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The Economy – L’Economie: Projet financé par INET, Sciences Po et Azim Premji University
Traduction financée et réalisée par le Département d'Economie de Sciences Po, avec l’accord de CORE project. Le Département d’Economie de Sciences Po assume toute responsabilité dans la traduction
(contactez Yann Algan).
UNITÉ 2
PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION
ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE
COMMENT NAÎT LE PROGRÈS TECHNOLOGIQUE ET COMMENT
IL AMELIORE DE MANIÈRE DURABLE LES CONDITIONS DE VIE
Cette Unité abordera les notions et faits suivants :
Les modèles économiques permettent d’expliquer la Révolution industrielle et les
raisons de son apparition en Grande-Bretagne.
Les salaires, le coût des machines et tous les autres prix ont un impact sur les
décisions économiques des acteurs.
Dans une économie capitaliste, l’innovation récompense temporairement les
innovateurs, ce qui incite à développer des technologies réduisant les coûts.
Ces récompenses sont ensuite détruites par la compétition, à mesure que
l’innovation se diffuse au sein de l’économie.
La population, la productivité du travail et les niveaux de vie peuvent interagir et
générer ainsi un cercle vicieux de stagnation économique.
La révolution technologique permanente propre au capitalisme a permis à certains
pays de réussir une transition vers une amélioration durable des conditions de vie.
2 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics
En 1845, une maladie nouvelle et mystérieuse apparut en Irlande. Elle faisait pourrir les
pieds de pomme de terre. Une fois l’infection visible, il était déjà trop tard. Ce qu’on
appellera plus tard le « mildiou » de la pomme de terre dévasta toutes les réserves
agricoles irlandaises jusqu’à la fin de la décennie. La famine gagna le pays. En tout, la
Grande Famine tua environ un million d’Irlandais, sur une population initiale de 8,5
millions d’habitants – un taux de mortalité équivalent à celui de l’Allemagne vaincue au
cours de la Seconde Guerre Mondiale.
La Grande Famine en Irlande déclencha une campagne internationale d’aide
humanitaire. Les communautés les plus diverses participèrent aux dons, des anciens
esclaves des Caraïbes, aux détenus de la prison Sing Sing à New-York, en passant par les
Bengalis, riches et pauvres, la tribu amérindienne des Chactas, et des figures de renom
telles que le sultan ottoman Abdülmecid et le pape Pie IX. A l’époque, tout comme
aujourd’hui, les gens ordinaires compatirent avec ceux qui souffraient et agirent en
conséquence.
Cependant, de nombreux économistes montrèrent bien moins de pitié. Nassau Senior,
un des économistes les plus réputés de son époque, s’opposa sans relâche à ce que le
gouvernement britannique fournisse de l’aide alimentaire, et un collègue horrifié de
l’Université d’Oxford rapporta qu’il déclarait « craindre que la famine de 1848 en
Irlande ne tue qu’un million de personnes tout au plus, ce qui serait tout à fait
insuffisant ».
La position de Senior est moralement repoussante. Pourtant, celle-ci n’était pas tant le
fruit de désirs génocidaires à l’encontre des Irlandais que de la doctrine économique la
plus influente de ce début du XIXe siècle, le malthusianisme. Cette théorie fut
développée par le pasteur anglais Thomas Robert Malthus, dans son Essai sur le
principe de population1 en 1798.
Selon Malthus, une augmentation durable du revenu par tête était impossible. En effet,
même si la technologie s’améliorait et accroissait la productivité du travail, à la
1 Une version en ligne gratuite est disponible en anglais: Malthus, Thomas R. 1798. ‘An Essay on the Principle of Population.’ Library of Economics and Liberty.
CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 3
moindre hausse de leurs revenus, les individus auraient plus d’enfants. Dès lors, la
croissance de la population se maintiendrait, jusqu’à ce que les conditions de vie se
dégradent suffisamment pour stopper l’augmentation de la population. A l’époque on
admit largement cette théorie d’un cercle vicieux de la pauvreté de Malthus, qu’on
estimait inexorable2. Celui-ci permettait d’expliquer pourquoi les revenus fluctuaient
d’une année sur l’autre, ou d’un siècle à l’autre, sans augmentation durable. C’est ce
qui a eu lieu dans de nombreux pays pendant au moins 7 siècles avant que Malthus ne
développe sa théorie, comme nous l’avons vu dans le Graphique 1.1a de l’Unité 1.
Contrairement à Adam Smith, dont la Richesse des Nations est apparue seulement 22
ans plus tôt, le livre de Malthus n’offrait pas une vision optimiste du progrès
économique – du moins en ce qui concerne les agriculteurs ordinaires ou les
travailleurs. Même si les individus parvenaient à améliorer la technologie, à long terme,
la grande majorité d’entre eux était condamnée à tout juste survivre de leurs revenus
agricoles.
Mais du vivant même de Malthus, un changement considérable eut lieu, qui permit
bientôt à la Grande-Bretagne de sortir du cercle vicieux de croissance démographique
et de stagnation du revenu par tête qu’il avait décrit. Ce changement qui permit à la
Grande-Bretagne de sortir du piège ou de la « trappe » malthusienne, et au cours du
siècle suivant à de nombreux autres pays également, fut la révolution industrielle, c’est-
à-dire une remarquable succession d’inventions radicales qui permirent de produire
autant de biens avec moins de travail.
Dans le textile, les inventions les plus célèbres comprennent la filature (spinning),
traditionnellement effectuée par les femmes (connues sous le nom de fileuses - ou
spinsters en anglais, terme qui ne désignait pas encore péjorativement les femmes non
mariées et relativement âgées) et le tissage, traditionnellement effectué par les
hommes. En 1733, John Kay inventa la navette volante, qui augmenta
2 Des indices suggèrent que les administrateurs coloniaux de l’époque victorienne considéraient la famine comme une réponse de la nature à la croissance démographie trop forte. Mike Davis soutient que leurs attitudes furent à l’origine d’une disparition d’hommes massive, sans précédent et qui était évitable ; il l’a qualifiée de « génocide culturel ». Voir : Davis, Mike. 2001. Late Victorian Holocausts: El Nino Famines and the Making of the Third World. London: Verso Books.
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considérablement la productivité du tissage. Cela provoqua une augmentation de la
demande en fil, à tel point qu’il devint difficile pour les fileuses d’en produire des
quantités suffisantes avec la technologie de l’époque, le rouet. La machine à filer
(spinning jenny) de James Hargreaves, développée en 1764, constitua une réponse à ce
problème.
Le progrès technologique fut également remarquable dans d’autres domaines. La
machine à vapeur de James Watt, développée en même temps qu’Adam Smith publiait
La Richesse des Nations, est un exemple typique. Ces innovations furent
progressivement améliorées sur une longue période, et elles finirent par se généraliser
dans toute l’industrie : non seulement dans le secteur minier où la première machine à
vapeur actionnait des pompes à eau, mais aussi dans le textile et dans d’autres
secteurs manufacturiers, ainsi que dans les secteurs ferroviaire et maritime. Ces
innovations constituent des exemples de ce qu'on appelle une innovation d'usage
général ou une technologie, comme l’ordinateur – que nous étudierons plus en détail
dans l’Unité 20 - l’a été lors des dernières décennies.
Le charbon jouait un rôle central, et le sol de la Grande-Bretagne en recelait en
abondance. Avant la révolution industrielle, une grande partie de l'énergie utilisée dans
l'économie était en fait produite par les plantes comestibles, qui transforment la
lumière du soleil en nourriture pour les animaux et les hommes, ou par les arbres dont
le bois pouvait être brûlé ou transformé en charbon de bois. En optant pour la houille,
les hommes purent exploiter de vastes réserves de ce qui était, essentiellement, de
l’énergie solaire fossilisée. Cela leur permit d'accroître considérablement la production.
L’inconvénient en est que le passage aux combustibles fossiles a eu des répercussions
majeures sur l'environnement, comme nous l'avons vu dans l’Unité 1 et comme nous
développerons dans le Chapitre 18.
Ces inventions, concomitantes avec d’autres innovations développées lors de la
révolution industrielle, ont eu pour effet de briser la logique du cercle vicieux que
décrit Malthus. Les avancées technologiques ont augmenté la quantité qu’une
personne pouvait produire au cours d’une période de temps donnée, permettant aux
revenus d’augmenter même lorsque la population s’accroissait. Aussi longtemps que la
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technologie continuait à s’améliorer à un rythme suffisant, elle permettait de surpasser
la croissance de la population qui suivait inexorablement la hausse des revenus. Le
niveau de vie pouvait alors croître. Bien plus tard, les individus opteraient pour des
familles plus petites, même lorsque leurs revenus leur permettaient de subvenir aux
besoins de grandes familles.
C’est ce qui eut lieu en Grande-Bretagne, et, plus tard, dans de nombreux endroits du
monde.
Illustration 2.1 Salaires réels au cours de 7 siècles : artisans (travailleurs qualifiés) à
Londres (1264-2001)
Source : Les méthodes utilisées pour obtenir ces chiffres sont détaillées dans : Allen, R. C. 2001. `The
Great Divergence in European Wages and Prices from the Middle Ages to the First World War’,
Explorations in Economic History 38 (4): 411-447
Le Graphique 2.1 montre un indice du salaire réel moyen3 d’un artisan de Londres
entre 1264 et 2001. On y remarque la longue période au cours de laquelle les
3 Le terme « réel » indique que le salaire monétaire (disons, 6 shillings par heure à l’époque) de chaque année a été ajusté pour tenir compte des changements de prix au cours du temps. Le résultat représente le pouvoir d’achat réel de l’argent gagné par les travailleurs. Le terme « indice » indique la valeur d’une mesure par rapport à sa valeur dans une autre année, dans le cas qui nous intéresse,
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conditions de vie, piégées dans la logique malthusienne, sont restées à un niveau
faible ; et l’amélioration considérable qui a eu lieu après 1830.
Pourquoi la machine à filer, la machine à vapeur et tout un ensemble d’autres
inventions ont-ils émergé et se sont-ils propagés dans l’industrie en Grande-Bretagne
et pas ailleurs ? Il s’agit d’une des questions les plus célèbres et les plus importantes de
l’histoire économique et les historiens continuent de débattre du sujet.
Dans cette unité, nous fournissons une explication des raisons pour lesquelles la
technologie s’est améliorée, pourquoi cela a d’abord eu lieu en Grande-Bretagne au
XVIIIe siècle, et pourquoi cela n’a pas eu lieu plus tôt et ailleurs. Nous expliquerons
également pourquoi il était si difficile de s’échapper de la longue partie plate de la
courbe en forme de crosse de hockey représentant les conditions de vie en Grande-
Bretagne et dans le monde entier au cours des deux derniers siècles. Pour cela, nous
construisons des modèles, c’est-à-dire des représentations simplifiées qui nous aident à
comprendre ce qui se passe en se concentrant sur ce qui est important. Les modèles
nous aideront à comprendre l’accélération sur la courbe en forme de crosse de hockey,
ainsi que le « manche », la partie plate qui l’a précédée.
2.1 LES MODÈLES ÉCONOMIQUES : COMMENT VOIR DAVANTAGE EN REGARDANT
MOINS DE CHOSES
Le fonctionnement de l’économie dépend des actions de millions d’individus, et des
effets que leurs décisions ont sur le comportement des autres. Il serait impossible de
comprendre l’économie en décrivant minutieusement chaque acte individuel et
comment ils interagissent avec les autres. Il nous faut prendre du recul et nous situer
dans une perspective générale. Pour cela, nous utilisons des modèles.
Créer un modèle efficace nécessite de distinguer les caractéristiques essentielles de l’année de référence est 1850 ; elle prend la valeur 100. Le choix de l’année de référence est arbitraire; le graphique de la série de données aurait la même forme si une autre année avait été sélectionnée. La série serait simplement plus haute ou plus basse dans le plan, mais elle garderait la même forme: celle d’une crosse de hockey.
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l’économie – qui sont pertinentes pour répondre à notre question et qui doivent être
incorporées au modèle – et les détails sans importance, qui peuvent être ignorés.
Il existe de nombreuses formes de modèles – et vous avez déjà pu en voir trois dans les
Schémas 1.8, 1.9 et 1.18 de l’Unité 1. Par exemple, le Schéma 1.18 illustrait le fait que
les interactions économiques impliquent des flux de biens (par exemple lorsque vous
achetez une machine à laver), de services (l’achat de coupes de cheveux ou de tickets
de bus), et aussi d’individus – lorsque vous passez une journée à travailler pour un
employeur.
La Figure 1.18 est un modèle schématique, qui illustre les flux ayant lieu au sein de
l’économie, et entre l’économie et la biosphère. Le modèle n’est pas « réaliste » -
l’économie et la biosphère ne ressemblent en rien à cela –, mais il illustre néanmoins
les relations qui existent entre elles. Le fait que le modèle omette de nombreux détails
– le rendant, en ce sens, irréaliste – est une propriété du modèle, pas une anomalie.
Certains économistes ont utilisés des modèles physiques pour illustrer et explorer le
fonctionnement de l’économie. Pour sa thèse de doctorat de 1891 soutenue à
l’Université de Yale, Irving Fisher a conçu un instrument hydraulique (Graphique 2.2)
pour représenter les flux de l’économie. L’appareil était constitué de leviers
interconnectés et de citernes d’eau flottantes, et montrait comment les prix des biens
dépendent de la quantité produite de chaque bien, des revenus des consommateurs et
de la valeur qu’ils accordent à chaque bien. L’ensemble du système cessait de bouger
lorsque le niveau d’eau de chaque citerne devenait identique au niveau d’eau du
réservoir ambiant. La position d’un indicateur dans chaque citerne révélait alors le prix
du bien. Au cours du quart de siècle qui suivit, Fisher utilisa cette machine pour
enseigner à ses étudiants comment fonctionnaient les marchés.
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Illustration 2.2 Schéma du modèle hydraulique d’équilibre économique par Irving
Fisher
Source: Brainard, William C., and Herbert E. Scarf. 2005. ‘How to Compute Equilibrium Prices in 1891.’
American Journal of Economics and Sociology 64(1):57-83.
Comment les modèles sont utilisés en économie
L’étude de l’économie menée par Fisher illustre la façon dont les modèles sont utilisés.
1. Tout d’abord, il a construit un modèle pour capturer les éléments de l’économie
qu’ils pensaient importants pour la détermination des prix
2. Il a ensuite utilisé le modèle pour montrer comment les interactions entre les
éléments pouvaient générer un ensemble de prix stable
3. Finalement, il a réalisé des expériences avec ce modèle, pour découvrir les effets
d’un changement des conditions économiques : par exemple, si l’offre d’un des
biens augmente, quel est l’effet sur son prix ? Quel est l’effet sur le prix des
autres biens ?
