trois couleurs #87 – hiver 2010

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CINéMA CULTURE TECHNO 87 DéC - JANV. 2011 by TRON DAFT PUNK ÉLEC LIBRE HORS-SÉRIE #3 - SOFIA COPPOLA - EN KIOSQUES LE 15 DÉCEMBRE

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Photographie de couverture : © Disney / Rédacteur en chef : Auréliano Tonet

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CINéMA CULTURE TECHNO

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TRONDAFT PUNK

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HORS-SÉRIE #3 - SOFIA COPPOLA - EN KIOSQUES LE 15 DÉCEMBRE

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Le passEuR « Bien plus novateur que Star Wars au moment de sa sortie, et en tout cas bien plus adroitement réalisé, Tron est sans doute victime de son audace. C’est une situation à laquelle il va falloir s’habituer, que la technologie impose, que l’expérimentation se fasse par en haut. Et admettre après tout que les studios Disney puissent être des inventeurs méconnus : comme certains cinéastes underground. » Ainsi s’exprimait Olivier Assayas en 1982 dans Les Cahiers du cinéma, au moment de la sortie de Tron. Près de trente ans plus tard, cette opinion courageuse pourrait aisément être appliquée au second volet, en salles cet hiver : graphique-ment époustouflant, propulsé par la b.O. hybride, mi-synthétique mi-symphonique, de daft Punk, Tron, l’héritage renverse les lignes de la saga. À l’horizontalité de l’original, baigné du libertarisme post-hippie des premiers hackers, se substitue une verticalité très actuelle, qui dit, derrière une banale histoire de filiations, toute l’infantilisation, la solitude et le simulacre de nos âges numériques.

Ces thèmes, Olivier Assayas les a abordés, il y a quelques années déjà, dans Demonlover (2002). Légataire d’une tradition romanesque très française, en même temps qu’explorateur d’une globalisation inquiétante, le cinéaste fait le lien entre les deux dossiers centraux de ce numéro : les quatre saisons du couple au cinéma, d’une part, et le plébiscite par Hollywood d’artistes français, de l’autre. Photographie du va-et-vient sentimental d’un groupe de trentenaires, Fin août, début septembre (1998) annon-çait ainsi l’approche climatique des romances les plus fortes de cette fin d’année, d’Another Year à Rendez-vous l’été prochain. Quant à L’Heure d’été, il avait été élu film de l’année 2008 par l’association des critiques de Los Angeles. Auteur, avec Carlos, de l’une des œuvres les plus singulières de 2010, Assayas planche en ce moment sur une suite de L’Heure d’été, qui se déroulerait entre la France et les états-Unis, et se focaliserait sur les doutes d’une artiste exilée, jugée trop américanisée par les critiques hexagonales. Cinéaste nerveux et intranquille, le Français filme-rait ainsi une créatrice « victime de son audace », pour reprendre sa terminologie ; on a hâte de voir quelles novations il saura, en électron libre, y faire germer.

_Auréliano Tonet

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ÉDITEUR MK2 MULTIMÉDIA55 RUE TRAvERSIÈRE_75012 PARIS

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Directeur de la publication & directeur de la rédactionElisha Karmitz ([email protected] & [email protected])

Rédacteur en chef & chef de rubrique « culture »Auréliano Tonet ([email protected])

Chefs de rubrique « cinéma »Clémentine Gallot ([email protected])

juliette Reitzer ([email protected])

Chef de rubrique « technologies »étienne Rouillon

([email protected])

Direction artistiqueMarion dorel ([email protected])

Sarah Kahn ([email protected])

DesignLouise Klang ([email protected])

Secrétaires de rédactionSophian Fanen

Laurence Lemaire

StagiairesLaura Pertuy, Laura Tuillier

Ont collaboré à ce numéroStéphanie Alexe, Ève beauvallet, Renan Cros, Isabelle

danel, julien dupuy, joseph Ghosn, jacky Goldberg, Igor Hansen-Løve, donald james, Anne de Malleray, Wilfried

Paris, jérome Provençal, bernard Quiriny, Guillaume Regourd, violaine Schütz, Léo Soesanto, bruno verjus, éric

vernay, Anne-Lou vicente

Photographie de couverture© disney

IllustrationsNuméro 10, dupuy & berberian

PublicitéResponsable clientèle cinéma

Stéphanie Laroque 01 44 67 30 13([email protected])

Directrice de clientèle hors captifsAmélie Leenhardt 01 44 67 30 04

([email protected])

SOMMAIRE # 87 5 édITO 10 TRAILER > Somewhere12 SCÈNE CULTE > Tron

14 PREvIEW > True Grit

17 LES NEWS17 CLOSE-UP > Elle Fanning18 LE K > Au-delà20 KLAP > Les Amants de Low Life22 L’ŒIL dE… > j.-C. Martin sur Cabeza de Vaca24 SEUL CONTRE TOUS > We Are Four Lions26 REGARdS CROISéS > Stretch vs I Wish I Knew30 TéLéCOMMANdO > L’école The Shield32 EvENT > Science [et] Fiction34 PASSERELLES > Baba Bling36 L’HURLUbERLU > Ollivier Pourriol38 L’HEURE dES POINTES > vidéodanse40 UNdERGROUNd > Yules42 MIX TAPE > Anna Calvi, Agnès Obel, M-jo…46 bUZZ’ART > Catfish48 LE NET EN MOINS FLOU > Open Kinect50 AvATARS > Tron : Legacy de daft Punk

53 LE GUIDE54 SORTIES CINé66 SORTIES EN vILLE76 LA CHRONIQUE dE dUPUY & bERbERIAN

78 DOSSIERS78 HOLLYWOOd À L’HEURE FRANÇAISE100 LES QUATRE SAISONS dU COUPLE AU CINéMA

113 LE BOUDOIR114 dvd-THÈQUE > Rocksteady : the Roots of Reggae 116 Cd-THÈQUE > belle & Sebastian, badly drawn boy, Clinic118 bIbLIOTHÈQUE > Haruki Murakami120 bd-THÈQUE > Olivier Schrauwen122 LUdOTHÈQUE > Gran Turismo 5124 TRAIT LIbRE > Largo Winch126 SEX TAPE > Poupoupidou© 2009 TROIS COULEURS

issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuitNe pas jeter sur la voie publique

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10 TRAILER

On l’avait laissée parmi les dorures versaillaises de Marie Antoinette. On la retrouve dans un autre palace : c’est au Chateau Marmont que SOFIA COPPOLA situe l’action de son quatrième long métrage, Somewhere, où une vedette fait l’expérience, au contact de sa fille, de la vanité de son mode de vie. dans une interview extraite du hors-série que nous lui consacrons, en kiosques le 15 décembre, la cinéaste s’explique sur la radicalité crois-

sante de sa mise en scène, plus que jamais affranchie de l’ombre paternelle._Propos recueillis par Clémentine Gallot et Auréliano Tonet

Blondes, jeunes, jolies, vos héroïnes se res-semblent. Est-ce volontaire ?C’est vrai, on pourrait penser qu’il s’agit tou-jours du même personnage, qui évolue de film en film. Dans Somewhere, elle Fanning

incarne quelque chose de léger, de lumineux, qui contraste avec le monde dans lequel évolue son père.

Vos récits épousent souvent le point de vue du personnage féminin. Quelle part de vous-même mettez-vous dans vos films ?Le point de vue initial dans Somewhere est celui du père. Mais lorsque sa fille apparaît, on com-mence à appréhender les choses depuis sa perspective à elle. elle représente la vraie vie. Tous mes films sont très personnels. Lorsque j’ai écrit le scénario de Somewhere, je venais d’avoir un enfant. Cela a affecté l’écriture, c’est certain. Il s’agit d’un moment charnière, où il faut déci-der dans quelle direction on veut mener sa vie.

Tous vos films sont des drames familiaux. Vous avez grandi dans l’ombre du clan Coppola : quelle place tient pour vous la famille ?Une place centrale. Cela se ressent dans Somewhere : la famille incarne une forme d’authenticité. Mon

frère Roman travaille étroitement avec moi, il a d’ail-leurs coproduit Somewhere. Ma mère aussi était présente sur le plateau… J’ai montré le film à mon père après coup, je ne voulais pas qu’il m’influence. Il m’a confié que c’était un film que moi seule pou-vait réaliser. Il m’a d’ailleurs prêté les objectifs qu’il avait utilisés pour Rusty James. Leur rendu est plus doux que ceux des objectifs modernes.

Somewhere est-il une réponse à certains de ses films ?Le cinéma de mon père est plus grandiose que le mien : plus de personnages, plus de moyens. Somewhere est un film modeste, silencieux, minima-liste. Cette différence de style est peut-être liée à nos personnalités. C’est un homme, il est grand, il parle fort – tout ce que je ne suis pas.

Pourquoi les relations hommes-femmes sont-elles à ce point problématiques dans vos films ?C’est aussi le cas, je crois, dans la vie. Dans Lost in Translation, je voulais filmer une romance purement platonique. Dans Marie Antoinette, je me suis foca-lisée sur l’incompatibilité sexuelle entre la reine et le roi. Quant à Somewhere, Johnny y passe de fille en fille. Il n’a pas trouvé la bonne personne. Il est perdu, à la dérive, et cela doit changer.

S COMME COPPOLA

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TRAILER 11

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Vos films synthétisent un faisceau d’influences hétéroclites, puisées dans la mode, la musique, la photographie, le cinéma. Quelles œuvres ont irrigué Somewhere ?Ma rencontre avec le chef opérateur Harris Savides fut déterminante. Nous avons discuté de nos goûts, il m’a montré Jeanne Dielman de Chantal Akerman. Cela m’a incitée à écrire un script dans un style très simple, sans effets de caméra. J’ai été frappée par le travail d’Harris avec Gus Van Sant, surtout

dans Last Days. Je me suis également plongée dans les photos sombres et sophistiquées d’Hel-mut Newton. C’est l’un de mes héros. Le manne-quin topless qui se fait couper les cheveux à la fin de Somewhere est un clin d’œil à son travail. Pour le personnage de Johnny Marco, je me suis inspirée des portraits de Matt Dillon par Bruce Weber. C’est un photographe de mode que je trouvais très cool dans les années 1980. Il prenait en photo des jeunes gens, au naturel.

Les résidences de luxe sont le décor privilégié de vos films. On a ainsi le sentiment que le Chateau Marmont est l’un des personnages principaux de Somewhere.Très vite, je me suis dit que Johnny devait habi-ter au Chateau Marmont. Tous les acteurs que je connais y ont vécu un jour. C’est un rite de pas-sage. J’ai des souvenirs de cet endroit, de son gla-mour romantique, de son histoire. Il a un aspect gothique et hanté, mais on peut s’y sentir chez soi.

Après Tokyo pour Lost in Translation, peut-on dire que Somewhere est un portrait de Los Angeles ?en un sens. J’ai l’impression que je n’écris bien que quand je suis loin. Lorsque je vivais à Los Angeles, j’ai écrit sur Tokyo et sur Paris. Après Marie Antoinette, j’ai vécu à Paris et, très vite, j’ai eu envie d’écrire sur L.A., d’évoquer mes souvenirs de jeunesse en Californie. C’était avant les tabloïds, avant les paparazzi. C’était plus innocent.

« SOMEwhErE est un film modeste, silencieux, minimaliste. »

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12 SCÈNE CULTE /// TRON

TeRMINALKevin Flynn, concepteur de jeux vidéo, en veut à Ed Dillinger, patron véreux de Encom, qui a pillé ses créations avant de le licencier. Grace à Lora, une ancienne collègue dont il fut épris, Flynn s’introduit dans l’enceinte de la société, en quête de preuves. Mais Master Control, un programme mégalomane, le propulse sur le champ de bataille d’un jeu vir-tuel. Tout duel commence par une mise en garde.

Dans le laboratoire immaculé d’Encom, Lora guide Flynn jusqu’à son ordinateur.

LORA : J’ai un terminal direct dans l’espace cible laser. Tu peux rester toute la nuit. […] Ce laser est le travail de toute ma vie. Fais bien attention.

Flynn s’installe face à l’écran et commence à pia-noter. « Demande : accès au code 6. Mot de passe série PS 17 : Escadrilles de rennes. »

MASTER CONTROL : Tu n’aurais pas dû revenir, Flynn.

FLYNN : eh eh eh ! Le grand Master Control dont tout le monde parle !

MASTER CONTROL : Détends-toi, mets-toi à l’aise. Tu te souviens du temps où l’on jouait aux échecs ?

« Série de codes LSU-123. Activée. »

MASTER CONTROL : […] Tu sais que je ne peux pas autoriser ça.

FLYNN : Comment veux-tu régner sur l’univers si tu ne peux pas résoudre quelques problèmes insolvables ? Voyons ce que tu nous caches.

MASTER CONTROL : J’aimerais me mesurer à toi et voir de quoi tu es fait.

FLYNN : Tu ne ressembles pas du tout aux clichés qu’on t’associe…

MASTER CONTROL : Je te préviens. Tu fais une grosse erreur, je vais devoir te mettre sur la grille de jeu.

FLYNN : Tu veux jouer, je te donne du jeu.

Tandis que Flynn ignore la menace et tape sur le clavier de l’ordinateur, le laser situé dans son dos, se met à chauffer. Un faisceau vert jaillit brutalement et le dématérialise.

Tron de Steven Lisberger // Scénario de Steven Lisberger et bonnie Macbird// états-Unis, 1982, 1h36 // dvd disponible chez buena vista Home Entertainment. // Retrouvez la scène culte sur Vodkaster.com

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14 PREVIEW

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TRUE GRITRetour aux gros durs pour les frères Coen. Produit par Steven Spielberg, leur western est l’adaptation d’un roman de Charles Portis, déjà porté à l’écran par Henry Hathaway en 1969 – 100 dollars pour un shérif avec John Wayne, qui reçu son unique Oscar pour son interprétation de borgne grincheux. Une gamine de 14 ans, déterminée à venger la mort de son père, s’enfonce en territoire indien accompagnée de deux tireurs d’élite, afin de retrouver le criminel. Le casting 2011 n’a rien à envier à son aîné, puisqu’il réunit Jeff Bridges (de retour chez les Coen après The Big Lebowski), Matt Damon, Josh Brolin et la jeune Hailee Steinfeld pour ses débuts au cinéma. en 1969, ce film de vengeance versait dans un dis-cours conformiste et réac. Que nous réservent les frères Coen ?_donald james

Un film de Ethan et joel Coen // Avec jeff bridges, Matt damon… // distribution : Paramount // états-Unis, 2010 // Sortie le 23 février

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sECOuEZ, agITEZ, saVOuREZ : L’aCTu CINÉ, CuLTuRE, TECHNO fRaîCHEMENT pREssÉE

LES

NEWS

CLOSE-UPLongtemps cachée derrière sa grande sœur dakota, ELLE FANNING se révèle

dans Somewhere de Sofia Coppola. Le début d’une longue histoire ?Une règle implicite veut que dans les fratries d’actrices, l’aînée soit presque toujours la plus célèbre : Penelope et Monica Cruz, Vanessa et Stella Hudgens, etc. Mais cet état de fait pourrait bientôt changer dans la famille

Fanning. Après avoir débuté en jouant la doublure de sa grande sœur Dakota dans Sam, je suis Sam ou dans la série Taken, elle Fanning a récemment décroché ses premiers rôles importants dans Babel et

L’Étrange Histoire de Benjamin Button – dans les deux cas aux côtés de Brad Pitt. Mais c’est dans Somewhere de Sofia Coppola qu’on la remarque véritablement pour la première fois. elle y joue la fille d’un acteur

dépressif et divorcé (Stephen Dorff), passant avec lui quelques journées suspendues qui lui ouvriront les yeux. Aujourd’hui âgée de 12 ans et annoncée au casting des prochains Francis Ford Coppola (Twixt Now and

Sunrise) et J.J. Abrams (Super 8), il n’y a plus de doute : elle l’a, ce petit truc que les autres n’ont pas._jacky Goldberg

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LE K IL Y A CEUX QU’IL ÉNERVE ET CEUX QUI LE VÉNÈRENT

PARA CHuTEComme Cole dans le Sixième Sens, CLINT EASTWOOD parle aux morts dans Au-delà, qui réunit trois personnages hantés par le trépas. Son film, en revanche, ne parle pas à l’ensemble de notre rédaction. débat._Par Clémentine Gallot (la question) et Renan Cros (la réponse)

LA QUESTIONLa livraison annuelle de Clint eastwood, force de la nature, s’attaque à un nouveau territoire : le para-normal. Pourquoi pas. Mais ce motif semble sur-tout emprunté ailleurs lorsque Matt Damon entend les morts en mitonnant des petits plats avec Bryce Dallas (M. Night Shyamalan, sors de ce corps !). Sans doute le fait de son scénariste, Peter Morgan, le film s’égare entre San Francisco, Londres et Paris. Dans le segment parisien, le plus poussif des trois, Cécile de France, poupée ballottée dans un ignoble tsunami numérique au début du film, est livrée à elle-même au rythme de violons malvenus. Drame existentiel laborieux, Au-delà témoigne surtout de la difficulté du cinéma à figurer la mort autrement qu’en un halo de lumière tremblotant. Ce fatras narratif finirait-il par ébranler la puissance dra-matique du cinéaste, d’ordinaire son point fort ?

LA RÉPONSEeastwood a toujours filmé des fantômes (Unforgiven, Million Dollar Baby…). Au-delà n’est donc pas un film surnaturel, mais un drame multiple ; un film de conteur totalement dévoué à ses personnages. Un film de Clint eastwood, en somme. Tour de force de mise en scène, le film ose l’intime et le spec-taculaire et détourne la structure chorale made in Iñárritu, très à la mode, au profit du portrait de trois solitudes. Ce qu’il y a après la mort n’inté-resse pas eastwood, c’est le présent hanté qui le fascine. Belle idée que celle du personnage de Matt Damon, qui voit littéralement les morts que les personnages portent en eux. Récit d’une libé-ration ou d’un exorcisme, Au-delà est donc surtout un film sur la vie après les morts, une exploration par le plus westerner des cinéastes de la dernière des frontières.

Un film de Clint Eastwood // Avec Matt damon, Cécile de France… // distribution : Warner bros. France // états-Unis, 2010, 2h09 // Sortie le 19 janvier

LA RÉPLIQUE

« JE PENSE à UNE cHoSE... NADiNE, Si oN ENLèvE LE D, çA FAiT NAiNE. »

(HoLIday DE guILLauME NICLOux, EN saLLEs LE 8 DÉCEMbRE)

18 NEWS /// POLéMIQUE

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LOW LOVE

20 NEWS /// KLAP ! /// zOOM SUR UN TOURNAGE

Après leur trilogie poli-tique (Paria, La Blessure, La Question humaine), NICOLAS KLOTZ et ELISABETH PERCEVAL terminent Les Amants de Low Life, « film sur la jeunesse aux prises avec un monde envoûté » et œuvre romantique tour-née par un couple de cinéastes engagés._Par Laura Tuillier

Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval ont passé 35

jours dans le quartier lyonnais de la Croix-Rousse, où ils ont tourné un film à la lisière du fantastique, prophétique et flamboyant. Écrit et réalisé à quatre mains, Les Amants de Low Life raconte l’histoire d’une passion entre Hussain, un Afghan menacé d’expulsion, et Carmen, une jeune fille d’ori-gine espagnole. Nicolas Klotz avoue que c’est la première

fois qu’il parle de son film, mais accepte de livrer quelques indices : « La vengeance des immigrés passera par la magie, le vaudou. » L’expression du titre, low life, autre clé du film, évoque « ce moment après l’amour où tous les hommes dorment dans l’égalité du même sommeil ». Le film explore ainsi une poésie omni-présente et profondément ancrée dans le contempo-rain. « L’état amoureux est pour nous indissociable du poli-tique », affirme Nicolas Klotz. Que signifie l’amour lorsque plus rien ne va dans un pays ? Face à ces interrogations angoissantes, le couple de réalisateurs ne désarme pas, unit par un même désir de cinéma. « J’espère que le film sera plus lumineux que les précédents », conclut Nicolas Klotz dans un sourire énigma-tique, avant de retourner en salle de montage.

Sortie prévue au printemps 2011

1. Stephen Dorff, héros de Somewhere de Sofia Coppola, travaille sur le scénario d’une comédie déjà achetée par la maison de production d’Adam Sandler. jack Nicholson, grand ami de l’acteur, devrait tenir le rôle principal de cette histoire située dans le sud de la France.

2. Après Le Père de mes enfants, Mia Hansen-Løve tourne ces jours-ci son troisième long métrage : Un amour de jeunesse retrace la romance de deux adolescents qui se sépa-rent puis se retrouvent à l’âge adulte, alors que leurs vies sont bien établies.

3. Mickael Buch, ancien de la Fémis, vient d’achever le tour-nage de son premier long, écrit avec Christophe Honoré. Amira Casar et jean-François Stévenin sont les têtes d’affiche de Let My People Go, comédie gay entre Helsinki et belleville.

INDISCRETS DE TOURNAGE_Par L.P.

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LA TECHNIQUELE CASSE-TÊTE AQUATIQUESimuler de l’eau reste l’un des effets spéciaux les plus complexes. La difficulté est d’ail-leurs telle qu’une compagnie allemande, Scanline VFX, en a fait sa spécialité en créant les vagues virtuelles de 2012 ou du Monde de Narnia 2. C’est donc logiquement vers eux que Clint eastwood et son superviseur des effets visuels, Michael Owens, se sont tour-nés pour créer la séquence de tsunami d’Au-delà. L’équipe de Scanline VFX en a profité pour innover encore, en recréant des effluves qui dupliquent à la perfection la couleur et les remous de l’océan Pacifique filmé à Hawaii, ainsi que des vagues numériques qui se comportent différemment selon qu’elles déferlent sur un sol sablonneux ou rocheux._julien dupuy // Au-delà de Clint Eastwood, sortie le 19 janvier©

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La sortie de Cabeza de Vaca en France fait sortir de l’ombre le premier explorateur du sud des actuels États-Unis, conquistador anticon-formiste né en 1507, mort vers 1559. Le film de Nicolás echevarría, tout aussi unique, traduit avec une puis-sance évocatrice surprenante – par des jeux d’obscurité et de couleur, le ton des voix, la sobriété et la puissance du texte, le mysticisme de certaines scènes – l’angoisse que peut inspirer la découverte d’un monde étranger, son hostilité, les souffrances endurées dans l’esclavage, le froid, la faim, la mort des compagnons, la solitude.

Álvar Núñez Cabeza de Vaca est nommé trésorier du roi d’espagne en 1527 et accompagne une expédition de 600 hommes à la recherche des Cités d’or. L’expédition tourne à l’échec. Cabeza de Vaca est recueilli par des indigènes, vit à leurs côtés en

état d’esclavage pendant cinq à six ans. Redevenu libre, il entame un long périple – plus de 8000 kilo-mètres à pied –, accompagné d’indigènes qui le considèrent alors comme le messie. À son retour, il adresse au roi Charles Quint un rapport où il détaille presque tout ce qu’il a vu et vécu. echevarría choisit de commencer son film après l’échec de l’expédi-tion et n’évoque à aucun moment la fameuse quête des Cités d’or. Il choisit plutôt de se pencher sur ses années de captivité et sa liberté retrouvée, quand il devient un chaman adulé et opère des guérisons miraculeuses. Le film pourrait faire oublier qu’il se déroule en pleine Inquisition : le récit des guérisons n’aurait en aucun cas pu être celui rapporté par Cabeza de Vaca à Charles Quint. Dans son rapport au roi, pour échapper au bûcher, celui-ci affirme toujours avoir guéri avec la croix du Christ. »

Un film de Nicolás Echevarría // Avec juan diego, daniel Gimenez-Cacho… // distribution : Ed distribution // Mexique, 1991, 1h52 // Sortie le 22 décembreL’Inconquistador, Cabaza de Vaca de jean-Claude Martin (éditions À Contre-pied)

Réalisé en 1991, Cabeza de Vaca de NICOLÁS ECHEVARRÍA sort pour la première fois en France. Le film s’inspire de la vie de l’un des plus pittoresques explorateurs de la conquête des Amériques, qui fut à la fois chaman, historien, ethnologue… jean-Claude Martin, professeur émérite à l’université Paul-Sabatier de Toulouse, auteur de L’Inconquistador, Cabaza de Vaca, a vu le film pour nous._Propos recueillis par donald james

TÊTe bRÛLÉE

22 L’œIL DE ... /// jEAN-CLAUdE MARTIN SUR CABEZA DE VACA

Après une série de documentaires remarqués, où déjà on le voit attiré par les manifestations reli-gieuses, artistiques et culturelles des indigènes, le réalisateur mexicain Nicolás echevarría décrit avec une extraordinaire liberté de ton une épopée historique hallucinante. Non sans un sens du réalisme extrême, cette expérience métaphysique et envoûtante foule des terres empruntées naguère par l’Aguirre de Werner Herzog. Rien de moins._d.j.

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9 décembre 2010 – 2 janvier 2011

Sarah Gabriel / Christine ArandAlex JenningsMargaret TyzackNicholas Le PrevostDonald MaxwellJenny GallowayEd Lyon / Pascal Charbonneau

Orchestre PasdeloupChœur du Châtelet

chatelet-theatre.com

01 40 28 28 40

Direction

Kevin Farrell

Mise en scène Robert Carsen

Décors

Tim Hatley

Costumes

Anthony Powell

Chorégraphie

Lynne Page

Lumières

Adam Silverman

Musique

Frederick Loewe

Livret et lyrics

Alan Jay Lerner

Musical inspiré de la pièce de George Bernard Shaw et du film de Gabriel Pascal PygmalionMise en scène de la production originale de Moss Hart

Nouvelle productionEn anglais, surtitré

En coproduction avecle Théâtre Mariinskide Saint-Pétersbourg

My Faır Lady

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24 NEWS /// SEUL CONTRE TOUS

W e Are Four Lions réactive l’éternelle quest ion posée par Pierre Desproges : « Peut-on rire de tout ? » en l’occurrence du terrorisme, via la balade de quatre Pieds

Nickelés anglo-pakistanais qui se rêvent djihadistes et candidats à l’attentat-suicide. Sauf qu’ils sont très mauvais… Pour les familles des victimes des attentats islamistes de Londres en 2005, qui ont appelé au boycott du film, ce n’est pas drôle du tout. « You’re no fun anymore », comme disaient les Monty Python. Pour le réalisateur Chris Morris, We Are Four Lions touche pourtant au cœur du terro-risme islamiste : l’absurde. La postérité amère de Richard Reid, un membre d’al-Qaeda qui voulait allumer des explosifs cachés dans ses chaussures pendant un vol en 2002, sera ainsi d’avoir contribué à ce que des millions de passagers doivent ôter leurs souliers pour passer les portiques de sécurité dans les aéroports.

Avec le scénariste Jesse Armstrong (déjà auteur d’in the Loop, satire féroce de la politique anglaise), Chris Morris a collectionné les anecdotes ridicules et surréalistes sur les djihadistes. Ce qui transforme

son film en enfilade de sketches au pathétique sublime, portés par quatre acteurs au diapason. escale foireuse dans un camp d’entraînement au Pakistan, corbeaux kamikazes, films de propagande approximatifs… Tout y passe. Dans le rôle de Barry l’idéologue, Nigel Lindsay vole la vedette et collec-tionne les perles, comme avaler la carte SIM de son téléphone pour échapper aux écoutes. Le spec-tateur français ne devrait pas être dépaysé s’il se souvient des bêtisiers de prises d’otages dans Les Guignols de l’ info (« T’es con, Mouloud ! »). Pour être totale, l’absurdité doit aussi englober les auto-rités compétentes ; policiers, espions et politiciens britanniques en prennent donc pour leur grade, dans une paranoïa qui rappelle que la Grande-Bretagne est le pays de la vidéosurveillance. Par contraste direct, la facture documentaire, voyeuse, de We Are Four Lions montre que ces caméras sont en fait aveugles. L’estocade finale de Morris est de rendre ses personnages sympathiques. Il ne les excuse jamais, mais démontre qu’ils sont agités par les mêmes dynamiques que ceux qu’ils veulent assassiner : obsession de la célé-brité, quête de sens, raison du plus fort et bêtise. Nous sommes tous des lions.

