touaregs et arabes dans les forces armées coloniales et maliennes : une histoire en trompe-l'oeil

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  • 8/3/2019 Touaregs et Arabes dans les forces armes coloniales et maliennes : une histoire en trompe-l'oeil

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    ______________________________________________________________________

    Le Maghreb dans son environnementrgional et international

    ______________________________________________________________________

    Touaregs et Arabes dans les forces armescoloniales et maliennes

    Une histoire en trompe-lil

    Charles Grmont

    .

    NNoottee ddee ll II ff rr ii

    ProgrammeAfrique subsaharienne

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    LIfri est, en France, le principal centre indpendant de recherche,dinformation et de dbat sur les grandes questions internationales. Cr en1979 par Thierry de Montbrial, lIfri est une association reconnue dutilitpublique (loi de 1901).

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    Sommaire

    INTRODUCTION ................................................................................... 2

    LE TEMPS DE LA CONQUETE MILITAIRE (1894-1916) ............................. 4

    PACIFICATION ET ADMINISTRATIONDES MARCHES SAHARIENNES DE LEMPIRE COLONIAL (1917-1960) ....... 7

    DES LOGIQUES POLICIERES MAINTENUESPAR LTAT MALIEN INDEPENDANT..................................................... 11

    NOUVELLE REVOLTE EN 1990-1995ET REACTIVATION DES STRATEGIES DE DIVISION ................................. 13

    DE LA CONFIANCE A LA MEFIANCE,LE RETOUR DES HOSTILITES DANS LA REGION DE KIDAL (2006-2009) .. 19

    CONCLUSION.................................................................................... 24

    BIBLIOGRAPHIE ................................................................................ 26

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    Introduction

    Cette contribution propose danalyser les rapports qui unissent ouopposent le pouvoir central de ltat aux populations de la frange suddu Sahara central, Touaregs et Arabes principalement, et ce, dans unespace relationnel particulier : celui des forces armes coloniales etmaliennes. Le trait commun entre ltat franais, en situation colo-niale

    1

    Le propos visera ici interroger les deux cts de la relation tat et populations touargues et arabes et les logiques qui lesaniment. Il sera expos travers une perspective historique.Lancrage de la rflexion lpoque coloniale me parait, en effet,essentiel si lon cherche comprendre les modalits de recrutementmilitaire de populations vivant la lisire sud du Sahara. Enloccurrence des Touaregs et des Arabes prsents, selon lescirconstances, soit comme les premires victimes ou les premiersremparts de dangers extrieurs, soit comme les premiers respon-

    sables des troubles et des dstabilisations connus dans ces rgions.

    , et ltat malien, issu dun mouvement dindpendance (1960),mane de la reprsentation produite par la majorit des populations

    touargues et arabes, celle dune entit extrieure, et ce, quels quesoient les termes de la relation, bons ou mauvais.

    Trois questions lancinantes, couvrant lensemble de la priode(1893-2008), constitueront le fil rouge de la rflexion.

    1. Quels dangers, rels ou supposs, ont menac les pouvoirscentraux (colonial et malien) dans ces zones saharienneslimitrophes ?

    2. Pourquoi et comment ces pouvoirs centraux ont-ils dcidde recourir aux populations locales pour assurer des fonctions decontrle, de surveillance, de dfense et, parfois aussi, derpression ?

    3. Quels ont t, en retour, les positionnements de cespopulations ? Quelles logiques et quels intrts les ont amenes intgrer les forces armes des pouvoirs centraux ?

    Il ny aura videmment pas la place ici de relater tous lespisodes et tous les contours de cette histoire relationnelle sur plus

    Charles Grmont est chercheur associ au Centre dtudes des mondes africains(Cemaf), Aix-en-Provence.1 1893-1960 pour les rgions du Nord-Mali actuel

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    dun sicle. Aussi, je me contenterai de dgager quelques traitsproblmatiques de cette relation qui tiennent au dveloppement duncertain nombre de malentendus et dincomprhensions rciproques,conduisant, in fine, linstauration de situations en trompe lil .Lhypothse au fondement de la dmonstration est que les autoritscoloniales et maliennes, nont pas compris, ou nont pas cherch comprendre, les contextes, les intrts particuliers et souventconjoncturels, qui ont pouss, un moment ou un autre, desgroupes touaregs et arabes, voire quelques individus seulement, seranger aux cts dun pouvoir central considr comme une entitextrieure. Or, cette incomprhension a produit en retour une visionde lAutre en loccurrence des nomades touaregs et arabes particulirement essentialiste et stigmatisante. La littrature colonialea largement entretenu limage des nomades insoumis , matres dudouble jeu et de la trahison. Plus rcemment aussi, dans les annes1990 et 2000, la figure du bandit arm a (re)surgi avec force. On

    retrouve l une forme assez classique du dni de la dimensionpolitique ou stratgique de lAutre.

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    Le temps de la conqute militaire(1894-1916)

    Les forces coloniales franaises qui conquirent la ville deTombouctou (dcembre 1893 fvrier 1994) se heurtent trs vite plusieurs actions de rsistance. Des Touaregs et des Arabes de lazone de Tombouctou, par exemple, mnent des oprations guer-rires comme ils savent le faire : attaques surprises, sous forme de

    rezzous

    2

    . Les Franais et leurs tirailleurs ne sont pas habitus cetype de combats et ils essuient plusieurs revers comme Takoubao,prs de Goundam, en janvier 18943

    Connaissant trs mal le terrain et manquant cruellement demoyens, les autorits coloniales dcident de favoriser les divisions etles confrontations entre les populations. En 1898, alors que denombreuses tribus touargues restent insoumises, le Lieutenant-gouverneur du Soudan franais propose de constituer des milices ausein des populations sdentaires .

    . La rsistance arme se poursuitsans relche jusqu 1898.

    tant donn qu'on ne pourra jamais arriver se faire des

    amis ou des allis de ces tribus [touargues et maures] parsuite de la haine religieuse et de race qu'ils nous ont voue,et de l'impossibilit dans laquelle nous les mettons de vivrede pillage et de vol, ce qui est leur seule ressource, il fautles supprimer si l'on peut, et cela en les affamant, leshommes en les empchant d'acheter des crales dont ilsont besoin, les animaux en leur interdisant les rives dufleuve. () Pour arriver ce rsultat il faudra installer sur lefleuve un certain nombre de postes qui inspireront laconfiance. Dans ces postes il y aura des dpts d'armes etde munitions l'usage des populations ; les villages serontfortifis ; au besoin on distribuera aux habitants des fusilsanciens modles. On installera des milices auxquelles on

    2 Rezzou, de larabe gazw (prononc gazu en arabe maghrbin) : expditionmilitaire, incursion, raid, attaque ; troupe arme pour faire une razzia . Le termerazzia viendrait aussi du vieux franais (1725) gaze: incursion en territoire ennemiou tranger pour enlever des troupeaux, des rcoltes, etc. , et encore de lancienscandinave reisa: expdition , voire de lallemand Reise: voyage . Source : LeTrsor de la langue franaise informatiset Littr.3 Une troupe dirige par le colonel Bonnier est surprise par une coalition de Touaregs.Onze officiers et deux sous-officiers franais sont tus, ainsi que 67 tirailleurs.