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Ne pensez pas qu’Irving Fisher était une sorte d’excentrique4 simplement parce que sa
thèse de doctorat représentait l’économie comme une grande cuve remplie d’eau. Il
est par la suite devenu l’un des économistes les plus réputés du XXe siècle, et ses
recherches ont fondé les théories modernes de l’emprunt et du prêt que nous
présentons dans l’Unité 11.
La machine de Fisher illustre un concept important en économie. Un équilibre est une
situation autoentretenue, c’est-à-dire où la quantité qui nous intéresse n’évolue pas, à
moins que ne soit introduite une force de changement extérieure qui modifie
fondamentalement les données. L’appareil hydraulique de Fisher représentait
l’équilibre, dans son modèle d’économie à marchés multiples et différents, via
l’égalisation des niveaux d’eau, représentant des prix constants.
Nous utiliserons le concept d’équilibre pour expliquer les prix dans les unités suivantes,
mais ici, nous montrons que dans le modèle malthusien, l’équilibre correspond à un
salaire égal au niveau de subsistance. En effet, tout comme les différences de niveaux
d’eau dans les différentes citernes de la machine de Fisher, toute déviation des salaires
par rapport au niveau de subsistance dans le modèle malthusien est autocorrectif : les
salaires reviennent au niveau de subsistance.
Remarquons qu’un équilibre signifie qu’un ou plusieurs éléments sont constants. Cela
ne signifie pas que rien ne change. Nous verrons également que le changement (par
exemple le taux de croissance du PIB par tête, ou le taux auquel les prix augmentent)
peut également être un équilibre aussi longtemps qu’il est auto-entretenu.
Bien qu’il soit improbable que vous ayez à construire vous-même un modèle
hydraulique, vous aurez à travailler avec de nombreux modèles, sur feuille ou sur
ordinateur, et parfois, à créer vos propres modèles de l’économie. Le processus
d’élaboration d’un modèle suit les étapes suivantes :
Effectuer une description simplifiée des conditions dans lesquelles les individus
4 Au contraire, son travail a été décrit par Paul Samuelson, lui-même l’un des plus grands économistes du XXe siècle, comme la plus « grande thèse de doctorat en économie jamais écrite ».
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agissent.
Décrire en termes simples les déterminants de leurs actions.
Déterminer l’impact des différentes actions possibles sur les autres individus.
Établir les résultats de ces actions. Il s’agit souvent d’un équilibre (où une
quantité au moins est constante).
Enfin, approfondir notre connaissance du modèle en étudiant les conséquences
lorsque les conditions initiales sont modifiées.
Les modèles économiques font tout autant appel à des équations mathématiques et à
des graphiques, qu’à l’utilisation des mots. Les mathématiques font partie du langage
de l’économie, et elles aident souvent à réaliser des énoncés précis et facilement
compréhensibles par d’autres. La plupart des connaissances de l’économie, cependant,
ne peuvent pas être exprimées à l’aide des mathématiques, mais nécessitent des
représentations verbales claires, utilisant les définitions usuelles des termes.
Nous utiliserons les mathématiques aussi bien que les mots pour décrire les modèles.
Nous les présenterons généralement sous la forme de graphiques, mais vous pourrez
également avoir accès à certaines des équations derrière les graphiques si vous le
souhaitez. Pour ce faire, consultez les suppléments Leibniz référencés dans le texte
Vous pouvez consulter les annexes Leibniz à cette fin (vous pouvez lire une
introduction ici).
LES MODÈLES
Quelles sont les caractéristiques d’un bon modèle ?
Il est clair : il aide à mieux comprendre quelque chose d'important.
Ses prédictions sont précises : elles sont cohérentes avec les preuves
empiriques.
Il améliore la communication : il nous aide à comprendre les points sur
lesquels nous sommes d'accord (et en désaccord).
Il est utile : nous pouvons l'utiliser pour améliorer le fonctionnement de
l'économie.
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Un modèle commence avec des suppositions ou des hypothèses relatives au
comportement des individus, et donne souvent des prédictions sur des faits que nous
observons dans l’économie. Collecter des données sur l’économie et les comparer avec
les prédictions du modèle aide à déterminer si les hypothèses simplificatrices et les
choix de modélisation – les variables que l’on décide d’inclure et d’exclure – étaient
justifiés.
Les gouvernements, les banques centrales, les entreprises, les syndicats, et plus
généralement toute personne impliquée dans la conception de politiques publiques ou
dans la prospective utilise des formes de modèles simplifiés.
Comme nous le verrons, les mauvais modèles mènent souvent à des politiques
désastreuses. Pour avoir confiance dans les modèles, il faut les confronter aux preuves
empiriques.
Nous verrons que les modèles économiques du cercle vicieux de la pauvreté,
développé par Malthus, et celui de la révolution technologique permanente, passent ce
test avec succès, bien qu’ils laissent de nombreuses questions sans réponse.
DISCUSSION 1 : ÉLABORER UN MODÈLE
Observez la carte des voies ferrées ou du réseau de transport public d’un pays (ou
d’une ville) de votre choix.
D’après vous, comment celui qui a conçu le modèle a-t-il choisi les dimensions de la
réalité qui devaient être intégrées dans le modèle?
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2.2 LES CONCEPTS FONDAMENTAUX : PRIX, COÛTS ET RENTES D’INNOVATION
Nous introduisons maintenant un modèle économique permettant d’aider à
comprendre les circonstances dans lesquelles de nouvelles technologies sont choisies,
à la fois dans les économies du passé et dans les économies contemporaines. Le
modèle contribue également à expliquer pourquoi certaines technologies qui ont été
remplacées au cours de la révolution industrielle (comme les métiers manuels) sont
toujours utilisées aujourd’hui dans certaines parties du monde.
Pour construire le modèle, nous utilisons quatre idées-clés de la modélisation
économique:
L’hypothèse « ceteris paribus » et d’autres simplifications nous aident à penser
avec clarté. Nous voyons davantage en regardant moins de choses.
Les incitations jouent un rôle, car elles affectent les avantages et les coûts
associés à une action, plutôt qu’à une autre.
Les prix relatifs nous permettent de comparer plusieurs choix.
La rente économique est au fondement de la prise de décision.
Une partie du processus d’apprentissage de l’économie consiste à apprendre un
nouveau langage. Les termes ci-dessus apparaîtront souvent dans les unités suivantes,
et il est important d’apprendre à les utiliser précisément et avec assurance.
L’hypothèse « ceteris paribus » et la simplification
Comme souvent en recherche scientifique, les économistes simplifient fréquemment
l’analyse en laissant de côté tout ce qu’ils considèrent comme étant de moindre
importance en utilisant l’expression « toutes choses égales par ailleurs », ou, plus
souvent, sa traduction latine, ceteris paribus. Par exemple, dans la suite du cours, nous
simplifions l’analyse des comportements d’achats en ignorant des éléments comme la
fidélité aux marques ou ce que les autres pensent de nos choix. Ces hypothèses de
ceteris paribus, si elles sont bien utilisées, peuvent clarifier le propos sans altérer les
faits essentiels.
CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 13
DISCUSSION 2.2 : ATTENTION, L’HYPOTHÈSE CETERIS PARIBUS PEUT INDUIRE EN
ERREUR !
Selon la question qui est posée, l’hypothèse ceteris paribus peut vous induire en erreur.
Dans l’exemple de comportement d’achat cité ci-dessus, pensez aux questions pour
lesquelles l’hypothèse ceteris paribus (la loyauté et la représentation de soi ne sont pas
importantes dans le modèle) peut mener à des conclusions erronées.
Ainsi, pour étudier comment un système économique capitaliste promeut le progrès
technologique, les choses que nous voudrions « maintenir constantes » dans le plus
simple des modèles possibles comprennent les différences de salaire et de prix des
autres facteurs de production d’une ville à une autre, les différences de degrés de
connaissance des technologies utilisées dans les autres entreprises et l’attitude des
propriétaires d’entreprise (ou de leurs dirigeants) vis-à-vis de la prise de risque. En
d’autres termes, nous supposons dans ce cas que :
Le prix des différents facteurs de production est identique pour chaque
entreprise.
Chaque entreprise a connaissance des technologies utilisées dans les autres
entreprises.
Les propriétaires des entreprises ont tous la même attitude vis-à-vis du risque.
Les incitations ont de l’importance
Pourquoi l’eau de la machine hydraulique de Fisher représentant l’économie se
déplaçait-elle lorsque la quantité d’ « offre » ou de « demande » d’un ou plusieurs
biens changeait, de sorte que les prix n’étaient plus à l’équilibre ?
La gravité agit sur l’eau de sorte qu’elle atteigne le niveau le plus bas possible.
Les canaux permettaient à l’eau d’atteindre le niveau le plus bas possible, mais
ils restreignaient ses possibilités d’écoulement.
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Tous les modèles économiques renferment quelque chose de similaire à la gravité et
une description du type de mouvements qui sont possibles. L’équivalence de la
« gravité » dans les modèles économiques est l’hypothèse selon laquelle les individus
aspirent toujours à faire au mieux (d’après un certain critère) en prenant une décision.
L’analogie avec la libre circulation de l’eau dans la machine de Fisher repose sur le fait
que les individus sont libres d’agir comme ils l’entendent, plutôt que de se voir imposer
une option plutôt qu’une autre. C’est ici que les incitations économiques entrent en
jeu. Il existe toutefois également des limites aux actions que les individus peuvent
réaliser : toutes les possibilités ne leur sont pas ouvertes.
Comme de nombreux modèles économiques, celui que nous utilisons pour expliquer la
révolution technologique permanente est fondé sur l’idée que les individus et les
entreprises répondent aux incitations économiques. Comme nous le verrons dans
l’Unité 4, les individus sont motivés non seulement par un désir de gain matériel, mais
également par l’amour, la haine, le sens du devoir et le désir d’approbation. Mais le
confort matériel reste un objectif prédominant ; ce qui explique le succès des
incitations économiques.
Lorsque les propriétaires ou les dirigeants d’entreprises décident du nombre de
travailleurs à embaucher, ou lorsque les clients déterminent ce qu’ils achètent et en
quelle quantité, les prix sont un facteur essentiel dans leur prise de décision. Si les prix
sont bien plus faibles dans le supermarché discount que dans l’épicerie située au coin
de la rue, et si le supermarché discount n’est pas trop loin, cela constitue un bon
argument pour faire ses courses dans ce dernier.
Les prix relatifs
Une troisième caractéristique de nombreux modèles économiques est que, dans ce
cadre, nous nous intéressons aux ratios et non pas aux niveaux absolus, car l’économie
s’attache aux alternatives et aux choix. Par exemple, ce n’est pas le prix dans un
magasin donné qui importe, mais ce prix comparé au prix dans un autre magasin. En
d’autres termes, les prix relatifs jouent un rôle dans les décisions des clients ou des
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consommateurs, comme la théorie économique a tendance à les appeler. Si les
supermarchés baissaient leurs prix, mais qu’en réponse les magasins de proximité
baissaient proportionnellement leurs prix, les consommateurs n’auraient aucune
incitation à ne pas faire leurs courses dans les épiceries du quartier.
Les prix relatifs sont simplement le prix d’une option relativement à celui d’une autre
option. Nous exprimons souvent les prix relatifs comme un ratio de deux prix. Nous
verrons qu’ils sont très importants pour expliquer non seulement ce que les
consommateurs décident d’acheter, mais aussi pourquoi les entreprises prennent les
décisions qu’elles prennent.
Positions de réserve et rentes
Pour expliquer la sortie de la partie plate de la crosse de hockey, nous avons besoin de
comprendre les choix effectués par les inventeurs et les entreprises à l’époque de la
révolution industrielle. Les prix qui importaient le plus à l’époque étaient ceux de
l’énergie (par exemple, le charbon nécessaire à l’alimentation des machines à vapeur)
ainsi que le taux de salaire (le prix d’une heure du temps d’un travailleur). Le ratio des
deux – le prix du charbon relativement au prix du travail – joue un rôle important dans
notre histoire de l’économie.
Imaginez que vous avez trouvé un moyen de générer une reproduction électronique de
sons de haute qualité, qui coûte nettement moins cher que les autres méthodes
utilisées. Vos concurrents ne peuvent pas en faire autant, soit parce qu’ils n’arrivent
pas à développer cette méthode, soit parce que vous avez breveté ce procédé, rendant
illégale toute tentative de vous copier. Supposons qu’ils continuent à proposer leurs
services à un prix nettement supérieur à vos coûts.
Si vous proposez un prix identique ou juste inférieur au leur, vous pourrez vendre
autant que ce que vous pouvez produire : vous fixez donc le même prix qu’eux, et
réalisez des profits bien plus élevés que ceux de vos concurrents. Dans ce cas, nous
disons que vous profitez d’une rente d’innovation. Les rentes d’innovation sont une
forme de rente économique – et il existe des rentes économiques partout dans
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l’économie. Elles constituent l’une des raisons pour lesquelles le capitalisme peut être
un système aussi dynamique.
Nous utiliserons le concept de rente d’innovation pour expliquer une partie des
facteurs contribuant à la révolution industrielle. Mais la rente économique est un
concept général qui nous aidera à expliquer de nombreuses autres caractéristiques de
l’économie capitaliste.
Si en choisissant une action (appelons-la : action A), vous recevez des bénéfices plus
élevés que ceux que vous auriez reçus en sélectionnant votre deuxième meilleure
option, on dit que vous avez bénéficié d’une rente économique :
Rente économique = bénéfice de l’option choisie
– bénéfice de la deuxième meilleure option
Le terme « rente économique » peut facilement être confondu avec son homonyme
« rente », qui correspond à un revenu périodique stable qui ne provient pas de son
travail (par exemple, les loyers d’appartements dont on est propriétaire). Or dans la
rente économique, il n’y a ni régularité ni certitude. Pour éviter la confusion, lorsque
que nous parlons de rente économique, nous utilisons souvent l’expression complète
de « rente économique ».
L’action alternative B, qui a le bénéfice net le plus élevé après A, est souvent appelée
l’« alternative de second rang », votre « position de réserve » ou votre « option de
réserve ». Elle est « en réserve » au cas où vous ne choisiriez pas A. Ou si vous
bénéficiez de A, mais que pour une raison ou pour une autre vous ne pouvez plus en
bénéficier, votre option de réserve est votre plan B, aussi appelé « option de repli ».
