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Unité d'habitation de Marseille Le Corbusier

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Unité d'habitation de MarseilleLe Corbusier

Présentation de la restauration de la cuisine provenant de l'unité d'habitation de Marseillepar Charlotte Perriand et Le Corbusier

Carolina Hall, restauratrice du patrimoine, spécialité mobilier.

L'ŒUVRE ET LA MÉTHODE

Le musée des Arts décoratifs m'a confié dans le cadre de mon travail pour le master en restauration / conservation des biens culturels présenté à l'université Paris 1en novembre 2010, la restauration d'une cuisine-bar, provenant de l'unité d'habitation de Marseille, construite par Le Corbusier.Cette cuisine a été créée en 1952, par l'atelier Le Corbusier et par Charlotte Perriand pour équiper les cellules de l'unité d'habitation.Elle a été acquise par le musée des Arts décoratifs afin d'intégrer les collection du musée. A cette occasion, la conservatrice en chef du département contemporaindu musée a qualifié cet objet de « jalon tout à fait primordial non seulement de l'histoire du mobilier mais aussi de la réflexion sur la place de la femme dans lamaison. » Cette cuisine illustre en effet l'évolution des meurs de la societé, elle témoigne aussi de la modernité, de l'évolution de la notion de confort et elle estégalement une illustration du fonctionnalisme et de l'esprit novateur de ses créateurs. Elle est donc au cœur des problématiques traitées par l'institution.Elle a été conçue pour être fabriquée en série, mais la confection des meubles reste assez artisanale.Il s'agit d'un ensemble d'éléments qui emploie des matériaux divers (aluminium, contreplaqué...) et qui doit être monté en kit sur place.

Afin de mettre en évidence la problématique posée par cet objet, je vais faire une brève présentation de la méthodologie suivie dans ce projet, et notamment desprincipaux enseignements des différentes étapes (le constat d'état, le diagnostic et le travail de définition des objectifs de l'intervention).Je concentrerai ensuite ma présentation sur les modalités d'intervention et les techniques utilisées qui illustrent la manière dont la problématique posée par un objeta conditionné la recherche de techniques de comblements adaptées, et d'un recours spécifique aux adhésifs.

Le constat d'état sur un objet de cette envergure et composé de plusieurs matériaux, a permis d'identifier trois niveaux d'altération, à savoir :− des altérations structurelles, qui concernaient aussi bien la structure de chaque meuble que la cohésion de l'ensemble.− Les altérations des matériaux qui englobaient le vieillissement, l'usure, l'interaction entre matériaux, ou des altérations inhérentes à ceux-ci.− Et enfin les altérations de transformation, c'est-à-dire celles opérées par les usagers de la cuisine pendant ses années d'usage. La cuisine avait été repeinte,

par souci d'entretien mais aussi esthétique, les systèmes de fermeture changés, ainsi que les luminaires. Nous avons considéré qu'elles ne pouvaient pas êtredécrites comme les altérations des matériaux, parce qu'elles sont d'une autre nature. Elles ne consistent pas seulement en l'altération de la matière, mais encelle de l'œuvre dans sa dimension artistique ainsi qu'esthétique.

Le diagnostic, après le constat d'état, et un premier classement des altérations, a été l'occasion d'établir une grille d'analyse de chacune d'elles selon trois critères :− l'origine ou la cause de la dégradation,− leur caractère évolutif ou non (continuent-elles à dégrader l'œuvre ?),− leur impact sur l'œuvre (ont-elles un impact sur sa valeur d'usage, sur sa valeur historique ou artistique ?). Cette analyse a mis en évidence la différence entre

chaque altération, et a soulevé la question de la valeur culturelle qu'elle conférait à l'œuvre. Elle nous a mené à la conclusion que les altérations ne pouvaientpas être traitées de la même manière. Certaines étaient des altérations évolutives (comme la corrosion sur les parties métalliques, les moisissures, desproblèmes structuraux...) qu'il fallait stabiliser ; d'autres ne mettaient pas en péril l'œuvre mais avaient un impact sur ses valeurs culturelles. Toute interventionallait donc influer sur celles-ci.

