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L'IMAGE DÉRÉALISANTE. ESSAI SUR LA MÉDIATION VIDÉOGRAPHIQUE DANS LE CINÉMA ESPAGNOL CONTEMPORAIN (1990-1997) JEAN-CLAUDE SEGUIN Université de Lumière-Lyon 2 Les films nous permettent d'êe un peu plus créatifs (Wes Craven, Scream, 1997) Dans les années 70, une campagne publicitaire sur le cinéma répétait à qui voulait l'entendre« Quand on aime la vie on va au cinéma». À cette accroche assez nve, François Truffaut répondait, subtil et amusé, par un « Quand on n'aime pas la vie, on va au cinéma». Ce double postulat vient en quelque sorte poser les limites de la réflexion que nous souhaiterions amorcer dans ce trop court exsé. Quels nouveaux rapports sommes-nous en train d'établir avec le réel et sa représentation/reproduction? La question mérite que l'on s'y arrête, tant il est vrai que notre relation à la réalité passe par de fins canaux de plus en plus complexes qui, sans toujours construire un discours sur le réel, ndent un nouveau rapport au référent tout en nous éloignant chaque fois davantage de lui. LA REPRODUCTIBILITÉ TECIQUE DE L'OEUVRE D'ART Comment poser le problème de l'image et de sa reproductibilité sans faire apפl à Walter Benjamin qui, depuis longtemps, nous a foui de lumineuses intuitions relatives à L' Oeuvre d'art à l'époque de sa HISP. XX - 15 - 1997 387

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L'IMAGE DÉRÉALISANTE. ESSAI SUR LA MÉDIATION VIDÉOGRAPHIQUE DANS LE CINÉMA ESPAGNOL CONTEMPORAIN

(1990-1997)

JEAN-CLAUDE SEGUIN

Université de Lumière-Lyon 2

Les films nous permettent d'être un peu plus créatifs

(Wes Craven, Scream, 1997)

Dans les années 70, une campagne publicitaire sur le cinéma répétait à qui voulait l'entendre« Quand on aime la vie on va au cinéma». À cette accroche assez naïve, François Truffaut répondait, subtil et amusé, par un

« Quand on n'aime pas la vie, on va au cinéma». Ce double postulat vient en quelque sorte poser les limites de la réflexion que nous souhaiterions amorcer dans ce trop court exposé. Quels nouveaux rapports sommes-nous en train d'établir avec le réel et sa représentation/reproduction? La question mérite que l'on s'y arrête, tant il est vrai que notre relation à la réalité passe par de fins canaux de plus en plus complexes qui, sans toujours construire un discours sur le réel, fondent un nouveau rapport au référent tout en nous éloignant chaque fois davantage de lui.

LA REPRODUCTIBILITÉ TECHNIQUE DE L'OEUVRE D'ART

Comment poser le problème de l'image et de sa reproductibilité sans faire appel à Walter Benjamin qui, depuis longtemps, nous a fourni de lumineuses intuitions relatives à L' Oeuvre d'art à l'époque de sa

HISP. XX - 15 - 1997 387

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reproductibilité technique 1? Rappelons en quelques phrases la réflexion du philosophe. Entre l'oeuvre d'art et le public, une. sorte de halo qu'il nomme « aura » plonge la création artistique dans une atmosphère éthérée, immatérielle qui lui confère un caractère d'authenticité2. Cette situation particulière a connu de profondes mutations dès que la technique de la reproduction est devenue suffisamment parfaite pour que le caractère unique et sacré de l'oeuvre d'art soit remis en cause. Walter Benjamin résume sa pensée en ces termes :

La technique de la reproduction détache ce qui est reproduit du

domaine de la tradition. En multipliant les reproductions, elle

remplace la présence unique par la présence massive. Et en ce

qu'elle autorise la reproduction à aller au-devant de celui qui la

reçoit dans la situation où celui-ci se trouve, elle actualise ce qui est

reproduit3.

