un nouveau chapitre dans l’œuvre de toyo itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1...

46
Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Ito Induire la nature dans la forme construite Joan Sidawy Mémoire de master Décembre 2011 Directeurs de mémoire Jean-François Blassel Guillemette Morel-Journel École d'architecture de la ville & des territoires à Marne-la-Vallée document soumis au droit d'auteur

Upload: phungngoc

Post on 28-Jul-2018

213 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Ito Induire la nature dans la forme construite

Joan Sidawy

Mémoire de masterDécembre 2011

Directeurs de mémoireJean-François Blassel Guillemette Morel-Journel

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 2: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

Joan Sidawy

Mémoire de master Matières à penserDécembre 2011

Directeurs de mémoireJean-François Blassel Guillemette Morel-Journel

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 3: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

Introduction 5

Préalable 7

Influences 7

Premières oeuvres 11

Le tournant de Sendai 11

1. Le projet comme milieu 13

1.1 La symbiose avec la nature, une nature "spontanée" et opulente 13

1.2 La métaphore du jardin 14

1.3 La quête d'un espace fluide, une architecture comme séquence spatiale 15

1.4 L'architecture comme intérieur, l'espace souterrain 17

1.5 Une conception japonaise de l'espace, espace en mouvement 19

1.6 Une dissolution des limites entre dedans et dehors, blurringarchitecture

25

1.7 La densité de l’espace 25

2. Le projet comme corps 29

2.1 Le corps dans l’espace, un espace habité 29

2.2 Les deux ordres de Henri Bergson, l’identité géométriqueface à la ressemblance vitale

31

2.3 Assouplir la grille des modernes 33

2.4 Assouplir le plan du sol 33

2.5 Recherche d’une continuité organique, intégration espace-structure,fusion des surfaces

35

2.6 Système formel intégrateur 37

3. Le projet comme processus 39

3.1 Synthèse entre la dynamique générative et l’abstraction 39

3.2 Ordre génératif : l’arbre comme modèle architectural 41

3.3 La logique derrière les décisions formelles 41

3.4 La croissance algorithmique 45

Conclusion 47

Références bibliographiques 49Éco

le d'a

rchite

cture

de la

ville

& de

s terr

itoire

s à M

arne-l

a-Vall

ée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 4: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

5

Aujourd’hui, l’enjeu de la soutenabilité replace le thème de la nature au cœur du débat architectural.Depuis ses débuts, l’architecte japonais Toyo Ito construit son discours autour de métaphores naturelles telles que le jardin de lumière, le jardin des vents et le jardin des puces électroniques. Ce recours à l’image du jardin exprime l’aspiration à une architecture malléable et perméable à son environnement mais qui reste tout compte fait conventionnelle dans sa forme.Néanmoins, la Médiathèque de Sendai, œuvre emblématique de ce début de XXIe siècle, marque un tournant dans la carrière de Toyo Ito. Dans le volume prismatique de Sendai, on a l’impression que pour la première fois la métaphore se fait concrète à travers la forme organique des tubes structurels.On s’intéressera à l’après-Sendai, c’est-à-dire à la période qui commence à partir de la réalisation de la Médiathèque de Sendai en 2001 jusqu’aux réalisations les plus récentes. Cette période voit Toyo Ito accéder à des commandes de plus en plus importantes en même temps qu’il développe une nouvelle liberté formelle d’inspiration naturaliste. L’influence de la nature dans ces derniers projets se décline sous plusieurs formes : dans la conception des structures, dans la relation des bâtiments à leur milieu, dans la perception corporelle qu’ils proposent aux usagers.

En quoi la démarche architecturale de Toyo Ito propose-t-elle une interprétation contemporaine de la notion de nature ?

Dans quelle mesure s’inscrit-il dans une continuité avec la culture japonaise de la nature et dans une lignée architecturale nippone ?On peut se demander si la nature n’est pas devenue un simple outil pour produire une forme.La notion de nature étant toujours une construction culturelle, il s’agit d’étudier le discours de Toyo Ito mais aussi l’influence de la culture japonaise dans son œuvre, une culture qui recherche une symbiose avec la nature.

Introduction

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 5: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

« Je pense que l’espace de la ville contemporaine est encore incapable d’échapper à la grille moderne. C’est un environnement artificiel, fondamentalement moderne. Maintenant, on parle de problèmes environnementaux, mais l’espace n’a pas changé dans l’absolu. L’espace qui contient la fluidité de la nature nous est nécessaire. Bien que Sendai fût une architecture isolée, ce que je voulais accomplir c’était un espace libre semblable à la nature. » 1, Toyo Ito , 2004.

D’abord, on essaiera de déterminer l’influence de ses maîtres japonais Shinohara, Kikutake, Isozaki, et d’analyser ses premières œuvres et le tournant de Sendai.Ensuite on s’intéressera aux pistes de travail suivantes pour explorer trois volets qui semblent se détacher dans son approche projectuelle : la spatialité, l’intégration structure-espace et la recherche des règles de génération de la nature. On analysera:Le projet comme milieu Le projet comme corpsLe projet comme processus Nous nous concentrerons sur un corpus extrait de cette production :- le projet Vestbanen à Oslo : vers un système formel intégrateur, cristallographie.Il constitue un pas avant dans la recherche d’une structure intégratrice.- le parc Grin Grin (2005), un paysage construit.Une architecture intégrée dans le paysage avec une structure en coque qui développe une nouvelle méthode d’analyse structurelle qui conduit à des formes architecturales nouvelles.- l’opéra métropolitain de Taichung à Taiwan (2009) : une structure globale continue en forme d’éponge. L’aboutissement de la recherche d’une fusion entre la structure, l’enveloppe et l’espace. Une architecture à la fois intégrée dans son environnement et intégratrice.

Il s'agira pour nous d'interroger ces bâtiments dans leur rapport à la nature et d'essayer de montrer à travers ces exemples concrets qu'il existe une vision renouvelée de la nature propre à Ito qui va au-delà de l'organique comme style formel ouvrant des possibilités projectuelles.

1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13.

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 6: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

7

Préalable

Influences

Il est nécessaire de commencer par comprendre le contexte culturel dans lequel se développe l’œuvre d’Ito. Il admet que ses premières œuvres étaient en continuité avec l’architecture moderne. « Je crois que j’ai pendant longtemps suivi la norme de l’architecture moderne. Je me suis limité à l’esthétique du « less is more ». » Toyo Ito, 2004.2

Mais ces œuvres se développent dans un contexte particulier, le Japon, où l’architecture a établi une continuité qui adapte le mouvement moderne au contexte local.Comme le dit Hans Ulrich Obrist dans Projet Japan3: "Au Japon, comme je le vois, il y a une claire continuité, un vrai miracle architectural japonais, partant de Tange, en passant par le Métabolisme et l'ambivalent compagnon de parcours Isozaki vers "l'anarchie progressive" de Kazuo Shinohara, et ensuite l'école de Shinohara, jusqu'à Toyo Ito pour qui toute architecture est une extension et un "épiderme" de la nature, et en avant encore jusqu'à SANAA, puis Junya Ishigami et Sou Fujimoto. Les Japonais, on dirait, ne tuent pas le père ou la mère."

Kiyonori Kikutake

Toyo Ito travaille de 1965 à 1969 dans l’agence de Kiyonori Kikutake (1928), l’un des co-fondateurs du groupe Métaboliste qui se développa dans les années 1960. Kikutake, en tant que planificateur urbain, conçoit des nouveaux concepts de villes comme Marine City ou la ville tour.Les Métabolistes élaborent, par analogie à la biologie, des principes de mutation de nature à supplanter les fondements de l’architecture moderne, c’est-à-dire, la séparation fonctionnelle, les métaphores des machines, la géométrie rigide et la

2 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.8.3 KOOLHAAS Rem, OBRIST Hans Ulrich, Project Japan: Metabolism Talks..., Taschen, Cologne,

2011, p.21.

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 7: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy�

1. Projet de ville Océan, 195�-1963, Kiyonori Kikutake Un projet de mégastructure urbaine pour étendre la ville sur la mer, alliant des îles et des tours cylindriques sur lesquelles se branchent des capsules.

2. Clusters in the air, 1962, Arata IsozakiUn projet de mégastructure urbaine se développant en hauteur à partir de noyaux cylindriques sur lesquelles se branchent des unités modulaires.

3. Maison Tanikawa, 1974, Kazuo ShinoharaUn projet de maison dans la pente qui sous une apparence extérieure traditionnelle reprend à l'intérieur la déclivité du sol extérieur.source: Place, Time and Being in Japanese Architecture

1

2

3

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 8: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

9Préalable

permanence. Il s 'agit de convertir la tradition japonaise en une sensibilité moderne, une japonisation de la modernisation ou comme dit Charles Jencks, une sorte de "Metabouddhisme"4. Les bâtiments sont d’immenses proto-organismes formels. Malgré leurs intentions, leurs propositions accentuent le décalage entre l’homme et son environnement.Pour faire face aux problèmes urbains causés par le développement chaotique des villes, ces architectes élaborèrent des hypothèses utopiques de mégastructures à l’échelle urbaine. Ils voyaient la société comme un organisme vital en continuelle transformation et tentèrent de dépasser le concept d’œuvre architecturale bien définie en proposant une architecture comme une structure «métabolique». Kawazoe, théoricien du groupe, définit l’utilisation de ce terme biologique en affirmant que «le dessin et la technologie ne sont rien d’autre qu’une extension de la vie humaine». De son passage chez Kikutake, Ito retiendra l’imagination constructive, la systématisation modulaire et l’idée de croissance organique mais la pensée urbanistique métaboliste ne déteindra pas sur lui.

