ttf@ riseup.net trans terrriblement f Éministesmoi. alors je me cantonne à faire semblant...

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ttf@ riseup.net -Décembre 2009-

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  • TOME 1

    DES FTM, FTX PARLENT DE LEURSRAPPORTS AUX INSTITUTIONS

    TRANS TERRR IBLEMENT FÉMINISTESttf@ riseup.net

    -Décembre 2009-

  • Tome 1. Rapports aux institutions 3Trans Terriblement Féministes2

    Je me définis comme trans ft inconnu. Çaveut dire quoi ? Ça veut dire que quand jesuis né, comme j’avais un vagin, on a foutu unF sur mes papiers d’identité. S’en est suivitoute la construction et le vécu de meuf quiva avec, ainsi que l’habitude de n’avoirqu’une place secondaire dans ce mondepatriarcal.

    Ensuite, dans mon parcours, je suis devenuféministe, ce qui m’a un peu sauvé la vie pourtout dire, et par le féminisme j’en suis arrivé àdes questionnements queers et à transitionner.

    Maintenant j’ai une apparence masculine eton peut me confondre avec un mec bio*. C'estce que font les genTEs quand illes ne« savent » pas (et même souvent celleux quisavent) parce que ça ne leur vient pas à l’idéequ’il existe d’autres personnes que des hom-mes et des femmes, parce qu’il n’y a aucunimaginaire de genre en dehors de la binarité.Avec le temps, l’expérience qui s’accumule etles discussions avec des amis trans, je com-prends de mieux en mieux l’ampleur de ceque ça signifie « me confondre avec un mecbio».

    Ça veut dire qu’on me laisse une place dedominant et que les mecs me voient commeleur allié, leur complice.

    Ça veut dire changer mes comportements etma manière d’agir, de prendre la parole, de laplace et d’interagir avec les genTEs dans lesespaces mixtes pour refuser ces nouveauxprivilèges qu’on m’attribue. C'est bon, je saisce que c’est d’être dominée en tant que meuf,parce qu’aujourd’hui encore je suis dans uneclasse dominée de par mon identité de genre.

    Et le pire c’est que c'est ça la vie des mecsbios et ce depuis qu’ils sont nés... C’est ça laplace qu’on leur donne. Entrevoir parmoments leur réalité sociale me fait réaliserl’étendue du fossé qui nous sépare. Et c’estviolent, vraiment.

    ANECDOTES

    Elles me sont arrivées et elles illustrent ceque ma transition a provoqué comme change-ment chez moi et chez les autres.

    Un soir, dans la rue, en ville il est environune heure du matin. Devant moi il y a unefemme qui marche, elle se retourne. À sonregard et à sa manière d’accélérer le pas jecomprends qu’elle me prend pour un potentielagresseur, qu’elle se méfie voire qu’elle apeur. Pour stopper cette situation le plus vitepossible je change de trottoir.

    Un autre soir, toujours en ville, sur un pontétroit. Je suis en vélo, devant moi une femmemarche. Elle se retourne. Son regard, sadémarche vraiment plus rapide et sa manièrede tenir sa jupe me font comprendre qu’ellen’est vraiment pas rassurée. Je suis obligé depasser à côté d’elle et même de lui demanderqu’elle se pousse pour passer. Je me rapproche,klaxonne en disant « pardon, pardon », elleaccélère encore sans se retourner, je force unpeu le passage et dis « je veux juste passer ».J’accélère alors à fond pour qu’elle com-prenne le plus vite possible que je n’avais pasd’intention autre que de rentrer chez moi.

    Dans ces histoires, ça a été assez dur pourmoi de réaliser que je pouvais être perçu pardes meufs comme un agresseur potentiel,comme quelqu’un dont on avait peur, qu’ilfallait fuir.

    J’aurais eu envie qu’elles sachent que moiaussi je connais ce sentiment de peur de

    *bio(logique) : Terme utilisé par les trans pour visi-biliser les privilèges des personnes qui peuvent êtrevalorisées dans le sexe qui leur a été assigné à leurnaissance, dans le cadre de cette société genrée defaçon binaire.

    L ’envers du déco rNous sommes des trans féministes quiavons été assignés F à notre naissance.

    Nous ne voulons pas devenir des hommes.Notre but est de chercher d'autres identitéssans avoir nécessairement recours à des opé-rations, des traitements hormonaux et unchangement d'état civil.

    Nous sommes un groupe de personnesblanches et racisées de moins de 30 ansissues de classe moyenne.

    Les textes qui suivent expriment des vécustrop peu connus. C'est pourquoi il noussemble important de parler de certains par-cours minoritaires, ceux de trans masculinset féministes. Avoir des écrits sur certainesréalités les rend visibles et les fait exister.C'est concret, cela permet des discussionsqui prennent en compte des réalités socialesdifférentes et complexes pour mieux lescomprendre.

    Nous sommes des féministes bien que nousn'appartenions pas à la classe des femmes. Lepatriarcat est un système de dominationsmultiples où il y a une classe dominante(celle des hommes hétéros) et des classesdominées, stigmatisées. Le sexisme et l'obli-gation à l'hétérosexualité sont des fondementsde ce système, y rentre donc la lesbophobie, latransphobie, l'homophobie. Le patriarcat,c'est aussi l'obligation de correspondre à undes deux genres (apparence, comportements,centres d'intérêt) admis et validés. Nous n'envoulons pas.

    Vis-à-vis de cette société, transitionnervers une identité plus féminine ou une iden-tité plus masculine n'entraîne pas les mêmeschoses. Choisir de se masculiniser en tantque féministes dans cette société impliqueque nous prenions des positions politiquesclaires pour ne pas faire le jeu du patriarcat.

    Cette brochure réunit des paroles singuliè-res et personnelles, elles forment aussi uneunité politique dans un refus similaire decautionner les codes sociaux dits masculins.Ces paroles reflètent les difficultés, les doutesque ce refus entraîne. Mais pas seulement...Ce qui nous rassemble c'est nos identités detrans et nos objectifs politiques féministesque l'on soit opéré, hormoné, et que l'onpasse* ou pas.

    Nous ne voulons pas d'une vie dictée parl'État (injonction au travail salarié, à la vie defamille, à l'hétérosexualité, etc...). Nous évo-luons dans des espaces collectifs, de partageet de plein de manières nous vivons dans depetites illégalités. Et cela n'a pas les mêmesconséquences en fonction de nos positionssociales. Ce ne sont pas les mêmes difficultésqui sont rencontrées lors d'un contrôled'identité, d’une garde à vue ou en taule...

    Nous nous organisons pour réfléchirensemble, tisser des liens, nous renforcerpour nous sentir moins vulnérables etmieux. S'organiser à plusieurs, c'est chercherà mettre en place des stratégies d'autodéfenseface à des institutions, au corps médical, à lapsychiatrie, mais aussi face à la transphobiequotidienne.

    T. T. F... T’ÉTAIS F ?

    *passing : pour un trans ftm, être considéré, vucomme un homme.

  • Tome 1. Rapports aux institutions 5Trans Terriblement Féministes4

    À un moment, un des gars dit « ici les meufselles se la ramènent plus que les gars, ellesn'ont pas besoin des mecs, elles sont plusvéner ou plus fortes (quelque chose commeça) » sous-entendu « hé les mecs vous vouslaissez faire par les meufs ». Des genTEsdisent « oui mais il n’y a pas beaucoup demecs qui habitent ici ». Le gars se tournealors vers moi et me dit « mais toi t’habites icihein, je t’ai bien réveillé ce matin ». Et là toutson regard et son sourire transpiraient lacomplicité libidineuse de mec à mec, ajoutéeà une sorte de mépris genre « toi mon gars tute fais mener à la baguette par ta meuf ». Jen’ai rien dit, rien fait. Comment réagir à unregard, un sourire. Il n’avait rien dit et c’étaitpire. Je me sentais vraiment mal mais je nepouvais rien répondre car tout passait par lesous-entendu, le non-dit, l’évidente com-plicité de mecs hétéros qui est là en toutecirconstance, plus forte que tout.

    Après ce genre d’événement je me sensvide, triste, énervé contre moi-même, leshommes, cette fucking binarité et cette

    transphobie qui font que je ne peux pasgueuler que je ne suis pas un mec. Je suis tou-jours mis dans une case que je déteste.

