v t i e m r b a a v e r b a t i m - edimark

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Le Courrier des addictions (13) – n ° 2 – Avril-mai-juin 2011 28 V E T I M R B A A V E R B A T I M Quelques bribes d’histoire La question d’une relation possible entre usage de drogues et création artistique est posée de- puis longtemps : on se souvient sans doute des expériences menées par Henri Michaux et quelques autres avec les hallucinogènes, et on peut s’interroger sur l’impact de l’alcool dans l’œuvre du poète américain Charles Bukows- ki, ou se remémorer ce qu’écrivait Charles Baudelaire en 1851, dans "Du vin et du has- chich comparés comme moyens de multiplica- tion de l’individualité" : "Le musicien conscien- cieux doit se servir du vin de Champagne pour composer un opéra-comique : il y trouvera la gaieté mousseuse et légère que réclame le genre. La musique religieuse demande du vin du Rhin et du Jurançon : comme au fond des idées profondes, il y là une amertume eni- vrante. Mais la musique héroïque ne peut se passer du vin de Bourgogne : il a la fougue sé- rieuse et l’entraînement du patriotisme" ! Si, pour le poète, l’alcool stimule la créativité littéraire ou musicale, qu’en est-il du canna- bis ? Ce produit, aujourd’hui sans doute la plus répandue des substances illicites, a fait couler beaucoup d’encre. Il semble néanmoins que les écrits anciens mais classiques de Moreau de Tours (1845) et Baudelaire (1860) restent, nonobstant la phraséologie de l’époque, perti- nents pour répondre à cette question. Je m’y réfèrerai largement... et sans vergogne ! Norbert Sillamy (1998) définit la créativité comme "la disposition à créer, à investir, à se réaliser". Marc Valleur (2005), quant à lui, af- firme que "la créativité implique la nouveauté et voue le créateur à être marginal, révolté ou rebelle, si ce n’est rejeté, méconnu ou maudit… Le créateur est toujours un exilé qui parle * Psychiatre des hôpitaux, 5, allée des Cailles, 91210 Draveil. Cannabis et créativité, ça se discute ! Robert Berthelier* Chez les musiciens, mais aussi chez d’autres artistes, le cannabis a la réputation de stimuler la créativité. Que nenni, en fait ! Les témoignages d’auteurs anciens (Mo- reau de Tours, Baudelaire) comme de consommateurs d’aujourd’hui, tendent à montrer qu’il s’agit vraiment d’une légende. "Fumer rendrait-il donc c…?" comme le disait un internaute. Ce texte représente la version "longue" d’une courte communication présentée au colloque de l’Évolution psychiatrique : "Le cannabis : dangers et soins", les 25 et 26 juin 2010 à Paris. Cannabis is renowned for “ boosting” creativity of musicians and other artists. Not at all, in fact! Early authors, as Moreau de Tours or Baudelaire, but modern users too, testified that it’s not true and that is really a legend. To smoke makes us bloody, isn’t, according to “a web user”? avant son temps, trop tôt, ou dont la parole est trop forte, trop intense". Les religions traditionnelles ont de longue date utilisé le cannabis – introduit en Inde en 2000 avant notre ère par des tribus nomades – comme médiateur de la relation avec le sa- cré : le chamanisme s’est servi du chanvre in- dien pour communiquer avec les esprits de la nature, accéder à l’extase et aux transes. Si la légende des haschichins du "Vieux de la mon- tagne", popularisée au XIX e siècle par l’orien- taliste Sylvestre de Sacy, l’a fait considérer comme "l’herbe du crime", le Cheikh Soufi Haïder affirmait au XV e siècle que "les vertus de cette plante dissiperont les soucis qui obs- curcissent vos âmes et dégageront vos esprits de tout ce qui peut en ternir l’éclat", mettant ainsi en exergue son