Arata Isozaki

Durant un certain temps, la métaphore a été l’une des formes de transmission préférées dans l’architecture japonaise contemporaine.Comme l’a décrit Arata Isozaki (1931) pour première fois en 1970, une « hypothèse imaginaire » a surgi et est devenue « l’essence de l’édifice, donnant naissance et s’infiltrant dans tous les aspects du projet. » Au fur et à mesure, elle s’exprimait comme image ou analogie, comme les « nuages stratocumulus » ou le « crépuscule ».Il opère une critique du modernisme et réalise en même temps une abstraction progressive de la tradition. En1966, débute l’architecture conceptuelle au Japon.Isozaki va réussir à séparer définitivement l’architecture japonaise et le courant moderniste. Pour la génération d’architectes qui émerge après l’expo’70, le terrain laissé vacant par la critique et la destruction de l’architecture moderne est donc une « table rase ».Dans les années 1970, dans ce monde « irrationnel », chaque architecte se crée sa théorie, son école et y assujettit son architecture. Ils procèdent à un détachement progressif du style international. Isozaki s’efforça de dégager radicalement l’architecture de son classicisme moderniste, pour laisser libre cours à une créativité symboliste et maniériste, confinant quelque fois au surréalisme.Isozaki espaces conceptuels et dépasser l’architecture moderne mais ne refuse pas les influences occidentales.De ce maître de l’architecture de la fin de ce siècle, Ito retiendra la liberté de conception.

4 JENCKS Charles, Mouvement moderne en Architecture, Editions Mardaga, Bruxelles,1973, p.320

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 9: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy10

1. Maison White U, 1976La maison White U appartient à la période du jardin de lumières, elle joue sur sa forme renfermée et les ouvertures lumineuses.

3. Tour des vents, 19�6La tour des vents vient dissimuler un conduit d'aération d'un centre commercial en créant des effets lumineux qui répondent aux stimulations environnantes.

5. Médiathèque de Sendai, 2001Le volume prismatique renferme une structure organique de tubes.

2. Hutte d’argent, 19�4Une réinterprétation de la Hutte primitive à travers un système modulaire de voûtes entièrement perméable à son environnement.

4. Musée Yatsushiro, 1991Le musée est enterré en partie sous une colline artificielle à fin de minimiser son impact. La partie émergente faite de minces voûtes se veut aérienne

6. Vue intérieure du tube structurel de la Médiathèque de SendaiLe tube vient chercher la lumière naturelle zénithale.

1 2

3 4

5 6

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 10: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

11Préalable

Kazuo Shinohara A partir des années 1950, Kazuo Shinohara (1925-2006) débute une remise en question des principes fondateurs de l’architecture moderne et du rationalisme. Il considère l'abstraction à partir de formes traditionnelles. Selon Shinohara, la conception spatiale japonaise est très différente de celle de l’espace occidental, c’est un « espace du mouvement » caractérisé par la division spatiale en des divisions plus petites. Par opposition à l’espace tridimensionnel et statique occidental, c’est un espace plein de mouvements et de changements, un changement continu tel une promenade sinueuse dans un jardin de pierres. Il cherche à revenir sur les fondements de la tradition japonaise basés non plus sur son apparence mais sur son sens.Son travail se concentre après sur le « Cube » et « l’Espace fissure ». Contrairement au Cube utilisé par les Modernistes à connotation de production industrielle, le Cube de Shinohara représente l’anti-espace, la neutralité, rythmée par la présence des « Espaces fissures » caractérisés par fentes de lumières et des ouvertures zénithales.Les espaces minimalistes et le traitement en blanc des intérieurs de Shinohara marqueront fortement Ito.5

Premières Œuvres

Toyo Ito naît en 1941 à Séoul en Corée. Il obtient son diplôme en 1965 à l’Université de Tokyo, où il reçoit un enseignement essentiellement centré sur l’architecture occidentale et spécialement sur le mouvement moderne.Toyo Ito crée sa propre agence en 1971, URBOT. Il réalise pour commencer plusieurs maisons dont la maison White U en forme de « U » et renfermée sur elle-même où il initie sa quête d’un espace fluide. En 1984, il construit sa maison, dénommée « Hutte d’argent », où il développe un système modulaire et où s’effacent les limites entre dedans et dehors. La tour des vents de 1986 et ses anneaux lumineux prolonge l’idée d’une architecture quasi immatérielle qui réagit au gré des phénomènes naturels. La tour s’illumine de milles façons, sorte de feedback architectural qui absorbe l’information sonore et physique et la retransmet sous forme d’information visuelle. Le musée Yatsushiro de 1991 exprime l’intention de s’inscrire avec discrétion dans le paysage, d’ouvrir amplement le rez-de-chaussée sur l’environnement et la recherche de légèreté, à travers ses formes organiques expressives.Sa quête d'un espace fluide, d'un effacement des limites et ses recherches sur les formes organiques expressives seront synthétisés dans la réalisation de la Médiathèque de Sendai.

5 VAN GHELUWE Christophe, Toyo Ito et la quête de la fluidité,

http://www.vg-architecture.be/guide.

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 11: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

Le tournant de Sendai

«La Médiathèque de Sendai est un millefeuille de forêt urbaine.» Toyo Ito, 1995.6

Inaugurée en 2001, à Sendai, à 300 km au nord-est de Tokyo, cette réalisation de 50m x 56m est une superposition de sept plateaux horizontaux transpercés par treize tubes structurels à la forme changeante qui agissent comme des colonnes en même temps qu’ils servent à la circulation des flux de personnes, d’air et de lumière. Ce volume transparent d’une superficie de 21600m² est un nouveau type d’infrastructure culturelle qui regroupe en un seul lieu une médiathèque, une galerie d’art, une bibliothèque et un centre d’informations pour les citoyens.

La médiathèque de Sendai constitue une synthèse des réflexions théoriques d’Ito et de sa quête d’un espace fluide tel qu’on pourrait trouver dans un environnement naturel.L’édifice définit un nouveau modèle de médiathèque adapté au XXI siècle par sa liberté programmatique. Sa transparence traduit la volonté d’en faire un prolongement de l’espace urbain. Il s’agit de libérer l’architecture de ses hiérarchies, les éléments traditionnels tels que les murs disparaissent, les colonnes deviennent des tubes de lumière qui oscillent dans l’espace, les dalles deviennent de fines plaques et la façade une peau qui s’adapte selon l’orientation et les fonctions intérieures. Les trois éléments que sont les tubes, les plaques et la peau semblent indépendants les uns des autres, ce qui accentue l’impression d’immatérialité et la légèreté du bâtiment, qualités qui permettent l’intégration réussie dans son environnement. La forme organique et irrégulière des tubes structurels, comparée à des algues, vient induire une condition naturelle libérée du rationalisme fonctionnel.Les volumes évidés des tubes constituent un nouveau type qui sera développé dans les projets de Vestbanen et de Taichung. Ce type s’insère dans une recherche de continuité spatiale et matérielle qui s’exprime par une intégration de la forme et de la structure.«A partir de 2001, il s’agit de rechercher une nouvelle liberté de la forme, un contrôle de celle-ci par le biais de géométries ouvertes et dynamiques, et à travers l’intégration organique des différentes composantes du bâtiment (...) Introduire les éléments naturels comme composantes du projet. ».7

6 "Sendai is a multilayered urban forest"ITO Toyo, « Transparent (the) Urban Forest », Japan Architect n°19, 1995, p.76-113.7 CORTES Juan Antonio, « Au-delà du mouvement moderne, au-delà de Sendaï / Toyo Ito et la

recherche d’une nouvelle architecture organique », El Croquis, n°123, 2005, p.16-42.

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 12: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

13

1. Le projet comme milieu

1.1 La symbiose avec la nature, une nature « spontanée » et opulente

La conception japonaise de la nature est héritée du shintô, religion animiste, la plus ancienne du Japon. La cosmogonie shintô du type engendrement/devenir est différente de la cosmogonie judéo-chrétienne et chinoise où tout débute par une création. Ainsi, shizen [nature en japonais] est un phénomène transcendant dans la culture japonaise.8 Plutôt que de chercher à maitriser et à dominer la nature à la manière des occidentaux, les japonais ont traditionnellement recherché une symbiose avec la nature.Cette conception est aussi liée à son territoire.« Confrontée à des conditions géographiques et climatiques difficiles, la culture japonaise traditionnelle ne s’est pas dissociée de son environnement et n’a pas tenté de le soumettre brutalement. » Yann Nussaume.9

La nature est perçue comme un flux perpétuel qu’il ne faut pas entraver. Comme le souligne le japonologue allemand Günther Nitschke :« Le Japon étant d’une échelle si petite, tout concept humain prononcé d’ordre constitue proportionnellement à sa dimension et sa force, une interruption aux flux de la nature. » 10

C'est ainsi que la notion de nature au Japon est aussi liée au concept de phénomène et du flux.« L’historien de la pensée orientale Nakamura Hajime a bien montré à quel point la tradition japonaise tend à considérer le monde phénoménal comme seul absolu, et donc à ne reconnaître l’existence d’aucun principe qui le transcenderait. A l’opposé de la conception kantienne (pour qui la seul réalité irréductible est la conscience pure du sujet), la tradition philosophique japonaise considère que le phénoménal est vraiment le réel. Bien entendu, cette conception présente un

8 BERQUE Augustin, Le sens de l’espace au Japon : vivre, penser, bâtir, Paris, Edition Arguments, 2004, p.19

9 NUSSAUME Yann, Réflexion sur l’importance du milieu en architecture. Tadao Ando et Shin Takamatsu face au désordre de la ville japonaise, Thèse de Doctorat, mars 1997.

10 NUSSAUME Yann, Anthologie critique de la théorie architecturale japonaise : le regard du milieu, Ousia, 2004, p.306. « Ma, le sens japonais du « lieu » », 1966.