    La transphobie ça fait que souvent j’ai peurde me faire démasquer, qu’on remarque queje suis un imposteur dans des espaces et/ouavec des genTEs avec qui cette découvertepourrait s’avérer dangereuse et violente pourmoi. Alors je me cantonne à faire semblantd’être un mec, ça me stresse parce que jen’aime pas ça. Je me mets dans un rôle que jen’aime pas, je rentre en conflit avec moi-même. Parfois je n’arrive pas à discerner cequi fait que je passe ou pas. Ça me tend et jeme surprends à performer une masculinitéplus virile, qui n’est pas la mienne. C’est fati-gant et attristant car la tension est constante(il faut que je me tienne bien, que je ne parlepas avec une voix trop aigüe, que je fasseattention au ton que j’emploie, de quoi jeparle et comment, de ne pas trop sourire...).Et je me trouve insupportable dans ce rôle là,pourtant je ne suis vraiment pas pire commemec !

    l’agression, qu’on m'a appris que la rue étaitun terrain masculin où il ne faut pas trop traî-ner quand t’es vu comme F et encore moins lesoir. Si tu oses te promener seule, ça signifieque tu es disponible ou que tu ne respectespas la place qu’on t’a donnée. Dans tous lescas, comme tu n’as rien à faire là, il est normalque l’on t’aborde et que l’on t’agresse.

    Plus généralement dans la rue je ne regardeplus les gentes pareil, je fais constammentattention à ne pas attarder mon regard sur desfemmes, à ne pas leur sourire, j’essaie de toutfaire pour qu’elles ne s’imaginent pas que jepuisse être un potentiel relou ou agresseur.

    LA SOLIDARITÉ MASCULINE HÉTÉ-ROSEXUELLE...

    Dans ma vie un des trucs qui m’a fait le plusviolence c’est l’hétéropatriarcat, autrementdit la pression à l’hétérosexualité et au couplehétérosexiste avec son lot de rapports dedomination. Dans mon adolescence cettepression a bien fonctionné sur moi, je me suisforcé à avoir des relations avec des mecs, àcoucher avec eux, je me suis imposé la socia-bilité et la sexualité hétéro dominante alorsque ça ne m’allait pas. Mon corps, ma réalitéactuelle, ma vision du monde et des relationssont marquée par ce vécu. Depuis que je suissorti du placard je fais le plus de visibilité queerpossible et je lutte contre cette normalitécontrainte.

    Ma transition me met par moment dans laplace du dominant dans l’hétéropatriarcat,celle du mec hétérosexuel. Et pour des raisonsde sécurité je ne peux pas toujours dire que jesuis trans, je dois donc trouver des stratégiespour refuser ces privilèges qui me font gerberet me donnent envie de hurler tout en étantvu comme un homme. Et c’est dur, je n'yarrive pas, je me rends compte de la violencede la complicité des mecs pour parler des fil-les/femmes, de comment ils les objetisent, lesconsidèrent comme de la chair qu’ils possè-dent et qu’il faut dresser. C’est déprimant.

    J’ai eu plusieurs conversations avec des mecsen stop où ils me racontaient leurs histoiresde couple, de cul, de viol comme des exploits,comme si je pouvais partager leur volonté dedominer et d’écraser l’autre, comme si jen’avais jamais été à cette place de fille, commesi on était allié de classe. À chaque fois ça m’abrassé, j’avais envie de leur fermer leurgueule, de leur hurler dessus qu’ils étaientmes ennemis de classe, que je n'étais pas leurpote et ne le serais jamais. Mais au lieu de çaje ne leur ai rien dit ou juste que cette conver-sation ne m’intéressait pas. Ça m’a énervécontre moi-même. Depuis je cherche des stra-tégies satisfaisantes qui ne me mettent pas endanger pour faire face à ces situations et jen’en trouve pas vraiment.

    ANECDOTES

    Une conversation à trois. Un mec, une per-sonne genrée fille et moi. Nous entretenons,elle et moi, une relation affective/amoureusede manière assez visible. À un moment le mecparle à ma pote et lui dit « il faut te bouger lecul » et juste après se tourne vers moi et medit « excuse-moi ». Je n’ai pas compris tout desuite ce qui se passait. Il s’excusait auprès dela personne qu’il voyait comme le mec ducouple d’avoir parlé à la fille de son cul. J’airépondu au mec : « Non mais si tu veux t’ex-cuser, excuse-toi auprès d’elle, c’est de soncorps dont tu parles ». Il a continué à me fairedes excuses, ma pote lui disait de s’adresser àelle, je lui répétais la même chose jusqu’à cequ’il capte qu’il y avait quelque chose qui nenous allait pas, sans comprendre quoi et qu’ilchange de sujet.

    Un autre jour, pendant une expulsion muscléemanu militari par les propriétaires eux-mêmes et leur famille. Des bons gars, grosbras défoncent la porte d’une chambre danslaquelle je suis avec une personne assignée F.S’enchaîne une journée de déménagement, dediscussions, d’engueulades avec les proprié-taires.

  • Tome 1. Rapports aux institutions 7Trans Terriblement Féministes6

    Avoir quelques bases sur ce qu'un parcoursde transition représente (accès aux traite-ments, aux opérations...).

    Ne pas présupposer l'hétérosexualité d'unepersonne (dans le cas d'une consultation oùle sujet doit être abordé). Par exemple, unepersonne transsexuelle ftm (female to male)n'est pas forcement attirée que/par des fem-mes et vice versa pour les mtf (male tofemale).

    Tenir en compte qu'il n'existe pas qu'uneseule façon de transitionner, le but est demettre en accord son corps et son ressenti,et non pas de se sentir forcéEs de réalisertout un tas d'opérations et de traitementspour devenir un « Homme » ou une« Femme » selon des normes rigides.

    Appeler la personne par son prénom et pro-nom accordés au genre choisi est un simplerespect de la personne même si au niveauadministratif les changements ne sont paseffectués.

    Ne pas soumettre la personne à un ques-tionnaire par rapport à la transsexualitéquand la raison de la consultation est tout àfait autre.

    Les examens médicaux doivent être réaliséspour des raisons de santé utiles au patientEet non pas pour répondre à la curiosité dumédecin par rapport aux effets des hormonesou aux résultats des opérations sur le corps.

    Le fait qu'une personne soit transsexuellene présuppose pas forcément qu'elle aitbesoin d'un suivi psy ou qu'elle aille maldans sa vie.

    Des petits plus pour les médecins tropsympas !

    Tenir compte que la transphobie n'est pasencore considérée par la HALDE commeune discrimination ou motif de plainte, doncvos potentielLEs patientEs transsexuelLEs quiéventuellement vivent des formes de discri-mination pourront être raviEs si jamais vousavez des contacts d'avocatEs sensibiliséEs oud'associations trans sur la région où vousêtes (ce qui sera beaucoup plus utile quel'adresse d'un psy).

    Connaître certains des termes employéspour différentes identités de genre :

    ftm (female to male)mtf (male to female)ftx (female to indéfini...)mtx (male to indefini...)transgenre (de genre pas forcément fixé

    dans une catégorie m ou f).

    C o n s e i l s a u x m é d e c i n s p a r r a p p o r tà l a t r a n s i d en t i t é

    Dans la rue, je suis aperçuE comme unmec et ça ne me va pas, je ne veux pasaccepter la place sociale de dominant que lamasculinité suppose.

    Je voudrais être invisible et dégenréE, est-ceque cela est possible ? Je ne crois pas, parce que la seule image neu-tre c'est la masculinité.Ça brûle dans mon intérieur, la contradictionentre ce qu'on me renvoie de mon identité etcomment je m'aperçois, comment je me vis,comment je vis mon rapport aux autres.Est-ce que tu peux apercevoir la guerre qui seproduit en moi ?De quelle façon est-il possible de rompre lescatégories de genre ?Je cherche des solutions dans des discussionsentre trans ftx.

