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Jean-Nicolas Corvisier Une source sur l'Homme de la Grèce du Nord : le corpus hippocratique In: Histoire, économie et société. 1982, 1e année, n°2. pp. 171-186. Citer ce document / Cite this document : Corvisier Jean-Nicolas. Une source sur l'Homme de la Grèce du Nord : le corpus hippocratique. In: Histoire, économie et société. 1982, 1e année, n°2. pp. 171-186. doi : 10.3406/hes.1982.1287 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hes_0752-5702_1982_num_1_2_1287

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  • Jean-Nicolas Corvisier

    Une source sur l'Homme de la Grèce du Nord : le corpushippocratiqueIn: Histoire, économie et société. 1982, 1e année, n°2. pp. 171-186.

    Citer ce document / Cite this document :

    Corvisier Jean-Nicolas. Une source sur l'Homme de la Grèce du Nord : le corpus hippocratique. In: Histoire, économie etsociété. 1982, 1e année, n°2. pp. 171-186.

    doi : 10.3406/hes.1982.1287

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hes_0752-5702_1982_num_1_2_1287

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_hes_28http://dx.doi.org/10.3406/hes.1982.1287http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hes_0752-5702_1982_num_1_2_1287

  • UNE SOURCE SUR L'HOMME DE LA GRECE DU NORD :

    LE CORPUS HIPPOCRATIQUE

    par Jean-Nicolas CORVISIER

    Depuis un quart de siècle, se sont succédées et multipliées les études sur l'homme grec antique, dans sa psychologie ou ses habitudes sociales. La conception qu'il se faisait de lui-même a été aussi particulièrement scrutée (1). Mais, si l'anthropologie culturelle de la Grèce antique nous est maintenant relativement bien connue, l'anthropologie stricto sensu n'a guère suscité de travaux. Si nous connaissons ainsi relativement bien les réactions psychologiques du Grec ancien, nous sommes beaucoup moins bien renseignés sur sa taille, son aspect, son état sanitaire ou sa démographie. Pour une large part, le manque de sources est à incriminer, mais aussi la difficulté d'arriver à des résultats probants à partir d'échantillons numériques trop restreints. Dans l'état actuel des choses, une étude de la taille ou de l'aspect du Grec ancien risque ainsi de conduire à une impasse. Tel n'est pas le cas de la démographie ou de la situation sanitaire. Sous réserve d'une certaine prudence, la démographie historique est bien applicable à l'histoire grecque (2). Quant à la situation sanitaire de la population grecque antique, il est possible de l'apprécier à la fois à partir de la paléopathologie (3) et des sources médicales antiques. Même pour ces dernières, nous disposons parfois d'échantillons numériques suffisament importants pour permettre des conclusions. Il va de soi que les statistiques qu'on peut en tirer ne peuvent avoir une valeur absolue et certaine, mais elles peuvent indiquer des ordres de grandeur, des dimensions. On ne peut négliger de telles statistiques dimensionelles : il est souvent utile de savoir si l'ordre de grandeur est de un ou de dix. De telles certitudes sont possibles dans le cas de la Grèce du nord, pour laquelle nous bénéficions d'une partie au moins de l'ample source hippocratique.

    Cela dit, de par sa nature même, le corpus hippocratique pose de délicats problèmes d'interprétation. Il constitue, on le sait, une source extrêmement hétéroclite, composée de traités aux buts différents et rédigés à des périodes différentes, essentiellement entre la fin du Vème siècle et le Ilème siècle. Parmi ces traités, les sept recueils des Épidémies, qui nous intéressent présentement, sont des descriptions de cas indivi-

    1. Voir par exemple L. Gernet, Anthropologie de la Grèce antique, Paris 1976, J.-P. Vernant, Mythe et société en Grèce ancienne, Paris 1974, ou P. Lévèque et P. Vidal-Naquet, Clisthène l'Athénien, Besançon 1964, ouvrage au sous titre significatif : Essai sur la représentation de l'espace et du temps dans la pensée politique grecque de la fin du Vlème siècle à la mort de Platon.

    2. Une telle question a été abordée, et des méthodes ont été proposées par J.-N. Corvisier, La démographie historique est-elle applicable à l'histoire grecque, Annales de Démographie Historique 1980, pp. 161-185.

    3. Sur ce point voir notamment M.D.Grmek, Réalité nosologique au temps d'Hippocrate, in La collection hippocratique et son rôle dans l'histoire de la médecine, Colloque de Strasbourg, Leyde, Bnll, 1975, pp. 236-256.

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    duels avec leur traitement. Il est difficile de connaître en toute certitude la date des observations et celle où elles ont été rassemblées en recueils. Cependant, à partir des noms de malades, parfois de leurs adresses, enfin d'événements auxquels il est fait allusion, il est possible d'avoir quelques points de repère chronologique. Ainsi, les Epidémies I et III citent des noms de notables thasiens connus par l'épigraphie pour avoir exercé des magistratures vers 410, et certains noms de lieu paraissent corroborer cette date approximative (4). Sans qu'on puisse avoir de certitudes pour l'ensemble des cas de malades cités, l'époque des observations ne peut guère s'en écarter considérablement. Le cas des Epidémies II, IV et VI est plus épineux. L'unité d'auteur n'est, en effet, pas totalement assurée. D'autre part, la datation du matériel reste controversée. Il est cependant très vraisemblable qu'elle remonte à la dernière décennie du Vème siècle ou à la première du IVème siècle (5). Enfin, pour Epidémies V, la date d'environ 360 a été proposée, Epidémies VII ayant été rédigée quelques années plus tard (6). C'est donc sur un espace de temps d'un demi siècle au plus, et peut-être bien moins, qu'auraient été réalisées les observations des Epidémies. En l'absence d'indications contraires, il est difficile de penser que l'arrière plan sanitaire se soit fondamentalement modifié durant cette période. On pourra donc, sans inconvénients majeurs utiliser ensemble les cas provenant des sept recueils, d'autant que, on le verra, pour chacun des sites considérés, les cas examinés remontent le plus souvent à la même époque. L'absence d'unité d'auteur entre Epidémies I-VII n'est pas non plus un obstacle, dans la mesure où les trois ou quatre auteurs appartiennent à la même école et n'ont pas, en général, une méthode sensiblement différente.

    Le plus souvent, les cas individuels cités dans les Epidémies décrivent des maladies identifiables et permettent donc de prouver leur existence au début du IVème siècle. Mais leur utilisation statistique demande qu'ils soient également représentatifs d'un état sanitaire, que leur fréquence de citation corresponde à leur fréquence réelle. Sur ce point, il est difficile d'arriver à une certitude absolue, étant donné la nature de la source. Les Epidémies sont, en effet, des traités didactiques ayant pour but de montrer comment le médecin doit comprendre une maladie, et poser un diagnostic (7). Il est cependant difficile de penser que les maladies les plus fréquemment citées et décrites soient les plus rares. Leur fréquence de citation représente donc une image plus ou moins déformée de l'état sanitaire de l'époque. Le tout est donc de pouvoir apprécier l'ampleur de la déformation. La présence dans les Epidémies I et III, à côté des cas individuels, de descriptions de constitutions annuelles montrant quelles ont été les maladies que l'auteur, médecin à Thasos, a rencontré pendant près de quatre ans et dont

    4. K. Deichgràber, Die Epidemien und das corpus hippocraticum, Berlin 1933, 172 pp. 15-16, en ce qui concerne des noms de personne. J. E. Dugand (Les adresses de malades d'Épidémies I et III et les preuves, tant archéologiques qu'épigraphiques du séjour d'Hippocrate à Thasos, Ann. Fac. Lettres de Nice, 1979, n° 35, pp. 131-155) y ajoute d'autres noms de notables, et des noms de heu.