La rente économique nous donne une règle de décision simple :
Si l’action A peut vous procurer une rente économique (et si personne d’autre
n’est affecté de façon négative) : réalisez la !
Si vous réalisez déjà l’action A et qu’elle vous permet de bénéficier d’une rente
CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 17
économique : continuez ainsi !
Cette règle de décision sous-tend notre explication des raisons pour lesquelles la
combinaison de la propriété privée, des marchés et des entreprises promeut
l’innovation. Dans la section suivante, nous comparons la technologie A et la
technologie B.
Pour expliquer comment sortir de la trappe malthusienne, nous utilisons les concepts
fondamentaux du capitalisme : la propriété privée, les marchés et les entreprises. Nous
montrons comment, lorsqu’elles fonctionnent correctement, comme illustré dans le
Schéma 1.11 de l’Unité 1, ces institutions fournissent les carottes et les bâtons qui
stimulent à la fois l’invention et la diffusion des innovations.
La propriété privée : le fait que l’entreprise relève de la propriété privée signifie
que les profits réalisés après paiement des coûts vont aux propriétaires, et qu’ils
ne seront pas perdus à cause de vols ou de confiscation par l’État. Les
entreprises qui trouvent des manières de réduire les coûts de production sans
réduire la qualité réalisent des rentes économiques conséquentes, jusqu’à ce
que leurs concurrents les imitent ou trouvent d’autres manières de réduire les
coûts. Ces rentes sont les incitations qui sous-tendent le processus d’innovation.
Les marchés : le fait que l’entreprise soit en concurrence sur les marchés en
vendant des biens à faible coûts signifie que ceux qui décrochent font faillite.
Ceci force les entreprises soit à copier les innovations de la première entreprise,
soit à réduire les coûts d’une autre manière. Cela constitue un type de version
économique de la sélection naturelle de Charles Darwin, qui pourrait être
reformulée ainsi : « la survie du plus profitable ». Si la rente économique rendue
possible par l’innovation est la carotte, la perspective d’une faillite pour ceux qui
décrochent représente le bâton.
Les entreprises : le fait que l’essentiel de la production est réalisée au sein des
entreprises plutôt que dans des familles ou par des gouvernements signifie que
celles qui ont du succès sur leur marché peuvent croître, en attirant plus de
financements pour acheter des biens d’équipement, en embauchant plus
d’employés, ce qui bénéficie à leurs clients et ce qui augmente les profits de
18 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics
leurs propriétaires. Inversement, si l’entreprise ne réussit pas le test que lui
impose le marché, elle finira par disparaître.
Les carottes et les bâtons qui génèrent l’incitation constante à réduire les coûts sont
plus importants lorsqu’ils fonctionnent dans un système économique combinant
propriété privée, marchés et entreprises, que dans les systèmes économiques
antérieurs au capitalisme, quand ces trois institutions n’existaient pas toutes encore.
L’émergence des institutions capitalistes au XVIIIe siècle a donc créé des conditions
favorables au progrès technologique continu, qui est d’abord apparu en Angleterre puis
qui s’est étendu à d’autres pays du monde.
2.3 LA MODÉLISATION D’UNE ÉCONOMIE DYNAMIQUE : LES INNOVATIONS QUI
RÉDUISENT LES COÛTS ET LA COMPÉTITION
Utilisons maintenant ces principes de modélisation et d’encouragement à l’innovation
pour expliquer le progrès technologique dans un système économique capitaliste. Pour
cela, il nous faut procéder selon trois étapes :
1. Qu’est-ce qu’une technologie ?
2. Comment une entreprise évalue-t-elle le coût des différentes technologies ?
3. Comment une innovation réussie augmente-t-elle les profits d’une entreprise ?
Qu’est-ce qu’une technologie ?
Si nous demandons à un ingénieur de dresser une liste des technologies disponibles
pour produire 100 mètres de drap, lorsque les facteurs de production sont le travail (le
nombre de travailleurs travaillant pendant une journée ordinaire de travail, disons 8
heures) et l’énergie (en tonnes de charbon), la réponse peut être représentée dans un
diagramme et un tableau tels que ceux du Graphique 2.3. Les cinq points du
diagramme représentent cinq technologies différentes. Par exemple, la technologie E
requiert 10 travailleurs et une tonne de charbon pour produire 100 mètres de drap.
CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 19
Nous décrivons la technologie E, comme étant relativement intensive en travail et la
technologie A, comme étant relativement intensive en énergie. Si une économie qui
utilisait la technologie E passait à la technologie A ou B, nous dirions qu’elle adopterait
une technologie réalisant des « économies de main-d’œuvre », car la quantité de
travail utilisée pour produire 100 mètres de drap avec ces deux technologies est
inférieure à celle utilisée avec la technologie E. C’est ce qui s’est passé au cours de la
révolution industrielle.
Vous pouvez utiliser la barre de défilement du Graphique 2.3 (graphique interactif)
pour représenter les cinq technologies dans le diagramme.
Illustration 2.3 Différentes technologies pour produire 100 mètres de drap
Le tableau décrit cinq technologies différentes auxquelles nous faisons références dans
la suite de cette section. Elles utilisent différentes quantités de travail et de charbon,
comme facteurs de production pour réaliser 100 mètres de drap. La technologie A est
la plus intensive en énergie, utilisant 1 travailleur et 6 tonnes de charbon. La
technologie B utilise 4 travailleurs et 2 tonnes de charbon : c’est une technologie plus
intensive en main d’œuvre que A. La technologie C utilise 3 travailleurs et 7 tonnes de
charbon. La technologie D utilise 5 travailleurs et 5 tonnes de charbon. Enfin la
20 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics
technologie E utilise 10 travailleurs et 1 tonne de charbon. C’est la technologie la plus
intensive en main d’œuvre parmi les cinq autres.
Quelle technologie l’entreprise adoptera-t-elle ? La première étape est d’éliminer les
technologies qui sont manifestement inférieures. Dans le Graphique 2.4, nous
commençons par la technologie A, et nous déterminons s’il existe une technologie
alternative qui nécessite au moins autant de travail et de charbon. Si une telle
technologie existe, elle est inférieure. L’aire rose montre toutes les combinaisons
possibles de travailleurs et de charbon qui sont inférieures à la technologie A. La
technologie C est inférieure : pour produire 100 mètres de drap, elle requiert plus de
travailleurs (3 contre 1) et plus de charbon (7 tonnes contre 6). La technologie C est
dominée par la technologie A : il n’existe pas de conditions réalistes (pas d’ensemble de
prix positifs par exemple) qui conduiraient une entreprise à utiliser la technologie C
lorsque la technologie A est disponible. Le graphique présente les technologies qui sont
dominées, et celles qui sont dominantes.
Illustration 2.4 La technologie A domine la technologie C ; la technologie B domine la
technologie D
Comme dans le Graphique 2.3, les cinq technologies de production pour 100 mètres de
drap sont représentées par les points A à E. Nous pouvons utiliser ce graphique pour
CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 21
montrer quelles sont les technologies qui dominent les autres. Il est évident que la
technologie A domine la technologie C : la même quantité de drap peut être produite
en utilisant A, qui requiert moins de travail et moins d’énergie. Cela signifie que, dès
lors que A est disponible, C n’est jamais utilisée. La technologie B domine la
technologie D : la même quantité de drap peut être produite en utilisant B, qui requiert
moins de travail et moins d’énergie. Remarquez que B dominerait n’importe quelle
autre technologie située dans l’aire bleutée située au-dessus du point B. La technologie
E ne domine aucune des autres technologies disponibles. En effet, aucune des quatre
autres technologies n’est située dans l’aire située au-dessus et à droite de E.
Le Graphique 2.4 montre que les technologies C et D ne sont jamais choisies si les
technologies A et B sont disponibles. En utilisant uniquement les informations
disponibles sur les facteurs de production, nous avons réduit le nombre d’options. Mais
comment l’entreprise choisit-elle entre A, B et E ? Cela nécessite de faire une
hypothèse sur ce que l’entreprise tente de faire : nous considérons qu’il s’agit de
réaliser autant de profits que possible, ce qui signifie produire du drap au coût le plus
faible possible.
Prendre une décision relativement à une technologie nécessite également une
information économique sur les prix relatifs – à propos du coût que représente
l’embauche d’un travailleur et l’achat d’une tonne de charbon. Intuitivement, la
technologie E sera choisie si le travail est très bon marché relativement au charbon ; la
technologie A sera préférable dans une situation où le charbon est relativement peu
coûteux. Cependant, la modélisation économique nous permet d’être encore plus
précis que cela.
Comment une entreprise évalue-t-elle le coût de production associé à l’utilisation de
différentes technologies ?
Le coût de production de 100 unités de drap grâce aux trois technologies qui restent en
lice (c’est-à-dire celles qui ne sont pas dominées) est calculé en multipliant le nombre
de travailleurs par le salaire et le nombre de tonnes de charbon par le prix du charbon.
22 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics
Nous utilisons le symbole w pour le salaire, L pour le nombre de travailleurs, p pour le
prix du charbon et R pour le nombre de tonnes de charbon :
𝐶𝑜û𝑡 = (𝑠𝑎𝑙𝑎𝑖𝑟𝑒 × 𝑡𝑟𝑎𝑣𝑎𝑖𝑙𝑙𝑒𝑢𝑟𝑠) + (𝑝𝑟𝑖𝑥 𝑑′𝑢𝑛𝑒 𝑡𝑜𝑛𝑛𝑒 𝑑𝑒 𝑐ℎ𝑎𝑟𝑏𝑜𝑛 × 𝑡𝑜𝑛𝑛𝑒𝑠 𝑑𝑒 𝑐ℎ𝑎𝑟𝑏𝑜𝑛)
= (𝑤 × 𝐿) + (𝑝 × 𝑅)
D’après le Graphique 2.5, il est clair qu’avec un salaire de 10 et un prix du charbon de
20, la technologie B permet à l’entreprise de produire 100 mètres de drap à moindre
coût. Pour montrer graphiquement que la technologie B produit du drap à un coût plus
faible que la technologie A et que la technologie E lorsque le salaire est de 10 et le prix
du charbon de 20, nous construisons ce qu’on appelle une droite d’isocoût. Il s’agit
d’une droite au long de laquelle toutes les combinaisons de travailleurs et de charbon
ont le même coût, par exemple 80 GBP. On parle d’isocoût car en grec, iso signifie
« même ». Passez en revue les étapes du Graphique 2.5 via la barre de défilement du
graphique interactif pour voir le coût de production de 100 mètres de drap associé à
chaque technologie, et tracer la droite d’isocoût de 80 GBP.
Illustration 2.5 Coût d’utilisation de différentes technologies pour produire 100 mètres
de drap : faible coût relatif du travail
CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 23
Nous savons que la technologie A nécessite 1 travailleur, coûtant 10 GBP, et 6 tonnes
de charbon, coûtant chacune 20 GBP, de sorte que le coût total de produire 100 mètres
de drap est de 130 GBP. Celui-ci serait de 80 GBP si vous aviez recours à la technologie
B. La technologie E nécessite 10 travailleurs et 1 tonne de charbon pour produire 100
mètres de drap, de sorte que le coût serait de 120 GBP. Le tableau montre que B est la
technologie la moins coûteuse quand w= 10 et p = 20. La droite HJ est la courbe
d’isocoût pour 80 GBP. Quand le salaire est de 10 GBP et le prix d’une tonne de
charbon est de 20 GBP, le coût du travail et du charbon est de 80 GBP, pour n’importe
quel point sur la droite. Pour tous les points situés au-dessus de la droite, le coût de
production de 100 mètres de drap est supérieur à 80 GBP. La pente de la droite
d’isocoût est égale au salaire divisé par le coût d’une tonne de charbon. La pente est
-0,5, car si vous dépensiez 20 GBP de moins en charbon (en réduisant le charbon d’une
tonne) et en augmentant la dépense en main d’œuvre en recrutant deux travailleurs, le
coût total (80 GPB) resterait inchangé.
Pour construire la droite d’isocoût pour un coût total de 80 GBP, nous déterminons
combien de travailleurs doivent être employés pour 80 GBP (en supposant qu’aucun
charbon n’est utilisé). La réponse est 8. On représente cette valeur par un point sur la
droite d’isocoût, appelée H. Si, au contraire, les 80 GBP étaient entièrement consacrés
au charbon, 4 tonnes devraient être achetées : cela donne le point J. Tous les points sur
la droite reliant J à H représentent un coût total de 80 GBP. Remarquez que lorsqu’on
trace la droite d’isocoût, nous simplifions en supposant que des fractions de
travailleurs et de charbon, aussi petites soient-elles, peuvent être achetées.
Le Graphique 2.5 indique que la technologie B est située sur la droite d’isocoût de
80 GBP. Les autres technologies sont au-dessus de la droite d’isocoût et elles ne seront
pas choisies si la technologie B est disponible et si les prix relatifs sont respectivement
de 10 GBP et 20 GBP pour le salaire d’un travailleur et pour une tonne de charbon.
24 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics
DISCUSSION 2.3 : LES DROITES D’ISOCOÛT
1. En utilisant le tableau contenu dans le Graphique 2.5, écrivez l’équation de la
droite d’isocoût qui passe par les points A et E.
2. Calculez la pente de cette droite d’isocoût et comparez-la à celle de la droite
passant par B.
Nous pouvons désormais interpréter la droite d’isocoût représentée dans le graphique
à travers une équation. Pour cela, nous notons c le coût de production, quelle que soit
sa valeur (par exemple 80 GBP). Nous commençons par l’équation du coût de
production :
𝑐 = (𝑤 × 𝐿) + (𝑝 × 𝑅)
= 𝑤𝐿 + 𝑝𝑅
Pour tracer la droite d’isocoût, nous souhaitons l’exprimer sous la forme :
𝑦 = 𝑎 + 𝑏𝑥
où a, une constante, est le point d’intersection avec l’axe des ordonnées, et b est la
pente de la droite. Dans notre modèle, les tonnes de charbon, R, sont situées sur l’axe
des ordonnées et le nombre de travailleurs, L, est situé sur l’axe des abcisses. Nous
allons montrer que la pente de la droite est le salaire relatif par rapport au prix du
charbon, -w/p. La droite d’isocoût est décroissante ; aussi le coefficient de la pente
(-w/p) est négatif.