    À un moment, je me rends compte que, del'extérieur, je ne peux pas être visible en tantque trans, parce que dans cette société il n'y aque deux cases : homme et femme. Si je veuxêtre moins aperçu en tant qu'homme, après

    ma transition, je peux seulement être aperçuen tant que pédé ou tapette radicale ou tra-vesti. Ces identités font en quelque sorte par-tie aussi de la catégorie de l'autre. Je constateque les gens m'assignent à la case « pédé » trèsfacilement donc je joue avec ça.

    Cette identité sociale je la prends, commestratégie d'existence et de refus de l'identitémasculine normative et du modèle de domi-nation dont il découle, le patriarcat.

    Malgré ça, souvent la part d'assignation à lacase « homme » me pèse vraiment et je medemande vers où aller.

    Mon corps reste une prison quand je suis dansce monde binaire.

    Question sur mon image dans le monde patriarcal

    «Il n’est pas question qu’un transsexuel mâle bio-logique soit féministe, il ne peut que se conformerd’une manière caricaturale aux stéréotypes sociauxpour se faire reconnaître comme femme (et viceversa). Le discours des transsexuels interrogés surce qu’est la masculinité ou la féminité est remar-quablement pauvre et conformiste.»

    C. Chiland dans Changer de sexe

  • Tome 1. Rapports aux institutions 9Trans Terriblement Féministes8

    mentir. À réinventer mon passé pour qu'ilrentre dans leurs critères, mentir sur ma vieactuelle, mes engagements politiques, mesenvies pour que je semble correspondre àl'« american way of life ». Je refuse de leurparler et leur montrer mon intimité, moncorps et mes pensées mises à nu. Je ne veuxpas être un cas dans leur dossier qu'illestraitent. Je ne me considère pas saisissable.

    Peut-être qu'un jour, j'aurai envie de faireune psychothérapie. Je choisirai l'analyste,en changerai s'il est dans le jugement, par-lerai de mes doutes du moment, et de matransidentité comme d'un autre élément quime constitue. Pas plus, pas moins.

    Je vais vers une identité qui n'existe pasvraiment pour mille raisons et je n'ai pas àme justifier constamment. C'est déjà assezlourd à porter au jour le jour. C'est engrande partie par notre société que s'estconstruite mon identité, par des rencontresavec d'autres au fil des ans. Je ne me suis pasfaçonné tout seul ! Ma transition est aussiun choix contre cette société et pas néces-sairement pour moi. Parce que le vivre endehors n'existe pas... Je veux vivre au mieuxdans les espaces existants subversifs à cettesociété.

    Refuser la psychatrie, je peux faire cechoix grâce aux autres trans qui avant moiont choisi des parcours officieux, et qui lesassument. Des personnes à qui causer, quiindiquent des adresses utiles, qui cherchentet trouvent des solutions en mettant enplace des plans, qui réfléchissent à com-ment trouver la thune pour payer les opéra-tions souvent très coûteuses (seuls les par-cours officiels bénéficient d'une prise encharge par la sécurité sociale). Et c'est uneforce de pouvoir vivre dans ce circuit paral-lèle et moins normé !

    « Alors que je rencontrais des femmes endemande de “ changement de sexe ”, et parconséquent d’abord d’une mammectomie*, je mesuis aperçue un soir que depuis quelque temps jem’endormais les mains posées sur la poitrine,comme pour la protéger. »

    Patricia Mercader, psychologue, 1994

    O F F I C I E U X

    *Dysphorie de genre : terme psychiatrique pournommer les transidentités.*Mammectomie : se faire enlever les seins, le termede Torsoplastie peut également être utilisé.

    « Le transsexualisme est une maladie authentique,qui est infiniment pénible pour la personne qui enest atteinte, et qui justifie donc une prise en chargemédicale. »

    Discours de l’équipe officielle de Paris

    BILLET SANS RETOURPourquoi j'ai choisi de faire ma transition

    hors de l'équipe officielle ?

    D'abord parce que j'ai pu m'informer surles différents protocoles d'accès auxéquipes officielles et y reconnaître leurs pro-pos discriminatoires et leurs pensées rigides.

    Ensuite, parce que je savais que chercher desmédecins hors protocole était possible et quedes réseaux de soutien et d'information entrepersonnes trans m'étaient accessibles.

    Qu'est ce que cela m'apporte ?

    Transitionner pour moi c'est une façon,comme il en existe tant d'autres, de me réap-proprier mon corps, de le construire à mafaçon selon mon ressenti et mon désir. Et celane relève pas de quelque maladie inventée parles psys et nommée "dysphorie* de genre".

    Être hors protocole m'a permis de pouvoirchoisir mes médecins et la fréquence à laquelleje souhaitais m'y adresser. De plus, j'ai pu déci-der de l'hormonothérapie et/ou des opérationsque je souhaitais effectuer, sans la pressionnormative des médecins dits "spécialistes".

    Aussi, ne pas être obligé d'avoir un suivi psy-chiatrique, pour tout ce qu'il suppose en termed'infantilisation et de perte de pouvoir sur soi.

    « La prescription d'hormones sexuelles par unmédecin isolé, sans justification établie par uneéquipe pluridisciplinaire, apparaît donc non seu-lement comme abusive et dangereuse, mais aussicomme un frein au diagnostic de transsexua-lisme. »

    Discours de l’équipe officielle de Paris

    REFUSER LE PARCOURSOFFICIEL OU SE FAUFILERENTRE LES MAILLES

    D'abord c'est simple, je ne pourraispas ! Au vu des critères des équipesofficielles ! Je ne désire pas devenir unhomme. Je désire être une identité autre.Un entre-deux, un possible plus large queles deux catégories figées. Et pas seulementpour moi, pour d'autres gens aussi qui ledésirent. Transgenres...

    Ma transition est une étape. Je ne meconsidère pas comme malade. C'est cettesociété qui l'est. Et je suis souvent énervépar elle et ses gardes-fous, alors je veuxm'organiser à la fois contre et sans elle. Jerefuse de passer deux ans à me faire auscul-ter le cerveau afin qu'illes déterminent si jesuis un cas suffisamment désespéré pourqu'illes m'accordent des opérations. Jerefuse de passer de l'énergie à trop leur

    P A R C O U R S

  • Tome 1. Rapports aux institutions 11Trans Terriblement Féministes10

    des médicaments sont prescrits. D'abord cesont des anti-androgènes ou des progestatifsqui sont donnés. Les anti-androgènes sontdes castrateurs chimiques qui coupent la tes-tostérone chez les MtF. Le fait d'avoir moinsd'hormones dans le corps peut entraîner desétats dépressifs, une perte de la libido, unediminution des muscles et de la pilosité... Lesprogestatifs chez les FtM peuvent entraînerdes effets « femme enceinte » : aménorrhée,augmentation des seins, changement de ladistribution des graisses... Ces produits sontune mise à l'épreuve de la volonté des per-sonnes à transitionner.

    Ce n'est qu'après que les personnes pour-ront avoir des hormones (testostérone ouœstrogène et progestérone) masculinisantesou féminisantes.

    Pour accéder à un changement d'état civilen France il est indispensable d'êtrehormonéE, stérile et d'avoir certaines opéra-tions : la mammectomie et l'hystérectomie*pour les FtM et la vaginoplastie pour les MtF.

    Il faut entamer une procédure de change-ment d'état civil au tribunal. Suivant le tribu-nal le dossier est accepté tel quel ou une tri-ple expertise est imposée (à Paris par exemplela triple expertise est systématiquementimposée). Dans le cas où l'on est dans le pro-tocole officiel on peut le faire valoir auprèsdu tribunal pour éviter la triple expertisemais ça n'est pas dit que ça marche. Une tri-ple expertise consiste en trois entretiens avecun psychiatre, un endocrinologue et unmédecin légiste (médecins imposés par le tri-bunal cela va de soi). Cela coûte environ 1500euros, et c'est entièrement à la charge de lapersonne trans. La triple expertise est unesérie d'humiliations, de questions et d'obser-vations absurdes (par exemple regarderl'orientation des poils pour voir si la per-

    sonne est bien un homme ou une femme),voire de viol médical.

    Le protocole officiel est le plus connu etdonc le plus accessible à tout le monde. Sonavantage réside dans la prise en charge finan-cière des opérations, à condition que la per-sonne soit retenue dans le protocole officielet qu'elle accepte de se plier au calendrier desmédecins.

