un monde sous la coupe des blanchisseurs

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1 TRICHET FRANCOIS Année 2000/2001 MEMOIRE DE 3 E CYCLE / « Menaces Criminelles Contemporaines » - MM. RAUFER et M. HAUT UN MONDE SOUS LA COUPE DES BLANCHISSEURS Influence du Blanchiment d’argent dans la mondialisation croissante de l’ Economie et des circuits financiers et solutions à y apporter. Introduction : Mondialisation des affaires, globalisation des échanges, déréglementation et libéralisation financière, autant de termes génériques définissant un monde où les réseaux informatiques et les circuits financiers permettent la circulation ultra rapide des capitaux et des richesses dans un espace sans frontières terrestres, sans réglementations universelles. Or ce monde de l’après-guerre froide dans lequel nous évoluons se trouve avoir créé de nouvelles opportunités de développement pour le milieu criminel. On disait autrefois que « le crime ne payait pas », quoique certains aient pu néanmoins, mais de manière exceptionnelle, accumuler à l’époque des richesses provenant d’activités déjà illégales. Aujourd’hui, on ne peut être que béat de penser une telle ineptie. En effet, l’existence du crime organisé ne peut que nous forcer à constater que le crime paie. Il paie même bien, à tel point que les bénéfices qu’il produit constituent une difficulté en soi pour leur appréhension (exemple : le réinvestissement dans les économies légales) et demandent en tout cas une approche spécifique et des réponses particulières pour tenter de solutionner le problème. L’« argent noir », celui qu’on détermine sous l’expression d’« argent sale », non seulement, s’est accumulé depuis 1960 dans cet environnement mondial et s’est implanté dans des paradis fiscaux (voir montée en puissance des centres off-shore) toujours de plus en plus nombreux malgré des pressions politiques intenses et régulières. Mais cet « argent noir » a tendance à quitter désormais ces « sanctuaires de l’argent du crime » pour investir à grande échelle la vie économique des pays émergents et les réseaux financiers bancaires et économiques des grandes puissances occidentales après avoir pris le contrôle en sous-main des pays et nations à économie fragile.

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    TRICHET FRANCOIS Anne 2000/2001 MEMOIRE DE 3E CYCLE / Menaces Criminelles Contemporaines - MM. RAUFER et M. HAUT UN MONDE SOUS LA COUPE DES BLANCHISSEURS Influence du Blanchiment dargent dans la mondialisation croissante de l Economie et des circuits financiers et solutions y apporter. Introduction : Mondialisation des affaires, globalisation des changes, drglementation et libralisation financire, autant de termes gnriques dfinissant un monde o les rseaux informatiques et les circuits financiers permettent la circulation ultra rapide des capitaux et des richesses dans un espace sans frontires terrestres, sans rglementations universelles. Or ce monde de laprs-guerre froide dans lequel nous voluons se trouve avoir cr de nouvelles opportunits de dveloppement pour le milieu criminel. On disait autrefois que le crime ne payait pas , quoique certains aient pu nanmoins, mais de manire exceptionnelle, accumuler lpoque des richesses provenant dactivits dj illgales. Aujourdhui, on ne peut tre que bat de penser une telle ineptie. En effet, lexistence du crime organis ne peut que nous forcer constater que le crime paie. Il paie mme bien, tel point que les bnfices quil produit constituent une difficult en soi pour leur apprhension (exemple : le rinvestissement dans les conomies lgales) et demandent en tout cas une approche spcifique et des rponses particulires pour tenter de solutionner le problme. L argent noir , celui quon dtermine sous lexpression d argent sale , non seulement, sest accumul depuis 1960 dans cet environnement mondial et sest implant dans des paradis fiscaux (voir monte en puissance des centres off-shore) toujours de plus en plus nombreux malgr des pressions politiques intenses et rgulires. Mais cet argent noir a tendance quitter dsormais ces sanctuaires de largent du crime pour investir grande chelle la vie conomique des pays mergents et les rseaux financiers bancaires et conomiques des grandes puissances occidentales aprs avoir pris le contrle en sous-main des pays et nations conomie fragile.

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    Echappant au contrle des Etats, la Grande dlinquance conomique et financire, mue par linstinct de la rentabilit et du profit, a eu tendance suivre lvolution de l Economie internationale pour accrotre sa puissance et continuer fournir ainsi, de manire abondante, en capitaux et autres devises financires les marchs qui en auraient besoin pour leur survie ou leur stabilit. LEconomie criminelle nest donc pas devenue par hasard un secteur en pleine expansion. Son histoire est en fait indissociable de celle de la mondialisation financire. Dailleurs il est possible daffirmer sans tre contredit que le dveloppement de la dlinquance conomique internationale est lune des caractristiques du mouvement actuel de mondialisation de lconomie. Le paradoxe est dailleurs le suivant : plus les sommes blanchir sont consquentes, moins le risque pour les rseaux dtre mis jour est important, car, dans la sphre virtuelle de la Finance mondiale, rien ne ressemble plus au final actuellement de largent propre que de largent blanchi. En fait, la mondialisation a favoris et renforc une approche conomique et financire des activits illgales, ce qui explique la superposition croissante entre criminalit organise et dlinquance conomique et financire. Cette mondialisation a eu une autre consquence qui est alle de pair avec la professionnalisation de la criminalit organise : la facilitation des communications et des dplacements ajoute la drglementation de lconomie qui na pu que renforcer ces mouvements criminels. Cette situation gnre naturellement de multiples menaces au regard des quilibres financiers plantaires et engendre des consquences ngatives quant la stabilit de certains Etats (voir la mainmise avre des groupes criminels en Russie : environ 40% du PIB de lconomie sous contrle criminel - source Interpol 1997) sans oublier toutes les consquences sociales et humaines que cela peut provoquer. Un autre exemple mis jour pour expliciter les effets pervers du phnomne de Blanchiment sur le fonctionnement des Etats, peut consister en la compromission toujours plus importante et pernicieuse de dirigeants politiques, laide de capitaux dorigine douteuse servant la corruption. Cela engendre habituellement la mise mal des structures administratives et rpressives dun pays (voir la faiblesse et linstabilit chronique du pouvoir politique en Italie). Certains conomistes dailleurs se sont interrogs sur le fait de savoir si cette volution vers une criminalisation rampante du monde conomique traduite par une tendance au blanchiment dargent un niveau plantaire, tait pour le moins raliste, voire mme inluctable ; ou bien si elle ne devait traduire quun simple aspect de notre Monde (une sorte de phnomne passager, une dviance ponctuelle du capitalisme actuel) tourn un instant prcis vers la supriorit du secteur financier et lapplication de certaines dviances conomiques gnres. Dautres analystes ont mme pouss la rflexion jusqu se demander si les valeurs dmocratiques, affirmes et revendiques par tant de nations aujourdhui, pouvaient tre solubles dans la finance et ce, au nom dune thique financire transnationale, dun libralisme extrme et dun individualisme jusquau-boutiste.

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    Si linterrogation sest faite jour actuellement, ce nest pas uniquement par volont de provocation et faire ragir de manire gratuite et ponctuelle les hommes politiques et lopinion publique ; cest surtout dans le souci de traduire limpasse, les errances et les dangers vers lesquels peuvent nous conduire de tels stratgies mises en uvre par les grands groupes conomiques et bancaires. A partir de ces constatations, il est possible de mettre en avant les moyens utiliss par ces entreprises et multinationales ou dautres intervenants des marchs montaires et juridiques pour faire du profit tout prix et monnayer ainsi leurs comptences au mieux, quitte se vendre des groupes criminels organiss. Les interrogations sont poses, il ne reste plus qu y rpondre

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    ANNONCE DU PLAN

    Lobjectif de ce mmoire est trs clair. Il sera de montrer, aujourdhui, la ralit et lampleur qua pu acqurir le phnomne de blanchiment, aussi bien dans les rseaux financiers, bancaires et boursiers internationaux quau travers dune actualit rcente et foisonnante (financement des groupes terroristes, passage leuro, blanchiment et Net- conomie, existence et utilisation des centres off shore et autres paradis fiscaux). Il sera intressant dobserver alors plus en dtail les rflexions et solutions induites et mises en place par les acteurs professionnels de cette lutte contre le blanchiment dargent sale autant dans leurs structures internes que paralllement aux travaux dorganismes internationaux spcialiss en ce domaine. Aussi, dans une premire partie, sera analyse la situation actuelle du processus de blanchiment dans les relations conomiques et financires internationales, la fois sous langle du concept en lui-mme de blanchiment, de son environnement et du cadre juridique de lutte contre cette menace contemporaine (en explicitant plus prcisment le dispositif franais). Dans un deuxime temps, travers lobservation du rle des banques et dautres intervenants financiers non bancaires dans le processus de blanchiment de capitaux dorigine criminelle, seront tudies les tentatives de ractions de ces professionnels. Observes lors dentretiens raliss personnellement et dans le cas prcis daffaires ici dveloppes, seront ainsi analyses les mesure mise en place par ces professionnels en interne pour lutter face la tendance actuelle et grandissante de la criminalisation rampante de lconomie et de la finance internationale. A cette occasion, il sera fait tat du problme toujours dactualit de limplication dans les rseaux transnationaux conomiques et montaires des centres financiers off shore (sorte de retraite dore pour les criminels et blanchisseurs internationaux) et des difficults rcentes mises en lumire par les affaires de financement occulte de groupes terroristes dissidents. Enfin, la troisime partie de cette tude permettra de mieux apprhender les nouvelles menaces que peuvent faire peser les blanchisseurs dans la ralisation de leurs activits, aussi bien en matire de noyautage de socits licites et autres grandes multinationales, que dans la perspective de nouveaux secteurs dintgration des techniques de retraitement de largent sale, (comme peuvent ltre la Net- Economie, le dveloppement de la zone Euro, le march de lart, lutilisation dtourne des ports francs). Ces perspectives, peu rassurantes au demeurant, nous conduiront nous interroger sur les solutions qui sont aujourdhui internationalement et localement proposes pour restreindre de manire efficace, dfaut de lradiquer totalement, lactivit grandissante des blanchisseurs de tous horizons qui oprent actuellement sur tous les fronts et sur tous les continents.

