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2009A094 TRIBUNAL D’ARBITRAGE CANADA PROVINCE DE QUÉBEC N o de dépôt : 2009-5500 Date 17 juillet 2009 _____________________________________________________________________________ DEVANT L’ARBITRE : HUGUETTE GAGNON _____________________________________________________________________________ Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec Ci-après appelée « le syndicat » -et- Centre de santé et services sociaux de Gatineau Ci-après appelé « l’employeur » Griefs Numéros : Du syndicat : no 610772 De l’employeur : no 08-01 Nature Dates Procédure d’arbitrage médical 15 août 2007 et 6 février 2008 Date d’audience : 25 mai 2009 ______________________________________________________________________ Décret tenant lieu de convention collective : 2006-2010 – Comité patronal de négociation du secteur de la santé et des services sociaux -et- Fédération des infirmières et infirmiers du Québec _____________________________________________________________________________ SENTENCE ARBITRALE (Art. 100 C.tr.) ______________________________________________________________________ AUTRES GRIEFS DONTJ’ÉTAIS SAISIE : 281721, 272417, 610788 et 613008 [1] En plus des griefs qui font l’objet de la présente sentence, j’étais saisie de plusieurs autres griefs de Mme Rita Bolduc. Il s’agit des griefs suivants :

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2009A094

TRIBUNAL D’ARBITRAGE

CANADA PROVINCE DE QUÉBEC No de dépôt : 2009-5500 Date 17 juillet 2009 _____________________________________________________________________________ DEVANT L’ARBITRE : HUGUETTE GAGNON _____________________________________________________________________________ Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec

Ci-après appelée « le syndicat »

-et- Centre de santé et services sociaux de Gatineau

Ci-après appelé « l’employeur » Griefs Numéros : Du syndicat : no 610772

De l’employeur : no 08-01 Nature

Dates

Procédure d’arbitrage médical 15 août 2007 et 6 février 2008

Date d’audience : 25 mai 2009 ______________________________________________________________________ Décret tenant lieu de convention collective : 2006-2010 – Comité patronal de négociation du secteur de la santé et des services sociaux -et- Fédération des infirmières et infirmiers du Québec _____________________________________________________________________________

SENTENCE ARBITRALE

(Art. 100 C.tr.) ______________________________________________________________________

AUTRES GRIEFS DONTJ’ÉTAIS SAISIE : 281721, 272417, 610788 et 613008

[1] En plus des griefs qui font l’objet de la présente sentence, j’étais saisie de plusieurs autres griefs de Mme Rita Bolduc. Il s’agit des griefs suivants :

2

• grief 281721 contestant un avis disciplinaire du 21 juin 2005;

• grief 272417 contestant une lettre du 19 octobre 2005 de Mme Céline Gauthier;

• grief 610788 contestant le défaut de l’employeur de prendre les moyens nécessaires pour faire cesser le harcèlement dont Mme Bolduc alléguait être victime;

• grief 613008 contestant la décision de l’employeur de lui faire subir une expertise médicale, le 21 février 2008.

[2] Le 3 mars 2009, j’ai rendu une décision dans le grief 610788 sur un moyen préliminaire de prescription présenté par la procureure patronale. J’ai rendu une décision préliminaire à cet égard, compte tenu qu’il s’agissait d’un cas manifeste d’irrecevabilité, quant au harcèlement que Mme Bolduc aurait subi pendant qu’elle était au travail, soit avant le 2 juin 2006. Dans cette décision du 3 mars 2009, j’ai statué que :

• la plaignante ne pouvait plus contester le harcèlement qu’elle aurait subi avant le 2 juin 2006, le délai de 90 jours de la clause 31.02 de la convention collective étant dépassé lorsqu’elle avait, le 6 novembre 2007, présenté le grief 610788, la prescription étant acquise à cet égard;

• la prescription n’était pas acquise pour contester le harcèlement psychologique, que la plaignante aurait subi dans le cadre de la gestion par l’employeur de son dossier d’invalidité, le grief 610788 ayant été présenté à l’intérieur du délai de la clause 31.02 à cet égard et la preuve sur le fond étant recevable.

[3] À l’audience du 25 mai 2009, la procureure syndicale a indiqué que le syndicat se désistait du grief 610788, ainsi que des griefs 281721, 272417 et 613008. Ne restent donc à mon mandat que le grief 610772, présenté par Mme Rita Bolduc, et le grief 08-01 présenté par l’employeur.

LE GRIEF 610772 DU SYNDICAT ET LE GRIEF 08-01 DE L’EMPLOYEUR

[4] Par le grief 610772, Mme Bolduc alléguait que l’employeur ne respectait pas la procédure d’arbitrage médical prévue au décret tenant lieu de convention collective. Elle réclamait qu’il soit ordonné à l’employeur de respecter ladite procédure et qu’il soit condamné à lui verser des dommages-intérêts, dont des dommages moraux et exemplaires.

3

[5] Par le grief 08-01, l’employeur contestait l’interprétation du syndicat, à l’effet qu’il ne pouvait transmettre au médecin-arbitre des documents qu’il jugeait pertinents et reliés à l’invalidité. L’employeur contestait également les représentations que le syndicat pouvait faire auprès du médecin-arbitre. Il réclamait que l’arbitre se prononce sur l‘interprétation de l’article 23.27 de la convention collective, quant aux documents qui pouvaient être envoyés au médecin-arbitre, et, également, sur les représentations que les parties pouvaient faire. Par ailleurs, l’employeur réclamait des dommages pour les préjudices subis, notamment sous forme de dommages moraux.

[6] À l’audience du 25 mai 2009, les procureures du syndicat et de l’employeur ont indiqué que les parties renonçaient à réclamer des dommages et qu’un amendement aux griefs était fait de façon à me soumettre uniquement des questions sur l’arbitrage médical, le cas de Mme Bolduc étant mis en preuve pour me permettre de répondre à ces questions.

[7] Deux (2) questions m’ont été soumises par les deux (2) parties mais la procureure du syndicat a présenté une objection à une troisième question présentée par l’employeur, estimant que cette question constituait une demande d’amendement du grief 08-01 qui était irrecevable. À l’audience, j’ai pris sous réserve cette objection.

[8] Les deux (2) premières questions sont les suivantes :

• Quelle est l’interprétation à donner au terme « dossiers », contenu à l’alinéa 3 c) de la clause 23.27.3 du décret tenant lieu de convention collective?

• Quelle est la nature des informations pouvant être mentionnées au médecin-

arbitre, par écrit ou verbalement, dans le mandat et la correspondance qui lui sont adressés par le syndicat, la salariée et l’employeur?

[9] La troisième question, soumise par l’employeur, est la suivante : est-ce qu’une copie des documents envoyés par une partie au médecin-arbitre doit être envoyée à l’autre partie?

[10] JE REJETTE l’objection de la procureure syndicale car j’estime que la question soumise par l’employeur entre dans le cadre du grief 08-01, et également du grief 610772 : elle est du même ordre que les deux (2) autres questions et elle relève de la procédure de l’arbitrage médical.

RÉSUMÉ DE LA PREUVE TESTIMONIALE 1

[11] En plus de la preuve faite le 25 mai 2009, les procureures des parties ont versé la preuve pertinente, aux questions qui me sont soumises, qui avait été faite lors des audiences des 8 et 9 décembre 2008 dans le grief 610788. Lors de l’audience du 25 mai 2009, M. Donat Brousseau, agent de gestion du personnel, et Mme Lise Steingue, conseillère syndicale, ont été entendus comme témoins. 1 La liste des pièces est à l‘annexe 1.

4

Témoignage de M. Donat Brousseau

[12] M. Brousseau a expliqué sa manière habituelle de procéder dans la gestion des dossiers d’invalidité et il a indiqué le suivi fait dans le dossier de Mme Rita Bolduc, en expliquant ses décisions. M. Brousseau a mentionné que, habituellement, les personnes salariées en invalidité sont vues, par un médecin mandaté par l’employeur, à l’intérieur d’un délai de quatre (4) semaines de leur absence. M. Brousseau dit envoyer aux médecins la description de tâches de la personne salariée, tout son dossier médical ainsi que toutes les informations pertinentes.

[13] Les rapports ou expertises, des médecins mandatés par l’employeur, sont envoyés au médecin traitant de la personne salariée et c’est celui-ci qui décide de l’opportunité de transmettre ces documents à la personne salariée. M. Brousseau précise que tout passe par le Service de Santé et qu’il a normalement des contacts téléphoniques réguliers avec la personne salariée en invalidité. Il ajoute qu’il est important pour lui d’avoir accès à toutes les informations pertinentes car une information peut modifier la décision de l’employeur dans le dossier d’invalidité.