    Discours de l’équipe officielle de Parishttp://www.transexualisme.info

    *S'outer : vient du terme anglais coming-out, sortirdu placard, annoncer sa transidentité ou sonhomosexualité.*Hystérectomie : Se faire enlever l'utérus. Mêmequand on ne l'a plus, on continue d'être hystérique !

    O F F I C I E L

    Pour effectuer une transition en passantpar le protocole officiel il faut corres-pondre à certains critères. Les critères et laprocédure varient d'une ville à l'autre, selonle bon vouloir des équipes officielles maisrestent sensiblement les mêmes. Par exempleà Paris l'équipe officielle impose les condi-tions suivantes pour être unE « candidatEtranssexuelLE » (selon leurs propres dires) :

    Ensuite il faut franchir plusieurs étapesavant d'avoir un traitement hormonal fémi-nisant ou masculinisant. Il faut passer uneévaluation psychiatrique qui consiste enplusieurs entretiens étalés sur 2 ans. Cetteévaluation est systématiquement complétée

    par l'avis d'un deuxième psychiatre del'équipe officielle.

    Il faut aussi passer un « real life test » c'est àdire vivre une expérience de réalité dans songenre d'arrivée après transition. Ce quiimplique devoir sortir dans la rue, aller autravail, etc... Bref être obligéE de s'outer* entant que trans dans l'espace public sans êtrehormonéE !

    Un bilan psychologique est égalementimposé. Il comporte des tests de niveau(vocabulaire, logique abstraite) et des tests depersonnalité. Tout ça pour « repérer ouconfirmer des troubles de la personnalité quisont parfois masqués par une cristallisationautour de la dysphorie de genre. Le bilanpsychologique apporte également des élé-ments d’appréciation du risque de décom-pensation, en particulier psychotique ou depassage à l’acte suicidaire. » (citation tirée dusite de l'équipe officielle de Paris) !

    L'équipe officielle vérifie aussi si le ou la« candidatE transsexuelLE » n'est pas inter-sexe (selon leur définition bien entendu).

    Si toutes ces étapes sont franchies avec suc-cès, en comptant un délai de 2 ans minimum,

    P R O T O C O L E

    - Avoir plus de 23 ans, et moins de 55 ans.- Ne pas avoir d'engagement familial

    important (ne pas être mariéE et ne pasavoir d'enfant à charge).

    - Ne pas avoir des pratiques actuelles deprostitution.

    - Être hétérosexuelLE après sa transition.- Avoir un casier judiciaire vierge.- Ne pas être séropositifVE au VIH et à

    l'hépatite C.- Ne pas être diagnostiquéE d'une « autre

    maladie mentale ».

    « A nos yeux de médecins, le transsexualismeest une maladie, et non un objet de luttes poli-tiques, polémiques ou idéologiques. Les pro-blèmes parfois complexes qu'il pose ne peu-vent être résolus ni par voie législative, ni parl'Audimat, mais au cas par cas et avec la dis-crétion, le recul et la sérénité qui conviennent, par des médecins spécialisés et expérimentésqui agissent en leur âme et conscience selonles règles du Code de Déontologie Médicale,dans le seul intérêt des personnes qui en sontatteintes. »

    Discours de l’équipe officielle de Paris

  • Tome 1. Rapports aux institutions 13

    qu'elle m'appelle comme ça, elle me répondque tant que je n'ai pas changé mes papiers,ce sera « mademoiselle ». Après, j'ai dû sortiren passant par la salle d'attente en voyanttous les regards braqués sur moi, d'unemanière hostile et curieuse à la fois. Jedéteste les médecins, je ne les aimais déjà pasbeaucoup avant.

    MA PSY A LA SOLUTION ÀTOUS NOS PROBLÈMES (SIC)

    Je lui expliquais pourquoi je ne voulais pas tra-vailler : parce que je me sentais en insécuritéavec les mecs bios, que je n'avais pas lesmêmes codes, que je ne voulais pas être unmec macho. En gros je voulais l'AAH(Allocation Adulte Handicapé), j'insistais surce truc d'éducation, que j'avais une construc-tion de meuf, que ce n'était pas un truc inné,quoi. Voilà je lui ai exprimé tout ça. Elle medit qu'elle a une solution, elle pense que ça vam'aider pour comprendre. Elle me proposeun livre qui selon elle m'aidera et qu'il fautvraiment que je lise : Les hommes viennentde Mars et les femmes viennent de Vénus.J'ai cru que c'était une blague, mais non, elleétait sérieuse.

    «Une psychothérapie chez les transsexuels primai-res (les “ vrais ” transsexuels) ne modifiait pas leproblème, pas plus d’ailleurs que les neurolepti-ques, les électrochocs, et même la lobotomie.»Bernard Cordier, psychiatre de l'équipe officielle, 1998

    VIOL MÉDICALEn tant que Trans les médecins se per-mettent de nous déshabiller. J'ai dû me

    mettre nu pour me faire examiner pourmon changement d'état civil, et la médecinlégiste ne m'a pas prévenu, elle a mis ungant et a mis sa main dans mon vagin.

    XXY

    J'ai une amie qui est étudiante en méde-cine et elle me racontait une histoire quis'était passée pendant qu'elle faisait sonstage.

    Une femme enceinte venait de faire uneéchographie.

    Les médecins lui ont dit qu'on ne pouvaitpas déterminer le sexe de l'enfant et que,peut-être, il était intersexe.

    Face à cette femme qui était vraimentstressée, la médecin lui a proposé des'adresser à un généticien qui, devrait,peut-être à son tour, déterminer la naturedes chromosomes du foetus.

    Le problème c'est que l'intersexualité estconsidérée par la médecine comme uneanomalie seulement, et non pas comme unepossibilité d'exister dans des genres nonfigés. De cette façon, beaucoup de person-nes intersexes se font opérer à la naissance,sans permettre de donner la liberté à l'indi-vidu de décider son genre et/ou une inter-vention chirurgicale plus tard.

    L I C E P A T R I A R C A L E

    GYNÉCOJ'avais pris un rendez-vous chez unegynéco parce que j'avais des saignements

    lors de rapports sexuels, et je voulais savoir siles hormones y étaient pour quelque chose.

    Quand c'est à mon tour, elle m'appelle :« mademoiselle xxx ! », de me voir, ça la metsuper mal à l'aise. Je lui dis que je suis transet je me retrouve à lui expliquer ce que c'estd'être trans et qu'est-ce que ça fait de pren-dre des hormones... Ça me saoûle de devoirfaire ça alors que j'étais venu avec des ques-tions, auxquelles elle ne peut manifestementpas répondre, mais en même temps je me disque ça peut aider d'autres trans si elle estplus informée.

    Et pendant qu'elle m'ausculte, elle medemande un peu gênée :

    « Vous couchez encore avec des hommes ? »

    J'ai capté qu'elle me posait cette questionparce que mes saignements impliquaient despénétrations et dans sa petite tête destraight*, une pénétration ça ne peut se faireque par une bite ! Et comme je suis trans, çalui paraissait vraiment insensé que j'ai desrapports avec mon vagin... et surtout avecdes hommes ! Et comme je suis un peu unebête curieuse, elle s'est dit qu'elle pourraittout à fait me poser la question.

    Alors, j'ai hésité entre plusieurs réponses etau final je l'ai regardée droit dans les yeux etje lui ai dit : « Non je baise avec tout lemonde... »

    ÉCHOGRAPHIE

    Je devais aller faire une échographie pourestimer les risques de kystes par rapport àla testo, et là le médecin arrive, me dévisage,regarde son papier avec mon nom, donc là jelui dis « c'est bon c'est moi ». Ensuite j'entredans la salle, j'enlève mon pantalon et il com-mence à faire l'échographie.

    Là il me demande pourquoi je ressemblevraiment à un garçon, je lui dis que je suistrans, et là il me dit « ah mais c'est marrantd'habitude on entend plus parler de ces bons-hommes qui veulent ressembler à des bonnesfemmes. Et l'inverse on n'en entend pas par-ler. » Ensuite il me demande si c'est pour desraisons médicales ou un choix, ce à quoi je luiréponds que ça ne le regarde pas.

