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UNE TRADITION MILLÉNAIRE LES PREMIERS ASHRAMS DANS QUATRE GRANDS TEXTE DE L’INDE À partir du premier enseignement aux hommes par Matsyendra, le yoga se transmet essentiellement entre humains, toujours sous la même forme, à travers cette relation privilégiée entre un maître et ses disciples. Cherchons dans quatre parmi les plus grands textes de l’Inde des traces du mot ashram : les Vedas, les Upanishads, le Mahābhārata et le Rāmāyana, tous rédigés en sanskrit, la « langue parfaite », la langue des dieux, que parlent encore certains brahmanes. Les Vedas sont les plus vieux textes sacrés du monde parvenus jusqu’à nous. De la racine vid, connaître, ces textes enseignent, nous l’avons déjà vu, une pratique qui concerne et vise à expliquer tous les aspects de la vie. Pour un hindou, il n’y a rien qui ne soit contenu dans les Vedas. Selon le site de Nathayoga (voir page XXX), le Rig-Veda, le plus ancien des quatre Vedas, remonte à 4 000 av. J.-C., mais on trouve plus généralement mentionnée la date de 1 600 av. J.-C. Ces textes ayant d’abord été récités, ils sont difficiles à dater avec précision. Ils mentionnent le terme āshrama, mais seulement dans le sens des âges de la vie. Il en est de même des Upanishads (entre 800 et 200 ans av. J.-C.), l’une d’elles, l’Āshrama Upanishad, traitant exclusivement de ce sujet. Les Upanishads, comme les Vedas, appartiennent à la shruti (litt. ce qui a été entendu), ensemble de textes révélés, d’origine divine. La relation de maître à disciple y est déjà présente. Le sens même d’Upanishad est éclairant, Upa-ni-shad signifiant « s’asseoir dans un mouvement vers le bas », c’est-à-dire aux pieds du maître pour y recevoir son enseignement. C’est sur cette forme de relation que se base donc en Inde depuis la nuit des temps toute transmission philosophique. Comme c’est sur cette relation que repose également la création des ashrams, l’existence d’ashrams dès cette période serait plausible. Postérieurs aux Vedas et à de nombreuses Upanishads, deux grands poèmes épiques, gigantesques épopées (itihasa) ont été rédigés en Inde entre 400 av. J.-C. et 400 apr. J.-C. : le Mahābhārata, le plus long poème au monde, et le Rāmāyana. 53

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LES PREMIERS ASHRAMS DANS QUATRE GRANDS TEXTE DE L’INDE

À partir du premier enseignement aux hommes par Matsyendra, le yoga se transmet essentiellement entre humains, toujours sous la même forme, à travers cette relation privilégiée entre un maître et ses disciples.

Cherchons dans quatre parmi les plus grands textes de l’Inde des traces du mot ashram : les Vedas, les Upanishads, le Mahābhārata et le Rāmāyana, tous rédigés en sanskrit, la « langue parfaite », la langue des dieux, que parlent encore certains brahmanes.

Les Vedas sont les plus vieux textes sacrés du monde parvenus jusqu’à nous. De la racine vid, connaître, ces textes enseignent, nous l’avons déjà vu, une pratique qui concerne et vise à expliquer tous les aspects de la vie. Pour un hindou, il n’y a rien qui ne soit contenu dans les Vedas. Selon le site de Nathayoga (voir page XXX), le Rig-Veda, le plus ancien des quatre Vedas, remonte à 4 000 av. J.-C., mais on trouve plus généralement mentionnée la date de 1 600 av. J.-C. Ces textes ayant d’abord été récités, ils sont difficiles à dater avec précision. Ils mentionnent le terme āshrama, mais seulement dans le sens des âges de la vie.

Il en est de même des Upanishads (entre 800 et 200 ans av. J.-C.), l’une d’elles, l’Āshrama Upanishad, traitant exclusivement de ce sujet. Les Upanishads, comme les Vedas, appartiennent à la shruti (litt. ce qui a été entendu), ensemble de textes révélés, d’origine divine. La relation de maître à disciple y est déjà présente. Le sens même d’Upanishad est éclairant, Upa-ni-shad signifiant « s’asseoir dans un mouvement vers le bas », c’est-à-dire aux pieds du maître pour y recevoir son enseignement. C’est sur cette forme de relation que se base donc en Inde depuis la nuit des temps toute transmission philosophique. Comme c’est sur cette relation que repose également la création des ashrams, l’existence d’ashrams dès cette période serait plausible.