action euphorisante. La facilitation de l’accès à la transe et à un état second est bien évoquée par éophile Gau- thier, adepte du Club des Haschichins dont parle Moreau de Tours : "le désir de l’idéal est si fort chez l’homme qu’il tâche, autant qu’il est en lui, de relâcher les liens qui retiennent l’âme au corps ; et comme l’extase n’est pas à la portée de toutes les natures, il boit de la gaîté, il fume de l’oubli et mange de la folie, sous la forme du vin, du tabac et du haschich". Soit. Mais quel rapport avec la créativité ? Dans nos temps modernes, l’usage du canna- bis a d’abord été largement répandu dans l’uni- vers musical, singulièrement dans une variété particulière, le jazz et ses dérivés, fondée sur l’improvisation, donc la créativité. Le clarinet- tiste Milton Mezz Mezzorow, dans son auto- biographie "La rage de vivre", l’a popularisé au point que, dans les années 1950, il était devenu synonyme de drogue facilitant l’inspiration, en concurrence, en la matière, avec notre alcool national. Après mai 1968, ce fut le phénomène hippie – et je rappellerai ici que Jimmy Hendricks allait se ressourcer au Maroc, à Diabet, près d’Essaouira pour, selon une expression locale, "se faire bronzer le dessous du crâne", puis la vogue du reggae avec son père fondateur, Bob Marley. Passons... Pour quels effets ? Qu’il s’agisse ou non de musiciens, quels sont ou ont été les effets recherchés par les artistes à travers la communication "sous" cannabis ? Ici, plusieurs dimensions apparaissent : l’une des plus évidentes, et non des moindres, est son action anxiolytique, mise en avant par le Cheikh Haïder et bien exposé par Moreau de Tours : "… un sentiment de bien-être physique et moral, de contentement intérieur, de joie intime ; bien-être, contentement, joie indéfi- nissable que vous cherchez vainement à com- prendre, à analyser, dont vous ne pouvez saisir la cause. Vous vous sentez heureux, vous le dites, vous le proclamez avec exaltation, vous cherchez à l’exprimer par tous les moyens qui sont en votre pouvoir, vous le répétez à satié- té ; mais pour dire comment, en quoi vous êtes heureux, les mots vous manquent pour l’ex- primer, pour vous en rendre compte à vous- même… Insensiblement, à ce bonheur si agité, nerveux, qui ébranle convulsivement toute votre sensibilité, succède un doux sentiment de lassitude physique et morale, une sorte d’apathie, d’insouciance, un calme complet, absolu, auquel votre esprit se laisse aller avec délices. Il semble que rien ne saurait porter at- teinte à cette tranquillité d’âme, que vous êtes inaccessible à toute affection triste". Baudelaire, en 1851, reprend en écho : "Prenez- en gros comme une noix, remplissez-en une petite cuillère, et vous possédez le bonheur, le bonheur absolu avec toutes ses ivresses, toutes ses folies de jeunesse, et aussi ses béatitudes infinies." L’effet hallucinogène, peu évoqué de nos jours, était éprouvé au XIX e siècle par les membres du Club des Haschichins, peut-être en raison d’un mode de consommation différent – injection et non inhalation – éophile Gauthier, cité par Moreau de Tours, évoque les illusions et hallucinations éprouvées au cours d’une expé- rience personnelle : "… Il me semble que mon corps se dissolvait et devenait transparent. Je voyais très nettement dans ma poitrine le has- chich que j’avais mangé, sous la forme d’une émeraude dont s’échappaient des millions de petites étincelles. Les cils de mes yeux s’allon- geaient indéfiniment, s’enroulaient comme des Mots-clés : Musiciens ; Créativité ; Can- nabis ; Fumer ; Médiateur ; Sacré. Keywords : Musicians ; Creativity ; Can- nabis ; To smoke ; Arbitrator ; Ritual.