La droite d’isocoût est déterminée ainsi :
𝑐 = 𝑤𝐿 + 𝑝𝑅
Ce qui peut être réécrit :
𝑝𝑅 = 𝑐 − 𝑤𝐿
CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 25
Et réarrangé sous la forme suivante :
𝑅 =𝑐
𝑝−
𝑤
𝑝𝐿
On en déduit que la droite d’isocoût pour un coût de c = 80 possède une ordonnée à
l’origine de 80/20 = 4 et une pente négative égale au salaire divisé par le prix du
charbon, -w/p = -1/2. Il s’agit du prix relatif du travail. Le salaire est un prix particulier,
les économistes font donc souvent référence au salaire comme étant le prix du travail
(ou d’un nombre d’heures de travail).
L’effet d’une variation des prix relatifs
Tout changement dans le prix relatif des deux facteurs de production provoque une
modification de la pente de la droite d’isocoût. D’après le Graphique 2.5, nous pouvons
imaginer que si la droite d’isocoût devient suffisamment pentue (si le salaire augmente
relativement au coût du charbon), l’entreprise passera à la technologie A. C’est ce qui
s’est passé en Angleterre au XVIIIe siècle.
Regardons quelle technologie coûtera le moins cher si le prix relatif du travail et du
charbon change. Supposons que le prix du charbon passe à 5£ et que le salaire reste à
10£. D’après le tableau du Graphique 2.6, avec les nouveaux prix, la technologie A
permet à l’entreprise de produire 100 mètres de drap à moindre coût. Un charbon
moins onéreux rend chaque méthode de production moins coûteuse, mais la
technologie de production intensive en énergie devient maintenant la moins chère.
26 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics
Illustration 2.6 Coût d’utilisation de différentes technologies pour produire 100 mètres
de drap : coût relatif du travail élevé
Quand le salaire est de 10 GBP et le coût du charbon est de 5 GBP, nous pouvons
comparer le coût des technologies B et E. Le coût de produire 100 m de drap en
utilisant la technologie B est de 40 GBP, contre 105 GBP pour la technologie E. En
utilisant la technologie A, qui est plus intensive en énergie que B ou E, produire 100 m
de drap coûterait 40 GBP. Selon le tableau, avec ces prix relatifs, la technologie A est la
moins coûteuse. La technologie A est sur la droite d’isocoût FG. Pour n’importe quelle
technologie (combinaison de travailleurs et de charbon) sur cette droite, le coût de
production pour 100 m de drap est 40 GBP. La pente de la droite d’isocoût est égale au
salaire divisé par le coût d’une tonne de charbon. La pente est -2, car si vous dépensiez
20 GBP de moins en charbon (en réduisant le charbon de 4 tonnes) et en augmentant
la dépense en main d’œuvre en recrutant deux travailleurs, le coût total resterait
inchangé à 40 GBP.
Pour construire la droite d’isocoût passant par le point A avec les nouveaux prix, nous
déterminons combien de travailleurs peuvent être employés pour 40 GBP (en
supposant qu’aucun charbon ne soit utilisé) : la réponse est 4. On représente cette
CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 27
valeur par un point sur la droite d’isocoût, que nous appelons F. Si, au contraire, les 40
GBP étaient entièrement consacrées au charbon, 8 tonnes pourraient être achetées :
cela donne le point G. La technologie est située sur la droite d’isocoût de 40 GBP. Avec
ces prix relatifs, les deux autres technologies disponibles sont situées au-dessus de la
droite d’isocoût de 40 GBP, et elles ne seront pas choisies si la technologie A est
disponible.
Comment une innovation qui réduit les coûts augmente-t-elle les profits de
l’entreprise ?
La prochaine étape consiste à calculer les gains de la première entreprise pour
identifier la technologie la moins coûteuse (A) lorsque le prix relatif du travail par
rapport au charbon augmente. Comme toutes ses concurrentes, l’entreprise utilise
initialement la technologie B, et elle minimise ses coûts : cela est représenté sur le
Graphique 2.7 par la droite d’isocoût en tirets rouges passant par le point B (et ayant
pour extrémités les points H et J).
Une fois que les prix relatifs ont changé, la nouvelle droite d’isocoût passant par le
point B est plus pentue et le coût de production est de 50 GBP. Un passage à la
technologie A, qui utilise plus intensivement l’énergie et moins intensivement le travail
pour produire 100 mètres de drap, réduit le coût à 40 GBP. Utilisez la barre de
défilement du graphique interactif pour voir comment les droites d’isocoût réagissent à
une variation des prix relatifs.
28 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics
Illustration 2.7 Coût des différentes technologies pour produire 100 mètres de drap
Quand le salaire est de 10 GBP et le prix du charbon est relativement élevé à hauteur
de 20 GBP, le coût de produire 100 m de drap en utilisant la technologie B est 80 GBP :
choisir la technologie B place l’entreprise sur la courbe d’isocoût HJ. Si le prix du
charbon chute par rapport au salaire – situation qui correspond à la courbe d’isocoût
FG –, alors utiliser la technologie A, qui est plus intensive en énergie que B, coûte 40
GBP. Selon le tableau, avec de tels prix relatifs, c’est A qui est la technologie la moins
coûteuse. Avec les nouveaux prix relatifs, la technologie B est sur la droite d’isocoût
MN, pour laquelle le coût s’établit à 50 GBP. Changer pour la technologie A serait plus
avantageux économiquement (moins cher).
Les profits de l’entreprise sont égaux aux revenus des ventes moins les coûts. Que
l’entreprise adopte la nouvelle ou l’ancienne technologie, les mêmes prix doivent être
payés pour le travail et le charbon, et elle reçoit le même prix lorsqu’elle vend 100
mètres de drap.
La variation du profit est égale à la baisse des coûts provoquée par l’adoption de la
nouvelle technologie : les profits augmentent de 10 GBP pour chaque 100 mètres de
drap produits.
CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 29
𝑃𝑟𝑜𝑓𝑖𝑡 = 𝑅𝑒𝑣𝑒𝑛𝑢𝑠 − 𝐶𝑜û𝑡𝑠
𝑉𝑎𝑟𝑖𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑑𝑢 𝑝𝑟𝑜𝑓𝑖𝑡 (𝑒𝑛 𝑢𝑡𝑖𝑙𝑖𝑠𝑎𝑛𝑡 𝐴 𝑝𝑙𝑢𝑡ô𝑡 𝑞𝑢𝑒 𝐵)
= 𝑉𝑎𝑟𝑖𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑑𝑢 𝑟𝑒𝑣𝑒𝑛𝑢 − 𝑉𝑎𝑟𝑖𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑑𝑒𝑠 𝑐𝑜û𝑡𝑠
= 0 − (40 − 50)
= 10
Ainsi, la rente économique est égale à 10 GBP.
Même si la baisse du prix du charbon rend la technologie B moins coûteuse que
précédemment, il existe une incitation plus forte à passer à la technologie A, et à
réaliser des profits de 10 GBP pour chaque 100 mètres de drap.
Votre rente économique, si vous adoptez la nouvelle technologie, est exactement la
réduction des coûts rendue possible par la nouvelle technologie. La règle de décision –
si la rente économique est positive, faites-le ! – vous pousse à innover.
Dans notre exemple, même si un ingénieur avait pu décrire la technologie À, elle ne
serait pas utilisée avant qu’une première entreprise ne l’adopte, répondant ainsi à
l’incitation créée par l’augmentation du prix relatif du travail. On appelle le dirigeant de
l’entreprise qui adopte une telle technologie un entrepreneur. Lorsque l’on décrit une
personne ou une entreprise comme étant entrepreneuriale, on fait référence à sa
volonté d’essayer des nouvelles technologies et de démarrer de nouvelles activités.
L’économiste Joseph Schumpeter (voir encadré ci-dessous) a fait de l’adoption du
progrès technique par les entrepreneurs un élément clé de son explication du
dynamisme du capitalisme. C’est pourquoi on appelle souvent les rentes d’innovation
des rentes schumpétériennes.
Les rentes d’innovation ne durent pas éternellement. Les autres entreprises,
remarquant que des entrepreneurs réalisent des rentes économiques, mettent en
place cette nouvelle technologie. Elles vont également réduire leurs coûts et leurs
profits augmenteront.
30 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics
Dans ce cas, avec un profit plus élevé pour 100 mètres de drap produits, les entreprises
ayant les coûts les plus faibles se développent. Elles augmentent leur production de
drap. Avec l’augmentation du nombre d’entreprises introduisant la nouvelle
technologie, l’offre de drap sur le marché augmente et son prix diminue. Ce processus
continue jusqu’à ce que tout le monde utilise la nouvelle technologie : à ce stade, les
prix auront chuté jusqu’au point où personne ne gagne de rente d’innovation. Les
entreprises qui seront restées avec l’ancienne technologie B seront incapables de
couvrir leurs coûts avec le nouveaux prix du drap, qui est plus faible, et feront faillite.
Joseph Schumpeter appelait ce cycle la destruction créatrice.
LES GRANDS ECONOMISTES
JOSEPH SCHUMPETER ET LA DESTRUCTION CRÉATRICE
Joseph Schumpeter (1883-1950) a développé l’un des concepts modernes les plus
importants en économie : la destruction créatrice.
Schumpeter a proposé l’idée selon laquelle l’entrepreneur est l’acteur central du
système économiste capitaliste5 . L’entrepreneur est l’agent du changement, qui
introduit de nouveaux produits, de nouvelles méthodes de production et qui ouvre de
nouveaux marchés. Les imitateurs le suivent et l’innovation se diffuse dans l’économie.
5 Lynne Kiesling, une historienne de la pensée économique, évoque Joseph Schumpeter dans cette courte vidéo.
CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 31
L’entrepreneur, avec ses innovations, est le déclencheur de la nouvelle phase
ascendante du cycle économique.
D’après Schumpeter, la destruction créatrice constitue le cœur du capitalisme : les
anciennes entreprises et technologies incapables de s’adapter sont mises de côtés par
les nouvelles, car elles ne peuvent pas soutenir la concurrence sur le marché en
vendant des biens à un prix qui couvre leur coût de production. La faillite des
entreprises non profitables libère du travail et des biens d’équipement, disponibles
pour être utilisés à travers de nouvelles combinaisons.
Ce processus décentralisé engendre une amélioration continue de la productivité, et
donc de la croissance : Schumpeter y voyait un cercle vertueux. Néanmoins, ce
processus prend du temps, puisque la destruction des anciennes entreprises et la
création de nouvelles se font lentement. La lenteur du processus est à l’origine de
phases d’accélération et de ralentissement de l’économie, dans le cadre du processus
de croissance de long terme et de développement. Les origines de la branche de la
pensée économique connue sous le nom d’économie évolutionniste (vous pouvez lire
des articles sur le sujet ici) remontent clairement aux travaux de Schumpeter, de même
que la plupart de la modélisation économique moderne portant sur l’entreprenariat et
l’innovation. Vous pouvez lire les idées et les opinions de Schumpeter de sa propre
main6, ainsi qu’un essai en ligne portant sur son travail par l’historien de la pensée
économique Robert Skidelsky7.
Schumpeter est né en Autriche-Hongrie, mais il a émigré vers les États-Unis après la
victoire électorale des Nazis en 1932, qui a conduit à la formation du Troisième Reich
en 1933. Il avait également fait l’expérience de la Première Guerre Mondiale et de la
Grande Dépression des années 1930 ; il est décédé alors qu’il rédigeait un essai intitulé
The March into Socialism, dans lequel il évoquait son inquiétude vis-à-vis du rôle
croissant du gouvernement dans l’économie et, par suite, de « la migration des affaires
économiques des individus de la sphère privée vers la sphère publique ».
6 Voir par exemple : Schumpeter, Joseph A. 1949. ‘Science and Ideology.’ American Economic Review 39: 345–59. Schumpeter, Joseph A. (1942) 2008. Capitalism, Socialism, and Democracy. New York, NY: Harper Perennial Modern Thought. Schumpeter, Joseph A. (1951) 2004. Ten Great Economists. London: Taylor & Francis. 7 Skidelsy, Robert. 2015. ‘Portrait: Joseph Schumpeter.’ Skidelskyr.com. Accessed June 2015.
32 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics
Alors qu’il était jeune professeur en Autriche, il s’est battu et a gagné un duel face au
bibliothécaire de l’université pour garantir à ses étudiants l’accès aux livres. Il déclara
qu’il avait trois ambitions étant jeune : devenir le meilleur économiste au monde, le
meilleur amant et le meilleur cavalier. Il ajouta que seul le déclin de la cavalerie l’avait
empêché de tous les accomplir.
2.4 LA RÉVOLUTION INDUSTRIELLE BRITANNIQUE ET LES INCITATIONS ÀDÉVELOPPER
DE NOUVELLES TECHNOLOGIES
Qu’apportaient les inventions telles que la spinning jenny ? Les premières machines
avaient huit bobines. Une machine exploitée par un seul adulte pouvait donc remplacer
huit fileuses, travaillant sur huit rouets. A la fin du XIXe siècle, une seule mule-jenny,
exploitée par un très petit nombre d’individus, remplaçait plus d’un millier de fileuses.
Ces machines ne dépendaient plus de l’énergie humaine ; elles étaient alimentées à
l’aide de turbines hydrauliques ou, plus tard, par des machines à vapeur fonctionnant
au charbon.
L’ancienne technologie utilisait de nombreux travailleurs, chaque travailleur
n’exploitant qu’une petite partie du stock de machines et d’équipements. La nouvelle
technologie nécessitait davantage de biens d’équipements, comme les machines à filer,
les immeubles industriels, les roues hydrauliques et les machines à vapeur. Tout
comme la technologie A dans l’exemple précédent, elle utilisait beaucoup de charbon
et peu de travail.
La technologie utilisée avant la révolution industrielle était intensive en travail et
économe en biens d’équipement et en énergie, alors que la nouvelle technologie était
intensive en biens d’équipement et en énergie et économe en main d’œuvre.
Le modèle de la section précédent fournit une hypothèse (une explication possible) aux
raisons qui ont poussé à inventer et à adopter une telle technologie. Dans le modèle,
nous avons employé un graphique en deux dimensions, qui montrait que les
producteurs de draps choisissaient entre des technologies qui n’utilisaient que deux
CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 33
facteurs de production – de l’énergie et du travail. Il s’agit d’une simplification, mais
cela illustre le rôle de l’évolution des coûts relatifs des facteurs de production dans le
choix d’une technologie. Lorsque le coût de l’énergie augmente relativement au coût
du travail, cela augmente le coût de production du drap associé à l’ancienne
technologie et signifie qu’un passage à une technologie intensive en énergie est
susceptible de générer des rentes d’innovation.
