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SARAHMACLEAN
LAFAMILLEST.JOHN–2
L’amouren10leçons
Traduitdel’anglais(États-Unis)parLéonieSpeer
SarahMacLean
L’amouren10leçons
LafamilleSt.John2
Collection:AventuresetpassionsMaisond’édition:J’ailu
Traduitdel’anglais(États-Unis)parLéonieSpeer
©SarahTrabucchi,2010Pourlatraductionfrançaise©ÉditionsJ’ailu,2016Dépôtlégal:septembre2016
ISBNnumérique:9782290133835ISBNdupdfweb:9782290133859
Lelivreaétéimprimésouslesréférences:ISBN:9782290129791
CompositionnumériqueréaliséeparFacompo
Présentationdel’éditeur:Désignéparunegazettefémininecommelaproieidéalepourlesdébutantesenmald’alliance,NicholasSt.JohndécidedequitterLondresetd’enprofiterpouraiderunami.Georgina,lasœurduducdeLeighton,s’estenfuieetdemeureintrouvable.Nicholasacceptedeselanceràsarecherche.Sonenquête le conduit dansunvillageduYorkshireoù il fait la connaissancede lady IsabelTownsend,qui requiert ses talentsd’expertenantiquités.Unefemmepourlemoinssurprenante,quigèresondomained’unepoignedeferetnetardepasàluitournerlatête,maisquisemblecacherbiendessecrets…
Biographiedel’auteur:SARAHMACLEANest l’auteure de romances historiques traduites dans de nombreuxpays.Elle a reçu le prix de lameilleure romancehistoriquedécernéparlesRITAAwards.
Couverture:©KatyaEvdokimova/ArcangelImages
©SarahTrabucchi,2010
Pourlatraductionfrançaise©ÉditionsJ’ailu,2016
SarahMacLean
Aprèsavoirobtenuundiplômede lettreset travaillédansuneagence littéraire,elledécidedese lancerdans l’écriture.Elleestauteurederomances,ainsiquedelivrespouryoungadultsdevenusdesbest-sellers.Sontalentluiapermisd’êtreclasséeàdenombreusesreprisessurlalistedesmeilleuresventesdeUSATodayetduNewYorkTimes.
DumêmeauteurauxÉditionsJ’ailu
LECERCLEDESCANAILLES
1–LEFLAMBEURN°10420
2–LACURIOSITÉESTUNVILAINDÉFAUTN°10703
3–LEPARIAN°10873
4–DISCRÉTIONASSURÉEN°11197
LAFAMILLEST.JOHN
1–L’AMOUREN9DÉFISN°11540
ÀChiara,quiestpartieàl’universitéetnem’enapasvouludeluivolerseslivres.
Etsonchat.
Prologue
Onnepeutnierqu’unevéritableépidémieserépandparmilesjeunesfillesdeLondres – réalité tragique qui, hélas, ne peut mener qu’à la pire desconclusions.Nousfaisonsallusion,biensûr,àl’étatdevieillefille.Nombreusessontlesdemoisellesdenotrebellecitéànepasrecevoirlesrayonsdu soleil de la félicité conjugale. N’est-il pas criminel que tant de boutonsprometteursrisquentdenejamaisécloreets’épanouir?Aussi, chère lectrice, est-cedans l’intérêtde toutesquenousavonsétabliunelistedemoyens séculaires et éprouvéspourvous rendreplusaiséecette tâcheredoutable:trouverunépoux.Lemoment est venu de vous présenter : «Comment conquérir un lord en dixleçons.»
PearlsandPelisses,juin1823
TownsendParkDunscroft,Yorkshire
Deboutaumilieudusalonchichementmeublédelamaisonfamiliale,ladyIsabelTownsendattendaitquelesangcessedevrombirdanssesoreilles.Lesyeuxplissés,elleobserval’individupâleetfluetquisetenaitdevantelle.
—C’estmonpèrequivousenvoie…—Précisément.—Pourriez-vousrépétervotredernièrephrase?Elleavaitsûrementmalcomprislesparolesprononcéesparcevisiteurimportun.Ilsourit,maissonexpressionrestavideetpeuengageante.L’estomacd’Isabelsecontracta.—Biensûr,répondit-ild’untononctueux.Noussommesfiancés.—Etpar«nous»,vousvoulezdire…—Vousetmoi.Nousallonsnousmarier.Isabelsecoualatête.—Pardonnez-moi,maisvousêtesmonsieur…—Asperton,répondit-ilavecuntempsderetard,manifestementfroisséparsonmanqued’attention.
LionelAsperton.L’homme ne paraissait pas briller par son intelligence.Mais Isabel savait, depuis longtemps, que
c’étaitleplussouventlecas,aveclesrelationsdesonpère.—Etcommentsefait-ilquenoussoyonsfiancés,monsieurAsperton?—Jevousaigagnée.
Isabelfermauninstantlesyeuxens’exhortantàconserversonsang-froidetàdissimulerlacolèreetlechagrinquecesmotsnemanquaientjamaisdesusciterenelle.
—Vousm’avez«gagnée»…—Oui,répondit-ilsansavoirladélicatessedefeindrelepluslégerembarras.Vousétiezl’enjeudu
pariengagéparvotrepère.—Évidemment.Contrequoi?—Centlivres.—C’estplusqued’habitude.Asperton balaya ce commentaire sibyllin d’un geste de lamain avant de se rapprocher d’elle, un
souriresuffisantsurleslèvres.—J’aigagné.Vousêtesàmoi.Entoutelégalité.Illevalamainpoureffleurersajouetandisquesavoixsefaisaitsusurrante:—Pournotresatisfactionàtouslesdeux,j’ensuiscertain.Cenefutqu’auprixd’uneffortsurhumainqu’Isabelparvintàresterimmobile.—Jen’ensuispassisûre,répliqua-t-elle.Quandils’inclina,Isabelfutfascinéeparceslèvresrougesetmouilléesquiserapprochaientd’elle.—Danscecas,j’auraiàuserdepersuasion.D’unetorsiondubuste,elles’écartaet,déterminéeàleteniràdistance,plaçaunechaiseaucannage
défoncéentreeux.Une lueurs’allumadans lesyeuxde l’hommequand ilcontournacelle-ci. Ilprenaitplaisiràlachasse!
Jugeantqu’ilétaittempsd’enfinir,Isabelsoutintsonregardavecfermeté.—Jecrainsquevousn’ayezeffectuécelongtrajetpourrien,monsieurAsperton.Voyez-vous,jesuis
majeuredepuislongtemps.Monpèreauraitétébieninspirédenepasm’engagerdanssonpari.Çan’ajamaismarché.Etçanemarcheracertainementpasaujourd’hui.
L’hommes’arrêtanet,lesyeuxécarquillés.—Ill’adéjàfait?—Àvous entendre, parier une fois sa fille unique est acceptable,mais le faire plusieurs fois est
choquant?—Évidemment!—Pourquoi?—Parcequ’ilsavaitpertinemmentquelegagnantseraitGros-Jeancommedevant!Oui,àn’enpasdouter,cethommeétaitunerelationdignedesonpère.—Etc’estcequi rendsonattitude indéfendable, ironisaIsabel,quipivotabrusquementpouraller
ouvrirengrandlaportedusalon.—J’aileregretdevousinformer,monsieurAsperton,quevousêtesleseptièmeàvenirmeréclamer
commeépouse.Etquevous serez aussi le septièmeàquitterTownsendParkcélibataire, ajouta-t-elle,sanspouvoirréprimerunsouriredevantsasurprise.
Quandilouvritlaboucheetlareferma,seslèvresmollesévoquèrentunpoissonhorsdel’eau.Isabelcommençaàcompter.Engénéral,l’explosionseproduisaitavantqu’ellesoitparvenueàcinq.
—C’estintolérable!Onm’apromisunefemme!Lafilled’uncomte!Ellecroisalesbrastoutenluiadressantsonregardlepluscompatissant.—Jesupposequemonpèreafaitallusionàunedotconfortable?M.Aspertonparutenfincomprendre,etsesyeuxseplissèrent.—Eneffet.Isabelsesentitpresquedésoléepourlui.Presque.
—Ehbien,jecrainsqu’iln’yaitpasdedotnonplus.Puis-jevousoffrirduthé?Ellel’observatandisquelesrouagesdesoncerveauaccomplissaientlaborieusementleurtravail.—Non!finit-ilpars’écrier.Jen’aipasenviedethé!Jesuisvenupourunefemmeet,bonsang,je
repartiraiavecunefemme!Avecvous!Avecuncalmequ’ellen’éprouvaitpasvraiment,Isabelsoupira.—J’avaisespéréquenousn’enviendrionspaslà…—Jelesaisbien,dit-il,seméprenantsursesparoles.Maisjenequitteraipascettemaisonsansla
femmequ’onm’apromise!Vousêtesàmoi!Entoutelégalité!Il s’élança alors sur elle, comme ils le faisaient tous. Isabel s’écarta vivement sur le côté, et il
plongeaparlaporteouvertedanslevestibule.Là,lesfemmesl’attendaient.Troisfemmes,droitescommedessoldatsbienentraînés,quiformaient
unmurdéfensifentreluietlaported’entrée.M. Asperton regarda tour à tour la cuisinière, la responsable de l’écurie et la majordome.
Évidemment,ilnepouvaitpassavoirqu’ilavaitaffaireàdesfemmes.Leshommes,Isabell’avaitsouventconstaté,nevoyaientquecequ’ilsvoulaientvoir.
—Qu’est-cequecelasignifie?demanda-t-ilensetournantverselle.Laresponsabledel’écuriefitalorsclaquersonfouetcontresabotte,etiltressaillit.—Ilnenousplaîtguèrequevouséleviezlavoixcontreunedame,monsieur.—Je…jesuis…balbutia-t-il.—Unechosequevousn’êtespas,entoutcas,c’estungentleman,àenjugerparlamanièredontvous
avezjaillidecettepièce,déclaralacuisinièreenindiquantlesalondesonlourdrouleauàpâtisserie.Denouveau,ilsetournaversIsabel,quisecontentadehausserdélicatementuneépaule.—Cen’estpasaprèsladyIsabelquevousenaviez,sansdoute,intervintàsontourlamajordome,
toutentestantd’undoigtlégerlefildusabrequ’elletenait.Nonsansmal,Isabels’abstintdeporterlesyeuxversl’endroitoùétaitaccrochéd’ordinairelesabre
–peuaffûté,entoutétatdecause.Sescompagnesavaientdécidémentlegoûtdesmisesenscènethéâtrales.—Je…Non!Ilyeutunlongmomentdesilence,pendant lequelIsabelobservalasueurquiperlaitpeuàpeuau
frontdeM.Asperton.Cenefutquelorsquesarespirations’accélérademanièrevisiblequ’elledécidad’intervenir.
—M.Aspertons’apprêtaitàpartir,dit-elled’untonencourageant.Ilopinaavecnervosité,lesyeuxfixéssurlefouetquecontinuaitd’agiterKate.—Jenepensepasqu’ilreviendra.N’est-cepas,monsieur?Commeilgardaitunsilenceprolongé,Kateabattitleslanièresdesonfouetsurlesol.Lebruitsembla
letirerdesatranse,etilsecoualatêteavecvéhémence.—Non…Jenecroispas.Janeposalapointedesonsabresurlesoldemarbre,cequiéveillaunéchométalliquedanslehaut
vestibule.—J’auraiscru,murmuraIsabel,quevousenseriezcertain.—Oui,biensûr,sehâta-t-ildedire.Jeveuxdire…non.Jenereviendraipas.Isabellegratifiaalorsd’unlargesourireamical.—Trèsbien.Jevousdisdoncadieu.J’imaginequevoustrouverezlasortietoutseul?ajouta-t-elle
endésignantlaporte,àprésentflanquéedestroisfemmes.Bonvoyage.
Unefoisrevenueausalon,dontellerefermasoigneusementlaporte,Isabels’approchadelafenêtre.Ellel’atteignitàtempspourvoirl’individudévalerlesmarchesduperronetsauteràchevalcommes’ilavaitlediableauxtrousses.
Aprèsavoirsoufflélonguement,elleautorisaenfinseslarmesàcouler.Sonpères’étaitservid’elle.Unefoisdeplus!Onauraitpupenserqu’elleseseraithabituéeàêtre
traitéedelasorte,maislasurpriseetlechocétaienttoujoursaussivifs.Commesi,unjour,sonpèreallaitrenonceràêtrelescandaleuxcomtedeTownsend…L’hommequi
avaittenusafemmeetsesenfantsenfermésàlacampagnepourmeneruneviededébaucheàLondres;l’homme qui ne s’était jamais soucié d’eux, même pas quand son épouse était morte, ni lorsque lesdomestiques, lassésdeneplus toucher leursgages,étaient touspartis ; l’hommequin’avaitpasdonnésignedevielorsqueIsabelluiavaitdemandé,lettreaprèslettre,dereveniràTownsendParketderendreàleurdemeureunpeudesonlustrepassé–sicen’étaitpoursafille,dumoinspoursonhéritier.
Laseulefoisoùilétaitrevenu…Non,ellenevoulaitpasypenser.Àcausedelui,samèreavaitperdul’esprit,sonfrèreavaitétéprivédepère,etelle-mêmeavaitdû
assumerlaresponsabilitédudomaine.Elleavaitrelevécedéfi,faisantdesonmieuxpourquelamaisonrestedeboutetqu’ilyait toujoursdelanourrituresurlatable.Mais,alorsquelesmaigresrevenusdeTownsendParksuffisaientàpeineàpourvoirauxbesoinsdeseshabitantsetdesesmétayers,sonpèredilapidaitjusqu’audernierpennytirédesesterres.
L’affreuseréputationducomteavaitaumoinseul’avantagedeteniréloignésdeTownsendParklesmembresdelahautesociété,cequiavaitpermisàIsabeldepeuplerlamaisonetsesdépendancesàsaguise.
Cequinel’empêchaitpasderegretterquelecoursdeschosesn’aitpasétédifférent.Elleauraittantaiméavoirlavieden’importequellefilledecomte:êtreéduquéesansavoirunseul
souci aumonde, ne pas douter un instant que, le jour venu, elle brillerait comme les autres et seraitcourtiséeparunhommequil’auraitchoisie,etnonréclaméeteluntrophéegagnéaujeu.
Siseulementellenes’étaitpasretrouvéeaussiseule…C’étaitcela,lepiredetout.Quandelle entendit laporte s’ouvrirderrière elle, elle s’essuya les joues.Puis, avecunpetit rire
ironique,ellepivotaetcroisaleregardgraveetcompatissantdeJane.—Tun’auraispasdûlemenacer.—Illeméritait,rétorqualamajordome.Isabelacquiesçad’unsignedetête.Aucoursdecesquelquesminutes,Aspertons’étaitmontréaussi
odieuxquesonpère.Denouveau,deslarmesluibrûlèrentlesyeux.—Jelehais,chuchota-t-elle.—Jesais,réponditlamajordome,toujoursimmobilesurleseuildelapièce.—S’ilétaitici,jeletueraisavecplaisir.—Ehbien…jecroisqueceneserapasnécessaire.Isabel,poursuivitJaneenlevantlamainpourlui
montrerunefeuilledepapier.Lecomteestmort…
1
Et que vaudraient ces leçons, chère lectrice, sans un lord potentiel àconquérir ? Sans le gentleman pour lequel vous aurez étudié avec toute ladiligence requise ? La réponse est, bien sûr, qu’elles seraient à peu prèsinutiles.Dans ce cas, ne sommes-nous pas les femmes les plus gâtées par la fortune,puisque notre belle ville regorge de célibataires plus séduisants, plusintelligents,pluscharmantsetcharmeurslesunsquelesautres?Unevéritablemine d’hommes riches qui arpentent nos rues, et auxquels nemanque qu’uneépouse!Dénicher le gentleman idéal est une tâche écrasante, certes, mais restezconfiante,chèrelectrice,carnousnousensommeschargéspourvous.Sivouslevoulezbien,noussoumettonsàvotreattentionl’hommequifigureentêtedenotrelistedeslordslesplusdésirables…
PearlsandPelisses,juin1823
Lorsquelablondedeboutàcôtédelaporte luiadressaunclind’œil,cefut lagoutted’eauquifitdéborderlevase.
Jurant entre ses dents, lordNicholasSt. John se rencogna sur sa chaise.Qui aurait imaginé qu’unsuperlatif forgé par une stupide gazette féminine transformerait les jeunes – et les moins jeunes –Londoniennesenunemeutedéchaînée?
Tout d’abord, Nick s’en était amusé. Puis les invitations avaient commencé à pleuvoir. Et, à14heuresàpeine,ladyPonsonbys’étaitprésentéeenpersonneàsamaisondeSt.James,affirmantavoirbesoin d’un avis sur une statue qu’elle venait d’acquérir en Italie. Nick n’avait pas été dupe. Si unevipèrecommeladyPonsonbyseprésentaitaudomiciled’uncélibataire,c’étaitpouruneseuleetuniqueraison–quelordPonsonbyn’auraitpastrouvéedutoutraisonnable.
Nicks’étaitalorsenfui, trouvantrefugedans labibliothèquedelaRoyalSocietyofAntiquities,oùpersonnen’avaitjamaisentenduparlerdegazettesféminines.Malheureusement,lejournalisteayantbienfait son travail, une heure ne s’était pas écoulée qu’un valet de pied était venu annoncer l’arrivée dequatrefemmes,d’âgesetdeconditionsdifférents.Toutessollicitaientunavisurgentsurleursstatuesdemarbre,etseulceluidelordNicholasétaitrequis.
Leursstatuesdemarbre,vraiment!Aprèsavoirgrassementsoudoyélevaletdepiedpourachetersonsilence,Nickavaitfuidenouveau.
Auméprisdesadignité,ils’étaitfaufiléparlaportedeservice,puis,levisagedissimuléparleborddesonchapeau,ilavaitgagnélesanctuaireduDogandDove.Ilvenaitdepasserlesdernièresheurestapidansuncoinsombredelataverne.
D’ordinaire,quanduneservantevoluptueuseluifaisaitdel’œil,ilétaitplusquedisposéàadmirersesappas.Maiscettefemmeétaitlaquatorzièmeaujourd’huiàluifaireouvertementdesavances,etilenavaitassez.Illuiadressaunregardcourroucé,puisreportacemêmeregardsursonverredebière,qu’ilconsidéraavecuneirritationcroissante.
—Ilfautquejequittecettemauditeville.Lerireprofondquiaccueillitsadéclarationnefitrienpouraméliorersonhumeur.—N’oubliepas,Rock,quejepourraistemettresurlepremierbateauenpartancepourlaTurquie,
grommela-t-il.—J’espèrequetun’enferasrien.Jedétesteraismanquerlaconclusiondecetteplaisantecomédie.LecompagnondeNick,Durukhan,seretournapourcaresserdesesyeuxnoirsl’accortejeunefemme.—Dommage…Ellenemeregardemêmepas.—C’estunefillesensée.—Àmonavis,c’estplutôtqu’ellecroittoutcequ’ellelitdanslesjournaux.Allons,Nick,dit-ilen
riant quand celui-ci se renfrogna de plus belle, ce n’est tout de même pas si terrible. La populationfémininedeLondresaétépubliquementinforméequetuétaisunbon…parti,c’esttout.
Enrepensantàlapiled’invitationsquiattendaientuneréponsedesapart–ilenavaitreçudetouteslesfamillescomptantunefillecélibataire–,Nickbutunelonguegorgéedebière.
—Passiterrible?grommela-t-il.—Àtaplace,j’enprofiterais.Àprésent,tupeuxavoirtouteslesfemmesquetuveux.—Jemedébrouillaisparfaitementbiensanscettemauditegazette,merci.Pourtouteréponse,Rocksecontentad’ungrognementet,seretournantdenouveau, il fitsigneà la
servante.Celle-ciseprécipitaversleurtableets’inclinaprofondémentversNickpourluioffrirunevueimprenablesursongénéreuxdécolleté.
—Monsieur?murmura-t-elle.Vousavezbesoin…demoi?—Nousavonsbesoindevous,effectivement,ditRock.Lafilleeffrontées’assitsurlesgenouxdeNick.—Jeferaic’quevousvoudrez,moncœur,susurra-t-elleenpressantsesseinscontresontorse.Tout
c’quevousvoudrez.Toutencherchantunecouronnedanssapoche,Nickdénoualebrasqu’elleavaitpasséautourdeson
cou.—C’estuneoffre tentante,dit-ilen remettant la fillesursespieds,après luiavoirglissé lapièce
danslamain,maisj’aibienpeurdenevouloirriend’autrequ’unpeuplusdebière.Mieuxvaudraitquevousvouscherchiezunautrecompagnonpourcesoir.
Ledépitdelafillefutdecourtedurée.EllesetournaversRocketobservad’unœilapprobateursontorsepuissant,sapeaubruneetsesbrascostauds.
—Çavousdit?Yadesfillesquiaimentpaslesbasanés,maisj’pensequ’ons’entendraitbien.SiRocknebougeapas,Nickremarqualacrispationdesesépaules,provoquéeparcetteallusionà
sesorigines.—Pascesoir,secontenta-t-ildedire,sansplusluiprêterattention.Vexéeparcettedoublerebuffade,lafilletournalestalons–pourallerchercherdelabière,espéra
Nick.Tandisqu’illasuivaitdesyeux,ilperçutl’attentionaiguëdontilétaitl’objetdelapartdesautresfemmesprésentesdanslasalle.
—Cesontdesprédatrices.Toutesautantqu’ellessont.—Situveuxmonavis,cen’estquejusticequelebulansacheenfincequec’estqued’êtrechassé.
Nickfitlagrimaceàl’évocationdecesurnomturcetdelalonguehistoirequis’yattachait.Ilyavaitdesannéesquepersonnenel’avaitappelélebulan–lepisteur.Cenomnesignifiaitplusrien,àprésent.C’étaitunvestigedesavieenOrient,aucœurdel’Empireottoman,quandilétaitunautre,sansidentitémaisavecuntalentquiavaitfiniparcausersaperte.
L’ironiede lasituationneluiéchappanullement.SonséjourenTurquies’étaitachevébrutalement,quandunefemmeavaitjetésondévolusurluietqu’ilavaitcommisl’erreurdeselaisserprendre,ausenslittéral.
Ilavaitpassévingt-deuxjoursdansuneprisonturqueavantd’êtresauvéparRocketdeseretrouverenGrèce,oùils’étaitjurédemettreuntermeàlacarrièredubulan.
Laplupartdutemps,ilétaitheureuxdecettedécision.Iljouissaitd’uneexistencepaisibleàLondres,entrelagestiondesesbiensetsapassionpourlesœuvresd’artdel’Antiquité.Ilyavaitcependantdesjoursoùlaviedubulanluimanquait.
Ilpréférait,etdeloin,êtrelechasseurplutôtquelechassé.—Lesfemmessonttoujourscommeçaavectoi,fitremarquerRock,letirantdesesréflexions.Tuy
essimplementplussensibleaujourd’hui.Nonquej’aiejamaiscomprisleurintérêtpourtoi.Tuesplutôtdugenresaleindiv…
—C’estunecorrectionquetucherches?—Tebattreavecmoidansunendroitpublicneseraitpasdignedugentlemanidéal,répliquaRock
avecunsourirejusqu’auxoreilles.—Jeprendraislerisquedeperdremontitrepourleplaisird’effacercesouriredetonvisage.—Situcroispouvoirmevaincre,c’estquetoutecetteattentionfémininet’abrouillél’esprit,riposta
Rockqui,s’accoudantàlatable,fitjouersciemmentlesmusclespuissantsdesesbras.Oùesttonsensdel’humour?Tutrouveraisçafollementdivertissant,sic’étaitàmoiqueçaarrivait.Ouàtonfrère.
—Peuimporte.C’estàmoiqueçaarrive.Levantlesyeuxverslaportequis’ouvrait,Nickpoussaungrognementenvoyantl’hommegrandet
brunquientrait.Quandcedernierl’aperçut,ilhaussaunsourcilamuséetfenditlafoulepourlerejoindre.—Tu cherches vraiment à être renvoyé enTurquie,maugréaNick en lançant à son ami un regard
accusateur.—Ç’auraitétéingratdemapartdenepasl’inviteràs’amuserluiaussi.—Quelcoupdechance!fitlavoixdeGabrielSt.John,marquisdeRalstonetfrèrejumeaudeNick.
Franchement,sionm’avaitditquejepourraisapprocherlelordleplusconvoitédeLondres!Rockselevaet,aprèsavoiraccueilliGabrield’uneclaquedansledos,luifitsignedesejoindreà
eux.Unefoisassis,Gabrielcontinua:—Encorequej’auraisdûm’attendreàtetrouverici…entraindetecacher.Espècedelâche!CommeNickfronçaitlessourcils,Rockéclataderire.—Jesoulignaisjustementlefaitquesic’étaittoiquiavaisétédésignécommelelordàconquérir,
Nickneseseraitpasprivéd’enfairedesgorgeschaudes.—Jen’endoutepas,acquiesçaGabriel.Etpourtant,monfrère,tun’aspasl’airtrèsjoyeux.Quese
passe-t-il?—Jesupposequetuesicipourjouirdemoninfortune,réponditNick.Maistun’aspasautrechoseà
faire?Tuasbienunefemmetouteneuveàdivertir,non?—Effectivement,admitGabriel,dontlesouriresefitplustendre.Mais,pourêtrehonnête,ellem’a
quasimentmisdehors, tantelleavaithâteque je te retrouve.Elledonneundîner jeudietvousréservedeuxplaces.Elleneveutpasque lordNicholaserre tristementdans les ruesde lavillecesoir-là,enquêted’uneépouse.
—Callielitcettemauditepublication?Il avait espéréque sabelle-sœur était au-dessusde ça.Si elle avait lu l’article,plus aucune fuite
n’étaitpossible.— Le numéro de cette semaine ? Nous l’avons tous lu, déclara Gabriel. Grâce à toi, le nom de
St.Johnestenfindevenurespectable.Bienjoué,Nick.Laservanterevint,chargéedeplusieurschopes.Sonregardexprimad’aborddelasurprise,puisdu
plaisirlorsqu’ilseposatouràtoursurNicketGabriel.Iln’étaitpascourantdevoirdesjumeaux;lesfrères St. John attiraient donc l’attention lorsqu’ils sortaient ensemble. Mais Nick n’avait aucunepatience, ce soir. Aussi détourna-t-il la tête tandis que Gabriel payait généreusement la fille, tout enpoursuivant:
— Évidemment, toutes les femmes qui me convoitaient doivent être ravies d’avoir une secondechanceavectoi.Iltemanqueletitre,certes,maistupossèdesquandmêmemonphysiqueavantageux.Enunpeuplusjeuneetmoinsspectaculaire,c’estsûr…
Aprèsavoirfoudroyéduregardsonfrèreetsonami,quis’esclaffaientcommedeuxidiots,Nicklevasachopedebière.
—Puissiez-voustouslesdeuxrôtirenenfer!—Çaenvaudraitlapeinerienquepourtevoircetteminechagrine,ditGabrielenlevantsachopeà
son tour.Tu sais, il y apirequed’êtredésigné commeunbonparti. Jepeux témoignerdu fait que lemariagen’estpaslaprisonquej’imaginais.Crois-moi,c’estmêmeplutôtagréable.
— Callie t’a transformé. Tu ne te rappelles pas comme c’était pénible, ces mères de familleharcelantesetleursfillestoujoursentraindeminauder,quisedémenaientpourattirertonattention?
—Pasdutout.—Alors,c’estparcequeCallieétaitlaseulefemmeàbienvouloirdetoimalgrétasaleréputation.
Lamiennen’estpasaussinoirequelatiennel’était…Jesuisuneprisebienplusprécieuse.QueleCielmevienneenaide!
—Lemariagepourraitteréussir,tusais.Nickgardasilongtempslesyeuxfixéssursabièrequesescompagnonscrurentqu’ilnerépondrait
pas.—Noussavonstouslestroisquelemariagen’estpaspourmoi…finit-ilpardire.—Jepourraisterappelerquec’étaitvalablepourmoiaussi,fitobserverGabriel.Touteslesfemmes
nesontpascommecettegarcequiafaillitefairetuer.—Ellen’étaitqu’unefemmeparmidenombreusesautres,répliquaNick,avantdeboireunelongue
gorgée de bière. Je te remerciemais j’ai appris qu’avec les femmes, lesmeilleures relations étaientbrèvesetnonsentimentales.
—Àtaplace,jenemevanteraispasdemabrièveté,intervintRock.Leproblème,cenesontpaslesfemmes qui te choisissent,mais celles que tu choisis. Si tu n’étais pas aussi facilement ensorcelé parcellesquijouentlesvictimes,tuauraispeut-êtreplusdechancesaveclebeausexe.
RocknefaisaitquesoulignercequeNicksavaitdéjà.Depuissajeunesse,ilavaitunfaiblepourlesfemmes en détresse. Il avait conscience que cela lui avait le plus souvent nui, sans pour autant êtrecapabledesecorriger.
Aussis’attachait-ilàgardertoujourssesdistances.Lesrèglesétaientclaires:pasdemaîtresses,pasderendez-vousrégulierset,surtout,pasd’épouse.
—Quoiqu’il en soit, jevais avoirbienduplaisir à tevoir relever ledéfide cet impressionnantsuperlatif,ditGabrielpourrendreunpeudelégèretéàlaconversation.
Nickbutunenouvellegorgée,puis,s’adossantàsachaise,posasesmainsàplatsurlatable.
—J’aibienpeurdevousdécevoir.Jen’aipasdutoutl’intentiondereleverledéfi.—Vraiment?Commentespères-tuéchapperauxfemmesdeLondres?Cesontdeschasseresseshors
pair.—Ellesnepourrontpaschassersileurproieadisparu.—Tuvaspartir?s’exclamaGabriel,l’airdéçu.Oùça?Nickhaussalesépaules.—IlestmanifestequejesuisrestétroplongtempsàLondres.Jenesaispas…Surlecontinent…en
Orient…auxAmériques…Rock,ilyadesmoisqueturêvesd’aventure.Oùaimerais-tualler?—PasenOrient,réponditsonamiaprèsuninstantderéflexion.Aprèscequis’estpasséladernière
fois,çanemetentepas.—Tun’aspastort,concédaNick.LesAmériques,danscecas.MaisGabrielsecoualatête.—Turesteraisabsentaumoinsunan.Oublies-tuquenotresœurvientdefairesonentréeofficielle
danslemondeetqu’ilfautluitrouverunépoux?Tunevaspasmelaisserm’ycolleterseul–ceseraitundésastre–uniquementparcequeturedouteslesattentionsd’unepoignéedefemmes?
—Unepoignée?protestaNick.Unessaim,tuveuxdire!Enfait,peum’importeoùjevais,continua-t-ilaprèsunsilence.Àpartirdumomentoùiln’yapasdefemmes.
—Aucune?s’écriaRock,l’aireffaré.Nickéclataderirepourlapremièrefoisdelasoirée.—Pas«aucune»,évidemment.Maisserait-cetropdemanderqu’iln’yaitpasdelectricesdecette
gazettestupide?—Àmonavis,oui,réponditGabriel.—St.John…Lestroishommeslevèrent la tête.LeducdeLeightonvenaitderejoindreleurtable.Avecsahaute
stature,sesépaulescarrées,sachevelureblondeetsonvisagesculptural,LeightonauraitfaitunVikingparfait s’il n’avait été duc. Il souriait rarement mais, aujourd’hui, ses traits étaient particulièrementfermés.
—Leighton!Joins-toiànous,luiditNickenattirantunechaiselibreavecsonpied.Sauve-moidecesdeux-là.
—J’aibienpeurdenepaspouvoirrester.Jetecherchais.—Vous,ettoutelapopulationfémininedeLondres,ditGabrielavecunlégerrire.Sansluiprêterattention,leducpliasongrandcorpssurlachaiseetposasesgantssurlatable.—J’aiquelquechoseàtedemander,annonça-t-il,s’adressantexclusivementàNick,etçanevapas
teplaire.D’unsigne,Nickcommandaàlaserveuseunverredewhisky.Sonamiparaissaitdésespéré.—Est-cequecelaimpliquedelemarier?demandaGabriel,ironique.Leightoneutl’airsurpris.—Non.—Danscecas,Nickaccueillerafavorablementvotrerequête.—Jen’ensuispassisûr,ditleduc.Enfait,cen’estpasNickquejevienstrouver,maislebulan.Unlongsilences’abattit.Aprèss’êtreraidis,RocketGabrielsecontentèrentderegarderNickavec
circonspection.Cedernierfinitpars’incliner,lesavant-brassurlatable,lesboutsdesdoigtsjoints.—Jenepratiqueplusdepuislongtemps,déclara-t-illentement,lesyeuxrivéssurLeighton.—Jelesais.Etjeneteledemanderaispassijen’avaispasbesoindetoi.—Dequis’agit-il?
—Demasœur.Elleestpartie.—Jenepoursuispaslesfugueurs,Leighton.TudevraisavoirrecoursàBowStreet.—Pourl’amourduCiel,St.John,tusaisbienquejenepeuxpasprévenirlapolice.Ceseraitdans
lesjournauxdèsdemain.C’estdubulanquej’aibesoin.—Lebulan,c’estfini.—Jetepaieraicequetudemanderas.Gabrielpouffa,cequiluivalutunregardnoirdeleurinterlocuteur.—Qu’ya-t-ildesidrôle?—Lasimpleidéequemonfrèreréclameunpaiement.Jenepensepasquevouspuissiezdéfendre
votrecauseavecunargumentcommecelui-là,Leighton.—Vousn’avezjamaisétémonjumeaupréféré,Ralston,grommelaleduc.—Vousn’êtespasleseuldecetavis.Jevousassurequel’idéenemetracassepasplusqueça.En
toutesincérité,jesuissurprisquevousdaignieznousparler,vunotre«lignéedouteuse».N’est-cepasainsiquevouslaqualifiez?
—Gabriel,çasuffit,intervintNick,quinesouhaitaitpasquesonfrèreravivelesquerellesdupassé.Leightoneutlabonnegrâcedeparaîtregêné.Pendantdenombreusesannées,lesjumeauxSt.John,bienqu’appartenantàl’aristocratie,avaientété
enbutteauméprisdujeuneLeighton.Lescandalequis’étaitabattusurlamaisondeRalston–lamèredes jumeaux était partie en abandonnant mari et enfants – avait fait d’eux une proie idéale pour lesfamilles les plus conformistes de la haute société.Leighton, durant leur scolarité commune àEton, nemanquaitpasuneoccasiond’évoquerlecomportementdéshonorantdeleurmère.
Jusqu’aujouroùilétaitallétroploinetoùNickl’avaitenvoyévalserdansunmur.ÀEton,frapperunducn’étaitpasquelquechosequel’onpardonnaitausecondfilsd’unmarquis;
Nick aurait certainement été renvoyé s’il n’avait eu un jumeau et si Gabriel n’avait endossé laresponsabilitéde l’incident.Le futurmarquisdeRalstonavait simplementété renvoyéchez luiunpeuavantlafinofficielledusemestre,tandisqueLeightonetNickobservaientunetrêveforcée.
Latrêves’étaittransforméeenamitiédurantleursdernièresannéesàEton.LorsqueNickétaitpartisurlecontinent,Leightonavaitdéjàaccédéauduché,etsafortuneavaitlargementcontribuéàfinancerlesexpéditionsdeNicketdeRockaufinfonddel’Orient.C’étaitengrandepartieàLeightonqueNickdevaitd’êtredevenulebulan.
—Quesais-tu?—Nick…intervintRock,prenantlaparolepourlapremièrefoisdepuisl’arrivéeduduc.MaisNicklevalamain.—Simplecuriosité.—Jesaisqu’elleestpartie,réponditLeighton.Qu’elleaprisdel’argentetunepoignéedechoses
qu’elleconsidèrecommeprécieuses.—Pourquoiest-ellepartie?—Jenesaispas.—Ilyatoujoursuneraison.—Sansdoute…maisj’ignorelaquelle.—Quand?—Ilyadeuxsemaines.—Ettuneviensmetrouverquemaintenant?— Elle était censée rendre visite à une cousine, à Bath. Il s’est écoulé dix jours avant que je
comprennequ’ellem’avaitmenti.
—Safemmedechambre?—Jel’aitellementtourmentéequ’elleafiniparavouerqueGeorgianaétaitpartieverslenord.Elle
nesaitriend’autre.Masœuramisbeaucoupdesoinàeffacersestraces.Nicks’adossadenouveauàsachaise,l’espritenalerte,lecorpsfourmillantd’uneénergiesoudaine.
Quelqu’unavaitaidécettefille.Etl’aidaitencore,certainement,puisqu’ellen’avaitpasrenoncéetn’étaitpasrentréechezelle.Celafaisaitdesannéesqu’iln’avaitpaspistéquelqu’un,etilavaitoubliéleplaisirqueprocuraitunenouvellerecherche.
Maiscettepériodedesavieétaitrévolue,serépéta-t-il, tandisqueleducfixaitsur luisonregardanxieux.
—C’estma sœur,Nick…Tudois bien savoir que je ne te ferais pas cette demande si j’avais lechoix.
Cesmots lui allèrent droit au cœur. Il avait une sœur, lui aussi. Et il aurait été prêt à tout pours’assurerqu’elleétaitsaineetsauve…
—LordSt.John?fittimidementunevoixféminine.Nick tourna la tête.Deux jeunesfemmesse tenaientnon loinde leur tableet ledévisageaientavec
insistance.—Oui?dit-il,méfiant.—Nous…commençal’uned’elles,avantdes’interrompre.Sacompagnelapoussaducoude.—Oui?répétaNick.—Noussommesdesadmiratrices.—Desadmiratricesdequi?—Devous.—Demoi…—Etcomment!s’écrialasecondefilleavecunlargesourire,toutenbrandissantcequiressemblait
méchammentà…Nickjuraentresesdents.—Vousvoulezbiensignernotregazette?—Ce serait avecplaisir, jeunes filles,maisvousvous trompezde frère, prétenditNick, avant de
désignerGabriel.VoilàlordNicholas.Rock pouffa quand les deux admiratrices se tournèrent vers le marquis de Ralston – copie
éblouissantedeleurproie–etgloussèrentd’excitation.Endossantaussitôtsonrôle,Gabrielleuradressaunsourireéclatant.—Jeseraiheureuxdesignervotregazette,assura-t-ilensaisissantlejournaletlecrayonqu’elleslui
présentaient.Vousmecroirezsivousvoulez,maisc’estlapremièrefoisquej’attirel’attentiondesdamesalorsquejesuisencompagniedemonfrère.Ralstonatoujoursétéconsidérécommeleplusséduisantdenousdeux.
—Non!protestèrentlesfillestandisqueNicklevaitlesyeuxauciel.—Maissi.Vouspouvezinterrogern’importequi,onvousdiraquelemarquisestleplusbeaudes
jumeauxSt.John.D’ailleurs,vousl’avezsûremententendudire.Vouspouvezl’avouer,voussavez…Jeneseraipasvexé.
Gabrieléleva lagazettepourenmontrer lacouverture,quiproclamait :«À l’intérieur : les lordslondoniensàconquérir!»
—Oui,celavafairedesmerveillespourmaréputation,commenta-t-il.JesuistellementheureuxqueleTout-Londressachequejesuisenquêted’uneépouse!
Lesdeuxfillesétaientsurlepointdes’évanouirderavissement.Goûtantpeulaplaisanterie,NicksetournaversLeighton.
—Verslenord,as-tudit?—Oui.—Le « nord », c’est vaste, fit remarquerRock. Il nous faudrait des semaines pour parvenir à la
retrouver.Aprèsavoirjetéuncoupd’œilverslesdeuxfillesquicouvaientGabrielduregard,Nickreportason
attentionsursesamis.—Finalement,jemesensprêtàprendrelaroute.
2
TownsendParkDunscroft,Yorkshire
Isabelobservalajeunefillepâle,àl’airexténué,assisedevantellesurl’étroitlitdecamp.Elleavaitàpeinel’âgedesortirseule,etencoremoinsceluid’accomplirunvoyagedequatrejoursenmalle-poste,pourarriverdansunemaisoninconnueaucœurdelanuit.
Lesyeuxécarquillésparlafrayeur,lajeunefilleseleva,serrantcontreelleunpetitsacdevoyage.—VousêtesGeorgiana…ditIsabelenluisouriant.Commelanouvellevenueneréagissaitpas,elleprécisa:—JesuisIsabel.—LadyIsabel?Jecroyais…Je…Lesourired’Isabels’accentua.—Laissez-moideviner.Vouspensiezquejeseraisvieille?Racornie?Àsontour,lajeunefilleesquissaunsourire.Timide,maisc’étaitunbondébut.—Peut-être.—Danscecas,jeconsidèrevotresurprisecommeuncompliment.Lafilleposasonsacpourlasaluerd’unerévérence.—Ohnon,s’ilvousplaît,protestaIsabel.Voilàquimeferaitmesentirvieilleetracornie.Asseyez-
vous, ajouta-t-elle en se perchant elle-même sur un petit tabouret de bois. Nous ne faisons pas decérémonies,ici.Et,danslecascontraire,ceseraitàmoidevousmarquermadéférence.Aprèstout,jenesuisquelafilled’uncomte,alorsquevous…
Georgianasecoualatête,levisageempreintdetristesse.—Plusmaintenant.Cettefilleregrettaitsonfoyer,devinaIsabel.Cequin’étaitpaslecasdelaplupartdesfemmesqui
échouaientàTownsendPark.—Commentnousavez-voustrouvées?—C’estma…uneamie.Ellem’aditquevousrecueilliezdesfemmes.Quevouspourriezm’aider…CommeIsabelhochaitlatêtepourl’encourager,elleajouta,d’unevoixprèsdesebriser:—Monfrère…Jenepouvaispasluidire…Isabelsepenchapourprendresesmains,glacéesettremblantes,danslessiennes.—Vousn’avezpasbesoindemeledireàmoinonplus.Seulementquandvousserezprête.Georgianarelevalatête,lesyeuxbrillantsdelarmes.—Monamie…Elleaditquevousprendriezsoindenous.
—Etnousleferons,assuraIsabel.Vousavezfaitunlongvoyage.Puis-jevoussuggérerdedormirunpeu?Nousnousretrouveronspourlepetitdéjeuner,etvouspourrezmeparlerdevotresituationsivouslesouhaitez.
Quelquesminutesplustard,Georgianaseglissaitentrelesdrapsraidesdulitdecamp–unlitplusmodeste,etdeloin,certainement,quetousceuxdanslesquelslasœurduducdeLeightonavaitpudormir.Aprèsavoirattenduunlongmomentpours’assurerquelajeunefilleétaitbienendormie,Isabelseglissahorsdelapièce.
Ungroupedecurieusess’étaitrassemblésurlepalier.—Elledort?chuchotaLara,lacousineetmeilleureamied’Isabel.— Pourquoi ce palier n’est-il pas correctement éclairé ? demanda cette dernière, après avoir
acquiescéd’unsignedetête.—Parcequenousnepouvonspasnousoffrirassezdebougies.Isabelsemorditlalèvre.Évidemment.—Lasœurd’unduc?murmuraJaneavecdésapprobation.—Çadevraitpascompter,quielleest,protestaGwen, lacuisinière.Elleabesoindenous,eton
recueillelesfillesquiontbesoindenous.—Ellenepeutpasrester,déclaraàsontourKatequi,duregard,quêtalesoutiendesautres.—Allonspoursuivrecetteconversation loindecettepauvre fille,chuchota Isabel,qui fit signeau
groupedeluiemboîterlepas.—Ellenepeutpasrester!affirmadenouveauKate.—Oui,jecroisquetut’esmontréeclairesurlesujet,répliquaIsabel,ironique.—C’estunrisqueénorme,insistaJane,commesiIsabeln’yavaitpassongéelle-même.Envérité,lacrainteluitordaitlecœur.Onnerecueillaitpaslasœurd’unduc,l’undeshommesles
pluspuissantsd’Angleterre,sansqu’ilenaitconnaissance.EtcelapourraitêtrefatalàJames.Lefrèred’Isabeln’avaitquedixans,letitredecomtedeReddichvenaitdeluiéchoir,etilauraitàse
battrepoursedébarrasserdelaréputationcatastrophiquedesonpère.SileducdeLeightondécouvraitquesasœurvivaitici,soussaprotection,Jamesneseremettraitpasduscandale.
Lesautresavaientraison:lesensdesresponsabilitésimposaitàIsabelderenvoyercettefille.Elle regarda les femmes tour à tour. Chacune d’elles était arrivée à Townsend Park dans des
circonstances similaires à celles de Georgiana. Elle aurait pu refuser de les accueillir.Mais elle nel’avaitpasfait.
—Lara?interrogea-t-elleaprèsavoirarrêtésonregardsursacousine.—Jeconnais les règles, Isabel, réponditLaraaprèsun instantde réflexion.Jesaisquelssontnos
principes. Mais… un duc… Cela va attirer l’attention sur nous toutes. Elle… Que se passera-t-il siquelqu’unvientàsarecherche?Sinoussommesdécouvertes?
—Pourmoi, laquestionestplutôt :quesepassera-t-ilquand quelqu’unviendraà sa recherche?Parcequ’onnelaissepasdisparaîtrecommeçalasœurd’unduc.Elleestenceinte,ajouta-t-elleaprèsuninstant.
Janesifflaentresesdents.—Ellevousl’adit?demandaGwen.—Indirectement.—Ehbien,danscecas,nousnepouvonsévidemmentpaslarenvoyer.MaisKaten’étaitpasd’accord.— Ce n’est pas une fille de commerçants ni une femme de patron d’auberge. Elle appartient à
l’aristocratie,quediable!Etaussilebébéqu’elleporte,peut-être!Nousdevrionsrendrecettefilleàsa
famille.—Avoirunefamillenoble,cen’estpastoujourslapanacée,Kate.Jesuisbienplacéepourlesavoir.Enpensée,Isabelrevitlajeunefillegracile,lescernesprofondsquimarquaientsesyeux,sesjoues
creuses.Lapauvreétaitseuleetperdue.—Jen’aijamaisrefuséd’accueillirunefille,déclara-t-elle,sentantbienquesadécisionétaitprise.
Je ne vais pas commencer maintenant. Elle aura sa place ici tant qu’elle en aura besoin. Nous luidonnerons du travail. James a besoin d’une nouvelle gouvernante, et je suis certaine qu’elle pourraits’acquittercorrectementdecettetâche.
—Vousl’avezvue?lançaKate.Jepariequ’ellen’ajamaiseffectuéunejournéedetravaildanssavie.
— Toi non plus, tu n’avais jamais travaillé lorsque tu es arrivée ici, lui rappela Isabel avec unsourire.Etmaintenant,tueslameilleureresponsabled’écuriequisoit.
Katedétournalesyeux,toutens’essuyantlamainsursaculotted’équitation.—Iln’empêche…Lasœurd’unduc,murmura-t-elle.Isabelfitcourirsonregardsurlecercledesescompagnes.Jane,samajordome,dirigeaitlamaison
avec l’aisance de n’importe quel domestiquemasculin ayant été formépendant des années ;Gwen, lacuisinière, aurait pu avoir appris son art dans lesmeilleures cuisines londoniennes, à en juger par lafiertéaveclaquelleelleeffectuaitsatâche;quantàKate,sonadresseavecleschevauxrivalisaitaveccelledesjockeysd’Ascot.
Toutess’étaientvuoffrirlegîte,lasécuritéetunavenir.EttoutesjugeaientIsabelcapabled’affrontern’importequelleépreuve.
Siellessavaientqu’elleétaittoutaussieffrayée,toutaussipeusûrequ’elles!Après avoir pris une longue inspiration, elle s’efforça d’insuffler dans sa voix conviction et
assurance.—ElleabesoindeMinervaHouse.EtMinervaHouserelèveracedéfi.
Isabelouvritlesyeuxet,d’ungestebrusque,seredressadanssonfauteuil.Larasetenaitdel’autrecôtédugrandbureau.—Bonjour.Après avoir tourné la tête vers la fenêtre et plissé les paupières, éblouie par l’éclat du ciel bleu,
Isabelcompritquelamatinéeétaitdéjàbienavancée.—Jemesuisendormie…—Oui,c’estcequejeconstate,réponditLara.Pourquoin’as-tupastentédelefairedanstonlit?Isabelfitbougersatêted’avantenarrièrepourdérouillersesmusclesendolorisetgrimaça.—J’avaistropàfaire.Laraposaunetassedethésurlebureau,puiss’assitenfaced’Isabel.—Qu’est-cequetupeuxbienavoiràfairequiexigequeturenoncesàdormir?Puis,distraite,elleajouta:—Tuasdel’encresurlajouegauche.Tout en s’essuyant la figure, Isabel baissa les yeux sur le papier posé devant elle.C’était la liste
qu’elleavait rédigée lesoirprécédent.La liste immensede toutes leschosesqu’elles’étaitpromisdefairecettenuit,aprèsunecourtesieste.
Son estomac se contracta sous l’assaut de la culpabilité. Elle aurait dû réfléchir à un plan pourassurer lasécuritédes filles, rédigerune lettreà l’avouédesonpèrepourqu’il luiconfirmequ’iln’yavait aucune somme d’argentmise de côté pour l’éducation de James, écrire à l’agent immobilier de
Dunscroft afin qu’il commence à chercher une nouvelle maison, entamer la lecture du livre sur laréparationdestoits–lamiseenapplicationdecetextedevenaitd’uneurgencecriante.
Ellen’avaitrienfaitdetoutcela.Elleavaitdormi.—Tuasbesoinderepos.—J’aieutoutlereposnécessaire,répliquaIsabel.Alorsqu’elleentreprenaitdetrierlespapierssursonbureau,unepiled’enveloppesnondécachetées
attirasonattention.—D’oùviennent-elles?Quandellesoulevalepaquetdelettres,unpériodiquefémininapparut.Letempsdelireletitre:«À
l’intérieur:leslordslondoniensàconquérir!»,ellereposalesenveloppesenlevantlesyeuxauciel.—C’estlecourrierdecematin.Avantquetunel’ouvres…—Oui?fitIsabel,quivenaitdesaisirlecoupe-papier.—IlfautquenousparlionsdeJames.—Qu’ya-t-ilencore?—Ils’estcachépouréchapperàsesleçons.— Je n’en suis pas surprise. Je lui parlerai. A-t-il au moins fait la connaissance de la nouvelle
gouvernante?—Pasexactement…—C’est-à-dire?—Ehbien,Katel’asurprisentraindelaregarderdanssonbain.—Tun’espasentraindemedire,jesuppose,qu’ilregardaitKatedanssonbain?Laraéclataderire.—Tuimaginescommentçaseseraitterminé?Ellel’auraitécorchévif.—Jevaispeut-êtrebienl’écorchervifdemespropresmains!Ilestcomte,àprésent,etildoitêtre
dignedesontitre.Franchement,reluquercettefilledanssonbain…Quellemouchel’apiqué?—Ilestpeut-êtrecomte,maisc’estavant toutungarçon, Isabel.Tucroispeut-êtrequ’iln’estpas
curieux?—Ilagrandidansunemaisonpleinedefemmes.Effectivement,j’auraispenséqueçanel’intéressait
pasdutout.—Ehbien,tutetrompes.Àmonavis,çal’intéressemêmebeaucoup.Ilabesoindequelqu’unavec
quiendiscuter.—Ilpeutendiscuteravecmoi,non?—Isabel…murmuraLaraenlaconsidérantavecincrédulité.—Quoi?—Tuesunesœurmerveilleuse.Maisilnepeutpasabordercegenredesujetavectoi.Danslesilencequisuivit,Isabelduts’avouerquesacousineavaitraison.Àdixans,Jamesauraiteu
besoinqu’unhommeluiouvrelesportesdel’universmasculinquiseraitlesienplustard.—Jedoistrouverunmoyendel’envoyeraucollège,dit-elleaprèsunsoupir.J’ail’intentiond’écrire
àl’avouédemonpèreaujourd’huimême.Nonpasquenousdisposionsdumoindrepenny…Maisonnesaitjamais,ajouta-t-elleaprèsunsilence.Peut-êtrequeletuteurdeJamesarriveraporteurdenouvellesqueseulslesgensdesonespèceconnaissent.
Depuis qu’elles avaient appris la mort du comte, elles attendaient que se manifeste Oliver, lordDensmore,letuteurmystérieuxquelecomteavaitdésignédanssontestament.Celafaisaitunesemaine,àprésent,etàchaquejourquis’écoulaitsansapporterdenouvelles,Isabelrespiraitunpeupluslibrement.L’ombredecethommecontinuaitnéanmoinsàplaner.Cars’ilavaitétédésignéparledéfuntcomte,on
pouvait redouter que lord Densmore ne fût précisément le genre de tuteur qu’elle préférait ne pasconnaître.
—Ilyaautrechose…—AusujetdeJames?s’enquitIsabel,incapablederéprimerunegrimace.—Non.Àproposdetoi.Jesaispourquoitut’esendormieiciaulieud’allertecoucherdanstonlit.
Tuesinquiète.Inquiètepournotreavenir,pournosfinances,pourJames,pourMinervaHouse…Nemefaispasl’injuredefeindrel’ignorance,continuaLaraquandIsabelsemitàsecouerlatête.Jeteconnaisdepuistoujours,etjevisavectoidepuissixans.Jesaisquetuespréoccupée.
Isabel s’apprêta à protester, puis elle y renonça.Lara avait raison, bien sûr. « Préoccupée » étaitd’ailleursunmot faiblepourdécrire sonanxiété faceauxproblèmesqui l’assaillaient.Et si Jamesnepouvaitpasalleraucollègenirestaurerl’honneurdesontitre?Etsisontuteurnesemanifestaitjamais?Pire,s’ilnevenaitquepourfermerMinervaHouseetrenvoyerlesfemmespourlesquellesIsabels’étaitsidurementbattue?
Le toit de lamaison fuyait ; cette semaine, elle avait perdu septmoutons à cause dumauvais étatd’uneclôture;etellenepossédaitpasunsoualorsqu’elleavaitdeuxdouzainesdebouchesànourrir.
—Jesupposequelecomten’apaslaissélemoindreargent?repritdoucementLara.C’étaitlapremièrefoisqu’unedesrésidentesdeTownsendParkévoquaitleursituationfinancière.Isabelsecoualatêtesansparveniràdissimulersonamertume.—Toutadisparu.FeulecomtedeReddichnes’étaitpassouciéd’assurerlasubsistancedesesenfants,pasmêmecelle
de son héritier. Il avait fallu une demi-heure à Isabel pour convaincre l’avoué de son père, arrivé lelendemaindel’annoncedudécès,qu’elleétaitcapabledecomprendrelasituationfinancièredudomaine.Commes’ilétaitdifficiledecomprendrequ’onétaitruiné!
Sonpèreavaitjouétoutcequipouvaitl’être:lamaisondeLondres,lesvoitures,lesmeubles,leschevaux… jusqu’à sa fille ! Il ne restait rien hormis les biens inaliénables, attachés au titre, quirevenaientàJames,ainsiquecequ’Isabelpossédaitenpropre.Etqu’ellepouvaitvendre,songea-t-elleavecundouloureuxserrementaucœur.
Unevaguedepaniquemenaçadelasubmerger.Siseulementellenes’étaitpasendormie,elleauraitpeut-êtredéjàconçuunplanpoursauverledomaineetseshabitants!
Elleavaitjustebesoind’unpeudetemps…Fermantlesyeux,elleinspiraprofondément,àplusieursreprises,poursereprendre.—Cen’estpastonproblème,Lara,déclara-t-elleavecuneassurancefeinte.Jeveilleraiàcequetout
lemondes’ensorte.—Biensûr.Personnen’enajamaisdoutéuneseconde.Non,personnenedoutaitjamaisdelaforced’Isabel.Pasmêmelorsqueleschosesnetenaientplus
ensemblequeparunfilténu.Elleselevapours’approcherdelafenêtre,quidonnaitsurlesterresautrefoisgrassesetfertilesde
TownsendPark.Àprésent,leschampsétaientenvahisparlesbroussailles,etlebétailétaitréduitàunepeaudechagrin.
—Est-cequelesfillessontinquiètes?—Non,réponditLara.Àmonavis,ilneleurestpasvenuàl’idéequ’ellespuissentêtrejetéesàla
rue.—Ellesneserontpasjetéesàlarue!Neredisjamaisunechosepareille.—Jesaisbienquecelan’arriverapas,affirmaLaraenlarejoignant.Isabelpivotaverselleetagital’indexsouslenezdesacousine.
—Jevaisréfléchir.Noustrouveronsdel’argent,etjetransférerailesfillesdansuneautremaison.Cen’estpascommesinoustenionsàcelle-ci.
—UneMinervaHousebis?—Précisément.—Quelleidéefabuleuse!déclaraLarad’untonquiirritaIsabel.—Tun’aspasbesoindem’approuveruniquementpourm’apaiser.—C’est juste.As-tu un coffre plein d’argent cachéquelquepart ?Parce que, d’après ce que j’ai
entendudire,lesmaisonssusceptiblesd’accueillirdeuxdouzainesdefemmesontuncoût.—Ehbien…c’estlapartieduplanquejen’aipasencorevraimentattaquée.Isabeltraversalapiècejusqu’àlaporte,puisellefitdemi-touretvintreprendresaplacederrièrele
bureau.Pendantun longmoment, elleobserva lespapiersqui jonchaient l’immense table, sur laquelles’étaientpenchéestroisgénérationsdecomtesdeReddich.
—Iln’yaqu’unemanièredenousprocurerlesfondsnécessairespoursurvivre,finit-ellepardire.—Laquelle?—Jevaisvendrelesstatuesdemarbre.Le bourdonnement dans ses oreilles était presque assourdissant, étouffant sa propre voix. C’était
commesi,enn’entendantpaslesmots,ellepouvaitcroirequ’ilsn’avaientpasétéprononcés.—Isabel…Non.—C’estidiotdelesgarder,argua-t-elleenhâte,depeurden’avoirpaslaforcedes’opposeràsa
cousine.Personnen’enprofite.—Toi,tuenprofites.—C’estunluxequejenepeuxplusmepermettre.—C’estleseulluxequetuaiesjamaiseu,répliquaLara,commesiIsabelelle-mêmen’enavaitpas
cruellementconscience.—As-tuunemeilleuresolutionàproposer?—Peut-être…Tupourraispenser…àtemarier,avançaLarad’untonhésitant.—Suggères-tuquej’auraisdûaccepterl’undecesimbécilesquisesontprésentésiciaprèsm’avoir
gagnéeàunjeudehasard?—MonDieu,non!s’écriaLara,l’aireffaré.Aucund’eux,jamais!Niaucuneconnaissancedeton
père, d’ailleurs. Je pensais à quelqu’un d’autre… quelqu’un de gentil. Et s’il était riche, ce serait lacerisesurlegâteau.
Isabelsaisitlepériodiquequ’elleavaitentraperçuunpeuplustôt.—Tuvoudraispeut-êtrequejem’essaieàconquérirunlord?Lararougitbrusquement.—Uneunionavantageuseneseraitpaslapirechosequipourraitt’arriver.Tuoseraislenier?Isabel secoua la tête.Lemariagen’était certainementpas la solution.Elle voulait bien avaler une
piluleamèreoudeuxpoursauvercettemaisonetlesfemmesquiyvivaient,maisellen’étaitpasdisposéeàsacrifiersalibertéousasantémentalepourelles.
Égoïste!Lequalificatifrésonnadanssatête,aussiblessantques’ilvenaitd’êtreprononcé.Ellesavaitque,si
ellefermaitlesyeux,ellereverraitlevisagedesamère,accusateuretdéforméparl’angoisse.Tuauraisdûépouserl’hommequ’ilteproposait,espècedebruteégoïste.Ilseraitrestésituavais
accepté,ettoi,tuseraispartie…Sagorges’étaitnouée,etelleduts’éclaircirlavoix.
—Lemariagen’estpaslasolution,Lara.Crois-tuvraimentquequelqu’unayantlesmoyensdenousaiderenvisageraitd’épouserunefilledevingt-quatreans,quin’ajamaismislespiedsdansunesalledeballondonienne,etdontlepèreétaitunbonàriennotoire?
—Maisbiensûr!—Non,certainementpas.Jen’ainitalents,niéducation,nidot.Jen’airiend’autrequ’unemaison
pleinede femmesdont laplupart se cachent, etdontunepoignéed’entre ellesviventdans l’illégalité.Commentproposes-tud’expliquerlachoseàunprétendantpotentiel?
Laraouvritlabouche,maisIsabelneluilaissapasleloisirdel’interrompre.—C’estimpossible,crois-moi.Aucunhommedouédebonsensnem’épouseraitninesechargerait
demonfardeau.Et,entoutesincérité,jem’ensatisfais.Non…ilnousfauttrouverunetactiquedifférente.—Ilt’épouseraitsituluidisaislavérité,Isabel.Situexpliquaistout.Un silence s’installa, durant lequel Isabel s’autorisa à songer, fugitivement, à ceque ce serait que
d’avoirquelqu’unavecquipartagertoussessecrets.Quelqu’unquil’aideraitàprotégerlesfilles…etàéleverJames.
Maiselle repoussaaussitôtcette idée.Partager lachargedeMinervaHouse,celasignifierait fairesuffisammentconfianceàquelqu’unpourluienrévélerlessecrets.
—Dois-jeterappelerquellescréatureshorriblesMinervaHousenousadévoilées?Lesmarisquiusentdeleurspoings?Lesfrèresetlesonclesignobles?Leshommessiabrutisparl’alcoolqu’ilssontincapablesderapporteràmangeràleurspetits?Etn’oublionspasmonproprepère–prêtàvendresesenfantspouravoirdequoipasseruneautrenuitenville,incapabled’entretenirsondomaine,semoquantabsolumentdenelaisseràsonhéritierqu’untitreentachédedéshonneur…
Aprèsavoirdenouveausecouélatêteavecforce,Isabelconclut:—Sij’aiapprisunechosedanslavie,Lara,c’estquelaplupartdeshommesnesontpasbons.Et
ceuxquilesontn’écumentpaslacampagneduYorkshireàlarecherchedevieillesfillescommemoi.—Ilsnepeuventpasêtretousmauvais,protestaLara.Tudoisadmettrequelesfillesquiviennentà
MinervaHouse…Ehbien…ellesontétéconfrontéesàcequ’ilyadepireenlamatière.Peut-êtrequedeshommescommeceuxquifigurentlà-dedanssontdifférents,ajouta-t-elleendésignantlagazette.
—Jet’accordelebénéficedudoute,mêmesijerestesceptique.Maissoyonsaumoinshonnêtesavecnous-mêmes:jenesuispasvraimentletypedefemmesusceptibledeconquérirunlord.Encoremoinsunlorddotédequalitéssiexceptionnellesqu’ellessontvantéesdansunjournal.
—Nedispasdebêtises.Tuesjolieetintelligente,tuesincroyablementcompétentedansdifférentsdomaines,etn’oublionspasquetueslasœurd’uncomte–mieuxencore,d’uncomtequin’apasencoredéshonoré son nom ! Je suis convaincue que les lords célibataires de Londres tomberaient sous toncharme.
—Certes.JevisaussiàdeuxcentsmilesaunorddeLondres.J’imaginequeceslordssirecherchésontdéjàétédécrochésparunescadrondejeunesfilleschanceuses,dontlesabonnementsnevoyagentpasparlamalle-poste.
—Peut-êtrepasceslords-là,admitLaradansunsoupir.Peut-êtrequelagazetteestjusteunsigne.—Unsigne?Tuconsidèresque…PearlsandPelissesestunsigne?demandaIsabelaprèss’être
interrompueuninstantpourregarderlenomdujournal.Aupassage,pourquoirecevons-nouscetorchon?—Les filles l’apprécient.Et,eneffet, je leconsidèrecommeunsigneque tudevraisenvisager le
mariage.Avecunhommebon.Etfortuné.—Lara,repritIsabeld’untonradouci,lemariageneferaitqu’ajouterànosproblèmes.Etmêmedans
le cas contraire, penses-tu vraiment que les hommes bons et fortunés font la queue à Dunscroft enattendantquejedaigneparaîtreenville?
Ayant ouvert la gazette, Isabel parcourut rapidement la description de lord Nicholas St. John, lepremierdeslordsàconquérir.
—Franchement…Cet homme est le frère jumeau d’un des pairs les plus riches d’Angleterre ; ilpossèdesaproprefortune,c’estuncavalierexceptionnel,unépéiste imbattableet,apparemment, ilestassezbeaupourquelesdamesdelahautesociétéseprécipitentsurleurflacondesels.
Elles’interrompitpourjeterunregardmalicieuxàLara.—Onsedemandecomment lapopulation fémininedeLondrespeut resterconsciente,quand luiet
sonjumeauparaissentensembleenpublic.Larapouffa.— Peut-être qu’ils ont la gentillesse de se tenir à une certaine distance l’un de l’autre, pour la
sécuritéetlavertudelabonnesociété.—Entoutcas,ceseraitlachoseconvenableàfaire,pourcette«incarnationdelavirilité».—Incarnationdelavirilité?— « Lord Nicholas est une véritable incarnation de la virilité, lut Isabel à voix haute. Beau,
charmant, enveloppé d’un air de mystère qui fait battre les cils et les éventails. Et des yeux, chèrelectrice!Sibleus!»Tuveuxbienmerépéter,Lara,pourquoicettegazetteestsisuprêmementédifiante?
—Pasàcausedecetarticle,c’estsûr.Quedit-ild’autre?demandaLaraensetordantlecoupourlire.
—«Maiscelordestdavantagequ’unbeauparti,chèrelectrice!Carsesvoyageslégendaires,nonseulementenEuropemaisaussiaucœurdel’Orient,ontàlafoishâlésapeauetdéveloppésonesprit…Pasdedemoisellesquiminaudentpour lordNicholas,mesdames.C’estunecompagneavec laquelle ilpuisseconverserqu’illuifaut!Là!»
—Cen’estpasmarqué«Là!»,protestaLara,incrédule,entendantlamainverslejournal.—Maissi,assuraIsabel,toutenmaintenantlejournalhorsdesaportée.«Là!Neprétendions-nous
pasavoirsélectionnélacrèmedesgentlemenàvotreintention?»— Je suppose que si cet homme est à ce point incroyable, « Là ! » est une exclamation aussi
appropriéequ’uneautre.—Mmm…fitIsabel,quicontinuaitàprésentsalectureensilence.AumomentoùLaras’inclinaitpourvoircequiretenaitainsisonattention,Isabelrelevabrusquement
latête.—Lara,tuasraison.—Vraiment?—Cettepublicationidioteestbeletbienunsigne!—Ahbon?—Parfaitement ! dit Isabel qui, cessant de lire, tendit lamain pour prendre une feuille de papier
viergesurlaquelleécriresalettre.—Maisjecroyais…—Moiaussi.J’aichangéd’avis.—Mais…EtlesdeuxcentsmilesentreicietLondres?Isabelrestasilencieuseunmoment.Puiselledéclara:—Ilfaudraquemesargumentssoienttrèsconvaincants,voilàtout.
3Leçonnuméroun
Netentezpasdeproduired’embléeunetropforteimpression.Pourconquérirvotrelord,veillezàêtrevue,maisàpeineentendue.Nepoussezpaslaconversationtroploindèsledébut–vousnevoudriezquandmêmepasl’écraser sous le poids de vos pensées ! Cela peut sembler difficile, mais nevous tracassez pas, chère lectrice. Votre grâce silencieuse sera plus quesuffisantepourconquérirvotrelord.
PearlsandPelisses,juin1823
Ayant beaucoup voyagé,Nick se targuait d’être capable de trouver de l’intérêt à l’endroit le plusinsignifiant.Durantsesannéesdevagabondagesurlecontinent,cen’étaitpasàVienne,àPrague,àParisouàRomequ’il avait séjourné,maisdansdesvillagesméconnus.Lorsqu’il s’était ensuitedirigéversl’est,ilavaitdécouvertdesmerveillesdansdesbazarsturcsmiteuxetappréciél’accueildesminusculescommunautésdel’Orientleplusreculé.
LorsdesonpéniblepéripleavecRockpourquitterlaTurquieenfranchissantlescolsdesmontagnesgrecques, sans riend’autreque lesvêtementsqu’ils avaient sur ledos,Nickavaitpassédes semainessansunrepaschaud,sansunlit,dansledépouillementleplustotal;c’étaitàcemoment-là,cependant,qu’il s’était découvert une passion pour les objets d’art antiques. Il n’avait jamais visité d’endroit, siquelconquefût-il,sansydistingueruntraitparticulieroudeuxquilerachetaient.
MaisilétaitprêtàdéclarerforfaitencequiconcernaitlevillagedeDunscroft,quiparaissaitdénuédelamoindrecaractéristique.
Debout aumilieu de la cour de l’auberge,Nick etRock attendaient depuis près d’une demi-heurequ’on amène leurs chevaux. L’animation matinale du village avait cédé la place à l’engourdissementsilencieux du milieu de matinée. Au moment où Nick passait d’un pied sur l’autre, la porte de laboucherie s’ouvrit, livrantpassageàungarçondégingandéchargéd’unepile instabledepaquets.L’und’euxtombapresqueaussitôtsurlesolpoussiéreuxet,lorsquelegarçonsepenchapourleramasser,toutlerestetanguadangereusement.
C’était l’événement lepluspalpitantqui se fûtproduitdepuis leurarrivéedanscepetitvillageduYorkshire,deuxjoursauparavant.
—Jeteparieunecouronnequ’ilenlaissetomberunautreavantd’atteindrelamercerie,ditNick.—Unsouverainquenon,répliquaRock.Legamindépassalaboutiquesansencombre.—TuesdisposéàretourneràLondres?s’enquitRockenempochantsongain.—Non.
—Envisages-tuaumoinsdequitterleYorkshire?—Pastantquenousn’auronspasderaisonsdecroirequ’elleaquittélarégion.Rocksoupira,puisils’abîmadansunsilenceprolongé.—Enfait,finit-ilpardire,c’esttoiquit’esengagéàretrouvercettefille.Riennemeretientici,pour
mapart.Ankaraétaitplusaccueillantequecetteville.— Ankara ? répéta Nick en haussant les sourcils. C’est un peu extrême, vu nos conditions de
logementlorsdenotredernierséjourenTurquie.—Çaaussi,c’étaitdetafaute,grommelaRock.OnpourraitaumoinsalleràYork.Cetteauberge–si
onpeutappelerçauneauberge–estinfâme.Nickneputréprimerunsourire.—Tusaisque,pourunTurc,tuesdevenusacrémentdandy.—Elles’appelleLaTêtedeCochon,quediable!—TucroisquenoustrouverionsunétablissementmieuxnomméàYork?—Peut-êtrequenouspourrionstrouverunétablissementconvenable,là-bas.—Peut-être.Mais,auxdernièresnouvelles,c’était iciqu’ellese rendait.Oùestpassé tongoûtde
l’aventure?Rockémitungrognementirritétoutensetournantverslesécuries.—Perdu,toutcommenoschevaux.Tucroisqu’ilslesontlogésoù?ÀBath?Laseuleexcusepour
mettreaussilongtempsàallerchercheruncheval,c’estlamort.—Lamortducheval?—Jepensaisplutôtàlamortdupalefrenier,rétorquaRock,quipartitendirectiondesécuries.NickreportaalorssonattentionsurlevillagedeDunscroft.Ilsbrûlaient!SurlestracesdeladyGeorgiana,ilsavaienttraversél’AngleterreendirectionduYorkshire.Durant
leurchevauchéeverslenord,ilsavaientquestionnétousceuxquiauraientpuremarquerunejeunefemmevoyageant seule. Ils n’avaient rien trouvé au-delà de Dunscroft, où un jeune employé de la poste sesouvenaitd’avoirvu«unedamecommeunange»descendredelamalle-poste.Ilneserappelaitpascequiétaitarrivéàl’angeenquestion,maislaconvictiondeNickétaitfaite:lasœurduducsetrouvaitàDunscroft,outoutprès.
Duregard,ilsuivitl’uniquerueduvillage,oùsedressaientl’église,l’aubergeetquelquesboutiques.Enfacedel’auberges’étendaitleprécommunal–unsimplerectangledepelouseoùsedressaitencorelemâtdénudéautourduquels’étaientdérouléeslesfestivitésdu1erMai.Sansdoutelanuitlaplusexcitantedel’annéeàDunscroft.
L’attention deNick fut alors attirée par la silhouette d’une femme, qui traversait justement le précommunal.
Ellelisaittoutenmarchant,absorbéeparlaliassedepapiersqu’elletenait.LapremièrechosequifrappaNickfutsacapacitéàconserverunetrajectoirerectilignemalgrésonindifférencetotaleàcequil’entourait.
Àenjugerparsarobenoiresimple,decoupeclassiquequoiqu’unpeudémodée–cequin’avaitriend’étonnant, vu l’endroit où ils se trouvaient –, elle était en deuil. Sans doute était-ce la fille d’ungentilhomme campagnard. En tout cas, ses gestes étaient assez naturels pour suggérer qu’ellen’appartenaitpasàlahautesociété.
Nick l’observa avec une attention accrue. Elle était d’une taille inhabituelle – il était à peu prèscertainden’avoirjamaisrencontrédefemmeaussigrandequ’elle–,etellemarchaitàlonguesenjambéesdécidées, qui n’avaient rien à voir avec le trottinement censé être gracieux qu’on enseignait aux
demoisellesbiennées.Malgrélui,sesyeuxserivèrentsursajupe,quisoulignaitledessindesesjambesélancéesàchaquepas.Enserelevant, l’étoffedévoilaitdesbottinesdemarchesolides,pluspratiquesqu’augoûtdujour.
Entreleborddesonchapeaunoir,abaissésursonfront,etlesfeuillesquelajeunefemmetenaitàlahauteurdesonvisage,ilnedistinguaitriendeplusqueleboutd’unnezquisemblaittrèsdroitetunpeuimpertinent.Dommage,ilnevoyaitpaslacouleurdesesyeux…
Sans avoir une seule fois regardé autour d’elle, elle atteignait à présent la route. Elle tourna unefeuille,sansralentirl’allure,absorbéeparsalecture.Unetelleconcentrationétaitfascinante.Nickauraitétécurieuxdesavoirsiellefaisaittoutdemanièreaussiintense.
Àcettepensée, ildétourna lesyeux.N’était-cepas lesignequ’ilétait resté trop longtempschaste,s’ilcommençaitàrêvasseràuneinconnueauxtraitsindistinctsquitraversaitsonchampdevision?
C’est alors qu’un fracas épouvantable retentit. Il devenait plus assourdissant d’instant en instant,mêlant hurlements d’hommes, hennissements de chevaux, et chocs sourds que Nick n’identifia pasimmédiatement.Ilsetournaendirectiondubruit,maisnevitriencarlaroutefaisaituncoude.
Puis,soussesyeuxhorrifiés,apparutunattelaged’énormeschevauxdetraitlancésàtouteallure.Ilstraînaientuntombereauqui,ayantperdudeuxroues,penchaitdangereusementetlarguaitdanssacoursefollesonchargementdedalles.Lefracasdespierresquitombaientaffolaitdavantageleschevaux,dontlesénormessabotspilonnaientlaterredurcie.
Iln’yavaitpluspersonnepourdirigerl’attelage,leschevauxpaniquésfonçaientdroitdevanteux…etlajeunefemmes’apprêtaitàcroiserleurchemin.
Nickeutbeau l’interpeller, elle continuait à lire.Aussi,quandelle esquissaunpremierpas sur laroute,ilsutqu’iln’avaitd’autrechoixquedeseprécipiteràsonsecours.
Ils’élançaàtraverslacourdel’auberge.D’uncoupd’œil,ileutlaconfirmationqu’ilavaitàpeineletempsd’arriverjusqu’àelle.
Tandisqu’il traversait laroute, ilperçutsous lasemelledesesbottes lavibrationde la terre.Lesénormesbêtesfonçaientdroitsureux.
Soudain,alarméeparlacacophoniequil’environnaitouparuneperceptioninconscientedudanger,ellelevalesyeux.
Lesquelsétaientbruns…Elle s’arrêta net, bouche bée, les yeux écarquillés, figée sur place par la surprise et l’indécision.
Pourvuqu’ellen’aitpasl’idéedebouger!songeaNick.D’un bond, il se jeta sur elle, refermant les bras autour de son corps et, sous l’effet du choc, ils
quittèrentlesol.Instinctivement,ils’arrangeapourlaprotégerdel’impactdelachute,etcefutluiquisemorditlalèvreensentantunvifélancementdanslebras,avantqu’ilsneroulentdansl’herbeépaisse.
Tandisqueleschevauxpassaiententrombe,ilrestaimmobile,malgréladouleurquitraversaitsonépaulegaucheetsongenoudroit,maisdontilsavait,parexpérience,qu’ellen’étaitguèreinquiétante.
Il prit alors conscience qu’il tenait enlacé le corps chaud de la jeune femme, ayant protégéinconsciemmentsatêteetsoncoudesesmains.Ilpercevaitsonsoufflesaccadécontresapoitrine.Quandilrelevalatêteavecprécaution,elleavaitlesyeuxclos,etseslèvrespresséesformaientunelignefineetferme.Au cours de la chute, elle avait perdu son chapeau, et une épaisse boucle auburn lui barrait levisage.Nickdégageasamainpourrepoussersescheveuxsurlecôté,d’ungestepresquemachinal.
Àcecontact,elleouvritlesyeuxetbattitdespaupières.Sesyeuxn’étaientpassimplementbruns.Leurcouleurriche,oùsemêlaientlemiel,l’oretl’acajou,
étaitencoreintensifiéeparl’éclatdeslarmesduesàlapeur,àlasurpriseetausoulagement.
Ilyavaitquelquechosededouxetd’attirantenelle…Dumoinsfut-cecequeNickpensajusqu’aumomentoùellecommençaàsedébattre.
—Monsieur!Cessezdem’écraser!s’écria-t-elleenluimartelantletorseetlesbrasdesespoings.Immédiatement!
L’un de ses coups porta sur le bras endolori deNick, qui grimaça. Il s’était trompé. Il n’y avaitaucunedouceurchezcettefemme.C’étaituneharpie.
—Arrêtez!Ellecessadegesticuleretseraidit.Denouveau, ileutuneconscienceaiguëde lapressiondeses
seins contre sa poitrine, alors qu’elle s’efforçait de maîtriser sa respiration, et de sa propre jambereposant entre les siennes dans le fouillis de ses jupes. Soudain, les parties les plus sensibles de soncorpsnefurentplussongenounisonépaule.
Dèsqu’ils’aperçutdesontrouble,Nicks’obligeaàseredresser.—J’espèrequevospapiersvalaientlapeinequ’onsefassepresquetuertouslesdeux,dit-il,unpeu
haletantsousl’effetdeladouleur.Elleécarquillalesyeux.—Vousnemereprochezquandmêmepasnotresituation?Vousm’avezattaquée!Plaquant ses mains sur le torse de Nick, elle le repoussa avec force. Et elle n’en manquait pas,
constata-t-ilavecsurprise.Aprèsavoirhaussélessourcils,ilserelevaetaffectaderemettredel’ordredanssatoilette.Ayant
observé lamanche de sa redingote, largement déchirée au niveau du coude, il en empoigna la partieinférieureet,d’ungesteferme,l’arrachacomplètement.
La jeune femmeétait àprésent assisepar terre, droite commeun I, et elleparuthypnotiséepar lavisiondesonamplemanchedechemisequiflottaitàprésentdanslabrise.
—Cen’estpascommesionavaitpularecoudrepourrendrecevêtementdenouveauportable,dit-il,avantdetendrel’autrebrasdanssadirection.
