une ville idéale - jules verne

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En 1999, le Centre international Jules Verne publiait "Une Ville idéale", édition annotée par Daniel Compère et illustrée par les étudiants de quatrième année de l'ESAD Amiens. Cet ouvrage est toujours disponible mais le CIJV le place à la portée de tous par cette version numérique. www.jules-verne.net - 70 rue des Jacobins - 80000 Amiens - 03 60 24 78 50

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Siiuer Une Ville ldéole

Lo découverte du monuscrit écrit en'I 863 de Poris ou XX'sîècle etson édition en 1994 ont confirméque jules Verne étoil à iuste tikeconsidéré comme l'initioteur illushedes romons d'onticipotion.Dix ons oprès ovoir écrit Poris ouXX. siècle, il réoffirme dons UneYÎlle idéole so vision d'une ciiéà l'oube du hoisième millénoire.Comme le romon qui l'o précédé,lo nouvelle nous roconte les

hommes dons lo ville et l'influencedes progrès techniques sur leurscomportements.tors de son instollotion à Amiens,Jules Verne ovoit écrit Uaelontoisie du docteur Ox,nouvelle sur une ville endormiesoudoin dopée por l'orrivée d'unsovont excentrique, et il fout bienle dire à demi fou...Après son élection ou conseilmunicipol d'Amiens, en 1888,puis suite ô so réélection en

I 892, Jules Verne écrit deuxoutres textes d'onticipotion sur loville: une nouvelle, b tournêed'un iournolîste amértcainen 2890, en colloborolion ovecson fils, et un romon, L'lle à hélice,dons lequel il nous livre son

expérience des compognesélectoroles et imogine une villeflottonte, sorte de porleovion

gigontesque, porodisde milliordoires, portogé enlrel'enchontement et ledésenchontement du monde.De même que Poris ou X* sièclesonctionnoit quinze onnées de lovie de Jules Verne à Poris, ses

oulres textes morquent les étopesde so vie omiénoise.Nous ovons voulu que ce lexteporoisse pour lo première foisilluské, por de ieunes illustroteursfronçois qui représentent ici les

tendonces grophiques de l'on2000. Les imoges soulignenl leton éhonge de ce texle qui est unepromenode dons lo société future,mois oussi une promenode donslo copitole de Picordie, tellequ'elle fut, telle qu'elle est. telleque l'o rêvêe Jules Verne.

lléditeur

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[Jne

Yille idéale

Jules Verne

22 illustrations originales

Édition annotée par Daniel Compère, maltre de conférence à

I'Université de Paris III Sorbonne Nouvelle.

Édition CDJV - La Maison de Iules Verne

sous la direction de Jean Paul Dekiss

Amiens rgg9.

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^cÀDÉMtE D'Àl§rlu]is

iJNIE VILLEIDÉALE

Lccturc taitc .dans 'la Séancc ptùtiqrc annucllc

da tz Dkcmbrc 1875

Prt

À{. JULES VERNE.DrîEclrut ot t'ecrpÊxrs

AMIENS

IMPRIUERIE DE T. J.EUIiET

t.9r Drt Gltuctltr 47

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AvonFpropos

llon 2000: ce chiffre qui n'est enréolité qu'une dote, semble tenifierles uns olors que d'ouhes s'enréjouissent et se préporent àcélébrer ioyeusemenl celévénement.

Je ne suis plus kès ieune et

i'éprouve un ogréobleétonnement; vivre en l'on 20Q0!Dons mon enfonce. lès porentsen porloienl comme d'un mÿhe,c'est si loin l'on 2000! Moisnous, fillettes et petits gorçonsnous en élions cerloins,ce n'étoit pos seulemenl unbeou rêve.

Or, il se trouve que Jules

Verne, qui ouroit 172 ons en l'on20OO o rêvé un iour qu'il se

promenoit dons une villetotolement inconnue. Commeon le soit, en l87l il o décidéde se fixer ô Amiens.

En 1875, il est Directeur pourun on, de l'Acodémie desSciences, Leltres et A*s, il estoppelé ô foire un discours; cen'est pos le premier puisque deuxoutres ont eu lieu en lo mêmeAcodémie, l'un en ionvier. lesecond en iuin 1875, il en ferod'outres por lo suite éloni invité ôporliciper ô diverses cérémonies,inougurotions, dishibutions desprix etc. Ses discours sonl

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oppréciés cor l'humour esltouiours présent toul enrespectont les ouditeurs et lespersonnolités.

En ce l2 décembre 1875,lo séonce est publique. tespersonnolités de lo Ville, moisoussi les porticuliers sonlprésents, et, Mirocle ! On yoccueille même « ces domes, !

Dès le débul les ouditeurssont surpris, l'écrivoin onnoncequ'il remploce le discourspor le récii d'une oventurepersonnelle et s'en excuse, c'estintéressont, que vo 1-il onnoncer?Rien de possionnonl en foit,dernièrement il o ossislé è unedistribution des prix et o écoutéoltentivement le récil d'uncollègue qui évoquoit les chormesde lo «Petite Venise» queforment les onze bros de loSomme.

Pire encore, il oioute querentré chez lui, il dîne, se coucheet s'endorl... Le lendemoin, il se

réveille kès lord el s'en étonnecor en se couchont il n'o obsorbéoucun soporifique el n'o lu oucundiscours officiel. En quoi ses

oveux peuvent-ils intéresser ceuxqui l'écoute?

C'esl olors que l'on découvrele tolent de jules Verne, so

subtilité. ll o l'intention de foireune critique de lo ville dons l'étotoù elle se trouve ô cette époque

mois il est évident qu'il lui foutménoger lo susceptibilité deschers élus. ll imogine de renverserle ieu et foil dons cette villel'Amiens dont il rêve unepromenode. Mois lo ville qu'ildécrit n'exisle pos. So promenodeesl une promenode impossible.Tout y est renversé, c'est un Miroirtronsporenl qui monhe l'endroilet l'envers. C'esl une promenodedongereuse dons une ville qu'il ne

reconnoît pos, qui lui poroiihoslile. ll s'élonne, se pose desqueslions qui restenl sonsréponses.

ll entend des bruits éhonges,évile de peu des occidents. De plus

en plus inquiet, dons un crescendoinsoutenoble, il pense comme sonmédecin, qu'il devient fou !

En orrivonl à lo Hotoie, il se

rossure... C'esl oussi ô ce momentque nous sourons lo suite de cetlehistoire hobilement imoginée,ovec une pointe d'humour elbeoucoup de rêve.

ll nous y invile ô lire enireles lignes, ô découvrir le sel el lofinesse de ses écrits.

Cécile Compère

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Mesdames et Messieurs,

Voulez-vous me permettre de manquer à tous les devoirs d'un direc-teur de l'Académie d'Amiens, présidant une séance générale, en rem-plaçant le discours accoutumé par le récit d'une aventure qui m'estpersonnelle. Je m'en excuse d'avance, non seulement près de mes

collègues, dont labienveillance ne m'a jamais fait défaut, mais aussi

près de vous, Mesdames et Messieurs, qui allez être trompés dans

votre attente.

J'assistais, âu commencement du mois d'août dernier, à la distri-bution des prix du Lycée. Là, sans qütter mon fauteül, guidé par M. Ie

professeur Cartault, devenu depuis notre collègue, j'ai fait une pro-menade dans ce vieil Amiens, si merveilleusement poétisé par l'ha-bile crayon des Duthoit. De cette excursion à travers la petite Venise

industrielle que les onze bras de la Somme forment au nord de laVille,il ne m'était resté que de charmants souvenirs. Je rentrai chez moi,boulevard Longueville, je dînai" je me couchai, je m'endormis.

Jusqu'ici, rien que de très naturel, et il est probable que, ce jourJà"

tousles gensvertueuxse sont conduits de cette façon, qui estlabonne.

