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N° 5 Février 2009 Trimestriel Au service de l’Église, communiquer pour les vocations LA REVUE DE LA PASTORALE DES VOCATIONS

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N° 5 Février 2009Trimestriel

Au service de l’Église,communiquer pour les vocations

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5

2009

Jean-François Baudoz n Céline Béraud n Pascal Bourgue

Claude Collignon n Emmanuel Durand n Alexandre Faivre

Vincent Feroldi n Arnaud Gency n Guillaume Goubert

Anne Jacquemot n Romain Marengo n Éric Poinsot

Jean Rouet n Anne-Marie Saunal

Dans ce numéro, parmi les articles de réflexion, signa-lons une intervention sur la bénédiction de J.-F. Baudoz.Bene dicere, bien parler, parole de bénédiction et non pasde mort et de mensonge, fondement de la parole du chré-tien qui prend la route. La contribution d’A.-M. Saunal,regarde le pardon, indiciel d’humanité ; le par-don partici-pe à la qualité de la communication.

Des directeurs de la communication de plusieurs diocè-ses de France ont eu carte blanche pour dire leurs joies etleurs peines, leurs désirs, voire leurs rêves. Certains d’entreeux se sont pris au jeu. Éric Poinsot raconte l’aventure dePrêtres-Academy et la sociologue Céline Béraud procède àson analyse.

Dans les contributions, l’historien A. Faivre fait une ana-lyse critique de la série L’Apocalypse et E. Durand nous invi-te à Laisser Dieu grandir et convertir notre désir.

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N° 5 Février 2009Église et Vocations

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Directeur de la publication : Père Eric Poinsot

Rédactrice en chef : Paule Zellitch

Secrétaire de rédaction : Laurence Vitoux

Impression : Imprimerie Chirat, 42540 Saint-Just-la-Pendue

Conception graphique : Isabelle Vaudescal

Comité de rédaction : Père Eric Poinsot,

Paule Zellitch, Sœur Anne-Marie David

Abonnements 2009 :France : 37 € (le numéro : 12 €)Europe : 39 € (le numéro : 14 €)Autres pays : 45 €

TrimestrielDépôt légal n°18912. N° CPPAP : 0410 G 82818© UADF, Service National des Vocations, 2009UADF, 58 avenue de Breteuil, 75007 ParisTél. : 01 72 36 69 70E-mail : [email protected] internet : http://vocations.cef.fr/egliseetvocations

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Au service de l’Église, communiquer

ÉDITO 5

Paule Zellitch

RÉFLEXIONS

La bénédiction dans la Bible 11Jean-François Baudoz

Un travail du pardon filial, porte de la béné-diction 19Anne-Marie Saunal

A la recherche des bonnes nouvelles 35Guillaume Goubert

Conditions et enjeux d’une communication positive 41Pascal Bourgue

Prêtres-Academy, une aventure au quotidien 51Eric Poinsot / Romain Marengo

Quelques considérations sociologiques sur Prêtres-Academy 57Céline Béraud

Communicant dans l’Église : un métier en pleine mutation 65Romain Marengo

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N° 5 Février 2009

pour les vocations

PARTAGE DE PRATIQUES

Oser communiquer avec tous 77Vincent Feroldi

Pourquoi dit-on que l’Église communique mal ? 85Jean Rouet

Quelques expériences de communication de l’Opus Dei 91Arnaud Gency

La bonne nouvelle d’une vocation 101Anne Jacquemot

Au fil des jours 109Claude Collignon

CONTRIBUTIONS

L’Apocalypse, et après ? 117Alexandre Faivre

Laisser Dieu grandir et convertir notre désir 129Emmanuel Durand

INFORMATIONS DIVERSES

Le Cetad, une télé-formation pastorale et théologique 139

Les Camps inter-jeunes 141

Abonnement 143

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ÉDITO

Parler de « communication positive » en société, entraînecurieusement les réactions les moins diverses qui soient. Les regardss’animent et les voix rajeunissent. Chacun est prêt à entrer dans ladanse des propositions et des suggestions. L’unité se fait immédiate-ment. Toute personne un peu perspicace ne peut que s’interroger etdésirer aller au-delà de ce bel accord pour en vérifier les fondements,voire les illusions. Notre fil rouge : questionner la pertinence duconcept de « communication positive », à l’horizon des vocations pourl’Annonce, en distinguant les différents niveaux de communication.

Il est utile de tenir à l’esprit que savoir, informer, connaître nesont pas synonymes, même s’ils se recoupent souvent dans le langagecourant. Le développement massif des médias tend à la confusionentre ces différents plans, et cela sans la moindre « innocence ». Undes fondements de cette perversion du sens ? Une dérive du conceptd’intelligibilité qui nourrit l’inintelligibilité. Nombreux sont désormaisles individus qui ressentent comme une humiliation profonde d’êtreaffrontés à… un mot nouveau, à une forme savante ! Être affronté au« ne pas connaître » est ressenti comme une vexation. L’informationse minimalise sur la forme et sur le fond ; « on fait court », les liens etles articulations de la pensée sont déplacés vers des lieux peu acces-sibles au commun des mortels. Cette relégation a un effet pernicieux ;plus la masse d’informations déversée augmente et moins la capaci-té d’analyse du sujet est mobilisée ; ainsi, en proportion, peu desavoirs sont partagés et évalués en profondeur. Il nous est désormaispossible d’être informés et ignorants. Plus encore, l’accumulation desinformations reçues nous rend ignorants de notre ignorance… Nepas comprendre les implications profondes d’une information parcarence culturelle, telle est désormais une des nombreuses offres dessupports traditionnels (presse, télévision, radio, etc.) et du multimédia.Certes, il arrive encore que du « culturel » soit proposé sur l’un oul’autre support de communication, mais pour combien de temps ou,pour dire les choses autrement, pour combien d’argent ?

Savoir, temps, argent, voici la nouvelle trilogie infernale ; onpeut pronostiquer, sans trop de risques, le nom du vainqueur à venir.

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En revanche information et argent semblent voués à une cohabitationplus heureuse. Communiquer sur une offre est l’option la plus large-ment ouverte. Ainsi un autre grand pan de la communication, au senstraditionnel, reste tout à fait opérationnel, celui de la propagande quin’est pas sans liens avec la publicité. Il s’agit de dire du bien d’unhomme, d’une idéologie, d’un produit. Tout doit tendre à ce quel‘information donnée donne envie de les suivre, de répandre leursidées, d’acquérir la chose vantée. On parlera volontiers de commu-nication « positive », de « biendisance ». Les membres de tel ou telmouvement, les amis de tel ou tel personnage, politique, religieux ouautre, ne s’exprimeront qu’en montrant des visages heureux et demanière unifiée ; s’ils sont mieux formés, « coachés », ils iront jusqu’àtravailler de petites « imperfections » dans leur communication pourque l’ensemble donne l’illusion de la vérité. Jamais ne seront mon-trées ou suggérées les zones d’ombres, tout sera lissé ; seule la quêtedu bonheur de celui auquel le message s’adresse sera au centre dela communication. La manipulation et le mensonge sont les maîtresmots de ces techniques. Le sens critique du sujet est obéré, favorisantl’indifférenciation ou le fanatisme.

Voilà tout ce que des chrétiens ne devraient pas faire s’ils sou-haitent être dignes du message dont ils sont porteurs ! Mais, para-doxalement, voilà aussi ce qu’ils doivent faire, pour une large part,mais en situant cette tâche à un tout autre niveau et en l’ordonnant àun tout autre Bien, celui du Fils, vivant, éternellement.

Mais alors comment la communauté chrétienne peut-elle mettreen œuvre une communication « juste », « vraie » et dont la clef dusuccès tiendrait justement dans ces deux mots, chemins de salut ?Poser la question de cette manière demande que soient revisitées nonseulement une multitude de pratiques, mais aussi la question de la lan-gue et de la vérité qu’elle doit véhiculer si on souhaite qu’elle soit per-tinente voire performative. Les limites de l’exercice ne nous permettentpas d’épuiser le sujet, cependant, nous sommes frappés par lademande croissante, depuis quelques temps, de témoignages. Rien àvoir avec les récits convenus, pieusards, du passé, souvent réécrits pardes censeurs pleins de bonnes intentions ! Le vrai est désormais alignéplutôt sur ce qui est vécu et transmis comme tel. À nous de travailler

ÉDITO

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ÉDITO

à nous montrer tels que nous sommes, chrétiens, imparfaits maisemplis d’Amour pour Lui ! Une mère Teresa, mais avec ses qualités etses défauts, fait plus pour l’annonce de la Bonne Nouvelle que toutesles autorités et les intelligences du monde. Si nous n’avons pas peurd’être en vérité, nous ne ferons pas peur au monde. Que notre paro-le soit habitée par le Christ plutôt que par de pitoyables stratégies !

Il est difficile à certains de ne pas céder aux sirènes des appa-rences, de la visibilité, au risque d’inverser les priorités et de manquerla cible. Il s’agit avant tout de laisser entrevoir Celui qui se manifestedans « la brise légère »… si légère. Comment donner à voir subtili-tés, silences, et emportements d’amour ? Comment montrer tous ceshommes et toutes ses femmes qui n’ont pas pu ne pas s’avancer versle Christ et qui pourtant demeurent avec leurs frères ? Leurs joies,leurs doutes, leurs fragilités sont les meilleurs témoignages qui soient.Ce ne sont pas des surhommes, mais des amoureux. Certains sontdoux, d’autres bourrus, certains sont séduisants, d’autres ternes. Cespiètres marins s’embarquent pour de magnifiques traversées ; tempê-tes et soleils éclatants, avec le Christ pour boussole. Leurs différenceset leurs faiblesses signent que la force qu’ils reçoivent de s’engager,pour le Christ et pour les hommes, est fruit de pure grâce.

Dans ce numéro, parmi les articles de réflexion, signalons uneintervention sur la bénédiction de J-F Baudoz. Bene dicere, bien par-ler, parole de bénédiction et non pas de mort et de mensonge, fon-dement de la parole du chrétien qui prend la route. La contributiond’A-M Saunal, regarde le pardon, indiciel d’humanité ; le par-donparticipe à la qualité de la communication ; ensemble, ils informentle rapport à soi, à l’autre, et au monde.

Vous lirez des partages de pratiques proposés par des direc-teurs de la communication de plusieurs diocèses de France. La majo-rité d’entre eux sont en exercice. Ils ont eu carte blanche pour direleurs joies et leurs peines, leurs désirs, voire leurs rêves en matière decommunication diocésaine, au plan communautaire, comme au planextra-communautaire. Vous remarquerez, avec plaisir, que certainsd’entre eux se sont pris au jeu. Il n’était pas possible de passer soussilence l’événement Prêtres-Academy. Éric Poinsot raconte cette aven-ture et la sociologue Céline Béraud procède à son analyse.

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Dans la section contributions, l’historien A. Faivre fait, pournotre plus grand plaisir, une analyse critique de la série L’Apocalypseet E. Durand nous invite à laisser Dieu grandir et convertir notre désir.

Bonne lecture ! n

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ÉDITO

Nous vous signalons l’analyse critique mais bienveillante deMarc Foglia, philosophe : Wikipédia, Éditions FYP, 2008, 19,50 €.

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R É F L E X I O N S

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Jean-François Baudozexégète,

Institut catholique de Paris

La bénédiction est un mot aussi beau qu’ancien et aussi richeque suggestif. Il n’évoque pourtant bien souvent dans notre culturecontemporaine qu’une notion légèrement vieillotte et un peu dépas-sée. Quand il n’a pas le sens de « béni oui-oui », le terme évoquechez la plupart ce que l’on demande au moment du mariage ou desobsèques : « Ce sera une simple bénédiction », disent les proches,comme s’ils voulaient rassurer ceux auxquels ils s’adressent. Étrangedérive du sens d’un mot qui évoque d’abord la plénitude de la vie.Voulez-vous qu’ensemble nous partions à la découverte de la richessede la bénédiction, telle qu’elle est présentée dans la Bible ?

La bénédiction est vie

Du latin bene (« bien ») et dicere (« dire »), la bénédiction estdiction et bien. On veut dire par là qu’elle est à la fois « parole » et« action », parce qu’elle est performative : elle produit le bien qu’elleénonce. En ce sens, Dieu seul est efficacement sujet de la bénédic-tion car il n’y a qu’en Lui qu’il n’y a aucun écart entre la parole etl’action. De ce point de vue, la première utilisation du verbe bénirdans le livre de la Genèse est tout à fait significative (Gn 1, 28-31) :« Dieu bénit [l’homme et la femme] et leur dit : “Soyez féconds etmultipliez, emplissez la terre et soumettez-la ; dominez sur les pois-

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La bénédiction dans la Bible

RÉFLEXIONS

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sons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui rampentsur la terre”… et il en fut ainsi. Dieu vit tout ce qu’il avait fait : celaétait très bon. »

Deux points méritent d’être relevés : d’abord, la première béné-diction divine a pour destinataires l’homme et la femme dans leurdifférence ; ensuite, elle a pour objet la profusion de la vie. La béné-diction est ainsi à mettre en rapport avec la création divine, celle desorigines bien entendu, mais aussi la création sans cesse continuée ettoujours à l’œuvre. On ne s’étonnera donc pas si le terme hébreu« bénédiction » (berakah 1) est de même racine que le mot quiexprime la puissance sexuelle, c’est-à-dire la force vitale. C’est quetoute bénédiction divine est riche d’une promesse de vie et de salut(Ps 65 (64), 10-14) : « Tu visites la terre et tu l’abreuves, tu la comblesde richesses ; […] Tu bénis les semailles. Sur ton passage ruissellel’abondance. »

Le Dieu qui bénit est à la source de toute vie. Il revient donc aussiau père, qui transmet la vie, de bénir ses enfants. On connaît la béné-diction d’Isaac que Jacob, le cadet, usurpe par ruse à son frère aîné,Esaü (Gn 27). Ce n’est pas simple vol du droit d’ainesse (Gn 25,29-34) car le récit permet de mesurer à quel point la bénédiction estefficace en réalisant ce qu’elle énonce : c’est Jacob que les nationsserviront et Esaü ne sera que le faire-valoir de son frère. Notremorale réprouve certes la tromperie de Jacob mais force est de cons-tater que le texte biblique considère la bénédiction comme une parolesacrée sur laquelle on ne revient pas : « J’ai établi Jacob ton maître »,dit Isaac à son aîné floué (Gn 27, 37).

À partir de l’Alliance du Sinaï, la bénédiction sera de plus enplus comprise dans le cadre de l’histoire des relations entre Dieu et sonpeuple : lorsque celui-ci est fidèle aux exigences de la Loi, il marchedans la voie de la vie et de la bénédiction. Lorsqu’au contraire il sedétourne des exigences divines, il choisit le chemin de la malédiction.C’est le sens des « deux voies » évoquées dans le livre duDeutéronome (Dt 30, 19-20) : « Je te propose aujourd’hui la vie ou lamort, la bénédiction ou la malédiction. Choisis donc la vie pour quetoi et ta postérité vous viviez, aimant le Seigneur ton Dieu, écoutant savoix, t’attachant à lui. Car là est ta vie. »

Il reste que la parole adressée à Abraham, le père des croyants,garde toute sa valeur à titre de promesse parce que le salut de Dieu

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RÉFLEXIONS

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a vocation à l’universalité : « En toi seront bénies toutes les nations dela terre » (Gn 12, 3).

Béni soit celui que Dieu bénit !

« Béni soit Abraham ! » (Gn 14, 19). C’est le cri qui monte ducœur de l’homme quand il se trouve face à un personnage qui laissepercevoir quelque chose de la générosité de Dieu. La formule debénédiction parsème l’histoire biblique, tant celle-ci est marquée pardes hommes ou des femmes qui sont autant de relais à travers lesquelsDieu révèle et poursuit son dessein de salut. « Bénie soit Yaël, entre lesfemmes qui habitent les tentes ! », lit-on dans le livre des Juges (Jg 5,24). « Bénie sois-tu, plus que toutes les femmes de la terre ! », dit leroi Ozias à Judith, qui vient d’accomplir un exploit en faveur de sonpeuple (Jdt 13, 18). Mais il ajoute aussitôt : « Et béni soit le SeigneurDieu, créateur du ciel et de la terre, lui qui t’a conduite… » Très large-ment attestée, la formule « béni soit Dieu » peut cependant surpren-dre : l’homme est-il en mesure de « bénir » Dieu ?

« Béni soit Dieu ! »

Si la bénédiction a originellement Dieu pour seul sujet, la formule« Béni soit Dieu ! » jaillit des lèvres humaines comme un juste retour dela créature à son Créateur. Du côté de l’homme, la bénédiction estainsi la manière privilégiée de louer Dieu qui vient de se révéler parun signe. « Béni soit le Seigneur… ! » (Rt 4, 14), s’écrient les femmesen apprenant que Booz vient d’épouser Ruth et de lui donner ainsi unedescendance. C’est Booz qui accomplit son devoir envers Ruth maisc’est Dieu qui est béni pour cette bonne action. Il faut dire que l’enfantqui naîtra deviendra l’ancêtre du roi David ! En bénissant Dieu,l’homme n’ajoute certes rien à Dieu, qui est bien « au-dessus de toutesles bénédictions » (Ne 9, 5), mais la bénédiction est comme un flot devie entre Dieu et l’homme : sa générosité déborde de grâce sur lepeuple élu qui à son tour lui rend le trop-plein de sa bénédiction 2.

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LA BÉNÉDICTION DANS LA BIBLE

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Une double bénédiction

On ne connaît guère de Melchisédek que son geste mystérieux : ilapporte du pain et du vin et prononce cette bénédiction (Gn 14, 19-20) :« Béni soit Abram par le Dieu Très-Haut qui créa le ciel et la terre, etbéni soit le Dieu Très-Haut qui a livré tes ennemis entre tes mains ! »

Cette double bénédiction déploie toute la richesse de ce quedésigne le terme. Elle est exclamation enthousiaste devant Abrahamqui vient de battre ses ennemis (Gn 14, 1-16) mais elle remontejusqu’à Dieu qui est à l’origine de la victoire de celui qu’il a choisi.Dieu est ainsi le Béni par excellence. À l’époque de Jésus, quand onne prononce plus le nom de Dieu dans le Judaïsme, on remplace letétragramme sacré (YHWH) par des expressions qui désignent Dieusans le nommer : le Saint, le Juste, le Béni. C’est qu’Il est la plénitudede la bénédiction parce qu’Il en est à la source. Dire qu’Il est « béni »revient à confesser la richesse de sa grâce et donc à lui « rendre »grâce pour sa largesse inépuisable. C’est ainsi que Dieu est le seulqui peut vraiment « bénir » et Il est en même temps le seul véritable« Béni ». « Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël, Lui seul fait desmerveilles ! Béni soit à jamais son Nom glorieux, toute la terre soitremplie de sa gloire ! Amen ! Amen ! » (Ps 72 (71), 18-19).

C’est ainsi que la prière du peuple d’Israël est, parmi d’autresformes telles que la louange ou la confession de foi, une bénédiction,comme le rappelle justement un des premiers cantiques du NouveauTestament, que l’on appelle le Benedictus (Lc 1, 68) : « Béni soit soitle Seigneur, le Dieu d’Israël, qui visite et rachète son peuple. »

« Béni soit Dieu,le Père de notre Seigneur Jésus Christ » (Ep 1)

La bénédiction dans le Nouveau Testament garde évidemment lesens global qui est le sien dans l’Ancien Testament. On y relèvecependant trois orientations qui sont proprement caractéristiques dela bénédiction néo-testamentaire et qui définissent trois types debénédictions.

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RÉFLEXIONS

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« Tu es bénie plus que toutes les femmes ; béni aussi le fruit deton sein », dit Elisabeth à Marie lors de la Visitation (Lc 1, 42). Lapremière de ces deux bénédictions vient en droite ligne de l’AncienTestament (Jg 5, 24, cité plus haut) mais la seconde mérite d’être rele-vée à cause de son caractère singulier. Jésus n’est en effet jamais« béni » dans le Nouveau Testament, si ce n’est, outre ce passage,lors de l’entrée messianique à Jérusalem : « Béni soit celui qui vientau nom du Seigneur ! » (Mt 21, 9 ; Mc 11, 9 ; Lc 19, 38). Ce pointest étonnant et on peut s’interroger sur les raisons de cette étrangeté.Il manifeste en tout cas clairement que, si la bénédiction selon leNouveau Testament puise ses racines dans l’Ancien, elle en retient unaspect non négligeable dont témoigne ce premier type de bénédic-tion : on bénit Dieu parce qu’Il nous a bénis par son Fils Jésus. De cepoint de vue, l’hymne aux Éphésiens est exemplaire et cristallise enquelque sorte la nature de la bénédiction (Ep 1, 3-14) : « Béni soitDieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ : Il nous a bénis etcomblés des bénédictions de l’Esprit au ciel dans le Christ. Il nous achoisis en lui avant la fondation du monde pour que nous soyonssaints et irréprochables sous son regard, dans l’amour.

Il nous a prédestinés à être pour lui des fils adoptifs par JésusChrist ; ainsi l’a voulu sa bienveillance à la louange de sa gloire, etde la grâce dont il nous a comblés en son Bien-aimé : en lui, par sonsang, nous sommes délivrés, en lui, nos fautes sont pardonnées, selonla richesse de sa grâce. Dieu nous l’a prodiguée, nous ouvrant à toutesagesse et intelligence.

Il nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bien-veillant qu’il a d’avance arrêté en lui-même pour mener les temps àleur accomplissement : réunir l’univers entier sous un seul chef, leChrist, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre.

En lui aussi, nous avons reçu notre part : suivant le projet decelui qui mène tout au gré de sa volonté, nous avons été prédestinéspour être à la louange de sa gloire ceux qui ont d’avance espérédans le Christ.

En lui, encore, vous avez entendu la parole de vérité, l’Évangilequi vous sauve. En lui, encore, vous avez cru et vous avez étémarqués du sceau de l’Esprit promis, l’Esprit Saint, acompte de notrehéritage jusqu’à la délivrance finale où nous en prendrons posses-sion, à la louange de sa gloire. »

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LA BÉNÉDICTION DANS LA BIBLE

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Bénédiction et Esprit Saint

Comment caractériser encore l’originalité de cette longue béné-diction adressée à Dieu Père par le Christ ? La bénédiction étant essen-tiellement une largesse divine, l’hymne en déploie toutes les richesses,particulièrement l’adoption filiale « en Christ ». Il n’est cependant pasdit – du moins dans ce passage – que Dieu nous a fait don de son Fils.Certes, le Christ est « mort pour nous » (cf. 1 Th 5, 10 ; Rm 5,8) ;mais, dans la perspective de l’apôtre Paul, c’est nous qui sommes auChrist : « Vous êtes au Christ et Christ est à Dieu » (1 Co 3, 23). Selonl’hymne aux Éphésiens, celui qui nous est donné se nomme l’EspritSaint (Ga 4, 6) et il est « acompte » de l’héritage qui nous est promis(Ep 1, 14). Si le vocabulaire est ici spécifique 3, l’idée de l’Esprit quinous est livré parcourt l’ensemble du Nouveau Testament, comme undénominateur commun au christianisme naissant (« L’amour de Dieua été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a étédonné » : Rm 5, 5 ; cf. Mc 13, 11). Dans son développement le pluscomplet sur l’Esprit Saint, Paul va jusqu’à dire : « l’Esprit habite envous » (Rm 8,9 ). Tel est donc le second type de la bénédiction néo-testamentaire : la bénédiction de Dieu est le don de l’Esprit Saint, àtitre de prémices : « Il nous a bénis et comblés en Christ des bénédic-tions de l’Esprit ! » (Ep 1, 3) Celui-ci a d’ailleurs de la bénédictionvétéro-testamentaire toutes les caractéristiques : il est la fécondité et lavie (Ga 4, 6), il est l’eau qui jaillit en vie éternelle (Jn 7, 38-39), il estpaix et joie (Ga 5, 22), il est la plénitude de la vie. Béni soit Dieu quipar le Christ nous a livré l’Esprit !

Bénédiction et action de grâce

Venons-en à la troisième caractéristique de la bénédiction dansle Nouveau Testament : il n’y a pas de bénédiction sans action degrâce. « La coupe de bénédiction que nous bénissons n’est-elle pasune communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons n’est-il pas une communion au corps du Christ ? Puisqu’il y a un seul pain,

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RÉFLEXIONS

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nous sommes tous un seul corps, car tous nous participons à cetunique pain » (1 Co 10, 16). Paul met ainsi en relation bénédictionet Eucharistie, puisque c’est bien ce rite qu’il évoque en ce passagepour inviter les Corinthiens à l’unité : l’Eucharistie est communion aucorps du Christ, compris comme corps eucharistique et comme corpsecclésial. La bénédiction n’épuise cependant pas à elle seule larichesse de l’Eucharistie puisque ce mot signifie étymologiquement« action de grâce » (eucharistia). D’ailleurs, selon la tradition la plusancienne de la Cène, Jésus « prononce la bénédiction » sur le painpuis « rend grâce » sur la coupe (Mt 26, 26-29 ; Mc 14, 22-25), seconformant par là à l’ordonnance habituelle d’un repas religieuxchez les Juifs de son époque. Dans leurs récits du dernier repas deJésus, Paul (1 Co 11, 23-26) ainsi que Luc (Lc 22, 14-20) reflètentune tradition sans doute plus récente selon laquelle Jésus « rendgrâce » et sur le pain et sur la coupe, la bénédiction n’étant mêmeplus évoquée. Qu’en conclure, sinon que l’Eucharistie ou « action degrâce » accomplit en quelque sorte la bénédiction pour la mener àson achèvement ? Telle est la fécondité de la mort et de la résurrec-tion du Christ : par le don qu’il fait de sa vie, le Fils nous conduitjusqu’au Père pour que nous le bénissions et lui rendions grâce.

Conclusion : bénédiction et confession de foi

La bénédiction est salut aux deux sens du terme : salutation etaction de salut. Prescrite originellement par Dieu à l’adresse desenfants d’Israël mais relue à la lumière de la foi au Christ sauveur, labénédiction du livre des Nombres garde toute son actualité 4 (Nb 6,24-26) : « Que le Seigneur te bénisse et te garde ! Que le Seigneurfasse rayonner sur toi son regard et t’accorde sa grâce ! Que leSeigneur porte sur toi son regard et te donne la paix ! »

Dans le rituel catholique, la bénédiction s’exprime non seule-ment par une parole mais aussi par un geste, qui n’est rien d’autreque le signe de la croix. Elle est donc mémoire de Jésus qui donne savie sur la croix. Mais elle est en même temps confession trinitairepuisque l’on bénit « au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit ».

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LA BÉNÉDICTION DANS LA BIBLE

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Ceux qui portent le beau prénom de Benoît ou de Bénédictenous rappellent en permanence que nous sommes bénis par Dieu quinous bénit en Jésus. Son dernier geste selon l’évangile de Luc estd’ailleurs de bénir ses disciples, alors même qu’il est emporté au ciel(Lc 24, 51). Sa bénédiction a valeur permanente. n

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RÉFLEXIONS

11 -- « Avoir la barakah » est une expression passéedans le français courant pour exprimer la chanced’une personne.

22 -- « Nos chants n’ajoutent rien à ce que Tu esmais ils nous rapprochent de Toi », comme il estdit encore aujourd’hui dans la préface IV du tempsordinaire du Missel romain.

33 -- « L’acompte » appartient au vocabulairecommercial (Cf. Rm 8, 23 ; 2 Co 1, 22).

44 -- Cette triple formule est reprise dans le Misselromain comme bénédiction solennelle pour lasolennité de sainte Marie, Mère de Dieu, le1er janvier.

NOTES

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Anne-Marie Saunalpsychologue clinicienne, psychanalyste

co-animatrice de séminaires sur vie psychique et vie spirituelle

L’invitation biblique à aimer son prochain, à ne pas garder derancune envers lui, à dire du bien de lui devient inatteignable lorsquecelui-ci nous a offensé gravement. La tentation est grande alors pourle sujet de le maudire et de renoncer à la relation. Comment un êtretraumatisé, blessé peut-il vivre un passage authentique, en touteliberté, du maudire au bénir, notamment avec ses parents ; commentpasser de la parole de mort qui juge, condamne, à une parole de viequi fait grandir soi, l’autre et la relation qui nourrit et restaure, quiouvre à la joie ?

C’est le « travail du pardon », long processus de souvenir et dedeuil qui le permet ; il est la porte d’un pardon pleinement consenti,et non d’un pseudo-pardon plaqué par idéal, par obligation et qui nepeut durer, s’incarner dans la personne.

Pour se mettre en travail vers le pardon psychique qui seul peutrestaurer, redonner vie à la relation, la psychothérapie ou l’analyseconstituent un lieu adapté : sur le divan, rares sont les patients qui nedécouvrent pas du ressentiment envers leurs parents, leurs frères etsœurs et eux-mêmes ; cet affect négatif de colère les fait souffrir plusqu’ils ne l’imaginent et ils expriment le désir de retrouver la paix.C’est le processus du pardon qui va les faire passer de la souffrance,du mal traumatique à la Parole et au Désir. Jusqu’où ce passages’avère-t-il thérapeutique ? Après avoir expliqué ce qu’est le « travaildu pardon » aux parents, puis le pardon lui-même, j’évoquerai enquoi il est thérapeutique. Dans ce travail, j’aborde le pardon en

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Un travail du pardon filial,porte de la béné-diction

RÉFLEXIONS

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« clinicienne », sur un plan psychique, mais un rapide détour par latradition judéo-chrétienne me semble nécessaire.

Lévinas, citant le Talmud 1, nous invite à une exigence absolueenvers notre prochain : « les fautes de l’homme envers Dieu sontpardonnées par le Jour du Pardon ; les fautes envers autrui ne lui sontpas pardonnées si, au préalable, il n’a pas “apaisé autrui”. Bien queDieu soit l’autre par excellence, le prochain est plus autre que Dieu »en conclut l’auteur. La réparation est davantage présente dansl’Ancien Testament.

Nous savons combien le pardon est au cœur de la religion chré-tienne. La prière du Notre Père (Mt 6, 12) est claire : nous ne seronspas pardonnés par Dieu si nous n’avons pas pardonné à notre offen-seur. C’est pour notre joie que Jésus nous demande cela ; tant Il saitcombien les relations entre humains sont imparfaites mais essentielles !

En revanche, il nous est « commandé » d’honorer nos parents.Comment y parvenir avec des parents peu honorables ? Honorer enhébreu veut dire non pas aimer mais « donner du poids » à des êtres,à ce qu’ils sont, à leur histoire. Ainsi pour Daniel Sibony, « on peutrespecter le père violeur comme père et l’écarter comme violeur, pourinscrire malgré lui l’interdit de l’inceste ! 2 » Cet exercice ardu nouspermet de nous engager sur notre propre route sans avoir à nousretourner sans cesse vers eux, sans que leur poids nous entraîne à lesmaudire. Ce qui est en jeu, c’est d’accepter ses parents avec leurs limi-tes, leurs manquements ce qui parait parfois inacceptable. Ce comman-dement d’honorer ses parents est le seul assorti d’une promesse, cellede connaître de vieux jours ! Mais comment arriver à dire du bien deceux qui nous ont éprouvés parfois au-delà de nos forces ? En nousmettant en travail vers le pardon, en travail vers la lumière.

Qu’est-ce que le pardon au sens psychique ?

Au sens étymologique, pardon veut dire « don total », donparfait. Il est un don par surcroît, le don suprême, absolu, offert aprèsune offense, par un être blessé, en lieu et place de la haine et du désirde vengeance. Le pardon se situe dans l’au-delà du jugement, il est le

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Don par excellence, le don des dons. Il n’est pas l’excuse, laclémence, la compréhension ni la compassion même si celles-cipeuvent aider à pardonner. Il n’est pas non plus l’exonération, quipeut le remplacer quand l’offense est « impardonnable ». Le pardonest à l’opposé de l’oubli – il est impossible de pardonner une blessureoubliée. Néanmoins, si l’on n’oublie pas, il faut éviter de cultiver sonsouvenir, de l’instrumentaliser. Lytta Basset explique 3 : face à l’impuis-sance engendrée par la blessure, nous pouvons tenter de renoncer auressentiment, de « laisser aller » le mal subi afin que la vie, la relationredevienne vivable, vivante. C’est le sens du mot grec aphiêmi pourle pardon : « laisser aller la dette », « remettre la faute ».

Le « métier de parents étant en quelque sorte impossible »,comme le disait Freud, chacun n’a-t-il pas quelque chose à pardon-ner aux siens ? Le ressentiment peut aller parfois jusqu’à la hainepathogène, pénible et souvent inconsciente. Certains, quelle que soitleur vie spirituelle, ressentent le besoin de faire la paix avec le parentqui les a blessés. Comment peut se vivre ce processus dans la cure ouen psychothérapie alors que le pardon est un concept philosophiqueet religieux qui semble étranger à la psychanalyse ?

