une histoire des romans d’amour · la voix, mais pas toujours et partout de la lettre. l’amour...

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PIERRE LEPAPE UNE HISTOIRE DES ROMANS D’AMOUR ÉDITIONS DU SEUIL 25, bd Romain Rolland, Paris XIV e

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PIERRE LEPAPE

UNE HISTOIREDES ROMANS D’AMOUR

ÉDITIONS DU SEUIL25, bd Romain Rolland, Paris XIVe

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«ÞCe que la physique nous apprend de la propriétédes corps et de la lumière ne rend pas l’herbe moinsverte.Þ»

Robert Musil1

1. Robert Musil, Essais, traduit par Philipe Jaccottet, Éditons du Seuil, Paris, 1984.

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Introduction

D’amour ou de guerre, sentimental ou policier, populaire ou expé-rimental, le roman fuit les définitions. Il invente ses règles. Il couleentre les doigts des législateurs du beau et déroute les gardes-frontières.À tel point que ces derniers ont refusé pendant longtemps d’accepterles romans dans le cortège sacré des belles-lettres, dans le cercleenchanté de la littérature.

Prenez Antoine Furetière, à la fin du XVIIeÞsiècle. Il peut se targuerde deux titres de gloire. Le premier est d’avoir écrit l’un des meil-leurs romans de son époque, clairement revendiqué comme tel, dèsson titreÞ: Le Roman bourgeois. Le second est d’avoir rédigé, damantle pion à ses confrères de l’Académie, le premier grand dictionnairede la langue française. Or, voici ce qu’écrit le romancier Furetièreà l’article «ÞRomanÞ» de son dictionnaireÞ: «ÞMaintenant il ne signifieque les livres fabuleux qui contiennent des Histoires d’amour etde Chevaleries, inventées pour divertir & occuper des fainéants.Þ»

Il y a eu, explique Furetière, une époque où «Þles histoires les plussérieuses étaient appelées romansÞ», mais c’est parce qu’elles étaientécrites en Roman, en langue romane, ce langage composé, écrit-il,pour moitié de romain et de gaulois, et qui était «Þle langage le pluspoli qu’on parloit à la Cour des PrincesÞ».

La langue romane disparaît, remplacée par le français, mais sonfantôme subsiste sous la forme d’une trace étymologique qui nedésigne plus rien, pas même le souvenir d’une origineÞ: il a existé des

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romans avant qu’on ne parle et qu’on n’écrive en roman, des romansqui n’avaient pas de nom et pas même de contours définis, certains

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gardés dans la mémoire sous la forme de vers quand d’autres pré-féraient la feinte simplicité de la prose.

Les auteurs de ces narrations instables ne se prétendaient paspour autant romanciers. Écrire des romans est une profession troppeu reluisante pour qu’on s’en vante avant longtemps. À la Renais-sance, Du Bellay, en sa Deffence et illustration de la langue fran-çaise, traite par le mépris ces gens qui font des livres «Þbeaucoupplus propres à bien entretenir demoiselles qu’à doctement écrireÞ».Un siècle plus tard, le dédain tourne à l’indignation et le jansénistePierre Nicole accuse les faiseurs de romans (et les gens de théâtre)d’être des «Þempoisonneurs publicsÞ».

Le roman n’est pas docte, le roman est frivole, c’est une littératurenativement liée à l’inexpérience et à l’émotivité de la jeunesse, etnotamment à celles des jeunes filles, ces êtres entre tous légers,futiles et impressionnables. Et parmi tous les romans, les romansd’amour sont à la fois les plus prisés et les plus pernicieux puisqu’ilsprêchent aux jeunes gens – qui n’ont déjà que trop tendance à lecroire – que l’amour est la chose la plus importante de la vie.