[14] M. Brousseau affirme qu’il ne transmet pas uniquement des documents médicaux aux médecins et, par exemple, des lettres sur l’absentéisme sont transmises lorsque cela est pertinent. Dans le dossier de Mme Bolduc, au départ, M. Brousseau n’a pas transmis aux médecins des lettres administratives la concernant mais, après l’expertise du 1er mai 2007 du Dr Melançon (Pièce E-12, page 94), dans laquelle celui-ci parlait d’une problématique administrative, M. Brousseau lui a transmis ces lettres. C’est sur la base de ces lettres que Dr Melançon a changé sa conclusion du 1er mai 2007, dans un rapport complémentaire du 5 juillet 2007, pour conclure que la plaignante était apte à revenir dans son poste d’assistante au supérieur immédiat. En contre-interrogatoire, M. Brousseau a dit qu’il n’avait pas informé Dr Melançon que ces lettres administratives avaient été contestées par voie de griefs.

[15] Quant à l’arbitrage médical, M. Brousseau précise qu’il a envoyé à Mme Bolduc la lettre de transmission du mandat au médecin-arbitre, ainsi que les rapports des 1er mai et 5 juillet 2007 du Dr Melançon (Pièce E-12, page 117), tel que prévu à la clause 23.27.1 du décret tenant lieu de convention collective. M Brousseau ne se souvenait cependant pas s’il avait envoyé, à Mme Bolduc, les lettres administratives et il a ajouté qu’il avait envoyé au médecin-arbitre tous les documents apparaissant à la pièce E-12, estimant qu’il appartenait au médecin-arbitre de décider si les documents étaient pertinents ou pas.

[16] M. Brousseau fait remarquer que le syndicat ne lui a pas transmis les pièces E-13 (lettre du 27 juillet 2007 du Dr Faucher), E-14 (expertise du 29 avril 2008 du Dr Chamberland) et E-15 (lettre du 13 février 2008 du Dr Faucher) qui ont été envoyées au médecin-arbitre.

5

[17] Pour ce qui est des mandats envoyés au médecin-arbitre, M. Brousseau mentionne que certains de ses collègues procèdent différemment de lui : ils font un résumé de dossier, mentionnent les points qu’ils jugent importants ou rédigent une argumentation 2 .

Témoignage de Mme Lise Steingue

[18] Mme Steingue mentionne que c’est par le relevé de cotisations syndicales, qui est envoyé par l’employeur, que le syndicat peut savoir qu’une personne salariée est en assurance-salaire, les personnes en invalidité ne cotisant pas au syndicat. Mme Steingue précise qu’une lettre est alors envoyée par le syndicat, à la personne salariée en invalidité, pour lui expliquer ce qui va survenir pendant son invalidité, en lui précisant que l’employeur a le droit d’obtenir des informations et de faire effectuer des expertises, etc.. Le syndicat conseille aux personnes de conserver leurs documents et Mme Steingue mentionne qu’elle dit « à tout le monde » de s’assurer que leur médecin ait des notes à jour et de l’informer qu’il est important que son dossier soit bien documenté. Elle précise que le syndicat ne reçoit pas de copie des expertises médicales.

[19] C’est vers le 20 février 2007, soit après la première expertise du Dr Melançon, que Mme Steingue est intervenue pour la première fois dans le dossier de Mme Bolduc. À son retour de vacances en juillet 2007, elle a pris connaissance de la lettre, par laquelle l’employeur demandait à Mme Bolduc de rentrer au travail le 18 juillet 2007. Mme Steingue dit avoir également pris connaissance du rapport complémentaire du Dr Melançon, daté du 5 juillet 2007, mais elle n’avait pas la « documentation révisée » dont celui-ci faisait état dans son rapport.

[20] Quant à l’arbitrage médical, Mme Steingue précise que le syndicat transmet au médecin-arbitre les documents médicaux qui sont en lien avec l’invalidité de la personne salariée, le tout accompagné d’une lettre mentionnant que ces documents sont envoyés pour l’arbitrage médical, sans faire part d’aucune opinion. Copie n’est pas transmise à l’employeur.

[21] Mme Steingue précise que, dans le cadre de l’arbitrage médical de Mme Bolduc, des lettres ont été envoyées au Dr Massac par Mme Danielle Doran, par Me Nathalie Martel et par elle-même (Pièce E-12, pages 118-123). Mme Steingue ajoute qu’elle a fait parvenir au médecin-arbitre tous les documents de nature médicale qu’elle avait en sa possession, autant ceux du médecin traitant que ceux des médecins de l’employeur (expertises et certificats médicaux), documents qui n’ont pas été transmis à M. Brousseau. Mme Steingue fait remarquer que le décret mentionne que les parties font parvenir les documents à l’arbitre et, par ailleurs, M. Brousseau n’a pas communiqué avec elle pour avoir copie de ces documents.

2 Un mandat d’un autre intervenant chez l’employeur a été déposé sous la cote S-20.

6

[22] Mme Steingue indique que la lettre du 27 juillet 2007 du Dr Faucher (Pièce E-13), médecin traitant de la plaignante, a été envoyée au Dr Massac. Elle précise ne pas avoir dit à Mme Bolduc d’obtenir un document supplémentaire de son médecin mais lui avoir dit d’aviser qu’elle allait en arbitrage médical. Les pièces E-14 et E-15 ont également été transmises au Dr Massac et Mme Steingue a ajouté qu’elle était d’avis que le rapport de la psychologue était un document de nature médicale, d’autant plus que Mme Bolduc avait vu la psychologue en lien avec son invalidité.

[23] Mme Steingue indique que, lors du deuxième arbitrage médical, M. Brousseau n’avait pas fait parvenir au syndicat une copie de la lettre de mandat envoyée au Dr Côté, médecin-arbitre (Pièce E-12, page 186). Pour cet arbitrage, Mme Steingue mentionne que, compte tenu que Dr Chamberland faisait état, dans son expertise (Pièce E-14), de l’intervention de Mme Marjolaine Villeneuve, elle avait transmis le rapport de Mme Villeneuve au médecin-arbitre. Ce rapport concernait la plainte de harcèlement de Mme Bolduc et Mme Steingue explique que le syndicat voulait qu’il soit clairement indiqué que l’état de santé de la plaignante était en lien avec le harcèlement subi au travail, afin que celle-ci ait de l’aide si elle était réintégrée au travail.

RÉSUMÉ DES ÉLÉMENTS CONTENUS À LA PIÈCE E-12 3

[24] L’employeur a déposé sous la cote E-12 le dossier complet (205 pages) qu’il a produit devant les médecins-arbitres dans le cas de Mme Rita Bolduc dont l’invalidité a commencé le 2 juin 2006, la spécialité impliquée étant la psychiatrie. Le médecin traitant de Mme Bolduc a conclu à son invalidité pendant toute la période impliquée. Quant aux médecins mandatés par l’employeur, ils ont d’abord conclu à l’invalidité de Mme Bolduc mais, le 5 juillet 2007, Dr Gilles G. J. Melançon a conclu qu’elle n’était plus invalide et, le 12 mars 2008, Dr Sylvain-Louis Lafontaine, a conclu dans le même sens.

[25] Le premier médecin mandaté par l’employeur est Dr Marc Couturier qui rencontre Mme Bolduc le 21 juin 2006. Avant cette rencontre, M. Brousseau informe Dr Couturier que Mme Bolduc a des problèmes de comportement au travail (propos mal placés), qu’elle a été rencontrée par son supérieur au sujet des propos qu’elle aurait tenus au travail et qu’une plainte de harcèlement avait été portée contre elle (p. 6). Dr Couturier conclut que Mme Bolduc est inapte au travail et il prévoit une invalidité de 6 à 8 semaines, au minimum (p. 7ss) . À l’examen médical du 21 août 2006, Dr Couturier conclut à une invalidité pour un autre 2 mois, au minimum (p. 25-27) et il avise M. Brousseau qu’il n’a pas réévalué, avec Mme Bolduc, son comportement au travail. À l’examen médical du 16 octobre 2006, Dr Couturier mentionne que Mme Bolduc n’est pas apte pour encore au moins 2 mois (p. 39-41) et il avise M. Brousseau qu’un éventuelle expertise psychiatrique serait à considérer.

3 Les procureures des parties m’ont demandé de ne pas faire référence au diagnostic dans ma sentence, ni aux circonstances. J’ai fait état des circonstances qui, à mon avis, étaient nécessaires pour la compréhension de ma décision.

7

[26] Le 21 décembre 2006, M. Brousseau mandate Dr Melançon, psychiatre, pour un examen médical de Mme Bolduc qui se tiendra le 9 janvier 2007 (p. 44-46). Dans le mandat, M. Brousseau mentionne que l’employeur est prêt à regarder la possibilité de changer Mme Bolduc de milieu de travail, ajoutant qu’il veut s’assurer que son invalidité n’est pas en lien avec son équipe de travail actuelle.