Postérieurs aux Vedas et à de nombreuses Upanishads, deux grands poèmes épiques, gigantesques épopées (itihasa) ont été rédigés en Inde entre 400 av. J.-C. et 400 apr. J.-C. : le Mahābhārata, le plus long poème au monde, et le Rāmāyana.

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Ces poèmes sont l’équivalent de nos contes. Ils jouent un rôle d’instruction publique, avec pour objectif d’inculquer une philosophie de vie à toute la population sans distinction.

Tradition vivante, ils étaient transmis oralement. Ils continuent régulièrement à être récités, joués, dansés, racontés ou filmés. Certaines familles sont fortement liées à cette transmission et sont chargées, de génération en génération, d’organiser des événements en lien avec l’une ou l’autre des épopées chaque année. Lorsque le guru d’un ashram est issu d’une de ces familles, il perpétue la tradition. C’est ainsi qu’à l’Ananda Ashram de Monroe (USA), le Rāmāyana est joué et dansé chaque année.

Le Mahābhārata

Quand j’ai demandé à un Indien de Varanasi (l’ancienne Bénarès) à quand remontait le premier ashram, il m’a répondu par une légende, la légende de Shakuntala (voir l’encadré). J’aime cette manière de considérer l’Histoire en Inde, où la frontière avec la Mythologie est floue, où les légendes ont valeur de preuves historiques, où les dates n’ont pas d’importance. Car ce qui importe au fond, c’est le message et sa capacité à nous livrer un enseignement et à nous guider dans nos vies d’aujourd’hui.

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La figure 9 est la photo d’un travail contemporain de sculpture sur bois, qui montre, d’après la légende, la représentation que se fait un Indien actuellement de l’ashram de Shakuntalā. Afin de situer cette histoire dans le temps, nous allons faire un détour par une notion très indienne : les âges du monde. Lorsque Brahmā, le dieu créateur, recrée le monde au début de chaque cycle cosmique, il crée aussi les Vedas.

Le monde de Brahmā se déploie suivant quatre âges, chacun avec ses caractéristiques particulières :

Le premier âge est celui de la vérité, Satya Yuga. En ce temps, chacun dit la vérité (satya, aussi traduit par véracité, authenticité, honnêteté, et que nous retrouverons dans les 8 membres du yoga, page XXX). Cela va bien plus loin qu’il n’y paraît, puisque la réalité se produit en fonction de ce qui est dit, ou encore c’est la parole qui devient réalité. Ce qui n’est pas sans rappeler le début du prologue de l’Évangile selon Saint Jean : « Au commencement était la Parole, […] C’est par elle que tout est venu à l’existence ». Toute parole énoncée est amenée à se réaliser, de même que tous les rêves60, tous les vœux, et tous les sorts !

60 Voir l’histoire légendaire du roi Harishchandra, qui est amené à donner son royaume à la suite d’un rêve.

La légende de Shakuntalā

Shakuntalā (de la racine shakunta, l’oiseau), a été élevée par des oiseaux. Recueillie par un sage qui vit dans un ashram au milieu d’une forêt, elle devient une belle jeune femme qui vit en ascète auprès de lui. Au hasard d’une chasse, le grand roi Dushyanta découvre cet ashram et, séduit par l’ambiance qui y règne, cherche à voir le sage. C’est ainsi qu’il rencontre Shakuntalā. Il en tombe éperdument amoureux et lui propose de l’épouser, ce qu’elle accepte. Il retourne ensuite seul à son palais, lui promettant d’envoyer ses gens pour la ramener à la cour. Mais plusieurs années passent, le roi étant trop pris par ses fonctions.