La reproductibilité en vient ainsi à transformer profondément les relations qui s'établissent entre nous spectateurs et l'oeuvre d'art. Le philosophe allemand interroge tout particulièrement la photographie et le cinéma qui peuvent à des milliers de kilomètres de distance s'offrir à des spectateurs de manière identique. C'est ainsi qu'en rendant les choses plus proches, la reproductibilité produit en nous le désir « de plus en plus irrépressible d'avoir l'objet à portée de main». L'unicité et la durée rendent l'image et sa reproduction si proches l'une de l'autre qu'il devient impossible de les distinguer4 et l'aura qui naissait du caractère unique de l'oeuvre d'art a disparu à jamais. Cette réflexion conduit Benjamin à s'interroger sur le rapprochement entre l'auteur et le spectateur/lecteur. En réduisant ainsi la distance, le premier permet au second de croire qu'il est lui-même capable de créer, et le philosophe n'en veut pour preuve que la rubrique du courrier des lecteurs qui, dans la presse, est devenue le lieu d'expression du premier venu:

l Walter Benjamin, « L'oeuvre d'art à l'époque de la reproductibilité technique», Sur l'art et la

photographie, s.1., Éditions Carré, 1997. 2 Pour plus d'informations on peut se reporter à l'excellent ouvrage de Marc Jimenez, Qu'est-ce que

l'esthétique?, Paris, Gallimard (Folio essais), 1997 et plus particulièrement aux pages 357-368. 3 Walter Benjamin, op. cit., p. 24. 4 Walter Benjamin ne connaissait pas encore, lorsqu'il écrivait ces lignes, les progrès que notre société a faits dans l'art de reproduire : photocopie, CD-Rom, et,:.

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L'image déréalisante. Essai sur la médiation vidéographique

La distinction entre auteur et public est ainsi en voie de perdre

son caractère fondamental. Elle devient une dist inction

fonctionnelle, s'appliquant au cas par cas d'une manière ou de

l'autre. Le lecteur peut à chaque instant devenir quelqu'un qui écrit 1 .

La trace de la photo, et plus encore du cinéma, en proposant une/des reproduction/s confondante/s de la réalité place le spectateur dans une position nouvelle face à elle. La reproduction cinématographique de la réalité construit ainsi un mouvement dialectique, car en pénétrant cette même réalité, elle procure au spectateur« l'aspect de la réalité, débarrassé de l'appareil ». Mais la pensée du philosophe ne nous laisse pas simplement sur cette impression de réalité si chère à Christian Metz, elle souligne à quel point la multiplication des moyens de reproduction médiatise la réalité et tend à appauvrir notre expérience vécue. Nous nous éloignons de l'expérience directe, concrète, pour n'en vivre que son image médiatisée. L'expérience tend ainsi à s'atrophier. C'est de cette atrophie qu'il sera question ici.

LE MATÉRIAU EXOGÈNE : DU CÔTÉ DE L'ÉNONCÉ

Le rapport que le spectateur établit avec le réel est donc médiatisé par une image - cinématographique ou vidéographique - qui lui fait considérer que ce qu'il a devant les yeux appartient à une probable réalité. Il y a vraisemblance dès lors que l'image produite est considérée comme possible par le récepteur. Lorsque dans un récit, le cinéaste est conduit à « reconstruire » une époque présente ou passée, il va faire appel à un certain nombre d'accessoires qui créeront l'illusion de la réalité supposée, et parmi ces derniers nous trouvons aux meilleurs postes le cinéma lui­même, la télévision ou la vidéo. Une lecture trop restreinte a conduit certains théoriciens à considérer cette pratique de l'ordre de la réflexivité. Lucien Dallenbach, qui a consacré un ouvrage savant à la question, préfère employer le terme de récit spéculaire en considérant que la pratique décrite plus haut relèverait de l'ordre de la« réduplication simple2 », le fragmententretenant avec l'oeuvre qui l'inclut un rapport de similitude. Ailleurs il

1 Walter Benjamin, op. cit., p. 47. 2 Lucien Diillenbach, Le Récit spéculaire, Paris, Seuil, 1977, p. 51.

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est question de réflexivité cinématographique 1. Ces essais typologiques ne sont guère satisfaisants. Il y aurait ainsi réflexivité dès lors qu'une image cinématographique viendrait occuper le champ, mais elle disparaîtrait

lorsque le média serait différent. .. Nous préférons pour notre part parler de

« pratique exogène» lorsque l'auteur - cinéaste ou vidéaste - inclut dans l'énoncé un élément appartenant au monde du cinéma, de la télévision ou de la vidéo. Ces derniers occupent alors des fonctions environnementales qui ne diffèrent guère de celles du paquet de cigarettes ou de la lampe de bureau. Ce ne sont que des cinèmes que Pier Paolo

Pasolini définissait en ces termes :

Nous pouvons appeler tous les objets, les formes ou les actes

de la réalité permanente à l'intérieur de l'image cinématographique, du nom de « cinèmes ». [ ... ) Les cinèmes ont [un) caractère

obligatoire : nous ne pouvons choisir que les cinèmes qui existent,

c'est-à-dire les objets, les formes et les actes de la réalité que nous

percevons par nos sens2.