Balzac, Stendhal, FlaubertÞ: aucun des trois géants du roman fran-çais n’a osé se présenter comme romancier. C’est dire si les idéesreçues sur les romans et ceux qui les écrivent ont eu la vie dure.Et l’immense succès du genre romanesque depuis l’avènement dela démocratie et le triomphe de la culture écrite n’a pas, loin de là,mis fin aux préjugés. Au contraireÞ: l’hégémonie publique du romansur toute autre forme de littérature, son extension à l’ensemble dela planète ont eu pour effet de réveiller la méfiance des gardiens dutemple des belles-lettres, élitaires par principe et soucieux de garderleurs distances avec la consommation littéraire de masse.

Les romans d’amour sont souvent les premières victimes de cenouvel ostracisme. Obligés d’admettre, devant l’éclat de l’évidencequ’il existe bien un art du roman, lequel se confond d’ailleurs avecl’histoire de ses conquêtes narratives, les champions de la distinctionécartent les romans d’amour, déclassés sous l’étiquette de romanssentimentaux. Il faut avoir du temps à perdre et l’âme bien divertie

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pour trouver son miel dans la description d’une passion aussi vieilleque l’homme et dont toutes les combinaisons sont, depuis des siècles,

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INTRODU CTION

explorées et exploitées. Et il faut être naïf, ou bien cynique, pourdépenser son talent à des motifs aussi usés. Par un retour du refouléqui ne devrait pas surprendre, on retrouve, dans nos sociétés quiaffichent avec ostentation leur idéal d’égalité entre les sexes, la vieilleéquation qui unit le roman d’amour au mode d’être féminin, à la naturedes femmes. Les hommes, les vrais, quand ils s’abandonnent à la lec-ture de romans, s’intéresseraient à des objets plus sérieux et plussolides.

Derrière cette dévaluation, il y a cette idée que l’amour, c’est tou-jours pareil, de l’identique en tout temps et en tout lieu, l’éternelmasculin errant à la recherche de l’éternel féminin, la quête heureuseou malheureuse de la moitié perdue chère à Aristophane dans Le Ban-quet de Platon. Ou encore, comme le disait le siècle des Lumières,plus matérialiste, l’art, tout aussi intemporel, d’aider la nature à pour-suivre ses fins, un adjuvant à la reproduction et à la conservation del’espèce humaine. Les sentiments sont vieux comme le monde. Ce jeutoujours recommencé, toujours neuf pour celle ou celui qui le joue,toujours actuel, ne déploierait au fond qu’un nombre réduit de com-binaisons, une somme limitée d’expériences dont la littérature, poé-tique ou narrative, aurait depuis longtemps épuisé les figures. S’il ya tout de même un art du roman d’amour, il consisterait précisémentà nous faire croire qu’il y a du nouveau, de l’inédit, du jamais écrit,du savoir neuf, de la réalité révélée. L’art ne servirait plus qu’à çaÞ:à masquer son absence de justification. L’histoire des romans d’amourserait un perpétuel retour.

C’est faux, évidemment. Les romans d’amour ne disent pas l’amour,ils le représentent. Représenter le réel consiste à effectuer deux opé-rations contradictoiresÞ: reproduire, imiter et créer, inventer. Le romanprend appui sur une réalité organisée (d’où la grandiose folie du rêvede Flaubert de «Þfaire un roman sur rienÞ»), en même temps qu’iloffre un point de vue – culturel, esthétique, social, sensible, intel-lectuel – sur cette réalité. Même s’il arrivait que l’amour n’ait pasd’histoire, le roman d’amour en aurait une. Le roman d’amour n’estpas seulement un discours sur l’amour, c’est aussi la mise en scène

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d’une expérience de l’amour. Le discours peut s’enfermer dansles règles strictes et immuables de la rhétorique, l’expérience prend

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les couleurs toujours fraîches de l’unique, de la découverte et de lanouveauté.

Il existe un immense continent de la poésie amoureuse, plusancien que la littérature et plus vaste qu’elle puisqu’il existe partoutde la poésie, et pas partout de la littératureÞ; partout et toujours dela voix, mais pas toujours et partout de la lettre. L’amour et la voixchantent ensemble, d’emblée. Dans les poèmes d’amour, il y a lebrame des cerfs.