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    fera faire de petites priodes d'instruction mlanges auxtirailleurs ; on leur fera faire des tirs4

    Pour obtenir la soumission des Iwellemmedan, le groupetouareg alors le plus puissant du Nord-Mali actuel, les Franais

    sappuient sur une partie des Arabes Kunta. Cette initiative estfacilite par le fait quun des chefs kunta propose directement sonaide. Il reoit alors une quarantaine de fusils des mains des Franaiset organise trois attaques sanglantes sur les campements desIwellemmedan (1900-1902). Ceux-ci qui ne disposent alors que desabres, de lances et de boucliers subissent de lourdes pertes etfinissent par offrir leur soumission (1903).

    .

    Ces attaques rsultent autant de la stratgie coloniale que dunestratgie locale, en loccurrence celle dun chef qui a des comptespersonnels rgler avec quelques familles dirigeantes desIwellemmedan5

    Quelques annes plus tard, en 1915, un premier goum nomadevoit le jour, et il est justement compos par des Arabes Kunta. Maisladhsion des Kunta ne devait pas tre aussi vidente que les Franaispouvaient le penser. En effet, la poursuite dun rezzou, les goumiersKunta dcident de changer leur fusil dpaule et pactisent avec lesauteurs du rezzou.

    .

    Cet vnement fit natre quelques rserves sur lavenir desgoums nomades. Les Franais insistent alors, dans leurs discours, surle double jeu et la tratrise des nomades.

    Lors des rvoltes de 1916 qui surgissent au nord du Soudanfranais (Nord-Mali actuel) et gagnent ensuite le Niger voisin (1917),

    les forces coloniales recrutent des auxiliaires pour mener larpression. Des Arabes Shaamba, des Kel Ahaggar et des Ifoghasfont ainsi partie des colonnes qui se concentrent Ader n Bukar (lest du cercle de Mnaka actuel, rgion de Gao) pour mater larvolte des Iwellemmedan, dirige par leur chef Fihrun6

    L encore, il ne sagit pas tant, pour ces derniers, de prouverleur loyaut aux Franais. Les Kel Ahaggar et les Ifoghas, mobiliss cette occasion, ont certainement trouv un intrt (politique et

    .

    4 Lettre du lt-cl. Audoud lt. Gouverneur, au lt-cl. commandant la Rgion Nord deTombouctou, 13 septembre 1898, Kayes, Service historique de larme de terre(SHAT), carton Soudan 6.5 Quelques touaregs tributaires, sous la protection des Iwellemmedan, avaient tu unou deux Arabes Kunta au cours dune querelle autour dun puits. Hammadi, le chefdes Kunta, est alors all rclamer le prix du sang (diya) auprs du chef des KelAhara. Celui-ci a refus de livrer ses protgs et, en prime, aurait humili sonvisiteur. Voir C. Grmont, A. Marty, R. ag Mossa, Y.-H. Tour, 2004, Les lienssociaux au Nord-Mali, entre fleuve et dunes, Paris, ed. Khartala / IRAM, p. 138-140.6 Les Shaamba taient au nombre de 35, tandis que les auxiliaires Kel Ahaggar etKel Adagh taient au nombre de 70. Haut-Sngal-Niger, rapport politique 1ertrimestre 1916[A.O.M. 2G 16-8/ 14 Mi 1681].

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    conomique) voir un puissant voisin affaibli et meurtri7. Dans leterritoire militaire du Niger, la politique coloniale est sensiblement lamme au moment des rvoltes de 19178

    7 Le capitaine Arnaud relevait ainsi que les Kel Adagh avaient pris part audpouillement des Iwellemmedan en saccageant les campements concurremment avecles goums Kountas. De nombreux chameaux et beaucoup de btail furent enlevs ainsipar les Iforas . Arnaud, 1917, Les nomades de l'Adrar sous domination franaise,Archives nationales du Mali (ANM), Fonds ancien, srie 1 D 127.

    .

    8 200 auxiliaires recruts parmi les Kel Geres, seule tribu reste fidle aux Franais, sontrecruts pour participer aux forces de rpression. Voir F. Camel, 2003, Ladministrationcoloniale et les Touaregs en A.O.F., de la rpression des rvoltes la disparition desrezzous (1914 1934), Thse de doctorat dhistoire (sous la direction de Marc Michel),Universit Aix-Marseille 1, tome 1 et 2 (annexes), p. 180-181.

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    Pacification et administrationdes marches sahariennes

    de lempire colonial (1917-1960)

    Aprs les rvoltes de 1916-1917, des menaces persistent dans lenord du Soudan franais et du Territoire du Niger. Elles sontprincipalement le fait de rezzous organiss dans des rgions encoreinsoumises. De louest du Sahara (valle du Dra et du Tafilelt), desrezzous prennent la direction des rives du fleuve Niger (entreTombouctou et Gao), ainsi que de la valle du Tilemsi et de lAdagho se concentrent dabondants troupeaux. Dautres proviennentgalement du nord et de lest (Tibesti, Fezzan) et prennent pour ciblelAr et la rgion de Bilma. Les objectifs de ces rezzous pouvaient treassez diffrents selon les cas : raisons conomiques, raisonspolitiques, actes de vengeance, etc.

    Pour les militaires qui dirigent la rgion de Tombouctou9

    Il semble que le rle des administrateurs dans cesrgions "inadministrables" serait plutt platonique. Il fautet il suffit qu'une paix relative y rgne et surtoutqu'aucune incursion ne puisse se produire dans lesrgions productives. Cela est purement de la police.L'administration n'y a, pour l'heure, peu prs rien faireet le peu qui peut tre tent est trop subordonn lascurit du pays pour ne pas lui cder le pas.

    , la luttecontre les rezzous est une priorit. Ils raffirment ainsi leur position etleur lgitimit aprs avoir t mis en cause par des inspectionsadministratives ralises aprs les rvoltes de 1916. La rponse des

    militaires fait valoir que laction politique dans les rgions sahariennesne consiste pas tant en une administration et une mise en valeur deces rgions, mais bien plus en une action de police: le maintien de lapaix publique parmi les nomades , de rputation agite etbelliqueuse, et la protection contre les rezzous relvent, selon eux, dela force des militaires et non dune administration civile. Optionraffirme, ds 1917, par le commandant suprieur des troupes delAOF.

    10

    9 La rgion de Tombouctou est sous administration militaire jusque dans les annes1920.10 Goullet, 17 dcembre 1917, Note sur la rorganisation du Sahel et deTombouctou, Archives doutre-mer (AOM), srie 15G 104.

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    Mais dans ces zones en particulier, les troupes coloniales sonttoujours confrontes un manque de moyens et surtout de per-sonnels. En 1920, dans toute la rgion de Tombouctou, le nombredEuropens ntait que dune trentaine dindividus11

    Les autorits coloniales dcident alors de dvelopper uneadministration indirecte efficace. Elles sefforcent de trouver deschefs qui leur sont entirement dvous tout en conservant uneautorit auprs de leurs populations. Sur le plan militaire, il est dciddengager des goumiers et des auxiliaires, ou encore des partisanspour appuyer les pelotons et les sections mharistes

    .

    12

    Pour les Franais, il sagissait, par ce biais, de faire natre unsentiment de confiance rciproque. En dautres termes, il fallait apprivoiser les Touaregs. La tche ntait pas aise un momento la mfiance tait, de loin, le sentiment le plus courant, comme lemontre, par exemple, cet extrait dun rapport politique de 1920.