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    PREMIERE PARTIE Interaction actualise du processus de Blanchiment de capitaux avec lconomie mondiale Certains paralllismes paraissent exister de prime abord entre la mise en place dune partie des mcanismes et des institutions de la mondialisation conomique et financire et le recours des modes toujours plus raffins de blanchiment de capitaux. Initialement n de la production et de la commercialisation du trafic de drogue, le blanchiment touche aujourdhui toutes les autres sortes dactivits illgales (racket, trafic darme, prostitution, fraude communautaire, criminalit informatique.). M. Chesnais1 voquait dailleurs ainsi la multiplication des occasions offertes actuellement aux capitaux de se mettre en valeur de faon purement financire, au travers des activits prcdemment dcrites et ce, hors de toute activit de ralisations de biens et de services (on a appel cela la financiarisation accentue des capitaux ). Le phnomne de Blanchiment na pas seulement volu quant la diversit de lorigine des fonds apports pour tre recycls. Le processus a pu innover et prosprer en utilisant les moindres failles et dfaillances du systme conomique mondial et ce, au sein dune intensit croissante des rseaux bancaires et de limportance prise par les marchs boursiers nationaux. De telles modifications dans les relations conomiques ont conduit lmergence dun espace financier de taille universelle, souvent hirarchis et structur mais parfois drglement, dcloisonn et incontrlable plus ou moins long terme (libralisation des flux dchanges, ouverture des bourses nationales aux entreprises trangres, dspcialisation des banques, cration de nouvelles formes de dplacement des liquidits financires). La ralit de cette mondialisation stant traduite par un formidable accroissement du volume des transactions financires, le processus de Blanchiment dargent a du subir des transformations quant son organisation, ses techniques spcifiques dacheminement pour sadapter la nouvelle donne conomique et continuer dtre rentable aux yeux des trafiquants et autres groupes criminels organiss. Ces changements ont entran la ncessaire radaptation une observation plus actuelle du phnomne de Blanchiment, ainsi qu une analyse plus contemporaine de lampleur de ce concept, sans oublier une apprciation plus judicieuse et rigoureuse de cette notion et de sa dfinition au regard du Droit franais.

    1 professeur dconomie Paris XIII et auteur de la Mondialisation du capital-1994

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    SECTION I Constatations prliminaires sur lampleur du phnomne de Blanchiment 1. Le Blanchiment pris comme un vritable enjeu mondial 1.1 Prsentation du cadre Si la criminalit organise sest dveloppe de manire trs importante depuis 20 ans, dlaissant des structures archaques et nationales pour adopter et utiliser des organisations flexibles et tournes vers linternational (emploi de managers et conseillers spcialiss, dploiement de stratgies daccords, programmation de cots, profits et investissements par la recherche dune rentabilit conomique), le domaine de la Finance sest galement profondment transform sous limpulsion dchanges et de rapatriements transnationaux de capitaux et de services. Dans les faits, la finance moderne et la criminalit organise apparaissent ainsi sous certains aspects intimement lis; ce phnomne sera observ tout au long de ce mmoire. Ces deux courants vont en effet se renforcer mutuellement, recherchant les mmes conditions conomiques pour se propager et luttant pour les mmes idaux (rduction voire suppression recherche des contrles tatiques, diversit et segmentation des rglementations et lgislations dsires). Lagent sale emprunte ainsi les mmes circuits que ceux de la finance spculative pour prolifrer ; cest un constat quil est facile de rapporter aujourdhui. Mais autant la question de la quantification des flux internationaux peut tre approche dun point de vue chiffrable de manire assez prcise, autant valuer la taille de lconomie criminelle semble devoir se rsumer en des calculs assez flous et des valuations approximatives. Prenant pour exemple lconomie des drogues, si les spcialistes savent dans quels pays se situent les cultures de pavot ou de coca (on ne parlera pas des pays producteurs dhrone ni des psychotropes chimiques (amphtamines, LSD) car la cartographie est plus complexe), au niveau de ltendue des cultures et de la valeur des rcoltes, les tudes sont dj beaucoup moins dtailles. Le cannabis qui produit lheure actuelle le chiffre daffaire mondial le plus lev pour les trafiquants, est dailleurs encore assez mal connu. A ces variables, il faut en ajouter dautres plus difficilement chiffrable encore (qualit variable des produits finis, pertes subies non valuables par un organisme extrieur, volume des stocks existants non connu). Du coup, les calculs de quantit de drogue produites sont approximatifs et les cots et bnfices valus, acquis au final pour les organisations criminelles, peuvent tre sans doute fort loigns de la ralit. Ce qui est le cas pour le trafic de stupfiant, se rvle galement vrifi pour les autres activits criminelles de type international (trafic darme, despces protges, prostitution, racket, criminalit informatique), les mthodes dvaluation ne pouvant tre au final que le fruit de recoupements ou dapprciations indirectes et danalyses relatives (do limportance de prendre de la hauteur et du recul vis vis des chiffres ici avancs pour le

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    blanchiment et les autres activits criminelles inventories. La plupart de ces analyses et calculs ne doivent ainsi pas tre toujours pris pour argent comptant !). En 1990, le GAFI (Groupe daction financire), cr par le G7 et ayant pour mission de coordonner et dintensifier la lutte contre le Blanchiment au vue danalyses et de rapports circonstancis sur ltat des trafics, avait valu les flux financiers gnrs dans le secteur du trafic de drogue hauteur de 122 milliards de dollars (Europe et Etats-Unis seulement), sans inclure pour autant le trafic de drogues de synthse et le march du cannabis (ce qui portait alors un chiffre global en la matire de plus de 300 milliards de dollars). A lheure actuelle, les experts internationaux situent ce chiffre vers les 500 milliards de dollars, le rapport de lONU dans ce domaine retenant en 1997, la somme globale de 400 milliards de dollars. Mme si ce chiffre daffaire ne donne quune vision parcellaire du volume financier exact devant tre attribu dans lconomie mondiale actuelle au trafic de stupfiant, il semble quil soit un pralable ncessaire pour apprhender le phnomne de Blanchiment, qui se trouve tre la consquence logique de lutilisation postrieure qui sera faite dune telle masse financire criminelle. Cette apprciation chiffre devrait nanmoins dans une certaine mesure permettre denvisager la mise en place de solutions de lutte appropries au niveau local et international, de manire concerte, face au phnomne de blanchiment de capitaux . Ainsi, les estimations qui seront prsentes plus loin dans le dveloppement, devraient suffire pour mesurer lampleur du phnomne de Blanchiment au sein de lconomie moderne et prendre conscience de limplication de ces revenus financiers illgaux dans les circuits lgaux de transferts et dchanges internationaux de devises. Ce serait en effet une aberration de croire que de telles sommes (aussi approximatives soient elles) provenant des diffrents trafics ne puissent tre utilises par les trafiquants que de faon clandestine et autarcique, spares strictement des rseaux financiers mondiaux. Jean de Maillard, dans son ouvrage2 retenait lui mme que le Blanchiment reprsente un phnomne rationnel, organis suivant des objectifs cohrents et raisonns (obtention des profits les plus importants et rinvestissement au meilleur cot), et comprenant des industries bien structures dont lagencement et les modes de dcisions sont semblables leurs homologues de l Economie licite . Pour exemple, les acteurs dun tel march (prsence dacheteurs, vendeurs, grossistes, dtaillants, intermdiaires importateurs, distributeurs et blanchisseurs) ont des bilans faire voter, des profits faire fructifier, voire des pertes sur lesquelles ils doivent rpondre. Aussi, les organisations criminelles, comme toutes entreprises, sont tenues de sadapter la mondialisation financire et la libre circulation des biens, des personnes et des capitaux pour survivre et continuer tendre leur puissance, ce quils font sans mal. En effet, la diffrence du reste des auteurs du march conomique mondial lgal, ils disposent de 3 atouts supplmentaires dans notre monde actuel :

    - un tat de fait o les dmarcations gographiques ont de moins en moins de sens (sauf pour les forces de police et laction judiciaire);

    2 un Monde sans loi -la Criminalit financire en images - Ed Stock Mai 1998

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    - une possibilit de mlange tout fait volontaire et sans aucune morale de leurs activits illgales des circuits conomiques lgaux (la porosit des frontires entre le lgal et lillgal tant dsormais vidente)3.

    - des capitaux financiers prodigieux, pouvant leur permettre de raliser sans limite aucune (ou si peu) leurs objectifs ( le Produit criminel Brut / an pourrait atteindre 800 milliards de dollars, soit le double du chiffre daffaire du march de la drogue dans le monde entier).

    Le temps est donc dpass o les actes de dlinquances pouvaient tre considrs comme des dviances isoles, composes dacteurs individuellement identifiables. Les criminalits organises, commente Aberto Perduca4, sont dsormais enchevtres en profondeur dans la ralit politique, institutionnelle et conomique de nos socit. Elles doivent tre considres dans certains Etats comme de vritables forces pouvant servir de contre-pouvoirs . Il est donc important de mentionner de nouveau que la criminalit internationale moderne ne repose plus seulement sur des organisations dlinquantes dont les activits franchissent simplement et uniquement UNE frontire pour tre qualifie dinternationale. Elle intgre galement la dimension transnationale dorganisations qui oprent lextrieur, sur les marchs mondiaux les plus rentables en utilisant des instruments financiers internationaux adapts. Ainsi, un cartel de la drogue ne pourra prosprer sans logistique, sans comptences techniques extrieures (des courtiers, des conseils ou des avocats) et rinvestir ses profits sans faire usage des techniques complexes et licites de la Haute Finance mondiale (socits crans, compte en banque numrots, holdings financiers). Les organismes criminels dampleur internationale ont su voluer par consquent avec une adaptation croissante aux modes de fonctionnement de l Economie lgale. Cette intgration structurelle des mafias et autres groupes criminels dviants a gnr une extension et un accroissement de leur emprise sur le march conomique et social sain, les activits du crime organis simmisant partout o elles peuvent trouver leur profit, effaant du mme coup les frontires entre lhonnte et le criminel, entre le licite et lillicite. 1.2 Sur le dynamisme de lconomie criminelle intgrer les circuits lgaux Lconomie criminelle est dsormais dynamique et mondialise, les grands trafics ne pouvant plus gure se concevoir que de faon transnationale. Dsormais, elle a dfini, tout comme lconomie lgale, ses proltaires, ses PME et ses grands groupes de type multinationales . Cette professionnalisation des activits criminelles, qui dcoulent de la globalisation des changes et de la mondialisation des flux, suppose, pour une situation criminelle viable, une excellente connaissance de circuits conomiques, administratifs, politiques et financiers et ce, avec une facult dadaptation rapide aux mutations des marchs et aux poursuites plus ou moins efficaces des forces lgales.