« Il faut terroriser les terroristes », disait Charles Pasqua. Et s’ils étaient simplement risibles ? C’est l’idée de We Are Four Lions, qui ridiculise une équipe de djihadistes. Le film de CHRIS MORRIS a divisé la Grande-bretagne : fable de mauvais goût pour ses détrac-teurs, pain béni pour les amateurs d’absurde._Par Léo Soesanto

TeRRORIRe

Un film de Chris Morris // Avec Riz Ahmed, Arsher Ali… // distribution : UFO // Grande-bretagne, 2010, 1h41 // Sortie le 8 décembre

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En haut : StretchEn bas : I Wish I Knew

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REGARdS CROISéS /// NEWS 27

En dix films se fixant chaque fois dans un lieu différent,Jia Zhang-Ke a dessiné une cartographie patiente et itinérante de la Chine moderne. Élargissant le dispositif d’ex-ploration exhaustive de 24 city (2009) à une

ville entière, il est venu continuer à Shanghai l’entre-prise de témoignage amorcée dans cette usine en cours de fermeture : « Je ressens le besoin de racon-ter l’histoire contemporaine de la chine. Je suis convaincu que les chinois doivent faire un travail de mémoire », explique-t-il. i Wish i Knew, sous-titré «his-toires de Shanghai », regarde donc en arrière, sondant le tissu social de cette ville cosmopolite et industrielle d’immigration complexe, devenue la plus peuplée de Chine au cours du XXe siècle. Jia Zhang-Ke endosse l’habit d’historien dépositaire d’une tradition orale plu-tôt que d’opter pour une pompeuse reconstitution en costumes. Anciens ouvriers, patrons, cinéastes, acteurs et mafieux repentis évoquent tour à tour leurs souve-nirs face à la caméra. Plus de 80 interviews ont été menées, pour n’en retenir que 18 au montage. « Je voulais retrouver des témoins du passé de la ville. Les plus vieux ont vécu les années 1930. » Le film mêle ainsi une vision saisissante du présent au regard de ceux qui ne seront bientôt plus là pour raconter.

SHANGHAI L’INSAISISSABLEDepuis ses débuts, l’œuvre de Jia Zhang-Ke contri-bue à porter à l’écran un portrait de la Chine réelle, en révolte contre la vision glorifiée du cinéma

d’État de Zhang Yimou et consors. Si ses films se distinguent par leurs rapports troubles, entre fic-tion et réalité, i Wish i Knew est celui qui déroge le moins à son programme documentaire, mis à part quelques séquences oniriques où erre une jeune fille incarnant le passé de Shanghai. Âgé de 40 ans, le cinéaste a grandi en obser-vant de loin – depuis sa province reculée puis de Pékin où il a vécu étudiant – ce centre stra-tégique de la vie politique qu’a été Shanghai, havre de concessions étrangères pendant plus d’un siècle, berceau du Parti communiste, syno-nyme de cosmopolitisme, de matérialisme et de films de gangsters. « Petit à petit se construisait en moi une légende de Shanghai, un imaginaire de la pègre et du crime », se souvient-il. Une vision fantasmée des espaces qui nourrit de manière souterraine tous ses films. Platform, The World, Still Life et 24 city forment une topographie subtile, fascinée par l’individualisation croissante de la Chine et enracinée dans des lieux hantés par la disparition. entre les entretiens, i Wish i Knew trouve sa respiration sur les rives cotonneuses et délavées du fleuve Huangpu, écrasé sous le ciel blanc de l’insaisissable métropole. « Deux styles architecturaux cohabitent dans la ville : de l’an-cien et des buildings modernes. En se prome-nant, on est en un rien de temps transporté dans le passé, on change d’espace-temps », nous fait encore remarquer le réalisateur, qui rappelle que

deux cinéastes composent ce mois-ci un portrait de la Chine à deux vitesses. JIA ZHANG-KE revisite le passé perdu de Shanghai dans I Wish I Knew, tandis que CHARLES DE MEAUX transporte son film Stretch sous les sunlights de Macao. Nous avons croisé leurs regards, à la fois contraires et complémentaires._Par Clémentine Gallot et Laura Tuillier

ORIENTs eXPReSS

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28 NEWS /// RéGARdS CROISéS

Shanghai a longtemps été la ville du cinéma (d’An-tonioni à Hou Hsiao-Hsien) dans un pays toujours paralysé par la censure et des circuits de distribu-tion trop commerciaux.

MACAO L’ENCLAVE MyTHIQUESituée au cœur de Shanghai, la place du Peuple est le symbole historique du régime communiste conqué-rant dont Jia Zhang-Ke tente de percer les mystères. Bâtie sur les restes de l’hippodrome municipal, elle a écrasé l’ancienne vie locale, celle des jeux et des courses hippiques. Les parieurs migrèrent alors au Sud, à Macao, ville chinoise aux résonnances également mythiques. C’est là que nous transporte Stretch, le deu-xième long métrage de Charles de Meaux, producteur d’Apichatpong Weerasethakul depuis son premier film jusqu’à sa Palme d’or pour oncle Boonmee. Ancienne colonie portugaise, cette minuscule enclave portuaire cache sous ses façades léchées un monde souterrain rythmé par le trio infernal jeu-drogue-prostitution. C’est au cœur de cet environnement survolté que Charles de Meaux entraîne son héros. Jeune jockey ambitieux, Christophe (Nicolas Cazalé) fuit la France à la suite d’une affaire de dopage et atterrit à Macao, où il espère faire carrière. Le succès est au rendez-vous et avec lui se presse une foule de personnages louches, dont Davon Seymout, incarné par le sulfureux David Carradine, décédé en marge du tournage. Charles de Meaux revient sur le choix de Macao comme théâtre de cette fiction lancée au galop : « Je suis fasciné par ces endroits qui sont comme des trous noirs de l’imaginaire collectif. Macao est un réservoir à fantasmes sans que personne n’en ait d’image réelle. » Dans Exilé (2006), Johnnie To en faisait déjà le lieu d’une virtuosité véloce, la scène d’un ballet de gangsters. Le héros de Stretch renouvelle cette figure de l’exilé. Contraint de fuir la réalité codifiée des courses hippiques françaises, il est plongé dans un univers dont la signification lui échappe. À l’image de sa fascination pour la belle Pansy (Fan Bingbing)

dont il ne parle pas la langue, tout son parcours est marqué par la désorientation. Il gagne des courses mais perd pied. Magouilles, filles et dollars virevoltent autour de lui comme autant de signes d’un luxe de sur-face sur lequel notre héros glisse sans repères. Charles de Meaux évoque « un personnage confronté à la vitesse, aux chocs culturels, à l’éloignement d’avec le quotidien. Son téléphone portable devient le sup-port d’un journal intime hypermoderne. »

RÉPUTATION TROUBLEAlors que Jia Zhang-Ke mène la barque de son documentaire avec une lenteur pointilleuse, Charles de Meaux signe une fiction déconstruite et sacca-dée, entre emballement et épuisement du rythme. Désarticulation, solitude et instantanéité scandent Stretch, là où i Wesh i Knew n’est que mise en lien douce et coulissante de souvenirs partagés. Deux visions complémentaires de Shanghai et Macao, qui partagent dans l’imaginaire occidental une réputation trouble de villes trafiquantes. en marge de la Chine communiste, ces centres d’échanges affichent avec ostentation luxe et modernité. en 1941, Joseph von Sternberg réalisait The Shanghai Gesture, où le casino de « Mother Gin Sling » consti-tue le cœur de l’intrigue. Puis, lorsque le régime de Pékin interdit le jeu, le réalisateur fait escale à Macao (1952), seule ville épargnée par la loi, où il filme un couple d’Américains exilés qui fuient leur passé en infiltrant le milieu du crime. Pour le réalisateur autrichien, les deux villes fonctionnent en parallèle comme d’inépuisables sources de fictions. Charles de Meaux l’étranger et Jia Zhang-Ke l’enfant du pays sondent à leur tour cette relation mystérieuse, y imprimant chacun leur singulier tempo.

I Wish I Knew, histoires de Shanghai de jia Zhang-Ke // documentaire // distribution : Ad vitam // Chine, 2010, 1h58 // Sortie le 19 janvier

Stretch de Charles de Meaux // Avec Nicolas Cazalé, Fan bingbing… // distribution : MK2 diffusion // France, 2009, 1h30 // Sortie le 12 janvier

« MAcAo EST UN RÉSERvoiR à FANTASMES SANS QUE PERSoNNE N’EN AiT D’iMAGE RÉELLE. »

Charles de Meaux

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THe sHIELD 2.0

30 NEWS /// TéLéCOMMANdO

Les talents révélés par le polar tonitruant The Shield essaiment à la télé américaine. Avec une prédilection pour les productions musclées. On ne se refait pas._Par Guillaume Regourd

Deux ans se sont écoulés depuis l’époustouflant final de The Shield, solde impitoyable des années Bush. Mais Shawn

Ryan et ses troupes n’ont pas pris le temps de souffler pour embras-ser l’ère Obama. Tandis que la star Michael Chiklis semble égarée dans des sucreries familiales type No ordinary Family (ABC), ses anciens partenaires ont choisi de creuser le sillon ouvert à coups de pied par son personnage de flic borderline. La dernière grosse sensation télé en date, le drame zombiesque The Walking Dead (AMC), grouille de plumes autrefois au service de Vic Mackey (Glen Mazzara, Adam Fierro). Mais, si l’onde de choc The Shield se ressent partout, son épicentre reste la chaîne câblée FX, qui s’est trouvée en Kurt Sutter, la grande gueule derrière Sons of Anarchy, un nouveau monsieur (très) loyal. Ses motards mafieux se sont imposés en trois saisons comme les chefs de file d’un casting dopé à la testostérone. L’acteur Walton « Shane » Goggins s’est pour sa part fait une place dans la distribution de l’excellent western contemporain Justified. enfin, Shawn Ryan lui-même s’est retroussé les manches pour livrer à FX la récente Terriers, relecture du mythe du privé où un simili-Kurt Cobain aurait remplacé Humphrey Bogart. Ryan travaille en parallèle sur The chicago code, prévu pour débuter en février sur CBS. L’occasion de vérifier si sa formule du polar sous amphètes est exportable sur un grand network. Sons of Anarchy, saison 2 (coffret dvd disponible le 15 décembre chez 20th Century Fox)

1. L’incroyable Hulk est de retour. Guillermo del Toro déve-loppe en compagnie de david Eick (Battlestar Galactica) une nouvelle série pour AbC autour du géant vert, annoncée comme plus fidèle aux comics originaux que la version de 1978 avec le culturiste Lou Ferrigno.

2. Gus Van Sant s’est laissé convaincre de venir tâter de la télévision. Il produira et mettra en scène le pilote de Boss, un projet de la chaîne Starz sur le maire de Chicago. joué par Kelsey Grammer (Frasier), l’édile se découvrira atteint de troubles neurodégénératifs.

3. Après sa participation au soap opera General Hospital, James Franco poursuit sa surprenante réflexion sur le patrimoine télé américain. Il proposera à Sun-dance une installation intitulée Three’s Company : the Drama, dédiée à une fameuse sitcom des années 1970.

BUZZ TV _Par G.R.

LE CAMÉOWEEZER DANS THE HARD TIMES OF RJ BERGERLes séries inspirent depuis toujours les geek rockers de Weezer, et elles le leur rendent enfin. Après avoir intitulé leur dernier album Hurley en hommage à Lost et s’être invité dans Happy Days pour les besoins du clip de Buddy Holly, Rivers Cuomo et sa bande apparaîtront dans la saison 2 de The Hard Times of RJ Berger sur MTV, diffusée en France à partir de juin prochain. Les créateurs de cette comédie potache sur les affres d’un ado binoclard doté d’une anatomie avantageuse sont des fans avérés du groupe. Le lycée de la série se nomme d’ailleurs Pinkerton en référence au deuxième album de Weezer._G.R.

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FAR faR aWaY

32 NEWS /// EvENT

des utopies fondatrices aux projections futuristes, la science-fiction est le pendant fictionnel des sciences dures, dont elle explore les possibles. Considéré à tort comme mineur, ce genre fait (enfin) l’objet d’une exposition à la Cité des sciences. _Par Anne de Malleray

La SF est le rêve d’une réalité autre et la réalisation des rêves les plus fous, donc les plus probables », écrit Pierre

Versins, l’un des plus grands spécialistes français du genre, dans l’introduction de son Encyclopédie de l’utopie, des voyages extraordinaires et de la science-fiction. De Mary Shelley à Philip K. Dick, en passant par Jules Verne, la SF extrapole à partir du réel et pousse les innovations humaines jusqu’à leur point de rupture. Son génie est d’employer « la forme impudique et excitante de l’ imaginaire », selon les mots des commissaires de l’exposition, pour distiller dans la pop culture (BD, cinéma, littérature) des ques-tions philosophiques sur notre devenir : post-humanité, accéléra-tion technologique, destruction de l’environnement… La Cité des sciences rend honneur à ce paradoxe ; on évolue dans les décors de Star Trek, Matrix ou Retour vers le futur, on y croise l’original de R2-D2 et d’autres gadgets prêtés par des fans. Mais au-delà du divertissement, ce parcours ludique propose une revue intellec-tuelle des champs explorés par la SF : l’espace-temps, l’homme et la machine, la ville, les extraterrestres… Une expo recommandée à tous ceux qui doutent de l’intérêt philosophique de Total Recall.

Science [et] fiction, aventures croisées, jusqu’au 3 juillet 2011 à la Cité des sciences et de l’industrie

1. Isabelle Huppert jouera dans

RENDEZ-VOUS _Par L.P.

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L’AFTER-SHOWYI ZHOU AU MK2 BIBLIOTHÈQUELe 6 décembre dernier, Yi Zhou, née en 1978 à Shanghai, a projeté un florilège de ses vidéos expérimentales au MK2 Bibliothèque. Trente minutes d’un imaginaire étrange, amorcé par My Heart Laid Bare. La chair et la musique de Air s’y unissent, bercées par la voix de Charlotte Gainsbourg, un cœur à vif dans les mains. Dans The Ear, inspiré du Nez de Gogol, l’artiste filme un Pharrell Williams trahi par sa perception de la réalité. Van Gogh de substitution, le musicien se tranche l’oreille sur une B.O. de Morricone. Une douce traversée onirique, à la croisée des arts._S.A.www.yi-yo.net©

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1. Les voûtes de la Conciergerie posent le décor d’une exposition fournie sur les monuments au ciné-ma. On y traverse les châteaux de Peau d’âne et Marie Antoinette, tout en profitant de mises en situation qui feront la joie du jeune public.Monuments stars du septième art, jusqu’au 13 février à la Conciergerie

2. de l’occultation du génocide Khmers rouges aux problématiques migratoires à la frontière mexicaine, un festival engagé, parrainé par Jorge Semprún et Elia Suleiman, montre combien l’établissement de la paix s’avère périlleux.Un état du monde et du cinéma, du 28 janvier au 6 février au Forum des images

3. À 85 ans, Andrée Putman ordonne la rétrospective de son œuvre. Reconstitutions de lieux et rééditions de mobilier peuplent cette grand messe du style à la française. On y retrouve également son fameux piano voie lactée.Andrée Putman, jusqu’au 26 février à l’Hôtel de ville

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The Queen, King and The Illegimate Crossdressing Son - Chris Yap (détail)

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Foisonnante, surprenante, raffinée et un rien délirante, Baba bling, signes intérieurs de richesse à Singapour détonne dans le circuit des expositions hivernales. Le musée du quai branly accueille l’extravagance de la culture baba, métisse malaise et chinoise, dans une scénographie acidulée qui porte toute la complexité de ce peuple de marchands.

_Par Laura Pertuy

Que cache l’assonance clinquante du titre de cette exposition ? Selon l’un des deux commissaires, Kenson Kwok, sommité de la vie culturelle sin-gapourienne, « le terme Baba désigne

un homme chinois, et plus précisément un descen-dant des communautés chinoises qui se sont instal-lées dans le sud-est asiatique à partir du Xive siècle et qui ont intégré de nombreux aspects de la culture malaise dans leur culture d’origine au fil des siècles ». On écarte donc d’office les hypothèses culinaires, les grand-mères slaves et autres cavernes au trésor où traînerait encore Ali. Habitué aux cycles et expositions autour de la Chine culturelle, le public français est ici invité à explorer une communauté métisse et minori-taire rarement mise en avant en Occident.

ÉPOPÉEUne belle erreur, vu le patrimoine culturel développé par ceux que l’on nomme aussi Peranakan, des mar-chands venus d’Inde et de Chine pour s’installer en Malaisie, carrefour commercial éminent à la fin de notre Moyen Âge. Une fois installés, ces voyageurs ont épousé de jeunes Malaises, avant de se laisser forte-ment influencer par les colons britanniques, dont les coutumes se retrouvent de manière frappante tout au long de l’exposition. On y découvre un univers luxueux, parcouru de meubles aux allures chinoises mâtinés d’un raffinement propre aux Peranakan, dans des intérieurs recréés par la scénographie très ludique de Nathalie Crinière, qui parvient à faire de cette expo-sition une épopée fluide. À ce mobilier traditionnel s’ajoute une présentation des habitudes culinaires, prompte à exciter nos papilles. Au menu : le buah keluak, du poulet en sauce cuisiné avec la chair d’une grosse noix, le tout mélangé à des herbes et à un émincé de porc. Pour le dessert, les onde onde, boules vertes de farine de riz fourrées de sirop brun de sucre de palme puis recouvertes de noix de coco râpée, promettent une digestion peu commune.

APOTHÉOSELa visite se poursuit autour d’instruments tradi-tionnels, puis de porcelaines aux couleurs vives et motifs porte-bonheur. Tourneboulé par ce dédale, le spectateur navigue parmi les tenues des femmes peranakan (aussi appelées « baba nonya »),créa-tions originales reflétant l’intégration d’influences diverses dans une culture nouvelle. Il est certain que la lady baba n’a pas attendu 50 Cent pour se la jouer bling-bling : une cascade de ceintures exubé-rantes, broches et boucles dorées se pressent dans les vitrines, avant l’apothéose du mariage baba et de sa chambre nuptiale d’une richesse délirante. On croise là quelques visiteurs égarés enfilant péni-blement les tenues des époux dans l’espoir de se voir offrir un aller simple pour Singapour. Quand le baba rend fou…

SURVIVANCESenfin, l’exposition s’interroge sur la culture perana-kan actuelle. Qu’a-t-elle conservé des attitudes et coutumes propres à sa communauté ? Pour Kenson Kwok, « certaines traditions survivent, mais dans une forme simplifiée, pour la simple et bonne raison que certaines cérémonies sont trop élaborées et représentent une réelle perte de temps pour la population d’aujourd’hui ». Petit Baba deviendra grand marmonnait l’autre ; on le retrouve désor-mais dans des soaps singapouriens où se trament de terribles histoires liées au pouvoir et à l’argent. Si l’on aurait aimé trouver davantage de témoi-gnages pour illustrer cette section de l’exposition, on y découvre cependant une série de trois clichés du photographe Chris Yap, illustrations rococo de la contemporanéité baba qui s’assume dans la richesse de ses appartements tout comme dans la fierté de son patrimoine unique. Baba bling, c’est pas du toc.

Baba bling, signes intérieurs de richesse à Singapour, jusqu’au 30 janvier au musée du quai branly

PASSERELLES /// NEWS 35

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baba BOUM !

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36 NEWS /// L’HURLUbERLU

Intellectuel bohème, touche-à-tout, Ollivier Pourriol rend accessible ce qui d’ordinaire ne parle qu’à un public averti. Ses cours per-mettent une interaction délestée de démago-gie entre cinéma et philosophie. Cet hiver, le

passeur d’images s’attaque à un ambitieux pro-gramme articulé en trois temps : « Les portes de la perception », suivi de « Corps de rêve ou de cau-chemar », avant qu’un focus sur « Gilles Deleuze et le cinéma » ne vienne refermer le cycle.

La quarantaine fringante, le cheveu frisé, ce norma-lien agrégé de philosophie change de casquette à l’envi, mais garde toujours en tête une même devise : partager plutôt que transmettre. Écrivain, conférencier, il est également réalisateur d’un court métrage et auteur d’un essai sur la morale foot-ballistique : Éloge du mauvais geste. Du sport au cinéma, du blockbuster américain à la philosophie, il n’y a qu’un pas, vite franchi. « Le film de guerre s’inspire très largement de la façon dont le sport peut être mis en scène à la télévision », glisse-t-il avec un air de mentor complice. Une salle de classe transposée dans une salle obscure, et tout le cinéma se voit convoqué pour éclairer les concepts

philosophiques les plus ardus. Le ton ludique n’al-tère en rien un discours clair et sans concession : « Je ne vérifie pas à la sortie que chacun a tout compris. L’incarnation offre des clés sans égales, mais j’évite de l’utiliser comme une simple illustra-tion. Le cinéma doit fournir des images suffisam-ment fortes pour permettre à un spectateur qui vit dans un monde urbain violent de s’immerger totalement dans le film et de faire abstraction du reste. Il faut sauver le soldat Ryan ou Gladiator y parviennent parfaitement. »

Pour cet esthète singulier, la plupart des films – et surtout ceux qui, au premier abord, semblent n’être que pur divertissement – sont porteurs d’un message en creux. « Lorsque les signes sont bien cachés, le défi devient passionnant. » Terrence Malick, David Cronenberg et Jacques Audiard côtoient ainsi chez lui Bergson, Alain ou Merleau-Ponty. L’éclectisme d’Ol-livier Pourriol trouvera pendant cette nouvelle saison du Studio un écho en chair et en os, via quelques invités d’honneur, dont le critique de cinéma Jean Douchet, l’écrivain Atiq Rahimi (prix Goncourt 2008) et le musicien André Manoukian, qui viendront éclai-rer les débats de leurs lumières.

La sixième saison de Studio philo d’OLLIVIER POURRIOL, intitulée « L’odyssée de la perception, plongée dans l’inconscient du cinéma », est lancée. Chaque samedi matin, le cocon feutré du MK2 bibliothèque accueille des spectateurs conquis par ce normalien passeur d’images._Par Stéphanie Alexe

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Le samedi à 11h au MK2 Bibliothèque, programme complet sur www.mk2.com et www.studiophilo.fr

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38 /// L’HEURE dES POINTES

Travelling annuel dans l’histoire de la danse, le festival Vidéodanse du Centre Pompidou s’exporte pour sa 29e édition au cinéma MK2 quai de Seine / quai de Loire, avec une cin-quantaine de films inédits. Rencontre avec sa programmatrice, Michèle bargues.

_Par Ève beauvallet

Les pas interminables de Gerry, les remon-tées d’escalier ritualisées d’in the Mood for Love et autres glissements du geste uti-litaire au geste poétique… Dans son bureau du Centre Pompidou, sorte de caverne où

s’amoncellent ouvrages sur la danse, DVD inédits ou affiches de Gus Van Sant, Michèle Bargues, pro-grammatrice du festival Vidéodanse, s’emporte lorsqu’elle parle des porosités entre danse contem-

poraine et cinéma. « ce serait formidable de voir un réalisateur comme Jacques Audiard filmer Umwelt de Maguy Marin ou, dans l’ordre du pur fantasme, d’imaginer Robert Bresson rencontrant les pièces conceptuelles du chorégraphe Jérôme Bel. il y aurait eu chef-d’œuvre ! » Michèle Bargues est celle par qui transitent les plus beaux films tour-nés sur la danse, du documentaire de Chantal Akerman Un jour, Pina m’a demandé, consacré à Pina Bausch, jusqu’aux objets filmiques insoup-çonnés signés des chorégraphes eux-mêmes. Sans

elle, sûr que ces œuvres seraient restées ou canton-nées au rôle d’outils promotionnels. Au lieu de ce destin auquel condamnait pourtant le désengage-ment croissant du monde de la télévision, le festival Vidéodanse s’est imposé depuis 1982 comme un rendez-vous immanquable de la culture chorégra-phique. « Les chaînes occidentales montraient à l’époque des documentaires sur les grandes com-pagnies d’après-guerre (Maurice Béjart, Martha

Graham, Jirí Kylián). Nous complétions avec des films expérimentaux auxquels avaient pris part les Américains Merce cunningham ou Alwin Nikolaïs, ainsi qu’avec de courtes créations de la génération naissante représentée alors par Maguy Marin ou Dominique Bagouet. J’avais cru assister à l’émer-gence d’une vraie collaboration entre danse et écran. Mais la télévision, aujourd’hui, ne montre presque plus de danse. Et quand, par chance, elle en programme, c’est pour montrer inlassablement les mêmes chorégraphes starisés ! »

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« LA TÉLÉviSioN MoNTRE iNLASSABLEMENT LES MêMES cHoRÉGRAPHES STARiSÉS. »

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MOUVEMENTS MyTHOLOGIQUESPourtant, ces dernières années, la danse s’est renouvelée comme elle l’avait rarement fait en plusieurs décennies. La vingt-neuvième édition de Vidéodanse en propose un panaché d’esthétiques selon le cadrage suivant : un cycle monographique (du butô de Kasuo Ohno à l’abstraction améri-caine de Merce Cunningham ou à la danse plas-ticienne des années 1990-2000) en parallèle de

vidéos plus courtes retraçant les facéties optiques de Philippe Decouflé ou les assauts musclés de Wim Vandekeybus. en guise d’ouverture et de clôture du festival, les chorégraphies de Pina Bausch – « les plus grandes », selon Michèle Bargues, et les plus ciné-géniques avec leurs mouvements mythologiques et leurs séquences figurales salués d’Almodóvar à Fellini en passant par Lee Yanor ou Wim Wenders. « Je n’aurais pas pu présenter un film réussi sur une chorégraphie peu intéressante. ce sont des choré-graphes que je défends et des films qui, pour cette

édition, se fondent sur des créations qui ont eu un vécu scénique. » Tout le sel de Vidéodanse se trouve alors dans la distance prise – ou non – avec la fronta-lité du cadre de scène : montages symbiotiques de Thierry De Mey, caméra englobante dans Une lente introduction de Boris Charmatz, transposition in situ sur des plages, places de villages ou troquets pour l’énergique DV8 Physical Theater, ou cadrages épu-rés de Jérôme Bel et Pierre Dupouey pour Véronique

Doisneau. Pour l’heure, Michèle Bargues, passionnée par la façon dont la danse s’exporte dans d’autres supports, vient de solliciter Michel Houellebecq dans l’espoir de recueillir ses commentaires : « Son regard sur la décrépitude des corps pourrait saisir comme nul autre une pièce comme May B, chorégraphie culte de Maguy Marin autour de l’œuvre de Samuel Beckett. » Après tout, comme le dit la programmatrice de Vidéodanse : « La danse est l’endroit des utopies. »

Vidéodanse hors les murs, du 10 janvier au 6 février au MK2 quai de Seine / quai de Loire

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« JE N’AURAiS PAS PU PRÉSENTER UN FiLM RÉUSSi SUR UNE cHoRÉGRAPHiE PEU iNTÉRESSANTE. »

The Moebius Strip, chorégraphie de Gilles Jobin, 2001

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40 NEWS /// UNdERGROUNd

FRÈReS De sONLa complicité et l’humilité sont les fils directeurs qui guident les élégantes ballades folk des Francs-Comtois de YULES dans leur deuxième album, Strike a Balance._Par Igor Hansen-Løve

It’s a family affair », aurait dit Sly Stone au sujet de Yules. Soit un ado musicien, Bertrand, qui remarque le talent de son

jeune frère Guillaume à la guitare. Certains auraient cédé à la jalousie. Lui a protégé et conseillé le futur compositeur de son groupe. Une touchante histoire de filiation, à mille lieues des grotesques clichés fratricides ornant le panthéon du rock et de la pop. « Nous sommes assez loin des frasques des frères Gallagher. Nous nous entendons particulièrement bien », s’amuse le cadet. S’il fallait reconstituer l’arbre généalogique musical des deux frères Charret, originaires de Lure en Franche-Comté, on leur donnerait volontiers pour parents Joni Mitchell (leur rapport aux grands espaces) et Paul McCartney (le jeu de guitare), comme vieil oncle Leonard Cohen (l’ambition narrative), et Syd Matters en grand frère caché (pour l’élégance anglophone et la sobriété). De l’équilibre, une attention prononcée pour les arrangements et une volonté de ne pas céder aux délires égotiques. « Nous voulions absolument éviter l’écueil du disque introspectif. Le défi était de faire quelque chose de lumineux, plein d’espoir, à contre-courant de notre sombre époque. » La beauté de leurs chansons réside précisément dans ce dépassement. La gaîté et le bonheur, jamais complètement acquis ; le fruit d’un travail sur soi. Strike a Balance de Yules (Sterne/Sony Music)

COPIER-COLLER _Par L.T.

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LE MySPACE CHARTS DE LA RÉDACTION _Par A.T. et L.T.