    .

    La masse des Touareg [] ne nous aime pas et nousprouve [] que nous devons toujours nous mfier d'euxet ne jamais croire un vritable loyalisme de leur part.C'est d'ailleurs en nous tenant sur nos gardes, mme enpriode de calme, que nous viterons de nouvellessurprises, car le Touareg ne connat que la force quil'entoure et le surveille .13

    Dans cette politique dintgration militaire, toute relative

    14

    Lenrlement des Touaregs et des Arabes pour mener des

    oprations de police sexpliquait aussi, bien sr, par la meilleureadaptation des nomades aux oprations en milieu saharien. Leurprincipale fonction officielle tait, en effet, de servir de guides etdclaireurs aux units mharistes (constitue principalement de

    , lesofficiers de la zone de Tombouctou et de Gao tendent mme la main leurs ennemis dhier, les Iwellemmedan.

    11 F. Camel, 2003, op. cit. p. 212.12 Ces termes apparaissent dans le vocabulaire de larme franaise au cours de lapremire moiti du XIXe sicle. Goumiers: Contingent de combattants recrutsparmi la population indigne. Emprunt larabe maghrbin : tribu, peuple, gens ;contingent de cavaliers arms que certaines tribus fournissent au chef du payslorsquil fait une expdition . Auxiliaires: Arme, soldats de nationalit trangreservant aux cts de larme nationale . Partisans: Soldats de troupes lgres,dtachs pour faire une guerre davant-postes. Combattants nappartenant pas une

    arme rgulire et qui mne des actions militaires de gurillas . Source : Le Trsorde la langue franaise informatis. En AOF, les goumiers taient recruts pour toutelanne, tandis que les partisans ntaient enrls que momentanment pour uneaction prcise. Les premiers touchaient une solde, alors que les seconds taientrtribus la journe. En 1923, la rgion de Tombouctou disposait de deux goums :celui de Tombouctou et celui de Gao, constitus, pour chacun deux, dun chefgoumier, de deux sous-chefs et de vingt sept goumiers.13 Rapport politique du premier trimestre 1919, Territoire militaire du Niger, AOM,srie 2G 19-10.14 Les nomades ne sont en effet pas pleinement intgrs. Ils ne font pas partiedes troupes rgulires, comme lindique les catgories utilises pour qualifier leursfonctions (auxiliaires, partisans, goumiers).

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    tirailleurs et diriges par un officier franais). Mais, dans les faits, cesforces locales dappoint ont souvent t au-del de simples missionsdclaireurs. Dans lAdagh, notamment, elles ont vritablement com-battu et repouss des rezzous.

    Si lon se place du ct des Touaregs, ladhsion des KelAdagh, par exemple, que les Franais ne manquaient pas desouligner et dapprcier, ne traduisait pas ncessairement uneadhsion lentreprise coloniale. En effet, les Kel Adagh travaillaientaussi et surtout pour eux-mmes, pour leurs propres intrts. Leursoumission pacifique, leur participation la rpression de la rvoltedes Iwellemmedan, en somme leur collaboration avec les Franais,leur avaient permis de rehausser leur position sur lchiquier politiquede la zone. En quelques annes, ils avaient acquis un rang suprieuren saffranchissant de la tutelle de leurs puissants voisins(Iwellemmedan et, dans une moindre mesure, Kel Ahaggar). Mme sicette nouvelle autonomie restait toute relative, du fait de loccupation

    coloniale.La participation des Kel Adagh la lutte anti-rezzou ncessite,

    en outre, dtre contextualise. Le fait quun chef de cette tribu,Safikhun, ait t tu au cours dun rezzou en 1912, nest videmmentpas anodin. Les Kel Adagh avaient donc, logiquement, quelquescomptes rgler avec les rezzous venant du nord-ouest, tout aumoins avec certains dentre eux15

    Les Iwellemmedan galement, furent largement utiliss, toutau long de la priode coloniale, pour repousser des groupes voisinstranshumant lintrieur des limites de leursubdivision. En rpondantaux attentes des autorits coloniales arc-boutes sur le respect desfrontires administratives, les Iwellemmedan marquaient aussi, etsurtout, leur prminence, voire leur exclusivit, sur un espace o lesressources pastorales taient plus riches et abondantes que dans lessubdivisions voisines.

    .

    Par ailleurs, lengagement comme goumiers ou partisans procurait quelques avantages matriels et financiers.Ceux qui sengageaient taient habills et arms, ils bnficiaientdune monture et touchaient une solde16

    Pour conclure sur la priode coloniale, sans doute faut-ilretenir que la mfiance et la crainte nont jamais vritablement

    .

    15 Safikhun est tu dans son campement, la nuit, par un rezzou compos dArabeskunta et berabich venant de louest. Voir P. Boilley, 1999, Les Touaregs Kel Adagh.Dpendances et rvoltes : du Soudan franais au Mali contemporain, Paris, Karthala,p. 132-133.16 Limportance donne au port de luniforme, et la mythologie militaire ne doit pastre nglige. La clbre cartouchire que portaient les auxiliaires Kel Adagh estarbore aujourdhui encore les jours de ftes. Au dbut du XXIe sicle, il ny a quobserver la fiert de certains jeunes portant la tenue militaire et une arme pourprendre la mesure de ce phnomne dattirance. Sans parler des avantages que lescorps en uniforme peuvent procurer au quotidien.

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    disparu du ct des Franais. Cette ide, exprime ici par lelieutenant gouverneur du Soudan franais aprs les rvoltes de 1916,revient comme un leitmotiv dans les archives coloniales.

    Je persiste croire que la remise darmes en quantit

    considrable aux nomades est de nature crer unventuel danger srieux pour notre domination dans destribus peine soumises et dont lattachement notregard est des plus douteux .17

    Tout au long de loccupation coloniale, la crainte des officiersfranais tait celle dun nouveau soulvement aggrav par les armeset les munitions que les commandants de cercle avaient confies quelques centaines de Touaregs.

    17 Lieutenant gouverneur du Soudan au commandant de la rgion de Tombouctou,1919. AOM, srie F.M. 11G3.

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    Des logiques policiresmaintenues par ltat malien

    indpendant

    Lindpendance du Mali (1960) ne marque pas une rupture sagissantdes craintes et de la stigmatisation exprimes par le pouvoir centralvis--vis des Touaregs, bien au contraire. Le projet de lOCRS(Organisation commune des rgions sahariennes), initi par laFrance avec quelques relais locaux, entre 1957 et 1962, a, videm-ment, contribu aiguiser la mfiance du nouveau rgime en place(lUS-RDA du prsident Modibo Keta18) lgard dventuels projetsscessionnistes au nord du Mali19

    la suite de plusieurs incidents survenus entre les nouvellesautorits maliennes et quelques Touaregs qui refusent de se sou-mettre lomnipotence des militaires, une rvolte arme clate danslAdagh des Ifoghas (rgion de Kidal actuelle). La rpression menepar larme malienne est sans commune mesure avec les quelquescoups de feu tirs par les insurgs

    .