[27] Le 2 février 2007, Dr Melançon produit son rapport (p. 53-66) dans lequel il conclut que Mme Bolduc est apte à faire des tâches d’infirmière sans composante de gestion administrative de subalternes. Il conseille un retour progressif au travail dans des tâches cliniques d’infirmière mais pas dans sa propre unité de soins, précisant qu’elle est inapte à faire les tâches de gestion administrative de son poste actuel (p. 64). Le 13 février 2007, M. Brousseau envoie une lettre au Dr Lucien Faucher, médecin traitant de Mme Bolduc, pour lui soumettre un plan de retour progressif au travail de Mme Bolduc (p. 68-69). Ce plan prévoit un retour progressif (2, 3 et 4 jours par semaine), à titre d’infirmière clinicienne en surplus de l’équipe, pour les semaines des 25 février au 7 avril 2007 avec, dans la semaine du 8 avril 2007, un retour dans son poste d’assistante du supérieur immédiat. Dr Faucher se dit en désaccord avec ce plan (p. 74) et le retour au travail ne se fait pas.

[28] Le 20 avril 2007, M. Brousseau convoque Mme Bolduc à un examen médical pour le 1er mai 2007 auprès du Dr Melançon (p. 76). Dans le mandat (p. 77-79), M. Brousseau informe Dr Melançon qu’il avait reçu une information (« non officielle »), à l’effet que Mme Bolduc s’occupait de son petit-fils à temps complet. Il ajoute qu’il est d’avis que celle-ci a un niveau de fonctionnement, dans la vie de tous les jours, très près de la normale.

[29] Dans son rapport du 1er mai 2007, Dr Melançon conclut que Mme Bolduc est apte à être infirmière clinique, mais pas à sa propre unité de soins (p. 86-97). Dans un rapport du 5 juillet 2007 (p. 98-99), Dr Melançon indique qu’il produit ce rapport suite à la demande de M. Brousseau de prendre connaissance d’une documentation et de voir s’il y avait lieu de reconsidérer ses conclusions suite à l’expertise du 1er mai 2007.

[30] La documentation, mentionnée par Dr Melançon, est la suivante (p. 100-108) :

• lettre anonyme de janvier 2005 mentionnant que Mme Bolduc fume et laisse les autres fumer;

• Notes de M. Luc de Repentigny concernant cette lettre anonyme;

• Lettre du 9 mai 2005 de Mme Anne Lessard, responsable d’unités de vie, expédiée à l’équipe de travail de Mme Bolduc (5 personnes), avec copie à Mme Bolduc. L’objet de cette lettre est le climat de travail dans l’équipe de nuit – 3ième étage. Mme Lessard y mentionne que les exemples donnés par l’équipe l’avaient amenée à comprendre que le style de gestion de Mme Bolduc pourrait davantage favoriser le travail d’équipe, qu’elle avait communiqué avec Mme Bolduc et que celle-ci démontrait un intérêt à s’outiller pour développer un leadership qui permettra plus de concertation, un meilleur fonctionnement d’équipe et, donc, un bon climat de travail. Mme Lessard énumère également ses attentes envers l’équipe.

8

• Lettre du 21 juin 2005 de Mme Anne Lessard, adressée à Mme Bolduc. Des objectifs à atteindre lui sont donnés et il lui est mentionné qu’elle devait apporter des correctifs à son style de gestion et, qu’à défaut de cheminer dans cette démarche d’amélioration du climat de travail, il y aurait intervention au niveau disciplinaire.

Cette lettre était contestée par le grief 281721 présenté le 19 juillet 2005. Ce n’est que lors de l’audience du 25 mai 2009 que le syndicat s’est désisté de ce grief 4.

• Lettre du 19 octobre 2005 de Mme Céline Gauthier, agente en gestion des

ressources humaines, reprochant à Mme Bolduc une absence de 2 jours sans avis et lui mentionnant que ces absences étaient considérées comme des absences sans solde non autorisées.

Cette lettre était contestée par le grief 272417 présenté le 22 novembre 2005. Ce n’est que lors de l’audience du 25 mai 2009 que le syndicat s’est désisté de ce grief 5.

• Projet de lettre disciplinaire du 9 août 2006 et il avait été entendu avec le

syndicat que cette lettre serait remise à Mme Bolduc lors de son retour au travail. Dans ce projet de lettre, il est question de comportements non respectueux à l’égard d’un employé et de certains résidents. Une suspension sans solde y est mentionnée mais le nombre de jours de suspension n’est pas encore déterminé.

Mme Louise Bergeron, chef de programme milieu de vie, est indiquée comme signataire de cette lettre mais c’est Mme Céline Gauthier qui a montré cette lettre à Mme Steingue, conseillère syndicale, en décembre 2006.

[31] Dans son rapport du 5 juillet 2007, Dr Melançon mentionne que cette documentation dénote des difficultés de fonctionnement de Mme Bolduc, dans ses tâches administratives et de gestion dans son travail d’assistante au supérieur immédiat, depuis avant le début 2005. Il conclut que ces difficultés ne représenteraient pas un trauma psychologique suite à des gestes d’autrui mais, plutôt, des difficultés de fonctionnement professionnel reliées à sa personnalité auxquelles elle serait confrontée dans ce genre de travail. Dr Melançon conclut que Mme Bolduc est apte à revenir dans son poste d’assistante au supérieur immédiat, sans limitation de tâches et d’horaire, le retour au travail devant être progressif.

4 M. Brousseau a dit qu’il n’avait pas informé Dr Melançon que cette lettre avait été contestée par voie de grief. 5 M. Brousseau a dit qu’il n’avait pas informé Dr Melançon que cette lettre avait été contestée par voie de grief.

9

[32] Le 16 juillet 2007, M. Brousseau demande à Mme Bolduc de rentrer à son poste de travail le 18 juillet 2008 (p. 109) : celle-ci ne se présente pas au travail et le processus d’arbitrage médical est alors enclenché. Le 19 juillet 2007, Mme Steigne avise M. Brousseau que seuls les dossiers et expertises directement reliés à l’invalidité peuvent être transmis au médecin-arbitre, en lui précisant que le dossier administratif de Mme Bolduc 6 ne peut être admissible au processus d’arbitrage médical (p. 111). Le 31 juillet 2007, Mme Bolduc est convoquée à une rencontre avec le médecin-arbitre, Dr Massac, pour le 22 août suivant (p.116).

[33] Le 10 août 2007; Me Martel, procureure syndicale agissant pour Mme Bolduc, écrit au médecin-arbitre pour lui mentionner que l’employeur a envoyé copie de documents 7 contraires à l’article 23.27, malgré le fait que le syndicat l’avait avisé de l’illégalité de ce geste. Me Martel ajoute qu’un grief a été déposé pour non respect de la procédure d’arbitrage médical 8 et qu’une plainte de harcèlement contre le Bureau de santé, pour sa conduite dans le dossier de Mme Bolduc, serait déposée. Me Martel demande au Dr Massac de ne pas donner suite à son mandat jusqu’à ce qu’un arbitre de griefs dispose de la légalité de la procédure (p. 118-119). En l’absence de M. Brousseau, Mme Danielle Doran envoie, le 16 août 2007, une lettre à Me Martel pour contester son intervention (p. 120-121), copie de cette lettre étant envoyée au Dr Massac (p. 122). Le 20 août 2007, Mme Lise Steingue, conseillère syndicale, envoie une lettre au Dr Massac pour l’informer que la suspension de la procédure n’appartenait qu’à lui, tout en lui mentionnant que, dans l’éventualité où il procédait, le syndicat risquait de devoir contester sa décision en Cour supérieure (p. 123-124), copie de cette lettre étant envoyée à M. Brousseau. Le 22 août 2007, Dr Massac rend une décision (p. 125-137) et il statue que Mme Bolduc était invalide en date du 18 juillet 2007.

[34] Le 30 janvier 2008, M. Brousseau convoque Mme Bolduc à un examen médical, pour le 21 février 2008, devant Dr Sylvain Louis Lafontaine (p. 146). Dans le mandat au Dr Lafontaine, M. Brousseau fait état de l’absentéisme de Mme Bolduc (p. 149). Dr Lafontaine conclut que Mme Bolduc est consolidée et qu’elle est capable de retourner à son emploi d’infirmière assistante au supérieur immédiat (p. 152 à 169).

[35] Le 2 avril 2008, M. Brousseau demande à Mme Bolduc de se présenter à son poste de travail, le 4 avril 2008 (p. 171) : celle-ci ne se présente pas et un autre arbitrage médical est enclenché. Le 14 avril 2008, Mme Steingue informe M. Brousseau que le syndicat a demandé une expertise psychiatrique (p. 184) et, le 7 mai 2008, le médecin-arbitre, Dr Côté, rencontre Mme Bolduc. Le même jour, Dr Côté rend une décision : il conclut que Mme Bolduc était invalide, le 4 avril 2008, et que cette incapacité se poursuivait (p. 187 à 197).