Nous pensons donc que le matériau exogène a pour première fonction de contextualiser un récit cinématographique, de lui offrir des cinèmes qui apparaissent dès lors comme des fragments d'une réalité reconstruite. Dans

une production récente, El Crimen del cine Oriente (1996), Pedro Costa adaptant le roman homonyme de Javier Tomeo, raconte la sordide histoire d'une jeune femme qui épousant le gérant d'un cinéma finit par

l'assassiner. Tiré d'un fait divers qui eut lieu à Valence dans les années cinquante, le crime et les moyens mis en oeuvre sont particulièrement sordides : le corps sera découpé à la scie, les membres rasés, les ongles des

pieds et des mains peints pour simuler une femme, le tout sera dispersé

aux quatre coins de la ville. Le caractère macabre du récit ne doit pas nous faire oublier que le contexte choisi est celui d'une salle de cinéma dans

l'Espagne des années 503. Pour reconstruire ce réel, le cinéaste a eu besoin d'insérer dans son film, quantité d'extraits d' oeuvres

cinématographiques de l'époque. Nous voilà donc face à une utilisation proprement exogène du matériau cinématographique où l'élément de contextualisation est nécessaire à la bonne vraisemblance du récit.

1 Jacques Gerstenkom, « A travers le miroir», Vertigo, n• !, p. 7. 2 Pier Paolo Pasolini, L'Expérience hérérique, Paris, Ramsay, 1976, p. 52. 3 Le cinéma italien, sur le mode nostalgique, avait produit l'excellent Cinema paradiso.

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Nous pourrions retrouver chez Almodovar ce même type de pratique,

et nous ne citerons que pour mémoire La ley del deseo (1987) où le personnage clé est un cinéaste. Dans le cas présent toutefois la contextualisation se double d'une contemporanéité entre l'époque du tournage et l'action du film. Nous emprunterons également au cinéaste manchego un autre exemple de pratique exogène dans KiKa (1992), mais dans le cas présent il s'agit d'une caméra vidéo. Avec un désir avoué de condamner les reality shows, le metteur en scène crée le personnage d' Andrea, Caracortada, dont le surnom est à lui seul une allusion non dissimulée au chef-d'oeuvre de Howard Hawks, Scarface (1932). Animatrice de l'émission de télévision, Lo peor del dia, elle est à la recherche de spectacles toujours plus violents et« réalistes». Armée d'un casque surmonté d'une caméra vidéo, Andrea attend que l'événement se

présente à elle ou le provoque pour l'enregistrer. Mais pour importante

que soit la caméra vidéo, il ne n'agit là encore que d'un élément exogène dont le point de vue ne se confond pratiquement jamais avec celui du narrator. Il n'existe pas d'identification entre eux. L'enjeu pour Pedro Almodovar n'est pas de dénoncer l'image vidéographique, mais bien les pratiques qu'engendrent certaines émissions télévisuelles. La réflexion du cinéaste n'est pas d'ordre filmique mais cinématographique.

Nous pourrions en outre faire une place aux pratiques hypotextuelles qui sont monnaie courante dans le cinéma contemporain. Lorsque Almodovar insère dans le même KiKa un fragment de The Prowler (1951) de Joseph Losey, un extrait de Johnny Guitar (1954) de Nicholas Ray dans

Mujeres ... ou une séquence d'Ensayo de un crimen de Luis Bui'iuel (1955) dans son dernier film Carne trémula, il s'installe dans une pratique

référentielle en citant littéralement les films en question 1• Dans le

deuxième film, pourtant, le travail effectué sur l' oeuvre de Ray dépasse le simple cadre de la citation pour se confondre avec la matière filmique. Qui dit hypertextualité, dit nécessairement hiérarchie temporelle : il existe un principe de causalité qu'il est impossible d'enfreindre. L'hypotexte préexiste et nous pourrions dire que c'est cette situation qui rend sa pratique nécessairement exogène. Quel que soit ici encore l'intérêt de ce type de démarche, il ne pose que de façon tangentielle le problème des relations que l'image entretient avec le réel.

1 Nous avons déjà évoqué ailleurs les problèmes liés à la citation chez Almodovar. Voir Jean­Claude Seguin, « Mujeres(fhe Women : le référentiel», Posrmoderniré er écriture narrative dans

l'Espagne contemporaine, Grenoble, CERHIUS, 1996, pp. 273-288.