Bien entendu, il fallait, comme première mesure à prendre, stabiliser les altérations évolutives afin d'assurer la sauvegarde de l'objet. Etant donnée la problématique

posée, il fallait à ce stade décider de l'intervention ou non sur les altérations de transformation. Nous avons fait trois propositions différentes à l'équipe scientifiquedu musée, qui se différenciaient par leur degré d'intervention mais aussi par la manière dont l'œuvre évoluerait :1. la conservation de la cuisine à son état d'arrivée au musée, considérant les transformations comme des traces de son histoire qui doivent être conservéess'agissant d'un objet qui est défini par son usage ;2. la restitution d'un état proche de son état d'origine (du point de vu matériel), mettant en avant le projet artistique de son créateur, sa modernité, par exemplepar le dégagement des couches de peinture rajoutées par ses usagers ;3. une solution intermédiaire qui permettrait de restituer une lecture de l'objet proche de son état d'origine (du point de vue artistique) tout en essayant degarder les modifications opérées pendant les années d'usage de la cuisine. Les altérations de transformation nuisaient à la lisibilité de l'œuvre. Les changementchromatiques par exemple, modifiaient radicalement le projet artistique des créateurs, d'autant plus que pour Le Corbusier et pour Charlotte Perriand, la couleur faitoffice de modénature dans leur architecture. Mais, il ne faut pas oublier que les successives couches de peinture ont été posées par les habitants et qu'ellesprésentaient l'intérêt de donner des informations, sur le goût des habitants, l'évolution de la mode, l'évolution du confort domestique ou des remises au normes desartéfacts, elles sont les traces du vécu de l'objet. Il pouvait donc être intéressant de les conserver.Une fois les possibilités exposées aux responsables de l'œuvre, nous avons rajouté un élément fondamental à notre réflexion, l'objectif de restauration.Il y avait un double objectif de la restauration, défini par l'équipe scientifique du musée. Le premier était de faire une intervention qui visait évidement la sauvegardede l'objet (stabilisations des altérations évolutives...). Le deuxième, celui de sa présentation au public au sein de l'exposition « Mobi-Boom, l'explosion du design enFrance (1946-1975) ». Sa présentation au public impliquait le montage de l'œuvre ainsi que la réalisation d'une structure d'accrochage des éléments. Ceci allaitrésoudre une certaine partie des problèmes structuraux, car l'un des problèmes était que les meubles avaient besoin d'être calés pour arriver à les imbriquer les unsdans les autres et assurer un bon maintien de l'ensemble.Mais encore, quant à la présentation de l'œuvre au public, il y avait la volonté de traiter l'objet comme une « period-room » en récréant l'ambiance de l'époque et enprivilégiant la valeur artistique de l'objet. Il fallait donc intervenir sur les altérations de transformation qui nuisaient à la lisibilité de l'œuvre.Les interventions nécessaires pour arriver à recréer l'objet comme à son époque de création étaient importantes et un problème de déontologie se présentait car,nous l'avons vu, chaque altération influence la valeur culturelle de l'œuvre.La solution a donc été de revenir aux couleurs d'origine au moyen de repeint pour conserver les anciennes couches. Dans les conditions que le chef de service dela conservation imposait, il fallait que l'intervention soit faite dans le plus grand respect de l'œuvre du point de vue déontologique, et il fallait même établir unprotocole de dérestauration afin de pouvoir retrouver l'objet dans le même état qu'à son arrivée au musée.

L'INTERVENTION

Parmi les méthodes que nous avons employées pour traiter les altérations de transformation, nous allons présenter seulement trois qui sont en relation avec le sujetde la journée d'étude :• les changement de couleurs,• les débordements de peinture,• les comblements.Les changement de couleurs :Comme nous l'avons dit, nous avons résolu le problème posé par la valeur culturelle en revenant aux couleurs d'origine tout en conservant, avec la technique durepeint, les différentes couches. Le problème que posait le repeint était le risque de fragiliser les couches à conserver par interaction entre les couches ancienneset nouvelles ou de les dissoudre avec les solvants. Il y avait donc un risque important à utiliser des peintures similaires.Ensuite, si l'on envisageait d'utiliser des peintures hydrosolubles, des problèmes d'adhérence aux anciennes couches se posaient.Nous avons alors réalisé des tests de solubilisation des couches pour connaître leurs réactivité aux solvants.Les couches de peinture ne sont pas réactives aux solvants non polaires comme le White Spirit, elles ne sont pas non plus réactives à l'eau. En revanche, ellescommencent à être solubles dans des solvants polaires comme l'éthanol, et sont très solubles dans l'acétone.

