trop belle pour Être vraie vie de rÊve€¦ · pour vendre une tranche de rêve, il m’a suffi...

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| 91 90 | SOCIÉTÉ LA PRESSION INSTAGRAM vant de commencer à rédiger mon article, j’ai étalé mes notes de manière parfaitement organisée sur mon bureau, j’ai versé une tisane dans ma plus belle théière, celle en nacre et argent, et j’ai sorti du buffet le mug assorti. Puis j’ai pensé: «Tiens, si je postais une photo sur Instagram!» En légende, j’écrirais: «Ça bosse dur!», mais le message sous-jacent — que mes 17 500 followers saisiraient — serait: «Quel bureau inspirant que le sien! Quelle chance de travailler chez soi!» Ce ne serait pas tout à fait faux, mais pas tout à fait vrai non plus. Hors cadre trône un ramas- sis de chargeurs et de câbles. Je me dis souvent que je devrais comprendre à quoi sert chacun d’eux, mais je ne le fais jamais. Il y a aussi cette montagne de fac- tures que je dois classer et/ou payer et une assiette garnie de miettes. Et puis planté là, au milieu du dé- cor, derrière la pile de journaux et de magazines que je n’ai jamais lus, un lustre que je devrais franche- ment pendre un jour. En réalité, l’ambiance n’est pas du tout aussi déten- due qu’il y paraît. Si je bois une tisane calmante, c’est parce que je me répète en boucle que je n’aurai ja- mais fini mon dossier à temps et que la coordinatrice du magazine que vous avez entre les mains risque de m’étrangler. Mais ça, Instagram ne vous le dira pas. Pour vendre une tranche de rêve, il m’a suffi de ranger un coin de mon bureau, de sortir du champ VIE Il existe un endroit où de belles jeunes filles réalisent des postures de yoga impeccables, où les chats ne grandissent jamais et où toutes les femmes sont photogéniques. Bienvenue dans le joli faux monde de l’appli la plus bankable du moment. PAR LENE KEMPS , AVEC LA COLLABORATION DE LAURANNE LAHAYE . quelques éléments disgracieux, d’en rassembler d’autres de manière géométrique puis d’ajouter un filtre et zou!, arrêt sur image, encore un cliché parfait de ma vie parfaite! Quelques secondes de glamour immortalisées, loin des deadlines et du linge à plier. TROP BELLE POUR ÊTRE VRAIE «L’“insta” d’Instagram indique l’instant, me rappelle la prescriptrice de tendances belge Kate Stockman. Cela concerne vraiment l’ici et maintenant, la beauté de l’instant T. Vous vivez quelque chose de touchant ou de drôle, vous prenez une photo, vous la partagez et vous dites au monde, en toile de fond: “Voici un morceau de ma vie, je vous laisse partager cette ex- périence avec moi.”» Avec cette spontanéité, Instagram aurait pu être d’une précieuse authenticité. Dans un monde bâti sur le statut et le prestige, un moment parta- gé comme tel a un je-ne-sais-quoi de beau et d’in- time. Mais dès la naissance du réseau, il s’est agi de prendre plus que de simples photos, les filtres se sont multipliés, et avec eux un éventail d’applications per- fectrices de beauté: Facetune lisse le grain de peau, Photo Wonder blanchit les dents, Perfect365 allonge les cils (pour ne citer qu’elles). Embellir est devenu l’enjeu majeur de l’application: elle nous fait croire que nous sommes de meilleurs photographes que nous ne le sommes vraiment, affine nos traits et c’est toute notre vie qui devient soudainement plus sexy. Mais qu’y a-t-il de mal, au fond, à enjoliver la réali- té? N’est-ce pas le propre de l’homme d’afficher la meilleure version de lui-même? D’ailleurs, qui se passionnerait pour des photos de câbles et de fac- tures impayées? Pourquoi ne rendrions-nous pas publiques des images inspirantes de nos vies? Tout simplement parce qu’elles frustrent et dépriment les autres. Parce qu’elles ne disent pas la vérité. Nous ne photographions pas ce qui nous plaît (une soirée télé en amoureux), mais ce qui aura un impact sur notre réseau (un dîner gastronomique en amoureux). Il n’est pas question de la vie que nous menons, mais de celle que nous aimerions mener. DE RÊVE A #