Louis Beirnaert, jésuite et psychanalyste écrit : « Le psychana-lyste est tout entier du côté de ce qui est ailleurs appelé pardon. Pasen parlant du pardon au nom de l’amour… mais cela est bien de l’or-dre de l’éthique 4. » Pardonner à ses parents a pu constituer enpratique un critère de fin d’analyse car cela constitue le signe d’uncertain détachement à leur égard.

Écoutons Béatrice : « Mon père, c’est une traîtrise vis-à-vis demoi-même de ne plus le détester. Le problème n’est pas pour moicomment pardonner, mais plutôt quoi précisément. Je me suis cons-truite dans une spirale basée sur le fait qu’il est l’homme à abattremais comme je n’ai pas accepté ma propre existence, je ne sais pasle mal qu’il m’a fait. Et moi, ne lui en ai-je pas fait aussi ? Tout estflou, pourquoi je le hais, pourquoi j’ai pitié de lui ? Je priais enfantpour qu’il meure. Ça me dégoûte de parler de cela, de dépendreencore de lui. J’aimerais que vous ne compreniez pas ce que je dis,d’ailleurs, je suis persuadée qu’en sortant d’ici j’aurai tout oublié. Çane m’appartient pas ! »

Dans ces paroles, tout est là : la construction de soi fondée sur lahaine, la difficulté à définir l’objet du pardon, la réciprocité des offen-

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UN TRAVAIL DU PARDON FILIAL, PORTE DE LA BÉNÉ-DICTION

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ses, la dénégation, le vœu de mort, l’oscillation entre haine et pitié, puisle déni, le refus de tous ces sentiments. Ainsi l’on voit que le pardon nepeut être que le fruit d’un processus psychique, « travail du pardon dontnous évoquerons les phases après avoir cité les préalables.

Premier préalable : après le déni, reconnaître l’offense et la blessure subies

Certains patients ne mesurent pas la violence et n’avouent pasla souffrance subie car ils préfèrent rester dans une illusion relation-nelle avec leurs parents. Plus grave encore, certains s’accusent eux-mêmes de l’offense reçue. Corinne justifie la violence de son père quil’a frappée et insultée par une petite erreur qu’elle a commise. Cespatients agissent ainsi car ils n’ont pas appris à se respecter.

Parfois l’origine de la blessure est repérée mais sa gravité n’estpas perçue. Il en va ainsi de certains gestes « anodins » qui se révè-lent en fait incestueux comme, par exemple, un père qui demandaità ses filles de le laver dans son bain.

Deuxième préalable : parvenir à se rappeler des blessures subies

Alban me dit : « Pardonner c’est cesser de leur en vouloir sansoublier le mal qu’ils m’ont fait. »

Les traumatismes sont souvent refoulés et pourront émerger aucours des séances. Ainsi le patient va peu à peu prendre la mesuredes violences que ses parents lui ont fait vivre ; cela n’était pas aussinormal ni aussi facile qu’il l’avait cru. La violence pour moi c’est toutenon-réponse, ou non-reconnaissance d’un besoin fondamental del’enfant : le besoin de soins, d’amour, de respect, d’éducation, celuid’être respecté dans son statut d’enfant et sa place dans la famille,dans son intégrité corporelle et psychique, celui de ne pas être utilisécomme un objet. Cela ne va pas de soi même dans les milieux ditsprivilégiés, les êtres humains sont d’une grande inventivité enmanière d’atteinte à l’autre. La violence verbale n’est-elle pas la pire

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RÉFLEXIONS

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des blessures ? Certaines phrases assassines s’inscrivent à jamais auplus profond de la mémoire.

Les temps de séparation, l’abandon ou les abus de toute sorte,peuvent être refoulés et oubliés par le patient. Une personne qui a étégardée par ses grands-parents quelques temps peut avoir refoulé cetépisode mais elle souffre d’angoisses d’abandon. Le souvenir pourraresurgir lors d’une séance avec sa charge de douleur et de colère. Letraumatisme sera travaillé afin de moins souffrir des séparations.Certains patients font l’apprentissage de l’auto-compassion, pour lepetit enfant qu’ils ont été, et peuvent apprendre à le consoler en eux.

Troisième préalable : renoncer au repentir des parents

Il est rare que les parents demandent pardon car ils ne sontsouvent pas conscients des dégâts provoqués ! Le patient a besoinque les parents reconnaissent leur faute, et c’est légitime. Danscertains cas ce repentir intervient quand on ne l’attend plus, quandun renoncement a été opéré.

Renée a mis des mois à admettre que sa mère l’avait fortementblessée. Elle se plaisait à répéter que sa mère était incapable de fairemal même à une mouche. Au bout de trois ans et contre toute attente,quand elle a commencé à formuler des reproches à sa mère enséance, puis directement, cette dernière lui demande pardon. Lesparents de toute religion demandent encore trop rarement pardon àleurs enfants, sauf à l’approche de leur mort.

Se rappeler des blessures et des offenses subies, les reconnaîtreau lieu de les nier, ne pas attendre de ses parents qu’ils manifestentleur repentir et, enfin, renoncer à les juger – si l’on tend à tout cela –n’est-on pas déjà entré dans le travail du pardon ?

Le pardon, fruit d’un processus psychique

Emma a beaucoup souffert des absences répétées de sa mère àcause de son travail. Maintenant elle souffre de terribles angoisses

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d’abandon et de crises de boulimie Elle en veut profondément à samère et aborde l’idée du pardon : « Est-ce légitime de vouloir quemaman me demande pardon ; soit je la blesse pour aller mieux, soitje me blesse moi-même. Je dois avancer pour ne pas faire comme elleavec sa mère. » Après cette séance, sa mère lui a demandé pardon etme dit : « J’ai pris une place, j’ai été enfin reconnue, maintenant ellen’est plus toute-puissante. J’ai pu lui pardonner, je me sens en paix. »

Au sens psychique, le pardon est un « acte de pensée » cons-cient donc, marquant le dépassement, le renoncement au ressenti-ment, acte posé au terme de tout un très long processus qui ne peutêtre donné qu’après la cicatrisation de la blessure. Julia Kristeva,novatrice, lui confère « une capacité de guérison, de recréation del’être humain, une issue à la mélancolie et à la répétition 5 », issue dela pulsion de mort. Pour en parler, je me suis inspirée du bel ouvragede Maryse Vaillant 6, et j’ai tenté de comprendre ce qui se passe dansl’inconscient du pardonnant.

Le travail du pardon

En tant que processus, le pardon est très complexe, non linéaireet comporte des phases qui peuvent aboutir au pardon en lui-même ;il implique aussi bien souvent un pardon à soi.

Première phase : la retraversée de sa souffrance

Cette première phase nécessite beaucoup de courage pour lepatient et l’analyste aussi parfois, il convient de travailler les souve-nirs retrouvés. « Si l’on n’entend pas sa souffrance, comme le cri d’unsujet naissant, l’homme sera condamné à ne pas être reconnu commeun fils d’homme promis à la joie de la rencontre 7. » Sinistre souf-france qui nous prive de la plus grande joie, celle de la rencontre !Parfois, lors d’une séance, les patients pleurent pour la première foisdes chagrins d’enfants : courte séparation, cadeau de Noël inexistantou mal choisi, etc. Ce travail de mémoire est indispensable et permet

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RÉFLEXIONS

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au sujet de s’approprier son histoire, de la retraverser afin de lamétaboliser. Il va guérir peu à peu la mémoire blessée du sujet.

Deuxième phase : la colère ou la haine

En cas de grave traumatisme, haine ou colère sont légitimes.Certains ne les éprouvent pas car ils ne savent pas se respecter eux-mêmes, on ne le leur a pas appris. Il m’est apparu en clinique que letransfert peut être un puissant moteur pour que le patient dise sacolère – la souffrance et le transfert étant les deux moteurs de la cure.Si les parents n’ont pas reconnu leurs fautes, c’est l’offensé qui estaccablé de leur poids et ressent une culpabilité inconsciente.

Ainsi le patient va pouvoir se mettre en colère contre sonanalyste, représentant le parent blessant, et parviendra à se libérerau mieux de cette culpabilité inconsciente, un poison. Souvent lespatients n’ont jamais exprimé des reproches à leurs parents et je leurrépète qu’on peut aimer quelqu’un et avoir des reproches à lui faire.Au contraire, si l’on relit bien le commandement : « Tu aimeras tonprochain comme toi-même » (Lv 19, 18), l’on s’aperçoit qu’il est ditjuste avant : « Tu dois le réprimander, ou l’admonester, ainsi tu n’au-ras pas la charge d’un péché à cause de lui » souligne MarieBalmary 8.

C’est bien pour parvenir à aimer l’autre malgré tout qu’il estindispensable de lui faire ce reproche, de tenter de lui montrer le maldont il est l’auteur, même involontairement. Pouvoir affronter l’autreconstitue parfois une petite victoire sur soi. Ainsi le ressentiment perdde son pouvoir, le désir de vengeance pourra être dépassé et lachaîne du mal interrompue.

Souvent un long travail est nécessaire avant d’être prêt à fairele moindre reproche à ses parents ; la peur d’être rejeté paralyse.Quand les parents sont décédés ou se rendent hors de portée,nommer tout ceci sera encore plus précieux. L’analyste peut encoura-ger le patient à exprimer son hostilité afin qu’il ne la retourne pascontre lui-même en se faisant du mal.

Écoutons Marc qui, à quarante ans, est toujours célibataire :« Cette haine de ma mère est terrible car elle m’a fait mourir et main-

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tenant, j’ai peur d’être détruit quand je regarde une femme… Si mahaine disparaissait je n’aurais plus de raison de vivre. »

En effet la haine envers un parent est constitutive du lien. Le sujetdevra retraverser ce sentiment qui pourra se transformer en compas-sion ou en amour. La haine est à l’image des premières rages dubébé, entrelacée à la tendresse pour sa mère, défensive quand l’ex-térieur le frustre, lui fait peur. Mais comme elle maintient dans unenfermement psychique destructeur, culpabilise et angoisse, il estvraiment vital de l’exprimer pour la dépasser.

Le patient apprend d’abord à accueillir cet affect, même sesvœux de mort sans se juger lui-même. Savoir accueillir soi et autruiest le fruit d’un long chemin, mais y parvenir est très libérateur… Deséance en séance le patient va écluser sa haine, sa colère, val’« user » en quelque sorte. Pourtant à critiquer ainsi ses objetsd’amour, il va craindre de les détruire, de les perdre comme lorsqu’ilétait bébé. Il risque alors de retourner sa colère contre lui sous formede dépression.

Troisième phase : le risque de dépression

Cette phase douloureuse permet au patient de se différencier unpeu plus de ses parents. Elle est due à tous ces remaniements. Làaussi, le psychanalyste saura être contenant, un peu plus présent.C’est cette position résolument adoptée qui permettra au patient devivre différents renoncements et deuils : celui du parent idéal, de larelation idéale, de son statut de victime, de souffrant, de l’histoirequ’il aurait aimé vivre, de celui qu’il aurait aimé être. Il aura àaccomplir le deuil de la souffrance et du passé afin de pouvoir entrerdans une autre trajectoire.

Cet état dépressif entraîne la cohorte de symptômes bienconnus : ralentissement, émoussement des affects, perte du désir devivre, fatigue et douleurs diverses. La profondeur et la durée de l’épi-sode dépressif varient bien sûr d’un sujet à l’autre.

Après cette étape, une ouverture intérieure advient, conduisantà une forme d’acceptation de son parcours, de ses épreuves d’enfantet de ses parents tels qu’ils sont. Mais c’est avec nos blessures et pasmalgré elles, que nous sommes invités à parcourir notre route, avec

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RÉFLEXIONS

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ses blessures plus ou moins bien cicatrisées, car acceptées. Cetteépreuve peut ouvrir certains à une dimension spirituelle. Chacun peutlui trouver un sens, sans dolorisme de mauvais aloi.

Quatrième phase : du renoncement à l’acceptation

Cette étape est essentielle car il est impossible de pardonner tantque la souffrance est trop vive. Le patient cherche souvent à compren-dre le comportement de ses parents. Il pourra peut-être intérioriser quele parent fautif, compte tenu de son histoire et de sa pathologie, n’a paspu agir autrement, même s’il lui a fait subir le pire. Quand il parvientà se libérer du pouvoir octroyé à ce parent, le regard sur lui peut chan-ger, le patient peut le regarder de nouveau comme un être humain.

Le pardon à soi

Le sujet peut prendre conscience que lui aussi a pu blesser sesparents, ou qu’une part de lui a été complice des blessures subies. « Ila fait de son mieux, celui qui n’a pu faire autrement », écrit Freud aupasteur Pfister. Ces propos si justes aident l’analysant à changer deregard sur l’enfant qu’il a été. Dépasser sa culpabilité permet de separdonner – préalable indispensable au pardon à l’autre : ainsi lapersonne ne sera plus liée, détruite par le mal qu’elle a fait et pourrapoursuivre plus légèrement sa route. « Le pardon rend le fardeauléger » écrit Kierkegaard. Cette culpabilité de s’être trop peu défenduest longue à se résoudre, tant sa source et son ancrage sont profondsdans l’inconscient. Elle empêche de s’estimer, de s’aimer suffisam-ment. Comment en effet pouvoir à la fois se haïr et se pardonner, sehaïr et exister ?

Certains patients se trouvent « trop nuls » pour vivre tout cela,pour se pardonner. Notons cependant que pour Hannah Arendt, lepardon n’existe que dans l’altérité. Je crois possible ce pardon, quis’adresse en quelque sorte à un autre en soi.

En la matière, chaque cas est unique, singulier, il ne faut surtoutpas se faire violence pour aller plus vite, chacun fait comme il peut.

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Le pardon en lui-même

Le sujet donne ou pas ce pardon, une fois le processus accom-pli. Cela n’appartient qu’à lui, chaque pardon est unique et mysté-rieux et personne ne peut en juger.

Robin souffre de paranoïa mais il a accepté de se soigner.J’assiste au long processus de transformation de sa haine pour sonpère. Un jour il m’annonce qu’il l’a revu et a pu lui dire son amour.Libéré, il pleure de joie en me l’annonçant. Sans être guéri de sapsychose, il vit maintenant plus sereinement. L’acte du pardon lui aapporté une paix supérieure plus profonde que le seul processus detransformation de la haine. Le patient vit le pardon qu’il accordecomme le signe tangible de son évolution intérieure.

Aux États-Unis, il existe des « thérapies du pardon » qui plani-fient un pardon en un certain nombre de séances. Il existe un risquede pardon trop rapide, car le patient peut se sentir obligé de pardon-ner. Comme pour le don, une obligation de pardon n’aurait aucunsens. Il faut déjouer un autre risque : à vouloir trop « réparer » leparent des sentiments hostiles qu’on a pu nourrir envers lui, on peutlui accorder un pseudo pardon, de culpabilité. En revanche, la capa-cité de sollicitude dont parle Winnicott, peut faciliter le passage dubesoin de réparation au pardon.

Cécile a été mise en pension à sept ans. Sa mère l’y a recon-duite d’autorité alors qu’elle l’avait supplié de venir la chercher,croyant qu’elle ne survivrait pas à la séparation. Ma patiente a réussià lui pardonner en reconstituant l’histoire de sa mère. La haine adisparu. Cette haine qui l’a fait cruellement souffrir a mis des annéesà s’atténuer. Elle l’avait transférée sur moi et posait en cure de multi-ples actes agressifs qui lui ont été salutaires.

Pardonner ne signifie pas tout accepter de l’autre sans respectpour soi. Il n’y a pas forcement une reprise de relations, ni réconci-liation, mais une relation plus juste. Le pardon donné n’est jamaisdéfinitif, cent fois sur le métier il faudra remettre cet ouvrage. Il estparfois asymptotique quand il porte sur un acte très grave. C’estsouvent dans l’après-coup que l’on se rend compte du pardon donné.Le pardon n’est pas magique. Il reste parfois impossible. On peut s’yprédisposer, non s’y contraindre. Il s’agit d’accepter nos limites, nos

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incapacités. En dernier ressort, n’avons-nous pas à nous pardonnerde ne pas parvenir à pardonner totalement ? Le don, le pardon nouséchappent sans cesse.

Je me suis interrogée sur la visée thérapeutique de ce processusainsi que sur les mécanismes psychiques qui l’ont rendu possible.Paul Ricœur 9 estime que le pardon peut être thérapeutique, à travers« le double processus de souvenir et de deuil qu’il implique ».

Le travail du pardon, un double processus du deuil et du souvenir, est-il thérapeutique ?

C’est du parent qui a été blessant qu’il s’agit de faire le deuil,ce qui semble a priori impossible. On pourra vivre seulement un deuilrelatif qui est un détachement nécessaire pour moins souffrir.

Selon Freud « nous ne savons renoncer à rien, nous ne savonsqu’échanger une chose contre une autre ». Le travail de deuil consisteà « se détacher degré par degré de l’objet d’amour », lequel est aussiobjet de haine – jusqu’au point où il pourra être de nouveau intério-risé dans un mouvement de réconciliation semblable à celui, opéré ennous par le travail du souvenir 10. Freud explique que, comme lepatient répète au lieu de se souvenir, le psychanalyste se « doit de luidemander de trouver le courage d’affronter sa maladie et ses souve-nirs. Ainsi, le travail du souvenir met un terme à la compulsion derépétition ». Le patient pourra accéder à la remémoration conscienteen séance, puis à la perlaboration, processus thérapeutiques.

Puis il aura à vivre le deuil de son « mal ». En russe, le motrancune signifie « mémoire du mal ». Comment dépasser cetterancune et transfigurer notre mémoire blessée ? Il s’agit d’humaniserce souvenir, de l’assimiler ; c’est grâce à cette humanisation de lamémoire qu’on sera en mesure de vivre belles relations.

Ricœur poursuit : « Personne, pas même Dieu, ne peut modifierce que l’on a vécu. » Mais le sens de ce qui nous est arrivé n’est pasfixé : on peut appréhender différemment les choses dans un effetd’après-coup en se situant du point de vue de l’autre, on peut enmodifier le récit. Il s’agit de convertir le sens du passé. « Le travail dusouvenir nous met sur la voie du pardon en délivrant l’autre de la

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dette. L’oubli passif quant à lui, est une fuite, une stratégie d’évitementqui constitue une entreprise perverse de mauvaise foi. » La mauvaisefoi constitue un mal, à partir duquel on ne peut avancer. Le pardon nepeut se fonder sur cet oubli de mort et non de vie. Mais « en contre-partie et en complément de ce travail du souvenir, existe un oubli actifet libérateur » qui rend possible la disposition au pardon.

L’offense commise fonctionne comme une dette que le parentcontracte auprès de son enfant. Tant que le regard de l’offensé sur lepassé ne se modifie pas, le parent reste débiteur.

Ainsi, poursuit Ricoeur, « le pardon se trouve à la convergencede ces deux processus de souvenir et de deuil, mais il ne peut se résu-mer à leur addition : il s’ajoute en apportant ce qui en lui n’est pastravail, mais don. Il accompagne l’oubli actif lié au travail de deuil etc’est à ce titre qu’il peut devenir thérapeutique. Il porte sur la dette quiparalyse la mémoire, pas sur la trace de l’événement ». Celui qui nelibère pas l’autre, son parent, de la dette créée par l’offense, enchaî-nera ses propres enfants.

Deux outils psychiques vont servir le proces-sus de pardon : le transfert et la conversion dela haine

Le transfert est l’ensemble des affects que le patient projette surl’analyste et qui s’adressent en quelque sorte à ses parents dans soninconscient. Le transfert sur l’analyste de ses affects hostiles va deve-nir un puissant moteur du processus de la transformation de la haine.

De fait, le sentiment filial envers la mère est ambivalent dès ledépart. Chez le bébé, la haine est plus ancienne que l’amour.Cependant, cette haine primaire n’est pas opposée à l’amour, aucontraire, elle assure la conservation du moi chez le bébé pour quil’extérieur, quand il est frustrant, est perçu comme un danger.

Cette transformation de la haine va opérer une distance àl’égard du parent concerné, un certain détachement salutaire, unepacification, car la haine c’est encore du lien. Pardonner nécessited’être un peu distancié de ses parents. Il peut s’agir, de renoncer en

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quelque sorte à la haine, de travailler à s’en défaire. Haïr ses parents,ses origines, une partie de soi, est un désastre psychique.

La haine que le sujet éprouve se révèle par des symptômes telsque les idées de persécution, des obsessions, des maladies identiquesà celles du parent blessant, comme dans l’hystérie. Pour Freud, ladisparition du symptôme exige une reconversion de cette haine, « unrenversement de la pulsion dans le sens inversé » 11 autrement dit enamour. La haine sera convertie. Avec mes patients j’ai constaté que,si cet affect ne disparaît pas totalement il perd de son pouvoir dedestruction. Pardonner permet une disparition de ces symptômes ouun allègement.

La violence de la haine est à convertir, à mettre au service del’amour et cela passe par le pardon. Si l’analyste accompagne cestransformations, en toute rigueur, il n’est pas là pour les provoquer,ni pour « éduquer » son patient.

Christophe a été très abîmé par la maladie alcoolique et laviolence de son père. Plus tard, il se voit confier la mission d’aller visi-ter des prisonniers. Quand l’un d’eux lui parle du mal qu’il a fait àsa femme, Christophe est saisi de compassion et pour la premièrefois, sans angoisse ni haine, il voit le visage de son père se dessinerà côté de celui du prisonnier. Le processus du pardon est entamé,après quelques mois de cure.

Pour Julia Kristeva 12, la psychanalyse a l’ambition de « dénouerla folle vérité de la haine ». Cette ambition ne pourrait être séparéede celle du pardon théologique, de la renaissance de sujet. Selonelle, l’inconscient doit transiter par « l’amour du pardon » pour neplus être enfermé dans la pulsion de mort.

Le pardon, porteur de guérison ?

Grâce au pardon, le sujet pourra changer de trajectoire et arrê-ter de se détruire pour se venger de l’offenseur. Cette transformationlibère son cœur et son corps, une paix intérieure s’installe. Le sujetsera restauré par ce pardon, qui lui permettra d’aimer de nouveau leparent blessant. En effet, la pire blessure n’est-elle pas de devoirenfouir au fond de soi, pour se protéger, l’amour que l’on éprouve

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pour un parent ? Le pardon libère presque de soi ; il permet de mieuxvivre avec le traumatisme subi, il répare la mémoire qui se retrouvevive et pacifiée et permet parfois une vraie renaissance. Il constitueune des seules issues au mal subi. Or, ce processus n’est-il pas unecomposante de tout parcours analytique ? Comme pour la guérison,ne peut-on pas dire que le pardon n’est pas au bout du chemin, maisqu’il est le chemin.

L’interprétation de l’analyste,un pardon des temps modernes ?

Pour Julia Kristeva 13, Freud a mis en œuvre l’interprétation quiserait une variante post-moderne du pardon. On ne peut s’empêcherde penser au sacrement de l’absolution que le prêtre donne au péni-tent, lui transmettant le pardon de Dieu. Le pardonné retrouve la paix,s’allège. En cure, grâce à l’écoute bienveillante le patient est mis horsjugement, comme « pardonné » d’avance de ses turpitudes secrètes.Peut-on dire qu’avec l’interprétation, l’analyste est dans le don, dansle don parfait ? L’écoute, même rémunérée, est-elle un don ? Denombreux patients m’en ont remerciée, ils la recevaient comme uneforme d’amour. L’analyste fait ainsi don de sa parole interprétatriceet celle-ci permet au patient d’avancer, d’être parfois apaisé.

Mais jusqu’où peut-on associer la psychanalyse et la confes-sion ? Pour le catholique, la confession est un sacrement, une théra-peutique de l’âme, un don de Dieu. L’interprétation du psy, quant àelle, est une parole, thérapeutique du psychisme, humaine, limitée.Elle est un don, du symbolique, mais inscrite dans une relation nongratuite. Pour moi, l’interprétation ne constitue pas un pardon au sensstrict, mais elle peut permettre d’y accéder

Cette « potentialité de pardon en l’Homme », constituant ce qu’ily a de plus sacré, peut-elle être considérée comme « la spécificité del’être humain » ? Cette question nous ouvre à l’essentiel : je pense quele pardon nous fait accéder au sacré, telle une respiration hors denotre nature blessée. En pardonnant, l’homme blessé exerce une

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RÉFLEXIONS

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capacité symbolique sacrée, telle l’empreinte divine située au plusintime de son être, porteuse de Vie. Ne parvient-il pas ainsi à aimerle prochain qu’est son parent ou au moins, à l’honorer ? Le pardonaux parents permet d’entrer dans la joie de la relation vivante, restau-rée, alors qu’elle était perdue. Ainsi la relation négative pathogènepourra-t-elle devenir plus saine, plus adulte dans la réalité. Le pardonne restera pas un vœu pieux, un idéal inatteignable mais un proces-sus de désir, de vie, concernant l’être humain tout entier. n

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UN TRAVAIL DU PARDON FILIAL, PORTE DE LA BÉNÉ-DICTION

11 -- Emmanuel LÉVINAS, Lectures talmudiques,Éditions de Minuit, 1968, 2005.

22 -- Daniel SIBONY, Les trois monothéismes, Paris, LeSeuil, 1998.

33 -- Lytta BASSET, Le pouvoir de pardonner, Paris,Albin Michel, 1999.

44 -- Louis BEIRNAERT, Aux frontières de l’acte analy-tique, Paris, Seuil, 1987.

55 -- Julia KRISTEVA, « Dostoïevsky, une poétique dupardon » in revue Autrement, Le pardon, n°4, avril1991.

66 -- Maryse VAILLANT, Il n’est jamais trop tard pourpardonner à ses parents,Paris,La Martinière,2001.

77 -- Maurice BELLET, L’écoute, Paris, Desclée DeBrouwer, 1989.

88 -- Marie BALMARY, Le sacrifice interdit - Freud et laBible, Paris, Grasset, 1986.

99 -- Paul RICŒUR, « Le pardon est-il thérapeu-tique ? », Esprit, n°210, mars 1995.

1100 -- Sigmund FREUD, « Deuil et mélancolie », inMétapsychologie, Paris, Gallimard, Folio Essais,1989.

1111 -- Sigmund FREUD, Introduction à la psychana-lyse,Paris,Payot,coll.« Petite Bibliothèque »,1988.

1122 -- Julia KRISTEVA, Pouvoirs et limites de la psycha-nalyse, Paris, Fayard, tome 3, 2005.

1133 -- Op. cit.

NOTES

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PPssyy,, ddéélliivvrreezz--nnoouuss dduu mmaall !!Une analyste face à la souffrance et au pardon

Anne-Marie Saunal

L’être humain reste souvent attaché àsa souffrance.Comment peut-il sortir de cet

engrenage mortifère ? Subis ou commis, le mal, la perversion, demeurentune terrible énigme, puisant leur source au cœur du psychisme. En quoi lapsychanalyse est-elle alors un lieu de guérison ? Au cours d’une psychothé-rapie, est-il possible de pardonner à des parents qui nous ont fait subir degraves traumatismes ? Le pardon peut-il alors se révéler une issue au mal ?

En évoquant de nombreux exemples tirés de sa pratique analytique,Anne-Marie Saunal explique avec clarté et humanité comment en l’incon-scient de chacun agit l’inexorable pulsion de mort.

Loin d’être sombre, le message de Psy, délivrez-nous du mal ! est pleind’espoir et de lumière. Grâce aux témoignages de renaissances opérées « surle divan », ce livre permet de comprendre en quoi la cure renforce la pulsionde vie et peut constituer une passionnante aventure intérieure.

Titulaire d’un DESS de psychologie clinique et pathologique, Anne-Marie Saunal est psychanalyste et membre affilié de la Société de psychana-lyse freudienne. Elle anime aussi des groupes de supervision pour écoutants.Elle a participé à l’ouvrage Oubliez votre âge, il vous oubliera (Flammarion,2001). Elle donne des conférences et co-anime des séminaires sur le thèmede l’articulation du psychique et du spirituel.

Éditions de l’Atelier, 2008, 176 pages, 16 €

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Guillaume Goubertrédacteur en chef à La Croix

Au cours des dix dernières années, la diffusion de La Croix aconnu une progression de près de 15 %. Progression surprenantealors que ce quotidien se situe sur deux marchés en régression : lenombre des lecteurs de presse quotidienne payante est en diminution,celui des catholiques aussi.

Parmi les explications que l’on peut donner à cette évolution àcontre-courant, il y en a une qui semble jouer un rôle important : noslecteurs apprécient de trouver dans La Croix davantage de « bonnesnouvelles » que dans les autres médias. Ils sont sensibles à notrevolonté de mettre en valeur les faits qui nous paraissent « porteursd’espérance ». Notre quotidien est désormais connu pour donner unepriorité aux informations positives.

Cette caractéristique rédactionnelle n’est pas née d’un « posi-tionnement », au sens marketing du terme. Les responsables de LaCroix ne se sont pas mis un jour autour d’une table pour une séancede remue-méninges sur le thème : comment se distinguer des autresquotidiens ? Cette prime aux bonnes nouvelles, elle s’est imposéetoute seule dans ce qui constitue depuis longtemps notre projet :porter un regard chrétien sur les événements du monde. Si nousvoulions être fidèle à cette promesse, l’espérance ne pouvait êtreabsente de notre hiérarchie de l’information.

Ce sont en fait les réactions de nos lecteurs qui nous ont faitdécouvrir le prix qu’avait à leurs yeux cette part d’espérance. Nousavons ainsi longtemps privilégié les informations positives, comme

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À la recherche des bonnes nouvelles

RÉFLEXIONS

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M. Jourdain faisait de la prose : sans (vraiment) le savoir. Et c’est bienainsi : il est préférable dans ce domaine de garder une certaine ingé-nuité, de se préserver de tout cynisme.

Pour tirer quelques leçons de cette expérience, il faut d’abordessayer de comprendre pourquoi les mauvaises nouvelles tiennenttant de place dans les médias. On peut d’abord répondre par desadages célèbres parmi les journalistes : « Les trains qui arrivent àl’heure n’intéressent personne. » Ou, avec un peu plus d’ironie : « Unchien qui mord un homme, ce n’est pas une information ; un hommequi mord un chien, c’est une information. » Ce qui « fait nouvelle »,selon l’expression italienne, c’est ce qui crée une rupture dans lecours habituel des choses. Une rupture est souvent quelque chose debrusque, qui déstabilise et qui inquiète.

Pour sa part, le philosophe Michel Serres, dans un entretienaccordé à La Croix en octobre 2006, poussait la réflexion un peu plusloin en insistant sur la propension des médias à privilégier le specta-culaire dont l’essence, disait-il en citant Aristote, est « la terreur et lapitié ». Cette propension, soulignons-le au passage, se développed’autant plus qu’elle répond à une attente instinctive de tout un chacun.Qui n’a pas été captivé un jour par des images de catastrophe ?

La prédominance des mauvaises nouvelles est alimentée enfinpar un troisième phénomène : la volonté de mettre en lumière lesdrames du monde, non pour désespérer mais au contraire pour mobi-liser. Lorsque de grandes associations tirent la sonnette d’alarme,annoncent une catastrophe humanitaire au Darfour ou à Gaza, c’estpour inciter à l’action, parce qu’il est possible de faire quelque chose.

Tout cela, en tout cas, peut finir par susciter en nous un sentimentqu’exprimait bien une chanson de Stephan Eicher en 1991 (les paro-les sont du romancier Philippe Djian) : « J’abandonne sur une chaise lejournal du matin. Les nouvelles sont mauvaises d’où qu’elles viennent. »

Or, cette masse des informations sombres – à la fois réelles etmontées en épingle – fait en réalité obstacle à notre perception deschoses. Elle empêche de voir et de mesurer les formidables change-ments que traverse notre époque et qui, pour beaucoup d’entre eux,représentent d’authentiques progrès sur lesquels personne ne souhai-terait revenir.

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RÉFLEXIONS

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Dans les années 1960, l’Inde connaissait encore de meurtrièresfamines. En France, en 1954, année où l’abbé Pierre lançait son célè-bre appel, à peine plus d’un quart des logements (26,6 % selon lesstatistiques de l’Insee) étaient équipés de WC intérieurs.

Il faut mesurer le chemin heureusement parcouru par l’Asie versla sécurité alimentaire, par la France vers de meilleures conditions devie pour le plus grand nombre. Ce qui n’empêche en rien de se mobi-liser pour remédier à la malnutrition dont souffrent de nombreuxIndiens. Et pour donner un toit à ceux qui, en France, ne parviennentpas à se loger dignement.

Il y a donc des informations qui donnent envie de vivre et d’agir,qui montrent que l’homme n’est pas condamné à subir on ne saitquelles forces obscures le conduisant à sa perte. Comment alors trou-ver ces bonnes nouvelles à apporter à nos lecteurs ?

La première conviction qu’il faut avoir, c’est qu’elles existent.Parfois de manière évidente : ainsi lorsque Nelson Mandela etFrederik De Klerk ont conclu, en 1991, les accords qui ouvraient lavoie au démantèlement de l’apartheid en Afrique du Sud. Parfois,c’est beaucoup plus ténu, fragile. Comme par exemple les bribes dedialogue de ces derniers mois entre Turcs et Arméniens.