    5. F. Robert (Les adresses des malades dans les Épidémies II, IV et VI, in La collection hippocra- tique..., op. cité, pp. 173-194) considère que l'unité d'auteur apparaît nettement {contra : A. Niki- tas, Untersuchungen zu den Epidemiensbùchern II, IV, VI des corpus hippocraticum, Diss. Hambourg 1968, XIII et 253 p.). Quant à la datation, K. Deichgràber {op. cité, pp. 74-75), la fixe à 399-395. M.D. Grmek.qui a repris récemment le dossier (La description hippocratique de la toux épidémique de Périnthe, Actes du colloque hippocratique de Paris 1978, C.N.R.S. 1980, pp. 199-220) pense qu'on peut la faire remonter à la première décennie du IVème siècle ou plus probablement à la dernière du Vème siècle. Il va de soi que de telles datations ne reposent que sur une partie du matériel.

    6. F. Robert, La Prognose hippocratique dans les livres V et VII des Épidémies, Mélanges Claire Préaux pp. 257-70, notamment pp. 257-61.

    7. Cf. M. Vust-Mussard. Remarques sur les livres I et III des Épidémies, les histoires de malades et le pronostic, Etudes de Lettres 3ème série, III, 1970, pp. 65-76.

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    la fréquence est appréciée d'un mot, est en effet riche d'enseignements. Sans qu'on puisse avoir toujours de certitudes, les cas individuels se rapportent en général à ces constitutions, et sont, en tout cas, des cas de malades thasiens (8). Toutes les maladies présentes dans les constitutions ne se retrouvent pas dans les descriptions individuelles, mais celles-ci décrivent les maladies les plus graves, et aucune autre maladie grave n'apparaît dans les constitutions. D'autre part, les indications de fréquence données par ces dernières sont tout à fait compatibles avec les fréquences obtenues sur les cas indivi- duls. Une telle cohérence montre que, de façon évidemment très approximative, les fréquences de citation des maladies dans les cas individuels peuvent refléter la fréquence réelle des maladies graves (9).

    Au total, 370 cas individuels sont cités dans les Epidémies. Si l'on tient compte de ce que plus de cinquante cas sont répétés dans Epidémies V et VII, ont aboutit au total de 315 cas différents, sur lesquels un diagnostic rétrospectif est possible dans 252 cas. 97 descriptions de malades, soit près des deux cinquièmes, concernent la Grèce du nord. Mais il faut remarquer que seulement dix autres cas sont localisés, dans la collection hippocratique. Les cas de la Grèce du nord représentent donc plus de 90% de ceux localisables, proportion en elle même remarquable. Cela dit, comme dans l'ensemble des Epidémies, les descriptions de maladies d'hommes sont plus nombreuses (un peu moins des deux tiers) que celles des femmes. L'échantillon reste donc représentatif de la collection hippocratique. Il faut enfin noter que les 97 maladies décrites pour la Grèce du nord se répartissent géographiquement ainsi : 36 à Thasos, 27 dans dix autres sites de Macédoine, et 34 dans huit sites de Thessalie. Chacun des échantillons est donc de petite taille, mais, sous réserve de prudence, la diversité des sites permet de se faire une idée de la situation sanitaire en Grèce du nord dans la première moitié du IVème siècle. 1 . LE CAS DES VILLES DE THESSALIE

    Les huit villes de Thessalie qui apparaissent dans la collection hippocratique sont, dans une certaine mesure, représentatives de l'ensemble de la région. Ce sont en effet des villes de plaine, mais aussi de montagne ou du littoral. Riche région agricole, s'adonnent à l'élevage autant qu'à la culture, la Thessalie antique offrait l'image d'une plaine fertile, enserrée de montagnes densément peuplées. La vie maritime cependant n'était pas absente. A la fin du Vlème siècle, la population y était déjà très largement urbaine. Il faut enfin noter l'importante superficie qu'occupaient les marécages dans la Thessalie antique : près de 800km2 , soit près de 8% de la superficie cultivable (10). Ces données du milieu naturel et humain permettent de mieux comprendre le tableau sanitaire présenté par les Epidémies.

    La collection hippocratique cite 34 cas individuels, relevés dans huit villes de Thessalie. Sur ces 34 cas, 16, soit près de la moitié, sont notés à Larissa. Les deux tiers des cas (27 sur 34) sont tirés des Epidémies V, et remonteraient donc aux environs de 360, au plus tard.

    8. Selon M. Vust-Mussard, op. cité, les trois cas suivants se rencontrent : 1) les histoires de malades niustrent des maladies relatées dans la constitution ; 2) les histoires se rapportent probablement à la constitution, mais sans qu'on puisse établir directement le lien ; 3) ce sont des histoires choisies par l'auteur parmi des maladies non épidémiques. M. Vust-Mussard considère aussi que la majorité des cas cités se rapporte à des maladies et des malades de la 3ème constitution.

    9. Il va sans dire que la cohérence entre les fréquences données dans les constitutions et celle obtenue par le calcul sur les histoires de malades ne correspond pas à une volonté du rédacteur hippocratique.

    10. Le calcul est fait à partir des données fournies par E. Kirsten et A. Philipson, Griechische Landschaften, I, Munich 1950.

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    Larissa, importante ville de Pélasgiotide, située au centre d'une plaine fertile, devait posséder une population importante. A la fin du IVème siècle, on peut l'estimer à environ 30 000 habitants (11). Les 16 cas cités sont les suivants :

    Un homme chauve

    Une jeune fille

    La femme de Gorgias La femme enceinte

    Hipposthène

    Scamandre Un palfremer Garçon de Théophorbos Femme ď Antimachos

    La servante d'Enésidèmos Eudèmos

    Un homme

    Apellaios

    Eumèlos

    Une jeune fille La servante de Dyséris

    Epid. III, 17,5

    ,12

    Epid. V, 11 ,13

    ,14

    ,15 ,16 ,17 ,18

    ,19 ,20

    ,21

    ,22

    ,23

    ,24 ,25

    Septicémie. Abcès tuberculeux ? Paludisme ou syndrome prémenstrael Rétention placentaire Infection utérine avortement Fièvre avec aspect bronchique Tétanos ou infection Plaie et surinfection Infection urinaire Constipation pendant Grossesse Fièvre (??) Hémorroïdes étranglées Péritonite traumatique Epilepsie (?) ragie sur foie (?) Maladie logique Phtisie Vaginisme

    4 j. Meurt

    6 j . Guérit

    40 j. Guérit

    1 1 j . Meurt

    20 j. Meurt 50 j. Meurt 3 j. Meurt 10 j. Meurt

    5 j. Meurt Meurt

    2 j. Meurt

    2 m. Guérit

    34 m. Guérit

    3 m. Meurt Guérit

    Sans qu'un phénomène de clientèle soit déterminable, ces 16 cas permettent quelques remarques sociologiques. Quatre au moins des malades soignés sont des esclaves ou des serviteurs. Deux d'entre eux sont des enfants, dont un palfrenier ayant reçu un coup de pied de cheval, ce qui lui occasionne une plaie infectée. L'âge de ce dernier est précisé : onze ans. L'existence d'une telle blessure n'a rien pour surprendre, la Thessalie étant réputée pour ses élevages de chevaux. Une autre précision d'âge est donnée : la servante de Dyséris a vécu au moins 60 ans. Il est évidemment difficile de tier grand chose d'une indication unique, mais elle prouve au moins la possibilité de vie à de tels âges pour des esclaves, à plus forte raison peut-être pour des libres.

