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Trigonom´ etrie Lemniscatique et fonctions elliptiques Guillaume Duval Journ´ ee TIPE ` a l’ENSTA, Novembre 2012 10 novembre 2012 1 Introduction Quand J´ erˆ ome Perez nous a propos´ e de vous parler, nous avions l’id´ ee de vous pr´ esenter quelques uns de ces joyaux des math´ ematiques du XIX eme si` ecle qui m´ elent si bien g´ eom´ etrie, physique et analyse dans un cocktail sans clivage aux contours s´ eduisants. Les fonctions et les courbes elliptiques s’impos` erent alors en ce que ces nouvelles transcendantes compl´ etaient les logarithmes, exponen- tielles et fonctions trigonom´ etriques du XVIII eme si` ecle et ouvraient de nouveaux paradigmes aussi bien en math´ ematiques qu’en physique. En deux mots, les fonctions elliptiques sont des fonctions du plan complexe dans lui mˆ eme qui admettent un groupe de p´ eriodes de rang deux (par exemple [i] = i ), contrairement aux fonctions exponentielles et trigonom´ etriques usuelles qui, comme fonctions de la variable complexe, admettent un groupe de eriodes de rang un (comme ,2π , ou encore 2πi ). Si les fonctions trigonom´ etriques usuelles param` etrent naturellement des cercles S 1 , les fonctions elliptiques param` etrent des tores ou encore des courbes elliptiques qui sont des surfaces hom´ eomorphes ` a des produits cart´ esiens de cercles : S 1 × S 1 . Pour orienter nos choix dans ce sujet extrˆ emement vaste et encore si contempo- rain, nous avons choisi de partir d’un tr` es joli sujet propos´ e au concours des Mines en 2012 qui abordait la trigonom´ etrie lemniscatique d’un point de vue r´ eel. Nous pr´ esenterons cette th´ ematique ici sous un point de vue `a la fois historique et sous l’angle compl´ ementaire de la g´ eom´ etrie des fonctions complexes. En ces temps d’hyper-sp´ ecialisation technicienne, il nous a paru opportun de montrer que de grandes id´ ees charpentent une profonde unit´ e de la science ; que les efforts des grands penseurs du XIX eme si` ecle ´ etaient d’abord orient´ es vers une compr´ ehension intellectuelle et esth´ etique et non utilitariste des ph´ enom` enes rele- vant de la philosophie naturelle , pour reprendre l’expression de Newton. C’est 1

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Trigonometrie Lemniscatique et fonctionselliptiques

Guillaume DuvalJournee TIPE a l’ENSTA, Novembre 2012

10 novembre 2012

1 Introduction

Quand Jerome Perez nous a propose de vous parler, nous avions l’idee devous presenter quelques uns de ces joyaux des mathematiques du XIXeme sieclequi melent si bien geometrie, physique et analyse dans un cocktail sans clivageaux contours seduisants. Les fonctions et les courbes elliptiques s’imposerent alorsen ce que ces nouvelles transcendantes completaient les logarithmes, exponen-tielles et fonctions trigonometriques du XVIIIeme siecle et ouvraient de nouveauxparadigmes aussi bien en mathematiques qu’en physique.

En deux mots, les fonctions elliptiques sont des fonctions du plan complexe Cdans lui meme qui admettent un groupe de periodes de rang deux (par exempleZ[i] = Z ⊕ iZ), contrairement aux fonctions exponentielles et trigonometriquesusuelles qui, comme fonctions de la variable complexe, admettent un groupe deperiodes de rang un (comme Z, 2πZ, ou encore 2πiZ). Si les fonctions trigonometriquesusuelles parametrent naturellement des cercles S1, les fonctions elliptiques parametrentdes � tores � ou encore des � courbes elliptiques � qui sont des surfaces homeomorphesa des produits cartesiens de cercles : S1 × S1.

Pour orienter nos choix dans ce sujet extremement vaste et encore si contempo-rain, nous avons choisi de partir d’un tres joli sujet propose au concours des Minesen 2012 qui abordait la � trigonometrie lemniscatique � d’un point de vue reel.Nous presenterons cette thematique ici sous un point de vue a la fois historique etsous l’angle complementaire de la geometrie des fonctions complexes.

En ces temps d’hyper-specialisation technicienne, il nous a paru opportun demontrer que de grandes idees charpentent une profonde unite de la science ; queles efforts des grands penseurs du XIXeme siecle etaient d’abord orientes vers unecomprehension intellectuelle et esthetique et non utilitariste des phenomenes rele-vant de la � philosophie naturelle �, pour reprendre l’expression de Newton. C’est

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certainement pour cela qu’ils surent si bien reunir des ıles pour en faire des con-tinents. Ce debat sur l’utilite des science ne date pas d’hier. C’est un debat de la� modernite �. Dans une lettre du 2 juillet 1830 adressee a Adrien-Marie Legendre,Karl Gustav Jacobi ecrit : � M. Fourier avait l’opinion que le but principal desmathematiques etait l’utilite publique et l’explication des phenomenes naturels ;mais un philosophe comme lui aurait du savoir que le but unique de la science,c’est l’honneur de l’esprit humain, et que sous ce titre, une question de nombresvaut autant qu’une question du systeme du monde �. Jacobi fut l’un des grandsartisans de ce que nous allons modestement presenter. Et, nous avons concu cetexpose dans l’idee d’illustrer la pertinence et la vibrante actualite de ses vues.