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J'ai l'habitude de me lever de bonne heure. Or, par une circons-tance que je n'aurais pu expliquer, je ne me réveillai le lendemainque très tard. L'aurore avait été plus matinale que moi. je devais avoirdormi quinze heures au moins ! D'où venait cette prolongâtion de

sommeil? En me couchant, je n'avais absorbé aucun soporiflque ! Je

n'avais point fermé les yeux sur la lecture d'un discours officiel quel-

conque | . ..

Quoi qu'il en soit, Ie soleil avait déjà passé au méridien, quandje me levai. J'ouwis ma fenêtre. Il faisaitbeau. Je croyais être au mer-credi !... C'était dimanche, éüdemment, puisque la foule des pro-meneurs encombrait Ies boulevards. Je m'habillai, je déjeunai en

deux temps, etje sortis.Pendant cette journée, Mesdames et Messieurs, je devais . mar-

cher de surprise en surprise,, pour rappeler un des rares jeux de

mots qu'ait faits Napoléon r".Vous allez en juger.

À peine avais-je mis le pied sur Ie trottoir, que je fus assailli par une

nuée de gamins qui criaient : " Le programme du concours ! Quinzecentimes ! Qui veut le programme ?

- Moi", dis-je, sans trop réfléchir à ce que cette dépense pouvaitavoir d'inconsidéré.

C'est que, laveille, en effet, j'avais précisémentversé à la caisse

du receveur des contributions le montant de mes cotes personnelleet mobilière. Et, en vérité, je suis, comme tant d'autres, si singuliè-rement coté mobilièrement et personnellement, que le prix de ce

programme risquait de consommer ma ruine.

"Ah çà ! demandai-je à l'un de ces jeunes drôles qui m'entou-raient, de quel concours s'agit-il?

- Du concours régional, mon prince ! me répondit l'un d'eux.C'est aujourd'hui la clôture ! "

Et là-dessus toute la bande de s'envoler.

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Je restai seul avec ma principauté d'occasion, qui ne me coûtait,d'ailleurs, que trois sous.

Mais quel était donc ce concours régional? Si mes souvenirs ne

m'abusaient, il devait être clos depuis deux mois ! Il était évident que

le gamin m'avait mystifié en me vendant un vieux programme.

Quoi qu'il en soit" je pris philosophiquement la chose, et je conti-nuai mon chemin.

Arrivé au coin de la rue Lemerchier, quel fut mon étonnement,lorsque je üs que cette rue se développait au-delà des limites duregard !J'apercevais maintenant une longue suite de maisons dontIes dernières disparaissaient derrière le renflement de la côte. Étais-je donc à Rome, à l'entrée du Corso ? Ce Corso rejoignait-il les nou-veaux boulevards? Un quartier avait-il poussé là, comme uncr)?togame, avec ses hôtels et ses églises, et cela dans I'espace d'uneseule nuit?

Il devait en être ainsi, car je vis des omnibus, oui, des omnibus !

- ligne F, de Notre Dame aur Résentoirs- qui remontaient là rue avec

des charges de voyageurs !

" Parbleu, me dis-je, je vais demander au préposé de l'octroi ce

que tout cela sigrrifle ! "Je me dirigeai vers le pont que l'un de nos anciens collègues a si

élégamment jeté au-dessus du chemin de fer de la Compagnie duNord.

Absent, le préposé ! Pourquoi cette absence ? Est-ce que, depuis

hier, I'ocrroi aurait été reporté à la nouvelle enceinte des boulevards ?

Je le saurai. S'il n'y a plus de préposé au bout sud du pont, il y a, du

moins, un bon pauwe au bout nord, et ce brave homme me dira.. .

Je m'avançai. Un train passait, marchant à petite vitesse. Le méca-

nicien ébranlait l'air de ses coups de sifflets et purgeait ses cylindresâvec un llacas assourdissant.

Fut-ce une illusion de mes yeux, mais il me sembla que les wagons

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étaient construits à l'américaine, avec des passerelles qui permet-taient auxvoyageurs de circuler d'une extrémité à l'autre du train. Je

cherchai à lire les initiales de la Compagnie qui sont peintes sur les

panneaux des voitures ; mais au Iieu de l'N du Nord, je vis les P et les

F de Picardie et Flandres ! Que signiflait cette substitution de lettres ?

Est-ce que, par hasard, Ia petite Compagnie avait absorbé Ia grande ?

Est-ce que nous aurions maintenant des wagons chauffés, même

quand il fait froid au mois d'octobre, contrairement aux dispositionsréglementaires? Est-ce que nous aurions des compartiments pro-prement époussetés ? Est-ce qu'on délir.rerait des billets d'aller etretour, comme au bon temps, entre Amiens et Paris?

Tels furent les principaux avantages de l'absorption de Ia Com-

pagnie du Nord par la Compagnie de Picardie et Flandres, qui, toutd'abord, se présentèrent à mon esprit ! Mais je ne pouvais m'arrêterà ces détails d'une si absolue inwaisemblance I Je courus à I'extré-mité du pont...Pas de bon pauwe ! L'homme aux pieds en dehors et à la barbeblanche, qui fonctionne avec uneütesse de cinquante coups de cha-

peau à la minute, n'était plus Ià.

J'aurais cru à tout, Mesdames et Messieurs, oui à tout, plutôtqu'à la disparition de ce bon pauvre ! Il me semblait faire partie inté-grante du pont ! Ah ! pourquoi n'était-il pas là, à sa place habituelle ?

Deux escaliers de pierre, à double révolution, remplaçaient main-tenant les sentiers de chèwes qui, hier encore, donnaient accès auxjardins, et avec l'affluence du populaire qui les montait et les des-

cendait, quelle recette ce bon pauwe eût réalisée !

Le sou que je comptais déposer dans son chapeau me tombà des

mains. En touchant le sol, ce sou rendit un son métallique, comme

s'il eût frappé un corps dur, et non la terre molle du boulevard !

Je regardai. Une chaussée, pavée en cubes de porphyre, coupait

transversalement Ia promenade !

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Quel changement ! Ce coin d'Amiens ne méritair-il donc plus lenom de " petite Lutèce " ? Comment ! on y pourrait passer, les joursde pluie, sans s'embourber jusqu'âu mollet ? On n'ypataugerait plusdans cette boue argileuse, si détestée des indigènes d'Henriülle ?

Oui ! ce fut avec volupté que je frappai du pied ce pavé munici-pal, me demandant, Mesdames et Messieurs, si, grâce à quelque révo-lution nouvelle, les maires étaient nommés depuis hier par le Ministredes Travaux publics !

Et ce n'était pas tout ! Les boulevards, ce jour-là, avaient été arro-sés à une heure judicieusement choisie - ni trop tôt, ni trop tard - ce

qui ne permettait ni à Ia poussière de se faire, ni à l'eau de se

répandre, au moment où affluaient les promeneurs I Et Ies contre-allées, bitumées comme celles des Champs-Élysées de Paris, pré-sentaient un sol agréable au pied ! Et il y avait de doubles bancs à

dossier, entre chaque arbre ! Et ces bancs n'étaient pas contâminéspar Ie sans-façon des enfants et sans-gêne des nourrices ! Et, de dixpas en dix pas, des candélabres de bronze portâ.ient leurs éléganteslanternes jusque dans le feuillage des tilleuls et des marronniers !