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LE MATÉRIAU ENDOGÈNE: DU CÔTÉ DE L'ÉNONCIATION

Si nous avions récusé la notion de réflexivité pour désigner l'effet

produit par l'insertion dans l'énoncé du monde cinématographique ou vidéographique, il nous semble en revanche que d'autres pratiques que

nous allons examiner relèvent d'une « réduplication aporistique », expression proposée par Diillenbach pour parler d'un « fragment censé

inclure l'oeuvre qui l'inclut». C'est donc du côté de l'énonciation que le

problème va dès à présent se situer. Il a pu arriver, dans les exemples précités, que le cinéaste ait ponctuellement joué sur l'énonciation, mais

l'énoncé lui-même ne permettait pas d'en déduire une quelconque réflexion sur l'image et le réel.

Il nous semble nécessaire de bien mesurer la spécificité du mécanisme

de la substitution de l'image cinématographique par l'image

vidéographique, et d'en saisir brièvement le mode de fonctionnement. Les modes de reproduction, au sens benjamien du terme, nous ont offert

pendant longtemps une impression de réalité dont il fallait trouver l'origine dans la grande iconicité des supports (photo, cinéma ... ). Or nous

savons consciemment ou pas que l'image là présente a dû s'impressionner

dans un passé plus au moins lointain ou, pour mieux dire, de plus en plus

lointain. Ainsi la photographie, après avoir été pendant un fragment de seconde au contact de la réalité, en est devenue sa trace. C'est cette même trace que nous retrouvons sur l'écran cinématographique ou télévisuel

lorsque ce dernier nous donne à voir une image en différé, c'est-à-dire

qu'après avoir été en contact avec la réalité elle a été proposée

ultérieurement. Or la reproduction vidéographique est venue, en quelque

sorte, bouleverser cette logique, car elle fait la synthèse entre l'image en direct de la télévision et celle en différé du cinéma. En effet, grâce à ma caméra je peux désormais proposer le réel et sa trace de manière

simultanée. Le hic et nunc s'est ainsi installé dans l'image

vidéographique, le vidéaste peut saisir sans fin - ou presque - la réalité

qui se présente à lui. Il peut également, proposer, plus tard, cette même image. C'est dès lors tout le rapport entre la réalité et sa reproduction qui est modifié.

Des exemples choisis dans le cinéma espagnol contemporain vont nous permettre d'illustrer cette pratique que nous qualifierons d'endogène.

Mas que amor frenes{ (1996) d' Alfonso Albacete, Miguel Bardem et David Menkes se propose de dresser un tableau de la jeunesse espagnole

contemporaine. Non dénué de qualités, il offre une galerie de portraits dont

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celui de Monica qui occupe le plus clair de son temps à enregistrer, camescope au poing, tout ce qui lui passe par le champ et, spécialement ses propres ébats amoureux qu'elle saisit grâce à la télécommande. L'incursion de l'image vidéo s'effectue selon des modalités particulières qu'il convient d'observer: rupture de l'image cinématographique et substitution de celle-ci par la vidéographique. Cette dernière offre quelques invariants présents dans les autres films étudiés : le plan-séquence, l'instabilité du point de vue 1, la qualité de la texture et des couleurs. Cesmarques - probablement reconstituées - témoignent de la présence d'une caméra vidéo. Le plan-séquence est un choix qui permet de saisir le continuum temporel redécouvert par le néoréalisme. L'instabilité du point de vue trahit une pratique maladroite de la caméra vidéo. Enfin les couleurs délavées (rouge et bleu en particulier) et la texture plus lâche que celle de l'image cinématographique contribuent à donner cette impression «amateur» à l'image vidéographique. Le soin apporté à marquer ces traces au sein de l'image cinématographique constitue déjà une première interrogation sur les rapports entre la représentation et son référent. La fonction que Monica assigne à l'image vidéo pourrait déjà constituer un début de réponse. Le camescope, constamment en marche, filme les moindres faits et gestes de l'existence de la jeune femme qui tente sans cesse de reproduire du réel. Dans la scène finale, l'appareil imperturbable filme Monica et son agresseur et se change en témoin du viol et de la réaction violente de !'agressée. Quant aux larmes qui coulent sur son

visage lorsqu'elle revoit sur l'écran ses ébats amoureux, elles sont peut­être la marque d'un désespoir face au temps qui fuit et qu'elle tente vainement de retenir en le reproduisant.