    En raison de la diversité des maladies, le tableau sanitaire est relativement difficile à brosser. On remarque la relative rareté des fièvres liées à l'eau : un ou deux cas sur 16. Le fait peut paraître surprenant, vu l'importance des marécages en Thessalie. Cependant, il faut noter que la plaine de Larissa était très sèche (12), et l'importance du groupement humain constitué par la ville peut également expliquer la rareté du paludisme. Point n'était besoin à un grand nombre des habitants de quitter celle-ci. Si l'on exclut d'autre part les maladies purement accidentelles, on remarque l'importance numérique des infections (3 au moins, 5 au plus), et des maladies féminines liées à l'ac-

    1 1. Ce chiffre est calculé à partir de la superficie de la ville, selon les méthodes indiquées par J.-N. Corvisier, art. cité, pp. 170-174.

    12. E. Kirsten - A. Philipson, op. cit., pp. 118 et 123-125.

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    couchement. Les maladies pulmonaires sont également représentées (2 à 3 cas). Faute de pouvoir les mettre en relation directement avec le climat, très contrasté certes, mais relativement peu rigoureux, on peut invoquer comme explication possible un mauvais équilibre alimentaire. Une étude de l'alimentation grecque ancienne fait en effet apparaître le manque de vitamine A, ce qui occasionne des maladies pulmonaires (13). A travers les durées de maladies enfin (30 jours en moyenne), apparaît nettement leur poids social. Notons la différence entre les maladies mortelles (21 jours en moyenne) et les maladies guéries (5 1 jours). Mais, vu le petit nombre de cas envisagés, un tel fait peut être pure coïncidence.

    Six cas du Vème livre des Epidémies sont tirés d'observations faites à Oeniadai, ville que Littré place aux confins de la Doride, mais qui devait, en fait, être proche du mont Oeta (14). Les cas sont les suivants (15) :

    Scomphos Epid.V, 3 Pleurésie 7 j. Meurt Phoinix et Andres Eurydamas Un homme Eupolèmos Lycon

    V,4 V,5 V,6 V,7 V,8

    Charbon (?) Pneumonie Ulcère gastro-duodénal Ostéo-arthrite purulente Ostéo-arthrite

    7 j. Meurt 20 j. Meurt

    Guérit Meurt

    L'échantillon est trop restreint pour permettre des remarques sociologiques et pathologiques. L'importance des maladies pulmonaires est cependant visible, ce qui n'étonne pas particulièrement, s'il ne s'agit pas d'un hasard, pour une ville de l'intérieur située dans une contrée relativement montagneuse.

    De la même façon, les cinq cas cités pour Omilos (16) peuvent difficilement être caractéristiques d'une région donnée. D'une part, la localisation de cette ville est impossible, d'autre part, les cas sont davantage significatifs de la méthode de rassemblement des données de l'auteur d'Épidémies V que d'un état sanitaire local. Ce sont les suivants :

    Autonomos Epid.

    Une jeune fille Cyrénios

    Hécason Hécason (?)

    V, 21

    V, 28 V, 29

    V, 30 V,31

    Traumatisme crânien avec abcès

    id. Abcès ds ventre. Peut-être péritonite ? Id., puis péritonite Fièvre ?

    16 j. Meurt

    14 j. Meurt + d'1 m. Meurt

    Meurt Meurt

    13. Voir sur ce point notre doctorat de troisième cycle soutenu en juin 1981 à l'Université de Paris Sorbonně. L 'Etat sanitaire de la population grecque antique et ses conséquences sur les rythmes démographiques, dont le cadre géographique et le champ de recherches sont plus larges que le présent article .

    14. E. Littré, éd. et trad. Oeuvres complètes d'Hippocrate, t. V, 1946, pp. 10-11 St.Byz., s.v. 15. Les données de ce tableau, et de ceux qui suivront, sont tirées de l'édition Littré des

    Épidémies, pour les noms des malades, les localisations, les durées et issues des maladies. Les diagnostics rétrospectifs proviennent de notre troisième cycle.

    16. Omilos n'est citée que par le corpus hippocratique. E. Littré (op. cité, p. 11), rapprochait ce nom de l'Homilae de Ptolémée (Géogr. III, 13), qui n'est pas autrement connue. On peut émettre l'hypothèse qu'il s'agit de l'Homolion, ville du littoral magnète situé au nord du Pélion. Cependant, en l'absence d'édition récente des Épidémies V, et sans recours aux manuscrits, le doute doit rester de mise.

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    Plus caractéristiques peut-être de la situation sanitaire thessalienne sont, malgré leur petit nombre, les trois cas de Crannon. Cette ville de Pélasgiotide, de petite taille, et dont la population ne devait guère excéder 4 000 à 4 500 habitants a fourni les cas suivants :

    La femme de Nicostratos Epid. IV, 14

    Lycinos, grammairien Une femme

    IV, 37 Epid. VI, 3,2

    Fièvre . Origine paludéenne ? Fièvre infectieuse Fièvre , splénomégalie

    14 j. Guérit

    Le fait qu'il s'agisse dans les trois cas de fièvres, d'origine infectieuse, et pouvant bien être liées à l'eau, s'accorderait bien avec le milieu thessalien, et à la petite taille de la ville, dans laquelle les habitants pouvaient avoir davantage l'occasion de se trouver en campagne ou à proximité d'eaux stagnantes.

    Les quatre derniers cas sont uniques pour la ville en question. A Méliboea, cité probablement localisable en Magnésie, près de la côte, il s'agit d'un jeune homme atteint probablement de choléra ou de fièvre typhoïde ; il meurt au bout de 24 jours. L'homme deMalide sur la poitrine duquel est passée une charrette est atteint d'une fracture ouverte infectée. Les douleurs de tête de la femme de la ville de Phères cessent par la grossesse. Enfin Polymédès, de Pharsale, est atteint de tuméfaction des paupières.

    A tout prendre, et malgré les incertitudes, inévitables sur des échantillons réduits, les données de la collection hippocratiques ne sont pas invraisemblables, au sujet de la Thessalie. Elles révèlent le rôle joué par les fièvres et l'eau stagnante, les maladies

    THRACE

    MACEDOINE

    .Pella

    Bessae ?

    JDatos Abdère

    rThasos

    Omilos ?

    Méliboea Larissa* , v v

    q Pheres 3 Crannon

    g Pharsale S Mallia

    Oeniadai ? ~ ^^V^O 50 = 100=150 km

    échelle 1/4.500.000

  • LE CORPUS HIPPOCRATIQUE 1 77

    pulmonaires et les infections dans la situation sanitaire ancienne. L'opposition entre milieu de plaine et milieu de montagne paraît perceptible, également celle entre grandes et petites villes. Malgré des différences dues aux milieux particuliers, et dont il faut souligner l'importance, un tel tableau nosographique n'apparaît pas fondamentalement différent de celui de la Macédoine.