Pendant ce temps, Shakuntalā a mis au monde et élevé leur fils, et au moment de ses six ans, elle décide de se rendre à la cour par ses propres moyens, avec lui. Là, de peur que ce fils ne soit pas le sien, le roi feint de ne pas la reconnaître. Les dieux s’adressent alors au roi en présence de ses conseillers et ministres pour rétablir la vérité, au grand bonheur de la famille qui peut enfin être réunie.

Note : cette belle histoire a été reprise, entre autres, par le grand poète antique Kālidāsa (IVe - Ve siècle de notre ère) avec quelques modifications, sous la forme d’une pièce de théâtre.

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Viennent ensuite le Treta Yuga, le Dwapar Yuga et enfin l’âge dans lequel nous vivons, le Kali Yuga, l’âge sombre. Du premier au dernier, la durée des âges du monde raccourcit, de même que la durée de vie des hommes. À chaque âge, selon une vision qui n’est pas unanimement partagée, l’humanité s’enfonce un peu plus dans la violence, le vice et le chaos. Mais le temps est cyclique. Au bout du quatrième âge, le monde meurt, un nouveau monde est formé et un nouveau cycle commence. On peut voir ces âges du monde comme le pendant des âges de la vie au niveau de l’être humain, les āshrama (voir page XXX). Mais tandis que la succession des āshrama marque une évolution individuelle spirituelle, celle des âges du monde traduirait plutôt une dégénérescence collective.

Or c’est au premier âge du monde que se passe la légende de Shakuntalā présentée dans l’encadré. Et cette légende fait référence à l’existence d’un ashram. Ce n’est d’ailleurs pas le seul, le Mahābhārata en mentionne de nombreux autres dans des passages toujours emprunts d’un profond respect pour l’aura de sagesse qui les entoure.

L’Inde en déduit que les ashrams existaient dès cette période, c’est-à-dire dès les temps védiques. Pour l’Occident, il n’y a là aucune preuve historique, la seule chose dont on soit sûr est que les ashrams existaient déjà lorsque l’épopée a été rédigée, c’est-à-dire autour de la naissance de Jésus-Christ à plus ou moins 400 ans près. Entre ces deux datations, il y a au moins 1 200 ans.

Notons ici que c’est dans ce texte du Mahābhārata, connu, comme nous l’avons vu, de toute la population, que l’on trouve la Bhagavad Gītā. Chapitre de l’épopée et livre à part entière, la Bhagavad Gītā constitue l’exemple sans doute le plus frappant de l’enseignement du yoga, puisqu’il n’est rien moins qu’un immense cours donné par Krishna, avatar du dieu Vishnou, à Arjuna, un chef de guerre qui s’apprête à combattre. Or Krishna, dans les temps védiques, a lui-même reçu dans sa jeunesse son enseignement spirituel, intellectuel et yogique du guru Upamanyu dans un ashram, l’ashram de Sandipani.

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Le Rāmāyana

Le « parcours de Rāma » a été écrit entre le IIIe siècle av. J.-C. et le IIIe siècle après J.-C. et est attribué à Vālmīki. Il a été repris par le célèbre poète Tulsidas et a traversé les frontières puisqu’il en existe une multitude de versions dans tout le Sud-Est asiatique.

Cette épopée relate la vie et les aventures de Rāma, demi-dieu et avatar de Vishnou. Le père de Rāma est un roi qui règne à Ayodhya, ville du nord-est de l’Inde. Il envoie dans leur jeunesse Rāma et son frère Lakshmana étudier dans la forêt à l’ashram de Vishvāmitra, l’un des rishis les plus vénérés de l’Inde. Ils y reçoivent un enseignement guerrier, notamment dans l’art de se servir des armes divines.

Pour une histoire d’intrigue à la succession au trône, qui revient légitimement à Rāma, et parce que le père de Rāma désapprouve le mariage de ce dernier avec Sītā, Rāma et Sītā sont amenés à s’exiler pendant plusieurs années dans la forêt de Dandaka, « la forêt des sages », accompagnés de Lakshmana. Là, la belle Sītā est enlevée par le terrible démon Rāvana. Mais Hanuman, le roi des singes, demi-dieu aux pouvoirs exceptionnels, grand ami et serviteur de Rāma, parvient à localiser la captive, au Sri Lanka. Après la traversée de l’Inde jusqu’à son extrême sud, Rāma, Lakshmana, Hanuman et son armée de singes combattent victorieusement Rāvana et ses féroces guerriers. Le couple à nouveau réuni reviendra sur le trône du royaume d’Ayodhya, pour un règne de paix et de prospérité.