Dans les deux types de cas, il faut résister à une tentation, celledu « cela ne marchera pas ». Tentation justifiée. Comment ne pas s’ensouvenir avec tristesse : dans les années 1990, on a cru à la paixentre Israéliens et Palestiniens. Mais le risque de l’échec justifiait-il dene pas saluer et encourager ce processus ? Car cela aurait pumarcher : l’exemple de l’Afrique du Sud ou de l’Ulster le prouvent.

Et qui sait ? Ce qui a été tenté et vécu alors a peut-être laissé destraces dans les esprits qui aideront, un jour, à construire autre choseentre les deux peuples. C’est un peu ce qu’exprimait l’écrivain israé-lien David Grossman au lendemain de la visite de Jean-Paul II enTerre sainte, en mars 2000 (quelques mois avant que n’éclate ladeuxième intifada) : « Je ne sais pas ce qu’il restera de tout celaaprès son retour à Rome. Probablement recommenceront les animo-sités et les conflits. Mais, pendant une semaine, nous avons senti lesouffle d’un esprit différent, un esprit de réconciliation et d’une vielibérée de la haine. Pour ce petit grand miracle, moi, juif et non-croyant, je lui dis : merci, Jean-Paul II. »

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À LA RECHERCHE DES BONNES NOUVELLES

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D’autres bonnes nouvelles sont moins aisées à déceler car ellesne se font pas remarquer. Là aussi, des proverbes le disent bien :« Les gens heureux n’ont pas d’histoire. » Ou encore : « Un arbre quitombe fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse. » Les trouverdemande donc un certain état d’esprit, un certain entraînement. Uneforme d’hygiène mentale, un peu comme dans cette jolie phrase deJacques Prévert : « Il faudrait essayer d’être heureux, ne serait-ce quepour donner l’exemple. »

Les bonnes nouvelles, il est nécessaire aussi de leur faire de laplace. Car elles paraissent rarement urgentes face aux malheurs dumonde. C’est pourquoi, dans La Croix, nous avons créé des rubriquesdestinées à les abriter : « Ce qui va mieux », « Une idée pour agir ».À la fois pour mettre ce type d’informations en valeur et aussi,avouons-le, pour nous pousser à en chercher.

Il est important, à ce stade, de préciser qu’il ne s’agit en aucunemanière de peindre la réalité en rose. Nous ne cherchons pas àpasser sous silence les mauvaises nouvelles. Elles existent bel et bien.Chanter « Tout va très bien, Madame la Marquise » ne serait pas unemanière chrétienne de regarder l’actualité.

Notre volonté de ternir les deux bouts de l’actualité, l’ombre etla lumière, trouve son fondement dans l’ouverture de la constitutionpastorale Gaudium et Spes que s’est donnée l’Église lors du concileVatican II. Ces deux mots, parce qu’ils forment le titre, nous fontoublier la suite de la phrase. Il faut la citer en entier : « Les joies et lesespoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, despauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et lesespoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’estrien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur. » Lestristesses et les angoisses de l’humanité méritent toute notre attention.

Ajoutons que passer sous silence ou minimiser les mauvaisesnouvelles serait une manière très sûre de dévaloriser les bonnesnouvelles que nous publions. Celles-ci ne sont crédibles que si ellestrouvent leur juste poids dans l’actualité.

Autre réflexe à acquérir, celui de s’interroger : les mauvaisesnouvelles sont-elles aussi mauvaises qu’il apparaît en premièreanalyse ? Il faut faire l’effort de regarder les choses autrement. Sedécaler, se décentrer. Ajouter une dose d’humour peut y aider.

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Lors de l’assemblée pour l’Europe du Synode des évêques quise tint à Rome en octobre 1999, les premières interventions furentextrêmement pessimistes. Le rapport introductif insistait sur tous lessymptômes de la crise que traverse le catholicisme en Europe, notam-ment en matière de vocations sacerdotales.

Comme souvent en pareil cas, l’excès de noirceur suscita lelendemain une contre-vague d’interventions exprimant davantage deconfiance en l’avenir. Notamment celle de Mgr Josef Zycinsky, arche-vêque de Lublin, en Pologne : « Il est vrai que certaines statistiquesactuelles auraient tendance à accroître notre pessimisme. Mais quel-les statistiques aurions-nous pu attendre le Vendredi saint ? Un seuldes Douze était présent sur le Golgotha au moment de la crucifixion.Ce qui nous donne un taux de 8,5 % pour la solidarité des apôtresenvers le Christ mourant. En même temps, cela nous indique que lepouvoir rédempteur de la Croix et de la résurrection du Christ estbeaucoup plus important que nos analyses sociologiques ou nosprojets pragmatiques. »

Bel exemple d’un esprit qui ne se soumet pas à la dictature deschiffres (une des grandes plaies de notre époque) et qui nous amèneà voir la réalité sous un autre angle.

De la même manière, un titre récent de La Croix a eu beaucoupde retentissement parmi nos lecteurs : « Et si la crise était unechance ? » Ce jour-là, nous avons essayé dans notre dossier d’ou-verture de montrer que la tourmente actuelle offrait une occasion debâtir un fonctionnement économique moins dominé par la finance etle court-terme, d’amorcer enfin cette croissance verte et durable donton parle depuis tant d’années.

On aurait pu s’attendre à des lettres de lecteurs choqués d’unetelle approche : comment osez-vous présenter comme quelque chosede positif cet événement qui signifie des pertes d’emploi en très grandnombre, la ruine pour beaucoup d’épargnants ? Cela n’a pas été lecas. Ce qui montre la disponibilité du public à ce type d’approches.

Quelque chose semble d’ailleurs être en train de bouger cheznos confrères. Il est frappant de constater que la plupart des quoti-diens, à un moment ou à un autre depuis que la crise financière aéclaté, ont bâti des dossiers pour souligner les éléments de confiancedemeurant dans la tourmente.

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À LA RECHERCHE DES BONNES NOUVELLES

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Il est significatif qu’une agence d’information dénomméeReporters d’espoir se soit constituée il y a quelques années, proposantdes articles sur des faits « porteurs de solutions », notamment dans ledomaine de l’économie sociale, du commerce équitable… Plus signi-ficatif encore : deux années de suite, le quotidien Libération a montéun numéro spécial avec Reporters d’espoir. Si l’opération a été réédi-tée, c’est que les retours en provenance des lecteurs ont été bons.

Longtemps, les médias ont refusé de s’interroger quant à leurimpact sur le moral des ménages. La profession semblait considérerque son seul devoir était d’apporter à la connaissance de ses lecteursou auditeurs les nouvelles les plus importantes – c’est-à-dire, commeon l’a vu, les plus dramatiques.

Désormais, les médias semblent donc commencer à s’interroger.Ils en ont sans doute assez de constituer en quelque sorte le plus puis-sant dépressif non chimique en vente sur le marché. Et cette prise deconscience constitue… une bonne nouvelle. n

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RÉFLEXIONS

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Pascal Bourguediacre permanent,

directeur de la communication d’une grande entreprise française

Nous vous proposons ici de très larges extraits de cetteintervention, donnée le 15 mai 2008 lors de la journée deformation permanente des responsables des services diocé-sains des vocations, sur le thème « Comment communiquer“positivement” sur les vocations ? »

Je suis heureux d’être parmi vous pour parler d’un sujet impor-tant et vital pour l’Église : les vocations. Vous avez raison de vouloircommuniquer sur les vocations et vous avez raison de prendre dutemps pour prier et réfléchir à la communication sur les vocations.Quel discours positif sur les vocations ?

Les enjeux d’une communication positive dans les médias, c’estun vaste sujet où l’on pourrait parler des médias, des cibles, des tech-niques de communication et des occasions de communiquer. J’aichoisi dans un premier temps de tenter de répondre à la question :quelles sont les conditions d’un message positif sur les vocations ?Quel message positif sur les vocations veut-on faire passer ? Quelletrace positive veut-on laisser après notre communication ?

Pour cela je vous propose quelques pistes : la préparation del’intervenant, le cœur de la communication, puis nous parlerons de lamission, de la formation et de l’Église. Dans un deuxième temps, nousparlerons de la communication en réseau et des médias adaptés à lacommunication sur les vocations.

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Conditions et enjeux d’une “communication positive”

RÉFLEXIONS

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Les conditions d’un message positif sur les vocations

La préparation de l’intervenant

Pour avoir un discours positif sur les vocations, il faut se prépa-rer ou préparer la personne à construire et à formuler le contenu dumessage. C’est le plus important et le plus difficile. Rares sont lescommunications réussies dans les médias sans préparation. Je peuxdire que cela n’existe pas. Tous les intervenants sont longuementpréparés par des conseillers en communication ou des agencesspécialisées. Les dirigeants d’entreprises, les hommes politiquespassent beaucoup de temps pour construire un discours positif. Ils ontbeaucoup de réunions préparatoires, de répétitions et de trainings.

Pour parler des vocations, nous aurons besoin bien sûr de cespréparations et de ces répétitions. Il ne faut pas les négliger, mais ilconvient d’aborder ce travail dans la prière en invoquant l’EspritSaint pour grandir en intériorité, pour rester, si je puis dire « bran-ché » sur le Christ. C’est une exigence mais cela donne aussi unegrande liberté. Je vous invite à lire Jean 15, 1-17. Chacun refera unelecture appropriée de ce texte avec des mots qui résonnent différem-ment pour chacun : les mots de serviteurs, d’amis, de disciples. Ce quiest certain, c’est qu’il y a deux interpellations très fortes. Si vousdemeurez en moi, si vous vous aimez les uns les autres, vous porte-rez du fruit. Le désir du Père, c’est que nous portions du fruit quenotre fruit demeure. Et, le seul fruit qui demeure c’est la charité, c’estl’amour. Une vie spirituelle « branchée sur le Christ » va se traduirepar un comportement de charité. C’est cette vie de charité, nourriepar la prière et le service, qui est la meilleure préparation à unecommunication positive sur les vocations.

Que doit être le cœur de cette communication ?

Il nous faut, me semble-t-il, témoigner d’une rencontre avec lapersonne du Christ. Ce qu’attendent les médias, c’est de voir

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RÉFLEXIONS

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comment Dieu a rejoint une personne dans son parcours à l’occasiond’un événement de sa vie […]. Dans l’évangile (Mc 8, 27-33) Jésusnous pose cette question : « Mais pour vous, qui suis-je ? »

[…] Je connais une paroisse qui pendant plusieurs années atenté de répondre à cette interrogation. Je vous invite à faire l’exer-cice et à répondre par écrit en quelques lignes à ce questionnement.Pourquoi ? Parce que, quand on répond à l’appel d’une personne, ilest important de donner envie à d’autres de suivre cette personne,comme un ami parle de son ami. « Mais pour vous, qui suis-je ? »(Mc 8, 29). La réponse à cette question, il faut que nous soyons capa-bles de la dire, de la formuler.

Une des façons de répondre à cette question est de contempler(Jn 13, 1-18) le Christ serviteur. Serviteur du Père, serviteur des pluspauvres, des plus démunis. […]

J’ai entendu le Père Ceyrac commenter ce passage d’évangilele visage illuminé d’un grand sourire, le même sourire que sœurEmmanuelle ou celui qu’avait Mère Térésa. Ces personnes sont habi-tées d’une immense joie et elles n’ont pas peur de dire qu’elles viventdu compagnonnage de notre Seigneur Jésus-Christ.

[…] C’était à Rome, le 20 décembre dernier, quand le présidentde la République a rencontré Benoît XVI. Son allocution sur la voca-tion religieuse a été très médiatisée car elle est inhabituelle dans labouche du président d’une république laïque. Elle a suscité et susciteencore beaucoup de controverses et polémiques dans toute la presse.[…] Revenons quelques instants sur le contenu de cette déclaration,sur ce que le président de la République appelle la laïcité positive,c’est-à-dire une laïcité, qui tout en veillant à la liberté de penser, decroire et de ne pas croire, ne considère pas que les religions sont undanger mais plutôt un atout.

« Je souhaiterais, dit-il, me tourner vers ceux d’entre vous quisont engagés dans le sacerdoce ou qui suivent actuellement leurformation de séminariste.

Ce que je veux vous dire ce soir, en tant que président de laRépublique, c’est l’importance que j’attache à ce que vous faites et,permettez-moi de le dire, à ce que vous êtes. Votre contribution àl’action caritative, à la défense des droits de l’homme et de la dignitéhumaine, à la formation des intelligences et des cœurs, à la réflexion

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CONDITIONS ET ENJEUX D’UNE “COMMUNICATION POSITIVE”

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éthique et philosophique, est majeure. Elle est enracinée dans laprofondeur de la société française, dans une diversité souvent insoup-çonnée, tout comme elle se déploie à travers le monde. Je veux saluernotamment nos congrégations, les Pères du Saint-Esprit, les PèresBlancs et les Sœurs Blanches, les Fils et Filles de la Charité, lesFranciscains missionnaires, les Jésuites, les Dominicains, toutes cescommunautés qui, dans le monde entier, soutiennent, soignent,forment, accompagnent, consolent leur prochain dans la détressemorale et matérielle.

En donnant en France et dans le monde le témoignage d’une viedonnée aux autres et comblée par l’expérience de Dieu, vous créezde l’espérance et vous faites grandir des sentiments nobles. C’est unechance pour notre pays, et le président que je suis le considère avecbeaucoup d’attention. Dans la transmission des valeurs et dans l’ap-prentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur nepourra jamais remplacer le curé ou le pasteur, même s’il est impor-tant qu’il s’en approche, parce qu’il lui manquera toujours la radica-lité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté parl’espérance. »

[…] Même si l’on sait très bien que ce n’est pas Nicolas Sarkozyqui a écrit ce discours, le fait que le chef de l’État s’exprime sur lavocation sacerdotale et religieuse en ces termes est un exemple inat-tendu de « communication positive » sur le sujet qui nous intéresseaujourd’hui. Nous verrons cependant, un peu plus loin, que les médiasutilisés ne sont pas adaptés aux objectifs que nous poursuivons.

Une « communication positive » sur les vocations, c’estaussi parler de la mission du prêtre ou du consacré

Dans l’entreprise, on appelle cela la feuille de route ou ladescription de fonction. Ce qui est intéressant, c’est de parler de l’ori-gine de la mission du prêtre. Jésus, dès le début de son ministère,« appela à lui ceux qu’Il voulut […] Il en institua Douze pour être aveclui et pour les envoyer prêcher » (Mc 3, 13-14). Les prêtres commeles apôtres continuent la propre mission du Christ : « Comme le Pèrem’a envoyé, moi aussi je vous envoie » (Jn, 20-21).

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Et là, la communication doit montrer des hommes et des femmesen situation dans leur paroisse, leur communauté, en évoquant, ladiversité des situations des personnes, ainsi que leur richesse.

Regardez comment sont réalisés les films de recrutement dans laMarine nationale. On voit des jeunes en situation de travail dans unsous-marin ou sur des dragueurs de mines. On voit à l’entraînementdes commandos de marine en pleine action, parachutés en mer. Lesprêtres aussi sont parfois un peu parachutés dans leur paroisse.

Vous le savez bien, peu de gens savent ce que fait un prêtre,quel est son quotidien. Peu de gens connaissent personnellement unprêtre. S’il faut donc parler du contenu de la mission, il faut aussi lefaire positivement. Un séminariste me disait récemment : « Je remer-cie les quelques prêtres qui ont su me dire très simplement : “je neregrette pas, tu sais, c’est vraiment un beau parcours, répondre à cetappel, ça vaut la peine !” et ce qui m’a séduit, c’est qu’ils savent direleur joie d’être prêtre. »

Ces images de prêtres en situation, permettent d’imaginer, de seprojeter et cela est positif. Aussi, il convient de montrer la liturgie. Unebelle liturgie est une communication positive. Le soin apporté à la litur-gie (que ce soit la messe ou la prière des heures), la façon dont la litur-gie se déploie, les vêtements liturgiques. Tout participe à une commu-nication positive. Les jeunes y sont sensibles. Le soin apporté parcertaines communautés à la liturgie me semble intéressant. Il suffit devoir l’attraction des liturgies de Taizé : c’est très simple et c’est beau.

Au moment des JMJ à Paris, vous vous en souvenez, le cardinalLustiger avait choisi, pour la veillée, de montrer des baptêmes d’adul-tes. Cette liturgie du baptême par elle-même est un acte de commu-nication très important, à condition qu’elle soit célébrée avec intério-rité. Donc, de belles célébrations liturgiques sont des actes positifs decommunication sur les vocations.

Nous pouvons parler aussi de la formation

Parler du sérieux et du soin que l’Église apporte à la formationdes futurs prêtres. Nous pouvons aussi détailler le contenu de cetteformation. Le profil et la qualité des intervenants. Une formation

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CONDITIONS ET ENJEUX D’UNE “COMMUNICATION POSITIVE”

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renouvelée, repensée, en association avec d’autres diocèses peut êtreattractive pour les vocations.

Enfin, il nous faut parler de l’Église

Même si c’est une entreprise particulière, elle fait partie aujour-d’hui des rares entreprises qui embauchent. Il convient de multiplierles occasions de rencontres avec les jeunes, par exemple : JMJ, forumdes jeunes, salon de l’étudiant, le Frat. Cela me semble important carnotre seule présence est un acte de communication. Il faut soulignerl’importance de la rencontre d’un prêtre dans un chemin de vocation,qui est souvent un élément « déclencheur » ou « catalyseur ». Il fautdonc des prêtres visibles dans les écoles, les collèges et lycées, lesaumôneries d’établissements supérieurs. C’est capital.

Aujourd’hui, les entreprises vont plus loin, elles vont sur lescampus des grandes écoles, elles vont à la rencontre des étudiantspour recruter les meilleurs. Elles expliquent leur organisation, elleslouent les mérites des managers, des dirigeants, du président. Cesambassadeurs de la marque de l’entreprise comme on les appelle,vantent les valeurs de l’entreprise, l’éthique, le développement dura-ble, les actions humanitaires, etc.

Même si nous savons que l’Église n’est pas une entreprise, nousdevons expliquer son organisation et son fonctionnement quepersonne ne connaît. Nous devons pouvoir parler des hommes qui ladirigent dans notre diocèse. C’est un discours positif que d’informersur l’Église. Mais aussi, notre Église locale, son histoire, son organi-sation. Enfin, nous devons dire du bien de notre Église, même si ellen’est pas comme nous l’aurions rêvée. […] Personne ne sait ce qu’estun diocèse !

Les conditions d’une diffusion efficace d’un message sur les vocations

Maintenant que nous avons vu la préparation de l’émetteur dumessage et le contenu de la communication, je vous propose de

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RÉFLEXIONS

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parler des moyens et des conditions de diffusion de ce message. Il mesemble tout d’abord que la communication sur les vocations doit sefaire en réseau. Nous verrons ce que cela veut dire.

Ensuite, j’ai le sentiment que si nous voulons être efficaces, notrecommunication doit d’abord être une communication de proximité.On ne peut plus aujourd’hui communiquer sur les vocations avec desmédias aussi puissants que la presse généraliste, la télévision ou laradio. D’abord, parce que le mot vocation n’est pas intelligible partout le monde. Il mérite des explications et il va donc falloir commu-niquer de façon ciblée et en réseau.

Cibler, cela veut dire que nous allons travailler sur des fichiers,des fichiers qualifiés (c’est long à construire et c’est onéreux) maisc’est indispensable sinon notre message se perd dans la nature. Cesera par exemple un fichier d’abonnement à une revue sur les voca-tions ou un fichier de donateurs. Vous comprenez bien que dans cescirconstances le discours sur les vocations est positif car il peut êtrecompris par la cible.

Internet est aussi un outil de communication à privilégier. C’estle moyen de communication des jeunes, c’est leur outil de travail. Ilpermet de communiquer sur des adresses et donc à des personnesprécises pour des soirées de prières, des rassemblements, des confé-rences, etc. Avoir un site Internet et le faire vivre, l’actualiser, mesemble également indispensable. Cela veut dire qu’il va falloir faireconnaître l’adresse de ce site, sinon il ne sera pas visité. Pour cela, ilfaut travailler en réseau. Nous ne pouvons pas rester isolés des autresstructures existantes dans l’Église.

Pourquoi travailler en réseau ? D’abord, parce qu’on est plusintelligent à plusieurs que tout seul. Ensuite, parce que nos moyenssont rares et qu’il convient de les rassembler.

La communication en réseau est plus économique qu’unecampagne grand public et surtout plus efficace. On peut avoir desréseaux de plusieurs nature : des correspondants dans les paroisses ouaumôneries, des correspondants dans les mouvements de jeunes,scoutismes, MEJ, clercs, chorales de jeunes, pour les JMJ, etc. Cescorrespondants ont besoin de vous connaître et d’être alimentés régu-lièrement. Cela veut dire que ce réseau, il faut le faire vivre et l’animer.

L’efficacité du réseau dépend de la dynamique missionnaire desrelais. Exemple : un ancien aumônier de fac m’a raconté qu’il y a dix

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CONDITIONS ET ENJEUX D’UNE “COMMUNICATION POSITIVE”

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ans, pour le pélé de Chartres, chaque aumônerie nommait parmi sesétudiants des « chefs de chapitre » et ces étudiants devaient trouvereux-mêmes les dix étudiants qui allaient constituer leur chapitre : leschrétiens engagés doivent être des relais.

Il faut faire preuve de créativité, d’innovation pour créer desévénements. Pour cela, vous comprenez bien qu’il faut être proche duterrain et des réalités paroissiales.

Il faut savoir que le support, le vecteur du message, participe dela bonne perception du discours.

J’ai beaucoup de contacts avec les jeunes étudiants, car j’ai uneactivité d’enseignement. Leur mode de communication est tribal. Il ya le cercle des étudiants, du rugby, des soirées, de l’aumônerie ou duscoutisme et toute leur communication se fait par mail. Ils lisent peula presse écrite ou s’ils la lisent, c’est sur le Net. Il nous faut à unmoment ou à un autre pouvoir croiser un des cercles.

En tant que responsable de la formation des adultes pour lecatéchuménat, j’ai reçu des personnes pour une démarche sacra-mentelle, suite à une visite sur le site du diocèse à l’occasion de l’opé-ration Toussaint 2004.

Tout à l’heure, je vous ai donné l’exemple de la communicationdu président de la République, pour vous monter que même si lecontenu est intéressant, elle n’est pas adaptée à notre objectif.

Premièrement, l’émetteur n’est pas légitime pour s’exprimer surce sujet. Mais surtout les relais médiatiques nationaux qui se sont faitl’écho ne sont pas efficaces. D’ailleurs, les standards de nos servicesdes vocations n’ont pas été saturés d’appels téléphoniques !!!

Le discours sur les vocations doit être porté par une communi-cation de proximité qui nécessite un réseau proche de sa cible et quila connaît bien. Ce ne peut pas être une communication du haut versle bas, « top-down » comme nous disons dans l’entreprise mais unecommunication par capillarité qui nécessite des relais locaux dans lesparoisses ou les lieux de vie des jeunes.

Je dis cela, parce que nous pouvons nous interroger sur lesrelais locaux que nous avons mis en œuvre. Quel suivi des jeunes, quià un moment ou à un autre, ont ressenti l’appel du Seigneur (parexemple : au moment de la confirmation) ? Quel accompagnementavons-nous proposé ? Quelles rencontres avec d’autres jeunes avons-nous pu suggérer ? Il me semble que ce suivi reste à faire.

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Pour terminer sur les enjeux d’une communicationpositive sur les vocations, je dirai :

• Bien sûr responsabiliser les chrétiens sur le devenir de leurÉglise (leur demander leur aide spirituelle et matérielle).

• Mais, j’ai le sentiment, qu’il faut les interpeller sur la façondont ils parlent des prêtres. Je suis surpris de l’inquiétude,voire de l’angoisse, de certains parents catholiques prati-quants, voire engagés, devant l’éventualité d’une vocation deleur enfant.

• Leur faire connaître les futurs prêtres ou religieux de demain,de montrer leur richesse et leur diversité. Exemple d’initiative :l’évêque peut proposer aux paroisses d’envoyer des sémina-ristes dîner dans des familles à la rentrée. J’ai eu le témoi-gnage de jeunes pour qui ces rencontres avec des séminaris-tes ont été déterminantes.

• Regarder ce que font les nouvelles communautés commel’Emmanuel : les maisonnées (consacrés, séminaristes, prê-tres : prière et partage) créent une véritable fraternité.

• Expliquer les nouvelles formations mises en place par lediocèse pour ces séminaristes.

• Examiner les communications des communautés nouvelles qui« recrutent » bien. Elles suggèrent une grande rigueur et celaplaît, car les jeunes, qui font le choix du sacerdoce, ont soifde radicalité. Et ne nous arrêtons pas à la soutane ou au colromain, la radicalité est parfois suggérée par bien des détails(vie de prière, formation théologique et philosophique, etc.).

• Enfin, rester dans l’espérance, car le Seigneur continue sanscesse d’appeler.

En conclusion, je dirais que pour la tâche qui nous attend, nousavons une belle boîte à outils :

- un réseau à créer, peut-être avec d’autres diocèses,- des occasions de prise de parole, - des rencontres à multiplier,- des porte-parole à identifier,- des messages à construire…

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CONDITIONS ET ENJEUX D’UNE “COMMUNICATION POSITIVE”

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La liste n’est pas exhaustive, mais faisons tout ce que nous avonsà faire, ensuite il faut faire un acte de foi. Comme le dit le psaume 54au verset 23, « Jette ton fardeau sur le Seigneur, et lui te subvien-dra. » n

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Éric Poinsotresponsable du service diocésain des vocations de Besançon

Romain Marengo délégué diocésain à la communication de Besançon

Historique

À l’automne 2007, le conseil presbytéral et le service des voca-tions du diocèse de Besançon engagent une réflexion sur le ministèrepresbytéral et en particulier sur l’appel à ce ministère. Notre question :comment communiquer (positivement) sur la vocation de prêtre diocé-sain auprès des jeunes de 15 à 30 ans ? La plupart d’entre eux ne saitpas ce que vit réellement un prêtre au quotidien. Nous visionnons desextraits de plusieurs vidéos récentes, présentant la vie et le ministèredes prêtres (réalisées par les services nationaux des vocations belges,suisses et américains). Le SDV est alors invité à mettre en œuvre unecommunication dynamique, dans le contexte propre au diocèse. Nousavions par ailleurs, la joyeuse perspective de l’ordination sacerdotalede notre ami Franck Ruffiot, le 22 juin 2008. Le SDV s’attelle à cettetâche au début de l’année 2008.

Plusieurs constats croisés ont concouru à la création de Prêtres-Academy

1. Les jeunes regardent très souvent des vidéos sur internet, surdes sites dédiés comme Daily Motion ou You Tube.

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Prêtres-Academy,une aventure au quotidien

RÉFLEXIONS

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2. L’Église catholique est encore très peu présente 1 sur ce secteurde la communication. Et, quand elle est mentionnée, c’est presquetoujours sous une forme caricaturale. Par exemple, la vidéo Catholiquepark 2 des Deschiens (deux humoristes français), présente les prêtresfrançais comme une espèce en voie de disparition (comparés dans lavidéo aux ours des Pyrénées !) donc comme une espèce à protéger,voire à parquer ! Le sketch est amusant mais peu mobilisateur ! Enconséquence, si nous ne changeons pas cette image du prêtre « espèceen voie de d’extinction », véhiculée par le net, les jeunes ne pourrontpas envisager cette vocation. Qui voudrait d’une vie de « dernier desmohicans » ou de « dernier d’une espèce en voie de disparition » ? Lesjeunes ont besoin, et c’est normal, d’un avenir ouvert et d’aventures !

À partir de ces constats, l’idée de faire de la vidéo sur le net agermé dans nos esprits. Plutôt que de faire un film sur un support clas-sique, tel un DVD (avec les coûts élevés liés à la réalisation et les diffi-cultés liées à sa diffusion), les services des vocations et de la communi-cation du diocèse de Besançon ont travaillé, avec Nicolas Siron, de lasociété DMP Prod, à monter un projet de vidéos courtes et profession-nelles sur la vie de prêtres de notre diocèse. L’objectif : faire découvrir viaInternet ce que sont la vie et le ministère des prêtres et par ce biais être« appelants », donner l’idée ou l’envie à des jeunes de devenir prêtre.

L’emprunt de « codes »

Des centaines de milliers de vidéos sont déposées chaque jour surInternet. La plupart d’entre elles sont peu visionnées, d’autres sont vuesdes dizaines de milliers de fois. Mais la plupart des vidéos à théma-tique chrétienne sont visionnées quelques centaines de fois ou au mieuxquelques milliers de fois (ex. : JMJ). Nous avons très vite eu cetteconviction : pour rejoindre un public jeune et pour sortir de l’anonymat,il fallait trouver quelque chose de provocant, d’insolite… C’est à partirde là qu’est née Prêtres-Academy, une sorte de saga s’inspirant auplan visuel du style des émissions de télé-réalité. Nous pensions que lesjeunes apprécieraient que l’Église se risque, parlant des prêtres, àcommuniquer sur un ton badin, voire décalé. Peu savent ce que vit réel-lement un prêtre en 2008, ainsi beaucoup sont prêts à nous écouter,

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RÉFLEXIONS

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pour peu que nous leur parlions à « hauteur d’homme », avec des motssimples, directs et un zeste d’humour.

Nous avons alors choisi, pour rejoindre les jeunes, d’utiliser leurscodes, en particulier ceux de la Star Academy – émission de télé-réalité française qui leur est familière. Mais attention, nous ne voulionspas tomber dans ce que ce type d’émission génère de plus discutable.Pas question de taper 1 pour éliminer tel prêtre qui ne plairait pas ! Pasquestion de tomber dans le voyeurisme et le mauvais goût (vous neverrez aucun des prêtres sous la douche !). Un journal national dit àce propos : « Prêtres-Academy : ça a les couleurs de la Star Academy,ça en reprend la musique, la présentation jusque dans le logo à peinerehaussé d’une discrète touche religieuse mais ce n’est pas la Star Ac’ !Il ne s’agit pas ici de stars mais de prêtres dans leur quotidien. »

Nous savions aussi que nous ne plairions pas à tout le monde, àcause précisément de cette relation, un peu provocante, à la télé-réalité. Mais il s’agissait pour nous d’une communication « grandlarge » et non pas d’un exercice de fidélisation pour catholiquesconvaincus. Des sondages ont confirmé a posteriori ce positionne-ment : 40 % des personnes qui ont consulté les vidéos s’estiment« assez loin de l’Église » et 20 % se déclarent « pas catholiques ». Parailleurs, nous avons rejoint un public varié et plus particulièrementjeune, puisque 60 % des visiteurs ont moins de 35 ans 3.

Le net et la vidéo ouvrent d’importantes opportunités d’évangéli-sation par le témoignage. Nous avons ainsi donné à voir ce qu’est lecatholicisme, à travers le prisme de la vie de quelques prêtres, etmontré un autre visage de l’Église catholique en France.

Casting

Il n’y a pas eu de casting pour sélectionner les prêtres qui partici-peraient à la Prêtres-Academy. Christophe Bazin et Michel Jeanpierretous deux prêtres, sont au bureau du conseil presbytéral (avec lequel laréflexion était déjà bien engagée). Ils sont de générations différentes etils ont respectivement cinq et vingt-et-un ans de prêtrise. Quant à FranckRufiot, il allait être ordonné prêtre ; qu’il fasse partie de l’aventure nousa semblé naturel. Notre objectif était de faire découvrir l’insertion

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PRÊTRES-ACADEMY, UNE AVENTURE AU QUOTIDIEN

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humaine des prêtres à travers l’ordinaire de leur vie mais également àtravers les trois missions de tout chrétien : annoncer, célébrer et servir.

Réalisation

Le 12 juin 2008, nous avons déposé une bande annonce (unteaser), un peu provocante et impertinente, sur Dailymotion, Youtube,Godtube et Croire.com. Beaucoup ont pensé à un canular, convaincusqu’il était impossible que l’Église fasse une telle chose ! À partir du 20juin, le premier épisode est en ligne, puis tous les quatre jours unnouvel épisode ; le dernier épisode a été mis en ligne le 2 juillet. Nousavons réalisé en tout quatre épisodes, placés dans leur intégralité surDailymotion et Croire.com

La Prêtres-Academy a réussi et au-delà de toutes nos espérances,car elle a largement débordé le seul terrain diocésain et le milieucatholique « habituel ». Elle a su poser, au plan national et même inter-national, la question de la vocation à la prêtrise, au milieu d’autressujets d’actualité, grâce au relais des médias les plus divers. SurMSN 4, début juillet, nous étions en première page du site avec ce titre :Prêtres-Academy : le buzz 5 de l’été !

Nous ne nous attendions pas à un tel succès médiatique avec cesvidéos. Nous visions une communication exclusivement Internet ; pournous, générer près de cinq mille vues cumulées sur toute l’opération,était déjà un grand défi et nous comptions, bien sûr, sur le « bouche àoreilles » des internautes. En fait, l’ensemble des épisodes a été visionnéplus de 350 000 fois et en moins de deux mois ! Entre le lancement duteaser – le 12 juin – et le 5 juillet, 12 000 visionnages des vidéos ontété dénombrés chaque jour ; un pic vertigineux a été atteint le 24 juinavec 38 000 visiteurs ! Aujourd’hui, bien que ce buzz ait faibli, laPrêtres-Academy totalise près de 400 000 visionnages.