" Seigneur ! m'écriai-je, si ces belles promenades sont mainte-nant aussi bien éclairées qu'elles sont bien entretenues, si quelquesétoiles de première grandeur brillent à Ia place de ces lumignons jau-nâtres du gaz d'autrefois, tout est pour le mieux dans la meilleuredes ülles possible ! "

L affluence était énorme sur les boulevards. De magniflques équi-pages, Ies uns menés à Ia Daumont, les autres à grandes guides, rou-laient sur la chaussée. J'eus quelque peine à passer. Mais, chosebizarre, je ne reconnaissais plus personne parmi ces magistrats, ces

négociants, ces avocats, ces médecins, ces notaires, ces rentiers, quej'avais Ie plaisir de rencontrer les jours de musique; personne parmices officiers qui n'étaient plus ceux du 7z' , mats ceux du 324 , coif-fés d'un shako de nouveau modèle; personne, parmi ces belles dames,

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si nonchalamment assises sur des fauteuils à lames élastiques !

Et, au fait, quelles étaient donc ces merveilleuses qui se pava-

naient dans les contre-allées, devançant, par les fantaisies de leurstoilettes, les dernières modes que j'eusse vues à Paris ? Quels poufsen fleurs artificielles, qui ressemblaient à des bouquets, déposés, unpeu bas peut-être, au-dessous de Ia taille ! Quelles longues traînes,montées sur de petites roulettes de métal qui murmuraient déli-cieusement sur le sable ! Quels chapeaux, avec lianes enchevêtrées,

plantes arborescentes, oiseaux des tropiques, serpents et jâguars en

miniature, et dont une forêt du Brésil n'eût donné qu'une idée impar-faite ! Quels chignons, d'un volume si embarrassant et d'un poids si

considérable, que ces élégantes étaient forcées de les porter dans

une petite hotte en osier, ornée, d'ailleurs, avec un goût irrépro-chable ! Enfin, quelles polonaises, dont les combinaisons de plis, de

rubans et de dentelles, m'eussent semblé moins faciles à reconsti-tuer que la Pologne elle-même !

Je restais là. immobile ! Tout ce monde passait devant moi comme

un cortège de féerie. J'observai qu'il n'yavaitplus nijeunes gens au-

dessus de dix-huit ans, ni jeunes filles au-dessus de seize. Rien que

des couples mariés, se donnant amoureusement le bras, et un four-millement d'enfants, comme il ne s'en est peut-être jamais vu, depüsque les populations se multiplient suivant la loi du Très-Haut !

.Seigneur, m'écriai-je encore, si les enfants consolent de tout,Amiens est à coup sûr la ville des consolations ! "

Soudain, des accords étranges se firent entendre. Les claironssonnaient. Je me dirigeai vers l'estrade vermoulue qui, depuis untemps immémorial, tremble sous le pied des chefs de musique !...

À la place de ladite estrade s'élevait un élégant paüllon, cou-ronné d'une légère véranda, du plus charmant aspect. Au bas dupaüllon se développaient de larges terrasses, dont Ie dégagement se

faisait à Ia fois sur Ie boulevard et sur les jardins en contrebas.

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Le sous-sol était occupé par un magnifique café d'un lu.xe ultra-moderne. Je me frottai les yeux, me demandant si Ie projet Féragu

s'était enfin réalisé à l'extrême joie de ce brave artiste, et s'il l'avaitété dans Ie court espace d'une nuit, sous I'influence d'une baguettemagique !

Mais je n'en étais plus à chercher l"explication de faits absolu-

ment inexplicables, qui sont du domaine de la fantaisie. La musiquedu 324' jouait un morceau, qui n'avait rien d'humain, mais rien de

céleste non plus ! Là, tout était changé aussi ! Aucune coupe musi-cale dans les phrases, aucune carrure ! Plus de mélodie, plus de

mesure, plus d'harmonie ! Du filandreux sur de I'incommensurable,eût ditVictor Hugo ! DUW'agner qüntessencié ! De I'algèbre sonore !

Le triomphe des dissonances ! Un effet semblable à celui des instru-mentsqui s'accordent dans un orchestre, avant qu'on ne frappe les

trois coups !

Autour de moi, les promeneurs, arrêtés par groupes applaudis-saient comme je n'avais jamais vu applaudir qu'à des exercices de

gymnâstes !

" Mais c'est la musique de l'avenir ! m'écriai-je malgré moi. Suis-je donc en dehors du présent ? "

C'était à Ie croire, car, m'approchant de Ia pancarte, qui conte-

nait Ia nomenclature des morceaux, je lus ce titre renversant:

"n"t Réoerie en la mineur sur le Carré de l'hypoténuse !,>

Je commençai à m'inquiéter de moi-même ! Étais-je fou ? Si je ne

l'étais, n'allais-je pas le devenir? Je m'enfuis, Ies oreilles en sang. Ilme fallait de l'air, de l'espace, le désert et son absolu silence ! Laplace Longueville n'était pas loin I J'avais hâte de me retrouver surce petit Sahara ! J'y courus...

C'était une oasis. De grands arbres y répandaient une ombrefiaîche. Des tapis de verdure s'y déroulaient sous les massifs de fleurs.

L'air était embaumé. Un joli rüsseau murmurait à travers toute cette

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végétation. La naïade altérée des anciens jours ruisselait d'une eauIimpide. Sans des trop-pleins habilement ménagés, le bassin eût cer-tainement débordé et inondé laül1e. Ce n'était point de l'eau de fée-

rie, du verre filé ou de la gaze peinte. Non ! C'était bien lacombinaison chimique de l'hydrogène er de I'orygène, une eaufraîche et potable, dans laquelle fourmillaient des milliers de petitspoissons, qui, hier encore, n'auraient pu yviwe même une heure !

Je trempai mes lèwes dans cette eau, qui jusqu'alors s'était refuséeà toute analyse, et elle eût été sucrée, Mesdames et Messieurs, que,dans l'état d'exaltation otrj'étais, j'aurais trouvé cela rour naturel !

Je regardai une dernière fois l'humide naïade, comme on regardeun phénomène, et je dirigeai mes pas vers Ia rue des Rabuissons, me

demandant si cette rue eristait encore.En tout cas, à gauche, se dressait un vaste monument de forme

hexagonale, avec une superbe entrée. C'était à Ia fois un cirque etune salle de concert, assez grande pour permettre à l'Orphéon, à laSociété Philharmonique, à l'Harmonie, à I'Union chorale, à l'Har-monie de la Neuville, à la Lyre Amicale, à Ia Fanfare du Faubourg de

Beauvais et à la Fanfare municipale des Sapeurs-Pompiers volon-taires, d'y fusionner leurs accords.

Dans cette salle - on l'entendait de reste - une foule immenseapplaudissait à la faire crouler. En dehors s'étendait une longuequeue, à travers laquelle se propageait l'enthousiasme de I'intérieur.À Ia porte s'étalaient des affiches gigantesques, âvec ce nom en lettrescolossales:

PIANOWSKI

PTANISTE DE I'EMPEREUR

DESiLESSANDWICH.

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Je ne connaissais ni cet Empereur ni son ürtuose ordinaire.

" Et quand Pianowski est-il arrivé ? demandai-je à un dilettante,reconnaissable à l'extraordinaire développement de ses oreilles.

- Il n'est pas arrivé, me répondit cet indigène, qui me regardad'un air assez surpris.

- Alors, quand viendra-t-il ?

- Il ne viendra pas ", répliqua le dilettante.Et, cette fois, il avait parfaitement l'air de me dire : " Mais vous,

d'ou venez-vous donc ? "" Mais, s'il ne vient pas, dis-je, quand donnera-t-il son concert?

- Il le donne en ce moment !

- Ici?

- Oui, ici, à Amiens, en même temps qu'à Londres, à Vienne, à

Rome, à Pétersbourg et à Pékin I

- Ah ça, pensai-je, tous ces gens-là sont fous ! Est-ce que, parhasard, on aurait laissé fuir Ies pensionnaires de l'établissement de

Clermont? "" Monsieur. repris-je...