6 Lors d’une conversation téléphonique, Mme Steingue a précisé à M. Brousseau qu’il s’agissait de la documentation envoyée au Dr Melançon, documentation mentionnée au paragraphe 30 de cette sentence. 7 Documentation mentionnée au paragraphe 30 de cette sentence. 8 Il s’agit du grief 610772.

10

ARGUMENTATION DE L’EMPLOYEUR

[36] La procureure patronale mentionne qu’il y a une différence entre les termes utilisés, à l’alinéa 1 et à l’alinéa 3 c) de la clause 23.27 de la convention collective. Au premier alinéa, le terme « rapport » est utilisé alors que le terme « dossier » est utilisé à l’alinéa 3 c), un terme qui a une signification plus large. En effet, un dossier, c’est « l’ensemble des pièces relatives à une affaire », ce qui implique qu’une preuve autre que de nature médicale peut être transmise au médecin-arbitre. Toute preuve pertinente, factuelle ou médicale, pourrait donc être déposée devant le médecin-arbitre qui applique la convention collective, comme le faisait auparavant l’arbitre de griefs.

[37] La procureure de l’employeur fait remarquer que l’arbitrage médical découle d’un grief (clause 23.27: « est réputé avoir contesté la décision de l’employeur par grief »), au sens de la convention collective et du Code du travail. Le médecin-arbitre exerce donc une fonction quasi-judiciaire et il rend une décision exécutoire qui est sans appel : les règles de justice naturelle et d’équité procédurale s’appliquent donc et le médecin-arbitre doit respecter, notamment, la règle « audi alteram partem ». Si une audition formelle a été exclue dans le cadre de l’arbitrage médical, les personnes impliquées doivent pouvoir faire valoir leurs représentations, peu importe la forme utilisée. La transmission à l’autre partie d’une copie des documents envoyés au médecin-arbitre serait essentielle pour que la règle « audi alteram partem » soit appliquée.

[38] La procureure patronale mentionne que, dans un arbitrage médical, le médecin-arbitre tranche entre deux (2) positions opposées. Même si le recours à l’avocat a été enlevé, elle prétend que l’employeur a le droit de présenter ses prétentions, de faire valoir ses moyens, de transmettre les documents qu’il juge être en lien avec l’invalidité de la personne salariée. Par exemple, si l’employeur a la preuve qu’une personne salariée travaille ailleurs, alors qu’elle se dit invalide, le médecin-arbitre doit connaître cette composante administrative et il lui incombera de décider de la force probante de la preuve dont il dispose.

[39] La procureure de l’employeur fait remarquer que le syndicat, dans le dossier de Mme Bolduc, a fait la même chose que ce qu’il reproche à l’employeur. Des documents envoyés par le syndicat, au médecin-arbitre, constituent de véritables plaidoyers : la pièce E-13, notamment, n’aurait rien d’un document d’ordre médical. De plus, le syndicat parle de harcèlement dans le présent dossier alors qu’aucun arbitre a décidé qu’il y avait eu harcèlement envers Mme Bolduc. Par ailleurs, le syndicat a menacé Dr Massac d’aller en Cour supérieure : de telles représentations ne peuvent sûrement pas être faites.

[40] La procureure de l'employeur conclut en invoquant de la jurisprudence à l'appui de ses prétentions 9 .

9 La liste de la jurisprudence invoquée par la procureure patronale est à l’annexe 2.

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ARGUMENTATION DU SYNDICAT

[41] La procureure syndicale mentionne qu’il ne faut pas confondre invalidité et cause de l’invalidité. Dans un arbitrage médical, il s’agit de déterminer s’il y a invalidité ou pas et le médecin-arbitre n’a pas à déterminer la cause de l‘invalidité. En arbitrage de griefs, la preuve était longue et, de façon à ce qu’il n’y ait pas d’enquête, l’arbitrage médical a été institué. Aucune preuve de faits ne pourrait donc être permise, le rôle du médecin-arbitre étant d’étudier l’opinion des autres médecins, de rendre une décision après avoir fait cette étude et l’examen de la personne salariée. Le médecin-arbitre a à décider de la question suivante : « est-ce que mon examen médical colle plus avec l’opinion du Dr X ou du Dr Y? »

[42] La procureure du syndicat soutient que le médecin-arbitre ne peut aller chercher des éléments ailleurs que dans les éléments indiqués aux paragraphes c) et d) de l’alinéa 3 de la clause 23.27. Il n’appartient pas au médecin-arbitre de juger de la pertinence de documents et tout doit être fait très rapidement car il doit rendre sa décision dans un délai de 45 jours du dépôt du grief. Si la prétention de la procureure patronale, à l’effet que toutes sortes de documents peuvent être envoyés au médecin-arbitre, était retenue, il faudrait alors que tout le monde ait la chance d’être entendu sur tout, ce qui nécessiterait l’audition de témoins. Procéder ainsi, ce serait alourdir un recours qui a été conçu pour être expéditif.

[43] La procureure syndicale soutient que les raisons autres que médicales ne sont pas de la juridiction du médecin-arbitre, celui-ci se prononçant uniquement sur les questions médicales. Il peut dire qu’il y a dépression, mais non pas que la dépression est causée par le harcèlement au travail. L’arbitrage médical est une enclave à l’intérieur du régime général et il diffère de l’arbitrage de griefs. Cependant, dans le dossier de Mme Bolduc, le harcèlement était une composante du dossier : il n’avait pas encore été reconnu mais un grief de harcèlement avait été déposé.

[44] La procureure syndicale soumet que la clause 23.27, qui porte sur la procédure de règlement d’un litige relatif à une invalidité, doit être analysée dans son contexte. La clause 23.22 stipule que la personne salariée doit fournir des pièces justificatives; la clause 23.23 prévoit que l’employeur peut vérifier le motif de l’absence et contrôler, tant la nature que la durée de l’invalidité. La clause 23.24 stipule que l’employeur peut faire examiner la personne salariée par un médecin de son choix, pour vérifier si elle répond à la notion d’invalidité qui est définie à la clause 23.03. Dans ce contexte, les rapports, dossiers et expertises, « directement reliés à l’invalidité », dont il est question à la clause 23.27, ne peuvent qu’être les documents médicaux.

[45] La procureure du syndicat conclut en invoquant de la jurisprudence 10 à l'appui de ses prétentions.

10 La liste de la jurisprudence invoquée par la procureure syndicale est à l’annexe 3.

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RÉPLIQUE DE L’EMPLOYEUR

[46] La procureure patronale réplique que, dans le cadre d’un grief, le médecin-arbitre à se prononcer sur trois (3) éléments : le diagnostic, le suivi médical et l’incapacité. Or, la question médicale qui est en cause, surtout dans le cas de psychiatrie, nécessite une preuve autre que médicale. Il y aurait une analogie à faire, entre l’arbitrage médical et le Bureau d’évaluation médicale, prévu à l’article 216 de la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles : le BEM ne se prononce pas sur la capacité de la personne salariée à faire son travail mais sur les cinq (5) éléments stipulés à l’article 212 de ladite loi.

DISPOSITIONS PERTINENTES DU DÉCRET TENANT LIEU DE CONVENTION COLLECTIVE

23.03 Par invalidité, on entend un état d’incapacité résultant d’une ligature tubaire, d’une vasectomie, de toute autre intervention chirurgicale reliée à la planification familiale, d’une maladie, d’un accident, d’une complication de grossesse ou d’un don d’organe ou de moelle osseuses, faisant l’objet d’un suivi médical et qui rend la salariée totalement incapable d’accomplir les tâches habituelles de son emploi ou de tout autre emploi analogue et comportant une rémunération similaire qui lui est offert par l’employeur. 23.27 Procédure de règlement d’un litige relatif à une invalidité La salariée peut contester tout litige relatif à l’inexistence ou à la cessation présumée d’une invalidité ou la décision de l’employeur d’exiger qu’elle effectue ou prolonge une période de réadaptation ou une assignation prévues au paragraphe 23.17, selon la procédure suivante : 1- L’employeur doit donner un avis écrit à la salariée et au syndicat de

sa décision de ne pas ou de ne plus reconnaître l’invalidité ou d’exiger qu’elle effectue ou prolonge une période de réadaptation ou une assignation. L’avis transmis à la salariée est accompagnée du ou des rapports et expertises directement reliés à l’invalidité que l’employeur fera parvenir au médecin-arbitre et qui sera ou seront utilisé(e) à la procédure d’arbitrage prévue à l’alinéa 3 ou à l’alinéa 4.

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2- La salariée qui ne se présente pas au travail le jour indiqué dans l’avis prévu à l’alinéa 1 est réputée avoir contesté la décision de l’employeur par grief à cette date.

