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LE MIROIR DANS L’ART OCCIDENTAL Renée HEIM Cours d’Anne LEFORT du 05/11/2009 Dans l’antiquité, c’est un métal poli qui servait de miroir. Au cours du moyen âge, vers le 13 ème siècle, on fixe, sur une surface convexe, des feuilles d’étain derrière des plaques de verre, ce qui donne une image déformée. Puis, au 14 ème siècle, on procède à l’étamage des glaces avec un mélange de mercure et d’étain. Comment le miroir est-il utilisé dans l’art ? Sa fonction est de refléter. C’est ce qui est projeté dans le miroir qui est intéressant. On travaille donc sur le reflet et non sur la réalité. Et avec l’image, on travaillera sur le symbole. Pour les Anciens, la représentation dans le miroir est plus juste que la réalité, car l’image se retrouve sur une surface plane alors que la réalité, s’insérant dans un volume, n’est pas planifiée. Au moyen âge, le miroir est un genre littéraire : le spéculum qui représente la somme des connaissances : - le « spéculum naturale », c’est le miroir de la nature, - le « spéculum doctrinale », miroir de la doctrine et de la science rationnelle (ne dit-on pas spéculer ?), - le « spéculum historiale », miroir de l’histoire. Le miroir permet d’accéder à la connaissance et au divin, mais aussi à l’art de l’amour. Le Roman de la Rose (écrit en deux temps : par Guillaume de Lorris en 1237 (4 058 vers), puis par Jean de Meung (18 000 vers), entre 1275 et 1280) L'Amant, qui n'est autre que le poète, se promène dans le verger d’Amour et de Beauté, entouré de personnages allégoriques qui sont les vices et les vertus chevaleresques. Il s'éprend d'une Rose. Se trouvant devant une fontaine à côté de laquelle est planté un rosier, il perçoit dans son eau, non pas le reflet du rosier, mais celui des roses. Par ce passage du rosier à la fontaine, il accède à l’amour. Le bassin est un miroir périlleux, il faut bien savoir regarder dedans, car on peut s’y perdre tel Narcisse. Si on n’y voit que sa propre image, on en meurt, et on n’accède pas à la connaissance. Par le miroir, on a accès à Dieu ou au démon. 1

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LE MIROIR DANS L’ART OCCIDENTAL Renée HEIM Cours d’Anne LEFORT du 05/11/2009

Dans l’antiquité, c’est un métal poli qui servait de miroir. Au cours du moyen âge, vers le 13ème siècle, on fixe, sur une surface convexe, des feuilles d’étain derrière des plaques de verre, ce qui donne une image déformée. Puis, au 14ème siècle, on procède à l’étamage des glaces avec un mélange de mercure et d’étain. Comment le miroir est-il utilisé dans l’art ? Sa fonction est de refléter. C’est ce qui est projeté dans le miroir qui est intéressant. On travaille donc sur le reflet et non sur la réalité. Et avec l’image, on travaillera sur le symbole. Pour les Anciens, la représentation dans le miroir est plus juste que la réalité, car l’image se retrouve sur une surface plane alors que la réalité, s’insérant dans un volume, n’est pas planifiée. Au moyen âge, le miroir est un genre littéraire : le spéculum qui représente la somme des connaissances :

- le « spéculum naturale », c’est le miroir de la nature, - le « spéculum doctrinale », miroir de la doctrine et de la science rationnelle (ne

dit-on pas spéculer ?), - le « spéculum historiale », miroir de l’histoire.

Le miroir permet d’accéder à la connaissance et au divin, mais aussi à l’art de l’amour. Le Roman de la Rose (écrit en deux temps : par Guillaume de Lorris en 1237 (4 058 vers), puis par Jean de Meung (18 000 vers), entre 1275 et 1280)

L'Amant, qui n'est autre que le poète, se promène dans le verger d’Amour et de Beauté, entouré de personnages allégoriques qui sont les vices et les vertus chevaleresques. Il s'éprend d'une Rose. Se trouvant devant une fontaine à côté de laquelle est planté un rosier, il perçoit dans son eau, non pas le reflet du rosier, mais celui des roses. Par ce passage du rosier à la fontaine, il accède à l’amour. Le bassin est un miroir périlleux, il faut bien savoir regarder dedans, car on peut s’y perdre tel Narcisse. Si on n’y voit que sa propre image, on en meurt, et on

n’accède pas à la connaissance. Par le miroir, on a accès à Dieu ou au démon.