Pendant leur longue période d’exil dans la forêt des sages, Rāma, Sītā et Lakshmana se rendent dans différents ashrams. Les sages qui y séjournent sont des rishis authentiques et réputés. Ces visites ont été très représentées. La figure 10 les montre à l’entrée de la forêt, encore accompagnés de toute une foule composée de gens de cour, d’admirateurs, de curieux et d’ascètes, dont ils parviendront à s’extraire. Dans la figure 11, ils sont à l’ashram de Bhadrawaja. (ils portent des arcs mais sont habillés de feuilles comme les renonçants. On reconnaît Rāma à la couleur bleue). Les ashrams sont presque toujours représentés de la même manière : ils sont situés en pleine nature, souvent au bord de l’eau, dans un endroit qui déjà inspire la tranquillité mentale. Ils se composent de petites huttes individuelles très simples, de

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forme cylindrique avec un toit en branchages ou en chaume. La taille de l’ashram se déduit du nombre de huttes.

On pourrait tirer concernant la datation des ashrams les mêmes conclusions qu’avec le Mahābhārata, l’Inde se fiant à l’époque relatée par l’épopée et l’Occident à la date approximative de sa rédaction. Mais nous disposons ici d’informations supplémentaires, qui anticipent à peine le thème du chapitre suivant. En effet, une étude récente a été réalisée par des chercheurs indiens et un chercheur estonien sur la base de recherches génétiques, généalogiques, archéologiques et astronomiques, qu’ils ont croisées avec les descriptions trouvées dans le Rāmāyana (positions relatives des planètes, éclipses) ainsi que dans les Purānas (textes encyclopédiques écrits entre le IIIe et le Xe siècle de notre ère), et ils arrivent à la conclusion que Rāma serait né il y a 7100 ans61 !

61 Saroj Bala and Kulbhushan Mishra. 2012. Historicity of Vedic and Ramayan Eras: Scientific Evidences from the Depths of Oceans to the Heights of Skies. Institute of Scientific Research on Vedas.

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L’ashram de Shantivanam, près de TiruchirappalliEnseignement de Brother John Martin

1 L’allée principale, la terre est rouge comme les bâtiments. On voit tout le soin et l’amour apportés à ce lieu.

2 Le potager de l’ashram.

3 Brother John Martin enseignant.

4 L’arrière de l’église circulaire où sont célébrées les messes dans les deux rites, catholique et hindou. Les symboles des deux religions sont présents : d’une part la croix et Saint Benoît, et d’autre part l’architecture indienne du haut de l’édifice, avec la vache sacrée et les hommes et femmes de l’église occidentale assis en posture de méditation.

5 L’entrée de l’ashram avec ses deux noms, avec la Sainte Trinité : le Père de face, Jésus à sa droite et le Saint-Esprit à sa gauche. À Shantivanam, le Saint-Esprit a un visage féminin, en référence à l’hindouisme qui associe à toute énergie masculine une énergie féminine.

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Le Dayananda ashram de RishikeshEnseignement dans la lignée de Swami Dayananda

1 Sadhus quittant l’ashram après le déjeuner qui leur est servi une fois par semaine – le sadhu bhandara. On distingue le bâtiment de l’accueil et l’auvent qui mène au réfectoire.

2 Le temple, avec vue sur le Gange et les contreforts des Himalayas.

3 Salle de classe des étudiants.

4 Emploi du temps du cours de 3 ans et demie pour devenir swami.

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Hinterland Village, près de KochiEnseignement de Saji Ramaswami

1 Les bâtiments, comme celui-ci aménagé en chambres, sont disséminés dans une forêt plantée et entretenue par Unni, le propriétaire.

2 Enveloppement entre deux feuilles de bananier près de la piscine, par une naturopathe

3 Démonstration par une naturopathe du jala neti, le lavage de nez, réalisé à l’aide du lota (le récipient blanc)

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