- Mais, monsieur, me répondit le dilettante, en haussant Ies

épaules, lisez donc l'affiche ! Vous ne voyez pas que ce concert est

un concert électrique | "Je lus l'affiche !... En effet, dans ce même moment, le célèbre

broyeur d'ivoire, Pianowski, jouait à Paris, à la salle Hertz; mais au

moyen de fils électriques, son instrument était mis en communica-tion avec des pianos de Londres, deVienne, de Rome, de Pétersbourg

et de Pékin. Aussi, lorsqu'il fiappait une note, la note identique réson-

nait-elle sur le clavier de ces pianos lointains, dont chaque toucheétait mue instantanément par le courantvoltaïque !

Je voulus entrer dans la salle ! Cela me fut impossible ! Ah ! je ne

sais pas si le concert était électrique, mais je puis bien jurer que les

spectateurs, eux, étaient électrisés !

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Non ! Non ! je n'étais pas à Amiens ! Ce n'était pas dans cette sage

et grave cité que se passaient de pareilles choses ! je voulus en avoirIe cæur net, et je m'élançai dans ce qui devait être la rue des Rabuis-

sons ! r5

La Bibliothèque était-elle là? Oü, et au milieu de la cour, le Lho-mond de marbre menaçait toujours les passants qui ne savent pas 16

Ieur grammaire !

Et le Musée? Il était Ià ! avec ses N couronnés, qui s'obstinaientà reparaitre sous les grattages municipaux !

Et l'hôtel du Conseil général ? Oui, avec sa porte monumentale, rzpar laquelle, mes collègues et moi, nous avons coutume de passer,

les seconds et quâtrièmes vendredis de chaque mois !

Et l'hôtel de la Préfecture ? Oü, avec son drapeau tricolore, rongé

par les brises de la vallée de Somme, comme s'il eût été au feu avec

le brave 324'!Je les reconnaissais, ces hôtels ! Mais combien les maisons étaient

changées ! Cette rue des Rabuissons avait un faux air de boulevardHaussmann ! J'étais indécis, je ne savais plus que croire... Arrivé à

la place Périgord, le doute ne me fut plus permis ! 18

En effet, une sorte d'inondation avait envahi laplace. L eauj:illis-sait des pavés, comme si quelque puits artésien se fût instantané-ment foré dans le sol.

" La conduite d'eau ! m'écriai-je, Ia grosse conduite qui crève là,tous les ans, avec une régularité mathématique ! Oui ! je suis bien àAmiens, et au cæur même de la vieille Samarobrive ! "

Mais alors, que s'est-il passé depuis hier ? À qui le demander ? Je

ne connais plus personne ! Je suis ici comme un étranger ! Il est

cependant impossible que, rue des Trois-Cailloux, je ne trouve pas

encore à qui parler !

Je remontai la rue des Trois-Caillouxvers la gare. Et qu'est-ceque je vis ?

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3r

r9 Agauche, un superbe théâtre, bien dégagé des maisonsvoisines,avec une large façade, de cette architecture polychrome que Charles

Garnier a si imprudemment mise à la mode ! Un péristyle, confor-

tablement aménagé, donnait accès aux escaliers qui montaient à lasalle. PIus de ces barrières incommodes, de ces étroites allées de laby-

rinthe, qui, laveille encore, servaient à contenir un public trop insuÊ

fisant, hélas ! Quant à I'ancienne salle, disparue, et les débris s'en

vendaient sans doute au marché à la " rèderie " comme des vestiges

de l'âge de pierre !

Puis, lorsque je tournai le dos au théâtre, au coin de la rue des

Corps-nuds-sans-Tête, un magasin éblouissant attira mes regards.

Devanture en bois sculpté, glaces de Venise protégeant un étalage

splendide, des bibelots de grands prix, des cuivres, des émaux, des

tapisseries, des faïences qui me parurent absolument modernes,quoiqu'elles fussent exposées là comme des produits de la plus véné-

rable antiquité. Ce magasin était un musée véritable, tenu âvec une

propreté flamande, sans une seule toile d'araignée à ses vitrines,sans un seul grain de poussière sur son parquet. À I'entablement de

la façade, sur une plaque de marbre noir, en lettres lapidaires, se

déroulait Ie nom d'un célèbre revendeur amiénois, nom absolument

contradictoire, d'ailleurs, avec son genre de commerce qui consiste

àvendre des pots cassés !

Quelques symptômes de folie commencèrent à se manifester dans

mon cerveâu. Je ne pus en voir davantage. Je pris la fuite. Je traver-sai la place Saint-Denis. Elle était ornée de deux fontaines jaillis-sântes, et ses arbres séculaires répandaient leur ombre sur un DuCange, déjà verdi sous Ia patine des temps.

Je courus comme un fou en remontant la rue Porte-Paris.

Place Montplaisir, un monument considérable apparut à mes

yeux. Aux quatre angles, Ies statues de Robert de Luzarches, de Blas-

set, de Delambre et du général Foy. Aux faces du piédestal, des bustes

Page 34: Une Ville idéale -  Jules Verne

32,

et des médaillons de bronze. Au-dessus, une femme assise repré-sentant la statuaire avec cette légende: La Sculpture aur lllustra-tions Picardes !

Quoi ! l'ceuvre de notre collègue M. de Forceville reposait enflnsur un socle municipal ! C'était à n'y pas croire !

Je m'élançai par le boulevard Saint-Michel. Je consultai le cadran

de la gare ! Il ne retardait plus que de quarante-cinq minutes ! Un

progrès, cela ! Enfin je me précipitai comme une avalanche dans larue de Noyon.

Là s'élevaient deux hôtels que je ne connaissais pas. que je nepouvais pas connaître. D'un côté, j'aperçus l'hôtel de la SociétéIndustrielle, avec ses bâtiments déjà üeux, rejetant par une hautecheminée les vapeurs qui faisaient mouvoir, sans doute, les admi-rables métiers - compositeurs d'Édouard Gand - rêve enfin réalisé de

notre savant collègue. De l'autre côté, se dressait I'hôtel des Postes,

superbe édifice qui contrastait singulièrement avec la boutiquehumide, obscure, ori, laveille, après vingt minutés d'attente, j'étaisparvenu à retirer une lettre, à travers I'un de ces étroits guichets si

propices aux torticolis !

Ce fut un dernier coup porté à ma pauwe cervelle ! Je me sauvaipar Ia rue Saint-Denis. Je passai devant le Palais de Justice... Choseincroyable ! Il était entièrement achevé, mais Ia Cour d'appel fonc-tionnait toujours dans les combles I J'arrivai sur la place Saint-Michel... Pierre l'Hermite était encore là, nous appelant à quelque

croisade nouvelle ! Je jetai un regard oblique sur la cathédrale... Le

clocheton de I'aile droite était réparé, et la croix de l'immense flèche

autrefois courbée sous les rafales de I'ouest, se redressait avec la rec-

titude d'un paratonnerre ! Je me précipitai sur la place du parvis ! . ..

Ce n'était plus un étroit cul de sac, avec de hideuses masures, mais

une place large, profonde, régulière, bordée de belles maisons, etqui permettait de mettre à son point le superbe spécimen de l'art

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25

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33

gothique au XIII" siècle.

Je me pinçai jusqu'au sang ! Un cri de douleur s'échappa de mes

lèwes, qui me prouva que j'étais bien éveillé. Je cherchai mon por-

lsfsrrille. Je vérifiai le nom que portaient mes cartes de visite. C'étaitbien le mien ! J'étais bien moi-même, et non pas un monsieur quiserait arrivé en droite ligne d'Honolulu, pour tomber en pleine capi-tale de la Picardie !