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Le Courrier des addictions (13) – n ° 2 – Avril-mai-juin 2011 28

V ET I M R B A A

V E R B A T I M

Quelques bribes d’histoire

La question d’une relation possible entre usage de drogues et création artistique est posée de-puis longtemps : on se souvient sans doute des expériences menées par Henri Michaux et quelques autres avec les hallucinogènes, et on peut s’interroger sur l’impact de l’alcool dans l’œuvre du poète américain Charles Bukows-ki, ou se remémorer ce qu’écrivait Charles Baudelaire en 1851, dans "Du vin et du has-chich comparés comme moyens de multiplica-tion de l’individualité" : "Le musicien conscien-cieux doit se servir du vin de Champagne pour composer un opéra-comique : il y trouvera la gaieté mousseuse et légère que réclame le genre. La musique religieuse demande du vin du Rhin et du Jurançon : comme au fond des idées profondes, il y là une amertume eni-vrante. Mais la musique héroïque ne peut se passer du vin de Bourgogne : il a la fougue sé-rieuse et l’entraînement du patriotisme" !Si, pour le poète, l’alcool stimule la créativité littéraire ou musicale, qu’en est-il du canna-bis ? Ce produit, aujourd’hui sans doute la plus répandue des substances illicites, a fait couler beaucoup d’encre. Il semble néanmoins que les écrits anciens mais classiques de Moreau de Tours (1845) et Baudelaire (1860) restent, nonobstant la phraséologie de l’époque, perti-nents pour répondre à cette question. Je m’y réfèrerai largement... et sans vergogne !Norbert Sillamy (1998) définit la créativité comme "la disposition à créer, à investir, à se réaliser". Marc Valleur (2005), quant à lui, af-firme que "la créativité implique la nouveauté et voue le créateur à être marginal, révolté ou rebelle, si ce n’est rejeté, méconnu ou maudit… Le créateur est toujours un exilé qui parle

* Psychiatre des hôpitaux, 5, allée des Cailles, 91210 Draveil.

Cannabis et créativité, ça se discute ! Robert Berthelier*

Chez les musiciens, mais aussi chez d’autres artistes, le cannabis a la réputation de stimuler la créativité. Que nenni, en fait ! Les témoignages d’auteurs anciens (Mo-reau de Tours, Baudelaire) comme de consommateurs d’aujourd’hui, tendent à montrer qu’il s’agit vraiment d’une légende. "Fumer rendrait-il donc c…?" comme le disait un internaute. Ce texte représente la version "longue" d’une courte communication présentée au colloque de l’Évolution psychiatrique : "Le cannabis : dangers et soins", les 25 et 26 juin 2010 à Paris.

Cannabis is renowned for “ boosting” creativity of musicians and other artists. Not at all, in fact! Early authors, as Moreau de Tours or Baudelaire, but modern users too, testified that it’s not true and that is really a legend. To smoke makes us bloody, isn’t, according to “a web user”?

avant son temps, trop tôt, ou dont la parole est trop forte, trop intense".Les religions traditionnelles ont de longue date utilisé le cannabis – introduit en Inde en 2000 avant notre ère par des tribus nomades – comme médiateur de la relation avec le sa-cré : le chamanisme s’est servi du chanvre in-dien pour communiquer avec les esprits de la nature, accéder à l’extase et aux transes. Si la légende des haschichins du "Vieux de la mon-tagne", popularisée au XIXe siècle par l’orien-taliste Sylvestre de Sacy, l’a fait considérer comme "l’herbe du crime", le Cheikh Soufi Haïder affirmait au XVe siècle que "les vertus de cette plante dissiperont les soucis qui obs-curcissent vos âmes et dégageront vos esprits de tout ce qui peut en ternir l’éclat", mettant ainsi en exergue son action euphorisante.La facilitation de l’accès à la transe et à un état second est bien évoquée par Théophile Gau-thier, adepte du Club des Haschichins dont parle Moreau de Tours : "le désir de l’idéal est si fort chez l’homme qu’il tâche, autant qu’il est en lui, de relâcher les liens qui retiennent l’âme au corps ; et comme l’extase n’est pas à la portée de toutes les natures, il boit de la gaîté, il fume de l’oubli et mange de la folie, sous la forme du vin, du tabac et du haschich". Soit. Mais quel rapport avec la créativité ?Dans nos temps modernes, l’usage du canna-bis a d’abord été largement répandu dans l’uni-vers musical, singulièrement dans une variété particulière, le jazz et ses dérivés, fondée sur l’improvisation, donc la créativité. Le clarinet-tiste Milton Mezz Mezzorow, dans son auto-biographie "La rage de vivre", l’a popularisé au point que, dans les années 1950, il était devenu synonyme de drogue facilitant l’inspiration, en concurrence, en la matière, avec notre alcool national.Après mai 1968, ce fut le phénomène hippie – et je rappellerai ici que Jimmy Hendricks allait se ressourcer au Maroc, à Diabet, près