>> >> Le premier album du groupe new-yorkais Salem, King Night, unit, sur un autel synthétique, claviers livides et voix d’outre-tombe, pour des noces envoûtantes.

>> Autour de leur croix planent les fantômes de Justice, eux qui se signaient d’une cross sur leur premier album, et ressuscitaient ainsi l’électro-house française.

VIOLENS – Acid Reignwww.myspace.com/violens

Voix planantes, rythmique chancelante et claviers acidulés, Violens règne sur le revival twee pop (The Smiths, Orange Juice) qui agite la Grosse Pomme, de MGMT à The Drums. very good trip.

SÉVERIN – Un été andalouwww.myspace.com/iciseverin

Séverin plonge dans le grand bain de la variété élégante, avec Daho et Souchon pour maîtres nageurs. extrait chloré et alangui d’un LP à paraître au printemps, son été andalou ne manque pas de chien.

ADELE – Rolling in the Deepwww.myspace.com/adelelondon

Approfondissant les voies creusées par Carole King et Gossip, cette diva au timbre félin et fêlé a fait produire son deuxième LP par Rick Rubin (Johnny Cash, Run DMC). Ça roule pour elle.

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42 NEWS /// MIX TAPE

Foin de nouvelles vagues frelatées, les musiciennes d’aujourd’hui paient leur tri-but aux femmes de nos vies. Les bonnes fées Pj Harvey, vashti bunyan, björk ou Emmanuelle Parrenin se penchent sur les berceaux d’ANNA CALVI, AGNES OBEL,

ÓLÖF ARNALDS ou M-JO. Les vases communiquent, la famille s’agrandit._Par Wilfried Paris

Sur le grand arc de l’histoire de la musique pop, de curieuses coïncidences font se rejoindre ces jours-ci des destins éloi-gnés – par le temps ou la géographie – mais ayant certains traits de caractères

communs. Rien de sexiste dans les liens que nous allons tisser entre ces figures musicales féminines, qui se ressemblent assez pour qu’on y voit voisinage ou marrainage. Simplement l’amusement de filer les filiations entre quelques nouvelles et belles voix et leurs parentèles musicales.

LES FEMMES DU FEU« Nous avons peut-être un peu la même philosophie, je crois qu’elle essaie de faire sa musique de la manière la plus honnête possible, sans chercher à faire plai-sir aux gens, sans faire ce qu’ils attendent d’elle. » C’est ainsi que la Londonienne Anna Calvi évoque son aînée Polly Jean Harvey, toutes deux réunies par les médias et le public pour des raisons moins musi-cales qu’historiques. elles ont sorti leur premier album à 22 ans (Dry en 1992 pour PJ Harvey, l’album éponyme publié cet hiver pour Anna Calvi) et ont imposé leurs

fortes personnalités sur scène avant tout, avec un cer-tain sens de la théâtralité et de la féminité. PJ Harvey y irradie d’intensité sous de véritables déguisements (en 1996, elle se figurait en « Joan Crawford sous acide »), Anna Calvi dans un décorum cinématographique baroque et rock’n’roll (rideaux lynchiens, robes de flamenco, lipstick et ampli Vox rouges). Mais l’acces-soire ne fait pas seule loi : la musique d’Anna Calvi est à l’avenant, électrisante et sensuelle, la voix fluctuant de profondeurs sourdes en envolées lyriques, comme le va-et-vient des passions et des frustrations, la gui-tare écharpée en staccatos (rappelant les « oiseaux » inventés par Bernard Herrmann pour Alfred Hitchock), Brian eno figurant en perchiste sur la volière. PJ Harvey, de son côté, a enregistré Let England Shake (avec Flood, John Parish et Mick Harvey) dans une église du Dorset, sa région d’origine, et se montre plus Siouxsie Sioux que jamais, poétesse sauvage renouvelant son cheptel en longues mélopées réverbérées aux ryth-miques lancinantes, à la fois primitives et étrangement sophistiquées. Comme une new wave de campagne, presque un nouveau genre de musique anglaise. On souhaite à Anna Calvi une carrière aussi exigeante.

fEMMEs D’INFLUeNCeS

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MIX TAPE /// NEWS 43

LES FEMMES DU FROID« J’ai toujours pensé que j’étais, d’une façon ou d’une autre, appa-rentée à Roy orbison, ou du moins à sa musique. » Voilà une filia-tion que partage bizarrement la Danoise Agnes Obel avec Anna Calvi (qui joue de sa Telecaster en hommage au fameux chanteur à lunettes noires), en plus d’une fascination pour Hitchcock et les oiseaux effrayants (voir la pochette de son album où elle pose à côté d’un hibou). C’est pourtant moins dans l’électricité et la hau-teur de chant que se tient la ressemblance que « dans le caractère rêveur et dans l’émotion transmise ». Ces pianotements impression-nistes qui semblent marcher sur un tapis de neige mélodieux et parfois inquiétants, ces cordes pincées ou martelées, vibrantes à l’unisson des cordes vocales… La bouche qui souffle ces harmonies en mille-feuille évoque pourtant moins la Pretty Woman d’Orbison que l’Ys mystérieuse de Joanna Newsom, ou la fratrie folk américaine – de My Brightest Diamond à Sufjan Stevens. Justement, il se mur-mure à L.A. que Linda Perhacs, immense chanteuse folk à l’unique Parallelograms (1970), sortirait bientôt de sa retraite. Voilà qui ravira Olivia Pedroli, Neuchâteloise partie en Islande enregistrer The Den, formé de ballades folk très traditionnelles, avec le sorcier Valgeir Sigurðsson (producteur de Björk ou Will Oldham), insufflant un peu de l’esprit des fjords (cordes granulaires et brumes électroniques) aux chansons trop apprêtées de la jeune Suissesse. N’est pas Vashti Bunyan qui veut : c’est la native de Reykjavík Ólöf Arnalds, ancienne compagne de route de Múm, qui se nourrit le mieux de ses influences

« J’AiME BiEN cANNiBALiSER LES GENRES. » M-Jo

SŒUR ANN

Sur un sixième album en noir, 101, Keren Ann égrène ses chansons, poppies ou flippées, en variations numérologiques, comme autant d’indices d’un polar à déchiffrer. Cultivant sa singularité dans la variété d’ici, elle revient avec un album tout en anglais, composé par ses soins, posant sa voix un peu désincarnée (Suzanne Vega et Françoise Hardy en lointaines marraines) sur un disque que l’on imagine conceptuel, entre polar de gare, film noir et confession (Trouble), où les fantômes de Leo-nard Cohen et Nick Drake glissent sur balais soyeux, violons seyants et versatilités pop (basses ronde-lettes et tambourins sur les refrains de Sugar Mama). Le palindrome numérique 101 renvoie autant à la chambre de torture n°101 du 1984 de Georges Orwell (Blood on my Hands, sur piano martelé et voix spectrales), qu’à la numérologie et sa mystique appliquée à la pop culture, en un compte à rebours final, longue spirale chromatique à décrypter. Intrigant.

_W.P.

101 de Keren Ann (EMI)

Olivia Pedroli, Ólöf Arnalds, M-Jo, Anna Calvi

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44 NEWS /// MIX TAPE

dans son deuxième album, innundir Skinni (« Sous la peau »), sous l’égide de Björk elle-même, venue entrelacer sur un titre la voix féérique de la jeune Islandaise (« Quelque part entre une enfant et une vieille dame », dit la plus âgée), en contrechants aussi puissants qu’aériens. en plus de Bunyan, ces deux oiseaux volent à la rencontre de Judee Sill ou Kate Bush, figures tutélaires et bienveillantes d’un album

à l’instrumentation acoustique et minimaliste, mais essentielle, concise, précieuse. La rencontre de la jeu-nesse et de l’expérience accouche ici d’une nouvelle voix, doublement mystique, entre malice enfantine et intimisme maternel.

LES FEMMES BIENRetour en France. « J’aime bien cannibaliser les genres », nous dit M-Jo, qui sort son premier album, Mes propriétés. Le mot est ici à entendre à la fois comme « biens » et « attributs », ainsi que le souligne Flóp, moins pygmalion que convive au repas par-tagé : « c’est ça aussi Mes propriétés : ce que je suis devenu en mangeant l’autre. » Dernière sortie

du label Les Disques Bien, l’album incorpore goulû-ment chanson française, funk princier, percussions exotiques (kalimbas et gamelan, sur deux très beaux instrumentaux composés par M-Jo) et musique brési-lienne (bossa, samba, forró). M-Jo elle-même chante un peu à la manière d’Astrud Gilberto ou Nara Leão, selon le motto d’un label que l’on a dit « tropicaliste cartésien », soucieux de marier tradition et inven-

tion. en témoigne ainsi la rencontre du label avec emmanuelle Parrenin, figure fondatrice de la scène revivaliste folk en France, qui ressortira sa vielle à roue, ses harpes ou son épinette des Vosges pour donner en mars un successeur à sa très belle Maison rose de 1977, aidée en cela par Flóp, Étienne Jaumet ou Vincent Ségal. Ça s’appelle Maison cube et on reparlera vite de ce nouveau foyer.

Anna Calvi d’Anna Calvi (domino / Pias)Let England Shake de Pj Harvey (Islands / Universal)Philharmonics d’Agnes Obel (Pias)The Den d’Olivia Pedroli (betacorn / discograph)Innundir Skinni d’Ólöf Arnalds (One Little Indian / Pias)Mes propriétés de M-jo (Les disques bien)Maison cube d’Emmanuelle Parrenin (Les disques bien)

« J’Ai ToUJoURS PENSÉ QUE J’ÉTAiS, D’UNE FAçoN oU D’UNE AUTRE, APPARENTÉE à RoY oRBiSoN. »

Agnes Obel

Agnes Obel reprend (I Keep a) Close Watch, de John Cale, sur son premier album

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46 NEWS /// bUZZ’ART

ARTy TECH

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RFISH NETTriomphe inattendu aux U.S. d’un petit film de famille sur Facebook : du buzz ou du vent ? Trois Couleurs a vu ce poisson nommé Catfish, en exclu._Par Clémentine Gallot

L es rencontres en ligne fournissent matière inépuisable à des récits dépassant la fiction : celle sur Facebook d’un

jeune New-Yorkais avec une petite fille peintre et sa famille fournit la trame narrative de catfish. Avec son twist final, ce documentaire low-fi d’Ariel Schulman sur son frère Nev, coréalisé avec leur copain Henry Joost, brille moins par sa valeur esthétique que comme témoignage renversant sur les faussaires de la Toile. Propulsé par Sundance, ce microphénomène tourné sans un sou a bénéficié à sa sortie d’un effet The Social Network doublé d’une campagne de com virale sur le modèle de Paranormal Activity : « Je faisais juste un film sur mon frère, on n’avait pas prévu ces rebondissements, ni que le film sortirait au cinéma et aurait du succès », explique Ariel Schulman, proche du courant mumblecore, qui officie depuis un loft voisin des frères Safdie. Le site PeopleForCinema, distributeur grand public soutenu par les internautes, en a acquis les droits exclusifs pour la France, et projette de le sortir en salles courant 2011.

>> FUTUR DIGITALIls jouent de l’ordinateur debout, et pour le public, ça ne veut pas dire beaucoup. Pour pallier la frustration du live électronique joué par écran interposé, da Fact, fabricant d’instruments branchés en MIdI, a inventé le Karlax. Sorte de hautbois pimpé à l’écran LCd, il permet d’interpréter sa partition sans rester coincé derrière son laptop comme un malheureux._E.R.

www.dafact.com

VIDÉOS _Par L.P.

Catfish est un témoignage renversant sur les faussaires de la Toile.

Abel Ferrara - chelsea on the Rockswww.filmotv.fr/film/2187/chelsea-on-the-rocks.htmlPrésenté hors compétition à Cannes en 2008, ce docu inédit longe les couloirs du mythique Chelsea Hotel de New York, pour en extraire les récits hallucinés de personnalités y ayant vécu (Syd Barrett, Dennis Hopper…).

Lew Xypher - Malice in Lalalandwww.filmotv.fr/film/2181/malice-in-lalaland.htmlTourné en 35 mm, ce porno belge ultraréférencé permet à Sasha Grey d’expérimenter des positions bien peu frileuses. Variation psyché d’Alice au pays des merveilles, le film promet un aller simple de l’autre côté du miroir.

Kadavre Exquis - Theodore & Rosemary’s orchardhttp://vimeo.com/17047198Un voleur avide de fruits rôde dans un verger. Pas de bol, le propriétaire veille au grain et dézingue le frugivore. Ce petit bijou d’animation, sorti des méninges d’un collectif français, s’appuie sur la mélancolie de la chanteuse Nancy Adams.

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48 NEWS /// LE NET EN MOINS FLOU

DÉbOuCHÉKINECT, la dernière console de Microsoft, a connu un lancement moyen, jusqu’à ce que des bidouil-leurs s’emparent de l’objet. Quand le piratage sauve l’industrie du pire ratage._Par étienne Rouillon

H abituellement, les grosses boîtes de jeu vidéo refrènent les pirates qui partent à l’abordage des consoles –

la Nintendo DS, par exemple, et ses copies illégales téléchargées comme on achète sa baguette. C’est pour contrer l’autre console blockbuster de Nintendo, la Wii, que Microsoft a développé le Kinect, ex-« projet Natal ». Accouché dans la douleur de critiques sceptiques, l’objet, qui permet de jouer sans manette, a connu un démarrage en demi-teinte, à quelques semaines des fêtes de Noël. C’était sans compter sur Adafruit Industries, un magasin informatique new-yorkais qui a offert 3 000 dollars à celui qui parviendrait à faire sauter les protections du Kinect, de manière à bidouiller sans bride l’engin. Peindre en 3D ou manipuler des photos comme dans Minority Report, les possibilités soulevées par les tripatouilleurs ont d’abord fait hurler Microsoft. Mais, devant l’engouement du web et la bonne presse, la firme soutient désormais ces détournements regroupés sous le terme « Open Kinect ». Bien joué. www.adafruit.com

STATUTS QUOTES

MOT @ MOT _Par E.R.

Microsoft a développé le Kinect pour contrer la Wii.

(Du terme britannique bulletin board system, traduit chez nous par « système de bulletins électroniques » ou « babillard électronique » au Québec)1. Inspiré par les panneaux d’affichage des universités, ce réseau de modems téléphoniques est l’ancêtre d’Internet et permettait d’échanger des fichiers au tournant des années 1980 et 1990.« J’ai téléchargé le jeu R-Type sur un BBS américain, c’est trop bath. »2. Adj. Par extension, qualifie un objet antérieur à Internet. « Tu joues aux Pogs ? C’est complètement BBS. »

BBS [bibiEs] sigle

SÉLECTION DES MEILLEURS STATUTS DU MOIS

Fred : Snow must go on.

Cindy : Eva Longoria divorce de Tony Parker. Elle ne supportait plus qu’il lui mette la main au panier ? (hum)

Maxim : Lénine vs McCarthy.

Gladys apprécie l’admiration et le respect que sa petite stagiaire de 3e a témoigné à sa profession : « Moi, je veux être actrice ou chanteuse. Mais si je rate ma vie, je serai journaliste. » Elle est pas mignonne ?

JD : Sarkozy a confondu Wikipédia et WikiLeaks. Il y a quelques semaines, il croyait que WikiLeaks était un Gaulois, copain de Panoramix et Astérix.

Thomas : Sondage : vous fumez après la mort ?

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BeAT TORRENT

50 NEWS /// AvATARS

bon, là, c’est vraiment Noël : disney remet au goût du wifi un classique né à l’époque des modems téléphoniques : Tron. Et souris sur le processeur, DAFT PUNK est aux claviers. L’un d’eux se confie._Par étienne Rouillon

Rhô, bien sûr que je connais les robots mixeurs, j’ai fait synthétiseur à leurs débuts sur Around the

World. Depuis je suis leur instrument vedette, on a fait les 400 mesures ensemble. Tiens, je suis même sur le dernier N*e*R*D. Alors, quand ils m’ont dit que j’allais partager les pistes avec orchestre symphonique et tout le toutim à la Vangelis pour une bande-son de bobine geek… Failli leur répondre « error 404 ».

Botte en touche ? Mais non. Ils m’ont vite rassuré avec un tube à danser, Derezzed. Remarque, ça, on sait faire. Le carton béton, c’est d’avoir marié l’emphase wagnérienne des cordes frottées avec la concision électro puisée à Jarre : son nom, c’est Rinzler. Chevaliers et circuits imprimés, voilà l’heaume Tron. et puis ce leitmotiv, The Grid ! C’est sur moi qu’on l’a joué. J’te jure, j’en ai encore les touches toutes fébriles.

Roc habile, le monolithe Daft Punk’s not dead. Les geeks dansent la gigue des motards versaillais. Casque bas. »

Tron : Legacy de daft Punk (EMI Music)

APPLIS MOBILES _Par E.R.

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LE GAMÉO

VLCVous l’avez déjà sur votre ordinateur. Non ? Alors commencez par là. Gratuit et open source, le lecteur multimédia créé par la

communauté du logiciel libre est capable de lire presque tous les formats existants.Plateformes : iPhone, iPad et iPod Touch // Prix : gratuit

NEED FOR SPEED, HOT PURSUITLa licence de courses de bagnoles prend le virage pied au plancher. Des deux côtés du gyrophare,

on participe à des courses-poursuites dingues entre police et chauffards boostés à la nitro. Le salut est à fond de cinquième.Plateformes : iPhone, iPad et iPod Touch // Prix : 3,99 €

PULSEUn agrégateur de flux qui ne pique pas les yeux à cause d’une surcharge d’informations. Un moyen malin pour

rester branché sur vos sites préférés, avec la possibilité de charger des pages pour les consulter offline. et ça marche tip top avec celles de Trois couleurs. Plateformes : iPhone et iPad // Prix : gratuit

DANNY TREJO DANS THE FIGHT L’acteur de Machete vient tailler la bavette et quelques paupières sur ce titre de castagne, premier du genre pour le PlayStation Move (la réponse de Sony à la Wii, avec pour objectif de mettre Nintendo K.O.). Ce ne sera pas fait sans quelques reprises, le ring n’étant pas parfait, mais dans la peau d’un lutteur de rue, on se fend la pomme en voyant ce trognon de Trejo nous donner des conseils pour avoiner des mandales. Pas vraiment l’esprit de Noël, mais y a pas de mal à distribuer des châtaignes autour de la bûche.

_E.R.

The Fight (Sony, sur PlayStation 3)

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SORTIES EN SALLESSORTIE LE 15 DÉCEMBRE54 Armadillo de Janus Metz

SORTIE LE 29 DÉCEMBRE55 Bas-fonds d’Isild Le Besco

SORTIES LE 6 OCTOBRE56 Incendies de Denis Villeneuve57 Arrietty d’Hiromasa Yonebayashi SORTIE LE 26 JANVIER58 Je suis un no man’s land de Thierry Jousse

LES AUTRES SORTIES60 Nowhere Boy ; indigène d’Eurasie ; Home for christmas ; Les Trois Prochains Jours ; Une vie de chat ; Le voyage du directeur des ressources humaines ; The Tourist ; Un balcon sur la mer ; Les Émotifs anonymes ; Burlesque ; Mon beau-père et nous ; Que justice soit faite ; Encore un baiser ; octubre ; Le Quattro volte ; Sound of Noise ; Même la pluie ; Fortapàsc ; o Somma Luce ; Pianomania ; Harry Brown ; Le Fils à Jo ; Le Dernier des Templiers ; Après Béjart, le cœur et le courage ; Propriété interdite ; L’Enfance d’icare ; Gigola ; Un été suédois ; Les chemins de la liberté ; L’Avocat ; Shahada

64 LES ÉVÉNEMENTS MK2Artludik

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GUIDECaLENDRIER MaLIN pOuR aVENTuRIER uRbaIN

DU MERCREDI 8 DÉCEMBRE AU MARDI 2 FÉVRIER

SORTIES EN VILLE

66 CONCERTSGodspeed you! Black Emperor à la Villette L’oreille de… Yules

68 CLUBBINGLes soirées SurpatLes nuits de… Gilb’R

70 EXPOSLouidgi Beltrame à la Fondation Ricard Le cabinet de curiosités : Nouvelles du jour

72 SPECTACLESJan Fabre à ChaillotLe spectacle vivant non identifié : Révolution

74 RESTOSHugo Desnoyer chez Régalez-vous Le palais de… Nine Antico

76 LA CHRONIQUE DE DUPUY & BERBERIAN

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« JE ME SiTUE DANS UN AiLLEURS iNSiTUABLE. »THIeRRY JOUSSe P. 58

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guERRE ÉpaIssEUn film de Janus Metz // Documentaire // Distribution : Distrib Films // Danemark, 2010, 1h40

Hallucinant, dérangeant et politique, le documentaire danois Armadillo nous jette dans la guerre contre les talibans afghans du point de vue le plus percutant qui soit : directement sur le champ de bataille._Par Léo Soesanto

Dès ses premières images où des troufions batifolent avec des stripteaseuses, Armadillo n’a rien d’un documentaire ordinaire. Le réalisateur Janus Metz y suit de près la vie d’un régiment de l’armée danoise stationné en Afghanistan. et qui dit vie dit ma-nœuvres, affrontements avec les talibans, et morts. La radicalité de la démarche de Metz est de suivre ses compatriotes partout, des discussions potaches jusqu’au front. Partant de ce point de vue d’une terrible intimité, Armadillo est consciemment construit comme un film hollywoodien – sauf que tout y est vrai. D’où le malentendu pour ses détracteurs, qui y voient une apologie belli-ciste. Au contraire, on assiste au film que se font ces soldats dans leur tête, où se bousculent confusion morale, images (joli raccord entre une explosion de jeu vidéo et un bombardement réel) et addiction à la violence. Geste politique, Armadillo a amené le gouvernement de Copenhague, confronté à une bavure mon-trée dans le film, à questionner son rôle dans la guerre.

Dans Armadillo, vous jouez sur la confu-sion entre fiction et documentaire…Travailler de façon artistique et respon-sable ne devrait pas être limité à la fiction. La poésie peut elle-même être hyperréaliste. je pense que la narration, les personnages et l’identification ou l’impact émotionnel qui en découlent doivent être au cœur de tout film, qu’il soit documentaire ou fiction.

D’où vous est venue l’idée du film ?je suis très intéressé par les rites de passage, qui confrontent les gens à eux-mêmes dans des conditions extrêmes. C’est le cas pour ces soldats qui s’engagent. Mon précédent documentaire portait sur les mariages mixtes mais, au fond, c’est la même problé-matique : un moment intime que j’explore pour visualiser un enjeu plus global ; ici notre engagement en Afghanistan.

Votre pire et votre meilleur souvenir de ce tournage ?Le plus mauvais fut d’avoir écrit une lettre d’adieu à mes parents, à n’ouvrir qu’en cas de malheur. Le plus beau est d’avoir réchappé vivant du tournage.

JANUS METZ

54 CINÉMA

Armadillo3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM1… Une démarche inédite qui transforme le réel en fiction et vice-versa.2… Un regard sans concession sur ces soldats rapidement en perte de repères et accros à l’adrénaline.3… Une réalisation très cinématographique, bien loin des documentaires plan-plan.

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ÉLÉVaTIONUn film d’Isild Le Besco // Avec Valérie Nataf, Ginger Romàn… // Distribution : Ciné Classic // France, 2010, 1h08

Après Au fond des bois de benoît jacquot, c’est derrière la caméra qu’ISILD LE BESCO poursuit son immersion en terres sauvages. dans Bas-fonds, elle filme la pas-sion destructrice de trois adolescentes marginales._Par Laura Tuillier

Pour l’historien du cinéma Antoine de Baecque, Isild Le Besco « incarne la Nouvelle vague d’aujourd’hui », et c’est à ce titre qu’il la fait parler dans son documentaire Deux de la vague. Jeune auteure audacieuse et débrouillarde, elle signe à 27 ans seule-ment son troisième long-métrage, Bas-fonds, chronique pleine de bruit et de fureur où des jeunes filles entrent dans l’âge adulte comme on entre en guerre. Magalie, Marie-Steph et Barbara vivent en autarcie dans un appartement d’une petite ville de province, à la frontière du monde civilisé. Farouches, violentes, liées entre elles par un mélange de désir et de rage, ces trois filles de feu touchent le fond avant de se tourner vers le ciel. Isild Le Besco filme avec empathie ce chemin de croix, de l’extrémisme à la rédemption : une voix off (la sienne) insuffle à cette peinture crue de la margi-nalité une force mystique inattendue et salvatrice. Après Demi-tarif (sur l’enfance sauvage) et charly (quête adolescente acharnée), la réalisatrice continue de grandir au fil de ses films.

Comment avez-vous choisi vos trois actrices pour Bas-fonds ?Nous avons d’abord pensé à faire le film avec trois actrices confirmées, dont moi. Mais quelque chose clochait, il fallait des visages complètement vierges. j’ai trouvé ce trio in extremis ; il fallait qu’elles soient excellentes ensemble, qu’elles puissent avoir l’air de sœurs et d’amantes.

Au fond des bois, Bas-fonds : ces deux films résonnent beaucoup entre eux. Avez-vous voulu cet écho qui se crée avec le film de Benoît Jacquot ?je crois que c’est un hasard. je voulais filmer ces gens qui souffrent de leur marginalité mais ne peuvent pas faire autrement, qui naissent avec le cœur déjà brisé avant même d’avoir expérimenté quoi que ce soit du monde.

Le film respire dans les moments où la voix off s’élève. Pourquoi ce choix ? Les passages avec la voix off sont venus une fois le tournage terminé, au moment du mon-tage. Nous avions besoin lors du tournage de nous élever hors de la violence, de fermer les yeux, de respirer. je voulais que le spectateur aussi ait droit à ces instants de répit.

ISILD LE BESCO

55 CINÉMA

bas-fonds3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM1… La performance des trois jeunes actrices, étourdissantes de désespoir et d’énergie.2… La mise en scène audacieuse et sans concession d’Isild Le Besco.3… Le trouble profond dans lequel laisse le film, entre malaise et fascination.

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56 CINÉMA

Incendies3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM1… Découvrir ou redécouvrir Denis Villeneuve (Maëlstrom), figure à part de la scène québécoise.2… La composition magistrale de Lubna Azabal, vibrante d’événements inénarrables.3… Une sensibilité esthétique inspirée de photographes de guerre comme Josef Koudelka.

sORTIE LE 12/01

TOuT fEu TOuT fEMMEUn film de Denis Villeneuve // Avec Lubna Azabal, Rémy Girard… // Distribution :Happiness // Canada, 2009, 2h03

You and Whose Army?, chanson lancinante de Radiohead, ouvre et illustre Incendies, tragédie fami-liale fiévreuse dans un Moyen-Orient en démolition._Par Laura Pertuy

Incendies est l’adaptation d’une pièce de Wajdi Mouawad, Libanais installé au Québec, metteur en scène prolifique du théâtre contemporain. Après la mort de sa mère, Jeanne part au Moyen-Orient sur les traces de son père inconnu, et se confronte à des territoires morcelés, marqués par l’exode des populations chassées par la guerre civile. Des ruines qu’elle parcourt surgit le récit de Nawal, sa mère, écartelée entre la recherche stérile de son fils abandonné à la naissance et la fougue de ses convictions politiques. La temporalité déconstruite du récit donne toute son ampleur à ce film en forme de quête filiale. Un déchirement constant chemine sur les visages, parabole des Atrides de la mythologie grecque, dont la violence porte une résonnance très actuelle. Dans incendies, la découpe des lieux distingue les deux époques mises en parallèle, entre la chaleur du Moyen-Orient et le froid québécois, où demeure encore l’espoir d’un pacifisme ardant. « Toi et quelle armée ? », s’interroge la chanson de Radiohead, pour taquiner encore les vérités invisibles de ce récit féministe.

Quelle a été la plus grande difficulté dans votre adaptation de la pièce ?j’ai eu très peur de mal transposer la culture arabe à l’écran et que quelqu’un originaire du Moyen-Orient trouve mon approche ridicule. j’ai donc beaucoup travaillé avec les figurants, qui m’ont orienté sur leurs réactions plausibles dans des situations données. Certains Irakiens ont même souhaité rejouer des scènes qu’ils avaient vécues pour partager leur expérience.

Comment avez-vous travaillé la photographie très forte d’Incendies ?j’avais envie d’un rapport à la lumière naturelle. On a énormément travaillé sur le clair-obscur, afin que certains personnages surgissent de l’ombre, se dessinent sous la lumière, afin de retrouver une certaine mythologie présente dans la pièce originale.