Les romans viennent beaucoup plus tard. Quand la poésie se fondesur les principes de la rupture et de la différence dont le vers et leretour à la ligne sont les manifestations spatiales (et la ressemblance,la récurrence de la rime, n’est qu’une forme particulière de la diffé-rence), le roman prend appui sur le continu, sur la possibilité d’orga-niser un récit doté d’une cohérence intérieure, rendant compte d’unréel déjà structuré. Le roman porte la marque du social, de la vie col-lective, du lien historique, du partage des mots et des croyances.Même lorsqu’il exprime le doute, l’effroi, le vertige de l’incertitude,le roman affirme son assurance que le monde est lisible. Stendhal,définissant le roman comme «Þun miroir promené le long d’un che-minÞ», confirme, a minima, qu’il existe au moins un chemin.

Ce chemin trace l’itinéraire d’une histoire. Les romans d’amourracontent des histoires d’amour, des récits où l’amour fait des histoires.Les sujets de roman étant potentiellement aussi illimités que les objetsde la réalité – intérieure et extérieure –, l’amour ne devrait y occuperqu’une place modeste. Constatons qu’il n’en est rien. L’amour seglisse partout comme un partenaire privilégié de l’aventure roma-nesque. Il surgit où on l’attend le moins, dans les romans historiques,dans la critique sociale, dans la fiction héroïque, dans l’aventure pica-resque. Au point qu’il serait tentant de constituer un genre spécifiquede romans avec ceux où il n’est jamais question d’amour. Comme sileurs auteurs avaient voulu se soumettre à une contrainte afin d’éviterla pente commune, la voie naturelle où l’expérience du monde ren-contre nécessairement le sentiment amoureux.

Pour autant, tous les romans où il est question d’amour ne sont

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pas des romans d’amour, même si la ligne de partage est parfoisdifficile à tracer. Tant le roman se plaît, dans l’infinie liberté de ses

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formes, à déjouer l’idée même de classementÞ; tant aussi le roman-cier et son lecteur éprouvent du plaisir à inventer et à découvrir plu-sieurs romans dans le même roman, comme il existe plusieurs viesdans une vie. L’amour intervient souvent comme un thème dansune construction romanesque aux ambitions plus vastes où se croisentet parfois s’opposent d’autres passions. Dans Madame Bovary, parexemple, les amours adultères d’Emma avec Rodolphe, puis avecLéon, même si elles sont au cœur de l’intrigue qui va mener ladame Bovary au suicide, ne sont que les modulations, souvent iro-niques et cruelles, d’un immense désenchantement qui parcourt toutle roman et qui porte sur la société entière, empoisonnée par l’âpremédiocrité du mode bourgeois de penser et de sentir. MadameBovary n’est pas un roman d’amour.

Anna Karénine au contraire en est un. La passion d’Anna pourVronsky, la manière dont elle détruit son existence pour satisfaireune exaltation amoureuse dont elle mesure la fausseté occupent lecentre du roman. Mieux encore, Tolstoï a doublé le thème desamours d’Anna et son amant, d’un autre motif amoureux, d’abordsecondaire, celui des heureuses et exigeantes relations entre Kitty etLévine, dont il joue par contraste avec la perdition du couple Anna-Vronsky. Enfin, il ajoute au fond du tableau un troisième duo, celuique forme la famille Oblonski, unie par une forme de tendresse infi-dèle et résignée. La société russe, et notamment la famille qui en est,pour Tolstoï, la cellule vitale, est entièrement saisie sous l’angle dela relation sentimentale et sociale que tissent ses membres.

Dans le roman d’amour, l’amour est plus important que tout lereste, au moins pour l’un des protagonistes. Plus important que lapatrie, que la morale, que le pouvoir et que le salut. Plus importantaussi que le savoir. Les romans postulent que le savoir d’amours’apprend dans les romans. Ils affirment que tout roman d’amourest un roman d’apprentissage. D’où, tout à la fois, leur succès et lamauvaise presse dont ils pâtissent du côté des pouvoirs, des prédi-cateurs, des moralistes et des pédagogues, tous législateurs qui veulentinstituer un bon usage de l’amour et ne font jamais confiance aux

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romanciers pour l’enseigner. Parce que le romancier, aussi peu imagi-natif soit-il, aussi conformiste que se veuille sa leçon sentimentale,

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se donne toujours pour but de plaire. Et qu’on ne plaît jamais mieuxque lorsqu’on surprend, qu’on ébranle, qu’on émeut. La normen’émeut pas, sauf à lui faire prendre, comme chez Flaubert, levisage accablant de la banalité et de la bêtise ordinaire.

