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Hachette - Livre de Poche - Hachette Livre - Toute l’histoire de France - 110 x 178 - 18/7/2012 - 13 : 17 - page 5

JEAN-CLAUDE BARREAU

Toute l’histoirede France

ÉDITIONS DU TOUCAN

Hachette - Livre de Poche - Hachette Livre - Toute l’histoire de France - 110 x 178 - 18/7/2012 - 13 : 17 - page 6

Ce texte est la version revue et corrigée des Racines de laFrance paru en 2008 chez le même éditeur.

© Éditions du Toucan, 2011.ISBN : 978-2-253-16293-3 – 1re publication LGF

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Note de l’éditeur

Nous avons souhaité faire figurer en bonne placele sommaire de cet ouvrage pour que le lecteur saisisse,dès l’abord, l’originalité du propos.

On prend ainsi conscience qu’il y a une histoire deFrance avant la France, cette dernière ne surgissantqu’au IXe siècle de notre ère.

On voit que la France connut deux apogées, celuidu Moyen Âge (XIIe et XIIIe siècles) et celui des tempsclassiques jusqu’à la Révolution (XVIIe et XVIIIe siècles)où son histoire s’identifie d’une certaine manière àcelle du monde.

Mais elle faillit aussi disparaître deux fois : en 1420avec la guerre de Cent Ans et en 1940 lors de laSeconde Guerre mondiale.

L’éditeur souligne que ce texte est un récit et nonune sèche chronologie, un récit plein de gloire, dedésastres et de passion, comme l’histoire de Franceelle-même.

Si la fidélité aux faits est absolue, les interprétationsde l’auteur sont éclairantes, parfois surprenantes,essayant toujours de comprendre le présent indécis dela Nation française à la lumière de son passé millénaire.

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Sommaire

PREMIÈRE PARTIE (de – 900 à + 987)

LA FRANCE D’AVANT LA FRANCE ........................ 11

Gaulois et Romains ............................................ 13Une lente naissance ............................................ 37

DEUXIÈME PARTIE (de 987 à 1789)

LA FRANCE DE L’« ANCIEN RÉGIME » ................. 55

L’apogée médiéval ............................................. 57Naissance d’un patriotisme français ................. 79Une renaissance fastueuse et tragique .............. 97L’apogée classique ou les siècles français ........ 119

TROISIÈME PARTIE (de 1789 à 2008)

LES SIÈCLES RÉPUBLICAINS ................................... 149

Une explosion fondatrice .................................. 151Un siècle moderne ............................................. 181

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La course à l’abîme ............................................ 219L’honneur retrouvé ............................................ 239Reconstruction et mondialisation ...................... 257La France aujourd’hui et demain ..................... 273

Toute l’histoire de France

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PREMIÈRE PARTIE

La France d’avant la France

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Chapitre I

Gaulois et Romains

De –900 à + 410

La France nous semble une réalité naturelle telle-ment nous en avons intégré l’image, celle de l’hexa-gone parfait de nos cartes murales scolaires et de nosécrans météo télévisuels.

En dépit de nos sentiments et des apparences, laFrance est au contraire un pays complètement artificielqui aurait pu ne pas être et dont l’édification au coursdes siècles fut le fruit d’une volonté politique opiniâtreet d’une idée originale. C’est pourquoi il est importantd’en connaître l’histoire, car la France n’est pas leproduit d’une géographie évidente, comme l’Angle-terre ; elle est le résultat d’une construction historiquealéatoire. La volonté politique a été celle du pouvoirparisien. L’idée directrice fut d’unir dans un mêmeÉtat la mer du Nord et la Méditerranée, union rienmoins que naturelle. Le monde méditerranéen, universoriginal et clos sur lui-même – « Méditerranée » signi-

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fie « mer enfermée de terres » –, n’a rien à voir aveccelui des grands espaces que l’on trouve sitôt franchiesles cimes des Pyrénées, des Cévennes ou des Alpes(pour ne parler que de l’Occident), espaces oùs’achève la grande plaine eurasiatique venue desimmensités sibériennes.