    3 pour exemple, selon les juges italiens et les enqutes menes jusqu ce jour, seulement la moiti des revenus de la Mafia proviendrait dactivits illgales et illicites ! 4 magistrat italien de lunit de coordination de la lutte anti-fraude de la commission europenne

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    Aussi, pour optimiser les techniques de blanchiment mises en place (il est ncessaire de rappeler ici que le blanchiment nest plus une fin en soi, mais sintgre dsormais dans les activits criminelles comme une composante parmi dautres), les trafiquants nhsitent pas prlever une part non ngligeable de leurs profits ( en moyenne 25 30 % ) pour sassurer la complicit de personnels au plus haut sommet des Etats (souvent lites politiques, administratives et conomiques) des pays mergents. Ils nhsitent plus galement lembauche de personnes exprimentes sur les marchs boursiers ou de la Haute Finance appartenant aux pays occidentaux, ce qui peut avoir bien entendu des rpercussions sur la dsagrgation des structures tatiques de ces pays. Finalement, des individus ou des organisations dlinquantes ne peuvent arriver au sommet de la hirarchie du crime et dvelopper des structures internationales aujourdhui UNIQUEMENT par leurs seules capacits criminelles. Il faut savoir galement grer ses activits dlinquantes comme nimporte quel chef dentreprise et tre ce stade bien entour de conseillers expriments en la matire ; dautant que laccumulation de richesses procures par ces trafics, toujours hautement rmunrateurs, exige comme nous le verrons, daccrotre encore davantage la complexit des liens avec des activits lgales regroupes autour dun noyau opaque dactivits illgales. Une organisation criminelle ne peut ainsi intensifier son influence et engranger des profits toujours plus importants que si elle repose sur un ensemble de structures illgales flexibles et mouvantes, utilisant des activits lgales vraisemblables et bien intgres dans le tissu conomique. Ces socits de faades doivent non seulement servir rendre invisibles les oprations dlinquantes mais aussi valoriser les profits du crime en les rinvestissant. De telles multinationales du crime ont ainsi permis lmergence et le dveloppement croissant des circuits de blanchiment de capitaux de dimension et de taille mondiale. Ce qui est essentiel de rappeler au stade initial de la rflexion, est la ncessit de constater quaujourdhui, une osmose vritable sest ralise entre les firmes dconomie criminelle et les rseaux habituels de la finance mondiale. L Economie du crime sest fondue dans lconomie lgale, ce qui sest traduit dans les faits par une interdpendance financire et conomique entre les deux marchs initialement parallles. Jean de Maillard rapporte ainsi dans son ouvrage que distinguer le crime organis et la plante financire , ce serait se condamner ne rien comprendre ni lun, ni lautre . Il est, ds lors, parfaitement adquat daffirmer que lconomie criminelle a su se calquer parfaitement et avec un mimtisme tonnant sur l conomie lgale laquelle elle se mle dsormais assez souvent et dont elle adapte les principes de gestion et dorganisation pour son seul et unique intrt.

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    2. Ncessit dobservation du phnomne de Blanchiment par ladoption dune nouvelle grille de lecture Le Blanchiment dargent est un phnomne ancien dans son concept mais dont les modalits de mise en uvre sont rcentes et volutives : -ancien, car de tout temps, lactivit criminelle devait officialiser ses rsultats sous un aspect respectable afin de pouvoir en faire usage, car dfaut celle-ci ne pouvait qutre clandestine et donc peu profitable long terme; -rcent, car dsormais les modalits du blanchiment sont limage du systme financier modernes : volutives, adaptables, sophistiques et internationales. Aussi, dans ce contexte particulier, il nest plus envisageable pour un Etat, si puissant soit-il, de sengager dans la lutte contre les rseaux de blanchiment dargent sans une rflexion pralable et transnationale, sans un soutien et des moyens denqute et de rpression mis en commun avec dautres entits politiques, conomiques et de renseignement. Lactualit rcente dmontre dailleurs, sil devait tre encore prouv, la ralit transnationale du fonctionnement des groupes organiss criminels et terroristes et des rseaux de financement et de transferts ultra rapides de capitaux. Actuellement, ce qui est regrettable est la tendance quont les structures tatiques de tout continent, perdre pied face aux problmes locaux ou nationaux, laissant ainsi la sphre financire exercer seule les rgulations conomiques et sociales que les nations nont plus les moyens dassurer. Cela a pour consquence dengendrer un nouvel ordre mondial o la Finance va dominer les autres secteurs conomiques et sociaux, avec pour objectif primordial la spculation (cest dire, la fois, la recherche du profit maximum -une esprance de gain- et lacceptation dun risque de perte). Ainsi, la Finance exigera toujours plus de gains pour elle-mme et largent ne servira plus dans les conomies lgales financer le dveloppement conomique et social intrieur. Le souci des marchs financiers nest donc plus de redistribuer les richesses produites et acquises par le secteur conomique, mais uniquement d'assurer sa propre croissance. Dans ce contexte spcifique et avec cette mentalit, il est par consquent facile des groupes criminels vocation transnationale de faire usage de tels circuits financiers internationaux brassant des sommes colossales et si peu contrles (ou seulement de manire ponctuelle). Ainsi, ces mmes groupes criminelles raisonnent comme toute entreprise en matire conomique, savoir : faire fructifier ses revenus pour accrotre sa mainmise conomique, avec la possibilit de perdre un peu de son capital pour une meilleure intgration dans les rseaux financiers mondiaux. En effet, on la vu, le blanchisseur tel quil sera dfini dans ce mmoire, fait partie dune organisation puissamment structure et dote de moyens importants. Il sera ainsi capable danalyser avec prcision lvolution de son environnement un niveau transnational voire mondial. Face laggravation de la rpression, mme si celle ci nest pas encore pressante et pesante, il doit sadapter. Cette adaptation relve dun processus permanent combinant deux approches :

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    -dune part une stratgie doptimisation des techniques de blanchiment par une analyse fine de son environnement -et dautre part, une prise en compte des enjeux conomiques du blanchiment. La combinaison de ces deux approches se fera sous langle de diffrents critres dont le principal semble le cost doing business ( savoir, quel cot maximal pour rentabiliser telle filire de blanchiment ?). Dans les faits, ces thories se traduisent par une adaptation constante et vitale de cette criminalit ce qui revient dans le mme temps rechercher pour elle mme: - se protger de la concurrence des autres entits criminelles afin de faire respecter son domaine respectif de prdilection ( ce que lon retrouve galement au final pour toute entreprise sur son propre march), -et viter les contrles mis en place par les organismes et autres structures de rpression et danalyses financires spcialises. Dans cette optique, il est ncessaire pour elle dviter de montrer de manire trop ostentatoire sa richesse et ce, en privilgiant un maquillage subtil de leurs rseaux de recyclage dargent sale (ce qui a pu causer le dclin du cartel de Medellin en Colombie, remplac par des cartellitos plus discrets dans leurs transactions internationales mais tout aussi puissants en sous-main). A ce propos, il parat important de rappeler ici la ncessaire transformation rcente quont opr les structures criminelles de type international constituant sans conteste les plus puissantes et les plus dangereuses de ces entits. En Colombie par exemple, depuis Pablo Escobar, un bouleversement profond sest opr dans la physionomie du paysage criminel local, ce qui nest pas sans incidence sur les structures et rseaux de blanchiment de capitaux utiliss par la suite. Des grands cartels colombiens centralisateurs, intgrs et ordonnateurs, on est pass des micro- organisations dcentralises et totalement flexibles. Le matre-mot est dsormais la flexibilit, car plus ces structures le deviennent et plus elles seront performantes dans la suite du processus de criminalisation rendant la tche des enquteurs et analystes plus complique dans la dcouverte des rseaux de recyclage de largent sale. Lparpillement est devenu alors synonyme de dynamisme . Pour sen convaincre, il ny a qu observer la mafia russe 5; celle-ci est compose dune multitude de groupes assez peu structurs, aux articulations fluides et incertaines suivant le contexte avec lextrieur, mais fortement souds lintrieur. Aussi, le morcellement des organisations nte au contraire rien leur puissance, car une flexibilit suffisante et adquate renforce ladaptation permanente. Do la ncessit de se mfier au plus haut niveau de ces mafias mutantes, dcentralises et flexibles, fortement intgres dans le tissu conomique des socits et qui dveloppent une puissance globale malgr des activits bien locales et cibles. Au final, celles-ci sont partout et deviennent vite invulnrables quand on ne les voit plus nulle part.

    5 pour laquelle dailleurs, il est prfrable dutiliser le terme de groupe criminel russe car si elle constitue bien une communaut dintrts claniques et ethniques, elle nest pas pour autant une Mafia au sens traditionnel

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    (en conclusion de cette section) Rechercher mettre en lumire le fonctionnement de la Finance moderne et lampleur des rseaux financiers internationaux dans lesquels sont ingrs tant de fonds dargent blanchir, nest que la premire tape de la dmonstration laquelle veut aboutir ce mmoire ( mme si il faut remarquer que la majorit du blanchiment dans le monde provient non dune origine criminelle mais de la fraude fiscale). Dmontrer lenchevtrement de ces flux, limbrication des circuits bancaires transnationaux et linterconnexion quasi instantane des places financires mondiales qui servent finalement de poumon lexistence dun march conomique criminel et universel, voil le second angle de vise dont il sera fait usage dans ce devoir et ce sur quoi doit dboucher cette tude. La lutte contre le Blanchiment de capitaux doit devenir vritablement prsent un thme majeur de rflexion et de politique au niveau europen et international afin de constituer un axe fondamental et incontournable pour rendre effective une politique de traitement et de rpression des dlinquants et criminels un niveau transnational. SECTION II Dlimitation environnementale du phnomne de Blanchiment de capitaux 1. Apprhension du phnomne de Blanchiment au regard de sa dfinition 1.1 la notion mme de blanchiment dargent Le blanchiment de capitaux est lactivit criminelle qui a pour but de dissimuler, dobscurcir lorigine illicite dun bien pour permettre son auteur den jouir en toute lgalit, de le faire fructifier ou de financer dautres activits criminelles par la suite. On retrouve cette expression de blanchiment sous diverses appellations suivant les pays. Aussi, par exemple, on pourra parler propos de ce phnomne de : - riciclaggio en Italie, ce qui mettra plus laccent sur ltape successive de rinvestissement de largent sale que sur le simple nettoyage comme pour les autres expressions ; - money laundering dans les pays de common law (Etats Unis, Grande Bretagne, Australie) ; - geldwsche en Allemagne ; - blanchissage en Suisse et au Canada ; - blanqueo en Espagne ; -et de lavado pour certaines lgislations latino-amricaines. En fait, ce qui est courant dappeler le Blanchiment dargent suppose la runion de 4 lments : - des capitaux dorigine illicite (du point de vue de la morale) ou illgale (de par la Loi); - des oprations financires complexes et multiples;