Pour des raisons identiques, il n’y a pas de roman d’amour comique,même si, bien sûr, il peut exister des séquences comiques dans lesromans sentimentaux (les ruses et les facéties, par exemple, deTristan et d’Iseult pour tromper la vigilance du mari) et quelquesépisodes amoureux dans les récits destinés à faire rire. DansLeÞRoman comique de Scarron, les mélodramatiques et rebondissantesaventures que provoque la passion de Destin pour MlleÞde l’Étoileapportent quelques notes de grâce et de délicatesse, quelques inter-mèdes de tendre repos, rompant l’ébouriffant dynamisme du gro-tesque. Et puis il y a le comique qui accompagne rituellement lareprésentation de la sexualité, comme l’envers de sa sacralité.

Mais les amoureux, même ridicules, même ridiculisés, sont rare-ment drôlesÞ; comme si la passion qui les ravage conférait un atomed’humanité à la mécanique aveugle qui les meut. Les plus sévèrescenseurs des passions humaines, les plus ardents contempteurs dela tyrannie amoureuse avouent n’y rien comprendre. Le terriblePascal, par exempleÞ: «ÞQui voudra connaître à plein la vanité del’homme n’a qu’à considérer les causes et les effets de l’amour. Lacause en est un je ne sais quoi et les effets en sont effroyables. Ceje ne sais quoi, si peu de chose qu’on ne peut lui reconnaître, remuetoute la terre, les princes, les armées, le monde entier.Þ» Les mys-tères ne font pas rire et l’indéfinissable agace.

Depuis vingt siècles, les romanciers, abandonnant aux philo-sophes le soin de s’accorder sur une définition de l’amour, ont entre-pris d’en donner la description la plus complète. Ils ont interrogéles conditions et les aléas de sa naissance, sa durée fort variable,ses effets de surface et ses bouleversements de profondeur, les ins-titutions qui l’encadrent et celles qu’il renverse, la part de bonheuret de malheur qu’il procure, sa physique, sa chimie, son histoirenaturelle et sa géographie. Son histoireÞ: à la différence des tragé-

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dies (et de la psychanalyse) qui voudraient nous faire croire que lespassions amoureuses sont éternelles, les romans ne cessent d’explo-

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rer des réalités nouvelles, en employant des techniques narrativesinédites capables de rendre compte de ces objets encore inconnus.Personne n’aime aujourd’hui comme Daphnis aimait Chloé. Autant,sans doute, si la comparaison des quantités peut avoir le moindresens, mais autrement à coup sûr. Ce ne sont pas seulement lescodes qui ont changé, mais la réalité que ces codes interprètent ettraduisent.

Les romanciers ont promené leur miroir le long de ce chemin duréel. Ils ont enregistré, selon des techniques de plus en plus hardies(c’est l’histoire du roman), les changements du paysage amoureux.Mais les meilleurs des romans ne se contentent pas de reproduirela réalité. Ils l’éclairent, ils la montrent comme on ne l’avait jamaisvueÞ; ils la découvrent. La fiction devient un modèle autour duquelle réel se pense, se ressent et se rêve.

Écrire une histoire des romans d’amour, c’est peut-être essayerde repérer comment, dans nos contrées occidentales où est né leroman, siècle après siècle, les romanciers ont inventé l’amour, cetamour-là, à jamais différent, à jamais exotique pour les peuplessans roman.