    2. LE CAS DE THASOS.

    Petite île séparée du continent thrace par un détroit large de seulement huit kilomètres, Thasos, on le sait, a été colonisée par les Grecs au début du Vllème siècle (17). Jouissant de ressources naturelles importantes (marbre, or, bois d'essences diverses), et de possibilités agricoles non négligeables, située dans une mer poissonneuse, l'île pouvait nourrir une population nombreuse et commerçante. A la fin du Vème siècle, époque à laquelle remontent la plus grande partie des cas envisagés, on peut estimer la population de la ville de Thasos à 8-10 000 habitants (18), chiffre qui s'accorde bien avec l'importance qu'avait prise l'île, tant du point de vue du commerce que de sa place dans la confédération maritime athénienne.

    Sur les 36 cas de malades thasiens cités dans les Epidémies, 31 sont tirés des Epidémies I et III, et semblent donc antérieurs à la fin du Vème siècle. L'auteur note les adresses de ses malades dans plus de la moitié des cas, ce qui correspond à un but médical bien déterminé : faciliter diagnostic et prognose (19). Par contre, n'attachant pas la même importance aux renseignements sociologiques, il n'en fait que rarement mention. Les métiers ne sont pas indiqués, à l'exception d'un foulon et peut-être d'un bouvier, ce qui contraste un peu avec d'autres livres des Epidémies. De même, les âges des malades ne sont indiqués que dans quelques cas seulement, la notation ayant à chaque fois un intérêt médical. C'est ainsi que la fille d'Euryanax, vierge, est atteinte de phtisie, maladie qui frappe particulièrement les jeunes filles ou les femmes (20). Le jeune homme habitant sur la place des menteurs et dont la maladie est due à des exercices inaccoutumés est âgé de vingt ans : rien n'interdit de penser qu'il s'agit d'exercices à la palestre, ce qui correspond bien à l'âge cité. De même, la mention de l'âge est elle importante dans le cas de la femme d'environ 17 ans, atteinte de tuberculose après un accouchement primipare, ou dans celui de Satyros traité à vingt-cinq ans pour des pollutions nocturnes, qui le conduisent à trente, selon l'auteur hippocra- tique, à la consomption. Il faut remarquer d'ailleurs que dans ces quatre cas où l'âge est mentionné, il s'agit de jeunes gens. La mention de l'âge permet peut-être également de les distinguer des autres malades, adultes, pour lesquels il n'est pas donné. De toute façon, faute d'indications contraires, que l'on rencontre ailleurs d'une manière quasi-

    17. Sur Thasos, outre le fondamental J. Pouilloux, Recherches sur l'histoire et les cultes de Thasos, I, de la fondation de la ville à 196 av.J.-C. (École française d'Athènes, Études Thasiennes III), Paris 1954, 491 p., sur quoi F. Chamoux, Lïle de Thasos et son histoire, R.E.G. 1959, pp. 348-369, voir plus récemment le Guide de Thasos, École française d'Athènes 2ème éd. 1968, 214 p., et D. Lazandis, Thasos and its Peraia, in Ancient Greek Cities, Athènes 1971, 97 plus 6 p., 73 pi.

    18. D. Lazandis, op. cité, p. 22 donne l'ordre de grandeur de 12 000 habitants. 19. F. Robert, Les adresses des malades..., art. cité. 20. Si l'on fait la statistique sur l'ensemble des malades des Épidémies, il apparaît que, alors que

    les hommes représentent les deux tiers de la totalité des cas et les femmes un tiers, on compte 21 hommes attemts de maladies pulmonaires et 16 femmes, soit respectivement 57 et 43%. Alors qu'un seul cas de tuberculose est cité pour les hommes, cinq le sont pour les femmes. Le type de source n'est pas en cause. En effet, dans plusieurs passages du corpus hippocratique, la fréquence des phtisies pour les femmes jeunes est citée. Cf. par exemple Mal. II, 48.

  • 1 78 Jean-Nicolas CORVISIER

    systématique, il est évident que les autres cas décrits à Thasos avec précision sont ceux d'adultes.

    Si l'on ajoute aux 36 cas décrits avec précision les noms de malades cités dans les Epidémies I et III pour être thasiens, sans que leur maladie soit détaillée, on arrive au total de 58 noms, dont 23 sont attestés seulement par Hippocrate et 35 sont autrement connus. Dans la mesure où elle a pu être tentée, l'étude onomastique a été faite. Elle ne permet pas d'aboutir à des résultats totalement probants, mais force est de constater que l'onomastique thasienne échappe à toute tentative d'explication par le dialecte thrace — ou macédonien —, mais qu'elle est entièrement explicable par des etymologies grecques (21).

    L'indication donnée parfois de la situation juridique permet de montrer en filigrane la situation sociale. Ainsi peut-on considérer, par déduction la plupart du temps (22), que douze à quinze esclaves ont reçu des soins, soit un cinquième du total. Leur nom apparaît rarement, de même que leur âge, indiqué seulement dans un cas, celui de Bion, dont la maladie n'est pas précisément décrite, et qui est classé parmi les vieillards (23). A l'opposé de l'échelle sociale, il apparaît qu'un certain nombre de malades appartiennent à des familles de notables thasiens : au moins neuf d'entre eux ont été théores ou pères de théores, comme l'a montré J.-E. Dugand (24). L'échantillon de malades est donc sociologiquement très large.

    Sur chacun des 36 cas individuels pour lesquels la maladie est décrite, il est possible de porter un diagnostic rétrospectif. Le tableau suivant résumera les informations à retenir :

    Philiscos Silenos

    Hérophon Femme de Philinos Femme d'Epicratès

    Cléanactidès Méton Erasinos Criton Le Clazoménien Femme de Droméadès

    Un homme

    Une femme Melidia

    Epid. 1,17,1 2

    3 4 5

    6 7 8 9

    10 11

    12

    13 14

    Paludisme d'invasion Typhus avec syndrome méningé Paludisme d'invasion Fièvre puerpérale Colibacillose après accouchement Infection urinaire Typhoïde ou malaria Typhus Diabète + gangrène Typhoïde (?) Infection après accouchement Hémorragie digestive après parasitose Fièvre durant grossesse Paratyphoïde ou colibacillose ?

    6 j. Meurt 11 j. Meurt

    1 7 j. Guérit 20 j. Meurt 80 j. Guérit

    80 j. Guérit 5 j . Guérit 5 j . Meurt 2 j . Meurt + 40 j. Guérit 6 j . Meurt

    1 1 j . Meurt

    14 j. Guérit

    2 1 . F. Chamoux, art. cité, pp. 350-51. 22. Il est rare que, dans la collection hippocratique, le terme esclave (doulos) soit indiqué. La

    plupart du temps sont employés des termes plus vagues, tels le garçon (pais), qui ne désigne d'ailleurs pas nécessairement un escalve, ou le serviteur. La détermination des esclaves a été faite, sur le nombre total de malades, par F. Kudlien, Die Sklaven in der Griechischer Medizin der klassischen und helle- nistischen Zeit, Wiesbaden 1968, 46 p., pp. 15-22.

