de cette activité, deux tâches ont été repérées comme particulièrement sensibles : les tâches Inventaire et Rédaction. Plusieurs conclusions peuvent en être tirées : 1- ces tâches sont plus complexes à accomplir que ne le laissaient supposer les informations dont nous disposions avant l’étude, les exécuteurs sollicitant beaucoup d’aide informelle (en dehors de la procédure officielle), 2- la qualité d’exécution de ces tâches risque d’être particulièrement impactée en cas d’absence de personnes qui ne sont pas forcément repérées comme exécutrices officielles.

Plusieurs perspectives métier reposant sur les résultats de l’étude peuvent être envisagées :

3 L’acteur EPST n’est responsable d’aucune tâche dans cette activité qui concerne le transfert des connaissances de l’équipe prestataire sortante vers l’équipe prestataire entrante.

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! La surveillance du réseau informel. Le réseau informel capturé lors de la phase de modélisation pourrait être surveillé, de façon à pouvoir placer certaines tâches « en alerte » si le départ d’une personne contributrice est prévu. Ceci permettrait d’anticiper d’éventuels problèmes de perte de connaissance liée à l’exécution d’une tâche ou d’une activité (par exemple, anticiper le besoin de délai supplémentaire pour effectuer une tâche).

! La surveillance de la qualité d’exécution des tâches sensibles (par exemple en instaurant un contrôle supplémentaire des livrables résultant de l’exécution d’une tâche sensible). De façon générale, une attention toute particulière doit être accordée à la qualité d’exécution des tâches ou activités identifiées sensibles, plus particulièrement en cas de situations risquant d’engendrer un manque de disponibilité des personnes contributrices. Nous pensons par exemple à la restructuration d’un service hébergeant des personnes contributrices ou encore plus simplement aux tâches exécutées pendant la période des vacances scolaires d’été.

! L’amélioration des procédures. Il s’agirait ici d’identifier les personnes informellement contributrices dont la connaissance est absolument nécessaire à l’exécution d’une tâche. Si leur contribution est indispensable alors la procédure officielle devrait peut-être être revue en incluant leur participation. Il est à noter que le niveau de précision de la procédure officielle est délicat à trouver. En effet, une procédure très précise garantirait une exécution de bonne qualité de la tâche mais ralentirait certainement cette exécution. De plus, une procédure très complexe est plus difficile à mettre en œuvre et généralement moins bien acceptée car elle peut rendre le travail plus « rébarbatif ».

! Généralisation des résultats. Les résultats de l’étude que nous avons menée ne sont a priori pas généralisables car ils dépendent complètement du réseau informel des personnes exécutrices des tâches c’est-à-dire d’un contexte opérationnel et humain bien particulier. Il serait intéressant de mener cette étude dans d’autres contextes afin d’en tirer des conclusions généralisables concernant le processus de réversibilité. Par exemple, nous suspectons la tâche d’Inventaire d’être toujours complexe à traiter, nécessitant l’intervention d’un grand nombre d’exécuteurs et contributeurs.

6. Travaux connexes La définition d’un processus métier, parfois aussi appelé workflow, peut grandement varier d’un point de vue à un autre. Le processus métier peut être orienté flot de données (data flow oriented) ou orienté flot de commandes (control flow oriented). Le processus peut avoir vocation à être automatisé, minimisant ainsi les interactions humaines et ignorant donc complètement la connaissance tacite mise en œuvre. La notion de processus métier du point de vue « Système d’information » repose sur une autre vision : le processus est orienté flot de commandes et met en exergue les tâches exécutées par des acteurs humains. Son objectif premier est de proposer un

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cadre commun pour la compréhension d’un processus impliquant différents acteurs [LWM09, RSG07].

Des métriques d’évaluation de la qualité des processus orientés flot de données ont été proposées (p.ex. la fraîcheur [PB06], la cohésion [RV04] ou le coupling [RV04]). Ces métriques ne sont pas adaptables aux processus orientés flot de commandes. Des métriques ont été proposées pour les processus orientés flot de commandes. Ces métriques sont évidemment bien adaptées à l’évaluation de la qualité des processus métier. En particulier, beaucoup de contributions concernent la complexité [VCM07] qui peut être vue comme un facteur de la dimension de compréhensibilité. On peut également citer la densité [LK01], le nombre cyclométrique [GL06, CMN06], la Conrol-Flow Complexity [CAR05], ou encore la taille [CMN06, GL06, LK01]. Le facteur de robustesse quant à lui a été très étudié dans le domaine de l’aide multicritère à la décision [AR09] mais, autant que nous le sachions, pas dans le cadre des processus orientés flot de commandes.