    Et après un truc horrible auquel je ne m'at-tendais pas : pour l'échographie j'étais encaleçon et là il ne m'a rien demandé, il abaissé mon caleçon et donc j'étais à poil, et ilme demande les effets de la testo : « ça faitune hypertrophie clitoridienne ? ». J'étaishyper tendu et je ne lui ai pas répondu. Ças'est terminé là, je suis sorti j'étais hyper mal,parce que je n'avais pas réagi pour le caleçon,et que la seule question sur les effets de latesto portait sur mes organes génitaux.

    Une semaine après je vais chez une dermatoqui sait très bien que je suis trans, elle saitque je prends des hormones, tout ça. La salled'attente était remplie et elle arrive en m'ap-pelant MADEMOISELLE. J'entre dans lecabinet, et je lui dis que ça ne le fait pas

    Tome 1. Rapports aux institutions12

    C O R P S M E D I C A L , M I«En l'état actuel des connaissances, il s'agit d'un trouble psychique, dont les causes ne sont pas encoreconnues. Parmi d'autres hypothèses invoquées, il se pourrait que la qualité et la quantité de l'impré-gnation hormonale reçue par l'embryon au cours de la grossesse jouent un rôle dans la survenue dutranssexualisme "primaire", qui touche autant les garçons que les filles.»

    Discours de l’équipe officielle de Paris

    *straight : hétéronorméE

  • Tome 1. Rapports aux institutions 15Trans Terriblement Féministes14

    Je suis allé voir ma médecin généralistepour un mal de tête récurrent. Je nel'avais pas vue depuis deux ans, depuis quej'avais transitionné. Pour savoir quelmédicament me prescrire, elle medemande si je prends un traitement. Je luidis que je prends de l'Androtardyl et je luiexplique pourquoi. Elle me demande alorsle nom des médecins que j'ai vu pour matransition. Je lui donne le nom de monchirurgien et de mon endocrinologue, onparle rapidement de comment s'est passéemon opération et on passe à autre chose.Ensuite, durant tout le reste de la consul-tation elle m'a parlé au masculin.

    Elle m'a parlé au masculin sans que je n'aierien eu à lui demander. Elle a donc pris encompte mon identité trans. Ses questions surma transition n'ont pas été intrusives et il n'ya pas eu une curiosité exotique de sa part. Ellem'a vraiment considéré comme une personneet ça aurait été la même chose si j'avais pris unautre traitement. Ce n'est pas extraordinaire,bien sûr, mais c'est rare par rapport à d'autresmédecins.

    Et quand j'y pense je trouve ça fou d'avoir étéaussi touché par une situation tellement nor-male et banale. C'est à cause de toutes lesexpériences négatives que j'ai vécues avecd'autres médecins.

    SI ÊTRE TRANS POUVAIT ÊTRE BANAL

    politique avec lui ! Au final, je trouve cela nor-mal, entre deux êtres humains de s'écouter etd'avoir envie de se comprendre. Mais c'est tel-lement peu le cas dans les institutions en géné-ral et dans le corps médical en particulier, queça fait de cette expérience une expériencepositive. Il y a aussi le fait que d'autres potestrans politisés sont allés le voir avant, et minede rien, ça contribue au fait que ce chirurgienait réfléchi... Il m'a validé comme trans alorsmême que je ne prends pas d'hormones, et si

    ça vous semble normal tant mieux, quandmême je trouve qu'il reste une exception.

    Je sais aussi que ce rapport avec lui est gal-vaudé par le nombre de thunes vertigineuxque je vais lui filer. Je le paye grassement pourqu'il m'enlève une partie de mon corps que jene peux plus supporter. Il nourrit une philoso-phie complètement libérale où « tout est pos-sible avec une mastercard » et un goût pour lecommunautarisme à l'américaine. Il est beau-coup de choses que je déteste, nanti blanc ici,voulant l'égalité pour touTEs. Je ne peux meleurrer sur ce qu'il est et restera, un ennemi declasse. Je galère à trouver toute cette thune quime semble une fortune, je vais lui lâcher, j'es-time qu'il va faire un travail correct. Pourtant,sur le plan humain, rien n'est vraiment mon-nayable, il m'accepte. Il ne s'est jamais posécomme professionnel qui a le pouvoir d'accep-ter ou refuser ma demande comme d'autreschirurgiens que je suis allé voir. J'en ai besoin,il le fait, avec ou sans papiers officiels, ce n'estpas un cas de conscience pour lui, si je suisprêt pour ou je ne sais pas trop quoi. Il me faitconfiance en partant du principe que je saismieux que lui ce dont j'ai besoin. Je vais doncvers mon opération serein vis-à-vis de lui,flippé vis-à-vis de la thune.

    J'arrive dans son cabinet, sa salle d'attenteme fait halluciner, elle est grande et hyperluxueuse dans un des quartiers les plus bour-geois de cette petite ville. Quelques autrespersonnes attendent aussi, des couples hétérosvieillissants, BCBG, blindés de thunes. Je suisstressé, je me sens complètement décalé, j'aipeur qu'il refuse de m'opérer.

    Finalement, il m'appelle, me serre la main etm'invite à rentrer dans son bureau. C'est unmec, la quarantaine, avec un style décon-tracté, qui cherche à plaire, son front botoxé,et de prime abord très avenant. J'explique queje suis trans, je ne l'avais pas précisé au télé-

    phone et à ma voix, sa secrétaire m'avait prispour une femme. Il me dit qu'il s'en doutaitquand il m'a vu attendre dans son cabinet, ilme dit qu'il est ravi que j'ose venir le voir,qu'il respecte ma démarche. Et, c'est pas grandchose, mais j'ai commencé à me détendre,c'est la première fois que j'étais en face d'unprofessionnel de santé et que je me sentais res-pecté tout entier. Je n'avais pas besoin de mejustifier, passer un interrogatoire, il m'acceptaitsimplement. De fil en aiguille, nous nous som-mes mis à parler des droits des LGBT. Nousn'avions pas le même regard, le sien beaucouptrop angélique à mon goût. Pourtant, je nem'attendais pas avant d'y aller, à discuter de

    PREMIÈRE RENCONTRE AVEC LE CHIRURGIENQUI DOIT M’OPÉRER. EXPÉRIENCE MITIGÉE.

    Q U E L Q U E S M I E U X

    Je suis allé voir une dentiste. La premièrechose qu'elle me demande c'est pourquoije vais la voir, je lui dis que c'est parce quemes gencives saignent et que j'ai peur quemes dents se déchaussent.

    Elle me fait remplir une fiche où il fautécrire les traitements que l'on prend, les pro-blèmes de santé, les allergies, et la dernièrefois où on est allé chez unE dentiste. Commeça faisait six ans que je n'y étais pas allé, jeflippais qu'elle m'engueule mais elle ne m'arien dit. Sur la fiche, j'ai marqué que je pre-nais de l'Androtardyl* sans donner d'autresexplications. En reprenant ma fiche, elle medit que mes problèmes de gencives pouvaientvenir du tartre mais aussi des hormones. Jesuis agréablement surpris qu'elle sache cequ'est l'Androtardyl et qu'elle ne me pose pas

    plus de questions. Comme son lecteur decarte vitale ne fonctionnait pas, elle me rem-plit une feuille de soins et elle me demande sielle doit mettre mon prénom d'usage ou leprénom de mon état civil.

    Ce que j'ai apprécié dans cette expérience,c'est que j'étais devant une médecin qui étaitau fait de la question trans. J'ai trouvé vrai-ment agréable qu'elle inclue ma transidentitédans les questions qu'elle me posait ou lesréponses qu'elle me donnait, parce que c'étaitquelque chose qui ne la surprenait pas etqu'elle comprenait. Surtout, de toutes mesexpériences avec le corps médical, c'est laseule médecin qui a pu me dire un effet deshormones sur mon corps alors qu'à chaquefois j'ai dû expliquer aux médecins quelseffets avait la testo sur moi.

    *Androtardyl : Ampoule de testostérone.