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 13: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy14

rapport direct avec le sentiment de la nature, cette réalité première. De ce fait, elle procède sans doute de l’animisme shintoïque. (…) La réalité, au Japon, n’est qu’un flux perpétuel : celui du monde historique et phénoménal. »11

Il s’agira de montrer comment Toyo Ito s’inscrit dans cette appréhension phénoménale du monde, un monde perçu comme flux perpétuel dans lequel l’architecture se fait tourbillon.L’ethnologue Araki Hiroyuki évoque la préséance que la culture japonaise accorde au milieu plutôt qu’à l’individu qui s’y trouve ou – ce qui va de pair – à l’abstraction de principes universels. « Dans l’architecture japonaise prévaut un mécanisme de pensée qui tient consciemment ou inconsciemment à un espace vide, un état suspendu, ou à une sorte de tabula rasa dans un système, empêchant ainsi d’établir une histoire et une théorie. Ainsi koto dama [l’écriture japonaise] et shizen fonctionnent comme un phénomène transcendant dans la culture japonaise.»12

Face à ce qui semblerait une absence de tradition théorique au Japon, chaque architecte paraît produire sa propre théorie à partir d’une sorte de tabula rasa. Dans le cas de Toyo Ito, il s’agira de voir comment cette vision japonaise de la nature vient orienter sa démarche architecturale, comme un thème qui vient transcender tous les autres.

1.2 La métaphore du jardin

Le mot métaphore provient du grec metaphora qui signifie « translation », « transfert ». Mark Johnson, dans Body in Mind, la définit comme « un mode pénétrant de compréhension à travers lequel nous déplaçons des modèles d’un certain champ de notre expérience à fin de structurer un autre champ d’un type différent ». Cela a lieu par exemple lors du passage de la théorie à la pratique.Durant un certain temps, la métaphore a été l’une des formes de transmission préférées dans l’architecture japonaise contemporaine. Comme l’a décrit Arata Isozaki pour première fois en 1970, une « hypothèse imaginaire » a surgi et est devenue « l’essence de l’édifice, donnant naissance et s’infiltrant dans tous les aspects du projet. » Au fur et à mesure, elle s’exprimait comme image ou analogie, comme les « nuages stratocumulus » ou le « crépuscule ».Ito utilise la métaphore d’une manière complexe et avec des strates multiples, introduisant des ressorts d’analogies pour compléter l’image.Ito écrit sur « l’architecture comme jardin » ou sur « l’architecture comme courant d’eau » et aussi comme « architecture aurale », c’est-à-dire, une architecture comme son. En décrivant ses œuvres, Ito utilise souvent des analogies. C'est la métaphore du jardin qui semble le mieux synthétiser son architecture.Il dit : « J’ai toujours considéré mon architecture comme un jardin », à prendre non dans un sens littéral, comme forme, mais en tant que métaphore suggestive, qui

11 BERQUE Augustin, op.cit. p.19, 2004.12 NUSSAUME Yann, Anthologie critique de la théorie architecturale japonaise : le regard du

milieu, Ousia, 2004, p.46

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 14: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

15Le projet comme milieu

définit le lieu comme un environnement paisible, incertain, dans un cadre sans limites précises. Ainsi pour les Japonais, le jardin est un oasis, réalisé à l'image de la beauté et de la perfection de la nature, et réglé notamment dans les jardins zen par la simplicité, l'abstraction et le symbolisme.

1.3 La quête d’un espace fluide, une architecture comme séquence spatiale

« L’édifice comme filtre, senseur et vortex des flux naturels et artificiels, énergétiques et électroniques, qui habitent l’espace architectonique. » El Croquis, n°123.

Chez Toyo Ito, la fluidité spatiale est un thème récurrent. Il la justifie par une analogie avec les flux naturels et les flux d’information. La fluidité spatiale renvoie à un espace non-compartimenté et non-directionnel. Elle inclut l’idée d’instabilité, d’espace dynamique et de relation directe avec l’environnement immédiat. « Je voudrais créer une architecture qui serait telle un tourbillon qui apparaît lorsque on plonge un bâton dans un courant d’eau. Ce n’est pas le bâton que je veux créer... mais le tourbillon.»« Introduire de la fluidité dans l’architecture sert à faire circuler de l’air frais dans un espace stagnant et à créer une continuité entre l’intérieur et l’extérieur. », Toyo Ito, 1995.13

C'est l'expérimentation de cette fluidité qui prime dans les espaces intérieurs créés par Ito comme le souligne Sou Fujimoto. « Quand j’expérimente votre architecture, la fluidité de l’intérieur ne donne pas l’impression d’être sur un territoire insulaire ; c’est comme si l’espace intérieur émergeait déjà doté d’une structure », entretien avec Toyo Ito.14

Toyo Ito souhaite libérer l’habitant de l’enclave des murs et le laisser trouver son rythme au gré des changements des éléments naturels.Il y a l’idée de saisir ce qui est de l’ordre de l’instable, du phénomène éphémère au sein d’un système qui cherche constamment la stabilité et la continuité. L’architecture, dans son désir de capter un phénomène passager ne peut se résigner à celui-ci sans résistance, sous peine d’être immédiatement et complètement consommée.15

Il s’agit à travers son architecture de perpétuer un flux de phénomènes, tout en l’intégrant dans un système plus stable et plus ordonné. L’architecture est ordre. Elle doit retrouver un « ordre naturel », et d’établir des relations avec les éléments naturels.En parallèle, il y a une recherche d’espaces aux états instables, qui peuvent être propices au mouvement et au flux. Il y une tension entre le flux d’espace et la stabilité.

13 ITO Toyo, op. cit., 1995, p.77.14 FUJIMOTO Sou, « Espace liquide et espace fractal », El Croquis, n°147, 2009, p.6-20.15 ITO Toyo, « Vortex and Current. On Architecture as Phenomenalism », Architectural Design,

vol. 62, nº 9-10, 1992, p.22-23.

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 15: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy16

1. Opéra Métropolitain de Taichung, 2013Vue intérieure de la maquette. L'espace alvéolaire imite un tissu organique.

2. Himalayas Center, 2010, Arata IsozakiLes formes organiques rappellent celles de l'opéra de Taichung bien qu'elles soient moins réglées par la géométrie.

3. Himalayas Center, 2010, Arata IsozakiL'intérieur fait référence à la grotte plus qu'à un tissu organique.

1

2

3École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 16: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

17Le projet comme milieu

On recherche un espace dans lequel on circulerait de façon fluide et sans ruptures en tentant d’abolir les codes traditionnels de la partition. L’architecture est perçue comme une séquence spatiale pure plutôt que forme.

1.4 L’architecture comme intérieur, l’espace souterrain

Pour Toyo Ito, l'architecture est liée à l'expérience d'un espace intérieur, à l'image de la grotte. Toyo Ito tente d’expliquer sa vision de l’espace à partir de son expérience étant enfant :« J’ai grandi dans une vallée, ainsi j’ai toujours eu une impression similaire à celle d’être dans un trou. Je suis né sur le continent, à Séoul, en Corée, et puis on m’a jeté dans ce trou avant que je ne sois assez grand pour comprendre ce qui se passait autour de moi. Ainsi, je crois que j’ai toujours eu l’impression d’être à l’intérieur de quelque chose. Passer du temps près d’un lac, entouré de montagnes, dans une nature si intéreure… Il se peut que mon désir de regarder depuis l’intérieur soit lié à cette expérience. », Toyo Ito, entretien avec Sou Fujimoto.16

« Je pense que nous les japonais nous considérons les concepts spatiaux dans un cadre qui relativise toujours les formes architecturales préexistantes. Ma propre architecture en particulier, a été grandement affectée par «l’espace de mon dialogue intérieur.» Dans ce concept, comme dans le concept de « l’espace du son », il n’y a pas d’extérieur. ».Une architecture sans extérieur qui fait référence à la grotte : « en tant que trou creusé sous le sol, une grotte naturelle n’a pas d’extérieur. » La qualité spatiale est celle d’un espace sans extérieur et celle d’un espace flottant.« L’image de la dissolution se superpose à l’image de l’espace souterrain. Quand je regarde en arrière à travers ma biographie architecturale, je conclus à une nature génératrice reliée en quelque sorte avec l’idée de la grotte et d’un espace qui coule comme un liquide. Je reviens toujours là, peu importe ce que je fais. Et j’ai commencé à prendre conscience de cela il n’y a pas si longtemps. J’essaie de trouver quelque chose de volumétriquement lumineux, quelque chose de transparent, mais il subsiste toujours une image semblable à celle d’un flux de liquide laiteux. Parfois, j’essaie d’abandonner cette image pour produire des espaces plus rafraîchissants et dynamiques, mais plus je cherche, plus je tends à l’espace souterrain. Je suppose qu’on ne peut éviter sa nature physique. Finalement, j’ai décidé de me rendre et de jouer le jeu jusqu’au bout, avec toutes ses conséquences. » Toyo Ito.

1.5 Une conception japonaise de l’espace, espace en mouvement

« Pour nous japonais, l’espace est ambigu, comme l’air et la lumière coule entre deux choses. » Toyo Ito.17

16 FUJIMOTO Sou, « Espace liquide et espace fractal », El Croquis, n°147, 2009, p.6-20.17 NUSSAUME Yann, Anthologie critique de la théorie architecturale japonaise : le regard du milieu,

Ousia, 2004, p.441

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 17: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy1�

1. Maison traditionnelle japonaiseL'espace changeant de la maison traditionnelle japonaise avec ses cloisons mobiles.

2. Jardin de pierresLa disposition soignée des pierres qui viennent polariser l'espace et simuler un mouvement.

1

2

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 18: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

19Le projet comme milieu

« Mon sentiment essentiel à propos de « l’espace » dans la nature c’est qu’« il est plus confortable que l’espace à l’intérieur d’une architecture ». En fait, j’ai toujours souhaité en quelque sorte avancer vers le « confort d’espace » qu’a la nature, et cela bien avant Sendai. Qu’est-ce que j’entends exactement par « confort qu’a la nature » ? Ma réponse à cette question a consisté en des imageries de « fluidité d’espace sans murs » et « d’ondulations dans la topographie » générant « des distinctions de lieux ». Prenant celles-ci comme des sortes de métaphores et les transposant dans l’architecture comme « espaces ». »

L’espace se veut flottant et aérien. Le « sens du lieu » substitue l’idée d’un espace fermé délimité par quatre murs.Selon Kazuo Shinohara, la conception spatiale japonaise est très différente de celle de l’espace occidental, c’est un « espace du mouvement » caractérisé par la division spatiale en des divisions plus petites.