    23. Epid. I, 17. 24. E. Dugand, Adresses de malades et séjour d'Hippocrate à Thasos, art. cité, pp. 149-151.

  • LE CORPUS HIPPOCRATIQUE 179

    Une femme

    Femme d'Antigènes Pythion Hermocratès

    Homme ds. jardin de Déalcès Philistès Chaerion Fille d'Euryanax

    Femme chez Aristion Jeune homme Femme chez Tisaménès Femme chez Pantimedès

    Femme d'Hicétas Une femme Le Parien Une femme Pythion Une femme Femme de Déalcès Satyros Femme de Gorgippos

    Servante

    Epid.

    Epid.

    Epid.

    Epid.

    H,

    Ш,

    17,

    VI,

    VII

    2,18

    19 ,1

    2

    3

    4 5 6

    7 8 9

    10

    11 12

    1 2 3

    11 15

    7,29 32

    ,112

    Avortement. Avec infection utérine ? Coxalgie Maladie pulmonaire Infection avec ictère (Virale ?) Meloena. Peut-être ď origine paludéenne Typhoïde ou Pneumonie id. Tuberculose + Septicémie Angine (Diphtérique ?) Fièvre intense Occlusion intestinale Fièvre typhique . Plutôt septicémie utérine. id. Fièvre puerpérale Fièvre salmonelle ? Fièvre puerpérale Fièvre intense Psychose (?) Typhoïde (?) Pollutions nocturnes Tumeur cortico- surrénale Méningite primitive

    +6 m. Guérit

    Guérit 40 j. Guérit 27 j . Meurt

    40 j. Guérit

    5 j. Meurt 20 j. Guérit 25 j. Meurt

    5 j . Meurt 5 j . Meurt

    Meurt 7j. Meurt

    7 j . Meurt 14 j. Meurt 1 20 j. Meurt 80 j. Meurt 10 j. Meurt 3 j . Guérit 21 j. Meurt

    Meurt

    Meurt

    Le tableau est significatif d'un état sanitaire déterminé. En effet, si l'on fait les regroupements qui s'imposent, on remarque que 11 cas de maladies sont des fièvres, soit 30,5 % du total. Qu'elles soient paludéennes (4 cas au moins), typhiques (2 cas) ou typhoïdiques (3 ou 4 cas), elles sont liées à une contamination due à une eau stagnante. Un deuxième groupe de maladies correspond à des infections féminines : 1 1 cas, dont 7 consécutives à des accouchements. L'ensemble représente 25% des maladies totales. 6 maladies, soit 14% concernent le système respiratoire, dont 2 tuberculoses, 2 pneumonies (?), une maladie pulmonaire et une angine grave. 3 maladies enfin, soit 8,5% du total, sont relatives au système digestif.

    Ce qui est frappant dans une telle répartition n'est pas seulement le petit nombre effectif de maladies, compréhensibles sur un échantillon relativement réduit, mais aussi l'importance des fièvres, et celle des maladies pulmonaires. On pourrait penser que la nature même de la source - un choix parmi les malades traités par l'auteur hippocrati- que et dont le cas a dû être considéré comme les plus significatif — en est la cause, et qu'un tel tableau sanitaire ne correspond pas à la réalité effective. En fait, il n'en est probablement rien. Les mêmes livres des Epidémies I et III comportent en effet des notations de fréquence de maladies tout à fait comparables. Les maladies de gorge sont citées plusieurs fois parmi les affections d'hiver. Les phtisies de printemps et d'été sont

  • 1 80 Jean-Nicolas CORVISIER

    dites nombreuses. Les fièvres sont également qualifiées de nombreuses, apparaissant chaque année entre printemps et automne. Mais il faut ajouter au total, des dysenteries fréquentes l'été ou l'automne ; des maladies de peau ; des ophtalmies d'été. Sont également citées des maladies articulaires et des ulcérations diverses (25). La comparaison montre que, même si les pourcentages obtenus plus haut ne sont pas tout à fait significatifs et doivent être abaissés, l'importance des maladies considérées reste effectivement forte. Le fait est révélateur aussi du choix des cas individuels : ce sont les maladies les plus graves qui ont été retenues, ce qui s'accorde bien avec le résultat de la cure. En effet, dans 1 2 cas seulement, soit un tiers, elle a été suivie de succès. Nul doute que les dysenteries de la saison chaude ou les ophtalmies n'aient été plus facilement curables, quelles qu'ait pu être l'efficacité réelle de la cure retenue.

    Rapporté au milieu thasien, le tableau sanitaire présenté par les Epidémies I et III n'a d'autre part rien pour surprendre. Les lacs et marécages ne sont pas rares sur le littoral, entre Chalcidique et Chersonese de Thrace, ils sont attestés à l'embouchure du Nestos, soit en face même de l'île de Thasos et rien ne permet à priori d'écarter leur existence dans l'île (26). Compte tenu des déplacements que faisaient les commerçants thasiens sur le continent, du manque de discernement des Grecs dans le choix des eaux potables (27), l'importance des fièvres paludéennes ou non, ainsi que celle des dysenteries, est parfaitement compréhensible.

    A première vue, la fréquence des maladies pulmonaires, rappelée également en dehors des cas individuels, est surprenante. Le climat de Thasos cependant a parfaitement pu les favoriser. Il se caractérise, on le sait, par des contrastes climatiques violents : rudesses hivernales, autant que douceur et pluviosité (28). Un tel climat peut expliquer la naissance de maladies pulmonaires bénignes, qui, mal soignées, pouvaient considérablement s'aggraver. Rappelons que de telles affections, à commencer par l'angine, étaient considérées alors comme très dangereuses, et difficilement curables. Une autre raison peut probablement en être trouvée dans un mauvais équilibre alimentaire. Il est évidemment difficile de reconstituer dans son intégralité l'alimentation du Grec ancien. Cependant, les carences en produits animaux devaient exister au moins pour une partie du corps social. Or, il est de fait qu'une carence dans ce domaine entraîne le manque de vitamine A, responsable à la fois de maladies pulmonaires et de troubles oculaires (29). Les deux sont attestés en grand nombre à Thasos. Il est évident que le climat peut en être la cause, mais le fait alimentaire a de grandes chances de s'y ajouter.

    L'importance des maladies gynécologiques (25%), essentiellement liées à des accouchements, est des plus significative. Les infections sont, en général mortelles (un seul cas de guérison sur sept malades). Le fait n'est pas négligeable du point de vue démographique. Intéressant est aussi de remarquer que, parmi les femmes enceintes soignées par Hippocrate, une ou moins est de condition servile. La démographie servile n'était

    25. Ce tableau est tiré â'Êpid. I, 1-3 ;4-12 ; 13,26 ;et d'Êpid. III, 2-7. 26. Sur les marécages de Macédoine, voir N.G.L. Hammond, A History of Macedonia, I, Oxford

    1972, 493 p., pp. 180-181. 27. Plutarque (Lycurg., 9,8) cite l'existence d'un goЪelet à larges bords utilisé par les soldats pour

    boire l'eau et la filtrer. De même, un passage de la collection hippocratique enjoint au médecin, en cas de fièvre, de vérifier d'abord si une sangsue n'est pas fixée à l'intérieur de la bouche {Prorrh. II, 17). Ces deux exemples sont, en eux mêmes, significatifs de l'habitude des Grecs anciens de boire n'importe quelle eau.

    28. Cf. Guide de Thasos, pp. 1-5. 29. Sur ce point, je renvoie à mon doctorat de troisième cycle, cité plus haut, 1ère partie, ch.II.