d’Essaouira pour, selon une expression locale, "se faire bronzer le dessous du crâne", puis la vogue du reggae avec son père fondateur, Bob Marley. Passons...

Pour quels effets ?

Qu’il s’agisse ou non de musiciens, quels sont ou ont été les effets recherchés par les artistes à travers la communication "sous" cannabis ? Ici, plusieurs dimensions apparaissent : l’une des plus évidentes, et non des moindres, est son action anxiolytique, mise en avant par le Cheikh Haïder et bien exposé par Moreau de Tours : "… un sentiment de bien-être physique et moral, de contentement intérieur, de joie intime ; bien-être, contentement, joie indéfi-nissable que vous cherchez vainement à com-prendre, à analyser, dont vous ne pouvez saisir la cause. Vous vous sentez heureux, vous le dites, vous le proclamez avec exaltation, vous cherchez à l’exprimer par tous les moyens qui sont en votre pouvoir, vous le répétez à satié-té ; mais pour dire comment, en quoi vous êtes heureux, les mots vous manquent pour l’ex-primer, pour vous en rendre compte à vous-même… Insensiblement, à ce bonheur si agité, nerveux, qui ébranle convulsivement toute votre sensibilité, succède un doux sentiment de lassitude physique et morale, une sorte d’apathie, d’insouciance, un calme complet, absolu, auquel votre esprit se laisse aller avec délices. Il semble que rien ne saurait porter at-teinte à cette tranquillité d’âme, que vous êtes inaccessible à toute affection triste".Baudelaire, en 1851, reprend en écho : "Prenez-en gros comme une noix, remplissez-en une petite cuillère, et vous possédez le bonheur, le bonheur absolu avec toutes ses ivresses, toutes ses folies de jeunesse, et aussi ses béatitudes infinies."L’effet hallucinogène, peu évoqué de nos jours, était éprouvé au XIXe siècle par les membres du Club des Haschichins, peut-être en raison d’un mode de consommation différent – injection et non inhalation – Théophile Gauthier, cité par Moreau de Tours, évoque les illusions et hallucinations éprouvées au cours d’une expé-rience personnelle : "… Il me semble que mon corps se dissolvait et devenait transparent. Je voyais très nettement dans ma poitrine le has-chich que j’avais mangé, sous la forme d’une émeraude dont s’échappaient des millions de petites étincelles. Les cils de mes yeux s’allon-geaient indéfiniment, s’enroulaient comme des

Mots-clés : Musiciens ; Créativité ; Can-nabis ; Fumer ; Médiateur ; Sacré.

Keywords : Musicians ; Creativity ; Can-nabis ; To smoke ; Arbitrator ; Ritual.