    20. De nombreux civils sonthumilis, torturs et tus21. Dans les annes qui suivent, des

    exactions se poursuivent ici ou l et une stigmatisation sabat surlensemble des Touaregs du Nord-Mali. Le cercle de Kidal, en parti-culier, est interdit aux trangers et plac sous le contrle exclusif delarme. Cette situation nest donc pas sans rappeler celle desannes 1916-1920 o la surveillance et les oprations policirestaient la priorit absolue des militaires coloniaux en charge despopulations nomades (touargues et arabes principalement)22

    18 Union soudanaise pour un rassemblement dmocratique africain.

    .

    19 Dans un discours prononc Tombouctou en 1958, Modibo Keta, qui nest pasencore prsident, souligne que lOCRS ne sera jamais un organisme politique, tout

    au plus un ensemble conomique dont les tats riverains seront actionnaires. Toutesles intrigues tendant englober une fraction du territoire soudanais dans le Saharaseront voues lchec et leurs promoteurs poursuivis . Discours cit par A.Chaventr, 1967, Antagonisme Noir-Blanc. La dissidence au Mali, Paris, Mmoire del'Ecole Pratique des Hautes tudes, p.38.20 Le seul vritable accrochage entre les insurgs et les militaires maliens aurait faitdeux morts de chaque ct. Enqutes de lauteur dans la rgion de Kidal, avril 2009.21 Les victimes se chiffreraient par centaines, voire par milliers. Voir P. Boilley, 1999,op. cit. p. 344.22 Comme le note Pierre Boilley, 1999, op. cit. p.350 : si les Franais parlrent pourles espaces nomades ainsi grs de Territoires militaires, les Maliens employrent leterme de zones dinscurit , mais le rsultat fut le mme.

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    La ressemblance entre les deux autorits centrales, ltatcolonial puis malien, dans leur positionnement vis--vis des Touaregssarrte cette dfiance de principe et la cruaut des rpressionsmises en uvre. En effet, jusqu lanne 1993, le pouvoir centralmalien, contrairement celui des Franais, na pas vritablementcherch intgrer les Touaregs au sein de ses forces armes. Lesanciens gardes ou goumiers de lpoque coloniale ont certes tmaintenus, utiliss le plus souvent pour la collecte des impts, et desrecrutements dans larme ont pu avoir lieu, mais toujours desniveaux subalternes. Jusquaux annes 1990, les Touaregs qui lesouhaitaient ne pouvaient que trs difficilement gravir les chelons dela hirarchie militaire23. Si ce nest dans les textes, lcole militaireinter-armes (EMIA) qui assurait la formation des officiers, tait, dansles faits, ferme aux Touaregs24. Pour les deux premiers rgimes duMali indpendant (prsidences de Modibo Keta et de MoussaTraor), lide mme de confier aux Touaregs de vritables fonctions

    de contrle et de dfense tait impensable25

    Dconsidrs, humilis et marginaliss dans les premiresdcennies du Mali indpendant, les Touaregs ont, en outre, d faireface deux grandes scheresses dans les annes 1972-1974 et1984-85. Des familles entires se sont alors retrouves dans uneimpasse, tant conomique que sociale. Les jeunes, en particulier, ontdcid de chercher lextrieur de chez eux les moyens de subsister.La plupart dentre eux ont pris le chemin de lAlgrie et de la Libye.Vivant de petits boulots et de dplacements permanents, mais ausside frustrations et de ressentiments, ils ont commenc, leur tour, ressentir le vent de la rvolte. Accueillis dans les casernes libyennesde M. Kadhafi, ils y ont appris le maniement des armes modernes.Dtermins rparer les injustices et les souffrances vcues, rquilibrer aussi les rapports de forces en leur faveur, ils sontrentrs chez eux, au Mali, en juin 1990, les armes la main.

    .

    23 A ma connaissance, seuls deux ou trois Touaregs, de la rgion de Tombouctou,ont obtenu le grade dofficier entre 1960 et 1993.24 Cette pratique discriminatoire a ensuite t mise en avant par les Touaregs quicherchaient lgitimer leur nouveau soulvement au dbut des annes 1990.25 Comme lexprime Pierre Boilley (1999 : 353) propos des Touaregs de la zone deKidal, faire des Kel Adagh des Maliens, les fondre dans lensemble des citoyens,afin que disparaissent les soucis de sditions ou de scessions quils suscitaient,voil le but. Mais des Maliens dont on se mfiait, pourtant, et qui toutes les portesntaient pas ouvertes, notamment celles de larme, car confier une arme unTouareg paraissait toujours une forme de suicide tatique

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    Nouvelle rvolte en 1990-1995et ractivation

    des stratgies de division

    Ds les premires attaques de la rbellion, le prsident MoussaTraor parle de bandits arms pour qualifier les assaillants26

    Il nest pas question de retracer ici la trame vnementielle dela rbellion touargue au Mali. Le lecteur pourra se reporter labibliographie en fin de texte et relativement consquente sur ce point.Linterrogation principale de ce texte reste tourne sur limplicationdes Touaregs dans les forces armes nationales, ou simplement leurs cts dans un jeu dintrts croiss.

    . Onretrouve, l encore, la ngation de la dimension politique de lAutre.Les Touaregs sont ramens la figure coloniale du pillard .

    Les rebelles touaregs regroups au sein du MPA (Mouvementpopulaire de lAzawad) lancent de nombreuses attaques sur lesdiffrents postes militaires des rgions du Nord. Larme malienne,incapable de parer aux attaques rapides des combattants touaregs,

    organises sous la forme de rezzou

    27

    , exerce une rpression san-glante sur les populations civiles28

    26 Rbellion touargue , est lintitul franais repris couramment pour qualifierlinsurrection arme des Touaregs au Mali et au Niger au dbut des annes 1990.Les termes vernaculaires que les combattants utilisaient pour dsigner leur actiontaient : tanakra, en tamasheq lveil, le soulvement , ou attawra, en arabe larvolution .

    . La rupture violente entre lepouvoir central et les Touaregs de cette rgion sud du Sahara semanifeste une fois encore, aprs la conqute coloniale des annes1895-1903, les rvoltes de 1916 et de 1963-64. Un accord de paixest tout de mme sign entre les deux parties, en janvier 1991 Tamanrasset, sous lgide de lAlgrie. La lettre de cet accordprvoyait, officiellement, la dmilitarisation de la rgion de Kidal,loctroi dun statut particulier pour les rgions du Nord et laffectationde 47,3 % des crdits dinvestissement aux rgions du Nord.

    27 Cette fois non plus dos de chameaux, mais dans des vhicules 4x4 pick-up avecdes armes automatiques.28 Pour le dtail des oprations militaires et de la rpression mene par larmemalienne sur les populations civiles, voire, notamment, P. Boilley, 1999, op. cit. et C.ag Baye, 2009, Repres vnementiels Mali-Touareg. Pour une meilleurecomprhension de la question Touareg et les difficults de la construction nationale,document non publi, 15 p.

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    Au cours de ce premier temps de la rbellion, les quelques jeunes touaregs qui taient dans larme malienne, des niveauxsubalternes comme on la dit, quittent, pour la plupart, leurs caserneset rejoignent les bases militaires de la rbellion. Seuls des anciensgoumiers, devenus des gardes aprs lindpendance, sont restsau service de leur hirarchie. Ils ont alors souvent servi de guide larme malienne qui cherchait sapprocher des positions rebelles. Ilconvient de prciser ici que lengagement de ces gardes taitcautionn, voire encourag, par la plupart des chefs traditionnels choys par le rgime de Moussa Traor, et, de ce fait, viss par lesrebelles. Ces derniers nont pas cherch sen prendre directementet ouvertement eux, mais ils leur ont fait savoir leur dsapprobationquant la gestion politique qui avait t la leur depuis lindpen-dance. Le message adress implicitement par les rebelles ceschefs tait donc de se tenir lcart.