Nous avons testé les peintures en solution aqueuse. Elles présentaient l'inconvénient de se polariser en vieillissant et l'adhérence sur les couches était moyenne.Nous avons opté pour la recherche un matériau qui soit soluble dans l'eau mais non réactif à l'acétone. Nous nous sommes appuyé sur un diagramme de Teas pourarriver à l'obtention d'une fenêtre de non solubilité dans l'acétone, comme c'est le cas des matières protéinées.Cette différence de solubilité à permis de créer une interface entre les couches de peinture à conserver et la nouvelle. Les colles protéïniques, par contre, ne sontpas réactives à l'acétone et nous les avons testées comme couche d'isolation de la peinture à protéger.Pour tester les produits, nous avons réalisé des éprouvettes. Les éprouvettes cherchaient à imiter le support sur lequel les produits allaient être appliqués, à savoirles couches de peinture à conserver.Elles ont été faites par l'application de sept couches de peinture glycérophtallique, en créant des coulures, des aspérités ou en incluant des poussières entre lescouches afin de récréer un aspect proche de celui des meubles.Nous avons testé la colle de poisson, la colle de vessie natatoire d'esturgeon, et la gélatine de peau animal, à trois concentrations différentes. Nous avons observéla capacité des trois produits à former un film sur la peinture et leur adhésion. Une fois les films formés nous avons observé leur comportement au contact d'unegoutte des trois solvants : acétone, chlorure de méthylène et éthanol.Ensuite une couche de peinture à été appliquée pour tester la faisabilité de la dérestauration.Il en est ressorti que l'adhérence des trois produits changeait selon la concentration (meilleure adhérence à plus forte concentration). La colle de poisson présentaitle plus de difficulté à couvrir la surface, elle perlait en créant des gouttelettes. La gélatine couvrait parfaitement la surface même diluée à 10%.Concernant la capacité filmogène, nous avons observé que les trois produits présentaient des micro fissures après la formation d'un film et que la gélatine présentaitdes fissures plus petites.Au contact avec une goutte de solvant, la vitesse d'évaporation n'était bien entendu pas la même pour les trois solvant. La goutte d'éthanol a fait gonfler le film degélatine, et a dilué celui en colle d'esturgeon et en colle de poisson. Dans le cas de l'acétone et du chlorure de méthylène, la goutte de solvant s'est évaporée avantde pénétrer le film des trois produits. Nous avons augmenté le temps de contact et observé que le chlorure de méthylène faisait gonfler la couche de peinture plusrapidement que l'acétone.Enfin, nous avons testé le protocole de dérestauration sur nos éprouvettes. Il s'est avéré satisfaisant en utilisant la gélatine de peau, la colle d'esturgeon ou la collede poisson comme interface, toutes les trois capables d'isoler les couches de peinture à conserver au contact de l'acétone et du chlorure de méthylène.Nous avons choisi d'appliquer la gélatine de peau, car elle présentait de meilleures qualités filmogènes que la colle de poisson et de résistance au passage dessolvants.L'application de cette technique a permis de retrouver les couleurs d'origine en conservant (du point de vue de la matière) toutes les couches de peinture posées parles habitants, y compris les débordements de peinture sur les parties en bois apparent, qui ont été conservés.Les débordements de peinture sur les poignées en chêne déformaient les lignes droites, mais nous les avons conservés comme témoignage de ces altérations detransformation, car c'est le parti que nous avons pris et tenu pour l'intervention.Dans ce cas de figure, le traitement a été différent. En effet, il aurait été plus risqué d'enlever les retouches de couleurs illusionnistes sur les parties en boisapparent, car elles sont peu visibles. Une dérestauration, dans le cas où cela aurait été nécessaire, aurait impliqué l'utilisation de solvants risquant d'attaquer levernis d'origine. Alors, pour éviter tout risque, nous avons posé une couche de gélatine et ensuite les retouches de couleurs ont été faites avec un vernis à base deParaloid B69 qui est soluble dans du White Spirit.