2 Les Polygones reguliers constructibles a la regle

et au compas

Figure 1

Parmi les vielles questions issues de la philosophie grecque, le probleme de laconstructibilite des polygones reguliers a la regle et au compas ne fut complete-ment resolue qu’au XIXeme siecle apres les travaux de Gauss, puis de Wantzel. Sion savait depuis toujours (voir Figure 1) tracer un triangle equilateral, un carre,un pentagone, un hexagone, comment se faisait-il que la construction d’un hep-tagone echappa a la sagacite des geometres ? Etait-ce que ces derniers n’etaientpas assez inventifs ou existait-il une objection theorique a la possibilite d’une telleconstruction ? Les idees galoisiennes etaient dans l’air du temps et l’impossibilitede construire un heptagone, comme celle de resoudre une equation algebrique dedegre superieur ou egal a cinq procedent comme nous allons le voir de la memecausalite.

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En 1796, a peine age de 18 ans, Gauss decouvrit la construction a la regle et aucompas du polygone regulier a 17 cotes P17. Ce tour de force surprenant l’amenaa conjecturer le resultat suivant ou l’arithmetique conditionne la geometrie.

Theorem 1 (Gauss-Wantzel) Le polygone regulier a n cotes Pn est constructible ala regle et au compas si et seulement si l’entier n est egal au produit d’une puissancede deux que multiplie des nombres premiers de Fermat distincts. Autrement dit,si n = 2dp1 · · · ps, ou les pi sont des nombres premiers de Fermat distincts. Unnombre premier de Fermat est un nombre premier de la forme p = 2k + 1, commele sont 3, 5, 17, 257, . . ., mais ni 7, ni 11, ni 13 etc...

Figure 2

Ce magnifique resultat fut demontre par Pierre Laurent Wantzel en 1837 alorsjeune repetiteur a l’Ecole Polytechnique. Les idees de Wantzel sont purementgaloisiennes et meritent le detour. Dans un premier temps, Wantzel algebrise leprobleme comme suit : Si dans la Figure 2, nous avons deja construit les pointsA,B,C,D,E, F et souhaitons connaitre les coordonnees du point M obtenu soitcomme intersection des deux cercles soit comme instersection de l’un des cerclesavec la droite ∆. Nous resolvons alors un systeme de deux equations de degres(2; 2) ou (2; 1) suivant les cas. Nous nous apercevons alors que les coordonneesde M se calculent en resolvant des equations de degres deux dont les coefficientsdependent des coordonnees de points deja construits de la figure. Autrement dit,les coordonnees des points constructibles a la regle et au compas se calculent apres

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un certain nombre d’etape en resolvant successivement des equations de degres 1ou 2. Algebriquement, cela se formule precisement de la maniere suivante :

Theorem 2 (Wantzel) Un point M = (x; y) est constructible a la regle et aucompas si et seulement si il existe une chaine finie de sous corps de C :

Q ⊂ K1 ⊂ · · · ⊂ Kl ⊂ C,

tel que chaque extension Ki+1/Ki soit de degre 2 et Q(x, y) ⊂ Kl.

Montrons par exemple comment cela s’applique a la constructibilite de Pn dansle cas particulier ou n = p est un nombre premier. Si Pn est constructible, d’apresle Theoreme 2, le degre du nombre complexe

z = ei2π/p = cos(2π/p) + i sin(2π/p),

doit etre une puissance de deux. Mais nous savons que ce degre coincide avec celuide son equation minimale sur Q laquelle est :

1 + Z + · · ·+ Zp−1 = 0.

Ainsi p − 1 doit etre une puissance de 2, donc p doit etre un nombre premier deFermat. Voici pourquoi par exemple on ne peux pas construire l’heptagone regulierP7.

Reciproquement, si n = p est une nombre premier de Fermat, le groupe deGalois de l’extension algebrique Q(ei2π/p)/Q est un 2-groupe donc resoluble. Onpeut donc calculer ei2π/p en resolvant une chaine d’equations de degres deux. C’estainsi que Gauss proceda pour construire P17.

Ce detour par l’arithmetique peut surprendre mais il est justifie par les raisonssuivantes. Historiquement, les travaux d’Abel en trigonometrie lemniscatique quenous allons exposer maintenant ont ete principalement motives par le desir deprouver l’exact analogue du Theoreme 1 quand, on remplace le cercle par unelemniscate de Bernouilli. Par ailleurs, on ne saurait parler d’Abel sans evoquerGalois tant ces deux cometes aux destins fulgurants eurent a tous points de vuesdes trajectoires semblables. Enfin, rappellons que l’arithmetique, doit beaucoup ala theorie des courbes et fonctions elliptiques. Par exemple, elles constituent l’undes socles de la preuve par Andrew Wiles du theoreme de Fermat en 1995.