Essai d’analyse

Ce qui a d’abord joué en notre faveur, c’est l’effet de surprise :l’Église s’est aventurée sur un terrain inhabituel, avec une communica-

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RÉFLEXIONS

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tion très offensive, « punchy ». En outre, le ton faussement impertinenta plu. Le timing des épisodes avec effet d’annonce puis d’attente dequatre jours entre chaque vidéo a « fait monter la sauce ». Enfin, lesmédias web mais aussi télévision, radio et presse ont relayé très vitel’opération, le plus souvent interloqués devant ce vrai-faux canular,souvent traité en une et non pas relégué dans la rubrique « insolite ».Tout cela a contribué au buzz et a généré en quelques jours des centai-nes d’articles et d’émissions, de VSD à La Vie, de France Inter à RadioVatican, de LCI au Jour du Seigneur. Nous avons même fait l’ouverturedu journal de 13 h sur TF1 avec Jean-Pierre Pernaut ; Patrick Poivred’Arvor reprenait ce reportage dans l’édition de 20 h. Deux autreséléments ont contribué à ce succès : premièrement, la veille du lance-ment de la Prêtres-Academy, la série La Nouvelle star prenait fin,certains y ont vu un « super coup médiatique ».

Deuxièmement, la création du site dédié (www.pretres-academy.com) où l’on pouvait trouver des témoignages, des revues depresse, des sondages et des biographies, ainsi que les différents épiso-des de nos vidéos a fait que nous avons reçu plusieurs centaines demails dans la section « contactez-nous » du site (90 % de ces mailsétaient enthousiastes, nous encourageant à poursuivre ; 10 % étaientnégatifs voire franchement hostiles mais rarement « jeunes »).L’existence de ce site a pérennisé notre campagne. Il a été visité plus de100 000 fois en moins de 30 jours (12 400 visites en une seule jour-née et en moyenne 10 pages parcourues par visite). Les 6 000 tractsdiffusés dans le diocèse et nos communiqués de presse renvoyaienttoujours à cette adresse « pour plus d’informations ». Cette stratégie decommunication a résonné du plan local au plan international : desgrands quotidiens et hebdomadaires allemands, anglais et espagnols,ont parlé de la Prêtres-Academy. En Chine, on a pu voir Franck, Michelet Christophe sur TV5 Monde ! Cependant, la palme d’or va au maga-zine espagnol Epoca ; il a consacré un magnifique dossier de cinqpages à la Prêtres-Academy. C’était incroyable et inespéré !

Nous avons volontairement mis un terme à l’aventure de laPrêtres-Academy après le quatrième épisode, comme prévu. Toutenotre équipe avait besoin de se reposer et de reprendre ses activitésordinaires, terriblement bousculées ! Aurons-nous le plaisir de voird’autres initiatives naître dans les diocèses de France ?

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PRÊTRES-ACADEMY, UNE AVENTURE AU QUOTIDIEN

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Coût

Le coût de cette réalisation est très modeste : le support web est gra-tuit et toute l’équipe de conception a travaillé bénévolement. Notre seuledépense a été le paiement des vidéos réalisées par la société DM-Prod.

Prêtres-Academy et vocations

Il serait hasardeux de mettre en rapport les futures entrées auséminaire avec le succès de cette opération restreinte dans le temps etdans sa forme pédagogique. Néanmoins, des jeunes ont dit quePrêtres-Academy les encourageait à poursuivre leur questionnementvocationnel. Voici deux exemples de témoignages reçus sur le site :« Je souhaitais vous féliciter pour cette réalisation surprenante et quitient en haleine par les épisodes qui arrivent au fur et à mesure. Mondiocèse a annoncé votre site sur celui du diocèse qui m’a permis de ledécouvrir. Je commence le parcours vocation sur la question de deve-nir prêtre et ces témoignages me motivent à continuer ma réflexion.Bonne continuation. »

« Après le reportage de TF1, je viens vous féliciter pour ce projetde la Prêtres-Academy ! La chaîne y a consacré une bonne place dansson JT, en ouverture de journal, et de plus, toujours avec l’esprit que,je pense, vous voulez donner à la Prêtres-Academy ! J’ai beaucoupaimé le deuxième épisode mis en ligne aujourd’hui. Les vieux clichéssont effacés grâce à ce travail. J’attends avec impatience la suite !Merci à vous… en ces moments ou ce désir de devenir prêtre granditde plus en plus dans mon cœur. » n

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RÉFLEXIONS

11 -- Depuis peu, de notables initiatives ont vu lejour sur Internet.

22 -- Diffusée sur Dailymotion.http://www.daliymotion.com/fr

33 -- Cf. notre sondage en ligne effectué courantjuin sur le site dédié www.pretres-academy.com.

44 -- Messagerie pour les jeunes.

55 -- Buzz ou effet boule de neige dans la commu-nication Internet.

NOTES

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Céline Béraudsociologue,

maître de conférences à l’université de Caen

On a beaucoup parlé des prêtres à la fin du mois de juin 2008,non pas seulement en raison de la petite centaine d’ordinations quiont été célébrées en France à ce moment-là, mais du fait d’une initia-tive du service des vocations du diocèse de Besançon, qui plagiecertains éléments de la Star Academy, émission de télé-réalité bienconnue des adolescents. Au cours de quatre épisodes accessibles surInternet, il s’agissait de présenter « l’aventure au quotidien » de deuxprêtres (Michel et Christophe) et d’un diacre ordonné prêtre à la finde la série (Franck). Au-delà de l’audace formelle, l’objectif affichéest de donner de l’Église catholique et de ses prêtres une image« dépoussiérée » et réaliste. Dans ce court article se trouvent déve-loppées quelques considérations sociologiques relatives à cettePrêtres-Academy, dont le succès d’audience semble avoir largementdépassé les attentes de ses concepteurs.

Faire événement

Dans un contexte marqué par la pluralité religieuse (avec unevisibilité particulière de l’islam, visibilité très largement cultivée par lesmédias) et davantage encore de la montée de l’indifférence parrapport aux institutions confessionnelles (dont témoigne la part crois-sante de notre contemporains qui se déclarent « sans-religion » dans

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Quelques considérations sociologiques sur Prêtres-Academy

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les sondages d’opinion), les catholiques français, notamment les plusjeunes (clercs ou laïcs) ont le sentiment d’être méconnus, voire incom-pris. Un tel sentiment est nourri par le phénomène d’« exculturation »,concept forgé par Danièle Hervieu-Léger pour rendre compte duprocessus, en cours dans notre pays, de dé-liaison entre la culturecatholique et l’univers civilisationnel qu’elle a contribué à façonnerpendant des siècles. On assiste ainsi à « l’épuisement d’une identitéqui a perdu son ancrage dans une culture commune, longtemps parta-gée au-delà du groupe amenuisé de ses fidèles » 1, qui rend le catho-licisme socialement « illisible ». Or, la prêtrise relève très largement decette méconnaissance. Pour la grande majorité de nos contemporains,les occasions de rencontrer des prêtres se font rares. Ils n’ont en géné-ral aucune idée de ce que peut faire un prêtre en dehors de dire lamesse (rassemblement liturgique qu’ils ne distinguent souvent pasd’une célébration sans eucharistie). Ses conditions de vie modeste etplus encore son célibat relèvent également de cette « illisibilité ».

Quand un large public, au-delà du cercle réduit des pratiquantsréguliers, a-t-il l’occasion d’entendre parler de l’Église catholique etde ses clercs ? Les affaires de prêtres démis de leur fonction, parcequ’il vivent de manière clandestine en concubinage, font le miel desjournalistes. Le scandale de la pédophilie (dont les cas n’ont pourtantpas été statistiquement plus étendus dans l’Église catholique que dansd’autres institutions religieuses ou séculières), également très média-tisé, a nourri un climat de suspicion généralisée par rapport auxmembres du clergé, dont beaucoup ont souffert au cours des derniè-res années. De manière plus positive, les temps forts du calendrierliturgique (Toussaint, Noël et Pâques principalement) peuventconduire les médias généralistes à s’intéresser au catholicisme, à sesfidèles et à ses permanents. Ces mêmes médias, régionaux ou natio-naux, rendent également parfois compte des cérémonies d’ordina-tions. Celles qui se tiennent à Notre-Dame à Paris, du fait de leur miseen scène particulièrement étudiée et soignée (que l’on doit àMgr Lustiger) et au nombre relativement élevé de candidats à laprêtrise, font de temps en temps l’objet d’un reportage dans l’un desjournaux télévisés du soir. Les grands quotidiens nationaux se saisis-sent parfois de l’occasion pour évoquer les caractéristiques démo-graphiques du clergé catholique français ou présenter certaines de

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ses activités. Dans les autres diocèses, où peuvent s’écouler plusieursannées sans qu’aucune ordination sacerdotale ne soit célébrée, cetype de cérémonie rassemble par milliers des fidèles venant de tout ledépartement et constitue un moment festif. Un article y est générale-ment consacré dans la presse locale. Enfin et surtout, Jean-Paul II, àl’occasion de ses visites mais également par l’invention de grandsrassemblements comme les JMJ, a su acculturer le catholicisme à laculture de l’événement et en tirer profit pour contrer l’image d’uncatholicisme atone et vieillissant. Les médias s’en sont révélés friands.C’est indéniablement dans cette veine que s’inscrit l’entreprise duservice des vocations du diocèse de Besançon.

La forme participe de la dimension événementielle de la Prêtres-Academy. Elle est censée, selon la technique du « buzz », permettrela diffusion de l’information à peu de frais. Et surtout, elle est égale-ment intrinsèquement incongrue, donc en elle-même susceptible defaire parler d’elle : la télé-réalité (dont ne sont retenus que quelquestraits) semble a priori entrer en contradiction avec les valeurs et prin-cipes catholiques. On a, de ce fait, beaucoup insisté sur le caractèretrès innovant de l’entreprise. Pourtant, la mise en perspective histo-rique permet fortement de le relativiser. Comme l’ont notammentmontré notamment les recherches de Michel Lagrée, dans sesrapports à la modernité tout au long des XIXe et du XXe siècles, l’Églisen’a pas hésité à adopter les innovations techniques les plus efficacesà son action, notamment dans les domaines de l’information et de lacommunication 2.

S’il s’agissait de faire événement, l’objectif a été atteint. Lebouche à oreilles a parfaitement fonctionné sur le net. Le public atteint(du moins ce qu’en donne à voir l’analyse du questionnaire auquelles internautes étaient invités à répondre) est jeune : un peu moins dedeux répondants sur trois a moins de 35 ans. Si la majorité des audi-teurs déclare un lien avec le catholicisme (même modéré), un surquatre ne se reconnaît pas dans cette confession et 6 % se disent enrecherche. Les médias ont pris rapidement le relais et se sont large-ment fait l’écho de la Prêtres-Academy bien au-delà de la seulesphère confessionnelle et locale. On peut cependant remarquer queles analyses qui sont développées à cette occasion sont le plus souventsuperficielles et très redondantes.

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QUELQUES CONSIDÉRATIONS SOCIOLOGIQUES SUR PRÊTRES-ACADEMY

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Quels prêtres nous montre-t-on et de quoi parlent-ils ?

Les prêtres sélectionnés pour se mettre en scène dans les quatreépisodes de la Prêtres-Academy sont présentés comme « plutôtjeunes » et de « styles différents ». Les trois « témoins », y comprisMichel qui approche la cinquantaine, font en effet partie des « jeunesprêtres », catégorie relativement extensible dans le clergé français,dont la moyenne d’âge atteint soixante-dix ans. Si Franck, avec soncol romain et l’importance qu’il accorde à son bréviaire, présente unprofil plus traditionnel que les deux autres, la diversité n’en est pasmoins assez limitée. Avec trois profils, il n’était d’ailleurs pas conce-vable de refléter l’hétérogénéité du clergé catholique français.

Le terme « témoin » est préféré à celui de candidat, qui est pour-tant d’usage dans la télé-réalité. Il n’a pas été choisi au hasard. Lesprêtres, notamment les plus jeunes, sont souvent amenés à produiredans leurs activités ecclésiales, un discours sur soi devant des grou-pes d’aumôneries, de confirmation, etc. Le témoignage apparaîtmême comme un véritable filon éditorial, depuis au moins les années1980, c’est-à-dire au moment même où l’image sociale de la prêtrises’est considérablement brouillée. Les titres de ces ouvrages sont assezrévélateurs : comme l’indiquent certains d’entre eux, pour n’en citerque deux, il s’agissait d’ouvrir « les portes du presbytère » 3, de faireraconter à une génération « son métier » 4. Cette littérature de témoi-gnage a continué à se développer depuis, en adoptant des genresdifférents : autobiographie, entretien avec un journaliste, recueil deplusieurs récits de vie, journal de bord et même une fiction 5. Au-delàdu monde de l’édition, certains prêtres se sont également aventuréssur Internet, en ayant notamment recours au blog pour mettre en lignedes homélies ou des prières, mais également pour parler d’eux etleurs activités. En juin 2007, La Croix dénombrait une trentaine deblogs tenus par des séminaristes ou des personnes déjà ordonnées.Un an après, la Prêtres-Academy empruntant la technique du« buzz » constitue une autre façon de communiquer sur Internet.

Sur quoi portent les témoignages ? Partout, dans les ouvragesque l’on vient de mentionner, les blogs et également la Prêtres-Academy, il est question du quotidien de la vie des prêtres, dans sa

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banalité même. Les protagonistes s’attachent aussi à rendre compted’un engagement singulier, qui ne semble plus en phase avec l’air dutemps. Ce qui ressort, c’est un discours sur l’accomplissement person-nel. Les témoins s’attachent à montrer qu’ils sont des hommesépanouis, équilibrés et heureux. Dans le dernier épisode, Christophedit avoir pensé à la prêtrise « grâce au témoignage de prêtresheureux ». Le discours du bonheur tient toute sa place dans la pasto-rale des vocations, alors même que l’image sociale du prêtre sembleêtre aujourd’hui davantage celle d’un homme condamné à l’isole-ment et la frustration. Des comparaisons pourraient d’ailleurs êtreconduites avec d’autres représentations de la prêtrise, représentationsque l’Église ne maîtrise pas : celles de la publicité, des séries télévi-sées ou encore du roman 6.

Quelles réactions ?

Le succès d’audience de la Prêtres-Academy n’est pas sans lienavec le fait que les représentations sociales attachées à la prêtrise sesont brouillées et que cette figure est devenue assez largement énig-matique. Le prêtre n’est plus un notable. Son rôle peut désormaisapparaître comme superfétatoire dans une société très largementsécularisée, où la part des personnes se déclarant catholiques n’acessé de décroître, où les biens de salut que lui seul est habilité à déli-vrer ne sont plus demandés que par une petite minorité. Par ailleurs,son mode de vie atypique le situe en marge des principales instancesde socialisation que sont le couple et le travail. Pourtant (et peut-êtremême de ce fait), l’audience de la Prêtres-Academy est le signe d’unintérêt pour cette figure méconnue, volontiers perçue comme désuète,qui ne suscite plus aujourd’hui des réactions anticléricales, maisdésormais au pire de l’indifférence et au mieux une certaine curiositéchez des individus qui n’entretiennent qu’un lien faible, voire inexis-tant, avec le catholicisme. Les jeunes prêtres, du fait de leur raretéstatistique, sont tout particulièrement susceptibles de nourrir cettecuriosité. « Souvent, on s’étonne de notre jeunesse », dit Christophedans le deuxième épisode. L’engagement exigeant, que constitue lavocation sacerdotale, peut être perçu comme performance de l’as-

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QUELQUES CONSIDÉRATIONS SOCIOLOGIQUES SUR PRÊTRES-ACADEMY

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cèse 7 et fait du prêtre un « extrémiste de soi » 8. La prêtrise a doncquelque chose d’une aventure susceptible de nourrir une certainefascination chez nos contemporains. C’est la thématique annoncéedès le premier épisode : « Franck, Michel et Christophe vont témoi-gner de leur aventure au quotidien. » Mais, c’est dans le quatrièmeépisode, au cours duquel sont diffusés des extraits de l’ordination deFranck et la question de l’engagement abordée, qu’elle est vraimentdéveloppée.

Les critiques, quantitativement minoritaires (tel que le donne àvoir le dossier de presse et surtout les commentaires laissés par lesinternautes) sont principalement de deux ordres, très différents voireopposés. La forme, celle de la télé-réalité, jugée « racoleuse » et« déplacée » a en outre entraîné certaines désapprobations. Le partipris est celui de présenter la vie ordinaire des trois prêtres, jusquedans sa trivialité. Ainsi, Michel est filmé, dans sa cuisine, en train delaver une salade. Il évoque son jardin et ses poules, la nécessité de« moments de respiration », « des loisirs nécessaires pour toutepersonne ». Dans l’un des séquences, Christophe circule à vélo. Ilévoquera plus tard sa pratique du jogging, du tennis et du ski. Il yaurait là, selon certains, une désacralisation de l’état sacerdotal. Àl’inverse, du côté de Golias, on considère que la vision qui est donnéede la prêtrise est bien trop classique : « On replâtre façon moderne,on repeint en fluo des murs mangés par le temps mais on ne rénovepas en profondeur. » Si la forme a pu faire parler d’elle, le contenudes différents épisodes n’a rien de bien révolutionnaire. Elle n’ad’ailleurs entraîné aucune désapprobation officielle de la hiérarchiecatholique.

Au final, l’expérience de la Prêtres-Academy est certainementmoins originale qu’elle ne peut le paraître de prime abord. Elle s’ins-crit dans la culture de l’événement, que Jean-Paul II a contribué à diffu-ser dans le catholicisme. Elle emprunte à la modernité certains de sesinstruments sans porter pour autant sur le fond de message très nova-teur (ce que l’Église sait faire depuis longtemps, contrairement àcertaines idées reçues) : usage d’Internet, éléments de la télé-réalité(un logo, un générique et un confessionnal pour l’essentiel, ce qui ence qui concerne le dernier point peut sembler être un juste retour des

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RÉFLEXIONS

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choses). Les témoignages, qui y sont présentés par Franck, Michel etChristophe, sont très proches de ceux que l’on trouve dans toute unesérie d’ouvrages écrits par des ecclésiastiques, souvent encore jeunes.Ils visent à rendre compte tout à la fois de leur quotidien dans sa bana-lité et de la singularité de leur engagement. L’audience importantedont a joui l’initiative du diocèse de Besançon provient certainementdans la mise en commun de ces différents éléments. Il est par contrebien plus difficile de se prononcer sur l’impact d’un tel événement. n

Derniers ouvrages parus :• Les courants contemporains de la sociologie, PUF, Paris, coll.

« Licence », 2008.• Prêtres, diacres, laïcs. Révolution silencieuse dans le catholi-

cisme français, préface de Danièle Hervieu-Léger, PUF, Paris,coll. « Le lien social », 2007.

• Le métier de prêtre, approche sociologique, préface de Jean-Paul Willaime, Ed. de l'Atelier, Ivry-sur-Seine, 2006.

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QUELQUES CONSIDÉRATIONS SOCIOLOGIQUES SUR PRÊTRES-ACADEMY

11 -- Danièle HERVIEU-LÉGER, Catholicisme, la fin d’unmonde, Paris, Bayard, 2003, p. 311.

22 -- Michel LAGRÉE, La bénédiction de Prométhée.Religion et technologie XIXe et XXe siècles, Paris,Fayard, 1999.

33 -- Gérard BESSIÈRE, Jacques PIQUET, Julien POTEL etHyacinthe VULLIEZ, Les portes du presbytère se sontouvertes. Deux mille prêtres racontent, Paris, DDB,1985.

44 -- Pierre DUCLOS, Les prêtres. Une générationraconte son métier, Paris, Seuil, 1983.

55 -- Voir par exemple : Claude GOURE, Cinq prêtresdans l’histoire. Confidences de 1944 à nos jours,Paris, Bayard, 2004 ; Patrice GOURRIER, J’ai choisi

d’être prêtre. Un autre regard sur le monde.Entretiens avec Jacques Rigaud, Paris,Flammarion / Desclée de Brouwer, 2003 ; PèreOLIVIER-MARIE,Curé de campagne,Paris,Arléa,2001.Et pour la fiction : Pietro DE PAOLI, 38 ans, céliba-taire et curé de campagne, Paris, Plon, 2006.

66 -- Voir les travaux en cours de l’historien FrédéricGugelot.

77 -- Céline BÉRAUD, « Prêtres de la génération Jean-Paul II. Recomposition de l’idéal sacerdotal etaccomplissement de soi », Archives de SciencesSociales des Religions, 133, 2006, p. 45-66.

88 -- Sylvain VENAYRE, La Gloire de l’aventure. Genèsed’une mystique moderne, 1850-1940, Paris,Aubier, 2002.

NOTES

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Romain Marengodélégué diocésain à la communication,

diocèse de Besançon

Romain Marengo, responsable de la communication dudiocèse de Besançon depuis fin 2005, est laïc, marié etpère de trois enfants. Sa double formation de philosopheet de communicant colore de façon particulière son métieractuel et, sans doute, ses attentes en termes de communi-cation d’Église.

Au service de la communion

Mon service ne consiste pas d’abord à informer et bien que80 % de mon métier passe par l’écriture, je ne suis pas vraiment jour-naliste. Certes, je remplis la fonction d’attaché de presse de l’évêque,et suis donc en lien, permanent, avec les médias locaux. Mon rôle estplutôt de travailler au service de la communion et cela de deuxfaçons : en reliant les personnes pour constituer une communauté, enreliant cette communauté au monde et à Dieu. Un peu comme unenervure de feuille, je dois laisser passer la sève, la vie, entre les bran-ches et les feuilles. Les branches, ce sont les responsables d’Égliselocaux, les feuilles, ce sont les personnes en lien avec cette Église ; letronc, c’est l’Église universelle, le sol, c’est le monde, la sève, c’estDieu. Au quotidien, je me dois donc d’être un lien vivant, ou plutôt uncarrefour de liens, voire un connecteur de liens entre différents grou-

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Communicant dans l’Église :un métier en pleine mutation

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pes en Église et hors Église. Dans le monde informatique, il existe desappareils appelés switches, qui permettent de relier les différentescomposantes d’un réseau entre elles, et de relier ensuite différentsréseaux entre eux. Je raisonne dans une logique de réseaux, et je« résonne » par capillarité, de proche en proche, du singulier à l’uni-versel (et inversement). S’il fallait résumer le métier de communicanten un mot, ce serait médiateur.

À nouveau métier, nouveau profil !

L’originalité de cette fonction de médiateur, qui me place au cœurde la vie du diocèse, est de m’obliger à la polyvalence. Il me faut êtreun peu journaliste, attaché de presse, consultant, traducteur, interprète,psychologue, commercial… Le vicaire général, qui me suivait encorerécemment (il est maintenant appelé à d’autres fonctions dans l’Église),avançait que ma mission ressemblait à celle d’un vicaire général. Elledemande de nombreuses capacités : mettre en œuvre une communi-cation de crise engageant tout un diocèse, jongler avec des détailspratiques liés à l’organisation d’un événement, connaître les centcinquante organismes diocésains et leurs référents, et être en lien étroitavec le directoire épiscopal. C’est un travail sensible, où il faut dudiscernement et de l’expérience. Habituellement, le responsablecommunication du diocèse, plutôt un prêtre au CV bien garni, recevaitle titre de DEI, délégué épiscopal à l’information. Son rôle étaitd’abord celui d’un attaché de presse épiscopal. Il devait amplifier lesinformations et les rendre accessibles à tous. Muni d’une solideconnaissance de l’Église, il se formait sur le tard aux nouvelles tech-nologies, parfois avec bonheur. Désormais, un nouveau profil decommunicant ecclésial émerge, notamment à l’échelon diocésain etpour deux raisons majeures.

Le savoir, c’est bien, le faire-savoir c’est mieux…

L’évolution de notre société, en particulier celle qui touche auxmodalités des relations qui la sous-tendent a fait, par ricochet,

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évoluer la communication ecclésiale et partant, les responsabilitésconfiées en l’espèce. On attend moins de ce type de poste unecompétence d’abord marquée sur le fond, qu’une compétence demise en forme. Pour faire court, le savoir n’intéresse que s’il véhiculeun savoir-faire, grâce à un faire-savoir adapté. Par exemple, laconférence sur les migrants, prévue dans un mois, ne sera une réus-site que si la biographie du conférencier pointe son savoir-faire dansune communication forte, type communiqué de presse (le fairesavoir). Encore faut-il que le communiqué de presse soit envoyé aubon moment, à la bonne personne, et assorti d’autres moyens decommunication. À l’ère du soi-disant « tout info », le crime suprêmeserait, presque, d’oublier d’informer quelqu’un…

De l’information de masse aux réseaux sociaux

Nous ne sommes plus vraiment, me semble-t-il, dans un mondede l’information stricto sensu mais nous sommes passés de l’ère del’information de masse à celle de la communication par capillarité(réseaux). Le modèle n’est plus l’information unilatérale d’un émetteurvers de nombreux récepteurs, mais une information bilatérale, voireomnidirectionnelle entre de multiples émetteurs/récepteurs. De làdécoule une dialectique fantastique, qui produit à son tour unesomme colossale d’information.

Google est emblématique de cette évolution ; premier moteur derecherches mondial, il totalise (en France) 95 % des recherches,parmi les moteurs Internet, non pas parce qu’il archiverait beaucoupplus d’informations, ou parce que ses données seraient infinimentplus pertinentes que celles d’autres moteurs (ce sont quasiment lesmêmes). Si Google peut de vanter d’archiver une somme de connais-sances équivalent à un milliard de pages, bien au-delà de la capa-cité d’une encyclopédie classique, sa force principale réside dans sonaffranchissement vis-à-vis des contraintes techniques et éditorialesdes médias, reposant sur la multiplicité des contributeurs du réseauInternet. Ce moteur croit, avec raison, en l’intelligence collective. Il sedistingue par sa façon de lier les contenus et de les mettre en valeur,grâce notamment à ses extensions multimédias (ex. Youtube,Googlemaps, Picasa, etc.). En somme, sur Google figure souvent ce

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COMMUNICANT DANS L’ÉGLISE : UN MÉTIER EN PLEINE MUTATION

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que l’on cherche, traduction technologique du biblique « Cherchez etvous trouverez » ?

Bienvenue dans l’hyperespace,mais attention à la marche !

Les jeux vidéo sont de plus en plus impressionnants grâce à la« 3D », appelée aussi réalité virtuelle Le virtuel restitue un semblantde réalité, parfois plus réaliste que le réel lui-même. La vraisemblancede la 3D (impression de hauteur, largeur et profondeur) est accrue,quand elle sollicite d’autres sens que celui de la vue : toucher, ouïe,voire goût et odorat. Il est probable que l’expérience « totale » de lasynesthésie 1 sortira bientôt de la science-fiction ou des laboratoires.Le mot surréalisme prendra alors une nouvelle acception. Cependant,les hommes n’ont pas attendu 2009 pour communiquer naturelle-ment, dans un monde en trois dimensions !

Au-delà de ces questions de vraisemblance croissante du virtuel,nous sommes face à une autre révolution sans précédent : le passageà la quatrième dimension. De quoi s’agit-il ? Du rapprochement del’espace et du temps. Internet en est l’exemple le plus criant : il fautautant de temps pour communiquer avec un ami français qu’avec unami chinois ou péruvien. Pourtant les distances restent toujours lesmêmes Mais la sensation de distance diminue, et l’espace n’est plusvécu comme ce qui sépare mais comme ce qui englobe et relie. Parla même occasion, les frontières classiques de l’espace et du tempssemblent plus relatives. Cela peut donner, dans certains cas, un senti-ment d’ubiquité : l’impression d’être en plusieurs endroits, en mêmetemps (ex. les vidéos conférences, les jeux en réseau).

Qualifier Internet de sixième continent, équivaut à le percevoircomme un espace et à mésestimer sa dimension temporelle. Il n’y apas de sixième continent mais un deuxième univers, concomitant aupremier et en formation, sur la toile des réseaux informatifs et rela-tionnels. La densification de ces réseaux et l’accroissement des vites-ses de transfert des informations – ou des usagers – changent radi-calement nos existences. Par exemple, en un seul e-mail nous pouvons

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envoyer un message à cent personnes en même temps. Nos contactssont cinquante fois plus nombreux que ceux de nos parents nés deuxgénérations avant nous ! Les évolutions linéaires explosent au profitd’évolutions transcatégorielles manifestes, entre autre dans la multi-plicité des activités et des compétences professionnelles de chacun.

Cette longue digression visait à nous replonger dans le mondedans lequel nous vivons et qui ne fait que commencer. La communi-cation consiste à mettre en commun, pour qu’elle soit. Il faut donc êtreau milieu du monde, le comprendre, voir ce qui s’achève et ce quicommence, être un veilleur de monde(s).

Par ailleurs, un responsable communication doit pouvoir rendrecompte de la vie de l’organisme qu’il représente. L’organisme biolo-gique respecte des phases naturelles, de même que l’Église respecte untemps liturgique, à la jointure du naturel et du surnaturel. À son tour,le communicant doit respecter le rythme de l’Église, même s’il disposed’informations qui lui permettraient de sortir le lendemain un journalsur l’Avent ou sur le Carême. Capable de détachement, il doit savoirlutter contre le diktat de l’instantanéité, qui s’impose à lui comme à sescontemporains, et qui trouble les consciences au point de faire croireque l’important est l’urgent. Il doit être capable de se débrancher, dese « déplugger » de cet univers matriciel où tout semble possible.

Il y a un temps, inaliénable, que la technologie ne doit paséradiquer : celui de l’intériorité. Internet est grand quand il facilite lesconnexions extérieures, voire quand il permet des passages fécondsentre intériorité et extériorité (par ex., via un témoignage sur uneplate-forme vidéo). Il est en revanche totalitaire quand il prétendexhumer l’intériorité, la faire remonter vers la surface. Facebook peutfinir en ghetto, forum sectaire, lieu où l’intime, systématiquementforcé, est aboli. On croit pouvoir tout dire, tout se dire, et à tous. C’estun leurre. Ce n’est pas l’universel de la relation qui est rencontré,mais l’accessoire de la relation : le relatif. Un relatif sans pronom, etparfois même, sans prénom. Il n’annonce rien, il n’énonce rien. Ilinterfère sans transférer ni même référer ; on jacte, on jonche, enattendant Godot ou alors, on essaie de tout révéler, jusqu’à sespensées les plus profondes. Mais la vraie révélation est d’un autreordre que ce vrai en vrac, où l’on finit par ne plus savoir quoi dire,d’avoir tout et rien dit, n’importe comment et à n’importe qui.

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Affranchir le rubicond ou franchir le Rubicon ?

Le défi du responsable communication d’un diocèse, c’est defuir cette vie d’électrons non libres et d’être présent à tous, tout enmaintenant une présence à la personne. J’entends par présencepersonnelle une attention concentrée, une écoute directe et exclusive,dans un face-à-face. Il ne s’agit pas de faire passer des communiqués(on resterait d’ailleurs dans le domaine de l’information), mais defavoriser une conscience commune, un esprit de communion. Cetteconscience est tissée notamment par le sentiment d’une histoirecommune, traduite et érigée en mémoire vive du diocèse, patrimoinecommun qui relie le passé, le présent et l’avenir. C’est un plaisir pourmoi de travailler avec des gens qui anticipent, qui accompagnent etqui restituent convenablement le sens d’un événement. Je me batspour faire émerger cette conscience de la transmission, de l’inchoa-tif, de la permanence. La manière dont nous rendons compte desévénements permet soit de leur faire rejoindre l’Histoire, soit de leurgarantir un oubli quasi immédiat. Des organismes comme RCF, leservice de la formation, le service communication, ou encore labibliothèque diocésaine, sont de plus en plus sensibilisés à cette idéede « relief événementiel ». L’événement prend tout son sens, toute sonépaisseur, quand il est relié à une orientation plus profonde, que cesoit une orientation pastorale diocésaine ou un programme culturel !Par « sens » il faut entendre origine, orientation (tournure) et finalité.S’il manque un de ses trois ingrédients, il n’y a pas véritablementd’événement. Dire que deux cents personnes ont pris un pot à l’oc-casion du vernissage d’une exposition est de peu d’intérêt, à moinsque l’on souligne que les gens d’Église savent bien vivre… En revan-che, l’événement, sera de montrer que l’on est capable d’intégrer unfait, tel une ordination presbytérale, à une communication plus auda-cieuse sur la réalité vécue au quotidien par les prêtres de notrediocèse. Le succès de Prêtres-Academy, au-delà des critères detiming, de témoignage, de ton et de tactique qui ont joué dans laréussite de cette entreprise hors normes, tient à cette attitude : l’Églisea su prendre du recul sur ce qu’elle avait à dire, pour rejoindre desattentes, des questions profondes, telle que celle-ci : « Peut-on êtreprêtre et heureux aujourd’hui, et comment ? » Elle ne s’est pas conten-

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tée de se dédouaner d’un devoir d’information (en partie surestimé)sur l’ordination d’un prêtre. Cette information, initiale, est certespassée mais elle a été étayée par la force du témoignage des prêtres.Cette communication s’est donc montrée beaucoup plus convaincanteque ne l’aurait été une communication institutionnelle plus classique,(communiqué ou conférence de presse).