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Le Courrier des addictions (13) – n ° 1 – janvier-février-mars 2011Le Courrier des addictions (13) – n ° 2 – avril-mai-juin 201129

fils d’or sur des petits rouets d’ivoire qui tour-naient tout seuls avec une éblouissante rapi-dité (…), mon ouïe s’était prodigieusement dé-veloppée. J’entendais le bruit des couleurs : des sons verts, rouges, bleus, jaunes, m’arrivaient par ondes parfaitement distinctes… plus de cinq cents pendules me chantaient l’heure, de leurs voix flûtées, cuivrées, argentines. Chaque objet effleuré rendait une note d’harmonica ou de harpe éolienne".Tout cela, qualifié par Moreau de Tours de "rêve sans sommeil", peut être rapproché de ce que l’on sait de l’activité neurosensorielle du produit. Pour le neurobiologiste Jean-Pol Tassin, "le cannabis est recherché, mais pour ses conséquences sensorielles. Son usage est fré-quent chez les musiciens, car il permet de per-cevoir les sons plus distinctement, par exemple de bien percevoir les différents instruments dans un orchestre. Le cannabis est le produit qui modifie le plus la sensorialité, les percep-tions, alors que pour la création elle-même, les psychostimulants sont mieux adaptés". D’ailleurs ce qui ressort de l’ouvrage de Mezzrow est avant tout la recherche, chez des musiciens à l’époque isolés et/ou marginalisés, d’une facilitation du contact avec autrui – mu-siciens et/ou public – peut-être plus que d’une amélioration de l’inspiration. Quoi qu’il en soit, la question d’une possible relation entre cannabis et créativité reste posée…

Témoignages d’hier et d’aujourd’hui

D’ores et déjà, quelques interrogations sur-gissent : être cool (ou zen, ou planant, selon le vocabulaire de l’époque) est-il synonyme de stimulation de la créativité ? Pourquoi la plupart des musiciens utilisateurs initiaux ont-ils abandonné le cannabis au profit de psy-chostimulants, en particulier la cocaïne ? Le

processus de création requière-t-il l’existence de tensions internes que la créativité vise à résoudre ? Les effets psychopathologiques de l’usage ou de la surconsommation chroniques – psychoses cannabiques, syndrome amoti-vationnel, troubles de la concentration et de la mémoire, etc. – ne s’inscrivent-ils pas en contradiction avec le concept de créativité  ? D’autant que la clinique quotidienne nous montre un appauvrissement, plutôt qu’un en-richissement, de l’activité créative…Revenons à Moreau de Tours et Baudelaire : le premier se montre à tout le moins sceptique quant aux vertus du produit : "(…) imaginer implique nécessairement un travail de l’esprit, un effort de volonté. Comment donc attri-buer la faculté d’imaginer la production de ces images, de ces tableaux qui, dans les rêves, se présentent inopinément, sans que la volonté y soit pour rien ? Que l’on essaie, pendant la veille, d’imaginer la millième partie de ces pro-ductions fantastiques du rêve, et l’on verra si on réussit".Quant au second, dont la (mauvaise) opinion du cannabis n’a pas varié de 1851 à 1860, sa condamnation est sans appel : "(…) je l’ai dit, le haschich est impropre à l’action… Le vin exalte la volonté, le haschich l’annihile. Le vin est un support physique, le haschich est une arme pour le suicide. Le vin rend bon et sociable, le haschich est violent. L’un est laborieux pour ainsi dire, l’autre essentiellement paresseux… Le haschich est inutile et dangereux. (…) Ad-mettons un instant que le haschich donne ou, du moins, augmente le génie. Ils oublient qu’il est de la nature du haschich de diminuer la vo-lonté, et qu’ainsi il accorde d’un côté ce qu’il retire de l’autre, c’est-à-dire l’imagination sans la faculté d’en profiter".Plus près de nous, quelques témoignages de musiciens : "Je suis bien sûr tombé dans le cli-ché du musicien qui se ’drogue’ pour pouvoir trouver l’inspiration (ce qui ne marche pas)

