triton-timi 38 : quel bénéfice clinique dans la prise en charge des sca traités par angioplastie...

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PERSPECTIVES THÉRAPEUTIQUES S20 AMC pratique Suppl. 2 avril 2010 © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Rédigé par le Dr. Daniela Obréja Hôpital de Laon - Service de Cardiologie TRITON-TIMI 38 : quel bénéfice clinique dans la prise en charge des SCA traités par angioplastie ? L e prasugrel se distingue du clopidogrel par ses propriétés pharmacologiques induites par son méta- bolisme plus performant. Le clopidogrel est une pro-drogue qui subit plusieurs étapes d’activation avant la formation de son métabolite actif. Lors de la première étape d’hydrolyse, 85 % sont éliminés sous l’action d’estérases. Le métabolite intermé- diaire issu de la transformation des 15 % restants est ensuite activé lors de deux réactions d’oxydation successi- ves par des enzymes du cytochrome P450 (CYP). Le méta- bolite actif ainsi obtenu inhibe irréversiblement le récepteur plaquettaire à l’ADP. Toutefois, le polymor- phisme génétique des enzymes du CYP450 dont le 2C19 intervenant dans la métabolisation du clopidogrel et les nombreuses interactions pharmacologiques au niveau ces enzymes rendent compte de la variabilité de réponse au clopidogrel et des implications cliniques qui en résultent [1-3]. À l’inverse, le prasugrel est rapidement hydrolysé sous l’ac- tion des estérases en un métabolite intermédiaire, qui est ensuite activé par une seule étape d’oxydation via le cyto- chrome P450 (principalement par le CYP3A4 et le CYP2B6 et dans une moindre mesure par le CYP2C9 et le CYP2C19). L’action du prasugrel n’est donc pas entravée par la présence de variants génétiques et sa réponse étant peu soumise aux variabilités inter-patients, il présente une inhibition de l’agrégation plaquettaire plus homogène, plus rapide et plus élevée que le clopidogrel. La supériorité du prasugrel en termes d’inhibition de l’agrégation plaquettaire par rapport au clopidogrel a été validée en clinique dans l’étude TRITON-TIMI 38 [4]. Dans ce large essai de supériorité sur 15 mois, contrôlé, randomisé en double aveugle, international, multicentri- que, 13 608 patients présentant un SCA avec ou sans sus décalage du segment ST programmés pour une angioplas- tie ont été inclus pour recevoir : clopidogrel (dose de charge de 300 mg puis 75 mg/j en dose d’entretien) ou prasugrel (dose de charge de 60 mg puis 10 mg/j en dose d’entretien), en complément de l’aspirine. Le choix de la posologie de clopidogrel s’est basé sur les recommanda- tions et pratiques en vigueur au moment de l’étude. Les résultats cliniques montrent la supériorité d’efficacité du prasugrel par rapport au clopidogrel avec une réduc- tion significative de 19 % du risque relatif d’événements du critère principal (critère composite associant décès CV, IDM non fatal ou AVC non fatal ; 9,9 % vs 12,1 % ; IC 95 % : 10-27 ; p < 0,001). Ce qui revient à traiter 46 patients pour éviter un événement majeur du critère principal. L’analyse en sous-groupes montre une similitude des béné- fices quel que soit le type de SCA avec une réduction très significative de 21 % de la survenue d’événement du critère principal chez les STEMI (9,8 % vs 12,2 % ; IC : 95 % : 3-35), et de 18 % chez les patients présentant un angor instable ou un IDM sans sus-décalage du segment ST (NSTEMI) (9,3 % vs 11,2 % ; IC 95 % : 7-27 ; p = 0,002). La supériorité d’efficacité du prasugrel s’observe tant les 3 premiers jours suivant la dose de charge (4,7 % vs 5,6 %, soit 18 % de réduction du risque relatif), qu’au long cours pendant les 15 mois de suivi (5,6 % vs 6,9 % soit une réduc- tion de 20 % du risque relatif) (figure 1). L’apparition très précoce du bénéfice avec le prasugrel pose la question de l’intérêt de son maintien ultérieur. Aussi cette analyse de type Landmark, dans laquelle on remet les compteurs à zéro à 3 jours, montre une diver- gence persistante des courbes au-delà de la phase initiale, confirmant le maintien d’un bénéfice important du prasu- grel entre 3 jours et 450 jours, bénéfice obtenu par la poursuite du traitement avec le prasugrel. L’étude a par ailleurs permis de vérifier que le bénéfice en termes d’efficacité n’était pas assorti d’une aggravation de la mortalité cardiovasculaire. Celle-ci est en fait réduite

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Page 1: TRITON-TIMI 38 : quel bénéfice clinique dans la prise en charge des SCA traités par angioplastie ?