.Voyons, me dis-je, il ne faut pas perdre la tête ! Ou Amiens a été

radicalement modifié depuis hier, et c'est inadmissible, ou je ne süsplus à Amiens !... Allons donc ! Et la conduite crevée de la place Péri-gord ! - D'ailleurs la Somme n'est qu'à deux pas, et je vais... LaSomme ! Mais on viendrait me dire qu'elle se jette maintenant dans

la Méditerranée ou dans Ia Mer Noire, que je n'aurais pas le droit de

m'étonner ! "En ce moment, je sentis une main se poser sur mon épaule. Mon

premier sentiment fut que j'étais repris par mes gardiens. Non ! Àl'impression de cette main, je reconnus que c'éiait celle d'un ami.

Ie me retournai.

" Eh, bonjour, cher client ! me dit d'une voix affectueuse un grosmonsieur, figure ronde et réjouie, tout habillé de blanc, et que jen'avais jamais vu.

- Décidément, Monsieur, à qui ai-je l'honneur de parler, deman-

dai-je, résolu à en finir.

- Comment, vous ne reconnaissez pas votre médecin ?

- Mon médecin est Ie docteur LenoëI, répondis-je, et je...

- Lenoël, s'écria l'homme en blanc. Ah ça ! Cher client, est-ce

que vous êtes fou?

- Si je ne Ie suis pas, Monsieur, c"est vous qui l'êtes, répondis-je. Ainsi, choisissez ! "

J'étais bien honnête puisque je lui laissais le choix !

Mon interlocuteur me regarda attentivement.

Page 36: Une Ville idéale -  Jules Verne

34

" Hum ! fit-il - et sa joyeuse face se rembrunit- je ne vous trouvepas très bonne mine ! ah ! mais, pas de ça ! pas de ça ! J'ai le même

intérêt que vous à ce que vous vous portiez bien ! Ce n'est plus main-tenant comme au temps du docteur Lenoël et de ses savants contem-porains, Alexandre, Richer, Herbet, Peulevé, Faucon, d'estimablesmédecins, à coup sûr... Mais, depuis lors, nous avons progressé !...

- Ah ! fis-je ! vous avez progressé 1... Vous guérissez donc vos

malades?

- Des malades ! Est-ce que nous avons des malades depuis que

les coutumes chinoises ont été adoptées en France ! C'est ici comme

si vous étiez en Chine.

- En Chine ! Cela ne m'étonne pas !

- Oui ! Nos clients ne nous paient d'honoraires que pendant qu'ilssont bien portants ! Ne le sont-ils plus, la caisse est f'ermée ! Aussi,n'avons-nous pas d'intérêt à ce qu'ils tombent jamais malades ! Donc,plus d'épidémies, ou presque pas ! Partout des santés florissantesque nous entretenons âvec un soin pieux. comme un fermier qü tientsa ferme en bon état ! Des maladies ! Mais avec ce nouveau système,

cela ruinerait les médecins, et, au contraire, ils font tous fortune !

- Est-ce qu'il en est de même pour les avocats ? demandai-je en

souriant.

- Oh ! non ! Vous comprenez bien qu'il n'y aurait plus jamais de

procès, tandis que, quoi qu'on fasse, il y a bien encore quelques petites

maladies... surtout chez les gens avares, qui veulent économiser nos

honoraires !

- Voyons, cher client, qu'est-ce que vous avez ?

- Je n'ai rien.

- Vous me reconnaissez maintenant?

- Oui, répondis-je, pour ne pas contririer ce singulier docteur,qui, d'ailleurs, pouvait bien avoir raison contre moi !

- Je ne vous laisserai pas languir, s'écria-t-il, car vous me ruineriez !

Page 37: Une Ville idéale -  Jules Verne

35

Voyons votre langue. "je lui montrai ma langue, et, waiment, je devais avoir une mine assez

piteuse.. Hum ! hum ! fit-il, après l'avoir examinée à la loupe, langue

chargée !

- Votre pouls ? ".Je lui livrai mon pouls avec résignation.Mon docteur tira de sa poche un petit instrument dont j'avais

entendu tout récemment parler, et, l'appliquant à mon poignet, ilobtint sur un papier préparé le diagramme de mes pulsations qu'illut rapidement, comme un employe lit une dépêche télégraphique.

"Diable ! diable !" dit-il.Puis, prenant un thermomètre ad hoc, il me l'enfonça dans Ia

bouche avant quej'eusse pu l'en empêcher.

" Quarante degrés ! " s'écria-t-il.Et, en constatant ce chiffie, il deünt pâle. Éüd"-*e.rt, ses hono-

raires étaient compromis.

"Ah çà! qu'est-ce quej"ai? demandai-je, encore tout suffoquépar cette introduction inattendue du thermomètre.

-Humlhum!- Oui ! je connais cette réponse, mais elle a le tort de ne pas être

suffisamment claire ! Eh bien ! je vais vous dire ce que j'ai, docteur !

Ie crois que, depuis ce mâtin, ma tête déménage I

- Avant le terme, cher client ! répondit-il d'un ton plaisant, etpour me rassurer sans doute.

- Ne rions pas, m'écriai-je ! Je ne reconnais plus personne- pas

même vous, docteur ! Il me semble que je ne vous ai jamais vu !

- Eh si ! Vous me voyez une fois par mois, lorsque je vais toucherma petite rente !

- Mais non ! et j'en suis à me demander si cette ülle est Amiens,si cette rue est Iâ rue de Beauvais !

Page 38: Une Ville idéale -  Jules Verne

36

Oui ! oui ! cher client, c'estAmiens ! Ah ! si nous aüons le temps

de monter à la flèche de la cathédrale, vous reconnaîtriez bien la capi-

tale de notre Picardie, défendue maintenant par ses forts détachés !

Vous reconnaîtriez ces charmantes vallées de la Somme, de I'Avre,de la Selle, ombragées par ces beaux arbres, qui ne rapportent plusque cinq sous par an, mais qu'une édilité généreuse nous a conser-

vés intacts ! Vous reconnaîtriez ces boulevards extérieurs, qui fran-chissent la rivière sur deux ponts magnifiques et lui font uneverdoyante ceinture ! Vous reconnaîtriez laville industrielle, qü s'est

si rapidement développée sur Ia rive droite de la Somme, depüs que

la citadelle a été démolie ! Vous reconnaîtriez cette large voie de com-

munication qui s'appelle rue Tourne-Coiffe ! Vous reconnaîtriez...Mais après tout, cher client" je ne veux pas vous contrarier, et s'ilvous fait plaisir que nous soyons à Carpentras 1... »

Je üs bien que l'excellent homme tenait à ne pas me contrediretrop ouvertement, et, en effet, il faut ménager les fous !

« Docteur..., dis-je, écoutez-moi... Je serai bien docile àvos pres-

criptions... Je ne veux pas vous voler... mon argent !... Mais laissez-

moi vous faire une question.

- Parlez, cher client !

- C'est bien aujourd'hui dimanche ?...

- Le premier dimanche du mois d'août.

- De quelle année ?

- Commencement de folie caractérisée par la perte de Iamémoire ! murmura-t-il ! Que ce sera long !

- De quelle année, dis-je en insistant.

- De l'année... "Mais au moment où mon docteur allait répondre, il firt inter-

rompu par des cris retentissants.

Je me retournai. Une troupe de badauds entourait un homme,âgé de soixante ans enüron, dont l'aspect était bizarre.

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Cet individu marchait d'un air effaré, et semblait être mal équi-libré sur ses jambes. On eût dit qu'il lui manquait la moitié de lui-même.

« Quel est cet homme ? demandai-je à mon docteur, qui m'avaitpris le bras, disant à part lui: "Il faut le distraire, ou sa monomaniefera des progrès tels que...

- Je vous demande quel est ce personnage, et pourquoi la foulel'accompagne de ses quolibets ?