L'image vidéo occupe également une place de choix dans le premier film d' Alejandro Amenabar, Tesis (1995) où l'auteur emprunte les chemins du cinéma gore pour conduire sa réflexion. Le substantif anglais gore signifie le sang versé et coagulé et désigne un certain type de film d'horreur dont Philippe Rouyer nous propose la définition suivante

.. . je définirai le cinéma gore comme un sous-genre de

l'horreur, qui soumet la thématique du film d'horreur à un traitement

formel particulier ; à intervalles plus ou moins réguliers, la ligne

I En cc qui concerne le point de vue, les choses sont plus complexes. En effet, l'image-vidéo se présente sous deux modalité différentes. Ou bien le point de vue est d'une grande instabilité, ou bien il est totalement uniponctucl. Nous en verrons des exemples ultérieurement.

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dramatique du film gore est interrompue ou prolongée par des scènes où le sang et la tripe s'écoulent des corps meurtris et mis en pièces 1 .

Le film d' Amenabar participe incontestablement du genre gore si nous nous référons aux scènes où le sang s'écoule en abondance, mais il le renouvelle par l'utilisation du matériau vidéographique. Ce cocktail n'est pas vraiment nouveau au cinéma, et il faut au moins évoquer le cas singulier d'Henry, portrait of a serial killer (1986) de John Mc Naughton. Traité sur le mode documentaire et underground, il retrace la sanglante cavale de trois sordides assassins qui passent le plus clair de leur temps à filmer leur massacre. Carlos, le jeune narrateur du roman de José Angel Mafias, Historias del Kronen (1994) résume en ces termes le film américain:

En el salon pongo el video. Jenriretratodeunasesino es mi peHcula favorita. La pelicula esta ya empezada: Jenri y Otis se han

ido a comprar una televisi6n. El dueiio de la tienda esta a punto de echar el cierre, pero les deja entrar y les recomienda televisiones hasta que, cansado de tanta indecisi6n, les pregunta cuanto dinero tienen. Jenri le clava un destornillador en la mano y empieza a acuchillarle mientras Otis, riendo, Je estrangula con un cable. Luego, cogen la televisi6n mas cara y una camara de video, y se las llevan a casa. Desde entonces, se dedican, en su tiempo libre, a filmar sus matanzas2.

Filme culte, Henry a dû attendre trois ans avant de sortir sur les écrans américains. Henry et Bosco, le tueur de Tesis, sont des psycho kil/ers,

figures familières du cinéma contemporain. Dernièrement des oeuvres américaines comme Lost Highway (1996) de David Lynch et Scream

(1997) de Wes Craven ont continué à mener une réflexion sur l'image vidéo, la violence et la mort. Dans Tesis nous trouvons une troisième composante qui constitue probablement l'originalité première du film. Le cinéaste construit son récit autour d'un snuff movie. En argot anglo­saxon, le verbe to snuff signifie « rendre le dernier soupir, mourir »,

1 Philippe Rouyer, Le Cinéma gore, Paris, Le Cerf, 1997, p. 19. 2 José Angel Maiias, Historias del Kronen, Barcelona, Ediciones Destino, 1994, p. 30. L'édition utilisée a été publié en 1997 dans la collection booket.

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mais également « se faire avoir». L'existence de ces films semble remonter aux années soixante-dix. En 1977, un bon père de famille fut ainsi arrêté aux États-Unis car il filmait des prostituées torturées puis assassinées devant la caméra. Paul Schrader fut le premier à évoquer le snuff dans son film Hardcore (1978). À l'origine de Tesis, il y a un texte particulièrement révélateur de Roman Gubem :

El snuff cinema, con sus matanzas reales ante la camara de incautas prostitutas o aspirantes a actrices, constituye el punto de convergencia definitivo del cine de terror y del cine pornogrâfico hard y, a la vez, constituye su ultima frontera posible. Se trata del ultimo estadio de la muerte violenta hecha espectâculo, que cuenta con tan extensa y gloriosa tradici6n en la cultura occidental: gladiadores del Coliseo, ejecuciones publicas, tauromaquia, boxeo, etc. Con la ventaja de que el snuff cinema permite reproducir una y otra vez el placer del voyeur, gracias a la conservaci6n de sus imâgenes sobre un soporte 1.