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3 La Trigonometrie Lemniscatique de Fagnano a

Abel

3.1 Les ovales de Cassini et la Lemniscate de Bernouilli

Les ovales de Cassini, sont des courbes bi-focales obtenues comme lignes deniveaux de la fonction

f : R2 → R, M 7→MF ×MF ′.

elles sont representees sur la Figure 3 suivante. Elles furent introduites en 1680

Figure 3

par l’astronome Jean Dominique Cassini, dans une nouvelle tentative infructueusede description des mouvements des planetes. Cependant, la Figure 4 precedente,dite � figure des yeux de chat �, ne fut pas totalement perdue pour la physiquepuisqu’on s’apercu plus tard qu’elle representait, les equipotentielles de deux filsinfinis uniformement charges (voir Figure 4). En effet, si λ designe la densite decharge par unite de longueur, on voit sans peine grace au Theoreme de Gauss que

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Figure 4

le potentiel d’un fil est donne par

V (r) = V0 −λ

2πε0ln(r/r0).

Ainsi les equipotentielles de deux fils seront des lignes de niveaux de la fonctionln(r1r2) c’est a dire des ovales de Cassini.

Parmi ces dernieres, la Lemniscate de Bernouilli est celle qui represente cesymbole infini. Son equation est de la forme MF ×MF ′ = a2 avec OF = OF ′ = a.Le mot � lemniscate � provient du mot grec � lemniskos � qui signifie ruban.

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Figures 5, 6

Quand on normalise cette courbe en prenant a = 1/√

2, la courbe L des Figures5 et 6 s’inscrit dans le cercle unite C. Elle admet les equations cartesiennes etpolaires suivantes

(x2 + y2)2 = x2 − y2 et r2 = cos(2θ)pour− π/4 6 θ 6 π/4.

Quant au lien entre la lemniscate L, le cercle C et l’hyperbole equilatere H :x2−y2 = 1 de la figure 6, il reside dans le fait que la lemniscate et l’hyperbole sontinverses l’une de l’autre dans l’inversion de centre O et de cercle C, c’est a dire

L = IC(H)⇔ H = IC(L).

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Cette relation liant ces trois courbes, va resurgir naturellement sous un jour nou-veau en comparant les trois trigonometries en jeu que sont les trigonometries cir-culaires, hyperboliques et lemniscatiques.

3.2 Trigonometrie generalisee

Figure 7

Sur les trois images de la figure 7, nous avons respectivement :

s =

∫ sin(s)

0

du√1− u2

=Aire(OAM)

2= Arc(AM)

s =

∫ sh(s)

0

du√1 + u2

=Aire(OAM)

2

s =

∫ r

0

du√1− u4

= Arc(OM). (3.1)

Quand ils ont vu ces formules et figures (la derniere est tiree des oeuvres d’Abel), lesgeometres du XIXeme siecle ont naturellement pense qu’il etait temps de faire de latrigonometrie lemniscatique. C’est-a-dire qu’il fallait etudier les fonctions inversesde ces integrales, lesquelles representent des arcsinus et ne sont donc definies quesur des domaines limites de R. Il ecrivirent donc

r = sinlem(s) = φ(s) = sl(s).

La notation � sinlem � est due a Gauss, Abel employait la notation � φ �. Nousutiliserons desormais la notation suggestive � sl � assez couramment employee denos jours.

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Poursuivons les analogies entre trigonometries circulaire et lemniscatique. Si πest defini comme etant le demi-perimetre du cercle, on note semblablement $ (lire� pi-script �), le demi-perimetre de la lemniscate. On alors

π = 2

∫ 1

0

du√1− u2

et $ = 2

∫ 1

0

du√1− u4

.

Une valeur approchee de $ est environ 2,622057. Gauss a trouve en 1799, un lienetroit entre ces deux nombres et la moyenne arithmetico-geometrique de 1 et de√

2 au travers de la relation

π

$=M

(1,√

2).

En 1937, Schneider completa le resultat de Lindeman-Weirstrass sur la transcen-dance de π en demontrant que $ etait, lui aussi, un nombre transcendant.

3.3 Fagnano, Euler et Gauss

C.G. Jacobi (1804-1851) appelait le 23 decembre 1751 le jour de naissance desfonctions elliptiques. C’est a cette date qu’Euler examina les papiers que le ComteGiulio Fagnano (1682-1766) avait envoye a la celebre Academie de Berlin afind’en devenir un des membres. En effet, vers 1750, Fagnano montre qu’a l’instardu cercle, il est possible de diviser la lemniscate en 3,4 et 5 arc egaux a la regleet au compas. Euler lit ce travail et entrevoit pour la premiere fois l’idee d’unetrigonometrie lemniscatique. Il generalise les formules de duplication de l’arc delemniscate obtenues par Fagnano en demontrant notamment la relation suivante :si r, u, v verifient la relation

r =u(1− v4)1/2 + v(1− u4)1/2

1 + u2v2,

alors on a ∫ r

0

dt√1− t4

=

∫ u

0

dt√1− t4

+

∫ v

0

dt√1− t4

. (3.2)

On remarquera que ce resultat est une � formule d’addition �. Son analogue cir-culaire etant : si r, u, v verifient la relation

r = u(1− v2)1/2 + v(1− u2)1/2,

alors on a ∫ r

0

dt√1− t2

=

∫ u

0

dt√1− t2

+

∫ v

0

dt√1− t2

.

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En prenant l’inverse, ceci se traduit par la celebre formule d’addition

sin(a+ b) = sin(a) cos(b) + sin(b) cos(a).