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S O C I É T É

LA PRESSION INSTAGRAM

vant de commencer à rédiger mon article, j’ai étalé mes notes de manière parfaitement organisée sur mon bureau, j’ai versé une tisane dans ma plus belle théière, celle en nacre et argent, et j’ai sorti du buffet le mug assorti. Puis j’ai pensé: «Tiens, si je postais une photo sur Instagram!» En légende, j’écrirais: «Ça bosse dur!», mais le message sous-jacent — que mes 17 500 followers saisiraient — serait: «Quel bureau inspirant que le sien! Quelle chance de travailler chez soi!» Ce ne serait pas tout à fait faux, mais pas tout à fait vrai non plus. Hors cadre trône un ramas-sis de chargeurs et de câbles. Je me dis souvent que je devrais comprendre à quoi sert chacun d’eux, mais je ne le fais jamais. Il y a aussi cette montagne de fac-tures que je dois classer et/ou payer et une assiette garnie de miettes. Et puis planté là, au milieu du dé-cor, derrière la pile de journaux et de magazines que je n’ai jamais lus, un lustre que je devrais franche-ment pendre un jour.En réalité, l’ambiance n’est pas du tout aussi déten-due qu’il y paraît. Si je bois une tisane calmante, c’est parce que je me répète en boucle que je n’aurai ja-mais fini mon dossier à temps et que la coordinatrice du magazine que vous avez entre les mains risque de m’étrangler. Mais ça, Instagram ne vous le dira pas. Pour vendre une tranche de rêve, il m’a suffi de ranger un coin de mon bureau, de sortir du champ

VIE

Il existe un endroit où de belles jeunes filles réalisent des postures de yoga impeccables,

où les chats ne grandissent jamais et où toutes les femmes sont photogéniques.

Bienvenue dans le joli faux monde de l’appli la plus bankable du moment.

PA R L E N E K E M P S , AV EC LA CO L LA B O RAT I O N D E L AU R A N N E L A H AY E .

quelques éléments disgracieux, d’en rassembler d’autres de manière géométrique puis d’ajouter un filtre et zou!, arrêt sur image, encore un cliché parfait de ma vie parfaite! Quelques secondes de glamour immortalisées, loin des deadlines et du linge à plier.

TROP BELLE POUR ÊTRE VRAIE«L’“insta” d’Instagram indique l’instant, me rappelle la prescriptrice de tendances belge Kate Stockman. Cela concerne vraiment l’ici et maintenant, la beauté de l’instant T. Vous vivez quelque chose de touchant ou de drôle, vous prenez une photo, vous la partagez et vous dites au monde, en toile de fond: “Voici un morceau de ma vie, je vous laisse partager cette ex-périence avec moi.”»Avec cette spontanéité, Instagram aurait pu être d’une précieuse authenticité. Dans un monde bâti sur le statut et le prestige, un moment parta-gé comme tel a un je-ne-sais-quoi de beau et d’in-time. Mais dès la naissance du réseau, il s’est agi de prendre plus que de simples photos, les filtres se sont multipliés, et avec eux un éventail d’applications per-fectrices de beauté: Facetune lisse le grain de peau, Photo Wonder blanchit les dents, Perfect365 allonge les cils (pour ne citer qu’elles). Embellir est devenu l’enjeu majeur de l’application: elle nous fait croire que nous sommes de meilleurs photographes que nous ne le sommes vraiment, affine nos traits et c’est toute notre vie qui devient soudainement plus sexy.Mais qu’y a-t-il de mal, au fond, à enjoliver la réali-té? N’est-ce pas le propre de l’homme d’afficher la meilleure version de lui-même? D’ailleurs, qui se passionnerait pour des photos de câbles et de fac-tures impayées? Pourquoi ne rendrions-nous pas publiques des images inspirantes de nos vies? Tout simplement parce qu’elles frustrent et dépriment les autres. Parce qu’elles ne disent pas la vérité. Nous ne photographions pas ce qui nous plaît (une soirée télé en amoureux), mais ce qui aura un impact sur notre réseau (un dîner gastronomique en amoureux). Il n’est pas question de la vie que nous menons, mais de celle que nous aimerions mener.