Se posait ensuite la question des états de surface. Il y avait, par exemple, des surfaces très irrégulières, où l'on pouvait voir des écaillements de peinture recouvertsavec une, deux ou trois couches de peinture. Pour obtenir des surfaces lisses sans enlever de la matière, il était nécessaire d'enduire. Les enduits commerciauxprésentaient les mêmes inconvénients que les peintures : problèmes d'adhérence, problème de compatibilité, et de réversibilité. Comme pour les peintures, il fallaitégalement un produit qui soit soluble à l'eau, qui puisse être d'une mise en œuvre simple, étant données les surface à traiter.Après avoir fait une prospection des produits commerciaux, nous avons vu qu'il existent des enduits à base de pulpe de papier, qui pouvaient convenir à notre cas.L'utilisation d'un produit commercial pour les comblements de matière ainsi que pour enduire les surfaces n'était pas possible car la réversibilité n'était pas assurée.Par ailleurs, nous avons eu connaissance d'une méthode de comblement de manque de matière sur des panneaux en bois, utilisée par Aurélie Nicolaus, qui nous a

conseillés pour la formulation d'un produit à base de pulpe de papier.Nous avons créé un matériau de comblement avec des fibres cellulosiques comme charge et une colle hydroxypropylcellulose (Klucel G) comme liant. Cescomposants permettaient de retirer les comblements avec de l'eau sans le moindre risque pour l'œuvre.Trois concentrations différentes ont donné des viscosités qui ont permis des applications au pinceau, au couteau, ou bien son modelage. Elles offraient même lapossibilité de réaliser un estampage du manque de matière, de le faire sécher, de le retravailler si besoin et de le coller ensuite.Après séchage, le comblement, ou les enduits, pouvaient être poncés pour obtenir des surfaces très lisses. Une couche de gélatine isolait le comblement demanière à ce qu'il puisse être repeint.

Protocole de dérestaurationLes couches de peinture :1. repérer les surfaces à traiter2. A l'aide d'un coton-tige imbibé d'acétone retirer la couche de peinture appliquée. L'apparition d'une couleur différente indiquera que vous arrivez à la couchede gélatine. Il est possible d'utiliser un gel d'acétone, cela permet d'enlever la couche par zones.Il est déconseillé d'utiliser de l'éthanol car il pourrait dissoudre la couche de gélatine et atteindre les couches à conserver.3. La couche de gélatine doit être retirée avec de l'eau déminéralisée tiède.4. Les zones enduites ou comblées vont se distinguer également par le changement de couleur. Retirer l'enduit avec une éponge imbibée d'eau.Nous avons estimé que cette opération demanderait 80 heures de travail.

ConclusionDans ce travail de restauration j'ai eu entre autres enjeux de trouver les moyens techniques pour réintégrer tous les éléments d'origine d'un objet, ce qui supposaitune intervention assez lourde, mais justifiée par le parti pris de le traiter comme un « period-room », avec des opérations complétement réversibles.J'ai donné trois exemples qui illustrent la méthode que nous avons employée pour arriver à notre fin quand le sujet du comblement s'est posé. Notre intervention n'apas été conditionnée par les techniques, la recherche d' alternatives a été un exercice durant tout mon travail où l'ouverture à d'autres spécialités a été trèsbénéfique.Bien sur, la question de savoir pourquoi il faut intervenir doit se poser à chaque cas qui se présente, mais une fois que la réponse est trouvée, nous devons nousdonner les moyens et la possibilité technique de le faire, mais jamais au détriment de l'objet.

Cellule de la cité d'habitation

Cuisine avant intervention

Altérations structurelles

Altérations structurelles

Altérations des matériaux

Superposition des couches de

peinture

Perte dematière

salissure

Ecaillement de la peinture

Altérations des matériaux

Produits de

corrosion

Altérations de transformation

Superposition des couches de peinture, placard avec hotte aspirante

Couleur d'origine

Luminaire sous la hotte aspirante

Diagnostic

● Origine des altérations● Sont-elles évolutives ?● Quel impact ont-elles sur l'œuvre

quelle valeur culturelle privilégier ?

Propositions

● Conserver les traces du vécu● Restitution d'un état proche de son état

d'origine● Restitution de la lecture et conservation des

traces du vécu

Objectifs de l'intervention

● Sauvegarde de l'objet● Exposition « Mobi-boom, l'explosion du design

en France (1945-1975)● Period-room● Aucune intervention irréversible

L'intervention :les changements de couleur

Test de solubilisation

Éprouvette

Application de la peinture

Retouches sur les débordements de peinture

Les enduitsapplication au pinceau

Comblement

Comblement

Avant et après intervention

Présentation au public