Elles’inclinalégèrementenarrière,commesielles’interrogeaitsursesmotifs.—Unhommeplussusceptibleseraitoffensé,voussavez,ajouta-t-il.Lefaitquejevousaisauvéla
viedevraitprouvermabonnefoi.Elle cilla et, l’espace d’un instant, une étincelle s’alluma dans son regard.De l’amusement, peut-
être?Levantlebras,ellesaisitlamainqu’illuiprésentaitetseremitsursespieds.—Vousnem’avezpassauvélavie.Jemeportaisparfaitementbienjusqu’aumomentoù…Elletressaillitquandsonpoidsportasursonpiedgauche.Nicknel’auraitsansdoutepasremarqué
s’iln’avaitpasétéaussifasciné.—Doucement,dit-ilenglissantsonbrasdanssondospourlasoutenir.Vousavezquandmêmefait
unebelleculbute.Vousvoussentezbien?Puis-jevousraccompagnerchezvous?Commeleursvisagesn’étaientplusqu’àquelquescentimètresl’undel’autre,ilavaitbaissélavoix.
Quandellelevalesyeuxverslui, ilsurpritdanssonregardunechaleurnouvelle.Maiscefutsifugitifqu’iln’eutpasleloisird’yréfléchir.Elles’écartaaussitôtdelui,etlarougeurquiluimontaauvisage,alorsqu’unedesespommettesétaitmaculéedeterre,parutincongrue.
—Non,ceneserapasnécessaire,monsieur.Jen’aipasbesoindevotreaide,etilestinutilequejevousdérangedavantage.
—Vousnemedérangezaucunement,mademoiselle,assura-t-il,prisaudépourvu.J’aiétéheureuxdejouerleschevalierstirantunedemoiselleendétressed’unmauvaispas.
—Jecomprendsquevousayezpumecroireendanger, répliqua-t-elle,àprésentsur ladéfensive.Maisjevousassurequej’étaistoutàfaitconscientedecequisepassaitautourdemoi.
—Vraiment?—Toutàfait,répéta-t-elle.— Et quand entendiez-vous vous écarter de la trajectoire de ces chevaux qui fonçaient droit sur
vous?Elleouvrit labouche,puis la referma.Après avoir reculéd’unpas, ellepivotapour ramasser les
feuillesdepapieréparpilléesdansl’herbe.Elleétaitembarrassée,etNickregrettaaussitôtsaquestion.Ill’observa un instant avant de lui venir en aide, allant chercher les feuilles qui avaient volé plus loin.Subrepticement, il jetauncoupd’œilàcesécritsdont la lecture l’avait tantabsorbéeetconstataavecsurprise qu’il s’agissait de factures. Pourquoi une jeune femme avenante se préoccupait-elle deproblèmesfinanciers?
Revenu vers elle, il s’inclina en lui présentant les papiers.Quand elle fitmine de les prendre, ilrefermasesdoigtssurlessiensetseredressa.
— Mademoiselle, veuillez accepter mes excuses. Permettez-moi de me présenter : je suis lordNicholasSt.John.
Àcesmots,elleseraidit.Puisellescrutasonvisage,aupointqu’ilseretintderectifierlenœuddesacravate.
—Avez-vousdit«St.John»?demanda-t-elleendégageantsamain.Connaissait-elledoncsonnom?Aprèsunehésitation,ilrépondit:—Oui.—LordNicholasSt.John?Elleleconnaissaitbeletbien.Mauditegazette!—Oui,acquiesça-t-ildenouveau,nonsansappréhension.Elleenvoulaitàsapersonne,toutcommelesautres.Saufque,biensûr,lesautresfemmesn’avaient
pasmissavieendanger.Etellesn’étaientpasaussibelles.Ilsecoualatêtepourchassercettepensée.Belleoupas,cettefemmeétaitunevipère,etilregarda
par-dessussonépaule,enquêtedel’échappatoirelaplusimmédiate.—LordNicholasSt.John…Lespécialistedel’artantique?Nicholas ne put dissimuler sa surprise.Quelle question inattendue ! Il s’était préparé à entendre :
« Nicholas St. John, le frère du marquis de Ralston ? », ou encore : « Nicholas St. John, le lord àconquérir?»,oumême:«NicholasSt.John,lemeilleurpartideLondres?»
Mais être identifié comme l’expert en antiquités ? À croire qu’il avait trouvé la seule femmed’AngleterreànepaslirePearlsandPelisses!
—Enpersonne.Ellesemitalorsàrire,etsabeautés’accrutencore.Ilneputs’empêcherdeluisourire.—Jen’arrivepasàycroire,reprit-elle.Vousêtestrèsloindechezvous,monsieur…Jel’avoue,je
vous imaginais…différent, poursuivit-elle avec un nouveau rire.Nonpas que j’aie beaucouppensé àvous.Maisvousvoilàici,àDunscroft!Quellechanceextraordinaire!
—Jecrainsdenepasbiencomprendre,répliquaNick,interloqué.—Évidemment!Maisvousallezcomprendre!Qu’est-cequivousamèneàDunscroft?Ilouvritlabouche,maiselleneluilaissapasletempsdeplacerunmot.—Peuimporte.Cequicompte,c’estquevoussoyezlà!—Jevousdemandepardon?—Vousêtesunsigne.—Unsigne?—Oui,exactement.MaispaslesignequeLaracroyait.
—Ahnon?Nickenvenaitàsedemandersiellen’avaitpasreçuuncoupàlatêtelorsdeleurchute.—Non,confirma-t-elle.Vousêteslesignequejedoisvendrelesmarbres.—Lesmarbres…—LordNicholas,vousvoussentezbien?s’enquit-elleenl’observant,latêteinclinéesurlecôté.—Euh…oui.Jecrois.—Parcequevousrépétezdavantagemesparolesquevousnemerépondez.Êtes-vouscertaind’être
lordNicholasSt.John?L’archéologue?C’étaitl’unedesrareschosesdontilétaitcertainfaceàcettefemmedéconcertante.—Sûretcertain.—Ehbien,reprit-elleaprèsl’avoirobservéunlongmoment,j’espèrequevousferezl’affaire.—Jevousdemandepardon?—Veuillezm’excuser,maisvousnesemblezpasêtreleplus…vifdesérudits.—Mademoiselle,répliqua-t-il,pourlecoupoffensé,jevousassureque…sivousavezbesoind’un
archéologue,vousnepouviezpasmieuxtomber.—Inutiled’avoirl’airaussivexé.Cen’estpascommesij’avaisunepléthored’archéologuesentre
lesquelschoisir.Denouveau,elleluisouritet,denouveau,ilrestaébloui.Quidoncétaitcettefemme?Commesielleavaitludanssespensées,elledéclara:—JesuisladyIsabelTownsend.Etjedoisvousremercierdemefaciliterainsilatâche.—Jevousdemandepardon?répéta-t-il.Aulieuderépondre,ellesedétourna,examinantlesolautourd’eux,jusqu’aumomentoù,avecuncri
detriomphe,elleallaenboitillantramasserunréticuleplutôtélimé.SouslesyeuxdeNick,ellefouillaàl’intérieuretfinitparenextraireunpetitcarrédepapierqu’elleluitenditaussitôt.
—Qu’est-cequec’est?—C’estpourvous,secontenta-t-ellederépondre,commesicelatombaitsouslesens.—Pourmoi?— C’est-à-dire pour la Royal Society of Antiquities. Mais, ajouta-t-elle en souriant devant sa
perplexité,puisquevousêtesdéjàici…jepensequevousconviendreztrèsbien.
Cen’étaitpastouslesjoursqu’Isabelétaitcatapultéedanslesairssurlepassagedechevauxlancésau galop.Mais puisque cela lui avait permis de rencontrer l’un desmembres de la Royal Society ofAntiquities,elleacceptaitsansrechignerleshématomesqueluiavaitvalussachute.
Oui,lordNicholasSt.Johnétaitdéfinitivementunsigne.Nonseulementilétaitarchéologue,expertenhistoiredel’Antiquité,maisc’étaitunspécialistedes
statues grecques.Or, il se trouvait justement qu’elle avait une collection de statues enmarbre à faireévaluer.Etàvendre,aussivitequepossible.
Elleétouffalepincementdouloureuxqu’elleéprouvaitchaquefoisqu’elleypensait.C’étaitlaseulesolution.Elleavaitbesoind’argent,etvite.
Avecunsoupirdesoulagement,ellesefélicitadelatournurepriseparlesévénements.Sonpèreluiauraitlaissédixmillelivresqu’ellen’auraitpasétéplusheureuse.Enfin…si,peut-être.
Maislesstatuesavaientdelavaleur.Elleentireraitsuffisammentd’argentpourlouerunenouvellemaisonetmettrelesfillesensécurité.Avecunpeudechance,uneMinervaHousebisseraitprêteàlesaccueillird’iciàunesemaine.
Isabeln’auraitjamaiscruledireunjour,maiscettegazetteavaitétéundonduCiel.
Elleobserva lordNicholaspendantqu’il lisait la lettrequ’elleavait rédigée lematinmême.Quoid’étonnantàcequ’ilaitétédésignécomme«lelordàconquérir»?C’étaiteffectivementunremarquablespécimendevirilité.Grand,larged’épaules–Isabelétaitbienplacéepoursavoirque,soussaredingotedéchirée, il cachait un torse musclé qui n’avait que peu d’égal dans le Yorkshire, voire dans toutel’Angleterre.
Mais son atout principal n’était pas sa stature. C’était son visage, beau etmince. Ses lèvres, quiformaient à cet instant une ligne ferme, paraissaient promptes à sourire, et ses yeux étaient d’un bleuadmirable qui contrastait avec sa chevelure noire et sa peaubronzée. Jamais elle n’avait vu des yeuxaussibleus.Ilsétaientsiétonnantsqu’onenoubliaitpresquelabalafre.
Carilyavaitaussilabalafre.Longuedeplusieurspouces,elleprenaitnaissanceau-dessusdesonsourcildroitpourdescendreendiagonalesursapommette.Avecletemps,lacicatriceavaitforméunefineligneblanche.MaisIsabelpouvaitimaginerladouleurquecetteblessureavaitdûluiinfliger.Ellepassait dangereusementprèsducoinde l’œil, et lordSt. Johnavait eude la chancedenepasperdrecelui-ci.
Elleauraitdûêtreeffrayéeetvoirdanscettebalafreunavertissement,unsignequecethommeétaitinquiétant.Maisellen’éprouvaitpasdefrayeurenlaregardant–plutôtunecuriositédévorante.Oùavait-ilreçucetteblessure?Comment?Quand?
—LadyIsabel…Ellefuttiréedesasongerielorsqu’ilprononçasonnom.Depuiscombiendetempsattendait-ilqu’elle
réponde?—Monsieur?dit-elleens’efforçantdenepasrougir.—VousêteslafilleducomtedeReddich?—Jesuislasœurducomteactuel.—Jenesavaispasquevotrepèreétaitdécédé.Jevouspried’acceptermescondoléances.—Leconnaissiez-vous?s’enquitIsabelaveccirconspection.Ilsecoualatête.—Nousnefréquentionspaslesmêmescercles,jelecrains.—Non,jesuppose,répliqua-t-elleenrespirantpluslibrement.S’ilsaisitl’allusion,iln’enlaissarienparaître.—Dois-jecomprendrequevouspossédezunecollectiond’antiquités?reprit-il.—Iln’existepasdeplusbellecollection,répondit-elle,incapabledenepaslaissertransparaîtresa
fierté.Enfin,précisa-t-elleenrougissantquandilhaussaunsourcilnarquois,pasdeplusbellecollectionprivée.
—Jen’enaijamaisentenduparler,répliqua-t-ilavecunbrefsourire.—Elleappartenaitàmamère,sehâtadedireIsabel,commesicelaexpliquaittout.Jevousassure
qu’ellemériteledéplacementetquevousneregretterezpasvotretemps.—Danscecas,mademoiselle, j’acceptevotreoffred’y jeteruncoupd’œil. J’aiquelquechoseà
fairecetaprès-midi,maispeut-êtrepuis-jevenirdemain.—Demain?répétaIsabel,affolée.Ellenes’étaitpasattendueàaccueillirunexpertavantaumoinsunesemaine.Quiauraitpuimaginer
quel’und’entreeuxsepromenaitàDunscroft?Lamaisonn’étaitpasenétatd’accueillir lavisited’unhomme, surtoutd’unLondonien. Il faudrait
préparer les filles à son arrivée, qu’elles se conduisent de la manière la plus convenable et la plusdiscrètepossible.Vingt-quatreheures,celanelaissaitpasbeaucoupdetemps.
—Demain…reprit-elle,cherchantdésespérémentunmoyenderetardersavisite.
—Avecplaisir.Enfait,moncompagnonestallécherchernoschevaux.Suivantlavitesseàlaquellenousrégleronsnosaffaires,nouspourronspeut-êtremêmevenircetaprès-midi.
—Votrecompagnon?Elle suivit son regard, tourné vers l’auberge, et aperçut un homme gigantesque qui s’approchait,
tenant les rênesd’unchevalgrisetd’unautrenoir.Elleécarquilla lesyeuxdevant sa taille,bienplusimposanteencorequecelleduforgeronduvillage,cequin’étaitpaspeudire.
Illuifallaitimpérativementretourneràlamaisonafindemettrelesfillesengarde.—Monsieur…dit-elleenreportantsonregardsurSt.John,jesuiscertainequevousavezbienmieux
àfairecetaprès-midiquedevenirvoirmesstatues.Ilestévidentquevousaviezdesprojetsavantquejene…
—Avantquevousnemanquiezdenousfairetuer,termina-t-ilàsaplace.Ehbien,vousavezdelachance,nousn’avonsriend’autreàfaire.Nousaurionssansdoutepassél’après-midiàlarecherched’unpeudedistraction,maispuisquevousm’enavezdéjàamplementfournicematin,jeseraitrèsheureuxdevenirvoirvosstatues.
Percevantsansdoutesonappréhension,ilajouta:—Vousn’avezpaspeurdeM.Durukhan,n’est-cepas?C’estunagneau.—Certainementpas,répliquaIsabel,unpeutroprapidement.JenedoutepasqueM.Durukhansoit
unparfaitgentleman.—Danscecas,c’estdécidé.—Qu’est-cequiestdécidé?— Nous nous rendrons à Townsend Park cet après-midi – demain au plus tard. Franchement, je
répugneànepasvousraccompagner.J’aimeraisêtresûrqu’encasdedistractiondevotrepart,quelqu’unseralàpourvouséviterd’êtrepiétinéepardeschevauxemballés.
Quandellecompritqu’illataquinait,Isabelrougitdenouveau.—Vousexagérez,monsieur.Jen’auraispaseudeproblème.—Non,ladyIsabel,jen’exagèrepas,rétorqua-t-il,soudainplussérieux.Vousvousseriezfaittuer.—Neditespasdesottises.Ill’observa,lesyeuxplissés.—Jeconstatequevousn’êtespasdugenreconciliant…—Pasdutout!Jenesuispasmoinsconciliantequelaplupartdesfemmes.—J’apprécievotrehonnêteté.Néanmoins, laplupartdesfemmesm’auraientàprésentremerciéde
leuravoirsauvélavie.—Je…Isabelhésita.N’était-ilpasencoreentraindelataquiner?—Non,non,coupa-t-il,neditesrienpourlemoment.Ceseraitcommesijevousforçaisàexprimer
votregratitude.Oui,ledouten’étaitpluspermis,illataquinait.—Vouspourrezmeremercieruneautrefois,ajouta-t-ild’untonplusbasens’inclinantverselle.Isabeln’aimapaslepetitfrissonquiluichatouillal’estomac.Avantqu’elletrouvequelquechoseà
répondre,lordSt.Johnsetournaverssonamietsaisitlesrênesdugrandchevalgris.Puisilreportasonattentionsurelle.
—LadyIsabel,puis-jevousprésentermonamietcompagnon,RockDurukhan?Vudeprès,l’hommeparaissaitencoreplusgigantesque–ilétaitpresqueaussigrandquesonétalon
noir.QuandIsabelluiprésentasamain,ils’inclinaenunsalutparfait.—MonsieurDurukhan,c’estunplaisirdefairevotreconnaissance.
—Toutleplaisirestpourmoi,répondit-ilenl’observantaveccuriosité.Soussonregardsombre,Isabelsesentitobligéedes’expliquer.—LordNicholas…aeulabontédemepousser…horsdelatrajectoirede…dechevaux,dit-elle,
avecungestedelamainendirectiondutombereaudepuislongtempsdisparu.—Vraiment?Les deux hommes échangèrent un coup d’œil qu’elle ne sut comment interpréter. St. John changea
aussitôtdesujet.—Rock,ladyIsabelnousinviteàallervoirsacollectiond’antiquités.—Nousyallonstoutdesuite?Lecœurd’Isabels’emballaquandelleimaginacesdeuxhommesarrivantinopinémentsurleperron
deMinervaHouse.—Non!s’écria-t-elle.Comme les deux hommes, après un nouvel échange de regards, paraissaient perplexes, elle laissa
échapperunrirenerveux.—J’aibeaucoupdechosesàfaireenville.Etbeaucoupàfaireàlamaisonaussi.Lacollectionn’est
pasprêteàêtremontrée.Aprèstout,lordSt.John,jenem’attendaispasàvoustrouverici.Vousêtesunsigne,vousvoussouvenez?
Isabels’adjuraalorsdesetaire.Elleallaitdécidémentpasserpourunenigaude!—Etvousn’êtespasprêteàrecevoirunsigne,répliquaSt.Johnavecunlégersourire.—Exactement!Je…jesuiscertainequevouscomprenez.—Certes.Vousavezbeaucoupàfaire…—C’estcelamême.Isabeltapotasescheveuxd’unemainfébrile,avantdechercherdesyeuxsonchapeau.Ilavaitrouléà
quelques pas lors de leur collision. Elle s’en approcha à grandes enjambées – dans lamesure où sachevilleendolorieleluipermettait.Quandellerevintverslesdeuxhommes,ilsavaienttoujourslesyeuxfixéssurelleet,siellen’avaitétéaussiembarrassée,elleseseraitamuséedeleurminedubitative.
—Ainsi,voyez-vous,lordNicholas,jenepeuxpasvousmontrermacollectionmaintenant…Maisdemainconviendrait…Dansl’après-midi?Vers15heures?
—Demain,donc,répondit-ileninclinantlatêteenguised’assentiment.—Demainaprès-midi,insista-t-elle.—Trèsbien.—Je…jeseraiheureusedevotrevisite.Avecunsouriretropéclatantetunhochementdetêtetropempressé,Isabeltournalestalonsetquitta
enhâtelesdeuxhommes.Aprèsunlongmoment,RocksetournaversNick,quilasuivaittoujoursdesyeux.—Nousn’allonspasattendredemain,n’est-cepas?—Non.—Ellecachequelquechose.—Etpastrèsbien,renchéritNickaprèsavoiropiné.LadyIsabels’éloignaenboitillantlégèrement,puiss’engouffradansunpetitbâtiment.—Ilyadesannéesquejenel’avaispasvu…—Vuquoi?demandaNick.—Levisagedubulan.Denouveau,unmoments’écoula.CefutNick,cettefois,quis’adressaàRock.—Jetepariequenousl’avonsretrouvée.
—Cen’estpasunpariquejerelèverai.
4
Quelquesheuresplustard,NicketRocksetenaientdanslalargealléecirculairedeTownsendPark.LademeurecampagnardeducomtedeReddichétaitunebâtisseimposante,hautededeuxétages,avecdegrandesfenêtrescintrées,etunefaçadequiprouvaitquelecomtéavaitconnudesjoursmeilleurs.
IlrégnaitdansleslieuxuncalmeetunsilencequeNicktrouvaétonnants.C’étaitsoitlatranquillitéd’unmanoir assoupi, soit le signedequelquechosed’infinimentplus intéressant.Étantdonnécequ’ilavaitvudelamaîtressedeTownsendPark,Nickoptaitpourlasecondehypothèse.S’ilnese trompaitpas,ilétaitsurlepointdetrouverlesdeuxfemmesqu’ilcherchait.
Danslamesure,biensûr,oùilparvenaitàpénétrerdanslamaison.IlyavaitdéjàplusieursminutesqueRocket luiattendaientaupiedduperron,lesrênesàlamain,
qu’ungarçond’écurieouunvaletdepiedseprésentepourlesaccueillir.Maispersonnenesemontrait.—Tuterendscompte,jesuppose,quenousavonsl’airdedeuxidiots,déclaraRock,ironique.—Nousnepouvonspasavoirl’airidiotsiaucuntémoinn’estlàpourleremarquer.LadyIsabelne
voulaitpasdenousaujourd’hui.Ellen’adoncpasavertisonpersonnel.Rockplongeasonregarddanslesien.—Jevoisquetapropensionàvolerausecoursdejeunespersonnestoutàfaitcapablesdeprendre
soind’ellesresteintacte.Dédaignantderépondre,Nickluijetalesrênesdesonchevaletcommençaàgravirlesmarchesdu
perrondeuxàdeux.—Qu’as-tul’intentiondefaire?s’enquitRock,incapablederéprimersacuriosité.Nicktournaledosàlagrandeportedechênepourluiadresserunsourireironique.—Ehbien,cequetoutgentlemanferaitdanscettesituation:frapper.Rockcroisalesbras.—Voilàquiprometd’êtredivertissant,àdéfautd’autrechose.Nicksoulevalelourdheurtoir,quiretombaavecunéchométalliquesinistre.Alorsqu’iltentaitdese
rappelerladernièrefoisqu’ilavaitutiliséunheurtoir,laportes’ouvrit.Durantunefractiondeseconde,il crut qu’elle s’était ouverte toute seule, jusqu’au moment où, baissant la tête, il découvrit un jeunegarçonauxyeuxbrunsfamiliers.Lecontourdesaboucheétaitmaculédecequiressemblaitbeaucoupàdelaconfituredefraises.
Nickignoraitcommentsecomporterendetellescirconstances;cependant,l’enfantneluilaissapasletempsdedirequoiquecesoit.
Lepanneaudeboisserefermaaussivitequ’ils’étaitouvert.—Yaunhommeàlaporte!
Cehurlement fut assez puissant pour traverser l’épaisseur du chêne, etNick, interloqué, se tournaversRock,commepouravoirconfirmationdecequivenaitdesepasser.
Lagrandecarcassedesonamiétaitsecouéeparlerire.—Jevoisquejepeuxcomptersurtonaide…Aprèsundernierhoquet,Rocklevalamainensignedesolidarité.—Jet’assurequ’unefoisquetuauraspercélesdéfensesduchâteau,jemeprécipiteraipourjoindre
mesforcesauxtiennes.Nickpivotadenouveauverslaporte.Aprèsunmomentderéflexion,ilcollasonoreilleaupanneau,
commes’ilpouvaitentendrecequisepassaitdel’autrecôté,cequiprovoquaunnouvelaccèsderirechez Rock. Levant la main, Nick lui intima le silence, car il était presque certain d’entendre deschuchotementsprécipitésàl’intérieur.
Alorsqu’ilseredressait,décidéàfrapperdenouveau,unevoixrésonnaderrièrelui.—Messieurs?Unjeunehommegrandet trèsmince,vêtudeculottesdelaine,d’unechemiseblancheetd’ungilet
vertplutôtcrasseux,venaitdetournerlecoindelamaison.Ilétaitcoifféd’unecasquettetiréebassursonfront et, l’espace d’un instant, Nick se demanda pourquoi ce domestique ne se découvrait pas.Mais,aprèstout,danscedomaine,l’incongruitésemblaitlarègle.
—Noussommesiciàl’invitationdeladyIsabel.Lejeunehomme,àprésentaupieddesmarches,s’arrêta.—N’étiez-vouspascensésvenirdemain?Refusantdeprêterattentionàsonattitudeinsolente–luiétait-ildéjàarrivéd’êtrequestionnéparun
domestique?–,Nickrépliqua:—Noussommeslàmaintenant.—Vousnelatrouverezpasàl’intérieur.—Ellen’estpaschezelle?—Elleestchezelle…maispasàl’intérieur.—Jeunehomme,jen’aipasenviedejouer,déclaraNick,quisentaitl’énervementlegagner.Votre
maîtresseest-ellelàoupas?Lesourirequeluiadressaledomestiqueétaitsilargequ’ilsemblaitimpudent.—Elleestlà,maispasdedans.Dehors.Ouplutôt,enhaut,dit-ilendésignantleciel.Elleestsurle
toit.—Elleestsurletoit?répétaNick,persuadéd’avoirmalentendu.—Exactement.Faut-ilquejel’appelle?Laquestionétaitsiétrangequ’ilfallutquelquessecondesàNickpourréagir.MaispasàRockqui,
avecunsourirejusqu’auxoreilles,intervint:—Oui,s’ilvousplaît.Nousaimerionsbeaucoupquevousl’appeliez.Aprèsavoirreculédel’autrecôtédel’allée,legarçonmitsesmainsautourdesabouche.—LadyIsabel!Vousavezdelavisite!Aprèsavoir redescendu lesmarchesduperron,Nicks’écartaà son tourde lamaison.Rocken fit
autant,accompagnédeschevaux.Nick leva lesyeuxvers le toit sanssavoiràquoi s’attendre.Comment imaginerque lademoiselle
qu’ilavaitrencontréeunpeuplustôtpûtavoiruneraisondesetrouversurletoitdelademeurefamiliale,deuxétagesau-dessusdusol?
Toutenhaut,unetêteapparut.Apparemment,ladyIsabelétaitbeletbiensurletoit.
Bontédivine,cettefemmecherchaitdoncàmourir?—Vousn’étiezpascensésveniravantdemain,lança-t-elledepuissonperchoir.Jenereçoispas.Rockricanadoucement.—Ondiraitquetuasfinipartombersurunefemmequinetetrouvepassiirrésistiblequeça…Aprèsl’avoirfoudroyéduregard,Nickcriaversleciel:— Je crois, lady Isabel, que c’est une bonne chose que je sois venu aujourd’hui. Selon toute
vraisemblance,vousallezdenouveauavoirbesoinqu’onseporteàvotresecours.Lesourirequ’elleluiadressaétaitangélique–etd’unefaussetétotale.— J’ai survécu vingt-quatre ans sans garde du corps, monsieur. Je n’ai pas l’intention d’en
embaucherunaujourd’hui.Nick fut saisi de l’envie brutale de faire redescendre cette femme exaspérante et de lui montrer
précisémentenquoielleavaitbesoind’ungardeducorps.Àpeinecetteidéel’avait-elleeffleuréqu’ellefut remplacée par la vision de cette femme douce et belle entre ses bras, entièrement à sa merci. Ils’autorisamêmeàl’imaginersensuelle,nueetsoumiseàsesdésirs.
Maisilrepoussacetteimage:rien,danscettefemme,nepouvaitexcitersesdésirs.— Vu que vous avez failli être piétinée ce matin, répliqua-t-il, et que maintenant, vous êtes
dangereusementprèsdetomberdecetoit,vousnem’envoudrezpasdenepaspartagervotreconviction.—Jen’étaisabsolumentpasprèsdubordavantvotrearrivée,lordNicholas.Sijetombais,ceserait
votrefaute.Sur ce, elle disparut, et le domestique pouffa de rire. Le regard hautain que lui adressa Nick ne
semblapasl’intimiderlemoinsdumonde.Rockritàsontour,toutenjetantaujeunehommelesrênesdeschevaux.—Autantquevouslesemmeniez.Jecroisquenoussommeslàpourunmoment.Maisledomestiqueétaittropfascinéparlascènequisedéroulaitpourbouger.—Cettefemmeferaitperdrepatienceàunsaint!grondaNick.Aurait-elleoubliéquec’estellequi
m’ainvitédanscettefichuemaison?Latêtedelafemmeenquestionréapparutauborddutoit.—Vousferiezbiendevoussouvenirquelesonmonte,monsieur.Surveillezvotrelangage,s’ilvous
plaît.—Toutesmesexcuses,rétorquaNickavecunsalutexagéré.Jen’aipasl’habitudedeconverseravec
unedameperchéesuruntoit.Lesrèglesdel’étiquettedanscescirconstancesm’échappent.—Mêmeàdeuxétagesau-dessusdevous,jepeuxpercevoirlesarcasmedansvotreton.—Daignerez-vousnousdirepourquoivousvoustrouvezsurletoit?—J’apprends,répondit-ellesurletondel’évidence.—Vousapprenezàfrôlerlamortdenouveau?—Combiendefoisfaudra-t-ilquejevousrépètequejen’aipasfrôlélamort?—Mevoilàcorrigé.Unefoisdeplus.Qu’apprenez-vous?—Lesbasesdelaréparationdestoits.C’estfascinant,vraiment.Le sourirequ’elle esquissa était, cette fois,parfaitement sincère, etNickeneutpresque le souffle
coupé.—Jevousdemandepardon,finit-ilpardire.Vousvoulezdirequevousréparezletoit?—Ehbien,ilnevapasseréparertoutseul,jepense.Adorableoupas,elleétaitfolle.Iln’yavaitpasd’autreexplication.CommeilsetournaitversRock,quisouriaitcommeunimbécile,celui-cidéclara:—Ellen’apastort,Nick.
Safolieétait-ellecontagieuse?—LadyIsabel,jedoisinsisterpourquevousdescendiez.Ellel’observaunlongmoment,commesiellesoupesaitseschancesdelevoirquitterledomainesi
ellerestaitsurletoit.—J’aimeraisbeaucoupvoirvosmarbres,poursuivit-il,etjeseraisheureuxdelesévaluer.Pourriez-
vousconsidérermonoffrecommesuffisammentgénéreusepourl’accepter?ElleregardatouràtourRocketlegarçond’écurie,avantdepousserunénormesoupir.—Trèsbien.Jedescends.Nickneparvintpasàjugulerlavaguedetriomphequidéferlaenluiàcesmots.Grâceàlui,cepetit
coind’Angleterreavaitrecouvréunsemblantdenormalité.Maispourcombiendetemps?
—Lara!Lepantaloncouvertdepoussière,unemèchedecheveuxluibarrantlevisage,Isabelseglissaparla
lucarne. Après s’être débarrassée du manuel qu’elle avait utilisé, elle se précipita vers l’échelle demeunierquireliaitlegrenieràl’étagedesdomestiques,Janesursestalons.
—Jane,tudois…—Toutseraprêtletempsquevous-mêmelesoyez,coupalamajordometandisqu’elless’élançaient
danslelongcouloirsombremenantàl’escalierprincipal.Surlepalier,ellesfurentrejointesparLara,horsd’haleine.PendantqueJanedégringolaitl’escalier,
Isabel se dirigea en courant vers sa chambre, où elle ouvrit à la volée les portes du placard pourdécrocherunerobe.
—J’avaisditàcethommeexaspérantdenepasveniravantdemain!s’écria-t-elle, latêtedansleplacard,ensupposantqueLaral’avaitsuivie.
—Apparemment,iln’apasécouté.—Non!Iln’apasécouté!As-tuvusonairoffensé?Commesijen’avaisriend’autreàfairequede
labroderieenattendantsonarrivée!Ellesortitunerobejaunequ’elleavaittoujourstrouvéeseyante.Nonqu’ellesepréoccupât,biensûr,
d’offriruneapparenceflatteuseàlordNicholas…—Jenel’aipasvu,répliquaLara,quiajouta:Tuesendeuil,Isabel.Toutengrommelant,Isabelenfonçadenouveaulatêtedanssonarmoire.—Cen’estpasl’enviededescendrecommejesuisquimemanque!Ceseraitbienfaitpourlui–et
poursadélicatessedegentleman!Évidemment,ceneseraitpaspossiblepuisquejesuisendeuil,ajouta-t-elleenarrachantdesoncintreunerobedepromenadegrise.Commetuprendsunmalinplaisiràmelerappeler.
—Tu as raison, acquiesçaLara avecun sourire narquois.Si tu descendais enpantalon, ce serait,effectivement,cenon-respectdesrèglesdudeuilquichoqueraitlordNicholas.
—Tun’espasdrôle,rétorquaIsabelenagitantunindexsalesouslenezdesacousine.—Jesuisplusdrôlequetun’espropre,ripostacelle-ci.S’approchantdelatabledetoilette,elleversadel’eaudanslacuvette.—Tudevraisrenvoyercethomme.Noustrouveronsunautremoyend’avoirdel’argent.—Non.C’esttoiquiascommencéaveccettehistoiredesigne,etildoitêtrelesigneleplusflagrant
quej’aiejamaiseu.Jevaisvendrelesstatues.Aprèsavoirjetélarobesurlelit,Isabelsepenchaau-dessusdelacuvette.
Dire que lord Nicholas St. John était leur seul espoir et qu’il l’avait trouvée sur le toit ! Lesdemoisellescommeilfautnesepromenaientpassurlestoitsdesmaisons.Et,biensûr,lesgentlemennefréquentaientpaslesmaisonssurlestoitsdesquelsgambadaientdesjeunesfemmes.
—Ceseraunmiracles’iln’apasdécouverttousnossecrets,àl’heurequ’ilest.Kateétaitdehors,entraindeleurfaire laconversation.Jesuissûrequeluietsonamilegéantsesontdéjàaperçusqu’ellen’étaitpas…
—Nedispasdebêtises,répliquaLaraquandIsabelplongeasonvisagedanslacuvette.Situm’asapprisunechose,durantcesdernièresannées,c’estquelesgensnevoientquecequ’ilsveulentvoir.Leplusimportant,c’estquelordNicholasvoieunedamecommeilfautentoi–cequin’estpasgagné,pourlemoment.
—Commentleconvaincrederester?demandaIsabeleninterrompantsesablutions.—Peut-êtrequ’iln’estpasexcluqu’iltetrouvefascinante…Isabelobservasacousine,levisagedégoulinant.—Iln’estpasdutoutexclu,tuveuxdire,qu’ilmetrouvetoquée.—Ceseraitjustifié,c’estvrai.—Lara!Tuescenséemerassurer,paslecontraire.Isabelsaisituneserviettedelinetcommençaàs’essuyerlafigure.Maiselleinterrompitsoudainson
geste.—Lesfilles…Leurlivrée…—Janes’occupedetout,déclaraLaraqui,saisissantlarobe,lajetapar-dessuslatêted’Isabel.Tu
n’aspasletempsdemettreuncorset.Aprèsluiavoirtournéledospourluipermettred’attachersoncorsage,Isabelrelevasajupepourse
débarrasserde sonpantalon.Puis elle traversa la chambre, entraînant sa cousine avec elle, pour allers’asseoiràsacoiffeuse.Àgrandscoupsdebrosse,elle tentadedisciplinersesboucles,maisLaraluipritlabrossedesmains.
—Tuasbesoind’unefemmedechambre.—Non.J’auraistrèsbienpum’habillersanstonaide.Ç’auraitétémoinsrapide,c’esttout.—C’estprécisément laraisonpour laquelle tuasbesoind’unefemmedechambre.Tuaspleinde
fillesàtadisposition.Pourquoinepasenchoisirunepours’occuperdetoi?Isabelsuivaitlesgestesdesacousinedanslemiroir.—Pasdecoiffurecompliquée,luirecommanda-t-elle,nousn’avonspasletemps…Pourrépondreà
ta question, ce n’est pas possible. Les filles participent au fonctionnement de lamaison. Elles font lacuisine,leménage;elless’occupentdeJames.Ellessententqu’ellesfontpartiedequelquechosedeplusvaste… d’une communauté. Un sentiment que la plupart d’entre elles n’ont pas connu avantMinervaHouse.Sil’uned’entreellesdevaitdevenirmafemmedechambre…Ehbien,çanesembleraitpasjuste.
—C’esttoutàfaitridicule.Tuesfilledecomte.Personnenetereprocheraitd’avoirunedomestiqueoudeux.
—J’aidesdomestiques. Jen’aipasde femmedechambre,c’est tout.Et jen’enaipasbesoin.Àquand remonte la dernière fois où j’ai dû me dépêcher de me préparer pour recevoir un séduisantgentleman?
—Parcequ’ilestséduisant?—Non,pasdu tout,mentit Isabel.Et c’estunhommequi, apparemment,n’a aucuneconsidération
pour les dates et les invitations !Ça ira, ajouta-t-elle quandLara enfonça une épingle supplémentairedanssonchignon.Jenepeuxpasm’attarderpluslongtemps.
Elleserelevaetsetournaverssacousinetoutenlissantsajupeduplatdelamain.
—Commentsuis-je?—Assezconvenable.Tun’aspasdutoutl’aird’unedamequiréparaitletoitilyaquelquesinstants.Isabelprituneprofondeinspiration.—Trèsbien.—Tun’espasobligéedelefaire,tusais.—Queveux-tudire?— Tu n’es pas obligée de vendre les marbres, précisa Lara avec un petit soupir. Nous pouvons
trouverunautremoyen.—Nousn’avonspasbesoindecesstatues,répliquaIsabelendétournantlesyeux.Ellesneserventà
rienici.—Ellesneservirontàriennullepart.Maisellest’appartiennent.Refusantdes’appesantirsursadécision,Isabels’obligeaàsourire.—C’estnotredernierespoir.LedernierespoirdeMinervaHouse.Parconséquent,jelesvends.Ellecarralesépaulesetquittalachambre.Surlepalier,James,JaneetGwenl’attendaient.—Isabel!s’exclamaJamesens’élançantverselle.Ilyavaitunhommeàlaporte!— Oui, c’est ce que j’ai vu, dit-elle, sans pouvoir s’empêcher de sourire devant la surprise
qu’exprimaitlevisagedesonpetitfrère.—Ilesttrèsgrand!LaremarquedeJamesluiserralecœur.RaresétaientleshommesàseprésenteràMinervaHouse.
Lepetitgarçonavaitdûdévorerdesyeuxcevisiteurinattendu.—Oui, c’estunhomme trèsgrand,confirma-t-elleenébouriffant sescheveuxblonds.D’une taille
peucommune.Commesonami.Jamesenrestauninstantbouchebée,demêmequeGwen.—Parcequ’ilyenadeux?s’exclama-t-il.Qu’est-cequ’ilsfontici?—C’estmoiquilesaiinvités,réponditIsabeltoutensedirigeantversl’escalier.—Pourquoi?—L’und’euxs’yconnaîttrèsbienenstatuesgrecques.J’aipenséqu’ilpourraitnousêtreutile.—Ahoui!ditJames,alorsqu’Isabeldoutaitqu’ilaitcomprisquoiquecesoit.Alors,ilsnesontpas
làpourt’emmener?Isabels’arrêta.LordNicholaspouvaitattendreuneminutedeplus.—Sapristi,non!Personnenevam’emmenernullepart.—Tun’aspasbesoinquej’intervienne?demanda-t-ilavecunsérieuxquilafitsouriresouscape.—Non.Jenerisquerien.—Etlesautres?—Personnen’estendangeraujourd’hui,monpetitchat,assuraIsabel.—Maisnoussommes toutes trèscontentesdevousavoirpournousprotéger,déclaraGwenen lui
souriant.Vousêtesunexcellentprotecteur.—Oui,nousavonsdelachancedevivreavecvous,monsieur,confirmaJane.Jamesserengorgea,l’airsifierqu’Isabelfaillitsemettreàrire.Maislaperspectivederencontrer
sonvisiteurcoupanetsonenvie.—Jedoisyaller,maintenant,etconvaincrel’hommequiétaitàlaporteque,malgrélesapparences,
cettemaisonn’estpasunasiled’aliénés.—Louableentreprise,acquiesçaLara.—Oui,jelepenseaussi.Aumomentdedescendrelapremièremarche,Isabels’arrêtaetseretournaverslegroupe.
—Georgiana…Oùest-elle?—Danslabibliothèque.Onnelaverrapas,réponditJane.—Trèsbien.—Maislevisiteur?intervintalorsGwen.Est-cequequelqu’unl’afaitentrer?Jeveuxdire,après
queJamesluiaclaquélaporteaunez?Isabelpâlit.—Ohnon…murmura-t-elleavantdelesdévisagertouràtour.Ohnon!Ellecommençaàdévalerl’escaliersanssesoucierdesachevilledouloureuse.Lapetitetroupelui
emboîtalepas.Seigneur,ilallaitêtrefou!Dumoins,s’ilétaitencorelà…Maisillefallait.C’étaitsonseulespoir.—Elleaditqu’ilétaitséduisant,entendit-elleLarachuchotertrèsfort.—Pasdutout!—C’estvrai?demandaJane.—Jefaisaisallusionauxhommesséduisantsausenslepluslarge,affirmaIsabel.—C’estplausible,rétorquaJane,ironique,vuleslégionsd’hommesséduisantsquiseprésententtous
lesjoursici,aumilieudenullepart.Laraéclataderire.Isabelenvisageauninstantdelespoussertouteslesdeuxdansl’escalier.—Dommagequetoutespoirdetirerpartidelaleçonnumérounsoitperdu,déploraGwen.Isabel,quivenaitdeposerlepieddanslevestibule,seretourna.—Queveux-tudire?—Rien de spécial. Simplement que, dans le dernier numéro de Pearls and Pelisses, il y a des
conseilspourcettesituationprécise…Janereniflaavecincrédulité.—Tais-toi,Gwen,ditIsabel.Jen’aipasdetempspourça.—Maisilsdisent…—Non.Jedoistrouverunmoyenderéparerlesdégâtsquej’aifaitsetobtenirdelordNicholasqu’il
jetteuncoupd’œilàcesstatues.Isabelpivotaverslaported’entrée,etRegina,l’undesesvaletsdepied,posalamainsurlapoignée.—Ilest toujours là? s’enquit-elleaprèsavoirprisuneprofonde inspiration.Vas-y,ouvre…Non,
attends!EllesetournaalorsversGwen.—J’airéfléchi.N’importequelleaideestlabienvenue,aupointoùj’ensuis…Queditcetteleçon
ridicule?Demémoire,Gwenrécita:—«Leçonnuméroun:Netentezpasdeproduired’embléeunetropforteimpression.»IsabelrevitenespritsapremièrerencontreaveclordNicholas,puisladeuxième.—Bon…Pourlaleçonnuméroun,c’estbeletbienraté.Puis,commeReginaentrouvraitlaporte,ellechassatoutlemonded’ungestedelamain.—Cachez-vous!
5
Ladernière foisqu’unefemmel’avait faitattendre,Nicks’était retrouvédansuneprison turque. Ildoutait que leYorkshire lui réserve un sort similaire ; néanmoins, il aurait préféré ne pas être obligéd’attendreunefolle,siadorablefût-elle.
Legarçond’écuriedégingandéavaitdisparuavecleschevaux.NicketRockseretrouvaientlivrésàeux-mêmes, sur le seuil du manoir, depuis plus longtemps qu’il n’était admissible. Certes, Nick necultivait plus la moindre illusion sur le respect des convenances à Townsend Park. Apparemment,pendant que le comtemultipliait les scandales à Londres, sa famille avait été laissée en jachère à lacampagne.
À la longue, renonçant à toute bonnemanière,Nick etRock s’étaient tout bonnement assis sur lesmarchesdepierre.
Nickfulminaitalorsqu’aucontraire,Rockdevenaitdeplusenplusguilleret.—JerévisemonjugementsurleYorkshire,déclara-t-ilens’adossantaumur,unbrind’herbeentre
lesdoigts.Leschosesontplutôtbientourné,non?—Tuaimeraispeut-êtrevivreici?Danscecoinperdupleind’originaux?rétorquaNick,d’unton
grincheuxquifitriresoncompagnon.—Malheureusement,leYorkshiresemblet’avoirprivédetabonnehumeur.— Il faut dire qu’être assis dehors pendant un demi-siècle à attendre une femme qui, très
probablement, a rêvéqu’elle possédait une fantastique collectiondemarbres, ça n’aidepas. J’ai bienenviedepartir.
—Jetepariecinqlivresquelacollectionexiste.—Tupeuxallerjusqu’àdix.—Dixlivresquenousrestonsicipourfairel’inventaire.C’estalorsquelaportes’ouvrit,livrantpassageàuneladyIsabelauvisageunpeurouge.Hormisce
détail,elleportaitunestricterobedemousselinegrise,sescheveuxétaientparfaitementlissésenarrière,etdetoutesapersonnesedégageaientuncalmeetunedistinctiondignesdesonrang.
Dèsqu’il leva lesyeuxverselle,Nick fut frappéparsasilhouettesoupleetélancée.Cette femmeétaitd’unebeautésiétonnantequ’ilenoubliapresquesonséjourprolongésurlesmarchesdepierre.
Ilsereleva,imitéparRock,tandisqu’unjeunevaletdepiedenlivréeouvraitplusgrandlaporte.—Messieurs,dit ladyIsabelavecunsourireaccueillant,veuillezmepardonnerdevousavoirfait
attendre.Elles’exprimaitavecaisance,etrien,danssontonpasplusquedanssonattitude,netrahissaitlefait
que,lorsdeleurprécédenteconversation,elleétaitperchéesuruntoit.
Nicknevitpastracedupetitgarçon.Enrevanche,aupieddugrandescalierquipartaitduvestibule,setenaitunefemmeégalementendeuil.Blonde,svelte,elleavaitunsourireserein,maisellegardaitlesyeuxbaissés.ElleneressemblaitpasàladyIsabel,maispeut-êtreétait-cesasœur,néanmoins…
— Lara, dit justement la maîtresse des lieux, puis-je te présenter lord Nicholas St. John etM.Durukhan?LordNicholas,monsieurDurukhan,voicimacousine,MlleLaraCaldwell.
Nicks’inclinadevantlajeunefemme,puisRocks’avança.Devantcegéant,MlleCaldwellécarquillalesyeux.Mais,avecunsourirechaleureux,Rockpritsamaindanslasienne.
—MademoiselleCaldwell,c’estunplaisirdefairevotreconnaissance.Illaissasonregards’attardersurlevisagedeLara,tandisqueNickreportaitsonattentionsurIsabel.—Oùestlepetitgarçon?—Pardon?—Lejeunegarçon.Celuiquiaréponduquandj’aifrappé.—VousvoulezparlerdeJames…monjeunefrère.Lecomte…lordReddich.Jedevraiscommencer
àl’appelerainsi,jesuppose,balbutia-t-elleenrougissantdeplusenplus.Ilest…avecsagouvernante.De nouveau, je vous présentemes excuses pour lamanière peu orthodoxe dont vous avez été traités.Voyez-vous,lamaisonn’attendaitpasd’invités–ilenvientrarement–,etJamesaétésurpris…
NickcroisaleregarddeRock.Ilétaitmanifeste,vulesexplicationsembarrasséesdeladyIsabel,queleurprésencedanslamaisonlagênait.
—…etplusieursdomestiquesontleuraprès-midi,et…ilssontsortis,acheva-t-elleprécipitamment.—Pendantquevous,vousapprenezàréparerlestoits?—Précisément,dit-elleavecunsourirecirconspect.Unefoisdeplus,ilfutsurprisparl’éclatqueluidonnaitsonsourire.Mais,quandilluiadressaun
sourireenretour,lesiens’évanouitaussivitequ’ilétaitapparu.—Puis-jevousmontrerlacollection,monsieur?suggéra-t-elle.Jenevoudraispasvousretenirici
troplongtemps.VousavezsansdouteprévudequitterleYorkshiretrèsbientôt…—Pasdutout,réponditNick.Àvraidire,Rockmefaisaitjustementremarqueràquelpointlarégion
étaitagréable.Ilsepeutquenousrestionsunmoment.Nousavonsdonctoutnotretemps,cetaprès-midi.—Oh…Sondésappointementétaitflagrant.Pourquoinevoulait-ellepasqu’ils’attarde?Voilàquidevenait
deplusenplusdéroutant…Ducoindel’œil,ilremarquaalorsuneporteàpeineentrouverte,gardéepardeuxvaletsdepieden
livrée,l’ungrandetmince,l’autrepetitetrond.Unregardplusappuyédansl’entrebâillementluipermitdedécouvrir,àunpeuplusd’unmètredusol,unpetitvisageauxyeuxécarquillésrivéssurlui.C’étaitlejeunegarçon.
Incapablede s’enempêcher,Nick luiadressaunclind’œilet fut récompenséparuneexclamationassourdie.Brusquementtiréenarrière,legamindisparutavecuncrideprotestation,etlaporteclaqua.
Sansparaîtreavoirremarquél’incident,ladyIsabelpivotapourlesentraînerversl’escalier.—Sivousvoulezbienmesuivre…Jeseraiheureusedevousmontrerlesstatues.Tousquatregrimpèrentlesmarchesensilence.Bienquedotéed’unemajestéincontestable,lamaison
n’avait pas dû être rafraîchie depuis au moins une dizaine d’années. L’éclairage était chiche, aucundomestiquenevaquaitàl’étage,etpresquetouteslesportesétaientfermées,signequelespiècesqu’ellesdesservaientétaientrarementutilisées.
Alorsqu’ilssuivaientlajeunefemmedansunlongcorridor,Nickdemanda:—LadyIsabel,pourquoiétiez-vousentrainderéparerletoit?
Commeellemarchaitdevant lui,elle tournalégèrement la tête.Maiselleneréponditàsaquestionqu’aprèsuninstant.
—Ilfuit.Cettefemmeétaitdécidémentinsupportable!Nickattenditqu’elledonnedesdétails…envain.—Jesupposequec’estlaraisonlapluscourantequiobligeàrépareruntoit,finit-ilpardire.Àcôtédelui,Rockémituneespècederireétranglé,auquelNickrefusadeprêterattention.Alorsqu’ilsatteignaientl’extrémitédelamaison,uneodeurderenferméfamilière,pasdéplaisante,
vint luichatouiller lesnarines.Elleétait associéedepuis longtemps,dans sonesprit, à sesplusbellesdécouvertes.
Lorsque,auboutducouloir,ladyIsabelouvrituneporteetleurfitsigned’entrer,Nickfutsurprisparla lumière dorée qui éclaboussait la pièce. Celle-ci était vaste, parfaitement symétrique, avec unalignement de hautes fenêtres par lesquelles le soleil entrait à flots, éclairant des dizaines de statues,toutesdetaillesetdeformesdifférentes,etcouvertesdedrapspoussiéreux.
Àcettevue,unevagued’excitationleparcourut.Lesdoigtsledémangeaientd’arracherceslinceulspourdécouvrirlestrésorsqu’ilsdissimulaient.
—Vousn’exagériezpas,reconnut-ilensetournantversladyIsabel.Elleesquissaunsourireet,quandelleluirépondit,cefutavecunefiertémanifeste.— Il y a une autre salle, identique à celle-ci, de l’autre côté du couloir. Vous voudrez la voir
également,jepense.Nicknecherchapasàdissimulersasurprise.— Peut-être queMlle Caldwell pourraitmontrer cette salle à Rock pendant que vousm’en dites
davantagesurcesstatues…Aprèsuninstantd’hésitation,Isabeladressaunsignedetêteàsacousine,etcelle-cisortitavecRock,
laissant la porte grande ouverte. Puis Isabel s’approcha de la statue la plus proche et, sous les yeuxavidesdeNick,tirasurledrap,révélantungrandnuenmarbre.
Ils’approchadelastatue,l’observapendantunlongmoment,puissuivitdelamainlacourbedesonbras.
—Elleeststupéfiante,murmura-t-ilavecrévérence.—Oui,n’est-cepas?ditIsabelqui,latêteinclinéesurlecôté,contemplaitlenu.LetondesavoixtiraNickdesonextase.Ilremarquaalorssonexpression,entreregretettristesse.—Plusimportantencore,dit-il,elleestréelle.—Vousendoutiez?demanda-t-elleensetournantbrusquementverslui.—Cen’estpastouslesjoursquejetombesurunefemmequipeutsevanterd’avoirunecollectionde
marbrescommecelle-ci.Jepeux?ajouta-t-ilendésignantlastatuesuivante.Quandelleeutopiné,Nicktirasurledrap.Cettefois,cefutunguerrierquiapparut,unelanceàla
main,prêtàfrapper.Ilsecoualatête.—Peut-êtremêmequecelan’arrivequ’unefoisdansunevie,ajouta-t-il.Etpasdanstouteslesvies.Ellesourittoutendévoilantunchérubin.—Jesuisheureusequenotrerencontreaiteupourrésultatdevousprocurerunetelleexcitation.—Même sans une collection aussi prodigieuse, lady Isabel, répliqua-t-il en plongeant son regard
danslesien,ilmeseraitdifficiled’oublierunetellerencontre.Unevaguedeplaisirleparcourutlorsqu’illavitrougir.—Jesupposequejedoisreconnaîtremadéfaite,monsieur.Vousm’avezbeletbiensauvélavie.Et
jen’aimalheureusementpasdemoyendevousprouvermagratitude.
NickfitcourirsesdoigtssurunbustedeDionysos,d’unefinesseexquise,s’attardantsur ledessincompliquédesfeuillesdevignequiceignaientlatêtedelastatue.
—Medonneraccèsàunetellecollectionestunexcellentdébut.C’estunscandalequ’elleresteainsicachée.
LadyIsabeldemeurasilencieuseunlongmoment.—Grâce à vous, il y sera bientôt remédié, finit-elle par dire d’une voix contrainte, avec un petit
souriremélancolique.Unefoisquevouslesaurezidentifiées,cesstatuesserontvendues.—Vousnepouvezpaslesvendre!protesta-t-ilaussitôt.—Mais si, dit-elle en s’employant à dégager une grande statue, dont l’état de conservation était
exceptionnel.Commevouspouvezleconstater,ellesneserventpasàgrand-choseici,sinonàprendrelapoussière.Ellesdoiventêtrevendues.
—Ellesontplusd’importancepourvousqueleursimplevaleurmarchande,objecta-t-il.Ilvit sesépaules se raidir.Quandellepivotavers lui, sesyeuxbrillaientde larmes.Ellepritune
profondeinspiration.—Jevous assure, lordNicholas, que je ne les vendrais pas si…si j’avais l’impressionqu’elles
étaientmises en valeur ici. Combien de temps cela prendra-t-il ? ajouta-t-elle en suivant du doigt lecontourdupieddelastatue.
Si la tâcheavait demandémoinsd’une semaine,Nick lui auraitmentipour lui laisser le tempsderevenirsursadécision.Enl’occurrence,aucunmensongen’étaitnécessaire.
—Certainesstatuesserontplusfacilesàidentifierqued’autres,commença-t-ilaveccirconspection.Ilmefaudraaumoinsdeuxsemaines.Peut-êtreplus.
—Deuxsemaines!s’écria-t-elle,lesyeuxagrandisparladéception.—Jevoisquevouspréféreriezêtredébarrasséedemoiplusvite.Elleleregarda,etlesouriredeNicksemblalarassérénerunpeu.— Ce n’est pas cela… J’avais espéré qu’elles seraient identifiées et vendues en moins de deux
semaines.—C’estimpossible.Mêmelemeilleurarchéologuenepourraityparvenir.— Je vous demande pardon, monsieur, mais j’avais l’impression que c’était vous, le meilleur
archéologue…Cetteprovocationinattenduelelaissasansvoix.Puisilsourit,àlafoisétonnéetravid’êtretaquiné
parcettefemmequiparaissaitportersursesépaulesunfardeaumystérieux.—Etilfaudraaumoinsunmoispourenobtenirunprixraisonnable,ajouta-t-il.Voiresixsemaines.—C’estimpossible,dit-elled’unairdésolé.Lasituationdevenaitdeplusenpluscurieuse.CettecollectionàelleseuleauraitdécidéNickàrester
dans leYorkshire.Mais il prit conscience, en voyant l’inquiétude qui assombrissait le regard de ladyIsabel,qu’ilvoulaitconnaîtretoussessecrets.Etelleluioffraitl’occasionidéaledelesdécouvrir.
Alorsqu’ilsétaientdéjàprochesl’undel’autre,ils’avançadélibérémentverselleeteutleplaisirdevoirsesyeuxs’écarquillersousl’effetdelasurprise.
—Deuxsemaines,murmura-t-il.Etquandj’auraifini,jevousaideraiàvendrelesstatues.—Jevousremercie,dit-elleavecunsoulagementmanifeste.Jeregrettesimplementd’abuserainside
vosservicessanspouvoirvousoffrirdecontrepartie.— Je suis certain que nous pourrions trouver une compensation, répliqua-t-il d’une voix
volontairementsourde.AuxyeuxdeNick,ilnes’agissaitqued’uneplaisanterie.Aussifut-ildéconcertédelavoirseraidir
aussitôt.
—C’est-à-dire?Quelqu’unluiavaitfaitdumal,àn’enpasdouter.Qui?Etcomment?Jugeantpréférabledenepas
approfondirlaquestionpourlemoment,iladoptadélibérémentuntonplusléger.—Puis-jevousproposerunjeu?—Unjeu?—Pourchaquestatuequej’identifierai,vousmeraconterezquelquechosesurTownsendPark.Etsur
votrevieici.Isabelparut réfléchir.Maisellegarda le silencesi longtempsqueNick finitpardouterqu’elle lui
réponde.Quand il l’entenditprendreuneprofonde inspiration, il reporta son regard sur elle.Sesyeuxsombres, opaques, ne révélaient que son incertitude. Pourtant, il avait la certitude qu’elle cachait dessecrets,etlebulannetoléraitpasqu’unmystèrerestenonrésolu.
Quefaudrait-ilfairepouraccéderàcessecrets?PourvoirladyIsabelbaissersagarde?Uneimagefulguranteluitraversal’esprit.Étenduesurunlit,latêterejetéeenarrièreparlapassion,
elle lui offrait son corps souple et élancé…Cette vision fut d’une telle force qu’il s’écarta, préférantmettreentreeuxunedistanceplusprudente.Puisildésignaunbustetoutproche.
—Ils’agitdeMéduse.Elleeutunbreféclatderire.—Évidemment.Mêmemoi,j’auraispul’identifier.Vousnepouvezquandmêmepasrevendiquermes
secretspourça!— Je n’ai jamais parlé de secrets, fit-il remarquer.Mais si vousm’offrez des informations aussi
précieuses, je vous dirai en échange que ce buste deMéduse, enmarbre noir, vient probablement deLivadiá.Plusimportant,qu’ilreprésenteMéduseaprèssadécapitationparPersée,maisavantquesatêten’aitétésertieaucentredubouclierd’Athéna.
—Commentlesavez-vous?Nickluifitsignedes’approcherdelastatue.Désignantuncreuxdanslequelunserpentmordait la
queued’unautre,ildit:—Regardezbien.Quevoyez-vouslà?—Uneplume!dit-elleaprèsavoirplissélesyeux.—Ilnes’agitpasden’importequelleplume,maisd’uneplumeprovenantdesailesdePégase,lequel
estnédusangdeMédusegouttantdel’épéedePersée.Quandelletournaversluidesyeuxécarquillés,Nickseretintpournepasserengorger.—J’ai regardécettestatuedesdizainesde fois,et jene l’avais jamaisvue.Vousêtesvraiment le
meilleur!—Entantquetel,répliqua-t-ilavecunsalutexagéré,jemériteunecompensation.Aprèss’êtremordillélalèvre,elleacquiesça.—D’accord,jevaisvousparlerdelacollection.—Excellentdébut.Elle resta néanmoins silencieuse un longmoment, au point qu’il se demanda si elle avait changé
d’avis.Quandelle finitpar reprendre laparole, enpromenant son regardd’une statueà l’autre, ce futcommesilesmotsvenaientdeloin.
—Monpèreagagnésesstatuesaujeu.Ellesappartenaientàuncontrebandierfrançais…Elles’interrompit,l’airsongeur.Maisdesannéesd’expérienceavaientapprisàNickàcontenirson
impatience.—C’étaitauxpremiers joursde laguerre, reprit-elle.Monpèreétaitun joueur invétéré. Ilpariait
toutetn’importequoi:del’argent,desdomestiques,desmaisons…Nouspouvionspasserdessemaines
sansnouvellesdelui,etpuis,unjour,ilsurgissaitdansunnouveaucabriolet,ouavecunpanierpleindechiotsderace.Ilaoffertcesstatuesàmamèretroisjoursaprèsl’anniversairedemesseptans.
—Etellevouslesaensuitedonnées…—Oui,acquiesça-t-elleaprèsavoirpincéleslèvres.Ellessontàmoi.—Vousnevoulezpaslesvendre,observa-t-il,commes’ils’agissaitd’uneévidence.Ils’écoulaunmomentavantqu’ellenerépondetoutsimplement:—Non.—Danscecas…pourquoi?—Quelquefois,monsieur,onestobligédefairedeschosesmêmesionn’enapasenvie,répliqua-t-
elleavecunpetitriresansjoie.Ellesoupira,cequiattiral’attentiondeNicksursapoitrine.Ildétournaaussitôtlesyeux,honteuxde
selaissertroublerainsi.Sonregardtombasurunegrandestatueprochedeluiet,quandillareconnut,illaissaéchapperunrireétranglé.
—Qu’est-cequivousamuse?—Cettestatue.Savez-vousquiellereprésente?Lady Isabel pivota vers la silhouette féminine, une main sur la poitrine comme pour dissimuler
l’embarrasqueluicausaitlanuditédelastatue.Aprèsavoirobservésondosàlacourbegracieuse,sonvisageempreintd’unplaisirserein,laguirlandederosesquigrimpaitlelongd’unedesesjambes,ellesecoualatête.
—Non.—C’estVolupté.FilledePsychéetdeCupidon.—Commentlesavez-vous?Elleressembleàtouteslesautresstatuesfémininesquisetrouventici.—Jelesaisparcequejesuislemeilleur,répliqua-t-ilenlaregardantdanslesyeux.Elleeutunsourireamusé,cequiprocuraàNickuneintensesatisfaction.Lorsqu’elleneseméfiait
pasdelui,cettefemmeétaitexquise.Cependant, l’atmosphère entre eux sembla se tendre, devenir plus pesante. À l’odeur de pierre
poussiéreuse semêlait à présent un parfum doux,mélange de fleur d’oranger et d’une fragrance plusfraîchequ’ilnereconnutpas.
Il remarqua la légèrerougeurdesapeauet lecreuxdélicatà labasedesoncou,etundésiraigu,d’une intensité qu’il n’avait pas éprouvée depuis longtemps, s’empara de lui. Aumême instant, leursregardssecroisèrentdenouveau,etilperçutchezelleuneémotionidentique.Ilsétaientseuls,prochesàsetoucher,sansautretémoinquelesstatues.
Mûparledésir,illevalamainetfaillitluieffleurerlajoue,maisilseretintjusteàtemps.Ceseraitsansdouteuneerreurdelatoucher.Sesgrandsyeuxbrunsbrillaientd’unmélangeenivrantdecuriosité,d’excitationetdecraintequiilluminaitsonvisage,faisantd’elleunesirèneinnocente,dechairetd’os,entouréedesessœursmarmoréennes.
Quand elle ferma les yeux, il observa ses traits ravissants – les pommettes hautes, la bouchesensuelle,lefrontlissedetouteinquiétude.Ellerelâchaalorslesoufflequ’elleretenaitenuneexpirationtremblante,etseslèvresrosess’entrouvrirent.
Aucunhommesurterren’auraitpurésisteràcesoupir.Nicks’inclina,toutensachantqu’ilavaittort.Riendebonnepouvaitadvenird’unbaiseraveccette
demoiselledelacampagne.Seslèvresn’étaientplusqu’àuncheveudessienneslorsqu’unbruitsefitentendreàl’extérieurdela
salle. Il se redressa aussitôt avec un juron étouffé, puis il recula d’un pas, se maudissant de s’êtreapprochédecettefemmequisemblaitavoiruneffetinexplicablementnéfastesursonbonsens.
Elle rouvrit brusquement les yeux.Devant les émotions variées qui s’y livraient bataille,Nick futsaisi de l’envie de la prendre dans ses bras et d’oublier tout le reste. Mais, en voyant arriverMlleCaldwelletRock,ilreculaencoretandisqu’Isabel,s’écartantdansl’autresens,sepressaitcontrelastatuedeVolupté.Ilcraignitmême,l’espaced’uninstant,qu’ellenelafassebasculerdesonpiédestal.
—Qu’as-tu trouvé?demanda-t-ilàsonami,espérantdissiperainsi le troublequidemeuraitentreeux.
Rocklesregardatouràtour,puiss’attardasurNickethaussal’undesessourcilsnoirs.Nickl’imita,lemettantaudéfidefairelemoindrecommentaire.
—Jen’aijamaisrienvudepareilhorsdelaGrèce,finit-ilparrépondre.TandisqueRockluidécrivaitlesmarbresqu’abritaitlasecondesalle,Nick,ducoindel’œil,vitque
ladyIsabelaccueillaitsacousineavecunsouriretropéclatant–unsourirerévélateur.Elleaussi,ellel’avaitdésiré!Mais il refusa de s’appesantir sur cette pensée. Il aurait dû se féliciter qu’on les ait dérangés au
moment où il s’apprêtait à commettre l’immense erreur de l’embrasser.Cette fille représentait tout cequ’il redoutait.Elle était innocente, seule, et appartenait augenrede femmesqu’il évitait – cellesquiexigeaientdeluiplusqu’iln’étaitcapablededonner.Ilauraitpariéqu’ellen’avaitjamaisétéembrassée,oumal,danscettecampagnereculée.
Néanmoins,ildevaits’avouerqu’ilauraitbeaucoupaiméluifairedécouvrirleplaisirqu’onpouvaitretirerd’unbaiser.
—Tumedoisdixlivres.LavoixdeRock le ramenaà l’instantprésent.Lacollectiondemarbresexistaitbel etbien.Et sa
propriétaireconstituaitunmystère.Deuxraisonsderester.Ignorantlesourirenarquoisdesonami,NickreportasonattentionsurladyIsabel,quilesregardait
aveccuriosité.Ellerougitalorsetportalamainàsescheveux.—LadyIsabel,dit-ilensavourant leplaisirdeprononcersonprénom,sicelavousconvient,nous
commenceronsàrépertoriervosmarbresdemainmatin.Unelueurd’incertitudes’allumadanssonregard,maiselledutsentirqu’elleétaitalléetroploinpour
sedédire.Elletripotaunemèchedecheveux,gestequitrahissaitsanervosité.—Trèsbien.Demain…demainconviendraparfaitement.Et…Laravavousraccompagner,continua-
t-elleencontournantleurpetitgroupepoursedirigerverslaporte.Jesuis…Jedois…Nickattendit,undemi-sourireauxlèvres,qu’elleachèvesaphrase.—Jedoism’enaller.La jupe de sa stricte robe grise fut la dernière chose quevitNick lorsqu’elle s’élança hors de la
salle.
6Leçonnumérodeux
Faitestoutcequiestenvotrepouvoirpourresterdansl’espritdevotrelord.Etsoussesyeux.L’absence peut, certes, exacerber les sentiments. Mais rappelez-vous qu’aumoment où votre lord prendra conscience qu’il désire une épouse, il faudraqu’il se souviennedevotreexistence !Faitesdevotremieuxpour investir sonchamp de vision : passez près de lui lors des bals, renseignez-vous sur sespromenades favorites au parc, encouragez vos domestiques à se lier avec lessiens.Connaître son emploi du temps est l’outil le plusprécieuxpourprendreaupiègeunvraigentleman.
PearlsandPelisses,juin1823
Mêmesi,selonWellington,leplusdurpourunsoldatétaitdebattreenretraite,ilfutbienplusfacileà Isabel de prendre ce parti que de rester dans la salle des statues en compagnie de lord NicholasSt.John.
Àvraidire,seuleslesconvenancesl’avaientempêchéedeprendresesjambesàsoncou.Elleavaitsouhaitéqu’ill’embrasse,etmêmedésespérément.Quelleerreurç’auraitété!SiLaraet
M.Durukhann’étaientpasrevenus,Dieuseulsaitcequiauraitpuarriver…Ettandisqu’elleparcouraitàviveallurelescouloirstortueuxquimenaientàlacuisinedeTownsend
Park,elleavaitbienconscienced’avoirfaitpreuve,cetaprès-midi-là,d’unelâchetéinhabituelle.Maisavait-elleeulechoix?Illuifallaitquittercettesalle,reprendresesespritset…semorigéner.
Oùdoncavait-elleeulatête?InviterunétrangeràMinervaHouseétaitunechose–unechoserisquéeetpeuintelligente–,mais
considérercethommeautrementquecommelemoyend’atteindresonbut,c’étaitinacceptable.ElleavaitbesoindeNicholasSt.Johnpourévaluersacollectiondestatuesetpourlesvendre.Rien
deplus.De toutes ces années passées avec des femmes que des hommes avaient maltraitées, Isabel avait
retenuaumoinsuneleçon:onneplaisantaitpasaveceux.Elleavaitvusuffisammentdefemmesesclavesdeleurcorpsoudeleurcœur;suffisammentdefemmes,ycomprissapropremère,victimesdesourirescharmeursetdecaressesensorcelantes,poursejurerquecelaneluiarriveraitjamais.
Elle ne devait pas laisser unLondonien ruiner ses principes –même si certaines considéraient leLondonienenquestioncommel’undesplusbeauxpartisd’Angleterre.
Elleallaitdevoirs’imposerdenepastenircomptedelaprésencedelordNicholasdanssamaison.La difficulté n’était certainement pas insurmontable. D’une part, cet homme était archéologue et ne
s’intéresserait vraisemblablement qu’aux statues.D’autre part, n’avait-elle pas, de son côté, à nourrirtouteunemaisonnée,àacquérirunedemeureetàprendresoindedeuxdouzainesdepersonnes?
—Vouspouvezpasm’obligeràalleràl’école!Jesuislecomte,maintenant.Etiln’yapersonnequicommandeauxcomtes.
Àcesmots,Isabels’arrêtanet,justeavantdefranchirleseuildelacuisine.Glissantuncoupd’œildanscelle-ci,ellevitJamessepenchersurlatabledeboispatinépourprendreunbiscuit,qu’ilplongeaaussitôtdanssatassedethésanssesoucierduliquidequidébordait.Lamoueboudeuse,ilnerelevalesyeuxqu’auboutd’unmomentetlesrivasurGeorgiana,assiseenfacedelui.
Isabelrestatapiedansl’ombre.ElleavaitdemandéàGeorgianadecommenceràévoquerlecollègeavecJames,dansl’espoirquecelui-cis’habitueraitàcetteidée.
Lapartiesemblaitloind’êtregagnée.—Malheureusement,James, ilya toujoursquelqu’unquipeutnousdirecequenousdevonsfaire.
Mêmelorsqu’onestcomte.—Jedétestequandonmeditcequejedoisfaire.—Ehbien,j’avouequecelanemeplaîtpasbeaucoupnonplus.—J’suisintelligent,argualejeunegarçon.Georgianaluiadressaunlégersourire,toutenprenantàsontourunbiscuit.—Vousêtestrèsintelligent.Jen’aijamaisditlecontraire.—Jesaislire.Jeconnaismestablesdemultiplication.Etpuis,jesauraibientôtlelatin.C’estvous
quim’apprenez.—Oui,biensûr.Vosprogrèssontimpressionnants.Maislesjeunesgens…lesjeunescomtes…vont
aucollège.—Qu’est-cequ’ilsm’apprendrontlà-basquevouspouvezpasm’apprendre?—Toutessortesdechoses.Deschosesréservéesauxcomtes.—Vousdevriezletremperdanslethé,conseilla-t-ilàGeorgiana,quicontemplaitsonbiscuit.C’est
bienmeilleur.Isabelneputs’empêcherdesourire.Elleauraitpariéque,detoutesavie,Georgianan’avaitjamais
trempéunbiscuitdanssonthé.—Commeça,ajoutaJames.Joignant le geste à la parole, il plongea un deuxième biscuit dans sa tasse avant de repêcher le
premier.Lesdoigtsdégoulinantsdethé,iln’eutqueletempsdebrandirsongâteauavantquecelui-cinesebriseetqu’unemoitién’enretombedansleliquide,éclaboussantlatabletoutautour.Georgianaaffectadegrimacerdedégoût,etJameséclataderire.
Lesbrasrefermésautourdesonbuste,Isabels’adossaaumur.Comteoupas,elleredoutaitledépartdeJamesdelamaison.
—Vouscroyezqueleshommesdetoutàl’heure,ilssontallésàl’école?demandaJamesavecunvifintérêt.
—Oh,j’ensuiscertaine.Ilsontl’airdevraisgentlemen.Etlesvraisgentlemenontfréquentél’école.Jamesgardaunsilencesongeur.CefutGeorgianaquilerompit.—Voussavez,j’aiunfrère…Isabeltenditl’oreille.Depuistroissemainesqu’elleétaitici,lajeunefillen’avaitjamaisfaitallusion
àlaviequ’ellemenaitàLondres.—C’estvrai?Ilvaàl’école?—Ilyestallé.D’ailleurs,c’estgrâceàcelaqu’ilestsibrillant.C’estmêmel’undeshommesles
plusbrillantsd’Angleterre.
«Etl’undespluspuissants»,ajoutaIsabelinpetto.—Iladûvousapprendredestrucs,alors.Sinon,commentunefillesauraitlelatin?— Je vous demande pardon, lord Reddich, riposta Georgiana. Les filles, comme vous dites,
connaissentbeaucoupdechoses…passeulementlelatin.Isabel ne put s’empêcher de jeter un nouveau coup d’œil dans la cuisine. James fronçait le nez,
visiblementsceptique.—Vousêteslafillelaplusintelligentequejeconnaisse,déclara-t-ilalors,avecunevénérationqui
fithausserlessourcilsàIsabel.Enraisondubéguinmanifestequ’ilavaitpoursagouvernante–laplusjolie,incontestablement,de
toutescellesqu’ilavaiteues–,Isabelpréféraignorerl’offensefaiteàsapropreintelligence.Maisellejugealemomentvenudemettreuntermeàcettecharmanteconversation.
Aprèsavoirplaquéunsourireradieuxsursonvisage,ellefranchitleseuildelacuisine.—C’estdéjàl’heureduthé?demanda-t-elleavecentrain.—Isabel!s’exclamaJames.Ilssontoù,lesmonsieurs?Ilyenaunquiétaittrèsfort!Tuasvu?Etilyenavaitunquiétaittrèsbeau.D’ailleurs,elleavaitbienfailliseconduirecommeuneidiote…—Messieurs.Oui,j’aivu,acquiesça-t-elleenseversantunetassedethé.—Ilssontoù?Ilsvontresterici?—Ilssontencorelà-haut.Ilsexaminentlesstatues.—Jepeuxallerlesvoir?demandaJamesavecunenthousiasmeauquelilétaitpresqueimpossible
derésister.—Non,tunepeuxpas.— Pourquoi ? Je suis le comte, maintenant ! Et je dois veiller à la sécurité des habitantes de
TownsendPark.Moi,jecroisquejedevraislesrencontrer.L’allusiondeJamesàlasécuritédeleursprotégéessurpritIsabel.Elles’étaittoujoursefforcéedele
maintenir dans l’ignorance des difficultés rencontrées par les filles et des dangers qu’elles couraient.Mais,engrandissant,ildevenaitplusperspicace,etIsabelsentitquecetteconversationexigeaitqu’elleprenneplusdeprécautionsqu’àl’ordinaire.
—C’esttoutàtonhonneurdetesoucierdubien-êtredesfemmesquirésidentsoustontoit,assura-t-elle. Mais ces messieurs seront très occupés lorsqu’ils se trouveront ici, et nous ne devons pas lesdistraire.Nouspourrionscependantlesinviteràdînerunsoir.Qu’enpenses-tu?
—Jecroisqueceseraitpolidenotrepart,acquiesçaJames,solennel,aprèsavoirmûrementréfléchi.—Jesuisvraimentcontentequetuapprouvesmaproposition,réponditIsabelavecunclind’œilà
l’intentiondeGeorgiana,quidissimulasonsourirederrièresatassedethé.Etmaintenant,file.Après les avoir regardées tour à tour, James décida manifestement que des aventures plus
intéressantes l’attendaienthorsde la cuisine. Il sautade sa chaise,non sans chiperunautrebiscuit aupassage,puisdisparutdanslecorridorsombreparlequelétaitarrivéeIsabel.
Celle-cis’assitàsaplace,pritungâteauàsontour,puissoupira.—Jevousremerciedeluiavoirparléducollège,dit-elleàGeorgiana.—J’aiétéheureusedelefaire.Uncomtedoitrecevoiruneéducationconvenable,ladyIsabel.—Voussavezquevouspouvezvousdispenserdecesformalités.—Aucontraire,jesuisvotreservante,réponditlajeunefilleavecunsourire.—Neditespasdesottises,répliquaIsabelens’esclaffant.Noussavonstouteslesdeuxquevousêtes
d’unrangsupérieuraumien.S’ilvousplaît…Jemesentiraismieuxsivousm’appeliezIsabel.Unvoiledetristesseassombritfugitivementleregarddelajeunefille.
—Mon rang est désormais celui de gouvernante. Et je considère que c’est une chance pourmoid’occuperuneplaceaussienviable.
Renonçantàinsister,Isabelchangeadesujet.—Connaissez-vousleshommesquisontvenusaujourd’hui?Georgianasecoualatête.—JepréparaislesleçonsdeJames,etjen’aientenduparlerdeleurarrivéequ’unefoisqu’ilsontété
danslessallesdesstatues.—CesontdesLondoniens.—Desaristocrates?s’enquitGeorgianaavecunepointedenervosité.—L’und’eux,oui.LordNicholasSt.JohnestlefrèredumarquisdeRalston.C’estunarchéologue…Isabels’interrompitquandGeorgianaouvritdesyeuxgrandscommedessoucoupes.—Qu’ya-t-il?—LordNicholasetmonfrère…Ilsseconnaissent…LavoixdeGeorgiananefutplusqu’unchuchotementlorsqu’elleajouta:—Jenelefréquentepaspersonnellement,mais…—Georgiana,toutirabien,assuraIsabel.Lorsquejevousaiaccueillie,jevousaiditqueMinerva
Houseprendraitsoindevous,non?Lajeunefemmedéglutitavecpeine,puiselleprituneprofondeinspiration.—Si.—Vousresterezcachée,c’est tout,enchaînaIsabelaveccalme.Lamaisonestgrande.Vousêtes la
gouvernantedeJames,etiln’yapasderaisonsqu’uninvitévousrencontre.—Quefait-ilici,dansleYorkshire?—Jel’ignore.J’aicrucomprendrequ’ils’agissaitd’unvoyaged’été…Vousêtesensécurité,sousla
protectionducomtedeReddich,insista-t-elleenconstatantquelacraintedelajeunefillerestaitvive.Mêmesiunepetitevoixluisoufflaitquecen’étaitpasaussisûr,ellerefusadel’entendre.Georgianademeurauninstantsilencieuse.Puiselleinclinalatête.—Bien…Isabelremplitdenouveaulestassesdethé,avecl’espoirderenforcerlecalmedelajeunefille.Puis
ellereprit:— Quand vous serez disposée à parler des raisons qui vous ont amenée ici, vous pourrez vous
confieràmoi.Vouslesavez,n’est-cepas?—Oui,réponditGeorgianaenhochantdenouveaulatête.Maisje…jenesuispas…Etsi…—Ceserasi,etquandvouslevoulez.Jeveuxjustequevoussachiezquejeserailà.Aprèsdesannéesd’expérience,Isabelsavaitquelorsqu’ils’agissaitd’exorciserleurpeur,lesjeunes
femmes – sœur d’un duc ou serveuse de taverne – n’étaient guère différentes.Ni vraiment différentesd’elle-même.
Sielleavaiteulechoix,jamaisellen’aurait introduit lordNicholasSt.Johndanslamaison.Maisl’autre terme de l’alternative – renvoyer Georgiana et les autres sans rien d’autre que les vêtementsqu’elles avaient sur ledos– était inenvisageable.Aussi Isabel était-elleobligéedeprendreun risquecalculé.