En proposant de la sorte l'image de la mort « en direct » produite pour l'écran, le snuff marque la limite extrême des rapports que peuvent entretenir le réel et sa représentation. Lorsque Bosco filme la torture et la mort de ses victimes, il assigne à la caméra un rôle de reproducteur mécanique du réel, un réel mis en scène pour les besoins d'un tournage. Dans la relation qui s'instaure alors, le référent est soumis à la volonté de la caméra et c'est cela qui apparaît comme inacceptable pour Chema : « jPero esto es real! ». Pour lui, il n'est de réalité qu'à partir du moment où la scène enregistrée l'a été pour les besoins de la prise de vue. C'est pour cela qu'il présente froidement à Angela des scènes insoutenables, tout aussi réelles, tirées de Fresh blood mais qui n'ont pas été« construites» pour la caméra : « Todo lo que vas a ver es real: atentados, fusilamientos, linchamientos. » Certes, c'est la réalité, mais pas celle du snuff. Or pour parler de cette réalité« véritable », le cinéaste propose des invariants, des traits vidéographiques identitaires comme la texture qui joue un rôle essentiel et dont Chema est un spécialiste : « Me refiero a la textura, joder. Fijate en las lineas horizontales. lEs que no has aprendido nada en cinco aflos? La textura es diferente. Creo que es una ampliaci6n digital. jEl gilipollas ha hecho un zoom digital! » Face à l'écran du téléviseur,

l Roman Gubem, La imagen pornogrâfica y otras perversiones 6pticas, Madrid, Akal/Comunicaci6n, 1989, p. 129.

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Chema et Angela observent la scène de torture et de mort. La texture, mais également une prédominance de blanc, de noir et de rose trahissent l'image vidéo. Il en est d'ailleurs de même avec les images provenant de la vidéo-surveillance qui a surpris Figueroa dans la vidéothèque ou Angela dans la salle de cinéma de l'université volant la cassette qui a causé la mort de son professeur. Dans ce cas, la prise, en noir et blanc, est uniponctuelle. Mais c'est encore du côté de l'expérience exogène que nous sommes avec ces exemples, car si l'image vidéographique se substitue à l'image cinématographique, elle reste simplement mise en abyme de façon assez conventionnelle. Déjà dans Peeping Tom [Le Voyeur] (1959) de Michael Powell, un cinéaste filmait l'assassinat de ses victimes grâce à une lame dissimulée dans Je pied de sa caméra.

Il ne faudra pas attendre longtemps pour que Tes is nous offre l'illustration d'une pratique endogène de l'image vidéo. À l'université Bosco filme les étudiantes qui passent devant le champ de son viseur et l'image vidéographique est de nouveau signifiée par un travail plastique qui diffère cependant du précédent par la disparition des effets de texture et de couleurs, puisque ici l'image est traitée dans un blanc et noir teinté de rose. C'est un traitement semblable que subira l'image lors de la première tentative d'assassinat d' Angela par Castro ou dans le tournage final. Nous pourrions ainsi relever quelques nuances d'une utilisation à une autre sans que cela vienne pour autant modifier sensiblement la place qui revient à l'image vidéographique. Entre témoignage et mort, il est encore et toujours question de réel.

Notre troisième exemple nous l'avons trouvé dans l'adaptation d'Historias del Kronen réalisé par Montxo Armendariz en 1994. Le film n'est pas avare en matériaux exogènes comme le téléviseur où alternent les reportages, les journaux télévisés ou les scènes chocs d'Henry dont nous parlions plus haut. Ce film est d'ailleurs doublement présent puisque Carlos et ses amis vont également le voir au cinéma. Mais là encore l'utilisation endogène du matériau vidéographique est tout à fait révélatrice d'une préoccupation déjà mise à jour dans les deux films précédents. Ce n'est qu'à la fin du récit que l'image vidéo va évincer l'image cinématographique. Pendant cinq longues minutes, nous allons assister à une scène d'une rare violence mêlant drogue, sexe, alcool et mort en direct. De nouveau, l'image vidéo est marquée par des invariants déjà identifiés comme la définition de la couleur, le continuum, la stabilité/instabilité du point de vue ... Tantôt tenue en main, tantôt posée à même le sol ou sur un lit, la caméra ne cesse de multiplier les points de