Tout ceci reste seulement une hypothèse. Dans les faits, est-ce vraiment ainsi que cela
s’est passé ? L’analyse des différences de prix relatifs entre pays et de leur évolution au
cours du temps peut aider à comprendre pourquoi les technologies de la révolution
industrielle, économes en travail et intensives en capital et en énergie, ont été
inventées et d’abord adoptées en Grande-Bretagne et non ailleurs. Nous pouvons
utiliser le même raisonnement afin d’expliquer pourquoi cela n’a pas eu lieu de
nombreux siècles auparavant.
Il n’y a pas de doute sur le fait que l’inventivité des Britanniques a été un atout. Le pays
possédait de nombreux travailleurs qualifiés, ingénieurs et concepteurs qui pouvaient
construire les machines conçues par les inventeurs.
Le Graphique 2.8 représente le prix du travail relativement au prix de l’énergie dans
diverses villes au début du XVIIIe siècle. En d’autres termes, il représente le rapport
entre les salaires des travailleurs du bâtiment et le prix de l’énergie (plus précisément,
le prix d’un million de British Thermal Units (BTU), une unité d’énergie équivalente à un
peu plus de 1000 joules). On constate que le travail était très cher relativement à
l’énergie en Angleterre et aux Pays-Bas. Il était moins cher en France (à Paris et à
Strasbourg), et bien moins cher en Chine.
34 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics
Illustration 2.8 Salaires exprimés relativement au prix de l’énergie au début du XVIIIe
siècle
Source: Allen, R. C. 2009. The British Industrial Revolution in Global Perspective. Cambridge:
Cambridge University Press, p. 140.
Les salaires étaient élevés en Angleterre, relativement à l’énergie, à la fois parce que
les salaires anglais étaient plus élevés que les salaires ailleurs, et parce que le prix du
charbon était plus faible en Angleterre, qui en recelait en abondance, que dans les
autres pays présentés sur le graphique.
Le Graphique 2.9 représente l’évolution du coût du travail comparativement au coût
des biens d’équipement en Angleterre et en France de la fin du XVIe siècle jusqu’à la fin
du XIXe siècle. Il représente les salaires des travailleurs du bâtiment, divisés par le coût
d’utilisation des biens d’équipement. Ce coût est calculé à partir du prix du métal, du
bois, de la brique et du coût de l’emprunt, et il prend en compte le taux auquel les
biens d’équipement s’usent, ou se déprécient.
CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 35
Illustration 2.9 Salaires exprimés relativement au coût des biens d’équipement
Source: Allen, R. C. 2009. The British Industrial Revolution in Global Perspective. Cambridge:
Cambridge University Press, p. 138.
Comme on peut le constater, les salaires relativement au coût des biens d’équipement
en Angleterre et en France étaient similaires au milieu du XVIIe siècle, mais à compter
de cette date, le coût du travail en Angleterre, contrairement à la France, a
constamment augmenté relativement au coût des biens d’équipement. En d’autres
termes, les incitations à remplacer les travailleurs par des machines ont augmenté en
Angleterre durant cette période, mais elles n’ont pas augmenté en France. En France,
les incitations à économiser de la main-d’œuvre grâce à des innovations étaient plus
importantes à la fin du XVIe siècle que 200 ans plus tard, à l’époque où la révolution
industrielle commençait à transformer la Grande-Bretagne.
Grâce au modèle développé dans la section précédente, nous avons appris que la
technologie adoptée dépend du prix relatif des facteurs de production. En combinant
les prédictions du modèle avec les données historiques, nous aboutissons à une
explication de la date et du lieu d’émergence de la révolution industrielle.
36 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics
Les salaires, relativement au coût de l’énergie et des biens d’équipement, ont
augmenté en Grande-Bretagne au XVIIe siècle. Cela n’avait pas été auparavant.
Les salaires, relativement au coût de l’énergie et des biens d’équipement, étaient
plus élevés en Grande-Bretagne que dans les autres pays au XVIIIe siècle.
Le Graphique 10 utilise le modèle pour illustrer le cas britannique.
Illustration 2.10 Le coût d’utilisation de différentes technologies pour produire 100
mètres de drap en Grande-Bretagne aux XVIIe et XVIIIe siècles.
Les prix relatifs prévalant au XVIIe siècle sont indiqués par la droite d’isocoût HJ. On
utilisait à l’époque la technologie B. À ces prix, il n’existait pas d’incitation à développer
une technologie telle que A, située en dehors de la droite d’isocoût HJ. Au XVIIIe siècle,
les droites d’isocoût comme la droite FG étaient bien plus pentues, car le prix relatif du
travail par rapport au charbon était plus élevé. Le coût relatif était suffisamment élevé
pour rendre la technologie A moins coûteuse que la technologie B. Nous savons que
lorsque le prix relatif du travail est élevé, la technologie A est moins coûteuse car la
technologie B est située au-dessus de la droite d’isocoût FG.
CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 37
DISCUSSION 2.4 : LA GRANDE-BRETAGNE, OUI, MAIS PAS LA FRANCE
Regardez cette vidéo, dans laquelle l’historien de l’économie Bob Allen explique
pourquoi, d’après lui, la révolution industrielle a eu lieu à une époque et dans une
région particulières.
1. Résumez les thèses d’Allen en utilisant le concept de rente économique. Quelles
hypothèses ceteris paribus faites-vous ?
2. Quels autres facteurs importants peuvent expliquer l’émergence de technologies
intensives en énergie en Grande-Bretagne au XVIIIe siècle ?
En Angleterre, les salaires étaient élevés, tandis que l’énergie et les biens d’équipement
étaient bon marché : il est donc logique que les technologies de la révolution
industrielle, intensives en énergie et en biens d’équipement, et économes en main-
d’œuvre, aient d’abord été adoptées là-bas. Par conséquent, au cours des premières
années de la révolution industrielle, la technologie a évolué plus rapidement en
Angleterre qu’en Europe continentale, et plus rapidement encore qu’en Asie.
Pour quelles raisons des pays comme la France et l’Allemagne, et plus tard la Chine et
l’Inde, ont-ils adopté ces nouvelles technologies ? L’une des réponses possibles est
qu’un progrès technologique supplémentaire a été réalisé, c’est-à-dire qu’une nouvelle
technologie a été développée, puis a supplanté la technologie en place. Une telle
amélioration signifiait qu’il fallait moins de facteurs de production pour produire 100
mètres de drap. Nous pouvons utiliser le modèle pour illustrer ce changement. Dans le
Graphique 2.11, le progrès technologique mène à l’invention d’une technologie encore
plus intensive en énergie, appelée A’. L’aire colorée indique que la technologie A’
domine la technologie A. Une fois que A’ est disponible, la technologie A n’est plus
choisie dans les pays qui utilisent A.
38 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics
Illustration 2.11 Coût d’utilisation de différentes technologies pour produire 100
mètres de drap
Quand le prix relatif du travail est élevé, la technologie A, intensive en énergie, est
choisie. Quand le prix relatif du travail est bas, la technologie B, intensive en main
d’œuvre, est choisie. Des améliorations dans la technologie de fabrication des draps
sont réalisées – une nouvelle technologie appelée A’ est disponible. Cette technologie
utilise deux fois moins d’énergie par travailleur pour produire 100 m de drap. La
nouvelle technologie domine la technologie A. La technologie A’ est moins coûteuse
que A et B. Même avec un prix relatif du travail qui est bas, avec des courbes d’isocoût
dont la pente est similaire à celle de la droite HJ, la nouvelle technologie A’, peu
intensive en main d’œuvre et en énergie, sera choisie.
Remarquons également que la nouvelle technologie est bénéfique, même dans le cas
d’une économie dans laquelle les salaires sont bas et l’énergie est coûteuse. Malgré un
faible prix relatif du travail, la technologie A’ est moins coûteuse que la technologie B
intensive en travail : A’ est au-dessous de la droite d’isocoût HJ.
Un deuxième facteur permettant la diffusion des nouvelles technologies dans le monde
est la croissance des salaires et la baisse du coût de l’énergie (due, par exemples, à des
coûts de transports plus faibles, permettant aux pays d’importer de l’énergie de
CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 39
l’étranger à faible coût). Ceci a rendu les droites d’isocoût plus pentues dans les pays
pauvres. Or, comme nous l’avons vu, une fois que la droite d’isocoût devient
suffisamment pentue, la technologie la plus intensive en énergie devient la méthode de
production la moins coûteuse.
Quoi qu’il en soit, les nouvelles technologies ont commencé à se diffuser8, et les
divergences en termes de technologie et de niveau de vie ont rapidement fait place à
une convergence – du moins entre les pays au sein desquels la révolution capitaliste
avait commencé.
Néanmoins, dans certains pays, on constate que certaines technologies qui avaient été
remplacées en Grande-Bretagne au cours de la révolution industrielle, sont toujours
utilisées. Le modèle prédit que le prix relatif du travail doit être très faible dans de
telles situations, ce qui rend la droite d’isocoût très plate. La technologie B pourrait
toujours être préférée sur le Graphique 2.11, même si la technologie A’ était
disponible, si la courbe d’isocoût était encore plus plate que HJ, de sorte qu’elle
passerait par B, tout en étant en-dessous de A’.
2.5 L’ÉCONOMIE MALTHUSIENNE : DÉCROISSANCE DE LA PRODUCTIVITÉ MOYENNE DU
TRAVAIL
Sur la base de ces éléments historiques, il apparaît que ce modèle fondé sur les prix
relatifs et les rentes d’innovation peut fournir une explication simple de la distribution
chronologique et géographique des débuts et du développement de la révolution
technologique permanente.
8 La spinning jenny en Grande-Bretagne, en France et en Inde : Allen, Robert C. 2009. ‘The Industrial Revolution in Miniature: The Spinning Jenny in Britain, France, and India.’ The Journal of Economic History 69 (04): 901–27. Sur la diffusion du progrès technologique à travers l’Europe, voir Landes, David S. 2003. The Unbound Prometheus: Technological Change and Industrial Development in Western Europe from 1750 to the Present. 1st ed. Cambridge: Cambridge University Press.
40 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics
Ceci explique en partie l’accélération sur la courbe en forme de crosse de hockey. Mais
l’explication de la longue partie plate, le manche de la crosse de hockey9, est toute
différente, et elle nécessite un autre modèle.
Malthus fournit un modèle de l’économie qui prédit un schéma de développement
compatible avec la longue partie plate de la courbe en forme de crosse de hockey
représentant le PIB par tête dans le Graphique 1.1 de l’Unité 1. Son modèle introduit
des concepts qui sont utilisés pour analyser de nombreux autres problèmes
économiques. L’un des concepts les plus importants en économie est celui du
rendement décroissant de la production moyenne d’un facteur de production.
Rendements moyens décroissants du travail
Pour comprendre ce que cela signifie, imaginons une société agraire qui ne produit
qu’un seul bien, de la nourriture. Postulons initialement que la production de
nourriture est un processus très simple –ne requiert que de la main-d’œuvre agricole
et des terres. En d’autres termes, nous ignorons que la production de nourriture
nécessite des pelles, des moissonneuses-batteuses, des poulaillers, des silos et d’autres
types de bâtiments et d’équipements.
Le travail et la terre (et les autres inputs que nous ignorons pour l’instant) sont appelés
des facteurs de production, ce qui signifie qu’ils sont des inputs dans le processus de
production. Dans le modèle construit pour représenter le changement de technologie,
les facteurs de production étaient l’énergie et le travail.
Pour simplifier, nous faisons une hypothèse ceteris paribus supplémentaire, en
supposant qu’il existe une quantité fixe de terre disponible, de qualité uniforme. 9 Gregory Clark, un historien de l’économie, soutient la thèse selon laquelle le monde était malthusien de la Préhistoire jusqu’au XVIIIe siècle. Voir Clark, Gregory. 2007. A Farewell to Alms: A Brief Economic History of the World. Princeton: Princeton University Press. James Lee et Wang Feng discutent des divergences entre le système démographique de la Chine et celui de l’Europe et questionne l’hypothèse malthusienne selon laquelle la pauvreté en Chine était due à la croissance démographique. Voir : Lee, James, and Wang Feng. 1999. ‘Malthusian Models and Chinese Realities: The Chinese Demographic System 1700-2000.’ Population and Development Review 25 (1): 33–65.
CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 41
Imaginons que la terre soit divisée en 800 fermes, chacune cultivée par un unique
paysan, travaillant chacun le même nombre d’heures au cours de l’année. Ensemble,
ces 800 agriculteurs produisent un total de 500 000 kilos de grains au moment de la
récolte. La productivité moyenne de leur travail est alors de :
𝑃𝑟𝑜𝑑𝑢𝑐𝑡𝑖𝑣𝑖𝑡é 𝑚𝑜𝑦𝑒𝑛𝑛𝑒 𝑑𝑢 𝑡𝑟𝑎𝑣𝑎𝑖𝑙 =𝑃𝑟𝑜𝑑𝑢𝑐𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑡𝑜𝑡𝑎𝑙𝑒
𝑁𝑜𝑚𝑏𝑟𝑒 𝑑𝑒 𝑓𝑒𝑟𝑚𝑖𝑒𝑟𝑠=
500 000 𝑘𝑔
800 𝑓𝑒𝑟𝑚𝑖𝑒𝑟𝑠= 625 𝑘𝑔/𝑓𝑒𝑟𝑚𝑖𝑒𝑟
Pour comprendre ce qui se passe si la population augmente, de sorte qu’il y ait
davantage d’agriculteurs sur la même quantité limitée de terre cultivable, nous devons
connaître ce qu’on appelle la fonction de production de l’agriculteur. Celle-ci indique la
quantité produite pour tous les niveaux de la population d’agriculteurs travaillant la
quantité de terre disponible. Dans ce cas, nous maintenons constants les autres
facteurs de production, y compris la terre, de sorte à ne considérer que la variation de
production associée à la variation de la quantité de travail utilisée.
FONCTION DE PRODUCTION
La quantité produite par une ou plusieurs combinaisons de facteurs de
production. Une fonction de production décrit différentes technologies
permettant de produire une même chose.
Dans les sections précédentes, nous avons déjà considéré une fonction de production
très simple qui spécifiait la quantité de travail et d’énergie nécessaire à la production
de 100 mètres de drap. Par exemple, dans le Graphique 2.3, la « fonction de
production du drap » indique qu’en utilisant la technologie B, si 4 travailleurs et 2
tonnes de charbon sont utilisés, 100 mètres de drap seront produits. Pour la
technologie A, la fonction de production fournit un autre énoncé de la forme « si-
alors » : si un travailleur et 6 tonnes de charbon sont utilisés, alors 100 mètres de drap
seront produits.