Bien qu’elle soit l’une des plus vieilles nations de laplanète (un acte notarial, le traité de Verdun, constitueen quelque sorte l’« acte de naissance » de notre pays.Rédigé l’année 843 de notre ère, cet acte donne à

la France, en 2011, l’âge respec-table de 1 168 ans !), la Francen’existe pas « de fondation ».Plus d’un millénaire d’histoires’écoule avant qu’elle ne finissepar surgir sur le territoire qu’elleoccupe aujourd’hui.

Dans toute « histoire deFrance » existe en fait une longue

Deux mille ansavantJésus-Christ, lenombre deshommes explosadans notre paysjusqu’à atteindretrois millions.

histoire « d’avant la France », abusivement annexée àcelle-ci. Non pas que les Gaulois, les Romains, lesGrecs, les Ligures, les Basques, les Wisigoths, lesFrancs ne concernent pas notre pays, ils sont le terreausur lequel il est né ; mais à leur époque la Francen’existait pas encore. C’est évidemment encore plusvrai pour la préhistoire.

« L’aventure humaine commence avec les tombes »,a dit Pierre Chaunu. Or, les tombes préhistoriques,certaines vieilles de quarante mille ans, parsèmentnotre territoire pour la raison simple qu’il est habitabledepuis l’apparition de l’Homme. Aux époques gla-ciaires longues de quatre-vingt mille ans, les glaces se

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sont arrêtées en Belgique alors qu’elles recouvraientl’Angleterre, l’Europe et l’Amérique du Nord ; le cli-mat de nos régions était alors semblable au climatactuel du Canada et de la Sibérie. Traces de mam-mouths, d’aurochs et d’hommes n’ont donc jamais étéeffacées par les glaces.

L’homme de Néandertal et l’Homo sapiens coexis-tèrent là, y laissant de nombreux et magnifiquestémoignages de leur présence : tombes de La Chapelle-aux-Saints, superbes peintures rupestres, anciennes devingt mille ans, de la grotte de Lascaux.

Plus tard, des populations inconnues surent élever,sur toute la façade atlantique et même loin à l’intérieurdes terres, des pierres gigantesques dressées commedes phallus, les menhirs mégalithiques, ou assembléescomme des portiques, les dolmens. Elles évoquent, parles moyens techniques employés, les statues de l’île dePâques. Notre territoire est ainsi le paradis des pré-historiens.

Ces chasseurs des temps anciens n’étaient pourtantpas très nombreux, vingt mille peut-être à l’époque deCro-Magnon, répartis en trois cents campements surle territoire actuel.

Avec la révolution agricole, deux mille ans avantJésus-Christ, le nombre des hommes explosa dansnotre pays jusqu’à atteindre trois millions, l’agriculturepermettant effectivement de nourrir sur le mêmeespace cent fois plus d’hommes que la chasse !

Le climat avait aussi changé. Depuis quatorze milleans, nous sommes en effet entrés dans l’époque inter-glaciaire (vingt mille ans). Il s’est mis à faire plus chaud.Les glaciers ont fondu. Le niveau de la mer a remonté,

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séparant la France de l’Angleterre par le bras de merde la Manche et du Pas-de-Calais, dont le climat estpropice à la vie agricole et à la forêt. Mais la différenceentre le climat océanique de la plus grande partie duterritoire et celui de la Méditerranée en fut accentuée,et avec elle la différence entre les hommes.

À l’occident du vieux monde, la Méditerranée estun univers en soi. Plus longue que large, elle creusedans le « Tri-Continent » que constituent l’Europe,l’Asie et l’Afrique une échancrure dont le climat, trèsoriginal, résulte du contact entre l’immense désert duSahara qui la borne au sud et les pluies océaniquesvenues de l’ouest. L’été, l’anticyclone saharien recou-vre cette mer, il y fait beau et sec. L’hiver, les hautespressions reculent et laissent entrer les perturbationsatlantiques qui amènent des averses de pluie (de neigeen altitude). Deux saisons seulement, rudes l’une etl’autre, mais lumineuses car, l’hiver, le soleil brilleentre les averses. Nous l’avons dit, la Méditerranée estun monde clos borné par le désert et les montagnes(Atlas, Alpes, Balkan, mont Liban, etc.). Seuls deuxfleuves curieusement comparables et opposés, se ter-minant tous les deux par un delta (chez nous,

la Camargue), ouvrent la merintérieure aux influences dudehors, le Nil et le Rhône. Onn’y trouve également que deux

paysages, la lagune et la montagne favorables aux portsnaturels.