    Ce nest qu la faveur dun deuxime accord de paix, le Pacte

    national sign en avril 1992, que la question de lintgration et delutilisation des Touaregs et des Arabes au sein des forces armesnationales revient avec force. Larticle 7 A (Titre II) du Pacte relieainsi explicitement la question de la confiance entre les deux parties lintgration militaire des combattants de la rbellion :

    Dans le cadre des mesures de restauration de laconfiance, de llimination de facteurs dinscurit etdinstauration dune scurit dfinitive, il sera :

    - procd lintgration totale, sur une base individuelleet volontaire et selon les critres de comptence, descombattants des Mouvements et Fronts Unifis de

    lAzawad (MFUA) dans les diffrents corps en uniformede ltat29

    - mis sur pied pour une anne, des units spciales desforces armes composes majoritairement descombattants intgrs des MFUA,

    ,

    - institu un corps de scurit intrieure (Gendarmerienationale, Garde-Goum, Police) comprenant toutes lescomposantes des populations locales, y compris descombattants des MFUA, mis la disposition desAutorits locales dans le cadre de leurs pouvoirs depolice,

    - cr des units spciales de lArme largementouvertes toutes les composantes des populationslocales, dont la mission se limitera la prservation delintgrit et de la scurit extrieures du territoirenational.

    29 MFUA tait lappellation qui fdrait les quatre principaux mouvements de larbellion : le MPA (Mouvement populaire de lAzawad), le FPLA (Front populaire delibration de lAzawad), lARLA (Arme rvolutionnaire de lAzawad) et le FIAA (Frontislamique arm de lAzawad). Les trois premiers taient composs par desTouaregs, et le quatrime essentiellement par des Arabes.

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    () La scurit et lintgrit physique des combattants etdes membres rintgrs des Mouvements et Fronts ainsique celles des populations dplaces rapatries seronttotalement garanties .30

    Larticle 52 (Titre IV sous-titre B) prcisait en outre que legouvernement malien sengageait faire :

    un effort particulier pour assurer lintgration titrespcial de cadres des Mouvements et de personnes despopulations du Nord du Mali dans les instances centralesde ltat-major de la Dfense Nationale et autres corpsde scurit .

    Dans le mme temps, et toujours dans le but de restaurer laconfiance , le prsident du Comit transitoire de salut public,Amadou Toumani Tour, sengageait procder un allgementsubstantiel, graduel et appropri des forces armes actuelles dans leNord, de sorte aboutir leur retrait majoritaire .31

    Jamais depuis la conqute coloniale, les dirigeants de ltatcentral ne staient avancs ce point dans lintgration desnomades touaregs et arabes au sein des forces armes nationales.Mais il restait, videmment, joindre le geste la parole. Or ceniveau, force est de constater que lapplication du Pacte national aconnu des retards, si ce nest des points de retour en arrire. telleenseigne que les protagonistes du dernier soulvement arm,dclench Kidal le 23 mai 2006, en taient encore rclamer lamise en uvre de toutes les clauses du Pacte national !

    Il a ainsi fallu attendre pratiquement un an (fvrier 1993) pour

    voir les premiers ex-rebelles effectivement intgrs dans les rangs delarme. Ils taient au nombre de 640, cest--dire une petite minoritde la totalit des combattants des MFUA prvue pourlintgration32

    Entre-temps, les actes de banditisme se sont dvelopps.Perptrs parfois par des rebelles sans aucune perspective cono-mique et en rupture avec leurs propres leaders, ces actes incontrlsont fait ressurgir lamalgame rebelles = bandits . Ils ont contribugalement morceler et opposer encore un peu plus les mouve-ments rebelles entre eux. cela sajoutaient, en outre, de rellesrivalits entre diffrents groupes sociaux du Nord (Touaregs, Arabes,Songhay, Peuls, etc.), de mme quau sein des Touaregs. Ds lors,

    . Et ce nest qu partir de cette date galement que lespremires units spciales , composes moiti de militairesmaliens et de combattants des MFUA et finalement appeles patrouilles mixtes , ont vu le jour.

    30 Pacte national, conclu entre le gouvernement de la Rpublique du Mali et lesMouvements et Fronts unifis de lAzawad consacrant le statut particulier du Nord duMali. Fait Bamako, le 11 avril 1992.31Idem, Article 7 B (Titre II).32 On peut estimer plusieurs milliers le nombre des combattants des MFUA entre1990 et 1993, mais aucun chiffre prcis nest ce jour disponible.

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    ltat central disposait dun levier dj bien expriment pour affaiblirune force de contestation toujours mme de le menacer : favoriserla division en soutenant un groupe ou une tendance contre un(e)autre.

    Aussi, comme aux moments les plus critiques et sanglants dela conqute coloniale, ltat malien labore une stratgie de sous-traitance de ses actions violentes. Deux conflits arms dchirentdes communauts du Nord entre elles, et dans les deux caslimplication des autorits centrales ne fait gure de doutes.

    Le premier oppose deux mouvements touaregs de larbellion : le Mouvement Populaire de lAzawad (MPA), composmajoritairement par des Ifoghas, groupe historiquement dominantdans lAdagh, et lArme Rvolutionnaire de libration de l'Azawad

    (ARLA), mouvement compos par des Imghad, appellation dsignant,dans lAdagh, les groupes sociaux anciennement tributaires. Sans

    entrer dans les dtails dune histoire locale complexe et dun conflitqui a fait plusieurs dizaines de morts et de blesss, retenons ici quele MPA tait le mouvement rebelle le plus modr et le pluscomposant avec ltat, et ce malgr les retards consquents (etrvlateurs) dans lapplication du Pacte national. Les enqutes deterrain menes sur cette guerre interne , pour ne pas dire fratricide , semblent tablir limplication partiale des responsablesde Bamako. Les anciens membres de lARLA, ainsi que ceux duFront Populaire de Libration de l'Azawad (FPLA) et du FrontIslamique Arabe de l'Azawad (FIAA) qui ntaient pas engags dansle conflit, ou encore plusieurs personnes ressources, soutiennent quele MPA a dispos dune aide substantielle de ltat, en matriel

    militaire notamment, pour conduire ses actions et finalement prendrele dessus. Seuls les ex-combattants du MPA, et plus largement lesIfoghas, dmentent toute implication de ltat. Il reste interroger lesresponsables maliens de lpoque.

    Le deuxime conflit est li lmergence de milices dautodfense au sein des populations songhay de la valle dufleuve, runies sous lappellation Mouvement patriotique GandaKoy (MPGK)33

    Aucun rebelle-bandit-arm ne revendique l'AZAOUAD

    [en majuscule dans le texte], il veut la reconnaissanced'un droit l'appropriation crapuleuse des terres, desrgions, des biens des peuples sdentaires.

    . Ce mouvement merge, sur le papier, ds le moisdavril 1992, avec la publication dun tract intitul La voix du nord,organe de combat des peuples sdentaires :

    - Les NOMADES : Touaregs, Maures, arabes () ontvoulu et organis leur tat d'isolement actuel. Ce sontdes bandits depuis toujours vivant de vol, razzia,brigandage.