3- Dans le cas où l’invalidité relève de la pratique d’un physiatre, d’un

psychiatre ou d’un orthopédiste, la procédure d’arbitrage médical s’applique : a) … b) …

c) Dans les quinze (15) jours de la détermination de la spécialité

pertinente, la salariée ou le représentant syndical et l’employeur transmettent au médecin-arbitre les dossiers et expertises directement reliés l’invalidité produits par leurs médecins respectifs

d) …

e) Le médecin-arbitre rencontre la salariée et, s’il le juge

nécessaire, l’examine. Cette rencontre doit se tenir dans les trente (30) jours de la détermination de la spécialité pertinente.

f) Dans le cas où le médecin-arbitre arrive à la conclusion que la

salariée est ou demeure invalide, il peut également décider de la capacité de la salariée d’effectuer une période de réadaptation ou une assignation.

Le médecin-arbitre rend une décision à partir des documents fournis conformément aux dispositions de l’alinéa c) et de la rencontre prévue à l’alinéa d). Il doit rendre sa décision au plus tard dans les quarante-cinq (45) jours de la date du dépôt du grief. Sa décision est finale et exécutoire.

DÉCISION ET MOTIFS :

[47] Pour répondre aux questions qui me sont soumises, il est important d’analyser le contexte dans lequel se situe la clause 23.27 qui, comme son titre l’indique, porte sur un litige relatif à une invalidité.

[48] La clause 23.27 est à l’intérieur de l’article 23 qui porte sur le régime d’assurance-vie, maladie et salaire, les clauses 23.17 à 23.32 dudit article portant spécifiquement sur le régime d’assurance-salaire.

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[49] La clause 23.22 prévoit que le versement des prestations, à titre de jours de maladie et d’assurance-salaire, se fait sur présentation des pièces justificatives raisonnablement exigibles, la clause 23.24 précisant que les pièces justificatives requises doivent être soumises promptement par la salariée. La clause 23.23 stipule que l’employeur peut vérifier le motif de l‘absence et contrôler la nature et la durée de l’invalidité alors que la clause 23.24 prévoit que l’employeur peut faire examiner la salariée relativement à toute absence. C’est ce processus des clauses 23.22, 23.23 et 23.24 qui est suivi dans le cas d’une invalidité, processus qui a été suivi pour l’invalidité de Mme Rita Bolduc et qui n’a donné lieu à aucun litige jusqu’au 18 juillet 2007.

[50] Je considère que le plan de retour au travail, soumis le 13 février 2007 par M. Brousseau, n’est pas un litige car, lorsque le médecin plaignant de Mme Bolduc a exprimé son désaccord sur ce plan, l’employeur ne lui a pas demandé de rentrer au travail. Je signale que ce plan n’était pas entièrement fidèle aux recommandations du médecin mandaté par l’employeur, Dr Melançon, en ce qu’il prévoyait un retour de Mme Bolduc dans son poste d’assistante du supérieur immédiat dans la semaine du 8 avril 2007. En effet, Dr Melançon considérait que Mme Bolduc était inapte à faire les tâches de gestion administrative de son poste (Pièce E-12, p. 64) et, ce qu’il conseillait, c’était un retour progressif de celle-ci dans des tâches cliniques d’infirmière dans une autre unité que son unité de soins. Le plan soumis par M. Brousseau respectait ces recommandations uniquement pour les premières semaines du retour au travail, soit pour la période du 25 février au 7 avril 2007. Dans son expertise, Dr Melançon mentionnait qu’il était difficile de préciser la durée de la limitation fonctionnelle de Mme Bolduc, dans ses tâches d’assistante du supérieur immédiat, et qu’il était prudent d’estimer, à ce moment-là 11, une période de 3 à 6 mois (Pièce E-12, page 65).

[51] C’est le 18 juillet 2007 que naît le litige dans le dossier d’invalidité de Mme Bolduc, jour où elle ne rentre pas au travail, alors que M. Brousseau lui avait demandé de réintégrer son poste de travail. De ce fait, Mme Bolduc est réputée avoir contesté par grief, le 18 juillet 2007, la décision de l’employeur, tel que stipulé à l’alinéa 2- de la clause 23.27 du décret tenant lieu de convention collective, enclenchant ainsi le processus de l’arbitrage médical. Comme l’employeur ne reconnaît plus l’invalidité de Mme Bolduc, il y a litige.

[52] Qu’est-ce qui a amené l’employeur à prendre une position différente de celle du médecin traitant de la plaignante, qui la considérait inapte au travail? C’est le rapport du 5 juillet 2007 du Dr Melançon car, auparavant, les médecins mandatés par l’employeur, dont Dr Melançon, avaient conclu à l’invalidité de Mme Bolduc.

[53] Que ce soit du côté de Mme Bolduc et du syndicat, que ce soit du côté de l’employeur, les positions sont « assises » sur l’opinion des médecins consultés qui, au cours du processus, avaient eu à déterminer si Mme Bolduc était invalide au sens de la clause 23.03.

11 L’expertise a été faite le 2 février 2007, suite à une rencontre du 9 janvier 2007 avec Mme Bolduc.

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[54] Trois (3) éléments doivent être présents pour qu’il y ait invalidité : 1) une maladie; 2) un suivi médical; 3) une incapacité totale, de la personne salariée, à accomplir les tâches habituelles de son emploi ou de tout autre emploi analogue offert par l’employeur comportant une rémunération similaire.

[55] Comme permet de le constater la preuve dans le cas de Mme Bolduc, l’application des clauses 23.22, 23.23 et 23.24 donne lieu à la production de plusieurs rapports et expertises de médecins sur l’invalidité de la salariée. Comme la possibilité existait que les médecins diffèrent d’opinion au sujet de l’invalidité d’une salarié, un « forum » devait être prévu, dans le décret tenant lieu de convention collective, pour régler le litige qui surviendrait alors. Le « forum » institué est un arbitrage médical et c’est à un médecin-arbitre qu’a été confié le rôle de régler le litige, soit de décider si la salariée est invalide ou pas (clause 23.27).

[56] Lorsque l’employeur transmet à la salariée l’avis écrit de sa décision de ne plus reconnaître son invalidité, il doit également lui transmettre, tel que prévu à l’alinéa 1- de la clause 23.27, les rapports et expertises directement reliés à l’invalidité qu’il fera parvenir au médecin-arbitre et qui seront utilisés à la procédure d’arbitrage prévue à l’alinéa 3 ou à l’alinéa 4. Lorsqu’il s’agit d’une invalidité relevant de la pratique d’un psychiatre, c’est la procédure prévue à l’alinéa 3 qui s’applique. M. Brousseau a transmis à Mme Bolduc deux (2) rapports du Dr Melançon, ceux du 1er mai et du 5 juillet 2007.

[57] La procureure patronale a prétendu que les termes différents utilisés, à l’alinéa 1 et à alinéa 3 c) de la clause 23.27, soit « rapports » et « dossiers », signifiaient qu’une preuve autre que de nature médicale pouvait être transmise au médecin-arbitre. Qu’en est-il de cette prétention?

[58] Le terme « dossier » est défini ainsi dans « Le Nouveau Robert de la langue française 2010 » :

1) Ensemble des pièces relatives à une affaire et placées dans une chemise. Exemples : Constituer, établir un dossier. Dépouiller, étudier, examiner un dossier. Les pièces, les documents d'un dossier. Verser une pièce au dossier. Dossier incomplet. Dossier d'inscription. Dossier médical. Dossier de presse. 2) L'ensemble des renseignements contenus dans ces pièces Exemples : Le dossier d'un fonctionnaire. Nous avons un dossier sur cette personne. Admission sur dossier. Connaître le dossier de quelqu’un.

[59] Un dossier, c’est donc l’ensemble des pièces relatives à une affaire et l’ensemble des renseignements contenus dans ces pièces : dans le cas de l’alinéa 3 c) de la clause 23.27, l’affaire est l’invalidité d’une salariée. Audit alinéa, l’expression « produits par

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leurs médecins respectifs » précise de qui émanent les dossiers, soit des médecins de la salariée ou des médecins qui ont été mandatés par l’employeur ou le syndicat. Par l’expression « dossiers directement reliés à l’invalidité », une autre précision est faite, précision qui était nécessaire surtout dans le cas du médecin traitant de la salariée qui possède normalement sur cette personne un dossier plus large que celui relatif à l’invalidité en litige.

[60] Le terme « rapport » est défini ainsi dans « Le Nouveau Robert de la langue française 2010 » :

1) Action de rapporter à; 2) Compte rendu plus ou moins officiel

Exemples : Faire un rapport écrit, oral, sur quelque chose, sur quelqu’un. Dresser, rédiger un rapport. Un rapport circonstancié. Rapport d'arbitre, d'expert (expertise), de juge.