- Ce personnage ! répondit mon docteur. Comment, vous me

demandez qui il est? Mais c'est l'unique et dernier célibataire quireste dans tout le département de la Somme !

- Le dernier?

- Sans doute ! Aussi vous entendez comme on le hue !

- I1 est donc défendu d'être célibataire, à présent ! m'écrial-je.

- À peu près, depüs l'impôt qui a été mis sur le célibat. C'est unimpôt progressif. Plus on üeillit, plus on paie, et, comme d'autrepart, moins on trouve d'occasion d'entrer en méhage, celavous rüneun homme en peu de temps ! Le malheureux que vous voyez lày auramangé une belle fortune !

- Il avaitdonc une insurmontable répulsionpour lebeau sexe?..,

- Non ! C'est le beau sexe qui a montré une répulsion insur-montable pour lui ! Il a manqué trois centüngt-six mariages !

- Mais enfin, il y a encore des jeunes filles à marier, je suppose ?

- Très peu ! très peu. Sitôt mariables, sitôt mariées !

- Et des veuves ?

- Ah ! des veuves ! On ne leur laisse même pas le temps de mûrir !

Dès que les dixmois sontécoulés, en route pourlaMairie !Àl'herrequ'il est, je suis sûr qu'il n'y a pas vingt-cinq veuves disponibles en

France !

- Mais les veufs !

- Oh, ceux-là, ils ont fait leur temps I Ils sont libérés de service

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46

obligatoire, et n'ont plus rien à craindre des agents du fisc !

- Je m'explique alors pourquoi les boulevards regorgent de

couples jeunes ou vieux, enrégimentés sous le manteau du

mariage 1...

- Qui a été le drapeau de la revanche, cher client ! " répliqua mon

docteur.

Je ne pus retenir un éclat de rire I

.Venez, venez, me dit-il en me saisissant le bras.

- Un instant ! - Docteur, nous sommes bien à Amiens, n'est-ce

pas ?

- Voilà que cela le reprend !' murmura-t-il.

Ie réitérai ma question.

"Oui, oü, àAmiens !

- En quelle année?

- Jevous l'ai déjà dit, en... " .

Un triple sifflet retentit, qui lui coupa la parole, pt fut suiü d'unviolent coup de cornet à bouquin. Une énorme voiture arrivait du

fond de la rue de Beauvais'.

" Rangez-vous, rangez-vous ! , me cria mon docteur en me pous-

sânt de côté.

Et il me sembla qu'il ajoutait entre ses dents:« Il ne manquerait plus qu'il se fit casser une jambe ! Je flnirais

par en être de ma poche ! "C'était une voiture de tramway. Je n'avais pas encore remarqué

que des rails en acier sillonnaient les rues de la ville, et, faut-il1'avouer, je trouvais cette nouveauté toute naturelle, bien qu'hier, ilne fûtpas plus question de tramways que d'omnibus !

Mon docteur flt un signe au conducteur de l'immense véhicule,

et nous prîmes place sur la plate-forme" déjà encombrée de voya-

geurs.

" Ou me conduisez-vous ? " lui demandai-je, parfaitement

3o

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47

3r

résigné, d'ailleurs, à me laisser faire.

- Au Concours Régional.

- Àla Hotoie?

- Àla Hotoie.

- Ainsi, nous sommes à Amiens ?

- Oui, répondit mon docteur, enjetânt sur moi des regards sup-

pliants.

- Et quelle est la populâtion actuelle de la ülle, depuis l'impôtsur le célibat ?

- Quatre cent cinquante mille habitants.

- Et nous sommes en l'an de grâce?...

- En l'an de grâce... "Un second coup de cornet à bouquin m'empêcha encore une fois

d'entendre la réponse qui m'intéressait à un si haut point.La voiture avait tourné la rue du Lycée et se dirigeait vers le bou-

levard Cornuau.En passant devant le collège, dont la chapelle avait déjà l'aspect

d'un üeux monument, je fus üvement frappé du nombre des élèves

qui sortaient pour leur promenade dominicale. Je ne pus m'empê-cher de manifester un certain étonnement.

" Oui, ils sont quaffe mille ! me répondit mon docteur. C'est toutun régiment.

- Quatre mille ! m'écriai-je. Hein ! Dans ce régimentJà, doit-ilse commettre des barbarismes et des solécismes !

- Mais, cher client, répondit mon docteur, rappelez donc vos

souvenirs. II y a cent ans, au moins, qu'on ne fait plus ni latin ni grecdans Ies lycées ! L'instruction y est purement scientifique, commer-ciale et industrielle !

- Est-ce possible?

- Oui, et vous savez bien ce qui est arrivé à ce malheureux élève,

qui a eu la malchance de remporter le dernier prix de vers latins?

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- Non, répondis-je d'une voix ferme, non, je ne le sais pas !

- Eh bien, lorsqu'il a paru sur l'estrade, on lui a jeté des gradus

à la tête, et, dans son trouble, M. le Préfet I'a presque mordu en l'em-brassant !

- Et depuis lors, on n'a plus fait de vers latins dans les collèges ?

- Pas même Ia moitié d'un hexamèfre !

- Mais la prose latine a-t-elle donc été proscrite du coup ?

- Non, deux ans après, et âvec raison ! Savez-vous comment, à laversion du baccalauréat, le plus fort des candidats avait traduit:

Immanis pecoris custos l,

- Non.

- De cette façon: o Gardien d'une immense pécore ! "- Allons donc !

- Et: Patiens quia aeternus?

- Je ne m'en doute pas !

- « Patient piuce qu'il éternue ! " Alors le grand maître de l'uni-versité a compris qu'il n'était que temps de supprimer le latin des

études scolaires ! "Ma foi, j'éclatai ! La mine du docteur ne put me retenir. I1 était

évident que ma folie prenait à ses yeux un caractère alarmant !

Manque absolu de mémoire, d'un côté" fous rires intempestifs, de

l'autre ! ... I1 y avait de quoi le désespérer.

Et, certainement, mon hilarité se futprolongée indéfiniment, si

Iabeauté du site n'eût alors attiré mes regards.

En effet, nous descendions le boulevard Cornuâu, rectiflé, grâce 32

à un compromis amiable intervenu, entre la Municipalité et lâd-ministration des maisons oulrières. Sur la gauche s'élevait la gare

Saint-Roch. Ce monument, après s'être si remarquablementlézardé 33

pendantles travaux de construction, semblait devoirjustifler désor-

mais ce vers de Delille:Sa masse indestuctible afatigué le tempsl

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Les rails du tramway se développaient dans l'allée centrale duboulevard, ombragée par une quadruple rangée d'arbres que j'avais

vu planter, et qui semblaient deux fois centenaires !

En quelques secondes, nous fûmes arrivés à la Hotoie. Que de

changements apportés à cette belle promenade ou allait au

XIV" siècle, " s'esgaudir la jeunesse picarde ! " C'était, maintenant,une sorte de pré Catelan, grands mouvements de pelouses à la mode

anglaise, vastes massifs d'arbustes et de fleurs qui déguisaient laforme rectangulaire des carrés réservés aux expositions annuelles.

Un nouvel aménagement des arbres, qui s'étouffaient hier encore,

leur avait donné l'espace et I'air, et ils pouvaient rivaliser avec ces

gigantesques "'Wellingtonias " de la Californie.Ilyavait foule à la Hotoie. Le programme ne m'avait pas trompé.

Là, le Concours régkrnal du Nord de la France étalait la longue suc-

cession de ses étables, ses baraques, ses tentes, ses kiosques de tousmodèles et de toutes couleurs. Mais la clôture de cette fête agricoleet industrielle allait se faire ce jour même. Avant une heure, les lau-réats -bipèdes ou quadrupèdes- devaient être couronnés.