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    - des dtenteurs qui ressentent limpossibilit dutiliser en ltat de tels fonds; - une finalit bien spcifique savoir, dissimuler lorigine de fonds afin de permettre une

    personne ou une organisation criminelle de les remployer lgalement. Etant donn que les activits criminelles produisent essentiellement des revenus en monnaie fiduciaire (disposant encore dun anonymat parfait), le Blanchiment constitue une ncessit fondamentale et indispensable (mais dangereuse) pour tout groupe organis. Il sera ainsi possible de ltablir le plus souvent par la transformation des pices et billets en monnaie scripturale, ce qui reprsente la finalit premire des oprations de recyclage et par leur rutilisation ensuite dans les circuits financiers lgaux. Le Blanchiment serait donc avant tout, une question de pure technique conomique plus quune question juridique (mme si les incidences juridiques sont fort nombreuses). En effet, ce phnomne met en jeu des techniques financires et utilise des processus conomiques souvent complexes et de nature transnationales afin de rinvestir de largent acquis de manire illgale tout en brouillant les pistes. Le phnomne de blanchiment de capitaux apparat donc comme la consquence logique dune criminalit dune part, directement oriente vers la recherche du profit et dautre part, hautement sophistique puisque se manifestant fortement dans les socits contemporaines conomiquement dveloppes et dotes de mcanismes bancaires volus (et ce, mme sil reste possible nanmoins de blanchir encore de manire rudimentaire, suivant une tradition ancestrale voir lutilisation du systme des banques Hawala). Au final , il est possible de rsumer simplement ce que recouvre la notion de blanchiment en reprenant ainsi la formule de Jeffrey Robinson, auteur dun ouvrage de rfrence sur le sujet (les blanchisseurs 1995) : le blanchiment de largent est avant tout une question de doigt ; cest un tour de passe-passe capable de gnrer des fortunes force vitale des trafiquants de drogue, des escrocs, des contrebandiers, des preneurs dotages, des marchands darmes, des terroristes, des racketteurs et autres fraudeurs . 1.2 des difficults de comprhension sur la notion de blanchiment Malgr la dfinition donne prcdemment qui paraissait claire, la notion de blanchiment dargent nest pas dune simplicit exemplaire en pratique. Evidemment, comme il a t rappel, tous les fonds qui proviennent dactivits criminelles de toutes sortes et qui sont remploys de manire lgale par la suite, doivent tre rputs constitus de largent blanchi. Ainsi, les auteurs de ces actes tombent sans aucun problme sous le coup de cette incrimination et doivent tre poursuivis ce titre.

    z Mais dj une difficult survient lorsque lon cherche clarifier le contenu de ce processus au regard de la lgislation entre pays voisins : dans le cadre de lUnion Europenne, les Pays-Bas ont ainsi lgalis la consommation et la vente de cannabis alors que la majorit des autres nations qui lui sont proches ont maintenu un systme rpressif. La noirceur dune activit dans un pays se voit ainsi transform en blancheur dans dautres, ce qui nest pas sans poser des problmes non seulement quant la coopration

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    policire et judiciaire entre ces Etats mais galement pour ltablissement de rgles durables et harmonieuses entre professionnels de la finance qui auraient, bien involontairement, t mls une opration douteuse de ce genre.

    z Dautre part, des problmes de comprhension peuvent galement survenir quand

    le produit de transactions suspectes savre tre ni tout fait blanc, ni tout fait noir , mais plutt gristre Deux exemples mis en avant par M . Herrenschmidt (directeur des affaires internationales au CIC) vont montrer la difficult dapprhension de la notion de blanchiment dans la ralit conomique actuelle :

    - Soit un individu qui va payer le service rendu par une prostitu (action que la morale

    rprouve mais que le lgislateur tolre); la rmunration de lextase minute et tarife est ralise avec de largent blanc , cest dire de largent propre. La prostitue, quant elle, lui conserve sa blancheur si elle rpond ses obligations fiscales, mais la teinte de gris si elle omet de dclarer ce revenu. Le prlvement du souteneur est en revanche dun gris anthracite .

    - Il en va de mme pour celui qui est toxicomane. Malgr un march condamn et rprim par l Etat, les versements effectus au dealer sont de nature blanche (sauf bien sr si les sommes verses rsultent dun forfait pour se les procurer) et ils ne prendront une coloration de plus en plus fonce quau fil de leur circulation entre les dealers, intermdiaires, revendeurs, importateurs et producteurs.

    Le concept dargent sale qui est corrlatif la notion de blanchiment dargent ne peut donc se dpartir dun jugement hautement subjectif sur la nature et la gravit des activits dfendues. z En troisime lieu, il est notable de rappeler que certaines organisations criminelles font galement, ct de leurs oprations de trafics en tous genres, des oprations lgales et pas toujours de faade. On estime en effet, toujours daprs les dires de M.Herrenschmidt, que la mafia italienne ne trouve que 50 % de ses ressources dans des oprations criminelles (drogue 20 %, escroqueries, trafic de cigarettes, extorsion de fonds, fraudes sur les rglementations communautaires), les 50 % restants reposant sur des transactions totalement licites (sponsoring de clubs de foot, amnagement urbain, traitement des dchets). Faut-il ds lors considrer que largent devient noir quand une transaction est ralise par une entreprise rpute criminelle ou faut-il plutt sattacher uniquement lobjet de ces financements ? La question est pose. z La difficult de comprhension et de dlimitation de la notion de blanchiment devient encore plus problmatique lorsque lon considre, par exemple, le trafic darmes dans lequel bien souvent ce sont des Etats ou des personnalits respectables et haut places dans la hirarchie politique qui jouent un rle proche de celui dune organisation criminelle ( Irangate, Angolagate, affaire des contras au Nicaragua). z Enfin, pour apprhender au mieux la nature lgale ou illgale de transactions (et par consquent lappellation dargent sale et de blanchiment de capitaux), il conviendrait aussi de prendre en compte le comportement humain de la personne qui aurait effectu une opration financire limite, voir douteuse.

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    En principe, tous les revenus qui ont sciemment chapp limposition de l Etat, doivent tre considrs comme noirs ou la rigueur gris au regard des dispositions fiscales. Faudrait-il ds lors apprhender les sommes volontairement dtournes de lAdministration fiscale comme constitutives de la qualification dargent sale et incriminer leur utilisation postrieure au titre de Blanchiment de capitaux ? Cest tout le problme galement de lutilisation et de la similitude des sanctuaires de la finance mondiale , que lon appelle indistinctement paradis fiscaux et centres off-shore, et dont font usage aussi bien les trafiquants que les chefs dentreprise peu scrupuleux ou bon gestionnaires (au choix). Malgr la dfinition, au final, peu claire , assez fluctuante et trs subjective de lexpression argent sale , servant de fondement au concept de blanchiment de capitaux , il semble pourtant ncessaire de ne pas entendre trop largement la notion de blanchiment et de la cantonner dans des limites acceptables et raisonnables (et poser ainsi des seuils de tolrance pour lopinion publique) . Cest dans cette intention quil parat nanmoins important de redfinir les divergences existantes entre le processus de blanchiment et les phnomnes d vasion et de fraude fiscale qui ne feront pas lobjet de dveloppements ultrieurs dans cette tude. 1.3 Apprciation du phnomne de blanchiment dargent au regard des divergences avec dautres activits proches, plus ou moins rprhensibles Une distinction essentielle oprer entre argent noir et argent gris a t ralise par M. Jerez dans son ouvrage sur le blanchiment dargent. Voici les conclusions sur lesquelles il dbouche : Le blanchiment trouve son origine et ses sources dans une conomie parallle la finance lgale. Celle-ci est constitue de ce quon a appel la matire premire du blanchiment , cest dire lconomie au noir , lconomie informelle, lconomie cache, le travail au noir, lconomie parallleles mots ne manquent pas pour dsigner vis vis de lopinion publique la partie immerge de lconomie mondiale ou encore la face cache de lconomie . Or, la multiplication des termes ne rend aucunement plus prcis et concret la ralit encore floue qui se rattache au monde des oprations de blanchiment, par nature occulte et opaque. On mlange ainsi trs souvent lexpression d argent gris , fruit dactivits lgales mais non dclares et celle dargent noir ou sale , issue dactivits illgales et criminelles (donc par nature non dclares aussi). Malgr cette confusion, ces deux termes, quoique gnrateurs de flux financiers colossaux empruntant des filires et des circuits identiques, doivent tre bien distingus aux vues de leur finalit et de la rpression divergente dont ils font lobjet .

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    ce que recouvre la notion dargent gris (donc exclue du champ de ce mmoire car ne se rapportant pas au blanchiment de capitaux), donne titre simplement indicatif et informatif :

    - lvasion de capitaux Ce processus correspond ce quon a appel la fuite des capitaux privs (value en 1997 et 1998 par la Direction Gnrale des Impts dans son rapport de 1999, lquivalent de 610 millions deuros chaque anne), cest dire le fait pour de simples contribuables docculter une part de leurs revenus lgaux afin dviter une ponction fiscale trop importante. Lorsque le rapport risques / bnfices est trop dfavorable pour les investisseurs, ceux-ci nhsitent pas faire jouer la concurrence et dapporter leurs capitaux aux Etats plus comprhensifs qui leur promettent de meilleurs rendements et intrts quant leurs dpts. Bien sr, ce qui importe galement en la matire est lassurance dun secret financier bien sauvegard, lanonymat de leurs identits et un moindre formalisme pour entrer et faire sortir leurs devises. Ces demandes sont pareillement poses en matire de blanchiment par les trafiquants qui utilisent des lieux de dpts identiques (marchs du secret financier, marchs off shore), ce qui ne fait que renforcer un amalgame embarrassant entre ces notions. - la fraude fiscale Cette forte pression fiscale que lon retrouve dans de nombreux pays et dont nous parlions prcdemment, a incit depuis longtemps les nationaux frauder limpt au cours des dernires annes. On peut dailleurs raisonnablement penser que chaque rglementation nouvelle institue dans ce domaine, peut paralllement crer une occasion nouvelle de frauder. En fait, la diffrence de lvasion fiscale licite, qui permet lgalement de diminuer le poids de limpt en faisant usage de dispositions lgislatives en vigueur, la fraude fiscale consiste, de manire illgale, ne pas acquitter ses impts, soit en sous-valuant ses revenus, soit en survaluant ses dductions ou ses exemptions (en 1996, les divers syndicats de la Direction Gnrale des Impts faisaient mention dune estimation de la fraude fiscale en France de lordre de lquivalent de 33,5 milliards de francs). Il faut donc bien distinguer la fraude fiscale du blanchiment de revenus criminels. Autant le premier cherchera minorer la base imposable, autant le blanchiment tendra au contraire dissimuler lorigine illgale de fonds en cherchant justifier par tout moyen de lexistence de revenus lgaux (quitte payer des impts dessus ce qui ne drange en aucun cas les trafiquants). Les diffrents actes constitutifs de la fraude fiscale (tels la passation de fausses critures, lomission de dclaration ou la dissimulation de revenus et de capitaux, ou encore lorganisation de son insolvabilit) sont, pour exemple, certes rprhensibles en France et passibles de sanctions civiles ou pnales. Mais de tels actes ne se rvlent pas de mme nature et de mme ampleur que ceux pnaux touchant largent sale, n de transactions et dactes illicites, dlictueux ou criminels.