[61] Un rapport, c’est donc un compte-rendu : dans le cas de l’alinéa 1 de la clause 23.27, il porte sur l’invalidité d’une salariée et, par le renvoi à l’alinéa 3c), il est précisé de qui émanent ces rapports et expertises. Comme les rapports et expertises, dont il est question à l’alinéa 1, doivent être utilisés à l’alinéa 3 c), il ne peut s’agir que de rapports et expertises émis par des médecins. Comme nous l’avons vu plus haut, l’expression « produits par leurs médecins respectifs », de l’alinéa 3 c), ne fait aucun doute : il ne peut s’agir de documents produits par quelqu’un d’autre que les médecins de la salariée et des médecins mandatés par l’employeur ou le syndicat.

[62] Que des termes différents aient été utilisés, à l’alinéa 1 et à l’alinéa 3 c), s’explique sans doute par le fait qu’il n’aurait pas été opportun de transmettre à la salariée des dossiers de médecins. J’estime que le terme « dossiers », de l’alinéa 3 c), englobe le terme « rapports » de l’alinéa 1, les rapports des médecins se retrouvant dans leurs dossiers.

[63] On retrouve une autre particularité, quant à la participation de la salariée dans le cadre de l’arbitrage médical : celle-ci peut transmettre elle-même les dossiers et expertises au médecin-arbitre, au lieu de demander au représentant syndical de le faire. Cette particularité s’explique sûrement par le fait que le syndicat ne peut avoir copie des dossiers et expertises des médecins, que ce soit du médecin traitant de la salariée ou des médecins mandatés par l‘employeur, si la salariée n’autorise pas le syndicat à en avoir copie. Évidemment, à partir du moment où la salariée demande au syndicat de la représenter et qu’elle l’autorise à avoir copie de ces documents, ce sera le syndicat qui agira dans le dossier.

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[64] En vertu de l’alinéa g) de l’alinéa 3 de la clause 23.27 12, il est prévu que le médecin-arbitre rend une décision à partir des documents fournis conformément aux dispositions de l’alinéa c) et de la rencontre prévue à l’alinéa d) de ladite clause. « Les documents fournis conformément aux dispositions de l’alinéa c) », qu’est-ce à dire?

[65] Dans «Le Nouveau Robert de la langue française 2010 », le terme « conformément à » est défini ainsi :

« d’une manière conforme à » Exemples : conformément à la loi. Conformément au plan prévu.

[66] Les documents fournis, d’une manière conforme à l’alinéa 3 c), ce sont les dossiers et expertises, directement reliés à l’invalidité, produits par les médecins de la salariée ou par les médecins qui ont été mandatés par l’employeur ou le syndicat. Le médecin-arbitre rend une décision à partir de ces documents et, également, à partir de la rencontre avec la salariée qu’il examine s’il le juge nécessaire (alinéa 3 g) de la clause 23.27).

[67] Dans le dossier de Mme Bolduc, en plus des dossiers et expertises des médecins, plusieurs autres documents ont été envoyées au médecin-arbitre, par l’employeur et le syndicat. Lors du premier arbitrage médical devant le Dr Massac, il y a eu, notamment :

• Des « lettres administratives » (voir paragraphe 30 de la présente sentence);

• Des lettres envoyées par le syndicat en réaction à l’envoi de ces lettres administratives (voir paragraphe 33 de la présente sentence)

[68] Les lettres administratives, envoyées par M. Brousseau, n’entraient pas dans le cadre de l’alinéa 3 c) de la clause 23.27. Le médecin-arbitre, Dr Massac, n’en a d’ailleurs pas tenu compte et, ce qui est étonnant, c’est que Dr Melançon en ait tenu compte. L’une de ces lettres était anonyme et aucune valeur ne pouvait lui être accordée. Deux (2) de ces lettres faisaient l’objet de griefs, ce qui signifie qu’elles ne pouvaient pas être considérées comme justifiées tant qu’un arbitre de griefs n’avait pas conclu qu’elles l’étaient 13 . Une autre lettre était un projet de lettre disciplinaire qui n’était même pas finalisé : cette lettre, qui aurait peut-être été remise un jour à Mme Bolduc, aurait pu faire l’objet d’un grief. Aucun des faits contenus dans ces lettres ne pouvaient être tenus pour avérés et il est étonnant que Dr Melançon ait changé ses conclusions du 1er mai 2007 sur la base de tels documents.

12 Dans le décret tenant lieu de convention collective, le même terme « alinéa » est utilisé pour toutes les subdivisions, qu’elles soient faites par lettre ou par chiffre. 13 .M. Brousseau n’avait pas avisé Dr Melançon que ces lettres faisaient l’objet de grief.

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[69] Les lettres envoyées par le syndicat n’entraient également pas dans le cadre de l’alinéa 3 c) de la clause 23.27. Ces lettres, qui étaient une réaction à l’envoi par l’employeur des lettres administratives au médecin-arbitre, faisaient état d’un grief et d’une plainte de harcèlement déposés suite à cet envoi et contenaient une demande au médecin-arbitre de suspendre la procédure jusqu’à ce qu’un arbitre se prononce sur la légalité de la procédure. Dans l’une de ces lettres, il était également mentionné que le syndicat risquait de devoir contester sa décision en Cour supérieure, dans le cas où le médecin-arbitre procédait. Dr Massac n’a pas tenu compte de ces interventions du syndicat, tout comme il n’avait pas tenu compte des lettres administratives.

[70] Lors du premier arbitrage médical, le syndicat avait réagi à l’envoi des lettres administratives au médecin-arbitre et, lors du deuxième arbitrage médical, il est intervenu pour essayer de faire établir que l’état de santé de la plaignante était en lien avec le harcèlement subi au travail, en déposant plusieurs documents, :

• Lettre du 27 juillet 2007 du Dr Faucher (Pièce E-13)

• Lettre du 13 février 2008 du Dr Faucher (Pièce E-15)

• Expertise du 29 avril 2008 du Dr Gilles Chamberland (Pièce E-14)

• Rapport du 1er novembre 2007 de Mme Villeneuve sur la plainte de harcèlement de Mme Bolduc (Pièce S-14)

• Lettre du 11 avril 2008 de Mme Nicole Lajoie, psychologue, faisant état des consultations qu’elle avait eues avec Mme Bolduc (Pièce S-18)

[71] Le rapport de Mme Villeneuve, ainsi que la lettre de Mme Lajoie, n’émanaient pas d’un médecin et elles n’entraient pas dans le cadre de l’alinéa 3 c) de la clause 23.27.

[72] Les causes d’une invalidité peuvent être multiples et, lorsqu’il s’agit d’une spécialité autre que la psychiatrie, on voit peu de cas où les parties insistent sur ces causes. Pourtant, en psychiatrie, la même chose doit être établie qu’en orthopédie, par exemple : soit l’incapacité d’une personne à faire son travail en raison d’une maladie (invalidité). Ce ne sont pas les causes de la maladie qui doivent être établies.

[73] Dans le dossier de Mme Bolduc, celle-ci considérait qu’elle avait été victime de harcèlement de la part de son équipe de travail et il semblerait que des représentants de l’employeur étaient d’opinion qu’elle était responsable, au moins en partie, du mauvais climat de l’équipe de travail et qu’elle n’était pas victime de harcèlement. Or, qu’elle ait été victime de harcèlement ou pas, qu’elle ait eu des difficultés personnelles ou pas dans la gestion de son équipe, c’était l’état de santé de Mme Bolduc qui était en cause. La question était : est-elle invalide ou pas?

[74] Je signale que Dr Sylvain-Louis Lafontaine, médecin mandaté par l’employeur, a fait état de la non pertinence des documents administratifs, dans son expertise du 12 mars 2008. En effet, Dr Lafontaine y mentionne qu’il a limité la révision du dossier aux documents médicaux s’attachant à l’invalidité actuelle, en précisant qu’il n’avait pas étudié

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les documents administratifs et légaux, de même que les documents médicaux se rapportant à une invalidité antérieure (Pièce E-12, page 162). Par ailleurs, dans son rapport du 23 août 2006 (Pièce E-12, page 26), Dr Marc Couturier mentionne à M. Brousseau que l’aspect de la problématique du comportement au travail de Mme Bolduc n’est pas pertinent « à ce moment-ci » et qu’il n’a pas réévalué cela avec elle. Dès le début de l’invalidité de Mme Bolduc, Dr Couturier avait été avisé par M. Brousseau que l’employeur considérait que Mme Bolduc avait des problèmes de comportement au travail (voir paragraphe 25 de cette sentence).

[75] La procureure de l’employeur m’a soumis plusieurs sentences arbitrales mettant en cause des personnes salariées qui vivaient des conflits au travail et qui ne présentaient pas de pathologie, notamment l’affaire Centre hospitalier régional de Lanaudière -et- Syndicat des professionnels en soin de santé du Nord de Lanaudière (FIQ) 14 . Dans cette affaire, Me Serge Brault a conclu que la preuve prépondérante démontrait qu’il n’y avait pas pathologie mais la preuve prépondérante aurait pu être à l’effet contraire, soit qu’il y avait pathologie. Il est important de garder en tête que, lorsqu’il y a un conflit au travail, cela ne signifie pas automatiquement qu’il n’y a pas pathologie chez la personne salariée : il peut y avoir pathologie et cette pathologie peut être due, ou pas, à la condition personnelle de cette personne.