Aujourd’hui, il n’y a presque plus de peuples sans roman. Cetteinvention narrative européenne a gagné peu à peu des continentsoù, pendant des siècles, d’autres formes de récits avaient donné unereprésentation écrite de l’aventure humaine. Il existe désormais desromans chinois, indiens, japonais, persans, arabes, nigérians ou zou-lous, là où les expressions littéraires les plus riches – et souvent lesplus populaires – empruntaient traditionnellement d’autres manièresde raconter –Þ; et donc racontaient autre chose.

Nous nous en tiendrons ici aux romans d’amour. Non pas que lescontes des Mille et Une Nuits, que les dits et les immenses épopéeschinoises, que les récits mythologiques du Veda indien, que lesrhapsodies de nouvelles qui forment les sagas nordiques ou leschants de la geste homérique ne parlent pas d’amour. Ils en parlentbeaucoup, bien sûrÞ: pour émouvoir, pour faire rêver, pour faire rireet trembler, pour divertir ou pour enseigner. Mais ils en parlent

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autrement, comme d’une parole donnée à entendre, comme d’uneexpérience commune à un groupe social. Ces fictions se disentÞ: elles

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appartiennent à la société qui les prononce et qui les écoute. Lesromans d’amour se lisent, souvent dans la solitudeÞ; ils parlent àl’intérieur, ils individualisent l’expérience des personnages qu’ilsmettent en mots. Ils en font l’affaire de chacun. Le triomphe duroman, c’est celui, peut-être provisoire, de la lecture.

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Table

Introduction ............................................................................ 11

Chapitre 1Þ: Entre le ciel des dieux et la terre des hommes 19Daphnis et Chloé ou la célébration du mariage ................... 26Théagène et Chariclée ou la hantise de la virginité ............. 28Cyprien, séducteur et martyr ................................................ 33Alexis, le vertige de la chasteté ............................................. 36

Chapitre 2Þ: Tristan et YseutÞ: entre la puissance du désir et la loi de la fidélité ................... 39

Chrétien de Troyes contre TristanÞ: Cligès .......................... 48Durmart le GalloisÞ: aimer qui il faut ................................... 51Jean Maillart, romancier «ÞréalisteÞ» ................................... 55Le Roman de la Rose, du rêve d’amour à l’assaut sexuel .... 58Christine de Pizan contre les misogynes .............................. 60La Métamorphose de Jason .................................................. 62

Chapitre 3Þ: La difficile rupture de l’amour et de l’épée .... 67Le rêve perdu de la chevalerie amoureuse ........................... 70Amadis de Gaule, le modèle inaltérable ............................... 73Don Quichotte, une fiction contre le mensonge .................... 74De l’amour des pâtres et des bergères ................................. 77Charles Sorel contre les pastorales ...................................... 81

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Chapitre 4Þ: L’amour classiqueÞ: des océans de parole et deux îles de silence .......................... 85

Polexandre ou le désordre conformiste ................................ 86Bussy-Rabutin et la noblesse d’alcôve .................................. 89La Religieuse portugaise, une incomparable mystification .. 91La Princesse de Clèves ou les brûlures du silence ............... 96

Chapitre 5Þ: La Conquête des femmes ................................. 103La galanterie contre les passions bibliques .......................... 103Les amours réalistes de Robert Challe ................................. 115Manon et des Grieux, amants déchus et tragiques ............... 122Marivaux, les jeux de l’amour et de l’inégalité .................... 126

Chapitre 6Þ: De la vogue de Paméla à la folie de Werther.... 131Paméla, le triomphe des sentiments bourgeois ..................... 132Clarisse Harlowe ou la jouissance des pleurs ...................... 134Jean-Jacques Rousseau et la démocratie des larmes ........... 136Fielding contre RichardsonÞ: de Joseph Andrews à Tom Jones .......................................... 137Werther, l’explosion romantique .......................................... 150

Chapitre 7Þ: Caustiques Anglaises et romantiques Allemands 157Jane Austen et les lois de la chasse matrimoniale ................ 159Une révolution contre la Révolution ..................................... 163Jean PaulÞ: la dissolution du moi amoureux ......................... 165Bettina Brentano, l’amour sans limite .................................. 169De Atala à RenéÞ: le romantisme de la catastrophe .............. 174Benjamin ConstantÞ: l’exclusif amour de soi ........................ 179MmeÞde Staël, théoricienne du roman sentimental ............... 181