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Narcisse se mirant dans l’eau Le Caravage (vers 1595) Un jour qu'il s'abreuve à une source, Narcisse voit son reflet dans l'eau et en tombe amoureux. Il y reste alors de longs jours à se contempler et à désespérer de ne jamais pouvoir rattraper sa propre image. Il finit par dépérir puis mourir. Il est pleuré par ses sœurs, les naïades. À l'endroit où l'on retire son corps, on découvre des fleurs blanches : ce sont les fleurs qui, aujourd'hui, portent le nom de narcisses. .

L’ «Iconologia » (1593) est un manuel allégorique, de Cesare Rippa, amateur d'art et érudit. L'œuvre, qui a pour ambition de « servir aux poètes, peintres et sculpteurs, pour représenter les vertus, les vices, les sentiments et les passions humaines », est une encyclopédie, où sont présentées des allégories telles que la Paix, la Liberté ou la Prudence, reconnaissables à leurs attributs et aux couleurs

symboliques.

La Prudence Fresque de Giotto Eglise St François à Assise - 1330 La Prudence est un personnage à double face qui voit tout, tant du présent que du passé. Le visage avant est celui d’une femme jeune ; la face arrière est celle d’une femme âgée. Elle regarde dans un miroir, non pour s’y complaire, mais elle a la connaissance. De sa main droite, elle tient un compas, signe que ses actes sont mesurés.

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Allégorie de la Prudence Hans Baldung Grün 1529

La jeune femme est nue et tient un miroir bombé. On pourrait imaginer qu’elle personnalise la vanité. Mais en écrasant le serpent du pied, elle maîtrise le mal. Sa nudité représente la Vérité.

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La Prudence -Tombeau de François II cathédrale de Nantes

Michel Colombe – 1502 à 1507

Dans sa main droite, la Prudence tient un compas, pour régler sa conduite et mesurer la portée de ses actes. La jeune femme se regarde dans un miroir qu'elle élève de sa main gauche ; ce miroir symbolise la mesure et non la vanité : on peut considérer qu'elle observe ses propres pensées, pour mieux les contrôler et mieux se connaître, mais aussi qu'elle garde toujours un regard vers l'arrière pour ne pas se précipiter en avant.

Regardons vers l'arrière pour constater que la tête de la Prudence est dotée d'un autre visage, celui d'un vieillard à la longue barbe et aux rides marquées. Ce visage est porteur de tout le poids du passé, mais aussi de son expérience et de sa sagesse qui doivent guider les pas de la Prudence.

Outre la réalisation délicate de cette curieuse tête à deux faces, on s'intéresse d'autant plus à ce vieillard, qu'il est très probablement celui de l’auteur, âgé de 75 ans, lorsque débutent les travaux. Aux pieds de la statue s'enroule un serpent : comme lui, la Prudence s’efforce d'avancer avec souplesse et circonspection.

Notons enfin la façon dont la jeune femme est habillée : elle porte une robe recouverte d'une longue cape, dont elle tient un pan à la main, en même temps que son miroir. Elle est coiffée d'un chaperon, lui-même recouvert d'un voile très simplement noué sur sa poitrine. De fait, c'est une impression de simplicité qui s'exprime avant tout ; on ne ressent aucun effet vestimentaire pour impressionner, ni se mettre en valeur. La ceinture de simple corde accentue encore ce trait.

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Prudence (ou Vanité ?)

Bellini – 1490 Accadémia Venise

La Vertu est représentée comme Prudence. Le miroir que les pays germaniques utilisent plutôt comme attribut de la Vanité sert à la Prudence dans la tradition italienne ou italianisante.