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    Il est toutefois notable de rappeler que ces deux comportements infractionnels utilisent comme vecteurs de transport les mmes canaux financiers et rseaux conomiques transnationaux. Tous les analystes saccordent dailleurs affirmer que les mthodes utilises ne sont pas de nature diffrente suivant qu'il s'agit de recyclage de capitaux criminels ou de ceux issus de la fraude fiscale. En outre, dans la pratique, le blanchisseur, comme tout entrepreneur, ne souhaite pas forcment voir ses revenus blanchis subir un prlvement fiscal trop important. Aussi nest-il pas toujours vident de distinguer dans un circuit dargent sale ce qui relve vritablement de lvasion/ fraude fiscale et du blanchiment. Diffrentes techniques de type fiscal pourraient tre ainsi rapidement assimiles des rseaux de blanchiment alors quil ne sagirait en fait que de simples manipulations en vue de lobtention dun diffrentiel dimposition6. ce que recouvre la notion d argent noir ou d argent sale : Le volume dargent sale circulant dans le monde est considrable. La drogue est sans conteste le premier poste de ce volume dargent clandestin, mais les autres activits criminelles ne sont pas en reste (racket, escroquerie, prostitution, trafic darmes, de cigarettes, danimaux, dart, de produits ptroliers et matires premires). En fait, le terme dargent sale, qui devra faire lobjet ensuite dun retraitement pour tre blanchi, peut provenir de 3 sources dapprovisionnement envisages de manire trs large, savoir : - 1re source : La corruption (des gratifications dorigines douteuses rprimes de manire

    ingale suivant les pays). Cette notion tellement importante est une technique mise en uvre de manire rgulire par les organisations criminelles internationales; elle peut recouper diffrents comportements :

    Les pots-de-vin, somme dargent verse des fonctionnaires ou autres responsables dots dun certain pouvoir de dcision pour les inciter ne pas faire usage de leurs prrogatives. Le bakchich ou dessous de table, remis aux petits fonctionnaires ou aux subalternes pour les encourager effectuer des tches en lien avec lintrt de lOrganisation.

    Lextorsion de fonds, verss des personnes en position de force afin dviter de leur part des reprsailles. Les contributions aux partis politiques pour obtenir de leurs instances dirigeantes ou locales des faveurs et services varis sur le terrain. 6 par exemple, tel fut le cas de manipulations opres au sein dun groupe de socits, entre une maison mre et ses filiales implantes dans dautres pays du monde concernant des transactions portant sur des prestations de services / transfert de techniques et de marques ou sur des oprations de prt entre socits apparentes en vue de transfert de bnfices

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    Dans chacun de ces cas et chaque fois que lon sintresse ce genre daffaires, on peut observer des mouvements de capitaux trs importants circulant grande vitesse entre structures bancaires ou financires et transitant dans des contres exotiques tout en tant protgs par un secret financier international indfectible. Ces mouvements de capitaux offrent dans le mme temps aux corrupteurs et corrompus, des moyens nouveaux et efficaces pour se constituer des caisses noires disponibles toute heure et en tous lieux, moyennant bien videmment rmunrations des acteurs et professionnels du jeu financier lgal et mondial. Le blanchiment nourrit ainsi la corruption et inversement. En effet, la corruption protge le blanchiment qui nourrit la corruption en un spirale financire qui mne une criminalisation accrue de lconomie. Silencieuse par nature, la corruption va crer une atmosphre de complicit, permettant ainsi de dissimuler, de raliser avec le minimum de risques les bnfices escompts. Elle aura donc comme plus grave consquence de saper les institutions de lintrieur si rien nest envisag pour y remdier. Aussi, plutt que de chercher en permanence mettre au point de nouvelles techniques de blanchiment originales et complexes, il est parfois plus simple et moins onreux aux blanchisseurs et trafiquants de corrompre directement les personnes occupant les postes cls. Cela ne fait que reflter, malgr ce qui a t rappel prcdemment, la possibilit dune indpendance relle pouvant exister entre ces deux concepts dlinquantiels. De toute les manires, si largent na pas dodeur, il na pas de conscience galement; cela est vrifi dans tout pays et en toute circonstance. - 2me source : les infractions la lgislation sur les valeurs mobilires : Cette catgorie, rappelons-le, totalement artificielle et ncessite uniquement par le souci dtre synthtique, comprendra les escroqueries pures et simples (voir arts 313-1 et suivants du Nouveau Code Pnal) et les oprations rprimes en matire boursire. Le dlit diniti par exemple, consiste pour des individus adopter un comportement rprhensible, car disposant cette fin dinformations privilgies sur le march boursier. Ils en font usage directement ou en font profiter des proches pour raliser des oprations sur ce type de march. Un tel acte peut fort bien tre lorigine des fonds faisant lobjet dune opration de blanchiment ultrieure. En effet, parce que le succs dune transaction en matire boursire repose sur une utilisation judicieuse et habile dinformations confidentielles, de tels renseignements, obtenus sur divers vnements tant susceptibles de modifier le cours de telle valeur mobilire ou boursire, et ce avant linformation aux investisseurs et au grand public, peuvent faire lobjet de fructueux gains et revenus financiers quil faudra ensuite rendre licites par le biais dun mode opratoire de blanchiment. - 3me source : les activits clandestines internationales autres : Doivent tre ici regroupes les diffrentes activits dj cites dans ce que recouvrait le terme dargent sale, cest dire :

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    Toutes les activits criminelles faisant lobjet de trafics internationaux (trafic de drogue, vente darmes, trafic dtres humains, trafic duvres dart, trafic de matires premires voire nuclaires .) ainsi que les activits rprhensibles mises en place par des structures organises transnationales et gnrant des sommes dargent trs importantes ( criminalit informatique, terrorisme, faux et contrebande de billets..).

    Il ne faudrait pas omettre galement les activits internationales effectues la demande des Etats eux-mmes, mais ncessitant une certaine clandestinit et une confidentialit dans la ralisation de telles oprations.

    A ce sujet, il est effectivement important de souligner que les gouvernements ont

    aussi besoin de filires permanentes mais opaques de financement (ex : soutien financier d Etat Etat accord mais cach pour viter des troubles intrieurs ; financement de groupes subversifs dans un pays voisin).

    Les services secrets ont ainsi une ncessit vitale de ressources montaires occultes pour financer leurs oprations et payer leurs correspondants infiltrs ltranger.

    De mme, en matire de trafic darmes qui fait lobjet dun marchandage mondial, il

    est vident que de nombreux Etats sont impliqus totalement dans des pratiques occultes de transferts de fonds. Ils utilisent ainsi des techniques de blanchiment de capitaux en faisant usage des mmes acteurs professionnels de la finance internationale que ceux qui sont employs par les trafiquants, et des mmes lieux de transit financiers peu transparents (centres off shore et paradis fiscaux bien entendu).

    Ainsi dfini, le blanchiment doit tre prsent analys au regard du contexte conomique international. Toutefois, il faut prciser tout de suite, en restriction des indications qui viennent dtre apportes, que tous les capitaux issus du crime ne sont pas blanchis pour autant. On pourrait soutenir en effet, quil y a blanchiment chaque tape de lactivit criminelle; ainsi, dans le narco- trafic, le paysan colombien blanchirait de largent lorsquil achterait de la nourriture pour sa famille avec les revenus issus de la vente de sa production de coca. Il ne semble pas adquate de retenir la qualification de blanchiment en lespce. Ainsi, il faudrait mieux utiliser le terme de blanchiment quand le dtenteur des capitaux va utiliser ces revenus en leur faisant subir un traitement particulier (par un enchevtrement de relations bancaires par exemple), mais en aucun cas lorsquil y a utilisation directe par lindividu de ces sommes sans transformation conomique et financire. 2. Explicitation du phnomne de Blanchiment dargent partir de son

    environnement moderne : 2.1 Un contexte mondial volutif et globalis Cest lintensit dans les interconnexions entre les systmes bancaires et les marchs financiers nationaux qui a conduit lmergence dun espace financier mondial.