Chapitre 8Þ: Les mythes romantiques contre les romans ..... 185Les effrois amoureux de Walter Scott ................................... 192Amour, agitation et morbidité ............................................... 194Hoffmann, la beauté ambiguë des anges .............................. 195

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T A B L E

Chapitre 9Þ: Stendhal et l’écriture impatiente du désir ....... 207Stendhal invente ses lecteurs ................................................ 210L’énigme d’Armance ............................................................ 213L’utopie italienne .................................................................. 216

Chapitre 10Þ: Les éducations sentimentales ........................... 225 Les sœurs Brontë, reines de la lande et du vent .................... 228La légende des sœurs Brontë se construit ............................. 230Le roman puritain américain ................................................ 240Madame BovaryÞ: l’amour comme marchandise ................. 244L’Éducation sentimentale ou l’apprentissage de l’insatisfaction ................................... 247

Chapitre 11Þ: La guerre des sexes ............................................. 251George Eliot, l’apartheid érotique ....................................... 254Tess d’Urberville, hors du rôle féminin ................................ 256Lady ChatterleyÞ: la fin de la culpabilité .............................. 262L’ombre de Freud ................................................................. 264Dostoïevski contre l’analyse ................................................. 266Anna Karenine, de la thèse morale à l’épaisseur romanesque ..................................................... 269Henry James, champion de la perversion ............................. 273

Chapitre 12Þ: Le territoire indécis d’Éros............................... 281La Porte étroite, entre le piétisme et l’ironie ........................ 286«ÞÀ la fois plein de fraîcheur et un peu “gnangnan”Þ»Þ: Le Grand Meaulnes, icône de l’amour adolescent ............... 290Jenny la Norvégienne et Jenny l’Américaine ....................... 292Du roman d’amour filmé au roman-photo ........................... 297Le temps perdu de l’amour ................................................... 302

Chapitre 13Þ: De la confusion des sexes et de la pornographie ................................................................... 307

AragonÞ: tuer le roman pour le ressusciter ........................... 310Révolution romanesque en Asie ............................................ 314TanizakiÞ: l’érotisme retourné contre les hommes ................ 316

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Orlando, le rêve androgyne .................................................. 322Zweig et le vertige de l’homosexualité ................................. 325

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Chapitre 14Þ: L’amour anglo-saxon au temps des années folles............................................................ 331

Scott FitzgeraldÞ: le rêve américain, du boom au krach ....... 332Carson McCullers, l’amour en solitaire ............................... 336Le temps des stars ................................................................. 339Dorothy Parker et Djuna Barnes abandonnées .................... 343L’Attrape-Cœur ou la régression inconsolable .................... 346L’amour aveugle ................................................................... 348Christine Lavransdatter, la mère avant la femme ................. 351Les «Þcourants de conscienceÞ» de Dorothy Richardson ...... 354L’érotisme tellurique de John Cowper Powys ...................... 355

Chapitre 15Þ: Les formes inattendues de l’expérience amoureuse .......................................................... 359

Boris Vian à contretemps ...................................................... 361La sexualité sans rivage de Mishima .................................... 364Humbert Humbert entre l’exaltation et l’horreur ................. 366UpdikeÞ: spiritualité, fornication .......................................... 372Albert Cohen exécute la passion amoureuse ........................ 372Les nouvelles frontières de l’espace érotique ....................... 378Des romans de gare légitimés ............................................... 381Kundera et la condition amoureuse ...................................... 383Le pseudo-essai de Roland Barthes ...................................... 387Annie Ernaux, la passion mise à jour par l’écriture ............. 392

En guise de conclusion ........................................................... 395

Remerciements ....................................................................... 397

BibliographieÞ: Quatre-vingt-six romans d’amour ............. 399

Index ........................................................................................ 407

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