Quels sont vos exemples de cinéma ?je suis un grand fan d’Arnaud desplechin et de Lars von Trier. Ce sont des cinéastes qui ont un rapport impressionnant au ludique, pour qui le cinéma est un jouet. je pense qu’il faut créer avec le sérieux d’un enfant qui s’amuse.

DENIS VILLENEUVE

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57 CINÉMA

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Arrietty3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM1… Parce qu’Arrietty nous rappelle Chérie, j’ai rétréci les gosses ou Les Minipouss : joyeusement régressif.2… Parce qu’au Japon Arrietty a battu les records d’entrées pour un premier film nippon.3… Pour la musique du film, composée et interprétée par la harpiste française Cécile Corbel.

sORTIE LE12/01

gRaNDEuR NaTuREUn film de Hiromasa Yonebayashi // Animation // Distribution : Walt Disney France // Japon, 2010, 1h34

Formé à l’ombre du grand Miyazaki, HIROMASA YONEBAYASHI relève dans Arrietty un défi de taille : transformer le décor confiné d’une maison en un terrain de tous les pos-sibles pour une famille de personnages miniatures. Géant._Par juliette Reitzer

Sous le plancher d’une vieille maison de la ban-lieue tokyoïte habitent la jeune Arrietty et ses parents, une famille de minuscules personnes qui survivent en dérobant aux humains la nourriture dont ils ont besoin. Même pas hauts comme trois pommes, ce sont des Chapardeurs, une espèce menacée dont l’existence doit rester secrète. Mais leur quotidien se trouve bouleversé lorsqu’un jeune garçon, Sho, vient passer quelques jours dans la maison, forcé de se reposer avant une opération du cœur. Arrietty doit agir pour rester sauve et pro-téger son clan…

S’il signe ici son premier long métrage, Yonebayashi a fait ses classes en tant qu’animateur principal pour le studio Ghibli, notamment sur Le château ambulant et Ponyo sur la falaise : Arrietty, petit dernier du studio japonais, est écrit par Hayao Miyazaki et

porte indéniablement la marque visuelle et huma-niste de ses aînés. Pierre angulaire du récit, le thème de l’infime se traduit ici par un foisonnement rare : minutie des détails (gouttes d’eau, rayons du soleil à travers les feuilles d’arbre), sons amplifiés, objets du quotidien détournés (une épingle sert d’épée, une pince à linge fait office de barrette)… Pour la (toute) petite Arrietty, une touffe d’herbe a l’épais-seur d’une forêt et un cafard l’envergure d’un lion : comme pour n’importe quel bambin, le monde ordi-naire revêt une dimension merveilleuse, et le film épouse ainsi brillamment tous les enjeux d’un conte initiatique sur l’enfance. Le temps du long métrage, Arrietty découvrira l’amitié, le sacrifice, la révolte et le grand vertige de l’inconnu. Dans un discours aux accents écolos, elle se révoltera contre la fatalité de la disparition de son espèce et expérimentera la conscience de soi. Petit certes, mais costaud

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58 CINÉMA

je suis un no man’s land3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM1… Le rôle taillé sur mesure pour Philippe Katerine, à la fois drôle et grave.2… Un mélange réussi de thriller fantastique, de récit initiatique et de comédie musicale.3… L’hymne chabrolien au pied de porc, chanté par Philippe Katerine et Julie Depardieu.

sORTIE LE 26/01

HORs CHaNTUn film de Thierry Jousse // Avec Philippe Katerine, Julie Depardieu, Aurore Clément … // Distribution : Sophie Dulac // France, 2010, 1h32

Fable émouvante, grotesque et trash, Je suis un no man’s land raconte la vie d’un chanteur coincé dans son enfance. Philippe Katerine y officie en maître de cérémonie chargé de lier les impensables bifurcations et téléportations du scénario._Par donald james

Thierry Jousse s’est aujourd’hui libéré de son surmoi de critique, exercé de 1989 à 2003 aux cahiers du cinéma (où il fut rédac-teur en chef) puis comme réalisateur des invisibles en 2005. « Dans la façon d’aborder ce film-là, je me suis senti très libre, explique-t-il. Je n’avais pas à me prouver que j’étais cinéaste, j’avais juste l’envie de le faire. » Thierry Jousse imagine une fic-tion aux accents de quête initiatique, avec dans le rôle princi-pal Philippe Katerine, qui joue un chanteur célèbre prénommé Philippe, capturé par une groupie dévergondée. Il s’échappe et atterrit chez ses parents, où il devient prisonnier de sa terre natale… Double de lui-même (et du cinéaste), Katerine donne vie à un être à la fois enfant et adulte, sensible et lunaire, tota-lement borderline. On notera que le titre anglais du film est Unplugged : Jousse débranche tout et porte le hors-champ de la vie d’un chanteur sur le devant de la scène.

La fantaisie de votre film n’empêche pas le drame d’affleurer…Le drame était le point de départ. je ne voulais pas quelque chose de tragique. je voulais laisser libre cours à l’émotion réelle. je n’ai pas hésité à demander du piano sur une scène d’émotion.

Quel est le budget de ce film ?Ce n’est pas un polar, ni une comédie, ni un film d’auteur ; du coup, je me situe dans un ailleurs insituable et le montage financier n’a pas été évident. Il entre dans la catégorie des films à un million d’euros. En France, c’est un budget assez bas. Tout le monde, y compris les acteurs, a fait des sacrifices.

La groupie cherche à enfermer Philippe, le personnage de Sylvie incarne une fée salutaire, la mère est mourante… Pourquoi des rôles féminins aussi typés ?Ça sera l’objet de mon prochain film : écrire des personnages féminins plus réels, car, dans ce film, elles ont en effet un statut symbolique. Elles peuplent l’inconscient du personnage. Tout sort du cerveau de Philippe, qui, au fond, est un personnage assez immature.

THIERRy JOUSSE

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AGENDASORTIESCINÉ _Par I.d., C.G., d.j., L.P., j.R et L.T.

sORTIEs Du 08/12 sORTIEs Du 15/12

ET AUSSI CETTE SEMAINE :ARMADILLO de Janus Metz (lire la critique p. 54)FAITES LE MUR de Banksy (lire l’article p. 96)

ET AUSSI CETTE SEMAINE :WE ARE FOUR LIONS de Chris Morris (lire l’article p. 24)

HOLIDAY de Guillaume Nicloux (lire l’article p. 100) EVERYONE ELSE de Maren Ade (lire l’article p. 100)

DE VRAIS MENSONGES de Pierre Salvadori (lire l’article p. 100)MARDI APRÈS NOËL de Radu Muntean (lire l’article p. 100)

NOWHERE BOY de Sam Taylor-Wood

Avec Aaron Johnson, Kristin Scott Thomas…Mars, Canada-Grande-Bretagne, 1h38

Élevé par sa tante dans un fau-bourg de Liverpool, John retrouve

sa mère, qui lui donne le goût de la musique. Évocation attendue d’une

adolescence britannique, jusqu’à la rencontre avec McCartney.

Lennon, avant les Beatles.

UNE VIE DE CHATde Alain Gagnol et Jean-Loup FelicioliAvec les voix de Dominique Blanc, Bruno Salomone…Gebeka, France, 1h10

Depuis la mort de son père, Zoé ne parle plus, même pas à sa mère, commissaire de police. Dino, félin malin, entraîne alors la gamine dans une aventure en compagnie de voleurs, gentils ou méchants. Un polar animé, plein d’idées et de couleurs.

INDIGÈNE D’EURASIEde Sharunas Bartas

Avec Sharunas Bartas, Elisa Sednaoui…Le Pacte, France-Russie-Lituanie, 1h50

en Lituanie, Genia gagne sa vie en traitant avec la mafia russe. Il vou-

drait rejoindre l’europe de l’Ouest et en finir avec l’illégalité. Mais avant,

il doit se rendre une dernière fois en Russie. Le voyage ne se passe pas exactement comme prévu…

LE VOYAGE DU DIRECTEUR DES RESSOURCES HUMAINES de Eran RiklisAvec Mark Ivanir, Guri Alfi…Pyramide, Israël-Allemagne-France-Roumanie, 1h43

Dans cette tragi-comédie tendre et humaniste, un DRH part en Roumanie pour trouver les parents de l’une de ses employées morte accidentelle-ment, et voit sa traversée rythmée par d’improbables aventures…

HOME FOR CHRISTMASde Bent Hamer

Avec Trond Fausa Aurvag, Reidar Sorensen…Happiness, Norvège-Suède-Allemagne, 1h21

Le soir de Noël, plusieurs person-nages se croisent sur les routes gelées

de Norvège. Sur fond de festivités, le réalisateur Bent Hamer (La Nouvelle vie de Monsieur Horten) signe une comédie familiale qui sent le sapin.

THE TOURIST de Florian Henckel von DonnersmarckAvec Johnny Depp, Angelina Jolie…StudioCanal, France-États-Unis

Un remake punchy d’Anthony Zimmer (Jérôme Salle), où un touriste américain venu se consoler d’un chagrin d’amour en Italie est utilisé par une femme agent d’Interpol pour débusquer un ex-amant criminel.

LES TROIS PROCHAINS JOURSde Paul Haggis

Avec Russell Crowe, Elizabeth Banks…Metropolitan, États-Unis, 2h13

L’inégal Paul Haggis n’a pas fini de nous réserver des surprises. Ce nou-

veau drame à suspense met en scène un mari dévoué (Russel Crowe)

qui tente de faire évader sa femme, emprisonnée à tort pour une histoire de meurtre. Haletant et bien ficelé.

UN BALCON SUR LA MER de Nicole GarciaAvec Jean Dujardin, Marie-José Croze…EuropaCorp, France, 1h45

Lorsque Marc, agent immobilier, ren-contre une jolie blonde venue acheter une maison, il croit reconnaître son amour d’enfance, rencontré en Algérie française. Ce thriller amou-reux vaut surtout pour son person-nage féminin, à l’identité trouble.

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sORTIEs Du 22/12 sORTIEs Du 29/12LES ÉMOTIFS ANONYMES

de Jean-Pierre AmérisAvec Isabelle Carré, Benoît Poelevoorde…

StudioCanal, France-Belgique, 1h20

Isabelle Carré et Benoît Poelevoorde sont à nouveaux réunis à l’écran, cette fois en collègues timides et

amoureux d’une fabrique de cho-colat. Les réunions des Émotifs ano-nymes, la trouvaille du film, rythment cet attachant Amélie Poulain belge.

ENCORE UN BAISER de Gabriele MuccinoAvec Stefano Accorsi, Victoria Puccini…Mars, Italie, 2h20

Dix ans après Juste un baiser, saga italienne générationnelle du début des années 2000, Encore un baiser retrouve les mêmes potos, vieillis et aigris, avec maîtresses, femmes et enfants. Sirupeux.

BURLESQUEde Steve Antin

Avec Cher, Cristina Aguilera…Sony, États-Unis, 1h57

Dans la veine de la comédie musicale strass et paillettes façon

Nine (Rob Marshall), Burlesque raconte l’ascension d’Ali Rose (Cristina Aguilera), jeune diva ambitieuse, dans un cabaret de Los Angeles. Froufrouteux.

OCTUBREde Diego et Daniel Vega VidalAvec Maria Carbajal, Carlos Gassols…Eurozoom, Pérou, 1h20

Clemente est prêteur sur gages. L’arrivée d’un bébé, fruit de ses amours avec une prostituée, l’oblige peu à peu à changer. Cette fable sur la rédemption, aux images magnifiques, mêle avec grâce la foi, la magie et le trivial.

MON BEAU-PÈRE ET NOUSde Paul Weitz

Avec Robert De Niro, Ben Stiller…Paramount, États-Unis, 1h30

Cette franchise menée par un De Niro acariâtre est une source iné-puisable de gags de mauvais goût.

Le troisième volet met Ben Stiller à l’épreuve pour devenir le parrain de

la famille, le « Godfocker ». Ambiance.

LE QUATTRO VOLTEde Michelangelo FrammartinoAvec Giuseppe Fuda, Bruno Timpano…Les Films du losange, Suisse-Italie-Allemagne, 1h28

La vie, la mort, la nature. Dans un village reculé de Calabre, en Italie, on suit le devenir d’un vieux berger, d’un chevreau et d’un sapin gigantesque. entre docu et fiction, une ode sublime à la simplicité et au temps qui passe.

QUE JUSTICE SOIT FAITEde F. Gary Gray

Avec Gerard Butler, Jamie Foxx…Wild Bunch, États-Unis, 1h48

Clyde Shelton est un homme brisé par le double meurtre impuni de sa femme et de sa fille. Il se transforme en justicier sanguinaire, tandis que le procureur Nick Rice (Jamie Foxx,

excellent) tente de le stopper. Un thriller manichéen mais efficace.

SOUND OF NOISEd’Ola Simonsson et Johannes Stjarne NilssonAvec Bengt Nilsson, Sanna Persson…Wild Bunch, Suède, 1h42

Avant ce premier long métrage, le duo de réalisateurs s’était fait remarquer par une série de courts, dans lesquels des musiciens improvisaient avec des instruments issus de la vie quotidienne. Sound of Noise développe cette idée.

ET AUSSI CETTE SEMAINE :BAS-FONDS d’Isild Le Besco (lire la critique p. 55)LE SENTIMENT DE LA CHAIR de Roberto Garzelli (lire l’article p. 100)RENDEZ-VOUS L’ÉTÉ PROCHAIN de Philip Seymour Hoffman (lire l’article p. 100 et l’interview p. 108)

ET AUSSI CETTE SEMAINE :ANOTHER YEAR de Mike Leigh (lire l’article p. 100)

CABEZA DE VACA de Nicolás echevarría (lire l’article p. 22)

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AGENDASORTIESCINÉ _Par I.d., C.G., d.j., L.P., j.R et L.T.

sORTIEs Du 05/01 sORTIEs Du 12/01MÊME LA PLUIE

de Icíar BollaínAvec Gael García Bernal, Luis Tosar…

Haut et Court, France-Mexique-Espagne, 1h43

Sur le tournage bolivien d’un film sur Christophe Colomb, un réalisateur et son producteur sont confrontés à la lutte quotidienne des autoch-

tones. Écrite par le scénariste de Ken Loach, cette réflexion sur la coloni-sation s’inspire d’une histoire vraie.

ABELde Diego LunaAvec José Maria Yazpik, Christopher Ruiz-Esperanza…ARP Sélection, Mexique, 1h23

Depuis que son père a quitté la mai-son, Abel, neuf ans, ne parle plus. Un jour, il retrouve sa langue et se prend pour le chef de famille… Un premier film drôle et tragique, por-trait vif d’une enfance saccagée.

FORTAPÀSCde Marco Risi

Avec Libero De Rienzo, Michele Riondino…Bellissima, Italie, 1h50

1985. Giancarlo Siani, journaliste de 26 ans, est assassiné. Son défaut : faire son métier en dénonçant la corruption. Ce film-enquête, dans

la pure tradition des années 1970, raconte avec brio une histoire d’hier

qui trouve des échos aujourd’hui.

HARRY BROWNde Daniel BarberAvec Michael Caine, Emily Mortimer…Surreal, Grande-Bretagne, 1h43

Pour son premier long métrage, Daniel Barber puise son inspiration dans le cinéma des seventies et ses justiciers vengeurs qui règlent le laxisme et la corruption de la police à coups de flingue. Un inspecteur Harry des temps modernes, on ne peut plus classique.

O SOMMA LUCEde Jean-Marie Straub

DocumentaireBaba Yaga, France, 1h15

Après l’étrange itinéraire de Jean Bricard, Jean-Marie Straub revisite l’ul-

time épisode de la Divine comédie de Dante, le dernier chant du Paradis.

Le film est précédé d’un court métrage dans lequel le réalisateur organise un

« face-à-face » entre Corneille et Brecht.

LE FILS À JOde Philippe GuillardAvec Gérard Lanvin, Olivier Marchal…Gaumont, France, 1h35

Ancien rugbyman, Jo élève seul son fils dans un petit village du Tarn et tente – sans succès – de lui transmettre sa passion pour le ballon ovale. Une fable sur la difficulté d’aimer, soutenue par une équipe de bourrus au grand cœur.

PIANOMANIAde Robert Cibis et Lilian Franck

DocumentaireJour 2 fête, Autriche-Allemagne, 1h30

Portrait d’un accordeur de piano génial, Stefan Knüpfer, mû par une

passion absolue du beau son. Chaque jour, il répond aux demandes

fantasques des plus grands pia-nistes de la planète. Un documen-

taire qui ravira les connaisseurs.

LE DERNIER DES TEMPLIERSde Dominic SenaAvec Nicolas Cage, Ron Perlman…Metropolitan, États-Unis, 1h53

Après 60 secondes chrono, Nicolas Cage fait de nouveau équipe avec Dominic Sena pour incarner le cheva-lier Bethem, farouche défenseur d’une jeune fille accusée de propager la peste noire dans l’europe du Moyen Âge.

ET AUSSI CETTE SEMAINE :DEUX DE LA VAGUE d’e. Laurent et A. de Baecque (lire l’art. p. 106)THE GREEN HORNET de Michel Gondry (lire l’interview p. 91)INCENDIES de Denis Villeneuve (lire la critique p. 56)POUPOUPIDOU de Gérald Hustache-Mathieu (lire le dossier p. 102)STRETCH de Charles de Meaux (lire l’article p. 26)WOMEN ARE HEROES de JR (lire le dossier p. 102)

ET AUSSI CETTE SEMAINE :SOMEWHERE (lire l’interview p. 11 et l’article p. 78)

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sORTIEs Du 19/01 sORTIEs Du 26/01APRÈS BÉJART,

LE CŒUR ET LE COURAGEde Arantxa Aguirre

DocumentaireEurozoom, Suisse-Espagne, 1h19

Comment, après sa disparition, faire perdurer l’esprit du maître ? C’est la question à laquelle répond Gil

Roman, nouveau directeur artistique du Béjart Ballet, dans une chorégra-

phie inédite, aérienne et vivante.

UN ÉTÉ SUÉDOISde Fredrik EfdeltAvec Blanca Engström, Shanto Roney…ASC, Suède, 1h35

Au début des années 1980, en l’absence de ses parents, une fillette est livrée à elle-même, un été durant. Les cruautés et les aspérités de l’enfance traversent ce premier film au ton juste et à la beauté plastique saisissante.

PROPRIÉTÉ INTERDITEde Hélène Angel

Avec Valérie Bonneton, Charles Berling…Épicentre, France, 1h20

Claire, hantée par la mort de son frère, s’installe dans la maison

où il s’est suicidé. Peu à peu, tout se détraque, et l’irruption d’un

inconnu fait émerger sa folie. Un film de genre, entre psycho et

gore, inégal mais téméraire.

LES CHEMINS DE LA LIBERTÉde Peter WeirAvec Colin Farrell, Ed Harris…Metropolitan, États-Unis, 2h13

L’éclectique Peter Weir (Le cercle des poètes disparus) réalise ici son Archipel du goulag. Un groupe de prisonniers s’évade de Sibérie pour rejoindre l’Inde à pied, rampant à travers de somp-tueux paysages. Mention spéciale à l’accent russe de Colin Farrell.

L’ENFANCE D’ICAREde Alexandre Lordachescu

Avec Guillaume Depardieu, Alysson Paradis…Zootrope, France, 1h36

Une clinique, un homme blessé dont la femme a péri dans un

accident, des expériences paranor-males… La présence de Guillaume

Depardieu, dans l’un de ses derniers films, ajoute à l’étrangeté

de cette fiction sur l’immortalité.

L’AVOCAT de Cédric AngerAvec Benoît Magimel, Gilbert Melki…SND, France, 1h35

Spécialiste en droit des affaires, Léo se destine à une grande carrière. Mais, confronté à des affaires véreuses liées aux entreprises qu’il défend, il doit trouver un strata-gème pour sauver sa vie sans trahir ses clients. Un thriller efficace.

GIGOLAde Laure Charpentier

Avec Lou Doillon, Marisa Paredes…Kanibal, France, 1h40

Gigola est une garçonne des sixties qui passe ses nuits dans les cabarets de Pigalle, cheveux courts et smoking

ajusté. Mais, sous des allures de dure à cuire, elle cache une âme romantique… Laure Charpentier adapte son roman sans audace.

SHAHADAde Burhan QurbaniAvec Maryam Zaree, Jeremias Acheampong…Memento, Allemagne, 1h29

Récits croisés de trois jeunes musulmans à Berlin, entre dévoue-ment religieux et attirance pour la modernité. Admirablement servi par ses comédiens, ce premier film évoque la maestria du cinéma de Fatih Akin.

ET AUSSI CETTE SEMAINE :JE SUIS UN NO MAN’S LAND de Thierry Jousse (lire la critique p. 58)

ET AUSSI CETTE SEMAINE :AU-DELÀ de Clint eastwood (lire l’article p. 18)

I WISH I KNEW de Jia Zhang-Ke (lire l’article p. 26)

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64 CINÉMA

LES ÉVÉNEMENTS

MARDI 4 JANVIER – 20H30 / SOIRÉE BREF

JEUDI 6 JANVIER – 20H / AVANT-PREMIÈRE Women Are Heroes de JR

LUNDI 31 JANVIER – 20H30 / RDV DES DOCS Tous les derniers lundis du mois, un critique ou un écrivain de cinéma présente un ou plusieurs films de son choix et propose, à l’issue de la projection, un regard ouvrant la discussion sur les enjeux esthétiques et politiques du documentaire.Programme détaillé sur : www.doc-grandecran.fr

Tarifs : 7,70 € et 6,50 € pour les abonnés DSGE. Cartes UI acceptées.

CHAQUE SAMEDI - 11H / STUDIO PHILO ANIMÉ PAR OLLIVIER POURRIOL Cette sixième saison a pour thème « L’odyssée de la perception, plongée dans l’inconscient du cinéma ».

DU 10 JANVIER AU 6 FÉVRIER / VIDÉODANSE Programme détaillé sur www.mk2.com

MARDI 11 JANVIER – 20H30 / MARDIS DU COURRIER INTERNATIONAL

VENDREDI 21 JANVIER - 19H30 / RENCONTRE / Émilie Notéris et Philippe Adam

JEUDI 27 JANVIER – 19h30 / RENCONTRE-PROJECTION / Olivia Rosenthal Avec les éditions Verticales, rencontre-lecture à l’occasion de la parution du livre Que font les rennes après Noël ? La rencontre sera suivie de la projection à 21h de La Féline de Jacques Tourneur, précédé du court métrage Les Larmes, réalisé par Laurent Larivière, d’après une idée originale d’Olivia Rosenthal, et produit par Senso Films.

CINÉMAfLasH-baCks & pREVIEWs

PASSERELLESLE DIaLOguE DEs DIsCIpLINEs

BASTILLE

BEAUBOURG

BIBLIOTHÈQUE

GAMBETTA

HAUTEFEUILLE

NATION

ODÉON

PARNASSE

QUAI DE LOIRE

QUAI DE SEINE

JUNIOR CYCLES MERCREDI 5 JANVIER – 10H30 / LECTURES

POUR LES 3-5 ANS en janvier, nous partirons à la découverte des pirates… À l’abordage !Inscription gratuite au préalable à la librairie ou par téléphone (01 44 52 50 70) auprès de Mélanie et Sophie.

SAMEDI 22 JANVIER – 11H30 / CINÉ-BD /Monsieur Blaireau et Madame Renarde, tome 4 : Jamais tranquille ! de Brigitte Luciani et Ève Tharlet Dès 4 ans. Avec Dargaud, séance de dédicace, précédée par la projection d’un film choisi par les auteurs. 25 tickets de dédicace distribués au moment de l’achat de votre place de cinéma. Film à définir.

MERCREDI 2 FÉVRIER – 10H30 / LECTURES POUR LES 3-5 ANS en février, nous vous ferons découvrir ou redécouvrir des albums de Claude Ponti. Invasion de poussins en perspective !Inscription gratuite au préalable à la librairie ou par téléphone (01 44 52 50 70) auprès de Mélanie et Sophie.

CAS D’ÉCOLE Ce cycle explore les thèmes de l’éducation et de l’apprentissage dans le cadre scolaire. Au programme : Zéro de conduite de Jean Vigo, if de Lindsay Anderson, L’Enfant sauvage de François Truffaut, où est la maison de mon ami ? d’Abbas Kiarostami, Récréations de Claire Simon, être et avoir de Nicolas Philibert, Le Fils des frères Dardenne et L’Esquive d’Abdellatif Kechiche.

Du 25 décembre au 16 janvier, les samedis et dimanches matin. Tarif : 6,50 €, cartes UI acceptées.

GAMINS DE TOKYO

Films réalisés par des cinéastes tokyoïtes : Tampopo de Juzo Itami, Gozu de Takashi Miike, Le Tombeau des lucioles d’Isao Takahata, Tatouage de Yasuzo Masumura, La Bête aveugle de Yasuzo Masumura, Kaïro de Kiyoshi Kurosawa, La vengeance est mienne de Shohei Imamura, L’Anguille de Shohei Imamura, La Ballade de Narayama de Kesuke Kinoshita, Mon voisin Totoro et Le voyage de chihiro de Hayao Miyazaki.

Du 22 janvier au 27 février, les samedis et dimanches matin. Tarif : 6,50 €. Cartes UI acceptées.

Toute la programmation sur mk2.com

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À l’occasion de l’ouverture au MK2 Bibliothèque d’un espace de 100 m² en partenariat avec la galerie Arludik, et baptisé Arludik Sketches, Jean-Jacques Launier revient sur l’esprit de cette

initiative originale : « Nous sommes heureux d’ouvrir un espace dédié à l’art ludique au sein d’un lieu où le public peut découvrir en plus des films les dessins originaux, recherches de personnages ou storyboards à leur origine. » Souvent méconnus, les artistes qui dessinent et conçoivent les images initiales des productions cinématographiques commencent à sortir de l’ombre. La galerie Arludik a été la première à mettre en avant les créations de Geof Darrow (Matrix), Iain McCaig (Dracula) et d’artistes des grands studios d’animation : Peter de Sève (L’Âge de glace, Nemo) ou Glen Keane (créateur chez Disney de La Petite Sirène, Tarzan, Aladdin…). On ne sait guère que certains de ces dessinateurs qui travaillent à Hollywood sont français, à l’image de Sylvain Despretz qui a assisté des réalisateurs comme Ridley Scott, Tim Burton et Stanley Kubrick. « Moi moche et méchant, l’un des plus grands succès de l’année au box-office américain, a été réalisé dans un studio français. c’est cette “patte” qui se retrouve également dans le jeu vidéo, domaine dans lequel les Français sont très présents », ajoute Jean-Jacques Launier. Les expositions de l’espace Arludik ont été pensées pour être à la croisée de ces univers : cinéma, film d’animation, jeu vidéo, bande dessinée et manga. en décembre, c’est le dessinateur et storyboarder espagnol Man Arenas qui est à l’honneur au sein de l’espace Arludik. Avec Dimitri Vey aux textes, il a créé en 2004 le personnage du faune Gabriel, et lui associe depuis un monde en perpétuel mouvement, mélange de mythologie et de poésie : Le Monde de Yaxin. Les planches et les épreuves de la bande dessinée seront à découvrir, ainsi que celles de Luuna, la reine des loups de Nicolas Keramidas, lui aussi ex-animateur chez Disney.

Espace Arludik Sketches au MK2 Bibliothèque, 75013 Paris, www.arludik.com

FOCUS _Par L.T

ARLUDIK S’INSTALLE AU MK2 BIBLIOTHÈQUE

DÉCOUVREZ

LE CINÉMA

AUTREMENT DANS

LES SALLES MK2 !

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AVIS DE TEMPÊTEGodspeed revient

Les épiques collectifs rock canadiens d’aujourd’hui – Arcade Fire, broken Social Scene – n’auraient peut-être jamais existé sans l’impulsion du groupe post-rock GODSPEED YOU ! BLACK EMPEROR. Ces parrains soniques sont de retour sur scène. Ça va faire du bruit._Par Wilfried Paris

Au milieu des années 1990, Godspeed you ! Black Emperor et son label Constellation ont ouvert la voie à l’émergence d’une véritable scène mon-tréalaise, devenant le parangon du groupe com-munautaire, alignant parfois sur scène jusqu’à 15 musiciens soudés tant par un idéal de vie com-mune que par une musique qui déployait toute sa puissance (sonore, politique) sur scène, autour du trio originel : efrim Menuck (guitare), Mike Moya (guitare), et Mauro Pezzente (basse).