La productivité moyenne du travail avec la technologie B est de 25 mètres de drap par
travailleur ; elle est de 100 mètres par travailleur pour la technologie A. Par convention,
42 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics
les économistes excluent de la fonction de production les technologies qui ne seraient
jamais utilisées (indépendamment des prix relatifs des facteurs de production). Ainsi,
les technologies C et D du Graphique 2.3 ne font pas partie de la « fonction de
production du drap », car, s’il est possible de les mettre en place d’un point de vue
technique, elles ne sont pas pertinentes d’un point de vue économique.
La fonction de production de grains est également un énoncé de la forme « si-alors »,
indiquant que X agriculteurs récolteront Y kilos de grains.
Le Tableau 2.12a liste des quantités de travail associées à des quantités de gains
produites. Dans le Graphique 2.12b, nous supposons que la relation est vraie pour tous
les agriculteurs. La fonction de production représentée est complète pour n’importe
quel nombre de travailleurs (et pas seulement les valeurs indiquées dans le Tableau
2.12a).
Nous appelons cela une fonction de production car une fonction est une relation entre
deux quantités (des facteurs de production et une quantité produite dans ce cas), qui
peut être exprimée mathématiquement sous la forme :
Y = f(X)
On dit que « Y est une fonction de X ». Dans ce cas, X est la quantité de travail
consacrée à la culture des terres. Y est la quantité de grains produite par cette quantité
de travail. La fonction f(X) décrit la relation entre ces deux quantités, et est représentée
par la courbe du Graphique 2.12. Le supplément Leibniz est une introduction à la
représentation mathématique des fonctions de production. Vous n’en avez pas besoin
pour comprendre nos modèles, mais cela peut vous aider si vous suivez des cours plus
approfondis ou si vous étudiez les mathématiques dans le cadre de votre cursus en
économie.
CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 43
Illustration 2.12a Valeurs de la fonction de production d’un agriculteur: rendements
décroissants du travail
TRAVAIL
(NOMBRE DE
TRAVAILLEURS)
PRODUCTION
DE GRAINS
(KG)
PRODUCTIVITÉE
MOYENNE DU TRAVAIL
(KG/TRAVAILLEUR)
200 200 000 1 000
400 330 000 825
600 420 000 700
800 500 000 625
1 000 570 000 570
1 200 630 000 525
1 400 684 000 490
1 600 732 000 458
1 800 774 000 430
2 000 810 000 405
2 200 840 000 382
2 400 864 000 360
2 600 882 000 340
2 800 894 000 319
3 000 900 000 300
44 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics
Illustration 2.12b La fonction de production de l’agriculteur : rendements décroissants
du travail
La fonction de production de l’agriculteur : dans quelle mesure le nombre
d’agriculteurs travaillant la terre se traduit par une quantité de grains récoltée à la fin
de la saison de production. Le point A de la fonction de production représente la
quantité de grains produite par 800 agriculteurs. Le point B sur la fonction de
production représente la quantité de grains produite par 1 600 agriculteurs. Au point A,
la productivité moyenne du travail est de 500000/800 = 625 kg de grains par
agriculteur. Au point B, la productivité moyenne du travail est de 732000/1600 = 458 kg
de grains par agriculteur. La pente de la corde partant de l’origine et passant par le
point B situé sur la fonction de production représente la productivité moyenne du
travail. La pente est de 458, ce qui signifie que la productivité moyenne est de 458 kg
par agriculteur lorsque 1 600 agriculteurs travaillent la terre. La pente de la corde entre
l’origine et le point A est plus forte que celle de la corde entre l’origine et B. Lorsque
seulement 800 agriculteurs travaillent la terre, la productivité moyenne du travail est
plus élevée. La pente est de 625, ce qui correspond à la productivité moyenne de 625
kg par agriculteur, calculée précédemment.
CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 45
DISCUSSION 2.5 : LA FONCTION DE PRODUCTION DE L’AGRICULTEUR
Dans l’Unité 1, nous avons expliqué que l’économie fait partie de la biosphère.
Considérez l’agriculture d’un point de vue biologique. La fonction décrite dans le
Graphique 2.12 est hypothétique, mais réaliste si l’agriculteur a une petite parcelle de
terre.
1. Trouvez combien de calories sont brûlées par un paysan travaillant la terre, et
combien de calories sont contenues dans 1 kg de grain.
2. L’agriculture génère-t-elle un surplus de calories – plus de calories produites que
de calories brûlées par le facteur travail – d’après la fonction de production du
Graphique 2.12b ?
Notons deux choses à propos de la fonction de production de grains.
Le travail, combiné avec la terre, est productif. Ceci n’est pas surprenant. Plus il y
a d’agriculteurs, plus la quantité de grains produite est importante, au moins
jusqu’à un certain point (3 000 agriculteurs) au-delà duquel des quantités de
travail supplémentaires n’augmentent pas la quantité de grains produite.
Plus il y a d’agriculteurs à travailler la terre, moins la productivité moyenne du
travail est importante. La décroissance de la productivité moyenne du travail
constitue l’un des deux piliers du modèle de Malthus.
La productivité moyenne du travail est la quantité de grains produite divisée par la
quantité de travail utilisée. D’après la fonction de production représentée dans le
Graphique 2.12b ou le Tableau 2.12a (il s’agit de la même information dans les deux
cas), nous pouvons voir que si 800 agriculteurs travaillent la terre, ils récoltent en
moyenne 625 kilos de grain par agriculteur, alors qu’en passant à 1 600 agriculteurs, la
production moyenne par heure et par agriculteur est seulement de 458 kilos. La
productivité moyenne du travail diminue à mesure que la quantité de main d’œuvre se
consacrant à la production augmente.
46 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics
Ceci inquiétait Malthus.
Pour comprendre cela, imaginons que l’on se situe une génération plus tard, et que
chaque agriculteur ait eu de nombreux enfants, de sorte qu’il n’y ait pas un agriculteur
par ferme, mais deux : cela signifie que la quantité totale de travail allouée à la
production agricole n’est plus de 800, mais de 1 600. Plutôt que de récolter 625 kg de
grains par agriculteur, la récolte moyenne par agriculteur est désormais seulement de
458 kg.
Cela signifie que la décroissance de la productivité moyenne du travail peut être causée
par :
Une plus grande quantité de main d’œuvre allouée à une quantité fixe de terre.
Une plus grande quantité de terres (de qualité inférieure) mise en culture.
Puisque le rendement moyen du travail diminue à mesure que la quantité de travail
allouée à la production de grain augmente, tant que les individus augmentent le temps
qu’ils consacrent au travail, leur revenu ne cessera de diminuer.
2.6 L’ÉCONOMIE MALTHUSIENNE : LA POPULATION AUGMENTE LORSQUE LE NIVEAU
DE VIE S’AMÉLIORE
Prise séparément, la diminution de la productivité moyenne du travail n’explique pas la
longue et plate portion de la courbe en forme de crosse de hockey. Tout ce que ce
concept indique est que le niveau de vie dépend du niveau de la population. Il ne dit
rien à propos des causes de l’absence d’évolution notable du niveau de vie et de la
population à long terme. Pour cela, nous avons besoin de l’autre élément principal du
modèle de Malthus, à savoir l’explication qu’il donne des déterminants de l’évolution
de la population d’un pays.
Malthus ne fut pas le premier à avoir cette idée. Quelques années avant que Malthus
ne développe ses théories, un économiste irlandais, Richard Cantillon, avait déclaré
CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 47
que « les hommes se reproduisent comme des souris dans une grange s’ils ont accès à
des moyens de subsistance illimités ».
La théorie malthusienne considérait que les individus n’étaient pas foncièrement
différents des autres animaux :
« Bien que l'homme s’élève au-dessus de tous les autres animaux par ses capacités
intellectuelles, on ne saurait supposer que les lois physiques auxquelles il est soumis
sont fondamentalement différentes de celles que l’on voit s’imposer au reste du règne
vivant ».
– Thomas Robert Malthus, A Summary View on the Principle of Population (1830)
Les deux idées centrales du modèle de Malthus sont donc:
La loi des rendements décroissants du travail.
Toute amélioration du niveau de vie provoque une augmentation de la
population.
Imaginons un troupeau d’antilopes dans une vaste plaine déserte. Il n’existe pas de
prédateurs compliquant leurs vies (ou notre analyse). Lorsque les antilopes sont mieux
nourries, elles vivent plus longtemps et se reproduisent davantage. Tant que le
troupeau est de petite taille, les antilopes ont de la nourriture en abondance, peuvent
se reproduire, et le troupeau s'agrandit.
Avec le temps, le troupeau devient si grand relativement à la taille de la plaine que les
antilopes ne trouvent plus assez de nourriture. Comme l’espace disponible pour
chaque animal décline, leur niveau de vie baisse. Ce déclin du niveau de vie continue
tant que le troupeau continue de grandir.
Comme chaque animal trouve moins à manger, les antilopes vont moins se reproduire
et mourir plus jeune, et la croissance de la population va ralentir. Finalement, leur
niveau de vie diminuera jusqu’au point où le troupeau cessera de grandir. Les antilopes
occuperont toute la plaine. À ce stade, chaque animal consommera une quantité de
48 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics
nourriture que nous allons définir comme le niveau de subsistance. Lorsque la
croissance démographique a abaissé le niveau de vie des animaux au niveau de
subsistance, le troupeau cesse de grossir.
Si les animaux mangeaient moins que le niveau de subsistance, ils mourraient et la
taille du troupeau se mettrait en fait à diminuer. Et comme nous l’avons vu, lorsque la
consommation excède le niveau de subsistance, la taille du troupeau augmente.
Selon Malthus, la même logique s'applique lorsqu’on considère, au lieu d’antilopes
dans la savane, une population humaine vivant dans un pays avec une surface arable
fixe. Tant que les hommes possèdent « des moyens de subsistance illimités », ils se
reproduisent comme les souris de Cantillon dans leur grange ; mais ils finissent par
remplir le pays, et la croissance démographique fait baisser les revenus d’un grand
nombre d’individus en raison de la décroissance de la productivité moyenne du travail.
La baisse du niveau de vie ralentit la croissance de la population en provoquant
l’augmentation des taux de mortalité et la baisse des taux de natalité ; finalement les
revenus se stabilisent au niveau de subsistance.
Le modèle de Malthus aboutit à un équilibre, dans lequel le niveau de revenu est juste
suffisant pour permettre un niveau de consommation de subsistance. Les éléments qui
ne varient pas à cet équilibre sont :
La population.
Le niveau de revenu de la population.
CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 49
DISCUSSION 2.6 : LES INDIVIDUS SONT-ILS RÉELLEMENT COMME LES AUTRES
ANIMAUX ?
D’après Malthus, « on ne saurait supposer que les lois physiques auxquelles l’homme
est soumis sont fondamentalement différentes de celles que l’on voit s’imposer au
reste du règne vivant ».
Êtes-vous d’accord ? Expliquez votre raisonnement.
L’économie malthusienne : l’effet d’une bonne récolte
Dans le Schéma 2.13, nous montrons comment la combinaison de la décroissance de la
productivité moyenne du travail, d’une part, et de l’effet de l’obtention de revenus plus
élevés sur la croissance de la population, d’autre part, implique qu’à très long terme, le
revenu des agriculteurs n’augmente pas. Dans le schéma, les éléments situés à gauche
sont les causes des éléments situés à droite.
Illustration 2.13 Le modèle de Malthus : l’effet d’une bonne récolte
50 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics
Le côté gauche du schéma décrit une économie où la population est constante et où les
revenus sont au niveau de subsistance. Cet équilibre est perturbé par une bonne
récolte, qui augmente les revenus des agriculteurs, ce qui conduit, comme le suggérait
Malthus, à une augmentation de la population. L’année suivante est marquée par :
Une augmentation de la population sur les terres
Une récolte normale
Que se passe-t-il alors ? Une diminution de la productivité moyenne par agriculteur.
Cela réduit en retour le revenu des agriculteurs, ce qui a pour conséquence un déclin
de la population, la réduction des revenus se poursuivant jusqu’à ce que les revenus
atteignent les niveaux de subsistance et que la population (par définition du mot
« subsistance ») n’évolue plus. La population revient également à son niveau initial, car
ce dernier correspondait à la taille de la population garantissant une productivité
moyenne du travail compatible avec des revenus situés au niveau de subsistance. Ainsi,
dans le Schéma 2.13, l’encadré situé à droite ne fait que restaurer l’équilibre initial.
L’économie malthusienne : l’effet du progrès technologique
L’étape suivante est d’utiliser le modèle de Malthus pour prédire les conséquences du
progrès technologique. Nous savons qu’au cours des siècles qui ont précédé la
révolution industrielle, des améliorations de la technologie ont eu lieu dans de
nombreuses régions du monde, y compris en Grande-Bretagne : pourtant, le niveau de
vie est resté bas. Le modèle prédit que la population s’ajuste automatiquement à
l’amélioration du niveau de vie consécutive à l’utilisation d’une nouvelle technologie.
Ces effets sont représentés dans le Schéma 2.14. En partant d’un équilibre où le revenu
est situé au niveau de subsistance, une nouvelle technologie (telle que de meilleures
semences) augmente le revenu par tête sur la quantité fixe de terres disponibles.
L’augmentation du niveau de vie a pour conséquence une augmentation de la
population. Puisqu’il y a davantage d’individus pour une même quantité de terres, le
rendement du travail diminue, et le revenu par tête moyen également. Finalement,
CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 51
l’économie revient à une situation où les revenus sont au niveau de subsistance, mais
avec une population plus importante.
Illustration 2.14 Le modèle de Malthus : l’effet d’une amélioration de la technologie
Les conditions nécessaires à l’application du modèle malthusien à une amélioration de
la technologie sont les suivantes :
La productivité moyenne du travail diminue à mesure que la quantité de travail
allouée à une quantité fixe de terres augmente,
Et la population augmente en réponse à une augmentation des salaires réels.
Dans ce cas, à long terme, une augmentation de la productivité a pour conséquence
une augmentation de la population, mais pas une augmentation des salaires. Cette
conclusion déprimante était autrefois considérée comme suffisamment universelle et
inévitable pour justifier l’emploi du terme loi de Malthus.