    33 Ganda Koy signifie matre(s) de la terre , en langue songhay.

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    Les tribus nomades sont en train, par le pacte, de sedonner une position dominante dans le nord, sur le dosdes sdentaires qui appartiennent les rgions vitalesdu Nord. O sont les villes et les villages desTAMACHEK ?

    Peuples noirs sdentaires, de Nioro Mnaka,organisons-nous, armons-nous pour la grande bataillequi se prpare. Refoulons les nomades dans les sablesde l'AZAOUAD.

    - La seule faon de mettre fin la guerre est lesoulvement des peuples noirs sdentaires contre lesnomades. Les autorits et les militaires le savent, lesnomades le savent aussi. Sans les rgions noires sden-taires il n'y a pas de Nord, seulement le dsert et despeuplades errantes. 34

    Le rapprochement, voire la filiation, avec le contenu des

    projets les plus extrmistes imagins par les autorits coloniales aumoment de la conqute militaire, apparat ici vident

    35. La collusionde ltat central nintervient vritablement qu partir de lanne 1994,avec la dsertion dun capitaine songhay de larme malienne quiemporte avec lui un nombre important darmes et de munitions. Trsprobablement couvert par sa hirarchie militaire36, il assure, avecquelques autres personnalits influentes, la coordination des actionsviolentes, dont les premires victimes sont les populations civiles,touargues et arabes, de teints clairs en loccurrence 37

    Une fois encore, donc, le pouvoir central menac par unerbellion, et incapable de trouver une issue favorable, a eu recoursaux populations locales pour exercer ses actions rpressives. Et

    . Durantplusieurs mois, de mai novembre 1994, un cycle dattaques et dereprsailles, faisant plus dune centaine de victimes, a dchir lespopulations du Nord. Le paroxysme de la violence fut atteint en

    octobre 1994 avec le massacre dun village de religieux touaregs (KelEs-Suq) situ 3 km de la ville de Gao. Toutes les versions concor-dent sur le fait que lopration meurtrire a t mene conjointementpar les militaires du camp de Gao et les milices Ganda Koy.

    34 Extraits de La voix du Nord, organe de combat des peuples sdentaires , N00,1992.35 Cf. la lettre du lieutenant colonel Audoud (1898) reproduite dans le premier point.36 Les preuves tangibles restent encore tre rassembles et publies. Ce type deprojets laisse gnralement peu de traces crites. Je rapporte ici la version la plusrpandue et la plus consensuelle produite par les premiers intresss, et ce parmitoutes les populations du Nord. Des personnes ressources parmi les Songhay necachent pas non plus la complicit et linteraction entre les milices Ganda Koy etlarme malienne.37 Lidologie vhicule par Ganda Koy ntait pas seulement celle de lauto-dfense . Comme il est dit dans La voix du Nord , il tait question des intrtsdes peuples noirs sdentaires . Or les socits touargues et arabes du NordMali comptent en leur sein de trs nombreux Noirs, souvent mme majoritaires.Aussi Ganda Koy a-t-il tent, et parfois russi, dinstaurer une rupture violente entreles Noirs et les Blancs , au sein des Touaregs notamment.

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    finalement, cest au moment o la rupture paraissait consomme eto tout semblait basculer vers le pire, que des leveurs touaregs etsonghay de la zone de Bourem se sont rapprochs pour faire valoirleurs intrts et leur pass communs. Plusieurs rencontres ont ainsit organises entre les populations et entre les mouvements arms,et ont permis le retour de la paix.

    Parmi les mesures les plus significatives de la reprise dudialogue et du retour aux engagements contenus dans le Pactenational, il faut souligner, au dbut de lanne 1996, la relance duplan dintgration des ex-combattants au sein de larme et desforces de scurit maliennes. Au total, ce sont plus de 2 500 ex-combattants qui ont t intgrs38

    Mais si lon observe cette campagne de recrutement au-deldes chiffres, force est de constater que de nombreux ex-combattantsdmobiliss nont rien obtenu, ni de lintgration militaire proprement

    dite, ni des programmes de rinsertion conomique labors pourcontenter ceux qui ne voulaient ou ne pouvaient pas servir dans lescorps en uniformes. Un nombre important de laisss pour compte aainsi accumul de nouveaux ressentiments contre ltat, alors mmeque les premiers responsables de ces malversations taient daborddu ct des anciens leaders de la rbellion, et plus encore des chefspolitiques, lesquels ont souvent court-circuit les vritables ex-combattants au profit dautres individus plus intressants favoriserdu fait de leur situation sociale, politique et conomique.

    .

    Si, comme a pu lcrire Pierre Boilley 39

    38 Aux ex-combattants des quatre mouvements de la rbellion dj cits (MFUA), ilfaut ajouter ceux du MPGK qui ont bnfici galement de cette mesure.

    , les Touaregs seretrouvaient, de fait, plus et mieux intgrs au Mali au sortir de larbellion des annes 1990, et notamment par leur nouvelle repr-sentation au sein des forces armes, il restait tout de mme quelquesinterrogations. Sur quels modes, concrtement, les relations entre lesennemis dhier allaient-elles se dvelopper au sein des casernes etde la hirarchie militaire ? Ny avait-il pas, l encore, le risque delmergence dune situation en trompe lil ?

    39 Pierre Boilley, 1999, op. cit.

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    De la confiance la mfiance,le retour des hostilits

    dans la rgion de Kidal (2006-2009)

    Au dbut de lanne 2006, plusieurs ex-combattants de la rbellion de1990, intgrs dans larme malienne aux grades dofficiers, exprimentleur mcontentement au sujet du traitement qui leur est rserv. Ilscontestent leurs lieux daffectation (au sud du pays, alors quilssouhaiteraient servir chez eux , au nord), et se disent victimes dediscrimination au sein de larme40. la tte de ces officiers mcontents,tait le lieutenant-colonel Hassane Fagaga41. En fvrier, ces militairesdsertent leurs postes daffectation et se retranchent dans les mon-tagnes de lAdagh. Ils font alors valoir leurs dolances auprs duprsident de la Rpublique, Amadou Toumani Tour ( ATT ), parlintermdiaire de Iyad ag Ghali, un des leaders historiques de larbellion de 1990 (ex-secrtaire gnral du MPA) et, depuis lors, per-sonnalit influente de lAdagh. Au cours dune nime mdiation auprsdu prsident malien, Iyad ag Ghali aurait t conduit. ATT et unepartie de ltat-major auraient dcid de ne plus rpondre aux dolances

    de Hassane Fagaga et de ses hommes, et auraient durci leurspositions42

    Ce jour-l, 4 h 30 du matin, les deux camps militaires deKidal, ainsi que la gendarmerie, sont pris dassaut par des combat-tants touaregs. Les oprations taient coordonnes par 60 officiers etsous-officiers, tous ex-combattants de la rbellion de 1990 (presqueexclusivement des anciens du MPA), et intgrs dans les rangs del'arme nationale. En quelques heures, la ville est sous le contrledes hommes dirigs par Hassane Fagaga. Iyad ag Ghali, qui venaitd'arriver de Bamako, intervient en encadrant les insurgs et enveillant prvenir tout dbordement ventuel. Les changes de tirs,plusieurs heures durant, crent cependant un vent de panique au

    . Des renforts militaires de Gao en direction de Kidal taienteffectivement en prparation la veille de lattaque de Kidal le 23 mai.