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    Dans le mme temps, cette internationalisation des flux financiers a permis largent sale de dvelopper ses filires de retraitement et de mieux les rendre opaques toute investigation, en faisant circuler les fonds criminels de manire transnationale et ultra rapide. Les trafiquants de toute sorte nont dsormais que lembarras du choix, en faisant jouer la concurrence entre entreprises non bancaires, socits financires et banques, sur le fameux shop market laundering ou money laundering shopping pour investir leurs conomies illicites dans le circuit bancaire et financier international et rpondre ainsi une offre de capitaux grandissante et soutenue. Il faut donc tre conscient qu tout moment, le blanchisseur trouvera toujours un pays o il sera avantageux de faire transiter son circuit dargent sale, soit parce quil offrira un secret bancaire inattaquable, soit par ce que les forces rpressives sy montreront inefficaces voire complaisantes. Cet opportunisme est ainsi bien rel et ne sera pas facile juguler. Le Blanchiment est donc international au mme titre que les organisations criminelles qui le pratiquent. Peut-on nanmoins parler en la matire de lintervention de criminalit organise transnationale en matire de blanchiment de capitaux criminels ? a) Dtermination des instigateurs et des acteurs en matire de blanchiment Dans un mmoire sur les blanchisseurs, il apparat vident de prsenter un moment ou un autre les individus qui se cachent sous cette appellation gnrique. Qui sont donc prcisment ceux qui blanchissent ? Tout au long de ce mmoire, et cest ce qui fait dailleurs son originalit, nous pourrons nous apercevoir de lutilisation, involontaire ou dlibre, de nombreux intermdiaires financiers dans le processus aboutissant rendre licite des capitaux criminels. Il est vrai quils ont ainsi une part prpondrante dans lorganisation et lamnagement des filires de retraitement de largent sale travers le monde. Sont-ils pour autant les seuls pouvoir tre qualifis de blanchisseurs ? la rponse doit nanmoins tre ngative car sil est exact de bien montrer limpact de leurs actions relles dans le processus de blanchiment, ce serait faire erreur de passer sous silence lintervention initiale de groupes criminels organiss qui apparaissent, ct de dirigeants dentreprise et de particuliers agissant pour leur propre compte, comme les principaux instigateurs et les bnficiaires essentiels de ces rseaux de nettoyage sec de largent sale. Il est vident en effet que le processus de blanchiment de capitaux nest ainsi ralis en majorit que pour amener un transfert de richesses dentrepreneurs et groupes criminels vers des financiers complaisants leur permettant de mieux cacher les profits de leurs crimes. Ainsi, aprs les avoir dtermins, il importe ncessairement de mobiliser toutes les nergies lgislatives, diplomatiques et policires contre les mafieux qui se rvlent dans les faits les vritables promoteurs de toute cette industrie du blanchiment (cartels de la drogue, triades spcialiss dans le trafic des migrants ou le piratage informatique un niveau industriel de logiciels, groupes mafieux grant des filires de prostitution ou des rseaux dcoulement de voitures voles, de produits radio-actifs, nuclaires ou chimiques..). Nanmoins, il ne serait pas justifi alors que se dveloppe une riposte globale en la matire face un crime suppos global. En effet, il ne faudrait toutefois pas tomber dans le travers fort commode de limaginaire dun cartel mondial du crime , dune Worldwide Mafia International (sorte de G6 ou G7 mafieux comme dans les films de James Bond) et que cela dtourne lattention des Etats face la criminalit en col blanc

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    constitue par les intermdiaires financiers agissant au cours du processus de retraitement des capitaux dorigine criminelle pour le compte dorganisations criminelles certes puissantes mais non transnationales . Le problme en lespce est donc de toujours bien garder lesprit que la Pax Mafiosa dont Claire Sterling voquait la ralit et lexistence dans un de ses ouvrages en 19946bis, ne doit rester quune supposition dune expert un moment donne et dans une situation particulire6bis/bis. En outre, lexistence dune socit internationale anarchique de mafias, dune criminalit organise transnationale durable et institutionnalise (regroupant criminels amricains, colombiens, italiens, japonais, chinois de HongKong et russes) dsignant un rseau de mafias au service dobjectifs illicites communs et ouvrant ainsi la perspective dune conspiration mondiale comme le rappelait Gilles Favarel-Garrigues (charg de recherche au Ceri-CNRS) dans un article rcent6ter, ne se trouve confort par aucune preuve tangible lheure actuelle. La criminalit organise transnationale (ou global organized crime), si elle tait visible une certaine poque (voir exemple du dmantlement de la French Connection dmontrant linternationalisation du trafic de drogue7), ne semble plus fond sur des lments consistants aujourdhui. Tout au plus, les rares enqutes srieuses tendent dmontrer que les activits conomiques des mafieux procdent plus de la PME et de lassociation occasionnelle dindividus largement indpendants que de la multinationale hirarchise. En aucune faon, il ny aurait ainsi dassociation durable, dentente et de partage du monde dmontr et persistant entre ces groupes organiss criminels. Il est donc important et ncessaire la bonne comprhension des concepts utiliss par la suite, de bien effectuer la distinction dj ce stade dune mondialisation des mafias peu raliste face leffectivit et limportance dorganisations criminelles nationales puissantes et tournes vers linternational. Il serait en effet des plus prilleux de prsenter une criminalit organise de type international dont il sera fait tat au cours de ce mmoire, comme quivalent une criminalit organise transnationale que lon peut dfinir comme un ensemble de pratiques exerces par des organisations criminelles reprsentant un acteur unitaire au niveau mondial. Le champ daction de ces groupes mafieux demeure ainsi bien plus souvent local que transnational et la varit et lhtrognit de ces organisations criminelles (degrs de centralisation et de coordination, exigences de recrutement et ouverture des associs temporaires externes extrmement variables dun groupe mafieux lautre) conduit ne

    6bis Thieves World : the Threat of new global Network of Organized Crime / Pax mafiosa 6bis/bis certains auteurs ont ainsi soutenu que la prolifration de marchs lucratifs illgaux aurait centralis les groupes criminels au niveau national et largi ainsi dautant le champ des interactions transnationales entre organisations criminelles. Il en aurait rsult une forme de diplomatie transnationale entre mafias nationales fonde sur un intrt commun exploiter les marchs illgaux, cette diplomatie ayant donn naissance une prolifration daccords informels . 6ter la criminalit organise transnationale : un concept enterrer ? in l Economie politique 2002 n15 7 des contrebandiers siciliens venaient se fournir en opium en Anatolie et en morphine Istanbul pour faire travailler des chimistes franais dont la production taient vendue par des rseaux corses aux gangsters italo-amricains, lesquels se chargeaient de lcouler sur le march intrieur (exemple donn par Christian Chavagneux dans son ditorial de l Economie politique 2002 n15)

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    pas les regrouper en un ensemble gnrique artificiel pour dcrire une entit dlinquante dfiant ou menaant de supplanter un Etat. Si mondialisation il y a actuellement, elle exprime alors plutt la mondialisation du crime conomique que celle des mafias. Il sera fait tat de nouveau dans des dveloppements ultrieurs (et en annexe) des difficults que peuvent engendrer limprcision de certains concepts dtermins de manire trop flou pour esprer apporter rellement une avance dans le domaine de lutte contre le crime organise un niveau supranational (voir le rsultat des sempiternels dbats sur les dfinitions de criminalit organise et d organisation criminelle lors de la confrence de Palerme en dcembre 2000 par exemple) b) Application du schma thorique du blanchiment la ralit conomique

    prsente En thorie, on enseigne de manire acadmique que le processus de blanchiment de capitaux se dcompose en trois phases : - le prlavage ou placement consistant introduire largent liquide dorigine criminelle

    dans le circuit conomique et financier normal. Cela correspond au stade o les trafiquants se dbarrassent dimportantes sommes dargent en numraire, soit auprs dtablissements financiers, soit dans lconomie de dtail, soit encore par transfert de devises ltranger;

    - le lavage ou empilage ou brassage devant servir complexifier la dcouverte de

    lorigine des fonds et de lidentit de ces propritaires par laccumulation, la dispersion doprations et de transactions financires en chane et de flux trans-frontires nombreux7bis. Cest ce moment que largent est envoy ltranger en vue de travestir la trace comptable des profits illicites, pour tre intgr dans le systme financier de pays refuges , peu ou non rglements dans ce domaine;

    - enfin, le recyclage ou conversion ou encore intgration consistant faire rapparatre

    les sommes blanchies, par le rapatriement sous forme de transferts inter- banques ou inter- entreprises, en vue dinvestir l Economie et de les utiliser sans risque aprs leur avoir donn une apparence dorigine licite (ce que Franklin Jurado, blanchisseur de renom et depuis arrt, appelait la Sanctification des capitaux criminels ).

    zPremire remarque, cette typologie traditionnelle datant de 1991, mise en vidence par un rapport du GAFI (organisme intergouvernemental cr en 1989 par le G7), permet de schmatiser un circuit idal. Au final, cela ne fonctionne de cette manire que pour les circuits de blanchiment les plus simples, utilisant des procds archaques. En effet, la ralit conomique daujourdhui est dautant plus complexe que les trafiquants ont du sadapter la fois lamlioration des acteurs de la lutte contre le blanchiment au niveau de leurs comptences et de leurs connaissances des stratgies de retraitement de

    7bis (multiplication de virements dun compte lautre chaque compte tant lui mme clat en sous comptes, et acclration des mouvements de capitaux par des allers retours parallles sur plusieurs marchs financiers, en utilisant par exemple le rseau SWIFT)

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    largent sale, mais surtout aux exigences de la haute finance criminelle qui fait tat dsormais de transferts de millions, voire de milliards de dollars. Ds que lon sort des procds rudimentaires de blanchiment, la classification dite classique na donc quune utilit trs rduite. Dailleurs cela ne rime rien de se demander si telle opration fait rfrence plutt au stade de lempilage que du recyclage. La libralisation financire rend caduque en effet la typologie acadmique et classique du processus de blanchiment. On peut ainsi blanchir de largent sans lui faire subir aucun prlavage et sans intgration aucune grce aux contrats SWAP par exemple; de mme, un placement spculatif ordinaire peut tre aussi bien une opration dempilage que dintgration sans pour cela constituer un processus de retraitement dargent sale. Le circuit idal passant par les trois phases n'est donc pas un fait obligatoire . Ces diffrentes tapes peuvent tre successives ou simultanes ou mme ne pas exister dans leur totalit. Voici donc les limites prouves par lapproche classique de la question du blanchiment. zDeuxime remarque, la ncessit, comme il a t rappel prcdemment, de changer, lheure actuelle, de point de vue et dchelle de rfrence en matire de blanchiment de capitaux. Dans notre monde connaissant une conomie tourne de plus en plus vers le virtuel et linformel, il ny aurait plus de gendarmes vritablement institus. Et les voleurs, qui jonglent avec des trsors de guerre sans limite8, sont devenus des spculateurs et de vritables chefs dentreprise comme les autres (avec des exigences de solvabilit, de crdit et des obligations de rendre compte de leurs investissements). Aussi, le blanchiment ne sert plus seulement, au del de certaines limites, rintgrer largent dans les circuits financiers normaux mais plutt lclipser . Il arrive ds lors bien souvent que des capitaux ne rapparaissent jamais (ce que certains appellent les trous noirs de la Finance mondiale ). Cela explique pour partie les diffrences et carts, constats par le FMI et les autres organismes internationaux dtudes et danalyses, dans les balances des paiements de certaines nations et dans les comptes gnraux dune multitude dentreprises parfois de renom De plus, pour approfondir la ncessit de changer de repres lorsque lon parle de criminalit conomique touchant au blanchiment de capitaux, il est notable de prciser que la proccupation du blanchisseur nest plus de rintgrer nimporte quel prix et rapidement largent sale dans les circuits lgaux de lconomie, en faisant subir des transformations quant sa forme . En effet, ils ont tendance dsormais privilgier plus souvent le changement des capitaux en leur possession pour les rendre de plus en plus honorables. Franklin Jurado expliquait lui-mme quil tait inutile de changer la forme des capitaux blanchir, si lon navait pas modifi au pralable leur statut . Pour tayer cette remarque et pousser plus loin la rflexion, il importe de bien montrer ce qui est essentiel pour le trafiquant et renforce son analyse quant la viabilit dun circuit financier et leffectivit dun bon rseau : 8 (exemple en Colombie o les troupes dlite anti-narcos ont dcouvert dans la jungle au cours des annes 90 un hangar avec un sous marin de poche lintrieur, construit lvidence pour transporter des containers de drogue plus secrtement et rapidement : cot de la prise environ 10 millions de dollars)