La jeune femme est représentée nue et en pied ; de sa main droite elle tient un miroir bombé vers le spectateur. Sa main gauche, désigne le miroir qui présente le reflet d’un homme, vêtu de rouge, et se tenant dans une pièce sombre. L’homme semble surpris par son reflet dans le miroir. Ou il s’y arrête, ou il passe.

La Vanité

Le Titien 1515

C’est une très belle jeune femme à l’épaule dénudée, présentant un miroir.

Dans ce miroir, se reflètent au premier plan, une bourse et des bijoux symbolisant le matériel et le superflu qui empêchent d’accéder à la connais- sance de Dieu.

En arrière-plan et dans la pénombre, on aperçoit un petit personnage : une très vieille femme tenant fuseau et quenouille, et filant. C’est la représentation symbolique d’une Parque, filant la vie et qui décidera du moment de sa fin.

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La Courtisane au miroir

Bernardino Licinio 1489 – vers 1565

Cette jeune femme, accoudée à son miroir, présentant une épaule dénudée et un sein débordant du corsage, est une très belle « Vanité ». Le miroir qui fait face au spectateur, reflète un homme voûté (certainement âgé) et une femme plus jeune, un feu, une fenêtre ; sur la table sont disposés un peigne et un pot à onguents. L’homme, en quête de plaisirs, est poussé dans la chambre par une entremetteuse. Le tableau représente la luxure.

L’Orgueil « Superbia » Parmi les 7 Péchés Capitaux Jérôme Bosch Cette scène amusante nous montre, dans un intérieur richement doté (coffre à bijoux, meubles sculptés surmontés de pots, vases, aiguières), une femme ajustant sa coiffe et vue de dos ; c’est un diable, paré d’une coiffe semblable à la sienne, qui lui tient un miroir dans lequel on voit la femme de profil !

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Marie-Madeleine au Miroir Georges de la Tour – 1593-1652 En regardant au-delà du miroir, Marie-Madeleine passe au-delà de la réalité ancienne révélée par le miroir, au-delà aussi de l'objet de vanité, éclairé par le chandelier. Les bijoux posés à côté du chandelier représentent les biens terrestres et témoignent du passé rejeté. Le chandelier, et la bougie largement consumée, se reflètent dans le miroir. Le vrai chandelier, la vraie bougie sont naturellement en noir, car en contre-jour. Le faux chandelier et la fausse bougie, ceux du reflet, sont beaucoup plus visibles, parfaitement situés et représentés. Autrement dit, la réalité est moins consistante que l'illusion, que son reflet. A ce dialogue étonnant du double irréel, plus réel que la vraie bougie, répond un autre duo, celui de Madeleine et du crâne posé sur ses genoux. Le crâne signifie qu’elle laisse son passé derrière elle, et qu’il est bon de se souvenir de bien se comporter avant de mourir.

Les Vieilles ou Le Temps – une des 80 gravures des « Caprices » 1810-1812 Lille Palais des Beaux Arts

Francisco de Goya y Lucientes 1746-1828

Parfois identifiée comme Maria-Luisa, femme de Charles IV, reine d’Espagne, réputée par sa laideur et sa vanité, une vieille aristocrate admire une miniature (?) la représentant probablement plus jeune. Cette femme n’a toujours vécu que pour elle, n’ayant aucun intérêt pour le monde qui l’entoure. Mais la dame de compagnie en robe noire interrompt l’adoration, en dévoilant l’image réelle d’une femme vieillie, ravagée par une mort imminente. Elle semble lui souffler à l’oreille ce que Goya inscrit sur le miroir : « Que tal ? » (Comment ça va ?). Venue lui apporter la réponse, l’Allégorie du Temps, de la mort surgit : un homme ailé et barbu apprête un balai avec lequel il fauchera les malheureuses.