Plus que les trois albums parus entre 1997 et 2002, ce sont les performances live du groupe qui ont fait sa légende : faisant cercle (noyau) comme pour mieux mesurer sa force de frappe (nucléaire), jouant devant des projections de films 16 mm montrant des paysages dévastés par des guerres et catastrophes, le collectif produisait un rock puissamment répétitif, lancinant, progressif… Un mur du son grandissant lentement, et grondant, accélérant, s’amplifiant,

avant d’exploser en tempêtes électriques ; véri-tables déflagrations soniques qui réveillaient les consciences autant qu’elles heurtaient les tympans. Le bruit figurait la violence du monde contempo-rain autant qu’il manifestait la colère de ceux qui le jouaient, exprimant leur désir de changement. Ces activistes farouches (ne jouant que dans des lieux associatifs), anticapitalistes (comme en témoignent les notes de pochette de leurs albums), se sont organisés en collectifs autonomes à Montréal (le label Constellation, la salle Casa del Popolo, le stu-dio Hotel2Tango), qui leur ont permis de développer la scène locale et leurs multiples projets parallèles (Thee Silver Mt. Zion Memorial Orchestra & Tra-La-La Band, Fly Pan Am, HRSTA, Set Fire to Flames…), depuis le « hiatus » annoncé par le groupe en 2003. La pause est terminée : attention les oreilles.

Le vendredi 14 janvier à la Grande halle de la Villette, dès 19h30, complet

Plusieurs des membres de Godspeed You ! Black Emperor avaient continué la route ensemble dans Thee Silver Mt. Zion

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L’OREILLE DE… yULES

FLORENT MARCHET« Avec Arnaud Fleurent-Didier, Florent Marchet fait partie des artistes dont on se sent proches. Certains s’en étonnent parce qu’il s’inscrit dans une tradition française, éloignée de la nôtre qui est anglo-saxonne. Mais ce sont les thèmes qu’il aborde que l’on trouve touchants : le passage à l’âge adulte, la question de l’héritage, le rapport entre parents et enfants… Je trouve ça à la fois beau, pertinent et traité avec beaucoup de finesse. J’ai hâte de voir quelle tour-nure vont prendre ces chansons sur scène. »_Propos recueillis par I.H.-L.

Florent Marchet, le 12 février à la Cartonnerie,Reims, dès 20h30, 17 €Le 25 mars à la Cigale, dès 20h30, 27,50 €. Lire l’article page 40

AGENDACONCERTS _Par W.P.

1 THESE NEW PURITANS Avec orchestre de bois et de cuivres, le groupe anglais anguleux, mené par les frères Barnett, vient interpréter son belliqueux Hidden, mêlant la mélancolie de Benjamin Britten aux ryth-miques R’n’B et aux guitares noise acérées.Le samedi 18 décembre au Centre Pompidou, dès 20h30, de 14 € à 18 €, complet

2 JOANNA NEWSOMHarpiste aux doigts de fée, vocaliste en perles de verre, compositrice de rivières d’argent, la grande Joanna revient ici faire vibrer ses cordes sensibles. Cantiques quantiques ?Le vendredi 14 janvier aux Bouffes du Nord, dès 20h30, de 32,80 € à 36,10 €

3 PATTI SMITH La pythie punk investit Paris pour une série de concerts (Horses en intégralité, un hommage à Ginsberg avec Philip Glass), lectures (tribute à Robert Mapplethorpe) et projections (le docu Patti Smith, Dream of Life de Steven Sebring).Du 17 au 20 janvier à la Cité de la musique, les 21 et 22 janvier à la Salle Pleyel, dès 20h, de 42 à 70 €

4 KLAXONSRescapés de la vaguelette new rave anglaise, les Klaxons viennent claironner en live leur Surfing the void, capharnaüm psychédélique un peu éprouvant. Sauront-ils retrouver la for-mule (LSD-25 ?) magique ?Le jeudi 20 janvier au Bataclan, dès 19h45, 34 €

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68 SORTIES EN VILLE

RÉTRO COOLLes sixties cartonnent

Entre l’effet Mad Men, la dernière collection pour dames de vuitton et le revival du design Happy Days, les années 1960 ont la cote. À Paris, des jeunes gens modernes ont su flairer l’air du temps depuis un an et cartonnent avec leurs Surpat’ rétro._Par violaine Schütz

On se croirait dans un scopitone de Françoise Hardy ou une séquence de Blow-Up. Au Bizz’art, belle salle hors du temps avec fauteuils en velours et cheminée, se pressent tous les deux mois entre 400 et 500 âmes vêtues de robes graphiques et costards Nouvelle vague pour danser le jerk, le limbo et le twist sur du Harry Belafonte. Ces soi-rées Surpat’ (du mot utilisé dans les sixties pour désigner les surprise parties) ont été initiées fin 2009 par le collectif Jean Viril et les Kgibi’s, faux groupe français « fondé en 1963 » et déjà respon-sable des soirées déguisées Non mais tu vas pas sortir comme ça !. Le concept ? « Faire une fête autour des fondamentaux des années 1960 : la musique, la danse, l’esthétique, l’état d’esprit », explique Adrien, trentenaire élégant et chef de la bande. « on a grandi avec les disques de nos parents, on aime la musique de ces années-là et leur élégance. chaque époque a du positif, mais les années pré-68 avaient le charme de faire

évoluer les mœurs en dansant. on n’est pas d’ac-cord avec tout, mais tout nous fascine. »

Alors que les récentes manifestations évoquaient justement Mai-68, on retrouve lors des Surpat’ cette insouciance propre aux yéyés. Leur succès semble d’ailleurs répondre à un besoin de retourner à ce qui a fait ses preuves plutôt que de craquer sur le dernier joujou à la mode. « La crise donne aux gens l’envie de plus faire la fête, et pas obligatoirement avec les années 1960, estime Adrien. on constate aussi le suc-cès des soirées We are the 90’s à Paris. » Les moins de 30 ans découvriront aussi à la Surpat’ des accueils comme on en fait plus en boite de nuit en 2010 : en mars dernier, par un froid glacial, Adrien et sa bande ont servi du vin et de la fondue savoyarde dans la file d’attente. Ça fait chaud au cœur.

Surpat’ Vol.6 : les années bal prom’, le 17 décembre au Bizz’art, 167 quai de Valmy, dès 23h30, 5 € pour les lookés sixties, 10 € sinon

Cette année-là, le rock’n’roll venait d’ouvrir ses ailes...

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LES NUITS DE… GILB’R

« J’aime la nuit parce que les gens offrent une facette d’eux-mêmes plus débridée. Une sorte d’errance collective. Après une période de léthargie et grâce à l’énergie d’un nouveau programmateur, le Rex redevient un incontour-nable des clubs à Paris (même s’il devrait chan-ger sa déco). Lors d’un DJ set ou d’un live, on a l’impression de piloter une grosse cylindrée tant la sono est vrombissante. Jouer le jour de Noël est souvent un gage d’avoir tous les freaks de sortie… I’m ready ! »

Gilb’r, le 25 décembre au Rex Club, dès minuit, 10 €Prochaines sorties de son label Versatile : Big Crunch Theory (janvier), Aladdin (mars), Château Flight (maxi courant 2011)

AGENDACLUBBING _Par v.S.

1 LOST & BEyOND La Lost & Beyond, qui a pour particularité de mélanger des performances (souvent bur-lesques) à des sets electro, remet le couvert au Showcase. Au programme : les Britanniques Simian Mobile Disco en DJ set, Faze Action et Class 84. Pour se perdre sur le dancefloor… et au-delà.Le 11 décembre au Showcase, dès 23h, 16,70 €

2 CLUB FOLAMOUR !On peut aimer la pop et vouloir danser. C’est l’idée du Club Folamour !, qui compte réconci-lier clubbeurs et indie rockers. On annonce pour cette nuit d’amour Small Black, Lo-Fi-Fnk, Chad Valley, Museum of Bellas Artes et Dye.Le 17 décembre au Point éphémère, dès 22h, 17,80 €

3 SOULWAXMASComme chaque année depuis 2008, la Soulwaxmas mêle les shows des 2 Many DJ’s et de Soulwax à ceux d’amis recommandables (erol Alkan, Busy P et Zongamin pour cette édi-tion). Le tout en grande pompe à la Villette. Le 23 décembre à la Grande halle de la Villette, dès 22h, 31,50 €

4 RÉVEILLON BRÉSILIENLa Bellevilloise et la soirée brésilienne Avenida Brasil s’associent pour réchauffer la Saint-Sylvestre. Concerts, DJ sets, performances, bal populaire ; et surtout déco très Rio, avec étendue de sable blanc, végétation et transats. Dansons la carioca…Le 31 décembre à la Bellevilloise, dès 20h, 35 € hors repas

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70 SORTIES EN VILLE

BACK IN USSRÀ la périphérie des centrales

Avec Energodar, LOUIDGI BELTRAME filme et questionne des villes construites aux abords des centrales nucléaires ukrainiennes, symboles déchus de la conquête urbaine et scientifique soviétique. Plongée dans un monde figé._Par Anne-Lou vicente

Un étrange wall painting noir accueille le visiteur. Le buste d’une femme, seins nus, se détache sur le mur. Seul indice, le nom, écrit en alphabet cyrillique, du groupe russe des années 1980 Kino, dont l’une des pochettes est ici rejouée. Cette image, telle une ombre, nous entraîne en silence vers Energodar, présenté pour la première fois à l’occasion de l’exposition éponyme de Louidgi Beltrame à la Fondation Ricard. Quelques morceaux du groupe figurent dans la bande-son de ce film réalisé lors d’un voyage en Ukraine, plus préci-sément dans des atomgrads, villes-dortoirs installées à proximité des centrales nucléaires à l’époque de l’URSS. energodar (« don de l’énergie » en russe) ou Pripyat, désertée suite à la catastrophe de Tchernobyl, illustrent ainsi les vestiges fantomatiques des utopies soviétiques, tant architecturales que scientifiques. Répliquées dans les années 1970 selon un même modèle de planifica-tion urbaine, ces cités autrefois rayonnantes, aujourd’hui abandonnées pour la plupart, portent en elles une tra-gédie. Le film, entre réalité et fiction, nous fait déambuler

dans ces ruines et leur histoire, documentée par des archives sonores russes et britanniques et un récit per-sonnel. Tel un inquiétant leitmotiv, le Russian woodpec-ker, immense radar dont l’inactivité renforce la dimen-sion sculpturale, scande le film.

en parallèle, l’artiste montre une série de gravures sur cuivre réalisées à partir de photographies extraites des actes du septième congrès de l’Union interna-tionale des architectes, qui eut lieu à La Havane en 1963. Anachroniques, ces images-objets apparaissent comme les matrices possibles d’affiches servant une propagande politico-architecturale qui n’a plus lieu d’être. en juxtaposant construction et destruction, habi-tation et abandon, Louidgi Beltrame révèle ici l’archi-tecture comme signe des utopies et entropies des temps modernes.

Energodar, jusqu’au 23 décembre à la Fondation d’entreprise Ricard, 12 rue Boissy-d’Anglas, du mardi au samedi 11h-19h

Une pochette d’un album du groupe russe Kino, symbole du rock soviétique, ouvre l’exposition

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LE CABINET DE CURIOSITÉS

ART QUOTIDIENelvire Bonduelle et Marguerite Pilven proposent une exposition réunissant les œuvres de 14 artistes (Boris Achour, Édouard Levé, Évariste Richer, Taroop & Glabel…) ayant la particularité d’avoir été réalisées à partir de la presse quotidienne. « Prendre le journal imprimé comme point de départ, c’est retrouver la question, éthique et centrale dans l’histoire de l’art, de l’articulation entre le lisible et le visible. » C’est aussi poser la question du vrai et du faux via cet objet éphémère censé refléter le monde à travers l’image et l’écrit._A.-L.v

Nouvelles du jour, du 13 janvier au 12 février à la Galerie JTM Art, www.galeriejtmart.com

AGENDA EXPOS _Par A.-L.v.

PROSPECTIVE XXIe SIÈCLEConçue et réalisée à partir de nouvelles acquisitions du Frac Île-de-France, l’exposition réunit les œuvres d’une quinzaine d’artistes résonnant avec la

question de la mémoire et par extension, l’écho, le rythme et le son.Jusqu’au 20 février au Plateau, Place Hannah-Arendt, 75019 Paris

BRION GYSINAcolyte de William Burroughs, le peintre, poète et écrivain américain, disparu en 1986, bénéficie d’une exposition baptisée Alarme, du nom

d’un projet de livre créé par l’artiste en 1975 et enfin édité à l’occasion de sa rétrospective à New York en 2010.Du 15 janvier au 19 février à la Galerie de France, 54 rue de la Verrerie, 75004 Paris

ROMAN SIGNERL’artiste suisse, bien connu pour ses œuvres littéralement explosives, utilise les objets les plus divers dans des installations et des

actions où la transformation des éléments rend compte d’un processus temporel.Du 8 janvier au 19 février à la Galerie Art:Concept, 13 rue des Arquebusiers, 75003 Paris

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72 SORTIES EN VILLE

LE CRU À NUjan Fabre à Chaillot

Iconoclaste mégalomaniaque du théâtre et plasticien taxidermiste, le Flamand présente L’Empereur de la perte, Le Roi du plagiat et Le Serviteur de la beauté. Une trilogie en forme de mise au point esthétique, au Théâtre national de Chaillot._Par Ève beauvallet

Les fleurs les plus belles ne naissent pas de la boue chez Jan Fabre, mais de danseuses nues dans des flaques d’huiles, de scènes masturba-toires, de larmes de sang ou de sculpture de sperme. Voilà pour le versant le plus ostensiblement trash de l’univers créatif de l’Anversois, artiste et collectionneur d’insectes, autoproclamé « guerrier de la beauté ». Une façon franche de convoquer le sublime depuis le répugnant, qui lui a valu de déchaîner maintes foudres médiatiques depuis son iconoclaste c’est du théâtre comme c’était à espé-rer ou à prévoir (1982), comme s’il cristallisait à lui seul la querelle de l’art contemporain. Disons que sa façon toute créative de redynamiser le « live » au théâtre en jouant avec les limites du représentable, doublée d’une passion incongrue pour l’autofic-tion (on peut, par exemple, lire devant l’atelier de l’artiste « Ici vit et travaille Jan Fabre ») a divisé et divise encore le public de théâtre.

Recycler cinquante ans de performance et de hap-pening en y mixant la crudité grotesque de l’art médiéval est-il novateur ? « charlatan ! », disaient certains contradicteurs. Ils trouveront probable-ment quelques explications dans la trilogie pré-sentée au Théâtre national de Chaillot. Pas de danseur jubilant dans son vomi, ici, mais plutôt des préceptes esthétiques mis à nus dans trois monologues portés par Dirk Roofthooft : authenti-cité comme pauvreté et fondamentalisme créatif, art du plagiat et de la falsification comme sagesse intellectuelle et – surtout – échec et chaos comme richesse suprême de l’homme. Un autoportrait de Jan Fabre en humaniste ?

L’Empereur de la perte, Le Roi du plagiat et Le Serviteur de la beauté, textes et mise en scène de Jan Fabre, du 27 janvier au 11 février, théâtre national de Chaillot, www.theatre-chaillot.fr

Le Serviteur de la beauté referme une trilogie qui questionne la place de l’homme dans le monde

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LE SPECTACLE VIVANT NON IDENTIFIÉ

RÉVOLUTIONLes 15 barres de pole dance plantées sur le pla-teau de Révolution n’ont rien à voir avec l’univers du peep-show. Quoique. Après les hommes filmés par Christophe Honoré pour sa pièce Faune(s), c’est sur « la résistance du chœur féminin » qu’Olivier Dubois concentre sa chorégraphie. Révolution est ainsi une rotation collective de deux heures construite sur le seul motif de la marche. Un instrument basique pour une partition complexe de pas cadencés d’élans toniques. Conquérantes, les danseuses de Révolution offrent un manifeste lumineux, au bord de l’hypnose._E.b.

Le 21 janvier au théâtre de Vanves, dans le cadre du festival Artdanthé, www.theatre-vanves.fr

AGENDASPECTACLES _Par E.b.

1 SUSPECTIONSi l’on se souvient de l’univers rétrofuturiste qu’enki Bilal avait scénographié pour le Roméo et Juliette d’Angelin Preljocaj, Suspection part avec des atouts. Le dessinateur prévoit d’enfer-mer les souvenirs d’enfance du texte dans une machinerie kafkaïenne.Jusqu’au 30 décembre au théâtre du Rond-Point, www.theatredurondpoint.fr

2 BALANCHINE / BROWN / BAUSCH en une soirée, une traversée des révolutions chorégraphiques du XXe siècle. Virtuosité néoclassique des Ballets russes avec George Balanchine, postmodern dance avec l’Améri-caine Trisha Brown et théâtre dansé avec le Sacre du printemps de Pina Bausch.Du 10 au 31 décembre à l’Opéra national de Paris, www.operadeparis.fr

3 FESTIVAL H2O ET SURESNES CITÉS DANSESi les mots smurf ou krump ne vous évoquent rien, H2o et Suresnes cités danse sont pour vous. Ces deux festivals interrogent la danse hip-hop et ses évolutions, avec – du côté de Suresnes – l’arrivée de Jérémie Bélingard, danseur étoile de l’Opéra de Paris.Festival H2o : jusqu’au 12 décembre à Aulnay-sous-Bois, www.festival-h2o.comSuresnes cité danse : du 7 au 30 janvier au théâtre Jean-Vilar, www.suresnescitesdanse.com

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74 SORTIES EN VILLE

SANG ET ORHugo Desnoyer chez Régalez-vous

Rencontre avec l’artisanat et le beau geste d’HUGO DESNOYER. Un « boucher tendre et saignant », comme il se définit lui même dans un ouvrage. Un homme en leçon de bien-veillance et de charme, repéré par les grandes tables parisiennes._Par bruno verjus (www.foodintelligence.blogspot.com)

Hugo Desnoyer exerce son artisanat rue Boulard, petite artère du XIVe arrondissement. Sa boutique frangée de vitrines arrangées avec l’élégance d’une bijouterie tutoie la place Jacques-Demy. Le nom de la voie se prononce en traînant la finale en « lard », fleure bon la France artisane et les dialogues d’Audiard. Hugo Desnoyer a l’empathie d’un grand garçon fier de son art et de sa réussite. Son allure d’acteur doux et soyeux campe l’intrigante beauté du boucher. Un métier à l’aura trouble si l’on se remémore l’imagerie populaire ou le vers de Baudelaire : « Je te tuerai sans colère et sans haine. comme un boucher. »

« Dans mon métier, si l’on ne devait retenir qu’un seul geste, ce serait la découpe. c’est le corps tout entier qui se porte en avant et tranche… » Hugo Desnoyer embrasse un train de côtes de bœuf ; ils dansent, ils ne font qu’un. La côte sitôt entaillée s’enlumine d’entrelacs carmin et ivoire sous la coupe parfaite, nette et glacée. Hugo Desnoyer rejoint la concision de Colette dans

Le Fanal bleu : « Un boucher coupant, tranchant, éla-guant, ficelant, façonnant vaut un danseur, un mime. » Natif de Mayenne, il débute son apprentissage à l’âge de 15 ans. Quatre-vingt heures par semaine, 130 grammes de viande hachée le soir, un lit de fortune dans la cui-sine de la boucherie – c’était en 1990 à Paris ! À 27 ans, avec sa femme Chris, il ouvre ensuite sa boucherie et la nomme d’un mot d’ordre : Régalez-vous. Les week-ends coulent à la vitesse de leur Polo sillonnant les routes et les champs, à la recherche de vaches et de veaux d’or.

Aujourd’hui, celui que l’on afflige du titre de boucher des stars, des grands chefs étoilés comme des people, trace sa route à la rectitude du devoir bien fait. Lever à 4 h du matin, découpes, bridages, et rideau tiré à 20 h. Chaque journée offre à son métier une véritable recon-naissance, à l’égal de celle de nos papilles.

Régalez-vous, 45 rue Boulard, 75014 Paris. Tél. 01 45 40 76 67Un boucher tendre et saignant d’Hugo Desnoyer (Éd. Assouline)

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LE PALAIS DE… NINE ANTICO

Le RIz qUI RIT« C’est un tout petit coréen rue Saint-Denis, tenu par une charmante patronne, Sun. La salle est intime, chaleureuse, avec des cadres colorés aux murs, des guirlandes qui clignotent, on se croirait dans son salon. J’y déjeune pour quelques euros un menu très équilibré. en entrée, elle réussit merveilleusement les salades sucrées-salées. ensuite, je me laisse tenter par des brochettes marinées. Le seul problème lorsque je vais là-bas, c’est que la pause déjeuner s’éternise… »_Propos recueillis par L.T.

Le riz qui rit, 142 rue-Saint Denis, 75002 Paris. Tél. 01 40 13 04 56Retrouvez les dessins de Nine Antico dans notre hors-série Sofia Coppola, en kiosques le 15 décembre

Où MANGERAPRÈS… _Par b.v.

AU-DeLÀAu Beurre noisette, pour goûter aux joies bien terrestres d’une cuisine de grand chef à prix bistrot. Ici et maintenant, la terrine de sardines crues à l’huile citronnée où le Pithiviers abritant le lièvre et le

canard sauvage d’un émoustillant sarcophage.Le Beurre noisette, 68 rue Vasco-de-Gama, 75015 Paris. Tél. 01 48 56 82 49

LeS ÉMOTIFS ANONYMeS À La chocolaterie, pour un repas « gâteaux ». Ici, Jacques Genin, l’homme chocolat, gâte le gourmand et le comble de douceurs aux noms aussi évocateurs que le Beau ténébreux,

une ganache au chocolat noir, ou Péché capiteux, une ganache au chocolat au lait et vanille de Tahiti.La Chocolaterie, 133 rue de Turenne, 75003 Paris. Tél. 01 45 77 29 01

WOMeN ARe HeROeSAu Baratin, pour les mets d’une femme splendide de gourmandises. Raquel Carena, l’œil de velours et la magic touch d’une cuisine élégante alliant la grâce des produits à celle de leurs savoureuses associations.

Le Baratin, 3 rue Jouye-Rouve 75020 Paris. Tél. 01 43 49 39 70

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76 LA CHRONIQUE DE

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OH LA L.A. !Après Mœbius il y a trente ans, c’est au tour de DAFT PUNK d’imprimer

sa (French) touche sur la saga geek Tron. Parallèlement, MICHEL GONDRY fait vrombir les studios avec son Frelon vert, SOFIA COPPOLA tisse des ponts transatlantiques avec Somewhere, et l’artiste parisien JR, lauréat du prix TEd, couvre Los Angeles de rides moqueuses. Hollywood adopte

l’heure française : synchronisation des montres.

_Par Auréliano Tonet

De gauche à droite en partant du haut : Michel Gondry, Luc besson, johnny depp, Will Smith, Marion Cotillard, Tintin & Steven Spielberg, Quentin dupieux & Flat Eric, Air (un dans chaque page), Mélanie Laurent, batman, daft Punk, Catherine deneuve, Maurice jarre,

Thomas Mars et Sofia Coppola

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80 DOSSIER /// HOLLYWOOd À L’HEURE FRANÇAISE

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C’est au SLS Hotel de Beverly Hills que Disney a décidé d’organi-ser la promotion de Tron, l’héri-tage. Conçue par le designer Philippe Starck, la décoration

du palace, immense galerie des glaces jonchée de kitscheries lounge, valide le lieu commun selon lequel L.A. serait l’antre du narcissisme, du jeunisme et du présent perpétuel. Si l’on se fie aux discussions qui bruissent du comptoir, la clientèle, juvénile et richement apprêtée, est obnubilée par le concert imminent de David et Cathy Guetta. Pour notre part, on ne mange pas de cette baguette-là ; on est venus s’entretenir avec l’Américain Steven Lisberger, réali-sateur d’un de l’un des plus beaux films de science-fiction qui soit, Tron (1982), et producteur de sa suite, Tron, l’héritage, près de trente ans plus tard. Pour le rencontrer, il faut passer de l’autre côté des miroirs du SLS, dans une chambre sombre et sans fioritures. À notre arrivée, on lui remet la critique originelle de Tron parue dans Les cahiers du cinéma, où Olivier Assayas, très élogieux, comparait le film à l’Alice de Lewis Carroll et au cabinet du docteur caligari de Robert Wiene. Flatté, Lisberger remarque dans notre sacoche la dernière couverture de Trois couleurs, dédiée au dessinateur Mœbius, qui avait créé les costumes et décors de Tron. À sa vue, le vieil homme fond en larmes. « Je n’ai pas parlé à Mœbius depuis plus de vingt ans. Je sais qu’il est à L.A. ces jours-ci, j’espère pouvoir dîner avec lui. Je l’appelle “le maître”. Sa contribution à Tron a été capitale. »

RÉFLEXIVITÉLorsqu’on l’avait interviewé à l’automne dernier, Mœbius nous avait confié sa fierté d’avoir travaillé sur « le premier film en images de synthèse de l’histoire ». Merveille graphique, Tron était bien plus qu’un film pionnier : somme vidéoludique combi-nant jeux d’arcade, jeux d’échecs et jeux du cirque, sorte d’il était une fois la vie transposé dans les entrailles d’un ordinateur, bijou binaire et bicolore, à cheval entre figuration et abstraction, ce péplum geek vulgarisait les idéaux libertaires de la commu-nauté informatique de l’époque. « Tron était mon deuxième long métrage. cela a été un échec à sa sortie, mais il est devenu culte, poursuit Lisberger. c’était l’un des premiers films explorant les mondes virtuels. J’aime beaucoup cette phrase de Jean Baudrillard : “Matrix est le film que Matrix aurait réa-lisé sur lui-même.” cette réflexivité, Tron la portait en germe. » C’est, à peu de choses près, ce qu’écrivait Assayas en 1982 : « Univers, conventions, esthétique, tout est là flambant neuf, fabriqué sur mesure pour le film. Tron […] invente ses propres règles : en ce sens, c’est le digne rejeton des studios Disney dont la réputation d’autarcie n’est plus à faire. »

DISPONIBILITÉFidèle à lui-même, Disney a dupliqué pour Tron, l’héritage les principes qui avaient guidé la concep-tion de l’original. À la réalisation, un jeune inconnu, Joseph Kosinski, issu des mondes de l’architecture et de la publicité. À l’écriture, edward Kitsis et Adam

« à HoLLYWooD PLUS QU’AiLLEURS, L’ARRivÉE DE LA 3D APPELLE PLUS D’ARcHiTEcTURE,

DE GÉoMÉTRiE, D’iRRÉALiTÉ. » Michel Gondry

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HOLLYWOOd À L’HEURE FRANÇAISE /// DOSSIER 81

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Horowitz, les scénaristes insulaires de la série Lost. À la musique, non plus la transsexuelle Wendy Carlos, qui avait signé le score originel, mais deux humanoïdes asexués, les Daft Punk, fans de Tron devant l’Éternel. Lisberger, en producteur-coordinateur, et Jeff Bridges, qui reprend son rôle de Kevin Flynn, sont les garants de la continuité des deux épisodes. C’est d’ailleurs ce qui frappe le plus dans Tron, l’héritage, au-delà des somptueuses lumines-cences qui sillonnent ses courses motorisées : tout y est affaire de transmission, de legs, chaque génération tentant péniblement de crever la bulle isolante dans laquelle elle végète. en conférence de presse, raccords avec cette teinte individualiste, chacun des acteurs principaux s’est empressé d’exposer combien il avait gonflé son personnage de références personnelles. « Mon personnage, la guerrière androgyne Quorra, est folle de Jules verne ; pour l’in-carner, je me suis inspirée d’une autre Française, Jeanne d’Arc », révèle ainsi la comédienne Olivia Wilde. Cette French connection amuse Lisberger : « Le story boarder Sylvain Despretz et le speed painter David Levy ont participé au tournage. Les Français ont la réputation d’être doués, mais désinvoltes. or des artistes comme Daft Punk ou Mœbius sont des travailleurs acharnés. ils bossent quatorze heures par jour. » Joseph Kosinski insiste sur la disponibi-lité du duo casqué : « Les Daft Punk ont modifié plusieurs fois leur partition en fonction de mes remarques, de façon à ce qu’elle épouse au mieux la narration ; en retour, leur musique a dicté une grande partie du montage. »

« PoUR iNcARNER MoN PER-SoNNAGE, JE ME SUiS iNSPiRÉE DE JEANNE D’ARc. » Olivia Wilde

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L’hôtel Chateau Marmont

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PAULINE KAEL CONTRE LE RESTE DU MONDE

En rassemblant pour la première fois en français les principaux textes de Pauline Kael consacrés au cinéma américain et européen, les éditions Sonatine nous invitent à un dialogue transatlantique houleux mais réjouissant. Critique redoutable au New Yorker, partisane du Nouvel Hollywood, Pauline Kael n’a pas écrit que des choses intelligentes. Pourtant, la lecture de ces deux ouvrages (Chroniques américaines et Chroniques européennes) montre une écriture libre, une pensée alerte qui se déploie sur plusieurs pages avec ce qu’il faut d’élégance et de hargne pour amuser. Souvent à contre-pied de la pensée européenne de l’époque, Pauline Kael prend suffisamment les films au sérieux pour pouvoir se permettre toutes les envolées. Qu’elle se fourvoie dans des restrictions idéologiques sur Eastwood, qu’elle s’acharne contre Resnais ou qu’elle encense Godard, elle s’explique. Il faut relire ses critiques, pour se forger une idée sur les films, mais aussi pour se souvenir qu’il n’y a pas si longtemps, on pouvait encore avoir envie de se battre pour un film.

