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CAS CLINIQUE Figure 1. Tomodensitométrie du rocher gauche. A. Coupe axiale. Lésion tissulaire de la portion tympanique du facial (flèche pleine) au contact du canal semi-circulaire (CSCL). Départ des nerfs petit et grand pétreux (flèche pointillée). B. Coupe coronale. Élargissement du nerf facial et érosion du CSCL. A B La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale n° 325 - avril-mai-juin 2011 | 23 Un étrange phénomène de Tullio A strange Tullio phenomenon W. El Bakkouri*, O. Sterkers**, M. Williams***, D. Ayache* * Service ORL, fondation Adolphe-de-Rothschild, Paris. ** Service ORL, hôpital Beaujon, Clichy. *** Service de neuroradiologie, fondation Adolphe-de-Rothschild, Paris. M me Az, 45 ans, a été adressée en consultation ORL pour un bilan de vertiges. Cette patiente, sans antécédents particuliers, avait présenté un an auparavant un épisode de vertige rotatoire bref survenu lors d’un cri de sa fille orienté vers son oreille gauche. Des crises de vertige rotatoire bref se sont renouvelées à plusieurs reprises lors de stimulations sonores au niveau de l’oreille gauche et lors de mouchage. Un acouphène pulsatile gauche s’est secon- dairement installé, sans impression d’hypoacousie. Observation L’examen clinique ne révélait pas d’anomalie patente : otoscopie normale, acoumétrie normale, absence de syndrome vestibulaire clinique et signe de la fistule négatif, motricité faciale normale. Le bilan audiométrique, tonal et vocal, était normal. Les courbes de tympanométrie étaient de type A, sans déclenchement de vertige ou de nystagmus lors de la réalisation du test du côté gauche. Les épreuves vestibu- laires montraient une prépondérance nystagmique gauche au test calorique, avec normalité des tests d’oculomotricité et négativité du test de la fistule. Le scanner a permis d’objectiver une opacité nodulaire de densité tissulaire, homogène sans micro-calcifications, érodant la coque osseuse du canal semi- circulaire latéral (CSCL) [figure 1]. Une imagerie par résonance magnétique (IRM) avec injection mettait en évidence une lésion de la portion tympanique du nerf facial, en isosignal T1, hypersignal T2 et prenant assez fortement le contraste après injection de gadolinium (figure 2). Après avoir écarté une lésion vasculaire de type paragangliome, les 2 principales hypothèses diagnostiques étaient un neurinome du nerf facial ou un hémangiome du nerf facial, révélés par un phénomène Mots-clés Tullio – Paragangliome – Hémangiome du nerf facial – Neurinome du nerf facial Keywords Tullio – Paraganglioma – Facial nerve hemangioma – Facial nerve neurinoma

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CAS CLINIQUE

Figure 1. Tomodensitométrie du rocher gauche.

A. Coupe axiale. Lésion tissulaire de la portion tympanique du facial (flèche pleine) au contact du canal semi-circulaire (CSCL). Départ des nerfs petit et grand pétreux (flèche pointillée). B. Coupe coronale. Élargissement du nerf facial et érosion du CSCL.

A

B

La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 325 - avril-mai-juin 2011 | 23

Un étrange phénomène de TullioA strange Tull io phenomenon

W. El Bakkouri*, O. Sterkers**, M. Williams***, D. Ayache*

* Service ORL, fondation Adolphe-de-Rothschild, Paris. ** Service ORL, hôpital Beaujon, Clichy. *** Service de neuroradiologie, fondation Adolphe-de-Rothschild, Paris.

Mme Az, 45 ans, a été adressée en consultation ORL pour un bilan de vertiges. Cette patiente, sans antécédents particuliers, avait présenté un an

auparavant un épisode de vertige rotatoire bref survenu lors d’un cri de sa fille orienté vers son oreille gauche. Des crises de vertige rotatoire bref se sont renouvelées à plusieurs reprises lors de stimulations sonores au niveau de l’oreille gauche et lors de mouchage. Un acouphène pulsatile gauche s’est secon-dairement installé, sans impression d’hypoacousie.