La Méditerranéeétait et reste lecentre du monde

La Méditerranée était et reste le centre du monde.Même aujourd’hui, une puissance n’est hégémoniqueque si elle domine cette mer. Pourtant éloignés d’elle,

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les États-Unis sont contraints d’y entretenir une flotte.C’est aussi une mer magnifique, douce à l’homme mal-gré ses colères, « la mer » par excellence. « Thalassa,Thalassa », criaient les Grecs en la voyant. Sur sesbords ou très proches de ses rivages ont surgi les pre-miers États, l’Égypte et la Mésopotamie, puis les Phé-niciens qui inventèrent l’alphabet, les Crétois, lesÉtrusques et les Grecs.

Rome enfin, héritière de la Grèce, en avait faitl’unité, ayant triomphé, après une lutte à mort, desPhéniciens de Carthage. Et cette unité, unique dansl’histoire, durera cinq siècles. Au premier siècle avantnotre ère, l’Empire romain, bien que Rome se voulûtencore « république », était constitué. Rome dominaitl’ensemble des péninsules méditerranéennes – Italie,Espagne, Maghreb, Balkans, Anatolie, rivages libanais.Les Romains pouvaient, légitimement déjà, appelerla Méditerranée « notre mer », « mare nostrum ».Mais ils n’en contrôlaient alors que les rivages, ycompris cette bande de terre quiunissait l’Italie à l’Espagne qu’ilsnommaient la « Provincia » (les« bouches du Rhône ») avec lacité de Marseille fondée cinqsiècles auparavant par des Grecs de Phocée venusd’Asie Mineure (la « Cité phocéenne » dont parle quo-tidiennement le journal sportif L’Équipe). Dès que l’onremontait le fleuve, on débouchait sur un autre monde,celui océanique et sauvage des Celtes ou Gaulois.

Les Celtessemblaient aux

Romains dessauvages...

Les Gaulois, ou Celtes, envahisseurs, venus de l’Estau premier millénaire avant Jésus-Christ, étaient descultivateurs laborieux, des défricheurs qui avaient

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commencé d’essarter l’immense forêt atlantique. Parvagues successives, les Gaulois avaient investi unespace qui allait des îles Britanniques (britannique =breton = gaulois) aux confins méditerranéens. Jadis,ils avaient occupé ces confins que l’on appelait encorel’Italie du Nord « la Gaule cisalpine ». Et même en390 avant Jésus-Christ, les Gaulois avaient osé prendred’assaut la jeune cité de Rome à l’exception du Capi-tole (la citadelle). Depuis, les Romains, revanchards,avaient conquis durement la Gaule cisalpine et la Pro-vincia, cette dernière afin de réunir leurs possessionsde la péninsule Ibérique à celles d’Italie ; mais lamajeure partie du monde celte leur restait étrangère.C’était un monde océanique, un monde de plainesdépaysant pour les Romains habitués au soleil médi-terranéen, étrangers aux plaines (les plaines méditer-ranéennes sont minuscules, à l’exception précisémentde celle du Po où les Gaulois avaient pu trouver leursaises). Les territoires celtes étaient tournés vers l’ouest,sur le grand océan dont les tempêtes et les brumesgênaient les galères. Les fleuves de la Gaule continen-tale s’y jettent tous, le Rhin, la Somme, la Seine, laLoire, la Garonne, ceux de la Gaule insulaire aussi, laTamise, la Clyde.

Les Celtes semblaient aux Romains des sauvagesd’autant plus menaçants qu’ils les savaient très nom-breux, sept ou huit millions peut-être, de l’Helvétie àl’Écosse et à l’Irlande.