Vers 1800, Gauss prend conscience qu’il faut poursuivre les travaux de Fagnano,dans la lignee de ce qu’il a lui meme obtenu pour le cercle. Il voit egalement qu’ilfaut faire de la trigonometrie lemniscatique en etendant les fonctions lemnisca-tiques dont le sinus de la droite des reels au plan complexe. Mais Gauss ne publiepas ses observations ; elles seront retrouvees bien plus tard, vers la fin du siecledans ses carnets par les historiens. Le grand artisan de toutes ces merveilles vaetre Abel qui vers 1830, aura, seul, l’idee de mettre en place les vues de Gauss.

3.4 Le sinus lemniscatique ou la fonction φ = sl d’Abel

Figure 8

Sur la Figure 8, nous avons represente a gauche le graphe de la fonction φ = slcomme fonction inverse de la bijection croissante

[−1; 1]→ [−$/2;$/2];x 7→∫ x

0

dt√1− t4

.

Sur la partie droite de la figure, nous avons dessine l’unique prolongement C∞ desl comme solution de l’equation differentielle

sl′2(x) = 1− sl4(x). (3.3)

Remarquons au passage que si le graphe de sl est en tout point semblable a celuide sinus, la relation differentielle (3.3) rappelle la formule sin′2(x) = 1 − sin2(x).Enfin, sl est 2$-periodique en vertue de la relation

sl(x+$) = − sl(x). (3.4)

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Si, depuis Euler, on sait prolonger la fonction sinus au plan complexe grace a sondeveloppement en series entiere, Abel abordera ce probleme des deux manieressuivantes :

En premier lieu, il remarque que si on pose Ψ(z) := −i sl(iz), alors Ψ verifieencore la meme equation differentielle (3.3) avec les memes conditions initialesque sl (sl(0) = 0 et sl′(0) = 1). Il en deduit qu’en particulier, sl se prolonge al’axe des imaginaires purs et que, plus generalement si elle est definie dans undomaine contenant le nombre complexe z, elle sera definie aussi au voisinage de izet verifiera,

sl(iz) = i sl(z). (3.5)

Par ailleurs, en resolvant (3.3), Abel obtient que sl admet un developpement enseries entiere de rayon fini non nul, qui commence par

sl(z) = z − z5

10+

z9

120− z13

15600+ · · · (3.6)

Des relations (3.4) et (3.5), Abel deduit le resultat fondamental

Theorem 3 La fonction sinus lemniscatique sl est definie sur un domaine du plancomplexe stable par toutes les translations de reseau L0 := $Z[i] = $Z ⊕ i$Z.Sur ce domaine, sl est une fonction elliptique de periode le reseau 2L0 := 2$Z[i].

Par ailleurs, Abel obtient aussi une reformulation de la relation (3.2) d’Euler,sous la forme de son theoreme d’addition

sl(a+ b) =sl(a) sl′(b) + sl(b) sl′(a)

1 + sl2(a) sl2(b), (3.7)

en tous les points complexes a, b, a+ b ou sl est definie.

Pour demontrer son theoreme d’addition, Abel commence par deriver (3.3), cequi donne sl′′(x) = −2 sl3(x). Puis il pose Ψ := Ψ(a, b) le membre de droite de(3.7). Il remarque alors que l’on a en calculant les derivees partielles

∂Ψ

∂a=∂Ψ

∂b.

De sorte que Ψ comme fonction des quantites s = a+b et d = a−b, ne depend pas ded. Ainsi Ψ peut s’ecrire comme une fonction d’une seule variable Ψ(a, b) = f(a+b).En posant b = 0 dans cette relation et en tenant compte des relations sl(0) = 0 etsl′(0) = 1, on obtient f(x) = sl(x) d’ou le resultat.

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3.4.1 Les zeros et poles du sinus lemniscatique

La fonction sl va avoir comme son homologue circulaire des zeros dans le plancomplexe. Outre le fait d’avoir un reseau de periodes, une difference notable va etreque sl va aussi avoir des poles dans C. Ceci explique pourquoi le developpementen serie entiere donne par (3.6) est de rayon fini. Precisement, Abel obtint lacaracterisation decrite par le

Theorem 4 La fonction sinus lemniscatique est une fonction meromorphe du plancomplexe. Ses zeros sont les points du reseau L0 = $Z[i] ; tandis que ses poles sontles points du reseau L1 := 1+i

2$ + L0.

Ce resultat est un cas particulier d’un phenomene beaucoup plus general, asavoir qu’une fonction elliptique non constante admet toujours des poles et memeautant de zeros que de poles quand on compte ces derniers modulo les periodes. Cetheoreme important est maintenant connu sous le nom de � Theoreme de Liouville�. Sur la Figure 9 ci-dessus, le reseau des zeros est represente par les points notes

Figure 9

• et le reseau des poles est represente par les point notes ×. Observons aussi que

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L1 s’obtient en translatant L0 par le vecteur 1+i2$. Les arguments de la preuve

sont les suivants : pour les zeros, on resout l’equation

sl(a+ ib) = 0,

en separant parties reelles et imaginaires, grace a (3.5) et au theoreme d’addition.Pour les poles, on se ramene au cas precedent modulo la translation par 1+i

2$, en

vertu de la formule suivante :

sl

(z +

1 + i

2$

)=−i

sl(z).