O b s e r v a t i o n

L’examen clinique ne révélait pas d’anomalie patente : otoscopie normale, acoumétrie normale, absence de syndrome vestibulaire clinique et signe de la fistule négatif, motricité faciale normale. Le bilan audiométrique, tonal et vocal, était normal. Les courbes de tympanométrie étaient de type A, sans déclenchement de vertige ou de nystagmus lors de la réalisation du test du côté gauche. Les épreuves vestibu-laires montraient une prépondérance nystagmique gauche au test calorique, avec normalité des tests d’oculomotricité et négativité du test de la fistule. Le scanner a permis d’objectiver une opacité nodulaire de densité tissulaire, homogène sans micro-calcifications, érodant la coque osseuse du canal semi-circulaire latéral (CSCL) [figure 1]. Une imagerie par résonance magnétique (IRM) avec injection mettait en évidence une lésion de la portion tympanique du nerf facial, en isosignal T1, hypersignal T2 et prenant assez fortement le contraste après injection de gadolinium (figure 2). Après avoir écarté une lésion vasculaire de type paragangliome, les 2 principales hypothèses diagnostiques étaient un neurinome du nerf facial ou un hémangiome du nerf facial, révélés par un phénomène

Mots-clésTullio – Paragangliome – Hémangiome du nerf facial – Neurinome du nerf facial

Keywords Tullio – Paraganglioma – Facial nerve hemangioma – Facial nerve neurinoma

CAS CLINIQUE

Figure 2. IRM du rocher gauche.

A. Coupe coronale séquence T1 après injection de gadolinium : la lésion se rehausse de manière intense après injection du produit de contraste. B. IRM en coupe axiale séquence T2 : hypersignal spontané de la lésion.

A

B

24 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 325 - avril-mai-juin 2011

de Tullio. La localisation au segment tympanique et l’absence de microcalcifications au sein de la lésion sur le scanner orientaient préférentiellement vers un neurinome.Bien que le diagnostic n’ait pas été formellement établi, du fait de l’absence d’atteinte faciale ou auditive et devant la petite taille de la lésion, l’attitude préconisée a été une abstention chirurgicale avec surveillance clinique et radiologique régulière. Le bilan à 1 an ne montrait aucune évolutivité clinique ou radiologique. Des méthodes d’éviction ont été expliquées à la patiente pour que les vertiges ne se reproduisent pas (pas de bruit dans son oreille gauche en particulier).

D i s c u s s i o n

Le nerf facial peut être le siège – de son origine dans le tronc cérébral à sa terminaison au-delà de la parotide – d’une tumeur responsable le plus souvent d’une paralysie faciale révélatrice. Le rôle de l’imagerie est fondamental pour situer la lésion sur le trajet du nerf, pour distinguer une lésion intrinsèque d’une lésion extrinsèque qui comprime ou envahit le nerf facial (cholestéatome, paragan-gliome, métastase, etc.) et pour orienter le diagnostic étiologique.La présentation de ce cas clinique est l’occasion d’effectuer une brève revue des lésions du nerf facial dans le rocher ainsi qu’une mise au point sur les phénomènes de Tullio et le signe de Hennebert.