Ces millions de paysans ingénieux (ils avaientinventé le tonneau de cercles de bois. « Barre », « bar-reau », « baril » sont des noms issus du mot celte quisignifie « tonneau ») habitaient des milliers de villages,

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de clairières dans des cabanes en forme de hutte etprofitaient du climat radouci de l’interglaciaire, climatsous lequel nous vivons encore. Ils restaient cependantdes hommes néolithiques et n’avaient ni état, ni ville,ni écriture, leurs oppidums étant seulement desenceintes barricadées pour la sécurité des marchés.

Ils vivaient dans le cadre d’innombrables tribus plusou moins regroupées en fédérations floues. Leur unitéétait religieuse. S’ils pratiquaient un paganisme poly-théiste guère différent de celui des Méditerranéens,ils se caractérisaient par l’existence d’un clergé, lesdruides. Les prêtres romains n’étaient que des citoyensordinaires remplissant à l’occasion une fonction reli-gieuse. Les druides étaient au contraire de véritablesprêtres et constituaient une caste sacerdotale protégéepar de mystérieux rites initiatiques.

Ils croyaient et enseignaient l’immortalité de l’âme.Cette croyance confortait le courage des guerriers. Àcause d’elle, ceux-ci ne craignaient pas la mort maisseulement « que le ciel leur tombât sur la tête ». Lesdruides coupaient le gui avec des serpes d’or et seréunissaient régulièrement, venus de tout le mondecelte, pour des assemblées secrètes.

Hormis ce clergé original, les Gaulois restaient despaysans-guerriers préhistoriques. « Préhistorique » neveut pas dire inculte : le jeune Gaulois maîtrisait destechniques évoluées (le pas de vis, par exemple), pou-vait reconnaître des centaines de plantes et d’animauxet savait par cœur les milliers de vers de mythologieschatoyantes. Mais il restait inscrit mentalement dansle cadre de la tribu néolithique. Une infime minorité

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en relation avec leurs frères soumis à Rome avaientappris le latin et savait le lire et l’écrire.

Les populations antérieures à leur arrivée à l’ouestdu Rhin avaient été assimilées à eux et tous parlaientle gaélique (le breton actuel), à l’exception desBasques.

Nombreuses et insouciantes, les tribus gauloises necessaient de s’opposer entre elles de manière anar-chique.

Cette situation aurait pu durer longtemps si, enl’an 58 avant notre ère, Jules César n’avait été nommégouverneur de la Provincia. Jules César incarne telle-ment le pouvoir romain que, par la suite, son nomdeviendra le nom générique des empereurs – « AveCésar » – et beaucoup de peuples donneront le titrede César à leurs souverains, tzar en russe, Kayser enallemand. Désireux d’acquérir une gloire militaire quisurpasserait celle de son rival Pompée, le proconsulCésar décida de conquérir le monde celte qui se trou-vait au nord de son territoire officiel. Cette immense

contrée paraissait seule à lamesure de son ambition. Unearmée aguerrie, des ressourcespillées dans un vaste espace luisemblaient le chemin nécessaire

pour prendre le pouvoir à Rome.

Le proconsulCésar décida deconquérir lemonde celte.

Rien n’était plus étranger au Gaulois chevelu, blond,aux yeux bleus, sauvage et insouciant que le cyniqueMéditerranéen, brun aux yeux marrons, pénétré de« civilisation » et de « politique », fort peu croyant, sice n’est « en sa fortune », c’est-à-dire en sa chance.Jules César est pourtant, d’une certaine manière, le

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premier en date dans notre chronologie nationale. Carc’est bien ce patricien venu d’ailleurs qui fit entrernotre pays dans l’histoire !

Sa résolution prise, il lui fut facile d’intervenir dansles interminables querelles des tribus gauloises. Pourcommencer, il s’opposa aux Helvètes qui voulaientquitter leurs montagnes pour s’établir près de l’océan,migration qui gênait les tribus concernées par leurpassage. À la demande de ces dernières, César rejetales Helvètes en Suisse, écrasant leurs guerriers à labataille de Bibracte.

Pour continuer, César fit semblant d’assumer le rôlede protecteur des Gaulois contre les invasions germa-niques.