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    En fait, ce dernier ne peut raliser de bonnes affaires que sil comprend quil ne suffit pas de donner une faade lgitime la dtention de sommes importantes, en faisant par exemple usage de socits crans, dhommes de paille ou des services dune banque de rputation estimable. Il lui faut en outre prparer les preuves pour que lutilisation de cette manne financire soit plausible au regard des capitaux lgalement gagns et dont il est cens lui mme disposer. zEnfin troisime remarque : tout nophyte serait tent de simaginer que la qualit dun processus de Blanchiment (cest dire la scurit pour le blanchisseur induit par la minimisation des risques de se faire prendre) ne dpend que de la longueur du circuit emprunt et de sa complexit (ce qui est seulement parfois vrifi dans la ralit). Dans les faits, il va tre ncessaire de distinguer diffrents cas de blanchiment de capitaux : - le blanchiment dargent peut tre qualifi d lmentaire , quand il vise uniquement

    transformer par un rseau court des liquidits criminelles en argent propre. Ce sont, la plus part du temps, des oprations ponctuelles, pisodiques et dassez faible importance (change de devises dans des bureaux de change, mlange dargent sale avec les profits lgaux dune entreprise).

    - On peut galement utiliser le terme de blanchiment labor en se rapportant des

    oprations de rinvestissement de produits criminels dans des activits lgales plus importante conomiquement, concernant des sommes leves et ncessitant des rseaux plus stables de recyclage et donc moins visibles (par exemple les oprations de spculations immobilires ou boursires).

    - Il est galement parfois fait rfrence un blanchiment sophistiqu impliquant

    lobtention de capitaux en trs grand nombre, dans un court instant et sans commune mesure avec les fonctions remplies et le chiffre daffaire dclar par telle structure. Ici, gnralement intervient la mise en place dun rseau dense de socits criminalises, comprenant souvent des entreprises dimport-export, des holdings financiers, des banques et des compagnies dassurance rachetes en sous-main avec des capitaux dorigine plus que douteuse. Le blanchiment de haute voltige ncessiterait ainsi toute une structure globalise, incorporant des circuits financiers et des conomies lgales en passant par des rseaux dargent sale, fonctionnant alors de manire la fois souple, autonome et hirarchise. Il permettrait aussi de rassembler les meilleurs spcialistes et les comptences internationales de la finance mondiale vers un mme objectif dillgalit.

    Ce quil est ds lors important de retenir ce stade introductif, est le fait que, plus la masse dargent blanchir est consquente et plus il convient que les trafiquants soient discrets et prudents . Plus largent noir sera abondant et plus les techniques seront labores pour un recyclage sur du long terme. La rgle essentielle donc qui prvaut en la matire est de ne jamais laisser apparatre une trop grande distorsion entre les revenus officiels et les sommes effectivement mais officieusement blanchies, tout en apportant en cas d enqutes approfondies, des rponses prcises et des documents en apparence exacts pour expliciter le niveau de vie voqu ou la trsorerie affiche.

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    2.2 Etude de lhistorique du phnomne et analyse statistique du blanchiment

    en cette matire

    a) Historique du blanchiment et de la lutte contre cette activit criminelle

    zLe blanchiment de largent aurait t invent, daprs la lgende, par Al Capone dans les annes 20. Or, aprs analyse et recherche, il semble que cela ne soit que lapanage dune imagerie populaire. En effet, une nouvelle tude en la matire ralise par un reporter dinvestigation amricain8bis vient donner un nouvel clairage sur le rle de Curly Humphreys, financial manager du syndicat du crime de Chicago dans les annes 30 dans llaboration dun processus pouvant tre assimil du blanchiment. Cest en fait lui que lon devrait la mise en place dun vritable systme pens et ralis pour rinvestir dans des investissements licites les capitaux provenant des diffrents trafics se droulant dans cette ville cette poque et faisant alors la richesse du milieu. Ainsi, cest par lutilisation dune chane de laveries automatiques dissmines dans Chicago qutait pour lessentiel maquiller les revenus tirs en ralit de la prostitution, du racket, du jeu et de la violation des lois de la Prohibition. Lexpression de blanchiment pourrait galement provenir de la pratique des distillateurs et des distributeurs amricains (les fameux mobsters ) qui lavaient ainsi leur argent sale. De toute les faons, si le blanchiment est ainsi nomm, cest essentiellement parce que ce terme dcrit prcisment le processus mis en uvre, savoir : -faire subir une certaine somme dargent illgale, donc sale, un cycle de transactions visant le rendre lgal, le laver de son origine criminelle. Dailleurs, le fait dinvestir la fois des fonds dorigine licite et de largent acquis de manire illgale dans le but de dissimuler lorigine de ce dernier, est rest et a trouv de nombreuses fois un cho dans limagination des trafiquants dans leur recherche de la stratgie la plus adquate et invisible pour rinvestir leurs fonds occultes et criminels ( exemple de la Pizza connexion aux Etats-Unis dans les annes 70). zMalgr la complexit de la notion, due en partie lextrme diversit des techniques de blanchiment utilises (un dlit constitu dactes matriels divers et varis qui se succdent dans le temps sans limitation de dure et despace), les normes internationales et nationales ont tent de dfinir et dapprhender ce phnomne afin dtablir une lgislation minimale anti-blanchiment. En fait, le blanchiment de largent est devenu un thme trs la mode dans les annes 90, une prise de conscience quant la criminalit organise se faisant dans de nombreux pays avec la vision de la dliquescence du pouvoir dans certains Etats lors de leffondrement de lancienne Union Sovitique. Les gouvernements ont tout dabord tent de tracer une sorte de ligne Maginot financire pour sparer le monde du commerce lgitime de largent de source illicite et empcher ainsi la

    8bis Gus Russo dans son ouvrage the Outfit : the role of Chicagos Underworld in the shaping of Modern America -avril 2002.

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    contagion de l conomie saine . Cette premire dmarche na pas russi empcher les criminels organiss dinfiltrer les conomies dites respectables . Cest donc dans un second temps que les Etats, aids en cela par des professionnels de lconomie et de la finance, ont dcid de ragir en commun avec plus de vigueur face la menace croissante dun blanchiment plus gnral de l Economie. Cela a commenc avec une dclaration de principe du Comit de la rglementation des banques et des pratiques de contrle (un organisme professionnel et priv) organis Ble en date du 12 dcembre 1988, qui a fix le cadre de lobligation de vigilance des banques lgard de largent sale. Puis la premire initiative internationale importante, visant confrer au blanchiment le caractre dinfraction pnale, a t la Convention des Nations- Unies Vienne le 19/20 dcembre 1988 sur le trafic des stupfiants. Adopte par 106 Etats, elle obligeait dfinir juridiquement, pour la premire fois, linfraction de Blanchiment comme - premirement : la conversion ou le transfert de biens dont celui qui sy livre sait quils

    proviennent dune infraction de trafic de stupfiants ou dune participation une telle commission dans le but de dissimuler ou de dguiser lorigine illicite desdits biens ou daider toute personne qui est implique dans la commission de lune de ces infractions chapper aux consquences juridiques de ces actes ;

    - deuximement : la dissimulation ou le dguisement de la nature, de lorigine, de lemplacement ou de la proprit rels des biens ou droits y relatifs dont lauteur sait quils proviennent dune infraction de trafic de stupfiants ;

    - enfin dernirement : la participation lune des infractions tablies prcdemment ou toute autre association, entente, tentative ou complicit par fourniture dune assistance, dune aide ou de conseils en vue de sa commission .

    Cette dfinition, la fois large et prcise dans son principe, fut reprise par la Convention du Conseil de lEurope Strasbourg signe le 8 novembre 1990 (devant permettre des poursuites judiciaires contre les bnficiaires dactivits criminelles), ainsi que par la directive de la Communaut Europenne du 10 juin 1991 sur la prvention de lutilisation des systmes financiers aux fins de blanchiment. Cest galement le mme esprit qui prvalut dans les dispositions du Nouveau Code Pnal franais larticle 222-38, la suite de la rglementation issue de la loi du 12 juillet 1990 (de celle du 29 janvier 1993 relative la prvention de la corruption) et prcdant celle du 13 mai 1996 concernant la lutte contre le blanchiment et le trafic de stupfiant. Entre temps, le G7 crait le GAFI (Groupe dAction Financire) au sommet de lArche Paris en juillet 1989, organisme charg danalyser le phnomne de blanchiment et de formuler des valuations dactions au niveau international et national . Un premier rapport fut publi en avril 1990 sous la forme de 40 Recommandations servant toujours de rfrence lheure actuelle ( avec des modifications en 1996) et qui mettaient en avant les moyens permettant de connatre les flux financiers clandestins, dans un contexte alors marqu par une libert de circulation des capitaux quil tait impossible alors de remettre en cause. Actuellement cet organisme9 est plus charg de dvelopper une approche globale de la lutte contre le blanchiment en privilgiant la rflexion et la mise en place dune harmonisation des principes de lentraide administrative dans la surveillance des marchs financiers.

    9 en fait un organisme aujourdhui important mais ne constituant nanmoins lorigine quun groupe informel sans statut particulier.