Une spatialité privilégiant l’asymétrie et minimisant les perspectives, où chaque aire avec sa logique intrinsèque l’emporte sur les lignes et leur logique intégratrice et centralisatrice, où les zones intermédiaires, horizontales et enveloppantes prévalent sur les confrontations nettes et les coupures verticales, où l’étendue se complique de détours et de coudes : la spatialité japonaise paraît goûter singulièrement la contingence.Il s'agit d'une conception différente de l’espace tridimensionnel et statique occidental. La conception japonaise est un espace plein de mouvements et de changements, un changement continu tel une promenade sinueuse dans un jardin de pierres. Parlant des tubes structurels de la Médiathèque de Sendai, Toyo Ito dit : « Les tubes sont souvent comparés aux arbres d’une forêt mais ils sont aussi comme les objets d’un jardin japonais, où l’espace est créé par le mouvement autour de points attentivement arrangés, comme des étangs ou des pierres. »Dans cet empilement de plateaux homogènes, les tubes, au-delà de leur image, imposent leur présence et polarisent les espaces créés, aussi bien en tant que signes structurels qu’en tant que colonnes de lumière naturelle.Le mouvement de l’espace japonais est « non-linéaire et sinueux »18. Un tracé sinueux implique une expectative face à l’inconnu à travers une découverte progressive de l’espace, idée que l’on retrouve dans la stratégie labyrinthique de l’espace du projet pour l’Opéra Métropolitain de Taichung. L’expérience corporelle est celle d’une série d’espaces qui auront des continuités horizontales et verticales. C’est une structure spatiale continue en forme d’éponge. On ne peut appréhender le volume intérieur que comme un réseau de vaisseaux communicants où viennent se fondre murs et planchers.La superficie de l’opéra sera de 43260m² 19. Son inauguration est prévue pour 2013.

18 INOUE Mitsuo, L'espace dans l'architecture japonaise, in Anthologie critique de la théorie architecturale japonaise : le regard du milieu p.313

19 Cela représente le double de la superficie de la médiathèque de Sendai qui est de 21600m².

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 19: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy20

2

3

54

1. Opéra de TaichungLe principe structurel consiste à séparer deux plaques sur lesquelles est fixé un tissu en certains points alternés.

3. Opéra de TaichungParcours aléatoire et relations visuelles changeantes. Niveau R+6.

4. Opéra de TaichungLa caverne du son: la structure spatiale en ruban continu délimite un espace A et son négatif B. L'espace A "du son" est consacré aux espaces de musique.

1

2. Opéra de TaichungLa maquette à grande échelle montre l'adaptation du principe structurel aux différents types d'espaces.

5. Opéra de TaichungUne structure spatiale spongieuse continue.

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 20: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

21Le projet comme milieu

Il y a l’idée d’une nature comme changement perpétuel, tout est en constante mutation. L’idée japonaise de mutation permanente et les mouvements tournants des espaces de l’architecture japonaise peut être expliqué en partie par la condition géographique, le Japon ayant des changements de saison très distincts et des formes de territoires complexes.

Le philosophe Henri Bergson (1859-1941), dans L’Evolution créatrice, associe l’image des tourbillons et de la mutation permanente pour décrire la condition des formes vivantes et semble ainsi saisir la sensibilité japonaise et plus particulièrement celle de l’architecture de Toyo Ito quand il dit : « Comme des tourbillons de poussière soulevés par le vent qui passe, les vivants tournent sur eux-mêmes, suspendus au grand souffle de la vie […], oubliant que la permanence même de leur forme n’est que le dessin d’un mouvement. Parfois cependant se matérialise à nos yeux, dans une fugitive apparition, le souffle invisible qui les porte. » H. Bergson.20

Comme l’explique Fuhimiko Maki21, quand il s’agit de construire le territoire, on peut distinguer l’attitude occidentale qui aurait été influencée par « les cultures du désert », de l’attitude japonaise. La fondation du territoire en Occident est basée sur la notion de « centre-démarcation », c’est-à-dire la constitution d’un centre, un pivot cosmique qui articule un territoire étendu avec les Eléments, complété par l’édification de murs de démarcation pour délimiter un espace qui s’étend à perte de vue. Les japonais, conscients de la finitude de leur territoire, riche en contrastes, bâtissent selon le principe « oku-enveloppe », qui associe la notion japonaise d’oku, qui peut être décrite succinctement comme le sens de la profondeur, et l’idée d’envelopper le territoire de façon symbolique à travers le tracé sinueux des voies plutôt que physique à travers des murs. L’oku est décrit comme l’espace le plus intérieur, la dernière des couches spatiales du territoire à l’image des différentes couches d’un oignon.

« Dans son livre l’Eloge de l’Ombre, Junichiro Tanizaki évoque un faisceau de lumière transmis dans la « profondeur » de l’espace à travers de multiples réflexions. Est-il possible de dessiner une architecture dans laquelle on puisse ressentir une telle subtilité non seulement à travers la lumière mais à travers le flux d’air ? Je crois que l’architecture conçue de nos jours changera si on commence simplement à penser à de telles images » Toyo Ito.

20 BERGSON Henri, L’Evolution créatrice, éditions A. Robinet, in Oeuvres, 1907, p.603-604.21 NUSSAUME Yann, Anthologie critique de la théorie architecturale japonaise : le regard du milieu, Ousia,

2004, p.405. « L’espace de la ville japonaise et le concept d’ « oku », 1978.

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 21: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy22

1RDC

R+1

R+2

R+3

R+4

R+5

1

1

1

1

2

3

2

2

2

1

1

1

1

2

3

2

2

2

Coupe

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 22: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

23Le projet comme milieu

1. Opéra de TaichungSchémas analytiques en rapport aux plans des différents niveaux et coupe. 1- opéra de 2011 places2- salle philarmonique de 800 places3- boîte noire de 200 places

L'analyse de la coupe nous montre la combinaison de deux systèmes: celui des murs porteurs en ruban de béton courbes et continus sur toute la hauteur du bâtiment et celui des planchers métalliques qui viennent remplir en certains endroits les vides de la structure porteuse.

L'analyse spatiale des différents niveaux montre que le principe si clair en coupe d'alterner les espaces de son A et les espaces B se traduit en plan par des salles aux contours improbables. Ce cloisonnement libre est permis par le système structurel, l'intérieur des tubes servant le plus souvent aux circulations verticales.

2

2. Opéra de TaichungPlan d'insertion du rez-de-chausée.Bien que le périmètre fermé du bâtiment soit conçu comme une ligne de coupe, le dessin paysager pénètre à l'intérieur notamment par un cours d'eau tout en reprenant le motif des ovoïdes.

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 23: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy24

2

3

2. Parc Grin GrinUn parcours est aménagé sur la toiture, le sol et la toiture semblent ne faire qu'un.

1

3. Parc Grin GrinCoupe transversale de l'une des serres. La structure et le sol se courbent pour se fondre dans le paysage.

1. Parc Grin GrinLa végétation devrait bientôt recouvrir la coque et celle-ci ne faire qu'un avec la topographie.

5m

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 24: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

25Le projet comme milieu

1.6 Une dissolution des limites entre dedans et dehors, blurring architecture

La question des limites est une question délicate pour Toyo Ito.Par blurring architecture, Ito entend une architecture caractérisée par une interpénétration et une continuité entre l'intérieur et l'exterieur, il s'agit de rendre la frontière entre l’architecture et la ville ambiguë, de la rendre floue.Mais comme il le dit lui-même:« La situation parfaite serait qu’il n’y ait pas d’extérieur, mais c’est impossible, alors j’ai toujours des difficultés pour exprimer l’extérieur. Il arrive un moment où je coupe la condition d’expansion intérieure et je me persuade que ceci n’est pas l’extérieur mais une simple coupe tranversale. » entretien avec Sou Fujimoto.22

Il parle par la suite de limite fractale pour permettre un nouveau dégré de souplesse au bâtiment:« Nous réfléchissons à l’idée de limite fractale, ce qui pourrait assouplir les relations avec le milieu environnant. »23

Prenons l'exemple de l'opéra de Taichung, le périmètre de l’édifice est tel une ligne de coupe, c'est une façade quasi immatérielle qui vient sectionner le bâtiment. Le mur devient écran. Ce qui pose la question de la matérialité :Si la façade est tel un écran et n’a pas d’épaisseur, ne nie-t-elle pas sa matérialité ?

Encore selon Bergson, les « choses » ne seraient qu’une coupe dans le flux du mouvement : « Choses et états ne sont que des vues prises par notre esprit sur le devenir. Il n’y a pas de choses, il n’y a que des actions. […] Les choses se constituent par la coupe instantanée que l’entendement pratique, à un moment donné, dans un flux. » 24

L’Opéra de Taichung est un bâtiment qui semble avoir été congelé dans un état de métamorphose.

Le Parc Grin Grin est un autre exemple de dissolution des limites.Inauguré en 2005, le parc Grin Grin se situe sur une plateforme artificielle de 15ha dans la baie d’Hakata à Fukuoka au Japon. On s’intéresse à la serre de 5000m² qui forme un paysage construit. L’architecture se fond avec les ondulations de la topographie. Les constructions émergent telles des collines.

1.7 La densité de l’espace

« Le Pavillon de Barcelone de Mies ressort comme le bâtiment le plus significatif de tout le XXe siècle. Ceci est particulièrement vrai, y compris si on le compare à la totalité des œuvres projetés ensuite par le même architecte. Dans aucune autre œuvre on ne retrouve un espace aussi plein de « fluidité »… Cet espace ne produit pas la sensation de la légèreté de l’air qui passe, sinon celle d’une densité de la

22 FUJIMOTO Sou, « Espace liquide et espace fractal », El Croquis, n°147, 2009, p.6-20.23 FUJIMOTO Sou, op.cit.24 BERGSON Henri, L’Evolution créatrice, éditions A. Robinet, in Oeuvres, 1907, p.755.