DE RÊVEA#

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S O C I É T É

REAL LIFE VS INSTAGRAM LIFEEn 2014, Garance Doré, l’une des blo-gueuses les plus influentes de la pla-nète, rédigeait un post dans lequel elle comparaît la «real life» («la vraie vie») et l’«Instagram life» («la vie Instagram») et évoquait déjà la surpuissance du ré-seau: «Nous savons tous que notre vie instagrammée n’est pas notre vraie vie, nous sommes conscients que cette vie-là est toujours agrémentée d’un grain de sel, mais au moment de consulter les photos des autres, nous l’oublions systé-matiquement. Entre Instagram et la vraie vie, choisissez la vraie vie, mais sachez qu’Instagram gagne toujours.»Dans le joli monde d’Instagram, chacun publie ce qu’il a et fait de mieux. Et ce défilé incessant de silhouettes et de villas parfaites ne peut créer que de la frustra-tion. Certains chercheurs ont d’ailleurs imaginé une expression pour décrire le phénomène: «Instagram envy». L’envie, c’est cette tristesse ressentie face à la pos-session d’un bien par autrui et la volonté de se l’approprier nous aussi. Plus ques-tion d’être riche ou célèbre, sur Instagram, on peut déjà lorgner sur les espadrilles ou le toast à l’avocat d’une utilisatrice lamb-da. Et faillir au fameux commandement qui nous dit de ne pas convoiter la femme du voisin ou ce qui lui appartient. Une spirale infernale, selon Hanna Krasnova, professeure en médias sociaux à l’uni-versité de Potsdam: «L’autopromo en-gendre l’autopromo et la réalité virtuelle s’éloigne de plus en plus de la vraie réa-lité.» Avec à la clé un sentiment de mal-être pour certains utilisateurs. Selon une recherche menée par Andrew Przybylski, psychologue expérimental à l’Internet Institute de l’Université d’Oxford, les uti-lisateurs d’Instagram seraient 11 % moins satisfaits de leur vie que les adeptes d’autres réseaux sociaux et donc plus sujets à la dépression. Facebook aus-

si peut susciter un sentiment d’envie, comme le relate une enquête de l’Uni-versité de la vallée de l’Utah (‘They Are Happier and Having Better Lives than I Am’: The Impact of Using Facebook on Perceptions of Others’ Lives), mais sur le réseau bleu marine, le poids des images et leur potentiel désirable est tempéré par une masse d’informations, des der-nières news politiques aux gifs animés de pandas.

GÉNÉRATION AUTO-PROMOCréée en 2010 par l’Américain Kevin Sys-trom et le Brésilien Mike Krieger, Ins-tagram figure aujourd’hui au top des ap-plications les plus bankable, avec 80 mil-lions de photos postées par jour et plus de 400 millions de users. En avril 2012, Face-book rachetait l’application pour 1 milliard de dollars et les marques s’emparaient du réseau pour y poster leur meilleure pub. Des messages taillés pour les millenials, ces natifs des années 1980 à 1999, souvent décrits comme narcissiques, gâtés et peu enclins à l’autocritique. Une génération Y qui a grandi avec la télé-réalité, où certains quidams devenaient célèbres non pour ce qu’ils accomplissaient, mais simplement parce qu’ils passaient dans le petit écran. Pour ces utilisateurs-là, Instagram est le lieu rêvé pour montrer à quel point ils sont fantastiques et spéciaux, ce que leurs pa-rents n’ont pas manqué de leur rappeler. Sur le réseau, ils se comportent comme des produits, des marques et leur nombre de followers s’apparente à des chiffres de vente. «Les millenials maîtrisent parfai-tement les techniques de marketing, ex-plique l’analyste de tendances et psycho-logue belge Herman Konings. Ils rêvent tous de s’élever au-dessus de la masse, alors ils prennent 200 photos d’une même his-toire afin de pouvoir poster la meilleure.» Et de confirmer ce que disent les enquêtes: «La vue de toute cette perfection peut leur être douloureuse et la poursuite de celle-ci fastidieuse, mais la plupart des jeunes sont coincés dans cette culture de l’idéal.»

EN QUÊTE DE POST-AUTHENTICITÉ

Sept ans après le lancement de l’appli, les premiers utilisateurs d’Instagram ont gran-di. Certains sont devenus adultes. «Les ado-lescentes —  principales utilisatrices du ré-seau — sont aujourd’hui des jeunes femmes. Ce qui explique en partie la naissance de mouvements qui suggèrent un retour au naturel, explique Kate Stockman. Alicia Keys en est un joli exemple. La star utilise régulièrement le hashtag #nomakeup pour accompagner ses selfies et apparaît aussi au naturel dans le jury de The Voice.» Une prise de position salutaire, que sont aussi les hash-tags #flauntyourflaws («embrassez vos dé-fauts»), #healthyisthenewskinny («sain est le nouveau mince») ou #therealme («le vrai moi»), partagés sur le réseau mais qui ne suffisent pas à stopper cette surenchère de clichés chiqués qui font oublier la personne qui se cache derrière.En novembre 2015, Essena O’Neill, blo-gueuse australienne de 19  ans, suivie par plus d’un million d’utilisateurs et payée par