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Vénus, l’Amour et Vulcain 1551 Jacopo Robusti dit Le Tintoret 1519 -1594 Vénus, l’épouse de Vulcain, vieux, laid et boiteux, se console avec Mars. Averti de l’adultère de son épouse, Vulcain vient inspecter la couche de Vénus, tandis que Mars s’est caché sous la table. L’amant est recon- naissable à son casque guerrier et à son bouclier posé sur la table. La peinture traite la fable d’une façon familière et ironique. C’est la bouclier de Mars qui fait office de miroir, et l’image reflétée n’est pas la réalité : la scène nous montre Vulcain avec un seul genou sur le lit, alors que dans le miroir, ses deux genoux sont posés sur ce lit. L’Amour est couché et feint de dormir. Mais le chien de Vénus trahit Mars en aboyant après lui.

. Nature morte à l’Echiquier

Lubin Baugin peintre du XVIIème siècle, d'origine hollandaise.

Cette nature morte sollicite tous nos sens : le luth et la partition pour l’ouie, le pain et le vin pour le goût, la bourse et les cartes pour le toucher, les fleurs pour l’odorat, et le miroir pour la vue. Cependant le miroir ne reflète rien… car c’est une nature morte !

Le XVIIème siècle est profondé- ment croyant, et le rôle de l'artiste est de nous rappeler que notre vie terrestre n'est qu'un passage. L'instrument de musique, le jeu de cartes, l'échiquier, c'est le monde de l'oisiveté et du divertissement. La bourse, la perle, c’est l’univers de l'argent, du luxe et de la sensualité. Le miroir est le symbole de la vanité. Le peintre condamne tous ces objets qui nous entraînent sur le chemin de la futilité. Le pain et le vin sont des objets chargés de connotations sacrées. Ils renvoient au repas eucharistique. Quant aux oeillets, ils symbolisent au XVIIème siècle l'amour sacré.

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La Dame à la licorne

Série de six tapisseries datant de la fin du XVème siècle, que l'on peut voir au musée national du Moyen Age (Thermes et hôtel de Cluny) à Paris.

Toutes les tapisseries reprennent les mêmes éléments : sur une sorte d'île, on voit une femme entourée d'une licorne à droite, et d'un lion à gauche - parfois d'une suivante et d'autres animaux. Cinq de ces représentations illustrent un sens.

Ici, pour la Vue, la Dame tient un miroir dans lequel se contemple la licorne. Cette dernière pose ses pattes

antérieures sur les genoux de la Dame.

Allégorie de la Vision –

Jan Breughel l’Ancien (1568 – 1625) en collaboration avec Paul Rubens qui a peint les personnages allégoriques sur tous les tableaux de la série des « Cinq Sens ».

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Dans le domaine pictural, le cadre sert à exhiber, non pas l’objet cité mais l’acte de citation. Le personnage central, une femme nue, représente la Vue qui se regarde dans un miroir. Mais le miroir reflète un tableau ; d’ailleurs toute la pièce est encombrée de tableaux ou de sculptures qui sont tous perçus comme des citations, alors que, paradoxalement, certains d’entre eux sont des pastiches ou des œuvres imaginaires.

Les 5 Sens – 1668

Gérard de Lairesse Glasgow muséum

Les 5 sens sont représentés ainsi : la vue, avec le miroir ; le toucher, par la femme en rouge se faisant piquer le doigt par un oiseau qu’elle tient à la main ; l’ouie, par l’enfant musicien ; le goût par les fruits et l’odorat, par les fleurs.

Jeune femme tenant un miroir – 1515

Giovanni Bellini

Cette jeune femme tient à la main un miroir. Derrière elle un autre miroir lui renvoie son reflet qu’elle contemple.

Le premier miroir ne sert pas au spectateur que nous sommes, il ne sert qu’à la femme absorbée par le jeu des miroirs. Mais celui qui est à l’arrière, offre à notre vue son bras, une partie de ses cheveux et de sa coiffure. Le spectateur se trouve dans une situation de voyeur, car il peut la regarder sans la gêner.

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Suzanne et les vieillards – Jacopo Robusti dit Le Tintoret 1519-1594 Ce surnom lui vient de la profession de son père qui était teinturier.