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 25: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy26

1 2

4

1. 2. 3. Parc Grin GrinPlans du rez-de-chaussée: topographie (1) et limites (2).Le volume fermé des serres se fond dans la topographie en ménageant des percées.

3

4. Opéra de TaichungUn système de grille comparé à la coupe de l'opéra de Taichung.

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 26: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

27Le projet comme milieu

matière fondue, liquide… L’espace composé par des plans vitrés n’a pas de structure précise sinon qu’il s’élève telle une colonne de glace qui commencerait à fondre dans l’air. » Toyo Ito, 200425.

L'expérience d'un milieu est une expérience phénoménologique.Etre dans un milieu est une expérience phénoménologique, que relate Merleau-Ponty, l’auteur de La Phénoménologie de la perception, dans l’Œil et l’Esprit (1960), parlant de l’englobement du sujet dans l’espace : « L’espace n’est plus (…) réseau de relations entre objets, tel que le verrait un tiers témoin de ma vision, ou un géomètre qui la reconstruit et la survole, c’est un espace compté à partir de moi comme point ou degré zéro de la spatialité. Je ne le vois pas selon son enveloppe extérieure, je le vis du dedans, j’y suis englobé. Après tout, le monde est autour de moi, non devant moi » (…) L’expérience d’un milieu est celle d’un continuum, d’une « substance » dans laquelle les formes ne sont pas perceptibles comme si elles étaient géométriquement pures et régulières, comme si elles résultaient d’une stéréotomie. », 26

Bergson, lui, pense l’intuition comme une connaissance immanente au mouvement qu’elle observe. Elle « adhère à son objet ».C’est une façon de connaître non par « survol » et par distance, mais par « inhérence », il s’agit de « chercher le profond dans l’apparence et l’absolu sous nos yeux ».Si on transpose cette idée à l’œuvre de Toyo Ito, il s’agirait de « faire corps » avec l’architecture. Dans l’opéra de Taichung, l’expérience corporelle est celle d’une série de cavités qui nous englobent. Elles forment une séquence continue que l’on peut appréhender par le mouvement.

« C’est une connaissance par images, à conditions que ces images soient entendues comme des choses à la fois singulières et fluides : fluides, parce que capables de se mouler, de se couler dans l’interstice de chaque mouvement exécuté par la matière (corps ou milieux). » 27 La fluidité de l’architecture de Toyo Ito est celle du vide mais aussi celle du plein et des limites. Le thème de la densité de l'espace nous conduit à aborder celui de la consistance matérielle et de la corporalité dans le chapitre suivant.

25 CORTES Juan Antonio, « Au-delà du mouvement moderne, au-delà de Sendaï / Toyo Ito et la recherche d’une nouvelle architecture organique », El Croquis, n°123, 2005, p.16-42.

26 MERLEAU-PONTY Maurice, L’Œil et l’Esprit, 1960.27 DIDI-HUBERMAN Georges, MANNONI Laurent, Mouvements de l’air : Etienne-Jules Marey,

photographe des fluides, Paris, Editions Gallimard, 2004, p. 264.

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 27: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

29

2. Le projet comme corps

L’architecture de Toyo Ito fait preuve d’une empathie inhérente entre le corps humain et les tensions expressives dans les éléments des bâtiments. Ces formes organiques traduisent au-delà d'une volonté esthétique, une recherche sur la corporalité de l'architecture. Il s'agit de prendre en compte le corps humain dans l'espace et l'architecture comme un corps.

2.1 Le corps dans l’espace, un espace habité :

L’espace de Toyo Ito est un espace habité. C’est un espace à parcourir, où les éléments structurels jouent souvent un rôle spatial, ils polarisent et englobent l’espace. C’est un espace intérieur, où l’on peut se sentir contenu par des formes courbes qui viennent recréer la spatialité de grottes. Cette interprétation contemporaine de la grotte appelle à des sensations corporelles primitives. On peut introduire ici la distinction que fait l’architecte Akihisa Hirata entre l’animal (dimension directe, physique ou pulsionnelle) et l’humain (culturel)28. Ito prétend réveiller cette dimension animale de l’homme. Il élabore une comparaison entre un Tarzan nu et vulnérable et la figure de l’homme moderne pour évoquer la nécessité de notre participation haptique et sensorielle au monde. « Certains architectes ont essayé de trouver un langage pour cette nouvelle génération, avec des espaces très minimalistes. Je suis à la recherche de quelque chose de plus primitif, une sorte d’abstraction qui aurait encore un sens du corps. » Toyo Ito. Il y a un dialogue entre un ordre sophistiqué sur le plan technologique et sur le plan formel à travers l’abstraction, et un certain archaïsme. Il est à la recherche d’une qualité plus rude, plus primitive et terreuse de l’architecture. Il y a là un désir d’immédiateté de l’expérience basée sur nos sensations viscérales et instinctives.On peut envisager de rattacher l’architecture de Toyo Ito à la philosophie existentialiste de Maurice Merleau-Ponty (1908-1961). Merleau-Ponty rattache la

28 HIRATA Akihisa, « Considering the City and Architecture from the perspective of contextualism and Algorithms: Yoshiharu Tsukamoto x Akihisa Hirata», Japan Architect, n°77, 2010, p.5.

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 28: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy 30

1

1. Maison O au Chili, Toyo ItoExpérience de l'espace englobant.photo Joan Sidawy

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 29: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

31Le projet comme corps

philosophie au réel, l’homme est au monde, le monde est habité.29 Elle s’oppose à la philosophie traditionnelle qui se détache du monde pour l’appréhender, qui est en quelque sorte hors du réel.Le thème de la corporalité est une notion-clé de cette philosophie. L’homme n’est pas une pure conscience, il a un corps et c’est ce corps qui l’inscrit dans le réel. « Mon corps est le médiateur du monde perçu, seul réel, et non le négateur d’un prétendu monde en soi », dans L’Œil et l’Esprit.30

Par analogie, la spatialité japonaise évoque cette idée d’un espace « vécu » qu’on appréhende avec le corps et l’esprit plutôt qu’un espace « à lire » qui ne parle qu’à l’esprit, dont il s’agit de comprendre la géométrie et les proportions.

2.2 Les deux ordres de Henri Bergson, l’identité géométrique face à la ressemblance vitale La philosophie de la connaissance par l’intuition d’Henri Bergson (1859-1941) peut nous permettre d’approfondir ce sujet. En effet, dans L’Evolution créatrice, Bergson substitue aux apories philosophiques de l’ordre et du désordre, l’idée qu’il y a deux espèces d’ordre. Il y a un ordre par « détermination réciproque nécessaire des éléments extériorisés les uns par rapport aux autres » ; c’est un ordre par juxtaposition d’éléments rendus isolables au moyen de quelque artifice ou appareillage de l’intelligence. Et puis, il y a l’ordre par « progrès sous forme de tension », un ordre par « création continue » ; c’est-à-dire par interpénétration d’éléments considérés comme formant un tout indémêlable. Le premier ordre est « automatique », fondé sur la possibilité de prévision ; le second est « vital », donc imprévisible. Dans l’un, le temps est schématisé selon l’homogénéité spatiale, autrement dit il est nié. Dans l’autre, « une irrétrécissable durée fait corps » avec tout et « rend la succession, ou continuité d’interpénétration dans le temps, irréductible à une simple juxtaposition instantanée dans l’espace ».31

Bergson situe le premier « ordre » du côté de l’identité « géométrique », et le second du côté de la ressemblance « vitale ». En tant qu’architecture, les constructions de Toyo Ito n’échappent pas à l’ordre géométrique. Mais c’est une géométrie particulière, qui tient plus de la logique géométrique que de la répétition d’un élément isolable. Le second ordre de Bergson semble plus à même de décrire les bâtiments d’Ito. En effet, les surfaces continues et l’interpénétration des formes de l’opéra de Taichung, la coque continue du parc Grin Grin, et la spatialité homogène de la Médiathèque Sendai matérialisent le concept de ressemblance vitale car ils forment une totalité indissociable plutôt qu’un collage d’éléments isolables. Ce sont des formes qui évoquent une sorte de vitalité naturelle plutôt qu’un artifice. Chez les Métabolistes, la nature est appréhendée comme “changement”, ils cherchaient à

29 "L'homme est au monde. C'est dans le monde qu'il se connaît." MERLEAU-PONTY Maurice, La Phénoménologie de la Perception, Gallimard, 1945, p.11.30 MERLEAU-PONTY Maurice, L’Œil et l’Esprit, 1960.31 DIDI-HUBERMAN Georges, MANNONI Laurent, Mouvements de l’air : Etienne-Jules Marey, photographe

des fluides, Paris, Editions Gallimard, 2004, p. 260-261.

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 30: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy 32

1

3

1. Opéra de TaichungVue intérieure d'une grille orthonormée.

3. Exposition une Nouvelle RéalitéLes visiteurs circulent entre les maquettes à grande échelle sur un sol ondulé fait de buttes et de creux où se reposer.

2. Opéra de TaichungVue intérieure d'une grille déformée en arrondissant les coins.

4. Exposition une Nouvelle RéalitéMaquette en taille réelle du moule de la toiture courbe du crématorium de Kakamigahara.

2

4

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 31: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

33Le projet comme corps

déterminer des principes de mutation, un processus vital. La conception et la technologie doivent être une dénotation de la vitalité humaine.