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L'image déréalisante. Essai sur la médiation vidéographique

vue, passant d'une ocularisation zéro à une ocularisation interne sans solution de continuité. Ce dernier trait d'écriture vidéographique mérite toute notre attention. La mobilité ou l'immmobilité apparaissent comme des traits pertinents dans ia mesure où elles incarneraient deux pratiques aberrantes qui s'opposeraient à l'équilibre cinématographique. D'une part, l'instabilité soulignerait une pratique maladroite de la caméra en rendant subjectif à l'extrême le point de vue, d'autre part, l'immobilité évacuerait totalement l' énonciateur pour ne laisser place qu'à un enregistrement mécanique et objectif du réel. Le point de vue, par atrophie ou par hypertrophie, permet ainsi de coder l'image vidéo. Ce qui se joue surtout dans l'image vidéo d'Historias del Kronen, c'est une fois encore la violence et le point de non-retour : le jeune Pedro va périr devant la caméra, il meurt d'avoir dû ingurgiter trop de whisky. La scène achevée, nous reviendrons à une pratique exogène puisque les jeunes assassins, quelques temps après, se projetteront la bande vidéo témoin de la mort du jeune homme. Cependant si l'utilisation endogène reste circonscrite à ces cinq minutes, sa fonction est déterminante et permet de mieux comprendre de quelle manière la pratique vidéographique conduit de nouveau à une réflexion plus intense sur les rapports entre l'image et le réel.

Dans un article publié en début d'année, Nathalie Magnan prétend que les progrès technologiques conduiraient à une « perte d'identité » des différents médias

La digitalisation de l'information égalise tous les supports, les

films sont post-produits à travers des machines électroniques, la

vidéo se retrouve sur les pages du Web, et bien des artistes qui ne se

disent pas artistes vidéo l'utilisent pourtant dans leur travai!1 .

Les exemples que nous avons choisis dans le cinéma espagnol contemporain montrent au contraire que l'identité de l'image vidéographique est non seulement préservée, mais que les différents cinéastes n'hésitent pas à s'en servir pour les besoins dramatiques du récit en lui faisant jouer un rôle spécifique dans les programmes narratifs. Que sa pratique soit exogène ou endogène, l'image vidéographique pose avec une plus grande acuité le problème du réel et de sa représentation. Elle permet de réactiver les remarques de Walter Benjamin relatives à l'atrophie

1 Nathalie Magnan, «Introduction», La Vidéo, entre arr et communication, Paris, École nationale

supérieure des Beaux-Arts, 1997, p. 14.

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Jean-Claude SEGUIN

de l'expérience. C'est en effet cette dernière qui est en cause tant dans Mas

que amor frenesf que dans Tesis ou Historias del Kronen. Reste donc àsavoir si le problème ne se situe pas dans les nouveaux rapports que nous avons établis avec le réel.

L'ATROPHIE DE L'EXPÉRIENCE

Placer une image vidéographique dans un récit cinématographique c'est avant tout admettre deux niveaux de reproduction du réel à l'intérieur d'un même film. Or l'histoire de l'art nous a appris combien la recherche d'iconicité avait animé de grands courants picturaux de la Renaissance au

Pop Art. Iconicité qui atteint avec la photographie et le cinéma un degré insoupçonné jusqu'alors. La croyance aveugle en la mimèsis a entraîné l'image dans une course effrénée que les moyens technologiques modernes n'ont fait qu'accentuer. Or le seuil d'attente du spectateur ne cesse de reculer comme le souligne Ernst Gombrich:

Lorsque fut inaugurée, au cinéma, la vision stéréoscopique de la

troisième dimension, il y avait une si grande différence entre l'expérience nouvelle et l'attente normale que beaucoup de

spectateurs éprouvèrent la joie de la parfaite illusion. Mais le pouvoir de l'illusion s'affaiblit à mesure que les normes de l'attente

s'affinent. Nous prenons comme un dû tout ce qui nous est donné, et

notre exigence s' accroît1 .

L'esthéticien met ici en évidence la course à l'iconicité qui s'est engagée depuis l'invention de la photographie. Mouvement, couleur, relief, images de synthèse, hologramme, tout concourt à égarer le spectateur dont les rares points de repère s'effondrent jour après jour. Les nouvelles technologies construisent une virtualité qui clone la réalité, qui se substitue à elle. Mais de cette lutte inégale entre pouvoir iconique et seuil d'attente, il y a fort à parier que ce dernier en sortira vainqueur. Les exemples traités montrent au contraire que la qualité de reproduction n'est plus un critère de fiabilité. Du moment où l'image peut être totalement composée, numérisée, elle semble perdre sa capacité à se substituer au réel. Les extraits vidéographiques dans les films considérés montrent qu'il

1 E. H. Gombrich, L' Art el L' Illusion, Paris, Gallimard, 1976, p. 53.

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L'image déréalisante. Essai sur la médiation vidéographique

ne faut plus envisager l'exploit technologique comme un critère d'iconicité. L'extrême qualité de l'image ne suffit plus à dire le réel. Tesis,