Un autre travail proche du nôtre est celui de [HAS09]. Dans ses travaux, N. Hassan évalue l’impact de l’introduction d’un nouveau système technologique4 sur un processus métier en étudiant son impact sur le réseau social sous-jacent au processus (réseau dans lequel le système technologique est considéré comme un individu). Il compare les mesures de l’analyse du réseau social avant et après la modification et en infère des conclusions p.ex. concernant l’adoption du nouveau système.

Nous soulignons qu’aucun des travaux cités ci-dessus ne considère explicitement les personnes, l’identification et la valorisation de leur connaissance tacite impliquée dans le processus métier. Nous pensons que l’approche que nous proposons apporte une vision complémentaire.

7. Conclusion et perspectives Nous nous sommes intéressées dans cet article à la phase de réversibilité d’un processus métier de gestion de projet externalisé. Nous avons évalué sa robustesse par rapport au risque de perte de connaissance des personnes impliquées dans le processus. Nous nous sommes appuyées sur le paradigme Goal-Question-Metric proposant une démarche de définition de la qualité pour progresser de notre besoin opérationnel jusqu’à la définition des métriques d’évaluation de la robustesse utilisant des informations issues de l’analyse de réseaux informels sous-jacents aux tâches effectuées dans le processus métier. Ces métriques permettent d’évaluer une partie de la qualité d’un processus métier en tenant compte de la connaissance tacite des personnes. Nous avons ensuite proposé des perspectives métier aux résultats obtenus grâce à l’évaluation.

4 ou la modification d’un système existant.

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Cette étude a constitué une première « preuve de concept » d’une telle démarche d’évaluation de la qualité d’un processus métier à l’aide d’informations issues de l’analyse de réseaux informels. Il est à noter que les métriques que nous proposons ne définissent pas exhaustivement la robustesse d’un processus puisqu’elles se focalisent sur la connaissance tacite mise en œuvre. Et, bien sûr, la robustesse n’est pas la seule dimension à considérer pour qualifier la qualité d’un processus métier. Notre contexte opérationnel était donc bien limité à l’évaluation d’une partie de la qualité du processus de réversibilité. De nombreuses autres questions qualité et métriques peuvent être envisagées. Une seconde étude visant à définir la qualité du processus métier de façon plus complète (et donc considérant d’autres dimensions qualité et métriques) est envisagée. Cette étude permettra de proposer et éprouver une plus importante panoplie de métriques.

Nous planifions aussi une autre application terrain de ce travail. Nous sommes en contact avec une entreprise qui doit faire face à une importante vague de départ en retraite (de baby-boomers) dans l’une de ses entités et mettant en jeu un processus métier stratégique. Cette entreprise est sur le point de mener, avec des sociologues, une ASRS que nous utiliserions pour évaluer la qualité du processus stratégique.

Il serait également pertinent d’appliquer cette approche sur des processus de nature décisionnelle. L’application de l’approche à différents cas d’étude travaux permettra certainement de dégager une généralisation de notre approche.

Pour chaque métrique d’une étude, il serait intéressant de chercher à déterminer avec les experts métier un seuil à partir duquel la mesure peut être considérée comme critique. Ceci permettrait de mettre en place un système d’alertes associé aux métriques.

Comme précédemment formulé en section 4.1, le type de graphe d’interdépendances considéré ne permet pas d’exprimer d’alternative (il n’est pas possible d’y représenter qu’une personne est optionnelle ou qu’elle peut être substituée à une autre). Un autre formalisme de représentation des graphes d’interdépendances devrait donc être considéré afin de pouvoir enrichir le graphe avec ces informations qui permettraient d’affiner la définition des métriques.

Une autre perspective est l’implantation d’un prototype (ou d’un module expérimental dans un logiciel existant) permettant, étant donnés un processus métier et un système d’interdépendances, l’évaluation automatique de la robustesse du processus à l’aide de différentes métriques.

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