L’ironie de la situation ne lui échappait nullement : elle plaçait l’avenir d’une bonne vingtaine defemmesentrelesmainsdel’hommeleplusdangereusementséduisantqu’elleeûtjamaisrencontré.
MaisquandelleregardaGeorgiana,si frêle,sianxieuse, lesmainsserréessursa tasseet lesyeuxfixéssursonthé,Isabelnedoutapasd’avoirprislabonnedécision.
IlleurfaudraitsimplementveilleràconfinerlordNicholasdanslessallesdesstatues.
Celanedevraitpasêtredifficile.
L’après-midi suivant, Isabel se sentait très fière d’elle. Toutes ses inquiétudes au sujet de lordNicholass’étaientrévéléesvaines,etsaprésenceneposaitaucunproblème.
Envérité,depuis l’arrivéedesdeuxhommes,qu’elle avait cantonnésavec les statuesenprécisantbienàtoutlemondequ’onnedevaitpaslesdéranger,elleavaitréussiàleséviter.
Ouàsecacherd’eux?luisoufflaunepetitevoix,qu’elles’empressadefairetaire.Ellesetrouvaitdoncdenouveausurletoit,quifuyaittoujours.Et,vulesnuagesquis’amoncelaientà
l’est,lesréparationsallaientêtreparticulièrementbienvenuescesoir.Enpantalon etmanchesde chemise, Jane et elle, agenouillées, appliquaient avec soinunemixture
particulièrementmalodorantecenséerecollerlestuilesenterrecuite.Septansauparavant,lespremiersdomestiquesavaientquittéTownsendPark,etparmieuxlesartisansquientretenaient ledomaine.SansdouteIsabeldevait-elles’estimerheureuseque,duranttoutescesannées,aucuneréparationd’importancen’aitéténécessaire.
Dieumerci,labibliothèquedumanoircomptaitdenombreuxouvragessurl’architectureetl’entretiendesbâtiments.Certes,l’artderéparerlestoituresnefiguraitpas,engénéral,parmileslecturespréféréesdesjeunesfemmes,maisIsabelseraitheureuse, les joursdepluie,depouvoirsedispenserduvasedenuitposéàl’extrémitédesonlit.
—Pourriez-vousme dire ce qui s’est passé hier pour que vous vous cachiez de lordNicholas ?demandasoudainJane,quin’avaitjamaisétédugenreàtournerautourdupot.
Isabelplongeasabrossedansleseaudegoudronavantderépondre:—Ilnes’estrienpassé.—Riendutout?—Non.Ilaacceptéd’identifieretd’évaluerlacollection.Sitoutvabien,MinervaHouseseradans
sesnouveauxmursdansunmois,déclaraIsabel,s’efforçantdeconserverunevoixlégèreetconfiante.Janegardalesilence,letempsdereposerlestuilesnouvellementenduitesàleurplace.—EtlordNicholas?dit-elleensuite.—Qu’ya-t-ilaveclordNicholas?—C’estprécisémentcequejemedemande.—J’auraispréféréqu’iln’aitpasàintervenir,répliquaIsabel,éludantdélibérémentlaquestion.Unebrusquerafaledeventgonflalesmanchesdesachemise.Toutenseraidissantcontrel’airfroid,
ellechoisitsesmotsavecsoin.—Maisjepensequenousn’avonspaslechoix.—Ilyadesalternatives,Isabel.—Jen’envoispas.Janeplaçaplusieurstuilesensilenceavantdereleverlesyeux.—Vousvousoccupezdenousdepuislongtemps.MinervaHouseestdevenueuneespècedelégende
parmilesfillesdeLondres.Cellesquiarriventiciontdumalàencroireleursyeux.Toutcela,c’estvotreœuvre.Maisvousnepouvezpaspermettreàlalégendedevousdépasser.
Àsontour,Isabelcessad’enduireledessousdestuilesdegoudron.—Pourmoi,cen’estpasunelégende,Jane.MinervaHouseestbienréelle.—Maisvouspourriezvivreautrement.Vousêtesfilledecomte.—Uncomtedontlamoralitéétaitpourlemoinsdouteuse.— Dans ce cas, disons la sœur du nouveau comte. Vous pourriez vous marier. Mener la vie à
laquellevousétiezdestinée.
Lavieà laquelleelleétaitdestinée?Lesmotsparaissaient si simples–commesi cetteexistenceétaitclairementdéfinie.Certes, lesautresfillesdelanoblessenesemblaientpasavoirdedifficultésàsuivrecechemintouttracé…maisellesn’avaientpaseusonpère.Nisamère.
—Non, répondit-elleensecouant la tête.C’estcelle-ci, lavieque j’étaisdestinéeàmener.Niunmariageavantageux,nilesthésencompagniedesdamesdelabonnesociété,nilessaisonslondoniennesn’yauraientchangéquoiquecesoit.Etregardeoùcelam’aconduite.Voisladifférencequecelaafaitepourtoi.Etpourlesautres.
—Maisvousnedevriezpasvoussacrifierpournous.Est-cequeceneseraitpasencontradictionavec l’esprit de cette maison ? Vous nous avez enseigné que notre bonheur, notre existence avaientinfinimentplusd’importancequelessacrificesquenousavonsfaitsavantd’arriverici.Jemetrompe?
Jane s’exprimait sans la moindre véhémence, mais ses paroles n’en portèrent pas moins. Isabelobserva longuement samajordome.Leventdeplusenplus fort lui rougissait les joues,etdesmèchesbrunes commençaient à s’échapper de sa casquette. Jane avait été la première à venir à elle. Alorsqu’elleétaitouvrièreàLondres,elleavait faillipérir sous lescoupsd’unclient soûl.Elleavaitalorstrouvé le courage de partir pour l’Écosse, où elle espérait commencer une nouvelle vie. Avec unepoignéedepiècesvolées–pasassezpourvivre,maisassezpourl’envoyerenprisonjusqu’àlafindesesjours–,elleavaitréussiàatteindreleYorkshire.Maislorsqu’ellen’avaitpluseud’argent,elleavaitétépurementetsimplementabandonnéeauborddelaroute,avecpourseulsbienslesvêtementsqu’elleportait. Isabel l’avait trouvée endormie dans une stalle inutilisée de l’écurie, le jour où les derniersdomestiquesavaientdésertéleurposte.
Isabelvenaitd’avoirdix-septansetseretrouvaitseulepours’occuperdeJames,âgédetroisans,etdeleurmèrequisemourait.Envoyantcettefilletropépuiséepoursesauver,tropbriséepoursebattre,elleavaitaussitôtprislamesuredudésespoirquil’avaitpousséeàcourirlesplusgrandsrisques.
Cen’étaitpaslabontéquiavaitincitéIsabelàrecueillirJane,maislapanique.Samèredépérissaitchaque jour un peu plus, folle de tristesse et de ressentiment, les domestiques avaient fui, Jamesdemandaitdel’amouretdessoins,etIsabeln’avaitrien.EnoffrantdutravailàJane,elles’étaitacquislaplusloyaledesservantesetlaplusfidèledesamies.
Janeavaitétél’uniquetémoindesderniersjoursdelacomtesse,lorsquecelle-cis’emportaitcontreIsabel,contrelepetitJames,contreDieuetcontrel’Angleterre,touscoupablesdesasolitudeetdesonmalheur.
Àlamortdesamère,alorsquetouts’effondraitautourd’Isabel,aiderJaneluiavaitpermisdenepasperdrepied.
Quelques semaines plus tard, elle avait pris la décision d’accueillir d’autres femmes àTownsendPark. Elle n’avait peut-être pas été une bonne fille, mais elle ferait en sorte de procurer à cesmalheureusesunendroitoùvivreets’épanouir.QuelqueslettresjudicieusementadresséesavaientamenéGwenetKate.Ensuite,lebouche-à-oreilleavaitfonctionné.LesfillesendifficultésavaientquesiellesparvenaientàatteindreTownsendPark,rebaptiséMinervaHouse,ellesyseraientensécurité.
Ces femmesavaient fourninon seulementunbut à Isabel,mais aussiunmoyendeprouverqu’ellevalaitmieuxquecequel’ondisaitd’elle.
Toutesnerestaientpas.Durantcesseptannées,Janeetelleavaientvudesdizainesdefillesarriver,puisrepartiraubeaumilieudelanuit,incapablesderésisteràl’appeldeleurancienneexistence.Plusnombreuses, heureusement, étaient celles qui repartaient pour se forger une nouvelle vie. Chaque foisqu’ellelepouvait,Isabellesaidaitàréaliserleurrêve.Certainesétaientdevenuescouturières,d’autresaubergistes.L’uned’ellesavaitmêmeépouséunpasteur.
Ellesétaientlapreuvequ’Isabeln’étaitpasuniquementl’enfantnondésiréed’undébauchénotoire,oulafilleégoïstequesamèrel’avaitaccuséed’êtredurantsonagonie.
QuandellepensaitàMinervaHouseetàsesprotégées,leschosesqu’ellen’avaitpaseulachancedeconnaître – tout ce qui lui serait revenu de droit, si elle avait été la fille d’un autre comte – ne luieffleuraientjamaisl’esprit.
—Ce n’est pas un sacrifice de poursuivre l’œuvre deMinervaHouse, finit-elle par déclarer. Jeseraisprêteàréparercenttoitspourm’assurerquelesfillesengardentunau-dessusdeleurtête.
—Dois-jevousrappelerquevousn’êtespasseuleenhautdecettemaison?répliquaJaneavecunsourireencoin.Jenevaisjamaispouvoirmedébarrasserdel’odeurdecettesaleté.
—Ehbien,nousempesteronsensemble,ditIsabelenriant.—Votrelordn’apprécierapas.Cettefois,Isabelnefeignitpasdenepascomprendre.—Cen’estpas«mon»lord.—GwenetLaraseraientd’unavisdifférent.—GwenetLaraontdelabouillieentrelesoreilles.Jenemelaisseraipaspousserdanssesbras.Tu
peuxleleurdire.—Parcequevouscroyezquej’aiplusd’influencequecettegazetteridicule?demandaJaneavecun
éclatderire.—Siseulement!réponditIsabel,quisoupira.Iln’estlàquepourdeuxsemaines.Ilfautsimplement
quejeveilleàmaintenirlesfilleséloignéesdelacollection.—Etencequivousconcerne,mademoiselleCe-n’est-pas-mon-lord?La brusque vision du visage de lordNicholas empêcha Isabel de répondre à la taquinerie de son
amie.Ellerevoyaitl’éclatdesesdentsblanchesdanssonvisagehâlé,sabouchegénéreuse,sonsourireimpudent,pleindepromesses,etsesyeuxbleusquiappelaientlesconfidences…
Cethommeétaittrèsdangereux,effectivement.—Je feraicommeelles, répliqua-t-elle.Çanedevraitpasêtresidifficile.Après tout, j’aiun toit
àréparer.Àpeineeut-elleprononcécesmotsqu’unevoixmasculine,déjàfamilière,résonnaderrièreelle.—J’auraisdûparierquejevoustrouveraisici…Le cœur d’Isabel fit un bond. Affolée, elle regarda Jane, qui baissa aussitôt la tête, comme tout
domestiquequiserespecte,etfitminedeseconcentrersursatâche.Isabelallaitdevoirsedébrouillerseule.Aumomentoùelleseretournait,lordNicholasémergeaitde
lalucarne.Quidoncl’avaitlaissémonterici?Commeilposaitavecprécautionseslourdesbottessurlestuiles,Isabels’écria:—Attendez!S’il n’y prenait garde, il risquait d’endommager davantage la toiture. Elle dut reconnaître, à son
crédit,qu’ils’immobilisasur-le-champ.—Je…C’estmoiquivaisvenirversvous,monsieur!ajouta-t-elle.Elleserelevaettraversaletoitavecprécaution.Arrivéedevantlui,elleluiadressaungrandsourire,
auquelilneréponditpas.—Qu’est-cequivousamènesurletoit?Vousavezbesoindequelquechose?—Non…Cettesyllabeuniques’étiratandisqu’ill’examinaitdelatêteauxpieds.Seigneur,elleétaithabillée
enhomme!
Sauterdu toitn’étantpasunesolutionenvisageable, Isabels’ordonnadefaire face.Ellecroisa lesbrassursesseinsens’efforçantd’ignorerlabrûluresoudainedesesjoues.
—Jenem’attendaispasquevousmerejoigniezici,lordNicholas,déclara-t-elleavecfermeté.—C’estcequejevois.Néanmoins,j’admetsêtresurprisquevousvousmontriezdanscegenrede
tenuedevantvosdomestiques.Duregard,ildésignaitJanequi,latêtetoujoursbaissée,replaçaitunetuile.—Oh…Ehbien…Jan…Janneyvitavecnousdepuislongtemps.Ila l’habitudedemes…demes
excentricités.Elleconclutcetteexplicationd’unriretropbruyant,quisonnafauxàsespropresoreilles.—Jevois,fit-ild’untonquidisaitlecontraire.—Sinousrentrions?Vousdésirezpeut-êtreunpeudethé?Elleparlait tropvite,commesicelapouvaitsuffireà lechasserdu toit,de lamaison,etmêmedu
Yorkshire.—Non,merci.J’aimeraisplutôtvoircetoitquiaccaparetellementvotreattention.—Je…Oh…Setrompait-elleouprenait-ilunmalinplaisiràlamettredansl’embarras?—Voulez-vousbienmefairefairelavisiteduchantier,mademoiselle?Ledouten’étaitpluspermis,illataquinait.Quelhommeinsupportable!—Maiscertainement,murmura-t-elleavantdesetournerversJane,qu’illuifallaitimpérativement
renvoyer.Nousenavonsfinipouraujourd’hui,Janney.Vouspouvezrentrer.Sansdemandersonreste,Janeserelevapoursedirigerverslalucarne.Maisquandellepassadevant
eux,lordNicholasl’arrêtad’ungeste.—Vousdevriezvousmontrerplusprotecteurenversvotremaîtresse,jeunehomme.Janes’arrêta,latêtebaissée,etopina.—Jevoisquevouscomprenezcequejeveuxdire.Isabel retint son souffle pendant un longmoment, s’attendant qu’il poursuive.Mais comme il n’en
faisaitrien,ellereprit:—Ceseratout,Janney.Tandisque Jane se faufilaitdans legrenierpar la lucarne, Isabel essayade se tracerune lignede
conduite.Mêmesiellen’avaitreçuaucuneéducationformelleenmatièredeconvenances,elledevinaitqu’unetoituren’étaitpaslelieuappropriépourunediscussionentredeuxpersonnesdesexesopposés.
—Celanemeplaîtpasquevoussoyezsurletoit.Cesmots,prononcésd’unevoiximpérieuse,commesiIsabeln’étaitsurterrequepoursatisfaireses
caprices,prirentlajeunefemmeaudépourvu.Leregardantdroitdanslesyeux,ellenedissimulapassonirritation.
—Ehbien,puisqu’ils’agitàlafoisdemontoitetdemapersonne…jenevoispasenquoicelapeutlemoinsdumondevousaffecter.
—Sivoustombiez…—J’ailepiedsûr,affirma-t-elleenlevantunejambepourluimontrersonsoulier.Des yeux, il suivit la courbe de sa jambe. Comme cet examen la rendait nerveuse, elle reposa
brusquement son pied, ce qui fit sonner les tuiles en terre cuite.D’un gestemachinal, elle tripota sescheveux,rassemblésenunchignonstrict.
—Jecroisquenousdevrionsrentrer.Maisilallas’asseoirsurlefaîtedutoitet,aprèsavoirobservéletravailaccompliavecl’aidede
Jane,ildemanda:
—Pourquoiavez-vousquittélasalledesstatues,hier?Cen’étaitpaslaquestionàlaquelleelles’attendait.—Jevousdemandepardon?—Etquandjedis«quitté»,cen’estpastoutàfaitpertinent.«Fui»seraitpluscorrect.—Jemesuiséchappée,enfait.Ellefutlapremièresurprisedecetaveu,mais,toutenrougissant,poursuivit:—Jen’avaispasletempsdeflâneravecvousaumilieudesstatues.J’aibeaucouptropdechosesà
faire.—Dois-jevousrappelerquec’estvousquim’avezdemandédevenirvoirvotrecollection?Isabelsentitsesjouess’empourprerdeplusbelle.Ill’accusaitd’impolitesse,etiln’avaitpastoutà
faittort.—C’estinutile.Jevoussuistrèsreconnaissantedem’apportervotreaide,monsieur.—Jesuisheureuxdevousl’offrir,répliqua-t-il,lesyeuxplissés.Maisvousdevezadmettrequece
momentpasséensembleaétéassezpeu…orthodoxe.Isabelneputréprimerunsourireencoin.—Jesupposequenotresituationprésenten’arrangepasleschoses.—Pasplusquevotretenue, ladyIsabel,rétorqua-t-ilensouriantàsontour.Alors,pourquoiavez-
vousfuilasalledesstatues?—Je…jen’avaispaslechoix.Iln’insistapas, contrairementàcequ’elleavait craint.Quelquechose,dans son ton, avaitdû l’en
dissuader.Aprèsunlongsilence,ilchangeadesujet.—Vousdevriezmedire,jepense,pourquoivousréparezcetoit.—Mais je vous l’ai déjà dit, répondit-elle avec un haussement d’épaules. Il fuit, ce qui est très
déplaisantlorsqu’ilpleut.EtcommenoussommesenAngleterre,ilpleutbeaucoup.Ilpritletempsderefermersonbrasautourdesongenourelevéavantderépondre,lesyeuxrivésau
loin:—Vous faites exprès de ne pas comprendre. Je suis donc obligé de recourir à la seulemonnaie
d’échangequejepossède…Aprèsavoirsoupiré,ildéclara:—Volupté, fille deCupidon et de Psyché, est enmarbre deMergozzo.Un endroit situé dans les
Alpesetrenommépoursesmarbresroses.—Cettestatuen’estpasrose.Etellen’estpasitalienne.Lorsqu’il la dévisagea, Isabel se perdit un instant dans le bleu étincelant de ses yeux, avant de
remarquerlepetitmusclequitressaillaitsursajoue.Qu’est-cequecelatrahissait?—Cette statue est enmarbre rose deMergozzo, répéta-t-il lentement, comme si elle était simple
d’esprit.Lemarbrerosen’estpastoujoursrose.Etcechef-d’œuvren’estpasitalien,maisromain.C’estunedéesseromaine.
Isabel comprenait sa manœuvre : il l’obligeait à répondre à sa question relative au toit en luifournissantdesrenseignementssurlastatue.S’ilavaitraison,ellenepourraitplussedérober.
—Vousdevezfaireerreur,répliqua-t-elle.—Jevousassurequenon.Voluptéestpresquetoujoursreprésentéeenveloppéederoses.Etsicela
nesuffisaitpas,sonvisageconfirmesonidentité.—Vousnepouvezpasprétendrereconnaîtreunedéesseàsonvisagesculptédanslemarbre!—Maissi,biensûr.Ils’agitdeVolupté.—Jen’aijamaisentenduparlerdecettedéesse,etvous,voussavezàquoielleressemble?
—C’estladéesseduplaisirsensuel.Aprèsêtrerestéeuninstantbouchebée,Isabelneputqu’émettreunfaible:—Oh…—Etsonvisagereflèteleplaisir,lafélicité,lapassion,l’exta…—Oui,j’aicompris,coupaIsabel.Çavousamuse,n’est-cepas?—Beaucoup,répondit-ilavecunsourireauquelelleeutleplusgrandmalànepasrépondre.Elleessayadelefoudroyerduregard,maisiléclatad’unrirecommunicatif.—Allons, ladyIsabel,venezvousasseoiràcôtédemoietracontez-moil’histoiredelatoituredu
manoirquiavaitbesoind’êtreréparée.Incapablederésisteràsademande,elles’exécuta.Cependant,aulieudelaregarder,ilcontemplale
jardin,endirectiondelaroute,pendantunlongmoment.— Pourquoi est-ce vous qui réparez ce toit ? finit-il par reprendre. Pourquoi n’y a-t-il personne
d’autrequevotremajordomepourvousaider?Isabelinspiraprofondément.Lesbourrasquesetl’humiditéquiimprégnaitl’airannonçaientunorage
imminent.Maislesnuagesn’étaientpasencoresureux,cequiluiauraitfourniunexcellentprétextepoursesoustraireàsaquestion.
—Jen’aipaslesmoyensd’engageruncouvreur,avoua-t-ellealorssansdétour,lesyeuxbaisséssurune tuile dont elle affecta de dépoussiérer la surface. Je n’ai pas d’homme sur qui compter hormis…Janney.
—Etlesvalets?— Ils ont leurs propres activités, répondit-elle en réprimant un haussement d’épaules. Je peux
apprendrel’artderépareruntoitaussibienquequiconque.Il resta silencieux si longtemps qu’elle finit par relever la tête pour le regarder. Ce fut de la
compassionqu’ellelutdanssesyeuxcouleurd’uncield’été.Cepériodiqueidiotavaitraison.Ilsétaientd’unbleumagnifique.
—La plupart des demoiselles de votre condition n’apprennent cependant pas l’art de réparer lestoits.
— C’est vrai, acquiesça-t-elle avec un mince sourire. Mais la plupart des demoiselles de maconditionnefontpasbeaucoupdeschosesquejefais,moi.
Était-cedel’admirationqu’ellecrutpercevoirdanssonregard?—Cela,jeveuxbienlecroire,dit-ilavantdesecouerlatête.Iln’yacertainementpas,danstoutle
royaume,d’autrefilledecomteaussiintrépidequevous.Isabeldétournalesyeux.Ilnes’agissaitpasd’intrépiditédesapart,maisdedésespoir.—Àmon avis, s’il y avait un autre comte commemon père, il y aurait une autre fille de comte
commemoi.Vouspouvezremercierledieuquevousvoulez,dansmacollection,d’avoircassélemouled’untelscélérat.
—J’endéduisquevousaviezconnaissancedesfrasquesdevotrepère?—Pasdanslesdétails.Mais,mêmereclusedansleYorkshire,uneenfantentenddeschoses.—Jesuisdésolé.—C’estinutile.Ilestpartiilyaseptans.Jamesl’aàpeineconnu,etjenel’aipasrevudepuis.—J’ensuisencoreplusdésolé.Jesaiscequec’estquedeperdreunparentlorsquecen’estpasla
mortquil’emporte.Leursyeuxsecroisèrentet,comprenantqu’ildisaitlavérité,elleneputs’empêcherdes’interroger
brièvement:quellehistoirecetteréflexioncachait-elle?
—Lamortdemonpèren’apasétédu toutuneperte, reprit-elle.Nousn’avionscertainementpasbesoindesonexempleici.
Il ladévisageasi longuementque,embarrassée,elle finitpar reportersonattentionsur leciel,quis’assombrissaitrapidement.
—Jenenieraipasqu’unshillingoudeuxauraientétéappréciés…—Ilnevousarienlaissé?Isabel ne répondit pas.Ellevoulait bien admettre sesdifficultés financières,maispas endiscuter.
Ellen’accepteraitpassapitié.C’étaitlegenred’homme,sansdoute,àtenterd’ensavoirdavantageetàproposersonaide.
Maisellenepouvaitsepermettredes’ouvriràlui.Du bout du doigt, elle dessina le contour d’une tuile. Après un bref répit, l’inquiétude pesait de
nouveausursesépaules.Partagersonfardeauavaitallégésonpoidspendantuninstant,maisIsabelnepouvaitseconfierdavantage.
Cefardeau,c’étaitlesiendepuisledépartdesonpère,lorsquelaresponsabilitédudomaineetdeseshabitants lui était revenue.Elle avaitdû sedébrouiller seule, sansquepersonne l’aidemalgré sessollicitations.Elleavaitdoncretenulaleçon:lesmessieursdel’aristocratie,surtoutrichesetprospères,nevoulaientrienavoiràfaireavecundomainenégligéetsesmalheureuxoccupants.
—Votrecollectiondemarbresvautbeaucoupd’argent,ladyIsabel.Elleétaitsiplongéedanssesréflexionsqu’ellemitquelquessecondesàcomprendre.—Vraiment?—Sansaucundoute.—Assezpour…Elle s’interrompit. Il y avait tant de manières de terminer sa phrase… Assez pour acheter une
maison?Pourprendresoindesfilles?PourenvoyerJamesàEton?PourredonnerunpeudelustreaunomdeTownsend?
Ellenepouvaitriendiredetoutcela,biensûr,souspeinederévélersessecrets.—Assezpourréparercetoit,etbiendavantage.—LeCielsoitloué,murmura-t-elleavecunsoulagementsiintensequ’ilenétaitpresquedouloureux.C’est alors qu’un violent coup de tonnerre la fit sursauter. Par réflexe, elle se rapprocha de lord
Nicholas.Quandellelevalatêteverslui,conscientedelachaleurdesoncorps,ellevitdanssesyeuxunenivrantmélangedecuriosité,dedangeretd’attention–uneattentionquifits’accélérerlesbattementsdesoncœur,commes’ilétaitcapabledevoirauplusprofondd’elle-mêmeetdedécouvrirtoutcequ’elledissimulaitdepuissilongtemps.
Envérité,serait-cesiterriblequecela?Conscientedelafaiblessequil’envahissait,elleneputcependantdétournerlesyeux.Ceuxdelord
Nicholas étaient si bleus, la compréhensionqu’elle lisait en eux si tentante…qu’elle se sentait sur lepointd’oubliertoutessesrègles.
Mais elle n’eut pas le loisir de céder à la tentation.Les nuages se déchirèrent, et les éléments sedéchaînèrent.
7
Les pluies d’été, dans leYorkshire, n’étaient pas légèresmais vengeresses, comme pour punir lecomtéd’unméfaitquelconque.Cependant,cetaprès-midi-là,Nicksavaitpertinemmentquiavaitamenésureuxlacolèreduciel.
C’était lui.Luiqui,enmufleparfait,avaitététentéd’embrasserladyIsabelTownsendsursontoit,justeaprèsqu’elleluiavaitavouésapauvreté.
Quandellel’avaitregardédesesgrandsyeuxbruns,ilavaitsuqu’elleselaisseraitembrasser.Maisuniquementpargratitudepourl’aidequ’illuiapportait.
Or,lagratitudeétaitunetrèsmauvaiseraison.Aussi, quand l’orage avait éclaté, avait-il été partagé entre l’envie de crier de frustration et le
soulagementd’avoirétéinterrompu.L’éclairquizébraleciel,àcetinstant,luifitprendreconscienceques’ilsrestaientausommetdela
maison,ilsnerisquaientpasseulementd’êtretrempés,maisaussifoudroyés.Àcettepensée,ilpassasonbrasautourdesépaulesd’Isabel,l’aidaàsereleveretl’entraînaversla
lucarnesouslestrombesd’eau.Maisaumomentoùilsl’atteignaient,ellepivota,plongeasoussonbrasavecunecéléritéinattendueetseprécipitaversl’endroitoùelleavaittravailléavecsamajordome.
—Legoudron!En un clin d’œil, Nick évalua les risques qu’elle courait entre les tuiles mouillées, la pluie
torrentielleetlafoudre.—Isabel!hurla-t-il.Entendant son nom, elle se figea sur place. Puis, comme un violent coup de tonnerre ébranlait le
bâtiment,elleseretourna,l’airincertain,lesyeuxécarquillés.—Laissezcegoudron!—Jenepeuxpas!cria-t-elleensecouantlatête,avantderepartirsurlapentedutoit.Ilnousafallu
desheurespourlepréparer!—Vousallezlelaisser!luiordonna-t-il.—Vousn’avezpasàmedonnerd’ordres,monsieur,rétorqua-t-elleenluijetantuncoupd’œilfurieux
par-dessussonépaule.Mais elle ne s’était pas arrêtée pour autant, et elle posamalencontreusement le pied sur une tuile
décollée qui, après avoir glissé, passa par-dessus le bord du toit. Ses yeux s’emplirent de frayeurlorsque,déséquilibrée,ellecommençaàtomber.
Déjà,Nicks’étaitprécipitéverselle.Elle essaya de se rattraper, mais ne réussit qu’à déloger d’autres tuiles qui allèrent s’écraser en
contrebas.Plusellesedébattait,gagnéeparlapanique,pluselleperdaitpied.
Lasaisissantfermementparlamain,ill’obligeaàresterimmobile.Ilneditrienlorsqueleursyeuxsecroisèrent,niquand,acceptantsonsoutien,elleparvintàseredresseretàrecouvrersonéquilibre;ilnedit rien quand elle prit plusieurs longues inspirations tremblantes ; il ne dit rien non plus lorsqu’il lasoulevadanssesbrasetl’emmenajusqu’àlalucarnedugrenier.
Cenefutquequandill’eutreposéedevantl’ouverturequ’ilcria:—Jen’aipeut-êtrepasàvousdonnerd’ordres,Isabel,maissivousêtesincapabledeveilleràvotre
propresécurité,quelqu’undoitlefaireàvotreplace!Rentrez!Immédiatement!Était-ceàcausedesonton,delapluieoud’unquelconqueinstinctdeconservation?Toujoursest-il
que–miracle–elleobéit.Après s’être assuré qu’elle était en sécurité à l’intérieur, Nick retourna sur ses pas pour aller
chercherlamauditemixtureàlaquelleelletenaittant.Alorsqu’ilseredressait,leseauàlamain,sonregardseportasurlesécuries.Legarçonqu’ilavait
rencontréunpeuplustôtrefermaitlaporte,arc-boutécontrelepanneaudebois.Satâcheaccomplie,ilcourut vers lemanoir, la tête baissée pour protéger son visage de la pluie cinglante.Mais le vent luiarrachasacasquette,etsachevelures’envola.
Unetrèslonguechevelure…Interdit,Nick regarda le garçon se retourner pour courir après sa casquette qui roulait sur le sol.
Déjà,lapluiecollaitsursondosseslonguesmèchesrousses.Et,quandilfitdenouveaufaceàlamaison,lesecretdeTownsendParksautaauxyeuxdeNick.
L’imagedesdomestiquesqu’ilavaitrencontrésdéfiladanssonesprit:lelongilignegarçond’écurie,lemajordomeefféminé,lequarterondevaletsdepieddépareillés,dontcertainsdepetitetaille.
LamaisondeladyIsabelétaitpleinedefemmes!C’étaitlaraisonpourlaquelleellesetrouvaitsurletoit,aupérildesavie:iln’yavaitpersonned’autrepourfairecetravailàsaplace.
Nicklaissaéchapperunjuronsonorequeleventemportaaussitôt.Maisonpleinedefemmesoupas,rienn’excusaitl’imprudencedeladyIsabel.Elleauraitdûêtreenfermée,nefût-cequepourpréserversasantémentaleàlui!
Un coup de tonnerre retentissant le renvoya vers la lucarne. Lady Isabel le guettait, le visageruisselant,etilluitenditleseaud’ungestebrusque.Elles’ensaisitetreculapourluipermettred’entrer.Aprèsavoir luttéun longmomentcontre lapluie torrentiellepourparvenir à refermer la fenêtre, il setournaverselle,trempéjusqu’auxosetfurieux.
Ellereposaleseauavecprécautionpuis,nonsanshésitation,chuchotanerveusement:—Jem’enseraisparfaitementsortie…Nickenfonçaavecforcesesmainsdanssescheveux,etcegestesuffitàlafairetaire.Dieumerci,car
ilauraitpul’étrangler,sielleavaitcontinué.Jamaisiln’avaitrencontrédefemmeaussiexaspérante!Ellereprésentaitundangerpourelle-même
etpourlesautres.Bonsang,elleauraitpuprovoquerleurmortàtouslesdeux!Il se dominanéanmoinspourdéclarer d’unevoixuniemais d’un tonqui, autrefois, avait dissuadé
plusd’untueurdes’enprendreàlui:—Vousnemonterezplussurcetoit.Cependant,sadéclarationparutn’avoird’autreeffetqued’exacerberlacolèred’Isabel.—Jevousdemandepardon?—Évidemment,desannéesenferméeaufinfondduYorkshirenevousontpaspermisd’acquérirune
oncedebonsens.Àpartirdemaintenant,vousnemonterezplussurcetoit.—Jen’aijamaisrienentendudeplusimpérieux,depluscondescendant,deplusarrogant…
—Vous pouvez user de tous les qualificatifs que vous voulez. Pourmoi, il s’agit d’assurer votresécurité, ainsi que celle de ceux qui vous fréquentent…Vous est-il seulement venu à l’esprit que nonseulementvous auriezpuvous tuer,maismoi aussi ? ajouta-t-il, contenant avecpeine sonenviede lasecouer.
—Jen’aipasdemandéàêtresecourue,lordNicholas!—Eh bien, vu que depuis deux jours que je vous connais, je vous ai sauvé deux fois la vie, je
suggèrequelaprochainefois,vousledemandiez.Elle se redressa de toute sa taille et, sans se soucier apparemment qu’on puisse l’entendre, elle
s’écria:—J’étaisparfaitementensécuritésurletoitjusqu’àcequevous,vousarriviez!Etvous,vousest-il
seulementvenuàl’espritquejen’étaissurletoitqueparcequejemecachaisdevous?—Vousvouscachiezdemoi?Lasurprised’Isabelàs’entendreprononcercesmotsfutmanifestementégaleàlasienne.Aulieuderépondre,elledétournadélibérémentlesyeux.—C’estvousquim’avezinvité!insista-t-il.—Ehbien,jecommenceàleregretter,marmonna-t-elle.—Pourquoivouscachiez-vousdemoi?—J’auraispenséquec’étaitévident.Ilsegardaderépondre,l’obligeantainsiàpoursuivre.—J’aiétésurpriseparnotre…moment…danslasalledesstatues.Jenem’attendaispas…D’ungestenerveux,ellefrottasesmainssursonpantalon,avantdecroiserlesbras,cequieutpour
effet de tendre la batiste blanche de sa chemise sur ses seins et d’attirer l’attention deNick sur leurrondeur ponctuée d’une pointe érigée, plus sombre. Il prit soudain conscience de l’endroit où ils setenaient, de la pénombre et de la chaleurqui régnaient dans le grenier, du crépitementde lapluiequiétouffaittoutautreson.Lelieuétaitparfaitpourunrendez-vousgalant.
Elleinspiraprofondément,lesyeuxlevésauplafond.Unegouttedepluiedescenditlentementlelongdesoncouet,souslesyeuxfascinésdeNick,disparutsouslecoldesachemise–unegouttedepluiedontilfaillitêtrejaloux.Detouteévidence,leYorkshireaffectaitsescapacitésmentales.
—Jenem’attendaispasàêtreaussi…recommença-t-elle.Maislaphrasemourutsurseslèvresquandleursregardssecroisèrent.Ilfitunpasverselle.—Aussi?répéta-t-il,toutensachantqu’ilavaittortd’insister.Ellelaissaéchapperunsoupirrésigné.—Aussi…attiréeparvous.—Vousêtesattiréeparmoi?Jamais il n’avait rencontré de femme prête à un tel aveu.Une telle franchise avait quelque chose
d’irrésistible.Mais elle se reprit alors, et l’embarras colora ses joues d’un rouge violent. Lesmots parurent se
bousculerdanssabouche.—Jesuissûrequecen’estqu’unélanpassager.Jepensequ’ilvaudraitmieuxquevouspartiez.Je
trouveraiunautremoyendevendremacollection…Sanervositéétaitenivrante.Levant lamain,Nickeffleura lapeaudoucedesa tempe,cequi la fit
taire.Aprèsavoirrepousséderrièresonoreilleunelonguebouclehumidecolléeàsonvisage,ilcaressasajouedureversdelamain.
Àcecontact,elleécarquillalesyeux,etsasurprisearrachaunsourirefugitifàNick.Ilpritalorssonvisageencoupeentresesdeuxmainsetl’élevaverslesien.
Iln’auraitpasdûl’embrasser,illesavait.Maiselleneressemblaitàaucunefemmequ’ilavaitconnue,etildésiraitconnaîtresessecrets.Illa
désirait,elle,toutcourt.Ilposaseslèvressurlessiennes,etellefutàlui.
Commeilfallaits’yattendreavecunhommecommeNicholasSt.John,iln’yavaitriendetimideni
d’hésitantdanssesbaisers.Uninstantplustôt,Isabelluttaitcontrelesémotionsétranges,dérangeantes,que suscitait enelle cethommearrogant, etvoilàqu’àprésent il l’embrassait avecunepassionqui laprivaitdesouffle,deréflexionetdebonsens.
Ellerestafigéeuninstant,savourantlapressiondeseslèvressurlessiennes,desesmainsreferméesautour de son visage, de ses doigts qui glissaient dans son cou, tandis que des vagues de sensationsdéferlaientenelle.Puissacaressesefitplusdoucequand,libérantsabouche,ilsecontentadelafrôlertout en léchant sa lèvre inférieure. La sensation de sa langue chaude contre sa peau sensible était sisingulière,sitroublante,qu’elleneputretenirunimperceptiblegémissement.
Puis, de nouveau, il s’empara de sa bouche, la caressant pour inciter Isabel à s’ouvrir à lui.Ellehésita,embarrassée,n’osantni le touchernibouger,decraintedemettreuntermeàcettecaresseetauplaisirqu’elleluiprocurait.
Commes’illisaitdanssespensées,ilfitcourirseslèvreslelongdesajouejusqu’àsonoreille,dontil saisit le lobe entre ses dents. Elle sentit un frisson délicieux courir dans son dos tandis qu’ilmurmurait:
—Touchez-moi,Isabel.C’étaitcequirendait lesfemmesstupidesdevant leshommes,cemélangegrisantdepouvoiretde
faiblesse.Ellen’auraitpasdûobéir,biensûr.Maiscesmots,associésaufrôlementsensueldeseslèvresautour
desonoreille,furentsaperte.Elleposasesmainssursontorse,puissursesépaules.Ilrefermaalorssesbrasautourd’elle,l’attirantcontresoncorpsduretchaud.Latêterejetéeenarrière,ilscrutasonvisagecomme pour avoir la confirmation qu’elle désirait cette étreinte autant que lui, avant de reprendre sabouche.
Étourdieparlessensations,Isabelluirenditsescaressesavecunepassioninnocentequinefitquel’encourager.Elleenfouitsesdoigtsdanssacheveluremouillée,avantdesehissersurlapointedespiedspouravoirunmeilleuraccèsàsabouche.Illalaissaexplorercelle-ciàsaguise,etquandellefinitparsuivre timidement, de la pointe de la langue, sa lèvre inférieure, le grognement qu’il laissa échapperprocuraàIsabelunesatisfactioncommeellen’enavaitjamaiséprouvé.
Ilmitalorsuntermeàcebaiseret,reprenantl’initiative,fitdescendreseslèvreslelongdesoncou.Lorsqu’ilenmordillalégèrementlapeautendre,leplaisirarrachaàIsabelunsoupirétouffé.Ellen’eutpasbesoindevoirsabouchepoursavoirqu’ilesquissaitunsourirerichedepromessessensuelles.
Quandilrelevalatête,ledésirassombrissaitlebleudesesyeux.Ilentrouvritleslèvreset,fascinée,elleattendit.
—Isabel?L’espace d’un instant, elle ne comprit pas qui prononçait son prénom. Toute son attention était
concentrée sur Nick, sur le fait qu’il l’avait relâchée, qu’il se tenait à présent aussi loin d’elle quepossible.Elleavaitfroid,soudain,sanssachaleur.D’ungestemachinal,elleportalamainàseslèvrescommepouravoirlaconfirmationque,quelquessecondesplustôt,ill’avaitenlacée.
—Isabel!
La seconde fois que James l’appela, la réalité la rattrapa brusquement. Elle eut soudain uneconscienceaiguëdulieuoùilssetrouvaient,deleursituation,decequ’ilsvenaientdefaire,etellefutsaisiedel’envieirrésistibledes’enfuirparlalucarne…etdevivresurletoitpendantuncertaintemps.Aumoinsjusqu’audépartdelordNicholas.
Maisellesecontentadeleregarderaveceffroi.—C’estmonfrère!chuchota-t-elle.—C’est ceque j’ai cru comprendre, répliqua-t-il, ironique.Nepensez-vouspasqu’il faudrait lui
répondre?—Je…Évidemment,ilavaitraison.Elleseprécipitaversl’escalier.—James!Jesuislà-haut!—Izzy!Katetecherche!L’allusion à son palefrenier féminin affola Isabel. Elle reporta son regard sur Nick. Entre ce qui
venaitde sepasseret les secretsqu’elleétaitobligéedecacher, toutdevenaitencorepluscompliqué.Hésitante,nesachantcommentmettreuntermeàuntel instant,elledit lapremièrechosequi luivintàl’esprit:
—Vousdevezpartir.—Quesuggérez-vous?Quejesautedutoit?Elleprituneprofondeinspiration,avecl’espoir insenséderecouvrerunpeudecesang-froiddont
elleétaitsifière.—Biensûrquenon.Vouspouvezsortirparlagrandeporte.—Quellemagnanimitédevotrepart…Ignorantsataquinerie,ellecommençaàdescendrel’escalier.Maisellen’avaitpasatteintlaseconde
marchequesesparolesl’arrêtèrentnet.—Vousnepouvezpasvousmontrerdanscetétat.Ellebalayasaremarqued’ungestedelamain.—Toutlemondem’adéjàvuevêtueenhomme.Iln’yaurapasdeproblème.—Cen’estpasàvosvêtementsquejefaisallusion.Elleseretournaetsoutintsonregardbleu,perçant.Beaucouptropperçant.—Àquoidonc,alors?—Àvotreapparence.—Quevoulez-vousdire?demanda-t-elleenportantlamainàsescheveux.—Vousavezl’airdequelqu’unquiaétéfougueusementembrassé.Isabelrougit,siviteetsifortqu’elleplaquasesmainssursesjouespourtâcherd’endiguerleflotde
chaleur.Puiselleseredressaet,desontonleplusfroid,ellerépéta:—Vousdevezpartir.Immédiatement.Surce,elledescenditàtouteallure,certainequ’unnouveaudéfil’attendait.
—Ilsnepeuventpaspartir…Queveux-tudire?Kateessoraseslongscheveux,puiselles’adossaàlaparoid’unestalle.—Riendeplus. Ilsnepeuventpaspartir.La routeest inondée,et iln’yapasd’autreaccèspour
retournerenville.—Maisilsn’ontpaslechoix.Ilfautqu’ilss’enaillent!s’écriaIsabeld’unevoixsuraiguë.Katefronçalessourcils.—Isabel…Jenevoispasbiencequejepourraisyfaire.Jenesuispasresponsabledutemps.
— Il nous faudra simplement veiller à ce que les filles restent cachées, intervint Jane, toujourspragmatique.C’estdéjàarrivé.
Isabelpoussaunsoupirexaspéréet se frotta le front.Puiselle regardasescompagnes l’uneaprèsl’autre.
—LordNicholasn’estpasunsot.Ilnevapastarderàserendrecomptequ’ilyaquelquechosedebizarreàTownsendPark.Etsonamiaussi.Ilsvontremarquerl’absenced’hommes.
—Pas s’ils se focalisent sur lemanquededomestiques,ditGwenà son tour, tout en tapotantuneselleposéesurlaported’unestalleinoccupée.Ilsn’ontpasvubeaucoupd’entrenous…Nouspouvonsnouscontenterdecacherlesfilles,etensuite…Ehbien,croiserlesdoigts!conclut-elleavecunsourirequineréconfortaenrienIsabel.
—NousavonspasséseptansàprotégerlesfillesetMinervaHouse,ettonuniquesuggestion,c’estdecroiserlesdoigts?
CommeGwenopinaitavecenthousiasme,Isabell’observa,lesyeuxplissés.—Qu’est-cequiterendsiheureuse?Gwen ouvrit la bouche pour répondre.Mais, avant qu’elle eût prononcé lemoindremot,Kate fut
saisied’uneénormequintedetoux,manifestementforcée,etGwenrefermalabouche.Puisellesecoualatête en détournant le regard. Jane, elle, alla caresser les naseaux de l’un des deux chevaux qu’ellesavaientgardésàTownsendPark.Larasemblaithypnotiséeparlaborduredesongantdechevreau,tandisqueKates’abîmaitdanslacontemplationduplafond.
Quelquechosen’allaitpas…—Qu’ya-t-il?demandaIsabel.Commepersonnenerépondait,elleinsista:—Aucunedevousquatren’ajamaisétécapabledemecacherquoiquecesoit.Qu’ya-t-il?CefutGwenquicraqualapremière.—C’estjustequeleCielparaîtsoutenirnotreplan.—Gwen…murmuraJaned’untondésapprobateur.—Votreplan?—Exactement.Enfait,poursuivitlacuisinièreenquêtantduregardlesoutiendeLara,Pearlsand
Pelisses…—Biensûr,fitIsabel.J’auraisdûmedouterquecelaavaitunrapportaveccettegazetteridicule.—PearlsandPelisses,répétaGwenavecemphase,ditquelemeilleurmoyendes’assurerl’intérêt
d’unlord,c’estdelegardertoutprèsdesoi!Etquelmeilleurmoyenqu’unetempêtepourlegardertoutprès?Onn’amêmepasbesoindetrouverunstratagèmepourqu’ilpenseàvous!Lanaturelefaitànotreplace!
—Parcequevouscroyezque j’ai enviede susciter l’intérêtdecethomme?La seulechosepourlaquelle jeveuxsusciter son intérêt, c’estpour lacollectiondestatues !Kate, iln’yavraimentaucunmoyenqu’ilspuissentretourneràDunscroft?
—Aucun, répondit Kate en secouant la tête. Je suppose que la route sera de nouveau praticabledemainmatin,àconditionquelapluies’arrêtecettenuit.Maisjen’enverraispasdeschevauxaffrontercetemps…pasplusquedesétrangersàlarégion.
—Tum’assuresquetumedislavéritéetquetun’inventespasunehistoirepoursoutenirlesbêtisesdeGwen?
Katelaregardacommes’illuiétaitpousséunedeuxièmetête.—Vouspensezvraimentquejesoutiendraisquoiquecesoitenrapportaveccejournal?Isabellevalesmainsensigned’apaisement,puissetournaversLara.
—Quedois-jefaire?—Tenirbon,caraprèscettepluieviendralebeautemps,réponditLaraavecunsourire.—Enattendant,nousavonsunerouteinondéeetunhommetropperspicacepournotrebien,Lara.—Nedispasdebêtises.Ilauradavantagedetempspourtravaillersurlacollection,non?Peut-être
quelatournurequeviennentdeprendrelesévénementsaccéléreraleschoses.—Et vous oubliez le côté le plus intéressant de la chose, ajouta Jane devant lamoue dubitative
d’Isabel.—Lequel?—Tantquelarouteestinondée,nousnerisquonspasdevoirarriverlevicomteDensmore.Jane n’avait pas tort. Peu de choses étaient pires que d’avoir lord Nicholas bloqué à Townsend
Park…maislavenueduvicomteenfaisaitpartie.—LordNicholaspourraitpeut-êtrenousfournirdesinformationssurlui…suggéraGwen.—JepréféreraisquelordNicholasn’ensachepasplussurnosdifficultés,réponditIsabel.Ilestdéjà
assezdéplaisantdedevoirsupportersaprésencecesoir.—Tousdeuxsemblentêtredeshommesbons,avançaLara,cequiluivalutd’attirersurelletousles
regards.—Ahoui?fitGwen.—Certes,jen’aipaspassébeaucoupdetempsaveclordNicholas,reconnutLara.MaisM.Durukhan
al’air…charmant.—Charmant,répétaKate.—Oui.Charmant.Enfin,gentil.Entoutcas,plutôtgentil.Sesquatrecompagnes ladévisagèrentensilence.Lara finitpar se soustraireà leurattentionense
tournantversl’undesgrandschevauxarrivésavecl’objetdeleurdiscussion.Devantcegesterévélateur,lesautreséchangèrentdescoupsd’œilentendus.
—Lara,est-cequecegéantt’intéresserait?lataquinaIsabel,heureusedecettediversion.—Jen’aipasditça!protestaLaraenouvrantdegrandsyeux.—Paslapeinedeledire,répliquaKate.Onatoutescompris,rienqu’àvoirvosjouesroses.QuandIsabelvitsacousineouvrirlabouche,puislarefermersansriendire,ellecompritaussitôtles
émotionsqui l’agitaient.Elle savait précisémentquel troublepouvaithabiterune femmeattiréeparunhommerencontréunjourplustôt.
—Hier,j’aientendulordNicholasl’appeler«Rock»,ditKate.Lenomsemblebienchoisipourunecréatureaussimassive.
Aprèsêtrerestéesilencieuseuninstant,Laradéclarasimplement:—Ilyadelabontédanssesyeux.Ce détail, comparé à la gigantesque stature du Turc, fit sourire Isabel. Combien de temps
s’écoulerait-ilavantque leurshôtesn’aientensorcelé toutes les femmesde lamaison?Après tout, ilsétaient différents des hommes dont les résidentes de Minerva House avaient l’habitude : ils étaientcharmants,beaux,intelligents…etl’und’euxembrassaitàmerveille.
Non, il ne fallait pas qu’elle tienne compte des côtés positifs de lord Nicholas. Si elle voulaitconserverunsemblantdesang-froidpendantsonséjourchezelleetnepasmettreendangercequi luitenaitleplusàcœur,elledevaitserappelersoninsupportablearrogance,sesprovocationsdésinvoltes,soncomportementabsolumentinacceptabledanslegrenier.
Mêmesi,surlemoment,ellel’avaitparfaitementaccepté…Lescontactsd’Isabelavec lagentmasculineétaient rares.Àpart lescommerçantsduvillageet le
pasteur, elle n’avait aucune raison de fréquenter des représentants du sexe opposé. Et surtout pas des
célibataireslondoniensauxlargesépaules,auxbrasd’acieretauxyeuxplusbleusqu’iln’étaitpermis.Aucontraire,elleavaitpassésavieàéviterlesrichesetcharmantsmondainsquicaptivaienttoutes
les femmesalentour,avec leurscravatesparfaitementnouéeset leurssourires faciles.Cen’étaientquedes hommes qui prenaient plaisir à rendre les autresmalheureux ; des hommes qui, comme son père,semaientladésolationautourd’eux,tournaientleurmariageenridiculeetfaisaientdeleursfemmesdescréaturespitoyables,désespérées,prêtesàaccuserlemondeentierdelapertedeleursmaris.
Quand lord Nicholas St. John était arrivé, avec son visage séduisant et sa morgue, elle s’étaitattenduequ’ilsoitcommelesautres.Maisilavaitacceptédel’aider,ilavaitprisdesrisquespourveniràsonsecours,illuiavaitassuréqu’ellesauraitsurmontersesdifficultés–toutcelaenquelquesheures.
Etvoilàqu’ilétaitbloquéchezelle.Eninvité.Parmideuxdouzainesdefemmesquisecachaientpouréchapperàdessévicesvariés.
Pournerienarranger,ill’avaitembrassée.Nonqu’elleaittentédesesoustraireàsonbaiser,nimêmeenvisagédelefaire…Pendantdesannées,elleavaitrêvédecepremierbaiser,donnéparunhérosanonymeetsansvisage,
et prélude aux déclarations d’amour, aux demandes en mariage et autres divagations qui peuplaientl’imaginationdesjeunesfillesinnocentes.
Mais Isabel savait depuis longtemps que ces rêves étaient pures chimères. Parce que les hérosn’existaientpasetquel’amournecomblaitpaslesfemmes,contrairementàcequel’onprétendait.Ellesavaitd’expériencequel’amourleslaissaitmeurtries,faiblesetdésespérées.
Cequ’ellenevoulaitêtreàaucunprix.Etpourtant,danslegrenier,elleétaitredevenuelafilled’autrefois,quirêvaitdesonpremierbaiser.
DanslesbrasdelordNicholas,elleavaitentraperçucettepromesseéphémère–cettetentation.Ellen’avaitjamaisimaginé,cependant,qu’ellerecevraitsonpremierbaiserd’unquasi-étranger,dans
legrenierpoussiéreuxde lamaison familiale,aprèsavoir failli tomberdu toit.Pourêtrehonnête,ellen’avaitpasnonplusimaginéquecepremierbaiserseraitaussimerveilleux.Ni,surtout,qu’illuiseraitdonnéparunhommeaussi…aussi…viril.
Lepetit soupirqui lui échappaattira sur elle l’attentiondesautres femmes. Jane ladévisagea, lesyeuxplissés.
—Isabel?Ilyaquelquechosedontvousvouleznousparler?Isabelbaissalesyeuxsursonpantalontrempé,dontellefitminedelisserl’étoffe.—Non.Pourquoi?—Ques’est-ilpasséquandjevousailaisséeaveclordNicholassurletoit?—Vous vous êtes retrouvée seule avec lui !C’estmerveilleux ! s’exclamaGwen, l’air enchanté.
DansPearlsandPelisses,ilsdisentquevousdevezresterdanssonesprit…etsoussesyeux!—Ehbien,rétorquaIsabel, ironique,vuquecepauvrehommeestprisaupiègeici, jepensequ’il
m’auradansl’espritetsouslesyeuxjusqu’àplussoif.—Quoiqu’ilensoit,leslaisserseulssurletoitétaituneexcellenteidée,Jane!Bienjoué!—Cen’était pasvraimentmon idée, répliqua Jane,qui leva lesyeuxau ciel.Si j’étais restée, je
croisbienqu’ilauraitremarquéquejenesuispasunhomme.Cequim’asauvée,c’estqu’ilpouvaitàpeinedétachersonregardd’Isabel.
—Cen’estpasvrai!protestacettedernièreentournantvivementlatêteversJane.—Vraiment?ditKate.Voilàquiexpliqueraitsonétrangeréaction lorsqu’ilvousavuesur le toit,
hier.—Cen’étaitpasuneréactionétrange,répliquaIsabel.Cen’estpastouslesjoursqu’unedamemonte
surletoitdesamaison.
— Je me suis fait la même remarque que Kate, déclara alors Lara, apparemment remise de sonembarras.Danslasalledesstatues,hier.Tususcitessacuriosité,Isabel.
—Pasdutout!—Alors,ques’est-ilpasséaprèsmondépartdutoit?demandaJaneavecundétachementfeint.—Ilnes’estrienpassédutout.Ilacommencéàpleuvoir,etnoussommesrentrés.Isabel se mordit la langue. Peut-être ses compagnes ne remarqueraient-elles pas son débit trop
rapide.Hélas…Quatrepairesd’yeuxsefixèrentsurelle,siinsistantsqu’elledutserappelerquelesbaisers
nelaissaientpasdetraces.—Nousétionsmouillés,précisa-t-ellesansnécessité.—Ahoui?fitKate.—Etalors,après?demandaGwend’unevoixpressante.Déconcertéeetagacéeparleurexcitation,Isabelrivasonregardauplafond.—Etalors,rien!déclara-t-elled’unevoixplusaiguëquelanormale.Jamesm’aappeléeendisant
queKateavaitbesoindemoi,et jemesuisprécipitéeàsarencontre,depeurqu’ilne laisseéchapperquelquechosedecompromettant!
Unlourdsilences’abattit.QuandIsabelreportasonattentionsursescompagnes,cefutpourconstaterquetoutesquatre,lesyeuxécarquillés,paraissaienthypnotisées.Saisied’unaffreuxpressentiment,elleseretourna.
Surleseuildel’écuriesetenaitM.Durukhan,qui,labouchelégèremententrouverte,observaittouràtourJaneetKate.SonregardseposasurlacasquettebienenfoncéequidissimulaitlescheveuxdeKate,puissurlecatoganàl’anciennemodequeportaitJane.Ils’attardaensuitesurlesdétailsimpossiblesàdissimuler:leurmentonimberbe,lessourcilsàl’arcparfaitetlelongcoudeKate,lespommetteshautesetlagrandebouchedeJane.
Ellesétaientdécouvertes!Aprèss’êtreéclaircilagorge,ilesquissaunsemblantdesalut.—LadyIsabel,mademoiselleLara…commença-t-ilenaffectantdenepasremarquerlepantalonque
portaitlapremière.J’étaisvenupourdiscuterdenotredépartavecvotre…palefrenier.Unlongsilencesuivit,ponctuéuniquementparlechevaldeRockquifrappadusabotenentendantla
voixdesonmaître.Lesfemmesétaientdevenuesmuetteset,siellen’avaitétéaussihorrifiée,Isabels’enseraitamusée.
Elledéglutitavecpeine.Entantquemaîtressedemaison,illuiincombaitdeparleretdefairetoutson possible pour protéger leurs secrets… En tout cas, ceux qu’elle n’avait pas révélés avec unedésinvolturecoupable.
—MonsieurDurukhan…Maisill’interrompitavecunlégersourire.—«Rock»suffira.—Oh…Je…C’estimpossible.LesouriredeM.Durukhans’élargit,éclairantsonvisagebronzé.—Avant cet instant particulier,mademoiselle, je l’aurais pensé.Toutefois, il semblerait quenous
ayonsàprésentunerelationempreinted’une…familiariténouvelle,vousnepensezpas?Gwenricana,cequiluivalutderecevoiruncoupdecoudedeKatedanslescôtes.Ellepoussaune
exclamationdedouleur,quifutsuivied’unéchangedechuchotementsfurieux.MaisIsabeln’yprêtaguèreattention.Avecunepaniquegrandissante,ellevoyaitleregardperçantdeRocks’attarderdenouveausurKate,puissurJane,commes’ilcherchaitlaconfirmationphysiquedesproposqu’ilvenaitdesurprendre.
Isabelfermabrièvementlesyeux,consternée.Commentavait-ellepuêtreaussisotte?Sielleavaitétéaussidistraite,aussi troublée,c’étaitàcausede lordNicholas.S’ilnes’étaitpas
montréàcepoint…Elle retint alors un gémissement. Lord Nicholas ! Rock allait sûrement tout lui raconter. Ce qui
signifiaitque,tôtoutard,lasociétélondoniennen’ignoreraitplusriendel’existencedeMinervaHouse.Ilnefallaitpasqu’ilsoitmisaucourant.Maiscommentfaire?L’hommequisetrouvaitdevantelles
accepterait-il…—Jesupposequevousavezunetrèsbonneraisonpourjustifiercettemascarade?Àcesmots,prononcésd’unevoixfaussementdésinvolte,Isabeltressaillit.—Jevousdemandepardon?— Je parle de votre palefrenier, mademoiselle. Et de votre majordome. Je suppose que leur…
«uniforme»sertunbutparticulier.—Nous…Oui,réponditIsabel,sanscomprendreoùilvoulaitenvenir.—C’estbiencequejepensais.—Je…Nous…commença-t-elleenquêtantvainementduregardlesoutiendesautresfemmes.C’est-
à-direque…J’espèrequevousgardereznotresecret,monsieur.Il l’observa durant de longues secondes. Seul le crépitement incessant de la pluie sur le toit de
l’écurietroublaitlesilence.—Vousvoulezquejelegardevis-à-visdeSt.John,jesuppose…—C’estexactementcequejesouhaiterais.Il retomba dans le silence. Le ventre d’Isabel se serrait à l’idée qu’il puisse refuser. Déjà, elle
cherchait frénétiquement où et chez qui elle pourrait envoyer ses protégées. Il lui fallait disperser lesoccupantesdeMinervaHouseavantqu’onnedécouvreleurretraite.Ilétaithorsdequestionquel’uned’ellespâtissedesagaffemonumentale.
—D’accord.La panique dans laquelle se débattait Isabel était telle qu’elle ne comprit pas immédiatement sa
réponse.—Je…jevousdemandepardon?—Nousavonstousdessecrets,mademoiselle.—Vraiment?—Encequimeconcerne,c’estcertain,réponditRockavecunsourireencoin.Etjen’aimeraispas
penserquevouslesrévéleriez,sivousenaviezconnaissance.—Certainementpas!répliqua-t-elleavecvéhémence.—Mêmesijenelescomprendspas,jesupposequevousaviezdebonnesraisonsdemettreenplace
ce…cetarrangementpeuorthodoxe.—Oui.Commeilétaitvisiblequ’ellenesouhaitaitpasendireplus,ilsecontentadehocherlatête.Peut-être
queLaraavaitraison,finalement,etquel’hommeétaitgentil.—Vousêtesbienconsciente,néanmoins,qu’ilvaledécouvrirtoutseul.Isabelfrémit.Non,iln’étaitpasdutoutgentil!—Jenevoispaspourquoi,riposta-t-elle.LeshommesquisontvenusàTownsendPark,ycompris
vous-même,n’ontrienremarqué.—Isabel…murmuraLara.—St.Johnn’estpascommelesautreshommes,rétorquaRock.Ilesttrèsattentifàcequil’entoure.À
monavis,s’iln’avaitpasétédistraitpard’autres…particularitésdelamaison,ilauraitdéjàdécouvert
cequevouscachezsoussonnez.—Iln’yariendeparticulieràTownsendPark!protestaIsabel.LeregarddeRockseposarapidementsurlestenuesmasculinesportéesparIsabel,KateetJane.Puis
ils’adressadenouveauàIsabel.—Sivousledites…Celaneluiplairapasd’êtreledernieraucourant,néanmoins.— Il ne sera pas le dernier au courant, rétorqua-t-elle, incapable de dissimuler son irritation.
Puisqu’iln’ensaurajamaisrien.Rockémitungrognementdubitatif.—Quoiqu’ilensoit,nousenavonsfiniaveclesstatuespouraujourd’hui.Vousavezdonctoutela
soiréepourdéciderdelamanièredontvousprolongerezcettemiseenscènedemain.IlsetournaensuiteversKateet,commesilasituationn’avaitriend’anormal,ajouta:—Nousaimerionsdisposerdenosmontures.Unviolentcoupdetonnerretiralesfemmesdeleurtranse.—Oui,biensûr,ditKateens’élançantaussitôtverslastalleoùétaitlogélechevaldeRock.Puiselles’arrêtanet,pivota,lesyeuxécarquillés,etcroisaleregardd’Isabel.—Oh…—Ilyaunproblème?s’enquitRock.—Non!s’écrièrentLara,Kate,GwenetJaneàl’unisson,avantdeseregarder,embarrassées.—C’estsimplementque…commençaJane.—Vouscomprenez,monsieur…essayaGwen,sanssuccès.—Larouteestinondée,lâchaKate.—Cen’estpasaussiinquiétantqu’ilyparaît…C’estassezcommunlorsdesorages…Elledevrait
redevenirpraticablebientôt,intervintLara.—Oui,maispourlemoment?Ils’était tournéversIsabel.Setrompait-elle,ouunelueurd’amusementpétillait-elledanssesyeux
noirs?—Vousnepouvezpaspartir,admit-elledemauvaisegrâce.—Jevois,murmura-t-ilaprèsunsilence.Ceseradoncencoreplusintéressantquejenelepensais…
Mesdemoiselles,puis-jevousraccompagneràlamaison?dit-ilenprésentantsonbrasàLara.Celle-ci resta figée sur place, indécise, jusqu’au moment où, d’une bourrade discrète, Gwen la
poussaenavant.—Jevousremercie,monsieurDurukhan.—Appelez-moiRock,jevousprie,dit-ilenglissantsamainaucreuxdesoncoude.Lararougitengloussant.Isabel en resta interloquée. Sa cousine avait gloussé ! Or, parmi les nombreuses raisons qui les
incitaientàexclureleshommesdeTownsendPark,legloussementvenaitentêtedeliste.Alorsquelepetitgroupesortaitdel’écurie,Isabelrestaenarrière,plongéedanssespensées.Les deux hommes allaient devoir passer la nuit sur place, et lord Nicholas ne tarderait pas à
découvrir leur secret, que son ami le lui révèle ou pas.Les filles n’étaient pas douées pour jouer leshommes.Leursattitudesetleursvêtementspouvaientdonnerlechangel’espaced’uninstant,maispassurlelongterme.Ilnes’écouleraitpaslongtempsavantquel’uned’ellesnetrahisselavérité.
Et il ne s’agissait pas simplement des soirées. Si St. John passait ses journées ici, en travaillantétroitementavecellespendantdeuxsemaines…ellesneparviendraientjamaisàpréserverleursecret.
Isabelsoupira,puisunevaguededésespoirgonflaenelle.Rienn’avaitchangé.Nonseulementellen’avaitrégléaucundeleursproblèmes,maiselleenavaitcréédenouveaux.Celordqu’elleavaitinvité
chezellepouvaitlesanéantird’unseulmot.Peut-êtreneleferait-ilpas,certes.Maiselledevaittrouverunmoyendelegagneràleurcauseafin
qu’ilnelesdénoncepas,unefoisqu’ilauraitdécouvertlavérité.Maisquelmoyen?—Isabel?Çava?LavoixdeGwenlatiradesesréflexions.Ellecroisasonregardscrutateur.—Oui,mentit-elle.Trèsbien.Gwenluijetauncoupd’œilincrédule.—Toutvabiensepasser,Isabel,déclara-t-elled’untonquisevoulaitrassurant.—Ilvatoutdécouvrir,murmuraIsabel,incapablederetenirunpetitriredepanique.—Oui,opinalacuisinière.Sonacquiescementlibéraletorrentdemotsquimenaçaientd’étoufferIsabel.—Et qu’adviendra-t-il de nous ?Aumoins, quandmonpère était vivant, nous étions en sécurité.
Comme personne ne se souciait de Townsend Park, Minerva House ne courait pas le risque d’êtredécouverte. Nous n’avions pas d’argent, nous n’avions aucune protection, et cependant, nous necraignionsrien.
Incapablederesterenplace,Isabelsemitàarpenterl’écurietoutencontinuant:—Et puis, comme simonpère ne nous avait pas infligé suffisamment d’épreuves, il a fallu qu’il
meure.Et,biensûr,sansriennouslaisser.Niargent,nisécurité,nimêmelaprotectiond’unepersonnedeconfiance.
—Isabel…toutirabien,affirmaGwenenrevenantverselle.Cefutlagoutted’eauquifitdéborderlevase.Isabelenfouitsonvisagedanssesmains.—Arrêtededireça!Gwens’immobilisa,etl’atmosphères’alourditbrusquement.—Arrêtededireça,répétaIsabeld’untonpluscalme.Tun’ensaisrien.—Jesuissûrequevoustrouverezunmoyen…—J’aiessayé,Gwen,crois-moi.Depuisquej’aiapprissamort,j’aiessayédetrouverdesmoyens
denousensortir.Maisrienneva,ajouta-t-elleensecouantlatête.Lamaisontombeenruine,Jamesestaussi prêt à devenir comte qu’à s’envoler, nous n’avons pas d’argent pour régler nos factures, et j’aiintroduitunrenarddanslepoulailler.
Ellemarquaunelégèrepauseavantdepartird’unpetitrireironique.—Oh,quellemétaphorepertinente!Puiselleselaissatombersurunebottedepaille,découragée.—Autanttedirequejesuisàcourtd’idées.Enoutre,avecl’arrivéedecettepluie,letempsnousest
compté.Elle avait toujours su que ce jour viendrait, qu’il suffirait d’une erreur idiote, d’un hasard
malencontreux.Ellen’étaitpasassezfortepourlesprotégertoutes,etilétaittempsqu’ellel’admette.Deslarmesluipiquèrentlesyeux.—Jenepeuxpasnoussauver,Gwen.Elletrouvauncertainréconfortàchuchotercesmots–desmotsqu’elles’étaitrépétésdesdizaines,
descentainesdefois,sansjamaislesprononceràvoixhaute.Gwenrestasongeusequelquesinstants.Puisellereprit:—Ilsnereprésententpeut-êtrepasunsigranddanger.Jen’aipasrencontrélordNicholas,maisson
amisembleêtreunhommecorrect.—Commentpeux-tulesavoir?
—Vousoubliezquej’aicroisésuffisammentd’hommesmauvaispourêtrecapabledemeforgeruneopinionsurlesujet.
C’étaitlavérité,biensûr.Gwenétaitlafilled’unpasteurcampagnardqui,d’aprèscequ’Isabelavaitdeviné,invoquaitplussouventqu’àsontourlesflammesdel’enfer.Mêmesielleneparlaitpassouventdesonenfance,Gwenluiavaitrévéléqu’illajugeaitplussusceptibledepécherquesesfrères–lesquelsprenaientplaisiràabonderdanslesensdeleurpère.Gwenavaitsaisilapremièreoccasiondequitterlamaisonfamiliale.Maislefermierqu’elleavaitépousés’étaitmontrébienpirequesonpèreetsesfrèresréunis.Moinsd’unanaprèssonmariage,poursesoustraireàsescoups,elleavaitdéfiélaloiets’étaitréfugiéeauprèsd’Isabel.
Troisjoursaprèssonarrivéeaumanoir,Gwen,dontleshématomescommençaientdéjààs’estomper,étaitentréedanslacuisineaveclelargesourirequiallaitdevenirsontraitlepluscaractéristiqueetavaitannoncéquelesrésidentesdeTownsendParkformaient«unbataillondeMinerves…dedéessesdelaguerreetdelasagesse».
MinervaHouseavaitainsiétébaptisée.EtIsabelétaitsurlepointdelaperdre…—C’estunétranger,finit-elleparrétorquer.Nousnepouvonspasluifaireconfiance.—Jesuislapremièreàm’interrogersurlanaturedeshommes,Isabel.Maisjenepeuxpascroire
qu’ilssoienttousmauvais.Etvousnelecroyezpasnonplus,j’ensuissûre.LordNicholasnenousveutpeut-êtrepasdemal.
—C’estunhommetrèsdérangeant,répliquaIsabel.—Commelesontsouventleshommestrèsbeaux.J’ailuquesesyeuxétaientd’unbleuincroyable…—C’estvrai.—Ah,ditGwenensouriant,vousl’avezremarqué.Isabelrougit.—Jenel’aipasremarqué.J’aisimplement…—Ilvousaembrasséesurletoit,n’est-cepas?—Commentlesais-tu?s’exclamaIsabel,abasourdie.—Jenelesavaispas,répliquaGwen,dontlesourires’étirajusqu’auxoreilles.Maismaintenant,si.—Gwen!Tunedoisledireàpersonne!—Jecrainsdenerienpouvoirpromettre.Çavousaplu?—Non,prétenditIsabel,àprésentécarlate.—Quellementeusepitoyablevousfaites!—Bon,d’accord…Çam’aplu.Jedoisdirequ’ilembrassetrèsbien.—N’oubliezpasderesterprudente.Sivoustombezamoureusedecelord,vousnecomprendrezpas
cequivousarrive.Isabel tourna et retourna cesmots dans son esprit. Tout lui échappait. Elle risquait de perdre ce
qu’elleavaitdepluscheraumonde.Etelleavaitembrasséunétranger.Gwenavaitraison:ellenecomprenaitpascequiluiarrivait.
8
—Toutsonpersonnelestféminin.Ledînerfini,Nickavaitétalésesnotessurunelonguetablebasse,danslabibliothèquedeTownsend
Park.Maisilneparvenaitpasàs’immergerdansladescriptiondelacollectiondestatues–seulechosequ’ilparaissaitsusceptibledecomprendre,danscettemaison.
—Oui,acquiesçaRockenlevantlesyeuxdesonlivre.—Tul’avaisremarqué?—Oui.—Etçaneteseraitpasvenuàl’espritd’yfaireallusion?—J’attendaisdevoircombiendetempsiltefaudraitpourt’enapercevoir.—Paslongtemps.—Ilfautdirequ’ellesnesemblentpastrèsdouéespourladissimulation.—Effectivement.Tuasremarquélevaletdepied,lorsdudîner?—Tuveuxdire:ai-jeremarquélapoitrineduvaletdepied,lorsdudîner?—Tunedevraispasregarderlesdomestiquesdecettemanière,Rock,répliquaNickavecunsourire
amusé.Puisilseleva,s’approchadelafenêtreetseperditdanslacontemplationdelapluiequicinglaitles
carreaux.—Quelleestl’utilitéd’avoirunemaisonpleinedefemmes?s’interrogea-t-il.Rockreposasonlivreet,latêteappuyéecontreledossierdesonfauteuil,fixaleplafond.—Iln’yapasuneseuleréponseraisonnableàcettequestion.—JeneconnaisladyIsabelquedepuisdeuxjours,maisjepeuxt’assurerque«raisonnable»n’est
pasunqualificatifque j’appliquerais à ses actes.Peut-être est-ceune sorted’école, suggéra-t-il en setournantverssonami.
MaisRocksecoualatête.—Elle n’aurait pas de raisonde s’en cacher.Le fait que ce soit secret évoquequelque chose de
répréhensible.—J’endoute,répliquaNick,quecetteidéemettaitmalàl’aise.—Si elle fait quelque chosed’illégal, elle compromet l’avenir de son frère.Londres n’acceptera
jamais le jeunecomtedeTownsendsinonseulementsonpèremaisaussisasœursesont livrésàdesactivitéscondamnables.
—Ellen’apasd’argent.Sic’estuneproxénète,ellen’apas le sensdesaffaires…Tucroisqu’ilpourraits’agird’unbordel?finitpardemanderNickavecréticence.
—Passanshomme.
—Peut-êtrequec’étaituneespècedeharemàl’usageducomte.—Tunepensespasques’ilavaiteuunharem,ill’auraitannoncéaumondeentier?—Si,biensûr.C’estuneidéeridicule.Maisbonsang,c’estquoi,cetendroit?Commentexpliques-
tuqu’iln’yaitaucunhomme?—Ehbien,ilestpossibleque…commençaRockenseredressantdanssonfauteuil.—Quequoi?—Quecettemaisonsoitpleinedefemmesquines’intéressentpasauxhommes.Defemmesqueleur
intérêtporte…verslesfemmes.—Non,ilnes’agitpasdecela.—Nick,réfléchis.Ellespourraientfortbienêtre…—Quelques-unes,peut-être.MaispasIsabel.—Tunepeuxpasenêtrecertain.—Si,Rock,répliquaNickenleregardantdanslesyeux.Jesuiscertainqu’Isabeln’aaucungoûtpour
lesamourssaphiques.—Ah…Déjà?Ehbien,St.John,continuaRockd’untongoguenard,jetetiremonchapeau.Avecungrognementpourtouteréponse,Nickretournas’asseoirdevantlatablebasse.Iln’auraitpas
dûl’admettre.EmbrasserIsabelavaitétéuneerreurmagistrale,etlaseulechoseraisonnableàfaireétaitdechassercetépisodedesonesprit.
Ils’yemployait,biensûr,maisenvain.Hélas,chaquefoisqu’ilpensaitl’avoiroublié,lesouvenird’Isabel,sisoupleetsiconsentanteentresesbras,revenaitavecforceàsamémoire.
Les soupirs de cette femme étaient une arme, que diable ! Comment un homme aurait-il pu leurrésister?
Àcet instant, il n’aspiraitqu’au réconfortde laboisson.Mais lamaisonne semblaitpasoffrir cegenredeconsolation.
Certes,unepetitecarafedevinavait accompagné leurdîner,qu’ilsavaientprisen têteà tête.Lesdames avaient demandé à être excusées, sous prétexte qu’Isabel, étant en deuil, ne pouvait animer lasoirée.Parconséquent,Laranes’étaitpasjointeàeux,carilauraitétéinconvenantqu’unejeunefemmedîneseuleavecdeuxhommescélibataires.
Unsoucidesconvenancesquinepouvaitqu’étonner,dansunemaisonpleinedefemmesdéguiséesenhommes…
Rock et Nick avaient donc partagé un repas, tout à fait correct, de bœuf froid accompagné delégumes.Puisunjeune«valet»silencieuxlesavaitescortésjusqu’àlabibliothèquedumanoir.
Cela aurait parfaitement convenu à Nick s’il avait été capable de détourner son attention de sonuniqueobjetdepréoccupation:lamaîtressedemaison.
Ilfeuilletaunefoisdeplussondossier,s’arrêtantsurlesnotesprisessurVolupté.«Elles’abandonneà l’orgasme », avait-il écrit un peu plus tôt au sujet de la statue, avant de commencer à imaginer sapropriétairedansunétatsimilaire.
Iln’avaitalorsplusétébonàgrand-choseetavaitfiniparpartiràlarecherched’Isabel.Ceseraitplusunetorturequ’autrechose,illesavait,etleurépisodedanslegrenieravaitconfirmésonintuition.
Nickauraitvouluquecebaisernefinissepas.Silejeunecomtenelesavaitinterrompus,ilauraitétécapabled’allongerIsabelsurleplancherpoussiéreuxdugrenieretdeluimontrerjusqu’àquelpointonpouvaittirerpartid’unoraged’été.
Jamais, de sa vie, il ne s’était senti aussi frustré : frustré de ne pas comprendre la situation danslaquelleilsetrouvait,frustréparcettefemmeséduisantequil’obsédait,etfrustréparcettemauditepluiequileretenaitprisonnierici.
Saisid’impatience,ilsereleva,retournadevantlafenêtrepuis,aprèsavoirfrappélelambrisduplatdelamain,ilpivotaversRock.
—Cettepluieincessanteneterendpasfou?—Mêmedeshommesdenotretrempenepeuventdéplacerdesmontagnes,déclaraRock,uneombre
desouriresurleslèvres.—Jeneprétendspasarrêterlapluie.Jeveuxsimplementpouvoirquittercettemaison!—Vraiment?—Oui,assuraNick,lesyeuxplissés.Tumetsmaparoleendoute?—Pasdutout.Refusantostensiblementdemordreàl’hameçon,Rockretournaàsonlivre.C’étaitbiendelui!Aprèsunlongmoment,Nickouvritlafenêtreetinclinalebusteàl’extérieur.Au-delàdurideaude
pluie,onnedistinguaitqu’unvideobscur.IlavaitdésiréIsabeltoutl’après-midi.Etmoinsillacomprenait,plusilladésirait.Siseulementilavaitpuboirequelquechose,bonsang!Il finit par rentrer la tête, les cheveuxmouillés, et entreprit aussitôt d’ouvrir toutes les portes de
placard.—Ildoitbienyavoiruneliqueurouunautrealcooldanscettemaison!—Turecommences.Tuenasconscience,n’est-cepas?Nickseretournabrusquement.—Jecrainsdenepastesuivre.Avecunsourirenarquois,Rockreportalesyeuxsursonlivre.—Non,biensûr.—Qu’est-cequecelasignifie?—Seulementquetuesuneproiefacilepourunefemmemystérieuse,réponditRocksansleverlatête.
Etplusfacileencorepourunefemmemystérieusequiadesennuis.Oserais-tulenier?CommeNickgardaitlesilence,Rockpoursuivit:—Jet’aitiréd’uneprisonturqueàmoitiémortaprèsquetuavaisétébattuàcaused’unefemme.Je
ne peuxmême pas compter les bagarres que nous avons livrées pour sauver des filles que tu croyaismaltraitées.Mais,hormislefaitquenoussommesvenusdansleYorkshirepoursauverunefillequetun’asjamaisvue,sinousnousretrouvonsprisonniersdecettepièceavecseulementdeslivrespournousdistraire,cen’estpasdutoutàcausedetonsensdudevoir.
Nicklefoudroyaduregard.—Neviens-tupasdemerappelerquelanaturefaisaitcequ’ellevoulait?Cen’estpasmoiquiai
provoquécetorage,quejesache.—Non,jelereconnais.MaissiladyIsabelétaitlordReddich,serions-nouscoincésici?Négligeantderépondreàcettequestion,Nicks’accroupit,àlarecherched’unebouteille.Aupointoù
ilenétait,ilnesemontreraitpasdifficile.Ilboiraitcequ’iltrouverait.D’ordinaire, ilauraitsavouréunenuitcommecelle-ci.Mais,cesoir, ilne luiplaisaitguèred’être
danscettemaison,soussontoit,sanspouvoirpenseràautrechosequ’àsesbouclesauburndégoulinantesetaudélicieuxgonflementdesapoitrinesousletissucollantdesachemise.