Suzanne est au bord du bassin, son genou se reflète dans l’eau. Toute absorbée à se regarder avec attention dans le miroir (qui ne nous montre rien), elle ne voit pas les deux vieillards qui l’observent avec concupiscence. Celui qui profite le plus de la scène (érotique) est le spectateur.

Légende de Suzanne

Suzanne, une femme pieuse et très belle, est mariée au riche Joaquim. Tous deux vivent à Babylone dans une belle maison dotée d'un jardin. Parce qu'ils sont riches et respectés, de nombreux juifs viennent chez eux pour régler leurs différends, en présence de deux vieillards choisis, parmi le peuple pour leur sagesse. L'après-midi, une fois les hôtes partis, Suzanne a l'habitude de se promener dans le jardin. Les deux vieux juges la croisent quotidiennement et, sans se l'avouer mutuellement, parce qu'ils en ont honte, se mettent à la désirer ardemment. Un jour, n'en pouvant plus, et s'étant séparés pour aller dîner, chacun des deux vieillards revient sur ses pas pour la contempler... et se rencontrent à nouveau ! Ils finissent donc par s'avouer leur désir, et décident d'agir ensemble. Guettant l'occasion favorable, cachés dans le jardin, les deux vieillards libidineux surprennent une conversation entre Suzanne et deux servantes qui l'accompagnent. Suzanne leur demande de fermer les portes du jardin et d'aller quérir de l'huile et des parfums afin qu'elle puisse se baigner parce qu'il fait chaud. Les jeunes filles parties, les vieux sages sortent de leur cachette et lui proposent un odieux chantage : « Voici que les portes du jardin sont fermées, personne ne nous voit et nous sommes pleins de désir pour toi ; donne-nous donc ton assentiment et sois à nous. Sinon, nous témoignerons contre toi, qu'un jeune homme était avec toi, et que c'est pour cela que tu as renvoyé les jeunes filles. »…

Suzanne ne cèdera pas au chantage mais sera accusée par les vieillards qui semblent crédibles puisque juges du peuple. Suzanne invoque le Dieu éternel qui éveille l’esprit saint de Daniel, lequel fait interroger séparément les vieillards qui seront confondus et condamnés à mort. Suzanne est lavée de tout soupçon d'adultère.

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Jeune fille au miroir - Vanité - Le Titien

Il s'agit d'un des premiers portraits du Titien datant de 1514, représentant une jeune femme se coiffant et se regardant dans les deux miroirs tenus par son amant. Celui-ci est exclu du champ de vision de la belle, uniquement occupée à se contempler On ne voit presque rien dans le miroir arrière et rien du tout dans celui tenu devant elle. L’homme en profite, comme nous spectateurs, pour la contempler sans la déranger.

Vénus au miroir – Le Titien 1545

La femme est vue de face ; elle donne à penser qu’elle se regarde dans le miroir que lui présente un des deux puttos. En observant très attentivement le reflet de son œil dans le miroir, on peut se demander où, et ce qu’elle regarde. N’est-ce pas plutôt le spectateur qui est observé par la femme ?

Vénus au miroir env. 1614–1615 Peter Paul Rubens

Autre interprétation de la scène précédente, dépeignant la déesse et sa traditionnelle che- velure blonde. Dans l'antiquité, les portraits de Vénus de dos faisaient partie des canons de l'art et de la littérature érotique. Cette fois, un seul putto (mais un autre personnage à l’arrière-plan). L’image de son visage, reflété dans le miroir ne correspond pas à la portion de visage visible sur

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la toile. Elle semble regarder vers l'extérieur, vers l'observateur de la toile au travers du miroir.

Dame à sa toilette vers 1590 Ecole de Fontainebleau 16ème s. Anonyme – Musée des Beaux-arts Dijon

Diane de Poitiers à sa toilette

François Clouet 1559 Musée Condé Chantilly

A noter la similitude des 3 tableaux où, à chaque fois, la femme est à sa toilette avec son miroir qui double le personnage. Décors semblables : une femme nue, revêtue d’un voile transparent ne dissimulant rien, entourée d’accessoires identiques avec, à l’arrière-plan une servante occupée à préparer le bain.