Tumeurs du nerf facial dans son trajet intrapétreux et comportement en imagerie

◆ Neurinome du nerf facialLe neurinome du nerf facial est une entité rare, souvent révélée par une paralysie faciale d’installation progressive. Elle peut s’inscrire dans une neurofibromatose de type 2. Les symptômes associés à la paralysie faciale sont variables selon la localisation de la lésion : symptômes cochléo-vestibulaires dans le conduit auditif interne (CAI), surdité de transmission dans sa localisation tympanique. Le scanner montre une lésion tissulaire de densité homogène dépourvue de microcalcifications, élargissant le canal osseux. En IRM, le neurinome se présente en hypersignal T2 et se rehausse fortement après injection de gadolinium. L’intérêt de l’imagerie est de préciser son siège dans le CAI, au niveau du ganglion géniculé ou dans sa portion tympano-mastoïdienne.L’attitude thérapeutique dépend principalement de la symptoma-tologie clinique (en particulier de l’atteinte faciale), du siège de la lésion, du volume tumoral et de l’évolutivité. En cas de tumeur peu ou pas symptomatique, l’abstention avec surveillance clinique et radiologique sera préconisée. En cas de tumeur symptomatique ou évolutive, le traitement sera chirurgical avec résection tumorale et greffe intermédiaire (1), par voie d’abord sus-pétreuse (tumeur localisée au ganglion géniculé ou limitée au CAI), translabyrin-thique (tumeur étendue à l’angle ponto-cérébelleux et associée à une hypoacousie) ou transmastoïdienne (tumeur localisée au segment tympanique).

◆ Hémangiome du nerf facialIl s’agit d’une tumeur bénigne, d’origine vasculaire, extraneurale, rare, souvent localisée au niveau du ganglion géniculé. L’IRM montre une lésion en hypersignal T2, se rehaussant intensément après injection de contraste. Le scanner est un élément important du diagnostic différentiel avec le neurinome, qui montre classi-quement, en cas d’hémangiome, des microcalcifications au sein de la lésion tissulaire ; le canal de Fallope est souvent lysé.La conduite à tenir est assez proche de celle décrite pour le neurinome du nerf facial, à savoir abstention et surveillance en cas de lésion peu symptomatique et de petite taille ou chirurgie (résection avec greffe intermédiaire) en cas de tumeur sympto-matique, volumineuse ou évolutive.

CAS CLINIQUE

◆ Les lésions extrinsèques du nerf facialQuelle que soit la nature de la tumeur, si elle comprime ou envahit le nerf facial, une paralysie faciale peut apparaître. On décrit dans les tumeurs bénignes : les méningiomes intrapétreux, les paragan-gliomes tympanojugulaires, les cholestéatomes et les neurinomes vestibulaires. Dans le chapitre des tumeurs malignes, on peut rencontrer les tumeurs du sac endolymphatique, les carcinomes épidermoïdes du conduit auditif externe, les carcinomes adénoïdes kystiques, etc.Dans le cas des atteintes extrinsèques du nerf facial, une chirurgie précoce sera plus volontiers proposée, avant la survenue d’une paralysie faciale ou dès les premiers signes d’atteinte faciale.

Phénomène de Tullio, signe de Hennebert et imagerie

◆ Phénomène de TullioLe phénomène de Tullio est un vertige rotatoire bref classiquement déclenché par les stimulations sonores mais également par les variations pressionnelles dans l’oreille moyenne. C’est l’un des symptômes communs du syndrome de déhiscence du canal semi-circulaire supérieur (CSCS), identifié en 1998 par Lloyd B. Minor (expliquant ainsi l’appellation de syndrome de Minor). Les critères diagnostiques associent une déhiscence radiologique du CSCS uni- ou bilatérale et des signes cochléo-vestibulaires d’importance variable (2, 3).L’hypoacousie dans la déhiscence du CSCS s’expliquerait par la création d’une troisième fenêtre au niveau de l’oreille interne. Cette troisième fenêtre serait responsable d’une perte d’énergie acoustique, avec augmentation du seuil de conduction aérienne, et entraînerait parallèlement un abaissement du seuil de conduction osseuse en augmentant la différence d’impédance entre les fenêtres ronde et ovale. Ce mécanisme de la troisième fenêtre est également