Ilpartitd’unriresec,dénuéd’humour.Ilsetrouvaitdansunemaisonétrangère,dansunebibliothèqueétrangère,encompagniedeRocketdesesnotessurunestatueromaineenpleinorgasme,etildésiraitlafemmelaplusdéconcertantequ’ileûtjamaisrencontrée–quisetrouvaitêtrelamaîtressedelamaisonlaplusdéconcertantedanslaquelleileûtjamaismislespieds.
Etons’attendaitqu’ilaffrontetoutcelasanslemoindrealcool?Manifestement,l’universtoutentierseliguaitcontrelui.
—Oùvas-tu?s’enquitRocklorsqueNicksedirigeaàgrandspasverslaporte.—Jeretournevoirlesstatues.Jenepeuxpasmeconcentrer,ici.—Intéressant…SontonironiqueclouaNicksurplace.—Tuasquelquechoseàmedire?demanda-t-ilenluijetantunregardnoir.—Pasdutout.Simplement,çam’amusequenousayonsfuileshordesdefemmeslondoniennespour
nousretrouverici,encompagniedehordesdefemmesencoreplusdangereuses.—C’estunpeuexagéré.Ellessontinoffensives.—Lesont-ellesvraiment?CettequestiondésinvolteirritaNickauplushautpoint.Unejournéepasséedanscettemaison,etil
étaitprêtàendécoudre.—Jevaistravailler.Aprèsavoirtraversélabibliothèque,ilouvritlaported’ungestebrusque,décidéàchasserIsabelde
sonesprit.Cequ’ilauraitpeut-êtreréussiàfaire…siellenes’étaittrouvéedanslevestibule.Elle se figea sur place, le dos tourné, dans un balancement de jupes.Nick fut un peu déçupar sa
toilette, d’une féminité appropriée, certes, mais un peu trop classique pour la femme audacieuse etexcitantedel’après-midi.Sarobeétaitnoire,sinoirequ’elleauraitpuseconfondreavecl’obscurité.
Aprèsunlongmoment,elletournalégèrementlatête.Lalumièrevenantdelabibliothèqueaccrochal’angledesonmenton,lalignedesoncou,etNickfuthypnotiséparlablancheurd’albâtredesapeau.
Ellefinitparpivoterverslui,etuneboufféedefleurd’orangerluichatouillalesnarines.Lasurprisequ’illutdanssesyeuxélargis,ainsiquelesoulèvementaccélérédesapoitrine,luiprocuraunplaisirsurlequelilnevoulutpass’appesantir.
S’adossantavecnonchalanceauchambranledelaporte,ildit:—Bonsoir,ladyIsabel.Vousavezbesoindequelquechose?
Il s’agissait de sa bibliothèque, bonté divine ! Et de son vestibule ! Enfin, pour être exact, de la
bibliothèqueetduvestibuledeJames.Mais,entoutcas,cen’étaitcertainementpaslabibliothèquedelordNicholas.
Iln’yavaitdoncaucuneraisonpourqu’Isabelsesentecommeunenfantsurprisentrainderôder.Saufque…lamanièredégagéedontils’appuyaitauchambranle,commes’iln’avaitriendemieuxà
fairequedelaregarderavecunsourirenarquois,luidonnaitl’impressionqu’ilsavaitqu’ellesetenaitdepuisprèsd’unquartd’heuredevant laportede labibliothèque,essayantde rassembler soncouragepourentrer.
Elle avait décidé d’aller voir les deux hommes dans l’espoir de les empêcher d’échanger desinformations.Unefoiscettedécisionprise,ilavaitfalluleseffortsconjuguésdeGwenetdeLarapourqu’elleessaiedelamettreenapplication.
Duranttouteslesminutespasséesdevantl’immenseporte,ellen’avaitcessédeserépéterqueRockétait peut-être en train de régaler son ami du récit de sa découverte dans les écuries. Ou que lordNicholasluiracontaitl’aventuresurvenuedanslegrenierunpeuplustôt.
Elleavaitfaillifrapper,vraiment.Maiselles’étaitalorssouvenuequ’ellen’avaitpasdonnéd’ordrespourlepetitdéjeuner.Elleavaitdonctournélestalonspoursedirigerverslacuisine.
Etcethommeexaspérantavaitchoisicetinstantprécispourouvrirlaporte.Elleaussi,cependant,étaitcapabled’adopterunealluredégagée.
—LordNicholas!C’estjustementvousquej’espéraisvoir!Sa phrase s’acheva dans un couinement étranglé qui n’avait rien de dégagé. Mais elle refusa
d’écouterlapetitevoixquileluisusurrait.—Jesuisheureuxd’avoirpucomblervotreattente…Malgrélapénombrequirégnaitdanslevestibule,Isabelvitqu’ilsouriait.—Vousmetaquinez.—Justeunpeu,admit-iltoutenouvrantlaporteengrandpourluipermettred’entrer.Àpeineeut-ellefranchileseuilqu’illarefermaderrièreelle.Isabels’immobilisa,unecontractionétrangeaucreuxdel’estomac.Unedoucechaleurrégnaitdansla
bibliothèque bien éclairée ; des papiers étaient étalés sur une table. Apparemment, les deux hommess’étaientappropriélapiècedèsqueRegina,la«valetdepied»,lesavaitlaissésseuls.
Dansuncoin,Rockrefermaitunefenêtre.Enentendantlaporte,ilseretournaetadressaàIsabelunsourireamicalaccompagnéd’unebrèvesalutation.
—Bonsoir,ladyIsabel.J’étaisentraindevoirsilapluiesecalmait.—Unpeu,réponditIsabel,heureusedecesujetinoffensif.Jepensequelesroutesserontpraticables
demain.—Est-ilfréquentquevousvousretrouviezcoupésdetoutaccèsàlaville?demandaNick.—Celaarrive.UnepartieducharmedeTownsendPark,c’estsonisolement.Ilyadessortspires
que d’être bloqués par la pluie ou par la neige. Évidemment, poursuivit-elle quand il émit un légergrognement,noseffetspersonnelsnesontpasenville.Jesuisdésoléedecedésagrémentpourvous.
Il l’observapendantune longueminute, et, résistant à l’enviedevérifier l’étatde sacoiffure, elles’obligeaàsoutenirsonregardetàadopteruncalmeidentiqueausien.Danslesilencequis’éternisait,elleremarquaqu’ilavaitlescheveuxmouillésetqu’unegoutted’eausolitairedescendaitlelongdesonnez.Était-ilsorti?
Àpeines’était-elleposécettequestionqu’ilesquissaunpasverselle.— Aviez-vous besoin de nous ? demanda-t-il d’une voix basse et chaude qui la rendit aussitôt
nerveuse.L’espace d’un instant, elle resta paralysée, serrant avec force la bouteille qu’elle tenait entre les
mains. Devant l’amusement qu’elle lisait dans ses yeux bleus, elle finit par recouvrer l’usage de laparole.
—Jevousaiapportéàboire,annonça-t-elled’unevoixunpeutropforte,enmontrant labouteillepoussiéreuse. Je ne sais pas du tout ce que c’est… Il y en a une caisse en bas… dans la cave…poursuivit-elleavecunevolubilitéincontrôlable.Ilyapleind’autreschosesaussi…Maisc’estcelaquisembleleplusutilepourlemoment…Enfin,poursuivit-elle,reprenantàpeinehaleine,paspourmoi.Jen’aipasbesoindeboire,biensûr.Maisjecroisquelesmessieurs…commevous…J’aipenséquevousenauriezpeut-êtreenvie.
« Tais-toi, Isabel ! » s’ordonna-t-elle en voyant la surprise des deux hommes devant ce flot deparoles.
Les lèvrespressées l’une contre l’autre, elle tendit la bouteille à lordNicholas–uneoffrandedepaix,enquelquesorte.
—Merci,dit-ilsanscesserdelafixer.Cemotunique,prononcéd’unevoixsourde,fitcourirunfrissondansledosd’Isabel.Comme,sans
pouvoir se l’expliquer, elle rougissait, elle se hâta de tourner les yeux vers Rock, plus grand, plussombre,maisinfinimentmoinstroublant.
—Jevousenprie,murmura-t-elleaprèsavoirprisuneprofondeinspiration.
Mais,malgréelle, son regard futattirépar lesmainsdeNick, lesquelless’attaquaientausceaudecirequifermaitlabouteille.Elleremarqualesgestesprécisetsûrsdesesdoigts–cesmêmesdoigtsquil’avaientcaresséedansl’après-midi.Ilsétaienthâlésparlesoleil,parfaitementmanucurés,maisfortsetadroits, à la différence des mains presque féminines des riches aristocrates qu’il lui était arrivé derencontrerdanslepassé.
De belles mains, vraiment, songea-t-elle avant de se morigéner. Mais, quand elle s’obligea à endétacher son regardpour relever la tête, elle surprit l’étincellenarquoisequibrillaitdans lesyeuxdeNick.Àcroirequ’illisaitdanssespenséesetavaitcomprisqu’elleadmiraitsesmains.
Aucombledel’embarras,Isabelenvisageadefuir,deprendresesjambesàsoncousansplusjamaisregarderderrièreelle.Mais,lorsqueRockinclinalatêtedanssadirection,l’objetdesavisiteluirevintàl’esprit. Elle devait empêcher Rock de révéler les secrets de Minerva House, et Nick de révélerlessecretsdelamaîtressedeslieux.
Siellen’avaitpasétésoumiseaufeuscrutateurdeleurdoubleregard,elleauraittapédupied.Maiselles’efforçademasquersonénervementsousunsourirequ’elleespéraitcordial.
—Ilvousfaudradesverres,biensûr.Aprèsavoiropiné,Nicks’approchad’unplacard,àl’extrémitédelabibliothèque,s’accroupiteten
tiratroisverresencristal.Isabelneputdissimulersasurprise.—Vousn’avezpasperdudetemps.Jevoisqueleslieuxvoussontdéjàfamiliers…Illuiadressaunsourirecontritquicreusaunefossettedanssajoue,etelleentrevitl’enfantcharmant
etfriponqu’ilavaitdûêtre.—Justeunereconnaissancesommaire,jevousassure.Rocknem’apasquittédesyeuxuninstant.Il
peutvousgarantirquemaconduiteaétéexemplaire.Avecunsérieuxaffecté,sonamidéclara:—LordNicholasseconduittoujoursenparfaitgentleman.—Jecrainsd’éprouverquelquedifficultéàlecroire,répliquaIsabelensouriant.Mais elle semordit aussitôt la langue.Rock n’allait-il pas en déduire que son ami avait pris des
libertésavecelle?Cequi,enl’occurrence,n’étaitpasfaux.Lesyeuxécarquillésparl’incertitude,ellereporta son attention sur le Turc. Celui-ci éclata alors d’un grand rire, et elle relâcha lentement sonsouffle.
—Je suis désoléeden’avoir riendemieux àvousoffrir, dit-elle pourdétourner la conversation.Nousn’avonsguèred’occasionsdesortirdesliqueurs,àvraidire.
Après avoir versé deuxdoigts d’un liquide ambré dans chacun des verres,Nick traversa la piècepourenprésenterunàIsabel,l’autreàRock.
—Non,merci,dit-elleens’approchantdelatablecouvertedepapiers.Cependant,j’aimeraisbiensavoirdequoiils’agit.
Nickbutunegorgéepuis,s’adossantàunebibliothèque,ildéclara:—C’estducognac.—Vraiment?—Oui.Uncognacextraordinaire,quiplusest.CommeIsabell’interrogeaitduregard,Rockconfirmad’unsignedetête.—J’avoueêtresurprise,dit-elle.Jenecomprendspascommentmonpèreapulaisserunecaissede
cognacextraordinaireprendrelapoussièredanslesous-soldecettemaisonalorsqu’ilauraitpuenfaireprofiter son propre estomac… Je suis très impressionnée par la quantité de travail que vous semblezavoiraccomplienunseulaprès-midi,ajouta-t-elleenreportantsonregardsurlatable.
—J’aihâted’yretournerdèsqu’ilferajour,ditNickenlarejoignant,sonverreàlamain.Àvotreavis,commentvotrepèreest-ilentréenpossessiond’unecaissedecognacfrançais?
Isabel s’abîma dans la contemplation du liquide ambré qu’il tenait entre ses longs doigts. Elle sesouvenaitparfaitementdujouroùsonpèreavait rapportécettecaisse. Il luiavaitalorsfaitmiroiter laperspectived’unesaisonlondonienne.Elleavaitvoulucroirequ’ilavaitchangé…jusqu’aumomentoùelleavaitdécouvertqu’ilavaitl’intentiond’accordersamainauplusoffrant.
Elle s’était alors tournée vers sa mère, la suppliant de l’aider, de la défendre. Mais sa mère,désespérantderegagnerl’amourqu’elleavaitperdu,avaitrefusédeveniràsonsecoursetl’avaittraitéed’égoïste.
Lecomteétaitpartilasemainesuivante,ayantsansdouteprisconsciencequ’unefillehostileetsansdotnevalaitpasgrand-choseàlafoireauxmariages.
Iln’étaitjamaisrevenu.Etlamèred’Isabelnel’avaitjamaispardonnéàsafille.Ilétait,biensûr,excludedirelavéritéàlordNicholas.Isabelnerelevapaslesyeuxlorsqu’elleexpliqua,d’unevoixqu’elleespéraitferme:—J’aiappris très jeune,monsieur, àne jamaisposerdequestionsàmonpère. Je supposeque le
cognacestarrivéparlesmêmesvoiesquetoutlerestedanscettemaison…desvoiescrapuleuses.—Peut-êtrepas,dit-ilavecdouceur.—Ehbien,nousnelesauronsjamais.Toutenparlant,ellepromenaitunregarddistraitsurlesfeuillesdisséminéessurlatable.Soudain,le
mot«orgasme»sedétachadeslignesindistinctes,etellesursauta.Surquoiécrivait-ildonc?Alorsqu’elleinclinaitlatêtepourdéchiffrerlaphraseentière,ildemandad’untonamusé:—LadyIsabel?Ellerelevalesyeuxavecunsouriretropéclatant,lesjouesbrûlantes,etcroisasonregardmoqueur.
Cethommeexaspérantsavaitexactementcequ’ellevenaitdelire.Maisellerefusadeluilaisserl’avantage.—Nerestezpasdeboutàcausedemoi,s’ilvousplaît.Sinousnousasseyions?suggéra-t-elleen
indiquantlesfauteuilsvoisinsdeceluideRock,surlequelcedernieravaitlaissésonlivre.Avez-voustrouvéquelquechosed’intéressantàlire?
CefutautourdeRockdeparaîtrecontrit.Ilsehâtaderefermersonénormemainsurlevolumeavantqu’elleaiteuletempsd’enlireletitre.
—Ehbien,oui,justement.—Vraiment?Quelisez-vous?Un léger ricanement deNick attira brièvement son attention.Mais quand elle le regarda, il porta
sonverreàsaboucheet,avecunhaussementd’épaules,déclara:—Jen’aipaslamoindreidéedecequ’ilestentraindelire.Leregardquesonamiluidécochaalorsauraitpuêtrequalifiéd’assassin.Isabeln’avaitposélaquestionquepourécarterlesujetdesonpère.Sacuriosités’éveilla,toutefois,
surtoutlorsqu’ellecrutvoirlegrandTurcrougir.—Rock?—LeChâteaud’Otrante.Isabelneputréprimerunpetitrire.Ceromangothiqueétaitl’undespréférésdesfilles–unehistoire
alambiquéeaveclordmaudit,mariageforcéetapparitiond’unprince.Cen’étaitvraimentpaslegenredelivrequ’ons’attendaitàvoirentrelesmainsd’ungéant.
—Netevexepas,Rock,ditNick,ironique.LadyIsabelsemoqueraitsûrementdequiconqueliraitunetellesottise.
—Non!protestaIsabel.Rock,jeneportaispasdejugement,pasdutout!—Iln’yapasdeproblème,assuraRock.QueNickailleaudiable.Jetrouvequec’estunehistoire
captivante.CommeNickgloussait,Isabellefoudroyaduregard.—Ilaraison!répliqua-t-elle.Quandlesautresl’ontlu…Àcesmots,Rockécarquillalesyeux,etelles’empressadecorrigersonerreur.—Parlesautres,j’entendsLaraetnos…nosamies.Nosamiesduvillage,biensûr.Toutlemondea
beaucoupaimé.—Etvous,mademoiselle?s’enquitRock.—Oh,jenel’aipaslu…Enfin,pasenentier.—Vousn’avezpaspulefinir?—Jenel’aijamaiscommencé.Lafinnemeplaisaitpas.—Lafin?répétaNick.—Oui,jecommencetoujoursleslivresparlafin.—Maispourquoi?demandaRock,l’airdéconcerté.—J’aimebienêtrepréparée,répondit-elleavecunhaussementd’épaules.CommeNicksemettaitàrire,ellesetournaverslui.Semoquait-ild’elle?—Voustrouvezcelaamusant,lordNicholas?—Oui,effectivement,ladyIsabel,acquiesça-t-il,sansparaîtreinquietd’avoirpul’offenser.—Pourquoi?—Parcequecelaexpliquebeaucoupdechoses.Renonçant, à contrecœur, à éclaircir ce propos sibyllin, Isabel reporta son attention sur son autre
invité,décidémentplusaimable.Aprèss’êtreapprochéed’uneétagère,ellepassalestitresenrevue.—NousavonsaussiLaMèremystérieuse,quelquepart…Jevaisvousletrouver.—LadyIsabel, jevoussuis trèsreconnaissantdecetteattention,ditRockd’un tonamusé,mais je
n’aipasbesoind’unautrelivrecesoir.Celui-cisuffiraamplement.Ausondesavoixcalme,elleseretourna,puisellelissasajupeduplatdelamain.—Oh…Trèsbien.Si toutefoisvous souhaitez l’emprunterplus tard, je seraiheureusedevous le
prêter.—Jevous remercie.Pour lemoment, jecroisque jevaisprendrecongéetmereplongerdans les
aventuresdelordOtranteetdesonmalheureuxfils.Isabel le suivitdesyeux, interdite,quand il sedirigeavers laporte. Il allait la laisser seule avec
Nick?C’étaitmanifestementunepunitiondesdieux.Plusjamais,ellelejurait,ellenesemoqueraitdesromansgothiques!DansunderniereffortpourretenirRockdanslabibliothèque,elles’écria:
—Nepréféreriez-vouspaslelireici?Lalumièreestplusagréable.Etnouspourrionsdiscuterde…desnuancesdutexte!
—Toutdumoinsdelafindutexte,lançaNick,ironique.Isabel l’aurait volontiers assommé avec un texte. Un texte pesant. La Bible de Gutenberg, par
exemple.—Riennemeplairaitdavantage,mademoiselle,ditRockenluisouriant.Demain,peut-être?Ellepouvaitdifficilementinsistersanscontrevenirauxrèglesdel’hospitalitéenverslordNicholas,
etsansattirerl’attentionsurlatensionquigrandissaitentreeux.—Biensûr,murmura-t-elleàcontrecœur.Demain.
Lorsqu’elleentendit laportese refermer, l’airdans lapièce luiparuts’épaissir.Ellese retrouvaitseuleavecNick!Aprèsavoirprisuneinspirationtremblante,ellepivota,sedemandantcequiallaitsepasseràprésent.
Arméduverredecognacqu’elleavaitrefuséunpeuplustôt,ils’avançaverselle,évoquantungrandchatàl’affût.Unefoisdeplus,etbienmalgréelle,elles’émerveilladubleuintensedesesyeux.
— Je devrais moi-même prendre congé… murmura-t-elle. J’ai interrompu votre travail assezlongtemps.
—C’est vrai, acquiesça-t-il après un instant de silence.Mais il est hors de question que je vouschassedevotreproprebibliothèque.Pourquoinepasnousasseoir?Nousallonsparler.
Sansqu’elles’enaperçoive,ill’avaitrepousséeverslesfauteuils.—Parler?Devantsonincrédulitémanifeste,ileutunsourireencoin.—Jesuiscapabledefairelaconversation,ladyIsabel.Dumoins,c’estcequel’ondit.Ilétaitsiprèsd’ellequelesensdesesmotsluiéchappait.Elles’assitetacceptaleverrequ’illui
tendait.—Parfait,fit-ilenprenantplaceenfaced’elle.Àprésent,dites-moivossecrets.
9Leçonnumérotrois
Pourvousattachervotrelord,n’ayezpaspeurdeluiconfierdeprécieuxpetitsdétailssurvotrepersonne.Lorsqu’il vous interroge sur vos pensées, n’hésitez pas à partager quelquestraits séduisants de votre esprit – rien de trop intellectuel, nous ne voudrionspas qu’il vous prenne pour un bas-bleu ! Mais laissez entrevoir ce qui vousrendunique : votre couleurpréférée, votreattraitpour labroderieplutôtquepourl’aquarelle,lenomduponeysurlequelvousavezapprisàmonter.Enunmot,cultivezl’artderesterprésentesansvousimposer.
PearlsandPelisses,juin1823
—Mes…mesquoi?balbutiaIsabel.—Vossecrets, ladyIsabel,répéta-t-ild’unevoixenjôleuse.Simonintuitionnemetrompepas,ils
sontnombreux.—Quelleidéeabsurde!Mavieestunlivreouvert…Les yeux mi-clos, il l’observa longuement. Elle finit par avoir la nette impression qu’il savait
quelquechoseàsonsujet.Était-ilpossiblequeRockaittrahisaconfianceet,avecelle,celledetouteslesfemmesquiavaienttrouvérefugedanslamaison?
Ç’aurait été indigned’ungentleman.Maisqu’est-cequi luiprouvait queRockenétait un ?Aprèstout,laconduitedesoncompagnon,l’après-midimême,netémoignaitpasd’ungrandrespectdescodesdelagalanterie.
LordNicholasaccueillitsadéclarationavecunhaussementdesourcils,puisilserenversadanssonfauteuilencroisantseslonguesjambesdevantlui–àcroirequel’endroitluiappartenait!
Isabelécartaostensiblement lebasdesa robedesespiedsbottés. Ilesquissaunsourirenarquois.Sesbottesétaientloindefrôlersesjupes,ettousdeuxlesavaient.
—Pardonnez-moi,mademoiselle,sij’avouenepasvouscroire.— Je vous demande pardon ? répliqua-t-elle avec la hauteur d’une reine. Vous me traitez de
menteuse?—Jevousaccusedenepasdiretoutelavérité.— Franchement, je n’ai jamais rien entendu d’aussi… Ai-je besoin de vous rappeler qu’en tant
qu’invitéàTownsendPark,vousmedevezunpeuderespect?—Ai-je besoin de vous rappeler,mademoiselle, qu’en tant qu’hôtesse, vousme devez un peu de
générosité?—Quevoulez-vousdire?
—Simplementquevousferiezbiendemedirelavéritéausujetdevotresituation.Jeladécouvriraitôtoutard,detoutemanière.
—Je…Isabels’interrompit.Àquellesituationfaisait-ilallusion?—Jesaisquevousavezdegrossesdifficultésfinancières,Isabel.— Lady Isabel, corrigea-t-elle. Et j’ai du mal à comprendre en quoi cela vous regarde, lord
Nicholas.—St.John.OuNick,rectifia-t-il.Trèspeudegensm’appellentlordNicholas.Etcelameregarde,
Isabel.Aprèstout,vousm’avezfaitveniricipourévaluervotrecollectiondemarbres.—Je…jevousailibérédecetterequête.— Certes. Mais la nature semble en avoir décidé autrement. De combien avez-vous besoin ?
demanda-t-ilaprèsuninstant.Cethommeétaitdécidément insupportable !Onnediscutaitpasd’argententregensbienélevés,et
cette conversation était plus que grossière. C’était à se demander quelle femme pouvait souhaiterconquérircelord.Entoutcas,paselle!
—LordNicholas…—Chaquefoisquevousm’appellerezlordNicholas,jeposeraiunenouvellequestioninconvenante.—Iln’yenaguèredeplusinconvenantesquecelle-ci.—Détrompez-vous,Isabel.Ilexistedessujetsbienmoinsdécents,quejeseraisheureuxd’évoquer
avecvous.Parexemple?Commes’illisaitdanssespensées,ildardasurelleunregardlourddesous-entenduset,àcetinstant,
Isabelauraittoutdonnécontrelalistedecessujetschoquants.Àcettepensée,ellesesentitrougiret,pourdissimulersagêne,butunegorgéedecognac.Maislefeu
del’alcoolluibrûlalagorge,etelletoussaunefois,puisunedeuxièmefois,toutens’efforçantdelefairediscrètement.Ilnedétournapasleregard,etsarougeurs’accrut.
Elleneserésignapas,cependant,às’avouerbattue.—Nouspouvonsêtredeuxàjouer,monsieur.Pourchaquequestioninconvenantequevousposerez,
jevousassurequejeseraicapabled’entrouverune,moiaussi.—Jen’endoutepas.Maisserez-vouscapabledelaposer?Ellerelevaaussitôtledéfi.—Oùavez-vous…Ilattenditensilencequ’elleterminesaphrase.Isabelbaissalesyeuxsursonverre,seconcentrantsur
lepoidsducristalentresesmains,surlacouleurambréeduliquide…Elleneparvenaitpasàposersaquestion.
—Oùai-je…Ellesecoualatêtesansreleverlesyeux.Unegoutted’alcoolrestaitensuspenssurlebordduverre;
danssanervosité,elleposa l’indexdessuset regarda le liquidedisparaître.Siseulementelleavaitpufairedemême–disparaîtredecettepièceetsesoustraireàcetteconversationpourlaquelleellen’étaitpasarmée!
—Vousme décevez, reprit-il à voix basse.Moi qui avais espéré avoir affaire à une adversaireredoutable!
Àcesmotsgentimentmoqueurs,Isabelseredressa.L’ombred’unefossettecreusaitdéjàlajouedeNick.Maisellen’allaitpasluipermettred’allerplusloindanslataquinerie.
—D’oùvientvotrebalafre?
À peine eut-elle prononcé ces mots qu’elle se mordit la langue. Mais il se contenta de sourirejusqu’auxoreilles.
—Bravefille,dit-ilaprèsavoirbuunegorgéedecognac.J’étaissûrquevouspouviezlefaire.Voussavez,jamaisaucunefemmenem’aposécettequestion.
— Je suis certaine que les femmes remarquent à peine… se hâta de dire Isabel, gênée, en semaudissantunenouvellefoisd’avoirposécettequestion.
Mais,d’unhaussementdesourcils,illuiintimalesilence.—Negâchezpasl’opinionquejeviensdemefairedevous.Cettecicatriceestunsouvenirquej’ai
rapportédeTurquie.—Je…jenevoulaispas…—Biensûrquesi.Àprésentquevousavezvotreréponse,decombienavez-vousbesoin?—Jenesaispasexactement,réponditIsabel.Quand?Lesquestionssebousculaientdanssonesprit,àprésent.—Ilyaneufans.Voulez-vousdirequeledomainenesesuffitpasàlui-même?Isabelbutunenouvellegorgée.Puiselleselaissaallercontreledossierdufauteuil.—Certainsmois,si…lorsquenousavonsdubétailetdesrécoltespournousnourrir.Maisilnereste
rien.RienpourenvoyerJamesaucollège,pouracheterdenouveauxvêtements…—Vousaimeriezavoirdenouveauxvêtements?—Non,répondit-elleensecouantlatête.JeparlaisdevêtementspourJamesetpour…Elles’interrompitaumomentdedire«lesfilles».Puisellereprit:—Ç’aététrèsdouloureux?—J’aiconnupire.—Pirequ’uneentailledequatrepoucesdelongsurlajoue?—Àmontour…Sachezquej’aimeraisquevousayezdenouveauxvêtements.Jevoudraisvousvoir
porterdescouleursvives.Jepensequ’ellesvousiraientbien–certainementmieuxquelescouleursdudeuil.Durouge…unrougeprofond.
Était-cel’effetducognacoudesontonsongeur?Toujoursest-ilqu’unechaleursoudaineserépanditen elle. Elle attendit avec curiosité qu’il poursuive, désireuse de continuer cette conversation tout enredoutantlessujetsqu’ilpouvaitaborder.
—Pourquoin’êtes-vouspasmariée?—Je…commença-t-elle,prisecomplètementaudépourvu.Quelestlerapportaveclereste?—Ah,fit-ilavecunsourireentendu,jevoisquenousavonstrouvéunsujetintéressant.—Jepeuxvousassurer,monsieur,qu’ilnem’intéressepasdutout.—Vous,peut-êtrepas.Moi,si.Il se releva et traversa la pièce pour aller remplir son verre. Isabel le suivit du regard, les yeux
écarquillés.Quandilrevintaveclabouteilleetluioffritplusdecognac,elleaccepta.—Lemariageestlaréponseàvosproblèmes,Isabel.Pourquoinepasvousmarier?En considérant qu’il n’y avait pas de sujet plus pénible que les finances du domaine, elle s’était
trompée.—Jen’enaijamaiseul’occasion,répliqua-t-elle.Commentest-cearrivé?—Jemesuistrouvéaumauvaisendroitaumauvaismoment.Quevousn’ayezjamaiseul’occasion
devousmariermeparaîtdifficileàcroire.Faitesunnouvelessai.—Lesseulshommesàs’êtremontrésintéressésétaientdesamisdemonpère.Sivousl’aviezconnu,
vousn’envisageriezpasd’épouserl’unedesesrelations,vousnonplus.Quandellepritunenouvellegorgéed’alcool,illuiparut,cettefois,plusdouxetplusagréable.
—Jenecroispasquevousvoussoyezsimplementtrouvéaumauvaisendroitaumauvaismoment.Faitesunnouvelessai.
Ilsouritenl’entendantreprendresespropresmots.—Trèsbien,mademoiselle.Jevaisvousledire,maisilvousfaudraensuiteêtrehonnêteavecmoi.
Êtes-vouscertainedepouvoirreleverledéfi?—Biensûr,prétenditIsabel.Àcetinstant,elleauraitpromiscequ’ilvoulaitpourentendrel’histoiredecetteblessure.—Àcaused’unemalchanceépouvantable,doubléed’unmanquedejugementflagrantdemapart,je
mesuisretrouvédansuneprisonturque.J’yaipassévingt-deuxjoursavantqueRocknepuisseveniràmonsecours.Lefaitquejem’ensoissortiavecuneseulecicatricevisibleestassezincroyable,jepense.
Ilsepenchaet,tendantlebras,effleuralepliquis’étaitformé,sansqu’Isabelenaitconscience,entresessourcils.
—Jevoisquevouscompatissezdetoutevotreâme.Ellesecoualatête,sesoustrayantparlamêmeoccasionàlachaleurdesesdoigts.—Jesuisseulementheureusequevousayezpuéchapperàvosgeôliers.Çaadûêtreterriblepour
vous.Etvousavezeubeaucoupdechanced’avoirRock.— N’ayez pas une vision trop romantique de l’histoire, Isabel. Je peux vous assurer que je la
méritais,cettecicatrice.Isabelfut,unenouvellefois,priseaudépourvu.Qu’est-cequecelasignifiait?Qu’avaitpufairecet
homme,celord,cet…archéologuepourmériterunetelleblessure?Mais,alorsqu’elleouvraitlabouchepourposerlesquestionsquiaffluaient,Nickladevança.—C’estmontour.Nousparlionsdemariage…—Je…jen’aijamaisvoulumemarier.Ilattendit.Puis,voyantqu’ellenefaisaitpasminedepoursuivre,ilinsista:—Et?—Vousavezraison–lemariagerésoudraitplusieursproblèmes…Mais,entoutesincérité,jepense
qu’ilensusciteraitbeaucoupdenouveaux.Nickeutunpetitrire.—Jevousdemandepardon,répondit-ilfaceàsonétonnement.Simplement,jen’aijamaisrencontré
defemmeayantcettevisiondumariage.—Jelesuppose,répliqua-t-elle,ayantaussitôtcomprisqu’ilpensaitàPearlsandPelisses.—Vousnerêvezpasdefélicitéconjugale?—Silafélicitéconjugaleétaitassurée,peut-être…Elle s’interrompit avecunegrimace.Après avoir fixé longuement sonverredecognac, elle lebut
jusqu’àladernièregorgée.Lavéritésortaitplusfacilementdesabouche,àprésent.—Maisjen’aipasl’impressionquecesoitlecas.—Non?—J’ensuismêmeconvaincue,déclara-t-elleenrelevantlesyeux.Vousn’avezpasconnumonpère?—Non.—Vousavezbiendelachance.L’espaced’uninstant,ellecrutqu’ilallaitrépondrequelquechoseàsaremarqueacide.Mais,comme
ilgardaitlesilence,ellepoursuivit:—Ilnepassaitpasbeaucoupdetempsici.Mamère,pouruneraisonquejen’aijamaiscomprise,
étaittrèsamoureusedelui.Ilétaitplutôtséduisant,jesuppose.Etonpouvaitcomptersurluipouranimer
n’importe quelle fête. Un carnaval à lui tout seul…Mais quand nous avions besoin de lui, il n’étaitjamaislà.
Il y aurait eu beaucoup de choses à ajouter mais Isabel se tut. Même si lord Nicholas était uninterlocuteurattentif,uncompagnontrèsagréable–etpeut-êtrejustementpourcetteraison–,ilconstituaitundangerpourelleetsesprotégées.Illuifallaitleteniràdistance.
—Disonssimplementquel’idéed’unmariagecommeceluidemesparentsnem’ajamaistentée.—Touslesmariagesnefinissentpascommeleleur.—Peut-être,concéda-t-elleenreportantlesyeuxsursonverrevide.Jesupposequevotrefamilleest
aimanteetchaleureuse,etquevousêtesissud’unmariaged’amour.Lerireironiquedontilaccueillitsesparoleséveillalacuriositéd’Isabel.—Vousnesauriezêtreplusloindelavérité,répliqua-t-ilavantdechangerdesujet.Enconséquence,
vousvendezvotrecollection…Lapoitrined’Isabelsegonflad’unbrusquechagrin.—Oui.—Maisvousn’enavezpasenvie…—Non,reconnut-elle,puisqu’iln’yavaitpaslieudenier.—Alors, pourquoi le faire ?Dans son testament, votrepère a certainementnomméun tuteurpour
vousaider,non?—Notretuteur,sionpeutl’appelerainsi,nes’estpasmanifesté.Fidèleàseshabitudes,notrepère
m’alaissélesoindemettredupainsurnotretableetdemainteniruntoitau-dessusdenostêtes.Ausenspropre,ajouta-t-elleaprèsuninstant,avecunlégersourire.
Ilsouritàsaplaisanterie,etcettecomplicitéamuséechangeaquelquechosedanssonregard.Isabeldevinaaussitôtladirectionpriseparsespensées:letoit,lapluieetlebaiserdanslegrenier.Lerougeluimonta aux joues et, contenantune furieuse enviedeplaquer sesmainsdessuspour les cacher, ellereprit:
—Vousleconnaissezpeut-être…—Votretuteur?—Oui.Ils’appellelordOliverDensmore.—Densmoreestvotretuteur?s’exclamaNick,dontletonalarmaIsabel.—Vousleconnaissezdonc?—Oui.—Commentest-il?—Ilest…Disonsquec’estunjoyeuxdrille.—Unjoyeuxdrille,répétaIsabel,loind’êtrerassuréeparcettedescription.—Oui.Qu’avez-vousditdevotrepère?Quec’étaituncarnavalà lui tout seul?Ehbien,qui se
ressembles’assemble.MaisDensmoren’estpasl’hommequejechoisiraispourprotégermafamille.Isabels’enétaitdoutée,biensûr.Pourtant,elleavaitcultivél’espoirinfimequ’unefoissondernier
instantvenu,sonpèreauraitpenséàelle.OudumoinsàJames.Quand elle entendit les paroles de Nick, sa poitrine se contracta douloureusement. Soudain, à la
penséeaffreusequ’unautrehommeirresponsableavaittoutpouvoirsurelle,surJames,surlesfilles,lesouffleluimanqua.Unevaguedepaniqueimpossibleàjugulerluinoualagorge.Illuifallaitfairepartirlesfillestoutdesuite,avantqu’ellesnesoientprisesaupiège!Avantquetoutcequ’elleavaitbâti,auprixdepeinesinfinies,nesoitréduitànéant.
Elleessayadeprendreuneprofondeinspiration,maissespoumonsrefusèrentdes’ouvrir.—Isabel…
Elle eut l’impression que son prénomvenait de loin.Les yeux fermés, elle s’ordonna de respirer.Soudain,Nickfutprèsd’elleet,d’unemainénergique,luifrottaledos.
—Desinstrumentsdetorture,marmonna-t-ilenrencontrantlesbaleinesdesoncorset.Regardez-moi,dit-ilensuiteenluirelevantlementon.Respirez!
—Jesuis…Jevaisbien,réussit-elleàbalbutier.—Non,vousn’allezpasbien.Respirez!Sensibleàsoncalmeempreintdefermeté,Isabelréussitàprendreplusieursinspirationsprolongées,
quoiquetremblantes,pendantqu’ilcontinuaità luimasser ledos.Lorsqu’elleeut recouvrésonsouffle,elle se rejeta contre le dossier du fauteuil pour se soustraire à ce contact troublant.Mais, bien qu’illaissâtretombersamain,Nickrestaaccroupidevantelle.
Elle détourna les yeux, embarrassée, et les riva sur le sol, à l’autre extrémité de la pièce.Quelleraisonplausiblepourrait-elleinvoquerpourfuir?
—Vousnepartirezpasd’ici.Ellepouvaitpartirsielle lesouhaitait,bontédivine!Ils’agissaitquandmêmedesabibliothèque.
Sesphalangesblanchirentquandellecrispalesdoigtssurlesaccoudoirsdesonfauteuil.—Vousn’avezpasbesoindevousinquiéter,répliqua-t-elle.Mais,posantungenouàterre,ilpritsesdeuxmainsdanslessiennes.—Vousêtesécraséeparvossecrets.Àunmomentouunautre,ilvousfaudralespartager.Isabelreportasonregardsurlui,surcethommequisemblaitbon…fort…etriche.Elledutalorsse
rendreàl’évidence:oui,cethommeétaitpeut-êtresaplanchedesalut.—Pourquoinepascommenceravecvotrepère?insista-t-il.À l’idéed’évoquercethommeresponsablede tous sesmaux,elle se raidit aussitôt.MaisNickne
lâchapassesmains.—Pourquoinepasmedirecequivoushante?Unsilencepesantaccueillitsaquestion.Ni l’unni l’autreneportaitdegants, lasimplicitéde lavieàTownsendParkne l’exigeantpas. Il
commençaàeffleurerchacundesesdoigts,etelleneputs’empêcherdes’étonnerdeluivoirdesmainsaussifortes,aussicalleuses.Commentsefaisait-ilquel’undeslordslesplusconvoitésdeLondresaitdesmainsdetravailleur?
Elleétaitsidistraiteparlasensationdesesmainschaudessurlessiennesqu’ellefaillitcéderàsarequête.Mais, tout au fond d’elle, une voix lui soufflait qu’il serait on ne peut plus dangereux de seconfieràcethomme.
Il l’amenait à croire qu’elle pouvait partager son fardeau, alors qu’en vérité elle était seule et leseraittoujours.
Audébut,Isabelavaitjugéquecelavalaitmieuxainsi.Touteslesfemmes–samère,lesrésidentesde Minerva House – qui avaient choisi de partager leur vie avec un homme ne l’avaient-elles pasregretté?Vivreavecunhommeimpliquait,tôtoutard,den’êtreplusquelamoitiéd’unefemme.Unsortqu’ellerefusaitfarouchement.
Elledéglutitavecforce,soucieusedes’exprimerfermement.—Iln’yarienàraconter.Vousconnaissezsaréputationaussibienquemoi.Etmêmemieux,sans
doute.C’étaituninconnupournous,finalement,toutcommenousl’étionspourlui.Ellehaussalégèrementlesépaulestoutenessayantdeselibérer.Nickneréponditpas.Illâchal’une
desesmains,maisconserval’autredanslessiennes,laretournant,paumeenl’air.Avecsespouces,ilcommençaàdécriredescercleslentssursapeau,éveillantaussitôtenelledepuissantessensations.
Quandilfinitparreprendrelaparole,cefutdansunchuchotement.
—Vousn’êtespasobligéedem’enparler…Maiscroyez-moi,s’ilvousplaît,quandjevousdisquevousnedevezpasenvouloiràlavieàcausedelui.Nelelaissezpasvousspolierdesesplaisirs.
Isabelrelevaaussitôt lesyeux,maisilnelaregardaitpas.Sonregardrestaitfixésurlamainqu’ilcaressaitetd’oùpartaientd’exquisesvaguesdeplaisir.Unsoupirluiéchappa.Ellesavaitqu’elleauraitdûmettreuntermeàcettecaresse,maiselleétaitincapablederassemblerassezd’énergiepourl’arrêter.Lessoinsqu’ilprodiguaitàsamainétaientdélicieux.Bienplusdélicieuxquetoutcequ’elleavaitjamaisconnu.
Àl’exception,peut-être,desonbaiser.Leregardd’Isabelseportasursoncou,bronzéetmusclé.Ellen’avaitjamaisprêtéattentionaucou
de quiconque, pas plus qu’elle n’avait soupçonné la félicité qu’on pouvait retirer d’un massage desdoigts.
LapressiondesmainsdeNicksefitplusforteàlabasedesonpouceet,avecunnouveausoupirdebéatitude,elles’amollitunpeuplusdanssonfauteuil.
Toutens’adjurantd’interromprecettecaresse,ellelaissasesyeuxs’attardersursamâchoire,surseslèvres…Mais,vulessouvenirstroublantsquesaboucheévoquait,elles’empressadedirigersonregardsurladéviationlégère,presqueimperceptible,desonnez.
Ilavaitdûavoirunjourlenezcassé.Peut-êtreenmêmetempsqu’ilavaitétéblesséàlajoue…Qui était donc cet homme, à la fois aristocrate féru d’archéologie, évadémystérieux d’une prison
turque et séducteur irrésistible ? Par quel miracle semblait-il la comprendre aussi bien ? Et, plusimportantencore,pourquoiaspirait-elleàcepointàleconnaître?
Lorsque ses yeux tombèrent sur les siens, elle fut soulagée de constater qu’il les gardait toujoursbaissés sur leursmains liées. Elle scruta son regard intense. Le bleu étincelant de ses prunelles, quil’avait frappéedès leurpremièrerencontre–quifrappait toutes lesfemmesdeLondres,àencroire lagazette–,étaitenréalitéunmélangestupéfiantdegris,demyosotisetdesaphir,misenvaleurpardescilsnoirsd’unelongueurquen’importequellecourtisaneluiauraitenviée.
Qu’ilétaitbeau!Elle-même surprise par cette constatation, Isabel se redressa brusquement et arracha samain aux
siennes,toutenrefoulantlesentimentdefrustrationquecegestefitnaîtreenelle.—Vousvousmontreztropfamilier,lordNicholas.Elleréussit,nonsansfierté,ànepasgrimacerenentendantsavoixchevrotante.Aussitôt,Nickposasesmainssursescuisses,maisilrestaaccroupi.Undescoinsdesabouchese
relevaenunpetitsourire.—J’aientenduvotresoupir,Isabel…Votrecorpsnem’apasdutouttrouvétropfamilier.—Jen’aijamaisrienentendudeplus…deplusarrogantetdeplusinconvenant!—Jevousaiprévenuedecequiarriveraitsivousm’appeliezdenouveaulordNicholas.Isabel ouvrit la bouche,mais aucune repartie ne lui vint. Dans les romans, l’héroïne nemanquait
jamaisderiposteravecbrio.Mais,n’étantpasunehéroïne,ellesecoualatêtepourchassercettepensée.Puiselleserelevad’ungestedécidéetcarralesépaules.Lorsqu’ellepassadevantlui,elleéprouvaunplaisirtroubleàentendrelebruitdesesjupesfrottantcontresonépaule.
Lorsqu’ellesejugeasuffisammentloin,elleseretourna.Mais il s’était relevéprestementet se tenait justederrièreelle.Elle resta figéesurplacequand il
levalamaineteffleurasajoue.Sonodeurlasubmergea,mélangeenivrantdecognac,deboisdesantaletd’uneautrefragrancequ’elleneputidentifier.Unfrissonlaparcourut.Ellerésistaàlatentationdefermerlesyeuxpoursegorgerdecetteodeur,s’offriràsacaresselégèreetl’encourageràallerplusloin.
Quesepasserait-il,alors?L’embrasserait-ildenouveau?Lesouhaitait-elle?
Oui.Ellevoulaitqu’ill’embrasse.Leurs yeux se rencontrèrent, et elle ordonnamentalement àNick de se rapprocher, de répéter son
gestedel’après-midi.Ilpouvaitliredanssespensées,ellelesavait.Ellevits’allumerunepointedesatisfactionmasculine
danssonregardquandilperçutsondésir.Maispeuluiimportait,àpartirdumomentoùill’embrassait.Ses sens s’affolaient de le sentir si près. Ne supportant plus cette attente – l’excitation anticipée
d’unecaressequipouvaitnejamaisvenir–,Isabelfinitparfermerlesyeux.Elleeutalorsl’impressiond’oscillerverslachaleurquiémanaitdelui.Peut-êtresemontrait-elleimprudente,maiscethommeluifaisait toutoublier,ycomprissonpassé.Ycompris,aussi,cequ’elles’était toujourspromisdenepasdevenir.
—Isabel…chuchota-t-il.Ellerésistaàl’enviederouvrirlesyeux,depeurderomprelecharmeintimequilesunissait.Mais
ellesavouralamanièredontsavoixgraveprononçaitsonprénom.Commedotéesd’unevolontépropre,sesmainsselevèrentet,résistantàl’enviedetouchersontorsepuissant,effleurèrentl’étoffesolidedesaredingote.
Ilavaitparlédesplaisirsdelavie.Ellevoulaitqu’illesluimontre.Commeenhardiparsongeste,ilposaseslèvressurlessiennes.Isabelpoussaunsoupir,envahiepar
unmélangedeplaisiretdesoulagement.Cebaiserétaitplusdoux,moinsdévorantqueceluiqu’ilsavaientéchangédansl’après-midi.Ilglissa
sesmainssursanuquetandisqueseslèvresfrôlaientlessiennesunefois,deuxfois…Quandellesoupiradenouveau,seslèvress’entrouvrirent,etilapprofonditsonbaiser.Delapointedelalangue,ilsuivitsalèvreinférieure,laissantdanssonsillageunetracedefeu.
Lesmainsagrippéesàseslargesépaules,Isabelsepressacontresapoitrine.Ilrefermaalorslesbrasautourd’elle et l’enlaçaplus étroitement, tout en suivantde sabouche la lignede sa joue jusqu’à sonoreille,contre laquelle ilmurmurasonprénom.Ilensaisitensuite le lobeentresesdentset le taquinadélicatementjusqu’àceque,parcourued’unfrissondeplaisirintense,Isabelnouesesbrasautourdesoncou.
Elleperçutcontresapeausonsouriresatisfait,justeavantqu’ilnefassepleuvoirunesériedebaisersirrésistibles le longdesoncou.Ungémissementfinitpar luiéchapper tandisqu’elle luttaitpourresterdebout.
Sansôter sabouchedesoncou,Nick lasoulevaalorsentresesbraset,aprèss’êtreassisdans legrandfauteuilprèsdelacheminée,illaposasursesgenoux.Ilnerelevalatêtequepourl’interrogerduregard.Lorsque,dansunsoupir,elleacquiesça,ilposadenouveauseslèvressurlapeausensibledesoncou.
La caresse de sa langue, à la fois rude et sensuelle, arracha à Isabel un son étouffé qui ramenal’attentiondeNicksursabouche.Ils’enemparadenouveautoutenfaisantglissersamainsurlecôtédesapoitrine,oùelles’immobilisa.C’enfuttroppourIsabel.Sesseinsluiparaissaientinfinimentlourdsetpleins, et réclamaient d’être caressés d’unemanière dont elle n’avait jamais eu conscience avant cetinstant.Avantcethomme.
Commeellefrémissait,lesommantdepoursuivre,delatoucher,ildélaissasaboucheetplongeasonregarddanslesien.
—Qu’ya-t-il,mabeauté?Sonpouceesquissaungesteinfime,maissuffisantpourqu’elledevinequ’ilsavaitpertinemmentce
qu’ellevoulait.Illataquinait.—Je…
Ilpressalapaumedesamain,siprèsdel’endroitoùellel’appelaitdesesvœux,toutens’inclinantverssonoreille.
—Sibelle…Sipassionnée…MaVoluptéàmoi…montrez-moi.Cettedemande libéraquelquechoseenelle.Elle fitglissersamain le longdesonbras jusqu’à la
refermersurlasienne.Puis,croisantsonregardavecplusdecouragequ’ellen’enéprouvait,elleramenacelle-ci sur son sein.Tousdeuxbaissèrent lesyeux lorsqu’il enépousa leglobede samain, avantdepasserdélicatementlepouceàl’endroitoùlapointeérigéetendaitletissudesoncorsage.Elleétouffaungémissement,etleursregardsseheurtèrent.
—Dites-moicequevousressentez.—Je…jenepeuxpas,balbutia-t-elleenrougissant.Ilrépétasacaresse,laquellefutsuiviedumêmeeffet.—Si,vouslepouvez.Ellesecoualatête.—Jen’aijamais…C’esttrop.Tropbon.Il la récompensad’unautre longbaiser, tout englissant l’unde sesdoigts sous ladentellede son
décolleté.Ilcaressaainsisapeauéchauffée,luiarrachantunpetitcri.Ilmitalorsfinàleurbaiseretposasonfrontcontrelesien,unlégersouriresurseslèvresgonflées.
—Etcelanepeutquedevenirmeilleur…affirma-t-ilavec,danslavoix,unepromessebrûlante.Ellefutsurprisequandillasoulevapuis,s’étantlui-mêmelevé,lareposadanslefauteuil.Ils’inclina
ensuite vers elle, les deuxmains posées sur les accoudoirs.Un intense désir brillait dans son regard,bientôtremplacéparcequ’elleestimaêtredeladétermination.
—Jenesaispasdequoioudequivousvouscachez,Isabel,maisjel’apprendraitôtoutard.Ets’ilestenmonpouvoird’yremédier,jeleferai.
Enentendantcettedéclarationsiinattendue,Isabelrestabouchebée.Il se redressa et, alors qu’elle aspirait encore à son étreinte, il sortit de la bibliothèque d’une
démarchequitrahissaitlamêmeassurancequesesparoles.
10
Sansmême ouvrir les yeux, Nick sut que quelqu’un le regardait. Tout en veillant à conserver unsoufflerégulier,ilpassaenrevuelesoptionsquis’offraientàlui.
Àquelquespasdelui,ilentendaitunerespirationlégère,égale.L’intrussetenaitprèsdulitetn’étaitpasdutoutnerveux.Dixansauparavant,enTurquie,Nickauraitétéinquiet,maisilsetrouvaitdansleYorkshire,bloquédansunmanoirparunorage,cequiréduisaitlenombredevisiteurspossibles.
Ilnepercevaitaucunparfumdefleurd’oranger,cequisignifiaitquecen’étaitpasIsabelquil’avaitrejoint dans sa chambre. Dommage, car il aurait aimé la voir au pied de son lit à son réveil… Lesévénements de la soiréeprécédente n’avaient fait qu’accroître sa curiosité. Il n’avait jamais connudefemmeaussipassionnée…etaussimystérieuse.
Oui,ilauraitaimés’éveilleraucôtéd’Isabel,toutechaudeetvoluptueuse,leregardembrumémaisaccueillant.Rienaumonden’auraitpuluifairequitterunlitaussiprécieusementoccupé.
Son attention revint brusquement à l’instant présent. Sonvisiteur n’était sans doute pas dangereux,maiscen’étaitpaslemomentderêverdeladamedeslieux.Rêverd’Isabelétaitmêmetrèsdangereux.
QuandNick souleva les paupières, il croisa un regard brun, sérieux, qui n’était pas sans rappelerceluiauquelilvenaitdepenser.
—Bien.Vousêtesréveillé.Parmitouslesintrusenvisageables,cen’étaitpaslejeunecomtedeReddichqu’ilseseraitattenduà
trouver,accroupiauprèsdesonlit.—Onledirait.—J’attendaisquevousvousréveilliez.—Jesuisdésolédet’avoirfaitattendre,répliquaNick,ironique.—C’estpasgrave,vraiment.J’aiencoreuneheureavantquemesleçonscommencent.Nicks’assitdanslelitetsefrottalevisagepourchasserlesderniersvestigesdusommeil.—Personnenet’ajamaisditqu’ilétaitmalélevédeseglisserdansleschambresdesinvités?—Jecroyaisquec’étaitjustedansleschambresdesfilles.—Oui,acquiesçaNick,quineputs’empêcherdesourire,c’estencoreplusvraipourleschambres
desfilles.Jameshochalatête,commes’ilvenaitdeluirévélerungrandsecret.—Jem’ensouviendrai.Dissimulantsonamusement,Nickenfilalepeignoirtroppetitqu’onluiavaitprêtélesoirprécédent.
Puisilselevaet,aprèsavoirnouélaceinture,fitfaceaujeunegarçon,quil’observaittoujoursdel’autrecôtédulit.
Sonvisageétaitempreintdesérieux,avecuneespècededéfiancedanssesyeuxbrunsquirappelaitirrésistiblementIsabel.
—Quepuis-jepourvous,lordReddich?—Personnenem’appellecommeça,réponditJamesensecouantlatête.—Lesgensdevraients’yhabituer.TueslecomtedeReddich,n’est-cepas?—Oui…—Mais?—Maisjenefaispasvraimentleschosesquelescomtesfont,réponditJamesaprèss’êtremordillé
lalèvreinférieure.Jenesuispasassezgrand.—Etceschoses,c’estquoi?—Leschosesquemonpèrefaisait.—Ehbien, jenesuispascertaind’êtremoi-mêmeassezvieuxpour faire leschosesque tonpère
faisait,déclaraNicktoutentraversantlachambre.Debout devant la table de toilette, il s’aspergea le visage d’eau froide, puis il se sécha avec la
serviettesuspenduesurlecôté.Quandilreportasonattentionsurlejeunegarçon,illedécouvritassisauboutdulit.
—J’apprendraibientôt,sûrement,ditJamesavecunmanqueflagrantd’enthousiasme.Isabelditquequandvousaurezfinivotretravailaveclesstatues,onauraassezd’argentpourm’envoyeraucollège.
Nickopina.Aprèss’êtretournédenouveauverslatabledetoilette,faceaumiroir,ilpritleboldesavonàraserposéàcôtédelacuvette.
—Quelâgeas-tu?demanda-t-il,conscientquelepetitgarçon,fasciné,suivaitchacundesesgestes.—Dixans.L’âgeauquellui-mêmeavaitvusaviebouleversée…Aprèss’êtreenduitlevisagedesavon,ilsaisitlerasoiretappliquaavecprécautionlalamesursa
joue.—Monfrèreestmarquis,tusais.James,captivéparlalentedescentedelalamesursapeau,neprêtapasimmédiatementattentionà
sesparoles.Maisensuite,ilécarquillalesyeux.—C’estvrai?—C’estvrai, confirmaNick.Et laplupartdes chosesqu’unmarquisdoit savoir, ajouta-t-il après
quelquessecondes,c’estàl’écolequ’illesaapprises.Un silence s’abattit ensuite dans la chambre, troublé seulement par le clapotement de l’eau quand
Nickrinçasonrasoir.—Etvous,finitparreprendreJames,vousêtesalléàl’école?—Oui.—Etçavousplaisait?—Quelquefois.—Etsinon?Nick s’absorba dans la tâche délicate qui consistait à se raser le menton, ce qui lui permit de
réfléchir à sa réponse. Il avait beaucoup en commun avec ce garçon : une histoire particulière qui lemettaitàl’écartdesespairs,unavenirincertain,unpassémalheureux.Nickrepensaàl’abandondesamère,àlatornadederagotsquiavaientsuivisondépart,àlamanièredontleurpère,désespéré,lesavaitexpédiésenpension,Gabrieletlui,sanslesavoirpréparésauxméchancetésetauxtaquineries.Entantquesecondfils,sanstitre,Nickavaitessuyéleplusgrosdesmoqueries.Ils’étaitalorsjetéàcorpsperdudanslesétudes.
C’était avant qu’il n’apprenne à se servir de ses poings, avant qu’il ne prenne conscience que sataille, sa stature et sa force physique pouvaient lui ouvrir les portes d’une existence autrementintéressantequecellequiattendaitlesecondfilsdumarquisdeRalston.
Non,iln’avaitpasbeaucoupaimélecollège.MaisceseraitdifférentpourJames,quin’étaitpaslefilsd’unmarquistropfaibleetd’unemarquiseàlamoralitédouteuse.Jamesétaitcomte,etilobtiendraitlerespectdûàsontitre.
—Quelquefois,leshommesdoiventfairedeschosesqu’ilsn’aimentpasforcément,finit-ilpardire.C’estcequifaitdenousdeshommes.
James resta songeur.Dans lemiroir, Nick l’observait. À quoi pensait-il ?Quand le jeune garçonrelevalatête,cefutpourdéclarer:
—J’aimeraisbienqu’onmeconsidèrecommeunhomme.—Danscecas,j’aibienpeurqu’ilnetefailleenpasserparl’école.—Maisalors…Denouveau,lesilenceseprolongea.MaisNick,s’abstenantd’intervenir,secontentadesécherson
visage,maintenantrasédeprès.—…quevontdevenirlesfilles?demandaJamesd’untonpréoccupé.LapoitrinedeNickseserrasoudain.Jamess’inquiétaitpoursasœuret,vulesimprudencesqu’elle
avaitcommisescesdeuxderniersjours,onnepouvaitl’enblâmer.Maisilgardacetteréflexionpourlui.—Tasœursemblesedébrouillerassezbientouteseule,non?—Isabeldétesteêtreseule.Elleseraittristesijem’enallais.—Jepensequ’ellecomprendraitoùesttondevoir,répliquaNick,repoussantl’idée,tropdésolante,
d’uneIsabelseuleettriste.De nouveau, le jeune garçon semordilla la lèvre inférieure – un geste charmant dontEton, hélas,
allaitledébarrasserimmédiatement.—Oui,maismondevoirici?Vis-à-visdesfilles?—IsabeletLaraseronticiàtonretour,James.Ettoutcequetuaurasapprisleurservira.Maisl’enfantsecoualatêteavecvéhémence.—Jenepourraipaslesprotégerquandjeserailà-bas,àl’école!—Lesprotéger?répétaNick,soudainenalerte,maiss’efforçantdeconserverunevoixégale.Les
protégerdequoi?Lepetitgarçontournalesyeuxverslafenêtre.—De…detout.Nickcompritimmédiatementqu’ilnefaisaitpasallusionàunemenacegénéraleetindistincte,maisà
uneinquiétudeparticulière.Etilcompritaussiqu’ilneluiseraitpasfaciled’enapprendredavantage.—James,dit-ildoucement,s’ilyaquelquechosequitetracasse…jepeuxpeut-êtret’aider.Jamesreportasonattentionsurlui,etsonregardseposa,pourlapremièrefois,sursabalafre,puis,
presqueaussitôt,descenditsursesépaulesquitendaientl’étoffedupeignoirtropétroit.—Jecroisquevouspourriezm’aider,finit-ilpardire.Vousêtesvraimenttrèsgrand.S’iln’avaitpasétéaussitroubléparlesparolesdeJames,Nickauraitsouriàcesderniersmots.Il
savaitquesataillepouvaitparaîtreimpressionnanteàceuxquin’yétaientpashabitués.—Jen’aijamaisrencontrédedangerquejen’aiepaspusurmonter,assura-t-il,mêmes’ils’agissait
d’uneentorseàlavérité.—Ellesaurontbesoindequelqu’unpourlesprotéger.Surtout…«Isabel»futlenomquitraversaaussitôtl’espritdeNickdevantl’expressioninquiètedeJames.
Courait-ellevraimentundanger?Était-ilpossiblequequelqu’un luiveuilledumal?Qu’elle soitobligéedesecacher?Assailliparlebesoinurgentdeladéfendre,Nickserralesdents.Ilauraitvouluseprécipiterhorsdelapièce,latrouveretluisoutirerlavérité.Dansquelpétrins’était-ellefourrée?
Finalement,Jameschuchota:—SurtoutGeorgiana.Georgiana?Avait-ilbienentendu?—QuiestGeorgiana?—Magouvernante.Il l’avait retrouvée !Nick exulta en son for intérieur. Il s’efforça néanmoins de conserver un ton
détaché.—Ilyalongtempsqu’elleesttagouvernante?—Juste quelques semaines.Mais elle est vraiment bien.Elle parle latin.Et elle connaît plein de
chosessurlescomtes.Cequin’avaitriend’étonnant,puisqu’elleétaitlasœurd’unduc…—Etsielleabesoindemoietquejenesuispaslà?ajoutaJames.SaquestioninnocentedétournaNickdel’excitationdesadécouverte.Combiendefoiss’était-ilposé
cegenredequestionaumêmeâge?Sisamèreavaiteubesoindeluietqu’ilnes’enétaitpasaperçu?Etcommentpourrait-illaprotégeralorsqu’ilnesavaitpasoùelleétaitpartie?
Mais ilsecouala tête.Ils’agissait làd’ungarçonquiavait lebéguinpoursagouvernante– lecasétaittotalementdifférent.
—Jesaisqu’ilestdifficiledet’imaginerloindumanoir,répliqua-t-il,maisjesuissûrquetoutirabienpourelle.
CommeJamesfaisaitminedeprotester,ilpoursuivit:—Ellevabien,encemoment,n’est-cepas?—Oui,mais…etsiquelqu’unvientlachercher?Nicképrouvaunbrusquesentimentdeculpabilité.Ce«quelqu’un»étaitdéjàlà.—Toutirabien,affirma-t-il.IlpouvaitaumoinspromettrecelaàJames.Celui-cibaissalatêteetmurmura:—Oui, sans doute. Si je partais, peut-être que vous… vous pourriez rester ? Juste pour être sûr
qu’ellessontensécurité.Quandlejeunecomterelevalesyeux,Nickylutlamêmeinquiétudequedansceuxd’Isabel,lesoir
précédent. De quoi diable s’agissait-il ? Qui étaient ces filles ? Appartenaient-elles toutes àl’aristocratie?
Nick prit une profonde inspiration. Si le manoir était plein de filles de l’aristocratie, IsabelcontrevenaitàunedizainedeloisdelaCouronne.Elles’exposaitàdetrèsgravesennuis,dontmêmeluinepourraitl’aideràsesortir.
Nick s’approcha de la chaise sur laquelle ses vêtements repassés, ainsi qu’une chemise propre,avaient étédéposés.Avantde s’en saisir, il se retournavers James,qui attendait sa réponseavecuneimpatiencemaldissimulée.
—Jeresteraiiciassezlongtempspourm’assurerquevousêtestousensécurité.Celateconvient-il?—Vousmedonnezvotreparole?—Jeteladonne.LevisagedeJamessefenditd’unimmensesourirequirappelaIsabelàNick.Ilneputrefoulerun
élandeplaisirdevantlajoiedujeunegarçon.
— À présent, attends dehors pendant que je m’habille. Ensuite, tu pourras me montrer ta salled’étude.J’aimeraisbeaucouprencontrertagouvernante.
Unquartd’heureplustard,NicksuivaitJamesàl’étagesupérieur.—C’estpasloindessallesdesstatues,expliquacelui-cienempruntantuncouloiraprèsl’autre.Vous
pourriezvenirdéjeuneravecmoi.Enfin,sivousavezenvie.Iln’avaitcessédebavarderdepuisqueNickl’avaitrejointsurlepalier,àl’extérieurdesachambre.
Leurconversationl’avaitapparemmentrassérénéet,mêmesiNickn’avaitquepeud’expérienceaveclesenfants,ilétaitheureuxd’avoirpusoulagersoninquiétude.
«Uneinquiétudejustifiée…»,luisoufflaunepetitevoixculpabilisante,qu’ilauraitpréféréignorer.—Peut-être.Celadépendradutravailquej’auraiaccompli.Maisj’essaierai.Jameshochalatête,apparemmentsatisfaitdesaréponse,aumomentmêmeoùils’arrêtaitdevantune
portedeboissombrequ’ondistinguaitàpeinedans lapénombreducouloir.Enrevanche,quandileutpoussélebattant,cefutdansunesallelumineuseetaccueillantequeNicklesuivitaveccuriosité.
Iln’avaitpasmislespiedsdansunesalled’étudedepuisdesannées,etcelle-ci luiparutà lafoisétrangèreetfamilière,avecsescitationslatinesaccrochéesaumuretsoninévitableodeurdecraie.
Dansuncoin,Isabelétaitpenchéeau-dessusd’ungrandcubedeverre,assistéed’unejeunefemmeauxcheveuxclairs.Georgiana…Mêmesisonmaintienaltiern’avaitpastrahisahautenaissance,Nickl’auraitreconnue.Elleavaitlesmêmesbouclesblondesquesonfrère,ainsiquelesyeuxd’unmieldorécaractéristiquedelalignéedesLeighton.
ElleseretournaquandJameslançaun«bonjour»joyeuxet,aussitôt,sonregardseposasurNick.Cedernier s’abstint de marquer le moindre signe de reconnaissance, mais il la vit écarquiller les yeuxdefrayeur.Ileutaussitôtlaconfirmationqu’àTownsendPark,onnedétenaitpaslesfillescontreleurgré,maisqu’onlesprotégeait.SavueterrifiaitGeorgiana.Ellesavaitquiilétait–siIsabelneluiavaitpasparlédelui,sacicatricetrahissaitsonidentité–etaussi,probablement,qu’ilétaitunamidesonfrère.
Murmurant une excuse, elle disparut, ses jupes tournoyant derrière elle, dans une pièce adjacente.UneémotionétrangeserraleventredeNick.Delaculpabilité…
IlreportasonattentionsurIsabel.Vêtuedemousselinegrise,elleenfonçaitàprésentlatêteetunbrasdansl’espècedegrandeboîtedeverre.
— Bonté divine ! grommela-t-elle. Je me demande franchement pourquoi j’ai accepté… Cettemauditecréatureestévidemmentàl’endroitleplusinaccessible!
—Izzy!s’écriaJamesens’accrochantàlamainlibredesasœur.Qu’est-cequetufabriques?Tuvasluifairemal!
—Maisnon.Nicks’approchapourvoirlecubedeplusprès.Ilétaitremplidecaillouxetdeverdure,commeune
forêtminiature.Àtraverslavitre,ilvitlesdoigtsd’Isabelécarterdesfeuilles,puisunebrancheépaisse.Enfin,ellelesrefermasurunegrossepierre.
—Jetetiens!Ellese redressaavecunsourirede triomphe.Quelquesbouclesauburns’étaientéchappéesdeson
chignon, et elle ressemblait à une fille de la campagne épanouie. Nick se souvint aussitôt du soirprécédentetdesesbaisers,sifrais,sispontanésetsiardents.Ilneputs’empêcherdesourirequandellemaintintmalicieusementsapriseenl’air,horsdeportéedeJames.
—Izzy!Donne-le-moi!imploracelui-ci,dressésurlapointedespieds,lebrastendu.—Etpourquoi?C’estmoiquil’aisauvé.Ilm’appartientdedroit.—Tun’aimesmêmepaslestortues!
—Justement,tudevraism’enêtreéternellementreconnaissant.Toutenriant,ellerelevalesyeuxetaperçutalorsNick.Sonsourires’évanouit,etellejetaaussitôtun
coup d’œil à côté d’elle.De toute évidence, elle cherchaitGeorgiana, qu’elle voulait lui cacher.UneboufféedecolèreenvahitNickàlapenséequ’elleneluifaisaitpasconfiance.
Mais,envérité,pourquoiluiaurait-ellefaitconfiance,puisqu’ils’apprêtaitàrévélerl’endroitoùlajeunefillesetrouvait?
Isabelporta lamainà ses cheveux,dansungestenerveuxqu’il commençait à connaître.Enmêmetemps,ellelaissadistraitementretombersonautrebras,etJamessesaisitdel’animaltantconvoité.
Sonchangementd’attitudeattristaNick.Ilvoulaitconnaîtrel’Isabelheureuseetsouriante.Ilenavaitassezdelajeunefemmesérieuse.
— Bonjour, lady Isabel, dit-il en s’inclinant. Une fois de plus, nous nous rencontrons dans descirconstances…singulières.
Elleesquissaunerévérencerapide,plus,sansdoute,pourévitersonregardquepourlesaluer.—Bonjour,lordNicholas.Sivouscessiezdesurgirsansavoirétéinvité,jevousassurequejevous
sembleraismoinssingulière.— Je ne vous ai jamais traitée de singulière. Unique, oui. Surprenante, à n’en pas douter. Mais
certainementpassingulière.Ellerougit,augrandplaisirdeNick.Mais,sesouvenantde laprésencedeJames, ils’accroupità
côtédelui.—J’aimebeaucouplestortues.Tusemblesavoirlàunbeauspécimen.Jepeuxlavoir?Jamesluitenditsaprotégéeavecfierté,etNickfitminedelaregardersoustouteslescoutures.—Effectivement,bellebête…Jamessouritjusqu’auxoreilles.—Elles’appelleGeorge.Àcauseduroi.—Jesuissûrqueleroiseraittrèsfierd’avoiruntelhomonyme.— J’ai trouvé George au printemps. Izzy et moi, on lui a construit le vivarium. Ça nous a pris
plusieurssemainespourqu’ilsoitparfait.Nick reporta les yeux sur Isabel, étonnéqu’une jeune femmepasse autant de temps à fabriquer un
habitatpourunetortue.—Vraiment?Quelleexcellenteinitiative!Manifestement agacéepar cette conversation, Isabel croisa lesbras enpoussantunbruyant soupir.
Songestetenditletissudesoncorsagesursapoitrineet,toutenseréprimandant,Nickneputqu’admirerlabeautédesesseins.
—Certes.Maissinousnebougeonspascevivarium, répliqua-t-elle,cequi ramena l’attentiondeNick sur la situation présente, George va avoir les pieds dans l’eau. La fuite dans le toit le visedirectement.
James et Nick suivirent la direction du doigt qu’elle pointait vers le plafond. Effectivement, uneimmenseauréoles’étalaitjusteau-dessusdel’habitationdeGeorge.
— Puisque vous êtes là, lord Nicholas, reprit-elle d’un ton sarcastique, vous allez pouvoir nousprêterunpeudevotreforcebrute.
—Jeconsidèrecommeungrandcomplimentquevousmejugiezutileàquelquechose,ladyIsabel,riposta-t-il.
Iln’avaitpasàêtrefierdumanquederaffinementdesaréponse,illesavait.Maisilremarqua,aumomentoùelleseretournaitverslacaissedeverre,qu’elleesquissaitunlégersourire.Ellen’étaitpaslafemmeimpassiblequ’elles’efforçaitdeparaître.
—PoseGeorge là-bas, dit-elle à son frère en indiquant une table basse, à l’autre extrémité de lasalle.Puisreviensicipournousaider.
Aprèsavoirobservédenouveauleplafond,ellereportasonregardsurNick.—Jepensequelemeilleurchoix,ceseraitdeledéplacerjusqu’àcecoin.Avecunhochementdetête,Nickseplaçaàl’autreboutduvivarium.—Jesupposequevousnem’autoriseriezpasàallerchercherRockpourqu’ilprennevotreplace?—Sij’avaisbesoind’aide,St.John,j’appelleraisunvaletdepied.—Oui,jen’endoutepas,répliquaNickavecironie.Qui donc convoquerait-elle parmi son personnel hétéroclite ? Jugeant plus judicieux de ne pas
insister,Nickappliquasonépaulecontrelacaisseetpoussa.Seigneur,cemonstrepesaitunetonne!Cefutluiquiexécutaleplusgrosdelapoussée,tandisqu’Isabelutilisaitsesforcespourguiderle
vivariumàl’emplacementchoisi.James,quin’avaitpaslâchésatortue,lesregardait.Soudain,alorsqueNickreprenaitsonsouffle,unformidablefracasretentitderrièrelui.D’unbond,il
seretourna.Unénormemorceauduplafond,détrempéparlapluieviolentedelanuit,venaitdetomberàl’endroitexactoùtoussetenaientquelquesinstantsplustôt.
Abasourdis, ils observèrent en silence le nuage de poussière qui s’élevait dumonceau de plâtre,jusqu’aumomentoùIsabellaissaéchapperunprofondsoupir.
—Jesupposequeceladevaitarrivertôtoutard.Àprésent,vouscomprenezpourquoijeréparaisletoithier,lordNicholas.James,varetrouvertagouvernante.Jenepensepasquevousutiliserezlasalled’étudeaujourd’hui.
Lejeunegarçonclignadesyeux,incertain.Maislaperspectivedepasserlesheuressuivantesavecsagouvernante, et dansun lieu inédit, eut raisonde sonhésitation.Après avoir replacéGeorgedans sonvivarium,ils’élançahorsdelapièce,laissantNicketIsabelfaceauchaos.
Sous lesyeuxdeNick, la tortue émergeade sa carapace et semit àdéchiqueter la feuille laplusproche,qu’ellemâchonnabéatement,indifférenteauxbouleversementsextérieurs.
Quen’aurait-ildonnépourêtreunetortue!IlreportasonattentionsurIsabel,quifixaitletroubéantdansleplafond.C’estalorsqu’illavit:une
larme, unique, qui descendait le long de sa joue.Elle l’essuya aussitôt, si rapidement qu’on aurait pucroirequ’ellen’avaitjamaisexisté.
Hélas,ill’avaitbeletbienvue.—Isabel…commença-t-ilavec,danslavoix,unehésitationdontiln’étaitpascoutumier.Aprèsavoirprisuneprofondeinspiration,ellesetournaverslui.— Il n’y a pas grand-chose que nous puissions faire pour le moment, n’est-ce pas ? Espérons
simplementquelapluies’arrêteraavantquenoussoyonsobligésd’aménagerunesalledebainsici.Àcet instant, il compritàquelpointetpourquoi il admiraitcette femme.Toutescellesqu’il avait
connues, depuis samère jusqu’à ses différentesmaîtresses, usaient des larmes comme d’unmoyen demanipulation.
Isabel,elle,lescachait.Nick aurait voulu l’attirer à lui, lui offrir une occasion de laisser tomber sa garde. Elle avait
d’immenses responsabilités, et il ne pouvait la blâmer de se sentir submergée.Mais son intuition luisoufflaqu’ellerefuseraitqu’ilévoquesonaccèsdefaiblesse.Aussis’abstint-il.
—Oninstalledessallesdebainsdans lesplusgrandesmaisonsdeLondres, répondit-il.Lesgensdépensentdepetitesfortunespourça.Vousseriezàlapointedelamode.
Lorsque leurs regards se croisèrent, celui d’Isabel exprimait un mélange de soulagement et degratitude.
—Danscecas,n’avons-nouspasdelachanced’avoiruntoitaussiaccommodant?Le gloussement dont elle ponctua sa phrase était communicatif. Il s’esclaffa, et tous deux rirent
ensemble,complices,pendantquelquesinstants.Lorsqu’il recouvra son sérieux,Nickdut se rendre à l’évidence : il aimait beaucoup cette femme.
Beaucoupplusqu’iln’auraitvoulul’admettre.Cettepenséeavaitdequoiledégriser.Caruntelsentiment,c’étaitladouleurassurée–voirelesfers
auxpieds.Ils’éclaircitlagorge.—Jem’interrogeaissurlanervositédeJamesconcernantvotresécurité…Jevoisàprésentqu’ila
desraisonsd’êtreinquiet.Voussemblezavoirundonpourattirerledanger.—Jamess’inquiètepourmasécurité?s’exclama-t-elle.—Pourlavôtre,pourcelledevotregouvernante,deLara…«Lesfilles»,commeilvousdésigne.
Isabel,poursuivit-ilenlavoyantdétourneraussitôtlesyeux,ya-t-ilquelquechosequevousdevriezmedire?
Siseulementellevoulaitbienluiparler, luirévélerl’ampleuret lateneurdesespréoccupations…Alors,ilferaittoutcequiétaitensonpouvoirpourl’aider.Maisilfallaitd’abordqu’elleluiaccordesaconfiance.
Évidemment, elle garda le silence.Après avoir traversé la salle pour aller chercher un seau, ellecommençaàramasserlesgroséclatsdeplâtrequiavaientétéprojetésunpeupartoutsurlesol.
—Isabel…Jepeuxvousaider,s’entendit-ildire,néanmoinsconscientqu’ilauraitdûs’abstenir.—Qu’est-cequivousfaitpenserquenousavonsbesoind’aide?riposta-t-elled’untonquisevoulait
léger.Ils’accroupitenfaced’elleetluisaisitlepoignet.—Nem’obligezpasàinsister.Jesaisquequelquechosenevapas.Ellebaissalesyeuxsurl’endroitoùilssetouchaient.Quandellelesreleva,ilyvitbrillerunelueur
d’acier.—Vousn’avezque trop insisté,monsieur.Cequinevapas, c’est simplementqu’il y aun toit en
mauvaisétatetunvisiteurquirefusedepartir.Arrêtezd’essayerdenouscomprendre.Nousnesommespasvotreproblème,lordNicholas,etilvaudraitmieuxpournousdeuxquevouscessiezdeprétendrelecontraire.
Unsilencesuivitsatirade,durantlequelelleretirasamainetrepritsonnettoyage.—Jesuiscapabledeprendresoindenous,finit-ellepardire.Jel’aitoujoursfait.—Jen’aijamaissuggérélecontraire.—Si,répliqua-t-elle.Commetoutlemonde.Maisilyadesannéesquejeportelamaisonàboutde
bras. Je serai encore ici longtemps après votre départ. Avec les fuites dans le toit, un comte encoreenfant,ettoutlereste.
Sapoitrines’élevaitets’abaissaitàunrythmerapide,trahissantsonexaspération.Nickprononçalespremiersmotsquiluivinrentàl’esprit–ceuxqu’ilauraitdûgarderpourlui.
—Laissez-moivousaider.—Vousvoulezm’aider?répliqua-t-elle,haletante,lesyeuxplissés.Évaluezcesmauditesstatues!Elleluitournaledos,etNickrestaimmobile,lespoingsserrés.Il se passait quelque chose dans cette maison. Lui qui avait triomphé d’innombrables ennemis –
d’hommescapablesd’infligerdestorturesavecuneprécisionscientifique,defemmesaucœurfroid,descélérats abusant de leur fortune et de leur pouvoir – était persuadé de pouvoir vaincre les démonsqu’Isabelaffrontait.Ilétaitcapabledesauvercettefilleetcedomaine.
Maispourquoiétait-cesiimportantàsesyeux?Ilyavaitquelquechosechezcettefemme,danscettemaison,danscetendroit,quiluidonnaitenviederester,alorsqueduranttoutesavielepluspetitrisquede stabilité, de responsabilité, etmême de séjour un peu prolongé, l’avait fait se précipiter vers unenouvelleaventure.
Ilnelaquitteraitpas.Pasavantdes’êtreassuréqueleséventuelsdangersquilamenaçaientétaientécartés.
Ildevaitlaconvaincredel’autoriseràfairecepourquoiilétaitleplusdoué.Maisilfallaitquel’und’euxcessedementir.Ildécidadoncdeluirévélerlavérité–dumoinsenpartie.
—Bontédivine,Isabel…Jesuisaucourant,pourlesfilles.