    40 Deux dentre eux, interrogs en 2007, dnonaient, par exemple, des situations defait dans lesquelles ils se sont retrouvs sous les ordres dun moins grad queux.41 Hassane Fagaga est un ex-combattant du MPA. Il appartient la fractionIfrgumesn, groupe situ majoritairement au nord du cercle de Mnaka (communedIn-Tadjedite), mais galement dans la zone de Tin Zawaten.42 La vrit reste encore tablir sur ce point. Les versions recueillies du ct desTouaregs concordent, mais il reste interroger les autorits politiques et militaires Bamako.

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    sein des populations. Des familles entires quittent la ville et se rfu-gient dans les oueds alentours (au moment le plus difficile de l'anne,en pleine saison chaude). Cette attaque aurait fait cinq morts, deuxdu ct rebelle, un du ct loyaliste et deux civils.

    Dans laprs-midi mme, des renforts de larme arrivent auxportes de Kidal. la tte de la colonne se trouve le commandant dezone de Gao, le colonel Ellaji ag Gamou, qui est, lui aussi, un ancienleader de la rbellion de 1990 (ex-chef militaire de lARLA). Avantdentrer dans la ville, Ellaji sentretient avec Iyad par tlphone. Afindviter un embrasement, ce dernier demande aux insurgs de se replierhors de la ville. Cest ce quils font, et se retirent jusque dans lesmontagnes de Tigharghar. De l, ils se revendiquent dune appellationcollective : Alliance dmocratique du 23 mai pour le changement .

    Ltat malien opte alors pour le dialogue lgard de cettenouvelle rbellion . Avec la mdiation de lAlgrie, il signe un

    accord de paix avec lAlliance : Accords dAlger pour la restaurationde la paix, de la scurit et le dveloppement dans la rgion deKidal . Ce texte prvoit, entre autres choses, le dsarmement descombattants, lintgration dune partie dentre eux dans larme, et lacration dunits spciales de scurit ; le retour du dispositifmilitaire dans la rgion de Kidal son niveau davant le 23 mai ; unprogramme de dveloppement pour les rgions du Nord, etc.

    En mars 2007, les combattants de lAlliance, dans le cadre desaccords dAlger, donnent des gages de bonne volont. Ils font leurentre dans la ville de Kidal et dposent une partie de leurs armes.420 combattants sont intgrs dans les forces armes nationales. Maisun mois plus tard (avril 2007), larme malienne prend une initiative quiva lencontre des accords dAlger en investissant les chefs-lieux descommunes de Tin Zawaten, Boughessa et In Tedjedit. Les hostilitsreprennent alors sous limpulsion dIbrahim ag Bahanga, combattantinfluent qui a toujours t oppos aux Accords dAlger. Avec ses hom-mes, il attaque le poste de Tin Zawaten, puis il mne dautres oprationsvictorieuses qui lui procurent de nombreux prisonniers de guerre.

    Dans les premiers mois de lanne 2008, des tentatives demdiation sont conduites par lAlgrie et la Libye, mais elles napportentaucun rsultat probant. Les accrochages se poursuivent et sintensifientencore aprs lassassinat, aux portes de Kidal, dun officier touareg de lagarde nationale et dun imam qui laccompagnait43. Un nouveau vent de

    panique souffle sur la ville de Kidal. Craignant de subir le mme sort, lesmembres de lAlliance, dautres Touaregs en voie de (r)intgrationdans larme, et des civils quittent la ville. Les attaques des rebellesreprennent lintrieur de la rgion de Kidal, mais aussi lextrieur 44

    43 Les corps du commandant Barka et de Mohammed Mossa sont retrouvs ligotset cribls de balles.

    .

    44 Le poste militaire de Diabaly, dans la rgion de Sgou, est ainsi attaqu le 6 mai2008. Le poste dAnsongo, au sud de Gao, est galement pris pour cible par dautresTouaregs qui agissent en leur nom, tout en affichant leur solidarit avec lAlliance.

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    Une fois encore, ltat malien, incapable de trouver une solution auconflit, ni par le dialogue, ni par la force arme, joue la carte de ladivision en recourant des milices locales. Des milices lgales selon lexpression gouvernementale, font ainsi leur apparition dans leconflit. Elles sont composes par des combattants imghad, dirigspar le colonel Elhaji ag Gamou, ainsi que par des combattantsarabes, emmens par le colonel Mohammed ould Meydou. Lespectre de la division au sein des Touaregs, et plus largement entreTouaregs et Arabes, rapparat au nord du Mali.

    En juin 2008, la milice dElhaji ag Gamou organise uneattaque contre une base dIbrahim ag Bahanga, Tin Assalaq.Contrairement aux premiers chos mis par la presse, cette attaquenaurait fait aucune victime, ni dun ct ni de lautre.

    Si la stratgie de division dveloppe par ltat centralsemble, l encore, assez claire et rvlatrice de ses difficults

    simposer, elle ne doit pas masquer pour autant les intrts de ceuxqui constituent les milices en question. En effet, de la mme manireque les Kunta avaient cherch, au dbut du XXe sicle, rglerleurs comptes en salliant aux Franais contre les Iwellemmedan,les Imghad et les Arabes impliqus du ct de ltat malien avaientleurs raisons.

    Pour ce qui concerne les Imghad, et en particulier lapersonnalit dEllaji Gamu, il convient de rappeler la guerre surgie en1994 entre deux mouvements de la rbellion touargue, le MPA etlARLA. Il faut prciser que si ce conflit avait fait au moins unevingtaine de morts, il avait galement t entach de quelques acteshautement symboliques et humiliants : enlvement du chef tradi-tionnel de lAdagh, Intalla ag Attaher, par Ellaji Gamu lui-mme ; enreprsailles, des combattants du MPA rasrent la tte de plusieurshommes de lARLA quils avaient fait prisonniers. Exposer les mul-tiples causes de ce conflit, serait ici trop long. Prcisons juste, lattention du lecteur non averti, que les Imghad sont associs, danslAdagh, un statut historique de subalternes. Depuis la fin du XIXesicle, ils ont toujours t sous la tutelle politique des Ifoghas. Or, lafaveur de la rbellion des annes 1990 et dun discours rvolu-tionnaire ctoy dans les annes de formation militaire en Libye, lesImghad ont cherch se dfaire de cette relation de pouvoir. Lesvnements survenus entre 2006-2009, sont donc inscrire dans

    cette logique dmancipation sociale et politique et, bien sr, lasuite des contentieux et des humiliations vcues dans les annes1990.

    Cela dit, il ny eut, cette fois-ci, pas vritablement deconfrontation directe. Rappelons, en effet, que le 23 mai 2006, EllajiGamu, qui commande alors la zone militaire de Gao (dont Kidalfaisait partie), sentretient dabord avec Iyad ag Ghali, avant dentrer Kidal avec les forces armes quil dirige. Les deux hommes sontcertes des rivaux, mais ils se connaissent aussi parfaitement, et ilsdcident alors ensemble dune solution raisonnable et pacifique :

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    Ellaji freine la marche de ses troupes pour laisser le temps Iyad derassembler les insurgs et de les convaincre dvacuer la ville.Notons aussi que la principale attaque mene par Ellaji la tte desa milice contre une des bases dIbrahim Bahanga ( Tin Assalaq),na fait aucune victime. Les belligrants disposaient pourtant dunarsenal militaire important, et la bataille a dur quasiment une journeentire. Ellaji aurait-il cherch limiter la casse ? Les tmoins decette attaque prcisent que son groupe a seulement bombard lesmontagnes . La bataille a cependant bien eu lieu, et la presse Bamako pouvait annoncer la droute des troupes dIbrahim Bahanga.