impliqué dans d’autres pathologies de l’oreille interne, comme les dilatations de l’aqueduc du vestibule et les fistules labyrinthiques (4).Cliniquement, on observe un nystagmus vertical et torsionnel supérieur déclenché par les stimulations sonores ipsilatérales ou lors du test au vibrateur mastoïdien à 100 Hz. L’analyse des potentiels évoqués otolithiques (PEO) ou des potentiels évoqués vestibulaires myogéniques (VEMPs) montre une diminution des seuils d’apparition des potentiels par rapport au côté sain. Pour de nombreux auteurs, les PEO apporteraient des arguments de poids dans la discussion du caractère symptomatique ou non de la déhiscence du CSCS (5). Lorsque, radiologiquement, le doute sur une déhiscence du CSCS existe, la présence de PEO au-dessous de 90 dB est fortement évocatrice du diagnostic.La confrontation radioclinique permettra de distinguer un syndrome de Minor d’une fistule périlymphatique d’autre locali-sation (5). Le scanner doit comporter des coupes ultrafines et des reconstructions multiplanaires déroulant le CSCS pour limiter les faux positifs.Les diagnostics différentiels du syndrome de Minor sont l’otospon-giose (6), les fistules périlymphatiques et la dilatation de l’aqueduc du vestibule. À noter que, dans l’otospongiose, les réflexes stapé-diens sont abolis, alors que dans la déhiscence du CSCS, ils sont en général conservés.

◆ Signe de HennebertLe signe de la fistule (signe de Hennebert) est l’apparition d’un nystagmus horizontal battant dans le sens de l’oreille atteinte lorsqu’une pression importante est appliquée sur le tympan (via une pression sur le tragus ou un spéculum pneumatique). C’est le CSCL qui est le plus souvent atteint car c’est le plus exposé (choles-téatome, fracture translabyrinthique, etc.) mais ce phénomène peut également se voir dans la maladie de Ménière ou être lié à des anomalies d’oreille interne (dilatation du vestibule, dysplasie de Mondini, etc.). ■

1. Sterkers O, Viala P, Rivière F, Sterkers JM. Neurinome de la portion intratympanique du nerf facial. Classification anatomo-clinique de 12 cas. Ann Otolaryngol Chir Cervi-cofac 1986;103(7):501-8.2. Chi FL, Ren DD, Dai CF. Variety of audiologic manifesta-tions in patients with superior semicircular canal dehiscence. Otol Neurotol 2010;31:2-10.

3. Pfammatter A, Darrouzet V, Gartner M et al. A superior semicircular canal dehiscence syndrome multicenter study: is there an association between size and symptoms? Otol Neurotol 2010;31(3):447-54.4. Jacquot-Laperrière S, Bertholon P, Chardon S, Martin C. Déhiscence du canal semi-circulaire supérieur. Fr ORL 2006; 91:249-58.

5. Darrouzet V. Le syndrome de Minor ou la “fenêtre de trop”. Le Journal faxé de l’Orl. Avril 2008.6. Teszler CB, Daval M, Altabaa K, Williams MT, Ayache D. Computed tomography-based workup of conductive hearing loss with normal middle ear: don’t forget supe-rior semicircular canal dehiscence. Int Tinnitus J 2008; 14(1):53-6.

Références bibliographiques

MACC7 Meeting2es Journées de radiothérapie du pôle régional de cancérologie de Poitiers

Prise en charge globale des cancers des VADS

15 et 16 septembre 2011Centre de congrès Poitiers Futuroscope (Poitiers - Chasseneuil-en-Poitou)

Inscriptions avant le 30 juillet 2011 à Comm Santé 05 57 97 19 19 - irene.pere@comm-santé.com

Comité scientifique et d’organisation : R.J. Bensadoun (Poitiers), L. Chassignol (Saintes), F. Denis (Le Mans), X. Dufour (Poitiers), R. Lalla (Farmington, États-Unis), M. Merlano (Cuneo), F. Scotté (Paris)

Informations : Comm Santé 05 57 97 19 19 [email protected]

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