11Leçonnuméroquatre
Enrôlezdesalliés!Courtiservotregentleman,c’estmeneruneguerre tambourbattant.Pourvousassurer lavictoire,vousaurezbesoinde tactiqueséprouvéesetd’unbataillond’hommes (ou de femmes) de confiance. Des alliances stratégiques serontnécessaires… Non, indispensables ! Réfléchissez aux amis, à la famille, auxdomestiquesetàtousceuxquipourraientfavoriserunrapprochemententreluietvous.Nenégligezpasl’influenced’unehôtesseoud’unhôtebiendisposé:unvraigentlemanneferajamaislasourdeoreillelorsqu’onluisuggéreraunevalse.D’unedansedanslasalledebalàunepromenadedanslejardin,iln’yaqu’un pas, et du jardin où résonnent les échos du bal… l’église et l’autel nesontplusloindutout!
PearlsandPelisses,juin1823
Contrairement à ce qu’elle avait imaginé, ce fut un sentiment de calme qu’Isabel éprouva lorsqueNickluiannonçaavoirdécouvertMinervaHouse.
Elles’étaitattendueàêtresaisiedepaniqueoucontraintedeniercequ’ilavaitvu.Mais,quandillaregardadroitdanslesyeuxendéclarantqu’iln’ignoraitplusriendelaprésencedes
filles,elleéprouvaunréelsoulagement.Elleenavaitassezdesecacherdeluietderedouterqu’ilnedécouvreleurssecretsd’unemanièreoud’uneautre.Rétrospectivement,ellesejugeaitbiensotted’avoirimaginépouvoirluicacherlavérité.
—Vousavezunmajordomeféminin,desvaletsfémininsetungarçond’écurieféminin…Àcesmots,elleserelevaetfrottasesmainsgrisesdeplâtrel’unecontrel’autre.—J’aiunresponsabled’écurieféminin.—Votremaisonn’estcomposéequedefemmes,poursuivit-ilsansprêterattentionàsacorrection.—Pasentièrement.—Entièrementmoinscombien?—Moinsun.Quand il détourna le visage, Isabel remarqua que la cicatrice, sur sa joue, avait blanchi. Tout en
portantunemainàsanuque,illevalesyeuxauplafond.—Votrefrère,biensûr.—Lecomte,répliqua-t-elle,carilluiparutimportantdesoulignersontitre.—Uncomtededixans.—Quelleimportance?Ilesttoutdemêmelecomte!—Celaveutdirequ’iln’yapersonnepourvousprotéger!
Lesmots résonnèrent dans la salle, surprenant Isabel par leur force. Aussitôt, la colère s’emparad’elle. De la colère contre la réalité que cesmots lui renvoyaient au visage, contre lemonde entier,contre cet homme qui ne la connaissait pas depuis trois jours et qui, pourtant, persistait à proclamerqu’elleavaitbesoind’êtreprotégéeetqu’elleétaitbienincapabledes’occuperdesonfrère,desfillesetdesaproprepersonne.
—Vouspensezpeut-êtrequejen’aipasconsciencedenotresituation?Quejenevoispaslesrisquesquenousprenons?Ques’ilyavaitunesolution,jenel’auraispastrouvée?riposta-t-elleens’efforçantderetenirdeslarmesdefureur.Jenevousaijamaisdemandévotreaide,lordNicholas!Jenevousaijamaisdemandédemeprotéger.
—Jelesais,Isabel.Vousn’oseriezpasmedemanderdel’aide.Vousaveztroppeurderévélervotrefaiblesse.
—Sijenevousdemandepasvotreaide,c’estpeut-êtreparceque,tropsouvent,cesontdeshommesquenousavonsbesoind’êtreprotégées.Yavez-vousréfléchi?
Elleregrettaaussitôtsesparoles,quitombèrententreeuxcommeunepierre.Ilnelesméritaitpas.Ilnefaisaitpaspartiedeceshommes-là,ellelesavait.
Cequinel’empêchaitpasd’êtreinfinimentplusdangereuxqu’eux…—Jesuisdésolée.Ilscrutasonvisageunlongmomentavantdereprendre:—Iln’estpastrèsdifficiledes’apercevoirqu’ils’agitdefemmes.Maisquisont-elles?Pourquoi
sont-ellesici?Isabelsecoualatête.—Vousnepouvezpascroiresérieusementquejevaisvousrépondre.—Cesontdescriminelles?—J’imaginequ’ilyenacertainesquevousconsidéreriezcommetelles…Elle se montrait injuste, mais ne pouvait s’en empêcher. Elle était comme hypnotisée par le
mouvementdesespoings,qu’ilserraitetdesserraitlentement.—Certainessontsimplementdesfillesquiavaientbesoindes’échapper.—Sivouscachezdescriminelles,Isabel,vousrisquezlaprison.Elleneréponditpas,aussireprit-illentement:—Ilyapeut-êtredespersonnesquilesrecherchent…C’estlaraisonpourlaquellevousgardezleur
présencesecrète.Ilavançaitpeuàpeuverslavérité,maisIsabelneluiferaitpasleplaisirdelareconnaître.—Les statues…Lanécessité de trouverde l’argent…Cen’est pas simplement pour James,mais
aussipourelles.—Jen’aijamaisprétendulecontraire.—C’estvrai.Vousavezsimplementomisdedirelavérité.—Cettevériténevousregardepas.—Ilsembleraitquejesoisnéanmoinsimpliquédanscetteaffaire.—Jenevousl’aijamaisdemandé.Aulieuderépondre,ildétournalevisageverslafenêtre.Isabelnevoyaitplusquesonprofil,celui
quemarquait la balafre.Celle-ci paraissait d’autant plus blanche et implacable que les traits deNickétaientfigés.
Il restaainsiun longmoment, sansparler. Isabelétait sur lepointdedevenir follequand,enfin, ildéclara:
—Vouspouvezavoirconfianceenmoi.
«Confiance»…Queljolimot!Ilyavaitquelquechoseenlui–saforce,soncaractère,lamanièredontillaregardaitavecpatience
ethonnêteté–,quidonnaitdésespérémentenvieàIsabeldelecroire.Siseulementelleavaitpuplacersaconfiance,sesprotégées,samaison,toutcequ’ellepossédait,entresesmainsetluidemanderdel’aider!
Maisc’étaitimpossible,ellenelesavaitquetropbien.Isabelavaitvucequiarrivaitlorsquedeshommesauxbellesparolesetauxbrasmusclésselassaient
delafemmequipartageaitleurexistence.Elleavaitététémoindeladésertiondesonpère,quin’avaitlaisséàsamèrequ’undomainemenacéparlaruineetuncœurbrisé.
Sielles’appuyaitsurNickmaintenant,ellenesurvivraitpasàsondépart.—Vousm’avezimpliquédansvotremonde,Isabel,quecelavousplaiseoupas,reprit-il.Jemérite
deconnaîtrelavérité.Maisellesecoua la tête.Ce lord,avecsaforce,sescertitudes,ses…baisers,étaitplusdangereux
pourellequedeslégionsd’hommescommesonpère.—Ainsi,vousnevoulezrienmedire?—Non.—Vousn’avezdoncpasconfianceenmoi.—Je…jenepeuxpas.Uneflammedangereuses’allumadanssonregard,etIsabelregrettasesparoles.Ilserapprochad’unpaset,d’unevoixbasseetgrave,déclara:—Croyezbienquejefiniraipardécouvrirlavérité.Jesuisunexcellentchasseur.Isabeln’endoutaitpas,maisellerefusadelemontrer.—Oh,pourl’amourduCiel!répliqua-t-elle.Vouscroyezdoncquelesfillesvonts’épancherettout
vousraconter?— Elles ne seraient pas les premières femmes à le faire, fit-il remarquer avec un imperceptible
sourire.L’idéequedesfemmess’étaientépanchéesauprèsdeluidéplutàIsabel.Elleneréponditpas.—Bon.Ilenseradoncainsi…Izzy.Enentendantsonsurnomd’enfantdanssabouche,elleeutl’impressiontrèsdésagréabled’êtremiseà
nu.Ellecarralesépaules.—Apparemment.—Parfait.Danscecas,quelachassecommence.
—Celasimplifieleschoses,non?—Lesfillesserontcertainementheureusesdeneplusavoiràsemontreraussiprudentes.IsabeldévisageatouràtourGwenetJane,persuadéequ’ellesavaientperdulatête.—Jepensequevousn’avezpasbiencompris.Cen’estpasdutoutunebonnechose!LordNicholas
sait que nous cachons des femmes ici. Il a découvert l’existence de Minerva House. C’est unecatastrophe.
Aprèsavoirretiréunefeuilledepapieretunencrierd’unpetittiroir,Isabels’assitàlalonguetablequioccupaitlecentredelacuisine.
—Ilfautquejetrouveunabripourchacunedevous.JevaisvousécarterdeTownsendParktantquetoutneserapasréglé.Jesuissûrequejepeuxfaireappelàunedemi-douzainedefoyerspouraccueillirunefilleoudeux.
Àcesmots,unsilences’abattitdanslapièce,troubléuniquementparlegrattementdesaplumesurlepapier. Gwen et Jane échangèrent un regard avant de se tourner vers Kate, l’implorant muettement
d’intervenir.— Isabel… Peut-être que vous devriez réfléchir encore avant de prendre une décision aussi
drastique.—Elle n’est pas du tout drastique.C’est la seulemesure intelligente qui s’offre à nous.Ce n’est
qu’unequestiondetempsavantquelordNicholasnedécouvrecommentetpourquoivousêtesarrivéesici.Quesepassera-t-il,alors?Croyez-vousqueMargaretpourraitprendreunefilleoudeux?
—Margaretavécuici.Biensûrqu’elleaccueilleraitdesfilles.Maisest-cenécessaire?Pourquoinepassimplementattendrelaventedesstatuespourdéménagertoutlemonde?
Isabelsecoualatête.—Ilesttroptard.—VousnepensezquandmêmepasquelordNicholasvarévéleroùnoussommes?demandaKate
avecincrédulité.— Je le pense bel et bien, rétorqua Isabel, sans lever les yeux de sa feuille. Pourquoi nous
soutiendrait-il?—Non,ditKate.Jenepeuxpaslecroire.—C’estabsurde!renchéritGwen.IlestclairquelordNicholasestunhommebon…Isabelcessad’écrirepourlaregarderavecstupéfaction.—Quepeux-tuensavoir?Tunel’asmêmepasrencontré!—Ehbien,jel’aivu.Etjel’aientenduquandilétaitavecvous.Ajoutéàsondésirdenousaider,
celasuffitàmefaireuneopinion.—JecroisquecequeGwenessaiededire,commençaJaneaveccirconspection,c’estqu’ilneparaît
pasêtreunmauvaishomme.Aprèstout,ilestvenuévaluervotrecollectionsurunesimpleinvitation,etsanscontrepartie.Unetellegénérositéestrarementlefaitd’unêtreinfâme.
—Qu’ensais-tu? s’exclama Isabel.Après tout, ilpourrait êtren’importequi !Quinousditqu’iln’estpas…
Elle s’interrompit, à la recherche de la pire espèce d’individu à invoquer, tandis que les fillesl’observaientavecunsourireencoin.
—Oui?fitJane.— Ça pourrait être un proxénète ! lâcha Isabel, en fendant l’air de son index pour ponctuer son
propos.Unpervers!Janeémitungrognementironique.QuantàKate,ellelevalesyeuxauciel.—Cen’estpasunproxénète,Isabel.C’estunhommedésireuxdenousaider,etilsetrouvequenous
avonsbesoind’aide.—Ilsetrouveaussiquec’estl’undes«lordslondoniensàconquérir»,nel’oublionspas,rappela
Gwen.—Toutàfaitvrai,acquiesçaKate.—Oh,siseulementjen’avaisjamaisentenduparlerdecetarticleridicule!selamentaIsabel.Jene
seraispasdanscepétrin!MonDieu,ajouta-t-elleenvoyantl’airpenauddesescompagnes,vouspensezquejedevraisluicouriraprès…
—Peut-êtrequevouspourriezaumoinsessayerdesuivrel’unedesleçons.Laleçonnumérotrois,parexemple,suggéraGwenavecespoir.
—CourtiserlordNicholasSt.Johnn’estcertainementpaslasolution!—Pourl’amourduCiel,Isabel,déclaraJane.Vousavezungentlemangénéreux,riche…—Etbeau,soulignaGwen.
—Exact,approuvaJane.Nousavonsdoncungentlemangénéreux,riche,beau,quisemblevouloirsemontrergentiletserviable–malgrévoseffortspourledécourager–,etdontilsetrouvequ’ils’intéresseànotre situation.Laquelle situation, ajouterai-je, peut précisément être résoluepar l’intérêt d’un richegentleman. En conséquence, à mes yeux, courtiser St. John est vraiment la meilleure solution à nosproblèmes.
—Pourneriendiredufaitquevousn’avezplusguèrelechoix,renchéritKate.C’estsansdoutelaseulechancequevousayezdeconserverMinervaHouse.
Isabelregardatouràtoursamajordomeetsaresponsabled’écurie.—Jecroyaisquevousnevouliezrienavoiràfaireaveccettegazetteidioteetsesrèglesstupides,
vousdeux!Elleseurentlabonnegrâcedeparaîtrecontrites.—C’étaitavantqueçanoussembleêtrelemeilleurmoyendeconserveruntoitsurnotretête,objecta
Jane.—LordSt.JohnestunrichegentlemanquisetrouveconnaîtreleTout-Londres!répliquaIsabel.Et
sijamaisilconnaissaittonpère,Kate?Oul’hommequetuasvolé,Jane?MaisKatesecoualatête.—D’abord,jedoutevraimentquevotrebeaulordconnaissemabrutedepère.Ensuite,sinosespoirs
sontconfirmés,jen’auraiplusdesouciàmefaire.—Cen’est«monbeau»riendutout,protestaIsabel,lesyeuxplissés.—Cen’estpascequeGwenprétend,fitremarquerKate,cequiprovoqualesgloussementsdesdeux
autres.Isabelrésistaàl’enviedelesétranglertouteslestrois.Ellesnepouvaientdoncpasprendrel’affaire
sérieusement ? C’était pour assurer leur sécurité qu’elle protégeait si soigneusement Minerva Housedepuisledébut.C’étaitpourellesqu’elles’acharnaitàdissimulerlavéritablefonctiondelamaisonetl’identitédesesoccupantes.
—Isabel,repritKate,noussavonsquevousavezpasséunegrandepartiedevotrevieàessayerdenousprotéger.Outrelasécurité,vousnousavezdonnéducourage,etvousnousavezpermisderetrouverfoiennous-mêmesetdanslemonde.Nouscomprenonscequevousressentez,maisilfaudraitplusqu’unhommeaucourant…
—Deuxhommes,corrigeaIsabel.—…plusquedeuxhommesaucourantdelaparticularitédeMinervaHousepournousabattre.—Nousnevousquitteronspas,déclaraKate.—Vouspartirez,rétorquaIsabel,quinevoyaitpasl’intérêtd’endébattre.MaisKateseraidit.—Ehbien,jenepeuxpasm’exprimeraunomdesautres,maismoi,jeresteavecvous.Del’autrecôtédelatable,KatedardaitsonregardvertsurIsabel.Elleavaitétélaplusjeunedes
fillesàarriveràMinervaHouse.Àpeineâgéedequatorzeans,elleavaitgravilesmarchesdumanoir,escortéed’unchienefflanqué,etfrappéàlaporte.IlavaitsuffiàIsabeld’uncoupd’œilàsonmentonrelevéavecdéfipourêtreconvaincuequecettefilledevaitrester.
Cinq ans après, c’était la force de Kate qui insufflait du courage aux autres filles ; c’était soninvestissementdanssontravailquileurmontraitlavoieàsuivre.Iln’yavaitpasplusloyalqueKatequi,la mâchoire serrée comme en cet instant, était prête à risquer sa vie pour sauver n’importe laquelled’entreelles.
Isabelreposasaplume.
— À présent, reprit Jane, pourquoi ne pas nous dire ce que vous pensez vraiment de ce lordNicholas?
L’écho de sa question se prolongea dans la cuisine. Isabel baissa les yeux sur la table autour delaquelleellesétaientréunies.Duboutdudoigt,ellesuivituneentailleparticulièrementprofondecreuséedanslebois,s’interrogeantdistraitementsursonorigine,toutenréfléchissantàuneréponseappropriée.
Quepensait-elledelui,envérité?Entoutehonnêteté,iln’avaitrienfaitpourjustifiersaméfiance.Rien,hormis luisauver lavieàdeuxreprises,accepterd’évaluersacollection,semontreramical
enverssonfrèreetoffrird’assurerleursécurité.Etpuis,ill’avaitembrassée.SiIsabelvoulaitsemontrersincère, ilavaitfaitdavantagepourméritersaconfianceentroisjours
quen’importequelautrehommedurantvingt-quatreans.Isabelsoupira.Elleétaitbienenpeinedepenserquoiquecesoit.—Jesupposequejel’apprécie…L’irruptiondeLaraetdeRock luiépargna lapeinedepoursuivre. Ilsentrèrenten riant,venantde
l’extérieur.Lara était enveloppée dans l’immense pardessus deRock, dont elle se débarrassa pendantqu’ilrefermaitlaportesurleventetlapluiequimenaçaientdenejamaiscesser.
Aprèsuncoupd’œilcirculairedanslapièce,Lararemarqualaminegravedesescompagnes.—Quesepasse-t-il?—LordNicholasadécouvertl’existencedeMinervaHouse,réponditJane.—Commentl’a-t-ildécouverte?demandaLara,toutenécartantlesmèchestrempéesquicollaientà
sonvisage.—Illesaitdepuishier,révélaRock.—Toutestdemafaute,ditIsabel.Sijenevousavaispasinvitésici…—Non,protestaLara.Situnelesavaispasinvités,nousn’aurionsaucunechancedesauverMinerva
House.—Ilveuttoutsavoir.—Etquevas-tufaire?—Jenesaispas.—Elleaavouéqu’ellel’appréciait,annonçaKate.—Kate!s’écriaIsabelenrougissant,avantdejeteruncoupd’œilàRock,quifitdesonmieuxpour
feindreden’avoirrienentendu.—Maisc’estformidable!déclaraLara,sansdissimulersonexcitation.Grâceàcettepluie,cesera
bienplusfaciledel’attraper!CommeRocktoussotait,Isabeleutlanetteimpressionqu’ilauraitvouludisparaître.—Jen’aipasdécidéde«l’attraper»,luiassura-t-elle.—Jen’airiendit,répliqua-t-ilavecundemi-sourire.Isabel, elle, ne put réprimer une grimace.Est-ce que tous, dans cette pièce, la prenaient pour une
folle?Jamaisellen’avaitétéaussiindécisequantàcequ’elledevaitfaire.Ellen’aimaitpascedoutenouveauintroduitparlaprésenced’hommesdanssonexistence.
CefutRockquirompitlesilence.—Sijepeuxmepermettre…SiIsabeln’avaitpasétéaussipréoccupée,elleseseraitamuséedesontonhésitant.—Jevousenprie.Personneicinesemblehésiteràmedonnersonopinion.—Àmonavis,Nickn’apastrèsbienprisvotreréserve.
—Vousavezraison.Enfait,ilamenacédechercherlavéritélui-même.Jenecomprendspas,ajouta-t-elle,pourquoiilestincapabledes’occuperdesesaffaires.
—Nickatoujoursétécommeça,réponditRockavecunpetitrire.Surtoutlorsquedebellesfemmessontconcernées.
Sansselaisserdistraireparlestentativesdeprotestationd’Isabel,ilajouta:—Cequi l’irrite, c’estquevous refusiezdepartagervos secrets.Et s’ilne lesconnaîtpas, ilne
pourrapaslesprotéger.—Commentpuis-jeêtresûrequ’illesprotégera?Rockeutungestederecul,commes’ilavaitreçuuncoup.—Luiavez-vousditça?—Enquelquesorte.—Jesupposequ’ilnel’apasbienprisnonplus.—Non.—Ilyapeudechosesdontjesoissûr,ladyIsabel.MaisjepeuxvousassurerquesilordNicholas
St.Johnajurédesebattreàvoscôtés,illefera.—Jen’aijamaisdit…commença-t-elle,aussitôtmortifiée.—C’est pourtant l’impressionque çadonne, Isabel, intervintLara.MonsieurDurukhan, aimeriez-
vousunpeudethé?—Volontiers,mademoiselleCaldwell, réponditRock,qui lui accordaalors toute sonattention. Je
vousremercie.IsabelobservaLaraqui,toutenremplissantunetassepourl’immenseTurc,relevaitlesyeuxavecun
léger sourire. Quand ce dernier le lui rendit, quelque chose se gonfla dans sa poitrine – le désir deconnaître un telmoment de douceur.L’intérêt timide queLara etRock éprouvaientmanifestement l’unpourl’autreavaitquelquechosed’attendrissant.
MaisRocknetardapasàreveniràIsabel.—Vousdevezfairecequevousjugezpréférablepourvotremaisonetpourvoscompagnes,biensûr.
Mais rappelez-vous bien que Nick est un allié précieux. Et qu’il comprend la gravité des secrets. Iln’aimeraitpasmel’entendredire,maislui-mêmen’estpassansenavoirquelques-uns.
Isabelnefutpassurprise.LordNicholasSt.Johnavaitquelquechosedeprofondémentcaptivant–unmystère semblait rôder sous la surface qu’il montrait au monde, un côté sombre dont elle avait étédirectementtémoinlorsqu’ill’avaittenuedanssesbras.
Delàvenaitcetteimpressiondefamiliaritéquiluiavaitfaitcroire,aprèstoutescesannéesoùelleavaitjugélemondehostile,quequelqu’unpouvaitpeut-êtrelacomprendreetluivenirenaide.
Etsiellepouvaitluifaireconfiance?Encorefallait-ilqu’ellen’aitpasdécouragésabonnevolonté.—Ildoitêtreencolèrecontremoi,jelecrains.—Nickn’estpasdugenreàresterlongtempsencolère,répliquaRockavecunsourireencourageant.— Je vais tout lui dire.Vous comprenez bien, continua-t-elle comme les autres se contentaient de
l’observerensilence,quecelavatoutchanger.Etqu’unefoisqu’ilseraaucourant,ceserairréversible.Elleprituneprofondeinspiration,commepourseprépareràlabataillequ’elleallaitlivrer.—Jenelefaispaspourmoi.JelefaispourMinervaHouse,pourJames,pourledomaine.Paspour
moi.Illuifallaitlecroiredetoutessesforces,souspeinedeperdrelatête.—Ilpeutnousaider,affirmaLaraqui,par-dessuslatable,pritlamaind’Isabeldanslasienne.
Après avoir regardé sa cousine un longmoment, Isabel se tourna versRock. Il rivait sur elle sonregardsombre,sérieux,commes’iljaugeaitsoncaractère.Enfin,ilinclinalatête.
—Vousêtesprécisémentlegenredefemmequ’illuifaut.—Oh…Jenesuispas…protesta-t-elleenrougissant.—Peut-êtrepas.Maisiln’empêchequevousl’êtes.Àcesmots,l’estomacd’Isabelsecontracta,etunaccèsdenervositélasaisit.Maisellenepouvait
plusfairemachinearrière,àprésent.Elleselevaet,trèsdroite,sedirigeaverslaporte,prêteàpartiràlarecherchedeNick.
—Isabel?lançaGwen.Montrez-vousintéresséeparsontravail,luiconseilla-t-ellelorsqueIsabelsefutretournéeverselle.Leshommesaimentlesfemmesquipartagentleurspassions.
Isabelpartitd’unrirebref.—PearlsandPelisses?Encoreettoujours?—Çaabienmarchéjusqu’àprésent,assuraGwenensouriant.—Etmême,brillammentmarché!rétorquaIsabel,sarcastique.—Ehbien,lesrésultatsseraientmeilleurssivoussuiviezplusattentivementlesconseilsdesarticles.
Etn’oubliezpas:resteztoutprèsdelui!Isabellevalesyeuxauplafond,implorantleCieldeluidonnerdelapatience.—Bon,j’yvais.—Bonnechance!luilançaGwen.Isabelpivota.SiseulementPearlsandPelissesavaitproposé«Commentprésentersesexcusesàun
lordendixleçons»!
12Leçonnumérocinq
Intéressez-vousàcequiplaîtàvotrelord.Une fois acquise l’attention de votre gentleman, il vous faut songer àl’accompagner dans ses inclinations. Tout grand homme cultive quelquepassion masculine, mais souvenez-vous qu’en dépit de votre condition defemme, il existe toujours un moyen de lui manifester votre intérêt dans cedomaine.Votre lord aime les chevaux ? Peut-être aimerait-il une couverture brodée surlaquelleposersaselle!Etsurtout,chèrelectrice,necraignezpasd’êtreprochedelui!
PearlsandPelisses,juin1823
Deboutàl’entréedelasalledesstatues,IsabelregardaitNickentraindetravailler.Latempêtebaignaitleslieuxd’unelueurverdâtreet,aveclescoupsdetonnerreetlesifflementdu
vent,ilnel’avaitpasentenduearriver.Était-cedûàlalumière,àlatensionquiraidissaitsoncorpsouauxobjetsquil’environnaient?Toujoursest-ilqu’illuisemblaitimmensealorsmêmeque,penchésuruncarnet,ilgriffonnaitdesnotes.
Elle n’avait jamais rencontré un tel homme. Avec sa haute taille, ses larges épaules, ses longuesjambes musclées, il ressemblait aux statues de marbre qui l’entouraient – ces belles et anciennessculpturesconçuespourcélébrerlaperfectiondesformes.
Alorsqu’ellel’observait,uneboucleépaissetombasursonfrontetfrôlalamontureargentéedeseslunettes.C’étaitlapremièrefoisqu’ellelevoyaitavecdeslunettes.Ellesapportaientunenoteincongrueàl’apparencedecethommeimpressionnantetlerendaientencoreplusséduisant.
«Depuisquanddeslunettesdonnent-ellesducharme?»semorigéna-t-elleaussitôt.Etdepuisquandtrouvait-elleséduisantcethomme-là?Sanervosités’accrutencore. Ilprovoquaitenelledesréactionssicontradictoires!Ellesouhaitait
sondépartet,l’instantd’après,ellevoulaitqu’ilresteiciaussilongtempsquepossible.Ilrelevaalorslatêteetl’aperçut.Leursregardssecroisèrent,sesoutinrent,maisiln’esquissaaucun
geste,attendantqu’Isabelprennel’initiative.Ellefinitparentrerdanslasalleetrefermalaportederrièreelle.
Aprèsavoirôté ses lunettes,qu’ildéposa sur lepiédestald’unegrande statuenoire, il s’adossaàcelle-ci,lesbrascroisés.
«Intéressez-vousàcequiplaîtàvotrelord…»,serappelaIsabel.S’arrêtantàquelquespasdelui,ellelevalesyeuxverslastatue.—C’estunbeaumarbre.L’avez-vousidentifié?
—Ils’agitd’Apollon,répondit-il,sanssuivreladirectiondesonregard.—Vraiment?Saproprevoix, tropaiguë, luiécorcha lesoreilles.Elles’éclaircitdiscrètement lagorgeavantde
reprendre:—Commentlesavez-vous?—Jesuisexpertenantiquités.—Jevois…Jesupposequejevousdoisuneréponseàunequestion,àprésent?—Jemesuisfatiguédecejeu,répliqua-t-ilenreportantlesyeuxsursoncarnet.—Nick…Isabel fut toutaussi surpriseque luide s’entendreprononcer sonprénom.Aprèsavoir reporté son
attention sur elle, il attendit de nouveau. Les yeux rivés sur l’endroit où la peau bronzée de son coudisparaissaitsouslecoldesachemise,Isabelfinitparmurmurer:
— Je suis désolée… Je n’ai jamais parlé à personne de Minerva House. C’est ainsi que nousdésignonslamaison,ajouta-t-ellecommeilgardaitlesilence.Etlesfillesqu’elleaccueille.
Elle s’interrompit,pensantqu’il luiposeraitdesquestions.Mais iln’en fit rien.Lagorge toujoursserrée,incapabledesoutenirsonregard,elles’obligeaàpoursuivre:
—Nousn’avionsrien.Monpèreétaitpartietmamère,tombéemalade,déclinaitdeplusenplus…Ellerefusaitdemangeretdenousvoirpendantdesjoursentiers.Etquandelleacceptait…
Isabeldéglutitavecpeine.Ellenepouvaitpasluiracontercela.—Lesdomestiquesn’étaientpluspayés.Jesuisàpeuprèscertainequ’ilsnousvolaient.Etpuis,un
jour,ilssontpartis.—Quelâgeaviez-vous?—Dix-septans.Janeaétélapremièreàvenir,continua-t-elleaprèsuninstant.Elleavaitbesoind’un
travailetd’untoit.Moi,j’avaisbesoindequelqu’unpourm’aider.Elleétaitintelligente,forte,pleinedebonne volonté. Et elle avait des amies dans la même situation qu’elle. En quelques mois, une demi-douzainede filles sontarrivées.Toutescherchaientàéchapperàquelquechose : à lapauvreté, à leurfamille,àunhomme…Jesupposeque,moiaussi,jecherchaisàéchapperàquelquechose.
»C’estgrâceàellesqueledomaineapusurvivre, tantbienquemal.Ellesélevaientdeschèvres,nettoyaientlesécuries,cultivaientlaterre.Ellestravaillaientaussidurqueleshommesquenousavionsauparavant.Plusdur,même.
—Etvousavezgardélesecretsurleurprésence?—Cen’étaitpasdifficile,répondit-elleentrouvantenfinlecouragedereleverlesyeux.Monpère
n’étaitjamaislà.Ilcontinuaitàjoueret,quandils’esttrouvéàcourtd’argent,ilafiniparvendretoutcequecontenaitnotremaisonlondonienne,puislamaisonelle-même.
—Etvotremère?Isabelsecoualatêteetsemorditlalèvre.—Ellen’aplusjamaisétélamême,aprèssondépart…Elleestmortepeuaprèsl’arrivéedeJane.Iltenditalorslamainverselle.Isabel ne lui opposa aucune résistance, tout en sachant qu’elle avait tort de s’abandonner à son
étreinte.Mais comment résister à la force, à la chaleurdont il l’entourait ?Depuis combiende tempsn’avait-ellepasétécellequ’onenlaçait?Qu’onréconfortait?
—Pourquoifaites-vouscela?demanda-t-il.Isabelnefeignitpasdenepascomprendre.—Ellesontbesoindemoi,répondit-elleentournantlatête,posantsonoreillecontrelalainesèche
desaredingote.
Et,tantqu’ellesavaientbesoind’elle,illuiétaitplusfaciled’oublierqu’elleétaitseule…Ilémitungrognementléger,encourageant,quil’incitaàpoursuivre.—Ellessontunebonnedizaineàêtresortiesd’icipourdevenircouturières,gouvernantes,oupour
fonder une famille. L’une d’elles possède une pâtisserie àBath. Elles n’avaient rien lorsqu’elles sontvenuesversmoi…
—Etvousleuravezdonnéquelquechose.Isabel restaun longmoment silencieuse, avant de sedégagerde son étreinte. Il ne tentapasde la
retenir,etelleenéprouvaunpincementderegret.— Je n’ai jamais rien fait d’autre de bien. Je n’ai pas pu empêcher mon père de partir… et
d’emportermamère avec lui. Je n’ai pas réussi àmaintenir le domaine à flot.Mais j’ai été capabled’aidercesfilles.
Danssonregardclair,attentif,ellevitqu’ilcomprenait.—J’aipeur,avoua-t-elleàvoixbasse.—Jelesais.—JenepeuxpasespérerqueDensmorenoussoutiendra,niqu’ilconsentiraàgarderlesecret.—Isabel…Quisontcesfillesdontvouscraigneztantqu’ellesnesoientdécouvertes?demanda-t-il,
choisissantvisiblementsesmotsavecsoin.Commeellenerépondaitpas,ilinsista:—Sont-ellesmariées?—Certaines,oui.Ellesontbravélaloipourvenirici.—Etvous,vouscontrevenezàlaloipourlescacher.—Oui.—VousmettezendangerlaréputationdeJames,vouslesavez.Etilyadéjàbeaucoupdescandales
attachésaunomqu’ilporte.—Biensûrquejelesais!s’écria-t-elle.—Vous ne pouvez pas porter seule ce fardeau, déclara-t-il avec unmélange d’exaspération et de
sollicitude.Ilesttroplourdpourvous.—Que suggérez-vousque je fasse ? répliqua-t-elle en enveloppant sonbustede sesbras, comme
pourseprotéger.Jenelesabandonneraipas.—Vousn’yêtespasobligée.Ilyacertainementdesmoyens…—Parcequevouscroyezqu’enseptans,jen’aipasexplorétouteslesissuespossibles?Quiprendra
lerisqued’accueillirunefemmequiaquittésonmari?Quis’opposeraàunaristocratevenucherchersafilleenfuite?Etmêmesidetellespersonnesexistaient,pourquoiaccorderaient-elleslemoindrecréditàlaparoledelafilled’unillustrebonàrien?
—Laissez-moivousaider.Isabelneréponditpas.Jamaisellen’avaitétéàcepointtentéedefaireconfianceàquelqu’un.Cela
luiavaitsemblésisimple,danslacuisine!Mais,faceàlui,ellesesentaitdenouveauassaillieparledoute.
Ilfinitparenfoncersesdeuxmainsdanssescheveuxets’éloignadequelquespas.Puisilseretourna.—Vous êtes vraiment la femme la plus exaspérante que j’aie jamais rencontrée !Vous êtes fière
d’avoir fait cela seule, n’est-ce pas ? C’est votremaison, ce sont vos filles, c’est vous qui les avezsauvées.Toutceciestvotreœuvre.
»Vousenêtesfière,etavecraison.Maisvousêtessuffisamment intelligentepoursavoirquecettehistoirevousdépasse.Quevousêtesvulnérableaupremierdangervenudel’extérieur.Jevousoffremonaide.Maprotection.
Isabelétaitaubordd’unprécipice,hésitantàfairelepasquichangeraittout.DanslesyeuxbleusdeNick,ellepercevait toutceàquoielleavait toujoursaspiré.C’étaitunhommebon.Cela,elleenétaitpersuadée.Cependant…renonceràêtreseuleresponsabledelamaison?Partagertoussessecrets?
—Jenesaispas…—Vousdevriezpartir, déclara-t-il après avoir soupiré.Plus tôt jepourraime remettre au travail,
plustôtvotremauditecollectionseraévaluée,etplustôtjesortiraidevotrevie.—Vous ne comprenez pas ! s’écria-t-elle quand il lui tourna le dos. Je n’ai rien d’autre…Rien
d’autrequelesfilles.Jen’aijamaisrieneud’autre.Sij’aibesoindevouspourm’aideràlesgarderici,qu’est-cequecelafaitdemoi?Qu’est-cequejedeviens?
Ilrevintalorsverselleetrefermasesmainsautourdesonvisage.—Vousvoustrompez.Jesaiscequec’estquedesecroireseulaumonde.Maisc’estrarementle
cas.Isabelfermalesyeux.Ilyavaitsilongtempsqu’elleétaitseule!Maisellenevoulaitluimontrerni
satristessenisafaiblesse.Pourtant,quandilpoursuivit,elleneputs’empêcherdes’accrocheràsonregardferme.—Jen’ai jamais rencontréquelqu’uncommevous.Quelqu’un,hommeou femme,dotéd’une telle
force,d’untelcourage.Non,vousn’êtespasseule.Vousneleserezjamais.Ellenesutpaslequeldesdeuxfit lepremiergestepourcouvrir ladistancequi lesséparait.Mais,
lorsqu’ill’embrassa,ellenesesentitplusseule.Pendantunlongmoment,ilrestaimmobile,seslèvresàpeineposéessurlessiennes.Toutd’abord,
elle savoura sa simpleprésence,puis, submergéepar laconsciencede sachaleur,de sa taille,de sonparfum,elleeutl’impressionqu’elleallaitdevenirfolles’ilnebougeaitpas.
C’est alors qu’il releva son visage demanière à avoir unmeilleur accès à sa bouche, puis qu’ils’empara de celle-ci. Il prit tout ce qu’elle lui offrait, la caressant, la suçant, l’explorant, jusqu’aumomentoùIsabelcrutperdrel’équilibreetseraccrochaàsesbraspuissants,sanscesserdeluirendrecaressepourcaresse.
Quandilfinitparseredresseretcroisasonregardéperdu,ilesquissaunsourire,avantdelasouleverdanssesbras.Isabelémituncriétouffé,et ilprofitadecequeses lèvresétaiententrouvertespour luidonnerunnouveaubaiser.
— Veux-tu que je te montre comme tu es loin d’être seule ? chuchota-t-il d’une voix lourde depromessessensuelles.
—Oui,répondit-elledansunsouffle,éblouie.S’ilteplaît.Ill’entraînaalorsentrelesstatues,jusqu’àl’extrémitédelapièceoù,sousuneimmensefenêtreornée
d’une rosace, se trouvaitune largebanquette.Après s’yêtreassis, il installa Isabel sur sesgenouxet,aussitôt,enfonçantsesmainsdanssescheveux,ôtalesépinglesquilesretenaient.Ellefermalesyeux,latête rejetée en arrière, quand il se mit à caresser ses boucles qui tombaient en cascade. Avec ungrondement sourd, il se pencha alors pour appliquer ses lèvres sur la peau sensible de son cou, àl’endroit où battait son pouls, la léchant et la mordillant tour à tour, jusqu’aumoment où Isabel crutdéfaillirdeplaisir.
Avecunlégercri,elle l’enlaça,avidedeletoucher,del’embrasserpartoutoùellelepouvait.Seslèvres frôlèrent le coin de son œil et, sans y penser, elle suivit de la pointe de la langue la ligneirrégulièredesacicatrice.Cettecaresseparut lerendrefoucar,aussitôt, ils’attaquaauxlacetsdesoncorsage tout en faisant pleuvoir des baisers humides le long de son cou, jusqu’à la naissance de sapoitrine.Ilfinitpartirersurl’étoffe,avantderefermersesmainssursesseins.
Aumoment où Isabel rouvrait les yeux, un éclair zébra le ciel derrière lui, projetant sur eux uneaveuglante lumièreblanche.Avecrévérence,Nickdessinaunpetitcercle,puisunsecond,autourde lapointe érigéed’un sein.Au soupir tremblantqu’elle laissaéchapper, il releva lesyeuxetplongea sonregardardentdanslesien.
—Tuessibelle,dit-ileneffleurantdenouveaulapointedesonsein.Sipassionnée…Tuesavecmoi,Isabel.Tun’espasseule…
Unevaguedeplaisirlaparcourutquandellevitledésirquibrûlaitdanssesyeux.Sansqu’ellesached’oùluivenaientlesmots,elles’entenditdire:
—Caresse-moi.LeregarddeNickexprimad’aborddelasurprise,viteremplacéeparquelquechosedeplussombre
etdeplusintense.—Avecplaisir.Refermantseslèvresautourdesonsein,illesuçadoucement,letaquinantdelalangue,l’agaçantde
sesdents,jusqu’aumomentoù,avecunlégercri,elles’accrochaàsescheveux.Comme elle s’agitait afin de mieux le sentir, il releva la tête avec un sifflement de plaisir, puis
il l’immobilisa d’une main. Mue par un savoir féminin qu’elle ignorait posséder, Isabel onduladélibérémentcontrelui.Ilplaçaalorsunemainsursanuqueenchuchotant:
—Attends…Puisilpritsabouche,toutenlasoulevantafinqu’ellelechevauche.—C’estmieux,non?Elleonduladenouveaudeshanches,cettefoisavecsesjupesrassembléesentreeux.—Ohoui,bienmieux,acquiesça-t-ellequandcegestearrachaungrognementàNick.—Pouvons-nousvoircequecettepositionapporteencoredemieux,maVolupté?—Oui,s’ilteplaît,dit-elleavecunsouriretimide.—Puisquetuledemandessipoliment…Ilrefermaseslèvressurl’undesesseins,l’aspirantdélicatement,tandisque,duboutdesdoigts,il
jouait avec lemamelonde son jumeau.Ellebougeait au rythmede ses caresses, le corpsparcourudevaguesdeplaisir successives, et elle finit parmurmurer sonprénom,dont l’écho se répercutadans lasalle.
Posantlesmainssursescuisses,illapressacontrelui,laguidantdanssesmouvements.Puisiltirasur les rubansqui fermaient saculotteafind’avoiraccèsà l’endroitoùelle savait,désormais,qu’ellel’appelait désespérément. Il posa doucement sa paume contre elle et, au cri de plaisir étouffé qui luiéchappa, il releva la tête avec un sourire satisfait. Dans la salle, on n’entendait que leurs soufflessaccadésetlapluiequimartelaitlesvitres.
Ilrepritsabouchepourunbaiserdévorant,etelleoubliatoutcequin’étaitpassesmains,seslèvres,son corps sous le sien.Elle plongea ses doigts dans ses boucles épaisses et laissa samain habile luiprocurercequ’elledésirait,maisqu’ellenesavaitcommentdemander.Ellefinitpars’écarteravecunlégerhoquet,déconcertéeparlessensationsquidéferlaientenelle.
—Nick…murmura-t-elleavecunmélangedepassionetdeperplexité.—Oui,mabeauté…Jesuislà.Sabouche frôlait sonoreille, àprésent ; sesdentsen titillaient le lobe,et lacaressede sa langue
contresapeauôtaitàIsabeltoutepenséecohérente.Quandsamain,entresescuisses,s’immobilisa,ellel’invitad’unroulementdehanchesàreprendre.Mais,aulieudes’exécuter,illuidemanda:
—Isabel…Queveux-tu?Elleouvritlesyeuxetcroisasonregardintense,decebleuquimenaçaitdeluifaireperdrelaraison.
—Jeveux…J’aienvie…Il glissa un doigt dans les boucles de sa toison, écarta les replis de chair tendre, exposant son
intimité.—Est-ceceladonttuasenvie?Deplaisir,ellerefermalesyeuxavecungémissement.—Mmm…Jecroisquec’estprécisémentcedonttuasbesoin…Toutensusurrantàsonoreille,ilentrepritdetracerdepetitscerclesautourdecetendroitsecret.—Est-cequ’ilt’arrivedetetoucheràcetendroit?Isabelsemorditlalèvretoutensecouantlatête.—Oh,maistudevrais…Tuessidouce,simouillée,siexcitée…Par ses caresses, il intensifiait les pulsations de sa chair. Un doigt enfoncé en elle, il taquina
délicatement le petit bouton dur de son pouce, lui donnant exactement ce qu’elle voulait. Elle ne putreteniruncri,etlavoixdeNicksefitplussourdeetplusrauquesousl’effetdesonpropredésir.
—C’estici,lasourcedetajouissance.Tulesens,moncœur?Elleopina, lesyeuxétroitementferméstandisqu’il l’amenaitplusloin,versceàquoielleaspirait
désespérément.Lespressionsdesonpoucesefirentplusrapides,plusfermes,etIsabelseserracontrelui,oublianttouthormislesondesavoixetlasensationdesamainsursachairlaplusintime.
—Prends-le,Isabel.Prendstonplaisir.Jesuisavectoi.Elle se raidit sous les vagues qui montaient inéluctablement, et Nick s’empara de sa bouche. Un
seconddoigtrejoignitlepremier,etilsépousèrentleva-et-vientimpérieuxdeseshanches.Nickpressadurement,longuement,làoùellel’imploraitensilence.
Ellecriaalorssonprénom,désespérée.—Laisse-toialler,moncœur.Elleexplosaentresesbras,setordantcontrelui,avided’enavoirplusalorsmêmequ’illuidonnait
cequ’elleréclamait.Et,quandil luieutarrachélesdernièresdélicieusespulsations, lesderniersrâlespantelants,illatintentresesbraspendantqu’ellerevenaitàlaréalité.
Lentement, il commençaà rajuster sa tenue. Il renoua lescordonsdesaculotte, tentade lisser sesjupeschiffonnées,puisrelaçaadroitementsoncorsage.Celafait,illatintserréecontresapoitrinetoutenluicaressantledos,lesbras,lesjambes.
Aprèsunlongmoment,ileffleurasatempedeseslèvres.—Jecroisqu’ilvaudraitmieuxnousreleveravantquequelqu’unnevienneànotrerecherche.CesparolesramenèrentbrutalementIsabelaumomentprésent.Elles’assit,sedégageadesonétreinte
etsautaquasimentàterre.Puis,accroupie,ellesemitàrassemblerlesépinglesqu’ilavaitdisperséessurlesol.
Ilseredressaàsontouretl’observapendantunmomentavantdedire:—Isabel…Toutvabien.S’asseyantsursestalons,ellerelevalatête.—Çanevapasbiendutout,monsieur.—Nousensommesrevenusau«monsieur»?demanda-t-ilavecunsoupir.Vraiment?Déjà,elles’étaitdétournéepourramasserd’autresépingles.Lorsqu’elleleseuttoutesrassemblées,
elleserelevaet,lesayantdéposéessurlesocledelastatuelaplusproche,entreprittantbienquemaldeserecoiffer.
—Jen’auraisjamaisdû…Vousn’auriezjamaisdû!s’écria-t-elledesontonleplusindigné.—Ehbien,jen’aipasl’intentiondem’excuser.—Cen’estguèredigned’ungentleman.
—Iln’empêchequej’yaiprisduplaisir,Isabel.Etjepensequevousaussi.Quandellerougit,ilhaussalessourcils.—Jevoisquejenemetrompepas.Elletentadelefoudroyerduregard.Maisl’effetfutàpeuprèsperdu,carelleétaitobligéedegarder
lesdeuxmainsau-dessusdesatêtepourtenterderassemblersesboucles.—Vousêtesunhommeincorrigible.—Vouspouvezlereconnaître,voussavez.—Non,jenelepeuxpas.—C’estpourtantcequevousvenezdefaire,mabeauté,dit-ilenriant.—Vousnedevezpasm’appelerainsi!—Pourquoipas?« Parce que j’aime ça, songea-t-elle. Beaucoup trop, même. »Mais ce fut dans un chuchotement
qu’ellerépliqua:—Voussavezparfaitementpourquoi.—Dites-moiquevousavezprisduplaisiretj’arrêterai.—Non.—Commevousvoudrez.Maisj’aimeassezvousappeler«mabeauté».Puisquevousl’êtes.—D’accord.J’aiprisduplaisir.—Jelesais,rétorqua-t-ilavecunsourireimpudent.Isabel dut se détourner pour dissimuler son propre sourire. Seigneur, dans quel pétrin s’était-elle
fourrée?—Cette conversation est absolument inconvenante, déclara-t-elle par-dessus son épaule. Je vous
demandeinstammentd’ymettrefin.Sontonimpérieuxn’eutd’autreeffetquedelefaireéclaterderire.—Isabel,vousconviendrezavecmoiqu’ilestunpeutardpouruserd’unetellehauteur.—Vousexagérez!protesta-t-elleenrougissant.—Jevousassure,moncœur,quevousn’avezrienvu.Même si Isabel ne comprit pas exactement ses paroles, elle ne put ignorer leur sens général, et
sesjoueslabrûlèrentdeplusbelle.—Jedoism’enaller.—Non,nepartezpas!dit-ilenselevantenfin.Jevaistâcherdemecomporterenparfaitgentleman.Ellehaussalessourcils,commelui-mêmelefaisaitsouvent.—Jelecroiraiquandjeleverrai,monsieur.—Touché,mademoiselle!Elleneput s’empêcherde joindre son rireau sien.Puisun silencecomplice régnadans lagrande
salle.CefutNickquilerompit.—Pourquoin’ai-jejamaisentenduparlerdevous?—Pardon?—Jen’évoluaispasdanslesmêmescerclesquevotrepère,certes.Maisvousêteslafilleducomte
deReddich,quiaquandmêmefaitdes ravagesàLondres.Commentse fait-ilquevotreexistencesoitrestéeignorée?
Isabelnepouvaitqueseféliciterdecetétatdefait.Toutefois,aprèsavoirdégluti,elleréponditavechésitation:
—Mamèreatoujoursrefuséde…melaisseralleràLondres.Rétrospectivement,jepensequ’ellenevoulaitpasque jesois témoindes turpitudesdemonpère.Peut-êtrenevoulait-ellepasenêtre témoin
elle-même.DansleregarddeNick,ellevitquenonseulementilcomprenait,maisqu’ilétablissaitunlienavec
saproprehistoire,cequil’encourageaàpoursuivre.—Elleparlait demonpère commes’il s’agissait d’unêtremerveilleux. Je sais àprésentque les
histoiresqu’elleracontaitétaientinventées,ouréécritesdemanièreàfairedeluiunpersonnagepuissantetmagnifique.
»Mais,à l’époque, je lacroyais.Messouvenirs lesplusanciensdoiventêtreunecombinaisonderêve et de réalité, parce que je voismes parents qui se sourient, qui s’aiment…Mais je ne suis pascertainequeç’aitétévraiunjour.
Serappelantalorssaremarque,ellereprit:—MaisvousmeparliezdeLondres…—Oui.Mêmesivotremèrenesouhaitaitpasquevousyviviez,vousaveznéanmoinsdûfairevotre
entréedanslemonde.Àcesouvenir,Isabelseraidit.Onluiavaitpromisqu’elleferaitsesdébuts,évidemment…parceque
sonpèrecomptaitseservird’ellepourseprocurerdel’argent.Illuiétaitcependantimpossibled’avouerunetellehonte.Embarrassée,ellesecontentadesecouerlatête.
—Non.Jen’aipasfaitmonentréedanslemonde.QuandNickl’observaenplissantlesyeux,elledevinasonincrédulité.Siseulementilvoulaitbien
s’abstenirdeposerd’autresquestions!Hélas,ellenefutpasexaucée.—Vousn’aviezpasenviedeprendrelaplacequivousrevenaitdanslahautesociété?— À votre avis, lord Nicholas, les dignes dames de l’Almack’s auraient-elles accueilli à bras
ouvertslafilled’undébauchénotoire?—Quel’Almack’sailleaudiable!—Vousparlezenhommequiatoutelibertédel’éviter.—Détrompez-vous.Ma famille a eu sa part de scandale. Justement,ma sœur s’est récemment vu
refuserl’accèsàl’Almack’s.—Vousplaisantez?demandaIsabel,abasourdie.—Pasdutout.—Maisc’estlasœurdumarquisdeRalston!—Sademi-sœur,corrigeaNick,ironique.Enoutre,ilyaencorequelquesmois,monfrèren’étaitpas
vraimentlebienvenudanslabonnesociété.Sonpassén’étaitpasdesplusimmaculés.—D’oùestvenulechangement?—Ilaépouséunefemmeayantuneréputationimpeccableetdesrelationsaveclesfamilleslesplus
puissantesdel’aristocratie.—Uneexcellentestratégie.—Oui,acquiesçaNickavecunsourire,siGabrielavaitjouélesstratèges.Maisilsetrouvequ’ilest
tombéamoureux.C’estdoncunaccident,enquelquesorte.—Detelleschosesseproduisent?—Apparemment.Ilssontfousl’undel’autre.Isabels’obligeaàignorerlepincementd’envieprovoquéparsaremarque.—Quellebellehistoire…—Cequejeveuxdire,c’estque,Almack’soupas,vousauriezpufairevosdébutsdanslemonde.Et
quevouspouvezencoreyprendrelaplacequivousrevient.Isabelrestasongeuse.Ilyavaitlongtemps–desannées–qu’ellen’ypensaitplus.Ellen’auraitmême
passucommentfairesespremierspasensociété,etlasimpleidéededevoirapprendreetmaîtriserles
règlesdel’étiquettesuffisaitàl’effrayer.Non,Londresn’étaitpaspourelle.—Jecroisquevoussurestimezlescapacitésinnéesdesfemmesdel’aristocratie,répliqua-t-elle.Comme il inclinait la tête, le regard interrogateur, Isabel soupira. Puis, détournant la tête, elle fit
courirsamainsurl’arêtedupiédestalleplusproche.—Jenesauraisparoùcommencerpourmeconduireendemoisellebiennée,avoua-t-elle.Jesuis
certainequemaconversationn’estpasappropriéedutout,parexemple.Dèsmapremièresortiedanslemonde,jecommettraissûrementdesbévuesquim’embarrasseraientetembarrasseraientlesgensautourdemoi. Je suis très bonne couturière,mais je ne sais pas broder, je vis dans l’ignorance totale de lamode,etjenesaispasdanser.
Elleachevacetteénumérationparunegrimace.Ilallaittrouverceportraitpeuflatteur.Maispeuluiimportait.
«Vraiment?»luisusurraunepetitevoixqu’ellefittaireaussitôt.—Vousnesavezpasdanser?—Pasvraiment,admit-elleavecréticence.—Ehbien,ilestrelativementsimpled’yremédier.Isabelneputretenirunlégerrire.—Aucasoùvousnel’auriezpasremarqué,lesmaîtresàdansernesontpaspléthoredanslarégion.—Quellechancevousavezquejesoislà,alors!J’aimeraisbeaucoupvousapprendreàdanser.—Jevousdemandepardon?dit-elle,incrédule.—Nousdevrionscommencercesoir.Ilyabienunesalledebal,danscemanoir?—Euh…oui.—Parfait.Aprèsdîner,celavousconviendrait-il?Isabelclignadesyeux.—Aprèsdîner?—Jeconsidèrecetteréponsecommeunacquiescemententhousiaste.—Je…—Vousn’avezpaspeur,n’est-cepas?—Biensûrquenon,assura-t-elle,aprèss’êtretoutefoiséclaircilavoix.—C’estbiencequejepensais.Àprésent,sivousvouliezbiencesserdemedistraire,quejepuisse
travailler.Jevousverraicesoir.—Je…Oui,biensûr.Commedansunsonge,ellecommençaàcontournerlesstatuespourgagnerlaporte.—Etpuis,Isabel…LesondesonprénomsurleslèvresdeNickcontenaitunepromessesensuelle,mêmeàcettedistance.
Isabelpivotasurelle-même,lesoufflecourt.—Oui?—Justepourcesoir,pourrions-nousfairecommesivousn’étiezpasendeuil?Unfrissond’excitationlaparcourut.Elleeutaussitôtlasensationque,sielleaccédaitàsarequête,
toutchangerait.Elleprituneprofondeinspiration,hésitantsurlaréponseàdonner.—C’estuneexcellenteidée,s’entendit-elledire.
13
Nickvenaitd’enfilersachemiselorsqu’onfrappaàlaportedesachambre.Ilsursauta,cequ’ilsereprochaaussitôt.
Mais,s’ilvoulaitsemontrerhonnêteaveclui-même,ildevaitadmettrequ’ilétaitnerveuxdepuissarencontreavecIsabel,dansl’après-midi.Etqu’ilattendaitavecimpatiencelasoiréequis’annonçait.
Onfrappaunesecondefois,puislatêtedeJamesapparutdansl’intersticeétroitentrelaporteetlechambranle.
—J’aientendudirequevousdîniezavecnous…—J’enavaisl’intention,oui,réponditNick.—Trèsbien,ditJamesavecunhochementdetêtesolennel.Ilrestaensuitefigésurleseuil,observantNick,quis’étaitretournéverslemiroiretpassaitunpeigne
danssesbouclesemmêlées.Durantquelquesinstants,aucund’euxneparla.—Nevoudriez-vouspasentrer,lordReddich?finitparsuggérerNick.Tirédesonimmobilitéparcesmots,lejeunegarçonseprécipitadanslachambre,dontilrefermala
porteavecsoin.—Ohsi!Merci.Dissimulantunsourire,Nickobservason jeunevisiteurdans lemiroir toutenachevant sa toilette.
Aprèsavoirtirésurlesmanchesdesachemise,ilenlissal’étoffesursontorse.Puisilpritsacravate,poséesurledossierd’unechaise.
—Tuvoulaisquelquechose?James secoua la tête, comme hypnotisé par les mains de Nick qui enchaînaient les gestes précis
destinésàfaçonnerunnœuddecravatesophistiqué.—Commentvousfaites?finit-ilpardemander.—Lacravate?C’estunequestiond’habitude.—Oui,mais…commentvousavezappris?insistalejeunegarçonenserapprochantdelui,fasciné.—Jesupposequec’estmonvaletquim’amontrécommentfaire,réponditNickaprèsuninstantde
réflexion.—Oh…Ilfaudraquej’apprenneavantd’alleraucollège,non?Nickseretourna.—Veux-tuquejetemontre?—Çanevousennuieraitpas?demandalejeunegarçon,dontlesyeuxs’étaientilluminés.—Pasdutout.
Après avoir ôté la bande de tissu qu’il venait de nouer autour de son cou, Nick la plaça autourdeceluideJames.Puis,tournantlejeunegarçonverslemiroir,illeguidadansunesuccessiondegestesqui,endéfinitive,aboutirentàlaconfectiond’unnœudassezressemblant.
Penchéverslemiroir,JamesadmirasonœuvresousplusieursanglestandisqueNicks’écartaitpourenfilerlerestedesesvêtements.
—Ilesttrèsréussi,commentaJamesavecunefiertéquiéveillachezNickunsouvenird’enfance.S’il ne se rappelait pas comment il avait appris à nouer une cravate, il se souvenait de son désir
profondd’agirenhommeetd’êtrereconnucommetel.Quandilavait l’âgedeJames,samèreétaitpartieaumilieude lanuit,sansemportergrand-chose
d’autrequelesvêtementsqu’elleportait,abandonnantunmariéploréetdesfilsjumeaux.Aucoursdessemaines suivantes, leurpèreavait commencéàdépérir, laissantNicketGabriel sedébattre faceà lapertedeleursdeuxparents.Unetantedévouée,conscienteduchocqu’avaitétépoureuxlafuitedeleurmère,lesavaitfaitentrerenpension.
Lapremièreannée,Nickavaittravailléaussidurqu’illepouvait.Ilvoulaitimpressionnersonpère,leconvaincre,grâceàsesexcellentesnotes,quesesfilsvalaientlapeinequ’ilsurvivepoureux.
Ilavaitrapidementcomprisqueriennepourraitsoulagerlechagrinetlesentimentdeculpabilitédumarquis.Mais,quandilregardaitcejeunegarçonvolontaire,Nickserappelaitl’énergiequil’avaitincitéàessayer.
IlvoulaitdonneraujeunecomtedeReddichcequeluin’avaitjamaiseu.—Trèsréussi,effectivement,assura-t-il.Ilfaudraquetut’entraînespouratteindrelaperfection,mais
çanedevraitpasteprendrelongtemps.Les yeux de James étincelèrent de plaisir tandis qu’il déroulait la longue bande de tissu pour
recommencer.Pendant queNickboutonnait songilet, il s’employa à reproduire les gestes qu’il venaitd’apprendre.Enlevoyanthésiter,lalanguetiréeetlestraitscontorsionnés,Nicks’approchaenriantpourluiapportersonaide.Lorsquelacravatefutdenouveaunouée,Jamesluiadressaunlargesourire.
Qui aurait deviné que, dans les landes duYorkshire,Nick trouverait une telle satisfaction à fairesourirelesenfantsTownsend?
Saufqu’iln’yavaitplusriend’enfantinchezl’aînéedesTownsend…Alors que James détruisait une nouvelle fois son œuvre, les pensées de Nick se tournèrent vers
Isabel. Il n’avait jamais rencontré de femme comme elle, aux agissements aussi contradictoires.D’uncôté,ellelerepoussaitetluidemandaitdesortirdesamaisonetdesavie;del’autre,elleseconfiaitàluiets’abandonnaitentresesbras,toutededouceur,debeautéetdesensualité.
Nickdevaitsel’avouer:cettefemmeénigmatiquelefascinait.UnehésitationdeJamesleramenaàl’instantprésent.—Faisencoreuntour,luiindiqua-t-iltoutensaisissantsonhabit.—J’ai pensé à quelque chose…dit le jeunegarçon, une fois qu’il eut suivi ses instructions avec
application.VousdevriezvousmarieravecIsabel.Nicksefigeasurplace,sonhabitàmoitiéenfilé.—Jetedemandepardon?—Ceseraitlogique,non?Detoutesleschosesquelejeunegarçonauraitpudire,cen’étaitpasàcelle-ciqueNicks’attendait.—Tucrois?—Oui.Isabelferaituneexcellenteépouse.Vousvoulezquejevousdisepourquoi?—S’ilteplaît.
Jamesprituneprofondeinspirationpuis,commes’ilavaitrépétésesarguments,illesénumérasansreprendresonsouffle.
—Ellesaittrèsbiens’occuperd’unemaison.Elleestplusforteencalculquetoutlemonde.Etpuis,ellesaitmonteràchevalaussibienqu’unhomme.Peut-êtrequesiças’arrêtedepleuvoir,vouspourrezlavoir.
— J’attends cela avec impatience, déclara Nick en se rendant compte avec surprise qu’il étaitsincère.
—Ah,j’oubliais…Elleestaussitrèsbonneauxcharades.—Unequalitéquetouthommedevraitrechercherchezuneépouse.—Ilyad’autreschoses,sûrement…Ellen’estpaslaide.—C’estvrai,acquiesçaNick,quineputs’empêcherdesourire.Maisjetesuggéreraisdenepasle
luidiredecettemanière.— D’accord. Mais peut-être que vous, vous pourriez lui dire. Les filles, elles aiment les
compliments.—Situasdéjàcompriscelaàtonâge,toutirabienlorsqueviendrapourtoilemomentdefréquenter
lebeausexe.Jemeferaiunplaisirdedireàtasœurqu’ellen’estpaslaide.Dans le miroir, son jeune compagnon ne le quittait pas des yeux, le cou ceint de la cravate
irrémédiablementchiffonnée.—Etjecroisquevous,vousserezunbonmari.—Jen’ensuispassisûr,répliquaNick,décidéàluidirelavérité.—Pourquoi?Nickmarquaunehésitation.Dequellemanièreprésenterleschosesàungarçondecetâge?—C’estparcequevousn’avezpasdetitre?—Non.Jenepensepasqu’untitrefasseforcémentunbonmari.—Moinonplus.Monpère,c’étaitpasuntrèsbonmari.—Jesuisdésolédel’entendre.MaisJameshaussalesépaules.—Jenemesouvienspasdelui.—Tuleregrettes?—Quelquefois,réponditl’enfantaprèsêtrerestésilencieuxunlongmoment.Cette réponse si honnête émut Nick. Il savait ce que ressentait un garçon de dix ans qui n’avait
personneversquise tourner,àquidemanderaideouconseil.Et ilcomprenait laconfusionquedevaitéprouverJamesvis-à-visdesonpère,unhommequiresteraitàjamaisunmystèrepourlui.
—Queluidirais-tu,situlerencontraismaintenant?—Jenepeuxpaslerencontrerpuisqu’ilestmort.—Peuimporte.Queluidirais-tu?James regarda longuement par une des fenêtres de la chambre avant de reporter son attention sur
Nick.—Jeluidiraisquej’ail’intentiond’êtreunbienmeilleurcomtequelui.Nickhochalatêteavecsolennité.—Jepensequeceseraituneexcellentechoseàdire.Aprèsunnouveausilence,Jamesajouta:—Jeluidemanderaisaussipourquoiilnevoulaitpasdenous.Cettefois,lecœurdeNickseserrafranchement.Nes’était-ilpasposélamêmequestionpendantdes
années,aprèsledépartdesamère?
—Jenepeuxpasimaginerqu’ilnevoulaitpasdevous.Jamesfixasurluisesgrandsyeuxbruns,limpidesetdirects.—Maisvousnelesavezpas.—Non,c’estvrai,reconnutNick,conscientdel’importancequel’enfantallaitaccorderàsaréponse.
Cequejepeuxt’assurer,cependant,c’estqu’àsaplace,jevoudraisdetoisanshésiter.—Etd’Isabel?—Etd’Isabel.LasincéritédecetteaffirmationsurpritNicklui-même,etilsedétournapourpasserdenouveaule
peignedanssescheveux.—Alors,vousneseriezpascontrel’idéedevousmarieravecelle?Nick esquissa un sourire. Le jeune comte avaitmanifestement développé lamême ténacité que sa
sœur.Quand, sonpeigne reposé,Nick fit faceà James, jamais iln’avaitvuchezquiconqueun regard si
pleind’espoir.Ce que James ignorait, c’était qu’Isabel ne voudrait plus entendre parler de Nicholas St. John
lorsqu’elleapprendraitlavéritéàsonsujet.— Isabel ne serait sans doute pas ravie que nous parlions de sonmariage alors qu’elle n’est pas
présente,fit-ilremarquer.—Jesuisuncomte,voussavez.C’estunehistoirequiserègleentrehommes.Nickéclataderire.—Entantqu’hommequiaunesœurpresqueaussiobstinéequelatienne,jesuggèrequetunedises
plusjamaisça,situtiensàtapeau!—Entoutcas,répliquaJamesaprèsavoirsoupiré,moi,c’estvousquejechoisispourelle.—Jesuisflattéd’avoirtonapprobation,réponditNick,quihaussaensuitelessourcils.Ya-t-ileuun
jourunautrehommeenlice?—Oui,ilyadeshommesquisontquelquefoisvenuspourlaprendre.Nicksavaitqu’iln’auraitpasdûposerdetellesquestions.Maiscetteréponselelaissainterdit,etil
neputquerépéter:—Pourlaprendre?—Oui.Engénéral,c’estparcequ’ilsl’avaientgagnée.—Ilsl’avaientgagnée?Tuveuxdire…Ilsavaientgagnésoncœur?—Non.Ilsl’avaientgagnéedansunpari.Unebrusquecolères’emparadeNick.Maissansdouteavait-ilmalentendu.—Dansunpari?Contrequi?—Contrenotrepère,jesuppose,réponditJamesavecunhaussementd’épaules.Nickserralamâchoire.L’idéequefeulecomtedeReddichavaitpariésafilleunique–qu’ilavait
faitd’Isabell’enjeud’unpari–luidonnaitenviedefrapper.Ilserralespoingsavecforce,imaginantleplaisirqu’ilauraiteuàcasser lafigureàl’aristocratepervertiquiavaitacceptéuntelpari,ainsiqu’àl’aristocratedécédéquil’avaitlancé.
Il s’obligea néanmoins à détendre sesmuscles. Il aurait voulu poser d’autres questions, afin d’enapprendredavantagesurlemondeinsensédanslequelIsabeletJamesavaientétéélevés.Maisilneluirevenaitpasdes’enquérirdetelleschoses.Dumoins,paspourlemoment.
D’abord,ilallaitdîner.PuisilapprendraitàdanseràIsabel.
IsabelétaitsurlepointdemonterchercherNicketJameslorsqu’ellelesentenditdescendrelegrandescalier,justeàl’extérieurdelasalleàmanger.Sonpoulss’accéléraquandelleperçutletimbregravedeNickdanslevestibule.Elleeutbeautendrel’oreille,ellenedistinguapassesparoles,maislesimplesondesavoixsuffitàlatroubler.
Aussitôt nerveuse, elle lissa sa jupe du plat de la main. À quoi ressemblait-elle ? Il y avait silongtemps qu’elle n’avait pas eu l’occasion de porter une robe de soirée ! Celle qu’elle était alléerepêchertoutaufonddesonplacardétaittellementdémodéequec’enétaitembarrassant.LesfemmesqueNickfréquentaitàLondresétaientcertainementbelles,sûresd’elles,élégantes,etn’auraientpassupportéd’êtrevuesdansunerobevieilled’unmois.Alors,quedired’unerobedéjàdéfraîchieplusieursannéesauparavant?
Elle tressaillit quand Nick et James éclatèrent de rire. Jamais elle n’aurait dû accepter cettepropositionincongrue.Ellesesentaitcomplètementidiote.
C’estalorsqu’ilentra.Sanscravate.Il portait la redingote vert sombre avec laquelle il était arrivé le jour précédent et une chemise
blanche.Lecoldecelle-ciétaitouvert,dévoilantuntriangledepeaubronzéedontIsabel,surprise,neputdétachersonregardqu’auboutdequelquessecondes.
QuandellereportasonattentionsurlevisagedeNick,elles’aperçutqu’illadétaillaitdespiedsàlatête. Après s’être attardé imperceptiblement sur son décolleté, il releva les yeux et croisa les siens.L’admirationmasculinequ’elleylutlafitrougir,etelletournalatêteverssonfrère.
Elledécouvritquesatenuenemanquaitpasd’originaliténonplus:desculottescourtes,unechemiseenlintachée…etunecravateartistementnouée,quoiquetrèschiffonnée.LacravatedeNick!Cedernieravait appris à son frère à nouer une cravate. À cette pensée, une onde de chaleur lui dilata le cœur.Commentnepasapprécieruntelhomme?
—Quelbeaunœud!dit-elleàJamesensouriant.Quandcelui-ciserengorgea,ellereportasonregardsurNick.—Merci.Remarquantalorslatenuedesonami,Rockéclataderire.—Ondiraitquetuasoubliéquelquechose,St.John!— J’espère que vous pardonnerez l’incongruité de ma toilette, lady Isabel, dit Nick d’un ton
malicieux.Il s’avança et s’inclina sur sa main. Malgré le gant qu’elle portait, Isabel eut l’impression d’un
soufflebrûlantsursapeau.—Voyez-vous,poursuivit-il,jemesuisretrouvécesoiravecunélèvetrèsdésireuxd’apprendrel’art
denouerunecravate.Dansl’espritd’Isabel,l’imagedeJamesetdeNickensembles’imposaaussitôt.L’espaced’uncourt
instant,elleimaginaquesonjeunefrèreavaittrouvél’hommecapabledeleguiderdanslesméandresdel’universmasculin,etelle-mêmeuncompagnonpourl’aideràreleverledéfid’éleverunjeunecomte.Uncompagnon…queljolimot!
Maisellechassacetterêveried’unsignedetête.—Vous êtes tout pardonné, bien sûr, dit-elle avec un temps de retard. Je suis certaine que nous
pouvonsvoustrouveruneautrecravate,puisquecelle-civousaété…subtilisée.—Aétélibrementofferte,mademoiselle,corrigea-t-ilavecunsourirequimenaçadeluicouperle
souffle.Mais sivousneconsidérezpas la chosecomme inconvenante, jepeux trèsbienmepasserdecravatecesoir.
AbsorbéeparlecharmanttableauqueformaientsonfrèreetNick,Isabelfutobligéedes’éclaircirlavoixavantdedemander:
—Passons-nousàtable?Celle-ci avait été élégamment dressée, sur les ordres de Gwen, sans aucun doute. Lorsque Nick
reculalachaised’Isabelpourqu’elleprenneplace,enungestequiserévélaitd’uneintimitétroublante,elle perçut la chaleur qui émanait de lui, ainsi qu’un discret parfum de bois de santal. Comme elletournaitbrièvementlatêteversluipourleremercier,ilchuchota:
—Toutleplaisirestpourmoi…Jesavaisquevousseriezéblouissanteenrouge,ajouta-t-ilencoreplusbas.
Elle sentit son souffle sur son épaule nue, et un flot de plaisir la parcourut.Nick était un hommedangereux!Maiscettepenséesaugrenuefutheureusementchasséeparl’arrivéedupremierplat.
Gwen s’était surpassée. Le repas, élaboré principalement avec les produits du domaine, étaitcertainementmoinssophistiquéqueceuxauxquelslesdeuxhommesétaienthabitués,maislesmetsbienpréparésnemanquaientpasdesaveur.
Cependant, l’incertitudecommençaàrongerIsabellorsqu’onapportalemoutonengelée.Commentdeshommesayantvoyagédansdescontréeslointainesetaffinéleurespritautantqueleurpalaisauraient-ils pu apprécier un dîner modeste et tranquille au fin fond du Yorkshire ? Quels divertissementspouvaient-ilsattendredelacompagniededeuxjeunesfemmespeucultivéesetd’unenfantdedixans?
AlorsqueRocketLarainterrogeaientJamessursesleçonsetsurlespéripétiesdesajournée,Nicks’inclinaversIsabel,deplusenplussilencieuseaufildurepas.
—Vousn’êtespasavecnous…—Jepensaisaurepas.—Unexcellentrepas,assuraNick,cequinefitqu’ajouteràl’incertituded’Isabel.—Ilnedoitpasêtretrèsraffinéàvosyeux.Vousdevezêtrehabituéàbeaucoupmieux.Leregardqu’ilposasurelleétaitsérieuxet trahissaitsonpeudegoûtpour ledénigrementdesoi-
même.—Aucontraire,Isabel.Cerepasconclutdemanièreidéaleunejournée…extraordinaire.Etlà,danssavoixgraveetchaleureuse,Isabeltrouvadequoichassertoussesdoutes.Lesmotsde
Nick réveillèrent les images et les émotionsde leur entrevuedans la salledes statues, et elle regrettaqu’ilnepuissel’embrasserdenouveau.Siseulementilsavaientétéseuls!
Ellebaissalatête,nesachantcommentdissimulersarougeur.—Jesuisheureusequ’ilvousplaise.—…etalors,lordNicholasetmoi,onaeunotreentretien.Lavoixdesonfrèreluifitreleverlatête,etellecroisaleregardsurprisdeLara.—Votreentretien?Queveux-tudire?Jamesparutdécouvrirsaprésence.—Unentretienentrehommes.Onavaitàdiscuter.—Àdiscuter?répétaIsabelensetournantversNick.Celui-cilevasonverreetfeignitdesavourerquelquesgorgées.—Oui.—Je…Discuterdequoi?demanda-t-elle,denouveautournéeverssonfrère.—Franchement,çaneteregardepas.Entantquecomte,j’aidemandéàlordNicholasdem’accorder
unmoment.Àcesmots,Isabelécarquillalesyeux.Manifestement,Nickseretenaitdesourire.
— Je ne pouvais pas refuser cette entrevue, lady Isabel, finit-il par dire. Ni au comte qu’il est,effectivement,niàl’hôtequimereçoit…Cemoutonestdélicieux,ajouta-t-ilaprèsuninstant,etlageléeestparticulièrementgoûteuse.Tunetrouvespas,Rock?
—Jesuistoutàfaitd’accord,réponditsonamiavecunamusementévident.Isabel lesauraitbien transformésenaspics, tous lesdeux!Commeellese tournaitversLara,elle
aperçut la lueur malicieuse qui pétillait dans les yeux de celle-ci, et elle fronça les sourcils à sonintention.Mais,sanss’enémouvoir,sacousines’adressaàJames.
—Ettuasapprisàfaireunnœuddecravateplutôtimpressionnant!—Ohoui!Tuveuxquejelerefasse,pourtemontrer?Et,sansmêmeattendrelaréponsedeLara,Jamestirasurl’unedesextrémitésdesonchef-d’œuvre
et,montrantuneindifférencetotalepourlesusages,entrepritdefaireladémonstrationdesestalents.Isabels’inclinaversNick.— Comme vous pouvez le constater, chuchota-t-elle, mon frère est peut-être comte, mais il est
absolumentincapabled’agircommeteltoutseul.J’aimeraisquevousmedisiezdequoivousavezparlé.—Devous,réponditNicksansquitterJamesdesyeux.—Demoi?murmuraIsabel,certained’avoirmalentendu.—Devous.—Et…etalors?Avecdesgestesappliqués,Nickcoupaunmorceaudemouton,yajoutauncubedepommedeterre
saupoudré de persil, porta le tout à sa bouche et se mit à mastiquer. Àmastiquer si longuement quel’impatienced’Isabellafitsortirdesonsilence.
—Oh,pourl’amourduCiel,avalezdonc!Nicksetournaverselleavecunesurprisefeinte.— Vraiment, lady Isabel, quelle vigueur dans l’injonction ! Vous devriez vous montrer plus
prudente…Vousrisquezdemedonneruneindigestion.— J’en serais désolée, croyez-moi, lord Nicholas. Cela vous amuse, n’est-ce pas ? ajouta-t-elle
quandilpouffadoucement.—Jel’avoue.Envérité,jem’aperçoisquejem’amusedèsquejesuisavecvous.Isabelsentitsesjouess’empourprerdenouveausousl’effetdecettedéclaration,etduplaisirqu’elle
enéprouvait.Maisellenepouvaitquandmêmepassetransformerenpéronnellerougissantedèsqu’illuiadressaitlaparole!
—Pardonnez-moid’insister,dit-elleaprèss’êtreéclaircilagorge,maisdequoiJamesetvousavez-vousdiscuté?
—Inutiledevousalarmer.Votre frères’inquiète simplementdecequevousdeviendrezaprèssondépartpourl’école.
—Etenquoipense-t-ilquecelavousconcerne?—Ilaconçuunmoyend’assurervotresécurité,etilmedemandaitmonavis.Del’autrecôtédelatable,Jamessetordaitlecoupourapercevoirsacravate,queRockl’aidaità
remettred’aplomb.—Très réussi, James,déclaraNick.C’estcertainement leplusbeaunœudque tuaies fait jusqu’à
présent!Avecunsourireradieux,JamessetournaversLara,quiserépanditencompliments–équitablement
partagésentrelejeunegarçonetRock,quiavaitapportélatouchefinale.MaisIsabeln’étaitpasd’humeuràappréciercetableau.Lessourcilsfroncés,ellechuchota:—Quelgenredemoyen?
NickattenditqueReginaaitdébarrassésonassiettevidepoursepencherversIsabel.—Ilpensequenousdevrionsnousmarier.Isabelouvritlabouche,lareferma,puisl’ouvritdenouveau.—Ehbien…repritNickavecunsourireencoin.Jecroisquej’airéussiàvousrendremuette.—Je…—Jamesa affûté ses arguments. Il estimequevotre capacité àvousoccuperd’unemaisonetvos
donspourlecalculfontdevousuneexcellentecandidateaumariage…Etilahâtequejevousvoiesurun cheval, poursuivit-il comme Isabel, abasourdie, gardait un silence prolongé. Apparemment, vosprouesseséquestresvontm’éblouir.Autantvousdirequejenetiensplusd’impatience.
—Je…—Etpuis–lepointestdécisif–vousn’êtespaslaide.Isabelclignadesyeux.CeuxdeNickpétillaientd’amusement.—Rappelez-vous,Isabel,quec’estvotrefrèrequil’adit.Jenevoudraispasm’attribuerlemérite
d’un compliment aussi bien tourné. Pourma part, jeme seraismontré beaucoup plus banal. Il faut ungrandorateurpour…
—Paslaide…répétaIsabelavantdesecouerlatête.Effectivement,uncharmantcompliment.—Ah,vousavezretrouvévotrevoix!—Onledirait,répliqua-t-elle,incapabledenepasrépondreàsonimmensesourire.Rassurez-moi,
monsieur,monfrèreapprendra-t-ilàl’écoledesqualificatifsplusaptesàcharmersafuturecomtesse?—Onnepeutquel’espérer.Sinon,nouspouvonsnousfairedusoucipourlalignéedesReddich.L’éclatderirequiéchappaàIsabelattirasureuxl’attentiondesautresconvives.— Durant notre entretien, James a dit quelque chose au sujet de lady Isabel qui m’a beaucoup
intrigué,déclaraalorsNick.Face à l’intérêtmanifeste de l’assistance, Isabel éprouvaune brusquenervosité. Il n’allait tout de
mêmepasrépéterquelquechosed’embarrassant?—Quoidonc,lordNicholas?demandaLara.—Ilprétendquec’estunechampionneauxcharades.—C’estlavérité,acquiesçaLara.Jen’aijamaisvuquelqu’und’aussidoué.— J’aimerais en avoir la preuve, déclara Nick en observant Isabel d’un air songeur. Mais, tout
d’abord,jecroisquenousavonsrendez-vouspourdanser.Surce, ilse levapouraiderIsabelàrepoussersachaise.Aumomentoùelleseretournaitpour le
remercier,ellefutfrappéeparl’intensitéduregardqu’ilposaitsurelle,etellebaissalatête.—Merci.—Ilfautquejevousdise:j’auraisutiliséunetoutautreformulepourvousdécrire,déclara-t-ilen
luiprésentantsonbras.Isabelsentitsoncœurs’emballer,maiss’efforçadeprendreunairdégagé.—Vousvoulezdire,autreque«paslaide»?Il ne sourit pas. Soudain, l’air sembla se raréfier dans la pièce, et Isabel se surprit à retenir son
souffle.—Jevousauraisdécritecomme…magnifique.