    SI SEULEMENT TOUS LES MÉDECINS POUVAIENTÊTRE COMME MA DENTISTE

  • Tome 1. Rapports aux institutions 17Trans Terriblement Féministes16

    Voilà quelques stratégies de défense. Bon,il faut bien dire qu'il n'y a pas de recettemagique. Ici, quelques conseils sont recueilliscar ce sont des situations fréquentes. Les stra-tégies trouvées dépendent de nos besoins,envies. On peut préfèrer s'en sortir le plusrapidement possible, sans s'outer ou, aucontraire, en affirmant une identité et en seprenant les réactions transphobes possibles.C'est important de s'écouter et de faire ce quinous va le mieux en fonction du moment(notre énergie, la/les personnes qui nous fontface, ...).

    STRATÉGIES LORS DE LA CONFIRMA-TION D'IDENTITÉ ( À LA POSTE, DANS LETRAIN, À LA SÉCU, PAR DES FLICS,... )

    Une fois, je voulais retirer de l'argent au gui-chet de la banque. La banquière refuse decroire que le compte m'appartient alors que jeviens de lui donner mon numéro. Je luiaffirme, en la regardant droit dans les yeux,que c'est effectivement moi. Comme ellecontinue à ne pas me croire, elle me demandeaussi si je suis mineur, ce à quoi je lui répondsun peu offusqué qu'elle a ma date de naissancesous les yeux... Comme j'étais très sûr de moiet que je ne voulais rien dire d'autre, elle m'afinalement lâché ma thune.

    À la douane pour sortir de France dans unaéroport, on me demande ma carte d'identité.Les douaniers ne veulent pas croire que c'estmoi. Je leur montre un deuxième justificatifd'identité, ils ne me croient toujours pas et medemandent si je suis une femme. Ce à quoi jeleur réponds que je suis trans. Ils se sont misà bafouiller, ils étaient gênés et m'ont laissépasser de suite. Après coup, je me suis renducompte que parfois, ça pouvait être utile de direque je suis trans pour déstabiliser les personnesen face et qu'elles me laissent tranquille.

    Pour avoir mes hormones je file mon ordon-nance d'Androtardyl à une pharmacienne.Elle me demande si la demoiselle est au cou-rant que c'est un médicament réservé aux

    hommes, en pensant que je viens de la partd’une autre personne. Je lui dis en rigolant queoui, "elle" est au courant. J'avais envie de luirépondre que c'est moi, et que je ne sais paspourquoi on me prend toujours pour unhomme ! Tant qu'à être absurde...

    Pour mes démarches administratives, je pré-pare les situations à l'avance pour avoir de larépartie au moment même. Je n'ai plus envied'être pris au dépourvu. Anticiper m'amène del'assurance.

    CHEZ LE MÉDECINJ'allais chez le médecin pour me faire pres-

    crire des médicaments contre la gale. Aumoment de payer, il me demande ma cartevitale, voit le numéro 2 inscrit dessus, il hallu-cine et recommence la consultation en medemandant de me justifier. Je lui dis alors queje suis trans, il enchaîne avec plein de ques-tions sur ma transidentité. Je lui signifie que jene suis pas venu pour en parler, que ce n'estpas très professionnel de sa part de me poserdes questions sur des sujets qui n'ont rien àvoir avec mon rendez-vous. Les questions sesont arrêtées, je suis parti, il n'a pas su quoiajouter.

    DANS LA RUEUn mec m'a interpellé pour savoir si j'étais

    un gars ou une femme. Je ne savais pas quoirépondre, je n'étais pas très sûr de mon passing.J'ai ironisé en disant ni l'un, ni l'autre, on s'enfout. Il m'a alors mis dans un genre : “Ah toi,t'es un gars". Car, il avait certainement sa petiteidée avant de m'accoster.

    Même situation sauf que je ne réponds rien. Ilrepose plusieurs fois la question. Puis, il se faitsa propre opinion, en disant que je suis un mecun peu bizarre. Je ne lui ai laissé à aucunmoment une accroche possible, je lui montraisde l'indifférence, comme si je m'en foutais qu'ilpuisse m'appeler au masculin ou au féminin.

    Detour sur nos strategiesÇa va faire bientôt deux ans que je prendsde la testostérone, et j'avais vraiment pas

    mal cogité avant de me lancer. À la base cen'était pas le plus important pour moi, mais àce moment-là de ma vie j'avais besoin quemon corps change, qu'il se masculinise.

    J'ai eu pas mal de chance je trouve, étant dansle réseau queer/transpédégouine de la ville oùj'habitais à ce moment-là, j'ai pu rencontrerplusieurs trans qui avaient eu des hormonesavec ce psy qu'illes trouvaient cool et pas for-cément super protocolaire. J'ai pris mon cou-rage à deux mains pour prendre un rendez-vous et j'ai dû attendre un mois. Des fois c'estlong un mois, à se demander ce qu'il va medire, à quoi il va ressembler, si je vais avoirmon attestation pour mes hormones, s'il va metrouver assez trans, assez masculin, assez assez.Je me suis un peu pris la tête, même si j'avais lesoutien des mes potes et des potes trans quiétaient passéEs par lui et qui essayaient de merassurer.

    Est arrivé ce fameux rendez-vous et je nesavais pas quoi mettre comme vêtements, che-mise, t-shirt, jeans, short (on était en septembreil faisait encore chaud). Qu'est-ce qui fait plusmasculin, je ne savais pas. J'y suis allé commeje m'habille d'habitude. J'arrive au cabinet etje paie ma consultation avant de voir le psy. Àl'accueil personne ne m'a parlé au féminin,même quand j'ai donné ma carte vitale, ça m'atout de suite soulagé. Mon psy est arrivé et laconsultation a commencé.

    Ça a duré en tout et pour tout trente minutes,au bout desquelles j'ai eu ma fameuse attesta-tion qui précise que je n'ai aucune autre patho-logie (que la dysphorie de genre) qui pourraitcontre-indiquer un traitement hormonal.Trente minutes durant lesquelles, ce psychiatrem'a tout de suite parlé au masculin, ne m'aposé aucune question sur ma sexualité, m'amême expliqué que pour lui, psychiatre, iln'avait aucun intérêt à s'opposer au désir de

    transformation physique d'une personne quela science ou la psychiatrie ne pouvait pasexpliquer et donc que ce n'était pas à lui dejuger. Il m'a aussi proposé, si j’en ressentais lebesoin de faire une thérapie, de m'orientervers un autre psychiatre afin que cela n'inter-fère pas avec la transition. Moi qui me torturaisl'esprit pour savoir si je faisais assez viril pourobtenir de la testostérone, j'étais assez estomaqué,content, et renforcé.

    Je suis donc reparti avec mon petit papierdisant oui pour les hormones chez un autremédecin, endocrinologue celui-là (celui quiprescrit les hormones) mais ça c'est une autrehistoire.

    T r e n t e m i n u t e sQu’est-ce qu’une histoire d’amour entre deux trans?

    Une transfusion

  • Tome 1. Rapports aux institutions 19Trans Terriblement Féministes18

    mon apparence masculine, je ne me verraispas autrement. Mais je ne veux en aucun casfraterniser avec un ennemi X, je reste fémi-niste et solidaire de mes potes assignées F auquotidien. Aurais-je été plus légitime avec unT-shirt écrit « J'AI PAS DE BITE » dessus ?

    QUESTIONNEMENTS ...

    Je m'interroge donc sur ma prise d'espace, deparole, de pouvoir, dans les lieux et espacesmixtes.

    Est-ce que je dois fermer ma gueule pourlaisser une personne assignée F le faire ? Maviolence est-elle normative ? Est-ce que jepeux être con sans être con comme un mecbio ? Comment réussir à gérer un conflitsexiste dans un espace public alors que je res-semble à un gars bio ?

    Être violent avec une tête de mec rend-il rai-son aux essentialistes* sur les effets de la testo ?

    Comment réussir à concilier les approchesde potes assignées F et la mienne sans pourautant décrédibiliser leur action et lamienne ? Je veux rester uniE. Je veux restersolidaire et qu'on ne me questionne pas surmes « intentions cachées » de faire ami-amiavec l'ennemi.

    Je sais que ces questionnements m'ont mar-qué car lors d'une action féministe menéedans un concert punk à Lyon où notre groupea lu un texte en interrompant la soirée, je mesuis vu me retenir d'agir lorsque des relousnous criaient des « féministes fascistes » etque des potes assignées F ont commencé à lesrepousser et à leur dire de se calmer. Cesquestionnements ont joué parce que j'étaistout devant et j'aurais très bien pu aller par-ler à ces gars en même temps que les potes,mais je me suis dit : non, t'as une gueule de

    gars, rentre pas dans un rapport de mec à mecalors que c'est une action féministe en grandepartie sur les violences sexistes.