52 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics
2.7 LA TRAPPE MALTHUSIENNE ET LA STAGNATION ÉCONOMIQUE DE LONG TERME
À long terme, l’impact majeur de l’amélioration de la technologie dans ce monde
malthusien a été une augmentation de la population ; ce qui pourrait expliquer
pourquoi la Chine et l’Inde, avec leurs économies relativement sophistiquées, ont fini
avec des populations si importantes, et, jusqu’à récemment, avec des revenus très
faibles. L'écrivain H.G. Wells, auteur de La Guerre des Mondes en 1905, résumait bien
ce mode de pensée lorsqu’il écrivit : « l'humanité a dilapidé les grands bienfaits de la
science, aussitôt qu’elle les a obtenus, par une multiplication insensée du peuple ».
Nous avons désormais une explication potentielle de la longue portion plate de la
crosse de hockey. Les êtres humains ont périodiquement inventé de meilleurs
procédés de fabrication, à la fois dans le domaine de l’agriculture et dans celui de
l’industrie, ce qui a périodiquement augmenté le revenu des agriculteurs et des
employés au-dessus du niveau de subsistance. Mais selon le point de vue malthusien, à
chaque fois, la hausse du salaire réel a poussé les jeunes couples à se marier plus tôt et
à avoir plus d’enfants ; elle a également eu pour conséquence des taux de mortalité
plus faibles. Cela a généré une augmentation de la population, ce qui a finalement
contraint les salaires réels à revenir au niveau de subsistance.
Tout comme dans notre modélisation des rentes d’innovation, des prix relatifs et du
progrès technologique, nous devons nous poser cette question : cette lecture
malthusienne de l’histoire est-elle compatible avec les faits ?
Le Graphique 2.15 est cohérent par rapport aux prédictions de Malthus. Du début des
XIIIe et XVIIe siècles, les salaires en Grande-Bretagne ont oscillé entre les phases élevées
et faibles représentées sur le graphique. Lorsque les salaires sont plus élevés, la
population croît, ce qui fait diminuer les salaires et provoque une réduction de la
population, ce qui conduit à nouveau les salaires à augmenter, et ainsi de suite. Le
cercle vicieux de Malthus est ici manifeste.
Il est possible d’obtenir une autre version de ce cercle vicieux en prenant les mêmes
données que celles du Graphique 2.15, et en se concentrant sur la période allant
CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 53
d’environ 1340 (soit le début de la peste bubonique connue sous le nom de peste
noire) et 1600, comme le fait le Graphique 2.16. La partie inférieure du graphique
représente les relations de cause à effet qui ont généré les effets analysés plus haut.
Illustration 2.15 La trappe malthusienne : salaires et population entre 1280 et 1600
Source : Allen, R. C. (2001), The Great Divergence in European Wages and Prices from the Middle Ages
to the First World War.
54 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics
Illustration 2.16 Peste noire, offre de travail, politique et salaires : une économie
malthusienne
Dans cette illustration, nous examinons l’économie malthusienne qui a existé en
Angleterre entre les années 1300 et 1600. La peste bubonique de 1348-1350 était
également appelée la peste noire. Elle a tué 1,5 million de personnes parmi la
population anglaise alors estimée à 4 millions de personnes, ce qui s’est traduit par une
chute spectaculaire de l’offre de travail. Cette baisse de la population a signifié un
bénéfice économique pour les fermiers et travailleurs qui ont survécu. Les fermiers
CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 55
avaient à la fois plus de terres et des terres de meilleure qualité et les travailleurs
pouvaient demander des salaires plus élevés. Les revenus augmentaient à mesure que
la peste s’atténuait. En 1351, le roi Edouard III a tenté de limiter l’augmentation des
salaires par la loi, ce qui a contribué à une période de révoltes contre l’autorité,
notamment la révolte des paysans de 1381. Malgré l’intervention du roi, les revenus
ont continué à augmenter. Les salaires plus élevés ont permis à la population de se
rétablir au XVIe siècle, mais la loi de Malthus a opéré : comme la population
augmentait, les revenus ont baissé. En 1600, les salaires réels ont chuté au niveau qu’ils
connaissaient 300 ans auparavant. Notre modèle de l’économie malthusienne nous
aide à expliquer l’augmentation et la baisse des revenus entre 1300 et 1600 en
Angleterre.
Les liens de cause à effet du Graphique 2.16 combinent les deux points essentiels du
modèle malthusien et le rôle des événements politiques comme causes et
conséquences des changements dans l’économie.
En 1349 et en 1351, le roi d’Angleterre Edouard III fit adopter des lois visant à
restreindre la hausse des salaires. Dans ce cas, l’économie (la baisse de l’offre de
travail) l’a emporté sur la politique : les salaires ont continué à augmenter, et les
paysans ont commencé à exercer leur pouvoir accru lors d’une rébellion en 1381, en
demandant notamment plus de liberté et des impôts plus faibles.
La peste bubonique a causé la disparition d’un quart à un tiers de la population
européenne entre 1349 et 1351. Les salaires réels des ouvriers du bâtiment anglais ont
commencé à augmenter à l’époque de la peste bubonique, et ils avaient doublé au
milieu du XVe siècle. En Angleterre, la réduction du nombre de travailleurs a eu les
effets suivants :
Une hausse de la productivité moyenne : le principe de décroissance de la
productivité moyenne du travail agricole combiné à une baisse du nombre
d’agriculteurs ayant accès à une même terre.
Les agriculteurs qui possédaient leurs terres ont vu leur situation s’améliorer : ils
détenaient ce qu’ils produisaient. Les agriculteurs payant une rente fixe à un
56 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics
propriétaire terrien ont également vu leur situation s’améliorer.
Dans les villes, des salaires plus élevés ont été proposés : la hausse des revenus
des agriculteurs a compliqué la tâche des employeurs souhaitant attirer des
travailleurs venant des zones rurales.
Mais lorsque la population s’est rétablie au XVIe siècle, l’offre de travail a augmenté, ce
qui a fait diminuer les salaires. Sur la base de ces preuves empiriques, l’explication
malthusienne est cohérente avec l’histoire de l’Angleterre à cette époque.
DISCUSSION 2.7 : QU’AJOUTERIEZ-VOUS ?
Le schéma des causes et effets du Graphique 2.16 fait appel à de nombreuses
hypothèses de type ceteris paribus.
1. En quoi le modèle simplifie-t-il la réalité ?
2. Que met-on de côté ?
3. Tentez de tracer à nouveau le schéma en incluant d’autres facteurs qui vous
semblent importants.
DISCUSSION 2.8 : DÉFINIR LE PROGRÈS ÉCONOMIQUE
Les salaires réels ont également fortement augmenté dans les autres pays pour
lesquels nous avons des données10, tels que l'Espagne, l'Italie, l'Égypte, les Balkans et
Constantinople (aujourd'hui Istanbul).
« Les gens ordinaires … réclamaient les aliments les plus chers et les plus délicats …
tandis que les enfants et les femmes du peuple se paraient des vêtements les plus
précieux de personnages illustres maintenant décédés. "
– Matteo Villani, Florence, Italie (1363)
10 William McNeill, un historien, montre l’impact des maladies infectieuses sur les hommes au cours des siècles. Voir : McNeill, William. 1977. Plagues and Peoples. Doubleday: Garden City.
CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 57
1. Villani, un résident de Florence, se plaignait de ce que les travailleurs demandent
des salaires trois fois plus élevés qu’auparavant. D’après vous, pourquoi cela
l’agaçait-il ?
2. Quels sont les avantages et les inconvénients de mesurer le progrès économique
grâce à la croissance des salaires réels plutôt que grâce à la croissance du PIB par
tête ?
3. Quels arguments pouvez-vous proposer en faveur de chacun des indicateurs, et
quels sont leurs inconvénients respectifs ?
4. Confrontez vos arguments à ceux de vos camarades. Êtes-vous d’accord ? S’il y a
désaccord entre vous, existe-t-il des faits qui pourraient le résoudre, et si oui,
quels sont-ils ? S’il n’y en a pas, pourquoi êtes-vous en désaccord ?
Nous nous sommes concentrés sur les agriculteurs et les travailleurs gagnant un salaire,
mais au sein de l’économie, tout le monde n’était pas pris dans une trappe
malthusienne. Avec l’augmentation de la population, la demande de nourriture a
également augmenté ; dès lors, la quantité limitée de terres pouvant être utilisée pour
produire de la nourriture devait prendre de la valeur. Dans un monde malthusien où la
population augmente, la croissance de la population doit mener à une amélioration de
la position économique relative des propriétaires terriens.
C’est ce qui s’est passé en Angleterre : le graphique indique que les salaires réels n’ont
pas augmenté à très long terme (ils n’étaient pas plus élevés en 1800 qu’en 1450).
L’écart entre les propriétaires terriens et les travailleurs s’est alors creusé. Aux XVIIe et
XVIIIe siècles, les salaires des travailleurs anglais non qualifiés relativement aux revenus
des propriétaires terriens, ne correspondaient qu’à un cinquième de ce qu’ils étaient au
XVIe siècle.
Pourtant, alors que les salaires étaient bas relativement aux rentes des propriétaires
terriens, ce n’est pas cette comparaison qui explique de manière décisive comment la
Grande-Bretagne a échappé à la trappe malthusienne. Le point-clé de ce processus est
que les salaires sont restés élevés comparativement au prix du charbon (Graphique 2.8)
58 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics
et qu’ils ont même augmenté relativement au coût d’utilisation des biens
d’équipement (Graphique 2.9), comme nous l’avons vu précédemment.
2.8 SORTIR DE LA STAGNATION MALTHUSIENNE
Nassau Senior, l’économiste qui se plaignait du fait que le nombre de victimes de la
famine irlandaise était tout à fait insuffisant, ne semblait pas manifester une grande
compassion. Cependant, Malthus et lui n’avaient pas tort lorsqu’ils pensaient que la
combinaison d’une croissance de la population en réponse à la hausse des revenus, et
d’une décroissance de la productivité moyenne du travail sur une quantité fixe de
terres, créerait un cercle vicieux de stagnation économique et de pauvreté. Les
graphiques en forme de crosse de hockey représentant le niveau de vie montrent
toutefois qu’ils ont eu tort de penser que cela ne pourrait jamais changer.
Nous devrions réviser la loi de Malthus. Une économie s’expose au risque de trappe
malthusienne si elle satisfaisait non pas deux, mais trois conditions :
Rendements décroissants (décroissance de la productivité moyenne) du travail.
Croissance de la population suite à une augmentation des salaires.
Absence d’amélioration permanente de la technologie, d’ampleur suffisante pour
compenser les rendements décroissants du travail.
Il s’avère que la révolution technologique permanente signifie que le modèle
malthusien n’est plus une description raisonnable du monde. Le niveau de vie moyen a
augmenté de manière rapide et durable après la révolution capitaliste.
Le Graphique 2.17 représente le salaire réel et la population entre les années 1280 et
1860. Comme nous l’avons vu dans le Graphique 2.15, lors des siècles précédents, il
existait une relation inverse très nette entre population et salaires réels : lorsque l’un
augmentait, l’autre diminuait, comme le suggérait simplement la théorie malthusienne.
Entre la fin du XVIe siècle et le début du XVIIIe siècle, malgré une hausse des salaires, la
CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 59
croissance de la population a été faible. Autour de 1740, la logique malthusienne
réapparaît (dans ce que nous appelons « le XVIIIe siècle »). Puis vers 1800, l’économie
semble transiter vers un régime entièrement nouveau, dans lequel la population et les
salaires réels augmentent simultanément. C’est ce que nous appelons la « sortie de la
trappe ».
Illustration 2.18 Sortir de la trappe démographique malthusienne : population et
salaires réels en Angleterre, des années 1280 aux années 1860
Source : Allen, R. C. (2001), The Great Divergence in European Wages and Prices from the Middle Ages
to the First World War.
Le Graphique 2.18 se focalise sur cette dernière portion des données de salaires.
60 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics
Illustration 2.18 Sortie de la trappe malthusienne
CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 61
Le Graphique 2.17 montre qu’au milieu du XVIIIe siècle, la contrainte malthusienne
persistait. Au milieu du XIXe siècle cependant, l’économie s’est déplacée vers ce qui
semble être un nouveau régime non-malthusien, marqué par une hausse simultanée
de la population et des salaires réels. Cette période a commencé par des améliorations
technologiques qui firent augmenter la production par travailleur, telles la machine à
filer et la machine à vapeur. Les innovations ont continué au cours de la période, alors
que la révolution technologique devenait permanente, contraignant des milliers de
fileuses, de tisserands et des agriculteurs à l’exode. Ceci, à son tour, a affaibli le pouvoir
de négociation des travailleurs et contribué à maintenir des salaires faibles, comme
l’indique la phase plate de la courbe en crosse entre 1750 et 1830. Au cours de cette
période, la taille du gâteau augmentait, mais pas la part accordée aux travailleurs. Dans
les années 1830 cependant, les forces de l’offre et de la demande de travail
engendrèrent une envolée des profits. Les profits, la concurrence et l’évolution
technologique ont rendu possible l’augmentation de la taille des entreprises. La
demande de travail a augmenté. La population a abandonné l’agriculture pour
travailler dans les nouvelles manufactures. L’offre de travail a commencé à diminuer
lorsque l’on a interdit aux propriétaires d’entreprises d’employer des enfants. La
combinaison d’une hausse de la demande et d’une baisse de l’offre de travail a
amélioré le pouvoir de négociation des travailleurs, notamment après l’obtention du
droit de vote et du droit de former des syndicats. Suite à ces changements, les
travailleurs ont pu demander une part constante, voire croissante des hausses de
productivité engendrées par la révolution technologique permanente.
Dans une de nos vidéos Économistes en action, Suresh Naidu, un historien de
l’économie, explique comment la croissance de la population, le progrès technologique
et les évènements politiques ont interagi pour produire la courbe en forme de crosse
de hockey du salaire réel.
Lien vers la vidéo de l’interview (« Economist in Action » Suresh Naidu).
Nous pouvons déduire de cette amélioration spectaculaire des revenus des travailleurs,
qu’il existe deux types d’influence sur les salaires :
62 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics
Le niveau de production : la quantité produite grâce une combinaison de travail
et d’autres facteurs de production fixe un plafond pour le taux de rémunération,
même si le propriétaire des terres ou des machines utilisées dans la production
devait ne rien recevoir. Tout comme dans l’exemple de la fonction de production
de l’agriculteur, dans la section 2.6, la productivité moyenne du travail
détermine la taille du gâteau à partager, mais elle ne détermine pas la part des
travailleurs.