Isabels’arrêtanetsurleseuildelasalledebal,stupéfaite.AprèsavoirquittéNick,elleavaitaussitôtexposéàJanesesplanspourlasoirée,luidemandantde
faireenleverlesdrapsdeprotectiondequelquesfauteuilset,sipossible,d’épousseterlepianoforte.MaisJaneavaitopéréunmiracle.
L’extrémitédelasallebaignaitdansladoucelumièredoréededizainesdebougies–désassortieset,detouteévidence,rafléesdanslamaisontoutentière.Lescandélabresavaientétéjudicieusementplacésdemanièreàcréerunespaceintime,bordépardeuxméridiennesetplusieursfauteuilsconfortables.Lesmeublescommeleparquet,fraîchementencaustiqués,luisaientdoucement.
Surunetables’alignaientunegrandecoupedelimonade,unebouteilledecognac,plusieursverresetunplateaudepetits-foursqueJamess’empressadegoûter.Isabelsouritenvoyantcetajoutinattendu.ElleauraitpariéqueGwenavaitpassélaplusgrandepartiedel’après-midiàconfectionnerlesminusculespâtisseries.
—Commec’estbeau…chuchotaIsabel.—Voussemblezsurprise,observaNick.—Jelesuis…Ilyaunedécenniequecettesalledebaln’apasétéutiliséecommetelle,expliqua-t-
elleavecunpetitrireravi.Nouslanettoyonsrégulièrement,mais…maisnousn’avonsguèrel’occasiondedonnerdesbals,àTownsendPark.Nousmanquonsdramatiquementdecavaliers.
Ilsouritenl’entendantriredenouveau,puisils’inclinadefaçonexagérée.—Vousavezplusieurscavaliersàvotredisposition,cesoir,mademoiselle.Surcesentrefaites,unepetiteportes’ouvrit,livrantpassageàGeorgiana,qui,latêtebaissée,entra
d’un pas rapide, comme si elle ne s’intéressait pas aux occupants de la pièce. Surprise par cetteapparition,carlagouvernanteavaitététerrifiéeàl’idéed’êtrereconnueparNick,Isabelouvritlabouchepourluidemandersiquelquechosen’allaitpas.Maisellelarefermasansriendirequandlajeunefille,leurtournantledos,s’assitaupianoforte,placédansuncoinàpeineéclairé,etsemitàjouerunevalse.
JameslarejoignitaupianotandisqueRocks’inclinaitdevantLarapourl’inviteràdanser.Isabellesobserva avec unmélange de curiosité et de nervosité lorsqu’ils commencèrent à tourner autour de lasalle.Elleauraitvouluréfléchirauxliensquisetissaientmanifestemententreeux,maiselleavaitbientropconsciencedelaproximitédeNick.
Aprèsuneattenteinterminable,elleentenditenfinsavoixprofonde.—Isabel…—Mmm?fit-elleenessayantdésespérémentdenemanifesterqu’unintérêtdistant.—Voulez-vousdanser?demanda-t-il,unsouriredanslavoix.—Oui,s’ilvousplaît,murmura-t-elle.Etellefutdanssesbras,tournoyantaurythmedelavalse.—LagouvernantedeJamesaundonpourlepiano,observa-t-il.—IlyadenombreuxtalentsàMinervaHouse…MaisIsabeln’avaitpasenviedeparlerdesfilles.Pasmaintenant,alorsqu’elleétaitdanssesbras.—Vousêtesunexcellentdanseur.—Pourquoiprétendez-vousnepassavoirvalser?—Je…jen’aijamais…Illafittourner,etellefermalesyeuxpoursavourertoutensembleleplaisirdumouvement,laforce
quiémanaitdeluietlamanièredontillaguidaitavecunefermetépleinedegrâce.—Vousdevriez.Votrecorpsestfaitpourêtreenlacéainsi.Lesmotscoulaientdansl’oreilled’Isabel,chaudsetliquides.Ellesavaitqu’illatenaittropserréeet
qu’elleauraitdûprotester.Maiselleenétaitincapable.Aprèsunnouveautournoiement,quandellerouvritlesyeux,ellesetrouvafaceàlaporteparlaquelle
Georgiana était entrée. Dans l’entrebâillement, trois visages curieux – ceux de Gwen, de Jane et deKate–observaientl’intérieurdelasalle.Isabelneputréprimerunriresurpris.
—Qu’ya-t-il?
—Neregardezpasmaintenant,maisnousavonsapparemmentunpublic.Àsonsourire,ellevitqu’ilavaitcompris.—Vucequejeconnaisdesfemmes,çanem’étonnepas.—Pourêtrehonnête,elless’efforcentdesemontrerdiscrètes.—Ellessemontrentplusdouéespourcelaquelesfemmesdemafamille.Cesmots,prononcésavecuneadmirationmalicieuse,éveillèrentlacuriositéd’Isabel.—Sivousmeparliezd’elles?—Mademi-sœur,Juliana,estitalienne,cequifaitd’ellelepersonnagequevouspouvezimaginer.
Elleesttêtuecommeunemule,exaspérante,etatendanceàdiredeschosesabsolumentinappropriéesauxmomentslesplusinappropriés.
—Unefilleformidable,dirait-on.Ils’esclaffa,puisajouta:—Ellevousplairait,jepense.Etjesaisquevousluiplairiez–Londresetlahautesociétél’agacent,
et elle éprouve une aversion particulière pour les coquettes et les dandys, ce qui rend virtuellementimpossibledeluitrouverunmari.Heureusement,c’estleproblèmedeGabriel.
—Ah,l’avantaged’êtrelesecondfils!—Précisément.—Etvotrebelle-sœur?—Oh,Callievousadorera.Isabelaccueillitcetteaffirmationavecunlégerrire.— J’ai du mal à croire que la marquise de Ralston « adorera » une fille du Nord élevée à la
campagne,quiportedespantalonsquandellelejugepratiqueetavécuunebonnepartiedesavieavecdesfemmesquiontfaitdeschosesabsolument…inappropriées.
—C’estprécisémentlaraisonpourlaquellelamarquisedeRalstonvousadorera.Isabelleregardadroitdanslesyeux.—Jenevouscroispas.—Unjour,jevousemmèneraiàLondres,etvousentendrezlavéritédelabouchedemonfrèreetde
mabelle-sœurenpersonne.Cettepromessealladroitaucœurd’Isabel.Unjour,ilsseretrouveraientdoncensembleàLondres,
ellerencontreraitsafamille,etellediscuteraitavecl’undescoupleslesplusenvuedelahautesociété?Siseulementcelapouvaitêtrevrai!Commec’étaitétrange…Ici,danscettepièceàlalumièretamisée,tandisquelamusiqueexerçaitsa
magieetquecethommefortetexceptionnel la faisaitvalser,elleavaitenviequecelase réalise.Elleauraitvouluêtresacompagneetvivrelaviequisedessinaitderrièresesparoles.
Alors,s’abandonnantauxsensationsdeladanse,aubalancementdeleurscorpsetàlachaleurdesbras de Nick refermés autour d’elle, elle s’autorisa à caresser le rêve qu’elle s’était si longtempsinterdit :que sapremièrevalse soit avecunhommequi tiendrait à elle, laprotégerait, partagerait sespeineset…l’aimerait.
Unefoisdeplus,ellefermalesyeux,conscientede lapressiondelamaindeNickaucreuxdesataille.Ellesentaitseslonguescuissesmuscléeseffleurerlessiennesdurantlesmouvementsgrisantsdelavalse.Quandellerouvritlesyeux,ilfixaitsurelleunregardpénétrant.
—Est-cequevousvousamusezbien?Elle savait qu’elle aurait dû jouer les coquettes.ÀLondres, la femmedans sesbras aurait euune
repartiebrillante,drôleetprovocante.MaisIsabelnepossédaitpascetalent.—Beaucoup.
—J’ensuisheureux.Vousméritezd’avoirunpeudeplaisir.Àmonavis,vousnevousenaccordezquetroppeu.
Isabeldétournalesyeux,embarrassée.Commentcethommeenétait-ilvenuàlaconnaîtresibienetsirapidement?
—Pourquoi?murmura-t-il.Pourquoinepasdanser,rireetvivreselonvotrerêve?—Lesrêvessontpourlespetitesfillesquin’ontpasdesoucis,répliqua-t-elle.—Neditespasdesottises.Nousavonstousdesrêves.—Mêmevous?—Mêmemoi.—Dequoirêvez-vous?demanda-t-elle,d’unevoixsiétrangléequ’ellelareconnutàpeine.—Cesoir,jevaisrêverdevous,répondit-ilsansunehésitation.Etvous?—Jedevraisrêverd’uneécolepourJames,d’unendroitsûrpourlesfilles,d’untoitremisàneufet
d’uneprovisioninépuisabledebougies.—Allons,Isabel,protesta-t-ilavecunpetitrire,vouspouvezfairemieux!Ilnes’agitpasdeleurs
rêves,maisdesvôtres.Dequoirêvez-vouspourvous?Durantunlongmoment,rienneluivintàl’esprit.Riend’avouable,dumoins.—J’aimeraisdanserdavantage,finit-ellepardireavecunsourire.— Je serais heureux d’exaucer votre souhait, dit-il en la faisant tournoyer de plus belle. Quoi
d’autre?—Je…jenesaispas.—Iln’yariend’autre?insista-t-il.—Jevoudraisqu’onnemeconsidèrepascommeégoïste,murmura-t-elle.Lesyeuxplongésdanslessiens,ils’arrêta.Elles’aperçutqu’ilsétaientàl’extrémitédelasalle,dans
unequasi-pénombre.—Égoïste?Quand,sansplusleregarder,ellehochalatête,illaissaéchapperunrireincrédule.—Isabel,vousdevezêtrelapersonnelamoinségoïstequej’aiejamaisconnue.—Cen’estpasvrai.—Qu’est-cequivousfaitdirecela?Répugnant toutd’abordàrépondre, Isabelpinça les lèvres.Puissonenviedepartagercetépisode
avecluil’emporta.—Je…Monpèrem’aoffertlapossibilitédetoutarranger.Desauverlamaison,ledomaineettoutle
reste.Ilsuffisaitpourcelaquej’ailleàLondresetquejelelaissemetrouverunmari.—Quelâgeaviez-vous?Enentendantsontonfroid,Isabelcraignitsoudainqu’ilnelajuge.Commesamèrel’avaitfait.—Dix-septans.—Etvousavezrefusé.Isabelravalalessanglotsquimontaientdanssagorge.—Jenevoulaispas…jenevoulaispaslemêmemariagequemamère.N’êtrequelefantômed’une
épouse…Ilestalorspartietn’estjamaisrevenu.Mamèreestmortepeuaprès,sansavoircessédememaudireetdemerendreresponsabledesonabandon.
Voyantqu’ilgardaitlesilence,Isabelregrettades’êtreconfiée.—Sijevousaidéçu,j’ensuisdésolée.D’undoigtsoussonmenton,ill’obligeaàreleversonvisageverslesien.—Jenesuispasdéçu,moncœur,dit-ild’unevoixcontenue,jesuisfurieux…
Aprèss’êtreassuréquelesautresnepouvaientpaslesvoir,ilajouta:—Jeregrettedenepasavoirétélà.Siseulementj’avaispu…Ils’interrompitquandellefermalesyeux.Commeelleleregrettait,elleaussi!Du bout des doigts, il descendit le long de son cou, jusqu’à l’endroit où son pouls palpitait à un
rythmeeffréné.Ellenevoulaitpaspenseraupassémaintenant,alorsqu’ilétaitsiprèsd’elle.—J’aimeraisquevousm’embrassiez.Cetaveulessurprittouslesdeux.LavoixdeNickseréduisitàunchuchotement.—Ah,Isabel,sinousétionsn’importeoùsauf…Ellebaissalatête.—Jesais.—Vraiment?Savez-vousàquelpointjevousdésire?—Oui,répondit-elle,incapabledeleregarder.—Commentlesavez-vous?Savoixsourde,enjôleuse luidonna lecouragede relever lesyeux.Lessiensétaient tropsombres
pourqu’elledistingueleurcouleur,maisellepouvaitdevinersespensées.—Parcequejevousdésiremoiaussi.Legrondementétrangléqu’illaissaéchapperrésonnaenelle,seprolongeantenuneondedeplaisir.
Ellevoulutdétournerlevisageunefoisdeplus,maisill’enempêcha.—Non,regardez-moi.Commentnepass’exécuterfaceàunedemandeaussipressante?— Je ne suis pas parfait. Je ne peux pas vous promettre de ne jamais faire des choses qui vous
heurteront.Maisjeferaitoutcequiestenmonpouvoirpourvousprotéger,ainsiqueJamesetlesfillesdeMinervaHouse.
Quandils’interrompit,elleretintsonsouffledansl’attentedesmotsquiallaientsuivre.—Jepensequevousdevriezréfléchiràlapropositiondevotrefrère.
14Leçonnumérosix
Une fois que vous avez retenu son attention, ne vous reposez pas sur voslauriers!Conquérir un lord exige de la ténacité, chère lectrice. Ce n’est pas uneentreprisepourlesvelléitaires,nipourlespusillanimes.Unefoisquevousavezchoisi votre chevalier blanc et qu’il vous a reconnue comme sa dulcinée,surtout,nerelâchezpasvosefforts!N’oubliezpasque, jusqu’auderniermoment,unebataillepeutêtregagnéeouperdue.Encescirconstances,ilvousfautdelaconstance,deladéterminationetdel’endurance!
PearlsandPelisses,juin1823
Assisedanslagrandebaignoiredecuivre,lapeaurougieparlavapeurbrûlante,Isabellevalamainpourcontemplerleboutfripédesesdoigts.
—Iladitqu’iluseraitdumot«magnifique»pourmedécrire.Depuislelitd’Isabel,surlequelelleétaitassise,Laraluijetaunregardravi.—Etilveutsemarieravectoi!—Iln’apasditça,protestaIsabelavecunecontractionnerveuseaucreuxdel’estomac.Justequeje
devraisréfléchiràlapropositiondeJames.—Quiestdetemarier!AveclordNicholas!—Oui,maiscelanesignifiepasqueluiaimeraitm’épouser.—Franchement,Isabel…Jepensequec’estprécisémentcequ’ilveutdire.—Non.Cequ’ilveutdire,c’estquejedevraisenvisagerdememarier.Pasforcémentaveclui.—Àmonavis,tufaisexprèsdenepascomprendre.Ilestévidentquesadéclarationvousconcerne
touslesdeux.—Commentpeux-tuenêtreaussisûre?—Jevaisteledire.Nousn’avonspasvul’ombred’unhommeacceptableàTownsendParkdepuis
deuxans!Àquivoudrais-tuqu’ilfasseallusion?Enoutre…J’aivulamanièredontilteregardait,etcelledontvousdansiez.C’esttoiqu’ilveut.
—Peut-être que c’estmoi qu’il veut, rétorqua Isabel, acerbe,mais ce n’est pas pour autant qu’ilsouhaitem’épouser.
—Etpourquoipas?répliquaLarad’untonindigné.Tuesl’épouseidéalepourlordNicholas!Onpourraitmêmeobjecterqu’entantquefilledecomte,tumériteraismieuxquelefilscadetd’unmarquis!
Isabelneputs’empêcherderire.
—Peut-être que ce serait vrai si mon père n’avait pas été le plus dégénéré des aristocrates. Enl’occurrence,jepensequelordNicholaspourraittrouverbienmieuxquemoi.
— Balivernes ! Tu es ravissante, compétente, intelligente et pleine d’esprit. N’importe quelgentlemanauraitdelachancedet’épouser.
—Jeteremercie,macousine,ditIsabel,ironique.—Cen’estpasuncompliment,c’estlavérité.Tudoisquandmêmesavoirqu’unhommecommelui
n’envisageraitpasdet’épousers’ilnetrouvaitpasl’idéeplusqu’acceptable.«Acceptable»?Quelmothorrible!Sansrépondre,Isabelappuyasatêtecontreleborddelabaignoireetfermalesyeux.À peine douze heures auparavant, entendre dire que lord Nicholas la trouvait acceptable l’aurait
affolée.Elleauraitfuisacompagniepourneplusjamaisreparaîtredevantlui.Était-ilpossiblequ’ellecommenceàteniràcethomme?Commentavait-ilpuenvahirtoutessespenséesenmoinsdedeuxjours?Envisageait-ellevraimentd’accordersaconfianceàunétrangercomplet?Elleneconnaissaitriendelui,quediable!
Rien…hormisl’effetqu’ilproduisaitsurelle.Etceteffetneluiplaisaitpas.Ellen’aimaitpasquesonpoulss’accélèreensaprésence,quelerouge
luimonteauxjouesfaceàsonsourirenarquois,quel’envieladémangedetoutluiraconterdesonpasséetdesasituationprésente.
Et voilà qu’il la tentait avec une offre de mariage. Pour la première fois de sa vie, Isabel sesurprenaitàréfléchirsérieusementàlaquestion.Lemariage,telqueNickleprésentait,neressemblaitenrienàceuxqu’elleconnaissait,avecleurcortègedepièges,debataillespourlepouvoiretdeluttespourconserversonintégrité.
Soudain,l’idéeneluisemblaitplusaussirepoussante.Saufque…—Ilnem’apasdemandéeenmariage.Laralevalesyeuxauciel.—Biensûrquesi.—Iln’apasprononcélesmots.—Quelsmots?Isabelbaissalatête.Lerefletdesbougiessurl’eauluirappelalapénombredanslecoindelasalle
debal,leurvalseetsonaveu.—Iln’apasdit:«Épousez-moi,Isabel.»—Tucoupeslescheveuxenquatre.—Iln’empêche…Uneexclamationétrangléedesacousineluifitbrusquementreleverlesyeux.—Qu’ya-t-il?—Enfait,tuaslebéguinpourlui!—Pasdutout.—Maissi!déclaraLarad’untontriomphant.TuaslebéguinpourlordNicholas!—Jeneconnaiscethommequedepuistroisjours.—Ilyaeuledîner…ladanse…Troisjourssuffisent,assuraLara,commesielleétaitexperteen
histoiressentimentales.—Commentpourrais-tulesavoir?—Jelesais,c’esttout.CommejesaisquetuaslebéguinpourlordNicholasSt.John.—Pourrais-tuarrêterdeprononcerlemot«béguin»?grommelaIsabel.—Commentest-cearrivé?
—Jenesaispas!s’écriaIsabelensecouvrantlevisagedesesmains.Jeneleconnaismêmepas!—Ilsembleraitquetuensachesassezsurlui,lataquinaLara.—Cen’estpasdrôle.C’estaffreux.—Pourquoi?Ilveutt’épouser!—Paspourdesraisonssensées.—Jenesuispascertainequ’ilexisteuneraisonsenséedesemarier.—Bien sûr que si ! Il pourraitm’épouser pour de l’argent ou pour des terres, pour respecter les
convenancesoupourajouterdelarespectabilitéàsonnom.Enl’occurrence,ilnepeuts’agird’aucunedecesraisons,puisquejenepeuxrienluiapporterdetoutcela!
—Isabel…murmuraLaradansungloussement.—Cen’estpasdrôle,vraiment.Enfin,sil’onn’apasunsensdel’humourdévoyéetmacabre.—Tudramatises.Entoutesincérité,l’idéedetemarieraveclordNicholasnet’intrigue-t-ellepasun
toutpetitpeu?Isabelaccueillitcettequestionsansdétourparunsilenceprolongé.Avecunsoupiragacé,ellefinit
parriverlesyeuxauplafond.Elleavaitpassé lesvingt-quatreannéesdesonexistenceàseconvaincrequ’ellenevoulaitpasse
marier, pas avoir d’enfants ni de compagnon.Son avenir était tout tracé : aider James à redonner sonlustreaunomdeReddich, assurer lapérennitédeMinervaHouseetvieillir avec laconviction intimed’avoircontribué,mêmemodestement,àrendrelemondemeilleur.
Etsoudain,toutessescertitudesvolaientenéclats.Siellevoulaitsemontrervraimenthonnête,cependant,elledevaits’avouerque,oui,elleavaitrêvé
d’autrechose.Durantsesnuitssanssommeil,elles’imaginaitàLondres,chevauchantdansHydePark,consultant lesnomsdesdanseursinscritssursoncarnetdebal,courtiséeenbonneetdueformeparungentlemanquideviendraitsoncompagnonattentionné.
Ellesehâtaitalorsd’étouffercerêve,parcequ’ilétaithorsd’atteinte.Jusqu’àprésent…—Jel’aimebien,finit-elleparreconnaîtred’unevoixàpeineaudible.—Jelesais.—Jamaisjen’auraispenséquecelaarriverait.Etc’estplutôtterrifiant.—Celaaussi,jelesais,répliquaLaraavecunsourire.—Ahbon?—J’aimeassezsonami.—Oh ! s’écria Isabel en se redressant si brusquement que l’eau clapota par-dessus bord. Et lui
sembleavoirlesmêmessentiments.Commentest-ce…— Je l’ignore ! Je lui aimontré tes statues, puis ilm’a accompagnée à l’écurie pour nourrir les
chevaux,etpuis…alors…—Alors,ilafaitquelquechosequ’iln’auraitpasdûfaire,apparemment,supposaIsabellorsquesa
cousinebaissalatêteavecembarras.—Isabel!s’écriaLara,lesjouesécarlates.—Tul’asembrassé!—Parcequetupeuxt’érigerenjuge?—Non.Jesupposequenon,reconnutIsabelenriant.—C’estplutôtplaisant,non?— D’embrasser ? Je ne suis pas persuadée que j’utiliserais le mot « plaisant ». Mais c’est
absolumenttroublant,vraimentfrustrantetcomplètement…
—Merveilleux.—Précisément.—Onfaitvraimentlapaire,fitremarquerLaraavecunsourirejusqu’auxoreilles.—Aprèsdesannéessansaucunhommeenvue,nousnousretrouvonscommedessottesfaceauxdeux
premiersquiseprésentent.—Cenesontpaslesdeuxpremiers.TuasévitéM.Asperton.Àcesouvenir,Isabelfrissonna.—Cefutuneépreuve,certes,maisilestvraiquej’aiévitéM.Asperton.—Alors…tuvasaccepterquelordNicholastefasselacour?Aprèsavoirenjambéleborddelabaignoire,Isabels’enveloppadansunegrandeserviette,puiselle
allas’asseoiràcôtédesacousine.Elleobservaunsilencepensifpendantquelquesinstants,avantderépondre:—Oui.S’ildemandemamain,jelaluiaccorderai.Pournotrebienàtoutes.Aumomentmêmeoùelleprononçaitcesmots,ellesutqu’ilsétaientfaux.Pourtant,elleauraitaimé
croireque,sielleacceptait,ceseraitpourMinervaHouse.Maisceseraitaussipourelle-même,malgrélerisquequ’ellecouraitdes’attacheràcethomme.Etmême,lerisquequ’elleprenaitde…
Non.Ellenecommettraitpaslesmêmeserreursquesamère.Enoutre,Nickneressemblaitenrienàsonpère.Ilétaithonnête,francetgentil,etilsemblaittoutà
faitlegenred’hommeàtenirsespromesses.Isabel devait simplement s’assurer que, si elle l’épousait, ce serait selon ses conditions. Elle lui
accorderaitsonattention,biensûr.Ellejouiraitdesacompagnie,desaconversation…etdesescaresses,quisuffisaientàchassertoutepenséerationnelledesonesprit.
Maisellenel’aimeraitpas.Fortifiéeparcettedécision,ellesetournaversLaraavecunsourire.—Peut-êtrequeceneseraitpassiterriblequecela,finalement.
Dans le Yorkshire, la pluie cessait aussi soudainement qu’elle avait commencé. Pas d’éclaircie
progressive,maisuneruptureaussibrutalequel’extinctiond’unebougie.Lorsque le ruissellement de l’eau sur les fenêtres s’interrompit brusquement, le silence qui suivit
parutsurnaturel.NickquittadesyeuxsonjeudecartesetcroisaleregarddeRock.—Enfin!ditcedernier.—TutelanguisdeLaTêtedeCochon?—Pasdutout.Jecommencesimplementàmelasserdetevoirdanscetteredingote.Ilabattitunecarte,etNick,reconnaissantsadéfaite,jetasonjeusurlatable.—Quantàtoi,onpourraitpenserquetutelasseraisdeperdrecontremoi,ajoutaRockenramassant
sesgains.Nicks’adossaàsachaise,butunegorgéedecognac,puisilregardasonami.—Jevaisl’épouser.—Vraiment?ditRocksanscesserdebattrelescartes.—Elleabesoindemoi.—Celanemesemblepasuneraisonvalablepourépouserunefille,Nick.Surtoutquandlafilleen
questionabriteunepleinemaisonnéedefugitives.— Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une « pleinemaisonnée », répliqua Nick. Et je ne crois pas
qu’ellefassequoiquecesoitdemal.Tunelepensespasnonplus,d’ailleurs.
—Non,c’estvrai.—Alors?—Jecroyaisquelemariagen’étaitpaspourtoi?Nicknecherchapasàbiaiser.Pendantdesannées, iln’avaitcesséde le répéter.D’unepart, ilne
connaissaitpasdemariageréussi;d’autrepart,ilnevoulaitpasselieràunefemmeparsimplestratégie,n’ayantbesoinnid’argentnid’uneallianceavantageusedansl’aristocratie.
Enrevanche, l’idéed’avoirunevéritablecompagneluisouriaitplutôt. Isabelet lui trouveraientduplaisiràêtreensemble.Unimmenseplaisir…
—J’aichangéd’avis.—Etqueferas-tuquandelledécouvriraquetuesvenuiciàlarecherched’unedesfilles?Nickneréponditpas,pourlabonneraisonqu’ilrefusaitlui-même,depuisdeuxjours,deseposerla
question.Ilconsidérad’unœilabsentlescartesqueRockvenaitdeluidistribuer.—Épouse-lapoursesstatues,repritcedernier.Épouse-laparcequetuveuxcoucheravecelle.Mais
nel’épousepasparcequ’elleabesoindetoi.— Je n’ai pas besoin de l’épouser pour les statues puisque, de toute manière, je compte les lui
acheter.Etjenesuispasentièrementconvaincuqu’elleaitbesoindemoi.—Etquantàvouloirlamettredanstonlit?Jeremarquequetuneleniespas…Nickfitsignequ’illuifallaituneautrecarte.Oui,ildésiraitIsabel,viscéralement.Lamanièredont,
cetaprès-midi,elles’étaitsilibrementdonnéeavaitfaitdeleurvalseunepuretorturetantilbrûlaitdedésir.Cen’était qu’auprixd’uneffort surhumainqu’il s’était abstenude l’embrasser, après son aveu,puisqu’ilétaitrestéenbasaulieudelasuivredanssachambre.
—Permets-moidetedirequejen’appréciepastamanièredeformulerlachose.Nickjetaunepiècesurlatable.Rockl’imita,retournaunecarteetjuraentresesdents.—Qu’est-cequetudisaissurlefaitquejeperdaistoujours?semoquaNick.—Commentappelez-vouscela,vousautresAnglais?«Unjouràmarquerd’unecroixblanche»?
Cettefillen’apasbesoindetoi,poursuivitRocktandisqueNickbattaitlescartes.Elleabesoind’argent.Contente-toid’acheterlesmarbres.
—Ellen’apasbesoinqued’argent.Etpuis…Elleneveutpasvraimentlesvendre,sesstatues.—Danscecas,quefaisons-nousici?s’exclamaRock.—Jusqu’àilyacinqminutes,nousn’avionspaslechoix.J’ajouteraiquetusemblaisprendredubon
temps,entrelalecturederomansfémininsettonappropriationendouceurdemafortune.Qu’ya-t-ildechangé,soudainement?
—Rien,réponditRockenseversantunenouvellerasadedecognac.Jesuissimplementprêtàpartir.—Ils’estpasséquelquechoseavecLara?—Pourtoi,c’estMlleCaldwell,répliquaRock.—Oh, pardon ! Il s’est passé quelque chose avecMlleCaldwell ?Vous sembliez vous entendre
commelarronsenfoire…Ah,jecomprends!—Tucomprendsquoi?—Ondiraitquejenesuispasleseulàmedébattreavecunproblèmedefemme.Latienneest-elle
aussiexaspérantequelamienne?Rockjetaunepiècesurlatable.—Distribuelescartes.Nickobtempéra,etilsjouèrentunlongmomentensilence.Rockfinitpardéclarer:—Elleesttoutàfaitcharmante.—C’estvrai.
—Passimplementcharmante.Parfaite.Nicks’attendaitsipeuàcesmotsqu’illuifallutquelquessecondespourréagir.—Jenecomprendspas.Oùestleproblème,danscecas?—Çanepeutmeneràrien.—Pourquoipas?—Regarde-moi,Nick,répliquaRockenplongeantsonregardnoirdanslesien.—Jeteregarde.Etalors?Sonamijetasescartessurlatable.—C’estlafilled’ungentleman.Jesuisunbarbare,nédansuneruelleturque.—Ellevitdansunemaisonquirecueilledesfugitives.Ellenepeutpasêtrecomplètementsoumise
auxloisdelabonnesociété.Dumoins,pasdelamanièrequetusuggères…Jesupposequetesintentionssonthonorables?ajouta-t-ilaprèsuninstant.
Rockseleva,manifestementnerveux.Aprèss’êtreapprochédelafenêtre,ill’ouvritengrand,etuneboufféed’airfrais,encorehumide,s’engouffradanslapièce.
—S’ilsepassaitquelquechoseentrenous…elleseraitbannie.—PlusloinqueleYorkshire?ironisaNick.Sansseretourner,Rockditàvoixbasse:—Sonexilactuelestvolontaire.Nickobservasonamiunlongmoment,puisillerejoignitdevantlafenêtre.— Tu te tracasses pour rien. Tu as des dizaines d’amis riches et titrés qui accepteraient sans
sourcillertonallianceavecelle.—Tusaisbienquecen’estpasvrai,ditRockensecouantlatête.—Maissi.Çaleurseraitcomplètementégal.RocksedétournadelafenêtrepourregarderNick.—Tunepensescelaqueparcequecelateseraitégal,àtoi.Maispoureux,ceseraitdifférent.Crois-
moi,si jedescendaisdevoitureàLondresaucôtéd’unebelleetblondeAnglaise, ilsneverraientpascelad’unbonœil.Etjeneseraisplusconsidérécommeunami,maiscommeunennemiàlapeausombrequiauraitvolél’unedeleursfemmes.
Nicksoutintsonregardpendantunlongmoment.Finalementconvaincu,iljuraentresesdents.—Tutiensàcettefille?dit-ilenrefermantsamainsurl’épauledeRock.—Oui.—Ehbien,àmesyeux,çadevraitsuffire.Quelesautresaillentsefairependre.Rockesquissaunpâlesourire.—C’estfacilepourtoidedireça.Tueslefilsd’unmarquis,prêtàépouserlafilled’uncomte.—Ellen’apasditqu’elleacceptait.—Elleacceptera.Elleserait follede refuser.Maispromets-moiunechose…Promets-moiquece
n’estpastondésirinsensédelasauverquitepousseàl’épouser.Nick resta songeur. Il devinait la question sous-entendue de Rock : Isabel allait-elle réparer les
dégâts qu’Alana avait causés ? Parviendrait-elle à effacer le souvenir de la fourbe Turque ?Mais lasimpleidéed’unecomparaisonentrelesdeuxfemmeslefitgrimacer.
—Cen’estpaslamêmechose.—Jenesuispascertainquetusurvivraisentrelesmainsd’uneautrefemmequetunepourraispas
aider.—Qu’est-cequitefaitdirequejenepourraispasl’aider,celle-ci?—Lefaitquetun’asjamaisétécapabled’aideraucuned’ellesdepuisquejeteconnais.
Unlongsilences’abattit.Nickfinitparlerompred’unpetitrireironique.—Etavantquetumeconnaissesnonplus,d’ailleurs.—Tupeuxaidercettefillesansrenonceràtavie.Jenedisriendeplus.Denouveau,Nick s’abîmadans ses pensées.Était-ce ce qu’il voulait, aider Isabel, rien d’autre ?
Celaentraitenlignedecompte,biensûr.MaisRockavaitraison:ilpouvaitlefairesansl’épouser.Etmêmelégalement,enallanttrouverDensmorepourqu’illuitransfèrelachargedeTownsendPark.Sauferreurdesapart,cedernierneseraitquetropheureuxdesedébarrasserdecetteresponsabilité.
Alors, pourquoi la pensée du mariage ne cessait-elle de le hanter ? Quel pouvoir cette femmeexerçait-ellesurluipourqu’ilsoitprêtàtoutluisacrifier?
Uneimaged’Isabel jaillitdanssonesprit.Belle, fraîche,détendue…etcertainequesonmondenes’écrouleraitpas.
Ilnel’avaitjamaisvueainsi.Belleetmalicieuse,belleetaudacieuse,belleetattentiveauxautres,belleetabandonnéeentresesbras,oui,maisjamaisbelleetsûred’elle,del’avenir,delui.
Toutcela,ilvoulaitleluidonner.Peut-être était-ce l’effet de sa faiblesse pour les femmes. Était-il voué à tomber dans un piège,
commeavecsamèreouavecAlana?Maisilluiétaitdifficiledecroirequ’Isabelleurressemblait.Elleluiparaissaitinfinimentplushonnête,etellemenaçaitdeluidevenirinfinimentpluschère.
—Jevaisl’épouser,finit-ilpardéclarer,lesyeuxdansceuxdeRock.Nousferonsunebonneéquipe.Sonamiacquiesçad’unsignedetête,etilscontemplèrentl’obscuritéensilence.CefutRockquirepritlaparolelepremier.—Tusaisquetunepeuxpaslefairesansluidirelavérité.Lesmotss’abattirentsurNickcommeunechapedeplomb.Évidemmentqu’illesavait!Dèsledébut,
ilavaitsuqu’illuifaudraitavoueràIsabelsesrelationsavecleducdeLeighton.Ilallaitdevoirluidirequ’ilrecherchaitGeorgianaetaffrontersacolèreetsesinterrogations.
Mais,aufonddelui-même,ilavaitespérélaconvaincredel’épouser,puiscélébrerlemariage,avantd’avoiràadmettrecetteentorseàl’honnêteté.
Peut-êtreétait-ceencorepossible…Commes’ilavaitludanssespensées,Rockdéclara:—Mieuxvautleluidiretoi-mêmeplutôtqu’ellenedécouvrelavéritédansquelquetemps.—Jelesais,acquiesçaNickàcontrecœur.
15
Lematinsuivant,Isabelserenditdanslasalledesstatues.Elle étaient partie à la recherche de Nick après le petit déjeuner, s’était convaincue qu’il serait
aimabledesapartdel’informerquelesroutesétaientdenouveaupraticables.Mais l’excitation qu’elle ressentit en le voyant penché sur son carnet, dans la salle brillamment
éclairée,trahitunemotivationquelquepeudifférente.Depuis le seuil, elle l’observa tandis qu’il écrivait d’unemain sûre.Elle était presque jalouse de
l’attentionqu’ilportaitàsontravail.Quandunebouclebrunetombasursonfront,frôlantseslunettes,sapoitrinesecontractalégèrement.
Ilétaitvraimenttrèsbeau…Etelledevenaitunevraienigaude!Ramenéeà l’instantprésentparcettepensée,elles’éclaircit légèrement lagorge.Il tournaalors la
têteverselleet,sensibleàl’acuitédesonregard,Isabelplaquasesmainssursarobepours’empêcherdetripotersescheveuxoudelissersajupe.
—Jenevoulaispasvousdérangermaisj’aipenséquevousaimeriezsavoirqueRockestretournéenville… Il est allé chercher vos affaires. Nous sommes heureux de vous accueillir ici… à TownsendPark…aussilongtempsquevousenaurezbesoin.
Il ôta ses lunettes, et Isabel en éprouva une pointe de regret.D’une certainemanière, les lunettessoulignaientsonintelligenceetsonhonnêtetésoussabeauté.
Quand il lui adressa un sourire chaleureux, ses genoux semblèrent fléchir sous elle. Oui, elle lepréféraitavecseslunettes–aumoinsformaient-ellesunrempartrelatifcontresoncharme.
—C’esttrèsgénéreuxdevotrepart.Merci.Nesachantquedire,ellegigotad’unpiedsurl’autre.Ilhaussalessourcils,manifestementamusépar
sanervosité.—Nevoulez-vouspasentrer?Isabelavançad’unpas,aveclaconscienceaiguëque,pasplustardquelaveille,ill’avaitembrassée
ici.Etmêmeplusqu’embrassée.Peut-êtredevait-ellefermerlaporte…Sonpoulss’accéléra.Siellefermaitlaporte,ilprendraitévidemmentsongestecommeuneinvitation
àrépéterlascènedelaveille.Ellehésita,partagéeentre l’enviequecelle-ci se reproduiseet lacraintedecequ’il allaitpenser
d’elle.Maisquandellecroisa sesyeuxbleusétincelants, elle compritqu’il savait exactementàquoielle
pensait.Ilyavaitunelueurprovocantedanssonregard,commes’illamettaitaudéfidefermerlaporteet
deprendreceàquoiellen’avaitcessédepenserdepuislaveille.Àregret,elles’avançadanslapièceenlaissantlaporteouverte.Sonattentions’étantportéesurla
statuelaplusproche,ellechoisitunsujetanodin.—D’oùvientvotresigrandintérêtpourl’artantique?— J’ai toujours aimé les statues.À l’école, j’étais fasciné par lamythologie. Il est logique, sans
doute,qu’aprèsmesétudes,lorsquejesuisallésurlecontinent,j’aieétéattiréparlesculturesanciennes.Aprèss’êtreperchéesurunsocle,Isabelreprit:—Ainsi,vousavezpassévotretempsentrel’ItalieetlaGrèce?Ildétournabrièvementlesyeux.—Aveclaguerre,l’Italieétaitdifficilementaccessible.Commeilétaitplusfaciled’allerversl’est,
j’aitraversél’Empireottomanjusqu’enOrient.L’art,là-bas,n’apasd’équivalent.Leurhistoireremontebienplusloinquecelleducontinent.Vousnepouvezpasimaginerleurspeintures,leurscéramiques…Jen’avaisjamaisrienvudesemblable.Etiln’yapasquelespeinturesoulessculptures.Leurcorpstoutentierreflèteleurartetleuresprit.
—C’est-à-dire?demanda-t-elle,intriguéeparlarévérencequ’exprimaitsavoix.—Leschosessontsacrées,danslesculturesorientales.Ceuxquiétudientlamusique,ladanseetle
théâtrelefontavecleurêtretoutentier.Ilya,enChine,desguerriersquipassentdesannéesàapprendrel’artdesebattre.EnInde,ladanseestunrituelaucoursduquelunseulgestefémininexprimeledébutetlafindumonde.
—Celasemblemerveilleux.—Çal’est.Etc’estd’unesensualitéquidépassecelleden’importequellevalse.La danse indienne pouvait-elle être plus sensuelle que la valse qu’ils avaient dansée le soir
précédent?Isabelavaitdumalàlecroire.Maisilyavaitquelquechosed’àlafoissombreetvoluptueuxdanslesyeuxdeNicklorsqu’ilcontinua:
—J’aimeraisvousenseignerleschosesquej’aiapprisesenInde.—Quelgenredechoses?—Malheureusement,deschosesquelesAnglaisesdebonnefamillen’apprennentpas.—Ilsetrouvequejen’aijamaisététrèsdouéepourjouerlesAnglaisesdebonnefamille.Ilyeutunlongsilence,aucoursduquell’embarrasd’Isabelallagrandissant.Quellemouchel’avait
piquéededireunechosepareille?Devait-elles’excuser?—Je…—Sivousvousapprêtezàvousexcuser, abstenez-vous. Il se trouveque j’aimeassezcette Isabel
audacieuse.Elleneputs’empêcherderépondreausourireentenduqu’illuiadressa.Partagerunsecretaveccet
hommeavaitquelquechosed’enivrant.Ellevoulaitensavoirplus…toutsavoirdelui.—Comment avez-vous acquis vos connaissances sur les antiquités grecques et romaines, si vous
avezpassévotretempsenOrient?—Aprèsquelquesannées,jesuisrevenuenEurope,secontenta-t-ildedire.—EnTurquie…Ilneconfirmapas,maiscelan’étaitpasnécessaire.— C’est en Grèce que je me suis rétabli. Durant plusieurs mois, j’ai pu étudier les antiquités,
découvrirleurssecrets.Lesantiquitésromainessontvenuesensuite,avantmonretouràLondres.Isabelauraitvoulul’interrogersursonséjourenGrèceetenTurquie.Maissoninstinctluisoufflait
qu’iln’endiraitpasplus.Ellecherchaunnouveausujet,susceptibledelesramenerverslaconversationamicalequ’ilsavaienteueavantqu’elleneressuscitecessombressouvenirs.
Sonregards’arrêtasurlastatueauprèsdelaquelleilgriffonnaitdesnotesàsonentrée.—VoustravaillezencoresurVolupté?—Jen’arrivepasàlaquitter.—Elleestbelle.—Effectivement.Voyez-vousenquoielleestdifférentedesautres?Isabelobservalevisagedeladéesse,sesyeuxmi-clos,seslèvresgonfléesàpeineentrouvertes,son
expression–qu’elleavaittoujoursprisepourdelasomnolence.Àprésent,elleconnaissaitlavérité.Ellesentitsonproprevisages’enflammer.
—Oui,vouslevoyez…LavoixdeNickavaitchangé,àlafoispluschaude,plusdouceetplusintime.Undélicieuxfrisson
parcourutledosd’Isabel.—Toutefois,ilnes’agitpasquedesonvisage.Cequirendcettestatuedifférente,c’estlesoinquele
sculpteuraapportéàinscrirelavoluptédanschaquepartiedesoncorps.Isabelétaitfascinéeparsavoix,etquandilapprochasesmainsdelastatue,elleneputdétournerle
regard.—Touslesdétailstrahissentlapassion…Voyezl’angledesoncou,lamanièredontellerelèvele
menton,commesilasensationquil’envahitl’empêchaitderespirer.Isabelregardaitsesgrandesmainsbronzéescaresserlajouedelastatue,suivrelalignedesoncou,
puisépouserlescontoursdesasilhouetteaufildesesparolessensuelles.—Sonplaisirselitdanslamanièredontellerejettelesépaulesenarrière,dontl’undesesbrasse
relèvedistraitementpourtouchersescheveuxtandisquel’autrereposesursonventrerond,commepourapaisersespalpitations.
Machinalement, lesmainsd’Isabelavaient imitécellesdelastatue.QuandellecroisaleregarddeNick,d’unbleu incandescent, elle compritqu’il avaitparfaitementconsciencedecequ’il faisait. Il laséduisait.
Lorsqu’ilrevintàlastatue,Isabelpritunelongueinspiration.—Maisl’indiceleplusrévélateurdesonémotionestpeut-êtreici…dit-ilenprenantencoupel’un
desseinsdelastatue.Sapoitrineestpluspleinequecelledesautresstatuesromainesdecetteépoque…Et elle est parfaite du point de vue anatomique. Vous remarquerez la pointe légèrement érigée de cesein…
Commentpouvait-ilresteraussiimperturbable?Isabelsemorditlalèvrequandildessinadupoucelecontourdumamelondemarbreblancetdutlutterpournepasimitersongeste.Siseulementç’avaitétéellequ’ilcaressait!
Le souffle qu’elle retenait s’exhala enun soupir tremblant, à peineperceptible.Mais il l’entendit.DélaissantVolupté,iltournabrusquementlatêteverselle.Lebleudesesyeuxs’étaitassombri.
—Jecontinue?Isabels’approchadeluiautantqu’elleleputsansletoucher.Elleremarquaalorslatensiondansses
épaules et le petitmuscle qui tressaillait dans sa joue – signe, qu’elle avait appris à reconnaître, del’effortqu’ilexerçaitsurlui-mêmepoursecontenir.Ilattendaitqu’ellefasselepremierpas.
Elleposalesmainssursontorse,puissehissasurlapointedespieds.—Pasaveclastatue,s’entendit-ellemurmurer,avantdel’embrasser.Ilrestaitimmobile,sanslatoucher,sansluirendresonbaiser,etellecompritqu’illuiremettaitles
rênes.Quellegriseried’êtremaîtressedesonpropreplaisir!Elleauraitridesedécouvriruntelpouvoirsurlui,sicelan’avaitpassembléincongru.
Aprèsavoirnouésesbrasautourdesoncou,ellesepressacontrelui,etlachaleurquiémanaitdesoncorpséveillaunesensationenivrantedanslesien.Elleouvritleslèvrespourluisignifiersondésird’êtrelà,danscettepièce,danssesbras.Commeilnefaisaitpasminedes’emparerdesabouche,ellesuivitd’unelanguetimidesalèvreinférieure.
Ellevenaitdedécouvrirlacléquilibéraitlabêtefauve.Avecungrognement,Nickrefermasesbrasautourd’elle, toutenouvrantlaboucheàsescaresses.
D’abord hésitante, Isabel saisit ce qu’il lui offrait, et leurs langues se touchèrent, se caressèrent, semêlèrentenunedansetouràtoursuaveetprovocante.
Quandilmitfinàleurbaiser,cefutpourlasouleveretladéposersurlesoclebasdeVolupté.—Nebougezpas,luiordonna-t-il,avantdesedirigerverslaporte,qu’ilreferma.Celafait,ilrevintverselle,semblabledanssadémarcheàungrandfélinsoupleetpuissant.Lecœur
d’Isabelbattaitlachamadelorsqu’ilfinitpars’arrêterdevantelle,l’observantcommeilavaitobservélastatue.
Ainsi juchée surunpiédestal, elle avaitune têtedeplusque lui.N’y tenantplus, elle enfonça sesdoigtsdanssescheveuxpourreleversonvisageverslesien.Unepromessesilencieusebrillaitdanssonregard, et sa cicatrice avait pâli. Elle en effleura l’extrémité de ses lèvres, au coin de l’œil, puiss’emparadesabouche.
Il l’encouragea de ses mains d’abord refermées sur ses flancs et les fit ensuite remonter jusqu’àl’endroitoùletissucédaitlaplaceàlapeau.Interrompantalorsleurbaiser,ilpromenaseslèvreslelongdesoncou,toutentirantsurlehautdesoncorsagepourlibérerl’undesesseins.
—MaVoluptéenchairetenos…chuchota-t-il.Lachaleurdesonsoufflesursonmamelonendurcitencorelapointe,etIsabels’accrochaàluiavec
uncrideplaisirlorsqu’ilcommençaàletaquinerdeseslèvres,desalangueetdesesdents.Quandilfinit par relever la tête, tous deux haletaient, et elle s’agrippait à ses épaules pour conserver sonéquilibre.
—Avantquenousn’allionsplusloin,dit-ild’unevoixentrecoupée,jepensequ’ilfaudraitparlerdenotremariage.
MaisIsabelnevoulaitpasqu’ils’arrête.Nepouvaient-ilspasendiscuterplustard?—Oui,murmura-t-elle,avantdebaisserdenouveaulatêtepourl’embrasser.—Oui,quoi?—Quoi?Ilsouritet,faceàsonplaisirmanifeste,ellesentitquelquechosesecontracterdélicieusementauplus
profonddesoncorps.—Isabel…Jepensequenousdevrionsnousmarier.Elleluirenditsonsourire.—Jesuisd’accord.—Parfait.Illarécompensad’unautrelongbaiser,avantdesaisirsesbraspourlesreleverau-dessusdesatête
etplacersesmainsautourducoudelastatue.Isabelsentitlemarbrefroiddeladéessecontresondosnu.Une fois qu’il l’eut placée à sa convenance, il reporta son attention sur sa poitrine. Elle retint ungémissementlorsqu’ilagaçadesesdentslapointedesonseingonflé,puisl’apaisad’unelangueexperte;elleenretintunautrequand,glissantsamainentresesjambes,ilrelevasesjupespouratteindrel’endroitquiappelaitsacaresse.
—Nouslecélébreronsbientôt?
Àcettequestion,Isabelrouvritlesyeux.Maistoutesonattentionseconcentraitsurleseffleurementsaffolantsdesesmains.Elleallaitmourirs’ilnelacaressaitpas!
—Oui…Bientôt.Ayantdénouéavecdextéritélescordonsdesaculottepourglisserunemainàl’intérieur,ill’invitaà
écarterunpeulesjambesetfrôladesesdoigtssonintimitébrûlante.—Bien.Parcequejenepensepasêtrecapabled’attendrebeaucouppluslongtemps…L’acquiescementd’Isabels’achevaensoupirlorsqu’ilglissaundoigtenelle.—Jesuissiheureuxquenoussoyonsd’accord.Cesmots, pourtant anodins, lui firent l’effet d’un feu liquide s’ajoutant à la caresse subtile qui la
privaitdetoutepenséecohérente.Ellelâchalastatuepours’accrocheràluiet,sansretirersamain,illasoulevaentresesbraspourl’emmenerjusqu’àlabanquettesurlaquelleilluiavaitdonnétantdeplaisir.Cettefois,aulieudes’yinstaller,ilfitasseoirIsabel,puiss’agenouilladevantelle.
L’intensitémêmedesondésirl’obligeaàrouvrirlesyeux.C’étaitlàcequiprovoquaitlapertedesfemmes.Elledevaitrésisteràcedésir,etàl’hommequileluiinspirait.
—Attendez…—Oui?dit-ilsansquesesdoigtscessentleurscaresseslangoureuses.—Je…Ilfautquevoussachiez…Jenepeuxpasvousaimer.—Non?Elle réprima un gémissement quand, avec son pouce, il dessina un cercle délicat autour du petit
boutondurqu’ellen’avaitdécouvertquelaveille.—Jecroiscependantquejepourraisvraimentm’attacheràvous.Ileutunrirerauque.—Jepensepouvoirdirelamêmechose.Desamainlibre, il remontases jupessurses jambes,puis ilécartacelles-ci,exposantsachair la
plusintimeàsonregard.—Qu’est-ceque…Non,arrêtez!protestaIsabel,choquée,enrefermantsescuissesetenessayantde
rabattresesjupes.—Isabel…Ils’inclinaversellepours’emparerdesabouche.Quandelles’amollitdenouveauentresesbras,il
déposaundernierbaiseraucoindeseslèvresavantdechuchoter:—Crois-moi,moncœur,tuvasbeaucoupm’aimer,aprèscela.Doucement,ilécartadenouveausesjambes.Quand,s’inclinant,ildéposaunbaiserhumideàl’intérieurdesongenou,puisremontalelongdesa
cuisse,Isabelsecouvrit lesyeux,embarrasséedesentirsabouchesiprèsdesonintimité.Puis il jouaaveclesbouclesquidissimulaientsonsexe,etcettecaresselégèresuffitàdéclencher,vagueaprèsvague,uneirrépressibletentation.
Finalement,quandelledécouvritsesyeux,ellelutunepromessesensuelledanssonregardbrûlant.—C’estcequej’attendais.Netecachejamaisdemoi,mabeauté.Ilécartaalorslesreplishumidesdesonsexepourlacaresserd’undoigt.Lasensationfutsiviveque
lepoulsd’Isabels’emballa.—Tuessibelle,ici.Jeveuxconnaîtrechaquecentimètredetoncorps…Ils’étaitpenchédavantage,etsonsoufflechaudsursapeau,accompagnantlapressionparfaitedeson
doigtsurlenoyausensible,arrachaungémissementàIsabel.—Sais-tuàquelpointj’aienviedetegoûter?Àcesmots,elleécarquillalesyeux.Ilnevoulaitsûrementpasdireque…
Etpourtant!Dèsqu’ilposa sabouche surelle, soncorpsne lui appartintplusmaisdevint entièrement le sien.
Avecuncriétouffé,elles’accrochaàsesbouclesbrunes.Sa bouche l’aimait de toutes les manières possibles, sa langue caressant son sexe humide, s’y
enfonçant,letaquinantetdessinantdescerclesqu’ellen’étaitpassûredepouvoirsupporter.Illuiécartadavantage les jambes, et elle leva les hanches pourmieux s’offrir à lui.De la pointe de la langue, ilcherchalepetitboutongonflé,délicieusementdouloureux,etluiimposaunesuccessiondecaressesquiluicoupalesouffle.
Elle l’attiraalorsàelle, incapablede renoncerauxsensationsextraordinairesquidéferlaientdanssoncorps.Ilaccéléralerythme,jusqu’aumomentoùellecriasonprénom.
Ils’interrompitsoudain,pendantunlongetinsupportablemoment.N’ytenantplus,ellesetorditsurlabanquette,mais,d’unemainferme,illamaintintimmobile,sansquesabouchenisalangue,appliquéescontreelle,nebougent.Ellecrutmourir.
—Nick…chuchota-t-elle.S’ilteplaît…S’ilteplaît,net’arrêtepas!Exauçantsaprière,ilfinitparrefermerseslèvresautourdupetitnoyaudurci.Ellen’étaitplusque
sensations.Finalement,ilintroduisitundoigt,puisunsecond,auplusprofondd’elle,laprojetantdeplusenplus
versceprécipiceinconnuqu’elleredoutaitetdésiraitàlafois.Ellevacillasurlebordavantdeculbuter,portéeparlesmainsdeNick,parsaboucheetparlerâle
satisfaitquigrondaitdanssagorge,etellefutsoulevéeparunevaguedeplaisircommeellen’enavaitjamais éprouvé.Elle eut l’impressionque lapièce tournait autourd’eux tandisqu’elle criait sonnom,accrochéeàsescheveuxcommeauseulélémentstabledansunmaelströmdesensations.
Elle retombasur labanquetteet,aprèsun longmoment,Nick releva la tête.Lorsque leursyeuxsecroisèrent,lessiensbrillaientdepassionetdeplaisir.Isabelprituneinspirationtremblanteenessayantderecouvrersonsang-froidtandisque,ayantrabaissésesjupes,ils’asseyaitàcôtéd’elle,déposaitunbaiserlégersursatempe,puisl’attiraitcontrelui.
Commeelle laissaitretomberdistraitementsamainsur lui, il lapritdanslasienneavecunhoquetétouffé.
—Oh…Jet’aifaitmal?—Pasdutout,répondit-ilavecunsourireencoin.J’aisimplementuneenviedésespéréedetoi.Quandellecomprit,Isabelsemorditlalèvre.—Veux-tu…Puis-jefairequelquechose?Ileutunlégerrireetpressasamain,qu’ilportaensuiteseslèvres.— Il n’y a rien au monde que je désirerais davantage. Mais ce n’est ni l’endroit ni le moment.
Cependant, je suis très heureux que tu aies accepté de m’épouser. Parce que j’ai bien l’intention derépondreaffirmativementàtaproposition,etleplustôtseralemieux.
Isabelrougit,embarrasséeparlamanièredontilsavaientabordélesujet.Ileutlabonnegrâcedeparaîtrecontrit.—Mademandeenmariagen’étaitpastrèsconvenable,n’est-cepas?—C’estvrai.Maisnousn’avonspasbesoindefairedecérémonies.Iln’yapersonneicipours’en
préoccuper.—Iln’empêchequejemerachèterai.Elledétournalesyeuxpourlesabaissersursesmains,croiséessursesgenoux.—J’aibienaimélamanièredonttul’asdéjàfait.
Il saisit alors son menton pour tourner son visage vers le sien et fouilla son regard, comme s’ilcherchait quelque chose. Ses yeux s’éclaircirent. Au baiser qu’il lui donna ensuite, doux et généreux,Isabelsongeaavecsatisfactionqu’elleavaitraisond’avoiracceptédel’épouser.Iln’étaitpasdifficiledebienl’aimer.Siseulementellepouvaitêtrecertainedenepastropl’aimer!
Uncoupfrappéàlaportel’empêchades’appesantirsurcettequestion.Isabelsautadelabanquette,lecœurbattant.Sionlesavaitinterrompusquelquesminutesplustôt…
Laportes’ouvrit,etelleentenditlavoixdeLara.—Isabel?Sacousinenelesaperçutpasimmédiatementcarilsétaientàl’extrémitédelasalle,dissimuléspar
lesgrandesstatues.AussiIsabeldit-elle,d’unevoixplusfortequ’iln’étaitnécessaire:—Jecroisvraimentqu’ils’agitd’Apollon,lordNicholas.Nickselevaet,lentement,contournaIsabelpourobserverlemarbreauquelellefaisaitallusion.—Jecrainsquevousnevoustrompiez,ladyIsabel.—Qu’est-cequivousfaitdirecela?répliqua-t-elle,plusattentiveauxpasprécipitésdeLaraqu’àla
statue.—Déjà,ils’agitd’unefemme,observa-t-ilavecironie.Isabeltournalatêtepourregarderlastatueenquestion.—Jeneparlaispasde celle-ci, évidemment.Maisde celle-là, là-bas, ajouta-t-elle avecungeste
vague,tandisqu’ilsouriaitd’unairentendu.DèsqueLarafutsuffisammentproche,Isabelcompritqu’unévénementgravevenaitdeseproduire.—Laquelledesfilles?interrogea-t-elleaussitôt.Laras’arrêtaets’efforçadereprendresonsouffle.—Georgiana.IsabelperçutlesoudainraidissementdeNick.Quandellesetournaverslui,ellefutsurpriseparla
brusquetransformationdesonvisage.—Queluiest-ilarrivé?—Elleadisparu,réponditLara.—Qu’allons-nousfaire?demandaNick,tournéversIsabel.Sielleenavaiteuletemps,elleauraitappréciésonusagedu«nous»–preuvesupplémentairequ’ils
allaientformerunebonneéquipe.Maisellesedirigeaitdéjàverslaporte,Larasurlestalons.—Nousallonslaretrouver.
16Leçonnumérosept
N’hésitezpasàmanifesterl’admirationmêléederespectqu’ilvousinspire.Rien ne plaît davantage à un lord que de se voir rappeler sa force, sonintelligenceetsonpouvoir.Feignezd’êtreignoranteetdetoutapprendredelui,etvotrelordseraàvous.Offrez-luiquelquesoccasionsdevousvenirenaide:sivousvousbrûlez leboutdesdoigtsen jouantàSnapDragon,permettez-luidesoignervosblessures;reconnaissezsasupérioritéauxcartesetautresjeuxdesociété;et,lorsquec’estpossible,louezl’étenduedesesconnaissancesetlafermetédesoncaractère.
PearlsandPelisses,juin1823
—Quiestladernièreàl’avoirvue?Àpeineeut-elleposécettequestionqu’Isabel,prenantdesmainslelargerouleaudepapierquelui
tendaitGwen,s’approchadelatablequioccupaitlecentredelacuisine.NickvitentrerRock,àl’autreboutdelapièce.Aprèsunéchangederegardsavecsonami,ilreporta
sonattentionsurlesautrespersonnesprésentes.C’étaitdonccela,MinervaHouse.Il y avait là deux douzaines de femmes environ, toutes vêtues en homme avec pantalon, chemise,
bottes et casquette qui dissimulait leur chevelure. Elles se levèrent à l’entrée d’Isabel comme s’ils’agissaitdeWellingtonenpersonne.Aveclecalmeetl’efficacitéd’unvieuxgénéral,celle-cidéroulalepapieraucentredelatableetlemaintintdépliéaumoyend’unpichet,d’unesalièreetdedeuxbolsenbois.S’étantapproché,Nickreconnutunplandudomaine,étalédevantIsabelcommeunplandebataille.Ilendéduisitquecen’étaitpaslapremièrefoisqu’unincidentdecegenreseproduisait.
—C’estmoi qui l’ai vue la dernière, déclara Jane. Elle se dirigeait vers la buanderie avec desvêtementsdeJames.
De nouveau, Nick croisa le regard de Rock. Celui-ci indiqua la porte de service d’un airinterrogateur.MaisNicksecoualatête.IlvoulaitvoirIsabelàl’œuvre.
—Quand?—Ilyaunedemi-heureenviron.Peut-êtrequaranteminutes.—Ensuite?—Megatrouvélesvêtementsentassurlechemin,continuaJane.—Quand?Incapabledegarderlesilence,Nicks’étaitavancé.Saquestionattirasurluil’attentiondetoutesles
femmes. Peut-être ne parviendrait-il pas à convaincre Isabel de lui faire confiance,mais, bon sang, il
pouvaitl’aideràretrouvercettefille!Laquelleavaitvraisemblablementétéenlevéeàcausedelui…LadénomméeMegjugeabond’interrogerIsabelduregardavantderépondreàlaquestiondeNick.
Elleattenditquelamaîtressedeslieuxaitacquiescéavantdedire:—Iln’yapasvingtminutes,monsieur.—Oùsontlesvêtementsmaintenant?—Surcetabouret.J’espèrequej’aibienfaitdelesrapporter,Isabel?—Tuastrèsbienfait,assuraIsabel.Elles’approchadesvêtementsetlespalpal’unaprèsl’autre.—Ilssontàpeinehumides,dit-elleensetournantversNick.Ilneputqu’admirersaperspicacité.Elleavaittoutdesuitecomprislesous-entendudesesquestions.
Avec la quantité de pluie qui était tombée ces derniers jours, les étoffes se seraient rapidementimprégnéesdel’eaudusol.
—Ellen’estpasloin.—Jepensequ’ildoityavoirvingt-cinqminutes,trentetoutauplus,qu’elleestpartie,déclaraIsabel
enreportantsonregardsurlacarte.Ilsontdûveniràpied,sinonKateauraitvuleschevaux…Auregardinterrogateurqu’ellejetaàcelle-ci,laresponsabled’écuriesecoualatête.—Ilsn’irontpasloinavecelleenpleinjour,intervintNick.Ilsrisqueraientdesefairerepérer.—Cequisignifiequ’elleestprobablementcachéesurledomaine,repritIsabelaprèsavoiropiné.Nickpoussaunlentsoupir.Elleplaçaitsaconfianceenlui.Encela,ellecommettaituneerreur,lui
soufflaunepetitevoixqu’ilrepoussaaussitôt.—Notreconnaissancedeslieuxvanousfaciliterlatâche.Kate,MegetRegina,vousallezfouiller
lesbosquetsquise trouventdans laprairieest. Jane,Caroline,Frannie,vous irez jusqu’aux terresdesMarburyenpassantparlaclôtureouest…N’oubliezpasdefouillerlesappentisoùMarburyadûlaisserdufoinàsécher.
Elleformaplusieursautresgroupes,auxquelselleassignadifférenteszonesdudomaineenles leurindiquant sur lacarte.Aprèsavoirouvertunpetitplacard, la cuisinièreen tirades trompesdechassequ’elledistribuaàchacundesgroupes.
—Sijamaisvousvoyezquelquechosed’insolite,sonnezl’alarme,indiquaIsabel.Nefaitesriensanslesautres.Commed’habitude,Gwenresteici.Sivousavezbesoindequoiquecesoit,adressez-vousàelle.
Lorsqu’ellerelevalesyeux,Nicks’émerveilladelamanièredontlesautresseredressèrent,latêtehauteetledosdroit,commen’importequelssoldatssoucieuxd’impressionnerleursupérieur.Cettepetitearméeétaitvisiblementprêteàsuivrelesordresd’Isabelsanssourciller.
Etilsesurpritàêtredisposéàleuremboîterlepas.—Laraetmoiallonsfouillerlazoneentrelamaisonetlagrand-route.Desquestions?—LadyIsabel…J’aimeraisvoirl’endroitoùGeorgianaaétéenlevée.—Nousn’avonspasletemps,répliqua-t-elle.Ilavaitbienconsciencedurisquequ’ilcouraitenl’interrogeantdevantlesfilles,maisilsavaitaussi
qu’il pouvait accélérer les recherches. Il devait le lui prouver, quitte à s’exposer, en retour, à sesquestions.
—J’aiapprisàsuivreunepiste…Par-dessus l’épaule d’Isabel, il vit Rock hausser les sourcils avec surprise. Quant à Isabel, elle
l’observalonguement,avantd’inclinerlatête.
—Jevaisvousyconduire.MonsieurDurukhan,celanevousennuiepasdemeremplacerauprèsdeLara?
—Non,biensûr.—Parfait.Àprésent,ajouta-t-elleàl’intentiondesautres,faitesvite,prenezgardeàvousetsoyezde
retouravantlatombéedelanuit.Toutesquittèrentlacuisineenbonordre,commeunbataillonbienentraîné.Pendantqu’Isabeldonnait
sesderniersordresàGwen,NickrejoignitRock.—Ilsnesesontcertainementpasdirigésverslaroute,ditcedernierenluidonnantlepistoletqu’il
venaitdetirerdesaceinture.—Non.LeregarddeRocks’assombrit.—Luidiras-tupourquelleraisontuesici?—Passijepeuxl’éviter.—Jeneseraipasloinderrièretoi,secontentadediresonami.Ilsseserrèrentlamain,etNickrevintversIsabel.—Situasterminé,allons-y.Àl’endroitoùGeorgianaavaitétéenlevée,nonloindelamaison,ilstrouvèrentunevestesaleque
Meg,danssahâteàdonnerl’alerte,n’avaitpasramassée.Nickobservalesempreinteslaisséesdanslaboueduchemin.
—Tuvoisquelquechose?finitpardemanderIsabel.—Ilssontdeux.Etelles’estapparemmentdébattue.Ilserelevaaprèsavoirjuréentresesdentsetdésignaunbosquetsituéassezloinverslesud.—Ya-t-ilunabriquelconqueparlà?—Unecabanedebûcheronabandonnée.Jamesaimebienalleryjouer.— C’est dans cette direction qu’ils sont allés. Ils vont vouloir attendre que la nuit tombe pour
voyagerplusdiscrètement…Ya-t-ilunechancequejepuisseteconvaincred’attendreiciavecGwen?ajouta-t-ilaprèsunsilence.
MaisIsabels’éloignaitdéjààgrandesenjambées.—Aucune.Commentas-tuapprisàsuivreunepiste?—Lorsquejemesuisrendusurlecontinent,laguerresévissait.Ilsmarchèrentunlongmomentensilence.Quandelles’aperçutqu’ilrépugnaitàendiredavantage,
elleinsista:—C’esttout?Ilyavaitlaguerre?—Quepourrait-ilyavoirdeplus?—Quit’aformé?—UnmembretrèsintelligentduBureaudelaguerrebritannique.—Maistun’étaispassoldat?—Non,réponditNick.Combiendefoisas-tuorganisécegenred’opérationderecherche?demanda-
t-il,désireuxdes’écarterdecesujetdangereux.—Plusieursfois,répondit-elleavecunhaussementd’épaules,toutenaccélérantl’allure.—C’est-à-dire?—Jenem’ensouvienspas.—Faisuneffort.Unefois?Cinquante?—Plusd’unefois.Etmoinsdecinquante.Cettefemmeexcellaitdécidémentàmettresapatienceàl’épreuve!
—Ettesrecherchesont-ellesétécouronnéesdesuccès?—Leplussouvent.—Mêmemaintenant,alorsquenousallonsnousmarieretquejet’apportemonaidepourretrouver
cettefille,tunemefaispasconfiance.Ceenquoiellenemanquaitpasdeperspicacité.Maisilforçacettepetitevoixintimeàsetaire.—Cen’estpasça…—Quoi,alors?QuiestcetteGeorgiana,pourqu’onprennelapeined’organisersonenlèvement?
insistaNickcommeellegardaitlesilence.—Jenepeuxpasteledire.—Jecommenceàmelasserdecetteréponse.—Ilnem’appartientpasdedivulguercetteinformation.—Quepeux-tumeconfier,alors?Sansralentir lepas,elletournauninstantlatêteverslui,puisreportasonregardsurlesarbresau
loin.—Cequejepeuxtedire,c’estqu’elleestplusqu’unesimplegouvernante.Maistulesaisdéjà…Et,
aussi,qu’elleappartientàunegrandefamilleetquecelle-ciferatoutpourlarécupérer.Jesavais,lorsquejel’aiaccueillieàMinervaHouse,quecejourviendraittôtoutard.
—Danscecas,pourquoil’avoirrecueillie?—Jen’aijamaisrenvoyéunefille,répondit-elleàvoixbasse.Jen’allaispascommenceravecelle.Nickselaissadistancerdequelquespasetobservasasilhouetteélancéetandisqu’ellefoulaitlesol
àgrandspas.Elles’étaitchangéeavantdeserendredans lacuisineetportaitàprésentdesvêtementsd’homme. En pantalon, avait-elle argué, elle était plus libre de ses mouvements. Il ne put retenir unsourireadmiratif.Jamaisilnel’avaittrouvéeaussibelle.
Cenefutqu’auboutd’unmomentqu’ilcompritpourquoi.Iln’yavaitriend’hésitantdansl’attituded’Isabel–rienquiindiquâtdelanervositéoudel’incertitude.Ellesedéplaçaitavecunegrâcesûreettranquille,prêteàaffrontercequiseprésenterait.
C’étaitcemélangedeforceetdevulnérabilitéquil’attiraitsiirrésistiblement.Cettefemme,dontiln’avaitjamaisconnud’égale,n’hésitaitpasàgrimpersurletoitd’unmanoirouàarpenterlacampagneduYorkshireàlapoursuitedekidnappeurs,ettrouvaitnéanmoinsletempsdedouterdesesactesetdeseremettreencause.
Quoid’étonnant à cequ’il souhaite épouserune créature aussi remarquable ?Malheureusement, ilaurait dumal à la convaincre du bien-fondé de cemariage, si jamais elle découvrait la raison de saprésencedansleYorkshire.
Ilsavaientàprésentatteintlebosquetd’arbres,etilapercevaitlacabaneàquelquesdizainesdepas.Ilsaisitlebrasd’Isabelpourl’empêcherd’allerplusloin.
—J’aimeraisqueturestesicietquetumelaissesyallerseul.Commeellesecouaitlatêteetouvraitlabouchepourprotester,illevalamain.—Ets’ilsontdesarmes…queferas-tu?—J’aidéjàaffrontédeshommesarmés.Unevaguedecolèreinattenduelesubmergea.—Jen’aijamaisentenduunetelle…As-tuaumoinsunmoyendetedéfendre?—Non.Letempsdeprendrenotequ’ildevaitluiapprendreàtireraupistolet,ilrétorqua:—Alors?Qu’as-tul’intentiondefaire?Lesexaspérerjusqu’àcequ’ilsterendentGeorgiana?Ça
peutmarcheravecmoi…maisj’imaginequenousavonsaffaireàdesprofessionnels.
Elleluijetaunregardagacé.—Engénéral,ilsuffitquejementionnelecomte,etilsprennentleursjambesàleurcou.—Tuplaisantes?—Non,répondit-elleendétournantnéanmoinsleregard.—Isabel…D’aprèslepeuquetum’asditdeGeorgiana,crois-tuvraimentquelesgenschargésdela
retrouveraurontpeurdetonfrère?Commeellenerépondaitpas,illapoussadoucementderrièreungrostroncd’arbre.—Jevoisquetum’ascompris.Turesterasici.Nebougepasjusqu’àcequejeviennetechercher.—Ets’ilt’arrivequelquechose?Nicksoupira.Cettefemmeavait-elleunefoiquelconqueenlui?—Si je ne suis pas de retour dans dixminutes, utilise cettemaudite trompe. Et fais accourir tes
amazones.—Ellesressemblentvraimentàdesamazones,n’est-cepas?demanda-t-elleavecunsourirefugitif.Lui-mêmeneputretenirunsourireencoin.—Jesuisheureuxd’êtrecapabledet’amuser.Iltiralepistoletdesaceinture,s’assuraqu’ilétaitchargé,puistournalestalons.Maisellelerappela
d’unchuchotement.—Nick!—Oui?—Je…Soisprudent.Endeuxpas, il larejoignitetrefermasonbrasautourdesesépaulespour l’attirerà lui.Lebaiser
rapide,maisappuyé,qu’il luidonna leur rappela leplaisirqu’ilsavaient trouvédans lesbras l’undel’autre.
—Ilesthorsdequestionquejenereviennepas,déclara-t-ilensuite.Nousavonslaisséuneaffaireinachevée,toutàl’heure.
Ellerougitetdétournalesyeux.—Va.Dèsqu’ilsefutapprochédelacabane,ileutlaconfirmationquedeuxhommesdétenaientGeorgiana
à l’intérieur. Il entendait la jeune femme se débattre et pousser des cris furieux, inarticulés,malgré lebâillonqui,sansaucundoute,étaitcensé laréduireausilence.Elleobservait lapremièrerègleencasd’enlèvement : semanifester et se rendre insupportable. Elle savait que la prime serait d’autant plusélevéequ’ellen’auraitpasétérudoyée,etellen’hésitaitpasàenjouer.
Nickfutpresqueamusédevoir,parlafenêtre,l’undesesravisseurssefrotterlestempes.—Hé, lafille, fit l’autreavecunlourdaccentcockney,vousallezréussirqu’àvousfairemal.On
vousramènerapaslà-bas.Onvousramèneàlamaison.Nicks’attendaitàtombersurcegenred’individu.IlallaitdevoircasserlafigureàLeightonpourne
pasluiavoirfaitconfiance.Lesparolesdesonravisseurnefirentqu’exaspérerleseffortsdeGeorgiana,quisemitàmartelerde
sespiedsleplancherpourridelavieillecabane.Lesdeuxhommesneferaientsansdoutepasbeaucoupdedifficultéspoursedébarrasserd’uneprise
aussipeuaccommodante.Ilsuffiraitd’ymettreleprix.—Quesepasse-t-il?Ilauraitdûsavoirqu’Isabel lesuivrait !Sonchuchotement,contresonépaule, le renditnéanmoins
furieux.—Quet’ai-jedemandé?
—Je…—Non,Isabel.Quet’ai-jedemandé?—Jenesuispasuneenfant.—Vraiment?Pourtant,tusemblesavoirdumalàrespecterlesconsignes.—Tuesinjuste!Tunepensaisquandmêmepasquejetelaisseraisintervenirsansmonaide?—T’est-ilvenuàl’espritquejem’inquiéteraispourtoietquecelarendraitleschosesencoreplus
difficiles?—Maispourquoit’inquiéterais-tupourmoi?demanda-t-elleenécarquillantdesyeuxsurpris.Jesuis
parfaitementcapabledemedébrouillerseule.—Decetteconversationaussi,jesuisfatigué.Resteicis’illefaut.Maisessaiedeteteniràl’écart,
veux-tu?—Quevas-tufaire?chuchota-t-ellequandilcommençaàcontournerlacabanepourgagnerlaporte.Mais,au lieude lui répondre, il frappa troiscoupsaupanneaudebois. Ilétait tempsdemettreun
terme à cette situation ridicule.Avec, comme conséquence presque inévitable, de déchaîner la colèred’Isabelcontrelui.
—Ouvrezcetteporte,messieurs.Jeveuxlafilleetjenepartiraipassanselle.Alors,autantavoirunepetitediscussion.
Seullesilenceluirépondit.Quandilseretourna,ildécouvritIsabelàquelquespasdelui,bouchebéedestupeur.
—J’aioptépouruneapprochedirecte…—C’estcequejevois.Àpeineeut-elleprononcécesmotsqu’ellelaissaéchapperuncriétouffé.Laportes’étaitouverte,et
unpersonnagedéplaisant,coifféd’unbonnetdelaine,tenaitNickenjoue.—Jenepensepasquenousayonsbesoinderecourirauxarmes,ditcelui-ciaprèsuninstant.L’hommequis’abritaitderrièreBonnet-de-lainesourit,dévoilantquelqueschicotsjaunis.—Ondiraitqu’si,m’sieur,fit-ilendésignantlepistoletdeNick.—Remarquepertinente,reconnutNickaprèsavoirbrièvementbaissélesyeux.Ehbien,nousallons
essayerdenousentendresansfairecoulerlesang,d’accord?L’hommehaussauneépaule,cequeNickinterprétacommeunsignefavorable.—Combienvouspaie-t-il?—Jesaispasdequoiqu’vousparlez.—Allons,nivousnimoinesommesstupides.Combienvousaoffert leducdeLeightonpourque
vousluirameniezsasœur?Ilentenditl’exclamationd’Isabelderrièreluiets’ordonnadel’ignorer.—Centlivres,réponditBonnet-de-laine,quiéchangeaensuiteunregardavecChicots.Chacun.—Celasignifie,jesuppose,qu’ilvousapromiscentlivrespourvousdeux.Maisjenesuispasdu
genreàergoter.Jesuisprêtàvousdonnerdeuxcentslivresàchacun,etsur-le-champ,sivousmelaissezlafilleetportezunmessageàLeighton.
Lesdeuxhommesseregardèrent,jetèrentuncoupd’œilendirectiondeGeorgiana,puisreportèrentleurattentionsurNick.
—Quelmessage?—Dites-luiqu’elleestavecSt.John.—C’esttout?—C’esttout.L’hommerestasongeuruninstant.Puisilfitungesteavecsonpistolet.
—Lespicaillons?—Rock?appelaNicksansmêmesetournerverslaporte.Unbruitdepasrapidessefitentendre,etRockapparutàsoncôtéquelquessecondesplustard.—Jesuislà.—Débarrassecesmessieursdeleursarmesetescorte-lesjusqu’àlalimitedelapropriété.Unefois
là,donne-leurleurargent,etqu’ilss’enaillent.Lesdeuxhommesécarquillèrentlesyeuxdevantlastaturedunouveauvenu.QuandBonnet-de-laine
plaçasonpistoletdansl’énormepaumedeRock,celui-cisourit.—Cefutunplaisir.Nickattrapaalorslepetithommeparsesvêtements–cefuttoutjustes’ilnelesoulevapasdeterre.—Écoute-moibien…Situremetslespiedsici,jeferaiusagedemonpistolet.Etjesuisunexcellent
tireur.—Compris.Nicklelâchaaussitôtpourallers’agenouillerauprèsdeGeorgiana.Illadébarrassad’aborddeson
bâillon,puisils’attaquaauxcordesquiluiliaientlesmains.—Merci,dit-elle.—Vousdevriezvousmontrerplusprudente,ladyGeorgiana.Ellerougit.—Ilyalongtempsquevouslesavez?Nickenvisageadementir.Maisils’abstint.—Avantmêmemonarrivée.—Vous êtes venupourmoi ?C’estSimonqui vous a envoyé ? ajouta-t-elle quandNickgarda le
silence.—Ilétaittrèsinquiet.Devant les larmes qui embuèrent aussitôt les yeux de la jeune femme, Nick comprit qu’elle ne
craignait pas son frère. Il lui manquait, et son foyer aussi. C’était un sentiment que lui-même necomprenaitquetropbien.
—Ilsetrouvequej’aiunesœur,moiaussi.Jen’aimeraispaslaperdre.—Allez-vous…Devez-vousmeramener?demanda-t-elleavec,cettefois,delapeurdanslavoix.Ladernièrecordedénouée,Nickaidalajeunefilleàseremettresursespieds.—Non.Votrefrèrem’ademandédevousretrouver,pasdevousramener.—Merci,dit-elledenouveau,toutenfrottantsespoignetsécorchés.—Voussavezquevousnepourrezpasvouscacherdeluiindéfiniment,n’est-cepas?—Pasplusquevousnepourrezvouscacherd’Isabel,répliqua-t-elleaprèsavoirhochélatête.Nickneputretenirunegrimace.—Jenecroispasêtredanssesbonnesgrâces,encetinstant.—Vousnevoustrompezpas.Suivantsonregard,ilseretourna.Isabelsetenaitsurleseuildelacabane.Rocketlesdeuxhommes
avaientdisparu,etilregrettafugitivementdenepasêtrepartiaveceux.Car iln’aimaitpasdu toutcequ’il lisaitdans lesyeuxd’Isabel : l’accusationd’avoircommisune
trahisondelapireespèce.