[76] Je fais remarquer que, dans son expertise du 16 octobre 2006, Dr Marc Couturier (Pièce E-12, page 38) mentionne que la condition personnelle de Mme Bolduc est davantage en cause que le milieu de travail dans la problématique actuelle. Cela n’a pas empêché Dr Couturier de conclure à pathologie.

[77] S’appuyant sur les règles d’équité procédurale et de justice naturelle, notamment la règle « audi alteram partem », la procureure patronale a prétendu que le médecin-arbitre, qui exerce une fonction judiciaire, a l’obligation de donner aux parties l’occasion de faire valoir leurs représentations, quelle que soit la méthode utilisée, et de leur permettre de transmettre les documents qu’elles estiment en lien avec l‘invalidité de la salariée. Qu’en est-il de cette prétention?

[78] Dans le cadre de l’arbitrage médical, la clause 23.27 a prévu la manière dont les parties devaient faire valoir leurs représentations. À cette clause, la fonction quasi-judiciaire du médecin-arbitre est encadrée strictement par les alinéas b, c), d) f), et g). Celui-ci n’a pas à faire une enquête et, pour rendre une décision sur l’invalidité de la salariée, il doit analyser les dossiers et expertises d’autres médecins, documents fournis conformément à l’alinéa 3 c), et rencontrer la salariée impliquée qu’il examine s’il le juge nécessaire.

[79] Il ne faut pas perdre de vue que, lorsqu’un dossier arrive devant le médecin-arbitre, ce sont les opinions divergentes de médecins sur l’invalidité qui sont la base du litige. C’est l’expertise du professionnel de la santé, détenue par le médecin-arbitre, qui est mise

14 Sentence arbitrale du 2 juin 2008 d’un tribunal d’arbitrage présidé par Me Serge Brault (Soquij no 2008A-073)

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à contribution pour décider s’il y a invalidité ou pas, départageant ainsi entre les opinions des autres médecins, en plus d’examiner la salariée s’il le juge nécessaire.

[80] C’est donc par la production des dossiers et expertises de leurs médecins respectifs que l’occasion est donnée, à la salariée, au syndicat, et à l’employeur, de faire valoir leurs représentations. Une fois ces documents produits conformément à l’alinéa 3 c) de la clause 23.27, j’estime que c’est uniquement sur permission du médecin-arbitre que tout autre document pourrait être produit ou que d’autres représentations pourraient être faites 15.

[81] J’estime que la lettre S-20, émise dans un autre dossier que celui de Mme Bolduc, dans laquelle un représentant de l’employeur donne des détails, dans le mandat envoyé au médecin-arbitre, relatifs au comportement de la salariée lors d’une rencontre à son bureau, dépasse les règles de l’arbitrage médical. La transmission de détails, comme ceux contenus à la lettre S-20, oblige le médecin-arbitre à donner l’occasion, à la salariée en question et au syndicat, de se faire entendre à ce sujet et, alors, une enquête commence. En effet, lorsqu’un élément de preuve est soumis à un tribunal, en vertu de la « règle audi alteram partem », il doit toujours permettre à l’autre partie de le contredire et, évidemment, un tribunal ne peut admettre une preuve à l’insu de l’autre partie 16.

[82] Il est vrai que le médecin-arbitre pourrait, pour éviter une enquête dans le cas où une partie transmet de tels détails, aviser les autres parties qu’il juge ces détails non pertinents et qu’il n’en tient pas compte. Cependant, une appréhension pourrait naître dans l’esprit des parties et j’estime donc qu’il est important que aucune des parties donne des détails factuels dans le mandat donné au médecin-arbitre, afin de se conformer à l’alinéa 3 c) de la clause 23.27 et afin d’éviter que le processus soit vicié.

[83] Une fois que le médecin-arbitre est saisi du litige conformément à l’alinéa 3 c) de la clause 23.27, c’est à lui que les parties doivent s’adresser si elles veulent produire d’autres documents ou faire des représentations. Il appartient au médecin-arbitre de décider d’accepter ou de rejeter les demandes des parties à cet égard mais, s’il accepte une demande, les autres parties impliquées 17 dans le dossier doivent pouvoir se faire entendre sur les documents et représentations acceptés. Si le médecin-arbitre ne donnait pas l’occasion aux autres parties de se faire entendre, la règle « audi alteram partem » serait violée.

[84] Je remarque que M. Brousseau a transmis la description des tâches de Mme Bolduc, lors du premier arbitrage médical ainsi que lors du deuxième. La description formelle des tâches n’était pas reproduite dans aucun dossier et expertise des médecins 15 Je tiens à faire remarquer que l’envoi des articles de la convention collective ne constitue pas l’envoi de documents : il s’agit de la loi gouvernant les parties. 16 Pfizer Co. Ltd. –c- Sous-ministre du Revenu national [1977] 1 R.C.S. 456. 17 Dans le cadre de l’arbitrage médical, les parties peuvent être l’employeur, la salariée et le syndicat mais, à partir du moment où la salariée donne mandat au syndicat de la représenter, c’est le syndicat qui prend le dossier en charge pour elle.

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transmis conformément à l’alinéa 3 c) de la clause 23.27. Cependant, dans tous les dossiers et expertises, il était précisé que Mme Bolduc était une infirmière travaillant de nuit qui était responsable de deux (2) unités. De plus, comme les certificats médicaux de son médecin traitant, Dr Faucher, faisait état de « stress grave au travail », l’aspect du travail était couvert dans tous les dossiers et expertises.

[85] À mon avis, permission aurait dû être demandée au médecin-arbitre de produire cette description de tâche et, par ailleurs, afin qu’il n’y ait aucun litige sur le document en question, j’estime qu’il aurait été préférable d’obtenir l’accord du syndicat sur ce document. En effet, à partir du moment où une demande d’une partie de produire un document est acceptée par le médecin-arbitre, l’autre partie doit avoir l’occasion de contredire le document. Par exemple, une partie pourrait vouloir démontrer que la description formelle de tâches déposée ne s’avère pas conforme aux tâches effectuées dans la réalité.

[86] À moins de circonstances très particulières, j’estime qu’il est sage pour les parties de ne pas s’adresser au médecin-arbitre pour lui demander la permission de faire des représentations ou de soumettre d’autres documents que ceux qui sont prévus à l’alinéa 3 c) de la clause 23.27.

[87] La procureure patronale a parlé de la problématique d’un manquement de la personne salariée pendant une période d’invalidité. Comme indiqué par l’arbitre André Dubois, dans l’affaire CLSC des Iles -et- Syndicat des travailleuses et travailleurs du CLSC des Îles (FSSS/CSN) 18 , ce n’est pas au médecin-arbitre que doivent être soumis des manquements survenant pendant une période d’invalidité. Il peut y avoir, par exemple, la production d’une fausse déclaration ou le refus de la personne salariée de se soumettre à une expertise médicale. Dans l’affaire précitée, il s’agissait d’un refus de se soumettre à une expertise. Dès que le litige repose sur des raisons autres que des opinions médicales divergentes, le litige sur ces opinions étant réglé par l’arbitrage médical, un employeur peut agir car il n’a pas renoncé à ses pouvoirs disciplinaire et administratif. Un employeur peut décider de cesser de verser des prestations d’assurance-salaire à une personne salariée pour des raisons autres que médicales.

[88] Dans le cas de Mme Bolduc, copie de certains documents transmis au médecin-arbitre, que ce soit par l’employeur ou par le syndicat, n’a pas été envoyée à l’autre partie. La procureure patronale a soumis que la transmission aux autres parties des documents envoyés au médecin-arbitre était essentielle pour que la règle « audi alteram partem » soit appliquée. Qu’en est-il de cette prétention?

[89] Généralement, les parties ont obtenu copie des rapports et expertises des médecins des autres parties avant l’arbitrage médical et il n’y a alors aucune nécessité de transmettre une autre fois copie de ces documents : c’est probablement en raison de cette réalité que l’alinéa 3 c) de la clause 23.27 mentionne uniquement que les dossiers et expertises sont envoyés au médecin-arbitre.

18 Sentence arbitrale du 15 juillet 2003 de l’arbitre André Dubois. (Soquij no 2003A-164)

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[90] Cependant, pour que la règle « audi alteram partem » soit respectée, il est important que chaque partie informe l’autre partie des documents qu’elle transmet au médecin-arbitre, notamment en faisant une liste des documents transmis, avec les précisions essentielles pour les identifier : date de chaque document, nom du médecin qui l’a produit, etc..