Historias del Kronen ou Mas que amor frenesf intègrent des fragments vidéographiques qui, dans leur maladresse et leur faible qualité technique, en disent bien davantage que la plus parfaite reproduction. Le rapport de ressemblance ne suffit plus et l'icone ne fait plus illusion. Qu'est-ce à dire ? Que la médiation ne passe plus par une exigence technique ou une simulation parfaite, mais par des traces d'écriture maladroite qui sont plus aptes à suggérer, par leur pouvoir indiciel, un réel. L'imperfection est plus réelle que la perfection, car porteuse de traces elle trahit mieux dans sa propre maladresse un« ça a été» pour reprendre l'expression de Barthes.

À cela il faut ajouter un second phénomène, une sorte de boulimie du réel. La quantité en dit plus que la qualité. Il n'est plus question de montrer mieux, mais de montrer davantage. Si comme nous le rappelle Pier Paolo Pasolini l'image est un univers composite de cinèmes,

fragments d'une réalité directement incrustée, l'attente est aujourd'hui du côté de leur multiplication, de leur prolifération. L'esthète a laissé sa place au consommateur et le sybarite désormais se goinfre. Feindre ne suffit plus, il me faut de l'image, un« vrai» fragment de la réalité. C'est pour cela que je ne peux plus me satisfaire d'une image truquée, trafiquée, ce n'est plus la seule vraisemblance qui est en jeu, c'est le réel lui-même. Ce que je vois de mon fauteuil c'est la trace univoque d'un fragment du réel auquel je veux avoir totalement accès. L'image doit tout me dévoiler, elle est impudique, elle devient pornographique. Pornographique le reportage télévisuel sur les massacres en Algérie, pornographique encore l'image du corps mutilé sous mes yeux de spectateur. Pornographique toujours Camino del Edén, un film dont Fotogramas parle en ces termes:

... ya se puede encontrar en Espaîia el vfdeo Camino del edén,

editado por Waken Vfdeo, una espeluznante pelfcula alemana que

muestra imâgenes reales de autopsias, dirigida por Robert Adrian

Pejo. En su presentaci6n durante el pasado Festival de Sitges,

impact6 a los espectadores con sus espeluznantes escenas 1.

Au toujours mieux, je réponds par toujours plus. Plus il aura d'indices dans l'image, plus mon sentiment de réel sera fort. Mon attente de spectateur n'est plus du côté de la technicité, de la qualité, de la fidélité de

l « Para muy curiosos », Fotogramas, n2 1847, septembre 1997, p. 148.

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Jean-Claude SEGUIN

la reproduction, bref de l'iconicité, elle se tourne désormais du côté dù réel lui-même. Mais le réel dont il vient d'être question ne semble plus suffire. Tel est le sens probable qu'il faut donner à la remarque d' Angela dans Tesis lorsqu'elle s'exclame : « No, no me refiero a un muerto en televisi6n. Me refiero a un muerto real. » Ce que disent les films espagnols évoqués, c'est que le spectateur n'attend plus l'enregistrement d'une réalité où la caméra ne serait qu'un témoin objectif et innocent. Cette passivité n'est plus apte à satisfaire la pulsion scopique du spectateur. Le sexe, la violence et la mort, nouvelle Trinité du vidéophile

1, devront se construire pour l'objectif qui les saisit. Le tas de

cadavres que j'aperçois sur l'écran de mon téléviseur, pour réel qu'il soit, ne me satisfait plus. La caméra et l'oeil qui ont saisi ces images sont innocents car ils n'ont fait que transcrire un événement« involontaire». L'attente est désormais du côté d'une image qui crée du réel pour en offrir une reproduction. Du réel non manipulé, des tranches de réel comme dans le cas du film X d'où la simulation est évacuée ou dans celui du snuff où le viol et la mort provoquée sont des actes créés pour la caméra. L'image vidéographique me donne à voir du réel, du hic et nunc, car elle a la rare faculté de me proposer simultanément la trace et son référent, abolissant de la sorte les limites, autorisant la substitution de l'un par l'autre. Si notre expérience s'est atrophiée comme le dit si justement Walter Benjamin, c'est que l'image ne médiatise plus simplement le réel, c'est qu'elle a pris tout bonnement sa place, toute sa place.

1 Pour s'en convaincre, il suffit de vérifier dans n'importe quel vidéo-club la part qui est accordée à

ce type de cinéma.

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