17Leçonnumérohuit
Apprenezàaimersesimperfections.Vous trouverezpeut-être la chosedifficileà croire,nous le savons,maismêmeleslordslesplusrecommandablesonttoujoursundéfautoudeux.Peut-êtrerit-il un peu trop bruyamment ou sa vuemanque-t-elle d’acuité…Peut-être a-t-iluneboucledecheveuxdélicieusementrebelleàtoutetentativededomptage…Embrassez ces défauts, chère lectrice ! Car c’est dans ces peccadilles que setrouventlecharmeetlajoied’uneunionréussie!Cesleçons,appliquéesàbonescient,vousassurerontd’êtreadoréemalgrévospropresimperfections.Nedevez-vouspasàvotrelorduneindulgencesemblable?
PearlsandPelisses,juin1823
Illuiavaitmenti.Isabel se tenait debout devant la fenêtre, dans la pénombre de sa chambre. Le ciel s’embrasa au
moment où disparaissaient les derniers rayons du soleil, puis il devint peu à peu d’un bleu d’encreprofond.
Ilyavaitdesheuresqu’ellefixait,sansrienvoir,cequirestaitdudomainedeTownsendPark.Uneseuleetuniquepenséetournoyaitdanssonesprit:Nickluiavaitmenti.
Elleauraitdûs’endouter,biensûr.Elleauraitdûdevinerqu’iln’étaitpasceluiqu’ilprétendaitêtre,mais,aucontraire,celuiquiporteraitlecoupfatalàMinervaHouse.
Il lui avait demandé de lui faire confiance, et il s’étaitmontré si convaincant, si attachant qu’elleavait fini par croire qu’il allait effectivement les protéger, les filles et elle. Quelle erreur elle avaitcommise!
Ilétaitleurennemidepuisledébut.IlétaitvenulànonseulementpourretrouverlasœurduducdeLeighton,maisaussipourdécouvrirlessecretsdeMinervaHouseafindelestrahirensuite.
Àcettefin,ils’étaitservid’elle,etdelapiremanièrequisoit.Pourretenirleslarmesquimenaçaient,ellefermalespaupièresavecforce.Ellen’allaitpaspleurer
sur cet hommequ’elle n’avait connu que quatre jours ! Jamais elle n’aurait dû l’introduire àMinervaHouseetluipermettredes’immiscerdanssonexistence.
Elle s’était laissé convaincre par ses belles paroles et séduire par la promesse de ses caresses.Exactementcommesamère.
Lesfillesneleluipardonneraientjamais.Maiselleétaitlapremièreàs’accuser.Elle appuya la tête contre la fenêtre, consciente du froid de la vitre contre son front, tout en
s’appliquantàrespirerprofondémentetens’exhortantàcesserdepenseràlui.
Mieuxvalaitqu’elleréfléchisseàlamanièredontelleallaitsauversesprotégées,àprésentqueleurssecrets étaient découverts et que Londres, voire toute l’Angleterre, ne tarderait pas à apprendrel’existencedeMinervaHouse.
Curieusement,cettecrainten’étaitriencomparéeàladouleurdelatrahisondeNick.Toutceàquoielles’étaitautoriséeàcroire…n’auraitjamaislieu.
Uncoupfrappéàlaportedesachambreempêchaleslarmesdemonterdenouveau.Plusieursfois,danslesheuresquiavaientprécédé,ellen’avaitpasrépondulorsqu’onavaitfrappé.
Maisellenesupportaitplusd’êtreseule.—Entrez.Quandlaportes’ouvritlentement,IsabelfutsurprisedereconnaîtreGeorgiana,dontlesbougiesdu
couloir illuminaient les boucles blondes. Il fallut unmoment à la jeune fille pour distinguer Isabel àl’extrémitédelapièce.
—Jesuisdésoléedevousdéranger…commença-t-elleaprèss’êtreapprochéeavechésitation.Isabelneputretenirunpetitrireamer.—Sil’unedenousdoits’excuser,Georgiana,jevousassurequec’estmoi.—Pourquoicela?demandalajeunefille,visiblementsurprise.—J’aiamenécethommejusqu’àvous.—Enaucuncas,ladyIsabel,déclaraGeorgianaavecfermeté.—Vraiment?VouspensezquelordNicholasauraittrouvésoncheminjusqu’icisijenel’avaispas
invitéàTownsendPark?Vouscroyezqu’ilvousauraitdécouvertesijen’avaispasétéassezfollepourluifaireconfiance?
—Oui.Vousneconnaissezpasmonfrère,poursuivitlajeunefemmequandIsabeldétournalesyeux.C’est lapersonne laplus impérieuseet laplusautoritaireque j’aie jamais rencontrée,et iln’a jamaisessuyé un refus de toute son existence. C’est le onzième duc de Leighton. Savez-vous jusqu’où doitremonterunarbregénéalogiquepourproduireonzeducs?Tousplusarrogantslesunsquelesautres?
Georgianasecoualatêteavantdecontinuer:—Simonauraitremuécieletterrepourmeretrouver.Entoutehonnêteté,jesuissurprisequenous
n’ayonseuaffairequ’à lordNicholaset àdeux ravisseurs idiots. Jeme serais attenduequemon frèreforceleroiGeorgeàenvoyersagardepersonnelle.Cen’estpasvousquiavezconduitlordNicholasàmoi,maismoiquil’aiconduitàvous.Jevousprésentedoncmesexcuses.
Isabel se laissa tomber sur la banquette, dans l’embrasure de la fenêtre. D’un geste, elle invitaGeorgianaàs’asseoiràcôtéd’elle.
—Jesuisdésoléequevousayezunfrèreaussiinsupportable,finit-ellepardire.MaisGeorgianasourit.—Nesoyezpasdésolée.Jen’aijamaisdoutédel’amourdeSimonpourmoi.Ilestpeut-êtrearrogant
etdominateur,maisilprotègelessiens.—Danscecas,pourquoi…—Monhistoireneserésumepasàunefugue.Jevoudraisvousenparler.Jepensequejevousle
dois,aprèscequiestarrivé.—J’aimeraisl’entendre,ditIsabel,malgrélapetitevoixquicontinuaitàluisoufflerquetoutétaitde
safaute.—Jesuis…Georgianas’interrompitetsetournaverslafenêtre.Isabelsavaitqu’ellenepouvaitrienvoir,hormis
sonproprerefletdanslavitre.
—Jesuis tombéeamoureuse.Peu importedequi.J’aicommisune terribleerreurencroyantqu’ilm’aimaitenretour.
Lajeunefillebaissalesyeuxsursesmains,quitrituraientletissudesarobe.Quandellerepritsonrécit,cefutdansunchuchotement.
—Maiscen’étaitpaslecas.Jesupposequecelavautmieux…Simonn’auraitjamaisautorisénotremariage.Ilestparti,sansunmot.J’étaisanéantie.Etpuis…
Quandelles’interrompitdenouveau,écraséepar lepoidsdesessouvenirs, Isabelsepenchapourprendresamaindanslasienne.
—Vousn’avezpasbesoindemeledire.—Illefaut.Jeveuxquequelqu’unm’entendeledire,murmuraGeorgiana.Isabelgardalesilence,sachantcequiallaitsuivre.—J’ai découvert que j’attendais un enfant. Je nepouvais pas le dire àSimon et lui infliger cette
terribledéception.Plusieurssemainesauparavant,mafemmedechambrem’avait rapportéunehistoirequ’elle avait entendue au sujet d’une maison dans le Yorkshire. Un endroit où les jeunes femmespouvaientprendreunnouveaudépart.EtquiétaitdirigéparladyIsabel.Alors,ajouta-t-elleavecunpetitsouriretremblant,jesuisvenueici.
Ellerelevalesyeux.Sonregardétaitclair,innocent…presqueceluid’uneenfant.—JesavaisqueSimonlanceraitdesrecherches.Jenepensaispasqu’ilmeretrouveraitaussivite.—Moi aussi, je savais qu’il vous ferait rechercher.Cela ne change rien au fait que vous êtes la
bienvenuesouscetoit…oucequ’ilenreste.VousêtessousmaprotectionetsouslaprotectionducomtedeReddich.
—J’admireénormément lecomte, Isabel,mais jenepensepasqu’il soitde tailleàaffrontermonfrère.
—Balivernes.Ilestmanifestequesagouvernanteoccupeuneplacespécialedanslecœurdemonfrère.Jepensequ’ilseraitheureuxdelivrerbataillepourvous.
— Je l’aime beaucoup, vous savez, déclara la jeune fille, dont le sourire s’élargit. Et, quoi qu’ilarrive,jeseraitoujoursfièrederaconterquej’aienseignélelatinaujeunecomtedeReddich.
Lesourired’Isabels’évanouitlorsqueGeorgianaajouta:—Ilyaautrechose.AusujetdelordNicholas.—Jevaisluidemanderdequitterleslieuximmédiatement.—Jenepensepasquecesoitunebonneidée.—Jevousdemandepardon?ditIsabel,aprèsêtrerestéeuninstantbouchebée.—C’estunhommebon,Isabel.Jel’aientendudirependantdesannéesparmonfrèreetparsesamis,
quiparlaientdeSt.Johncommed’unhéros…Jel’aientendudireparlesfemmesdelabonnesociété,quiselanguissaientdeluitandisqu’ilétaitsurlecontinent…Et,aussi,parcellesquiontadmirésonattitudelorsquesademi-sœurestarrivéeenAngleterreetqu’ill’adéfenduecontrelaperfidiedubeaumonde…Mais,mêmesijen’avaispasentendutoutcela,jel’auraisdevinéaujourd’hui.Alorsqu’ilauraitpumeremettreàmonfrère,ilm’apermisderevenirici,auprèsdevous.
Lecœurd’Isabelseserra tantcettedescriptionressemblaitàcequ’ellecroyaitsavoirdeNick.Etpeut-être était-il effectivement loyal envers ses amis, présent auprès de sa sœur, et d’un charmeirrésistibleauxyeuxdesfemmesévaporéesdelahautesociété,quinevoyaientenluiquesabeautéetsafortune.
Auprixd’ungroseffort,elleravalaleslarmesquiluipicotaientlesyeux.—Vous vous trompez, dit-elle. Il doit s’agir d’un autre St. John. Car celui que je connais est un
scélératquiadélibérémentabusédenotreconfiance.
—Àmesyeux,ilasurtoutvoulurendreserviceàmonfrère,enami.—Peuimporte,répliquaIsabel.Ilafaittoutcequ’ilpouvaitpourserapprocherdemoi…pourvous
retrouveretpourrévélervotrecachette.Jecrainsqu’iln’yaitrienenluiquiévoque,deprèsoudeloin,lenobleSt.Johnquevousdécrivez.
—Jesuisdésoléquevouspensiezcela,fitalorsunevoixmasculine,familière,depuisleseuildelachambre.
Georgiana n’avait pas refermé la porte, et le souffle d’Isabel se bloqua dans sa gorge lorsqu’elleaperçutlahauteetsombresilhouettedeNickquisedétachaitsurlerectangledelumière.
En le voyant, elle fut submergée par un torrent d’émotions : colère d’avoir été trahie, méfiance,tristesseet,deloinleplusinsupportable,désirmêléderegret.
Ellesecuirassacontre lechaosdesespenséesets’efforçades’exprimeraveclafroideurrequiseparlescirconstances.
—Jedoismetromper…Iln’estpaspossiblequevoussoyezencorechezmoiaprèscequevousavezfait.
Ellenedistinguaitpassonvisage,maisellelevitseraidir.L’airsemblaseraréfierdanslachambre.—Jesuisvenuvousparler.—Lachoseseradifficile,carmoi,jenevoispasl’intérêtdevousparler.Commeilavançaitd’unpasdanslachambre,elleajouta:—Ilnevousapassuffidemetrahir, ilfautaussiquevousmefassiezoffense.Veuillezquitterma
chambreimmédiatement.Iltournaalorslégèrementlatêtepours’adresseràsacompagne.—LadyGeorgiana, je vous serais reconnaissant de bien vouloir nous laisser. Lady Isabel etmoi
avonsànousentretenir.Seuls.Georgianaseredressaavectoutelahauteurquicaractérisaitunejeunefemmedenaissanceillustre.—Celam’estimpossible,monsieur.—JevousdonnemaparolequejenecauseraiaucuntortàladyIsabel.Isabellaissaéchapperunrirebrefetamer.—EtDieusaitquevotreparoleadupoids,danscettemaison.— Je comprends que vous soyez en colère.Mais j’aimerais que vousme donniez une chance de
m’expliquer.LadyGeorgiana,ajouta-t-ilensetournantdenouveauverscettedernière,jevousassurequeladyIsabelestensécuritéavecmoi.Nousallonsnousmarier.
LastupéfactionmanifestedeGeorgianadécuplal’exaspérationd’Isabel.Commentosait-il?—Certainementpas,protesta-t-elle.L’espaced’uninstant,elleregrettadenepasvoirsonvisage.Danslapénombre,Nickluiparaissait
plusdangereuxetplustroublantquejamais.Surtoutlorsqu’ildéclara,d’unevoixbasseetsourde:—Vousavezditquevousm’épouseriez,Isabel.J’attendsdevousquevoushonoriezcettepromesse.—Etvousavezditquejepouvaisvousfaireconfiance,Nicholas.Qu’enest-ildecettepromesse?Unsilencetendus’installaentreeux.Nil’unnil’autrenesemblaitdésireuxdelerompre,aprèsun
échangeaussilourddedéfis.CefutNickquicéda,pourplaiderdenouveausacauseauprèsdeGeorgiana.—LadyGeorgiana,nevousai-jepasassuréquejevousdéfendraiscontrevotrefrère?—Si.—Etnevousai-jepasdonnémaparole–pourcequ’ellevautdésormais–,précisa-t-ilavecunlong
regardversIsabel,quejenevousobligeraispasàretournerchezvous?—C’estvrai.
—Jevousenprie,prenezcelaencompte.Georgiana resta songeuse un long moment, regardant tour à tour Isabel et Nick. Finalement, elle
déclara:—Jevousaccordeunquartd’heure,monsieur.Pasplus.—Traîtresse!lançaaussitôtIsabel.— Il s’agit de quinzeminutes, Isabel. Vous pouvez sûrement les lui accorder. Je resterai dans le
couloir.Unefoissortie,Georgianatiralaportemaisnelarefermapascomplètement.Peudésireusederester
dans l’obscurité avec Nick, passé si abruptement d’allié à ennemi, Isabel se leva pour allumer desbougiesqu’elledisposaunpeupartoutdanslachambre.
Elleleregrettadèsqu’elleeutreportésonregardsurlui.Ils’étaitchangéetportaitàprésentungiletetuneredingotequisoulignaientsaprestancenaturelle.Remarquantlaperfectiondesonnœuddecravate,ellefutdistraiteunefractiondesecondeparlesouvenirdesacomplicitéavecJames.
Sarancœurflambaalorsdeplusbelle.Ilavaitmêmeréussiàconquérirsonfrère!—Jen’airienàvousdire,déclara-t-elleencroisantlesbraspourréprimerlefrissonqu’avaitfait
naîtrecettepensée.—Oui,tut’esmontréeassezclairesurcepoint,Isabel.Il se tenait immobile, parfaitement impassible.Elle ne l’avait jamais vu ainsi, simaître de soi.À
croirequ’il s’agissaitd’unhommedifférentdeceluiqu’elleavait étéamenéeàconnaîtrecesderniersjours.
Jusqu’oùallaientsesmensonges?Elledétournalesyeux,decraintequ’ilnedevineàquelpointsatrahisonl’avaitblessée.
—Isabel…reprit-ild’unevoixpluschaude.Permets-moidem’expliquer.Jesaisquelesapparencessontcontremoi.
—Cequiapparaît,c’estquevousétiezànotrerecherchedèsledébut.—Jen’étaisàlarecherchequedeGeorgiana.—Georgianaestl’uned’entrenous!— Georgiana est la sœur du duc de Leighton. Pensais-tu vraiment que tu pourrais la cacher
indéfiniment?—Non!Je…jenem’attendaissimplementpasquecesoitvousquiveniezàsarecherche.—Jesuisrarementcequelesgensattendent.—Oui, je commence àm’en rendre compte, rétorqua Isabel avec ressentiment.C’estma faute. Je
n’auraisjamaisdûvousdemanderdevenirévaluerlesstatues.—Siçan’avaitpasétélesstatues,ç’auraitétéautrechosequim’auraitamenéici.—Peut-êtrepas.—Isabel…Jesuistrèsbon,dansmondomaine.— Et quel est-il, ce domaine ? À mes yeux, vous êtes très bon pour convaincre les femmes de
vousrévélerleurssecrets,avecvotresourirecharmeur,vosjolismensongesetvosdemandesenmariage–unemanièreparticulièrementimpressionnantedegagnermaconfiance,aupassage.Et,ensuite,trèsbonpourlestrahirunefoisvotrebutatteint.
—Iln’yapaseudemensonge.Toutétaitvrai.Ils’étaitexpriméd’unevoixpresquechuchotée,aveccetaccentd’honnêtetéqu’elleavait trouvési
séduisant.Maisellerefusaitdes’ylaisserprendredenouveau.Ellefermalesyeux,gagnéeparl’épuisement.—Jet’enprie,Nick…Nepenses-tupasquetuenasfaitassez?
—Tunecomprendspas!—Qu’ya-t-il à comprendre ?Combiende foism’as-tudemandéde te faire confiance ?Combien
defoism’as-tu reprochédedouterde toi?Combiendefoisas-tuoffertdemeprotéger?DeprotégerJames?Lesfilles?
—Etjesuislà!Monoffretienttoujours!—Va-t’en,c’est toutcequeje tedemande.Tuas l’informationquetuvoulais.Maisdisauducde
Leightonqu’ilaintérêtàsefaireaccompagnerd’unearméelorsqu’ilviendrachercherGeorgiana.Carsielleneveutpaspartir,jelaprotégeraipartouslesmoyenspossibles.
—Etjeseraiàtescôtés.—Arrête!s’écria-t-elle,briséeparsesmots.Tucroispouvoirmeconvaincred’oubliercequis’est
passé?Tunousastrahies!Tum’astrahie,moi.Leschosesquejet’airacontées…Elles’interrompitpourprendreuneprofondeinspiration.—Honnêtement,crois-tuquejevaisplacerlesortdecettemaisonentretesmains,aprèscequetuas
fait?Alorsquejesaisquetonallégeancevaauplusoffrant?Ellecompritimmédiatementqu’elleétaitalléetroploin.Sortantdesonimmobilité,illasaisitparles
épaulesetl’obligeaàleregarderdanslesyeux.— Je veux bien supporter tes accusations et affronter ta colère, mais j’en ai assez que tu portes
atteinteàmonhonneur!Non,continua-t-ilquandellefitminederépliquer,tuvasm’écouter.Sijesuisvenuici,c’estpouraidercettefille,paspourluicauserdutort.Sij’avaissuqu’elleétaitsaineetsauve,jen’auraispasacceptécettemission.Maisjel’ignorais.
»Enrevanche,monamiétaitfoud’inquiétude,etj’aifaitcequejepouvaispourl’aider.C’estvrai,j’aidécouverttapetitecommunautéd’amazones;c’estvrai,j’aidécouvertvossecrets.Maisriendetoutcelan’intéresseLeighton.Cequicomptepourlui,c’estcettefille–illâchalebrasd’IsabelpourindiquerlaportederrièrelaquelleattendaitGeorgiana–etl’enfantqu’elleporte.Tunesaisriendel’hommequeje suis et des raisons quim’ont amené ici. Jamais je n’ai eu l’intention de te trahir. Je t’ai donnémaparolequejeteprotégeraisetquejegarderaistessecrets.Etc’estcequejeferai.
Isabel restamuette tandis qu’il pivotait et se dirigeait à grands pas vers la porte.Cene fut qu’aumomentoùilposalamainsurlapoignéequ’ellerecouvrasavoix.
—Commentlesais-tu?Ilsecontentadetournerlatête,passuffisammentpourcroisersonregard.—Commentjesaisquoi?—QueGeorgianaestenceinte.—Jetel’aidéjàdit,Isabel,répondit-il,nonsansimpatience.Jesuistrèsbondansmondomaine.—Moiaussi!neputs’empêcherdelancerIsabel.—Oui,tuestrèsbonnepourtecacher.—Jesuistrèsbonnepourlescacher,corrigea-t-elle.C’estalorsqu’ilseretournaavec,auxlèvres,unsourirequ’ellen’aimapas.—Parcequetulefaispourelles?—Oui.—Jenelecroispas.—Biensûrquesi!—Jenepensepasdutoutquecesoitpourelles,maissimplementpourpouvoircontinueràtecacher
etàéviterd’affronterlemondequisetrouveau-delàdetonpetitroyaume.Etcequ’ilpourraitt’apporter.Àcesmots,Isabelrestapétrifiée.Cequ’ildisaitétaitfaux…complètementfaux!Nickattenditunlongmoment.Puisilreprit:
—Jepartiraidemainmatin.Ilsetrouvequej’enaiassezduYorkshire.Surce,ilquittalachambreetfermaavecsoinlaportederrièrelui.Exténuée, en proie à la confusion la plus totale, Isabel s’effondra sur son lit. Il avait semblé si
honnête,sisincère,siblessé…Maiselle,oùenétait-elle?N’avait-elle pas aimé se précipiter au secours de Georgiana avec cet homme fort à ses côtés ?
N’avait-elle pas adoré cette sensation d’avoir trouvé un compagnon et de pouvoir, après toutes cesannées,partagersonfardeau?
Etqu’enétait-ildecevidequ’elleavaitressentilorsquetoutcelaluiavaitétéarraché?EtsiNickavaitraisonlorsqu’ill’accusaitd’avoirpeur…Isabelroulasurlecôtéetchassadesonespritcettepenséeimportune.Elle devait rester en colère. Parce qu’elle ne se sentait pas capable d’affronter la noirceur qui
s’ouvriraitsoussespas,sielles’appesantissaitsursatristesse.
Incapabledetrouverlesommeil,Nickserenditdanslesécuries.Là,sousleregarddeschevauxqu’ilempêchaitdedormir,ilfitlescentpastoutenressassantlesévénementsdesderniersjours.IlimaginaittouteslesmanièresdontilauraitpuavouerlavéritéàIsabel,ilrevoyaittouslesmomentsoùilauraitpuconfessersonrôledanscettepiècebizarre.
Maisilavaitgardélesilence–etill’avaitperdue.Brusquement,plusriend’autrenecomptait.L’ironiedelasituationneluiéchappaitpas.S’ilavaitacceptélamissiondeLeighton,c’étaitsurtout
parcequ’ilcherchaitdésespérémentuneexcusepourquitterLondres,oubliercetarticleidiotetéchapperàcesfemmesquifaisaientdesavieunecomédieridicule.
Et il s’était retrouvé ici, dans unemaison pleine de femmes.De femmes victimes de situations sitragiquesqu’ellespassaientunegrandepartiedeleurviedéguiséespouréchapperàleurspoursuivants.
AucentredeleurexistencesetrouvaitIsabel,siforte,siintelligente,sicourageuse,telleBoadicéequi,deboutsursonchar,repoussaitlesRomains.Commentnepasadmirerunetellefemme?Nepasladésirer?Nepasl’aimer?
L’aimer?Était-cepossible?Sonestomacsecontractasousl’effetdela terreur.Pendantsi longtemps, ilavaitévité l’amour!Il
avaitététémoindelamanièredontlesfemmesenusaientcommed’unearme;ilavaitvusamèredétruiresonpère;pire,laseulefoisoùilavaitbaissésagarde,Alanas’étaitserviedesessentimentspourluitendreunpiègeetl’envoyertoutdroitenprison.
S’ilavaittiréuneleçondupassé,c’étaitcelle-ci:ens’autorisantàaimerIsabel,ils’exposaitàlapluscruelledéconvenue.
Il était libre de partir. L’occasion se présentait de la quitter pour retrouver sa vie londonienne,ordinaireettranquille,entresesantiquités,sonclubetsafamille.
Saufque,lorsqu’ilpensaitàcetteexistence–dontilsesatisfaisaittrèsbienavantsonséjourdansleYorkshire –, elle lui paraissait singulièrement vide. Il y manquait Isabel, avec son entêtement, sesreparties,seslèvresdoucesetsesbouclesauburnindisciplinées.
Illadésirait.Ilpivotaverslaporteet,l’espaced’uninstant,considéral’heuretardive.Ildevaitlalaissertranquille.Peut-êtreavait-elletrouvélesommeil.Mais ileut lavisiond’Isabelamollieetconsentante, lesyeuxmi-clos, leregardant, luiouvrant les
bras…
C’enfuttrop.Ets’illuifallaitlaréveillerpourlaconquérir,ceseraitencoremieux.
Elledormaiteffectivementlorsqu’ilseglissadanssachambre.Ellen’avaitpassoufflélesbougies
après sondépart, et la plupart, entièrement consumées, n’avaient laissé quedes flaques de cire.Deuxbrûlaient toujours, l’uneprès de la porte, l’autre sur la table de nuit, jetant sur la silhouette endormied’Isabelunedoucelueur.
Ilrefermalaporte,conscientqu’ilcommettaitlepiredespéchésenpénétrantdanssachambresanssonconsentement.Maiscelanel’empêchapasdes’approcherdulitpourlacontempler.
Elleétaitrecroquevilléesurlecôté,faceàlaporteetàlalumière.Lespoingsserréssouslementon,lesgenouxrelevés,elleparaissaitvouloirseprotégerdesmonstresissusduplusprofonddelanuit.
Desmonstrescommelui?Ilchassacettepenséepouraccordertoutesonattentionàsonvisageetobserveràloisircettefemme
quiavaitbouleversésonexistence.Elleétaitbelle,avecseslèvresàl’ourletdélicieux,sonnezaquilinetses pommettes bien dessinées parsemées de taches de rousseur. Il attacha son regard sur celles-ci,s’émerveillantdecesminusculestachesroussesnéesdestravauxqu’Isabelaccomplissaitausoleil–unexemplesupplémentairedeladifférencequ’ilyavaitentreelleetlesautresfemmes.
Finalement, son regard s’arrêta sur son front et sur le pli d’inquiétude qui se creusait entre sessourcils.C’étaitlui,leresponsabledecetteride,etsapoitrineseserrasousl’effetduremords.Incapabledes’enempêcher,ilposal’indexdessuset,doucement,tentadel’effacer.
CecontactsuffitàtirerIsabeldesonsommeiltropléger.Avecunprofondsoupir,elledétenditsesmembres,et il l’observaavecaviditépourmieuxse la rappelerainsi :chaude,abandonnéeetàpeineconscientedecequil’environnait.
Ilsepromitqu’unjourillaréveilleraitd’unbaiseretlagarderaitdanssonlitpendantdesheures.Maisiln’eutpasletempsdesavourercetterêverie.Lorsqu’ellelevit,lasurprisesepeignitsursonvisage,viteremplacéeparlafureur.Elles’assitd’un
gestebrusque.—Quefais-tuici?s’exclama-t-elleenjetantsesjambespar-dessusleborddulit.MaisNick,résistantàsonpremierréflexequiavaitétédes’écarter,l’empêchadeselever.Sinon,la
batailleseraitperdued’avance.—Laisse-moipasser,luiordonna-t-elle,lesyeuxplissés.—Non.Pasavantquetun’aiesécoutécequej’aiàdire.—Vousenavezdéjàditsuffisamment,lordNicholas.Safroideurlenavra.Commentlaconvaincredel’écouter?Dansungestedésespéré,ils’accroupit
devantelleetpritsesmainsdanslessiennes.Elleessayaaussitôtdesedégager,mais,commeilrefusaitdecéder,ellerenonçaauboutdequelques
secondes.—Jenel’aipasdit,maisjesuisdésolé.Elleneréagitpas.Aussiajouta-t-ilavecunsourireironique:—Situmeconnaissaismieux,tusauraisquejen’aipasl’excusefacile.—Ehbien,ilestpeut-êtretempsd’apprendre,secontenta-t-ellederépliquer.—Jen’avaispasl’intentiondetefairedumal,Isabel.Sij’avaissucequejetrouveraisenvenant
dansleYorkshire,jen’auraisjamaisacceptélademandedeLeighton.Ilgardalesilenceuninstant,lesyeuxrivéssurleursmainsjointes.
—Non,c’estunmensonge,reprit-ilensuite.Sij’avaissuquejetetrouveraisenmerendantdansleNord,jeseraisvenudesannéesplustôt.
Enlavoyantécarquillerlesyeux,ilsouritdenouveau.—Je t’ai réduiteausilence,apparemment.Vois-tu, Isabel, tuesunemerveilledans tongenre.J’ai
rencontrébeaucoupdefemmesaucoursdemavie,toutautourduglobe.Pourtant,jen’enaijamaisconnuquisoitaussiforte,aussipleinedevie,aussiadorablequetoi.Ettudoismecroirelorsquejet’assurequejamaisjeneteferaisdélibérémentdumal.
—Pourtant,tum’asfaitdumal.Enentendantcesmotsàpeinechuchotés,maislourdsdechagrin,ilportasesmainsàseslèvresetles
embrassaavecrévérence.—Jesais.Ettuastouslesdroitsdemedétester.—Jenetedétestepas.—Jesuisvraimentheureuxdel’entendre,dit-il,lesyeuxdanslessiens.Elle fronça de nouveau les sourcils, et il dut se retenir pour ne pas chasser ce pli soucieux d’un
baiser.—Maisjenecomprendspas…—Unjour,jeteraconteraitout,promit-il.—Non,Nick.C’enestfinides«unjour…».L’heuredelavéritéestvenue.Il prit une profonde inspiration. Au fond de son cœur, il savait qu’elle avait raison. S’il voulait
pouvoirregagnersaconfiance,ilfallaitqu’illuiracontetout,qu’ilsemetteànudevantelle.Étrangement,ilenconçutdelaforce.
Ilserelevaet, incapablederester immobile,semitàarpenter lachambretoutencommençantsonrécit.
—Mamèrenousaabandonnéslorsquemonfrèreetmoiavionsdixans.Elleestpartiedujouraulendemain.Nous ignorions tout de l’endroit où elle était allée.Après unmoment, nous avons fini paravoirdumalàcroirequ’elleavaitunjourvécuavecnous…
»Onpourraitpenserqueperdresamèreestcequ’ilyadeplusdifficilepourunenfant.Maiscen’estpas lecas.Lachose laplusdifficile,c’estdenepassavoircequis’estpassé,denepasconnaître laraisondesondépart.Leplusdur,pourmoi,aétédepenserque,d’unemanièreoud’uneautre, j’étaisresponsabledesafuite.
Isabel ouvrit la bouche, mais il refusa de la laisser parler, craignant d’être ensuite incapable decontinuer.
—Découvrirpourquoielleétaitpartieestdevenumonobsession.Monpères’étaitdébarrassédesesaffairesquelquesjoursaprèssadisparition,maisjepersistaisàchercherdesindices.J’aifinipartrouveruncarnetet,danscelui-ci,lesplansdemamèrepourl’avenir.Ellepartaitsurlecontinent.D’abordchezdesamis,àParis,puisenItalie.Elleappelaitcelasa«grandeaventure».Apparemment,commenta-t-ilavecunrirebref,lemariage,lesenfantsetlestatutdemarquisen’étaientpasassezexcitantspourelle.
» Je n’ai jamais dit à personne que j’avais trouvé ce carnet intime. Ni àmon frère, ni – encoremoins–àmonpère.Maisjel’aigardépendantdesannées,jusqu’àlafindemesétudes.Àcemoment-là,monpèreétaitmort,monfrèreavaithéritédutitredemarquis,etjen’étaisrien…Jesuisdoncpartisurlecontinent.
—Pourretrouvertamère,murmura-t-elle.Ilhochalatête.—Maisalors,laguerrebattaitsonplein,ettouslesindicesquiauraientpumepermettredesuivresa
traceavaientdisparu.Cependant,j’étaisjeune,costaud,pasbête,etunhommehautplacéauBureaudela
guerre–que j’ai toujourssoupçonnéd’avoirétépayéparGabrielpourassurermasécurité–m’aprissoussonaile.Ilm’atoutapprissurl’artetlamanièredetraquerungibierhumain.
Ellel’observatandisqu’ilpassaitlamainsurlaflammedelabougiedansunsens,puisdansl’autre.Elleétaitdévoréeparlacuriosité,illesentait.Ilattenditensilencejusqu’aumomentoù,n’ytenantplus,elledemanda:
—Quirecherchais-tu?—Tous ceux qu’il fallait retrouver. Jeme suis spécialisé dans les personnes qui se rendaient en
Orient. Ce que j’aimais par-dessus tout, c’était voyager, voir le monde. Et lorsque la Couronnerecherchaitunepersonne,letravailserévélaitplusquelucratif.
—Est-ceque…est-cequ’ilt’estarrivéde…denuireàquelqu’un?Nicksoupesalonguementsaréponse.Ilnevoulaitpasluimentir,pasplusqu’àlui-même.— Jamais de façon délibérée, finit-il par dire.Ma tâche se terminait lorsque j’avais retrouvé la
personnedisparue.Ensuite,celanemeregardaitplus.—Ainsi,certainesdetes…proiesontpuêtreblessées,voirepire.—Oui,cen’estpasexclu.—Ettoiaussi,tuauraispuêtreblessé…—Oui.Ellesoutintsonregardpendantunlongmomentavantdeseleveretdetraverserlachambrepourse
placerfaceàlui.Unefoisdeplus,ilfutfrappéparsaforce.—Pourquoias-tuarrêté?Denouveau,ilpritsontempspourchoisirsesmots,conscientdel’importancequ’elleaccorderaità
chacund’eux.Illesvoulaitconvaincantsmais,par-dessustout,sincères.—Jenesaispas.Peut-êtreparcequejedevenaistropbonetquej’yprenaistropdeplaisir.Peut-être
parcequelesgensquejerecherchais,etceuxquejeretrouvais,n’avaientpasd’importancepourmoi.Oupeut-être…parcequejen’avaispasd’importancepoureux.
Cesderniersmotsrésonnaientencoredanslapiècelorsqu’ilesquissaunpasverselle.—Jen’auraisjamaisdûacceptercettemission…MaisLeightonestunvieilamietjenepouvaispas
luirefuserceservice,répéta-t-il.Jetejure,Isabel,quejenesuispasvenupourtefairedutort,pasplusqu’àGeorgiana,àJamesouàuneseuledetesprotégées.
Ilinclinalatêteverslasienne,siprèsqueleursfrontssetouchaientpresque.—Jeneveuxriend’autrequetonbonheur,chuchota-t-il.Jet’enprie,donne-moiuneautrechance.Elle ferma les yeux et, retenant son souffle, il regarda les émotions jouer sur son visage. S’il ne
l’avait pas fixée ainsi, il n’aurait pas vu le sourire fugitif qu’elle esquissa. Elle rouvrit alors lespaupièreset,àlalueurvacillantedesdeuxbougies,sesprunellesprirentuneteintedemieldoré.
—J’aipeur.Jenesuispasdutoutcertainequejedevraistecroire…Mais…jesuisplutôtheureusequetusoisvenu.DansleYorkshire,précisa-t-elledansunchuchotement,etcesoir.
Lesoufflequ’ilretenaits’échappaenunsoupirtremblantet, lecœurgonflédeplaisir, ilouvritlesbraspourl’attirercontrelui.Puisilfitlaseulechosequiluivenaitàl’esprit.
Ill’embrassa.
18
Isabels’étaitjurédenepassuccomberàsesbellesparoles,sipleinesdepromesses.Maisilluiavaitavouélavéritésursonpassé,et,toutenselereprochant,ellen’avaitpus’empêcher
delecroiredenouveau.Puisill’avaitembrassée,etlechaosdesesémotionsavaitlaissélaplaceàuneseulepensée,impérieuse:ellevoulaitcethommedanssavie.
Associéeàsescaressesirrésistibles,cettepenséedéverrouilla,toutaufondd’elle,l’endroitoùétaitenfermésondésirleplussecret.D’unseulmot,d’unseulgeste,cethommesemblaitcapabledemettreàbassesdéfensessisoigneusementérigées.
Elle soupira contre ses lèvres, et il approfondit leur baiser, s’emparant de sa bouche avec unetendresserudequifitcourirunfrissondeplaisirdanstoutsoncorps.Chacundesesbaiserssefitplusdur,plusenivrantqueleprécédent,alternantavecdelongsrépitssensuelsaucoursdesquelsilchuchotaitsonprénomcommeuneincantation.Lesmainsreferméessursesbrasmusclés,Isabels’accrochaàlui–sonrocdansunetempêtedesensations.
Il finit par la soulever, et elle n’eut d’autre choix que d’enrouler sesmembres autour de lui. Il lamaintintainsipendantunlongmoment,levisageenfouidanssoncou,dessinantdepetitscerclessursapeauavecsalangue.QuandIsabellaissaéchapperungémissementdeplaisir,ilrelevalatête.Sesyeuxbleusétincelaientdanslapénombre.
—Isabel,tudevraismediredepartir,déclara-t-il,sonfrontcontrelesien.—Pourquoi?demanda-t-elle,déconcertée.—Parcequesitunelefaispas,jevaisrester.Cesmots,prononcésd’unevoixsourdeetrauque,intensifièrentsondésir.Quandellerépondit,elle
nereconnutpassaproprevoix.—Etsijetedisaisquejeveuxqueturestes?Devantsonsilence,ellesemordit la lèvre,mortifiée.Peut-êtren’avait-ellepasditcequ’il fallait.
Maisilfitalorsunlongpaspourladéposersurlatable,prèsdelaporte.Et,refermantsesmainsautourdesonvisage,ilrepritseslèvrespourl’embrasseràperdrehaleine.
—Situveuxquejereste,ilfaudraunearméepourmedéloger,finit-ilpardire,alorsquetousdeuxétaienthaletants.
—Reste,murmura-t-elledansunsouffle.Avecungrondementpourtouteréponse,ildégagealachemised’Isabeldesonpantalonetposases
mainssursapeau.Puis,toutenlacaressant,ilreleval’étoffejusqu’àlafairepasserpar-dessussatête.Aussitôtembarrassée,ellecroisalesbrassursapoitrine.—Non,chuchota-t-il,netecachepas.Pascesoir.Cesoir,ilssontàmoi,ajouta-t-ilenposantses
lèvressurl’undesesseins.Pourfairecequ’ilmeplaît.
Lanervosité d’Isabel céda aussitôt la place auplaisir de sentir sa bouche refermée autour de sonmamelon,qu’illécha,suça,taquina,jusqu’aumomentoù,avecungémissement,elleseplaquacontrelui.
Il referma alors sesmains sur ses cuisses pour la presser contre lui, sans cesser pour autant sescaressesaffolantessursesseins.
Ellesetordit,écrasantsonbas-ventrecontresonsexedurci,ungestequiarrachaungrognementdejouissanceàNick.Encouragée,elleimprimaàseshanchesunmouvementdeva-et-vient,mais,presqueaussitôt,ilrelevalatêteavecunsonétoufféet,aprèsavoircroisésonregard,pritdoucementlelobedesonoreilleentresesdentsenluimurmurant:
—Petitecoquine…Lorsqu’elle soupira sonprénom, entre la plainte et la protestation, et qu’enguise de réponse il la
soulevadenouveau,ellesutprécisémentoùilsallaient.Ilnelalâchapaslorsqu’ilsculbutèrentsurlelit.Sanscesserdel’embrasser,ilcaressasontorse,ses
flancs,puisdescenditsursonventre.Samains’immobilisaalors,poséesurlaceinturedesonpantalon.Isabelrouvritlesyeux.Nickattendait,scrutantsonvisage,uneétincellemalicieusedansleregard.—Jen’aijamaiseuleplaisird’enleversonpantalonàunemaîtresse.Unemaîtresse…L’écho dumot s’attarda entre eux, chargé d’une promesse troublante. Oui, après
cettenuit,c’étaitcequ’Isabelserait:samaîtresse.—Jecroisquelemomentestvenu,dit-elle,avecunmélanged’audaceetdetimidité.Mais,dèsqu’ill’eutdébarrasséedesonpantalon,gênéeparsanudité,ellerefermanerveusementles
yeux.—Isabel…regarde-moi.Après avoir pris une profonde inspiration, elle souleva les paupières,mais, incapable de s’offrir
ainsiàsavue,elleplaquasamainsursatoisonintime.—Non,moncœur,netecachepasdemoi.—Je…jenepeuxpasm’enempêcher.—Tuessibelle,déclara-t-ilavecunlégersourire.Ettunelesaismêmepas.Lesangluimontaauxjoues.—Cen’estpasvrai.—Maissi,dit-ilenposantl’indexsurseslèvrespourlafairetaire.Tuesbelleici,poursuivit-il,et
là…etencorelà…Lesmotsneparvenaientqu’assourdisàIsabelcar,àmesurequ’illesprononçait,ilfaisaitdescendre
sabouchesursoncou,sesseins,sonventre,pourfinirparlaposersurledosdesamain,quiprotégeaitsachairlaplussecrète.
—Etlà,Isabel…C’estlàquetum’appelles.Uneondedeplaisircourutdanssesveines.Personnene luiavait jamaisditqu’elleétaitbelle.Et,
dans lecoconde lachambreoùelleavait toujoursdormi,nonseulementNickle luidisait,mais le luimontrait.
—J’aimeraistevoir,chuchota-t-elle.Jepensequetudoisêtretoi-mêmetrèsbeau.LesouriredeNicks’élargit.—Jenesuispassûrque«beau»soitletermeadéquat,moncœur.Maissituasenviedevoir…je
meprêtevolontiersàtoncaprice.Elleneputs’empêcherderireàsarepartie,etilluidonnaunrapidebaiser.—J’aimet’entendrerire.Celan’arrivepasassezsouvent.Puis,roulantsurledos,ilcroisalesmainssoussatête.—Trèsbien,mabeauté.Jesuistoutàtoi.
Sousl’effetdelasurprise,Isabelécarquillalesyeux.—Je…jenepourraipas.—Maissi,jet’assure.Elleroulasurlecôté,levalamain,maiss’arrêtajusteavantdeletoucher.—Je…jenesaispasoù…LeriredeNickseterminaengrognement.—Oùtuveux,monamour.N’importeoù.Elleposalamainsursontorse,aussitôtimpressionnéeparsesmusclesdurs.Commes’ilpercevait
son indécision, il referma sa main sur la sienne pour la faire glisser sur son ventre plat, jusqu’à laceinturedesonpantalon.
—Nousneferonsquecequiteplaît,déclara-t-ilnéanmoins.D’une certaine manière, ces mots apaisèrent les craintes d’Isabel et lui donnèrent envie de
poursuivre.—Queveux-tu?continuaNick.—Tumeposestoujourscettequestion.—Parcequej’aienviedesavoir,répondit-ilsimplement.Jeneveuxtedonnerquecequetudésires.—J’aimeraistevoirsanschemise.Ensilence,ils’assit,passasachemisepar-dessussatêteetlalançaauhasard.Isabeldéglutit.Nickétaitparfait.Oneûtditl’unedesesstatuesdemarbre.—Je…jenepensepasque…balbutia-t-elle,ens’asseyantaussi,denouveaunerveuse.—Peut-êtrequetunedevraispaspenser,suggéra-t-il,avantdel’enlacer.Ilsroulèrentsurlelitens’embrassant,puis,quandelles’écartapourreprendrehaleine,illasouleva
pourl’asseoirsurlui.—Détachetescheveux.C’étaitplusuneprièrequ’unordre.Lorsqu’elleeutôtélesépinglesquiretenaientsachevelure,ilpoussaunlégergrognement.—Tuesunesirène.—Vraiment?dit-elleensouriant,raviedelevoirladévorerdesyeux.Elle s’inclina vers lui jusqu’à ce qu’ils soient dissimulés par un rideau de boucles auburn. Elle
l’embrassaalors,effleurantdesalanguesalèvreinférieureavantdedéposerdelégersbaiserslelongdesoncouetsursapoitrine.Lorsqu’ellerencontra l’undesesmamelonsplats,elles’arrêtaet releva lesyeuxverslui.
—Est-cequec’estaussitroublantpourtoiquepourmoi?—Sionessayaitdeledécouvrir?suggéra-t-il,sansbouger.Ellereproduisitsesgestes,refermantseslèvresautourdesonmamelondur,letaquinantduboutdes
dentsavantdelesucer.Nickémitungrognementétoufféenplongeantlesdoigtsdanssescheveux.Aprèsunlongmoment,commes’ilnepouvaitensupporterdavantage,ilécartaIsabel.
—Çaneteplaisaitpas?—Aucontraire,çameplaisaittrop,assura-t-ilenriant,lavoixentrecoupée.Ilss’embrassèrentdenouveaujusqu’àceque,posantlesmainssursontorse,Isabelsesoulève.—J’aimeraisquetuenlèvestonpantalon,maintenant.Unefractiondesecondeplustard,nudespiedsàlatête,illarepoussaitsurlelitetseglissaitentre
sesjambes.Lorsqu’ellefutprèsdeperdrelatêteàforcedebaisers,ellechuchota:—Nick…non…—Qu’ya-t-il,moncœur?
—Jeveuxtetoucher.Ilrestasiimmobilequ’ellecrutqu’ilallaitrefuser.—Jet’enprie,insista-t-elle.Ilappuyasa têtecontre lapoitrined’Isabel,commepour rassemblerses forces,puis il s’allongea,
offrantsoncorpsnuàsescaresses.Ellefitcourirsesdoigtssursontorse,explorantsesmusclesdurs,savourantlachaleurdesapeau,
découvrant la longue cicatrice qui s’enroulait sur son flanc droit. Elle la caressa, heureuse qu’il aitsurvécuàuneattaquequiavaitlaisséunetelletrace.
Puis, s’enhardissant, elle posa la main sur son membre tendu, dont elle suivit toute la longueur.CommeNickémettaitunesortedehoquetétranglé,elles’arrêta,incertaine.
—Montre-moi…Sesyeuxétincelèrentet,posantsamainsurcelled’Isabel,ils’exécuta.Tousdeuxregardèrentleurs
mainsunies tandisqu’il laguidait, luimontrantcomment le toucheret lecaresser, jusqu’aumomentoùleursrespirationssefirenthaletantes.
—Çasuffit,moncœur,dit-ilenportantsamainàsabouchepourl’embrasser.—Maisjeveux…Ileutunrireétranglé.—Moi aussi.Mais rien ne nous presse, cette nuit. Or, si je te laisse poursuivre cette délicieuse
torture,lanuitfinirabientroptôt.Denouveau,ilroulasurelle,selogeantentresesjambes.Toutenl’embrassant,ilseplaçacontreson
sexeetyengageaundoigt.—Ah…murmura-t-ild’unevoixsourde.Tuestoutemouillée.Tulesens?Un second doigt, ayant rejoint le premier, intensifia les sensations qui irradiaient de cet endroit
secret.Isabelsecambra,lesmainscrispéessurlecouvre-lit,etsemorditlalèvrepourétoufferuncri.—Est-cecelaquetuveux,moncœur?—Oui…gémit-elle.—Ici?demanda-t-ilendessinant,avecsonpouce,descerclesdélicatsautourdupetitboutondur,
sourcedetouteslesjouissances.—Oui,s’ilteplaît.—Tuessipolie…sipassionnée…MaVoluptéàmoi…Maistuneveuxpasquecela,n’est-cepas?Ellerouvritdesyeuxéperdus.—Je…—Dis-moi,Isabel…Queveux-tuvraiment?—Je…jeteveux.—Quellepartiedemoi?Elle rougit, tout en se pressant plus durement contre lui, affolée parce qu’il ralentissait
impitoyablementlerythmedesescaresses.—Ohnon,Nick…—Ohsi,Isabel,répliqua-t-ilavecunsouriregourmand.Quellepartiedemoi?Sesdoigts,bienqueprofondémentenfoncésenelle,s’immobilisèrent totalement,demêmequeson
pouce.—Nick!cria-t-elle,entrelaprotestationetlasupplication.—Iltesuffitdedemander…Comme elle écartait les jambes, toute pudeur envolée, il souffla doucement sur elle, et elle crut
devenirfollesouscetteexquisetorture.
Puis,usantdeseslèvresetdesalangue,touràtourlapénétrantoutitillantlasensiblecrêtecharnue,il lamenapardegrésrapidesversl’inéluctablejouissance,qui lafitsecabrercontresabouchetandisquelesvaguesduplaisirlasubmergeaient.
Lorsqu’elle fut revenue sur terre, il fit remonter progressivement sa bouche le long de son corps,parsemantdebaiserssonventre,sesseins,avantdes’emparerdenouveaudesabouche.
—Tu ne dois jamais avoir peur de demander ce que tu veux,mon cœur,murmura-t-il contre seslèvres.Pasavecmoi.
Elleouvritlesyeuxetsoutintsonregard.—Jeveuxlereste.LebleudesprunellesdeNicks’assombritimmédiatement.—Tuenessûre?—Toutàfaitsûre.Ettuviensdedirequejen’avaisqu’àdemander.Ilsereplaçacontreelle.Quandellesentitlapressiondesonsexedur,Isabelsecambrapourvenirà
sa rencontre, avide de découvrir la suite de cette danse merveilleuse. Comme Nick étouffait ungémissement,ellecompritqu’ilsecontraignaitàl’immobilité.
—Isabel…est-cequequelqu’unt’a…t’aparlédeça?Ellesecoualatête.—J’aivulesanimaux.—Cen’estpasexactementpareil,fit-ilremarqueravecunelégèregrimace.—Nick…je t’enprie,murmura-t-elleensepressantcontre lui.Jen’aipaspeur.Je leveux.Je te
veux,assura-t-elleaprèsavoircaressésajouebalafréeduboutdesdoigts,dansl’espoirdelerassurer.—Çavaêtredouloureux.Justelapremièrefois.Maisaprès,jemeferaipardonner.Lecœurd’Isabelsecontracta.Ils’inquiétaitpourelle!Àcetinstant,ellecompritquecethomme,quisepréoccupaitdesoninconfortalorsqu’elle-mêmene
pouvaitguèrepenserqu’àlasensationdesoncorpscontrelesien,neluiavaitjamaisvouluaucunmal.Ellesouritenl’attirantàelle,sesdoigtspassésdanssescheveux,pourl’embrasser.Puisellechuchota:—Jetefaisconfiance.Commes’iln’attendaitquecesmots,ils’introduisitlégèrementenelle,puiss’arrêtapourpermettreà
sachairdes’habitueràcettenouvellesensation.—C’estcurieux,murmuraIsabel.—Etçaledeviendradeplusenplus,moncœur,répondit-ilavecunrireétranglé.Avecdesva-et-vientcontrôlés,ils’enfonçaunpeuplus,jusqu’aumomentoùellesoupiradeplaisir.—Çanesemblepluscurieux.Maisagréable.—Simplementagréable?—Trèsplaisant.—Bien.D’un ultime coup de reins, il alla jusqu’au bout, et elle laissa alors échapper un cri étouffé. Il
s’immobilisa,relevéau-dessusd’ellesursesbrastendus.—Isabel?Est-cequetu…—Curieux,denouveau,dit-elled’unevoixaltérée,avecunegrimacefugitive.Iladoraitcettefemme!Cettepenséeincongruevenaitaupiremoment,maisNicksut,sansl’ombre
d’undoute,qu’elleétaitpertinente.—Jevaisarrangerça,promit-ilaprèsavoireffleuréseslèvresd’unbaiser.Ilseretiralentement,etelles’agrippaàsesbras.
—Oh…Oh,c’est…—Oui?dit-ilenl’emplissantdenouveau,toutaussidoucement.—Nick…soupira-t-elle.—J’aimelafaçondontmonprénomsonnedanstabouche.Penchésur sapoitrine, ilprit entre ses lèvres l’unde sesmamelons,qu’il suça jusqu’àcequ’elle
halètedeplaisir.Ilsemitalorsàbougerpourdebon,plusvite,plusprofondémentet,quandellerelevaleshanchespourépousersonrythme,ilsutqueleplaisirl’emportaitsurladouleur.
—Dis-leencore,luidemanda-t-il,tandisquelatensioncroissantedevenaitinsupportable—Nick…Ilglissaalorssamainentre leursdeuxcorpset,plaçantsonpoucesur lepetitboutonrigide, il se
remitàlecaresser.—Dis-leencore…—Nick!cria-t-elle.—Jesuislà,monamour.Regarde-moi.—Jenepeuxpas…C’esttrop,balbutia-t-elle.Jet’enprie!Jenesaispas…Ilabaissasabouchejusqu’àsonoreille.—Laisse-toialler.Jeterattraperailorsquetutomberas.Elles’abandonnaalorsàlajouissance,etilsentitsesmusclesintimessecontracterautourdeluiàun
rythmeenivrant,tandisqu’ellecriaitdenouveausonnom.Lui-mêmenepritsonplaisirquelorsqu’ellefutalléeauboutdusien,puisilretombasursapoitrine,etlesilencedelachambrenefutplustroubléqueparleursrespirationssaccadées.
IlfallutunlongmomentàNickpourrecouvrerlafacultédepenser.Ilfinitparseretireretrouleràcôtéd’Isabel,malgrésonlégergémissementdeprotestation.Puis,seredressantsuruncoude,ileffleuradelamainsapeaurosie.Avecunfrisson,elleseblottitcontrelui.
—Qu’ya-t-il?demanda-t-ilquand,lasentantsourirecontresapoitrine,ilreculapourcroisersonregard.
—Cen’étaitpluscurieux,àlafin.Àsontour,ilsourit.—Non?C’étaitcomment,alors?Latêteinclinée,Isabelfitminederéfléchir.—Jepensequec’étaitassezremarquable.Ill’embrassaavantd’acquiescer:—Oui,exactement.Ellene tardapasà s’endormir,et ilobserva longuementcette femmesi forte, sidouceet sibelle.
C’étaitunefemmequivivait.Fière etpassionnée, elleneprenaitde l’existencequecequ’elle jugeaitjusteetvrai.
Enpensée,ilrevécutlesévénementsdelajournée.Lamanièrevéhémentedontelleavaitacceptédel’épouser…Etcelle,violente,dontelle l’avait repoussé lorsqu’ils’était révélédifférentdecequ’elleavaitcru.
Avecunsoupir,elleseblottitplusétroitementcontrelui.Elleenétaitvenueàcroireenlui,àavoirfoienluietenlaviequ’illuipromettait,etill’avaitdépouilléedetoutessescertitudes.
Mais,mêmesilecorpsd’Isabels’étaitabandonnéàlui,Nickavaitconsciencequ’ilfaudraitplusdetemps à son cœur pour lui accorder de nouveau sa confiance. Il était cependant déterminé à lareconquérir.
Carill’aimait.
À cet instant, alors que, pour la deuxième fois, il s’avouait ses sentiments, il prit conscience del’extraordinaireforcedecesmots.Etdelaterreurquilesaccompagnait.
—Isabel!Isabel,réveille-toi!Enentendantletambourinementcontresaporte,Isabelseredressabrusquement,désorientée.Lorsquelesévénementsdelanuitluirevinrentenmémoire,ellepoussaunlégercri,qu’elleétouffa
d’unemaintoutencherchantNickdesyeux.Il était parti, et rien n’indiquait qu’il avait jamais été là. Il avait même ramassé les vêtements
éparpillés d’Isabel et les avait pliés sur le dossier d’une chaise, prèsde la cheminée.Unmélangedegratitude et de déception l’envahit. Elle lui était reconnaissante d’avoir ainsi veillé à protéger saréputation,maisétaitdéçuequ’ilsesoitéclipsésansmêmeunregardenarrière.
Commes’ilétaitcoutumierdufait…Ellesemorigénaaussitôt.Queluiimportait,sic’étaitlecas?Celanelaregardaitpas.Etpourtant…Heureusement,ellefutdistraitedecettepenséequandlescoupsfrappésàlaportereprirentdeplus
belle.—Isabel!—Entre,Lara!Sacousinefitirruptiondanslachambre,essouffléeetlescheveuxébouriffés.—Ilfautquetut’habilles!Avecunsoupir,Isabelrejetalescouvertures,sortitdesonlitetsedirigeaverssonplacard.Mais,surpriseparlebrusquesilencedesacousine,elleseretourna.Plantéeaumilieudelachambre,
Laralaregardait,lesyeuxécarquillés.—Qu’ya-t-il?—Pourquoin’as-turiensurtoi?Prenant alors conscience de sa nudité, Isabel couvrit le bas de son ventre de ses mains tout en
s’adjurant,envain,denepasrougir.—Jene…C’est-à-dire…bafouilla-t-elle.J’avaistropchaud,finit-elleparprétendreensaisissantla
premièrerobevenue,puisenseprécipitantderrièreleparaventpourdissimulersonembarras.—Tuavaistropchaud?répétasacousined’unevoixincrédule.—Exactement.Noussommespresqueenjuillet,Lara.—DansleYorkshire.Lanuit…—Ehbien,oui,assuraIsabelensommantmentalementLarad’acceptercemensonge.Ellecoulaunregardpar-dessusleparavent.Sacousineparcouraitlachambredesyeux.Soucieusede
distrairesonattention,Isabelreprit:— Tu voulais me dire quelque chose ? Tu avais une raison de venir tambouriner à ma porte en
exigeantquejemeréveilleetquejem’habille?—Oui,biensûr!s’exclamaLara.Isabellarejoignittoutennouantlaceinturedesarobededeuild’unbleutrèssombre.—Dequois’agit-il?—Çanevapasteplaire.Isabelsefigeasurplace.Était-ilpossiblequeNicksoitparti?Ilavaitdit, lesoirprécédent,qu’il
s’enirait,maisc’étaitavantque…queleschoseschangent.—Dequois’agit-il?répéta-t-elleavecappréhension.—Nousavonsunevisite.L’appréhensiond’Isabelcédalaplaceàunsentimentdeterreurquiluimorditleventre.
—Qui?Sansrépondre,Larasetorditlesmains.Densmore !Le tuteur était ici.Le sort de lamaison, des filles, de James était à présent entre ses
mains.EtNickallaitpartir,puisqu’iln’yavaitplusrienpourleretenirici.Sonaiden’étaitplusrequisepour
lesstatuesnipourquoiquecesoit.Lapoitrined’Isabelsecontractadouloureusementquandl’évidencelafrappa:elle,elleavaitbesoin
delui!Maiselleallaitseretrouverseule,unefoisdeplus.—C’estDensmore…murmura-t-elled’unevoixblanche.—Non.C’estleducdeLeighton,annonçaLara.Ilestvenucherchersasœur.
19
Quelquesminutesplustard,Isabelcollaitsonoreillecontrelalourdeported’acajoudubureau.Elleperçutunsourdbourdonnementdevoixmasculines,maisneputdiscernerunseulmotetmaudit
celuidesesancêtresquiavaitjugébond’installerunpanneaudeboisaussiépais.—Nickestlà-dedansaveclui?chuchota-t-elle.—Oui,réponditJanetoutaussibas.Ill’arejointpresqueimmédiatement.—Etcommentsefait-ilqu’ilaitpulevoiravantmoi?s’enquitIsabelavecunepointed’agacement.Janeeutlabonnegrâcedeparaîtrecontrite.—Àsonarrivée, leducademandéàvoir lordNicholas,sasœuretvous-même.Jesavaisquesa
sœur,c’étaitinenvisageable.Alors,j’aioptépourvousetlordNicholas.Jenevoulaispasajouteràsonirritation.
—Ilsemblaitirrité?—Ilnelesemblaitpas.Ill’étaitbeletbien.— Je ne devrais pas être surprise, je suppose, commenta Isabel, avant de coller de nouveau son
oreillesurlaporte.—Vousn’entendrezriencommeça,murmurasamajordome.—Merci,Jane.Jem’enaperçois.Dequoiparlaientdonclesdeuxhommes?Est-cequeNickplaidaitleurcause?Outrahissait-ilsa
confiance,unefoisdeplus?Non,certainementpas.Pasaprèscettenuit…—Sivousvoulez,nouspourrionscontournerlamaisonetvoirsinousentendonsquelquechosepar
l’unedesfenêtres…Isabel fut tentée d’accepter, l’espace d’un instant, avant de prendre conscience de la lâcheté du
procédé.Avecunsoupirdefrustration,ellepivotafaceaugrandescalier,surlequelsetenaientLaraetGeorgiana.
—Non,jevaisentrer.ElleposaitlamainsurlapoignéelorsqueLaraintervint:—Tunefrappespas?—Non.Pourdeuxraisons.D’abord,l’effetdesurprisen’estpasànégliger.Ensuite,ils’agitdema
maison.Autantqueleducs’habitueàcetteidée.Sans tenir compte des trois paires d’yeux incrédules posés sur elle, elle entra dans le bureau et
refermalaporteavecdétermination.—Bonsang,Leighton,tun’écoutespas…LavoixdeNickmourutàl’entréed’Isabel.Ils’inclinabrièvementpourlasaluer,etelleremarqua
l’inquiétudequiassombrissaitsonregardbleu.Cenefutqu’auprixd’ungroseffortqu’elledomptales
battementseffrénésdesoncœuràsavue.Elleportasonattentionsursoncompagnon.Jamaisellen’avaitrencontréd’hommecommeleducde
Leighton–celordavaitlabeautéd’unange.Ilétaitgrand,admirablementdécouplé,avecuneprofusiondebouclesdorées,despommetteshautesetsaillantes,etdesyeuxsemblablesàceuxdesasœur,couleurdemielliquide.
Cethommeparfaitnepouvait sûrementpasêtre l’aristocratearrogantque tout lemonde l’accusaitd’être.
— Je suppose que vous êtes la fille qui la cache, dit-il alors, avec une froideur vaguementméprisante.
Apparemment,si,ilétaitàlafoisaristocrate,arrogantetgrossier.—Leighton…grondaNick.Cet avertissement déguisé procura à Isabel un plaisir qu’elle s’efforça d’ignorer. Elle carra les
épaules.Ellen’avaitpasbesoindelui,etelleleluiprouverait.—JesuisladyIsabel.Sileducremarqual’accentqu’ellemitsur«lady»,iln’enlaissarienparaître.—Heureuxquevousayezenfinputrouverletempsdevousjoindreànous.Elleneputs’empêcherdehausserlessourcilsfaceàsontonsarcastique.Quelhommedétestable!
Riend’étonnantàcequeGeorgianaaitfuiloindelui.—Quepuis-jepourvous?—J’aidéjàdiscutédecetteaffaireavecSt.John.— Parfait, dit-elle, exaspérée par son ton impérieux. Et qu’est-ce qui vous fait penser que lord
Nicholaspourravousaider,puisquec’estmoiquidirigeTownsendPark?—Pourautantquejesache,ladyIsabel,vousn’avezaucunpouvoirsurTownsendPark.Mieuxvaut
que jem’abstiennedediscuter avecvous, car celane servirait qu’ànous exaspérer tous lesdeux.Nem’obligezpasàrecouriràlordDensmorepourobtenircequejeveux.
Unfrissonglacéparcourutledosd’Isabel.Illamenaçait!Aumomentoùelleouvraitlabouchepourrépliquer,Nickintervint:
—JenedevraispasavoiràterappelerquenoussommesdanslamaisondeladyIsabel,Leighton.Etquetudoislatraiteraveclerespectquiluiestdû.
—Elleakidnappémasœur,répliqualeducsanscesserderegarderIsabel.Enquoicelamérite-ildurespect?
—Jen’airienfaitdetel!—Ehbien,c’estpourtantainsi,àmonavis,quelejugeconsidéreralachose.CettemenacearrachaàIsabelunsonétouffé.SurlajouedeNick,lacicatricedevintlivide.—Leighton,çasuffit.—Vousosezappeler«ami»cecrétin?s’exclama-t-elle.—Crétin?répétaLeightond’unevoixtonnante.Jesuispairduroyaumeetduc.Vousferezallusionà
moiavecrespect.—Non,jenelecroispas.—St.John,remetscettefemmeàsaplace!—Jenetelediraipasdeuxfois,Leighton,ripostaNick.TraiteladyIsabelaveclerespectquiluiest
dû,oujetecassedenouveaulafigure.Etcettefois,iln’yaurapersonnepourmerenvoyer.La menace qui vibrait dans sa voix rendit Isabel muette. Après avoir attendu un moment qu’elle
réagisse,leducfinitpardire:—Bien.L’argumentsembleavoirporté.
Commelesilenceseprolongeait,illerompitdenouveau.—LadyIsabel,j’aimeraisvoirmasœur.Aprèsavoirprisuneprofondeinspiration,Isabelallas’asseoirderrièrelebureau.Ilyavaitquelque
chose,danscetteposition,quiluidonnaitconfianceenelle.D’ungestedelamain,elleindiqualesdeuxfauteuilsfaceàelle.
— Pourquoi ne pas nous asseoir et en discuter ? Voulez-vous du thé, Votre Grâce ? ajouta-t-ellelorsquelesdeuxhommeseurentprisplace.
Leightonclignadesyeux,surprisparsonchangementd’attitude.—Non,jeneveuxpasdethé.Cequej’aimerais,c’estvoirmasœur.—Etvouslaverrez.Maispasavantquenousnenoussoyonsentretenus.LeightonsetournaversNick.—Est-elletoujoursaussiobstinée?—Toujours,réponditNickavecunsourire.—Évidemment,tutrouvesçaamusant…LadyIsabel,jesuisaucourantdevosactivitésici,dansle
Yorkshire.—Jevousdemandepardon,VotreGrâce?—Iln’yapastroisminutes,vousm’aveztraitédecrétin.Jepensequenouspouvonsnousdispenser
decesformalités.Jesaisquevousdirigezuneespècedecoloniedefemmes.CommeniIsabelniNickneconfirmaientsesdires,ilpoursuivit:—Jenem’intéressepasparticulièrementàcequevousfaites,àpartirdumomentoùvousn’entraînez
pasmasœurdansvoshistoiresinfâmes.Mefais-jebiencomprendre?Isabelsepenchaenavant,lesavant-brassurlecuirfroiddusous-main.—Pasvraiment,non.—Isabel…Neleprovoquezpas,intervintNick.Cettemiseengardedécuplal’irritationd’Isabel.—«Ne leprovoquezpas»?Etpourquoipas?Qu’est-cequi l’autoriseàpenserqu’ilpeut faire
irruptiondansmamaison,memenaceretmenacerlasécuritédecellesquirésidentici,ets’attendretoutsimplementquejeluiremettecettemalheureusefille?
—Ils’agitdemasœur!—Sœuroupas,VotreGrâce,elleestarrivéeicidesonpleingré,effrayée,perdueetprêteàtoutpour
s’éloignerdevous!Quevouliez-vousquejefasse?Quejelajettedehors?— Vous avez hébergé la sœur disparue du duc de Leighton ! J’ai retourné tout Londres pour la
retrouver!—Avectoutlerespectquejevousdois,pourmoi,ellen’avaitpasdisparu.L’impertinenceàpeinevoiléedesarepartiesemblaréduireleducausilence.Isabelsetournaalors
versNick,intriguéeparlalueurquibrillaitdanssesyeux.—Allez-vousprendresonparti?Nickneréponditqu’aprèsavoirmanifestementpesésesmots.—Jecroisquejem’entiendraiaurôledeSalomondanscettequerelle.—Figurez-vousquejen’aipasl’intentiondecouperlapauvreGeorgianaendeux.—Dommage.Çaauraitfacilitéleschoses,dit-ilenétendantseslonguesjambesdevantlui.Pensez-
vousêtreenmesured’accorderàSaGrâceuninstantd’entretienavecelle?Isabelreportasonattentionsurleduc.—Sivotresœurestd’accord,jenevoispaspourquoinousnepourrionspasorganiserunerencontre.Leducinclinalatêteavecgrâce.
—Unenobleouverture…—Cependant,sivoustouchezàunseuldesescheveux,jevousfaisexpulserdecettemaison,déclara
alorsIsabel,avecledétachementqu’elleauraiteupourcommenterletemps.LeightonetNick se raidirent tous lesdeux,manifestement choquéspar cet affront à ladignité et à
l’honneurduduc.MaisIsabel,stoïque,ignoraleurregardsurprisetselevapourgagnerlaporte.Lamainsurlapoignée,elleseretournaetfitfaceauxdeuxhommesimposants,àprésentdeboutcôte
àcôte.—GeorgianaestsouslaprotectionducomtedeReddich.Cetitreestlegarantdesasécurité.Dèsqu’elleeutrefermélaported’ungesteferme,LeightonsetournaversNick.—Reddichestcomte,dit-ild’untonglacial.Jesuisduc.Pourautantquejesache,lahiérarchiedans
lanoblesseesttoujoursenusagedansleYorkshire,non?—Tudevraisteprépareràoublier toutcequetuastoujourscruàproposdetespouvoirsdeduc,
répliquaNick,quiéprouvaunepointedepitiépoursonami.Tousceuxqui résidentdanscettemaisonprêteraientallégeanceàcettefemmeplutôtqu’auroiGeorge.
Ils’abstintdepréciserqu’ilsecomptaitparmieux.—Tueséprisdecettefille,lançaLeightond’untonaccusateur.«Épris?»s’interrogeaNickenserasseyantdanssonfauteuil.Letermenerendaitpasjusticeàce
qu’il éprouvait pour Isabel. Pas après la nuit précédente, et pas après cet entretien durant lequel elles’était tenue,digneet fière,derrière legrandbureaudescomtesdeReddich,pour tenir têteà l’undeshommeslespluspuissantsd’Angleterre.Etgagner!
—Disonsqu’elleaconquismonrespectetmonadmiration.Etpeut-êtredavantage.Leightonl’observaenplissantlesyeux.—Tuseraisfoudecéderàcetteinclination,tulesais…—Jelesais.—Etpourtant?—Etpourtant,jeleferai.Aumomentoùleduchochait la tête, laportedubureauserouvritsurIsabel.Nickserelevaàson
entrée,frappéparsabeauté.Mêmesesvêtementsdedeuilneparvenaientpasàdissimulerlaperfectionlongilignedesasilhouette.Leursyeuxsecroisèrent,maistropbrièvementpourqu’ilpuissedevinersespensées.
Était-elleaussibouleverséequeluiparlesévénementsdelanuitprécédente?Ilétaitretournédanssaproprechambreetessayaitdeconcevoirunplanpourpasserlajournéeavec
elleloindelamaisonlorsqueJaneétaitvenueluiannoncerl’arrivéedeLeighton.Commed’habitude,leductombaitaupiremoment!
L’apparitiondeGeorgiana,derrièreIsabel,ramenaNickàl’instantprésent.Lajeunefilleserraitsesmainsl’unecontrel’autreetgardaitlesyeuxbaissés.
—Georgie…ditLeightonavecunbonheurnondissimulé,ens’avançantverselle.Georgianarelevaalorslatête,etNickfutsurprisparlavivacitédesémotionsquisepeignirentsur
sonvisage : de la joiemêlée de nervosité et de tristesse,mais aussi de l’amour.LorsqueLeighton lasoulevadeterrepourl’étreindre,cefutavecbonheurqu’elles’écria:
—Simon!Devantl’adorationmanifestequ’ilsavaientl’unpourl’autre,lacrispationqueNickressentaitdansla
poitrinedepuisqu’ilavaitrévéléàGeorgianasarelationavecsonfrèresedissipa.IleutlacertitudequeLeightonn’étaitpasresponsable,dumoinsdirectement,delafuitedeGeorgianadansleYorkshire.
—Jemesuis fait tellementde souci,Georgie,dit leducà sa sœurenprenant sesmainsdans lessiennes. Tu doisme dire ce qui s’est passé. Je jure que je ferai tout ce qui est enmon pouvoir pourarrangerleschoses.
Aussitôt, les larmesmontèrent aux yeux deGeorgiana et elle recula, lui retirant sesmains. Isabelpassaunbrasautourdesépaulesdelajeunefilleenungestederéconfortetdesoutien.
—Peut-êtrequejedevraisdemanderduthé,dit-elle.L’irritation de Leighton, frustré de ne pas comprendre ce qui minait sa sœur et de ne pouvoir y
remédier,flambadeplusbelle.—Pourladernièrefois, jeneveuxpasdethé!Jeveuxmasœur!Qu’est-cequecetendroit luia
doncfait?—Cetendroitn’arienfaitd’autrequem’accueillir,medonnerunfoyeretunbut,déclaraGeorgiana,
d’unevoixquidevenaitplusvibranteetplusassuréeaufildesaphrase.Cetendroitn’arienfaitd’autrequem’accepter.
Sonfrèrepassasesmainsdanssescheveuxavantderiposter:—Moiaussi,jet’accepte!Quoiqu’ilsesoitpassé…jeferaiensortedetoutarranger.Georgianasoutintsonregardavecunefermetéquifitl’admirationdeNick.—Jenecroispasquecesoitpossible,Simon.Jesuistrèsheureusequetusoisvenu,ettrèsheureuse
de t’avoir vu. Et je suis encore plus heureuse de savoir que lady Isabel et les autres résidentes deTownsendParkn’ontplusàvivredanslacraintequetuviennesàmarecherche.MaistudoismelaisseràTownsendPark.C’estlàqu’estmaplace.
—Nedispasdesottises.TueslasœurduducdeLeighton.Tudoismeneruneexistencedigned’uneduchesse.
—Etquiteditquecen’estpaslecas,ici?répliquaGeorgianaavecunmincesourire.—Pourl’amourduCiel,regardedonccetendroit!Nickvitqu’IsabelouvraitlabouchepourdéfendreTownsendPark.Maisellelarefermaaprèsavoir
croisé son regard et, d’un signe de tête, il lui signifia son approbation. Ce n’était pas à elle qu’ilappartenaitdelivrercettebataille.
—Jemeplaisici,répliquaGeorgiana.EtladyIsabelaeulagénérositédem’offriruneplace.—Uneplace?répétaLeightonavecincrédulité.—Jesuislagouvernanteducomte.LeducregardaNick,puisIsabel,avantdereveniràsasœur.—Gouvernante?tonna-t-il.Tuesemployéeici?—Ilnes’agitpasprécisémentd’unemploi,VotreGrâce,intervintIsabel.—Vraiment?Dequois’agit-il,danscecas,ladyIsabel?—Enfait,chacunedesrésidentesagitselonsesmoyenspourlebiendelacommunautétoutentière.Silasituationn’avaitpasétéaussisérieuse,NickauraitrienentendantIsabelessayerd’expliquerles
loisquirégissaientlecurieuxmondedeMinervaHouse.MaisLeightonavaitl’airprêtàétranglerIsabelousasœur,voirelesdeux.
—En conséquence, si je payais une gouvernante à votre frère,ma sœur ne serait pas obligée detravailler?
Isabelpinçaleslèvresd’unemanièrequeNicktrouvacharmante.—Non,cen’estpasainsiqueleschosessepassent…—Detoutefaçon,Simon,jeneseraispasd’accord,déclaraGeorgiana.—C’estridicule!explosaleduc,àboutdepatience.Turentresavecmoi.
GeorgianaregardaIsabel,quiinclinalatêteensilencepourluimanifestersonsoutien.Lajeunefillepritalorsuneprofondeinspiration.
—Non,jenerentrepas.—J’aibienpeurquetun’aiespaslechoix.Jesuistonfrèreettontuteur.—Simon…Jesaisque tu te faisdusoucipourmoi,assura la jeune filled’unevoix radouciequi
laissaittransparaîtretoutel’affectionqu’elleéprouvaitpoursonfrère.Jesaisquetuveuxquejerentreàlamaison.Mais, je t’enprie,comprendsquec’est impossible.Pasmaintenant. Jemeplais ici, jem’ysensprotégéeetàmaplace.
QuandilvitLeightonbaisserlatête,Nickressentitunecertainecompassionpourcethommequines’étaitjamaisvurefuserquoiquecesoit.Ilétaitdésorienté,inquiet,soucieuxderemédieràunesituationqu’il ne comprenait pas. Au cours des derniers jours, Nick avait lui-même éprouvé ce sentimentd’impuissance.ÀcroirequelesfemmesdeMinervaHouses’évertuaientàsuscitercettesensationchezleshommes.
Cedontlajeunefillen’avaitpasconscience,c’étaitquesonsecretfiniraitparêtreconnu.Isabelnepourraitpaslacacherindéfiniment.EtlanouvellequelasœurduducdeLeightons’arrondissaitdansleYorkshire n’allait pas tarder à se répandre, provoquant un scandale qui éclabousserait non seulementLeighton,maistoutesamaison.
Leducdevaitêtreavertidudangerquilemenaçait.Maiscen’étaitpasàNickdeleluirévéler.C’estalorsqueLeightonrelevalatête.—Dis-moicequis’estpassé,Georgie…Ilyavaitdanssavoixunenotedésespérée,uneémotionàvifquilerendaitplushumainqueNickne
l’avaitjamaisvu.QuantàGeorgiana,deslarmesbrillaientdanssesyeux,etsalèvreinférieuresemitàtremblerimperceptiblement.
AuregardqueluilançaIsabel,Nickcompritque,commelui,ellejugeaitlemomentvenudelaisserlefrèreetlasœurentêteàtête.
—Ilesttempsquevousvousentreteniezsanstémoin,dit-iltoutenrejoignantIsabelprèsdelaporte.Nousvousattendronsdehors.
NiGeorgiananiLeightonnerépondirent.Quandlaportesefutrefermée,IsabelsetournaversNick,manifestementinquiète.—Ellevaleluidire.—Oui.Ellecommençaàfairelescentpasdanslevestibule,perduedanssespensées.QuandNicklavitse
tordrelesmains,unecordevibraauplusprofonddelui.Cettefemmeétaitcapabled’émotionsintenses.Queleffetcelaferait-ild’êtrel’objetdesonattention,desonamour?
Ellefinitparsetournerdenouveauverslui.—Queva-t-ilfaire?Adosséàlarampedugrandescalierdepierre,Nickpritsontempspourrépondre.Leighton avait toujours été outrageusement soucieux des convenances. Menant une vie rangée,
réfractaire au changement et à tout ce qui pourrait souiller son nom, il était prompt à dénoncer et àméprisertoutmanquementàl’étiquettechezlesautres.Lorsqu’unedemi-sœuritalienneétaitarrivéechezlesjumeauxSt.John,unpeuplustôtdansl’année,iln’avaitpaséchappéàNick,lorsdesmanifestationsmondaines,queLeightonavaitprissesdistancesaveceux.
Cethommeabhorraitlescandale.Or,iln’existaitguèredescandaleplusdévastateurquelagrossessed’unesœurcélibataire.
Isabelfixaitsurluisesbeauxyeuxbrunsinquiets,etsoncœurseserra.
—Jenesaispascequ’ilfera,admit-il,avantdeprendresesmainsdanslessiennes.Mais,quoiqu’ilarrive,Georgianan’enpâtirapas.Jetelejure.