3.4.2 La factorisation du sinus lemniscatique

En considerant les zeros de la fonction sinus, Euler avait obtenu la factorisationde cette derniere :

sin(z) = z+∞∏n=1

(1− z2

(nπ)2

), ∀z ∈ C.

De maniere analogue, Abel obtint

sl(z) = z

∏α(1− z4/α4)∏β(1− z4/β4)

, ∀z ∈ C\L1, (3.8)

Ici, pour des raisons de convergence, les nombres α ne decrivent pas tout le reseaudes zeros L0, mais seulement la partie contenue dans le quadrant superieur droitde la Figure 9, a savoir

{α} = L0 ∩ {z ∈ C|0 6 arg(z) < π/2}.

On a bien sur la meme restriction pour les poles β ∈ L1 qui interviennent dans(3.8).

La preuve la plus elementaire de ce resultat consiste a observer que si on noteΨ le membre de droite de (3.8), alors, en considerant sa derivee logarithmique, onmontre assez simplement que Ψ est une fonction elliptique de groupe de periodes2L0 = 2$Z[i]. Ainsi, le quotient sl /Ψ est encore une fonction elliptique de memesperiodes. Mais par construction sl /Ψ n’a plus de poles. En vertu du Theoreme deLiouville cite plus haut, sl /Ψ doit etre une fonction constante. Et on conclut enremarquant qu’au voisinage de z = 0, on a les equivalents sl(z) ∼ z ∼ Ψ(z).

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3.4.3 Une relation d’Hurwitz

Il s’agit de la spectaculaire relation suivante

$4

15=

∑q∈Z[i]\{0}

1

q4. (3.9)

Cette relation est l’analogue de la formule ζ(2) = π2

6=∑+∞

n=11n2 .

Elle se demontre en utilisant le meme argument que celui qui permit a Eulerde calculer les ζ(2k). C’est-a-dire que l’on compare les developpements en seriesentieres de sl′(z)/ sl(z) que l’on obtient soit grace a la formule du produit, soitgrace a la relation (3.6).

4 Le pendule simple et les fonctions elliptiques

Nous allons voir maintenant que des fonctions elliptiques un peu plus generales(celles de Jacobi) interviennent naturellement pour decrire l’evolution temporellede certains systemes mecaniques. Quand on etudie l’evolution temporelle de l’angle

Figure 10

x = x(t) du pendule de la Figure 10, le Principe Fondamental de la Dynamiquepermet de voir que cet angle verifie l’equation differentielle

x = −ω2 sin(x) avec ω =√g/l. (4.1)

Cette equation differentielle d’ordre deux est compliquee et, en general, on la sim-plifie pour les etudiants en supposant x petit et en approximant sin(x) par x.

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C’est-a-dire que l’on etudie alors l’oscillateur harmonique. Nous allons desormaisnous affranchir de cette hypothese restrictive des petits angles.

Dans un premier temps, on dedouble cette equation d’ordre deux en la conver-tissant en un systeme de deux equations differentielles d’ordre un suivant{

x = yy = −ω2 sin(x)

. (4.2)

En mecanique, on dit que nous sommes passes de � l’espace des configurations� (ou espace des positions), ici le cercle S1 de dimension, un a � l’espace desphases � (ou espace des positions-vitesses), lequel sera en premiere approximationle plan R2 de la Figure 11 ci-dessous. Plus precisement, l’espace des phases est lecylindre S1×R represente avec ses trajectoires sur la Figure 12. Observons qu’enregle generale, ce passage de l’espace des configurations a l’espace des phases se faitpar un dedoublement des dimensions. Les trajectoires de (4.2) sont decrites par

Figure 11

les courbes de la Figure 11. Cela s’explique de la maniere suivante : On commencepar � integrer � (4.1), c’est-a-dire que l’on multiplie cette equation par x et onl’integre par rapport au temps. Cela donne la conservation de l’energie mecanique

E =x2

2− ω2 cos(x) =

x2

2+ 2ω2 sin2

(x2

)− ω2 =

y2

2+ 2ω2 sin2

(x2

)− ω2.

Cela signifie que la quantite E = E(x, y) comme fonction definie sur l’espace desphases est une constante du mouvement, c’est-a-dire que l’energie est constante

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Figure 12

sur chaque trajectoire de (4.2). Il suffit donc de tracer les lignes de niveaux de Epour obtenir sur la Figure 11 les trajectoires de (4.2). On a toujours E > −ω2

et, les trajectoires peuvent etre classifiees selon leurs natures. Pour E = −ω2, lestrajectoires d’energie minimale correspondent a la position d’equilibre stable dupendule (x = 0 mod 2π, x = y = 0). Pour une energie E1 comprise strictemententre −ω2 et ω2, on trouve des trajectoires periodiques oscillantes avec |x(t)| 6xmax < π. Quand l’energie atteint la valeur critique E = Es = ω2, on dit qu’onest sur la � separatrice �. Cette trajectoire tres particuliere est celle ou l’on donnel’energie suffisante pour que le pendule atteigne la position d’equilibre instablehaute (x = π) avec une vitesse nulle. Nous allons voir qu’il faut un temps infinipour y parvenir. Enfin, quand E = E2 > ω2, le pendule tourne indefiniementautour du cercle, il ne se balance plus comme pour les trajectoires de type E1.