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    Face la globalisation de marchs financiers induit par la mondialisation et la sophistication croissante des transactions, le GAFI se place comme linstigateur et le catalyseur duns surveillance consolide sur le plan international face ce phnomne . Il est ds lors prsent, la fois pour aider instaurer les bases de nouvelles cooprations bilatrales et multilatrales entre autorits de surveillance des marchs et intermdiaires financiers et doit permettre dtablir des standards renouvels et prospectifs en matire de veille des secteurs dits vulnrables aux oprations de recyclage dargent sale. Par la suite, dautres textes internationaux sont venus sajouter, avec toujours lide de faire prendre un plus grand nombre d Etats les mesures ncessaires et adquates pour pnaliser le blanchiment de fonds provenant du trafic de stupfiant ou dautres (Interpol ne pouvait manquer lappel et sest occup du blanchiment avec ses communiqus FOPAC-fonds provenant dactivits criminelles). 10 En Europe, une vague de rglementations en la matire continue tre mise en place de faon graduelle mais ingale et hsitante suivant les lgislations nationales. Nanmoins, il ny a aucun doute sur le fait que la communaut internationale a pris de nombreuses initiatives pour combattre cette forme nouvelle de criminalit transnationale, la rpression du blanchiment exigeant en effet par la nature mme des procdures mises en uvre, une coopration internationale relle et effective (voir pour exemple le Congrs des Nations- Unies La Havane en septembre 1990 sur la prvention du crime et le traitement des dlinquants, qui a notamment tabli des recommandations en vue dlaborer des normes applicables pour faciliter la saisie et la confiscation des fonds criminels). Malgr et cause de toutes ces mesures internationales, beaucoup de problmes sont apparus, contrariant un peu plus la lutte efficace contre le blanchiment de fonds : - tout dabord, il est important de souligner ici lintervention de handicaps dans les mesures

    qui sont envisages pour lutter contre le blanchiment dargent, savoir : Il sagit toujours en ce domaine de la circulation, non de fausse monnaie mais de

    vrai. Ensuite des institutions fort lgales jouent un rle dans cette circulation, comme

    les institutions bancaires et dautres structures non financires. Mme les organisations off-shore sont le plus souvent tablies de faon tout fait lgales, du moins au regard des rgles nationales en vigueur.

    - en outre, il faut rappeler que cette guerre contre le blanchiment dargent actuellement

    engage se droule dans un contexte voulu par lensemble des nations, de promotion dune plus grande libert de circulation des capitaux (ex : le GATT); do un surcrot de difficults pour contrler de manire effective ces capitaux normes qui circulent une vitesses quon a trs souvent peine suivre.

    10 Il est par ailleurs vident, travers cet exemple de liens trs forts unissant le blanchiment au trafic de drogue, que cest ce dernier qui a gnr une plus grande internationalisation des activits criminelles.

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    - le caractre international des actes de blanchiment et des infractions qui le prcdent peut galement susciter des difficults redoutables dans ce secteur spcifique de la criminalit. Comme le souligne le Service central belge CTIF, apporter la preuve des lments constitutifs du dlit pralable au blanchiment, lorsque ces faits ont t commis ltranger par des trangers, constitue pour laccusation de trs lourdes exigences au regard de lurgence et de lefficacit de lenqute et de la poursuite pnales .

    - De plus, une difficult supplmentaire subsiste galement vis vis de lefficacit de la

    rpression en matire de lutte contre le blanchiment du fait de leffet limit des sanctions pnales appliques seules. Leur effet dissuasif se rvle ainsi trs faible au regard des revenus considrables gnrs par les activits illicites.

    Il faut donc lutter contre quelque chose dont on ne connat pas lenvergure de manire prcise mais dont il est facile dimaginer la valeur et le volume sans limite de ces trsors de guerre. Toutes ces remarques et constatations engendrent videmment le dsarroi chez bon nombre des acteurs prenant part cette lutte contre la criminalit financire organise et mettent en tout cas en vidence les problmes rencontrs en matire de collaboration policire et judiciaire internationale.

    b) Statistiques sur le blanchiment

    Lobjectif prsentement nest pas de dresser le palmars mondial des comptes des organisations criminelles, mais plutt dvoquer les mcanismes de lEconomie internationale cache et den estimer lampleur pour mieux valuer la part des fonds blanchis. Dans un mga march unique des capitaux lchelle plantaire, ce serait en moyenne 1 000 milliards de dollars qui seraient brasss par jour. Si lon se rfre la partie la plus sombre et la plus importante des activits criminelles servant de fonds de retraitement du blanchiment de capitaux, (le trafic de drogue), le GAFI estimait en 1990 entre 30 85 milliards de dollars la masse des profits susceptibles dtre blanchis seulement concernant les transactions aux Etats-Unis et lEurope (soit 120 milliards de dollars blanchis annuellement par le systme financier au niveau mondial) rapporter un chiffre daffaire pour les trafiquants concernant la filire de stupfiants situ entre 300 500 milliards de dollars par an (Attention bien noter la diffrence entre des revenus nets, donc des bnfices et le chiffre daffaire ici rapport). Face ces premires estimations, certains experts internationaux ont nanmoins prcis que pour eux , le commerce international de drogue ne dpassait pas 20 25 milliards de dollars par an, car il faudrait plutt considrer le chiffre global au regard du prix de gros (le prix de vente au dtail au consommateur tant au moins 6 fois plus lev). Dautres analystes financiers amricains et europens ont voqu le chiffre de 1 500 milliards de dollars comme reprsentant les flux dargent illicite sur une anne, donc provenant de toutes les activits illgales tenant aux groupes criminels organiss. Ce chiffre fabuleux de 1 500 milliards de dollars correspondrait en fait prs de 8 % du PNB de la plante, soit 3 fois la production annuelle de richesses de lEspagne et plus que celle de la France (1.300 milliards de dollars)chiffres survalus, extrapolations hasardeuses ?

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    Le FMI valuait quant lui le volume annuel des oprations de blanchiment en 1998 dans une fourchette entre 2 et 5 % du PIB mondial, soit une somme comprise entre 590 et 1500 milliards de dollars, sans plus de prcision. Le problme bien rel en la matire auquel on est ds lors confront est la faiblesse et le manque de prcision des sources disponibles concernant le volume daffaire gnr par les rseaux de blanchiment de capitaux criminels. Les organisations criminelles, occultes par dfinition, ne livrent pas dinformations sur leurs activits. Ce sont donc quasiment toujours par le biais de renseignements indirects et de recoupements dinformations que certains services ou organismes institutionnaliss sortent de tels statistiques. Ainsi, par rapport des chiffres discutables et discutes par tous les experts de la plante, limportant est de ne pas poser daccents prophtiques, moralisateurs ou sensationnalistes. Mais la question de lvaluation du blanchiment subsiste quand mme. Alors gonflement des chiffres (pour justifier la demande dun effort budgtaire suprieur) ou estimations sous values ? Jean cartier Bresson, universitaire Reims, se posait la question dans un article rcemment paru10bis. Etant donn quil est impossible de raliser alors de manire rigoureuse ces calculs, il convient de rester trs prcautionneux dans lutilisation de ceux-ci10ter. La consquence grave que cela gnre nanmoins est quavec des chiffres aussi varis et incertains, il ne peut tre possible de fournir des bases claires et prcises pour aider les Etats et organismes spcialiss aux choix de politique publique efficace et raliste en matire de crime organis et de lutte contre le blanchiment dargent. De toutes les faons, cela ne veut pas dire que tout largent obtenu de manire illgale et dont il est ici question soit forcment blanchi ensuite, loin sen faut. En effet, les profits criminels sont souvent affects la consommation ostentatoire des criminels eux-mmes, de leurs familles et de leurs amis, plutt qu lpargne ou aux investissements. Cest seulement lorsque le volume de profits devient trop lev pour tre dpens dans limmdiat que les criminels font face des problmes de stockage et des solutions de blanchiment. Mais, en ralit on ne peut faire, concernant ces chiffres, que tout dabord des conjectures sur la part de cet argent qui est conomis plutt quutilis pour acquitter le cot des dpenses courantes, car rien ne permet de croire que les criminels fassent beaucoup dpargne. Les recherches amricaines et britanniques dmontrent dailleurs que ces dlinquants sont souvent de gros consommateurs qui dpensent leur argent au fur et mesure. En outre, dans les faits, aucune statistique comptable de grande envergure ne peut tayer ces chiffres allgus par ces diffrents organismes. Ce sur quoi tous les experts et professionnels du monde financier saccordent nanmoins, cest que lensemble de ces fonds illgaux se trouve quotidiennement inject dans les circuits financiers internationaux et que les volumes en jeu sont au final trs alarmants. En 20 ans, ce serait prs de 1 000 milliards de dollars (lquivalent ce jour de la dette globale du Tiers-monde) qui auraient t verss loccasion de transactions internationales

    10bis ( voir Compte et mcomptes de la mondialisation du crime in Economie politique 2002 n15) 10ter pour exemple, les estimations de la taille de lconomie souterraine varient, selon les auteurs et les rapports, de 4 33 % du PIB pour les Etats-Unis, de 10 33 % pour lItalie, de 2 11 % pour lAllemagnepourtant ces donnes sont rgulirement utiliss pour calculer le montant global de blanchiment !

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    et qui ne sont jamais rapparus dans lconomie lgal, aucun pays nayant dclar les avoir reu (cette statistique est issue des analyses du FMI entre 1980 et 2000, au regard du dsquilibre des comptes courants enregistrs annuellement et de manire globale pour chaque nation). Au final, 500 milliards de dollars proviendraient de telles transactions criminelles comme la corruption au niveau mondiale, les pots de vins locaux touchant les hommes publics et politiques, laffairisme et les dessous de table verss entre socits , le financement occulte des partis politiques. Autant de phnomnes qui intgrent la finalit de blanchiment et permettraient dexpliquer ce trou noir dans les statistiques internationales. Le reste (la diffrence entre les 1 000 milliards de dollars au dpart et les 500 milliards de dollars correspondant aux flux de blanchiment de capitaux sur 20 ans, ce qui fait peu prs 25 milliards de dollars par an, car il y a eu une acclration des transactions douteuses ces dernires annes, susceptibles dtre rattaches au phnomne de blanchiment) concernerait les fonds clandestins lis la fraude fiscale illgale et la fuite des capitaux licites11. Sachant que cette somme de 500 milliards de dollars est considrable et quelle peut, elle- mme, produire des intrts et des revenus annexes, il nest pas illusoire de dvelopper des hypothses alarmistes et plausibles quant la drive criminelle des circuits conomiques et boursiers mondiaux et la lente dstabilisation de certaines institutions financires. Cette masse montaire immense, videmment de nature dstabiliser les conomies, voire les