et je me rends compte qu’il m’est de plus en plus difficile de composer, mes idées ne sont pas claires et je n’ai plus aucune inspiration" (un internaute). "C’est assez bizarre. Quand je prends du produit, j’ai l’impression que je joue mieux. Mais quand je n’en prends pas et écoute ceux qui en ont consommé, je trouve qu’ils jouent moins bien que d’habitude. Quant à Mezzrow, il était nul comme musicien en l’absence de produit, mais il l’était tout autant après en avoir pris" (un jazzman). "La folie (due aux drogues) mesure des signes, des stigmates, des coercitions. Même quand elle fut pleine-ment mythique – rarement d’ailleurs –, elle ne créa que des sectes, des gnoses, voire des ren-fermements, jamais des mythes, des religions, des œuvres" (un internaute).Je laisserai le mot de la fin à Baudelaire : "Ja-mais un état raisonnable ne pourrait subsis-ter avec l’usage du haschich. Cela ne fait ni des guerriers, ni des citoyens… On dit que cette substance ne cause aucun mal physique : c’est vrai, jusqu’à présent du moins. Car je ne sais pas jusqu’à quel point on peut dire qu’un homme qui ne ferait que rêver serait incapable d’action se porterait bien, quand bien même tous ses membres seraient en bon état, mais c’est la volonté qui est attaquée, et c’est l’or-gane le plus précieux".Opinion qu’un internaute a faite sienne et ré-sumé dans un style résolument et vigoureuse-ment elliptique : "Fumer, ça rend con".� v

Références bibliographiques1. Baudelaire C. Du vin et du haschich (1851). Le poème du haschich (1860). In. Les paradis artificiels. L’œuvre de Charles Baudelaire. Paris. Club Français du Livre, 1951.2. Moreau de Tours. Du haschich -Paris. Librairie Fortin, Masson et Cie, 1845.3. Sillamy M. Dictionnaire de psychologie - Paris. La-rousse 1990.4. Valleur M. In: Dictionnaire des drogues et dépen-dances. Paris. Larousse, 2005.

vvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvLes dégâts du tabagisme passif dans le monde

vUne grande étude mondiale vient de faire le bilan, alarmant, du tabagisme passif, qui touche beaucoup plus de personnes qu’on ne le croit : selon les derniers chiffres qui datent de 2004,

les chercheurs estiment ainsi que 33 % des hommes non fumeurs, 35 % des femmes non fumeuses et 40 % des enfants sont exposés à la fumée des autres. La région où la proportion de personnes exposées est la plus forte est l’Europe...Selon Mathias Öberg de l’Institut Karolinska (Suède) et ses co-au-teurs, cette exposition provoque chaque année 603 000 décès, dont 379 000 par ischémie cardiaque, 165 000 par infections respiratoires, 36 900 par asthme ou encore 21 400 par cancer du poumon. Près de la moitié de ces décès (47 %)concernent des femmes, 28 % des enfants et 26 % des hommes.Öberg M, Jaakkola MS, Woodward A, Peruga A, Prüss-Ustün A. Worldwide burden of

disease from exposure to second-hand smoke: a retrospective analysis of data from 192 countries. Lancet 2011;377(9760):139-46.

Femmes enceintes : le danger du tabac des autres

vCette méta-analyse sur l’exposition passive au tabac des femmes enceintes, à la maison comme au travail (19 études), en a fait clairement apparaître les risques : celui de mettre au

monde un enfant mort-né est accru de 23 % et celui de malformation est majoré de 13 %. Faut-il incriminer la toxicité de la fumée elle-même sur le fœtus ou l’altération des spermatozoïdes avant la conception, ou la conjonction des deux ? L’auteur ne tranche pas, mais rappelle qu’il serait important que les futurs pères arrêtent de fumer, non seulement pendant la grossesse de leur compagne mais encore avant la conception.Leonardi-Bee J, Britton J, Venn A. Secondhand smoke and adverse fetal outcomes in nonsmoking pregnant women: a meta-analysis. Pediatrics 2011;127(4):734-41.

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