C’est cette force du témoignage – si possible commun – qui, àmon avis, nous rend le plus appelants. Les gens sont prêts à entendreparler de Jésus, s’ils voient une communauté de personnes qui envivent. Ils n’attendent pas qu’on dépoussière timidement l’imaged’une Église à bout de souffle. Ils espèrent voir des artisans au travail,et heureux de ce qu’ils font. Des disciples, des apôtres, en somme.

Au cours de mes études de philo, j’étais hanté par les figures dugénie et de l’apôtre dans l’œuvre de Kierkegaard. J’étais persuadéqu’il fallait choisir son camp, entre le génie qui semblait promis à unegloire éternelle et l’apôtre un peu falot à l’abnégation morbide,devant se « fondre » face à Dieu, tellement plus beau et plus grand.Je n’avais rien compris à Kierkegaard. Ces idées s’apparentaientdavantage à la philosophie de Nietzsche. Avec le temps, j’allaiscomprendre que le chrétien doit être un génie et un apôtre. La béati-tude n’est pas une « bée attitude ». Le catholique, notamment, s’ilprétend à l’universalité que cet adjectif suppose, doit être ingénieuxet apostolique, dans un effort permanent de conciliation et d’unifica-tion. Le génie du catholicisme réside, dans l’unité. « Qu’ils soient un »nous rapporte Jésus dans l’évangile de Jean (17, 20-26). Ce travailpour l’unité du genre humain, en Dieu et avec Dieu, n’est pas qu’uneaffaire de Pape, c’est une affaire de baptisé, prêtre, prophète et roi.

De la stratosphère au bureau du SEDICOM 2

Tout cela est bien beau, mais quid du terrain ? C’est là, en effet,que le bât blesse. Le site web diocésain est une injure à l’esthétique,le journal paroissial ressasse des infos qui n’intéressent que ceux quiétaient présents à la choucroute paroissiale, RCF est averti au derniermoment que l’évêque est en mission en Centrafrique et ne peut doncpas faire le direct espéré. Mais pire encore : comment communiquer

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avec un budget « peau de chagrin » ? Un seul salarié à plein temps,un salarié à mi-temps – partagé entre les services de la communica-tion et de la radio – deux bénévoles et demi, et cent cinquante orga-nismes diocésains qui aimeraient que le chargé de communicationfasse à la fois de la publicité, du commerce, du marketing, du social,de la psychologie, du dépannage informatique et de la mainte-nance ? Plus profondément : doit-on doter le service communicationd’un budget de développement – au-delà du budget courant de fonc-tionnement ? À mon sens, oui. La croissance du service, sa vie même,en dépendent, à moyen terme. Le service de la communion n’est pasun service minimum.

Toucher les acédiques 3

Dans un contexte de chrétienté, l’information peut suffire, parexemple les horaires de messes. En un temps de déchristianisation,voire d’exculturation chrétienne, il faut savoir également revenir à laformation, par la communication. Cette formation, non plus acadé-mique et unilatérale – d’enseignant à enseigné – doit être singulièreet interactive, parfois subjective aussi par la force du témoignage.L’expérience du proche « parle » souvent plus à nos contemporainsque le savoir du héros ou de l’intellectuel. Il faut être aussi capable depoésie, de passer par le mythe pour exprimer le réel. Nous sommesdans un monde qui n’a plus d’illusions, ou plutôt qui en a une,énorme : celle de croire… de n’en plus avoir. Il croit avoir fait le tourde toutes les questions, et ne parvient plus à s’émerveiller. Il devientalors acédique, plongé dans une dépression totale, spirituelle etpsychologique. Or, il n’y a plus qu’une seule façon de toucher lesacédiques : leur parler au cœur, en s’effaçant. Par une image adres-sée, une citation d’espérance, un coup de fil quotidien, chaque jourà la même heure, qui rappelle au souffrant qu’on existe par l’amitiéautant que par la santé. Par l’humour, formidable levier d’espérance,qui redonne confiance et manifeste l’humilité dans la compassion.Cette amitié – charité, empathie, amour ? – sait aller jusqu’au lave-ment des pieds et affronter la mort et la déréliction. « Peut-êtren’avons-nous jamais eu le choix qu’entre une parole folle et une

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parole vaine » dit Christian Bobin, dans L’homme qui marche. Pourmoi, le communicant chrétien est cet homme qui rejoint l’autre et leTout Autre. Jusqu’à la folie de la croix, mais avec les béatitudes pourprovisions. n

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11 -- Appréhension synchrone du monde par lescinq sens.

22 -- Service diocésain de la communication.

33 -- Personne plongée dans un état de tristesseprofond et durable, par paresse ou fatigue spiri-

tuelle. Dans le premier cas, elle a négligé Dieu etfinit pas se négliger elle-même. Dans le secondcas, elle s’est trop négligée, et ne trouve plus laforce en elle de chercher, trouver et aimer Dieu.Cette tristesse prend l’aspect d’une dépressionpsychologique, le plus souvent.

NOTES

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P A R T A G ED E P R A T I Q U E S

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Vincent Feroldiprêtre du diocèse de Lyon

Hiver 2008/2009. Un début d’incendie criminel endommage lamosquée de Saint-Priest (Rhône). En signe de protestation et de soli-darité avec la communauté musulmane locale, des hommes et desfemmes de toutes appartenances sociales, politiques et religieuses serassemblent dès le lendemain après-midi. L’ensemble des médiasaudiovisuels sont présents et interviewent responsables et personnesde la rue. Les journaux télévisés du soir relatent l’événement par dessujets où s’entremêlent images de la manifestation, déclarations offi-cielles et commentaires en voix off.

Me voilà apparaissant sur plusieurs chaînes, m’exprimant aunom de l’Église catholique, micro à la main, entre les responsablesrégionaux musulmans. Mais le téléspectateur ne peut saisir mespropos couverts par le commentaire... Dans les jours qui suivent, endifférents lieux où me conduit mon ministère pastoral, beaucoup depersonnes me parlent du reportage et de ma présence. Elles en ontété heureuses et entament avec moi un échange sur le sujet. Je prendsalors conscience du primat de l’image et du message émanant de soncontexte, second étant alors le discours et les paroles prononcées. Jen’avais rien dit et pourtant tout le monde savait ce que représentaitma présence : la solidarité de l’Église catholique et des chrétiens, unrefus de la violence et une défense des lieux de culte.

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Oser communiquer avec tous

PARTAGE DE PRATIQUES

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S’inculturer

Évoquer en introduction de mon propos ce petit fait se veut invi-tation à nous inscrire dans le réel, c’est-à-dire dans le monde tel qu’ilest et non tel que nous voudrions qu’il soit. Notre Église vit dans uneculture. Elle doit accepter d’en prendre les codes et les usages, certesavec discernement, si elle veut être à l’écoute de ses contemporains etêtre entendue des hommes et des femmes de notre temps.

Aujourd’hui, tout un chacun est soumis au développement desoutils de communication que sont le web, le téléphone portable, l’ap-pareil photo numérique et doit faire face à l’extrême rapidité de ladiffusion de toute information. Aussi, quel ne fut pas mon étonnementlors du décès du pape Jean-Paul II alors que je me trouvais dans lechœur de la basilique Saint-Pierre, à proximité du catafalque dupape vers lequel s’avançait une immense procession de personnes. Jevis que la grande majorité des fidèles, arrivés après une très longueattente devant le corps du défunt, avait comme premier réflexe nonpas de se recueillir mais de prendre une photo avec leur téléphone...et de l’envoyer, à peine sortis de l’édifice, à leurs proches par SMS !

L’image est devenue première. Elle résonne en nous en fonctionde notre affect. Il serait illusoire d’imaginer que nous pouvons totale-ment maîtriser notre image à partir du moment où la vie de l’Égliseest avant tout dans la sphère publique. Néanmoins, si notre travaild’information et de communication s’enracine dans des relations deconfiance et de respect mutuel à l’égard des professionnels del’image, nous n’aurons pas l’impression d’être trahi ou dénigré.Souvenons-nous par exemple du film Le Grand Silence du documen-tariste allemand Philip Gröning sur la Grande Chartreuse ou desreportages photographiques au moment de la mort de l’Abbé Pierreou du voyage de Benoît XVI en France...

Utiliser à bon escient les outils d’aujourd’hui

En une dizaine d’années, le développement des techniques amis à la disposition du plus grand nombre et pour un coût réduit des

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outils très performants de communication : l’ordinateur portable, letéléphone satellite, la diffusion numérique, l’appareil photo numé-rique, Internet... Il faut en user, sans en abuser, en s’adaptant aussi àchaque outil qui a son propre style d’écriture.

Il n’y a rien de pire qu’un site Internet où il n’y a que du texteou des animations complexes demandant un long temps de téléchar-gement. Visuels de qualité, titres concis, accroches synthétiques atti-reront l’œil de l’internaute et le pousseront à demeurer sur le site. Ilaura envie d’en savoir plus.

SMS et courriels peuvent être les ennemis du bien s’ils inondentnos boites de réception. Mais quels merveilleux outils quand ilspermettent, pour un coût infime, une forte réactivité, sans pour autantimportuner à tout moment le destinataire. Ils créent du lien aux quatrecoins de la planète et favorisent les échanges d’information en tempsréel. Ils économisent du papier et participent ainsi à la préservationde notre environnement.

Etre professionnel

En 2009, au même moment et en différents lieux de la planèteTerre, des individus prennent connaissance de la même informationou la diffusent. Quelques instants à peine après un drame, desimages d’amateurs font le tour de la planète. Sans contrôle ni vérifi-cation de l’information selon les bonnes règles du journalisme, desnouvelles sont diffusées. Tout va vite et, si l’actualité est chargée, desévénements d’importance s’effacent rapidement de la mémoire dechacun pour laisser place à d’autres où s’entremêlent émotion, infor-mations et parfois commentaires et analyses.

Que de fois ai-je entendu des propos de mécontentement tantd’acteurs de l’Église que de professionnels de l’information, chacunreprochant à l’autre de les ignorer ou de ne pas les prendre encompte ! Il y a pourtant une grande attente de la part de l’opinionpublique de mieux connaître l’Église catholique, de savoir ce qu’ellepense sur tel ou tel sujet, de découvrir sa vie au quotidien, non seule-ment celle de ses responsables, mais aussi de ceux et celles qui, unpeu partout, font l’Église.

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Ma conviction profonde est qu’il faut refuser tout amateurismeou approximation et savoir être professionnel à une époque où lacommunication est première. Sans oublier un peu d’humour et beau-coup d’humilité ! Souvenons-nous qu’il n’y a pas une Église mais desÉglises : anglicane, catholique, copte, orthodoxe, protestante... etque les croyants en Dieu de notre pays peuvent être aussi bouddhis-tes, hindouistes, juifs, musulmans ou autres... Nul n’a la vérité, mêmesi, pour nous, nous confessons que le Christ est Vérité.

Être professionnel, c’est savoir être accueillant aux médias quinous questionnent ! Être professionnel, c’est répondre présent quandils nous joignent dans l’urgence ! Être professionnel, c’est prendre dutemps avec les journalistes, peu au courant du fait religieux, pour leurpermettre d’entrer dans notre univers ! Être professionnel, c’estdonner de l’information, en accordant aux médias une réelleconfiance qui s’appuiera sur une exigence de sérieux ! Être profes-sionnel, c’est donner du sens et de la profondeur par des cheminsclairs et non abscons ! Être professionnel, c’est user d’un langagesimple et dynamique pour rejoindre le plus grand nombre de noscitoyens, en pensant avant tout aux hommes de notre temps !

Se risquer

Ne soyons pas toutefois naïfs ! L’échec existe, la tromperie aussi.Le sacro-saint audimat ne fait pas toujours bon ménage avec l’infor-mation, la réflexion, la formation et l’interpellation. Mais sommes-nous prêts à débattre et à aller sur les plateaux de télévision ou dansdes émissions de radio, avec nos convictions, nos interrogations etnos doutes ? Oser se risquer à une parole vraie, sincère, profonde,réaliste ?

Les sempiternelles interpellations solennelles sur « l’Église et lepréservatif », « le mariage des prêtres », « l’ordination des femmes »et « l’homosexualité » nous hérissent à plus d’un titre, surtout s’il fautrépondre du tac au tac, en moins de trente secondes, et avec le risquede voir notre propos déformé.

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Pourtant, prenons un peu de recul et constatons que, si ces ques-tions reviennent à la moindre interview d’un évêque, c’est bien parcequ’elles rejoignent des questions aujourd’hui fondamentales pour nosfrères et sœurs en humanité : la sexualité, la relation homme-femme,le pouvoir, la place de la femme… Notre communication doit-elle enpriorité porter sur le rappel des exigences ou proposer des cheminspossibles de vie à nos contemporains qui ne se prennent pas pour dessaints mais sont en quête de bonheur ?

Se nourrir des Évangiles

Il est frappant, à la lecture des Évangiles, de voir comment Jésusa communiqué avec ses contemporains. S’il a privilégié la parole, iln’a pas pour autant négligé le contact direct avec les foules et lespersonnes. Il a fait les gestes signifiants. Il a posé des questionsciblées à la foule, aux disciples, aux apôtres ou aux chefs des prêtres,aux docteurs de la Loi et aux scribes.

Il a aussi abondamment usé de l’art de la parabole qui avaitl’extraordinaire avantage de ne pas enfermer les auditeurs dans unemorale toute faite et bien ficelée mais de les ouvrir à la méditation, àl’interrogation, au questionnement. Profondément enracinées dans lavie quotidienne, ces « histoires » prenaient appui sur la nature (legrain de sénevé, le figuier bourgeonnant, la brebis perdue, l’ivraie…)ou sur des scènes de vie bien réelles (les enfants sur la place, lecambrioleur, le débiteur impitoyable, l’enfant prodigue…). Mais ellesn’avaient jamais le script attendu ; elles allaient comme à contre-courant de ce à quoi l’auditeur pouvait s’attendre. Il y avait toujoursun effet de surprise. Résultat : deux mille ans après, on en parleencore, sans en avoir totalement épuisé le sens. Elles demeurentsource de vie et d’enseignement.

Il y a là un modèle à prendre : partir de la vie de nos contem-porains, capter leur attention, parler simplement, leur ouvrir desespaces de réflexion, les accompagner dans un discernement, lesrenvoyer à leur propre conscience, les rendre éclairés, libres, acteurset responsables, leur permettre d’avancer à leur mesure et dans une

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direction stimulante, attirante et passionnante. Privilégier l’humain àla doctrine.

Partir d’un a priori de sympathie

Mais à la source de notre communication, n’y a-t-il pas unequestion fondamentale, à savoir : quel type de relation souhaitons-nous établir avec l’autre ? Si je pars avec la ferme conviction d’êtreporteur d’une vérité que l’autre ne veut pas entendre et que je veuxlui imposer envers et contre tout, comment pourrais-je établir unevraie communication ?

Partons de l’homme et allons à lui dans la perspective de luipartager quelques trésors qui nous font vivre et que nous aimerionstant qu’il partage avec nous. Habité d’un a priori de sympathie à sonégard, allons vers lui à armes égales, heureux de nous enrichir de sesquestions et de ses réflexions, et désireux de lui communiquer unmessage qui nous préoccupe au premier plan aujourd’hui et dontnous pensons qu’il aura tout intérêt à prendre connaissance, voire àle faire sien.

Prenons un exemple récent, ô combien positif. Il a supposé denombreux contacts préalables et d’échanges, vu l’ampleur de lacommunication réalisée. Au moment de Noël, les quotidiens LeMonde, Le Figaro, La Croix, L’Humanité, Le Parisien, Ouest-France,Sud Ouest, L’Est républicain, Les Dernières Nouvelles d’Alsace, LeDauphiné libéré, Le Progrès, Le Midi libre... ont publié une tribuneintitulée : « Noël dans la crise ; un rendez-vous pour l’espérance ».Redisant les fondements du christianisme social, ce texte a été cosi-gné par vingt-cinq personnalités, dont Jean Boissonnat, DanielCasanova, Jacques Delors, Jean-Baptiste de Foucauld (fondateur deSolidarités nouvelles face au chômage), Alain Juppé, Patrick Peugeot,Michel Rocard, Jérôme Vignon, Robert Rochefort, Eric-EmmanuelSchmitt et Sylvie Germain (écrivains), Guy Aurenche (président duCCFD), Xavier Emmanuelli (fondateur du SAMU social), FrançoisSoulage (président du Secours catholique), Jérôme Vignon (présidentdes Semaines sociales de France)... Il s’agissait d’offrir au plus grandnombre un message d’espérance, une tribune pour, d’une part, souli-

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gner que la célébration de Noël nous invite à réactualiser le sens quenous donnons à l’économie et à choisir la voie de la solidarité et,d’autre part, rappeler « les six piliers fondateurs de la pensée socialechrétienne : la destination universelle des biens (la propriété privéeest légitime si son détenteur en communique aussi les bienfaits à ceuxqui en ont besoin), l’option préférentielle pour les pauvres, le combatpour la justice et la dignité, le devoir de solidarité, le bien commun etle principe de subsidiarité (faire confiance à ceux qui se trouvent auplus près du terrain pour résoudre ensemble leurs difficultés) ». Unetelle action s’est inscrite dans le débat public, a fait œuvre pédago-gique et a stimulé la réflexion de l’opinion.

Aller à la rencontre du monde

En ces temps de communautarisme et de recherche identitaire,il serait donc regrettable de nous replier sur nous-mêmes et de nouscantonner au langage de la tribu.

Dans un monde en évolution et où se perd le lien social, à uneépoque de réel pluralisme religieux perçu par le plus grand nombre,face à un déficit crucial de culture religieuse de la part de noscontemporains, il faut résolument aller à la rencontre des hommes etdes femmes de notre temps, habités de cette joie intérieure qui trouveses fondements en la Bonne Nouvelle présente dans les Écritures etapportée par le Christ.

Aimer l’homme aimé de Dieu, depuis les origines, de ce Dieuqui dit à Noé, en Genèse 7-9, qu’Il est le Dieu des vivants, le Dieu del’Alliance, avec l’homme et avec tous les êtres vivants qui sont autourde lui : les oiseaux, les animaux domestiques, toutes les bêtes sauva-ges, tout ce qui est sorti de l’arche pour repeupler la terre.

Aimer l’homme aimé du Dieu crucifié, confiant les hommes lesuns aux autres dans cet émouvant dialogue entre Jésus, sa mère et ledisciple qu’il aimait (Jn 19, 25-27).

Aimer l’homme aimé du Dieu, Esprit d’Amour, qui vient fécon-der le cœur de l’homme pour qu’il soit lui-même artisan de paix,témoin de justice et messager d’espérance à ceux qui sont encoredans les ténèbres, de ces ténèbres dont parle l’évangéliste Jean à

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propos du Christ dans son prologue : « En lui était la vie et la vie étaitla lumière des hommes, et la lumière brille dans les ténèbres, et lesténèbres ne l’ont point comprise » (Jn 1, 4-5).

Mais, au soir du Vendredi saint, sur le bois de la croix et aumatin de Pâques, devant le tombeau vide, nous le savons : « La vie avaincu la mort. » n

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Jean Rouetvicaire général du diocèse de Bordeaux

Le divorce entre les médias et l’Église est devenu un lieu commun.Les accusateurs dénoncent ses tabous, son look vieillot, son incompré-hension de l’évolution de la société, son vocabulaire abscons. Sesdéfenseurs, agacés, avancent 2 000 ans de communication pas si malréussis en fin de compte... un contenu qui n’aurait pas changé, l’Évan-gile restant le même. Comment réfléchir à ces questions quand on estchargé de la communication dans son Église diocésaine ?

Avantages et inconvénientsde la communication aujourd’hui

Grâce à la profusion de moyens de toute sorte et à l’explosiondu numérique, le monde semble devenu un grand village. Le journalde Bordeaux de ce matin m’apprenait que l’évêché d’Agen vendaitune ancienne boîte de nuit reçue par legs, cette nouvelle jouxtant lesdrames de la route, les querelles familiales, le drame du Moyen-Orient. Ce soir aux informations, avec ou sans la publicité, je seraiinformé de trente-six mille nouvelles en quelques minutes : de la petitefille de Rachida Dati aux tragédies de Gaza, en passant par les résul-tats sportifs ou les vœux officiels qui vont pleuvoir tout au long de lasemaine. Nous nous trouvons devant une masse incroyable d’infor-mations, la révolution Internet faisant exploser la multitude des points

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Pourquoi dit-on quel’Église communique mal ?

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de vue et des questions abordées. C’est un monde rapide, multiple etcritique mais c’est aussi un monde très sélectif qui cultive l’indifféren-ciation. La profusion de nouvelles laisse à penser que l’on connaît toutsur tout. Pure illusion. Je ne connais qu’une infirme partie des événe-ments qui se sont déroulés aujourd’hui sur toute la surface de la terre.Et je ne connais que des points de vue : celui du journaliste, du camé-raman, du reporter radio, des gens qui ont opéré un choix à partirde leurs possibilités du moment et de leurs convictions. « Trop d’in-formations, dit-on souvent, tue l’information ! » On pourrait ajouter :« Trop d’informations donne l’illusion d’être informé. »

Entre information et communication, il y a le temps nécessairede la réflexion ? Qu’est-ce-que je veux communiquer de ce que j’aivu et entendu ? Le débat, la réflexion, l’approfondissement d’unequestion sont parties intégrantes de la communication.

La richesse des moyens de communication est très impression-nante. Les studios de télévision sont de grands lieux de déploiementd’image, de lumière, de son, de mise en scène et de savoir faireextrêmement onéreux. La communication coûte de plus en plus cher,il n’y a qu’à voir dans notre budget familial la croissance de larubrique Internet, téléphone, portable et, pour les plus chanceux,Canal-satellite… On parle de fracture numérique pour évoquer denouveaux types de pauvreté et de disparité de moyens soit, dans nospays, entre riches et pauvres soit entre le Nord et le Sud.

Enfin malgré la profusion des points de vue, de nouveauxtabous ont vu le jour. Si vous parlez de fidélité, vous serez facilementprésenté comme archaïque. Vous avez le droit de vous extasierdevant les pratiques ancestrales des montagnards du Laos et de leursrites religieux qui seront présentés comme des faits culturels. Parcontre, la religion chrétienne sera vite folklorisée et dénoncée commedépassée par l’évolution de la « société ». De nouveaux interditsportent sur les mœurs et sont la plupart du temps à l’inverse de ceuxque l’on attribuait à l’Église.

Les extraordinaires richesses des moyens de communicationsoulèvent, par leur abondance même, de nombreuses questions. Il neva pas de soi que l’abondance des informations soit au service d’unemeilleure communication, ou d’une meilleure harmonie sociale. Laquestion principale qui se pose à notre société médiatique est celle dela formation des opinions publiques : manipulation ou appel à une

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réflexion éclairée ? Une information, aussi exacte soit-elle, n’est pasforcement une bonne communication. Une bonne communicationnécessite un traitement de l’information.

Les difficultés et les chances de la communication ecclésiale

De l’usage de l’image

« Quelle image doit donner l’Église pour communiquer ? » Cettequestion, souvent évoquée dans les différents lieux de l’Église, estparticulièrement ambiguë. C’est comme une sorte de préoccupationde soi, comme si on voulait montrer son plus beau côté. C’est uneapproche par la séduction. C’est un a priori pour plaire, comme si lacommunication de l’Église consistait à parler d’elle-même avec sonplus beau sourire.

La tradition de l’icône a mis au cœur de la foi chrétienne un toutautre style de communication. L’icône, c’est l’image qui ouvre aumystère, qui donc n’arrête pas sur elle-même. Elle est comme uneœuvre d’art. L’Église doit prendre en compte le patrimoine qu’elle areçu en ces domaines (architecture, musique, peinture, écriture) et s’in-terroger sur son développement. Le tourisme est un lieu très importantde communication, de mise en rapport, d’échange. Un affadissementde l’imagerie religieuse, un appauvrissement artistique de la productionreligieuse sont un lourd handicap pour la communication de l’Église.

Au cœur de la foi chrétienne, l’image du Christ en croix creusedans nos histoires le vrai chemin de la liberté intérieure, celle où jesuis pleinement moi-même sans le souci de moi mais dans le totalsouci de l’autre. La croix casse les images pieuses ! Elle met la mortau centre. Le mystère du mal comme porte d’accès au mystère del’amour nous met dans l’étonnement, dans la surprise, c’est un événe-ment que n’épuise jamais l’actualité mais qui nous introduit dans lesaint des saints. La croix est le haut lieu de la révélation de la divinitédu Christ. La mort et les malheurs qui hantent nos médias parce quesi quotidiens nous dévoilent au jour le jour la part de Dieu en son

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POURQUOI DIT-ON QUE L’ÉGLISE COMMUNIQUE MAL ?

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contraire. On est loin des papiers glacés et des images retouchées…mais on est au cœur de l’aventure humaine.

De l’usage de la langue

Trop de journaux paroissiaux ont un look du début du vingtièmesiècle. Ils parlent à des générations qui n’emploient plus ce type decommunication. Trop de journaux ecclésiaux oublient de mettrecomme première préoccupation la question des interlocuteurs : « À quivoulons-nous nous adresser ? Avec qui voulons-nous communiquer ? »S’ils parlent grec, je serai bien avisé de parler grec avec eux. La caté-chèse, par exemple, a encore trop peu développé l’usage des DVD etla pratique d’Internet. Trop de médias chrétiens parlent uniquementaux chrétiens : c’est le langage de la tribu, c’est « les cathos parlentaux cathos ». C’est la communication narcissique ! Hé oui, « on secomprend ! » On est bien loin de l’ouverture à toutes les nations !

Il est fort intéressant de travailler avec des professionnels de lapresse ou de l’image qui ne sont pas nécessairement chrétiens, leursquestions nous obligent à nous décentrer et à faire véritablementœuvre de conversation. Rien ne remplace le travail avec eux dans lerespect de leur professionnalisme. Nous sommes très méfiants etaccusateurs à leur égard mais ils ont beaucoup à nous apprendre ducœur de leur métier : l’art de communiquer, la capacité à s’intéresserà ce que vivent les autres. Nous sommes obnubilés par ce que nousvoulons faire passer. Nous ne prenons pas assez le temps de nousimmerger, de créer des relations de confiance pour entendre et sefaire entendre, simplement pour parler.

Parler est l’acte qui nous dit le plus la ressemblance avec leVerbe de Dieu, la Parole faite chair. L’acte d’écriture nous oblige àchercher l’inspiration à l’intérieur et pas uniquement à l’extérieur, ilfait apparaître un point de vue, une sensibilité, une analyse, uneinterprétation. Parler et écrire nous tendent en direction de l’autre, detous les autres, pour croiser point de vue, sensibilité, analyse, inter-prétation et ainsi faire vivre la famille humaine. Paul VI parlait de lanécessité de l’Église « d’entrer en conversation ». Pour Dieu, parlerc’est se communiquer, ce n’est pas donner, c’est se donner.

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Les possibilités financières

La communication coûte cher et l’Église est pauvre. J’avais étéfrappé par le coût d’un synode diocésain, il y a déjà plus de dix ans.Ce coût avait paru exorbitant au regard des finances diocésainesmais la somme représentait à l‘époque le coût de l’aménagementd’un giratoire ! Nous jouons dans la cour des petits. Faut-il rivaliseravec les grands ? Professionnaliser nos moyens revient vite cher enemplois, en équipement.

Cependant le développement du numérique pourrait nouspermettre de davantage prendre part à la conversation globale. Oùen sommes-nous dans la recherche des TV sur le web ? Commentdéveloppons-nous le post-casting sur nos sites Internet ? Nous cher-chons beaucoup d’argent pour faire vivre une télévision comme KTOet des radios mais ne prenons-nous pas un retard important dans lacommunication avec les plus jeunes générations ? Dans l’élaborationdes budgets paroissiaux ou diocésains, quelle est la part réservée àla communication ?

L’argent est mis à mal dans les évangiles. Nous entretenonssouvent une mauvaise conscience à son égard. Alors, faut-il joueraux riches indépendants ou bien travailler à devenir partenaires etprésents dans les grands médias à la portée de tous ? Je crains quenous ne perdions du terrain en ce qui concerne une présence activeet intelligente. Il nous faut sûrement une visibilité bien identifiée, maisoù la situer ? Comment trouver des « lieux-carrefours » ? À quelleéchelle est-il le plus efficace de mettre en commun les capacités enpersonnes et en moyens ?

La question des mœurs

Il me suffisait de lire la revue de presse de ce matin pour trou-ver matière sur ce point : « Le Pape contre les études de genre ».« Pour l’Église, la pilule pollue l’esprit, la nature et les hommes »…Tout est fait pour réduire les positions ecclésiales à des « non », toutest conditionné par une pétition de principe : « Il est difficile de défi-nir la prise de position du Pape autrement que comme

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POURQUOI DIT-ON QUE L’ÉGLISE COMMUNIQUE MAL ?

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réactionnaire », dit l‘un des journalistes. Des lignes parallèles parfai-tes, telles sont les positions des uns et des autres. D’un côté on saitdéjà ce qui va être dit, de l’autre on donne l’impression de ne sesoucier que de ce qu’on veut maintenir !

« Une bonne nouvelle pour tous les peuples ! » ainsi se présentela prédication évangélique. Avant d’être une déclinaison de principeset de dogmes, elle se manifeste dans l’histoire comme un messageheureux pour les hommes et les femmes de toutes langues, races etnations. Où se situe donc le point de fracture ? Il me semble que notreculture occidentale est orientée par le principe du plaisir, du bonheurcomme réalisation de soi, alors que le message évangélique est dontotal de soi, recherche du bonheur de l’autre jusqu’au détriment desoi. Comment trouver le lieu commun de la rencontre ?

Le plus grand piège est d’être cantonné dans « le religieux » ! Lànous sommes perçus comme des moralisateurs ou des prêcheurs degrands principes. L’existence chrétienne est une expérience de rela-tions, une mise en relation, une communication de soi, une promotionde la personne humaine. Des personnages médiatiques commel’abbé Pierre, sœur Emmanuelle illustrent parfaitement mon propos :plus que leurs déclarations (quelquefois étranges) c’est leur engage-ment qui parle, c’est leur prise en compte du malheur des autres quifait autorité ! C’est autant de l’homme que de Dieu dont il s’agit dansleur témoignage et cela « cause » à beaucoup de « pécheurs » !

Conclusion

La parabole avant d’être une sorte d’antenne est un genre litté-raire. C’est la force de l’histoire imagée, du discours qui fait appel àtous les sens et à l’imaginaire, de la parole qui n’enferme pas, qui neveut pas tout dire à la fois mais qui nécessite une interprétation. C’estune communication qui ne peut se produire que si celui à qui je parledevient acteur ; c’est une manière de parler qui donne un chemin quel’autre doit lui-même tracer. Le Christ et ses évangélistes ont beaucouputilisé cette manière de communiquer. De la nécessité d’inventer desparaboles pour notre temps telle me semble être l’exigence d’unebonne communication ecclésiale. n

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Arnaud Gencyservice information-communication de l’Opus Dei

L’Opus Dei est un chemin pour aider les gens à vivre toujoursplus unis à Dieu, dans leur travail professionnel, leur vie familiale etsociale, et dans l’accomplissement de leurs devoirs ordinaires dechrétiens. Fondé en 1928, il propose un approfondissement de la foiqui va de pair avec une forte cohérence de vie. Près de 90 000personnes dans le monde – 1 000 en France – en font partie, mais lenombre de ceux qui assistent aux formations est bien plus large. Cesont des personnes, mariées pour la plupart, qui se sentent appeléespar Dieu à répondre radicalement à la vocation de baptisé : essayerd’agir en tout point comme le Christ l’aurait fait, ressembler au Christdans ses trente années de vie cachée.

Parfois, la perception ne correspond pas à cette réalité, à telpoint que l’on peut dire que cohabitent dans l’imaginaire collectifdeux Opus Dei. L’un, réel, formé par des personnes ordinaires, qui ontdes qualités et des défauts, mais sont mues par le désir sincère desuivre le Christ au milieu du monde. L’autre, fictif, diffusé par unecertaine fiction comme le Da Vinci code et autres aventures du mêmestyle, dans lesquelles les seuls intérêts sont le pouvoir, l’argent et lelavage de cerveaux. Cet Opus Dei fictif serait le « monstre » auquel seréfère Patrice de Plunkett dans le titre de son ouvrage sur l’Opus Dei.