La part reçue par les travailleurs : elle dépend de leur pouvoir de négociation, qui
dépend lui-même de la façon dont les salaires sont déterminés (individuelle, ou
grâce à des négociations menées par les syndicats, par exemple), ainsi que de
l’offre et de la demande de travailleurs. Si de nombreux travailleurs sont en
concurrence pour un même emploi (l’offre de travailleurs est plus importante
que la demande de travailleurs de la part des employeurs), il est probable que les
salaires seront faibles.
Après 1830, la taille du gâteau a continué à croître, et la part des travailleurs
également. La Grande-Bretagne est sortie de la trappe malthusienne. Le processus
devait bientôt se répéter dans d’autres pays, comme le montrent les Graphiques 1.1a
et 1.1b de l’Unité 1.
QUAND LES ÉCONOMISTES NE SONT PAS D’ACCORD
QUELLES FURENT LES CAUSES DE LA RÉVOLUTION INDUSTRIELLE ?
L'argument que nous avons utilisé pour construire notre modèle, selon lequel la
Grande-Bretagne a adopté certaines technologies avant le reste du monde parce que le
coût du travail y était élevé et le coût de l’énergie faible, a été avancé par l’historien de
l’économie, Robert Allen. Il en développe un exemple dans cette vidéo. Son ouvrage
Introduction à l’histoire économique mondiale est une introduction accessible à ses
travaux.
Cependant, la théorie d’Allen sur les causes de la révolution industrielle est
controversée :
CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 63
• Joel Mokyr, spécialiste de l'histoire de la technologie, affirme que les véritables
origines du changement technologique se trouvent dans la révolution scientifique
opérée en Europe, au moment des Lumières11, et dans les capacités techniques des
artisans qui ont permis de construire les machines perfectionnées de l'époque. Selon
lui, même si les prix relatifs des facteurs peuvent pousser les inventions dans une
direction ou une autre, ils sont davantage le volant que le moteur du progrès
technologique.
• David Landes, un historien, est également en désaccord avec Allen. Il suggère que
l’Europe a dépassé la Chine pour des raisons culturelles et institutionnelles12. D’après
lui, l’État chinois était trop puissant et freinait l’innovation, tandis que la culture
chinoise préférait la stabilité au changement.
• Gregory Clark, un historien de l’économie, attribue également le décollage de la
Grande-Bretagne à sa culture. Pour Clark cependant, la clé du succès résidait à la fois
dans les attributs culturels des Britanniques, et dans le fait de travailler avec
acharnement et d’épargner beaucoup 13 : ces attributs étaient alors transmis
génétiquement à leurs descendants.
• Kenneth Pomeranz, un historien, affirme que la forte croissance européenne du
début du XIXe siècle était due davantage à l'abondance de charbon en Grande-
Bretagne14 qu’aux différences culturelles ou institutionnelles avec la Chine. Pomeranz
relève également l’importance de l'accès à la production agricole dans les colonies
britanniques (et en particulier au sucre et à ses dérivés), qui a permis à la Grande-
Bretagne de nourrir la classe grandissante des travailleurs industriels, sans avoir besoin
de mettre en culture des terres de moins en moins fertiles, ce qui lui a permis
d’échapper aux rendements décroissants de la production agricole.
Les chercheurs ne seront probablement jamais complètement unanimes sur les causes
de la révolution industrielle. Une des difficultés est que ce changement ne s’est produit
qu'à une seule occasion, ce qui complique la tâche des chercheurs en sciences sociales. 11 Mokyr, Joel. 2002. The Gifts of Athena: Historical Origins of the Knowledge Economy. Princeton, NJ: Princeton University Press. 12 Landes, David S. 2006. ‘Why Europe and the West? Why Not China?’ Journal of Economic Perspectives 20 (2): 3–22. 13 Clark, Gregory. 2007. A Farewell to Alms: A Brief Economic History of the World. Princeton, NJ: Princeton University Press. 14 Pomeranz, Kenneth L. 2000. The Great Divergence: China, Europe and the Making of the Modern World Economy. Princeton, NJ: Princeton University Press.
64 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics
En réalité, le décollage européen a vraisemblablement été le résultat d'une
combinaison de facteurs scientifiques, démographiques, politiques, géographiques et
militaires. Plusieurs scientifiques soutiennent que cette croissance était aussi en partie
due à des interactions entre l'Europe et le reste du monde, et pas seulement à des
changements en Europe.
Les historiens tels que Pomeranz ont tendance à se concentrer sur les particularités
d’une époque et d’un espace géographique. Ils sont plus susceptibles de conclure que
la révolution industrielle s’est produite du fait d'une combinaison unique de
circonstances favorables (même s’ils peuvent débattre desquelles).
Les économistes tels qu’Allen tendent plutôt à chercher des mécanismes généraux
susceptibles d’expliquer les résultats économiques à différentes époques et dans
différents pays.
Les économistes ont beaucoup à apprendre des historiens, mais trouvent souvent que
leurs arguments ne sont pas suffisamment précis pour être testables dans un modèle.
Certains historiens considèrent les modèles des économistes comme simplistes,
partant d’hypothèses de type ceteris paribus qui négligent des faits historiques
importants. Cette tension créatrice 15 est ce qui rend l'histoire économique si
fascinante.
Les historiens de l'économie ont effectué des progrès conséquents ces dernières
années pour quantifier la croissance économique à très long terme. En clarifiant ce qui
s’est passé, leur travail facilite la réflexion sur les causes de ces événements. Une partie
des avancées récentes a consisté à comparer les salaires réels sur le long terme dans
différents pays. Pour cela, il a fallu recenser les salaires et les prix des biens consommés
par les travailleurs sur une très longue période. Une série de projets encore plus
ambitieux a conduit à calculer le PIB par habitant de certains pays jusqu’au Moyen-Âge.
15 Si vous voulez découvrir ce que ces chercheurs pensent du travail de leurs pairs, cliquez sur les liens suivants: Gregory Clark review Joel Mokyr ou Robert Allen review Gregory Clark.
CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 65
2.9 CONCLUSION
Dans ce chapitre :
Nous avons présenté un modèle économique, montrant comment le processus
de concurrence entre entreprises permet non seulement aux propriétaires
d’entreprises qui innovent avec succès de réaliser des profits exceptionnels, mais
également de stimuler et diffuser les améliorations technologiques au sein de
l’économie, puisque d’autres entreprises suivent l’entreprise en tête pour éviter
de décrocher.
Nous avons montré comment le modèle malthusien de l’économie expliquait le
cercle vicieux dans lequel la croissance de la population annule les gains
temporaires de revenu, jusqu’à ce que la révolution technologique permanente
permette de sortir de cette trappe grâce à une amélioration de la technologie.
Nous avons expliqué comment les forces de l’offre et de la demande, ainsi que
les influences, politiques ou autres, sur le pouvoir de négociation des travailleurs
et des employeurs contribuent à expliquer pourquoi l’histoire a conduit à cette
forme particulière de crosse de hockey, représentant d’abord une stagnation du
niveau de vie, puis une amélioration phénoménale de cette dernière.
Nous avons raconté comment la révolution capitaliste a altéré le cours de l’histoire
britannique, en partie parce qu’il s’agissait de la première occurrence d’une
combinaison unique de propriété privée, de marchés, d’entreprises et de révolution
technologique permanente.
On ne peut cependant pas dire que la Grande-Bretagne, ou n’importe quel autre pays,
soit représentatif de ce processus ; chaque économie qui est sortie de la trappe
malthusienne l’a fait d’une manière différente. Les trajectoires nationales des premiers
pays à suivre la Grande-Bretagne ont été en partie influencées par le rôle dominant
que la Grande-Bretagne a été amenée à jouer dans l’économie mondiale. L’Allemagne,
par exemple, ne pouvait pas concurrencer la Grande-Bretagne dans le domaine du
textile ; mais le gouvernement et les grandes banques ont joué un rôle primordial dans
la production d’acier et d’autres industries lourdes. Le Japon a dépassé la Grande-
66 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics
Bretagne dans certains marchés de textile asiatiques, bénéficiant de son isolement, dû
à la distance considérable qui le séparait des pays pionniers de la révolution industrielle
(à cette époque, le temps de trajet se comptait en semaines). Le Japon a imité
certaines technologies et institutions, adoptant le système économique capitaliste tout
en maintenant de nombreuses institutions traditionnelles japonaises, y compris le
pouvoir de l’empereur, qui a duré jusqu’à la défaite japonaise lors de la Seconde
Guerre Mondiale.
L’Inde et la Chine fournissent un contraste encore plus saisissant. La Chine a fait
l’expérience de la révolution capitaliste lorsque le Parti Communiste s’est éloigné
progressivement du modèle de planification centralisée de l’économie – l’antithèse du
capitalisme – que le Parti avait lui-même instauré. L’Inde, en revanche, est la première
grande économie de l’histoire à avoir adopté la démocratie, incluant le droit de vote
universel, avant d’entreprendre sa révolution capitaliste.
Comme nous l'avons évoqué dans l’Unité 1, la révolution industrielle n'a pas entraîné
une croissance économique généralisée dans le monde. Née en Grande-Bretagne, et
propagée lentement au reste du monde, elle a entraîné une forte augmentation des
inégalités de revenus entre les pays aux XIXe et XXe siècles. L'un des plus célèbres
historiens de la révolution industrielle, David Landes, posa la question en ces termes :
« Pourquoi sommes-nous si riches et eux si pauvres ? »16.
Par « nous », il entendait les sociétés riches d'Europe et d'Amérique du Nord ; par
« eux », les sociétés plus pauvres d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine. Landes
suggère, un peu malicieusement, qu'il y a essentiellement deux réponses à cette
question :
« La première est que nous sommes riches et qu’ils sont pauvres parce que nous
sommes bons et qu’ils sont mauvais ; c’est-à-dire que nous sommes travailleurs,
compétents, instruits, bien gouvernés, efficaces et productifs, alors qu’ils sont tout le
contraire. La deuxième est que nous sommes riches et eux pauvres parce que nous
16 Landes, David S. 1990. ‘Why Are We So Rich and They So Poor?’ American Economic Review 80 (May): 1–13.
CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 67
sommes mauvais et qu’ils sont bons : nous sommes avides, impitoyables, agressifs et
les avons exploités alors qu'ils sont faibles, innocents, vulnérables, vertueux, et qu’on a
abusé d’eux. »
– David Landes, “Why are we so rich and they so poor?” (1990)
NOTIONS INTRODUITES DANS L’UNITÉ 2
Avant de passer à l’unité suivante, passez en revue ces définitions :
Équilibre
Ceteris paribus
Prix relatifs
Incitations
Décroissance de la productivité moyenne du travail
Meilleur usage alternatif
Rente économique
Droite d’isocoût
Rente d’innovation
Si vous pensez que la révolution industrielle s’est produite en Europe en raison de la
Réforme protestante, de la Renaissance, des Lumières, de la révolution scientifique, du
développement des droits de propriété intellectuelle, ou de politiques
gouvernementales favorables, alors vous vous rangez dans le premier camp. Si vous
pensez que la révolution industrielle a eu lieu à l’aide de la colonisation, de
l’impérialisme, de l'esclavage, ou de la demande générée par les guerres perpétuelles,
alors vous êtes dans le deuxième.
Vous remarquerez qu’aucune de ces forces n’est de nature économique et que d’après
certains universitaires, elles eurent des conséquences économiques importantes. Vous
remarquerez probablement également que le choix entre les deux réponses proposées
par Landes risque d’être idéologiquement orienté ; cependant, comme Landes le
remarque, « soutenir l’un n’implique pas nécessairement d’exclure l’autre ».
68 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics
DISCUSSION 2.9 : POURQUOI LA RÉVOLUTION INDUSTRIELLE NE S’EST-ELLE PAS
PRODUITE EN ASIE ?
Lisez la réponse que Landes a apportée à la question qu’il a lui-même posée, et ce texte
analysant dans quelle mesure l’expérience britannique a été un évènement
exceptionnel17, et discutez les raisons pour lesquelles la révolution industrielle s’est
produite en Europe plutôt qu'en Asie, et en Grande-Bretagne plutôt qu'en Europe
continentale.
1. Quels arguments avez-vous trouvé les plus convaincants, et pourquoi ?
2. Quels arguments avez-vous trouvé les moins convaincants, et pourquoi ?
17 Alexander Gerschenkron, un historien, argumente que le cas bien connu du décollage économique de la Grande-Bretagne n’est guère représentatif des cas qui ont suivi. Voir : Gerschenkron, Alexander. 1962. Economic Backwardness in Historical Perspective. Cambridge, MA: Harvard University Press.
CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 69
Points-clé de l’Unité2
Modèles
Les économistes utilisent les faits et des modèles pour comprendre le fonctionnement
de l’économie, et dans quelle mesure il est possible d’améliorer son fonctionnement
pour les individus.
Prix relatifs
Les prix relatifs (y compris les salaires) influencent les choix technologiques.
70 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics
Rentes d’innovation
Les rentes d’innovation stimulent l’innovation technologique.
La concurrence engendre une diffusion de la technologie
La concurrence crée un environnement dans lequel les innovations qui permettent de
générer des rentes d’innovation sont copiées, diffusant ainsi les améliorations
technologiques.
CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 71
Économie malthusienne
L’économie malthusienne utilise le principe de décroissance de la productivité
moyenne du travail pour prédire que, dès lors que la population augmente sur une
quantité fixe de terre, la production obtenue par chaque travailleur supplémentaire
diminue. La productivité moyenne par travailleur diminue, et le niveau de vie diminue
en conséquence.
Niveau de vie de subsistance
À long terme, l’augmentation de la population dans une économie malthusienne, tire le
niveau de vie vers le bas, jusqu’à un niveau de subsistance, auquel ce niveau de vie
reste constant.
72 SciencesPo Coreecon | Curriculum Open-access Resources in Economics
Sortir de la trappe malthusienne
À la fin du XIXe siècle, les pays riches sont sortis de la trappe malthusienne. Le progrès
technologique constant et la rareté du travail ont provoqué une hausse durable du
niveau de vie.
Expliquer la révolution industrielle
Il existe de nombreuses explications quant à l’apparition de la révolution industrielle en
Grande-Bretagne, il est toutefois clair que les incitations économiques, sous la forme
de prix relatifs, y ont joué un rôle.
CHAPITRE 2 | PROGRÈS TECHNOLOGIQUE, POPULATION ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE 73
4.11 POUR EN SAVOIR PLUS
Bibliographie
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