  • LE CORPUS HIPPOCRATIQUE 1 8 1

    peut-être donc pas contrariée. Qu'une femme tombe malade après un accouchement primipare à l'âge de 17 ans, est également significatif, attestant la pratique d'un âge au mariage bas, au moins pour les femmes.

    Le poids de la maladie est enfin discernable à partir des durées indiquées par l'auteur d'Epidémies I et III, qui correspondent évidemment au temps d'alitement, et non forcément à la durée complète, convalescence comprise. En moyenne pour les 30 cas où la précision est donnée, la durée est de 27 jours et demi. Cependant, les maladies mortelles sont en général plus brèves que les autres : 20 jours, contre 42 en cas de gué- rison. Sans parler du coût de la cure, par le simple manque à gagner dû aux jours d'alitement, la maladie était, on le conçoit sans peine, une catastrophe pour les familles frappées. Et le fait que certaines affections puissent être chroniques, le paludisme par exemple, ajoute à la gravité du poids de la maladie.

    Dans une certaine mesure donc, les cas individuels relevés à Thasos sont significatifs d'un état sanitaire déterminé. Sont-ils simplement caractéristiques du milieu tha- sien, ou bien correspondent-ils à l'ensemble de la Grèce du nord ? L'examen des cas relevés dans les autres villes thraco-macédoniennes, situées, essentiellement, sur le continent, peut permettre de répondre dans une large mesure à cette question.

    3. LES VILLES THRACO-MACÉDONIENNES.

    Dix villes thraco-macédoniennes ont également été visitées entre 412 et environ 360. La plupart d'entre elles sont littorales : Abdère, pour laquelle 14 cas sont cités, se trouve à l'Est de l'embouchure du Nestos, à proximité de Thasos, Plus éloignées sont Cardia, en Chersonese (un cas), Périnthe et Cyzique en Propontide (respectivement 4 et 1 cas). Acanthos (1 cas) et Olynthe (2 cas), sont deux villes de Chalcidique, facilement accessibles par la mer. Bessae enfin est selon Galien une ville de Thrace et non la Bessae locrienne. Les villes intérieures sont Pella, alors capitale de la Macédoine, Datos, près de Philippes, enfin Balée, de localisation inconnue.

    Encore que la prudence soit de mise, la chronologie des observations semble la suivante : l'auteur d'Epidémies I et III a passé quelque temps à Abdère, où il a noté 6 cas, et il cite un malade à Cyzique. Ces observations ne peuvent guère être postérieures à 410. Un autre médecin, rédacteur d'Epidémies II, VI et probablement IV a séjourné à Périnthe (4 cas), de même qu'à Abdère (3 cas). Enfin, celui qui a rédigé Epidémies V et VII, semble-t-il vers 360, en utilisant le matériel d'observation probablement antérieur, a noté un cas à Acanthos, Bessae, Pella, Balée, Cardia, Datos, deux à Olynthe, enfin cinq à Abdère. Cette dernière ville est donc la seule dans laquelle les observations puissent avoir été étalées fortement dans le temps, peut-être sur trente-cinq à quarante ans, dans une proportion non négligeable (cinq cas sur quatorze peut-être bien postérieurs).

    Le tableau sanitaire pour Abdère est le suivant :

    Périclès Epid. 111,17,6 Fièvre infectieuse 5 j. Guérit Une jeune fille ,7 Fièvre? 27 j. Guérit Anaxion ,8 Bronchopneumonie 34 j. Guérit Héropythos , 9 Fièvre entérique 120 j. Guérit Nicodèmos Epid. 111,17, 10 Fièvre paludéenne 24 j. Guérit

    ou typhoidique Apollonios 13 Ictère grave 34 j. Meurt

  • 1 82 Jean-Nicolas CORVISIER

    Homme Gardien de Palestre Phaétuse

    Polyphantos Anaxanor Clonigos Femme Enfant de Dinias

    Epid. Epid.

    Epid.

    IV, 31 VI, 7, 30

    32

    VII, 112 114 115 116 117

    Ballonnement abdominal Traumatisme crânien (?) Tumeur cortico- surrénale Méningite Fièvre gangreneuse Hématurie Cancer du sein Hernie ombilicale

    3j. Meurt

    Meurt

    Meurt 4 j . Meurt

    Guérit Meurt

    Sans que les pourcentages correspondent exactement à ceux de Thasos, on peut remarquer déjà, outre la variété plus grande de cas, due peut-être à l'intention didactique des rédacteurs, l'importance des fièvres entériques ou paludéennes (au moins un septième des cas), et celle des maladies pulmonaires. Les cinq cas d'Epidémies VII ne contiennent aucun de ces derniers cas. Il est impossible de savoir si c'est coïncidence ou si la trentaine d'années qui les séparent des précédents en est responsable.

    La chronologie des cas de Périnthe, tous situés dans les Epidémies II, IV, VI, livres dont les données ont été rassemblées fin Vème siècle, début IVème siècle, est très ramassée. L'auteur des observations n'a pas dû passer une période de temps considérable à Périnthe. L'existence d'une constitution de Périnthe (description du climat et notation d'un certain nombre de maladies qui régnèrent une année durant dans la ville) prouve en tout cas un séjour d'un an. Par ailleurs, l'état d'achèvement incomplet de ces livres, véritables carnets de notes plus que livres réellement rédigés, rend leur compréhension difficile, mais aussi parfois peu sûre l'attribution des cas à Périnthe. Le nom de la ville, de fait, n'est pas nécessairement indiqué. On sent ici l'intérêt plus réduit porté aux adresses et aux localisations porté par l'auteur d'Epidémies II, IV et VI que par celui d'Epidémies I et III. Un nombre réduit de malades est ainsi nommément cité pour être de Périnthe. Les cas sont les suivants :

    Scopas. Antigènes Epid. II, 3, 1 1 Coryza au moins 1 1 j. Guérit Femme d'Antigènes IV, 21 Asthme après fausse 8 m. Guérit

    grossesse Un homme VI, 2, 19 Infection urinaire +7 j. Guérit

    A ces quatre cas peuvent être ajoutés par déduction Apémante, le père du charpentier et Nicostratos (Epid. II, 2, 9), atteints d'affection rénale. Zoïle (Epid. II, 3, 3), dont la pneumopathie compliquée d'otite guérit en 9 jours, de même qu'Empédotime et la servante de Polémarque. Les parents de Cecrops, l'acheteur de vin, le fils de Téménès, le mari de la femme en couches, la femme esclave de la sœur de Témérès, le vigneron de Ménandre, le fils de Potamon, Hégésistratos, deux femmes et un homme, atteints de l'épidémie de Périnthe ; la femme en couches, elle même, en avorta (Epid. IV, 25). Atteinte d'un mal voisin, la nièce de Témérès meurt au bout de 18 jours. (Epid. IV ,26). L'esclave de la sœur d'Apémante souffre également du même mal (Epid. IV, 27). Des enants, le foulon et une femme sont aussi dans le même cas (Epid. IV, 36), de même que l'enfant tordant des sarments.

    La toux épidémique de Périnthe recouvre une réalité très complexe. Sa nature diphtérique semble aujourd'hui bien établie, mais, un certain nombre de cas lui ayant sans

  • LE CORPUS HIPPOCRATIQUE 1 83

    doute été rattachés abusivement par l'auteur d'Epidémies II, IV, VI, elle recouvre aussi plusieurs affections différentes (30).