2.3 Assouplir la grille des modernes

« Ce que j’essaie d’imaginer maintenant c’est une sorte d’hétérogénéité qui dépasserait l’homogénéité. C’est ce que j’essaie de dire par la «distorsion de l’homogénéité». Vu sous un angle social, je pense que l’accent général mis sur l’homogénéité a tendance à endormir les gens dans une espèce d’état catatonique. Ma propre position est radicalement opposée à cela. »Il s’agit de « créer des espaces plus organiquement complexes par ce que j’appelle la «grille émergente. » Toyo Ito.Trois scientifiques japonais ont remporté en 2008 le prix Nobel de physique pour leurs recherches sur la symétrie brisée dans la physique subatomique. Les particules subatomiques que l’ont croyait jusqu’alors parfaitement symétriques sont en réalité des symétries brisées. Il est maintenant prouvé que ces « brisures » viennent à créer des fluctuations et une richesse qui contribuent à différents phénomènes de la nature.Par analogie, Toyo Ito est en quête d’un ordre qui viendrait briser la grille orthogonale des modernes et il évoque l’intérêt qu’il y aurait à découvrir de nouvelles règles qui correspondent au mouvement de ces particules subatomiques.« Ceci est corroboré par le fait que l’interaction de la symétrie et l’asymétrie génère la relation entre la forme et le mouvement des organismes du monde naturel. », Toyo Ito, 1995.32

Le milieu peut être comparé à l'espace liquide.Comme le souligne Jacques Lucan, l’idée de milieu se substitue à celle d’espace. On est comme dans un aquarium. Ce qui est primordial est la sensation de fluidité dans une lumière homogène.33

2.4 Assouplir le plan du sol

Toyo Ito cherche à assouplir le plan du sol dans une architecture où le plan du sol et celui de la toiture viennent parfois se confondre comme dans le parc Grin Grin. Coupe des serres du parc Grin Grin. « En fin de compte, la différence entre les arbres et l’architecture réside tout simplement dans la présence d’un plancher horizontal. »34

Construire un sol à rez-de-chaussée en formes de buttes pose la question de l’accessibilité aux personnes à mobilité réduite. Mais plus qu’aux limites de telles recherches formelles, on doit s’intéresser à leur portée innovante. Comme le dit Ito :

32 ITO Toyo, « Transparent (the) Urban Forest », Japan Architect n°19, 1995, p.77.33 LUCAN Jacques, Composition, non-composition, Lausanne, Presses Polytechniques et

universitaires romandes, 2009, p.574-575.34 FUJIMOTO Sou, « Espace liquide et espace fractal », El Croquis, n°147, 2009, p.6-20.

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 32: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy 34

1. Centre d'arts scéniques de Matsumoto, 2004La recherche d'une continuité organique: le mobilier du Centre d’arts scéniques de Matsumoto illustre la recherche d’une fusion organique des éléments de l’architecture à travers des formes plastiques tridimensionnelles, et préfigure la structure de l’Opéra Métropolitain de Taichung.Ici, la fusion s’exprime notamment par la blancheur du banc qui semble irradier la moquette.

2. Prototype de la structure de l’opéra de TaichungUne structure courbe en béton armé.

1

2

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 33: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

35Le projet comme corps

« Je pense que le sol horizontal crée une tension chez les gens. (...) Je pense que l’ordonnance de l’espace est ce qui introduit une tension chez les gens et c’est pour cela que je veux rendre les limites du sol imprécises. Je suis très intéressé par les situations où les limites se dissolvent. »35

« Nouvelle Réalité » comme catalyseur pour engager et renforcer la relation des utilisateurs avec le bâtiment.36

Mais peut-on imaginer des sols courbes sur plusieurs étages ? Dans l’opéra de Taichung, les planchers sont horizontaux mais comme les murs structurels sont courbes, on a l’effet d’assouplissement du plan du sol.

2.5 Recherche d’une continuité organique, intégration espace-structure, fusion des surfaces

Les constructions récentes de Toyo Ito se caractérisent par leurs formes organiques. Cette liberté formelle peut sembler gratuite mais elle s’appuie sur une réflexion structurelle. Ainsi, l’expression organique passe par une recherche de continuité structurelle. La création de formes continues nouvelles est utilisée pour leur potentiel formel et paysager. On observe notamment que la structure devient surface. Chez Ito, cela se traduit par un vocabulaire de rubans en béton armé comme dans les projets du Parc Grin Grin et de l’opéra de Taichung et de maille métallique comme dans la médiathèque de Sendai.Dans le Style international, une structure autonome perfore un espace librement découpé, qu’elle ponctue plutôt qu’elle ne le définit. Dans les projets de Toyo Ito, c’est une architecture structurelle continue, la structure elle-même produisant l’espace.Le projet de l’opéra de Taichung, conçu avec l’ingénieur Cecil Balmond, sera le premier projet de structure continue superposant plusieurs planchers. Ce sont de nouvelles structures globales. En tant que solution structurelle globale, l’architecture et la structure sont fusionnés. Ces projets de structures sont conçus grâce à l’étude de formes géométriques tirant parti de leurs qualités intrinsèques. Toyo Ito se pose contre le mouvement de formalisation qui recherche un ordre rigidement fixe et stable tout en appuyant ses formes organiques sur une vérité structurelle. Il y a une exigence « organique » d’intégration de l’espace et de la structure : en concrétisant cette exigence, l’édifice devient un objet qui se suffit à lui-même et s’explique par lui-même.Les éléments de construction s’intègrent dans une forme unique élémentaire. L’architecture se veut à la fois intégrée dans son environnement et intégratrice dans sa formalisation.L’Opéra Métropolitain de Taichung parvient par la répétition d’un motif géométrique (la demi-tore) à atteindre un degré d’organicité qui évoque le corps humain et la géologie. La forme de l’opéra de Taichung est celle d’une bouche ou

35 FUJIMOTO Sou, op. cit., 2009.36 ITO Toyo, The New « Real » in Architecture, http://www.operacity.jp, site internet de l’exposition

réalisée à la Tokyo Opera City Art Gallery, 2006.

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 34: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy 36

2

1

3

1. De la maison Domino à l'opéra de TaichungVers une fusion des éléments verticaux et horizontaux.

2. Projet Vestbanen, Oslo, 2002Un bloc creusé de vides.

3. Projet VestbanenMaquette conceptuelle: un réseau de lignes remplit le volume sans le rendre solide.

4. Projet Vestbanen, Oslo, 2002Un réseau de lignes se solidifie pour former des tubes structurels qui imitent des formes cristallographiques.

4

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 35: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

37Le projet comme corps

d’une oreille. Il s’agit de trouver ce moule élémentaire, qui par sa répétition, puisse définir et supporter par lui-même l’étendue spatiale, configurer et supporter de manière équivalente les espaces situés de part et d’autre de celui-ci, de sorte que les espaces soient tout deux positifs. Pour que cela se réalise, les deux parties du moule doivent être identiques - la forme et la contreforme qu’il délimite - et celui-ci doit se matérialiser à la fois comme enveloppe et structure. Volume, structure et espace se fondent en une même forme.C’est un réseau flexible de vases communicants qui a été tranché sur les quatre côtés pour former une boîte rectangulaire. On retrouve le thème de la corporalité naturelle de l’architecture : sorte de tissu, la structure induit la nature. « L’effet structurant » se confond avec « l’effet enveloppant ».Inverser la tradition de situer l’architecture dans la nature. Au lieu de cela, l’œuvre d’Ito cherche à « induire la nature dans la forme construite ».

2.6 Système formel intégrateur La géométrie, la structure et le volume sont intégrés au sein d’un système formel dit intégrateur. Cela n’empêche pas la liberté et l’aléatoire dans le développement concret de ces éléments.

D’après l’ingénieur Mutsuro Sasaki, la médiathèque de Sendai est une réinterprétation de la maison Domino de Le Corbusier où les colonnes sont remplacées par des tubes organiques. Mais l’indépendance des éléments pose problème, deux logiques s’opposent : d’un côté, il y a la logique des plateaux horizontaux hérités de Le Corbusier et de l’autre celle des colonnes organiques. Cette contradiction est surmontée dans l’Opéra Métropolitain par la fusion des planchers avec la structure dans une même forme organique.Volume, structure et espace se fondent dans une même forme.Projet Vestbanen à Oslo : Ce projet de médiathèque à Oslo en Norvège de 2002 n’a pas été construit. Des lignes sans épaisseur acquièrent une consistance structurelle en s’entrelassant et en se triangulant, alliant légèreté et rigidité, pour former une version plus aboutie des tubes de Sendai, cette fois liée à l’image de la cristallographie. C’est une structure polyédrique ouverte.C’est un système structurel dynamique et non linéaire qui consiste en une superposition de plateaux qui s’appuient sur des vides en verre (un système d’arbres vertical) placés de manière aléatoire.L’édifice devient un objet qui se suffit à lui-même et s’explique par lui-même. D’où le sentiment d’évidence que l’on peut ressentir lorsqu’on regarde les images du magasin Tod’s ou de l’Opéra Métropolitain de Taichung. On peut s’interroger sur l’épaisseur minimale des matériaux, sur la question de la matérialité.

Que ce soit dans la médiathèque de Sendai ou l’opéra de Taichung, des tubes perforent le cube comme des veines qui irriguent le bâtiment.

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 36: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

39

3. Le projet comme processus

L’œuvre récente de Toyo Ito envisage la nature comme processus que ce soit à travers le modèle architectural de l’arbre qu’en tant qu’outil de travail.

3.1 Synthèse entre la dynamique générative et l’abstraction

« Il s’agit d’une aspiration très différente de celle de l’Expressionisme qui imitait les formes de l’organique. Je veux arriver à l’organique comme méthode de travail. J’ai parlé d’une aire où se mélangent l’homme et la nature. Si je me paraphrase, celle-ci est une aire où s’opère une synthèse entre la dynamique générative et l’abstraction. » Toyo Ito, 2004.37

Ito est en quête d’une « nouvelle abstraction » qui inclurait les sens du toucher, de l’odorat, de l’ouïe et la vue, au lieu d’une simple abstraction visuelle propre à l’architecture du XXe siècle. L’abstraction est celle d’une forme naturelle mais aussi une abstraction pragmatique pour transcender la logique structurelle.On ne peut que s’interroger en voyant les images de la médiathèque de Sendai, du projet de Vestbanen ou de l’opéra de Taichung sur la récurrence de la forme prismatique. En effet, la nature est à chaque fois contenue dans un cube. La forme cubique est-elle un héritage de la tradition moderniste occidentale ou une manière d’échapper au formalisme ? Il semblerait que la réponse à cette question repose dans l’idée qu’Ito envisage son architecture comme une condition d’expansion intérieure et que pour contenir cette expansion dans un volume chauffé il se voit obligé de le trancher en ses extrémités. Le cube n’étant qu’une forme rationnelle pour fermer l’expansion intérieure du bâtiment, on peut aussi considérer que c’est le processus de croissance intérieure qui l’emporte sur la capacité de l’architecte à concevoir une forme extérieure. Celui-ci en arrivant même à désirer un idéal où il n’y aurait pas d’extérieur. Le thème de l’abstraction d’une forme naturelle se retrouve dans la structure de la façade en forme d’arbre du magasin Tod’s et dans la structure caverneuse de l’opéra de Taichung. On retrouve l’idée de solutions structurelles globales et continues en opposition avec l’idée d’assemblage.