C’est pour résoudre cette tension entre les deux Opus Dei quenous essayons de suivre un principe fondamental dans le travail duservice information-communication de l’Opus Dei : consacrer 90 %de notre temps à construire et ne réserver que les 10 % restant à la

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Quelques expériences de communication de l’Opus Dei

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défense. Je préfère informer positivement et ouvertement, en recevanttoutes les personnes – même celles aux positions anti-catholiquesmarquées – plutôt que de passer mon temps à réagir à telle ou telleforme de caricature. C’est dans cet esprit que nous réalisons uncertain nombre de nos activités de communication, qui sont la basede mon travail et peuvent avoir un impact certain alors même qu’el-les ne sont pas publiées dans la presse.

Le site www.opusdei.fr

Mis en ligne en 2006 dans sa dernière mouture, ce site est misà jour trois à quatre fois par semaine à travers des témoignages demembres, des illustrations d’initiatives avec les personnes en diffi-culté, avec les jeunes, ou simplement avec leurs amis, des articles decontenu purement doctrinal ou en rapport avec l’actualité de l’OpusDei, etc. Chaque fin de semaine, plus de 3 000 personnes reçoiventla newsletter avec les nouvelles de la semaine.

L’année 2008 a ainsi vu plus de 160 000 « visiteurs uniques »visiter environ 800 000 pages, et la mise en ligne des témoignagesvidéo a prouvé, s’il le fallait, combien les internautes apprécient lesimages. Chaque témoignage cherche à exprimer concrètement lemessage de l’Opus Dei : un postier, un syndicaliste, un étudiant, uneartiste… transmettent la vie, la substance, l’esprit qui les anime. Ils necommuniquent pas sur la prélature de l’Opus Dei, mais sur leur vie.

Le site permet également de tenir informés les fidèles de l’OpusDei des nouvelles concernant directement la prélature : c’est la dimen-sion « interne » de la communication, qui oscille entre la lettremensuelle du Prélat 1 et des nouvelles variées 2. Finalement, nousessayons de faire de cet outil l’élément majeur de communication,tant interne qu’externe.

L’attention portée aux demandes de journalistes

Depuis 1966, un service de communication est ouvert, à Paris,d’abord au siège de la Prélature puis, à partir de 2001 – un an avant

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la canonisation de saint Josémaria – dans un bureau disposant de sespropres locaux. Nous sommes passés de une à quatre personnes :webmaster, attachée de presse, porte-parole et moi-même.

Outre l’accueil des journalistes et les réponses aux questions etla présentation de témoins, j’ai la chance de travailler avec un« patron », Mgr de Rochebrune, vicaire de l’Opus Dei pour laFrance, qui a une grande estime pour le travail des journalistes. Ainsi,depuis plusieurs années, j’essaie de faire en sorte qu’il ait descontacts directs avec le monde de la communication, à travers desdéjeuners et des rencontres personnelles. La communication directeaugmente la compréhension mutuelle : au-delà de l’institution, c’est lapersonne qui est la véritable richesse de l’Église et qui rend l’Égliseattirante, « compétitive », dans le monde de la communication.

Rendre service, être une source d’informationen collaborant avec des institutions ecclésiales

Pour les demandes d’information directement liées à l’Opus Dei,j’essaie de répondre en donnant tout un ensemble de données histo-riques et théologiques, sans oublier les témoins authentiques, pourque mon interlocuteur ait le plus d’éléments pour juger. C’est là, jepense, la finalité du service de communication : ne pas chercher àtransmettre une image positive, mais permettre la connaissance del’institution la plus fidèle à la réalité.

Lorsqu’il s’agit de sujets liés à l’Église en général, j’essaie d’aiderles journalistes en leur ouvrant des portes ou en leur indiquant descontacts, que ce soit dans la société civile ou dans le monde ecclésias-tique. Cela dit, outre cette communication habituelle, positive etouverte, il y a parfois dans la communication de l’Église des circons-tances spécifiques qui exigent une plus grande attention, comme dansles cas que je vais exposer maintenant.

En tant qu’institution de l’Église, il nous revient parfois decommuniquer dans un contexte où l’interlocuteur a des présupposésqui ne correspondent pas à la réalité. Les lieux communs ont uneforce inouïe. Un jeune africain, membre de l’Opus Dei venu étudierun an en France s’entendit reprocher toute une soirée par des amis

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d’être franquiste, etc. Le lendemain, il confia à un ami : « Mais c’étaitqui, Franco ? »…

Lorsque le film Da Vinci code est sorti, nous avons décidé de« faire de la limonade avec du citron ». Autrement dit, tirer partie dela controverse pour montrer le vrai Opus Dei. Je vais essayer demontrer, dans les lignes qui suivent, comment l’Opus Dei en France aréagi à quelques événements récents, sachant que bien souvent, lesrésultats de telle ou telle action ont tenu à un concours de circonstan-ces que je qualifierais volontiers de providentielles.

La parution du roman Da Vinci code (DVC)

Au mois de mars 2005, la traduction du roman de Dan Brown,Da Vinci code, est publiée en France. La lecture de l’ouvrage enanglais, quelques mois auparavant, avait convaincu notre service decommunication que cet ouvrage ne connaîtrait jamais en France lesuccès qu’il avait remporté aux USA. Nous nous sommes alorscontentés de mettre en ligne sur notre site quelques traductions d’ar-ticles américains qui confortaient notre point de vue.

Au mois de juillet, le DVC devint le roman de l’été, avec lesuccès qu’on lui connaît. Fin août, quelques média s’emparèrent del’affaire. L’appréciation du succès du livre avait été émise par des« spécialistes » qui, par définition, ne représentaient pas le lectoratmoyen… et nous n’avions pas lu l’ouvrage en français.

Malgré cela, nous avons décidé d’en rester là pour ne pas fairedavantage de publicité à ce roman. Comme on peut le voir a posteriori,un produit bien élaboré comme le DVC n’a pas besoin de polémiquepour connaître le succès. Mais à l’époque, nous nous sommes conten-tés de mettre sur Internet divers articles et communiqués, destinés autantau grand public qu’aux journalistes. Ce fut peut-être le bon choix.

Plus que de collaborer avec les médias, c’est l’effort pour fairepreuve de transparence qui, me semble-t-il, a caractérisé notreréponse au phénomène DVC. Cela dit, notre première expérience nefut pas des meilleures, puisqu’elle se réalisa avec un hebdomadairepeu réputé pour son sérieux, voire racoleur. Nous avons prouvé notre

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bonne volonté en montrant ce qu’ils voulaient voir mais le résultat aété carrément mauvais : sur un article de deux pages, une demicolonne donnait la parole aux témoins, le reste étant consacré auxdétracteurs et remarques du journaliste.

Le film Da Vinci code

Lorsque l’on apprit que le livre allait être adapté au cinéma,nous nous sommes demandés une nouvelle fois quelle serait la réac-tion appropriée. Ce coup-ci, il fut décidé de communiquer active-ment. Puisque nous allions être l’objet de tous les regards, autant enprofiter pour montrer qui l’on était. La date de sortie du film étantfixée, toute la communication devait se produire avant l’événement.Après, plus personne ne s’y intéresserait.

À Paris, d’un point de vue ecclésial tout d’abord, nous noussommes réunis avec tous les « acteurs » du film, si l’on peut dire,qu’étaient le diocèse de Paris, la paroisse Saint-Sulpice et l’Opus Dei.Il s’agissait simplement d’accorder nos violons, puis de voir où etcomment agir ensemble et dans quel but.

Quant à l’Opus Dei, il nous a d’abord fallu accepter le risqued’être déformé ou caricaturé. L’expérience a montré qu’il n’en étaitrien. Au contraire, la transparence et le fait d’assumer notre manièred’être ont été très bien perçus.

Outre la préparation des éléments traditionnels – dossier depresse, communiqué – nous avons développé l’utilisation de notresite, en créant une rubrique « Da Vinci code », alimentée par deshistoriens, des théologiens, des philosophes, etc. Son succès a étéindéniable, et aujourd’hui encore, des personnes viennent y puiserdes informations.

L’autre aspect de l’ouverture de l’Opus Dei aux médias a été lacollaboration de témoins qui recevraient chez eux les journalistes. Ila d’abord fallu voir qui accepterait de répondre à des questionsdérangeantes, voir même incongrues, puis évaluer la capacité de ces« personnes ressources » à s’exprimer et à renvoyer une image del’Opus Dei qui corresponde à la réalité.

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S’exprimer devant les médias n’est pas évident. Nous avonstravaillé ensemble sur le message à faire passer, des histoires vécues,des exemples parlants… qui faciliteraient le travail des journalistes.

Nous avons également veillé à ce que tout le vocabulaireemployé soit accessible à des personnes avec peu de culture reli-gieuse. Nous avons cherché des manières de dire qui, tout en respec-tant l’esprit propre à l’institution, faciliteraient la communication.Nous avons donc recensé les expressions telles que « l’Opus Dei estune prélature personnelle »… pour les rendre compréhensibles :« l’Opus Dei est semblable à un diocèse », ou encore « l’Opus Dei estune institution de l’Église », etc.

En général, chaque fois qu’une personne de l’Opus Dei va s’ex-primer dans un média, même si elle prend régulièrement la parole, leservice de communication lui propose un bref media-training : parceque parler à la télévision ou à un journaliste de presse écrite sont deuxchoses différentes ; parce que le contexte évolue ; parce qu’il y a desquestions auxquelles il n’a pas pensé, etc. C’est un travail parfoisingrat – surtout si le média ne réalise finalement pas son interview –mais toujours payant, ne serait-ce que par son côté rassurant.

La préparation d’un témoin vise autant à l’aider à s’exprimer ouà réfléchir sur l’idéal qui l’anime qu’à diminuer le stress qui précèdetoute interview. Il sait qu’il va contribuer à l’image de ce qui lui tientle plus à cœur – l’Église et l’Opus Dei – et il me semble qu’un pointimportant est de l’aider à être lui-même, dire « je », parler de ce qu’ilest et de ce qu’il fait, en expliquant pourquoi il le fait.

Parmi les actions marquantes autour du DVC figurent les invita-tions dans des résidences où l’Opus Dei organise des activités deformation chrétienne. C’est ce que les médias définirent comme desopérations « portes ouvertes », relativement proches de la sortie dufilm. Toutes les télés, plusieurs radios et la presse écrite s’y associè-rent. Les témoins étaient présents, les lieux à filmer étaient définis parle service de communication, en fonction de leur capacité à mieuxmontrer l’Opus Dei réel : la maison d’un couple avec trois enfants,une école, etc. Les lieux de formation de l’Opus Dei sont très variés.

Tous les thèmes ont été abordés, tout ce que les journalistesvoulaient savoir a été dit ou montré, mais nous avons tâché de mini-miser les imprévus. À une exception près, le résultat a été trèscorrect : les journalistes se sont rendu compte de l’honnêteté de leurs

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interlocuteurs, qui par ailleurs assumaient pleinement leur manièred’être. Il a simplement été nécessaire de réconforter et motiver de trèsbons témoins, un peu maltraités par une équipe.

Je pense que, si ces « opérations » ont été plébiscitées par lesmédias, c’est parce qu’elles ont permis de rapprocher l’Opus Dei etles journalistes, de dialoguer et, par là, de réellement progresser dansla connaissance et le respect mutuel. Ce fut pour eux l’occasion de voirl’Église autrement, à travers des catholiques ordinaires, et pour nous,ce fut une confirmation du professionnalisme avec lequel travaillent lesjournalistes et de leur désir de comprendre pour informer.

Enfin, les porte-parole de l’Opus Dei ont répondu aux invita-tions sur des plateaux de télévision ou de radio, partant du fait que,pour l’Opus Dei du moins, être vu ou entendu est toujours un plus,quand bien même on pourrait faire une piètre prestation.

Les 80 ans de l’Opus Dei

Lorsque l’Opus Dei a célébré ses quatre-vingts ans, en octobre2008, nous nous sommes demandé comment en profiter pour inviterles journalistes à un événement et donner à parler de nous de façonpositive. Une actualité quelque peu mouvementée les mois précédentsa probablement poussé certains médias à nous rencontrer.

Quelques mois plus tôt, en juillet 2008, l’archevêque deToulouse, Mgr Le Gall, avait nommé curé de paroisse un prêtre del’Opus Dei, ce qui constituait une première en France. Quelques réac-tions relayées par certains médias donnèrent à cet événement unedimension nationale, remettant sur la sellette le supposé pouvoir del’Opus Dei au sein de l’Église et son passé espagnol. L’Opus Dei étaitredevenu « d’actu », l’engouement des médias pour ses quatre-vingtsans était presque naturel.

Les actions principales de cet anniversaire furent d’une part des« opérations portes ouvertes » dans trois villes de France (Strasbourg,Rennes et Paris), et d’autre part une conférence de presse donnée parle vicaire de l’Opus Dei en France suivie d’interviews et d’un déjeu-ner en présence de témoins. Le franc-parler du vicaire a permis àcertains de mieux comprendre tel ou tel point en rapport avec l’ac-

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tualité, et le déjeuner a largement contribué à donner aux témoinsune perception très positive des journalistes.

Quand il faut passer au tribunal

C’est un moment difficile pour un communicant car, d’unecertaine façon, une action en justice est à l’opposé du travail d’unservice de communication.

Malgré tout, en certaines occasions – heureusement peunombreuses – cela s’est avéré nécessaire. Par exemple, lorsque nousavons eu la nette impression qu’un auteur profitait de la notoriété duDa Vinci code pour publier un livre présentant l’Opus Dei et sesmembres comme des criminels. L’ouvrage en question était censé êtreun roman, mais curieusement, il déclare s’appuyer sur des faitsprétendument réels concernant l’Opus Dei…

Une assignation en justice a été décidée après que les appels audialogue avec l’auteur et l’éditeur soient restés lettre morte (nousaurions voulu qu’il ne cite pas nommément l’Opus Dei), et que l’ou-vrage ait été publié.

Une telle décision n’est pas facile à prendre, non seulementparce que l’on risque de faire de la publicité à l’ouvrage incriminé,mais surtout parce que les rôles se renversent facilement : le diffama-teur devient victime, tandis que la victime endosse les habits du bour-reau. Lorsque c’est une institution de l’Église qui porte plainte, le rôled’inquisiteur lui échoit très facilement. Et pourtant, il est nécessaire dedéfendre et sa réputation et celle de ses membres. C’est surtout àtravers le site que nous avons communiqué et expliqué notre position.

Nous avons également appelé les journalistes qui nous suiventpour leur donner notre version des faits et leur permettre de se faireune idée plus précise de la question.

Cela dit, le maniement d’une assignation en diffamation estaussi délicat que la communication de crise : non seulement il fautêtre bon sur le fond, mais encore il ne faut pas se faire retoquer surla forme… et il n’est pas certain qu’on y réussisse à chaque fois.

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En conclusion

Je pense que la charité est la meilleure manière d’informer surl’Église et sur l’Opus Dei : aimer est une forme de connaissance etpermet de se faire connaître.

Pour reprendre des propos de saint Josémaria, je dirai que noussommes devant un travail éminemment pratique et positif, qui exigeque nous soyons des personnes « au cœur grand et aux bras ouverts,disposées à noyer le mal dans une abondance de bien : parce quel’Opus Dei n’est anti-rien ». Une ligne de travail exigeante certes,mais ô combien enthousiasmante. n

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11 -- Lettre pastorale du prélat qui commente letemps et les fêtes liturgiques et encourage lesfidèles dans leur tâche de formation et d’évangé-lisation.

22 -- Célébrations eucharistiques, ouvertures decentres de formation, ordination sacerdotale decertains fidèles, etc.

NOTES

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Anne Jacquemotdirectrice de la communication,

diocèse de Coutances et Avranches

Je vous propose une réflexion sur la vocation, par un regard surle monde de la communication, des médias en général et plus spécia-lement les médias locaux et régionaux, si prégnants et si lus enprovince, et sur les actions de communication de l’Église dans ledomaine des vocations : sa vocation à communiquer sur la vocationchrétienne. Dans un premier temps, j’évoquerai la place de la voca-tion dans les médias, puis cette place dans les supports de communi-cation de l’Église elle-même. En troisième lieu, je m’attacherai àanalyser différents temps de la communication de la vocation.

Un fil conducteur de cette réflexion est constitué par celui dutemps : la date, la durée, la longueur d’une vie, le moment de l’an-nonce, le jour d’une ordination, l’âge auquel on communique sur sapropre vocation. Pour la communication, ceci est à conjuguer avec letemps des médias, ses surfaces disponibles, ses contraintes tech-niques propres. Comment faire exister dans les médias la durée d’unevocation, cette Bonne Nouvelle de l’ordination qui perdure au quoti-dien ? Cette Bonne nouvelle d’un mariage sans date « phare », unefois échue celle des noces et de la fête ?

L’image de la vocation dans les médias

Quand le sujet « vocation » est évoqué dans les médias, ilcomporte en lui-même une importance essentielle : parler vocation,

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La bonne nouvelle d’une vocation

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c’est parler avenir, c’est donner, même sans le savoir, une image del’avenir de l’Église.

Dans la vie du baptisé, de surcroît chez la personne appelée parDieu et l’Église pour leur consacrer sa vie, la notion de durée doit secombiner avec celle de dates. Ainsi, durant la conférence de presseprécédant une ordination de diacres permanents, donc « la » datemanifestant au monde, par les médias, une vocation, les futurs ordon-nés ont expliqué longuement le « cheminement », les « étapes »,« l’approfondissement », essentiel avant cet « aboutissement-commencement » que constitue l’ordination. Comment alors pour unjournaliste rendre compte de ce temps impalpable, inquantifiable, dela vocation ?

Il me semble intéressant, pour l’analyse, de regarder de plus prèsla couverture presse écrite de l’« événement » : célébration d’une ordi-nation diaconale. Il s’agit de l’ordination de deux diacres permanentsà l’automne 2008. Dans la Manche, le tableau médiatique comporte,pour la presse écrite, quatre titres – deux hebdomadaires et deuxquotidiens – couvrant chacun des zones géographiques différentes,mais se recoupant parfois entre hebdomadaire et quotidien. Le dossierde presse comportait la présentation civile, familiale et professionnelledes candidats au diaconat, le déroulement de la préparation avec sestrois étapes de l’interpellation, du discernement et de la formation, unétat des lieux de la situation du diaconat permanent dans le diocèseet en France, un résumé de la liturgie, les textes de référence sur lediaconat.

Trois journaux étaient représentés à la conférence de presse.Deux articles ont été publiés en amont de l’ordination, en pagesdépartementales. Je noterais le travail du journal Ouest France, qui achoisi de présenter cette annonce en effectuant un travail complé-mentaire d’interview de l’un des couples. Les photos montrent lecouple, ou les deux couples, pour La Manche libre, avec l’évêque. Lesens du diaconat permanent est bien repris : le diacre est « l’hommedu seuil » (Ouest France) ; le diacre est « une passerelle entre l’Égliseet la société » (La Manche libre). Les deux journaux traduisent bienles étapes successives de la préparation : l’événement est donc, pourles journaux, d’autant plus remarquable que le temps de préparationaura été plus long. Aucun journal n’a repris la question, pourtantposée durant la conférence de presse : « Si l’Église ordonne des dia-

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cres permanents, n’est-ce pas parce que celle-ci manque de prê-tres ? » La présentation par l’évêque et le vicaire épiscopal a donc étébien reformulée.

Les articles relatant la célébration de l’ordination elle-même sonttrès différents selon la périodicité du support concerné. Notons quedans l’hebdomadaire, une page entière de photos lui a été consacrée,de très belles vues, rehaussées par le rouge liturgique. Aucune photode la foule (et il y avait foule) : le reporter a « oublié » cette dimen-sion au cours de son reportage. Tout se passe comme si, en photos,l’ordination avait été vécue entre ministres ordonnés, et la famille desdiacres. Une affaire de famille en interne, en quelque sorte.

Je me suis intéressée aux occurrences du mot « vocation ». En tantque tel, il n’apparaît jamais. On peut lire dans les reportages les motssuivants : engagement, mission (à plusieurs reprises), grâce : « l’appelau diaconat est une grâce ». Le mot « vocation » n’apparaît qu’uneseule fois et dans la bouche de l’une des épouses de diacres. Il s’agitd’une interview dans l’un des quotidiens : « Nous avons à aider nosmaris à vivre jusqu’au bout leurs vocations » (La Presse de la Manche).

Il me semble donc qu’une réflexion pourrait s’engager autour dece mot « vocation ». Pourquoi est-il peu usité dans les médias ?Quelle est son image dans le langage de l’Église aujourd’hui ?Pourquoi perçoit-on une hésitation à le prononcer pour décrire unappel vers un ministère ordonné ?

La place de la vocation dans les supports de communication d’Église

Tout baptisé a une vocation. Tout baptisé emprunte le chemin desa vocation propre. C’est le sens « large » de la « vocation chré-tienne ». Il est tentant alors de considérer que dès que l’on parled’une personne ou d’un groupe de personnes agissant en Église,quelles que soient les structures dans lesquelles elles s’insèrent, et lesobjectifs de celles-ci, il s’agit de vocations particulières. Quand unlaïc en mission ecclésiale, par exemple, témoigne de son chemine-ment dans le bulletin diocésain, parle-t-on de vocation ? De même,quand un néophyte évoque sa rencontre avec Dieu, cela ne rentre-t-

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il pas dans le cadre de la communication sur la vocation ? Parler desvocations, dans les médias en particulier, cela dépasse donc le cadrede la communication mise en œuvre par les services nationaux etdiocésains des vocations désignés comme tels.

Cependant, le même bulletin diocésain peut être sollicité pouraccueillir les informations préparées par le service des vocations. Parexemple, le bulletin du diocèse de Coutances et Avranches est solli-cité pour l’insertion de la plaquette de présentation du « monastèreinvisible ». Le « monastère invisible », c’est cette initiative de certainsdiocèses visant à organiser un réseau de prière pour les vocations, àpartir d’un support de méditations, de prières, de témoignages. Pourles responsables du bulletin, la réponse n’est pas évidente : insérer laplaquette comme information ponctuelle ? Mais le propos de sesauteurs va plus loin, il s’agit bien de mettre en œuvre de façon régu-lière, par la prière de tous les lecteurs, une information sur les voca-tions. La vocation, domaine prioritaire pour l’Église d’aujourd’hui,pourrait donc constituer un domaine prioritaire pour la communica-tion d’aujourd’hui.

Mais les responsables des supports de communication nepeuvent répondre de façon systématique à de telles demandes. Ilsdoivent en effet faire des choix de sujets, donc de domaines priori-taires. Plusieurs domaines prioritaires à traiter peuvent se présenteren même temps (audio, TV) et sur une même surface non disponible(écrit). À quel moment donc, à quel rythme parler des vocations ? Dela prière pour les vocations ? Les temps de la vocation ne sont pas lestemps de la communication.

Les différentes phases de communication de la vocation

Le grand âge : un atelier d’écriture avec les prêtres aînés

« Vies de pasteurs, traces et mémoires ». Ainsi s’intitule l’atelierdes prêtres aînés à Coutances que j’ai créé voici deux ans, et quej’anime à raison d’une séance tous les deux mois. Encourager l’écri-

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ture personnelle de chaque prêtre, partager les récits dans lesquelss’expriment la foi et les épisodes marquants de la vie du pasteur, cons-tituer une mémoire humaine du diocèse de Coutances et Avranches,tels sont les objectifs de cet atelier qui se situe à la croisée des servi-ces de la formation, de la communication et du domaine patrimonialet culturel. La Manche est un département attaché à sa mémoireancienne et récente, eu égard au traumatisme encore vivace dudébarquement et de ses suites tragiques sur le territoire normand. Leshommes et les femmes d’Église ont vécu à part entière ces événements,et la génération des prêtres de l’atelier en est l’illustration vivante.

Pasteurs de l’Église catholique, ils ont connu, durant leursparcours vocationnel passionnant, les évolutions rapides, en une géné-ration, du bouleversement conciliaire et postconciliaire de l’Église enFrance. Ils les ont mises en pratique, et leur vocation s’en est trouvéedans la plupart des cas, enrichie et renouvelée. Les récits constituent unchemin de lecture, donné gratuitement à qui souhaitera le parcourir. Ils’agit de récits issus de leur mémoire personnelle, alternant de façontout à fait régulière avec ceux de leur conduite pastorale.

Ce parti pris donne aux séances le dynamisme nécessaire à cetatelier, dans la durée, c’est un atelier « permanent ». Il suit son coursau pas lent et sûr de l’homme de grand âge, encouragé sur sa routepar notre évêque, les confrères, les amis, les familles. Ainsi constituée,la mémoire des hommes complète celle des pierres dont l’Église estporteuse à travers les siècles de foi de ses anonymes bâtisseurs.Mémoire en écritures, mémoires vives de la foi en Jésus-Christ, atten-tives dans leur humbles propos au siècle qui vient, ces témoignagesvont s’inscrire dans la tradition des récits de l’Église. Il ne s’agit pasde passé, ni de contes d’un autrefois révolu, mais des voix fortes etclaires de « vocations en marche ». Il n’y a pas d’âge pour dire Dieu.Un premier livret va être bientôt imprimé et communiqué.

Le jeune âge : les blogs des séminaristes ou des jeunes prêtres

Je présente maintenant une réflexion sur les blogs des jeunes,plus spécialement sur les blogs des séminaristes et sur ceux des jeunesprêtres. En effet, cette recherche me paraît pertinente dans le cadre de

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cette relation entre vocations et communications. Pourquoi ? Pour aumoins deux raisons. La première provient des personnes elles-mêmesqui écrivent sur ces blogs : les jeunes ne cachent pas, en général, leurvocation. Ils présentent leurs blogs comme étant celui « d’un prêtre ».Ils osent afficher la couleur et il me semble qu’il convient de leur ensavoir gré. De ce fait, leurs blogs sont perçus en tant que « blogs deprêtres », et donc communiquent sur la vocation vers les autres jeunes.La deuxième raison est plus profonde. Médias des jeunes, les blogsou Facebook sont pour ces adultes en formation, en démarche voca-tionnelle, un outil pour leur cheminement intérieur au quotidien. Cemédia à décrypter participe ainsi de leur vocation.

Les études sur les blogs ou Facebook sont rares. Les pistes derecherche et de travail que je propose correspondent donc aucommencement d’une réflexion que je m’attache à poursuivre parailleurs. Elles sont chemin de recherche qu’en première approche, ilme paraît intéressant de livrer aux lecteurs d’Église et Vocations.

Être jeune et écrire. Oui, mais sur Internet. Fleurissent les blogssur la toile. Les sites Internet constituent pour la communication l’un deses champs actuels et privilégiés de travail et de réflexion. Internetn’est pas toute la communication, mais il prend sa place dans ununivers déjà médiatisé. Internet donc s’inscrit dans le cadre des étudessur les médias : selon ses techniques propres, ses contenus, sesusages, ses audiences, ses institutions, ses formes particulières d’ex-pression, ses références culturelles et artistiques (graphisme, BD,…),ses fonctions (qui dit quoi, à qui, avec quels effets), son histoire(rappelons-nous l’évolution récente des radios libres et leur profes-sionnalisation), son économie, son droit (toute technique nouvelledans les médias constitue une nouvelle source pour le droit desmédias, droit des images, droit des journalistes, liberté de lapresse…). Ces questionnements peuvent constituer des portes d’entréepour étudier chaque type d’Internet évoqué : site, blog, chat, forum,Facebook, courrier électronique, partage de base de données…

Les blogs des jeunes prêtres peuvent être distingués en plusieurscatégories selon leurs contenus : homélies, partage de vie, photos,images, écriture, réactions des internautes. S’ils sont un média, ils sontmenés seuls, n’ont pas encore atteint l’âge des autres supports decommunication dont la conduite relève (dans l’idéal au moins) d’une

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équipe de rédaction, sur la base indicative d’une charte éditorialeélaborée en amont de la mise en ligne du support concerné. Laconduite, en solitaire, d’un support de communication à part entièrepose les questions de l’identité de l’émetteur et de ses récepteurs. Ilconviendrait de mener une réflexion approfondie et exhaustive sur lesfonctions dévolues par leurs émetteurs à ces blogs, et sur les publicsvisés, les fonctions de la participation de la cible à l’élaboration ducontenu, les fonctions d’expression, de participation et d’identifica-tion, au sens de la sociologie des médias.

Je proposerai trois critères pour une réflexion sur ces nouveauxsupports. Le premier : c’est l’identité de la personne, de l’émetteur dublog et de l’internaute récepteur. Qui est celui qui écrit ? Est-il « un »,c’est-à-dire se présente-t-il en tant que « personne totale » se racon-tant au jour le jour, sélectionnant au passage, parfois sans douter desa propre sincérité, des aspects choisis de son histoire personnelle ?Rassemble-t-il dans son acte de communication ses identités civile,virtuelle, agissante, narrative, et oserais-je écrire, son identité « voca-tionnelle » ? Quelles relations engage-t-il avec ses récepteurs ?Quelles sont leurs identités à eux également ?

Le deuxième critère, c’est le critère éditorial. « Éditer » un blog,c’est s’éditer soi-même, sous le regard direct de l’autre, mais sans leregard éditorial de l’autre avant « parution ». Dans l’atelier des prê-tres âgés, ce regard est bien présent : regard des autres participants,regard respectueux et dynamisant de la personne qui conduit l’ate-lier, référence à l’ecclesialité du groupe dont l’acte d’écrire s’inscritdans une réflexion pastorale diocésaine. Dans l’histoire des médias,il est pertinent de situer la chronologie de chacun d’entre eux. Ainsides journaux, des radios, dont le rythme de professionnalisation s’estaccéléré. Au début de l’histoire d’un média, beaucoup d’initiativesapparaissent isolées, non professionnelles. Peu à peu, chaque médiase professionnalise. Ainsi en est-il de la galaxie Internet. Les blogsvont-ils, eux aussi se professionnaliser ?

Enfin, troisième critère, le critère culturel et artistique. Les blogsreprésentent un travail d’écriture régulier, de travail sur l’image, laphotographie, la composition virtuelle. Étudiés de ce point de vue, ilspourront être appréhendés dans ce monde artistique, mais devrontpar conséquent répondre à ses critères particuliers, notamment d’es-

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thétisme. Ainsi des artistes, qui livrent une matière brute de leur créa-tion, mais se faisant, se livrent eux-mêmes, révélant leur être profondau passage, ici, l’essence d’une vocation. Avant donc d’interroger lapertinence ou l’utilité de ces blogs, sous l’angle de la communicationde « vocations en marche », il conviendra donc de recenser ces critè-res d’analyse.

Ces pistes sont donc à affiner, à développer, premiers pas versd’autres approfondissements. À suivre donc.

Conclusion

En terminant cette réflexion sur la communication et la vocation,je souhaiterais donner encore une piste de recherche sur laquelle jetravaille également et qui justifie un approfondissement. Les médias,en général, dans leurs contenus, affichent un paradoxe. D’un côté, ilss’intéressent, en première approche au « grand nombre ». Ce qui faittitre, c’est le nombre de… morts, blessés, d’accidents, une grandefoule. Communiquer sur la vocation chrétienne ne rentrera pas dansce cadre, excepté la foule d’une célébration d’ordination. D’un autrecôté, les médias s’intéressent au « petit nombre », c’est-à-dire à ce qui« fait la différence » avec le « grand nombre ». Ce qui fait titre, c’estle héros commun qui peut devenir star, une « peoplelarisation » devies ordinaires. Un fait qui touche une personne dont la vie se distin-gue des autres. Un fait qui « fait date » sur la durée d’une vocation.« Il lâche la finance et devient moine dans les cités », portrait d’HenryQuinson, Ouest France (10-11 janvier 2009). Une vie à vocationfortement affirmée devient sujet de reportage, de portrait journalis-tique. Une vie en vocation, vie différente, prend vie pour les médias.

C’est donc dans ce « petit nombre », mais qui fait toute la diffé-rence, l’essentielle différence, qu’une communication sur la vocationchrétienne peut être travaillée, en amont, dans les médias, et dans lessupports de communication de l’Église. Ainsi peut-on préparer letravail de communication de « la bonne nouvelle d’une vocation ». n

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PARTAGE DE PRATIQUES

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Claude Collignondélégué épiscopal à l’information et à la communication,

diocèse de Reims-Ardennes

Ce n’est pas un article construit que je livre ici. Lorsquemadame Paule Zellitch m’a demandé une contributionpour ce numéro d’Église et Vocations consacré à lacommunication, je l’ai prévenue que, nouveau venu dansce service en qualité de DEIC (Délégué épiscopal à l’infor-mation et à la communication), je découvrais ce monde dela « com’ ». Voici donc des impressions, des réflexions,des questions d’un novice. Le tout ressemblera à un patch-work plutôt qu’à une texte bien organisé.

Gutemberg

L’invention de Gutemberg avait déjà marqué de son empreintel’homme du XVIe siècle. Cela s’est vérifié avec la Réforme : ainsi désor-mais l’approche des textes sacrés devient individuelle. La consciencede chacun entre en rapport direct avec l’Écriture sainte et chacun estjuge de ce qu’il lit, sans l’intermédiaire d’une communauté ou del’Église. Un monde nouveau a commencé à exister et un nouvelhomme : plus individuel, plus responsable, capable de juger par lui-même. Ainsi se préparaient et le Siècle des Lumières et la naissancedes démocraties.