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Chroniques américaines et Chroniques européennes de Pauline Kael (Sonatine, recueil déjà disponible)

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BLUFFMichel Gondry a réalisé le clip d’Around the World de Daft Punk, en 1997. Bien avant le duo, le cinéaste a su infiltrer les studios hollywoodiens, et y injecter, en sous-main, sa marque de fabrique. Installé à L.A., il évoque, en marge de la sortie de son nouveau long métrage, Le Frelon vert, ses rapports ambigus avec les majors : « Le rôle du réalisateur est de régler les pro-blèmes les uns après les autres et de faire avancer l’histoire. ce faisant, on apporte une touche personnelle. Tout le défi consiste à garder une certaine spontanéité dans un cadre qui correspond aux studios. i l faut respecter leurs formats, tout en étant explorateur. ça marche beaucoup au bluff. » Avec Eternal Sunshine… (2004) ou Be Kind Rewind (2008), le Français a ouvert la voie aux délires graphiques d’Ava-tar, inception ou Tron, l’héritage : « Le réel a été exploré et réexploré. à Hollywood plus qu’ail leurs, l ’arrivée de la 3D appelle plus d’architecture, de géométrie, d’ irréalité. » Des domaines dans lesquelles les Français excellent. Arrivé il y a cinq ans chez DreamWorks, Alexis Wanneroy fait partie des quatre-vingts animateurs du studio. Dix de ses collègues ont été, comme lui, formés à Paris, aux Gobelins, l’une des meil-leures écoles d’animation au monde. Dans ses bureaux de Glendale, le jeune papa nous montre ses premiers travaux pour The Guardians, que DreamWorks prévoit de sortir en 2012. Sur le mur, il a affiché une photo de Pierre Richard, dont il a fait l’influence gestuelle de l’un des personnages du film. « contrairement à l’humour anglais, très sophistiqué, l’hu-mour français et l ’humour américain sont assez proches : graveleux, burlesques, ils sont cousins », souligne le maître d’Alexis, Michel Gondry.

« iL FAUT RESPEcTER LES FoRMATS DES STUDioS,

ToUT EN ÉTANT EXPLoRATEUR. çA MARcHE BEAUcoUPAU BLUFF. » Michel Gondry

LE MONDE DE SOfIA

Après la contre-culture américaine et les Doors, Trois Couleurs consacre son troisième hors-série à Sofia Coppola. À l’occasion de la sortie de son quatrième long métrage, Somewhere, cette édition collector revient sur les motifs clés de la réalisatrice de Lost in Translation (miroirs, enfermement, jeunes filles perdues). Après un entretien-fleuve avec Sofia Coppola, un portfolio, commenté par la cinéaste et son chef opérateur, Harris Savides, met Somewhere en regard de ses précédents films et de ses principales influences – de Twilight à Helmut Newton. Une histoire du Chateau Marmont, un portrait des acteurs de Somewhere, une fresque du clan Coppola, un panorama des Italo-Américains à Hollywood et une analyse du rôle de la musique ou de la mode dans l’œuvre de Sofia Coppola complètent ce tour d’horizon. Illustré par Nine Antico, auteur de la BD Coney Island Baby, ce hors-série de 132 pages propose une entrée érudite, ludique et enlevée dans les salons de la princesse la plus mirée et admirée d’Hollywood.

_A.T.

En kiosque le 15 décembre, 6,90 €

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INTÉGRITÉAutre clippeur de renommée internationale, Roman Coppola a lui aussi travaillé pour les Daft Punk. Il souligne « l’intégrité » des musiciens français avec lesquels il a collaboré, comme Phoenix ou Sébastien Tellier : « Tous sont très sûrs de leurs goûts, de ce qu’ ils veulent, tant au niveau sonore que visuel. » Des artistes que l’on retrouve sur la B.O. de Somewhere, quatrième long métrage de Sofia Coppola, coproduit par Roman. « J’ai l’ impression que je n’écris bien que quand je suis loin, admet la réalisatrice. Lorsque je vivais à Los Angeles, j’ai écrit sur Paris.

Après Marie Antoinette, j’ai vécu à Paris. Très vite, j’ai eu envie d’écrire sur L.A. » Résultat de ce chassé-croisé transatlantique, Somewhere a été tourné au Chateau Marmont, mythique hôtel hollywoodien, bâti en 1927 d’après les plans du château d’Am-boise. en pleine préparation d’un hors-série sur la cinéaste, on s’autorise une visite de ce sanctuaire gothique et hanté. Dans le lobby trône le Lion d’or remporté par Sofia à Venise ; dans les frigidaires vintage, une collection d’eaux minérales, de sodas et de limonades made in France ; sur les menus, charcuterie et petit déjeuner, en français dans le texte. On songe alors au prochain projet de l’artiste parisien JR, sujet d’un autre de nos hors-séries : recouvrir L.A. d’immenses photographies de visages ridés. C’est peut-être cela, la French touch : loin des miroirs aux alouettes du SLS Hôtel de Starck et Guetta, pénétrer le temple de la jeunesse éternelle, et le zébrer d’histoire(s).

KOSINSKI ENTRE DANS LE JEU

Bien qu’il s’agisse d’un premier film, Tron, l’héritage porte la marque d’un auteur à part entière. Rien d’étonnant à cela lorsque l’on sait que ce cinéaste débutant, Joseph Kosinksi, est l’un des jeunes talents les plus courtisés d’Hollywood : ce trentenaire a ainsi été attaché à nombre de projets comme le remake de L’Âge de cristal, avant que Disney ne lui confie les rênes du second Tron. Reconnu dans le monde de la publicité grâce à des spots classieux pour des véhicules et des jeux vidéo, Joseph Kosinski est avant tout diplômé en architecture, dont il a retiré deux qualités indispensables pour rendre justice à l’univers de Tron. Un sens du design indéniable, avec un goût prononcé pour les lignes épurées et la symétrie – affinités qu’il partage avec l’une de ses idoles, Stanley Kubrick. Et une passion techno-geek pour tout ce qui touche à la 3D et à l’image de synthèse. David Fincher, son chaperon, a vite remarqué ce potentiel qui lui a permis, dès son premier long métrage, de relever les innombrables défis technologiques de Tron, l’héritage.

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Alexis Wanneroy dans les bureaux de DreamWorks

« ToUS SoNT TRèS SûRS DE LEURS GoûTS. »

Roman Coppola

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Un jeune homme dégringole du haut d’un building façon Matrix, les flin-gues en moins, armé d’une simple clé USB. Sam Flynn quitte les hauteurs du conseil d’administration de l’entre-

prise de son père, Kevin Flynn, héros du premier Tron, pour rejoindre en douceur le bitume. Ce pourrait être une habituelle séquence d’ouver-ture à l’adrénaline : base jump frénétique et atter-rissage en parachute. Si ce n’est que ce motif vertical – justifiant pleinement, une fois n’est

pas coutume, la 3D relief – va continuellement irriguer notre plongée dans le monde de Tron, l’héritage. On y était entré il y a trente ans : un territoire horizontal, représentation graphique de l’idéal des hackers, ces génies de l’informatique nés au même moment, plaidant pour un accès égalitaire à l’informatique. Ce renversement de plan, de l’horizontalité à la verticalité, n’est pas gratuit : il souligne l’évolution de notre rapport au numérique. « L’héritage » dit le titre, un legs mis

en péril par trois décennies d’industrialisation du monde virtuel, questionnées par un blockbuster résolument grand public mais dont les lignes de code sont d’une acuité geek inespérée.

LE PLAT PAyS« Dans les années 1980 régnait encore l’état d’es-prit des années 1960, une certaine camarade-rie, une spiritualité communautaire. Aujourd’hui, la technologie semble plutôt nous individua-l iser », estime Steven Lisberger, réalisateur du

premier Tron et producteur du second. Pour les scénaristes, edward Kitsis et Adam Horowitz, res-capés insulaires de la série Lost, « il faut se méfier des i l lusions actuel les de l ’ interconnexion. Par exemple, il semble souvent plus simple de changer son statut Facebook que d’appeler un ami ». est-ce à dire que Tron, l’héritage est l’affaire de vieux schnocks pour qui l’ordi, ben, c’était mieux avant ? L’esprit des années 1960 dont parle Steven Lisberger, c’est celui du logiciel

Ce ReNVeRSeMeNT De PLAN, De L’HORIZONTALITÉ À LA VeRTICALITÉ, SOULIGNe L’ÉVOLUTION

De NOTRe RAPPORT AU NUMÉRIQUe.

En 1982, ceux que l’on n’appelait pas encore les geeks ont trouvé dans Tron une allégorie des enjeux informatiques de l’époque : la nécessité d’un échange libre d’information. Pour être total, le partage devait être horizontal. depuis, le monde

numérique a changé, il s’est verrouillé et est devenu vertical. Les entreprises digitales en haut, l’utilisateur-consommateur en bas. Un changement de perspective en 2.0,

vertigineusement rendu par le second volet de la saga : Tron, l’héritage._Par étienne Rouillon et Auréliano Tonet

CHuTE LIBRE

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libre et des bidouilleurs californiens, les hackers qui s’échangeaient leurs progrès dans une veine antihiérarchie. Une vingtaine d’années plus tard, le premier Tron témoignait d’un changement. Les grandes entreprises voulaient verrouiller leurs inventions. Kevin Flynn, le héros, partait en croi-sade pour briser ces cadenas. Aplanir les tours des entreprises naissantes. Un système longitu-dinal, repris dans la mise en scène avec ses pla-teaux de jeu d’échecs et ses courses de motos iconiques sur grille plate.

LÀ-HAUT SUR LA MONTAGNEen 2010, les motos sont toujours là, mais la piste a changé, elle se court avec chausse-trappes et esca-liers. Une profondeur nouvelle portée par le réalisa-teur Joseph Kosinski : « Le film était très complexe à chorégraphier. comme pour le premier Tron, je me suis figuré un jeu d’échecs, mais en quatre dimen-sions. » et le cinéaste à la formation d’architecte de développer les gimmicks : effondrement des enne-mis en cascade de pixels, dalles lumineuses au sol

comme un jeu de go, ballet incessant de plongées et contreplongées, valse d’ascenseurs et de crevasses, filiations gigognes (Kevin a en réalité deux fils, l’un réel l’autre virtuel, ce dernier étant incarné par un holo-gramme rajeuni de Jeff Bridges)… Le film est tout entier bâti le long de courbes sinusoïdales qui ne sont pas sans rappeler celles des oscilloscopes du labo du père Flynn, ou celles, plus irréelles, du pays des mer-veilles : « Tron, l’hérirage est une sorte d’Alice futu-riste, où l’on ne cesse d’explorer le terrier du lapin blanc, juge Kosinski. il a une dimension féerique,

primaire et mythologique. » Si l’ascension figure notre passivité dans le jeu des nouvelles hiérarchies digitales, elle est aussi ascendance salvatrice entre un père et son fils. et la chute se fait descendance, filiation d’aspi-rations technologiques émancipatrices. On n’ira pas jusqu’à faire de Tron, l’héritage un brûlot anti Apple ou Microsoft, mais les abscisses libertaires du premier volet donnent une résonnance résistante aux ordon-nées verrouillées du second. entre ces deux dimen-sions, le spectateur pirate le système, en apesanteur.

« JE ME SUiS FiGURÉ UN JEU D’ÉcHEcS, MAiS EN QUATRE DiMENSioNS. » Joseph Kosinski

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Tron, l’héritage de Joseph Kosinski

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Depuis la bande originale de Air pour Virgin Suicides en 1999, les studios hol-lywoodiens s’intéressent à nouveau aux musiciens français. Portée par l’engoue-ment de Sofia Coppola pour les fren-

chies à la mode (Phoenix, Sébastien Tellier et Air sont de la plupart de ses aventures cinématogra-phiques), la franchise made in France vient de pas-ser un nouveau cap avec la B.O. de Daft Punk pour le reboot de Tron par Walt Disney, synthèse épique d’acoustique (cordes herrmanniennes, tambours martiaux) et de synthétique (turbines et bruit blanc distillé). Mais la docilité avec laquelle notre duo de robots se plie aux contraintes du genre n’éclipsera pas l’âge d’or seventies de la composition française pour le cinéma, quand Michel Colombier, Michel Magne, François de Roubaix ou Michel Legrand enri-chissaient de leurs fantaisies sonores les grandes réalisations nationales et internationales.

Maurice Jarre fut le plus hollywoodien de ces com-positeurs, avec quelques Oscars (Lawrence d’Ara-bie (1963), Docteur Jivago (1966), La Route des indes (1985)) et la reconnaissance éternelle des grands studios pour une certaine qualité française.

Aujourd’hui, alors qu’Alexandre Desplat (L’Étrange Histoire de Benjamin Button, Birth, Fantastic Mr. Fox) semble reprendre dignement ce flambeau, la com-position s’efface bien souvent derrière le métier de music supervisor, voire la commande bâclée. De quoi réveiller la nostalgie d’un Nicolas Godin, qui, avec Air, a joliment fait le pont entre la tradition française et la modernité pop : « Je me rappelle d’un soir de mon enfance devant la télé : un film, L’Héritier, de Philippe Labro, et un son, des accords, une musique de Michel colombier. vingt ans plus tard, je suis dans ma voiture à Los Angeles et je sonne à sa porte avec une seule idée en tête : quel était ce son de cuivre, sec comme un coup de trique et puissant comme un coup de tonnerre, entendu dans cette scène d’ouverture du film de Labro ? ce fut le début d’une collaboration de mon point de vue très émouvante et fructueuse. il a répondu patiemment à toutes mes questions concernant ses secrets de fabrication. Son humi-lité était à l’échelle de son immense talent et je mesure jour après jour tout ce que nous lui devons. il demeure pour nous une source d’inspiration, à laquelle la musique de Virgin Suicides rendait hommage. »

La réussite du noyau versaillais de la French Touch – Air, daft Punk, Sébastien Tellier, Phoenix – à Hollywood évoque les années 1970, âge d’or de la composition hexagonale pour le cinéma. Une nouvelle ruée vers l’Ouest ?_Par Wilfried Paris

FranCE MusiquesPhoenix

Le cinéma de Maurice Jarre (Universal, coffret 4 Cd déjà disponible)

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90 DOSSIER /// HOLLYWOOd À L’HEURE FRANÇAISE

In/out : « J’ai été approché pour réaliser Le Frelon vert il y a 15 ans. J’avais beaucoup travaillé dessus mais c’est finalement tombé à l’eau. Un autre studio m’a contacté des années plus tard : c’est reparti pour un tour. Le tournage a été chaotique mais

je suis content du résultat. Les premières projections ont obtenu d’excellents retours. On entend désormais moins les gens qui disaient du mal du projet à ses débuts. »

Marche avant/marche arrière : « Le Frelon vert fut l’un des tout premiers super-héros. Ça a démarré avec une émission de radio dans les années 1930, puis il y a eu des minifilms et des BD, et enfin une série TV avec Bruce Lee, qui n’a duré qu’une saison, dans les sixties. J’aimais surtout les shows radio. Notre film n’est pas un remake, même si l’on traite le maté-riel original avec respect. Les scénaristes, Seth Rogen et evan Goldberg, ont décidé d’en faire un buddy movie sur l’alliance impromptue de deux types aux origines totalement différentes, liés par un rapport difficile à leur père. Pour ne pas passer pour des super-héros, ils se conduisent comme des gangsters. Cet angle m’a tout de suite plu. J’adore l’écriture de Seth, mais aussi son jeu d’acteur : il est très naturel et chaleureux, on peut facilement s’identifier à lui. »

2D/3D : « Avec Seth, nous rêvions de tourner le film en 3D, mais ce n’était pas possible. Sony nous a donné son plus grand studio, ce qui m’a permis d’ob-tenir une grande profondeur de champ. Du coup, lorsqu’on a converti le film en 3D, cela a été à notre avantage. J’ai fait le choix d’un montage qui laisse au spectateur le temps de voir ce qui se passe à l’écran. Les scènes d’action sont envisagées de manière très géométrique, en usant tous les recoins de la pièce, un peu à la Jackie Chan, lui-même grand admirateur de Chaplin. J’ai tellement travaillé, par le passé, dans des lieux restreints qu’il m’est resté ce besoin d’utiliser tout l’espace à ma disposition. »

Fiction/documentaire : « À mes débuts, je me suis aperçu qu’il fallait que j’apprenne à mieux capter le réel, que j’insère de l’incertitude, du chaos, de la vie à mes fictions. Tourner des documentaires m’a aidé en ce sens. Mon prochain projet est une discus-sion improvisée avec le linguiste Noam Chomski. L’interview sera illustrée par des images d’animation que j’ai réalisées moi-même. C’est passionnant. »

Un film de Michel Gondry // Avec Seth Rogen, Cameron diaz… //

distribution : Sony Pictures // états-Unis, 2011 // Sortie le 12 janvier

Au printemps sortait L’Épine dans le cœur, documentaire intime et poignant sur sa tante. Cet hiver, c’est à une autre épine que se frotte MICHEL GONDRY : comédie hollywoo-dienne à gros moyens, Le Frelon vert porte pourtant la marque, ludique et bricoleuse, de son auteur. Entretien en forme d’allers-retours._Propos recueillis par Auréliano Tonet

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92 DOSSIER /// HOLLYWOOd À L’HEURE FRANÇAISE

Lorsqu’il tourne en 1942 le film fantastique La Féline, œuvre baroque mêlant néoréa-lisme et film noir, Jacques Tourneur parie sur l’audace américaine. Profitant du goût hollywoodien pour les productions insolites

(séries B, thrillers, films d’horreur), il enchaîne ensuite les films de genre réussis (vaudou, L’Homme léopard…). C’est ce même vent de liberté qui souffle à Louis Malle l’idée de s’exiler aux États-Unis à la fin des années 1970, d’abord à La Nouvelle-Orléans, où il réalise La Petite, puis à Hollywood, où il fait tourner Burt Lancaster et Susan Sarandon dans Atlantic city. L’europe le remer-cie de son échappée américaine, puisqu’il remporte pour ce film le Lion d’or à Venise en 1980.

Pourtant, certaines romances transatlantiques finissent  mal. Lorsque les fervents admirateurs d’Hitchcock et de Hawks que sont Jean-Luc Godard et François Truffaut décident de faire le voyage, ils reviennent sans un centimètre de bobine en poche. Godard s’installe un temps à Los Angeles, où il projette de tourner un documentaire sur Francis Ford Coppola puis une fiction, The Story, avec Robert De Niro et Diane Keaton. Mais au dernier moment, il abandonne

brutalement et rentre en Suisse. Pendant ce temps, à New York, les projets de Truffaut peinent à prendre leur envol. Deux jeunes scénaristes admiratifs de la Nouvelle vague (David Newman et Robert Benton) lui proposent de réaliser Bonnie and clyde. Truffaut est tenté mais tergiverse trop. Le film sera finalement tourné par Arthur Penn…

Depuis, pour le meilleur (Assaut sur le central 13, brillant remake du film de John Carpenter par Jean-François Richet) comme pour le pire (la tentation désastreuse de la grosse artillerie dans Gothika de Mathieu Kassovitz ou Le choc des Titans de Louis Leterrier), le mythe d’un cinéma américain plus libre, rapide et décomplexé ne dépérit pas. Alors qu’Alexandre Aja convole en noces hollywoodiennes assumées et réussies (La colline a des yeux puis le satirique Piranha 3D), Bruno Dumont (Twentynine Palms), Kim Chapiron (Dog Pound) et Quentin Dupieux (Rubber) se réapproprient l’imagerie yankee pour la renouveler et lui rendre hommage, en auteurs cinéphiles. Des Frenchies doués, partis à  la redé-couverte d’un Ouest dont l’immensité se révèle une source de fiction  inépuisable .

Lorsque les réalisateurs français trouvent que le cinéma national ronronne, ils s’en vont prendre l’air de l’autre côté de l’Atlantique, comme irrésistiblement attirés par les sirènes des grands studios. Retour sur près d’un siècle de liaisons dangereuses._Par Laura Tuillier

La FUITE AMÉriCAiNeAlexandre Aja sur le tournage de Piranha 3D

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94 DOSSIER /// HOLLYWOOd À L’HEURE FRANÇAISE

Elles s’appellent Léa, Cécile, Emmanuelle ou Ju l iet te, et pour tant el les par-tagent l’écran avec Russell, Tom ou Matt. La French girl a envahi les plateaux amé-ricains, auréolée d’un glamour « à la fran-

çaise ». Mélanie Laurent est devenue une Tarantino chick, Léa Seydoux est en passe de faire beaucoup de mal à Tom Cruise dans Mi4 et Cécile de France (belge certes, mais française d’adoption) est en pleine crise mystique ce mois-ci chez Clint eastwood. Chacune d’entre elles nourrit les fantasmes cinéphiles d’Hol-lywood. Pas étonnant chez Tarantino, plus surprenant chez eastwood, malgré tout ce qu’il doit à la critique française. Si le cinéma hexagonal rêve de grandeur à l’américaine, le cinéma U.S. a toujours fantasmé sur nos courbes féminines. C’est Jeanne Moreau chez Frankenheimer (Le Train, 1964), Catherine Deneuve chez Tony Scott (Les Prédateurs, 1983) ou Nathalie Baye chez Spielberg (catch Me if You can, 2002). Pour le public américain, il s’agit d’une coquetterie exotique, le parfum d’un Paris imaginaire qui vient flotter dans un film. Pour les Français, c’est également une curiosité : la French girl rapatrie le rêve américain au coin de la rue. en s’expatriant, emmanuelle Béart,

Virgine Ledoyen ou Juliette Binoche sont ainsi deve-nues des actrices étendards. Comme Carole Bouquet ou Sophie Marceau chez James Bond, emmanuelle Béart dans le Mission : impossible de De Palma, ou plus récemment Léa Seydoux dans Robin des Bois, la Française est une amoureuse, donc une femme dangereuse, qui sied aux films d’action planétaires.

Amusées un temps par ces clichés, on peut com-prendre que ces actrices préfèrent passer rapide-ment à autre chose. L’Oscar obtenu par Juliette Binoche pour son rôle dans Le Patient anglais d’Anthony Minghella dessine alors l’autre voie pos-sible : tourner des films européens aux États-Unis. Adaptation d’un roman sri-lanko-canadien, réalisé par un metteur en scène marqué par Shakespeare, le film est une incarnation européenne d’Hollywood, qui utilise l’actrice française comme une valeur sup-plémentaire. Reste Marion Cotillard. C’est peut-être parce qu’elle a interprété l’incarnation de la France dans le monde qu’elle a si bien su se dégager de son statut de French girl, son Oscar l’ayant comme naturalisée. et si nos actrices avaient désormais notre cinéma en main ?

Fantasme romantique autant que gage de crédibilité, l’actrice française est devenue une figure du cinéma américain, celle que l’on invite dans un casting pour y insuffler un peu d’exotisme européen. Petit manuel de l’expatriation réussie._Par Renan Cros

aCTrICES À LA BAGueTTeMélanie Laurent, amazone de Tarantino dans Inglourious Basterds

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Extraits du documentaire Women Are Heroes de JR

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Cent mille dollars : JR s’est fait remettre une val ise de bi l lets ver ts un 19 octobre 2010. Il est bien embêté. Qu’est-ce qu’on peut bien faire de tout ce pognon ? L’artiste a toujours

clamé et revendiqué son indépendance financière : ni sponsor, ni mécénat et encore moins d’accoin-tances avec les publicitaires. Il a dû se frotter les yeux, vieux de vingt-sept ans et cachés derrière ses lourdes lunettes de soleil, enlever son éternel petit chapeau, et se gratter une fine barbe. Cette panoplie qui préserve son anonymat vient de lui

permettre d’afficher des portraits géants sur des bâtiments chinois. Un joli tour en équipe réduite – c’était le seul moyen de coller à la barbe des policiers de là-bas. Mais franchement, 100 000 dol-lars ? Comment fait-on pour passer inaperçu avec 100 000 dollars ? Comme d’habitude entouré de son équipe soudée autour de ses bons coups, il s’est sûrement senti comme un éléphant dans un maga-sin de porcelaine. Du coup, il a pensé à Banksy.

ÇA TROMPE ÉNORMÉMENTL’éléphant de Banksy avait barri la fin de l’âge d’or du street art, c’est-à-dire avant qu’il ne fasse son entrée dans les galeries. C’était en septembre 2006 et le Britannique, maître incontesté de l’art illégal en plein air, révéré de tous comme JR, s’enfermait dans une salle d’exposition de Los Angeles. Le clou du spectacle, c’était un pachyderme se baladant dans un salon, camouflé par un motif de papier peint. Top. Las, la hype hollywoodienne, Angelina Jolie en tête, s’est pressée pour faire main basse sur les œuvres en vente. Ce qui devait être un happening pied de

nez au mammouth consumériste fut le cimetière d’un art débridé, en dehors des circuits. Banksy crée un précédent en mettant un prix sur la création sans cimaise. La bulle du street art enfle comme un bubon. Heureusement, la crise économique de 2009 fait retomber le soufflé. Banksy s’excuse brillamment avec un docu bidonné qui interroge la vacuité du marché du street art : Faites le mur ! Le titre original, Exit Through the Gift Shop (« la sortie se fait par le magasin »), résume mieux la difficulté du street art à conserver sa légitimité quand il baigne dans les gros sous. excuses acceptées.

SANS TAMBOUR NI TROMPEJR ne veut pas avoir à s’excuser de son voyage aux États-Unis, alors il ne fait pas de bêtises. Lui aussi a fait un film, Women Are Heroes, sans passer sous les fourches caudines du mécénat tous azimuts. « La ques-tion du financement est extrêmement importante. ce film, vous l’avez vu sans logo, quand Océans [de Jacques Perrin et Jacques Cluzaud, ndlr] s’est fait avec Total, et Home [de Yann Arthus-Bertrand, ndlr] affiche un paquet de logos. ces paradoxes ne choquent personne. Pour Women Are Heroes, un des coproducteurs s’est retiré du film, on a perdu la moitié du budget. on était menacés de mettre la clé sous la porte, sauf à signer avec une marque de cosmé-tique qui ne demandait rien d’autre qu’être créditée sur le générique de fin. c’était impossible. Je n’avais pas fait tout ça pour voir le film présenté par une marque de shampoing. Même si ça ne changeait rien au film. on était au bord du gouffre. Et c’est à ce moment-là que j’ai été sélectionné à cannes : c’est le festival qui a sauvé le film. M’être testé au bord du précipice m’a rendu complètement serein. »

« M’êTRE TESTÉ AU BoRD DU PRÉciPicE M’A RENDU coMPLèTEMENT SEREiN. » JR

Avec ses initiales à la dallas, on pourrait le croire oncle américain du street art. Mais l’affichiste JR est un « artiviste » français qui placarde sans invitation

des portraits miroirs aux quatre coins du monde, des rues de Clichy-sous-bois à celles du Moyen-Orient, des favelas de Rio aux bidonvilles du Kenya.