Ces concours ne me déplaisaient pas. II s'en dégage pour les

oreilles et les yeux un utile enseignement. Le fracas strident des

machines qui fonctionnent, Ies hennissements de lavapeur, le bêle-

ment plaintif des moutons parqués dans leur enclos, Ie caquetage

assourdissant des basses-cours, les beuglements de ces grands bæufs

qui réclament leur prime, les discours des autorités dont les pom-peuses périodes débordent de l'estrade, les applaudissements jetés

par Ia main des lauréats, le doux bruit des baisers que les lèwes offi-cielles déposent sur les fronts couronnés, les commandements mili-taires qui retentissent sous les grands arbres, enfin, ce vaguemurmure qui sort de la foule, tout cela forme un concert bizarre,mais dont j'apprécie üvement le chârme.

Mon docteur me poussa à travers le tourniquet. L heure appro-

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5o

chait à laquelle Ie discours de M. le Délégué du Ministre allait se pro-

duire, etje ne voulais pas perdre un mot de cette harangue, qui devaitêtre si nouvelle par le fond et la forme, pour peu qu'elle eût suivi le

courant du progrès.je passai donc rapidement au milieu duvaste quadrilatère réservé

aux machines. Mon docteur acheta à un haut prix quelques bouteillesd'un précieux liquide, qui avait la propriété de désinfecter I'eau de

Lubin. Quant à moi, je me laissai tenter pâr quelques boîtes d'unepâte phosphorée qui dérruisait si radicalementles souris, qu'elle Ies

remplaçait par des chats.

Puis, j'entendis des pianos complexes, qui reproduisaient har-moniquement toutes les sonorités d'un orchestre d'Opéra. Non loin,des concasseurs broyaient des graines avec un brüt de tonnerre. Des

moissonneuses Albaret et Ci'rasaient des champs de blé, comme un

barbier fait d'une joue barbue. Des marteaux-pilons, à ressort atmo-sphérique, frappaient des coups de trois millions de kilos. Des

pompes centrifuges manceuwaient de manièré à absorber, en

quelques coups de pistons, la Selle tout entière, et me rappelaient lejoli vers d'Hégésippe Moreau sur laVoulzie:

Un géant altéré la boirait d'une haleinelPuis, de tous côtés, c'étaient des machines de provenance amé-

ricaine, portées aux dernières limites du progrès. À l'une on pré-

sentait un porc vivant, et il en sortait deux jambons, I'un d'York,l'autre deWestphalie ! Àl'ar.tre, on offraitun lapin frétillant encore,

et elle rendait un chapeau de soie avec coiffe sudorifuge ! Celle-ciabsorbait de vulgaires toisons et rejetait un habillement complet en

drap d'Elbeuf! Celle-là dévorait un veau de trois ans et le reprodui-sait sous la double forme d'une blanquette fumante et d'une paire

de bottines fraîchement cirées, etc.

Mais je ne pouvais m'arrêter à contempler les merveilles du génie

humain. C'est moi qui maintenant entraînais mon docteur 1...

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5r

36

J'étais eniwé !

J'arrivai près de l'estrade qü fléchissait déjà sous le poids de per-sonnages importants.

On venait de primer les hommes gras - ainsi que cela se fait en

Amérique dans tous les concours un peu sérieux.

Le lauréat était tellement digne du prix, qu'il avait fallu l'em-porter avec une grue.

Au concours des hommes gras avait succédé celui des femmes

maigres, et la lauréate, en descendant de l'estrade, les yeux pudi-quement bâissés, répétait cet axiome de l'un de nos plus spirituelsphilosophes: o On aime les femmes grasses, mais ce sont les femmes

maigres qu'on adore !"C'était le tour des bébés. Ily en avait plusieurs centaines, parmi

lesquels on prima le plus lourd, le plus jeune, et peut-être celui quicriait le plus fort ! Du reste, tous mouraient évidemment de soif, etils demandaient à boire à leur façon, qui n'a rien de bien agréable.

. Seigneur, m'écriai-je, il n'y aura jamais assez de nourricespour... !"

Un coup de sifflet m'interrompit.« Qu'est-ce donc? demandai-je.

- C'est la machine à téter qui fonctionne ! répondit mon docteur.

Elle est de la force de cinq cents Normandes ! Vous comprenez bien,cher client que, depüs I'impôt sur le célibat il a fallu inventer I'al-laitement àvapeur ! "

Les trois cents bébés avaient disparu, à leurs cris assourdissants

succéda un religieux silence.

Le Délégué du Ministre allait clore le concours régional par unrliscours.

Il s'avança sur le bord de l'estrade. Il commença à parler...Ma stupéfaction, qui avaittoujours été en croissantjusqu'ici,

dépassa alors les bornes de l'impossible !

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52

Oui ! tout était changé en ce monde ! Tout avait suivi la voie duprogrès ! Idées, mæurs, industrie, commerce, agriculture, tout s'étaitmodifié!...

Seule, la première phrase du discours de M. le Délégué était res-tée ce qu'elle était jadis - ce qu'elle sera invariablement au début de

toute harangue officielle !

oMessieurs, dit-il, c'est toujours avec un nouveau plaisir que jeme retrouve... »

Là dessus, je fis un brusque mouvement. I1 me sembla que mesyeux s'ourraient dans l'obscurité... J'étendis les mains... Je renver-sai ma table et ma lampe sans le vouloir... Le bruit me réveilla... IIfaisait nuit ! ...

Tout cela n'était qu'un rêve !

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Quelques savants bien informés affrrment que les songes, mêmeceux qui nous paraissent se prolonger pendant toute une longue nuit,ne durent en réalité que quelques secondes.

Puisse vous sembler telle, Mesdames et Messieurs, cette pro-menade idéale que, sous une forme trop fantaisiste peut-être, je viens

de faire en rêve dans laville d'Amiens... en l'an zooo !

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Post fqce

Ceite « ville idéole » est doncle songe d'un citoyen d'odoptionqui oime Amiens ei qui en rêve

les diverses oméliorotionspossibles. Certoines de ces

modificolions étoienl prévues en

I 875: Jules Verne o supposéqu'elles étoient réolisées. ll

contribuo même ô lo réolisotiond'outres embellissements de loville lorsqu'il fut conseillermunicipol de IBBB ô

,l904.

Ce texte n'esf pos de lo sciencefiction, ni une onticipotion, ni

même une véritoble utopie. Bien

plus qu'une vision de l'ovenir,c'est une critique de lo ville telle

qu'elle existe en I875. Toul l'orlde Jules Verne est d'évoquer locité comme ô l'oide du négotifd'une photogrophie; loutes les

voleurs sont inversées. Du poinide vue vernien, ce texte peut être

replocé dons l'ensemble de.l'ceuvre de lules Verne. [ouleurenvisogeo en mors 1877d'inclure cette nouvelle dons so

série des VoyogesExtroordinoires. On y retrouvequelques constontes de ceileceuvre: lo musique, lo médecine,l'éleckicité, le morioge,l'urbonisme. Mois surtout ilimporie de souligner qu'Une villeîdéole îvl écrit porollélement ô

L'lle nystérieuse, dont l'oction se

déroule dons une île idéole.Lo comporoison des deux textes

montre où vo lo préférence de

Jules Verne: l'île, lieu clos ô

coroctère originel, est odopléeoux dépens de lo ville, fût-elleidéole.

Doniel CompèreFondoteur du Cenke de

Documentotion Jules Verne

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Illustration d'ouvertureLiz Flowerday,B oulea ard Jules Verne.

Illustrations cahier rillustration r: Alexandre Cheyrott Les portes de la oille.

illustration z : MéIanie Del annar r e L e tr amto ay.

illustration 3: LizElowerday Musique color.

illustration 4: Mélanie Delamarre & Alexandre Launay Le candélabre.

illustration 5: Alexandre Launay Les Chaussinades.