[91] Je remarque que, dans le dossier de Mme Bolduc, il y a eu double emploi, le syndicat ayant transmis, au médecin-arbitre, des dossiers et expertises déjà transmis par l’employeur. Dans son témoignage, Mme Steingue a dit qu’elle avait envoyé au médecin-arbitre tous les documents de nature médicale qu’elle avait en sa possession, dont les expertises des médecins mandatés par l’employeur. Si chaque partie faisait parvenir à l’autre partie une liste des documents qu’elle transmet au médecin-arbitre, il n’y aurait pas un tel « double emploi » qui ne facilite sûrement pas la tâche du médecin-arbitre.

[92] Toutefois, dans le cas où un document transmis au médecin-arbitre n’est pas déjà en possession de l’autre partie, je retiens la prétention de la procureure patronale : copie de ce document doit être transmise à l’autre partie, afin que la règle « audi alteram partem » soit respectée.

POUR TOUS LES MOTIFS EXPRIMÉS PRÉCÉDEMMENT :

[93] À partir des problèmes mis en preuve, qui se sont présentés dans le cas de Mme Rita Bolduc et qui ont conduit à la présentation des griefs 610772 et 08-01, je dispose de ces griefs en répondant aux trois (3) questions qui m’ont été soumises par les procureures des parties, questions qui entrent dans le cadre de ces griefs. Première question : quelle est l’interprétation à donner au terme « dossiers », contenu à l’alinéa 3. c) de la clause 23.27 du décret tenant lieu de convention collective? [94] Le terme « dossier » signifie « l’ensemble des pièces relatives à une affaire » et, dans le contexte de l’alinéa 3 c) de la clause 23.27, il s’agit des pièces (dossiers), directement reliées à l’invalidité, produites par les médecins de la salariée ou par les médecins qui ont été mandatés par l’employeur ou le syndicat. Deuxième question : quelle est la nature des informations pouvant être mentionnées au médecin-arbitre, par écrit ou verbalement, dans le mandat et la correspondance qui lui sont adressés par le syndicat, la salariée et l’employeur? [95] Aucune information peut être mentionnée au médecin-arbitre, par écrit ou verbalement, dans le mandat ou la correspondance, sans obtenir au préalable sa permission, notamment pour la production de représentations ou d’autres documents, que ceux mentionnés à l’alinéa 3 c) de la clause 23.27;

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La transmission des dossiers et expertises, directement reliées à l’invalidité, produits par le médecin de la salariée ou par les médecins qui ont été mandatés par l’employeur ou le syndicat, constitue les informations à transmettre au médecin-arbitre, la production de ces documents étant l’occasion donnée par l’alinéa 3 c) de la clause 23.27, à la salariée, au syndicat, et à l’employeur, de faire valoir leurs représentations. Troisième question : est-ce qu’une copie des documents envoyés par une partie au médecin-arbitre doit être envoyée à l’autre partie?

[96] L’alinéa 3 c) de la clause 23.27 prévoit que les documents sont transmis au médecin-arbitre mais, afin que la règle « audi alteram partem » soit respectée, copie doit être transmise à l’autre partie, lorsqu’il s’agit de documents qui ne sont pas déjà en possession de l’autre partie; Copie n’a pas à être transmise à l’autre partie, lorsqu’il s’agit de documents envoyés au médecin-arbitre et qui ont déjà été transmis à l’autre partie. Cependant, pour que l’autre partie puisse identifier ces documents, une liste des documents transmis au médecin-arbitre doit lui être envoyée, avec les précisions essentielles pour l’identification (date de chaque document, nom du médecin qui l’a produit, etc.).

ST-ROMUALD, 17 juillet 2009

__________________________________HUGUETTE GAGNON arbitre de griefs

Procureure du syndicat : Me Josée Lavallée Procureure de l’employeur : Me Isabelle Carpentier-Cayer Date(s) d’audience : 25 mai 2009

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ANNEXE 1 : LISTE DE PIÈCES S-1: Convention collective 2006-2010. S-2: Convention collective 2000-2002. S-3: Grief 281721. (19 juillet 2005) S-4 : Grief 272417. (22 novembre 2005) S-5 : Grief 610772. (15 août 2007) S-6 : Grief 610788. (6 novembre 2007) S-7 : Grief 613008. (12 février 2008) S-8 : Lettre du 21 juin 2005 de Mme Anne Lessard à la plaignante. S-9 : Lettre du 19 octobre 2005 de Mme Céline Gauthier à la plaignante. S-10 : Plainte de harcèlement du 15 août 2007. S-11 : Complément à la plainte S-10. (2 octobre 2007) S S-12 : Lettre du 8 octobre 2008 de Me Nancy Martel à Me Isabelle Carpentier-

Cayen. S-13 : Formulaire de plainte de harcèlement au travail. S-14 : Plainte de harcèlement déposée le 15 août 2007. S-15 : Rapport du médecin-arbitre. (22 août 2007) S-16 : Requête en révision judiciaire. S-17 : Plainte au Collège des médecins et réponse du syndicat adjoint. S-18 : Rapport de Mme Nicole Lajoie. (11 avril 2008) S-19 : Nomination d’un médecin-arbitre par le Greffe des Tribunaux d’arbitrage- secteur – Santé et services sociaux.

(15 janvier 2007) S-20 : Exemple de mandat donné à un médecin-arbitre.

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ANNEXE 1 : LISTE DE PIÈCES (SUITE) E-1 : Grief patronal 08-01. (6 février 2008) E-2 : Dossier d’assurance-salaire. (lettre du 2 juillet 2008) E-3 : Lettre du 16 juillet 2007 de M. Donat Brousseau à la plaignante. E-4 : Lettre du 19 juillet 2007 de M. Donat Brousseau à M. François Fournel. E-5 : Lettre du 19 juillet 2007 de Mme Lise Steingue à M. Donat Brousseau. E-6 : Lettre du 3 août 2007 de M. Donat Brousseau au Dr Charles-Henri Massac. E-7 : Lettre du 10 août 2007 de Me Nancy Martel au Dr Charles-Henri Massac. E-8 : Lettres du 20 août 2007 (2) de Mme Lise Steingue au Dr Charles-Henri

Massac. E-9 : Grief 607671 (9 août 2007) E-10 : Lettre du 16 août 2007 de Mme Danielle Doran à Me Nancy Martel.

E-11 : Lettre du 16 août 2007 de Mme Danielle Doran au Dr Charles-Henri Massac. E-12 : Dossier relatif à l’invalidité. E-13 : Rapport du Dr Lucien Faucher. E-14 : Expertise du Dr Gilles Chamberland. (29 avril 2008) E-15 : Lettre du 13 février 2008 du Dr Lucien Faucher.

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ANNEXE 2 : JURISPRUDENCE INVOQUÉE PAR LA PROCUREURE DE L'EMPLOYEUR

Centre hospitalier Robert-Giffard -et- Syndicat des employés du Centre hospitalier Robert-Giffard et annexes, Sentence arbitrale du 25 septembre 2002 de Me Léonce-E. Roy. (Soquij no 2002A-207) Ville de Montréal -et- Gérard Desmarais, Jugement du 23 novembre 1983 de la Cour d’appel (District de Montréal, no 500-09-001176-783) (Soquij AZ-84011001) Moreau-Bérubé -c- Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S. Baker -c- Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817. Université du Québec à Trois-Rivières -c- Larocque, [1993] 1 R.C.S. 471. Centre hospitalier régional de Lanaudière -et- Syndicat des professionnels en soin de santé du Nord de Lanaudière (FIQ), Sentence arbitrale du 2 juin 2008 de Me Serge Brault. CLSC de Joliette -et- Syndicat des employés du CLSC de Joliette (CSN), Sentence arbitrale du 27 décembre 1999 de Me Alain Corriveau. (Soquij no 2000A-18) Fédération des infirmières et infirmiers auxiliaires du Québec -et- CLSLD de Papineau de Buckingham, Sentence arbitrale du 5 mars 2002 d’un tribunal d’arbitrage présidé par Me Gilles Corbeil. (Soquij no 2002A-46) Michel Gilbert, L’assurance collective en milieu de travail, 2e édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais (page 315) Patrice Garant, Précis de droit des administrations publiques, 4e édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais (pages 285-301)

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ANNEXE 3 : JURISPRUDENCE INVOQUÉE PAR LA PROCUREURE DU SYNDICAT

CLSC des Îles -et- Syndicat des travailleuses et travailleurs du CLSC des Îles (FSSS/CSN), Sentence arbitrale du 15 juillet 2003 de Me André Dubois. (Soquij no 2003A-164) Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 4713 -et- Centre de santé et de services sociaux Lucille-Teasdale, Sentence arbitrale du 14 juillet 2008 de Me Nathalie Faucher. (Soquij no 2008A-75)