PERSPECTIVES THéRAPEUTIQUES

S20 AMC pratique Suppl. 2 avril 2010© 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Rédigé par le Dr. Daniela ObréjaHôpital de Laon - Service de Cardiologie

TRITON-TIMI 38 : quel bénéfice clinique dans la prise en charge des SCA traités par angioplastie ?

Le prasugrel se distingue du clopidogrel par ses propriétés pharmacologiques induites par son méta-bolisme plus performant.

Le clopidogrel est une pro-drogue qui subit plusieurs étapes d’activation avant la formation de son métabolite actif. Lors de la première étape d’hydrolyse, 85 % sont éliminés sous l’action d’estérases. Le métabolite intermé-diaire issu de la transformation des 15 % restants est ensuite activé lors de deux réactions d’oxydation successi-ves par des enzymes du cytochrome P450 (CYP). Le méta-bolite actif ainsi obtenu inhibe irréversiblement le récepteur plaquettaire à l’ADP. Toutefois, le polymor-phisme génétique des enzymes du CYP450 dont le 2C19 intervenant dans la métabolisation du clopidogrel et les nombreuses interactions pharmacologiques au niveau ces enzymes rendent compte de la variabilité de réponse au clopidogrel et des implications cliniques qui en résultent [1-3].À l’inverse, le prasugrel est rapidement hydrolysé sous l’ac-tion des estérases en un métabolite intermédiaire, qui est ensuite activé par une seule étape d’oxydation via le cyto-chrome P450 (principalement par le CYP3A4 et le CYP2B6 et dans une moindre mesure par le CYP2C9 et le CYP2C19). L’action du prasugrel n’est donc pas entravée par la présence de variants génétiques et sa réponse étant peu soumise aux variabilités inter-patients, il présente une inhibition de l’agrégation plaquettaire plus homogène, plus rapide et plus élevée que le clopidogrel.La supériorité du prasugrel en termes d’inhibition de l’agrégation plaquettaire par rapport au clopidogrel a été validée en clinique dans l’étude TRITON-TIMI 38 [4].Dans ce large essai de supériorité sur 15 mois, contrôlé, randomisé en double aveugle, international, multicentri-que, 13 608 patients présentant un SCA avec ou sans sus décalage du segment ST programmés pour une angioplas-tie ont été inclus pour recevoir : clopidogrel (dose de

charge de 300 mg puis 75 mg/j en dose d’entretien) ou prasugrel (dose de charge de 60 mg puis 10 mg/j en dose d’entretien), en complément de l’aspirine. Le choix de la posologie de clopidogrel s’est basé sur les recommanda-tions et pratiques en vigueur au moment de l’étude.Les résultats cliniques montrent la supériorité d’efficacité du prasugrel par rapport au clopidogrel avec une réduc-tion significative de 19 % du risque relatif d’événements du critère principal (critère composite associant décès CV, IDM non fatal ou AVC non fatal ; 9,9 % vs 12,1 % ; IC 95 % : 10-27 ; p < 0,001). Ce qui revient à traiter 46 patients pour éviter un événement majeur du critère principal.L’analyse en sous-groupes montre une similitude des béné-fices quel que soit le type de SCA avec une réduction très significative de 21 % de la survenue d’événement du critère principal chez les STEMI (9,8 % vs 12,2 % ; IC : 95 % : 3-35), et de 18 % chez les patients présentant un angor instable ou un IDM sans sus-décalage du segment ST (NSTEMI) (9,3 % vs 11,2 % ; IC 95 % : 7-27 ; p = 0,002).La supériorité d’efficacité du prasugrel s’observe tant les 3 premiers jours suivant la dose de charge (4,7 % vs 5,6 %, soit 18 % de réduction du risque relatif), qu’au long cours pendant les 15 mois de suivi (5,6 % vs 6,9 % soit une réduc-tion de 20 % du risque relatif) (figure 1).L’apparition très précoce du bénéfice avec le prasugrel pose la question de l’intérêt de son maintien ultérieur. Aussi cette analyse de type Landmark, dans laquelle on remet les compteurs à zéro à 3 jours, montre une diver-gence persistante des courbes au-delà de la phase initiale, confirmant le maintien d’un bénéfice important du prasu-grel entre 3 jours et 450 jours, bénéfice obtenu par la poursuite du traitement avec le prasugrel.L’étude a par ailleurs permis de vérifier que le bénéfice en termes d’efficacité n’était pas assorti d’une aggravation de la mortalité cardiovasculaire. Celle-ci est en fait réduite