Grands et blonds, les Germains ressemblaient auxGaulois, mais en plus primitifs ; piètres agriculteurs,ils se déplaçaient souvent pour piller les greniers desautres. Ceux des tribus belges d’au-delà du Rhin leursemblaient particulièrement désirables car les Ger-mains vivaient mal de leurs cultures sur brûlis à l’estdu grand fleuve. Les guerriers du chef germain nomméArioviste, ayant franchi le Rhin, se laissaient glisser,comme un ouragan, le long du Jura. César et seslégions anéantirent Arioviste au nord de Besançon enl’an 58. Puis César franchit le Rhin sur un grand pontde bois construit en dix jours par ses sapeurs et s’enalla terroriser la Germanie afin que les Germains setiennent tranquilles. La leçon porta et le Rhin devintpour longtemps une frontière calme.

Après ces préliminaires foudroyants, l’année 58,année de ces victoires, est aussi celle de sa nominationcomme proconsul de la Provincia. César jeta le masque

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et entreprit de soumettre les tribus gauloises à l’auto-rité de Rome. Il fit lever la hache et marcher les lic-teurs.

Avant cela, pour assurer la tranquillité de sesarrières, il franchit la Manche sur une flotte improvi-sée, par deux fois, afin de ravager le cœur de la Gauleinsulaire (l’Angleterre).

Puis il commença méthodiquement la conquête dela Gaule continentale. César trouva toujours des tribusgauloises pour combattre à ses côtés. Il récompensaitles tribus amies et massacrait les autres. Les Romainsen Gaule se montrèrent particulièrement impi-toyables. César fit égorger plusieurs centaines de mil-liers de Gaulois et en envoya autant à Rome commeesclaves. Cependant, après plusieurs années deconquête, il ne put empêcher une insurrection quasigénérale dont le meneur était le chef arverne (« auver-gnat ») Vercingétorix, personnage symbolique ques’est annexé l’histoire de France, personnage respec-table également : même César, son ennemi, reconnaîtque Vercingétorix « ne s’arma jamais pour son intérêtpersonnel mais seulement pour la liberté des tribus ».

Le chef gaulois appliquant les pratiques séculairesde la guérilla voulait affamer les légions en faisant levide devant elles. Cette tactique fut efficace : Césarsongeait à se replier vers la Méditerranée quand Ver-cingétorix, abandonnant toute prudence, essaya de luibarrer la route. Battu, le chef arverne commit unefaute encore plus inexplicable : au lieu de disperserses bandes dans la nature, il les retrancha dans l’oppi-dum d’Alésia, Alise-Saint-Reine, sur les rebords mon-tagneux qui dominent le sillon rhodanien. Aussitôt

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César fit entourer le haut lieu d’une palissade dequinze kilomètres de circonférence, dotée d’une facetournée vers les assiégés et d’une autre tournée versl’extérieur, pour empêcher l’arrivée de secours,enceinte ponctuée de tours et munie de toutes lesressources de la « poliorcétique » la plus évoluée(« poliorcétique » = art d’assié-ger les villes, catapultes, galeriesde mines, etc.). Tout cela futérigé en moins de cinq semainespar la formidable logistique romaine. La Gaule s’ybrisa.

En 52 avant notreère, la Gaule était

soumise.

Les assiégés virent avec désespoir les secours renon-cer et s’enfuir. Vercingétorix monta alors sur son che-val de parade, sortit de l’oppidum et vint jeter ses armesau pied du chef romain, sans dire un mot. C’était enl’an 52 avant notre ère. La Gaule était soumise. Larapidité de cette conquête, que César raconta dans uncélèbre livre de propagande La Guerre des Gaules,surprend.

À peine plus de sept ans pour soumettre un paysimmense, peuplé de millions d’habitants, dont debraves guerriers, alors que le proconsul disposait seu-lement de dix légions, c’est-à-dire de trente ou qua-rante mille hommes. Il est vrai que l’armée romainesavante (on a vu de quoi elle fut capable en poliorcé-tique à Alésia) et disciplinée était la meilleure de l’épo-que. Ce n’était plus l’armée de citoyens des beauxtemps de la République, mais une armée de vétérans.On s’y engageait à 20 ans pour vingt ans. Au momentde sa retraite, le légionnaire recevait un lopin de terre

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et un petit capital. Chaque légion correspondait à l’unde nos actuels régiments.