Les fleches sur la figure indiquent le sens de parcours des trajectoires. On lestrouve en remarquant que grace a (4.2), x = y sont de meme signe. Observonsque si la description precedente donne le sens de parcours des trajectoires, elle nedonne pas les lois horaires, c’est-a-dire les fonctions t 7→ x(t). Pour ce faire, onprocede comme suit : on fixe une valeur de l’energie E 6∈ {±ω2} et on obtient

dx

dt= ±2

√E + ω2 cos(x)⇔ t = ±

∫dx

2√E + ω2 cos(x)

. (4.3)

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Il y a plusieurs choses a dire a propos de cette expression.En premier lieu, comme nous l’avons annonce, pour E = Es = ω2, il faut

un temps infini pour atteindre la position d’equilibre instable du pendule. Celaprovient tout simplement de la divergence en x = π de l’integrale generalisee∫ π

0

dx√ω2 + ω2 cos(x)

=1

ω√

2

∫ π

0

dx

cos(x/2).

Maintenant, evitons les deux cas extremes en ne nous interessant qu’aux valeursde l’energie E 6∈ {±ω2}. L’integrale (4.3) donne le temps en fonction de la positionet non l’inverse comme souhaite. Par ailleurs, si on pose le changement de variablez = sin(x/2) dans l’integrale, cette derniere devient une � integrale elliptique � detype (3.1) c’est-a-dire de la forme ∫

dz√P (z)

,

ou le polynome P (z) est de degre 4. On est donc dans une situation ou la fonctiont(x) est du type � arcsinus de x �, ainsi la fonction x(t) s’obtiendra par inversegrace a un � sinus elliptique du temps t �. Les formules explicites que nous ne don-nons pas ici font intervenir les fonctions � sinus-amplitudinus de Jacobi � notees� sn � dans la litterature.

Attention, les fonctions t 7→ x(t) ne sont pas elliptiques. Cependant on a le

Theorem 5 (Paul Appell 1878) Pour toute valeur de l’energie E 6∈ {±ω2}, lesfonctions t 7→ z(t) = sin(x(t)/2) sont elliptiques.

Ce qui est tres beau, c’est que l’argument d’Appell est purement mecanique.Il raisonne comme suit : si on souhaite regarder l’evolution de x pour des tempsimaginaires, on pose alors

x(t) = X(τ) avec τ = it.

En derivant deux fois cette expression, on obtient l’equivalence

d2x

dt2= −ω2 sin(x)⇔ d2X

dτ 2= ω2 sin(X).

Et cela s’interprete conformement a la Figure 13, en disant que le passage autemps complexe revient a considerer les trajectoires d’un pendule reel ou cette foisla gravitation exerce une force vers le haut. Ces dernieres trajectoires sont doncaussi periodiques. Il en resulte que la fonction initiale t 7→ z(t) admet une periodereelle et aussi une periode imaginaire pure. Ceci est l’ide de base de sa preuve.On remarquera que l’argument n’est pas complet etant donne que la derivationmultiplie par i les vitesses.

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Figure 13

5 Tores complexes, courbes elliptiques et mecanique

Nous allons conclure cet expose en evoquant les memes objets sous un angleun peu plus general et plus geometrique. Commencons par les tores et les courbeselliptiques.

5.1 Un theoreme de Weirstrass sur la parametrisation destores complexes T2

Les fonctions trigonometriques usuelles s’appellent les fonctions circulaires carelles parametrent les cercles selon le morphisme de groupe

ϕ : (R,+)→ (S1,×) t 7→ cos(t) + i sin(t) = exp(i(t)).

Ce morphisme est surjectif et son noyau est le sous groupe des periodes Ker(ϕ) =2πZ ⊂ R, de sorte que

R/2πZ ' S1.

De maniere semblable, on peut se demander ce que parametrent les fonctionselliptiques. On va ici se restreindre au cas particulier des fonctions lemniscatiquesmais, bien entendu, le phenomene decrit se generalise. Considerons le reseau Λ =2L0, le reseau des periodes de sl. Il existe alors une fonction elliptique dite lafonction P de Weirstrass, associee a ce reseau. Elle est definie par la formule

P(z) =1

z2+

∑λ∈L\{0}

(1

(z − λ)2− 1

λ2

).

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Cette derniere est elliptique de groupe de periodes Λ et peut se calculer rationelle-ment a partir de sl(z) et de sl′(z). Le phenomene important est que ses poles soientcette fois tous d’ordre deux et situes sur le groupe des periodes Λ. Par ailleurs, larelation (3.3) et surtout le theoreme d’Hurwitz (3.9), permettent de voir que P etsa derivee sont liees par la relation

P ′2(z) = 4P3(z)− P(z)/4.