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Au fil des jours

PARTAGE DE PRATIQUES

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…Et aujourd’hui, que peut-on dire de ce monde qui émerge desnouvelles techniques de communication ? Que peut-on dire del’homme qui en sortira ? Les hypothèses vont bon train, les observa-tions indiquent déjà des orientations. Un exemple, Barak Obama adû son élection en grande partie à sa présence sur Internet. Et la« planète jeune » ? Existerait-elle de cette manière sans le mobile ? Latélévision est-elle à mettre au placard ? Les nouveaux moyens decommunication, qu’est-ce que ça « fabrique » ? Quel monde, quelhomme nouveau nous annoncent ces faits : mondialisation, réalitévirtuelle, simultanéité de l’événement et de l’information ?

Image et idole

Une émission était diffusée tous les dimanches midi sur la« cinq ». Elle s’appelait Arrêt sur images. Pendant une heure, uneéquipe autour de Daniel Schneidermann nous permettait de visiter lescoulisses des infos reçues au cours de la semaine : que disaient exac-tement ces infos, que cachaient-elles ? Quels « oublis » ? Quels silen-ces significatifs ? Quelles appartenances ignorées avec les cercles desdifférents pouvoirs ? L’émission a été supprimée il y a quelques mois.Heureusement on peut la suivre sur Internet.

Ainsi en est-il de la communication : c’est transmettre une expé-rience dans sa vérité. S’il n’y a pas d’expérience vraie, ni de rencon-tre, ni de regard, ni de vis-à-vis, qu’aura-t-on à transmettre ? Lesmédias sont bien ce que ce mot veut dire : un médium, ce qui relie, cequi fait le lien. Oui, transmettre une expérience.

Fascination : c’est l’inverse de la communication : les médias quise nourrissent d’eux-mêmes. Idoles. Ce mot qui signifie « images » ou« vanité ».

L’expérience et le virtuel

« Les spécialistes commencent à s’intéresser aux enjeux d’uneimprégnation audiovisuelle de plus en plus intense et de plus en plus

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PARTAGE DE PRATIQUES

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précoce : la réalité sociale pour un enfant est aujourd’hui d’abordvirtuelle, le plus souvent, avant d’être humaine. Ne se voit-il pas dansl’écran plus que dans le miroir du regard de ses parents ? […] Lecerveau du bébé est en plein développement ; ses connexions sont entrain de se mettre en place. Il est donc important de laisser le cerveaudes bébés tranquille et de le laisser découvrir le monde avec ses sens,son toucher… Par ailleurs l’attachement de l’enfant se fait dans sespremières relations avec ses proches ; il est donc important, pour sondéveloppement relationnel et affectif de ne pas le soumettre trop tôt àdes relations virtuelles. » (La Croix, 14 janvier 2009).

Les médias diocésains

Le diocèse a créé un site Internet depuis plus de dix ans. Sonobjectif ? Présenter des réalisations, des initiatives, des pages deréflexion, des infos sur ce qui s’est passé ou ce qui va se passer…Combien de visiteurs en un mois ? Plus de huit mille.

Et la revue diocésaine ? Elle est pourtant bien faite, maiscomment pourrait-elle rivaliser avec le site ?

Dans le diocèse, on compte plus de deux millions par and’exemplaires de journaux paroissiaux « toutes boîtes » : des équipesde rédaction dynamiques, des distributeurs nombreux. Les journaux« collent au terrain ».

Et puis il y a la radio, RCF, qui diffuse 24 h/24, soit à partir deLyon pour les émissions nationales, soit à partir d’émetteurs locauxpour le diocèse. Là encore, se diffuse un parti pris d’espérance.

Le blog de l’abbé

Mickael D. est l’avant-dernier prêtre ordonné dans notrediocèse. Il est curé dans le rural. Il y a deux ans, des jeunes lui propo-sent d’ouvrir un blog afin de pouvoir poursuivre sur Internet lesdiscussions qu’ils ont entre eux.

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AU FIL DES JOURS

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« Qu’est-ce que je mets dessus ?… Certainement pas un journalintime. J’essaie d’exprimer ce que je vis dans mon ministère… Il m’ar-rive de mettre en ligne une homélie ou un article que je viens d’écrirepour le journal paroissial, parfois des photos.

Et alors des personnes réagissent… et il y a de plus en plus deréactions, jamais agressives mais plutôt encourageantes. Et passeulement d’ici… un étudiant de Nice, une personne toxicomane…En moyenne, je compte une cinquantaine de visiteurs par jour. »

Et l’abbé de conclure : « C’est un aspect nouveau et intéressantpour un prêtre de pouvoir être en lien avec plein de monde même sion ne les connaît pas. On sème… »

Un média réussi

Sarah est hors d’elle-même. Elle a lâché sa cruche et vite, vite,elle court au village. Que lui arrive-t-il ? Les pensées se bousculentdans sa tête. Son cœur bat la chamade. Elle se sent toute boulever-sée. Pourtant « Il » ne lui a rien dit d’extraordinaire. Juste parlé de« ses » hommes.

Ceux-ci, les uns après les autres défilent dans sa tête : Juda,Samson, Samuel, Lévi et Haïm. À chaque fois, oui, elle croyait avoirtrouvé le grand amour. Pauvre Sarah ! L’un buvait, l’autre la frappait,celui-là courait les autres femmes, le quatrième un vrai fainéant et ledernier est parti au bout d’un mois en emportant ses économies. Celuiavec qui elle est maintenant (tout le monde l’appelle le boiteux) estaffectueux, mais non ! elle ne l’aime pas vraiment.

Et tout à coup, tout s’est éclairé. C’est quand « Il » a dit : « Je vaiste donner de l’eau vive » : quelque chose a craqué en elle, une fraîcheurinconnue s’est répandue. Elle l’a regardé, et lui aussi l’a regardée ; unhomme étonnant, un regard fort mais doux, des paroles simples, uneévidence lorsqu’il m’a dit : « Je suis le messie, moi qui te parle. »

En courant, elle arrive au village. Le conseil des Anciens est entrain de siéger à la porte. Habituellement, Sarah se glisse le plusdiscrètement possible. Mais là, elle ne peut se retenir : « Là-bas, aupuits, il y a un Juif… Il m’a dit tout ce que j’avais fait dans ma vie.C’est le messie ! »

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PARTAGE DE PRATIQUES

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Le messie ? Tu es folle Sarah !Je vous assure… allez voir, il est assis auprès du puits.C’est le brouhaha. Les Anciens se lèvent : « Elle dit n’importe

quoi. » « Elle a encore levé un homme. » « Mais c’est curieux qu’il luiait dit tout ce qu’elle avait fait. »

On peut toujours aller voir ! Des fois qu’il vienne semer le chan-tier chez nous. Il vaut mieux faire attention. Et les voilà partis.

Au puits, il est là avec un groupe d’hommes.Les Anciens s’approchent : « Qui es-tu ? Tu sais que toi, Juif, tu

n’as le droit ni de rester ici ni de parler à personne ? »« Il » les regarde les uns après les autres… de son regard clair,

en silence. En chacun, sous ce regard, quelque chose se met à bouger.Et il leur dit : « Oui, je le sais… Je suis Juif et vous Samaritains. Maisne sommes-nous pas tous les fils du même Dieu ? C’est dans notrecœur qu’il faut l’adorer. Le temple, qu’il soit à Jérusalem ou sur lemont Garizim, n’est rien si notre cœur est infidèle. »

Il s’assoit. Des hommes et des femmes du village ont suivi lesmembres du Conseil et maintenant ils sont tous là, à l’écouter, et leurcœur en est tout rafraîchi. Sarah est au dernier rang. Elle n’en revientpas de tout ce monde. Elle est heureuse, elle rayonne. Quelqu’un, àcôté d’elle lui dit : « Maintenant qu’on l’a entendu, ce n’est plus àcause de toi que nous croyons. Nous croyons qu’il est vraiment lesauveur du monde. »

L’unique problème

« Comment transmettre la foi au Christ si nous ne savons plustrès bien pourquoi croire en lui ? C’est là, me semble-t-il, l’uniqueproblème et l’unique crise de transmission dont il faut se soucier. Ladifficulté n’est pas celle de la bonne méthode ou de la stratégie la plusastucieuse : croire au Christ c’est sans cesse découvrir en lui un doigtésans pareil pour toucher ce qui est humain et souvent trop humain ennous et percevoir ainsi l’extraordinaire connivence entre l’évangile deDieu et le mystère de notre existence humaine. » (Christoph Théobald,« La foi au Christ : transmettre l’intransmissible ? » La Documentationcatholique, 5 fév. 2006).

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AU FIL DES JOURS

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Et les vocations ?

« Il en choisit douze pour être avec lui, les envoyer prêcher etchasser les esprits mauvais. » Ainsi saint Marc définit-il la vocationdes premiers apôtres (Mc 3, 14-15).

Trois orientations toujours valables à l’ère des médias :• « Être avec lui » : c’est de l’ordre de l’expérience. Que

communiquer sans cette expérience ?• « Les envoyer prêcher » : ce mot, « prêcher » n’est guère

satisfaisant. Mot un peu gris et presque synonyme d’ennui. Orc’est de « kérygme » que ce texte parle. Un mot qui éclatecomme un cri de victoire, oui c’est la communication à tous deJésus ressuscité.

• « Chasser les esprits mauvais » : c’est l’inauguration de l’èrede la liberté puisque les « esprits mauvais » nous « possè-dent », nous « aliènent » et nous empêchent d’accéder à notrehumanité sortie des mains de Dieu. n

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C O N T R I B U T I O N S

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Alexandre Faivreprofesseur d’histoire du christianisme,

univeristé Marc Bloch, Strasbourg

« La critique ne consiste pas à tout mettre en doute, maisà tout écouter, ainsi coïncide-t-elle avec une plus grandemémoire. »

Maurice Bellet, In principio

Les premières émissions de la série L’Apocalypse diffusée parArte en décembre 2008 ont été regardées par plus de 500 000 spec-tateurs – ce qui ne constitue évidemment pas une audience populaire,mais représente certainement plus de dix fois le nombre d’étudiantset d’auditeurs auxquels j’ai pu enseigner en quarante ans de carrièreuniversitaire. Ceci justifie amplement que l’on s’interroge sur lamanière dont l’histoire a été présentée, et sur ce que ceux qui auronteu le courage de suivre de bout en bout cette série, pourront en rete-nir et comprendre. L’Apocalypse de Mordillat et Prieur cherche, enfait, à retracer l’histoire du christianisme durant les cinq premierssiècles, ce qu’il est convenu d’appeler la période paléochrétienne. Lamatière correspond, grosso modo, à ce que devrait connaître, enhistoire du christianisme, tout chrétien ou du moins tout étudiant enthéologie à l’issue d’une ou deux années de formation. Elle estprésentée au travers d’une suite d’interviews de chercheurs, regrou-pées suivant une progression à la fois thématique et chronologique.Les transitions et les changements d’orientation dans la probléma-tique sont assurés par une voix off.

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L’Apocalypse et après ? “Jésus sansJésus” ou “les chrétiens et l’Église”

CONTRIBUTIONS

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Parallèlement, les deux réalisateurs avaient publié un livre 1 où,plus encore que dans la version télévisée, transparaissent leursprésupposés et leurs convictions. Le livre, comme la série filmée s’ou-vre et se ferme sur la même phrase : « Jésus attendait le Royaume etc’est l’Église qui est venue. » C’est la réflexion sur cette citation deLoisy qui sert de fil à l’organisation du récit. Dans les deux cas, laphrase de Loisy reçoit une interprétation particulière. Le Royaumeattendu par Jésus est présenté comme « Royaume d’Israël », etl’Église visée par les auteurs est, selon les propres termes de la voixoff, « l’Église catholique et romaine ». Voilà qui creuse considérable-ment l’écart et déborde très largement le cadre de l’enquête histo-rique menée ici…

Le livre

Le premier chapitre (« Après la fin »), plante le décor : la cruci-fixion, la résurrection, la parousie ou attente du retour glorieux duChrist. Au passage les auteurs affirment la différence entre la notionde messie juif et celle de Christ. Étudiant ensuite le vocable de chré-tien (« christianoi »), ils insistent sur la distinction, voire l’oppositionentre juifs messianistes et païens. Ils se penchent alors sur les relationsentre chrétiens et pouvoir romain : l’édit de Claude (41), l’incendie deRome (64), les accusations portées contre les chrétiens, les témoigna-ges de Suétone et de Tacite…

Le chapitre 2, consacré à l’Apocalypse – le dernier livre duNouveau Testament – nous renvoie au titre général de la série télévisée.L’Apocalypse y est caractérisée comme reflétant un « conflit interne,conflits entre les “judéo-chrétiens” d’une part, fidèles à la Loi, fidèles àJésus et, d’autre part, les “pagano-chrétiens”, exclusivement fidèles àl’Évangile, fidèles au Christ » (p. 68).

De l’atmosphère dramatique de fin du monde, les auteurs vontnous faire passer – avec le chapitre 3 – à celle des persécutions. Ils insis-tent sur l’effet de « propagande » produit par les récits de martyre, surl’aspect « spectaculaire » du martyre, sur l’enflure des récits et sur la

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CONTRIBUTIONS

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façon dont ils ont été développés afin de disculper l’Église chrétiennedevenue, par la suite, persécutrice.

« La guerre des textes » est un raccourci évocateur pour dési-gner le processus qui mena la pensée chrétienne de la soumissionaux Écritures juives à la création d’une norme nouvelle constituée parses propres Écrits.

Au chapitre 5, « Les citoyens du ciel » sont les montanistes. Àleurs côtés, Prieur et Mordillat placent les gnostiques puisque leur visionnégative du monde et de la création les conduit à s’en évader : « legnostique, porteur d’une étincelle divine, échappe à la chute, et rejointle haut, la sphère céleste où lui-même s’unit à la divinité » (p. 145).Parmi les citoyens du ciel sont également rangés ceux qui sont amenésà partager les convictions exprimées par l’Épître à Diognète. Pour l’au-teur inconnu de cette apologie, les chrétiens, qui ne se distinguent desautres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par le vêtement,qui s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens et supportent les char-ges comme des étrangers, sont l’âme du monde. « L’âme est répanduedans tous les membres, comme les chrétiens dans les cités du monde.L’âme habite dans le corps et pourtant elle n’appartient pas au monde,comme les chrétiens habitent dans le monde, mais n’appartiennent pasau monde… » (p. 161). De ce texte célèbre, les auteurs tirent la conclu-sion – outrée et guerrière – que l’armée invisible du christianisme « estun corps franc en territoire ennemi ».

Nous voici arrivés presque au terme de notre parcours histo-rique avec Constantin : son histoire, la victoire par le signe du Christ,son rôle au concile de Nicée. Constantin consolide le christianisme àla faveur de ses lois, des exemptions et des privilèges, mais aussidans la pierre, en conviant sa mère Hélène à partir en quête des lieuxsaints et en les marquant d’édifices.

C’est le prélude à ce que Mordillat et Prieur appellent « l’empirede la vérité » (ch. 7). Encore un pas, et avec Théodose (379-395),l’Empire va passer d’un favoritisme à l’égard des chrétiens à la persé-cution des hérétiques. Mais ce n’est pas fini : la chute de Rome boule-verse encore une fois les esprits, elle remet en cause l’identification duchristianisme à un empire terrestre, et Augustin développe sa concep-tion de la cité céleste.

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L’APOLCAYPSE ET APRÈS ?

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Refaire l’histoire avec des si…

Les auteurs entreprennent ensuite de refaire l’histoire de deuxfaçons : d’une part en reconstituant ce que penserait Jésus s’il reve-nait au cinquième siècle, d’autre part en essayant d’imaginer unehistoire du christianisme sans l’intervention de Constantin.

L’exercice n’est pas illégitime. Il a un intérêt pédagogique car ilpermet de prendre conscience d’une étape capitale de la recherchehistorique : l’inventaire des différences, de ce qui caractérise unepériode, de ce qui donne au passé qualité de passé et interdit l’ana-chronisme. Mais il a aussi ses limites. D’ailleurs les auteurs ne vontpas très loin dans leur deuxième hypothèse d’histoire fiction. Malgréles handicaps de départ du christianisme qu’ils mettent en lumière, ilsconstatent que – quoiqu’il en soit – il a réussi.

La partie la plus acrobatique de l’exercice se trouve certaine-ment dans les deux premières propositions prétendant reconstituer lapensée de Jésus : « Premièrement : sans doute vers 450-500, Jésusserait-il abasourdi de voir que le monde existe toujours, que la fin destemps qu’il a annoncée sans relâche ne s’est pas produite, que leroyaume de Dieu ne s’est pas établi avec puissance. Deuxièmement :il serait tout aussi attristé de constater que la restauration du royaumed’Israël n’a pas eu lieu, et que Rome, plus que jamais, domine laPalestine »…

Si, en un certain sens, la première affirmation peut être consi-dérée comme plausible, la seconde affirmation sous-entend que Jésusétait attaché à une vision nationaliste, politique et anti-romaine duRoyaume de Dieu. Cette évidence, constamment affirmée par lesauteurs, ne semble souffrir aucune discussion. Entre l’emploi desexpressions « Royaume de Dieu », « Royaume des cieux », « Règne »,entre une conception politique, prophétique ou religieuse du Messie,il y a pourtant place pour de multiples solutions. L’expression« Royaume d’Israël » n’existe pas dans le corpus néo-testamentaire,alors qu’on y trouve tout de même environ 160 emplois du terme« Royaume » 2 !

Nous voici revenus au point de départ : l’oppositionRoyaume/Église qui, dans l’esprit des auteurs, est une opposition

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juifs/pagano-chrétiens et introduit un divorce irrévocable entre lafigure de Jésus et celle du Christ. Ce qui va suivre (p. 230-257) nerelève pas de la même démarche que les sept premiers chapitres. Onpasse d’un récit historique à un débat d’allure communautaire où lesauteurs vont parcourir au pas de charge vingt siècles d’histoire del’iconographie chrétienne pour déplorer que Jésus devienne unenfant blond, vont assimiler les martyrs chrétiens des premiers sièclesaux terroristes islamiques du 11 septembre, et trouver dans un textechrétien du second siècle les racines de l’antisémitisme nazi. Tout celaavec, en prime, des affirmations caricaturales comme celle selonlaquelle « l’urgence [pour les chrétiens] serait d’exfiltrer Jésus, de lefaire sortir du judaïsme… ». Ce qui est en jeu, par-delà cette bataillefaussée pour l’appropriation de Jésus, c’est l’identité du christianismeet le fondement historique de son existence.

« L’an zéro du christianisme »

C’est également la définition de l’identité chrétienne qui sous-tend la question posée au début du dixième épisode : quel est l’anzéro du christianisme ?

La question de l’an zéro est une question symbolique qui placele christianisme entre l’être et le néant. Ce n’est pas une questionhistorique. On peut d’ailleurs se demander pourquoi cette interroga-tion apparaît ici, au moment précis où l’on aborde l’histoire deConstantin. N’est-ce pas parce qu’on espérait une certaine réponseet que l’on visait une image bien précise du christianisme ? LorsquePaula Fredricksen parlera de plusieurs commencements du christia-nisme, elle exprime une évidence historique : la société chrétienne,comme n’importe quelle société, n’est pas apparue ex nihilo et nes’est pas immédiatement figée. Comme n’importe quel groupe elles’est formée progressivement. Là aurait dû se placer une question quirestera non dite : comment définit-on le christianisme ? À partir dequels critères ? et qui le définit ?

D. Marguerat affirme ensuite très clairement que, pour lui, l’anzéro du christianisme n’est pas l’avènement d’une religion d’État, ce

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L’APOLCAYPSE ET APRÈS ?

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n’est pas le règne de Constantin, parce que le christianisme existebien avant, qu’il s’est pensé et organisé bien avant. Il fixe cet avantau moment où Luc le déclare – c’est-à-dire au témoignage de Luc enActes 11, sur l’évangélisation de la communauté d’Antioche, dans lesannées 38. Au moment, précise-t-il, où se réalise dans cette commu-nauté ce qui était inimaginable pour Israël, sauf à la fin des temps, lerassemblement de toute l’humanité, juifs et non juifs. Quel dommageque le découpage n’ait pas placé ces interventions là où ellesauraient dû chronologiquement être situées, dans le premier ou lesecond épisode, quand D. Marguerat aborde l’origine du nom« chrétien » 3 par exemple. Ceci aurait permis de confronter l’hypo-thèse d’une opposition irréductible entre juifs fidèles à Jésus et païensfidèles au Christ à une réalité beaucoup plus nuancée. Mais il est vraique l’intervention de D. Marguerat accorde crédit aux éléments dutémoignage d’Ac 11 que les auteurs, eux, mettent sérieusement endoute dans leur livre !

Immédiatement après cette intervention de D. Marguerat, lavoix off nous ramène, sans transition ni état d’âme, à Constantin et àThéodose. Ceci, sans avoir vraiment traité le problème historique dela naissance du « christianisme », ni précisé les termes de la problé-matique, comme s’il était indifférent de glisser de la notion de « chris-tianisme » à celle de « religion chrétienne ». Il y a, tout au long decette série un glissement dans les termes, un flou dans les probléma-tiques. Or l’histoire, avant d’être un récit, c’est d’abord l’art de poserles bonnes questions et de bien les poser.

J’aime à dire à mes étudiants que, s’ils réalisent vraiment unedémarche historique durant leur année de découverte universitaire(démarche qui se doit d’articuler problématique, connaissance etutilisation des instruments de travail récents, analyse des sources,discussion des hypothèses, jusqu’à la constitution d’un récit), ils nedevraient pas aborder les questions de la même manière à la fin deleur formation. Curieusement, depuis qu’ils ont commencé leurtravail, Mordillat et Prieur ne font que répéter la même chose, commesi leur contact avec les chercheurs, leurs lectures, ne leur avaientabsolument rien appris, ou n’avaient que confirmé leurs intimesconvictions. Entre la première émission de Corpus Christi et lesderniers épisodes de L’Apocalypse, malgré la somme d’informations

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triturée, on n’a pas l’impression que les compilateurs aient avancéd’un pouce. L’histoire, leur histoire était écrite d’avance.

Jésus, les chrétiens et l’Église,un problème d’institution

La phrase de Loisy, présentée comme trame de fond du récit deMordillat et Prieur est, pourtant, loin d’être fausse. Elle a permisd’ailleurs à la recherche historique et théologique d’approfondir aussibien la notion de Royaume que celle d’Église. Elle a conduit degrands théologiens comme Christian Duquoc 4 à rappeler avec forcela précarité de toute institution. Mais précarité ne veut pas direabsence, précarité rime plutôt avec nécessité. Ce n’est pas un hasardsi l’ouvrage fondamental de C. Duquoc est justement intitulé Je croisen l’Église. Croire en l’Église c’est tout le contraire de l’absolutiser,c’est mettre l’institution à sa place, qui est seconde par rapport aumessage, à la Bonne Nouvelle, mais qui est première dans le temps.C’est parce qu’un petit groupe de disciples du mouvement de Jésusse sont réunis très tôt en ekklesia, que s’est repensé, réorganisé ceque le fondateur leur avait dit. Ils voulaient transmettre le message.

En ce sens, les réalisateurs ont eu raison de suivre les étapeshistoriques qui marquent la confrontation de ce message avec l’exté-rieur : c’est ainsi que se précise, s’affirme et s’affine l’identité. Maisleur récit accorde très peu de place – trop peu – à la vie interne dugroupe qui ainsi s’affirme, à l’existence concrète de ceux qui lecomposent, à la façon dont ils gèrent leur appartenance, à leur orga-nisation, à ce qu’ils font, au corps social qu’ils représentent 5. Cecorps social est curieusement absent, minimisé, jusqu’au moment oùl’on arrive à l’époque de Constantin et à la question de l’an zéro.C’est ce manque, cette déréalisation de l’histoire du corps social chré-tien réuni en ekklesia qui permet aux réalisateurs d’écrire avec uncertain succès et une certaine force de persuasion une histoire idéo-logique du christianisme, comme si cette histoire n’était que littéra-ture, comme si le christianisme ne prenait corps qu’au travers d’uncorpus d’Écritures.

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Histoire de mots

L’Ekklesia

« Jésus a prêché le Royaume et c’est l’Église qui est venue. » Ilfaut reconnaître qu’elle est venue très vite, bien avant l’institution d’uncanon, avant même la chute du Temple. Le terme « ekklèsia » estabondamment utilisé par Paul dans toutes ses lettres 6 (c’est-à-dire dèsles années 50), alors même que Paul, au début, espère encore en uneparousie proche, un retour de Jésus avant la fin de sa génération.L’ekklèsia, l’assemblée précède le Royaume et le prépare. Certes,Paul utilise souvent « ekklesia » pour désigner une assemblée locale(Celle qui est à Corinthe, celle des Galates et des Thessaloniciens).Mais cette assemblée n’est certainement pas une simple réunion, unesimple assemblée de citoyens (comme l’indique le terme classiquedans la littérature grecque). C’est l’héritière de la Qahal par laquelleDieu convoquait son Peuple en Israël, l’ekklesia Theou, l’Église deDieu. On ne trouve l’expression « Église du Christ » proprement ditequ’en Romains 16, 16, mais Paul parle aussi des « Églises qui sonten Christ » (Ga 1, 22) et on trouve de nombreuses assimilation duChrist et de l’Église, sans oublier le Christ, tête du corps qui est l’Église(Col 1).

Les chrétiens, l’ekklèsia et le christianisme

Pour mémoire, on soulignera que le terme « chrétien » apparaîtdans des textes rédigés vers les années 80 : il est utilisé deux fois dansles Actes et une fois dans la première lettre de Pierre. Mais, tandisque les Actes connaissent à la fois la notion d’Église et celle de chré-tien, 1 P n’utilise pas la notion d’Église. 1 P préfère caractériser legroupe des croyants comme la « fraternité » (adelphôtes : 1 P 2, 17et 5, 9) et avoir recours à l’image biblique et évangélique de « trou-peau de Dieu ».

Une dizaine d’années plus tard, la Lettre de Clément de Romeaux Corinthiens 7 cherche à se mettre sous le patronage des deux apô-

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tres Pierre et Paul et reprend à son compte à la fois les termes « ekkle-sia », « adelphôtes » et « adelphoi » (Église, fraternité et frères). Ellereprend également l’image du « troupeau de Dieu » devenu « trou-peau du Christ », ainsi que l’idée de « foule » de multitude, de plèthos.Mais le terme « chrétien » reste le grand absent de cette lettre. On letrouve par contre dans un écrit à peu près contemporain, la Didachè,(un écrit des années 80-120), où il est employé une fois.

Il faudra ensuite attendre le corpus ignacien (117 ? 167 ?) pourretrouver le mot « chrétien ». Dans ce corpus, le terme est plutôtemployé comme adjectif qualificatif que comme nom. L’auteurs’adresse aux destinataires en les nommant « frères ». La notiond’Église est largement développée. Mais surtout, on voit apparaîtrepour la première fois le terme « christianisme » qui est, deux fois surquatre, opposé au « judaïsme » (Magn. 10, 3 ; Phil. 6, 1).

Ce simple inventaire montre la difficulté que l’on éprouve àdéfinir l’identité du groupe des disciples de Jésus. Les conceptsd’ « Église » et de « fraternité » et le nom de « chrétien » necorrespondent pas, au départ, aux mêmes sensibilités, ne sont pasutilisés par les mêmes milieux. La question n’est pas uniquement chro-nologique, elle implique des choix personnels, à la fois sociaux etthéologiques. Elle exige précision dans les termes et analyse desconcepts. Dans ces conditions, que peut signifier la question sur l’anzéro du christianisme (séquence 11) ? Pourquoi établirait-on uneadéquation pure et simple entre « chrétien », « église », « christia-nisme », et « religion chrétienne » comprise au sens de religiond’État ? Peut-on vraiment assimiler l’Église de Constantin à l’Égliseromaine ? Et pourquoi introduire un fossé entre l’ekklesia et lespremiers disciple de Jésus ?

Le secret du succès

Pourquoi, malgré toutes ces questions sans réponse, les réalisa-teurs réussissent-ils à poursuivre imperturbablement leur récit et à sefaire écouter ? Au-delà de l’art médiatique, quel est la cause de l’au-dience qui leur est accordée ?

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L’APOLCAYPSE ET APRÈS ?

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La qualité générale de la matière première fournie par les inter-ventions des chercheurs et l’habileté du montage qui atténue tout cequi pourrait contredire la thèse visée par les compilateurs y contri-buent toutes deux. À aucun moment les réalisateurs ne font dire auxintervenants ce qu’ils n’ont pas dit. Mais Mordillat et Prieur saventnous donner à entendre ce qu’ils souhaitent que nous entendions. Lasobriété des images laisse alors à l’imaginaire collectif toute la placequ’il désire pour se déployer à partir de cet entendement. N’oublionspas de soumettre cet entendement à la raison critique.

L’autre cause du succès de ces émissions est sans doute l’im-mense attente de tous ceux – croyants ou non – qui s’interrogent surle phénomène chrétien et se sentent interpellés par une histoire reli-gieuse qui concerne encore – mais pour combien de temps ? – lemonde où ils vivent. Ce qui provoque l’écoute, c’est le manque entre-tenu par une Église qui n’a pas voulu prendre conscience de l’am-pleur de sa mission de diffusion des résultats de la recherche 8. Nousdevrions remercier Mordillat et Prieur à un double titre : d’abordparce qu’ils ont réellement donné une dimension médiatique à unetranche considérable de la recherche historique contemporaine,ensuite, parce que l’usage détourné qu’ils en ont fait montre à l’évi-dence que l’important n’est pas de vulgariser un récit, mais d’édu-quer l’intelligence et l’esprit critique.

Pour ma part, j’inviterais à exercer cet esprit critique sur legenre qui est celui de la « compilation » et sur l’approche qui estqualifiée de « laïque ». Ce genre bien particulier qui a fait l’objetd’une survalorisation médiatique n’a, en fait, rien d’original. Il n’estqu’une version moderne de ce que l’historien de la période paléo-chrétienne nomme « documentation canonico-liturgique ». Lesauteurs, qui sont essentiellement des compilateurs – et c’est un travailà part entière et souvent un travail d’actualisation théologique impor-tant –, prétendent, dans le cas de la documentation canonico-litur-gique, dire la « tradition apostolique », faire simplement parler lesapôtres. En fait, il réalisent une compilation de textes de différentesorigines, à l’instar de ce que font Mordillat et Prieur en découpant lesinterventions des chercheurs. Avec des bribes de textes authentiquessoigneusement compilées, ils parviennent à réaliser d’authentiquesfaux. Pas plus que le lecteur d’aujourd’hui n’est dupe de l’apostolicité

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réelle des textes canonico-liturgiques pseudo-apostolique, le télé-spectateur ne sera dupe de la qualité globalement « universitaire » ou« scientifique » de L’Apocalypse d’Arte. Dans les deux cas, il s’agit de« compilation ». La construction, pour instructive qu’elle soit, n’en estpas pour autant « apostolique » ou « scientifique ». Par contre, etc’est en cela que le travail que nous venons d’analyser est utile, ilpermet, comme la documentation canonico-liturgique, de conserverles témoignages, mais aussi de saisir l’intention et l’idéologie descompilateurs. En mesurant leur succès il permet de comprendre lamentalité d’une époque.

Cette approche, comme notre époque, serait-elle « laïque » ? Lespécialise de la notion de « laïc » et de « laïcité » ne pourra que s’ins-crire en faux contre cette qualification, à moins que l’on comprennele mot laïc dans l’acception qu’il avait prise au début du XXe siècle, autemps où Loisy écrivait sa petite phrase sur l’Église, celui de« laïcard ». Si « laïc » vise la neutralité, l’objectivité, la tolérance, lerespect de l’autre, l’approche que nous venons d’analyser n’a rien de« laïque ». Elle ressemble beaucoup plus à une approche « cléricale »qui, à l’instar de certaines approches « dogmaticiennes » utilisent lerécit historique pour le faire entrer dans leur « vénérable tradition ».Si l’on concluait en répétant ce qu’un journaliste pouvait écrire 9 :« une parole rendue à la fois accessible et scientifiquement conformeà ce qu’un profane peut attendre comme exigence et comme esthé-tique », il nous resterait à nous demander pourquoi les téléspectateurs– et encore bien plus les lecteurs – ont pu être classés parmi les« profanes », c’est-à-dire, pour parler comme un chrétien de lapériode paléochrétienne, parmi les « idiotai » 10… n

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11 -- G. MORDILLAT et J. PRIEUR, Jésus sans Jésus. Lachristianisation de l’Empire romain, Paris, Seuil,2008 (paru le 06/11/2008).

22 -- La seule exception pourrait se trouver en Ac 1, 6 lorsque les disciples réunis après la résur-rection demandent : « Seigneur, est-ce en cetemps-ci que tu vas restaurer la Royauté enIsraël ? » Et pour toute réponse, Jésus invoque lesecret des temps et des moments et les envoieêtre ses témoins jusqu’aux confins de la terre.