Chacune portait un nom à l’instar de nos sous-marins nucléaires ; il y avait « la Fulminante », « laTriomphante », « la Terrible », etc.

Une légion pouvait parcourir cinquante kilomètresà pied dans la journée avec armes et bagages, tout en

construisant pour le bivouac desfortifications imprenables oùelle s’enfermait la nuit. JoséMaria de Heredia évoque le« piétinement sourd des légionsen marche ».

On peut dire que si les Gaulois

La guerre desGaules n’a pas étéune conquêteordinaire mais uneconquêtecoloniale.

étaient des guerriers courageux, les Romains étaientdes soldats.

Mais cela n’explique pas tout. La véritable raisonde la rapidité de la conquête est celle-ci : la guerre desGaules n’a pas été une conquête ordinaire mais uneconquête coloniale.

Or il existe une différence capitale entre le conqué-rant et le colonisateur. Le conquérant combat deshommes qui vivent à la même époque que lui ; lecolonisateur affronte des ennemis situés mentalementdans un temps antérieur au sien.

On parle beaucoup aujourd’hui de la colonisationsans comprendre en quoi elle consiste et ce qui lapermet. Il y a « colonisation » quand il y a « décalagetemporel » entre le conquérant et le conquis. Car leshommes ne vivent pas tous dans le même univers men-tal. En ce sens, le phénomène colonial ne date pas destemps modernes, l’Antiquité le connaissait aussi.

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Et la guerre des Gaules a précisément été une aven-ture coloniale. En dépit de leur courage, les guerriersceltes ne vivaient pas à la même époque que les ultra-modernes Romains.

Il ne s’agit pas ici de supériorité ou d’inférioritémorale : le chevaleresque Vercingétorix, sur ce plan, esttrès supérieur au cruel et très civilisé César. Durant savie, César a mené de nombreuses guerres, par exempletout autour de la Méditerranée, contre son rival Pom-pée mais, en Gaule, il mena une expédition coloniale.

On peut le comparer, le génie en plus, à un Bugeaudqui au XIXe siècle dirigea le même genre de campagneen Algérie et comparer, avec plus de pertinenceencore, Vercingétorix à l’émir Abd el-Kader auquel lehéros gaulois ressemble à plus d’un trait. La différenceest que la France traita l’émir avec respect, l’empri-sonnant d’abord (mais dans un château, celuid’Amboise) puis le libérant et le laissant finir sa vieglorieuse et honorée à Damas, alors que César tintVercingétorix au cachot pendant cinq ans à Rome,avant de l’y faire étrangler à l’occasion de son « triom-phe ». Tout doués et artistes qu’ils fussent, les Gauloisétaient encore des paysans préhistoriques. Pour eux,les Romains étaient des extraterrestres. Les guerriersceltes ne pouvaient qu’être vaincus par une civilisationtechniquement et politiquement très supérieure à laleur. Ils ne surent pas combattre ces soldats venus del’avenir impérial, dotés de qualités que nous quali-fierons aujourd’hui de quelque peu prussiennes : l’opi-niâtreté, le travail, la discipline.

Le « mental » gaulois fut anéanti par « l’espèce destupeur mêlée de résignation et même de désespoir »

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dont parle Onésime Reclus (stupeur qui saisit lespeuples « décalés » en présence d’envahisseurs plusmodernes qu’eux).

L’histoire de notre pays commence donc par unesubmersion coloniale. La belle civilisation néolithiqueceltique sombra dans le néant ou presque. Ce qu’elleaurait pu devenir, nous n’en avons que des indices enobservant les zones et les moments où elle survit etrevit (quoique souvent de manière plus folkloriqueque réelle) : les festnoz de Bretagne, d’Écosse, du paysde Galles. Tous les Gaulois étaient des Gaéliques etparlaient breton : la musique, la beauté, la poésie, unmonde qui eût, certes, été très différent du monderationnel que nous imposèrent les Romains. AussiJules César fut-il à la fois le meurtrier et le père denotre pays.