    Limplication dune milice arabe contre les rebelles touaregsdoit galement tre restitue dans un contexte historique, social etconomique. Comme chez les Touaregs, et comme dans toutes lessocits du monde, les Arabes du Nord-Mali sont traverss par desclivages et des concurrences internes qui interfrent avec lesdynamiques politiques des autres groupes voisins. Le colonel ould

    Meydou est originaire dun groupe social tabli dans la valle duTilemsi (entre Bourem et Kidal) qui, au moment de la mise en placedes nouvelles communes rurales au Mali (1998-1999), sest confront un autre groupe arabe de la rgion dtenteur de la chefferietraditionnelle , celui des Kunta. Or, ce moment prcis, ces derniersont reu le soutien des Touaregs Ifoghas avec lesquels ils sont lispar des relations historiques. Sans entrer, l encore, dans les dtailsde lhistoire, il est certain quOuld Meydou et les siens devaientnourrir quelques craintes en voyant lAlliance et le groupe dIbrahimag Bahanga (des Ifoghas essentiellement), imposer dans la dureleur force militaire. En outre, il est de notorit publique, au Nord duMali, que les Arabes de la valle du Tilemsi contrlent lessentiel ducommerce dans cette zone, et notamment les rseaux illicites telsque celui de la drogue. Aussi, le contrle militaire de la rgion deKidal, espace difficilement contournable pour les rseauxcommerciaux qui se dveloppent dans cette partie du Sahara, pardes Touaregs Ifoghas signifiait clairement une augmentation descontraintes et des cots de transport. Les Arabes avaient donc toutintrt ce que les insurgs du 23 mai rentrent dans le rang.

    Craignant srieusement, la fin de lanne 2008 et au dbutde lanne 2009, le surgissement de conflits intercommunautaires ausein des Touaregs et entre Touaregs et Arabes, qui auraient embraslensemble des rgions nord du Mali, voire au-del, des personnalits

    influentes de la rgion de Kidal sont intervenues auprs descombattants de lAlliance et dIbrahim Bahanga pour quilsrenclenchent des ngociations avec les autorits maliennes, ainsiquavec les missaires de celles de lAlgrie et de la Libye toujoursimpliques dune manire ou dune autre.

    En fvrier 2009, les combattants de lAlliance (plus de600 hommes), dcident ainsi de cesser les attaques. Ils sontaccueillis dans la ville de Kidal par les autorits maliennes etlambassadeur algrien en qualit de mdiateur. Depuis lors, lesofficiers touaregs qui avaient dclench lattaque de Kidal le 23 mai

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    2006 ont rintgr larme malienne. Aux dernires nouvelles(septembre 2009), ils attendaient encore leurs lieux daffectation.Leur souhait est dtre intgrs au compte des units spciales quiont enfin vu le jour en juillet 200945

    45 La cration dunits spciales de scurit tait une des rsolutions desAccords dAlger signs en juillet 2006. Elles sont censes tre composesdlments essentiellement issus des rgions nomades . Leur objectif est dassurerla scurit en dehors des zones urbaines de la rgion de Kidal . Accords dAlger,titre III, paragraphe 4.

    . Deux mille combattants issus delAlliance et dautres groupes insurgs taient aussi sur le point debnficier dune (nouvelle) intgration au sein de lArme malienne(aux premiers chelons de la hirarchie militaire). Seul IbrahimBahanga et quelques-uns de ses hommes restent, jusqu prsent, bonne distance de lautorit centrale. Un programme de rinsertionconomique en direction des jeunes des trois rgions du Nord estgalement propos, mais les ressources financires ne sont pasencore compltement runies. Ces actions en direction des Touaregsen rvolte, et de ceux susceptibles de ltre, suffiront-elles rtablir laconfiance et envisager un avenir apais ?

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    Conclusion

    Pourrait-on dire, au sortir de cette dernire phase de confrontationviolente, que les Touaregs et, dans une moindre mesure les Arabes,ont franchi encore une marche dans le processus dintgration ltat malien ? Le conflit arm et les ngociations qui en marquent lafin permettent-ils dexprimer et de dpasser les malaises, lesmalentendus, les ressentiments, et finalement de restaurer laconfiance ? Pour traiter de ces interrogations contemporaines, il nous

    a sembl ncessaire de recourir lhistoire et denvisager enparticulier un aspect de la relation : celui de la place des Touaregs etdes Arabes dans les forces armes coloniales puis maliennes. Toutelambigut et la complexit rsident, on la vu, dans le fait que cespopulations du Sahel et du Sahara sont apparues, aux yeux despouvoirs centraux, la fois comme une source de tensions et dedstabilisations et comme un suppltif incontournable face auxdangers manant tant de lintrieur que de lextrieur. De ce fait, lesalliances et la confiance sont, jusqu prsent, restes prcaires etalatoires. Et sur ce point, les expriences passes, les cueils, lesfaux-semblants, les trahisons vcus et conservs en mmoire jouentun rle de premier plan. Les hostilits rengages entre ltat malien

    et une petite partie des Touaregs, de la rgion de Kidal essentiel-lement, ne peuvent tre apprhendes sans perspectives historiques.Les vnements singuliers qui se trament depuis plus dun sicledans cette rgion du monde sont toujours interprts par les premiersintresss laune de lhistoire. Or, les mdiateurs et autres expertsinternationaux ont parfois (ou souvent) tendance raisonner partirdes seuls enjeux contemporains.

    Le dveloppement exponentiel des trafics illicites au Sahara,lacclration des recherches dhydrocarbures (ptrole et gaz) etduranium dans le septentrion malien, quoi sajoute la prsence dequelques groupuscules arms qui se font dsormais appeler

    branches armes Al Qada , cristallisent lattention des tats de largion (Mali, Niger, Algrie, Libye, Mauritanie), ainsi que celledautres puissances plus loignes gographiquement, maisconcernes par les enjeux conomiques et gostratgiques (tats-Unis, France, Union europenne, Chine, Australie). La question dela scurit et du contrle dans une zone comme celle du Nord-Malidevient ds lors cruciale. Or celle-ci ne saurait tre traite en dehors,ou lencontre, des intrts des gens du lieu , en loccurrence lesTouaregs et les Arabes, sans oublier les Songhay, les Arma, lesPeuls qui constituent la majorit dmographique des rgions deTombouctou et de Gao. Cest peut-tre aussi cela que les

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    combattants de lAlliance ont voulu rappeler. Ltat malien sembleavoir entendu le message et y avoir rpondu, si lon considre lecontenu des accords dAlger signs en juillet 2006. La cration des Units spciales va dans le sens dune collaboration et duneimplication directes des nomades dans le contrle et la scuritdes zones sahariennes et transfrontalires. Reste voir si, cette foisdans ce nouveau corps de larme, la mfiance pourra sestomper auprofit de la reconnaissance et de la confiance rciproques. Plus quejamais, les enseignements des expriences passes sont mditer.

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