De sorte que, si on considere l’application

ζ : C∖

Λ→ C2 t 7→ (P(t);P ′(t)) = (x; y),

son image est contenue dans la courbe algebrique d’equation y2 = 4x3 − x/4. Onpeut meme montrer que cette inclusion est une egalite. (Attention au vocabulaireemploye. Ici une � courbe du plan complexe C2 est un ensemble geometrique dedimension reelle egale a deux. C’est typiquement un exemple de ce que l’on appelleune � surface de Riemann �). Revenons a l’application ζ. Elle peut se prolongera C tout entier si nous envoyons les poles contenus dans Λ sur des � points al’infini �. Ceci necessite de modifier le but C2 en l’incluant dans le plan projectifcomplexe P2(C). Concretement, on procede comme suit, on defini encore ζ par lameme formule sur C\Λ, a savoir

ζ(t) = [P(t);P ′(t); 1] = [X;Y ;Z].

Cette fois l’image est contenue dans la courbe projective lisse du plan projectif,d’equation homogene de degre trois

E : ZY 2 = 4X3 − Z2X/4.

Quand on fait Z = 0 dans cette equation, on trouve son unique point a l’infinile point ∞ = [0; 1; 0] et on decide alors d’envoyer tous les points de Λ sur ∞. Legrand avantage de cette construction est que ζ devient maintenant un morphismede groupe

ζ : (C,+)→ (E,⊕),

ou la loi ⊕ de E peut se definir geometriquement de facon tres simple et refleterau niveau des coordonnees des points, des formules d’additions pour la fonctionP de Weirstrass, qui sont comparables a celles qu’Abel avait obtenues. L’elementneutre de cette loi est le point a l’infini, ainsi le noyau de ζ est le sous groupe desperiodes : Ker(ζ) = Λ. Puisque ζ est surjectif, on a donc l’isomorphisme

C/Λ ' E.

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Maintenant, d’un point de vue topologique, C quotiente par un reseau est isomor-phe a R×R/Z× Z

R×R/Z× Z ' R/Z×R/Z ' S1 × S1 ' T2,

c’est-a-dire a un produit cartesien de deux cercles. Mais un produit cartesien dedeux cercle est un � tore �, un � donut � en anglais. Voir la Figure 14 pour unejustification plus visuelle. Ainsi, la chose importante a retenir est la suivante

Figure 14

Theorem 6 (Weirstrass)Les fonctions elliptiques parametrent naturellement descourbes elliptiques, lesquelles sont des groupes algebriques compacts isomorphes ades tores T2.

Ce resultat est l’un des points clefs de la preuve d’Abel de l’analogue duTheoreme de Gauss-Wantzel, sur la division de la lemniscate en arcs egaux a laregle et au compas. Nous n’entrerons pas dans ce sujet, mais nous donnerons de ceresultat quelques surprenantes interpretations dans le domaine de la mecanique.

5.2 Les systemes integrables et le theoreme d’Arnold-Liouville

Plutot que d’enoncer precisement ce theoreme general ce qui serait un peulong nous allons l’illustrer dans quelques cas particuliers. L’idee principale est lasuivante : si un systeme mecanique non dissipatif possede suffisament de constantesde mouvements en plus de l’energie mecanique totale, alors ses trajectoires borneessont des mouvements quasi-periodiques sur des tores.

Nous avons deja rencontre des mouvements periodiques dans le contexte dupendule simple qui est un systeme a un degre de liberte, nous allons maintenantobserver quelques systemes possedant plus de degres de liberte.

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Figure 15

5.2.1 Un peu de topologie autour du pendule spherique

La generalisation immediate a deux degres de liberte du pendule simple est lependule spherique de la Figure 15. Ici, l’espace des configurations est la sphere S2

et l’espace des phases est le fibre tangent TS2 qui est de dimension quatre. Nousavons deux constantes du mouvement que sont l’energie mecanique totale E etσv : la projection du moment cinetique sur la verticale. Si on procede a une etudeexplicite de ce systeme, la conservation de ces quantites permet de voir simplementque chaque trajectoire est comprise entre deux cercles horizontaux C1 et C2 quenous avons representes sur la Figure 15 (a gauche en vue transverse, puis a droite envue de dessus). Ainsi, en vue de dessus, on voit que si Φ est � l’angle de precession� entre deux chocs A et B, la trajectoire de la partie gauche se repete par symetrieen evoluant dans un anneau. Ceci est une illustration de la quasi-periodicite destrajectoires. Precisement, on aura deux cas possibles :• Si Φ est un multiple rationnel de π alors la trajectoire sera periodique.• Si Φ n’est pas un multiple rationnel de π alors la trajectoire sera dense dans

l’anneau.Retrouvons maintenant cette description qualitative par un argument de porteeplus generale. Puisque chaque trajectoire γ dans l’espace des phase TS2 aura lieua l’interieur de deux lignes de niveaux

E = c1, σv = c2,

ou c1 et c2 sont deux constantes reelles, γ sera contenue dans un sous espace Σde TS2 de dimension : dim(Σ) = 4 − 2 = 2. Autrement dit, γ sera contenuedans une surface Σ qui depend des deux constantes c1 et c2. Etant donne que

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vitesses et positions sont bornees le long d’une trajectoire, on en deduit que Σ estcompacte. Par ailleurs on peut deduire aussi que Σ est orientable du fait que TS2

l’est egalement. La classification des surfaces compactes orientables donne alorsque Σ est topologiquement isomorphe a une sphere a g trous. (Quand g = 0, onobtient une sphere, pour g = 1 un tore etc. Le nombre g de trous s’appelle le genrede la surface).