des hordes de sponsors, révélait l’envers du décor de ces photos idylliques dans un film court: des centaines de pauses et des journées de jeûne. Dans la foulée, elle fermait ses comptes Snapchat, YouTube et Tumblr et modifiait les légendes de ses photos Instagram, #vieparfaite devenant #fatiguée, #affamée… La jeune femme n’est plus jamais réapparue sur les réseaux sociaux.Pour libérer les jeunes générations de cette quête de perfection, il faut des modèles. Outre Alicia Keys, Bar Refaeli, Gwyneth Paltrow ou Cameron Diaz partagent ré-gulièrement des photos d’elles sans ma-quillage, mais toutes ne s’empêchent pas de poster la photo la plus désirable de leur villa aux Seychelles ou de leur dernière paire d’escarpins Dior. Alors on s’y perd. «Le mot authenticité revient comme un mantra depuis une dizaine d’années pour désigner ce qui est vrai et juste, explique Herman Konings. Tout ce qui est vintage, artisanal ou local est décrit comme au-thentique par les marques, mais les ving-

Les utilisateurs d’Instagram seraient 11 % moins satisfaits de leur vie que les adeptes d’autres réseaux sociaux

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tenaires peuvent parfaitement repérer les utilisations abusives du terme. Ce qu’ils veulent, eux, c’est de la clarté, des preuves d’une certaine véracité et c’est ce que nous appelons, dans le métier, la post-authenti-cité. Une marque qui se comporte mal, une campagne de pub qui sonne faux et l’en-treprise est directement sur le gril. Cette exigence de transparence s’étendra tôt ou tard aux réseaux sociaux, c’est inévitable. Si l’on exige de notre environnement qu’il soit sincère, on pourrait difficilement y échapper nous aussi!»

LA VIE RÊVÉE DES AUTRESDans son livre Cet autre qui m’obsède, Jean-Michel Oughourlian, neuropsychiatre et psychologue, décrit les mécanismes du désir mimétique, cette fâcheuse tendance que nous avons à désirer une chose moins parce qu’elle nous plaît que parce que d’autres la désirent.

Vous expliquez que l’on copie les désirs des autres depuis notre naissance. Rien d’illogique, donc?«Notre cerveau est doté de ce qu’on appelle des neurones miroirs, ils nous permettent d’imiter les autres et donc d’apprendre à marcher, à parler, mais aussi, plus tard, à ressentir ce que l’autre ressent. C’est donc très utile. Le pro-blème, c’est quand ce désir mimétique crée de vraies frustrations et nous aliène. Dans le cas d’Instagram, on perd notre li-berté quand on se met à désirer une paire des baskets juste parce qu’un autre la pos-sède. Là, nous ne sommes plus totalement maîtres de nos décisions et c’est problé-matique. Instagram nous attire dans un triple mouvement: mimétique, compé-titif et virtuel. Le réseau nous pousse à être comme l’autre, à prouver que l’on est

plus beau, plus heureux que lui, dans une sphère qui nous échappe complètement, puisqu’elle n’est pas le réel, et qu’on ne connaît pas personnellement les gens que l’on y croise.»Comment se libérer d’une telle emprise?«C’est compliqué, car les psychiatres, les psychologues ne connaissent pas parfai-tement le mode de fonctionnement de ces applications, ils n’ont pas grandi avec et sont donc désarmés. Aujourd’hui, un en-fant de 3-4 ans manipule déjà les réseaux sociaux via le téléphone de ses parents et peut donc déjà sortir du réel. Or, s’il n’y a pas identification dans le réel, il n’y a pas de construction du Moi. Un adoles-cent qui est sans cesse influencé par des personnages différents ne peut se struc-turer et il sera plus facilement inspiré par certaines idéologies. Chez un adolescent sain, le désir se transforme en volonté: une distance s’installe entre la réalisation immédiate et la réalisation différée. Ce jeune comprend par exemple qu’il devra étudier pendant cinq ans pour réaliser son rêve de devenir avocat. Si son désir fluctue non-stop au rythme des pho-tos des autres, impossible pour lui de se construire.»Qui doit transmettre ce genre de message aux enfants et adolescents?«Les parents et les professeurs doivent donner à comprendre: expliquer que telle ou telle image ment, que l’on désire ceci ou cela parce que l’autre le possède… Si j’arrive à voir et à comprendre la réalité en face, à voir le mécanisme dont je suis l’objet, je pourrai beaucoup plus facile-ment m’en détacher.»

S O C I É T É

J E A N - M I C H E L O U G H O U R L I A N N E U R O P SYC H I AT R E E T P SYC H O LO G U E

‘On perd notre liberté quand on se met à désirer une paire des baskets juste parce qu’un autre la possède’

Cet autre qui m’obsède: comment éviter les pièges du désir mimétique, Jean-Michel Oughourlian, éd. Albin Michel, 2017.