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Même position du corps, du bras droit posé sur un coussin, et des mains - la droite tenant une bague. Diane de Poitiers Ecole de Fontainebleau anonyme 1590

Giovan Geroloma Savoldo (vers1480 – après 1548)

Cet autoportrait, réalisé aux environs de 1531 et conservé au Louvre, fut autrefois attibué à Gaston de Foix mort à la bataille de Ravenne en 1512.

Au 16ème siècle, a lieu un débat entre les sculpteurs et les peintres : les premiers reprochant aux seconds d’être limités, car la peinture, s’exprimant sur une surface plane, ne peut pas faire apparaître les volumes. A ces critiques, les pein- tres répondent par le miroir, qui permet de présenter les personnages à la fois de face et de dos (ou de profil). De plus, les peintres bénéficient de la couleur. Savoldo nous en apporte la preuve par ce remarquable travail de création. Grâce aux deux miroirs (l’un à sa gauche, et l’autre derrière lui), et aux différentes pièces de son

armures (casque, gorgeron) réparties autour de lui, si polies qu’elles servent de miroir, le spectateur le voit sous toutes les faces et a même un aperçu de la pièce. Le miroir du fond reflète le lit à baldaquin qui lui fait face.

Déposition de la Croix - Eglise Saint François de Sienne 1513

Giovanni Antonio Bazzi, dit Le Sodoma (Verceil 1477 - 1549)

Peintre italien de la haute Renaissance, il doit son surnom à son goût pour les garçons, qu'il partage avec Le Caravage, Cellini et nombre d'artistes de son temps. En 1512, il travaille à la Villa Farnesina à Rome, puis s'installe à Sienne où il réalise la majeure

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partie de sa carrière comme fresquiste, si bien qu'il compte parmi les maîtres de l'école siennoise.

Ce tableau présente en premier plan un soldat vu de dos. Entre ses jambes est posé son casque qui lui renvoie son reflet, de face. Ainsi, le soldat est vu dans sa globalité.

Saint Eloi orfèvre 1449 Metropolitan Museum de New-York

Petrus Christus

Ce tableau représente, dans une échoppe étroite, un couple et un orfèvre (qui n’est autre que Saint Eloi, le patron des orfèvres).

Le miroir convexe (voir détail ci-contre), face à la fenêtre, permet de voir des maisons typiques de Bruges, une rue, deux passants. Les fenêtres ouvertes de la boutique donnant sur la rue étaient un gage d'honnêteté, car tout le monde pouvait vérifier le travail effectué. La présence de la balance était aussi un gage de rigueur, car les mesures n’étaient pas identiques dans tous les pays d'alors, engagés dans le commerce. Sur le comptoir de Saint Eloi, on reconnaît des monnaies de différents pays, des florins de Mayence, des angels anglais et des écus de Philippe le Bon.

Les époux sont richement habillés et portent des bijoux d'or. L'orfèvre est en train de peser une bague, ce qui était un travail courant.

Grâce au miroir, l'artiste peut ainsi nous montrer en même temps l'intérieur et l'extérieur de la boutique.

Petrus Christus travailla dans l'atelier de Jan van Eyck vers 1400, et a sans doute honoré son maître en plaçant ici le miroir. On peut penser que, comme lui, il s'est représenté

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dans le miroir, sous les traits du personnage au faucon.

Les Époux Arnolfini - 1434 National Gallery de Londres Jan van Eyck

Le tableau présente, dans un intérieur flamand, Giovanni Arnolfini, un riche marchand toscan établi à Bruges et son épouse, Jeanne Cenami, au moment de leurs noces. Le miroir convexe au centre du tableau reflète deux personnages, peut-être les deux témoins, dont l’un serait Van Eyck lui-même. On peut voir, au-dessus du miroir, un véritable certificat de mariage, d’ailleurs signé par van Eyck, portant la mention « J’y étais ». Cette peinture est considérée comme une des œuvres majeures de l'artiste. Il s’agit de l'un des plus anciens portraits non hagiographiques conservés.