    Je lance ces pistes de réflexion parce que desfois j'ai l'impression qu'être TRANS, c'estl'art de jongler entre ses positionnementspolitiques, son vécu de meuf et son appa-rence. Parce que des fois j'ai envie d'exploserdes gars dans la rue, de me battre, de crier desinsultes, mais je ne peux pas parce que je réa-girais trop comme un gars bio...

    Et ça me brûle, ça m'horripile, ça me crèveparce que merde, moi aussi je suis porteur devagin, moi aussi j'ai vécu des trucs pas coolsparce que j'étais une meuf et que mon vaginétait supposé être disponible pour les mecs,moi aussi je politise mon vécu. Alors quoi, jesuis pas un social traître, non ! J'aime justeune apparence masculine, des poils au visageet alors ? Des poils partout bon d'accord. Mondegré de pilosité ne changera pas mon passé.Il est inscrit gravé et j'en suis fier !

    Alors j'en ai marre et je me dis qu'il fautprendre les armes du maître, le détruire avec,et squatter sa maison.

    *essentialisme : un courant féministe partant dupostulat que les différences hommes et femmessont innées et biologiques. Notamment les hormo-nes seraient reponsables des comportements genrésdes personnes.

    Il n'y a pas longtemps je me suis pris enpleine gueule ma face de mec « bio ». Desfois je ne réalise pas vraiment.

    J'arrive à une soirée dans un bar où l'on doitrejoindre les genTEs du festivalTransPédéGouine auquel je participe. Là jecommence à dire bonjour aux genTEs, et jevois plein de potes féministes entourant ungars qui a l'air relou, je ne comprends pastrop ce qui se passe. Je me dis : encore un garsqui doit faire chier sa meuf. Le gars ne s'ex-cite pas vraiment, mais n'a quand même pasl'air de vouloir lâcher l'affaire par rapport à ladétermination des potes qui essaient de luiexpliquer quelque chose.

    Finalement je m'approche du groupe qu'ellesforment autour de lui, je rentre dans le cercleet dis bonjour au gars, je lui demande s'il veutboire, chose complètement débile car il étaitdéjà raide, mais stratégie d'approche oblige.Je lui demande ensuite de venir discuter avecmoi et il accepte.

    LÀ J'ENTENDS UNE POTE DIRE "AH,VIVE LA FRATERNITÉ ENTRE MECS".

    Sur le coup, j'ai vraiment pas compris, çam'a énervé, blessé, déçu de moi-même et decette pote. Ça m'a foutu les boules. Moi, fra-terniser avec un mec bourré, relou, qui faitchier ? Mais ça va pas la tête !

    En reparlant avec cette pote, je lui ai expli-qué que pour moi, c'était juste une tactiqued'utiliser mon apparence de bio pour dés-amorcer une situation tendue. Elle m'aensuite expliqué que ce qui était blessantpour elle et les autres nanas, c'est qu'ellesgaléraient à écarter ce relou depuis vingtminutes. Et moi j'arrive comme une fleur eten trois minutes je le fais bouger parce quej'ai une gueule de gars.

    Et ouais, ça fout la rage, encore un belexemple de notre société si normée et telle-ment sexiste. Je ne fais pas enrayer lamachine avec ma gueule de mec. Mais j'aime

    F r a t e r n i t é

  • Tome 1. Rapports aux institutions 21Trans Terriblement Féministes20

    « Or l'une des caractéristiques de l'attitude natu-relle à l'égard du sexe est d'être invariant : tel indi-vidu est homme ou femme parce qu'il a étéhomme ou femme dès sa naissance et le resterajusqu'à sa mort et même au-delà. »

    Patricia Mercader

    Mon premier contact avec le travaildans un métier de mecs en tant quepersonne transsexuelle masculine étaitchargé d'espoirs et de peurs.

    Des espoirs. J'avais très envie de connaîtredes outils, des savoir-faire, qui m'étaient jus-que là interdits dans ma construction socialede fille.

    Des peurs. Comme je n'avais jamais étéconfrontéE à la non mixité masculine, j'avaistrès peur de vivre de la transphobie : du har-cèlement, des insultes ou des agressions, dufait de ne pas être sûrE de passer pour unmec.

    ENSUITE TOUT A COMMENCÉ.

    Tout se passait beaucoup mieux que ce quej'avais imaginé.

    J'ai appris à connaître des personnes, aveclesquelles j'ai créé des liens dans desmoments de partage et de solidarité, lors desrepas, lors des moments où on se donnait uncoup de main, ou quand on subissait desoppressions communes de la part de notreemployeur.

    Ainsi, petit à petit, j'ai commencé à m'ex-primer, à parler du féminisme, à faire lagueule s'ils avaient des propos homophobes,à porter des basquettes roses... À exprimermes sentiments. Enfin... À moins me censu-rer.

    Je le faisais des fois même si je m'isolais laplupart du temps, parce que je ne supportaispas la teneur sexiste, raciste et homophobe dela plupart des discussions entre mecs.

    Aussi je découvrais que je n'arrivais pas àconsidérer les hommes comme mes égaux, etque j'avais tendance à leur accorder de laplace, à un peu trop leur sourire, à un peutrop les regarder.

    Et dans une société aussi binaire que lanôtre, quand on ne correspond pas trop auxcritères comportementaux ou physiques dece qu'on définit comme masculin, hop ! Onest classé dans la case « autre », qui commu-nément est assimilé à la catégorie sociale« femme ».

    Je ne sais pas très bien à partir de quelmoment a commencé à se faire cette déduction,mais elle a fait que certaines des personnes avecqui je travaillais n'ont plus vraiment acceptéque je reste égal à eux. Ils ont essayé de meremettre à la place d'objet sexuel, par duharcèlement et des menaces de viol.

    MALHEUREUSEMENT, J'AI N'AI EULE SOUTIEN DE PERSONNE À MONTRAVAIL.

    Je crois que les personnes, avec qui j'avaispartagé des choses positives, et qui n'ont pasréagi quand je me suis fait agressé, avaientpeur, peur pour elles, peur de perdre leur tra-vail, peur d'être agressées à leur tour... C'estl'analyse que j'en ai fait. J'ai constaté aussi lemanque de solidarité quand d'autres ouvriersse faisaient harceler par des propos racistes,validistes...

    Le fait est que je n'ai pu compter sur aucuneaide quand j'ai voulu remettre mon agresseurà sa place.

    Mais grâce à des amies féministes, j'aitrouvé le réconfort, le soutien et la force pourne pas baisser la garde, et pour mettre assez lapression afin d'obliger mon patron à céder àmes exigences de ne plus travailler dans lemême chantier que mon agresseur.

    EXPÉRIENCE DANS UN TRAVAIL DE MECS

    «Les transsexuel/les sont des êtres humainscomme les autres, pourvus de sentiments et decapacités intellectuelles permettant de travaillercomme tout le monde.»

    Léa de La Roche, psychanalyste

    PAUSES CAFÉPour toute personne qui comme moi n'aaucune envie de travail salarial, la pause

    café devrait être un moment de répit, unmoment qu'on prolonge au maximum pouréchapper à la monotonie du travail. Les pausescafé, je les ai détestées. Si ce moment desociabilité n'était pas quasi obligatoire pourse faire bien voir, surtout en tant que sta-giaire, j'aurais sans conteste préféré resterderrière mon ordi.