37 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.6-15.

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 37: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy40

1° Déterminé au fil du processus du temps

2° Déterminé selon des relations relatives

3° Déterminé selon des règles simples

4° Ouvert à son environnement

5° Système fractal

1

1. L'arbre comme modèle architecturalCroquis de Toyo Ito.source : Recent Projects.

2. Centre de conventions au Qatar, Arata Isozaki Une structure en tronc d'arbre élaborée avec Mutsuro Sasaki, l'ingénieur du Parc Grin Grin.

4. Parc Grin GrinMaquette de la structure en ruban.

3. Auvent à Barcelone, Arata IsozakiUne structure arborescente devant le Forum Caixa.

4

32

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 38: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

41Le projet comme processus

3.2 Ordre génératif : l’arbre comme modèle architectural

Ito rêve de pouvoir créer des arbres. Les arbres représentent un idéal qui, naissant d'une simple graine, vient croître de manière harmonieuse dans son environnement. Cette harmonie de la forme vivante est due à sa croissance continue dans le temps et tient à des relations relatives entre les parties.

L'arbre représente au même titre que la forêt un modèle à imiter.«C’est une manière assez métaphorique de le dire, mais la création de bâtiments a souvent été pour moi une façon de recréer des forêts. Je pense les bâtiments pas tant comme des constructions mais comme des choses naturelles comme les jardins, les bois, les forêts et les cours d’eau.» Toyo Ito, 199538.Le modèle architectural et structurel de l’arbre est aussi utilisé par le japonais Isozaki dans ses productions les plus récentes comme le centre de conventions au Qatar.

3.3 La logique derrière les décisions formelles

La collaboration avec les ingénieurs Mutsuro Sasaki, Cecil Balmond et Masato Araya est essentielle dans la conception et la réalisation des différents projets de Toyo Ito. La liberté acquise par Ito est permise par les procédés actuels de génération de la forme. Elle se base sur de nouvelles géométries et des structures continues.Ce sont des géométries qui bien qu’euclidiennes sont de type non-linéaire, parfois en « spirale » ou bien une « connexion de réseau ». L’opéra de Taichung, malgré son apparente complexité, consiste en un empilement de demi-tores.L'organique est développé comme méthode, avec l'utilisation de règles géométriques.

Prenons l'exemple du parc Grin Grin, il s’agit d’une structure en ruban.«La technique de design qui rend possible cette structure est totalement unique, appelée la méthode d’analyse de forme. D’abord, une forme est choisie, dont les variations sont simulées à l’ordinateur de manière à ce que la charge de torsion, énergie de tension et distorsion soit minimale. Ensuite une forme structurellement optimale est donnée comme forme évoluée. Des rétro alimentations à ce processus sont inter changées plusieurs fois entre les designs architecturaux et structurels. Finalement, on obtient une architecture avec une coque de 40 cm de béton armé.»39

La méthode d’analyse de forme renverse l’analyse structurelle traditionnelle qui admet une grille de poteau et poutres comme condition préalable sur laquelle on calcule les déformations.Cela ouvre d'amples perspectives formelles puisque l'on peut maintenant optimiser une forme en apparence libre pour la rendre efficace structurellement.

38 ITO Toyo, « Transparent (the) Urban Forest », Japan Architect, n°19, 1995, p.76.39 SASAKI Mutsuro, Morphogenesis of Flux Structure, AA Publications, Londres, 2007, 111 p.

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 39: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy42

1. Parc Grin GrinEtapes successives de la méthode d'analyse de forme.

2. Musée Teshima, Ryue Nishizawa (SANAA) en collaboration avec Mutsuro Sasaki.

4. Objet fractal, Benoît Mandelbrot, 1975Géométrie fractale qui rappelle la façade du magasin Tod's de Ito.source : Composition, non-composition

3. Magasin Tod's, 2004L'enveloppe devient structure et reprend le motif des branches d'un arbre qui s'entrelassent.

4

2

3

2

1

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 40: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

43Le projet comme processus

C'est une suggestion à la réalisation d’espaces dynamiques, déformés, topologiques qui seront emblématiques du XXIème siècle.Comme le dit Sasaki, cette méthode ne saurait se limiter à une architecture de coques en béton armé, il s'agit de « créer des environnements touchés par la grâce de la nature organique. Ceci est maintenant à un stade initial de traiter des éléments essentiellement primitifs à l’aide de coques surfaciques librement courbées » Sasaki développe une seconde méthode de calcul structurel qu'il appelle la méthode d’optimisation structurelle évolutive étendue tridimensionnelle (3D Extended Evolutionary Structural Optimisation) qui utilise les principes d’évolution et d’auto-organisation des êtres vivants. Ceux-ci sont adaptés d’un point de vue technique, pour générer des formes structurelles rationnelles par le biais d’un ordinateur.Ces nouvelles méthodes de conception sont de nature à créer un nouveau paradigme qui supplanterait le mouvement moderne.« Une série de projets que j’ai commencé à qualifier de structures de «flux». J’en viens de plus en plus à penser que ce type d’architecture, avec une structure qui coule et se fond, est en passe de devenir une méthode importante, au-delà modernisme et de la pratique contemporaine. », Mutsuro Sasaki.40

Dans cette collaboration étroite avec les ingénieurs, Ito apparaît comme le poète de la forme, dans le sens où il donne une âme à ces méthodes de conception.« J’imagine toujours des choses lisses et soyeuses, comme les nuages qui n’ont pas une forme évidente. Et ce qui est en jeu n’est pas de leur donner directement une forme, mais plutôt d’amener la géométrie sur ce terrain. » Dans l'opéra de Taichung, bon nombre des effets sont le résultat d’un léger déplacement de la grille des espaces circulaires du bâtiment entre les différents étages. Les surfaces courbes relient les zones circulaires irrégulières entre les niveaux et créent des espaces définis.La clé semble être la tolérance, qui permet que les lignes d’un bâtiment soient légèrement inclinées au lieu de droites, sans s’effondrer. Il s'agit de créer une structure qui intègre des niveaux extrêmement subtils de tolérance, pour un maximum d’effet visuel. L'inspiration qu'évoque Sasaki pour illustrer ce propos est l'architecture de Gaudi. Ce nouveau courant organique s'appuie donc sur une logique structurelle comme le faisait Gaudi avec ses structures caténaires La structure se veut positivement rationnelle.

Les développements récents portent sur l'architecture fractale. Le parc de la Gavia à Madrid en est un exemple. Ce parc dont le projet date de 2003 occupe 39 hectares. La nature devient ici un outil de travail. Il y a un processus d’abstraction à partir d’éléments naturels comme les arbres pour obtenir un modèle de formalisation basé sur la géométrie fractale, une géométrie qui a émergé comme on le sait pour étudier la forme très irrégulière ou interrompue de certains éléments naturels.

40 SASAKI Mutsuro, Morphogenesis of Flux Structure, AA Publications, Londres, 2007, 111 p.

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 41: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy44

1. Projet pour le parc de la Gavia, MadridUne abstraction du dessin d'un arbre en plan répétée pour créer un système topographique d'épuration de l'eau.

2. Projet pour l'Université Nationale de Taïwan, 2006Système de croissance algorthmique en double spirale pour disposer les poteaux champignons de la bibliothèque.

4. Johnson Wax, Frank Lloyd Wright, 1939Vue intérieure de l'espace de travail et ses poteaux champignons.

3. Projet pour l'Université Nationale de Taïwan, 2006Vue intérieure de l'espace de la bibliothèque.

43

2

1

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 42: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

45Le projet comme processus

3.4 La croissance algorithmique

En 2010, Toyo Ito écrit un article intitulé : « les algorithmes ne sont rien de plus qu’une opportunité pour créer une architecture qui respire. ». Le bâtiment est vu comme un organisme vivant. Les formes plastiques organiques sont dessinées non pas comme imitation de la nature mais comme résultat d’un processus de croissance. Le terme processus désigne ici l’utilisation de règles génératives définies à partir d’algorithmes qui développent des géométries plus ou moins complexes. Par définition, l’algorithme est une suite finie de règles opératoires à appliquer dans un ordre déterminé à un nombre fini de données afin d’effectuer un calcul numérique en un nombre fini d’étapes. Le terme d’« algorithme » en lui-même ne se limite pas à la génération de la forme par un ordinateur autonome ; ça a le sens plus large de « processus logique ».Comme le dit Akihisa Hirata: « Je crois qu’un bâtiment peut être considéré de la même manière qu’une plante qui pousse d’une graine. L’algorithme étant un principe générateur qui détermine comment cette graine va croître. »Il s'agit alors d'établir des valeurs initiales pour les critères de conception.

Comme le dit Ito: « Pour générer de la complexité, je regarde un ordre comme celui des plantes, où s’appliquent quelques règles simples pour révéler la complexité. Je trouve ce type d’ordre fascinant. » Les algorithmes ont donné des compositions spatiales fondées sur des grilles non orthogonales. C'est le cas du projet pour l'université nationale de Taiwan qui ressemble à si méprendre à la Johnson Wax de Frank Lloyd Wright..Les colonnes sont arrangées selon un algorithme de double spirale dit naturel car on le retrouve dans la nature.Il s'agit de s’étendre à partir de règles locales, sans contrôle du haut vers le bas à l'image des géométries fractales ou de la structure d'un arbre.