Le couple est représenté en pied dans sa chambre, l'homme tendant sa main à la femme. La pose est hiératique et solennelle (vu la circonstance) ; certaines critiques y ont vu une marque d'ironie de la part du peintre. Mais cette œuvre, par son réalisme, nous donne un bon aperçu de la vie et des mœurs au 15ème siècle.

On peut admirer les détails qui sont rendus avec une précision microscopique et la minutie, dans cette peinture à usage privé, qui permet une vision très rapprochée. Le miroir suspendu sur le mur du fond, dont le cadre décoré de médaillons représente la passion du Christ, reflète toute la pièce, avec son mobilier ainsi que le couple des époux, à l’envers. On y aperçoit également deux autres personnages qui n’apparaissent pas dans le premier plan du tableau, et une vue de Bruges à travers la fenêtre. A noter la richesse des objets composant le décor ; les Flamands s’enorgueillissaient du confort de leurs intérieurs, de leurs meubles et de leurs bibelots ; ils

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n’hésitaient pas à les faire figurer dans les tableaux, comme ici le chandelier, le chapelet en cristal à gauche du miroir, le lit à baldaquin, des meubles finement sculp-tés et décorés, les tissus etc. D’autres objets, dont la présence est plus pro-blématique comme les socques en bois, apparaissent également dans le tableau, montrant le maître de maison pieds nus ; et c’est sur cela qu' Erwin Panofsky s’est appuyé pour élaborer sa thèse d’une cérémonie de mariage privée.

Le changeur et sa femme ou Le prêteur et sa femme - Anvers 1514

Quentin Metsys 1466 – 1530

Quentin Metsys, né à Louvain en 1466, quitte la ville pour s'établir à Anvers, où il est mentionné en 1491 comme maître ; il y meurt en 1530. La ville qui connaît à cette époque une activité commerciale considérable, devient rapidement le lieu d’échange principal entre le Nord et le Sud. On y croise des marchands portugais et espagnols ainsi que les puissants banquiers italiens. Cette activité frénétique fait de la ville le centre financier le plus important d’Europe. La présence d'une communauté internationale de marchands, utilisant diverses monnaies, favorise l’ouverture de

nombreuses boutiques de changeurs et de prêteurs dans les lieux les plus fréquentés par les étrangers, comme Bruges et Anvers. C'est dans l'un de ces lieux que se situe la célèbre composition de Metsys, qui a appartenu autrefois à Rubens.

Le miroir convexe, au premier plan, contient tout le hors champ. En reflétant l'espace de la pièce dans lequel on peut voir un personnage - peut-être un client -, une fenêtre et le monde extérieur, il permet de créer un lien avec l'espace extérieur de la toile. Les deux personnages sont présentés à mi-corps, assis derrière une table, dans un cadrage serré qui leur donne une grande présence. Leur position les place en parfaite symétrie. L'homme, devant lequel s'étalent des perles, des bijoux et des pièces d'or, est occupé à peser ces richesses, activité qui distrait son épouse de la lecture d'un livre saint, où l'on reconnaît une représentation de la Vierge et de l'Enfant. Il s'agit là d'un tableau à contenu allégorique et moralisateur (signes de vanité et symboles chrétiens tels que la balance du Jugement dernier, dénonciation de l'avarice et exaltation de l'honnêteté) bien plus que

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documentaire et descriptif (évocation d'une réalité professionnelle de l'époque ou de la dévotion du temps), d'autant que les costumes, curieusement archaïsants, semblent renvoyer à une époque plus ancienne.

"Diptyque de Maarten Van Niewenhove"

Hans Memling peintre allemand, puis flamand, né à Seligenstadt vers 1435-1440, mort à Bruges en 1494.