    Étant donné le petit nombre de cas réellement utilisables, il est difficile de brosser un tableau de l'état sanitaire de la population de Périnthe. Tout au plus peut-on relever l'importance des maladies pulmonaires, ce qui s'accorde bien avec les observations faites plus haut. Par contre, le tableau sociologique est plus révélateur. La mention des métiers est plus fréquemment faite qu'à Thasos. On relève ainsi un charpentier, un foulon, un ouvrier des mînes, un garde des blés, un vigneron, un esclave tordant des sarmants. Vigne, mine, travail de la pierre ou des tissus : de tels métiers n'ont rien pour surprendre dans une cité coloniale et commerçante. L'existence d'esclaves est attestée, mais l'absence de mention de leur nom nous rend incapables de savoir s'ils étaient thraces ou non. Par ailleurs, un certain nombre de notables sont aussi cités, tels Apé- mante, dont le nom, les parents et leurs esclaves apparaissent souvent.

    Dans une certaine mesure également, l'importance des clientèles se manifeste. Dans des familles telles que celles de Nicostrate, de Polémarque, d'Antigénèse, de Téménès ou d'Apémante, deux à cinq personnes ont eu recours au médecin. Le fait peut être également révélateur de la fréquence de la maladie. Ainsi, en une année ou un peu plus, Antigènes et sa femme ont tous deux été atteints de maladies graves et longues.

    Les autres cas littoraux sont moins révélateurs d'un état sanitaire, en raison de leur faible nombre. A Cyzique, l'auteur d'Epidémies I et III a retenu le cas d'une femme dont on peut identifier le cas à une infection post-partum, qui l'emporte en dix-sept jours (31). A Bessae, le cas noté est celui d'une femme atteinte d'une tumeur derrière l'oreille (32). Les cas d'Olynthe et d'Acanthos, par contre, présentent pour nous plus d'intérêt. Par deux fois, en effet, on remarque qu'il s'agit de phrénitis (33). Cette maladie peut souvent être assimilée à une fièvre d'origine aquatique, qu'elle soit paludéenne ou non. Or, on le sait, des marécages sont attestés en Chalcidique. Le troisième cas est un anasarque, dont l'origine reste pour nous indéterminée, vu la maigreur de la notice (34).

    L'utilisation des cas de l'intérieur est difficile. Deux d'entre eux, en effet, ne peuvent rien nous apporter, qu'ils soient accidentels, tel le traumatisme au thorax subi par Tychon au siège de Datos (35), ou d'origine indéterminée (le cas de l'enfant de Métro- dore, à Cardia) (36). Plus intéressant pour nous est de constater qu'à Pella, il s'agit de fièvre peut-être paludéenne (37), et à Balée, de péripneumonie, semble-t-il (38). Ainsi est il manifeste que l'on rencontrait à l'intérieur des fièvres semblables à celles du littoral, et que les maladies pulmonaires y sont bien attestées.

    Pris ville par ville, le tableau sanitaire des cités thraco-macédoniennes n'est pas toujours très significatif. Il l'est cependant davantage si l'on rassemble tous les cas. L'importance des maladies pulmonaires est frappante, par delà les variations de milieu. Elles se retrouvent, avec une proportion plus ou moins forte, à Périnthe comme à

    30. Sur ce point, en dernier lieu, M.D. Grmek, La description hippocratique de la «toux épidé- mique» de Périnthe, Hippocratica, Actes du colloque hippocratique de Paris 1978, Paris, C.N.R.S. 1980, pp. 199-221.

    31. Êpid. III, 17, 14. 32. Êpid. VII, 105. 33. Êpid. V, 52 (Acanthos), et Êpid. VII, 80 (Olynthe). 34. Êpid. VII, 21. 35. Êpid. V,95 -VII, 121. 36. Êpid. V, 100 = VII, 113. 37. Êpid. VII, 118. 38. Êpid. VII, 17.

  • I 84 Jean-Nicolas CORVISIER

    Abdère ou à Thasos. Les fièvres d'origine plus ou moins paludéenne sont également souvent citées. Là encore, le milieu propre des villes explique certaines variations numériques. La comparaison entre Thasos et Abdère d'une part, Périnthe d'autre part, est, à cet égard, révélatrice, encore qu'il puisse bien s'agir, pour cette dernière ville, d'un hasard. Par ailleurs, on mesure l'importance du risque lié aux accouchements. Certes, nous ne pouvons en aucune manière calculer la proportion d'accouchements mortels par rapport à l'ensemble, mais le fait que les deux tiers des femmes qui consultent, le font pour des affections successives aux accouchements, ne peut être le fait du pur hasard. On peut maintenant se demander si les résultats obtenus pour ces dix villes grecques thraco-macédoniennes sont applicables ailleurs. Peut-on replacer leur situation sanitaire déterminée dans l'histoire de la Macédoine ancienne ?

    4. LA MACÉDOINE ANCIENNE ET LE CORPUS HIPPOCRATIQUE.

    A l'exception des cas cités dans les Epidémies, nous ne disposons d'aucune source directe sur la démographie et la situation sanitaire de la Macédoine, avant les périodes hellénistiques et romaines, où elles sont d'ailleurs localisées ou d'interprétation difficile. C'est dire l'intérêt de la source hippocratique, mais aussi la difficulté de la replacer dans son contexte thraco-macédonien. Les problèmes qui se posent sont, en effet, de deux ordres. D'une part, il faut savoir si les résultats d'une étude portant sur onze villes essentiellement côtières de Thrace et de Macédoine orientale peuvent avoir valeur pour l'ensemble de la Macédoine, et, si tel est le cas, dans quelle mesure. D'autre part, on sait qu'au IVème siècle, l'état macédonien connaît, sous Philippe, une expansion territoriale considérable, essentiellement vers l'Est, qui l'amène à englober bon nombre des cités grecques, alors indépendantes, qui avaient été visitées par les médecins hippocratiques. Tel est le cas de Thasos, mais aussi d'Abdère, d'Acanthos ou d'Olynthe. La conquête a-t-elle modifié la situation sanitaire de la Macédoine orientale, et dans quelle mesure la source hippocratique a-t-elle valeur pour le IVème siècle ? On le voit, les problèmes posés par une utilisation autre que ponctuelle de notre source sont nombreux et divers. II paraît cependant possible, sous réserve de prudence, d'apporter quelques éléments de réponse.

    Dans une certaine mesure, la comparaison entre le milieu naturel des villes thraco- macédoniennes et celui de Macédoine peut permettre de dégager quelques tendances sanitaires ayant valeur pour toute la région. Géographiquement parlant, on peut relever deux milieux caractéristiques en Macédoine : celui des plaines côtières ou intérieures ouvertes sur des lacs, et celui des montagnes (39). Les plaines côtières sont, en général, sabloneuses. Du Loudias au Nestos, la côte est presque toujours régularisée, parfois marécageuse. Les embouchures des fleuves donnent naissance à des lacs plus ou moins stagnants. Les divagations des cours inférieurs des fleuves sont attestées depuis l'Anti- quté. Les climats sont fondamentalement semblables à celui de Thasos. La situation sanitaire devait donc, sous réserve de variations très localisées, être comparable à celle de Thasos ou d'Abdère. Mais l'importance des fièvres d'origine plus ou moins paludéennes n'était probablement pas limitée à la seule zone littorale. En effet, les plaines intérieures, notamment celle d'Ochride, s'ouvraient fréquemment sur des lacs à demi- marécageux. C'est ainsi que, pour la Macédoine de la fin du règne de Philippe II, les

    39. Sur les milieux naturels et la géographie historique en Macédoine, outre N.G.L. Hammond, A History of Macedonia, I, op. cité, D. Samsans, Istorike geografia tes anatolikès Makedonia kata tên arkhaiotêta, Thessalonique 1976, 237 p., notamment pp. 16-22.