33 -- La recherche récente sur l’origine de ce nom de« chrétien » devrait inviter à poser bien différem-ment la question de l’identité politico-religieusedu groupe des disciples de Jésus. Voir en dernierlieu A.et C.FAIVRE, « Chrestianoi/christianoi. Ce que“chrétiens” en ses débuts voulait dire », Revued’Histoire ecclésiastique, 2008/3, p. 765-799.

44 -- C. DUQUOC, « Je crois en l’Église ». Précaritéinstitutionnelle et Règne de Dieu, Paris, Cerf, 1999.

55 -- Ce que nous avons présenté dans Église etvocations n°2, mai 2008, p. 109-141 et que l’onpourrait compléter par A.FAIVRE, Ordonner la frater-nité, Paris, Cerf, 1992 et par la conférence inaugu-rale du colloque de La Rochelle : « La question desministères à l’époque paléochrétienne, probléma-tique et enjeux d’une périodisation », Les Pères del’Église et les ministères, La Rochelle, 2008, p. 3-38.

66 -- Bonne synthèse dans P. BONY, « L’ecclésiologiepaulinienne dans la recherche récente », Esprit etVie, n° 130 et 131, juin-juillet 2005.

77 -- Cf. A. FAIVRE, « L’Église dans la lettre de Clémentde Rome : une ecclésiologie de conflit et d’inté-gration », Colloque de Metz, mars 2008, L’Église etles Pères, à paraître au Cerf.

88 -- On peut regretter que le vœu de nombreuxchrétiens des années 1970-80 de voir leur forma-tion théologique mise au même niveau que leurformation profane ne soit que très partiellementréalisé. Cf. C. DIBOUT, Le droit à la réflexion théolo-gique, Paris, Cerf, 1981. Pour comprendre le déca-lage qui s’est produit depuis, on lira avec intérêtl’ouvrage d’Olivier ROY, La sainte ignorance : Letemps de la religion sans culture,Paris,Seuil,2008.

99 -- J.-E. DUCOIN, dans L’Humanité du 6 décembre2008.

1100 -- Pour Théodoret de Cyr, commentant 1 Co 14,les « idiotai » sont les « profanes », des « laïcs »qui ne peuvent qu’admirer et répondre « amen »à ce que disent les « clercs ». Cf. A. FAIVRE, Lespremiers laïcs. Lorsque l’Église naissait au monde,Strasbourg, éditions du Signe, 332 p., (ouvrageactuellement en vente au prix exceptionnel de 5euros).

NOTES

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Emmanuel Duranddominicain,

Institut catholique de Paris

Seigneur, tout mon désir est devant toi, et rien de maplainte de t’échappe (Ps 37,10).

Qu’il t’advienne selon ton désir ! (Mt 15, 28)

Dans une série de cinq catéchèses du mercredi au ton person-nel, Benoît XVI a revisité certaines facettes de la vie, de la pensée etde l’histoire intérieure de saint Augustin, qu’il considère comme l’« undes plus grands convertis de l’histoire chrétienne 1 ». À la lecture deces pages, on perçoit la proximité spirituelle de Benoît XVI avec l’iti-néraire de conversion prolongée qui fut celui de saint Augustin,happé par le service de tous et conduit à l’humilité de l’intelligence.Cet enseignement s’achève sur une référence à la doctrine del’évêque d’Hippone sur la prière : « Saint Augustin définit la prièrecomme une expression du désir, et il affirme que Dieu y répond enélargissant vers lui notre cœur 2. » À l’école de saint Augustin, tentonsde baliser et d’approfondir cette voie de la prière, envisagée commeun élargissement du désir.

Nous faisons parfois l’expérience douloureuse de l’errance denos désirs, ne serait-ce que de temps en temps : désir d’être ailleurs,désir d’une santé parfaite et d’un physique idéal, désir de réussitesprofessionnelles et de succès reconnus, désirs sensuels, désir de ladernière mode. Tout cela peut sembler vain, l’est même en partie, etpourtant : chacun de ces désirs superficiels entretient, sans même le

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Laisser Dieu grandir et convertir notre désir

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soupçonner, une relation cachée avec Dieu. Aussi, le chemin versDieu n’est-il pas une négation ou même un à-côté de nos désirsimmédiats, mais plutôt une transformation ou une prolongation deces désirs, à vrai dire timorés et sans ambition.

L’enjeu des conversions qui jalonnent notre vie, comme de nosprières quotidiennes, est de faire progressivement porter notre désirsur Dieu lui-même, alors qu’il échappe à nos sens et transcende nosenvies immédiates. Nous ne percevons pas d’emblée que son visageest notre bonheur. Et pourtant, lorsque « beaucoup demandent : quinous fera voir le bonheur ? », le psalmiste invoque Dieu en priant :« Sur nous, Seigneur, que s’illumine ton visage ! » (Ps 4, 7).

L’itinéraire des retrouvailles de notre désir avec Dieu est toutefoiscomplexe et s’écrit incidemment en chacune de nos histoires person-nelles. Ça n’est jamais acquis une fois pour toutes. Se laissent pour-tant identifier des constantes : de la fuite en avant à la lucidité spiri-tuelle, le chemin passe souvent par l’enthousiasme, les déceptions, lesépreuves de la vie, les conversions de l’amour et les combats de laprière. Cette voie n’est pas linéaire et régulièrement ascendante. Unidéal de jeunesse peut nous donner cette illusion, mais les complexitésde la vie humaine ne se résolvent pas ainsi ; nous le savons trop bien.

Et pourtant, quels que soient les détours que nous prenons, Dieunous accompagne. À travers une pédagogie divine aux multiplesatouts, notre désir, tel une source de montagne, est capté par Lui defaçon à être reconduit vers son cours le plus productif. L’infinie bontéde Dieu nous attire radicalement, qu’on le sache ou non, qu’on leveuille ou non. Elle seule peut nous combler de façon définitive ettotale, car nous sortons des mains de Dieu : créés par lui, noussommes faits pour Lui, afin de bénéficier de sa bonté et y répondrelibrement comme de véritables enfants de Dieu. Cependant, Dieun’est pas seulement au devant de nous, au terme d’un long cheminspirituel ; assumer nos désirs en une véritable prière, c’est finalementreconnaître qu’Il s’est déjà donné à nous, car sans Lui nous nepouvons rien faire, pas même commencer à le désirer, et il nous offrepourtant de le désirer encore.

Le type de cheminement qu’on vient d’esquisser se rencontre defaçon à la fois emblématique et singulière chez saint Augustin 3. Sonitinéraire spirituel nous a été transmis comme des « aveux », lesConfessions, très inspirantes pour tout homme aux prises avec sa

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complexité et un désir – malgré tout insatiable – de vivre les chosesen grand, ou plutôt en profondeur. Les étapes par lesquelles nouspouvons ponctuer ce chemin spirituel ont probablement un caractèreuniversel, mais ce n’est qu’un modèle… aussi revient-il à chacund’évaluer sans inquiétude en quoi cela le rejoint aujourd’hui.

La conversion du désir d’aimer 4

L’une des conversions fondamentales de l’amour est celle quiconduit du désir d’aimer à l’amour véritable – Augustin parle ici dupassage de l’amour d’aimer à l’amour de l’amour. L’« amour d’ai-mer » désigne la complaisance encore adolescente dans le vécuaffectif de l’amour : sans qu’on le reconnaisse ou qu’on en soit mêmeconscient, l’être aimé est alors surtout une occasion de susciter uneémotion amoureuse, désirée et recherchée pour elle-même.

Éprouver de l’amour, c’est ici se complaire dans le sentiment d’ai-mer et d’être aimé, qui donne une sorte de plénitude affective, rassem-blée en quelques moments d’intensité et d’abandon. Le besoin d’aimeret d’être aimé n’est pas en soi un problème ou une défaillance ; il nousconstitue ; c’est un capital de vie dont nous pouvons tirer le meilleur.Mais si l’on s’en tient à satisfaire à l’aveuglette ce manque affectifinhérent à notre condition, alors, pour que l’état de plénitude se renou-velle, il faut souvent changer d’objet d’amour.

Aimer l’Amour même, ce n’est pas renoncer à l’être aimé, maisentrevoir pour ainsi dire le « double-fond » de cet amour humain :dans mon amour s’engage déjà le Dieu Amour. Observons parexemple que la réciprocité dans l’amour apparaît bien souventcomme une sorte de « miracle naturel ». Que deux êtres tout à faitsinguliers se plaisent mutuellement et se rejoignent, n’est-ce pasfoncièrement inattendu ?

Si l’on s’en émerveille, l’expérience de l’amour humain peutdevenir le lieu même d’une certaine perception de l’Amour qui vientde Dieu. Aux yeux d’Augustin, cela est particulièrement manifestedans l’agapè 5 – la charité au sens originel : aimer à la façon duChrist, c’est-à-dire d’un amour où celui qui aime va jusqu’au don desa vie, quotidien et définitif. Potentiellement, par l’appel universel de

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la grâce, tout amour humain véritable est concerné par une telleexpérience spirituelle.

Résumons ce premier point : Dieu ne se donne pas dans unenégation ou un à-côté de nos désirs d’aimer, aussi fragiles et précai-res soient-ils, Dieu en est bien plutôt le fondement originel et le desti-nataire ultime. Une fois reconnue l’implication présumée de Dieudans la dynamique même de nos désirs divers et limités, commentdonc le rencontrer et accéder à une relation personnelle avec lui ?

Passer de l’amour du don à l’amour du Donateur

Entrouvrir ainsi le double-fond de nos désirs et de nos amours,qu’ils soient sûrs d’eux-mêmes ou hésitants, vacillants, voiredéfaillants… revient à laisser advenir en nous l’Amour qui est Dieu ;c’est du moins un appel à se tourner vers le Donateur en personne 6.Le passage du don au Donateur, la remontée de la main qui donneau visage de Celui qui se donne, consiste à s’abandonner au levierde ses bras, ou à emprunter l’échelle qui conduit de l’expérience del’amour à la prière aimante. Dans cette dynamique, la prière dépasseles demandes de biens créés ou de secours ponctuels – pourtant légi-times –, pour devenir simple expression du désir de Dieu lui-même.

Il est bon de demander à Dieu la santé, un travail stable, lesamitiés et les amours auxquels nous aspirons, etc. Il convient tout à faitde le prier instamment dans les difficultés et les soucis qui émaillentnotre quotidien. Mais nous sommes ouverts à bien plus que cela : la foin’est pas donnée seulement pour assumer, sanctifier et transformer nosactivités humaines… ou pour nous soutenir dans les épreuves de cettevie… En cela, elle nous est déjà indispensable. Mais nous sommesaussi gratifiés de la foi pour nous disposer et nous préparer progressi-vement à être comblés de la vision et de présence totale de Dieu.

Voilà bien ce que l’hymne aux Éphésiens nous propose d’embléecomme la fin poursuivie par le dessein bienveillant et surabondant deDieu : « Il nous a élus, dès avant la Création du monde, afin que noussoyons saints et immaculés devant sa face dans l’amour » (Ep 1, 4).Aussi ne pouvons-nous seulement aimer Dieu pour notre propre utilité,eu égard aux multiples secours que nous sommes en droit d’espérer

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de lui, car il s’agira en définitive de le contempler, de partager aveclui une divine amitié, de nous réjouir de sa simple présence.

Nos cœurs ne sont pas proportionnés à cet objet-là, du moinsdans l’immédiat. Pourtant, nous avons été créés par Lui et celamarque notre condition même d’un appel vers Lui. Nous sommes àson image, c’est-à-dire que nous constituons « en creux » un vase,une structure d’appel offerte et ordonnée à sa venue personnelle ennous. Cette perception inaugure les Confessions d’Augustin : « Tunous a faits pour toi, Seigneur, et notre cœur est inquiet jusqu’à cequ’il repose en toi 7. »

Notre aspiration vers Dieu est bien souvent occultée ou travestiepar une autre quête d’infini, factice celui-là : un infini d’incomplétude,traduit par la fuite en avant d’un sentiment rêveur et jamais satisfait.Il faut dès lors non seulement renaître au désir de Dieu lui-même, ilconvient aussi que ce désir soit affermi, étendu et consolidé par lapédagogie divine.

La pédagogie du désir inexaucé

L’Évangile nous invite à prier avec persévérance, à l’image decette femme qui, sans relâche, demande son dû à un juge inique,indifférent à la justice, mais vaincu par sa ténacité. Si un tel hommefléchit, combien plus Dieu est-il en toute sollicitude attentif à nos priè-res, lui qui se révèle non pas inique, mais juste et miséricordieux.

Mais dans quel sens user d’une telle persévérance ? Sur quelobjet la faire porter ? Telle est la question de saint Augustin : « Dieute dit : demande ce que tu veux. Que lui demanderas-tu donc ? Élar-gis le cercle de tes pensées ; donne toute leur ampleur à tes désirs deposséder ; écarte autant que possible les limites de ton ambition 8. »N’est-ce pas là une sorte de pari conclu avec notre nature insatiable,notre désir ambigu de posséder ? Va donc au bout de tes désirs surdi-mensionnés, suggère Augustin, ne t’arrête pas en chemin à une demisatisfaction, et vois où te mène le ressort profond de ton désir… Ceconseil audacieux s’explique par une seule certitude : Dieu est déjàde la partie, et saura amener tout homme de bonne volonté à lereconnaître, ou du moins à se positionner saintement vis-à-vis de Lui

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à travers la façon même dont il apprend à user des biens de cemonde et à aimer ceux qui l’entourent.

Quant à l’homme qui prie déjà, si Dieu ne répond pas auxdésirs qui se sont pourtant mués en supplications, ne serait-ce pasqu’il vise un autre don mieux adapté ou plus grand ? Toi-même, nousavertit Augustin, « lorsque tu veux remplir un contenant quelconque,et que tu sais grandes les dimensions de l’objet qu’on te donnera, tuélargis le sac ou l’outre […] pour le rendre plus apte à recevoir soncontenu ; ainsi Dieu, en différant de se donner à toi, dilate tes désirs ;en les dilatant, il élargit ton esprit ; en l’élargissant, il te rend pluscapable de le posséder 9 ». Par delà son échec apparent – la décep-tion de certaines demandes non exaucées – la prière accède à savraie nature : elle se met en quête du Donateur lui-même. Mais là,nous voilà pris par surprise…

Il suffit de désirer Dieu pour le posséder

Ainsi travaillé et en quelque sorte affamé par l’insatisfactionimmédiate que Dieu lui impose, le désir humain s’ajuste à son objetultime et divin. Paradoxalement, le désir spirituel devient de la sorteune certaine possession anticipée de Dieu : si tu le désires, c’est qu’ilchuchote déjà son appel en toi ! C’est qu’il est en train de te visiter !

Augustin montre ici toute la différence qui sépare Dieu des biensde consommation après lesquels nous courons spontanément : « Del’or, même si tu en veux, il se peut que tu n’en aies pas. Mais Dieu, ilte suffit de le vouloir pour le posséder, car avant même que tu désiressa venue en toi, et quoique ta volonté lui fût opposée, il t’a appelé 10. »

C’est étonnamment lorsqu’il se porte vers Dieu lui-même, l’objetà première vue le plus inaccessible, que le désir se découvre en faitcommencement de possession effective. Augustin nous interpelle dansces termes : « Tu ne vois pas Dieu ; aime-le et tu le possèdes. Combienles passions coupables n’aiment-elles point de choses sans les possé-der. Elles les recherchent avec une sordide cupidité sans pouvoir se lesprocurer sur le champ. Suffit-il d’aimer l’or pour avoir de l’or ?Beaucoup l’aiment et n’en ont pas […], aimer l’honneur, est-ce l’avoir ?Beaucoup n’en ont pas et le désirent d’un amour brûlant, ils le cher-

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chent et meurent sans l’avoir trouvé. Dieu se donne à nous plus parfai-tement. Aimez-moi, dit-il, et vous me posséderez ; car vous ne pouvezm’aimer sans me posséder 11. » Aimer Dieu, ou plus simplement dési-rer l’aimer, voilà déjà une grâce qui émane de sa présence en nous.

Le désir est, à vrai dire, l’indice que Dieu se donne ; aussi peut-ilcoïncider avec la possession de Dieu. Comme nos désirs superficiels ouimmédiats, le désir de Dieu se révèle lui-même à double-fond : il n’estpas une simple aspiration ou la visée d’un Dieu trop lointain, il présup-pose bien plutôt sa présence cachée et discrètement active en nous.

Le don précède en fait toute prière

Lorsque la prière devient lucide sur elle-même, elle reconnaît eneffet que Dieu est déjà donné au principe même du désir qui se portevers Lui. Il y a une priorité effective de la grâce, du don et de laprésence de Dieu, sur toute entreprise humaine de le rejoindre. Etpourtant, il devient alors impérieux de se mettre en quête de Dieu,comme pour répondre au fait qu’Il a déjà rejoint sa créature.

Naturellement, la prière n’est pas encore le repos de la présenceévidente et immédiate – ce qu’on appelle la vision bienheureuse deDieu ; la prière emprunte encore un obscur chemin de foi, à re-parcou-rir sans cesse ; et pourtant, dans cette tension même, elle accède à uncertain repos anticipé. Désirer ardemment que Dieu se donne à nousdans la prière, c’est déjà goûter pauvrement sa présence.

Mais à ce don ne peut répondre qu’un désir approfondi, carnotre désir sera toujours en reste vis-à-vis de ce Dieu qui se révèleaimable hors de toute proportion. La prière d’Augustin en témoignede façon émouvante au terme de son Traité sur la Trinité, œuvremagistrale dont la composition s’est étendue sur vingt-cins ans :« Donnez-moi la force de vous chercher, vous qui m’avez fait voustrouver et m’avez donné l’espoir de vous trouver de plus en plus 12. »

Il serait faux d’assigner à la prière chrétienne la tâche desuspendre les désirs, car la prière demeure essentiellement désir :désir de Dieu lui-même lorsque nous parvenons à l’exprimer, ouparfois, tourmentés par les épreuves, désirs en détresse, désirs épar-pillés, qui s’exposent pourtant à leur Seigneur.

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Un très bel exemple se rencontre au début du chapitre 15 de laGenèse : alors que le Seigneur renouvelle son alliance avec Abram,en lui promettant que sa récompense sera très grande (être béni etdevenir bénédiction)… Abram oppose à Dieu le fait que son désir leplus légitime et fondamental n’est pas exaucé : « Que me donnerais-tu, je m’en vais sans enfant » (Gn 15, 2). Et Dieu prend tout à fait ausérieux ce désir humain, en faisant passer sa promesse par un enfant,mais pas n’importe lequel : celui que Dieu lui-même donnera gratui-tement, et non pas celui qu’Abram se donnera lui-même par desmoyens humains et un peu douteux…

Prier consiste souvent à se tenir ainsi tout simplement devantDieu, sans fausse pudeur, avec ce que l’on est à ce moment-là… encherchant toutefois à dépasser tout bavardage avec soi-même car,facilement, on ne s’adresse plus à Dieu, mais on se raconte à soi-même ses propres malheurs. La prière authentique aura en revanchele souci de ne pas multiplier outre mesure les mots.

La prière du désir sans discours

Nous l’avons vu : la possession de Dieu s’avère coextensive audésir, car la présence de Dieu précède en réalité la naissance mêmedu désir. Dès lors, la prière, expression du désir, quitte toute forme demarchandage. Prier n’offre pas une monnaie d’échange, plus oumoins quantifiable en fonction de la peine ou du temps que cela nouscoûte. Dans l’exercice de la prière, il ne s’agit pas de fléchir Dieupour s’attirer ses bénédictions, mais plutôt de le laisser ajuster nosdésirs à ce qu’il veut lui-même nous donner 13, en habitant les délaisqu’il nous impose, pour finalement demeurer tout à la fois enprésence et en attente de Lui.

Cette prière silencieuse n’est ici-bas qu’un élan, une tendance,dans la mesure où elle anticipe sur la béatitude éternelle : « Délivrez-moi Seigneur, de ce flot de paroles dont je souffre à l’intérieur de monâme, qui n’est que misère devant votre regard, mais qui se réfugiedans votre miséricorde […], quand nous vous aurons atteint, ellescesseront ces paroles que nous multiplions sans vous atteindre ; vousdemeurez seul, tout en tous ; nous ne dirons sans fin qu’un seul mot,

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CONTRIBUTIONS

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en vous louant d’un seul mouvement, en ne faisant nous aussi qu’unseul, tout en vous 14. » La recherche d’unification intérieure, quiaccompagne la conversion de nos désirs en prière, trouvera sonaccomplissement dans la béatitude éternelle avec Dieu.

Ici bas, la prière suit des phases, en paroles comme en attitudes,où s’enchaînent la confession des péchés, l’action de grâce pour lepardon reçu, et la supplication aux multiples demandes, mais ellepeut accéder en dernier lieu à la louange, précieuse anticipation duciel. C’est la modalité de prière qui répond le mieux à la certituded’une présence déjà donnée…

Demeure alors ouvert un grand défi spirituel : que la louangesaisisse et transforme la vie tout entière de celui qui s’y applique :« Vous voulez chanter les louanges de Dieu ? – nous dit Augustin –Soyez ce que vous exprimez […]. Considérez-vous, soyez-la vous-mêmes, cette louange 15. » L’une des voies pour devenir louange,notamment dans nos relations humaines, est de choisir et entretenir lajoie comme la manière la plus éloquente d’être chrétien. n

Ouvrage récemment publié :• Le Père, Alpha et Oméga de la vie trinitaire, Paris, Cerf, coll.

« Cogitatio fidei » 267, 2008.

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LAISSER DIEU GRANDIR ET CONVERTIR NOTRE DÉSIR

11 -- BENOÎT XVI, « Saint Augustin ou la passion de lavérité (V) »,Audience générale du 27 février 2008,Documentation Catholique 2399, 6 avril 2008,p. 314-316.

22 -- Ibid, 316.

33 -- Ces pages s’inspirent en partie du très beaulivre de G. ANTONI, La prière chez saint Augustin.D’une philosophie du langage à la théologie duVerbe, Paris, Vrin, coll. « Philologie et Mercure »,1997. Nous citations suivent la traduction fran-çaise établie sous la direction de M.Raulx, dans lesŒuvres complètes de saint Augustin, 17 tomes,Bar-le-Duc, L. Guérin, 1864-1873.

44 -- Confessions II, 1 et III, 1.

55 -- Commentaire de la 1ère lettre de Jean, IX, 10.

66 -- Homélie sur le psaume 76, 2.

77 -- Confessions I, 1.

88 -- Homélie sur le psaume 34, 12.

99 -- Commentaire de la 1ère lettre de Jean IV, 6.

1100 -- Homélie sur le psaume 32, 16, 3e discours, 2e

sermon.

1111 -- Sermon 34, 5.

1122 -- La Trinité XV, 28, 51.

1133 -- Lettre à Proba sur la prière, 8, 15 - 9, 18 (officedes lectures, 29e dimanche du TO).

1144 -- La Trinité XV, 28, 51.

1155 -- Sermon 34, 6.

NOTES

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« La communauté chrétienne est en elle-même une catéchèse vivante.En vertu de ce qu’elle est, elle annonce, célèbre, agit et demeure toujours lelieu vital, indispensable et premier de la catéchèse » (DGC, n°141).

Pour accompagner cette responsabilité catéchétique de toutel’Église, une nouvelle revue du Service national de la catéchèse et ducatéchuménat sous l’autorité de la Commission épiscopale de la caté-chèse et du catéchuménat.

EEcccclleessiiaa ssee vveeuutt ffoorrccee ddee rreennoouuvveelllleemmeenntt ppoouurr ::• accompagner la participation à la responsabilité catéchétique

de l’Église par des récits d’expériences, des analyses, desapprofondissements ;

• enrichir les pratiques pastorales par des regards croisés àtravers la France ;

• soutenir la mise en œuvre de démarches fondées sur la péda-gogie d’initiation.

CChhaaqquuee ttrriimmeessttrree,,• Agora pour connaître les projets diocésains et découvrir les

initiatives locales ;• un dossier sur une question de pastorale catéchétique pour

entrer en résonance avec les pratiques pastorales et trouver unlieu d’approfondissement de la foi ;

• des regards croisés sur les questions relatives à l’annonce del’Évangile dans notre société.

EEcccclleessiiaa,, • 40 pages, 4 numéros par an.• n°1 en mars 2009• pour tout renseignement : http://www.sncc.cef.fr

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Roselyne Dupont-Roc, vous enseignez l’Écriture Sainte àl’Institut catholique et sur le site Cetadnet. Pourriez-vous nousprésenter le site Cetadnet ?

Cetadnet est la branche Internet du Cetad, Centre d’enseigne-ment théologique à distance, lié à l’Institut catholique de Paris ethébergé sur le site de la conférence des Evêques de France. Ce siteest spécialisé dans la formation en ligne, par petits groupes accom-pagnés par un théologien ou un bibliste, selon une pédagogied’échanges comme dans une réunion classique. Le site est très simpleà utiliser et le système ne demande aucune connaissance informa-tique : toute personne sachant utiliser un traitement de texte doitpouvoir « écrire en ligne ».

Quelles sont les principales formations que vous proposez ?

Notre site propose plusieurs types de formations, qui vont de lalecture de textes bibliques à l’initiation à la théologie (Biblenet,Theonet), de formations plus spécialisées qui relèvent de la théologiepratique au cœur de la vie chrétienne (Theopratnet) jusqu’à des coursde la faculté de théologie de l’Institut Catholique de Paris (Theofacnet)donnant lieu à obtention de crédit d’unité de valeur dans le cursusd’une licence de théologie.

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Le Cetad, une télé-formation pastorale et théologique

INFORMATIONS DIVERSES

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À l’exception des cours universitaires, toutes nos autres forma-tions sont accessibles à un large public. Elles sont de l’ordre d’uneinitiation sérieuse sur un thème. Toutes peuvent stimuler la prière,fortifier la vie spirituelle et aider à approfondir la relation à Dieu.

Avec quelques années d’expérience, quels sont, à votre avis,les points forts de vos formations ?

Flexibilité, suivi pédagogique et travail en groupe sont les pointsforts de nos formations. Les échanges permettent aux internautes dene pas travailler seuls, chez eux, mais avec d’autres, en réagissantaux interventions du groupe. Ils peuvent ainsi enrichir leurs réflexionspar les apports de tous. Je suis témoin des richesses de cette péda-gogie interactive : des personnalités timides s’expriment, des retraitéscommuniquent avec des plus jeunes, des isolés se parlent, des person-nes de tous horizons, religieux ou laïcs, de la région parisienne auxîles Marquises, réfléchissent ensemble sur des questions de foi.

Mais l’atout majeur de nos formations Internet reste encored’offrir aux personnes éloignées des centres de formation ou nedisposant pas du temps pour s’y rendre, de se former à distance,chez elles, aux heures qui sont les leurs. Une flexibilité appréciabledans des emplois du temps chargés.

Vos formations sont-elles payantes ?

Nos sessions sont payantes car il faut équilibrer nos coûts. Lescoûts d’inscription sont fonction de la durée. Sur Biblenet (4 semai-nes), la première inscription est à 50 euros, puis 40 euros pour lesinscriptions suivantes dans la même année scolaire. Sur Theonet (6semaines) : 80 euros, puis 70 euros. Sur Theopratnet (12 semaines) :120 euros. Mais la question financière ne doit exclure personne dela formation, et nous avons la possibilité d’aider ceux qui auraientune véritable difficulté de ce point de vue. n

Pour en savoir plus : http://cetadnet.cef.fr

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INFORMATIONS DIVERSES

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Les Camps Inter-Jeunes proposent chaque année à des adoles-cents de 11 à 17 ans de passer une quinzaine de jours de vacancessous la tente durant le mois de juillet. Ces séjours allient loisirs, rencon-tres, vie spirituelle et réflexion.

Nos camps s’adressent notamment aux jeunes dont les aumône-ries n’organisent pas elles-mêmes de centre de vacances. Plus généra-lement, ils viennent souvent simplement par l’intermédiaire d’amis oude membres de la famille qui ont déjà fait les camps. À travers une vieen groupe, notre projet éducatif propose aux jeunes de s’ouvrir à laVie, de se découvrir soi-même, de grandir dans la foi.

Des vacances autrement

Jeunes et animateurs choisissent de prendre le temps de vivre ceséjour loin de l’agitation ordinaire de leurs vies, loin du confort habi-tuel et de la consommation facile. Cette rupture ouvre ainsi à une viequotidienne simple, nourrie de l’essentiel. Les jeunes peuvent alors êtrevéritablement acteurs de leurs vacances et sont de plus en plus auto-nomes au fur et à mesure du séjour, tant pour la cuisine, les différen-tes taches quotidiennes, que pour la préparation d’un temps spirituelou d’une veillée. Les camps donnent une grande place à la vie aumilieu de la nature, à l’émerveillement devant sa beauté. C’est cet envi-ronnement qui permet de favoriser la rencontre des autres, de soi-même, de Dieu.

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Vivre un temps de vacances et réfléchir à sa vocation

INFORMATIONS DIVERSES

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Des vacances ensemble

Jeunes et animateurs forment une communauté où l’on se met demanière concrète au service les uns des autres. Dans la vie de campavec d’autres jeunes du même âge, ces jeunes se confrontent à ce quiles rassemble comme à ce qui les sépare. Ils peuvent ainsi découvrir larichesse de leurs différences. Le nombre d’animateurs permet de favo-riser l’écoute et l’accompagnement individuel. Le camp est aussi l’oc-casion d’entrer en relation avec les habitants de la région, et plus parti-culièrement avec la communauté paroissiale qui l’accueille. Des tempsforts de rencontre, certains à dominante spirituelle, réunissent les diffé-rents camps et les habitants.

Des vacances dans la foi

Les camps Inter-Jeunes permettent aux adolescents de cheminerensemble, parfois de prendre un nouveau départ, en tenant compte duparcours, des questions et des doutes de chacun. Cela passe par destemps spirituels quotidiens, la messe dominicale, la proposition de laRéconciliation, des témoignages sur les différentes vocations, destemps de relecture… Deux grands temps donnent une forte colorationaux camps : une démarche de pèlerinage qui réunit tous les jeunes surplusieurs jours, et un spectacle final qui les aide à relire ce qu’ils ontvécu. Chaque jeune qui participe aux camps doit pouvoir prendreconscience que Dieu l’appelle à réussir sa vie, en se mettant au servicede ses frères dans l’Église.

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INFORMATIONS DIVERSES

Camps Inter-Jeunes de l’Ouest

• Camp fixe à Loche (Indre etLoire) du 10 au 27 juillet pourles 11-15 ans

• Camp itinérant du 10 au 27juillet pour les 15-16 ans

[email protected] http://cijo.free.fr/

Camps Inter-Jeunes de l’Est

• Du 11 au 23 juillet pour les11-17 ans

• Du 17 au 23 juillet pour les 6e

à Saint-Cirgues (Haute-Loire)

[email protected] http://www.interjeunes.info

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Abonnements ÉÉgglliissee eett VVooccaattiioonnss 22000099

France : 37 € Europe : 39 €Autre pays : 45 €

Pour les abonnés hors de France, le règlement se fait par chèqueen euros, payable dans une banque française ou par virementbancaire (nous contacter avant).

Les numéros d’Église et Vocations sont à 12 € l’unité. Lesanciens numéros de Jeunes et Vocations restent disponibles au prix de10 € l’exemplaire (France) et 12 € (étranger), frais de port compris.

Nom

Prénom

Adresse

Code Ville

Courriel

Règlement joint à l’ordre de UADF / Église et Vocationspar chèque bancaire ou postal adressé à :

Service National des Vocations58 avenue de Breteuil - 75007 Paris

Site internet : http://vocations.cef.fr/egliseetvocations

ABONNEMENTS"

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N° 5 Février 2009Trimestriel

Au service de l’Église,communiquer pour les vocations

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2009

Jean-François Baudoz n Céline Béraud n Pascal Bourgue

Claude Collignon n Emmanuel Durand n Alexandre Faivre

Vincent Feroldi n Arnaud Gency n Guillaume Goubert

Anne Jacquemot n Romain Marengo n Éric Poinsot

Jean Rouet n Anne-Marie Saunal

Dans ce numéro, parmi les articles de réflexion, signa-lons une intervention sur la bénédiction de J.-F. Baudoz.Bene dicere, bien parler, parole de bénédiction et non pasde mort et de mensonge, fondement de la parole du chré-tien qui prend la route. La contribution d’A.-M. Saunal,regarde le pardon, indiciel d’humanité ; le par-don partici-pe à la qualité de la communication.

Des directeurs de la communication de plusieurs diocè-ses de France ont eu carte blanche pour dire leurs joies etleurs peines, leurs désirs, voire leurs rêves. Certains d’entreeux se sont pris au jeu. Éric Poinsot raconte l’aventure dePrêtres-Academy et la sociologue Céline Béraud procède àson analyse.

Dans les contributions, l’historien A. Faivre fait une ana-lyse critique de la série L’Apocalypse et E. Durand nous invi-te à Laisser Dieu grandir et convertir notre désir.