Tout frais lauréat du prestigieux prix TEd, et à l’heure où sort son documentaire Women Are Heroes, il jette son œil aux états-Unis, où le street art

vit une gueule de bois au lendemain de sa marchandisation._Par étienne Rouillon

INVeNDU

Extraits du documentaire Women Are Heroes de JR

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Au point d’accepter le prix de 100 000 dollars de la conférence TeD pour financer un projet humaniste qu’il présentera en mars. Contrairement aux habitudes de la maison TeD, aucune marque n’y sera associée. TeD, c’est un peu les Oscars de la philanthropie, récompensant des esprits brillants venus présenter des projets qui peuvent changer le monde. Des Bruce Willis au chevet de la pla-nète. Les précédents lauréats sont Bill Clinton ou Bono. « Le prix TED, ils ne l’ont jamais donné à un Français, ni à un mec de moins de trente ans. ce qui est intéressant, c’est qu’ils le donnent moins pour le projet en soi que pour son impact. » Ils ne se sont pas trompés. JR fait de l’affichage éphémère, mais sa résonnance est durable, sans gloriole de sa part. « Au Brésil, la favela Morro Da Providência a énormément changé depuis le projet Women Are Heroes. ils ont dégagé les trafiquants, mis des flics de choc. ça a permis aux taxis de remonter, à la préfecture de faire des travaux. on a rendu médiatiques des endroits que l’on ne voyait pas. » JR et ses amis ont ouvert un petit centre artistique dans ce quartier, l’un des plus violents de Rio. Une grosse boîte lui propose alors de financer la construction d’un complexe culturel dantesque. Jamais de la vie.

TROMPE-L’œIL« JR », ça a des allures de logo mais les initiales ne deviendront jamais une marque. Lors d’une conférence à Sciences-Po en novembre der-nier, il annonce qu’on ne verra jamais les pupilles de ses modèles affi-chées sur des mugs ou des porte-clés. D’autres street artists ne se sont pas gênés, comme Shepard Fairey, respecté par l’underground pour ses posters obey Giant, et connu par le grand public pour l’affiche bicolore de la campagne d’Obama, Hope. « Dans le film de Banksy, tu ne sais plus pourquoi Fairey est là : c’est une promo pour sa marque de fringues, ou un projet artistique, ou les deux ? Les Français sont naturellement méfiants vis-à-vis des marques ; l’approche américaine, très self-made man, est plus décomplexée. ceci dit, Shepard a peut-être moins de problèmes avec le marketing parce qu’il travaille à partir de symboles, alors que j’implique de vrais visages, de vraies histoires. » Cet hiver, JR va raconter celle de « vieux Mexicains deve-nus complètement américains. ça va être passionnant. Des rides qui envahissent Los Angeles ». Un cauchemar pour la ville qui refuse de vieillir. Avec ses lignes de défense, JR n’a rien d’un éléphant.

Women Are Heroes - Un documentaire de jR // distribution : Rezo Films // France, 2010, 1h25 // Sortie le 12 janvier

Faites le mur ! - Un documentaire de banksy // distribution : Le Pacte // états-Unis-Grande-bretagne, 2010, 1h26 // Sortie le 15 décembre

JR, TêTE D’AffIChES

Dans la foulée de celui qu’il dédie à Sofia Coppola (lire pages 10 et 82), Trois Couleurs consacre son quatrième hors-série à JR. À l’occasion de la sortie du film Women Are Heroes, mais aussi de l’obtention par JR du prix TED 2011, ce numéro collector prend du recul sur le travail de l’affichiste et photographe français, afin d’en saisir toutes les facettes. Des analyses signées François Hébel (directeur des Rencontres d’Arles) ou Sam Stourdzé (directeur du musée de l’Élysée à Lausanne) côtoient une interview de l’artiste et de ses proches collaborateurs, une étude de son rapport aux marques et à la musique, une enquête sur la communauté TED ou encore une généalogie du street art. Un long portfolio offrira un regard panoramique sur ses projets certes éphémères mais à l’impact durable, de ses débuts en 2001 en région parisienne (Portrait d’une génération) à son installation événement au Moyen-Orient (Face2Face), en passant par ses pérégrinations récentes en Inde, au Brésil, au Kenya ou en Chine : 132 pages pour ouvrir l’œil sur celui qui n’en manque pas.

_A.T.

En kiosques le 29 décembre, 6,90 €, édition bilingue.

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Extrait de Faites le mur ! de Banksy

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La SaISoN dES

AMOURSéric Rohmer nous quittait dans les premiers jours de  2010, laissant pour héritage ses Contes des quatre saisons, superbe variation climatique sur les différents temps de la passion. Cet hiver, comme pour clore l’année dans un hommage au cinéaste, une pluie de films prend le pouls des rapports amoureux. d’Another Year à Rendez-vous l’été prochain, d’Angèle et Tony à Mardi après Noël, petit précis de météorologie sentimentale.

_ Par Clémentine Gallot, Laura Pertuy, juliette Reitzer, Auréliano Tonet et Laura Tuillier

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Angèle et Tony d’Alix Delaporte

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102 DOSSIER /// LES QUATRE SAISONS dU COUPLE AU CINéMA

Grand film de 2010, sorti au printemps, copie conforme tranchait avec le reste de la filmographie de son auteur : pour la première fois, Abbas Kiarostami faisait du couple le sujet

principal de son film, évoquant, dans une ronde ver-tigineuse d’échos et de reflets, les quatre âges de la passion. Lui aussi sélectionné à Cannes en mai der-nier, Mike Leigh épouse dans Another Year une struc-ture climatique plus explicite encore, chaque cha-pitre du film correspondant à une saison. Après une embardée dans la vie d’une trentenaire sémillante (Be Happy), l’Anglais livre ici un imagier harmonieux du troisième âge. Couple pavillonnaire modèle, Tom

et Gerry (il faut oser) sont le point de repère autour duquel s’accrochent les célibataires plus ou moins avinés de leur entourage. Douchée par une impla-cable English summer rain, la scène d’ouverture résume le beau propos du film : exposer les misères inavouables de l’existence tout en les transcen-dant par le récit. À la manière de Printemps, été, automne, hiver... et printemps du Coréen Kim Ki-duk, Mike Leigh scrute les fléchissements et certitudes de caractères parfois trop exemplaires, figures d’un émouvant éloge de la correction.

PRINTEMPSAutre célébration de l’amour courtois, De vrais men-songes de Pierre Salvadori entrecroise jeunesse et

maturité avec la même vitalité sous les traits d’Audrey Tautou et de Nathalie Baye. Reprenant les motifs clés de son maître ernst Lubitsch (faux-semblants, mises en abyme), le cinéaste observe le lent bourgeonne-ment d’un amour sur les bords de la Méditerranée. Un beau matin de printemps, Émilie, belle plante en robe légère et rouge à lèvres fuchsia, reçoit une lettre passionnée mais anonyme. C’est Jean (Sami Bouajila), son employé timide et fleur bleue, qui en est l’expéditeur. Mais la jeune femme l’ignore, froisse la missive avec mépris avant de s’illuminer, séduite par une idée farfelue : elle adresse le courrier à sa mère pour semer quelques graines d’espoir dans son cœur, fané par un récent chagrin d’amour…

S’ensuit une abondante brassée de quiproquos et de trahisons, exacerbés par les premières chaleurs. La trame épistolaire, loin d’être figée sur papier, révèle un plaisir gourmand pour les bons mots : l’amour selon Salvadori est une déambulation précise et exigeante, où la recherche du juste sentiment se frotte aux vilains mensonges de la séduction. C’est une autre côte, celle de la Manche, qui abrite les amours d’Angèle et Tony, premier long métrage d’Alix Delaporte. Accroché aux falaises d’un petit vil-lage normand, le film met à jour l’éveil amoureux de deux écorchés solitaires, dans un développement semblable à celui qui règle le passage des saisons : les cœurs endurcis fondent peu à peu pour laisser germer la tendresse et l’affection. Tout commence

DANS ANoTHER YEAR, CHAQUe CHAPITRe DU FILM CORReSPOND À UNe SAISON.

Holiday

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LES QUATRE SAISONS dU COUPLE AU CINéMA /// DOSSIER 103

par un accouplement glacial : une jeune femme se donne, brutalement, en échange d’un jouet qu’elle souhaite offrir à un petit garçon – son fils, qu’elle n’a pas vu depuis plusieurs années. Coupe garçonne et dégaine rebelle, Angèle (Clotilde Hesme) porte sur ses frêles épaules le poids d’un lourd passé, mais n’a qu’un but : se construire une vie stable pour obtenir la garde de son bambin. Une petite annonce met sur son chemin Tony, un marin pêcheur bourru et bien en chair (Grégory Gadebois), proie idéale pour la jeune femme. Sauf que Tony se méfie : il ne peut croire qu’elle est là pour lui, cherche les preuves d’un amour sincère. La résolution sera éprouvante pour tous deux, et d’une émotion rare à l’écran :

pour la fête du village, sous les pâles rayons d’un soleil printanier, Angèle décore de fleurs en papier le bateau de Tony, ravi de pouvoir enfin cueillir sa belle.

ÉTÉLes amours installées sont les plus volatiles. Dans l’orageux Everyone Else, un couple épanoui de vacanciers se met à douter. Au gré de leur périple estival, Chris, architecte, et Gitti, attachée de presse, se trouvent déstabilisés par la rencontre d’autres couples repoussoirs, respectables et installés. De ces prémices bien minces, la jeune cinéaste Maren Ade tire une réflexion rayonnante sur le passage à l’âge adulte. La lumière crue de la Sardaigne dépouille de ses oripeaux cette relation menacée

par l’épuisement du désir et l’affaiblissement des sentiments. Un joli tour de force pour la réalisatrice de 33 ans, qui raconte : « Je voulais filmer une histoire d’amour où les règles de base n’ont pas encore été fixées, où l’on a encore peur de se dévoiler complètement. J’étais intriguée par l’entité unique que forment deux personnes qui débutent une relation amoureuse, avec ce mélange chaotique de désirs, secrets, interrogations, rituels et prises de pouvoir. » Sortis de leur environnement, Chris et Gitti évoluent dans un temps qui semble suspendu. « Je n’avais pas envie de les saisir dans leur quo-tidien. En vacances, on est à ce point isolé qu’on ne peut échapper à l’autre. c’est un défi. » Dans

Everyone Else, le pouvoir au sein du couple est sans cesse redéfini, comme dans voyage en italie de Roberto Rossellini et Scènes de la vie conjugale d’Ingmar Bergman, dont la réalisatrice allemande a fait ses lointains parents. Le film culmine dans une scène de randonnée en montagne, test sym-bolique d’une union qui semble se dissoudre pour, peut-être, mieux se solidifier ensuite.

AUTOMNEÀ la Toussaint, les amours mortes se ramassent à la pelle. La démonstration par l’absurde de la fin du couple donne le décalé Holiday de Guillaume Nicloux, tandis que Le Sentiment de la chair de Roberto Garzelli en explore le versant crépusculaire

« EN vAcANcES, oN EST à cE PoiNT iSoLÉ QU’oN NE PEUT ÉcHAPPER à L’AUTRE. » Maren Ade

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et tragique. Dans Holiday, Jean-Pierre Daroussin est Michel Trémois, dentiste marié à la frigide Nadine Trémois (Judith Godrèche). Partis en week-end au château de Mercuès dans l’espoir de ressus-citer leur sexualité, le couple fait une suite de ren-contres libidineuses qui le mène à l’explosion, non sans que Nadine ait d’abord connu la petite mort sous les caresses d’un gynécologue endeuillé. Les chambres de l’hôtel sont peuplées de figures de la conjugalité en état plus ou moins avancé de pourris-sement : sadomaso nymphomane, ancien maque reconverti en peintre de nus, grande tige arrimée à un nain partouzard, travesti star d’opéra, autant de freaks entraînés dans un délirant cache-cache

nuptial, scandé par le meurtre de l’un d’entre eux. Comédie halloweenesque, Holiday trompette que les couples ne se séparent que pour mieux se refor-mer, selon des jeux de l’amour et du bizarre. Les amoureux fous du Sentiment de la chair se laissent quant à eux glisser sur la pente d’une passion litté-ralement dévorante. Partageant le même enthou-siasme pour l’anatomie humaine, Héléna et Benoît font de l’exploration de leurs corps le centre d’un amour rapidement abattu par leurs fantasmes mor-bides. Saisissante et sanguinolente, la scène finale laisse les amants pour morts. Dans des registres radicalement différents, Holiday et Le Sentiment de la chair font du couple un monstre à deux têtes

qui, l’automne arrivé, s’essouffle et se déchire alors même que l’hiver s’annonce rude.

HIVERAvec Poupoupidou, Gérald Hustache-Mathieu, réa-lisateur du printanier Avril, chaperonne l’enquête d’un romancier en mal d’inspiration (Jean-Paul Rouve) sur la mort de Candice (Sophie Quinton), starlette locale retrouvée sans vie dans les terres enneigées de Franche-Comté. L’action se situe à Mouthe, la ville la plus froide de France, comme si était déjà esquissée l’impossibilité du bonheur conjugal, image d’Épinal déréglée par le thermo-mètre amoureux. Comme dans la très belle Aventure

de Mme Muir de Joseph L. Mankiewicz, le film tra-vaille les contours anachroniques d’une histoire fantasmée entre un vivant et une défunte dont les amours pré mortem ont givré les idéaux. L’héroïne décédée, ainsi ressuscitée par Hustache-Mathieu, appelle une avalanche de références à Twin Peaks de David Lynch ou à Laura d’Otto Preminger, dont les fantômes ressurgissent en un ballet macabre. Fiction d’intérieur, Mardi après Noël explore les impasses d’un triangle amoureux, dans un Bucarest engourdi par le froid. « il s’agit d’un homme qui aime deux femmes, un choix impossible », résume le réalisateur, Radu Muntean. Désamorçant l’hystérie propre à son sujet, le film dérive dans l’attente de sa résolution,

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106 DOSSIER /// LES QUATRE SAISONS dU COUPLE AU CINéMA

la date butoir du titre à laquelle le héros, Paul, doit quitter sa femme et sa fille pour rejoindre sa maîtresse, Raluca. La simplicité de ce dilemme fait oublier la préparation minutieuse de ses longs plans séquences chorégraphiés, garants d’un réalisme sensible. « Le cinéma est une expérience, précise le cinéaste roumain. Je voulais être le moins intrusif possible, le plus discret. La caméra reste fixe, elle observe ; le spectateur peut alors inventer sa propre histoire. » Ce dispositif minimaliste, jamais poseur, se double d’un regard objectif, sans psychologie ni jugement, où « chaque per-sonnage possède sa vérité ». Par accumulation de détails quoti-diens, le film nous immerge au cœur de la crise conjugale. Sans s’attarder sur ses raisons, qui, après tout, importent peu, il enre-gistre le gel d’une famille à mesure qu’une autre éclot. Le feu sous la glace : voilà ce qui couve, de même, les deux New-Yorkais dysfonctionnels de l’élégante première réalisation du comédien Philip Seymour Hoffman. Narrant leurs amours naissantes et tré-buchantes en plein hiver, Rendez-vous l’été prochain tient la pro-messe de son titre, celle d’un épanouissement conjugal, une fois l’été venu. « Une histoire n’a d’intérêt que dans la reproduction, la répétition », nous disait Abbas Kiarostami en début d’année. Le drame amoureux, immuable sujet cinématographique, tire ainsi sa beauté d’un éternel recommencement, saison après saison.

Another Year de Mike Leigh // Avec jim broadbent, Lesley Manville… // distribution : diaphana // Angleterre, 2010, 2h09 // Sortie le 22 décembre

De vrais mensonges de Pierre Salvadori // Avec Audrey Tautou, Sami bouajila… // distribution : Pathé // France, 2009, 1h45 // Sortie le 8 décembre

Angèle et Tony d’Alix delaporte // Avec Clothilde Hesme, Grégory Gadebois… // distribution : Pyramide // France, 2010, 1h27 // Sortie le 26 janvier

Everyone Else de Maren Ade // Avec birgit Minichmayr, Lars Eidinger… // distribution : Why Not // Allemagne, 2008, 1h59 // Sortie le 8 décembre

Holiday de Guillaume Nicloux // Avec jean-Pierre daroussin, judith Godrèche… // distribution : MK2 diffusion // France, 2010, 1h30 // Sortie le 8 décembre

Le Sentiment de la chair de Roberto Garzelli // Avec Annabelle Hettman, Thibault vinçon… // distribution : Zelig // France, 2010, 1h31 // Sortie le 29 décembre

Poupoupidou de Gérard Hustache-Mathieu // Avec jean-Paul Rouve, Sophie Quinton… // distribution : diaphana // France, 2010, 1h42 // Sortie le 12 janvier

Mardi après Noël de Radu Muntean // Avec Mimi branescu, Mirela Oprisor… // distribution : Shellac // Roumanie, 2009, 1h39 // Sortie le 8 décembre

Rendez-vous l’été prochain de Philip Seymour Hoffman // Avec Philip Seymour Hoffman, Amy Ryan… // distribution : Le Pacte // états-Unis, 2010, 1h31 // Sortie le 29 décembre

DE vRAiS MENSoNGES OBSeRVe Le LeNT BOURGeON-NeMeNT D’UN AMOUR SUR LeS BORDS De LA MÉDITeRRANÉe.

TRUffAUT-GODARD : L’AMOUR EN fUITE

Mêlant images d’archives, interviews d’époque et extraits de films, Antoine de Baecque (historien et ancien rédacteur en chef des Cahiers du cinéma) signe un documentaire nostalgique qui raconte la Nouvelle vague à travers l’histoire « d’amour et de cinéma » de François Truffaut et Jean-Luc Godard. Deux cinéastes, grands metteurs en scène du couple (Domicile conjugal, Le Mépris), que le goût de l’absolu mène à  la rupture, laissant entre eux un enfant malheureux, déchiré : Jean-Pierre Léaud. « Godard envoie une lettre à Léaud qu’il a la perversité de faire passer par Truffaut, sachant pertinemment qu’il va la lire. On se croirait dans une nouvelle de Madame de Lafayette », raconte Antoine de Baecque. Godard reproche à Truffaut son manque de radicalité (tant politique qu’esthétique), le second condamne l’attitude provocante du premier, sa mauvaise foi. « Truffaut écrit la lettre de rupture en juin 1973, magnifique lettre de dépit amoureux. » Lorsque la voix off, mélancolique, reprend les mots que Truffaut adresse à Godard en guise d’adieux, cela ressemble à s’y méprendre à un film de la Nouvelle vague.

_L.T.

Deux de la vague // Un film d’Emmanuel Laurent, écrit par Antoine de Baecque // Documentaire // Distribution : Les Films du paradoxe // France, 2009, 1h30 // Sortie le 12 janvier

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108 DOSSIER /// LES QUATRE SAISONS dU COUPLE AU CINéMA

Acteur et réalisateur : « Ce n’est pas évi-dent d’être à la fois devant et derrière la caméra. La partie de votre cerveau que vous utilisez pour jouer et pour mettre en scène n’est pas la même. Pendant

le tournage, j’étais tellement pris par la réalisation que lorsque je devais jouer mes scènes, je traînais les pieds. Si je réalise un jour un autre film, je me donnerai un plus petit rôle. Évidemment, je pense avoir été influencé par tous les réalisateurs avec lesquels j’ai travaillé en tant qu’acteur, ainsi que par l’un de mes maîtres, John Cassavetes. Mais au moment de tourner, j’ai laissé tout ça derrière moi. »

Théâtre et cinéma : « L’enjeu était de transformer la pièce originale – dans laquelle j’avais joué – en objet cinématographique, sans perdre son essence. Les conventions du théâtre et du cinéma ne sont pas les mêmes, elles sont faites pour être détournées. Au départ, nous avons retranscrit la pièce sans presque rien changer. À partir de là, j’ai commencé à développer certains thèmes et personnages qui s’accordaient particulièrement bien avec le cinéma. »

Comédie et tragédie : « Bien que le film s’appelle en anglais Jack Goes Boating, ce n’est pas vraiment l’itinéraire de Jack que l’on suit. Je voulais davantage me centrer sur le personnage de Clyde : cet homme si innocent, qui essaye d’aider son ami Jack à trou-ver l’amour, détruit, ce faisant, son propre mariage. La tragédie se noue entre quatre personnages qui pourtant, pris séparément, sont plutôt drôles. C’est ce mélange des genres qui m’intéressait, cette nais-sance du drame à travers des actes positifs. »

Amour et amitié : « Connie et Jack apprennent à s’aimer en imitant leurs amis, Lucy et Clyde, qui sont plus installés et leur prêtent leur appartement pour leurs rendez-vous. Jack doit gagner en estime per-sonnelle pour séduire Connie, il apprend à nager et à cuisiner pour l’impressionner, d’autant qu’il se rend compte que Clyde compromet son mariage parce qu’il n’est pas sûr de lui. Lorsque Lucy et Clyde se déchirent, Connie et Jack découvrent que pour s’engager sentimentalement, il faut partager ses peines. Le jeu en vaut la chandelle : c’est le message du premier couple au second. Les deux couples se réfléchissent ainsi. »

Pour sa première réalisation, le comédien PHILIP SEYMOUR HOFFMAN (Truman Capote, Magnolia) signe un film joliment dual, Rendez-vous l’été prochain, l’histoire d’un chassé-croisé amoureux sous la neige de New York, en attendant les beaux jours. Entretien binaire avec un grand timide, et ses doubles._Propos recueillis par Auréliano Tonet

DeUX à DOs Philip Seymour Hoffman dans Rendez-vous l’été prochain

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110 DOSSIER /// LES QUATRE SAISONS dU COUPLE AU CINéMA

La carte de l’amour fou est jouée avec brio dans un docu-fiction hybride, La Bocca del Lupo, sur un duo atypique réuni dans une ville symbole de leur passion. Pli simi-laire dans Bad Lieutenant…, où McDonagh

et La Nouvelle-Orléans forment un couple damné et poisseux, poursuivi par la mauvaise fortune. Dans la famille des fictions incandescentes, Bright Star (Jane Campion) mise sur le récit des amours tragiques du poète anglais Keats et de Fanny Brawne. Stylisation romantique également pour Les Amours imaginaires du jeune Xavier Dolan, qui met toute sa cinéphilie sur le tapis et remporte le jackpot de la sémiotique amou-reuse. Tandis que copie conforme rejoue en trompe-l’œil l’histoire d’un couple, et que carlos emmène le sien sur des terres inexplorées (TV, cinéma ?), cyrus des frères Duplass révèle un brelan incestueux mené par l’immense John C. Reilly. D’autres frangins, Josh et Benny Safdie, se souviennent avec émotion de leur enfance ballotée sur les carreaux d’un divorce (Lenny and the Kids), non loin du chantier familial d’Alamar (Pedro González-Rubio). oncle Boonmee…, Palme d’or méritée, et The Ghostwriter, brillant retour de Roman Polanski, font valser des fantômes. Le spectre d’une défunte hante également Leonardo DiCaprio dans le paranoïaque Shutter island (Martin Scorsese)

et l’onirique inception, où Christopher Nolan déploie une inventivité graphique et sonore vertigineuse. Dans Happy Few (Antony Cordier), un trèfle de quatre tren-tenaires est tenté par l’utopie amoureuse, alors que la reine de pique Rebecca Zlotowski fait retentir dans Belle Épine une éducation sentimentale endeuillée. Même absence d’artifices dans vénus Noire d’Ab-dellatif Kechiche, âpre plongée au cœur de l’horreur du spectacle, et triste constat de la raréfaction de l’amour dans le regard des hommes. Plus légers, crazy Night (Shawn Levy) distribue une comédie du rema-riage aux confins du stoner movie, quand Potiche (François Ozon) mélange avec maestria guerre des sexes, des âges et des classes. Bonne pioche pour la tragédie geek The Social Network, dont les coups de poker amicaux empruntent grandement à l’imagerie conjugale, tandis que Greenberg (Noah Baumbach) conte la convalescence amoureuse d’un aliéné. Si, dans La Reine des pommes, le visage omniprésent d’un ancien amant s’efface à mesure que s’accumulent les conquêtes, le Fantastic Mr. Fox fuit quant à lui le terrier d’amour à la recherche de nouveaux lieux de chasse, pour se rendre compte que le bonheur est dans le couple. Au petit jeu du top annuel, la rédaction opte pour une suite royale placée sous le signe du cœur.

Cette année, les réalisateurs ont parié sur un sujet vieux comme le cinéma : l’histoire d’amour. de Copie conforme à Inception, les coups de cœur de la rédaction dessinent une carte du Tendre où le film de couple est roi._Par la rédaction

2010, aNNÉE paIRE

TEN ON TEN1) Copie conforme d’Abbas Kiarostami 2) La Bocca del Lupo de Pietro Marcello 3) Bad Lieutenant : escale à La Nouvelle-Orléans de Werner Herzog 4) Les Amours imaginaires de Xavier Dolan 5) Oncle Boonmee (celui qui se souvient de ses vies antérieures) d’Apichatpong Weerasathekul 6) Lenny and the Kids de Josh et Benny Safdie 7) Fantastic Mr. Fox de Wes Anderson 8) La Reine des pommes de Valérie Donzelli 9) The Social Network de David Fincher 10) Inception de Christopher Nolan // Bonus : Carlos d’Olivier Assayas

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ÉbaTs, DÉbaTs, Cabas : La CuLTuRE DE CHaMbRE a TROuVÉ sON aNTRE

LE

BOUDOIRLeS HISTOIReS D’OLIVIeR SCHRAUWeN ReLÈVeNT AUTANT De LA GRAVURe ANTIQUe QUe De LA LIGNe CLAIRe, De

L’ABSURDe SURRÉALISTe QUe DU POÈMe INTIMe.P.120

DVD-THÈQUEROCKSTEADY : aux sources du reggae

CD-THÈQUEBELLE & SEBASTIAN, CLINIC, BADLY DAWN BOY : UK chorale

BIBLIOTHÈQUELes nuits de la pleine lune d’HARUKI MURAKAMI

BD-THÈQUELes trucs et astuces d’OLIVIER SCHRAUWEN

LUDOTHÈQUEEPIC MICKEY : une souris au pays des merveilles

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Les racines de la musique roots contées par ses jar-diniers, dans les parcs cramés du soleil jamaïcain. La légende veut que ce soit ce plomb des chauds étés qui ait poussé les musiciens de ska à ralentir le rythme et gommer quelques cuivres pour pouvoir danser jusqu’au matin : en 1966, Hopeton Lewis enregistre Take it Easy, le rocksteady est joué. Dans quelque temps, le bulldozer reggae va ensevelir ces bases fertiles non sans les avoir intégrées : batterie « one drop », prééminence de la basse et surtout les plus belles gorges de l’île devant des micros tour à tour lascifs et vindicatifs.Rocksteady : The Roots of Reggae rassemble cette crème que l’on a tartinée sur les pâtes de vinyle. U-Roy, Ken Boothe, Marcia Griffiths, DJs et pianistes, le social club de Kingston n’a rien à envier à ses cousins cubains du Buena Vista. Tempes grisées et gouaille de toaster, le chanteur Stranger Cole est le narrateur de leurs retrouvailles, en 2009, pour les répétitions d’une tour-née internationale et l’enregistrement d’un album des plus gros succès de l’époque. De Silent River par Judy Mowatt à People Rocksteady par Leroy Sibbles, quarante ans après leur enregistrement ini-tial, les morceaux n’ont pas pris une ride, contraire-ment à leurs interprètes qui n’en restent pas moins

étonnamment vaillants, vieilles branches ragaillar-dies par ce retour aux sources. Les papys du rock-steady se poilent comme des gosses en racontant leurs frasques d’antan, tombent le jacquard pour

esquisser trois pas de danse et nous bala-dent en fredonnant dans les lieux fonda-teurs de la musique jamaïcaine. L’occasion d’aller encourager les jeunes pousses de l’école de musique, où les générations se succèdent, se passant les instruments en guise de flambeau.

en sus de ces bulles mélomanes, séances de studio et concert final, le film déterre les sou-venirs pour tisser une histoire musicale étroi-tement liée à celle, politique et sociale, de la Jamaïque. Optimisme postindépendance, ferveur religieuse, migration des jeunes des

campagnes vers la capitale, chômage et apparition des rude boys forment ainsi la sève du rocksteady puis du reggae, qui germent dans les quartiers pauvres de Kingston et sèment vite un même engouement au creux des oreilles locales, comme en europe ou aux États-Unis. Historique mais sans nostalgie, ce docu-mentaire est le tuteur de fleurs méconnues qui ne se sont pas flétries. Une invitation à rattraper le retard. Ready, rocksteady, go.