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S21AMC pratique Suppl. 2 avril 2010

COMPTE-REnDU DE SYMPOSIUM

le SCA) a été motivée du fait de l’hyperactivité plaquet-taire observée chez les diabétiques et de leur moindre sensibilité au clopidogrel [8]. La supériorité du prasugrel est confirmée chez ces patients avec une réduction de 30 % des évènements du critère primaire de jugement, composite, associant mortalité cardiovasculaire, IDM et AVC non fatals, sans différence observée par rapport au clopidogrel en termes de risque hémorragique (figure 3).

Risque hémorragique

La supériorité d’efficacité du prasugrel a été associée à une augmentation du risque des saignements majeurs, non liés à un pontage aorto-coronarien avec une augmentation du risque absolu de +0,6 % par rapport au clopidogrel sur l’ensemble de la population de l’étude (2,4 % sous prasu-grel vs 1,8 % sous clopidogrel, p = 0,03).Toutefois, l’étude TRITON TIMI 38 a permis d’identifier le profil des patients présentant un risque accru de saigne-ment. En effet, le risque d’hémorragie est plus fréquent sous prasugrel chez les patients de 75 ans et plus, ceux de poids inférieur à 60 kg et chez les patients présentant un antécédent d’AVC ou d’accident ischémique transitoire. En excluant ces 3 sous-groupes de patients, on se retrouve dans la situation optimale pour diminuer le risque de complication hémorragique et maximiser le bénéfice clini-que net (critère combinant la mortalité toutes causes, IDM non fatal, AVC non fatal et saignements majeurs selon TIMI sans rapport avec un PAC) obtenu avec le prasugrel (figure 4).

dans le groupe prasugrel (2,1 vs 2,4 %, HR = 0,89). La survenue d’AVC ne diffère pas dans les deux groupes. En revanche, celle des IDM non mortels est très réduite dans le groupe prasugrel (7,3 vs 9,5 %, HR = 0,76). La mortalité toutes causes, qui ne faisait pas partie du critère primaire de jugement, est plutôt en faveur du prasugrel, mais n’at-teint pas la significativité. Le sexe du patient, le type de SCA et de stent, l’utilisation préalable d’anti-GPIIb/IIIa et la clearance de la créatinine n’ont pas été corrélés aux résultats d’efficacité, à l’inverse de l’âge avec une tendance à un bénéfice plus grand chez les patients les plus jeunes.

SCA STEMI

Le sous-groupe des infarctus avec sus-décalage du segment ST (STEMI) a fait l’objet d’une analyse spécifique, publiée dans le Lancet par G. Montalescot [5].On y retrouve le même bénéfice sur le critère principal d’efficacité (réduction de 21 % du risque relatif sous prasu-grel ; 9,8 % vs 12,2 % ; IC : 95 % : 3-35), sans différence en termes de saignements majeurs et mineurs par rapport au clopidogrel (figure 2) ; de plus une réduction significa-tive de la mortalité à 30 jours est observée.

SCA du diabètique

L’analyse du sous-groupe des diabétiques de l’étude TRITON-TIMI 38 (n = 3146 dont 776 insulino-traités avant

0

2

4

6

8

0 1 2 3

1

0

306090 180 270 360 450

HR 0,82p = 0,01

HR 0,80p = 0,003

5,6

4,7

6,9

5,6

Jours

Cri

tère

pri

ncip

al (%

)

Prasugrel

Clopidogrel+ aspirine + aspirine

+ aspirine + aspirinePrasugrel

Clopidogrel -20%RRR

-18%RRR

Figure 1. Efficacité comparée du prasugrel et du clopidogrel dans TRITON-TIMI 38 : critère principal (décès CV, IDM non fatal, AVC non fatal).

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TRITON-TIMI 38 : quel bénéfice clinique dans la prise en charge des SCA traités par angioplastie ?

S22 AMC pratique Suppl. 2 avril 2010

COMPTE-REnDU DE SYMPOSIUM

l’étude TRITON-TIMI 38, une réduction qui apparait préco-cement et persiste au long cours, mettant en avant le bénéfice obtenu tant sur la réduction des thromboses précoces que tardives. Ce bénéfice est globalement homo-gène, quelque soit le type d’endoprothèse, avec un résul-tat toutefois un peu meilleur en cas d’endoprothèse active.