A l'époque, les portraits sont souvent composés en diptyques. Memling reprend le dispositif d'une Vierge à l'Enfant sur le panneau de gauche, et du donateur sur celui de droite. L'homme en prière devant son missel est représenté de trois-quarts, tourné vers la Mère du Christ avec pourtant le regard fuyant. En haut à droite, sur le lumineux vitrail, Saint-Martin, patron des donateurs, domine la scène, l'épée à la main. Sur l'autre panneau, la Vierge est représentée de face. Les deux espaces ne sont en fait qu'un seul et même lieu - pour preuve : le pan du vêtement de la vierge qui se retrouve sous le bras du commanditaire. En effet, derrière la Vierge, un miroir reflète le portrait du donateur, attestant de sa présence dans la salle. Par ce détail de pure géométrie, Memling trace une ligne entre le monde divin et celui des humains.

Le Christ dans la maison de Marthe et Marie 1618 Diego Vélasquez 1599-1660

Scène de cuisine au premier plan, où une gouvernante presse une cuisinière. Œufs, poissons et aulx resplendissent. A l’arrière-plan, le sujet principal : le Christ, Marthe et Marie. Est-ce un tableau dans le tableau, une mise en abîme, d’autant plus qu’ il y a encore une porte noire au fond derrière.

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le Christ ? Ce sont deux mondes différents, deux lumières. Les choses de la vie sont-elles là pour contraster le matériel et le spirituel, le monde de Marthe et celui de Marie ? Le miroir est nécessaire pour l’autoportrait

Les Ménines (Las Meninas : les demoiselles d'honneur), ou La famille de Philippe IV peint en 1656 par

Diego Vélasquez

Musée du Prado de Madrid

Ce tableau dépeint une grande pièce du palais de l'Alcazar de Ma- drid du roi Philippe IV d’Espagne dans la- quelle se trouvent plusieurs personnages de la cour. La jeune infante Marguerite-Thérèse est entourée de 2 demoiselles d’honneur, d'un chaperon, d'un garde du corps, de deux nains et d'un chien. Derrière eux, Vélasquez se représente lui-même en train de peindre, regardant au delà la peinture, comme s'il regardait l'observateur de la toile. Un miroir à l'arrière-plan réfléchit les images de la reine et du roi, en train d'être peints par Vélasquez. Par le jeu de miroir, le couple royal semble placé hors de la peinture, à l'endroit même où un spectateur se tiendrait pour voir celle-ci. Au fond Nieto Velázquez, un possible parent du peintre, apparaît à contre-jour, comme une silhouette, sur une courte volée de marches tenant d'une main un rideau qui s'ouvre sur un mur ou un espace vide.

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La composition complexe et énigmatique de la toile interroge le lien entre réalité et illusion, et crée une relation incertaine entre celui qui regarde la toile et les personnages qui y sont dépeints. Cette complexité a été la source de nombreuses analyses qui font de cette toile l'une des plus commentées de l'histoire de la peinture occidentale.

Autoportrait Francesco Mazzola, dit Le Parmesan 1503-1540 Plus qu'une nécessité dans la création, le miroir convexe semble n'exister que pour démontrer la virtuosité et le savoir-faire de l'artiste. Avec cet étonnant médaillon de 24,4 cm de diamètre, figurant un autoportrait, le Parmesan amplifie l'effet de la

perspective. La main devant nous est énorme ; c’est la valorisation de la main du peintre. Elle jaillit énorme, comme si, à travers un judas de porte d'entrée, on regardait un visiteur dans un couloir médiocrement éclairé par une fenêtre éloignée. Autoportrait avec un ami ou Double Portrait musée du Louvre Raffaello Sanzio, plus connu sous le nom de Raphaël 1483 -1520

Peintre et architecte italien de la Renais- sance, ce tableau montre l’artiste à gauche, s'appuyant sur l'épaule d'un ami. Ce dernier est généralement identifié comme étant Giovanni Battista Branconio

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dell’ Aquila (ou Polidoro da Caravaggio). L’ami de Raphaël était un gentilhomme italien, protonotaire apostolique, chambellan du pape Léon X ; il fut l'un des exécuteurs testamentaires du peintre. L’artiste peignit pour lui une Visitation et lui dessina un palais à Rome.

Sur le tableau, le peintre nous regarde ; son ami pointe le doigt vers le spectateur (ou le miroir). Il semble dire à Raphaël : « Regarde ton reflet dans le miroir ». Le spectateur est le miroir.

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