Les Gaulois vaincus se convertirent facilement à lacivilisation romaine. Ils ne firent jamais aucune tenta-tive sérieuse pour reconquérir leur indépendance. LesCeltes farouches se transformèrent en quelques géné-rations en « Gallo-Romains ». Cette conversion futfacilitée par la conquête, effectuée sur ordre de l’empe-reur Claude en l’an 43 de notre ère, de la Gaule insu-laire qui devint elle aussi une province romaine.

Les légions poussèrent jusqu’au nord de l’Écossemais ce pays parut trop boréal et pluvieux aux Médi-terranéens qui se replièrent donc derrière une espècede muraille de Chine, le « limes », édifiée par l’empe-reur Hadrien, dont on peut encore aujourd’hui voirles restes imposants. La différence entre l’Angleterreet l’Écosse se trouve là : les Anglais ont été romanisés,pas les Écossais. Cela prouve la vacuité du slogan à la

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mode : « Les frontières sontdépassées. » Fernand Braudelenseignait au contraire qu’unefrontière ressemble à une vieillecicatrice. Elle peut ne pas fairesouffrir mais il arrive qu’elle se rouvre. L’Irlande resta,elle aussi, en dehors de l’emprise directe de Rome,ultime refuge de la culture celte.

En Gaule, ladomination

romaine va durercinq siècles.

En colonisant les pays gaulois, Rome avait ajouté àson empire méditerranéen un espace océanique tournévers l’ouest et le nord qui lui donna une profondeurstratégique nouvelle et le contrôle d’une populationnombreuse d’hommes du Nord, population qui fit uti-lement contrepoids à l’espace hellénistique que« l’Urbs » tenait au levant (« urbs » = la ville, euphé-misme pour nommer Rome). En Gaule, la dominationromaine va durer cinq siècles. Elle ne domina passeulement l’espace, elle domina aussi le temps. La rai-son de ce succès tient à la nature de la politique impé-riale. Rome était évidemment « impérialiste » (le motvient d’elle) mais cet empire fut « assimilationniste ».C’est le seul impérialisme assimilationniste de l’his-toire. Les coloniaux français en parlèrent mais réser-vèrent l’assimilation à quelques individus choisis. LesAnglais du British Empire pratiquaient l’apartheid. SiRome était esclavagiste, comme toutes les sociétés del’Antiquité, elle n’était nullement raciste et pratiquaitl’assimilation des peuples conquis, tout au moins deleurs élites, jusqu’à leur donner le pouvoir sur elle-même. À partir du IIe siècle, il y eut des empereursespagnols, gaulois, arabes. Septime Sévère, le bâtisseurde la superbe Leptis Magna, était libyen.

27Gaulois et Romains

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Politiques, les Romains avaient compris que la forceseule ne garantit pas la durée, comme le dira Talley-rand : « On peut tout faire avec des baïonnettes, saufs’asseoir dessus. » Rome sut susciter l’adhésion despeuples conquis (Grecs) ou colonisés (Gaulois).Immense métropole d’un million d’habitants (chiffreénorme pour l’Antiquité), elle pompait les richessesdu monde, mais, en contrepartie, elle assurait la loi,l’ordre et la paix – « la Paix romaine » n’est pas unmythe – et admettait les indigènes soumis dans sesarmées et dans ses conseils de gouvernement.

Les Gaulois purent assouvir leur passion guerrièreen s’engageant dans les légions. Dès l’année 48 denotre ère, l’empereur Claude faisait entrer de richesGaulois au Sénat de Rome (tout en ordonnant del’autre main la dissolution du clergé des druides).

À la fin du Ier siècle après Jésus-Christ, l’écrivainlatin Tacite pouvait dire aux Gaulois : « Vous partagezl’empire avec nous ; c’est souvent vous qui comman-dez nos légions et administrez nos provinces. Entrevous et nous, il n’y a plus aucune différence, aucunebarrière. »

En 212, l’édit de l’empereur Caracalla accorda lacitoyenneté romaine à tous les hommes libres de

Gaule et de l’empire. Lesrésultats de cette politique assi-milatrice furent saisissants. Lapaix devint si complète en Gaule

que, moins de cent ans après la conquête, Rome negardait plus dans cet immense pays que trois millesoldats, soit l’effectif d’un régiment.

« La Paixromaine » n’estpas un mythe.

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