Conclusion

L’étude TRITON-TIMI 38 a permis de montrer la supériorité d’efficacité du prasugrel comparé au clopidogrel, en termes de réduction des décès cardiovasculaires, IDM non fatals et AVC non fatals chez les patients présentant un SCA traités par angioplastie. L’évaluation de la tolérance

Dans l’angioplastie coronaire, la voie d’abord à un impact sur le risque hémorragique et on constate que l’utilisation de la voie radiale, voie d’abord majoritairement utilisée en France permettrait de réduire le risque hémorragique sous prasugrel.

Thrombose de stent

La thrombose d’endoprothèse coronaire est d’autant plus grave lorsqu’elle survient tardivement après la sortie du patient. Le bénéfice du prasugrel sur cette complication majeure est particulièrement net. En effet, le prasugrel permet une réduction très significative de 52 % du risque relatif de thromboses de stent par rapport au clopidogrel (1,13 % vs 2,35 % ; IC 95 % : 36-64 ; p < 0,0001) dans

Saignement majeur selon TIMIEvénement ischémique majeur

0,5

1,0

2,0

2,5

1,5

2,1

2,4

p=0,65

0

ClopidogrelPrasugrel

Temps (jours) Temps (jours)

5

10

15

0

0 50 100 150 200 250 300 350 400 450

Pro

po

rtio

n d

es p

atie

nts

(%)

9,5

12,4

10,0

HR = 0,79 (0,65 – 0,97) NNT = 41

p = 0,02RRR = 21%

p = 0,002RRR = 32%

6,5

0 50 100 150 200 250 300 350 400 450

HR = 1,11 (0,70 – 1,77) NNH = 333

NNT : number needed to treat NNH : number needed to harm

0

2

4

6

8

10

12

14

16

18

0 30 60 90 180 270 360 450

Temps (jours)

Inci

den

ce d

e cr

itèr

e p

rinc

ipal

(%)

Décès CV / IDM / AVC

Saignements majeurs selon TIMI non-liés à un pontage

17,0

12,2

2,62,5

p < 0,001RRR = 30%

ClopidogrelPrasugrel

Figure 2. TRITON-TIMI 38 : sous-groupe des patients STEMI.

Figure 3. Sous-groupe des diabétiques de TRITON-TIMI 38.

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S23AMC pratique Suppl. 2 avril 2010

COMPTE-REnDU DE SYMPOSIUM

3. Simon T, Verstuyft C, Mary-Krause M et al. Genetic determinants of response to

clopidogrel and cardiovascular events. N Engl J Med 2009;360:363-75.

4. Wiviott SD, Braunwald E, McCabe C, et al. prasugrel vs clopidogrel in patients

with acute coronary syndromes. N Engl J Med 357:2001-15

5. Montalescot G, Wiviott SD, Braunwald E, et al; Prasugrel compared with clopi-

dogrel in patients undergoing percutaneous coronary intervention for

ST-elevation myocardial infarction (TRITON-TIMI 38): double bind, randomized

trial. Lancet 2009;373:723-31

6. Wiviott SD, Braunwald E, Andiolillo DJ et al. Greater clinical benefit of more

intensive oral antiplatelet therapy with prasugrel in patients with diabetes mel-

litus in the trial to assess improvement in therapeutic outcomes by optimizing

dans cette étude a permis d’identifier les patients à risque accru de saignement ; ainsi l’exclusion des 3 sous-groupes identifiés (≥ 75 ans, < 60 kg, antécédent AVC/AIT) permet de maximiser le bénéfice clinique net sous prasugrel.

Références 1. Hulot JS, Bura A, Villard E, et al. Cytochrome P450 2C19 loss-of-function poly-

morphism is a major determinant of clopidogrel responsiveness in healthy sub-jects. Blood 2006;108:2244-7.

2. Mega JL, Close SL, Wiviott SD, et al. Cytochrome p-450 polymorphisms and response to clopidogrel. N Engl J Med 2009;360:354-62.

Global

≥ 60 kg

< 60 kg

< 75

≥ 75

Non

Oui

215,0

Antécédent d’AVC / AIT

Age

Poids

Risque (%)+ 54

-16

-1

-16

+3

-14

-13

En faveur du clopidogrelEn faveur du prasugrelHR

Pint = 0,006

Pint = 0,18

Pint = 0,36

Figure 4. Sous-groupes à risque hémorragique et bénéfice clinique net.