  • LE CORPUS HIPPOCRATIQUE 1 85

    lacs, marais et eaux stagnantes recouvraient plus de 1000 km2 , soit 3,5% de la superficie totale (40). En plaine, le milieu naturel devait donc entrainer l'existence d'accès paludéens, mais aussi du typhus ou typhoïde liés à l'ingestion d'eaux de mauvaise qualité. Telle devait être la situation de la Macédoine côtière, et du nord -ouest de la partie intérieure.

    S'oppose au milieu géographique des plaines celui des montagnes. La rudesse du climat y domine, avec des températures basses et la présence de la neige. Si l'on peut difficilement s'attendre à un paludisme, si les eaux bues devaient être des eaux de source, moins contaminées donc que les eaux de plaines, les maladies pulmonaires, au contraire, ont dû être répandues, tant du fait d'un climat aggravant de simples bronchites ou refroidissement que de celui de la nourriture. On peut donc tabler sur une fréquence plus grande de ces maladies que sur la côte.

    On peut également postuler dans l'ensemble de la Macédoine les mêmes risques à l'accouchement que ceux constatés à Thasos, Abdère ou Cyzique.

    Lorsque les Modernes évoquent la situation sanitaire de la Macédoine, c'est en général, pour souligner la robustesse de montagnards des soldats de Philippe ou d'Alexandre, cause de leurs victoires (41). Un tel point de vue, on le voit, ne saurait être maintenu. Il serait vain de supposer une situation sanitaire meilleure en Macédoine que dans le reste de la Grèce. Le cas même d'Alexandre, mort en fait d'un accès de paludisme secondaire (42), prouve que la situation sanitaire de son armée n'était pas forcément des meilleures.

    D'autre part, on sait que Thasos et les villes thraco-macédoniennes ont été au cœur de l'histoire macédonienne du IVème siècle. A cette époque en effet, Philippe II repousse les frontières de la monarchie argéade du Strymon au Nestos au moins, contrôlant même des territoires au delà de ce fleuve. Les villes existantes ou bien furent conquises, ou bien vécurent dans une indépendance théorique, comme Thasos. Mais Philippe II organisa ces nouveaux territoires en les peuplant par des migrations probablement forcées (43), et en créant, ou recréant des villes, comme par exemple Krénidès, rebaptisée Philippes. On retrouve là une constante de l'histoire macédonienne d'époque classique : la descente de populations montagnards dans la plaine. Le développement du genre de vie urbain n'a pas pu ne pas avoir de conséquences sur le milieu sanitaire, multipliant les maladies dues à l'eau ou à l'entassement de la population et réduisant la part des maladies pulmonaires. Si la situation de Thasos a parfaitement pu rester la même, celle des villes intérieures a dû évoluer, dans des proportions qui nous échappent. L'augmentation de densité de population en Macédoine orientale et dans les plaines n'était en tout cas possible que par l'assèchement des marécages, vu les risques de paludisme. Or, de tels assèchements sont attestés à l'époque classique. Ils ont pu contrebalancer l'aggravation du milieu sanitaire due à l'extension du genre de vie urbain. Mais, on le voit, il serait dangereux d'étendre démesurément dans le temps les données sanitaires de la collection hippocratique. La conquête macédonienne a marqué une rupture, la période hellénistique, avec l'extension des relations maritimes avec l'orient et le développement de maladies importées en a marqué une autre. Si l'on peut, avec prudence,

    40. Le calcul est fait à partir des données fournies par les ouvrages cités note précédente, et aussi de S. Casson, Macedonia and Thrace, Oxford 1926, 354 p., notamment pp. 4-8.

    41. Par exemple P. Cloché, Histoire de la Macédoine, Paris 1960, pp. 136-137 ; 142. 42. Cf. F. Destaing, La mort d'Alexandre, La Presse Médicale 1970, 78, n° 53, pp. 2391-93. 43. J.R. Ellis, Population transplants by Philip II, Makedonika IX, 1969, pp. 9-17.

  • 1 86 Jean-Nicolas CORVISIER

    considérer que la situation sanitaire, prise dans son ensemble, a pu rester au IVème siècle proche de celle décrite dans les Epidémies, cela n'a pas pu être le cas aux époques hellénistiques et romaines tant en raison de la conquête de l'empire perse que des conséquences à long terme de la transformation du genre de vie macédonien. Plus que probablement, la situation sanitaire a alors empiré.

    * * *

    Qu'il s'agisse de la Macédoine ou de la Thessalie, les données de la collection hip- pocratique sont donc significatives d'un état sanitaire donné. On a remarqué le petit nombre des maladies citées. La nature de la source et la minceur des échantillons peuvent, certes, en être la cause, mais un examen de l'ensemble de la collection hippocra- tique laisse la même impression. Les maladies infectieuses, épidémiques au sens actuel du terme ou non épidémiques, les maladies infantiles, sont rares. A l'exception de l'épidémie de toux de Périnthe, qui d'ailleurs recouvre des réalités nosologiques différentes, les grandes épidémies qu'ont connues l'Antiquité tardive ou le Moyen Age ne sont pas attestées. En ce sens, la Grèce classique a été favorisée, constatation de poids, non seulement du point de vue sociologique, mais aussi démographique. Certes, la maladie pèse lourd dans la vie des Grecs anciens, par sa durée et sa fréquence, mais aussi par le peu de succès des cures médicales. Sur l'ensemble des cas de Grèce du nord considérés, l'efficacité est à peine d'un tiers. D'autre part, la source hippocratique laisse voir l'importance et la gravité des maladies liées à l'accouchement. Or, jusqu'au Illème siècle au moins, la population est en augmentation en Grèce du nord. Pour qu'une telle augmentation soit possible, il fallait non seulement que le péril extérieur fut réduit — la pacification des frontières du nord de la Macédoine par Philippe II y avait pourvu -, mais aussi que la situation sanitaire ait été satisfaisante et que l'équilibre alimentaire ait été maintenu. Dans une large mesure, les assèchements de marais attestés dès le Vème siècle et nombreux au IVème siècle ont pu y contribuer. Une augmentation de la population était donc possible, même à l'époque où dans le sud de la Grèce, s'amorçait la dépopulation. Par contre, les conditions d'accouchements n'ayant guère évolué, on peut penser que c'est autant à une dégradation de la situation sanitaire qu'à des faits de mentalité qu'est due la dépopulation perceptible en Grèce du nord à l'époque romaine. Alors, nous sommes bien loin du tableau que présente le corpus hippocratique. Ainsi donc, par ses renseignements sociologiques, mais aussi par son tableau sanitaire et les quelques données démographiques qu'il contient, attestant une vitalité certaine, la collection hippocratique se révèle une source importante pour la connaissance de l'homme de la Grèce du nord.

    Jean-Nicolas CORVISIER, Professeur agrégé

    au lycée de Livry-Gargan

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