Illustrations cahier s

illustration r: Catherine Biendiné & Stéphane Bellavoine Ond.e.

illustration z: Sylvain Bocquet & Gré goty'V/aqret Cirk ooo.

illustration 3: GrégoryWaquet & Catherine Bienüné La oilleJloue.

illustration 4: LizFlowetday Tramtoay Bleu.

illustration 5 : Sylvain Bocqret Doctear avec portrait de Jules Verne à z5 ans.

Illustrations cahier 3

illustration r & z: Sylvain Bocquet Machine or et Machiie oe.

illustration 3: Alexandre Laulay Un truc defou un truc de dingue.

illustration 4: Alexandre Cheyrot La Tour Perret.

PIan: CésarMorinCouverture : A.lexandre Cheyrou

Ouvrage réalisé par les étudiants de 4" année. ESAD Amiens.

Les mécènes du retirage sont :Amiens Métropole

Le Conseil Régional de Picardie

Le Conseil Général de la Somme

La DRAC de Picardie

Le Centre National du Livre

Dépôt légal : Février zoo4 - Edition spéciale Revue Jules Veme

N'ISNN : r280-9136 - N'ISBN i 2-9or8r br6-7@ CIJV-La Maison de Jules Veme

Impression : Groupe Morault - Yvert Amiens

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poraines : Ie télégraphe électique (r8ro) d'Aûpère etles travau de Hertz su les ondes électriques, Heruauquel le texte fait allusion.I 5 aujoud'hui, rue de la République.I 6 sculptée en 186o par Gédéon de Forceülle, la sta-

tue de Lhomond âvait été installée dans la cour de laBibliothèque. Par la suite, le Conseil municipal jugea

que Ia place du grammairien étcit plutôt la cour duLycée, rue Frédéric Petit. C'est lÀ que cette statue se

trouve aujourd'hui ; le buste de Frédéric Petit l'aremplacée dans la cour de la Bibliothèque.I 7 actuellement,la Préfectue. C'étsitlà qu'avaientlieu les réunions de l'Académie d'Amiens.| 8 ,"toull"-".t, place Gambetta. Cette place estaujourd'hui agrémentée d'un iet d'eau et de canauqui ne doivent rien à la fuite d'une canalisation.I9le théâne d'Amiens avait été inauguéle zr janüer r78o, la ville voulut un théâhe plusmoderne. En r8?4, des travau intérieus furent effec-

tués.

De nombreu projets pour Ia modification de lafaçade furent présentés, mais aucm ne fut réalisé.

Jules Verne dærit ici l'æpæt *érieu qu'aEait let}éâte si ces prcjets étaient mis à qæution . Après laguerre, en 1945, il ne restera plus que la façade duthéâtre. Reculée de trois mètres à la süte d'un véri-table tour de force, elle abrite aujourd'hü unebanque.20 il s'agit de Monsieur Potentier !

2I aujourd'hui, place RenêGoblet.22 rue des otages.23 place du Maréchal Joffre.24 Gédéon de Forceville exécuta en r8z4 un monu-ment pour représenter les hommes illustres de laPicardie. Le Conseil municipal voulut le placei srun terrain entre la rue Allart et la rue des Jacobins.L'auteur demanda 1a place Joffre (place Montplaisir,à l'époque).

Une maquette du monument fut alors promenée

à travers Àrniens afin d'étudier I'endroit qü convenait le mieu. Cette promenade ne serit qu'à fairetire au dépens du Conseil municipal.

En août 1878, le monument sera installé rueDuthoit. En 1879, il sera encore déplacé et resterâ sùun terrain voisin 1'usqu'en r959 ! Il décore aujour-

d'hü 1e rond-point Maréchal Joffre à la jonction de larue Saint-Fuscien et du Mail Àbert r'.

25 boulevud de Belfot.26 Édouud Gand ê fondé la Société industielle en186r. Mais I'immeuble a été détüt en r94o.27 rue Robert de Luarches.28 les boulevards en construction à cette époque

n'ont pas été prolongés comme préru.29 la rue Tournecoiffe était en 1825 ( et est encore )

une minuscule ruelle.30les ta-*ays, uloud'hü üspuus, ont étéinst t-

lés à Àmiens à partir de r89o.3l en 1875, Amiens comptait soüantæinq millehabi-tanb.32 respectivement aujoud'hü, [a rue Frédéric Petitet Ie boulevùd des Fédérés. Le Lycée était établi dans

I'ucienne abbaye Saint-Jeèn etilyrestajusqu en 1944.

Le boulevrd des Fédérés a w en effet son nacé rectifiépæ la süte.33 la gare Saint-Roch éteit encore en constructionen 1875. Détruite en 1944, elle a été reconstrüte sule même nodèle.34 en 1875, la Hotoie était une promenade divisée en

cinq allées longitudinales aboutissant s untrassin.

Dans les deuriangles étaiert situés des jeu de ten-

nis, de paume etde ballon. Dewrectangles su les

côtés pouvaient être convertis en lac pour les régates

ou en champ de glace I'hiver, La pætie réservée aujeu existe toujours. La promenade, naversée pù une

route, est restée lontemps formée d'un plan d'eau et

d'une étenduebétonnée pou les expositions.

Aujoud'hü, la Hotoie est redevenue un lieu de promenade.35 les pianos complexes À. vuts,1es concasseurs Peugeot, les moissonneuses Albüetet Cie,les mstteau-ptons Ch. Golay et les pompes

centrifuges figurent effectivement dans Ies publici-tés du Programme du Concours régional de 1875.

En revanche les auftes machines sont nées de la fsn-

taisie de JulesVerne.36 l'idé" d. f"I.itement à la vapeur est empruntée à

Émile Souvesne, Ze Monde tel qtil sera (1846). JulesVerne connait ses classiques !

Not

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1312

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h1 J'oi l'hobitude

de me lever

de bonne heure

2 e llhomme oux pieds

en dehors et à lo borbe

blonche n'étoii plus lô

3 q ...reconnoissoble à l'extro-

ordinoire développement

de ses oreilles

4

BVous ne voyez pos que

ce concert esl un concert

électrique !

5

ffiLo bibliothèque

éloitelle là ?

Oui

6

HEt le musée ?

ll étoit là !

ovec ses N couronnés

7 g ..nom obsolument conkodicloire..1^.^*--"^- ^,,i

consiste à vendre des pols cossés

8 t 2o

Commenl, vous ne

reconnoissez pos

votre médecin ?

q À l'rn" on présentoit

un porc vivont, et il en

sorloit deux jombons

10Æ

wL>

wLL

Celle-là dévoroit un veou elle reproduisoit sous lo forme

d'une poire de bottines

§Le louréot étoil lcllement digne

du prix qu'il ovoit [ollu

l'emporter ovêc une grue

l2e2

On oime les lemmes grosses,

mois ce soni les femmes

moigres qu'on odore !

13 ô

e,Le bruit

me réveillo...ll foisoii nuit !

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DISTRIBUTION

ancn! a

" Les Belles Lettres "

AMIENS EN I,:AN 2OOO !

" L an 2000 ! Dans mon enfance, les parents en parlaientcorlme un mythe, c'est si loin l'an 2000 ! Mais nous, filletteset petits garçons, nous étions certains, ce n'était pas

seulement un beau rêve.Or, il se ffouve que Jules Verne, qui aurait 172 enl'an2000 a

rêvé un jour qu'il se promenait dans une ville totalementinconnue."

Cécile Compère, 1999

Cette ville qu'il décrit, c'est Amiens, telle qu'il l'imaginaitpour l'an 2000. Texte curieux, rnélange de rêves réalisés ou quirestent encore à l'être.