Supposons maintenant que c2 6= 0, cela implique qu’en tout point de γ lavitesse soit non nulle. Comme ceci est vrai pour toute trajectoire γ ⊂ Σ , on endeduit que le champ de vecteurs des vitesses V qui induit les trajectoires sur Σne s’annule jamais. Mais un autre tres beau theoreme de topologie, le Theoremede Poincare-Hopf, implique que sur une surface a g trous, s’il existe un champ devecteurs qui ne s’annulle jamais alors cette derniere est un tore c’est-a-dire queg = 1. L’illustration la plus suggestive de ce theoreme est le � Theoreme de laboule chevelue � que nous avons illustre sur la Figure 16 ci-dessous.

Figure 16

Ainsi, Σ est isomorphe a un tore. On peut en deduire et, c’est la tout le noeuddu Theoreme d’Arnold-Liouville qu’alors chaque trajectoire sur Σ est isomorphesur le tore a une courbe de la forme{

x(t) = ω1t+ x0 mod 1y(t) = ω2t+ y0 mod 1

.

C’est ce que nous avons schematise sur la Figure 17 ci-dessous. On retrouve doncici la quasi-periodicite de chaque trajectoire.

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Figure 17

Figure 18

5.2.2 Les mouvements libres des solides a point fixe

Sur la Figure 18, nous avons represente un solide tournant autour d’un pointfixe O dans un mouvement libre de toute force exterieure. Ce systeme possedetrois degres de libertes car son espace des configurations n’est autre que le groupeSO3(R) des rotations vectorielles de l’espace, etant donne que la position du solideest entierement determinee par la position d’un repereR lie au solide par rapport aun repere fixe R0. Maintenant, dans l’espace des phases T SO3(R) de dimension 6,nous avons quatre constantes du mouvement : l’energie mecanique E qui coıncideavec l’energie cinetique et les trois composantes σx, σy, σz du moment cinetique.Par consequent, chaque trajectoire est inclue dans une surface Σ de dimension6 − 4 = 2. Pour des mouvements a energie positive, c’est-a-dire a vitesse partoutnon nulle, les arguments du paragraphe precedent s’appliquent de la meme maniereet nous pouvons conclure que les trajectoires de ce systeme sont des courbes quasi-periodiques sur des tores.

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Figure 19

5.2.3 La toupie symetrique a point fixe

Remarquons pour conclure que lorsque l’on observe le mouvement d’une toupiesymetrique et plus precisement que l’on ne regarde que le mouvement de son axe,en oubliant qu’elle tourne aussi autour d’elle-meme, on voit sur une sphere la con-jonction de deux mouvements, l’un de precession d’angle ∆θ selon un paralleleperpendiculaire a l’axe donne par la gravitation, et l’autre de nutation qui est uneoscillation d’angle ∆ϕ entre deux paralleles. La composition de ces deux mouve-ments donne encore lieu a des trajectoires quasi-periodiques.

6 Pour aller plus loin

Dans La Geometrie Descartes ecrit : � Et j’espere que nos neveux me saurontgre, non seulement des choses que j’ai ici expliquees, mais aussi de celles quej’ai omises volontairement, afin de leur laisser le plaisir de les inventer �. Nousvoudrions, de facon plus modeste puisque nous n’avons rien invente du contenude ce texte, donner quelques indications de lectures permettant d’approfondir ceque nous avons survole. Nous restreindrons nos choix a des ouvrages et articlesaccessibles a des etudiants de classes preparatoires, vifs et curieux.• Pour les Sections 2 et 3, nous conseillons l’ouvrage : Autour du nombre π, par

Pierre Eymard et Jean-Pierre Lafon, publie chez Hermann. Ce livre contientce que nous avons raconte dans ces sections et bien plus encore, le tout ecritdans une langue parfaite et sans l’omission du moindre detail.• Pour la Section 4 : autour du pendule simple, nous nous sommes inspire

du lumineux article d’Alain Chenciner dont le titre est : Connaissez-vousle pendule ? En complement a ce que nous avons presente, l’auteur decrittous les arguments purement geometriques qui permettent d’acceder auxproprietes des fonctions elliptiques. L’article est accessible directement sur la

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page web de l’auteur ainsi que quantite d’autres choses qui feront le bonheurdes geometres et des mecaniciens.• Pour la Section 5, en ce qui concerne les tores et les fonctions elliptiques du

point de vue de Weirstrass, la litterature est enorme a tel point qu’elle a unpeu occulte le reste. Cependant, parmi tous ces possibles, nous conseillonsle merveilleux : Complex Functions, an algebraic and geometric viewpoint,par Gareth A.Jones and David Singerman publie aux Cambridge UniversityPress. Le titre en dit long et l’ouvrage contient bien plus que les fonctionselliptiques qui ne sont que des fonctions de la variable complexe d’un typeparticulier.• Toujours dans la Section 5, pour la partie concernant le theoreme d’Arnold

Liouville, nous conseillons de puiser directement a la source a savoir dansle : Mathematical Methods of Classical Mechanics, par Vladimir IgorevitchArnold, publie chez Springer et dont il existe une version francaise. Commetous les ouvrages penses par des auteurs tres profonds, les vues d’Arnoldsont amples et limpides, mais on n’a jamais epuise l’ouvrage qui constitue alui seul une mine de reflexions sans fond.

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