On voit donc qu'une architecture contemporaine qui utilise les technologies les plus avancées peut avoir une certaine naturalité.« La nouvelle technologie n’est pas opposée à la nature mais elle est, au contraire, en train de créer un nouveau type de nature artificielle qui pourrait se dénommer virtuelle. » El Croquis, n°123.

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 43: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

Conclusion

Inspiré par la culture japonaise qui recherche une symbiose avec la nature, Toyo Ito interprète la notion de nature de manière contemporaine à travers des formes architecturales organiques. L'environnement est appréhendé comme un continuum qui pénètre dans le bâtiment, l'enveloppe se fait la plus mince possible. L'idéal étant de développer dans l'avenir une architecture qui respire, à travers une peau qui aurait une fonction métabolique, où s'effectuerait un processus d'échange énergétique continu avec le monde extérieur.« Maintenant, mon intérêt se porte sur l’architecture qui ressemble aux formes vivantes et trouver comment la faire respirer comme elle le devrait. »41

A travers les oeuvres d'Ito, la nature est interprétée comme condition spatiale mais aussi comme corporalité par le biais d'une architecture structurelle où fusionnent espace, structure et enveloppe. Cette architecture, par ses formes aux références naturelles, aspire à reconnecter l'homme avec des sensations corporelles primitives. Enfin, la nature est interprétée comme un processus de croissance dont il s'agit d'imiter les règles. Mais là où de nombreux architectes s'intéressent aujourd'hui aux règles de la nature d'un point de vue purement scientifique, Ito se démarque par son approche holistique quasi poétique du sujet.La mimésis ressort comme un thème permanent de cette étude sur le rapport du travail de Toyo Ito à la nature.

Ito a lui-même influencé la nouvelle génération d’architectes. Kazuo Sejima a travaillé chez lui avant de fonder SANAA, bien que dans son cas le travail sur la forme et l'enveloppe privilégie l'esthétique minimaliste aux dépends de la recherche sur le rapport entre l'homme et la nature. La démarche d'Ito ouvre de nouvelles pistes à explorer dans le dépassement des mouvements moderne et post-moderne à travers un nouveau paradigme basé sur la fluidité de la nature.

41 ITO Toyo, « Algorithms Are Nothing More Than an Opportunity to Create Architecture that Respires », Japan Architect, n°77, 2010, p.36.

47

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 44: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

Références bibliographiques ARAYA Masato, « The Piled-up Shell Structure », A+U, n°417, 2005, p.112-113.BERQUE Augustin, Le sens de l’espace au Japon : vivre, penser, bâtir, Paris, Edition Arguments, 2004, 227 p.CHIRAT Sylvie, « Un architecte en quête de fluidité », Construction Moderne, n°124, 2006, p.32-35.CORTES Juan Antonio, « Au-delà du mouvement moderne, au-delà de Sendaï / Toyo Ito et la recherche d’une nouvelle architecture organique », El Croquis, n°123, 2005, p.16-42.DIDI-HUBERMAN Georges, MANNONI Laurent, Mouvements de l’air : Etienne-Jules Marey, photographe des fluides, Paris, Editions Gallimard, 2004, 361 p.FARAUD Angeline, SEYER Joachim, Architectures structurelles : assemblage et continuité, mémoire de fin d’études, enseignant Jacques Lucan, Champs-sur-Marne, 2007, 56 p.FUJIMOTO Sou, « Espace liquide et espace fractal », El Croquis, n°147, 2009, p.6-20.HIRATA Akihisa, « Ghent and TOD’s : Coincidence of Opposites », A+U, n°417, p.114-115.ITO Toyo, « Vortex and Current. On Architecture as Phenomenalism », Architectural Design, vol. 62, nº 9-10, 1992, p.22-23.ITO Toyo, « Transparent (the) Urban Forest », Japan Architect, n°19, 1995, p.76-113.ITO Toyo, « The Lessones of Sendai Mediatheque », Japan Architect, n°41, 2001. ITO Toyo, « Algorithms Are Nothing More Than an Opportunity to Create Architecture that Respires », Japan Architect, n°77, 2010. ITO Toyo, The New « Real » in Architecture, http://www.operacity.jp, site internet de l’exposition réalisée à la Tokyo Opera City Art Gallery, 2006.LUCAN Jacques, Composition, non-composition, Lausanne, Presses Polytechniques et universitaires romandes, 2009, 607 p.MERLEAU-PONTY Maurice, L’Œil et l’Esprit, 1960.MOSTAFAVI Mohsen, « Toyo Ito’s new nature and the artifice of architecture », El Croquis n°147, 2009, p.21-30.NUSSAUME Yann, Anthologie critique de la théorie architecturale japonaise : le regard du milieu, Ousia, 2004, 543 p.NUSSAUME Yann, Réflexion sur l’importance du milieu en architecture. Tadao Ando et Shin Takamatsu face au désordre de la ville japonaise, Thèse de Doctorat, mars 1997.OUROUSSOF Nicolai, « Inside His Exteriors », The New York Times, 2009. http://www.nytimes.com/2009/07/12/arts/design/12ouro.html?pagewanted=1&_r=2&ref=arts, SASAKI Mutsuro, Morphogenesis of Flux Structure, AA Publications, Londres, 2007, 111 p.SCHARER Cédric, « Architecture et fluidité. Géométries indexées et formes continues », Matières, n°8, Lausanne, 2006, p.47-57.SIMONNET Cyrille, « L’imaginaire technique en question », Architecture Intérieure CREE, n°277, 1997, p.36-37.SOWA Axel, « En quête d’une seconde nature », Architecture d’Aujourd’hui, n°338, p.38-45.TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.6-15.TAKI Koji, « Vers un texte ouvert, Sur l’œuvre et la Pensée de Toyo Ito » in ROULET Sophie, L’architecture de l’éphémère, Le Moniteur, Paris, 1991.TAYLOR Jennifer, « Transferencia intencional : Toyo Ito y la tectónica metafórica. », 2G sección 1997.VAN GHELUWE Christophe, Toyo Ito et la quête de la fluidité, http://www.vg-architecture.be/guide.

49

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 45: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

Toyo Ito, architecte japonais né en 1941, développe depuis ses débuts une architecture sensible à son environnement à travers des thèmes comme la fluidité, l’éphémère ou l’immatérialité.Mais au-delà de ces thèmes, il semble que la clé de son architecture soit la notion de nature. Ito revendique vouloir recréer des environnements naturels, des forêts, ou alors de construire des édifices à l’image des arbres.Ainsi, parmi ses premières réalisations, il y a la Hutte d’Argent, une réinterprétation du mythe de la hutte primitive. La tour des vents, elle, s’illumine différemment au gré des conditions météorologiques. Quant au musée de Yatsushiro de 1992, il est à moitié enterré pour se fondre dans le paysage, la partie émergente étant faite de voûtes légères qui semblent prêtes à s’envoler.Mais sa réalisation la plus remarquée est la médiathèque de Sendai, construite en 2001, caractérisée par sa structure organique dans un cube de verre.Cette étude prend comme postulat que cette réalisation est un tournant non seulement dans la carrière de Toyo Ito mais surtout dans sa manière de concevoir l’architecture.On se propose d’étudier ses projets les plus récents, en particulier le projet de médiathèque à Oslo, le parc Grin Grin à Fukuoka et l’opéra métropolitain de Taichung à Taïwan. La problématique qui se pose est en quoi la démarche architecturale de Toyo Ito propose-t-elle une interprétation contemporaine de la notion de nature. Le développement fait apparaître trois approches projectuelles : le projet comme milieu, le projet comme corps et le projet comme processus.Le projet comme milieu regarde l’approche spatiale, le milieu désignant le continuum spatial qui englobe le bâtiment et son environnement. On fait resurgir la quête d’un espace fluide et une conception japonaise de l’espace qui s’appuie sur une symbiose avec la nature. Le milieu se caractérise par une dissolution des limites entre dedans et dehors et ce qu’on appellera une densité de l’espace. On aboutit à l’approche phénoménologique de l’espace inspirée par Maurice Merleau-Ponty.Le projet comme corps aborde le thème de la corporalité de l’architecture qui se traduit chez Ito par l’intégration entre structure et espace.

Mémoire de masterDécembre 2011

Directeurs de mémoireJean-François Blassel Guillemette Morel-Journel

Joan SIdawy

Un nouveau chapitre dans l'œuvre

de Toyo Ito Induire la nature dans la forme

construite

Résumé

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r

Page 46: Un nouveau chapitre dans l’œuvre de Toyo Itomes.marnelavallee.archi.fr/mes/072011351.pdf · 1 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13. cole

J’introduis la philosophie d’Henri Bergson qui distingue l’ordre par identité géométrique de celui par ressemblance vitale auquel j’essaierai de rattacher Ito.Le projet comme processus reprend cette idée d’ordre vital mais à travers la recherche de règles de croissance naturelle. On s’intéresse aux algorithmes et aux nouvelles méthodes d’analyse de la forme qui naissent de la collaboration avec les ingénieurs et notamment Mutsuro Sasaki.Ces nouvelles méthodes sont d’ordre à créer un nouveau paradigme de nature à supplanter les mouvements moderne et post-moderne. Ce paradigme se fonde sur la notion de nature qu’il s’agit d’imiter non pas seulement à travers des formes organiques mais par le biais d’une conception holistique qui intègre des considérations spatiales et structurelles. La structure inédite de Sendai apparaît finalement comme la naissance de ce paradigme sur lequel se base maintenant la démarche d’Ito. Celle-ci tend vers une nouvelle liberté formelle toujours plus proche des formes vivantes à travers ce qu’il appelle une architecture qui respire.

École

d'arch

itectu

re de

la vi

lle &

des t

errito

ires à

Marn

e-la-V

allée

docu

ment s

oumis

au dr

oit d'

auteu

r