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ROCK & ROuLEStranger Cole

LES RIFFS SANS RIFIFI DE RoCKSTEADY : THE RooTS oF REggAE

Le temps n’a pas de prise sur les virtuoses de la gratte à contre-temps. dans les volutes de l’herbe, des papys bien verts racontent : il était une voix avant le reggae de Marley, celle du rocksteady._Par juliette Reitzer et étienne Rouillon

Rocksteady : The Roots of Reggae de Stascha bader (MK2 éditions)

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IDÉES CADEAUXPOUR VOUS, POUR PASSER L’HIvER AU CHAUd

POUR VOTRE PETITE SœUR CURIEUSE

POUR VOTRE GRAND-PÈRE GAILLARd

DIAPHANA, 20 ANS (diaphana, coffret de 80 dvd)

Pour fêter ses deux décennies, le distributeur indépendant Diaphana édite un somptueux coffret de 80 films tirés de son catalogue. Au milieu d’œuvres multirécompensées (Ken Loach, les frères Dardenne) et de reflets d’une époque (Marius et Jeannette, La vie rêvée des anges), on découvre quelques pépites hélas restées confidentielles (Sombre de Philippe Grandrieux). Le documentaire côtoie la fiction, Lee Chang-Dong est entouré de Todd Haynes et de Marjane Satrapi, Wallace et Gromit suivent David Lynch (Eraserhead). Vingt ans de coups de cœur audacieux, avec comme seule règle celle d’aimer et de faire aimer les films. Le dernier (le magistral Mother de Bong Joon-Ho) nous fait conclure : pourvu que ça dure.

_L.T.

LES PETITS RUISSEAUX de Pascal Rabaté (Ad vitam)

Après le décès de son camarade de pêche, peintre hilarant de nus en 3D, Émile (Daniel Prévost) se retrouve confronté à lui-même. Retraité et veuf, il prend la tangente au cours d’un rocambolesque

road trip campagnard. Ses aventures le mènent vers des terres balisées par la jeunesse, dont il découvre les codes avec humour et bienveillance. Jolie variation sur les délices ignorés du vieil âge, Les Petits Ruisseaux propose une échappée bien-venue au naturalisme rafraichissant, bien loin des poncifs crépusculaires en vigueur. Un vrai bain de jouvence._L.P.

JEAN-LUC goDARD – FICTIoN (Gaumont, coffret 10 dvd)

Dix DVD inédits en France, dix films retra-çant le parcours du réalisateur des années

1960 (Bande à part) aux années 2000 (conversa-tion avec JLG) et ainsi le passage de la Nouvelle Vague à une quête de vérité plus solitaire et pessi-miste. L’exploration des terres godardiennes se fait avec pour unique boussole la voix hantée du réali-sateur (JLG/JLG) : des rives de la fiction (Weekend, Une femme mariée) aux zones marécageuses (et parfois obscures) de l’essai cinématographique (Soigne ta droite), ce voyage aux frontières du septième art ne laissera aucun cinéphile indemne. Un coffret politique suivra en 2011, pour ceux qui voudraient poursuivre la traversée, en compagnie du cinéaste le plus énigmatique de sa génération. _L.T.

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Rien de tel qu’un bel arrivage de pop délicate pour aider les mélomanes transis à passer l’hiver. Cette année, le calendrier faisant bien les choses, sont récemment apparus trois albums qui remettent le songwriting d’outre-Manche à l’honneur. Le premier est l’œuvre de Belle and Sebastian et se nomme Write About Love, ce qui ne surprend guère de la part de ces incurables romantiques. en activité depuis le milieu des années 1990, les Écossais, jamais avares en refrains attrape-cœur, ont fait preuve à leurs débuts – en particulier dans les albums Tigermilk et if You’re Feeling Sinister, tous deux en 1996 – d’un talent si étincelant que beau-coup ont alors vu en eux les nouveaux princes de la pop, capables de reprendre le sceptre des Smiths, Orange Juice et autres Pale Fountains. Pourtant, au fil des ans, la source s’est tarie et l’enthousiasme des fans s’est refroidi. Gageons que Write About Love, succédant à The Life Pursuit (2006), devrait renverser la vapeur et raviver quelques ardeurs. Sans renouer tout à fait avec leurs années de grâce, qui semblent bel et bien derrière, Stuart Murdoch et ses comparses signent un album de belle facture, aux mélodies entêtantes et aux fines enluminures.

Autre ex-grand espoir de la pop britannique, venu de Manchester, Badly Drawn Boy effectue lui aussi son retour en cette fin d’année avec un nouvel album au contenu heureusement moins poussif que son titre, it’s What i’m Thinking (Part one : Photographing Snowflakes). Annoncé comme le premier segment d’une trilogie char-gée de faire oublier une crise d’inspiration longue de

plusieurs années, ce disque empreint d’une fragile sérénité affiche dix morceaux limpides, irrigués par le folk autant que la pop, auxquels l’auditeur vient s’abreuver avec bonheur. « i’m ready to be in love again », chante-t-il sur le tourbillonnant Too Many Miracles. On te croit sur parole, Damon.

enfin, quatre turbulents garçons de Liverpool – non, pas ceux que vous croyez – participent

à la surprise générale à ce mouvement pop, en opé-rant dans leur dernier album un virage affirmé. Dans le bien nommé Bubblegum, Clinic laisse ainsi (provisoi-rement ?) de côté son bruyant attirail de garnements psyché-garage. Ade Blackburn et sa bande semblent avoir découvert qu’il n’est pas toujours indispensable d’asticoter les mélodies à grands coups de larsens et de pédales d’effets. À l’évidence, le résultat de cette découverte les met en joie. et il y a de quoi.

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UK CHORaLEBelle and Sebastian

LES JOYEUX DE LA COURONNE

La pop britannique ouvragée n’en finit pas de renaître et d’éblouir. Cet hiver, BELLE AND SEBASTIAN, BADLY DRAWN BOY et CLINIC, trois vieilles gloires du genre, jouent les revenants convaincants. Pop is not dead._Par jérôme Provençal

Write About Love de belle and Sebastian (Matador / beggars)

It’s What I’m Thinking (Part One : Photographing Snowflakes) de badly drawn boy (Edel / Wagram)Bubblegum de Clinic (domino / Pias)

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TROIS IDÉES CADEAUXPOUR VOTRE SœUR QUI S’EST MISE À LA CAPOEIRA

POUR VOTRE BOSS MOTARd

POUR VOTRE ONCLE QUI S’EST ARRÊTé À jOHNNY CLEGG

BoSSA NoVA AND THE RISE oF BRAzILIAN MUSIC IN THE 1960S (Soul jazz Records / discograph, compilation)

À la fin des années 1950, le Brésil amorce sa transformation en société de consommation et cannibalise la culture occidentale en l’intégrant à ses tradi-tions. Ainsi la bossa nova, sous l’égide de João Gilberto, Antônio Carlos Jobim ou Vinícius de Moraes, adoucit les pulsations de la samba en les mêlant à la sophistication du cool jazz ou des impressionnistes (Ravel, Debussy), dans un souffle unique de liberté et d’inventivité surgi avant la dictature de 1964. Soul Jazz Records a sélectionné les chansons qui initièrent ce mouvement, accompagnées d’un livre rassemblant les plus belles pochettes de l’époque, entre structuralisme, op’art et découpages stylisés, à l’image et au diapason d’une musique sensuelle et moderniste. _W.P.

THE PRoMISE : THE DARKNESS oN THE EDgE oF ToWN SToRY de bruce Springsteen (Columbia / Sony Music, coffret 3 Cd / 3 dvd disponible le 22 décembre)

Le classique millésimé 1978 de Bruce Springsteen trouve une réédition à sa mesure. Pas moins de 3 CD et 3 DVD peuplent ce rutilant cof-fret. Le fan pourra se délecter d’une version remas-terisée de Darkness on the Edge of Town, virée rock et sombre dans l’envers du rêve américain, mais surtout de 21 inédits. Regroupés sur deux disques, ces morceaux enregistrés après le carton de Born to Run (1975) avaient fait les frais de la bataille juridique entre le Boss et son manager et coproducteur de l’époque, Mike Appel. Les DVD réservent quant à eux de beaux moments live de Springsteen et son e Street Band, captés entre 1977 et 1978, en plus de répéti-tions, d’interviews et d’un making of de l’album._E.v.

CoNgoTRoNICS VINYL BoX SET (Crammed discs / Wagram, compilation)

TRADI-MoDS VS RoCKERS (Crammed discs / Wagram, compilation)

en 2011, Crammed Discs fêtera ses 30 ans d’existence. Mais le label

belge entame son bilan dès cet hiver via deux sorties : un coffret luxueux contenant notamment les versions vinyle des cinq albums parus dans la série Congotro-nics (Konono N°1, Staff Benda Bilili, Kasai Allstars…), ou comment la banlieue de Kinshasa a renouvelé ses traditions musicales en amplifiant jusqu’à la saturation son instrumentarium, créant ainsi une musique de transe « tradi-moderne » puissante et audacieuse. Des fans aventuriers (Deerhoof, Andrew Bird, Animal Collective, Dirty Projectors…) lui rendent hommage dans une compilation de 26 titres, qui réinterprètent /revisitent le rumble de la jungle urbaine congolaise. _W.P.

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Ceux qui ont déjà ouvert l’un de ses livres connaissent ce sentiment rare : celui d’une mystification douce, comme si le lecteur était emmené avec calme vers une sorte de monde parallèle, sans possibilité d’y échapper. À sa manière, Haruki Murakami est un magicien, l’inventeur d’un univers recon-naissable dès les premières pages (transpa-rence apparente des personnages, écono-mie de moyens…) et qu’on peine à qualifier. Variante du fantastique ou de la tradition de la fable, forme de surréalisme, manière d’oni-risme nippon loufoque ? L’adjectif « muraka-mien » résume sans doute mieux ce dont il est question, de même qu’on dit kafkaïen. en attendant, Murakami, 61 ans aujourd’hui, peut s’enorgueillir d’être le plus célèbre écri-vain japonais de sa génération et l’un de ceux qui rassemblent le plus large panel de lecteurs, qu’on célèbre aussi bien dans les magazines féminins que dans les revues littéraires ou les universités. Probablement parce qu’il y a de nombreux niveaux de lecture dans ses romans truffés de chats qui pensent, où l’écriture paraît surfer avec nonchalance à la surface des choses tout en ouvrant à des abîmes de réflexion. L’apparente simplicité de ses constructions cachent des architectures sophistiquées, récits emboîtés et allusions discrètes aux mythes, à la

psychanalyse ou aux symbolismes d’Orient et d’Occi-dent (globe-trotter, traducteur de l’américain, Murakami possède les deux cultures et est par ailleurs fanatique de jazz, jusqu’à diriger à Tokyo un club nommé Peter Cat).

Virtuose dans les formes élaborées et les voyages au long cours, Haruki Murakami n’est pas moins habile dans la forme de la nouvelle, comme en témoigne très bien Sommeil, un long conte issu de L’Éléphant s’évapore, réédité aujourd’hui en version cartonnée avec des illustrations de la des-sinatrice Kat Menschik, pilier de la jeune bande-dessinée allemande. Un incon-tournable pour les collectionneurs et une introduction possible pour les profanes. Une trentenaire à la vie monotone, mariée à un brave dentiste hideux, y découvre qu’elle ne sait plus dormir. Plus qu’une banale

insomnie, c’est un bouleversement : son temps se dilate, ses nuits lui appartiennent, la littérature reprend possession de sa vie. Magie ou maladie ? « ce n’était certainement pas naturel, d’un point de vue biologique. Mais qui connaît vraiment la nature ? Moi, j’étais sur un point situé au-delà des déductions. Une femme à la conscience élargie. » Murakamienne, en somme.

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NUITS pLEINEsMURAKAMI NOUS REND INSOMNIAQUES

Régulièrement cité pour le prix Nobel, il est l’écrivain japonais le plus célèbre de sa génération – et sans doute le plus puissant. Avec HARUKI MURAKAMI, c’est l’hypnose des sens assurée. La preuve avec Sommeil, une nouvelle rééditée façon collector._Par bernard Quiriny

Sommeil de Haruki Murakami (belfond, nouvelle)

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TROIS IDÉES CADEAUXPOUR VOTRE MÈRE AbONNéE AU CINé-CLUb LOCAL

POUR VOTRE COUSINE bIZARRE ET UN PEU GOTHIQUE

POUR VOTRE BEAU-FRÈRE KARATéKA

LES MERS PERDUES de jacques Abeille et François Schuiten (Attila, roman)

Vous ne le connaissez peut-être pas, mais il est l’un des grands écrivains de notre époque. À 68 ans au-jourd’hui, toujours loin du bruit média-tique, Jacques Abeille est l’auteur d’une œuvre romanesque inclas-

sable et anachronique, proche de la tradition fantas-tique et gothique, des mondes imaginaires de Gracq ou d’un certain surréalisme. Attila réédite l’un de ses romans, Les Jardins statuaires (mention spéciale du prix Wepler 2010), et en profite pour publier ces Mers perdues, étrange roman inédit issu d’un dialogue par correspondance avec le dessinateur belge François Schuiten, l’auteur des cités obscures. Conjonction parfaite des deux univers et grand format luxueux : un livre inclassable et baroque._b.Q.

oPÉRATIoN DRAgoN DE RoBERT CLoUSE de bernard benoliel (Yellow Now, essai)

en 1973, lorsque sort opération dra-gon, son dernier film, Bruce Lee vient de mourir. À l’époque, il est déjà une icône de la contre-culture américaine, héraut de la suprématie des arts

martiaux chinois, porte-parole des minorités oppri-mées ; mais l’utilisation de son image n’en est qu’à ses balbutiements. À travers l’analyse du film de Robert Clouse, Bernard Benoliel, directeur de l’action culturelle de la Cinémathèque française, explore la personnalité de Bruce Lee, son parcours artistique et son héritage politique. Ce petit ouvrage, illustré par une série de photogammes mis en miroir, convie les pensées révo-lutionnaires (de Debord à Koltès) pour tenter de percer les véritables desseins du petit dragon._L.T.

LE CINÉMA FRANÇAIS DE LA NoUVELLE VAgUE À NoS JoURS de jean-Michel Frodon (Cahiers du cinéma, essai)

PoLANSKI, VIE ET DESTIN DE L’ARTISTE de Florence Colombani (Philippe Rey, récit)

Cet hiver, une histoire du cinéma français par Jean-Michel Frodon (historien, ancien rédacteur en chef des cahiers du cinéma) et un essai sur Roman Polanski par Florence Colombani (journaliste au Monde) sont les compagnons idéaux des soirées cinéphiles. À partir d’une série de tables rondes diffusées sur France Culture, Florence Colombani compose une biographie avant tout artistique du réalisateur franco-polonais, tandis que Jean-Michel Frodon allie la rigueur du témoignage de l’historien à l’enthousiasme du regard cinéphile. Les multiples passerelles entre motifs cinématographiques et rebondissements de la réalité (historique d’un côté, intime de l’autre) invitent à de passionnants voyages spatio-temporels._C.G. et L.T.

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Les bons livres arrivent parfois en bout d’année, au moment où le souffle est le plus faible. Fin 2010, on se sera ainsi laissé porter par L’Homme qui se laissait pousser la barbe. Ce livre inattendu est l’œuvre d’un auteur belge encore méconnu, Olivier Schrauwen, dont on avait juste pu lire en 2006 le surréaliste Mon fiston. Ici, plusieurs récits composent l’ouvrage, certains ayant paru précédemment dans des revues comme Mome, laboratoire américain de l’innovation en bande dessinée.

Qu’y lit-on, dans ce livre où la compilation fait sens ? Des histoires courtes formelle-ment impressionnantes, relevant autant de la gravure antique que de la ligne claire, de l’absurde surréaliste que du poème intime. Olivier Schrauwen compose ses historiettes en son-geant d’abord à la façon dont elles apparaîtront au lecteur. Son livre est ainsi d’abord une expé-rience visuelle, évoquant par moments les pages délurées du Little Nemo de Winsor McCay tout en ayant l’apparence d’un fanzine punk. Il y a dans ce mélange un air assuré de folie douce qui donne au livre une apparence presque tordue. Comique et drame y apparaissent irrémédiablement liés. La force de Schrauwen réside dans sa capacité à susciter une réminiscence artificielle chez son lecteur. On a

l’impression, en tournant le livre, d’être familier avec son style. Mais la madeleine proustienne s’arrête là. L’Homme qui se laissait pousser la barbe dépasse l’exercice formel de reprise de formes nostalgiques en se concentrant sur des histoires dont la folie en

germe se manifeste partout, dans l’écriture graphique comme celle des mots.

L’histoire qui donne son titre au recueil est divisée en deux parties : la première, en gris et sans paroles, suit la fuite d’un homme barbu, par séquences de cases très clas-siques. Puis, au bout de la course, l’histoire se transforme formellement pour laisser place à des couleurs et des formes s’éloignant

de la bande dessinée, évoquant des icones russes ou des enluminures moyenâgeuses,

surchargées de signes, de mots et de sens. Ailleurs, le livre verse dans des coloris plus pop, déborde d’un humour contagieux et semble citer la première période de Tintin, au Congo. Olivier Schrauwen fait preuve d’une immense maîtrise de son art et touche par sa façon de ne jamais être là où on l’attend. Précieux par l’énergie qui s’en dégage et la multi-plicité des possibles qui en découlent, ce livre est – avec Toxic de Charles Burns et Asterios Polyp de David Mazzucchelli – la troisième plus belle bande dessinée de 2010.

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AU pOILTRUCS ET ASTUCES

Œuvre tordue et inattendue, L’Homme qui se laissait pousser la barbe compile des histoires signées par le belge OLIVIER SCHRAUWEN où astuces graphiques et réminis-cences visuelles se mêlent avec poésie._Par joseph Ghosn (www.gqmagazine.fr)

L’Homme qui se laissait pousser la barbe d’Olivier Schrauwen (Actes Sud – l’An 2)

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TROIS IDÉES CADEAUX _Par joseph Ghosn (www.gqmagazine.fr)

POUR VOTRE GRAND-PÈRE NOSTALGIQUE dE LA vIEILLE éCOLE

POUR VOTRE SœUR QUI N’A PAS CONNU ASTRO LE RObOT

POUR VOTRE FRÈRE NO LIFE QUI PARLE EN HTML

SPIRoU ET L’AVENTURE de jijé (dupuis)

Un fac-similé presque aussi beau qu’un original : chez Dupuis, le patrimoine est si bien ressuscité aujourd’hui que l’envie d’hypothéquer la maison de mamie pour acheter un Spirou rarissime n’a plus lieu d’être. On peut donc désormais lire ces histoires de Spirou aux allures primitives et extrêmement belles, fomen-tées par le grand (mais trop vite oublié) Jijé, mort en 1980. On y croise un Spirou picaresque et déluré, pris dans des aventures où se mêlent rires, fantômes, scélérats, traitres et ménestrels inattendus. Un cadeau qui dépasse la simple nostalgie.

oSAMU TEzUKA, LE DIEU DU MANgA de Helen McCarthy (Eyrolles)

De Osamu Tezuka, on pourrait dire qu’il est le Walt Disney japo-nais. Son œuvre est pléthorique, s’empare de la bande dessinée et du dessin animé, repose sur des personnages devenus quasi

mythologiques, tel Astro le robot. Très réussie, cette monographie permet de se plonger dans son uni-vers, d’en comprendre les ressorts mais surtout de regarder de belles reproductions des couvertures originales des mangas de Tezuka, de contempler ses remarquables dessins et splendides construc-tions graphiques. Un ouvrage dont la lecture peut prendre quelques années de vie.

BoDY WoRLD de dash Shaw (dargaud)

Remarqué l’an dernier avec le volumineux Bottomless Belly Button, l’Américain Dash Shaw réédite son exploit avec un livre encore plus impression-nant formellement. Body World épate par son sens de lecture

déconstruit. Shaw mène son lecteur comme il naviguerait d’un hyperlien à l’autre, c’est-à-dire en produisant des effets de surprise graphiques et narratifs finement ciselés. L’histoire, qui mêle récit futuriste et étude psychologique de personnages, évoque quelques écrivains de science-fiction comme Philip José Famer et Philip K. Dick. Un livre qui en appellebeaucoup d’autres.

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J’avais sept ans. L’âge de raison. C’était Noël et pour nous apprendre les ver-tus de la patience, mes parents avaient décidé que la fratrie attendrait le 25 au matin pour les cadeaux. Une pre-

mière : chez moi, on se jette sur les paquets le 24 au soir. On a mal dormi. Mes parents, très peu. Sitôt les morpions au lit, ils se sont glissés à pas de souris pour étrenner le cadeau qu’ils m’avaient fait avec gourmandise. Au petit matin, lorsqu’on est arrivés sous le sapin, on les a trouvés devant le tube cathodique, scotchés sur ma Megadrive, les yeux rougis par une nuit devant le jeu World of illusion Starring Mickey Mouse and Donald Duck. Ce jeu fut une entrée dans la grammaire du jeu vidéo pour bon nombre d’adultes qui n’en connaissaient que Tetris ou Pong, appelés par la silhouette aux oreilles hyper-trophiées. Depuis, Mickey s’est plus ou moins four-voyé dans des titres exploitant une licence mourante face aux assauts du bondissant Naruto ou du dessin animé en images de synthèse. et ma Megadrive de prendre la poussière sur une étagère.

Plutôt que de faire l’autruche, la souris revient dans une quête pour la reconnaissance, une lutte contre l’oubli. Le pitch d’Epic Mickey emprunte à Lewis Carroll

et son De l’autre côté du miroir et ce qu’Alice y trouva. Dans un monde désolé, à mi-chemin entre le parc de Disneyland et le château du magicien de Fantasia pre-mier du nom, Mickey doit rendre son éclat aux vieilles gloires du père Walt. Armé d’un pinceau magique, il en remet une couche, prétexte pour revisiter ses

grands classiques : des débuts sur le bateau à vapeur Steamboat Willie à la consécration de Mickey et le Haricot magique. « Qui se souvient de nous, plus personne ne regarde ces dessins animés », soupire Clarabelle au détour d’un niveau du jeu, déchirée par le dédain des jeunes générations. Les gosses d’hier ont vieilli et lâchent leurs jouets. Un constat déjà au centre du récent Toy Story 3, mais qui sonne ici comme une révérence tirée. Avec la réforme de l’animé, Mickey pourrait prendre sa retraite. Tout comme le

fit jadis son prédécesseur et premier amour de Walt Disney, le lapin Oswald. C’est le némésis de Mickey dans le jeu, il le jalouse sans s’apercevoir que leur sort est identique.

Qui pour sauver le mulot ? Le jeu vidéo. Epic Mickey est le chef-d’œuvre que l’on n’attendait plus. Label au bois dormant, le nom du rongeur est réveillé dans une aventure qui embarquera toute la famille. Mes parents seront de la partie, ma manette à couper.

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PUCe à L’OREILLEMICKEY AU PAYS DES MERVEILLES

Souris : le rongeur de disney est de retour dans une aventure qui sent bon le carbone de crayon et la gouache en tube. Face à la suprématie du manga, Epic Mickey tombe à pic._Par étienne Rouillon

Epic Mickey (disney Interactive, sur Wii)

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TROIS IDÉES CADEAUX _Par E.R.

POUR VOTRE ONCLE HISTORIEN FéRU dE GéOPOLITIQUE

POUR VOTRE COUSIN ÉCOLO QUI N’A PAS LE PERMIS

POUR VOTRE TATA GRENOUILLE dE béNITIER

CALL oF DUTY : BLACK oPS (Activision, sur PC, PS3 et X360)

Oui, on avait consciencieusement pourri le prédécesseur, salmigondis tortueux et tordu d’anticipation guerrière où l’on pourchassait des barbus russes ou arabes. Dans ce nou-veau call of Duty, on retrouve les mêmes ficelles bravaches, entre le cinéma bis et le polar à la John le Carré. Mais elles collent beaucoup mieux à une relecture de la diplomatie américaine qui ferait pâlir d’envie WikiLeaks. Des savants nazis, un gaz toxique, une évasion du goulag, des Russes bien cocos, le Vietnam avec les Stones en B.O., et même l’assassi-nat de Fidel Castro. Ajoutez à ça la mise en scène la plus spectaculaire de l’histoire des FPS et des graphismes d’une beauté belle, et paf : le blockbuster de la fin de l’année.

gRAN TURISMo 5 (Sony, sur PS3)

C’était l’Arlésienne du jeu vidéo. Cinq ans pour passer la vitesse supérieure, mais la réfé-rence du jeu de voiture négocie le virage sans sortie de route, avec l’œil dans le rétro et la nostalgie des mercredis collégiens. On s’y retrouve, à l’ancienne. Un peu trop, même : la rigueur des opus précédents peut paraître ringarde aujourd’hui. Mais, comme le montre le générique en filmant une chaîne de montage de berlines, on n’est pas là pour rigoler, mais pour piloter. Reste que ce dernier Gran Turismo prouve que la marque est la seule à pousser le détail à ce point en termes de prise en main et de comportement des voitures. Un jeu naturaliste qui roule au sans plomb dans l’aile.

ASSASSIN’S CREED, BRoTHERHooD (Ubisoft, sur PC, PS3 et X360)

On l’avait laissé en plein rififi au Vatican, ezio Auditore revient taquiner les projets oligar-chiques de la famille Borgia. en plein Rome, rendons à César ce qui est au royal canin : la saga des assassins a toujours du chien. Après avoir poignardé la moitié de Jérusalem et de la Toscane, on apprécie toujours le pointu de la réalisation et le tranchant d’une jouabilité dépoussiérée des carcans passés. Carquois et pas chassés, ce Brotherhood luit sur le Tibre avec l’intégration de modes multijoueurs qui permettent de jouer les machiavels dans des ruelles bâties avec une truelle très documentée. On milite pour une suite révolutionnaire et hexagonale sur des pavés circa 1789. Bueno, molto.

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ET SOUS LE SAPIN…

Si vous êtes de ces veinards qui ont le droit d’embarquer la console pendant les fêtes perdues à Pétaouchnock, le sac à dos Tron (Thrust-master) est une valise sur mesure. Avec sa bobine geek tout droit sortie des lignes de code d’encom, c’est l’écrin de vos précieuses plateformes vidéoludiques. Sitôt arrivés chez mère-grand, on enchaî-nera les dunks, humiliant les cousins sur la référence du jeu de basket : NBA 2K11 (2K Sports). Cette élégie à la gloire de Michael Jordan fait vibrer les parquets sous les couleurs des Chicago Bulls. Les boules du conifère reflèteront le meilleur de vos années collège avec la réédition sur Wii de Goldeneye 007 (Activision). Le lifting du monument du jeu de tir à la première personne prouve que le mieux n’est pas toujours l’ennemi du bien. Après la dinde et le vin chaud, les gosiers des oncles seront chauffés à blanc pour dire la messe sur la métrique des scuds hip-hop du karaoké rap Def Jam Rapstar (Konami). Joyeux pixel à tous._E.R.

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124 TRAIT LIBRE

LARGO WINCH TOME 17 : MER NOIRE De PHILIPPe FRANCQ eT JeAN VAN HAMMe (DUPUIS, ALBUM DÉJÀ DISPONIBLe)

Largo Winch, milliardaire au cœur tendre, brave depuis vingt ans les injustices d’un continent à l’autre. Aventurier sans peur, séducteur invétéré, il retrouve les Balkans dans ce dix-septième album où il doit faire face aux conséquences insoupçonnées de la crise financière qui ébranle la planète. À l’occasion de la sortie au cinéma de Largo Winch 2, toujours de Jérôme Salle, le 16 février, Cinécinéma rediffusera le pre-mier volet en janvier et février. Une délicieuse montée d’adrénaline en perspective._S.A.

LARgo WINCH de jérôme Salle // Avec Tomer Sisley, Kristin Scott Thomas… // distribution : Wild bunch // France, 2008, 1h48 // Diffusion sur Cinécinéma le 12 janvier et le 14 février à 20h40

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126 SEX-TAPE /// L’INSTANT éROTIQUE

TReMPLIN MORbIDE

Poupoupidou, who ? Starlette dépressive, Candice (Sophie Quinton) tombe la robe à paillettes pour dévoiler une plastique autrement heureuse, célébrée par la marque de fromage locale, Belle du Jura. Strip-tease qui dissimule mal le besoin d’enfouir, sous la neige ou au creux d’un carnet, ce qu’elle est réellement, poupée fragile qu’enserrent des hommes aux desseins jamais chastes. Sa mort mystérieuse titille l’imagination de David (Jean-Paul Rouve), un romancier loufoque qui s’éprend aussitôt de cette cousine franc-comtoise de Marylin Monroe. De tête-à-queue en rebondissements, les allures changeantes de la défunte caracolent sur des tram-polines de volupté mortifère, pour venir gonfler l’obsession de son admirateur le plus mordu. _L.P. // Poupoupidou de Gérald Hustache-Mathieu // Sortie le 12 janvier

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