    Au début, je n'ai pas trop compris ce quiarrivait. Les genTEs avaient des comporte-ments inhabituels envers moi, c'était étrange.Et puis j'ai décodé peu à peu les regards, lesréflexions, les comportements. Alors j'ai puanalyser durant les cinq mois qu'a duré monstage, l'hétérosocialité des pauses café. Ceque je ne comprenais pas dans les comporte-ments, c'était la manifestation des codeshétéros envers un mec bio, parce que c'estainsi qu'illes me considéraient. J'avais doncdroit à une complicité des mecs bios, quis'adressaient àmoi comme à undes leurs, avec unbrin de condes-cendance à causede ma gueuled'ado. Ils m'em-poignaient lamain avec fierté,une façon de mefaire entrer dans

    leur monde, tandis qu'ils faisaient la bise àtoutes les personnes genrées fille. Unemanière assez simple de marquer une netteséparation, de bien faire ressentir que lesfemmes n'ont pas la même place. Celles-cime faisaient sur-exister par des regards, enprêtant particulièrement attention à ce que jedisais. Elles me traitaient à la fois comme unenfant auquel elles font attention et commeun homme qu'elles cherchent à séduire. Jeremarquais par la suite qu'il en était de mêmeavec tous les hommes. Je nageais en pleincauchemar. Je voyais tous ces regards, remar-ques, prises de parole, prises d'espace, c'étaittellement criant, tellement grotesque quej'aurais voulu en rire. C'était ridicule. Mais çame sautait aux yeux parce qu'on me donnaitune nouvelle place dans la société, parce quedorénavant le monde straight me mettaitdans la case « homme ». Tout cela était sub-til, ça faisait partie du quotidien, il n'y avaitrien de choquant, simplement (malheureuse-ment) des comportements appris et intégrés.C'est pourquoi les pauses café sont devenuestellement hostiles. Je n'avais aucune accro-che sur ce qui se déroulait sous mes yeux,j'étais spectateur de codes sociaux affligeantsde l'éducation sexiste et hétéronormée. Je mesuis senti coincé entre l'envie de leur explo-ser à la gueule le trop plein d'hétéroland danslequel j'étouffais, et la peur d'être visiblecomme trans dans cet univers. J'ai choisi lafuite.

    AU BOULOT

  • Tome 1. Rapports aux institutions 23Trans Terriblement Féministes22

    À ce moment, un flic me demande d'enlevermon blouson pour le palper et comme je suisopéré, l'autre keuf a réitéré :

    « - Nan mais y'a vraiment un problème !Vous n'êtes pas une femme !

    - Ben, je suis pas un homme !

    Au final, j'ai fini par lui lâcher que j'étaistrans alors il me demande : « vous êtes trans...tout opéré ? »

    Au début je n'ai pas compris ce qu'il voulaitdire par là, après j'ai pigé qu'il voulait savoirsi j'avais une bite ou pas pour savoir si jedevais me faire fouiller par un mec ou unemeuf. J'ai été fouillé par une keuf qui savaitpas trop pourquoi c'était à elle de le faire, etça a été super rapide comparé aux autrespotes qui se sont fait fouiller avant... Elle asurtout pas touché vers l'entre-jambes, on nesait jamais !

    TROIS PETITS TOURS...Dans un contrôle ils ont gardé ma carte

    d'identité super longtemps, histoire de véri-fier si elle n'était pas volée mais aussi ils se lapassaient entre collègues en rigolant« regarde, c'est une femme ! »

    PANIER DE CRABE- Dans une manif à Paris, on s'est retrouvé

    bloqué par les keufs. Ils ont embarqué seule-ment les gens qu'ils identifiaient comme desmecs et quelques meufs « grandes gueules ».Avec un pote on s'est retrouvé embarquéavec tous les mecs. Ils ont regardé nos cartesd'identité et nos gueules et là ils se sontdemandés ce qu'ils allaient faire de nous. Lafouille se déroulait dans un parking souter-rain du comico, à l'arrache parce qu'il y avaitplus de cent personnes. Il n'y avait pas de flicmeuf parce qu'ils avaient prévu d'embarquerque des mecs. Le flic, qui avait contrôlé monidentité, restait à côté de moi en cherchantdésespérément une flic meuf pour me fouil-ler tout en répétant inlassablement à ses col-

    lègues que j'étais « une femme » et qu'ils nepouvaient pas me fouiller...

    - La meuf qui m'a fouillé elle était ultra gen-tille, elle voulait pas me froisser alors elle afouillé vite fait.

    - Ah ouais moi elle me palpait à fond eninsistant, histoire de savoir ce que je cachaissous mes fringues.

    MÉTROIl y a deux trois ans, je commençais ma

    transition, je portais un binder. Je fraude lemétro et là j'entends « jeune homme... ». Jeme retourne et je vois trois flics. Je les laisseme fouiller, ils ne contrôlent pas mon identité.Ils ouvrent mon sac, ils voient un gode et desmenottes. Là ils me disent « Ah ça à l'aird'être de vraies menottes, vous savez qu'ilfaut être consentant, ahahah » avec un regardde connivence et c'était hyper relou.

    Ça s'est compliqué lorsqu'ils m'ontdemandé ma carte d'identité. Ils se sontretrouvés trop mal à l'aise « Ah mais pour-quoi vous ne nous avez pas dit que vous êtesune femme ? » et du coup ils m'ont laissérepartir. Je n’ai pas payé d’amende.

    EGARÉÀ la gare, les flics vont pour me contrôler.

    Un des flics me demande ma carte d'identité,il est surpris mais ne dit rien à sa collègue, illui demande juste de me fouiller. Et elle lefait sans trop savoir pourquoi. À un moment,elle me palpe les seins et me demande « Maisqu'est-ce que vous cachez-là ? », je ne sais pasquoi lui répondre. Finalement je lui ai dit queje cache juste mes seins mais elle veut abso-lument vérifier. Elle me fait donc me dés-aper. Mais une fois que j'ai enlevé mon tee-shirt elle se trouve super gênée et elle ne veutplus que j'enlève mon binder. Mais je l'aienlevé rien que pour l'emmerder, elle n'osaitplus regarder.

    « Ces gens-là, ils sont tous androgynes, ils chan-gent de sexe comme ils veulent! »Citation d'un flic pendant une expulsion de squat

    PACKING* OR NOT ? Pendant ma GAV, au moment de lafouille, la flic est un peu choquée de

    procéder à la fouille, elle ne me fait pas baissermon caleçon, ni enlever mon binder*. Deuxou trois heures après elle revient et dit :

    « - Et en dessous du caleçon de mec il y aquelque chose ?

    - Ben non, je réponds.- Non mais vous êtes sûr parce que s'il y a

    quelque chose je dois palper...- Oui je suis sûr ! »

    Et là je baisse mon caleçon et elle m'or-donne, toute catastrophée : « Rhabillez-vous ! ».

    Juste après cette fouille, c'est à mon tour depasser devant la même keuf et là elle medévisage exaspérée et elle dit « Encore ?!»

    Et après, au moment du relevé des empreintes,le flic, parlant de mon pote trans, medemande :

    « - Non mais elle a pas un look bizarre tacopine ?

    - Ben non, j'vois pas ce qu'il a de bizarre,pourquoi ?

    - Non mais vraiment, entre nous, c'est pasnormal... »

    CHERCHER L’INTRUSAu début de ma GAV, ils ont cru que j'étais

    un jeune mineur, ils ne savaient pas quoifaire de moi. Ensuite, ils ont demandé à uneflic de me fouiller, et elle était vraimentgênée. Elle ne m'a pas fait enlever mon binder,ni mon caleçon, ni mes chaussettes. Elle m'ademandé si je n'avais rien en dessous et aprèselle m'a dit « Non mais quand même, vousdevriez changer vos papiers, ce serait plussimple ! » (sous entendu plus simple pourelle !).

    Après un flic est entré dans la cellule où jeme trouvais avec plein de potes meufs/gouineset m'a demandé « Ah mais vous êtes unefemme ? » et une pote a répondu « Ben oui,sinon il serait pas là ! »

    Et à la fin, un flic a voulu absolument mettredans ma déposition que j'étais transexuel !

    TOUT OU RIEN ?Pendant une expulsion, au moment du

    contrôle d'identité...

    « Monsieur vous vous mettez là »... Et ils medemandent ma carte d'identité, je prendsmon temps, je ne sais pas comment ça va lefaire, puis quand je la lui tends :

    « - Ah mais y'a un problème là ! - Ben nan y'a pas de problème »

    G A V é s p a r l e s ke u f s

    *packing : objet placé dans le caleçon pour donnerl’impression d’avoir une bite.*Binder : Tee-shirt ou bandes de compression des seins.

    C'est quoi un flic trans ?

    Un poulet aux hormones !