Ellescrutalonguementsonregard.—Jeveuxtecroire.Jeveuxtellementtecroire…Maisellen’étaitpasencoreprêteàluiredonnersaconfiance.Etpeut-êtreneleserait-ellejamais–
unepenséebienplusdouloureusequ’ilnel’auraitimaginé.—Isabel…Ilnesavaitquedirepourluiprouversabonnefoi.Maisiln’eutpasletempsd’allerplusloin,carla
portedubureauserouvritsurLeighton.Sonvisagedemarbren’auguraitriendebon.Déjà, Isabel se précipitait vers le bureau, soucieuse de réconforter Georgiana.Mais les mots de
Leightonl’arrêtèrentnet.—Jedésirem’entreteniravecvousdeux.Isabel,braveetfortecommeellel’était,soutintleregardfroidduduc.—VotreGrâce,votresœurasûrementbesoindemoi.Silachoseétaitpossible,levisagedeLeightonsefitencoreplusimpassible.—Jen’aipasdesœur.Pasaujourd’hui.Quantàlafemmequisetrouvedanscettepièce…Ils’interrompitet,danslebrefsilencequisuivit,Nickcompritlaviolencedelaluttequisejouait
dansl’espritetdanslecœurdesonami.—…ellepeutattendre.Sivoussouhaitezrestermaîtressedeceslieux,ladyIsabel,vousécouterez
cequej’aiàvousdire.Immédiatement.Isabel choisit visiblement de ne pas ignorer la menace déplaisante qui transparaissait dans ses
paroles.Ellecarralesépaulesetditd’untonferme:—Certainement,VotreGrâce.Puisellepivotaendirectiondelabibliothèque.Une fois dans celle-ci, Leighton s’approcha de la cheminée et, les mains posées sur le manteau,
contemplalonguementl’âtrevide.—J’imaginequemafamilleneseraitpaslaseuleàêtresecouéeparunscandalesil’ondécouvrait
cetendroit,finit-ilpardire.—Non,VotreGrâce,réponditIsabelavecunesincéritéqueNickneputqu’admirer.Leightonluijetauncoupd’œilpar-dessussonépaule.—Jesuisasseztentéderéduirecettemaisonencendres.Isabel fut manifestement ébranlée par son ton venimeux. Elle se tourna vers Nick, une prière
silencieuse dans le regard. Désireux de désamorcer l’éclat qu’il redoutait, celui-ci s’approcha deLeighton.
—Ilnes’agitpasdelamaison,Leighton.Ettulesaistrèsbien.—Sanscettemaison,elleauraitété…—Sans cettemaison, son état serait lemême, soulignaNick, ce qui lui valut d’être foudroyé du
regardparleduc.Simplement,ellen’auraiteuaucunendroitoùseréfugier.TudevraisremercierIsabeldel’avoirrecueillie.
—Ehbien,jenepensepasquecesoitpourtoutdesuite,rétorqualeduc,quiseretournaalorspours’adresseràIsabel.Deuxoptionss’offrentàmoi,ladyIsabel.Lapremièreestdem’adresseràlajusticeetd’affronterlescandalemaintenant.
Isabel,stoïque,neréagitpasàcettemenaceproféréed’unevoixpleinedecolère.—Lasecondeestdelalaisserici.Elledonnenaissanceàcetenfant,etlescandaleéclateraplustard,
àunmomentquejenepeuxpasprévoir.Carilestévidentquevousnepouvezpasprotégercettemaison
etsesrésidentesetque,tôtoutard,lavéritééclateraaugrandjour.Situétaisàmaplace,St.John,quelleoptionchoisirais-tu?
Nicksentitpeserleregardd’Isabelsurlui.Ilsavaitqu’ellelesommaitdechoisirlasecondeoption.Maiscequ’ilsavaitaussi,c’étaitquetoutefamilleraisonnable,quitteàêtreébranléeparunscandale,aurait choisi lapremière, afind’yêtrepréparéeetde s’être arméepouraffronter ledéchaînementdescommentaires.
Mais,pourNick,laraisonn’entraitpasenlignedecompteaujourd’hui.Seulelasécuritéd’Isabeletdesfillesluiimportait.
—Jechoisiraislaseconde.Leightoneutunriresec.—Cen’estpasvrai.—Danscecasprécis,si.Parcequ’ilyaunfacteurquetuasnégligé.—Lequel?demandaIsabel,incapabledesecontenirpluslongtemps.Sonvisagetrahissaitsonincertitude,sasurpriseet,surtout,sacrainte.—Nousallonsnousmarier.CequiimpliquequeladyGeorgiana–etsasituationdifficile–serasous
maprotection.LeduccroisalesbrasetsetournaversIsabel,quiavaitpâli.—Est-cevrai?Ellesecoualatête.—Non.Jen’aijamaisditquej’épouseraislordNicholas.Nickfutpiquéauvif.Ilnepouvaitconcevoirqu’ellerefusedel’épouseraprèscequis’étaitpasséla
nuit précédente. À sa peine et à son irritation se mêla une vague de colère. Mais des annéesd’entraînementluiavaientapprisànerienlaisserparaître.
—Votremémoirevoustrahit,Isabel,dit-ilavecunamusementfeint.Vousavezconsentiàm’épouserhiermatin…Danslasalledesstatues,précisa-t-ilquandelleévitasonregard.Vousnevousensouvenezpas?
Àcesmots,elleeutuneespècedehoquetétouffé.—C’étaitavantquetoutchange!—Effectivement.Avantquecelanedevienneimpératif…insinua-t-il.—Cen’estpascequejevoulaisdire,protesta-t-elleenrougissant,etvouslesavez!—Jesaisexactementcequevousvoulezdire.Etjesaisaussiquejenepartiraipasd’icisansm’être
mariéavecvous.—Jen’aipasbesoindevous.Jemedébrouilletrèsbientouteseule.Ellen’avaitpasbesoindelui?Cetteaffirmationlerenditfurieux.—Oui,c’estceque jeconstate.Vousavezunemaisonpleinedefemmesendifficulté,etpersonne
pourlesprotéger.Dieuseulsaitcombiend’hommesmalintentionnésvontseprésenterlorsqueLeightonauramis samenace à exécution. J’ajouterai que lamaison elle-même tombe en ruine, qu’il y a ici unenfantquiauraitdavantagebesoind’êtreéduquéquedenombreuxchiotsquejeconnais,qu’ilahéritédel’undes comtés les pluspourris dupays, quevous abritez la sœurd’unduc sur le point demettre aumondeunbâtardet…quevousavezétécompromise!Àpartça,vousvousdébrouilleztrèsbientouteseule.
»Vouscroyezquedemanderdel’aidevousrendplusvulnérable.Cequivousrendvulnérable,c’estdepersisternaïvementàaffirmerquevouspourrezvousensortir sans l’aidedepersonne !Vousavezbesoindemoi,c’estévident!Ilvousfaudraitmêmeunbataillonpourréglertouslesproblèmesdecet
endroit!Commentpouvez-vousdoncpenseruninstantquejenevaispasvousépouser,espècedefolle?conclut-ild’unevoixàprésenttonnante.
Ses paroles résonnèrent un longmoment dans la pièce.Quand il vit les yeuxd’Isabel s’emplir delarmes,ilregrettaaussitôtsonemportement.
—Isabel…dit-ild’unevoixradoucieenesquissantungestepourserapprocherd’elle.Maisellelevalamainpourl’enempêcher.— Non. Votre Grâce, poursuivit-elle en se tournant vers Leighton, si ce sont là les options qui
s’offrentàmoi,jechoisisévidemmentcellequicauseralemoinsdetortàTownsendPark.Leducs’éclaircitlagorge.—Sicequ’aditSt.Johnestvrai,jemedois,entantquegentleman,d’insisterpourquevousvous
mariiez,ladyIsabel.Commeelleopinaitensilence,ilajouta:—Jevaisenvoyerchercherunpasteur.Elleinclinadenouveaulatête,leslèvresserrées,commesielleretenaitseslarmes.Puisellequitta
labibliothèqueencourant,laissantàNickl’impressiondes’êtreconduitcommeunparfaitidiot.—C’estmoiquiiraichercherlepasteur,bonsang!s’écria-t-ilavecressentiment.Pressédes’expliquer,des’excuser,ilvoulutemboîterlepasàIsabel.—Àtaplace,jem’abstiendrais,intervintLeighton.—Oh,parcequetut’entiressibienqueçaaveclesfemmes,aujourd’hui?—Ellevasefaireàl’idée.—Jen’ensuispassisûr.Ellen’estpascommelesautres.—Vraiment?Jen’avaispasremarqué.Nickselaissatomberdanslefauteuilleplusprocheetenfouitsatêtedanssesmains.—Jesuisunimbécile.Aprèss’êtreassisenfacedelui,Leightontirauncigarillod’unétuienargentetl’alluma.—Necomptepassurmoipourtecontredire.—Toiaussi,tuesunimbécile,tusais,ripostaNickenrelevantlatête.— Je le suppose. Sacrebleu, enceinte à dix-sept ans…Elle n’amême pas fait son entrée dans le
monde.—Tunepourraspaslabanniràjamaisdetavie.—Non…maisjepeuxessayer.—C’estunegentillefille.Elleneméritepastacolère.—Jeneveuxpaspenseràelle,déclaraLeighton,d’untonquinesouffraitpasderéplique.Unlongsilences’abattitavantqu’ilnereprenne:—Ainsi,tuesamoureuxdecettedame.—Jelesuis,admitNick.QueDieumevienneenaide.—Selonmonexpérience,cen’estpasenannonçant,dansunepiècepleinedemonde,qu’elleaété
compromisequ’ongagnelecœurd’unefemme.—Lapiècen’étaitpaspleinedemonde,rétorquaNick,quifermalesyeux.Jesuisunidiot.—Oui.Maisellevat’épouser.—Parcequetuluiasforcélamain.—Nedispasdebêtises.—LeducdeLeightonainsistépourqu’ellesemarie,ouildétruiracequiluiestlepluscher…Que
ferais-tuàsaplace?
—Tun’aspastort,reconnutLeighton,quitiraensuiteplusieursboufféesdesonpetitcigare.Encoreque…tabelledamenesemblepasêtredugenreàfuirdevantl’adversité.
NickrevitIsabelsurletoit,etdanslacuisineavecsonarméed’amazones.—Tuastoutàfaitraison.Leightonobservalonguementl’extrémitédesoncigarilloavantdedemander:—Est-ilenvisageablequ’elletienneàtoi?—Pascematin.—Tudevraisluidirequetul’aimes.Nicksecoualatête.—C’estuneidéeabominable.—Tuaspeurquecenesoitpasréciproque?s’enquitleduc,levisagesérieux.—Peur?Jesuisterrifié.—Lebulan,terrifié?Commec’estintéressant…AlorsqueNickréprimaituneforteenviedeluienvoyersonpoingdanslafigure,Leightontiraune
montredesapoche.—J’aimeraisbienrépondreàtonenviemanifestedetebagarrer,maistabelledameestendeuil.Ilte
fautunelicencedemariagespéciale.—Cequisignifiequejedoisallerjusqu’àYork.—Ehbien,ilsetrouvequejeconnaisl’archevêqued’York.Unechance,non?—Certes,Leighton,onpeutdirequetonarrivéeaétéunegrandechance,grommelaNick.
20
Cenefutpaslegenredemariagedontunejeunefemmepouvaitrêver.Nickétait revenu tôtdans lamatinée,aprèsavoir fait levoyage jusqu’àYorkdans lanuitets’être
arrêtéàDunscroft,auretour,pourtirerlepasteurdesonlitetletraînerjusqu’àTownsendPark.C’étaitàpeines’ilavaitpris letempsdesechangeret,àenjugerparsescernes,saminechiffonnéeetsavoixéraillée,iln’avaitpasdormidepuisladernièrefoisqu’ellel’avaitvu.
Ils s’étaientmariés dans le bureau de son père, avecLara etRock comme témoins.La cérémonieavaitétérapideetsommaire–pournepasinsulterlamémoiredefeulecomte,avaient-ilsarguéauprèsdupasteur.
Celui-ci n’avait pas protesté, impressionné qu’il était de voir que la licence spéciale avait étérédigéedelamaindel’archevêqued’Yorkenpersonne.
Isabeln’avaitpasprotesténonplus.Aprèstout,c’étaitlaseulesolution.Aussis’étaient-ils juréamouret fidélité,puis ilsavaientéchangé leursserments.MaisquandNick
s’étaitpenchépourl’embrasser,elleavaitdétournélatête,sibienquesaboucheavaitrencontrélevide.Car elle doutait de supporter le contact de ses lèvres, à cet instant où ils s’unissaient pour les piresraisons.
Elle avait quitté lamaison aussitôt après le départ du pasteur, en direction de l’ouest. Elle avaitmarchédansleschampspendantlongtemps,desheurespeut-être,perduedanssespensées.
Durantsonexistence,elleavaitététémoindeplusieurssortesdemariages:lemariaged’amourquiconduisait à la solitude,celuiqu’onconcluaitpour fuirunesituationetqui se révélaitdésespérant,ouencorelemariagederaisonquines’épanouissaitjamaisenunsentimentplusfort.
DanslesraresmomentsoùIsabels’étaitautoriséeàrêverdemariage,ils’agissaitd’autrechosequedesolitude,dedésespoiretderaison.N’était-ilpasironiquequelesienfûtnédestroisconjugués?
Néanmoins,siellevoulaitsemontrerhonnête,elleavaitcru,deuxjoursauparavant,quesonmariageaveclordNicholaspourraits’épanouirenunvéritableamour.
Ils’appelaitNicholas,Raphaël,DorianSt.John…etc’étaitàpeuprèslaseulechosequ’elletenaitpourcertaineausujetdesonmari.
Le vent s’était levé sur la lande, et les longues herbes lui fouettaient les jambes tandis qu’elle sedirigeaitàgrandesenjambéesverslalimitedesterresdesTownsend.Desterresquiappartenaientàsafamilledepuisdesgénérationsetquiseraientsauvéespourlessuivantesgrâceàcequ’elleavaitfaitcematin.
Finalement,ellen’étaitpeut-êtrepasaussiégoïstequecela?
Elle ferma les yeuxpour chasser cette pensée.Lorsqu’elle les rouvrit, la clôture endommagéequimarquait la limiteouestdudomaineapparutdanssonchampdevision.Encoreunechoseà laquelle ilseraitbientôtremédié.
Ellen’avaitpasvouluépouserNickparintérêt.Nipourbénéficierdesaprotection.NiparcequeleducdeLeightonleluiavaitordonné.
Pourtant,n’était-cepascequ’elleavaitfait,dumoinsenpartie?—Non,dit-elledansunmurmurequeleventemportaaussitôt.Lorsqu’elle avait acceptéde semarier avec lui, c’étaitparcequ’elle tenait à lui.Etparceque lui
tenaitàelle.Maisc’étaittroptard,àprésent.Ellerevitbrusquementlascènedelaveille–quiparaissaitmaintenantapparteniràunpassélointain.
Alorsqu’ellerefusaitdel’épouser,ilavaitréussiàlaconvaincrequ’elleavaitdésespérémentbesoindelui.QueMinervaHousenesurvivraitpass’iln’intervenaitpaspourlasauver…Quelamaisonvivaitsesdernièresheures.
Etilavaiteuraison,songeaIsabel,quidutessuyerunelarmesursajoue.Ellen’étaitpluscapabled’assurerseulesasurvie.
Maisqu’allait-elledevenir,àprésent?Quiserait-ellesiellen’étaitpluslamaîtressedeTownsendPark,ladirectricedeMinervaHouse,cellequipossédaitlesréponses,celleverslaquelletouslesautressetournaient?
—Isabel!Ce cri, accompagné d’unmartèlement de sabots, la tira de ses sombres réflexions. Elle pivota et
aperçutNick,montésursongrandchevalgris.Ellesefigeasurplacetandisquelui,tirantsurlesrênes,sautaitàterreavantmêmequesamonturesesoitimmobilisée.
—Jet’aicherchéepartout!cria-t-iltoutens’avançantàsarencontre,lesyeuxrivésauxsiens.—Jemepromenais,dit-elleavecunhaussementd’épaules.—Unelonguepromenade,pourunejeuneépouselejourdesonmariage,commenta-t-il.Tutentaisde
tesauver?—Non,répondit-elle,sanssourireàsaplaisanterie.Danslesilencequisuivit,ilscrutasonvisage.—Tuesmalheureuse…Ellesecoualatête,lesyeuxbrûlantsdelarmes.—Non.—J’ai entenduparlerde femmesquipleuraient le jourde leurmariage, Isabel,mais j’ai toujours
considéréqu’ils’agissaitdelarmesdejoie.Ilsetut.Puis,aprèsl’avoirobservéedenouveauintensément,ill’enlaçaetl’attiraàlui.— Isabel, je suis désolé pour les choses que j’ai dites, et pour la manière dont je les ai dites,
murmura-t-ildanssescheveux.Pardonne-moi.Elleneréponditpas,maisellerefermaétroitementsesbrasautourdelui.C’étaittoutcequ’elleétait
capabledeluidonneràcetinstant.Elles’abandonnaàsonétreintependantunlongmoment,jouissantdela forcede sesbras, de la chaleurde son torse sous sa joue.Elle s’autorisamêmeà imaginerque cemariage était différent, qu’ils s’étaientmariés pour une tout autre raison…qu’ils s’étaientmariés paramour.
À cette pensée, elle s’écarta. Comme elle faisait mine de lisser sa jupe, le regard détourné, ilmurmura:
—Isabel…
Ladouceuretl’émotionaveclesquellesilprononçasonprénoml’obligèrentàreleverlesyeux.— Je suis désolé que tu n’aies pas eu le genre de mariage dont tu avais rêvé, poursuivit Nick.
J’auraisvouluqu’ilsedérouleautrement,avecuneéglise…unebellerobe…ettesprotégées.Ellesecoualatête,tropémuepourparler.Ilpritalorssamain.—Nousavonslaissédecôtéunepartimportantedelacérémonie,cematin.Lepasteuradûsupposer
quenousn’avionsrienprévupourcela,aussil’a-t-ilpasséesoussilence.—Jenecomprendspas,avoua-t-elle,déconcertée.Illuiprésentasonpoingfermé.Quandill’ouvrit,elleaperçutsursapaumeunsimpleanneaud’or.—Tuméritesbeaucoupmieux…J’airéveillélepremierbijoutierquej’aitrouvéàYork,cettenuit,
et il n’avait pas un grand choix. Dès que l’occasion s’en présentera, je t’achèterai une baguefabuleuse.Avecdesrubis.J’aimequetuportesdurouge.
Lesmots se bousculaient presque dans sa bouche, comme s’il craignait un refus d’Isabel s’il luilaissaitlachancedeparler.Maisellen’avaitaucuneenviedel’interrompre.
Illuipassaalorsl’allianceaudoigttoutenesquissantunsourireencoin.—Jenemerappellepaslesmotsexacts…—Moinonplus,chuchota-t-elle.— Bien, dit-il avant de prendre une profonde inspiration. Je ne suis pas parfait, et j’ai bien
consciencequ’ilmefaudratravaillerduravantderegagnertaconfiance.Maisjeveuxquetusachesquejesuisextraordinairementheureuxdet’avoirpourfemme.Etjeferaitoutcequiestenmonpouvoirpourêtreunexcellentmari.Quecettealliancesoitlapreuvedeceserment.
Ilrefermasesmainsencoupeautourduvisaged’Isabelet,avecsespouces,essuyaleslarmesqu’ellen’avaitpureteniràcesmots.
—Nepleurepas,moncœur.Il effleura ses lèvres de baisers si tendres, si doux que, l’espace d’un instant, elle oublia qu’ils
s’étaientmariéspouruntasdemauvaisesraisons.Aprèsavoirrelevélatête,ilplongeadenouveausonregarddanslesien.—Cetaprès-midi…jusqu’àcesoir…pouvons-nousoubliertoutlereste?Pouvons-noussimplement
avoirunejournéepourcélébrernosnoces?Qui sait si, avantquene leur reviennent toutes lesmauvaises raisonsqui les avaientpoussés à se
marier,celaneleurpermettraitpasd’endécouvrirunebonne?Siseulement…—C’estuneexcellenteidée,jecrois,dit-elle.Avecunsourireéclatant,illuiprésentasonbras.—Lajournéevousappartient,ladyNicholas.Quevoulez-vousenfaire?LadyNicholas…Commeilétaitétranged’êtrecettepersonnenouvelle,différente…Maisjoueravec
cenomenpenséesuffitàfaireresurgirl’anxiétéd’Isabel.QuiétaitladyNicholas?Qu’étaitdevenueladyIsabel?
—Isabel?Demain.Elles’inquiéteraitdeladyIsabeldemain.—J’aimeraistemontrerledomaine,luirépondit-elleensouriant.Quelquesminutesplustard,caléeentrelesbrasdeNick,Isabelluidésignaitleslieuximportantsde
sonenfancetandisquelechevallesramenaitverslamaison.Elleluimontralebosquetoùellesecachaitlorsqu’ellevoulait s’échapper, l’étangoù elle avait appris ànager, les ruinesduvieuxdonjonoù ellejouaitàêtreuneprincesse.
—Uneprincesse?
—Oui, répondit-elle, lesyeuxfixéssur la touràdemiécroulée,érigéeaupoint leplushautde lapropriété.Prétendreêtreunereinemeparaissaitexagéré.Ilfautsavoirrestermodeste.
Toutenriant,ilimmobilisasoncheval.Quandelletournalatêteverslui,Isabelvitbrillerdanssesyeuxunintérêtmalicieux.
—Pouvons-nousvisitervotrechâteau,VotreAltesse?—Certainement.Dèsqu’elleeutmispiedàterre, il lapritpar lamain,et ilsgravirent lemonticuleendirectionde
l’amasdepierres.— Il y a des années que je ne suis pas venue ici, déclara Isabel en s’aventurant entre les piliers
effondrés.Nicks’adossaàunmurbas,vestiged’unesalledétruite.—Raconte-moicequetuimaginais.—Lamêmechosequelesautrespetitesfilles,jesuppose,répondit-elleavecunsourirepensif.—Jen’aipaseuleprivilègederencontrerbeaucoupdepetitesfilles.Jet’écoute,situveuxbien.Elles’arrêtasousunearchedepierrequiavaitpeut-être,longtempsauparavant,encadréunefenêtre.—Ehbien, j’étaisuneprincessedansune tour, commença-t-elle, le regard tournévers lepaysage
verdoyant. J’attendaismonchevalier…Selon les jours, j’étaisprisonnièred’un sort,ougardéeparunméchant dragon, ou quelque chose d’aussi fantastique. Mais ce n’était pas toujours aussi recherché.Quelquefois,jevenaisicisimplementpour…
ElleseretournaetconstataqueNickavaitdisparu.—Simplementpour?Il se tenait de l’autre côté de l’arche, les avant-bras posés sur le largemur de pierre.Elle rit du
tableauqu’iloffrait,avecsescheveuxébouriffésetsonsourireespiègle,alorsqu’ilportaitencoresonhabitdecérémonie.
Àsontour,elleposalesbrassurl’appuidefenêtre,toutcontrelessiens.—Pourtenterd’imaginermonavenir.—Quevoyais-tu,danstonavenir?Isabeldétournalesyeux.—Les choseshabituelles…Lemariage, les enfants…Jen’avais certainementpasprévuMinerva
House.Ellerestasongeuseunlongmomentavantdereprendre:—C’estdrôlecommeceschosess’insinuentdanslesrêvesdespetitesfilles.Jen’avaispassousles
yeux l’exemple d’un couple heureux, et je ne possédais aucune preuve que le mariage était un sortenviable.Etpourtant…
—Et pourtant, fut un tempsoù lady Isabel rêvait de devenir une épouse, dit-il d’unevoix légère,taquine.
C’étaitexactementletondontIsabelavaitbesoin.—Jesuppose,acquiesça-t-elleensouriant.Évidemment, ladyIsabeln’avait jamaisenvisagédese
marieravecl’undesplusbeauxpartisdeLondres.Elleaeudelachance,vraiment,deconquérirunlordaussiéminemmentdésirable.
Nickrestabouchebée,lesyeuxécarquillésparlasurprise,etIsabelneputs’empêcherdeglousser.—Tuétaisaucourant!Elleplaçasamainsursapoitrined’ungestethéâtral.—Monsieur,commentpouvez-vousimaginerqu’ilexisteuneseulefemme,danscettecontrée,àne
pasêtreaucourant?Figurez-vousqu’iln’estpasnécessaired’êtreabonnéàPearlsandPelissespour
reconnaître,aupremiercoupd’œil,unetelle«incarnationdelavirilité…».—Vousvoustrouvezsansdoutetrèsdrôle,ladyNicholas.—Jesaisquejesuisexcessivementdrôle,lordNicholas,riposta-t-elleavecunsourireéclatant.Toutenriant,iltenditlamainpourrepousseruneboucledecheveuxqueleventrabattaitsursajoue.
Leriremourutsimultanémentsurleurslèvresquand,aprèsunarrêtimperceptible,ilprolongeasacaresseenrefermantsamainsurlanuqued’Isabelpourl’attireràlui.Sonbaiser,àlafoistendreetprofond,fitcourirenelleunfrissondeplaisir.Alorsqu’elle laissaitéchapperunsoupir, il fitpleuvoirdedouxetlégersbaiserssursajoue,sonfrontetleboutdesonnezavantdes’écarter.
—Ainsi,tupensaispouvoirmeconquérir?demanda-t-il,narquois.—Non.Lesfillespensaientquejepouvais teconquérir.Ellesmepressaientdemettreàprofit les
leçonsdelagazettepouryparvenir.Quandilpoussaungrognementincrédule,elleajouta:—Inutiledepréciserquejen’aijamaisététrèsbonnepoursuivredesinstructions.—Etalors?Quelétaittonplan?—Cequejepensaisconquérir,c’étaittonexpertiseenmatièred’antiquités.—Ehbien…Tusemblesavoirreçuplusquetunedemandais.Ellefeignitdeleconsidérerd’unœilcritique.—Oui,j’enaibienl’impression.—Espècedefriponne!lança-t-ilenéclatantderire.Aumomentoùellejoignaitsonrireausien,ils’éloignadelafenêtre.Ensepenchant,ellelevitqui
sedirigeaitversuneouvertureet,àlapenséequ’ilallaitserapprocherd’elle,ellesentitlesbattementsdesoncœurs’accélérer.
Nevoulantpastrahirsanervosité,ellesehissasurl’appuidefenêtreetattenditqueNickvienneverselle. L’excitation continua de grandir au creux de son ventre à mesure qu’il avançait, enjambant lesgravatsavecprécaution.
Lagazettedisaitlavérité:quelhommeremarquablec’était!Etcethommeremarquableétaitsonmari…Loin de s’arrêter à une distance convenable, il s’approcha d’elle autant qu’il le put. Ses jambes
frôlaientlajuped’Isabelquandillevalamainpourluicaresserdoucementlajoue,ylaissantunsillagedefeu.Ilyavait,dansleregardqu’ilposaitsursonvisage,quelquechosequ’elleneputdéchiffrer.
—Àquoipenses-tu?murmura-t-elle.Àun tout autremoment, ellen’aurait pasposé laquestion.Mais ils se trouvaientdans cet endroit
magique,loindurestedumondeetdeleurvie.Aujourd’hui,ilsétaientsimplementmarietfemme.Lepoulsd’Isabels’accéléraencorequandellereconnutledésirdanslebleuardentdesesyeux.Elle
retintsonsouffledansl’attentedesaréponse.—Jepensequetueslafemmelaplusmagnifiquequej’aiejamaisconnue.C’étaitsiinattenduqu’elleenrestasansvoix.Ilajouta,lesmainsreferméessursonvisage:—Tuesforte,belle,brillante,etsipassionnée…J’aitellementenvied’êtreprèsdetoiquec’enest
douloureux.Jenesaispascommentc’estarrivé,continua-t-il,lefrontcontrelesien,maisilsembleraitquejesoistombéfouamoureuxdetoi.
Sesmotsrésonnèrentdansl’espritd’Isabel,l’empêchantdepenseràquoiquecesoitd’autre.Était-cepossible?Nickl’aimait?C’estalorsqu’ill’embrassaetqu’ellerenonçaàréfléchir.AvouersonamouràIsabelavaitlibéréquelquechosedesauvageetdepuissantenNick.Sansôter
seslèvresdessiennes, il lasoulevapourl’emmenerjusqu’àunpetitcarréd’herbe,aupieddudonjon.
Durantlelongmomentqu’ilspassèrentàjouerdeleurboucheetdeleursmainspoursecaresser,Nickfutintensémentconscientdecequidifférenciait cet instantde tous lesautres.Quel troubleviolent,quelleivresseilyavaitàfairel’amouràsafemme!Àlafemmequ’ilaimait!
Quand Isabel commença à s’attaquer aux boutons de son habit, puis de son gilet,Nick arracha sabouche à la sienne, le temps de se débarrasser de l’un et de l’autre. Ils s’embrassèrent de nouveaufébrilement,puisIsabeltirasursachemisepourglissersesmainssursontorse.Lecontactdesesdoigtscontresapeauétaitunetorture,etilrompitunefoisencoreleurbaiserpourpassersachemisepar-dessussatêteetlalancernégligemmentderrièrelui.
Mais,quandiltentadereprendreIsabelentresesbras,ellesedérobad’ungestesouple.—Non,dit-elled’unevoixoùperçaitlaconsciencedesonpouvoirféminin.Jeveuxteregarder.Elles’approchaet,toutenempêchantNickdelatoucher,plaquasespaumessursontorse.Puiselle
fitglissersesdoigtslelongdesesbras.—Tuessimusclé…sihâlé…Commentcelasefait-il?Renduàmoitiéfouparsescaresses,Nickpeinaàtrouversesmots.—Jepossèdeundomaineàl’extérieurdeLondres…J’aimetravaillerdansleschamps.Sousleregardbrûlantd’Isabel,ildutserrerlespoingspourcontenirsonenviedel’attireràlui.—Tuneportespasdechemisequandtutravaillesdehors?—Pastoujours.—Quelleinconvenance…chuchota-t-elled’untonsuggestif,avantdefairecourirseslèvressurson
torse,dessinantdelentscercleshumidessursapeau.Incapablederésisterpluslongtemps,Nicks’emparadesabouche.Puis,ayantfaitpivoterIsabel,il
déboutonnaavecunehâtefébrileledosdesarobe.Quandlecorsages’entrebâilla,elleleretintsursesseins. Puis elle se retourna avec, dans ses yeux bruns, une promesse de sirène et lâcha sa robe, quis’épanouitàsespiedscommeuneflaquebleunuit.
Nickprituneprofondeinspirationetlafitpivoterdenouveau.—Jedétestelafemmequiainventélecorset,gronda-t-ilens’attaquantauxlacetsdecelui-ci.Isabels’esclaffaetluijetaunregardpar-dessussonépaule.—Qu’est-cequitefaitpenserquec’estunefemmequil’ainventé?—Parcequ’unhommen’auraitjamaiseul’idéedeterendreaussidifficiled’accès.Dès qu’elle se fut débarrassée du sous-vêtement incriminé, Nick repoussa les bretelles de sa
chemise, laquelle tombaà son tour. Isabel se retrouvanuedevant lui, avecpour témoins le ciel et lesvieilles pierres. Il dévora des yeux son corps ravissant, que rougissait un mélange d’excitation etd’embarras.
— Te voilà, dit-il d’une voix que le désir rendait presque méconnaissable, même à ses propresoreilles.Viensici.
Il l’attira à lui. Sa poitrine nue se pressa contre son torse quand il s’empara de sa bouche avecavidité.Puisilpritsesseinsencoupedanssesmainsetentaquinalespointesdéjàdurcies.Commeellegémissaitcontreseslèvres,ilbaissalatêteetrefermasabouchesurl’undesesmamelons,dontiltitillalachairtenduedesesdents,desalangue,avantdelesucerdoucementenunecaressequipoussaIsabelàsetordrecontrelui.
Ilglissaalorsunemainentresescuisses,écartad’undoigtlesbouclesdoucesquiprotégeaientsonsexe, trouva l’endroit où se concentrait sondésir et l’exaspéra endessinant autour des cercles légers.Puis,rendufouparseshalètementsaffolés,ill’étenditsurl’herbemoelleusecommepourunsacrificeetécartasesjambes,offrantsachairlaplusintimeausoleil,auventetauciel.Iljoignitunseconddoigtaupremieretregardasesyeuxs’embuerdepassionalorsqu’illamenaitaubordduplaisir.
Ilvoulaitlavoirjouirentresesbras.Ledoscambrécontrelesol,elletenditleshanches,luiindiquantdansl’expressioninnocentedeson
désiroùetcommentlacaresser,etils’inclinapoursaisirlelobedesonoreilleentresesdents.—Oui,monamour,chuchota-t-il,prendstonplaisir.Il lui donna ce qu’elle ne savait comment demander, plus vite, plus fort, plus profondément…
L’orgasmelaterrassa,luiarrachantdescrisinarticulésquirésonnèrententrelesvieillespierres.Ensuite,ellerestainertependantdelonguesminutes,durantlesquellesNicksegorgeaduspectacle
qu’elleoffrait,nue,abandonnée,etàlui.Quandellefinitparrouvrirlesyeux,lalueurlicencieusequ’ilvitdanssonregardluicoupalesouffle.Ellefitdescendresamainlelongdesontorse,avantdeglisserundoigtsouslaceinturedesonpantalon,dontsonmembredurcitendaitl’étoffe.
—C’estmontour,murmura-t-elle.Etelleentrepritdedéfairelesboutons…bientroplentementaugoûtdeNickqui,enunclind’œil,se
débarrassadesesbottesetdesonpantalon.Ilseretrouvaaussinuqu’elle,etaniméd’undésirdésespéré.Ill’embrassapassionnémentavantderépliquer:
—Biensûr.Cen’estquejustice.Avecunrirepleindepromesses,ellepritdanssamainlesexedeNick,quisedurcitencoresousles
caressesqu’elle lui prodiguait.Elle compensait sonmanqued’expériencepar l’audace et la curiosité.Entresespaupièresmi-closes, il lavitobserver,fascinée,sonmembrequigrandissaitentresesmains,devenantplusduretpluslongqu’ilnel’avaitjamaisété.
Elles’inclinaalorspourdéposerunbaiserléger,humide,àsonextrémité,etilcrutmourirsurplace.Aurâlequ’ilpoussa,ellerelevalatête,l’airinquiet.—Jet’aifaitmal?Cettequestioninnocenteluifitrefermerlesyeux,alorsqueseshanchesbougeaientmalgréluipour
appelersescaresses.—Non,monamour.Non…—Jedoisarrêter?—Aucontraire,recommence,supplia-t-ild’unevoixtremblante.L’effleurementdeseslèvresdoucesfutunedélicieusetorture.Nickretintsonsouffle.Queferait-elle
ensuite?Quandilsentitsalanguelelécheravechésitation,ilneputretenirungémissement.—Oui…commeça…Oh,Isabel!Quelques instants plus tard, enhardie par ses encouragements, elle lui prodiguait des soins si
empressésqu’ilcraignitdenepluspouvoirsecontenir.Il l’écartadoucement,puis, lasoulevant, ladéposasur luiàcalifourchon.Commeil l’attiraità lui
pours’emparerdesabouche,ellerésista,uneombred’incertitudedansleregard.—Çaneteplaisaitpas?Ilneputréprimerunrirerauque.—Monamour,jen’aijamaisrienconnud’aussiincroyable.Celameplaisaittrop.Elle fronça les sourcils, et il s’aperçut qu’elle ne comprenait pas.De nouveau, il s’empara de sa
bouche,etleurbaiserardent,prolongéleslaissatouslesdeuxpantelants.Ilrefermaalorsseslèvressurl’undesesseins,qu’ilsuçajusqu’aumomentoùellelaissaéchapperuncriétranglé.
—Je…jeneveuxpasavoirduplaisirsanstoi,balbutia-t-elle.Pasaujourd’hui.Laprenantparlataille,illaguidademanièreàl’empalerdoucementsurlui.Lasensationnouvelle
luifitécarquillerlesyeux.—Onpeutlefairecommeça?—Nousallonsbienvoir…Est-ceconfortable?
—Oui,murmura-t-elle.Oui…c’estdélicieux.Elleimprimaàsonbassinunmouvementd’ondulationquinetardapasàmenacerlaraisondeNick.
Desesmainssurseshanches,illuimontracommentbouger,l’encourageantàprendrelecontrôledeleurunion,àdevenirlamaîtressedeleurplaisir.Commeils’endoutait,elles’yemployaaussitôtet,toutencaressant ses cuisses élancées, ses seins ronds, il la laissa rechercher et adopter le rythme qui laconduiraitàl’orgasme.
Au moment où le supplice devenait insupportable, ses mouvements de va-et-vient s’accélérèrent,devinrentfrénétiques,etilvitsursonvisageuneexpressiondesurprise.Ilglissaalorslamainàl’endroitoùleurscorpsétaientuniset,dupouce,titilladélicatementlepetitboutondurdesonintimité.Autourdesonmembre,ilsentitsecontractersachairenspasmesdeplusenplusviolents.
—Regarde-moi,Isabel.Regarde-moidanslesyeuxaumomentdejouir.—Jene…jenepeuxplus…haleta-t-elle,lesonglesenfoncésdanssesépaules.Nick!—Jesais…Il l’empoigna par les hanches et l’extase les submergea, les entraînant dans un maelström de
sensationsquileurarrachadescrisinarticulés.Isabels’effondrasurlui,etillagardaenlacéeletempsqueleursoufflesaccadéretrouveunecadence
normale.Quandonn’entenditplusquelemurmuredelabriseentrelespierres,ilposaseslèvressursatempeetluirépétaqu’ill’aimait.Àcesmots,ellefrissonnaensepressantdetoutessesforcescontrelui.
Peut-êtreavaient-ilsunechance,finalement.
Enveloppéedansunegrandeserviette,Isabelsepréparaitdevantsacoiffeusepoursanuitdenoces.Lachoseparaissaitcependantunpeusaugrenue,étantdonnéquesonmarietelleavaientpasséunegrandepartiedelajournéeàl’extérieur,nus,àcélébrerleuraprès-mididenoces.
Mais,biensûr,personnedanslamaisonnepouvaitlesavoir.Aussi,quandLaraavaitinsistépourluipréparerunbain,Isabeln’avait-ellepasprotesté.D’autantqu’ilneluidéplaisaitpasdepasserunpeudetempsseuleavecsespenséesavantderetrouversonmari.
Sonmari…Sonmariquil’aimait…Ou,entoutcas,quileluiavaitdit.Commecesmotsétaientpuissants!Ellecomprenaitàprésentàquelpointilspouvaientrendreune
femmefaible,etdequellemanièrequelquessimplessyllabessuffisaientàsusciterchezellel’excitationetl’impatience.
Uncoupfrappéàlaportefitbondirsoncœurdanssapoitrine.PuiselleserenditcomptequecenepouvaitêtreNickcar,unpeuplustôtdanslajournée,ilavaitemménagédanslachambreadjacente,quicommuniquaitaveclasienneparuneporteintérieure.Or,c’étaitàlaporteducouloirqu’onfrappait.
—Entrez!Laportes’ouvrit,livrantpassageàGwenetàJane.Isabelpivotaimmédiatement.—Toutvabien?—Ondiraitquevousêtesunpeunerveusecesoir,observaJaneensouriant.Quelquechosevous
tracasse?—Non,réponditIsabel,lessourcilsfroncés.Àquoifais-tuallusion?Gwens’assitenriantsurunpetittabouret,prèsdulit.—Oh,Isabel,c’estenfinarrivé!—Quoidonc?—Vousvousêtestrouvéunmari,expliquaJane,aprèss’êtreperchéesurlereborddelabaignoireen
cuivre.
—Cen’estpascommesijel’avaischerché.C’estarrivésansquejefassegrand-chose.—Maisvousneregrettezrien,n’est-cepas?s’enquitGwen.—Pasexactement,réponditIsabelaprèsavoirréfléchiunlongmoment.LordNicholassembleêtre
unebonnepersonne.—Malgrélesévénementsd’hier?—Oui.Ilamanifestéplusqueclairementsonintentiond’aideràprotégerMinervaHouse.Celadit,il
n’auraguèrelechoixs’ilm’épouse,ajouta-t-elle,ironique,quandlesdeuxfemmeshochèrentlatête.—Ilvousadéjàépousée,corrigeaGwenensouriant.—Oui,c’estvrai,acquiesçaIsabelqui,encoreincrédule,secoualatête.Jesuisunefemmemariée,à
présent…—Effectivement.Etnousvoussouhaitonsbeaucoupdebonheur,ditJane.Isabel tentadedissimuler lanervositéquis’emparad’elle lorsqu’elleentenditcesmots.Pourelle,
mariage avait jusque-là si peu rimé avec bonheur ! En revanche, être aimée était une sensationextraordinaire…etterrifiantepourquelqu’unqui,commeelle,avaitsipeurdeseperdre.
Quandelleprituneprofondeinspiration,GwenetJaneéchangèrentunregardentendu.—Qu’ya-t-il?—Ehbien,nousavonsétéenvoyéesici…pourvousparler…—Ohnon!s’écriaIsabel,alarmée.Àquelsujet?—Àproposdevotrenuitdenoces.—Ahbon,maispourquoi?répliquaIsabel,abasourdie.Janevintseplacerfaceàelle,luipritlamainet,baissantlavoix,déclara:—Nouspensonsquevousdevezêtrepréparée.C’est-à-dire…savoiràquoivousattendre.—Etcommevotremèren’estpluslà…ajoutaGwen.Isabelcompritbrusquement.Etlaraisondeleurvisiteétaitsidifférentedetoutescellesqu’elleavait
puimaginerqu’ellepartitd’ungrandrire,quinetardapasàdevenirincontrôlable.Sesdeuxamiesse regardèrent, l’airsi interloquéqu’Isabel ritdeplusbelle.Elle finitpar reposer
sonpeignesurlacoiffeusepourtenterdereprendresonsouffle.—Je…jesuisdésolée!balbutia-t-elleenagitant frénétiquement lamain.Vraimentdésolée.C’est
justeque…Peut-êtreaurait-elledûleurdirequ’ellen’avaitpasbesoind’éclaircissementssurledéroulementde
lanuitàvenir…Maisleurembarrasétaitsidivertissantqu’ellenerésistapasàl’enviedeprolongerunpeulaplaisanterie,nefût-cequepourladistractionbienvenuequ’elleluioffrait.
—Jesuisdésolée,dit-elleunenouvellefois.Jevousenprie,continuez.Quedois-jesavoir?—Ehbien,commençaGwen,vousavezdéjàlaisséentendrequelordNicholasembrassaitbien…—Plusquebien,même.—Parfait,murmura la cuisinière, dont les joues se teintèrent de rose.Dans ce cas, nous pouvons
espérerqu’ilsemontreraégalementbon…CommeellesetournaitversJane,celle-ciachevaabruptement:—Bonamant.Isabelpivotafaceàsonmiroiretsaisitdenouveausonpeigne.—Oui,jel’espère,effectivement.— C’est-à-dire que… reprit Gwen, vous pourriez être surprise par la manière dont… dont les
choses…sepassent.Isabelneputréprimerunsourire,maiselles’efforçadenepaslaissertransparaîtresonamusement
danssavoix.
—Leschoses?Ilyeutunsilence,queJanefinitparrompre.—Isabel,commevousavezpuleconstateravecvosstatues, ilexistedes…différencesphysiques
entrevousetvotremari.—Oui…—Nousn’allonspasvraimententrerdanslesdétails,continuaJaneavecunepointed’agacement.—Maiscommentsaurai-jecequ’ilfautfaire?demandaIsabelensemordantlesjouespournepas
sourire.—Nevousinquiétezpas.NoussommesàpeuprèssûresquelordNicholaslesaura.C’enfuttrop.Isabelpouffaderire.—Oui…J’ensuismêmesûreetcertaine!Lesdeuxfemmesécarquillèrentlesyeux.—Voussavezdéjàtout!s’exclamaGwen.Avecunsourirejusqu’auxoreilles,Isabelserelevapoursedirigerverssonparavent,derrièrelequel
l’attendait la chemise de nuit qu’elle avait choisie pour l’occasion – une chemise en soie d’un rosecramoisidontelleespéraitqu’elleplairaitàsonmari.
—C’estvrai.Maisjevousremerciebeaucoupdevotresollicitude.—Quellefemmeinsupportablevousfaites!s’exclamaJaned’unevoixrieuse.Ilnevousméritepas.—Ellen’estpasmariéedepuisdouzeheuresetelleadéjàeusanuitdenoces,soupiraGwen.Alors,
avons-nousraison?—Raison?répétaIsabel,quicoulaunregardpar-dessusleparavent.Àquelpropos?—C’estunbonamant?—Gwen!s’écriaIsabelenrougissant.—Ah,ilsembleraitqu’illesoit,conclutGwend’untontaquin.Quandlesdeuxfillescessèrentderire,Janereprit,plussérieuse:—Vousl’aimez?Isabelgardalesilence.Cettequestionlahantaitdepuisl’après-midi.Depuispluslongtemps,même,
siellevoulaitsemontrerhonnête.Entournantlatête,ellesurprit,danslegrandmiroir,lerefletdesasilhouettesoulignéeparlasoie
rosesombredesachemisedenuit.Elle l’avait choisie pour lui, pour le rendre heureux, pour qu’il la désire, pour qu’il l’aime plus
encore.Oui,lavérité,c’étaitqu’ellel’aimait.Rienn’auraitpulaterrifierdavantage.Car,sielleadmettaitsonamourpourlui,nedeviendrait-elle
pascommesamère?SonmariageavecNickneressemblerait-ilpasàceluidesesparents?Elleserappelaitsamèresoupirantindéfinimentaprèssonpèreetguettantparlafenêtre,pendantdes
heures, l’apparition de son attelage ; elle se souvenait de l’adoration qu’elle luimanifestait quand ilétaitlà…etdesillusionsdontelleseberçaitlorsqu’ilétaitabsent.Et,pirequetout,delahainequ’elleavaitvouéeàsesenfantslorsqu’ilavaitabandonnésafamille.
Comment Isabel pouvait-elle prendre le risque de reproduire une existence aussi vide etdésespérante?
Non.L’amourn’avaitapportériend’autrequeduchagrinàTownsendHouseetdanssaproprevie.Elleneselaisseraitpasdétruirecommesamère.
Aussi, toutens’avouant lessentimentsqu’elleéprouvaitpourNick,elleserefusaà lesexprimeràvoixhaute.
—Isabel?repritJanedepuisl’autrecôtédelapièce.Tiréede sespensées, elleprituneprofonde inspirationet, sans tenir comptede ladouleurquece
mensongeluicausait,elles’adressaàsonreflet,danslapsyché.—Jenel’aimepas,déclara-t-elled’unevoixqu’elles’efforçaderendrelégère,pourconvaincreses
amiesqu’elleétaittoujourslamêmeIsabel,pleinedeforceetdecertitude.Pours’enconvaincreelle-même,envérité.— Je l’ai épousé par devoir, poursuivit-elle. Pour James, pourMinervaHouse et pourTownsend
Park.Jenevoispaslanécessitéd’invoquerl’amourdanstoutcela.Plaquantunsourireéclatantsursonvisage,ellecontournaleparavent.Elles’aperçutalorsqueGwen
etJane,figéessurplace,n’étaientpastournéesverselle.Quandellesuivitladirectiondeleurregard,ellesentitsoncœursedécrocherdanssapoitrine.Nicksetenaitsurleseuildelachambrecontiguë.Etilavaittoutentendu.Ellesentitsonsourirevacillerquandils’inclinaavecraideur.—Jevousprésentemesexcuses.J’ignoraisquevousn’étiezpasseule.—Je…Isabels’interrompit.Quepouvait-elledire?—Justement,nouspartions,ditJane.Etlesdeuxfemmess’esquivèrentavecunecéléritéqu’Isabelneleuravaitjamaisconnue.Elleseretrouvaseuleavecl’hommequil’aimait.Etdontelleavaitrabaissél’amouravecsesparoles
stupides.Iltournalestalonsetdisparutdansl’autrepièce.Sansréfléchir,ellelesuivit.Quandellefranchitle
seuil, il versait deux doigts de cognac dans le verre qui avait été préparé pour lui. Il considéralonguementleliquidemordoréavantd’enavalerunegrandegorgée,puisilallas’asseoirdansunlargefauteuilbasetreportasonattentionsurIsabel.Sonregardétaitfroid,dénuédetouteémotion.
—Nick…commença-t-elleens’avançantverslui.—Tuportesdurouge.Isabels’immobilisa,décontenancée.Puisellebaissalesyeuxsursachemisedenuit.—Je…j’aipenséqu’elleteplairait.—Ellemeplaît,secontenta-t-ildedireaprèsl’avoirobservéeensilence.—Je…Elle aurait voulu lui dire qu’elle avaitmenti.Qu’elle l’aimait.Mais la peur empêcha lesmots de
franchirseslèvres.Ellevoulutcroirequ’illesentendraitnéanmoins.—Viensici.Cetordrefutprononcéd’unevoixsombre,impérieuse,qu’elleneluiconnaissaitpas.Elleeutenvie
defuir,derefermeretdeverrouillerlaporteentreleursdeuxchambres,etdesecacherjusqu’àcequ’ilsoitredevenului-même.Mais,enmêmetemps,elleavaitenvied’obtempérer.
Ilbutunenouvellegorgée,sanslaquitteruninstantdesyeux,commes’illadéfiait.Isabels’avança.Unefoisàcôtédelui,elledutseretenirdelesecouer,tantelleaspiraitàretrouver
l’hommevibrantd’énergieetd’amourdel’après-midi.Ilrestaimmobilesilongtempsqu’ellesedemandasi,finalement,iln’allaitpaslarenvoyeretrefuser
delatoucherdenouveau.Lesilences’éternisa,horrible.Justeaumomentoùelles’apprêtaitàtournerlestalons,ilsepenchaenavantpourl’attraperparla
mainetl’attirerentresesgenoux.Ilposasatêtecontresonventrepuis,respirantfortement,ilpressasaboucheentrouvertesur le tissusoyeux.Sesmains remontèrent le longdescuissesd’Isabelavantdese
refermer sur ses fesses, et tout en la maintenant contre son visage, il posa ses lèvres à l’endroit oùpalpitaitsachairlaplusintime.
Embraséeparlasensationdesonsoufflechaud,elleplongealesdoigtsdanssesbouclesépaissesetsepenchasur lui.Il relevaalors la tête.Sesmainsseposèrentencoupesursesseins,dont ilsemitàcaresser les pointes sous la mince étoffe, jusqu’à ce qu’elles soient douloureuses de désir. Alorsseulement, quand le souffle d’Isabel se réduisit à des halètements tremblants, il lui donna ce qu’elleréclamait : il referma ses lèvres sur l’un des mamelons érigés, qu’il suça à travers le tissu, jouantalternativementdesdentsetdelalangue.Lorsquelasoiemouilléecollaàsonsein,ilprodigualesmêmescaressesàsonjumeau,jusqu’aumomentoùIsabelneputplusretenirungémissementdeplaisir.
D’unmêmegeste,ilsemitdebout,relevaleborddelachemisedenuitd’Isabeletlaluiôta.Puisillasoulevapour laramenerdanssaproprechambre.Sansla lâcher, il l’allongeaet larecouvritdesoncorps.Elletirasursachemise,avidedesentirsapeaucontrelasienne,tandisqu’illacouvraitdebaisersbrûlants,depuislecreuxdesoncoujusqu’àsonventre.
Àpeinel’eut-elledébarrassédesachemisequ’illuiécartalesjambespourinsinuerentreellesseslargesépaules,sansqu’elleproteste.Quandilposasabouchesursonsexemoite,cefutpourjouerdesalangueetdeseslèvresàunrythmediabolique.Ilfallutàpeinequelquessecondespourqu’Isabel,arquéeau-dessusdulit,criedeplaisir.
Unenouvellevaguelasubmergealorsqu’ilintroduisitundoigt,puisunautre,auplusprofondd’elle.Alorsqu’ellegémissaitsonprénom,illapénétrad’unseulcoupdereins,avecuneintensitéetuneforcequ’ellen’avaitencorejamaiséprouvées.Transportéepresqueimmédiatementauseuildelajouissance,elleimploral’orgasmequeluiseulpouvaitluioffrir.
Ils’emparadesabouchepourluidonnerunbaiserplusprofond,plusdévorantquetousceuxqu’ilsavaient partagés, tout en glissant samain entre eux pour poser son pouce à l’endroit où tout semblaitcommenceretfinir.D’uneultimepoussée,ilserépanditenelle.Éperdue,submergéeparl’émotion,ellejouitentresesbrasenmurmurantsonprénom.
Aprèsun longmoment, il s’écartad’elle.Elle tendit lamainvers lui,mais,avantqu’elleaitpu letoucher,ildescenditdulit,ramassasachemiseetsonpantalon,etquittalapièce.
Isabelseredressaet l’appela.Sansrépondre, il refermad’ungestefermelaporteentre leursdeuxchambres.
Assaillieparundouloureuxregret,ellepritalorsconsciencequ’iln’avaitpasprononcéunseulmotpendantqu’ilsfaisaientl’amour.
21Leçonnuméroneuf
Cultivezlemystère.Une fois que vous avez éveillé l’intérêt de votre lord, n’hésitez pas à vouséloigner de lui pour l’encourager à vous poursuivre. Il suffit de penser auxchasses au renard annuelles qui se déroulent dans notre belle contrée pourcomprendreque,mêmechez lesplusgentlemendenosgentlemen, l’instinctduchasseurestirrépressible.Soyezlerenard,chèrelectrice,etn’ayezaucunecrainte.Ceschasseursavertissaurontretrouvervotrepiste!
PearlsandPelisses,juin1823
Isabeldormitàpeine.Ellefinitparrenonceràtrouverlesommeiletserenditdanslacuisine.Ellesurveillaitlabouilloire,deboutdevantlefourneau,lorsqueKateentra.Lejourvenaitdeselever.
Absorbéedanssespensées,Isabelneseretournapas.Commentallait-ellepouvoirréparerlesdégâtsqu’elleavaitcauséslanuitprécédente?Quelgenredefemmeréussissaitàdétruiresonmariagedèslepremierjour?
Unefemmecommeelle, luisoufflaunepetitevoix,qu’elleserefusacependantàécouter.Peut-êtrepourrait-elle convaincre Nick de retourner avec elle sur la lande… Peut-être parviendraient-ils à sedonnerunenouvellechance…
Etpeut-être…peut-êtretrouverait-ellelecouragedeluidirequ’ellel’aimait.—Voussavezcequ’ondit…L’eauqu’onregardeneboutjamais,fitremarquerKate,toutenouvrant
unplacardpourentireruneboîtedebiscuits.—Oui,jesais…Jemetscettethéorieàl’épreuve.Laresponsabledesécuriesrestasilencieuseunmomentavantd’annoncer:—L’undeschevauxestsorti.—Sorti?répétaIsabel,soudainalertée.Lequel?—Celuidevotremari.—Monmariestparti?—Onledirait.—Non,réponditIsabelensecouantlatête.Ilétaitlàlanuitdernière.—Peut-être qu’il est simplement allé chercher quelque chose en ville, avançaKate d’un ton peu
convaincu.Isabelseprécipitahorsdelacuisine,gravitl’escalierencourantetallafrapperàlaportedeNick,
qu’ellepoussasansattendre.
Elles’immobilisaalorssurleseuil.Sesaffairesavaientdisparu.Lelitn’étaitmêmepasdéfait.Ilétaitdoncpartiaussitôtaprès…Ellerefermalesbrasautourdesonbuste,soudainglacéeetabominablementfatiguée.—Isabel…Jepeuxfairequelquechose?demandaKate,quil’avaitsuivie.Isabelsecoualatête,àpeineconscientedusensdesmots.Ilétaitparti.Etc’étaitellequil’avaitchassé.Exactementcommesamèreavaitchassésonpère.—Je…j’aibesoin…balbutia-t-elle,accabléedetristesse.J’aibesoin…deresterseule.Sans insister,Kates’éloigna.Aprèsavoirrefermélaporte, Isabelgrimpadans le lit.Ce litoùson
mariauraitdûdormir–oùilsauraientdûdormirensemble.Ellesetournasurlecôté,lesgenouxramenéscontresapoitrine,etautorisaseslarmesàcouler.Avec
dessanglotsdouloureux,ellepleurasursonmariageetsurcequiauraitpuêtre,siseulementelleavaiteuassezconfianceenellepourl’aimer.
Etquandseslarmessefurenttaries,elles’endormit.Ilétaittardlorsqu’elleseréveilla.Lesrayonsdusoleiléclaboussaientlapièce,qu’ellenereconnut
pasimmédiatement.Lorsqu’ellesefutassise,lessouvenirsaffluèrent.Elleselevaavecpeine,engourdieparleregretetlatristesse.
Quandelleouvritlaporte,Larasetenaitdanslecouloir,l’airinquiet.—Depuiscombiendetempses-tuici?demandaIsabel.—Peuimporte.Oh,Isabel…ditsacousineenlaserrantdanssesbras,brièvementmaisavecforce.
Ques’est-ilpassé?Isabelsecoualatête.—Jenesaispas…Nousétionsheureux.Jecroyaisquetoutiraitbien,etpuis…j’aitoutgâché.Etil
estparti.—Jesuiscertainequetun’asriengâché,déclaraLara,avecuneconvictionnéedel’amitié.—Hélas,si.Jel’aime,Lara.—Cen’estpascequej’appelledugâchis!s’écriaLaraavecunlégerrire.C’estplutôtmerveilleux,
non?—Non,réponditIsabel,dontlesyeuxs’emplirentdelarmes.Parcequejeluiaiditquejenel’aimais
pas.Quejenepouvaispasl’aimer.LevisagedeLaraexprimasaperplexité.—Maispourquoi?—Jenesaispas,avouaIsabel,submergéeparlatristesse.Laras’approchadenouveauetpassasonbrasautourdesesépaules.Isabels’accrochaàelle,sans
pluschercheràretenirseslarmes.—Jeneleluiaipasditparcequej’avaispeur.Jecroyaisquesijel’aimais,jedeviendraiscomme
mamère,etquejem’exposeraisàsouffrir.Etmaintenant…maintenant,ilesttroptard.Jel’aiblessé,etilestparti.
—Peut-êtrequ’ilreviendra,ditLarad’untonencourageant.—Peut-être,murmuraIsabel,sansycroireuninstant.CombiendefoisNicks’était-ilefforcéderegagnersaconfiance,deprouverqu’ilenétaitdigne?Et
combiendefoisIsabell’avait-ellerejeté?Jusqu’àcettedernièrefois,lorsquelaflammes’étaitretiréedesesyeuxbleus.C’estalorsqu’ellel’avaitperdu.
Isabelpleura longuementdans lesbrasde sacousine, entre lesquelselle trouvaitdu réconfort.Aumomentoùseslarmessecalmaientetqu’elleprenaituneinspirationtremblante,elleaperçutJamesqui
arrivaitencourant.—Isabel!cria-t-il.Maisils’arrêtanetlorsqu’ilvitsonvisagebaignédelarmes.—Qu’est-cequ’ilya?Pourquoitupleures?Puisils’approchaàpaslents,levisagesérieux.Isabelremarquaqu’ilportaitungilet,ainsiqu’une
cravatenouéeàlaperfection.C’étaitunpetithomme.L’influencedeNicksurluiétaitsimanifestequedenouvelleslarmesluimontèrentauxyeux.Mais,pournepasmontrersatristesseàsonfrère,ellebattitdespaupièrespourleschasseretseforçaàsourire.
—Cen’estrien,James,net’inquiètepas.Quesepasse-t-il?Aprèsl’avoirobservéeunlongmoment,l’airsoucieux,ilfinitpardire:—Janem’ademandédevenirtechercher.Jecroisquetutesentirasmieuxquandtuverraspourquoi.—Dequois’agit-il?—Jedoispasteledire.Ilfautquetulevoiestoi-même.Isabelsoupira.EllerestaitlamaîtressedeTownsendPark,qu’elleaitlecœurbriséoupas.—Trèsbien.Noustesuivons.Alors que le trio se dirigeait vers le grand escalier, Isabel perçut un brouhaha de voix, qui alla
s’intensifianttandisqu’ilsavançaient.Elleaccéléralepasjusqu’aupalier,etlà,ellerestafigéesurplacedevantlespectaclequ’offraitlegrandvestibule.
Il grouillait demonde. Toutes sortes d’hommes s’y pressaient, chargés de seaux, de caisses et desacs,ettouss’efforçaientd’attirerl’attentiondeJanequi,montéesurlespremièresmarchesdel’escalier,faisaitdesonmieuxpourjouerlerôledemajordomeimperturbable.Àsadécharge,peudemajordomesavaient dû se retrouver un jour face à la moitié de la population de Dunscroft rassemblée dans sonvestibule.
AumomentoùIsabellarejoignait,Janedéclarait:— Mes braves, pourrions-nous disposer d’un moment de silence afin que nous prenions nos
dispositions?Puis,entresesdents,ellemarmonna:—Et,surtout,quejepuissealignerdeuxidées!—AunomduCiel,quesepasse-t-il?demandaIsabel.—Ilétaittempsquevousarriviez!—Quisontceshommes?—Danslamesureoùj’aicomprisquelquechose,réponditJaneendésignantaufuretàmesureceux
dontelleparlait,cegarçonatroiscaissesdebougiesànouslivrer,etd’autresencommande;cesdeuxhommes-làontétéenvoyéspourréparerlaclôtureouest;celui-làestvenupouraccorderlepianoforte– aupassage,vous saviezqu’il avait besoind’être accordé?L’hommeen redingote attendquevous lereceviezpourchoisirlavoiturequiseratiréeparvosnouveauxchevaux,lesquelssontdéjàdansl’écurie.InutiledevousdirequeKateestauxanges.L’hommelà-basaplusieurstonneauxdevinàrangerdanslacave ; lesdeux femmes réfugiéesdans lecoin, lespauvres, sontcenséesnous rhabillerdespiedsà latête ; et l’homme avec les lunettes est un banquier qui demande à s’entretenir avec « lamaîtresse dumanoir».QuantauxcostaudsquifontcercleautourdeM.Durukhan–Dieusaitd’oùilsviennent–, ilparaîtqu’ilsdoiventveilleràlasécuritédudomaine.Ahoui,j’oubliais…Ilyaaussiunedemi-douzainedecouvreursquidemandentàaccéderaugrenier.
Abasourdie,Isabelclignadesyeux.—Maisquefont-ilstousici?
—Monsieurl’accordeur!appelaJane,pourattirerl’attentiond’unpetithommediscret.Lasalledebalsetrouveau-delàdecetteporte…
PuisellerevintàIsabel.—Ilsdisentquec’estlordNicholasquilesenvoie.IlfallutquelquessecondesàIsabelpoursaisirlesensdecesmots.—Tous?—D’aprèsmonexpérience,ilestrarequedescommerçantspratiquentlacharité,Isabel.Oui.Tous.Muettedestupeur,Isabelobservalafouledisparatequiemplissaitsonvestibule.Quandellefinitpar
reportersonattentionsurJaneetsurLara,ellenetrouvaqu’unechoseàdire:—Ilm’aenvoyédescouvreurs!Jane,aprèsavoirdonnésesinstructionsaumarchanddevin,setournaunefoisdeplusverselle.—Apparemment,vousavezépouséunfou.—Ilm’aenvoyédescouvreurs!répétaIsabel,quineputs’empêcherderire.C’étaitleplusbeaucadeauqu’onluieûtjamaisfait!—Àn’enpasdouter,ilconnaîtlechemindetoncœur,ditLaraavecunlargesourire.Denouvelleslarmespicotèrentlesyeuxd’Isabel.Siseulementelleavaitétéassezcourageusepour
l’ylaisserentrer!Maiselleinspiraprofondément,ens’ordonnantdesemontrerforte.Toutenlissantduplatdelamain
sajupechiffonnée,elledemanda:—Quepuis-jefaire?—Jepensequevousdevriezmettrecescouvreursautravail.
Au crépuscule, Isabel se tenait sur le perron du manoir, suivant des yeux les ouvriers qui
s’éloignaient. Après avoir travaillé plusieurs heures sur le toit, ils avaient promis de revenir lelendemain,aveclesmatériauxindispensablespourréparerlesdégâtslesplusimportants.
Lorsqu’ils eurent disparudans l’obscurité, elle s’assit sur les grandesmarchesdepierre, les brasserrésautourdesonbustepourseprotégerdelafraîcheurdelabrisenocturne.
Commeelleregrettaitden’avoirpasétépluscourageuse!Elleavaiteusipeurdes’autoriseràaimerNicketdefinircommesamèrequ’elleseretrouvaitdans
lasituationmêmequ’elleredoutait.MaisNickn’étaitpassonpère.Enunejournée,ilavaitfaitpluspourTownsendParkquelecomtedanstoutesonexistence.Etilne
s’agissaitpasseulementdutoit,delaclôtureoudel’équipage,mais,surtout,desonintérêtévidentpourledomaineetpourMinervaHouse.Luiquiconnaissaitl’endroitetlesfillesdepuismoinsd’unesemaineavaitprisleursurvieàcœur.
Parcequ’ilvoulaitlebonheurd’Isabel.Cequ’ellecomprenaittroptard,hélas.—Lajournéeaétéplutôtincroyable,non?Isabelsetournaendirectiondelavoix,etlasilhouettedeRocksedétachadanslapénombre,aupied
del’escalier.—Onpeutdireça,répondit-elleavecunsourireforcé.— L’équipe de surveillants est en place. Ce sont de braves gens, apparemment. Je vous les
présenteraidemain.Ilssesontinstalléscommeilspouvaientdanslavieillecabanedebûcheron.Ilfaudrafairequelquesréparations,maisj’enparleraiavecNicklaprochainefoisquejeleverrai.
Lecœurd’Isabelseserra.SielleavaitpuêtreaussicertainequeRockderevoirNick!—Toutestarrivésisoudainement…murmura-t-elle.
Rockgardalesilenceunlongmoment.—Ilacommencéàtoutorganiserquandlapluieacessé,finit-ilpardire.Lorsquejesuisretournéen
ville chercher nos affaires, il m’a demandé de me rendre au bureau de police, afin qu’onm’indiquequelqueshommessérieuxsusceptiblesd’êtreintéressésparcegenredetravail.
Ainsi,Nicks’enétaitpréoccupéavantl’enlèvementdeGeorgiana,avantqu’ilssoientobligésdesemarier,etavantquetoutaitchangé.
Tousdeuxrestèrentassissansriendire,perdusdansleurspensées.Isabelbrûlaitd’interrogerRock–leseullienavecl’hommequ’elleaimait.Mais,submergéeparlechaosdesessentiments,ellesesentaitempruntéeethésitante.
Finalement,elleposalaquestionquiluiparaissaitlamoinsdangereuse.—Pourquoin’êtes-vouspaspartiaveclui?—Parceque,àladifférencedeNick,réponditRockenchoisissantsesmotsavecsoin,jesaisque
quittercequim’estlepluscheraumonden’estpaslemeilleurmoyendel’obtenir.—Lara?Ilrestasilencieuxsilongtempsqu’Isabelcommençaàdouterqu’ilréponde.Finalement,iltournavers
ellesesyeuxd’unnoirintense.—Oui.—Jesuisheureusepourvousdeuxquevousayeztrouvé…Elles’interrompitpourravalerlaboulequiluinouaitlagorge.—…quevousvoussoyeztrouvés.Rock soupira profondément.Quand il reprit la parole, sondébit était heurté, comme s’il regrettait
d’avoiràprononcercesmots.—Jesaisqu’elleestlafilled’ungentleman.Etjesaisqu’elleméritequelqu’und’infinimentmieux
quemoi – unTurc qui ne sera jamais vraiment accepté dans sonmonde. Je ne suis pas gentleman, nimêmechrétien.Mais je l’aimeprofondément.Et je ferai toutcequiestenmonpouvoirpour la rendreheureuse…Jesuistrèsriche,ajouta-t-ilaprèsuninstant.
Isabelsourit.—Jenesaispaspourquoivouspensezqu’êtreturcpourraitêtrerédhibitoireànosyeux.Nipourquoi
nousvousdemanderionsd’êtrebienné.N’avez-vousrienappris,durant lasemainequevousvenezdepasserauseindenotrecommunauté?
Àsontour,ilsourit.—Jesoulignaissimplementmesdéfauts.—MonDieu,necommençonspasavecça.Sijefaisaislalistedesmiens,nousypasserionslanuit.—Jen’encroisrien,protesta-t-ilavecunepolitessegracieuse.Ilrestasongeuruninstant,avantdereprendrelentement:—J’aimeraisépouserLara.Et,puisquevousêtessafamillelaplusproche,jesupposequejedois
vousdemandervotre…Isabelleregarda,leslarmesauxyeux.—Vous avezma bénédiction, bien sûr. Si Lara accepte votre demande, vous serez le bienvenu à
TownsendPark.Rocklaissaéchapperuntelsoupirdesoulagementqu’Isabelritàtraversseslarmes.—Vouspensiezvraimentquejerefuserais?—Jen’ensavaisrien.C’estunechosedem’accepterchezvousentantqu’invité,c’enestuneautre
dem’accepterentantque…—Membredelafamille,ditIsabel,quiposalamainsursonbras.Cousin.
Ilinclinaprofondémentlatête.—Jevousremercie.—Ehbien,disonsquevotrerichesseestunatout.Rockéclataderire.—Nickm’avaitbienditquevousaviezlalangueacérée.L’allusionàNickrenditsonsérieuxàIsabel.— Trop acérée, je pense, murmura-t-elle, avant de soupirer profondément. J’ai tout gâché. La
dernièrefoisquejel’aivu…ilétaittellementdifférent.Froid…Insensible.—Ilabesoindetemps,Isabel.—Je l’aime,déclara-t-elle,et ilyavaitquelquechosede libérateuràavouersessentimentsàcet
homme–l’amidesonmari.—Leluiavez-vousdit?Isabelfermalesyeux.—Non.—Pourquoi?—Parcequej’avaispeur.—Peurdequoi?—Peurqu’ilnem’abandonneici,répondit-elleavecunpetitrirepathétique.Peurdemeretrouver
touteseule,etamoureuse.Rockneritpas.Ilnesoulignamêmepasl’ironiedesasituation.—Jecroisqu’ilesttempsqu’onvousparledelaTurquie,secontenta-t-ildedire.—DelaTurquie?—JesupposequeNickvousaditquenousétionslà-basensemble…—Oui.Etquevousl’aveztirédeprison.—Vousa-t-ilracontécommentilavaitatterridanscetteprison?—Non.—Ilyavaitunefemme…Nickpensaitêtreamoureuxd’elle.Uneimagedouloureusetraversal’espritd’Isabel:celledeNickdanslesbrasd’unefemmevoilée,
exotique,quiavaittrouvélechemindesoncœur.Rocks’adossaàlarampedepierreavantdereprendre,leregardperduauloin:— Il y avait plusieurs semaines que nous avions établi notre camp, juste au bord d’Ankara. La
Couronneétaitnerveuse,cardesrumeursfaisaientétatdelalevéed’unearméedansl’Empire.OnavaitdemandéàNickderechercheruninformateurdisparusanslaisserdetraces.
»EnOrient,continuaRockd’unevoixadmirative,Nickétaitunelégende.Ilétaitsurnommélebulan–lepisteur.Ondisaitqu’ilpouvaitretrouverlatraceden’importequi.
Isabelhochalatête.DécouvrirlesecretdeMinervaHouseavaitdûêtreunjeud’enfantpourlui.—Unenuit,Alanaestapparuedevantsatente,meurtrieetensanglantéeaprèsavoirétébattueparson
mari.Elle imploraitde l’aide. Il l’a recueillie, l’anourrie, apansé sesblessures.Mais elle l’aquittéavantl’aube,terrifiéeàl’idéequesonmarilaretrouveetlabattedeplusbelle.
Àcesmots,lecœurd’Isabelseserra.Ellecompritimmédiatementqu’ilauraitétéimpossibleàNickd’abandonnercettecolombeblesséeàsontristesort.
—Elleestrevenuelanuitsuivante,lalèvrefendue.Etlanuitd’après,avecuneautreblessure.Puiselleadisparu.Nickestalorsdevenufoud’inquiétude.Ilavaitsuivisatracejusqu’àunemaison,enville,etiln’avaitplusqu’uneidéeentête:laretrouverets’assurerqu’elleallaitbien.Aprèsplusieursjoursdeguet,ilaétérécompensédesonattente.Alanaestsortiepourserendreaumarché,encompagniede
plusieursautresfemmesdelamaison.Ilaréussiàs’entreteniravecelle,etellel’asuppliédelalaissertranquilleenluiassurantquetoutallaitbien.
Isabelresserrasesbrasautourd’elle.Quoid’étonnantàcequ’iln’aitpassupportéqu’elleprétendenepasavoirbesoindelui?
—Cettenuit-là,continuaRock,elleestrevenuelevoir.Indemne.Rockn’enditpasplus,maisIsabelnefutpasdupe.ÀlapenséedeNickaveccettefemme,elleeutla
nausée.—Était-elletrèsbelle?s’entendit-elledemandermalgréelle.—Oui.Trèsbelle.Mais,soussabeauté,c’étaitlediableincarné.Nickl’asuppliéederesteravec
lui, luiassurantqu’elleseraitensécuritéet luipromettantde l’emmenerenAngleterre.Elleaaccepté,tout en refusant de partir sur-le-champ sous un prétexte fallacieux… des effets qu’elle souhaitaitemporter.Ill’acrue,etilssontconvenusd’unrendez-vous,àlasuiteduquelilsprendraientlafuite.
Lecœurd’Isabel se serrad’appréhension.Elle savait cequiallaitvenir,maisellenepouvaitpass’empêcherd’écouter.
—C’étaitunpiège,biensûr.L’Empiresavaitquelebulanétaitlà,àlarecherchedel’informateur.Etils avaient découvert, d’une manière ou d’une autre, que Nick était cet homme. J’étais à proximitélorsqu’ilsl’ontpris.Jen’oublieraijamaisqu’ilafallusixénormesTurcs,pluscostaudsquemoi,pourlemaîtriser.Ensuite,Alanas’estapprochée,aenlevésonvoileetluiacrachéauvisage.
—Ilm’aditqu’ilméritaitsabalafre,fitremarquerIsabel,horrifiéeparlerécitdecettetrahison.—C’estcequ’ilpense.Ilconsidèrequec’estunepunitionpouravoirsuccombéauxcharmesdecette
femme,pouravoircruqu’ellel’aimait.Ils restèrent silencieuxun longmoment. Isabel songeait à ladouleurqu’il avait dû ressentir à être
ainsibafouéparcellequ’ilaimait.Devait-elles’étonnerqu’ilaitquittéTownsendPark?Elleavaitagidelamêmemanière.Rockpoursuivit,inconscientdesémotionsdontelleétaitlaproie.—Ilaalorsjurédetenirlesfemmesàdistance.Àmaconnaissance,ilnes’estplusliéàuneseule.
Jusqu’àcequenousarrivionsicietqu’ilvousrencontre.CefutcommesiIsabelrecevaituncoup.Devantelle,Nickavaitlaissétombersesdéfensesets’était
autoriséàaimerdenouveau.Ilavaitvoulucroirequ’elleaccepteraitcetamour,maiselleavaitrejetéàlafoisl’hommeetsessentiments.
Latêteluitournait.S’apercevantdesadétresse,Rocks’inclinaverselle.—Isabel…ilvousaime.—J’aiagicommecettefemme.—Non!protesta-t-ilaussitôt.Cen’estpasvrai.—Ilm’aime,etjel’airejeté.—Alanal’atrahi.Ellel’aenvoyéenprison.Àcaused’elle,ilaététorturé,etilseraitmortsijene
l’avaispastrouvé.Isabel…vousêteslecontraired’Alana.—Ilnelesaitpas,répliqua-t-elleensecouantlatête.—Si.Ilasimplementbesoindetemps.—Decombiendetemps?—Jel’ignore.Maisilnepourrapasresterloindevoustrèslongtemps.Cela,j’ensuiscertain.Denouveau,lesilenceretombaentreeux,troubléuniquementparlechantlointaindesgrillons.ÀlalueurdurécitdeRock,Isabels’efforçadeconsidérerdifféremmentcequ’elleavaitvécuavec
Nick.
Depuis toujours, elle s’abstenait de faire ce qu’elle désirait vraiment, par crainte de l’échec.Elleavait eu peur de quitter Townsend Park et d’affronter les commérages que son père suscitait ; elleredoutait qu’en envoyant James à l’école il ne devienne aussi dévoyé que lui ; et elle s’était interditd’aimerNickpournepasrisquerdeseperdre.
Mais,sanslui,elleseretrouvaitaumoinsaussiperdue.N’avait-ellepas,toutefois, lapossibilitéderemédieràlasituation?D’avoirlavieàlaquelleelle
avaitcommencéàrêver?Pourcela,illuisuffisaitdetendrelamainetdesaisircettevie.DetendrelamainàNick…Commegalvaniséeparcettepensée,elleserelevad’unbond.—Jeveuxlerattraper.—Maintenant?s’exclamaRock.—Maintenant.Oùest-il?—EntreicietLondres,jeprésume.—Danscecas,jevaisàLondres.—Jevaisvousyconduire,ditRockenselevantàsontour.MaisIsabelsecoualatête.—Non.C’estquelquechosequejedoisfaireseule.—Isabel,Nickmeferalapeausijevouslaissevoyagerjusqu’àLondrestouteseule.—Toutirabien.Jeprendrailamalle-poste.—Lamalle-poste?répétaRockenéclatantderire.Ilmetuerait.—Pourquoi?Pleindefillessontarrivéesiciparlamalle-poste.—Certes.MaisvousêtesladyNicholasSt.John,àprésent,etlabelle-sœurdumarquisdeRalston.
Ilesthorsdequestionquevous,vousvoyagiezenmalle-poste.Comprenantqu’elleperdaituntempsprécieuxàdiscuter,Isabelhochalatête.—Trèsbien.Commentsuggérez-vousquejemerendeàLondres?—Nousallonslouerunevoitureetsixchevauxdemainmatin.—Maislevoyagevanousprendreuneéternité!—Sinousnenousarrêtonsquepourchangerdechevaux,dit-ilaprèsavoirsoupiré,nouspourrons
êtreàLondresdansdeuxjoursetdemi.Parlamalle-poste,ilvousenfaudraitaumoinsquatre.—Danscecas,monchermonsieur,jeseraisraviequevousm’escortiez.Rocklevalesyeuxauciel.—Nickvam’écorchervif.— Pas si je réussis à le reconquérir, répliqua Isabel, qui lui sourit. Dans ce cas, il vous sera
éternellementreconnaissant.Ellepivotaetremontalesmarches,impatientedecommencersespréparatifs.Mais,parvenuesurle
perron,elleseretourna.—Attendez…Oùirons-nous,unefoisarrivésàLondres?Rockn’hésitapasuninstant.—ÀRalstonHouse.Vousaurezbesoindel’aidedelamarquise.
22
—Jedevraistetuerpourm’imposerunetellecorvée.—Probablement.Maistun’enferasrien.Tun’avaisqu’àt’abstenirdereveniràLondres.Àtaplace,
jeseraisrestéaulointoutl’été.—Commentaurais-jepudevinerqueCalliedonnaitunbald’été?Aprèsavoirbuunelonguegorgéedescotch,Nickfoudroyasonfrèreduregardpar-dessusleborddu
verre.LesjumeauxsetenaientdanslebureaudeRalston,oùleurparvenaientlesaccordsdesmusiciens,quipréparaient leurs instrumentsdans le jardin encontrebas.Dansmoinsd’uneheure, lamoitiéde lahautesociétédeLondres–lamoitiéquipassaitlemoisdejuilletenville–envahiraitlejardin.
—Quiajamaisentenduparlerd’unbald’été?protestaNick.—Callie a pensé que ce serait un bonmoyen de prolonger les débuts dans lemonde de Juliana,
expliquaRalston,refusantdélibérémentdemordreàl’hameçon.Faut-ilquejeterappellequenotresœursubitlesconséquencesd’uneréputationmalheureuse?
—Etce,simplementparcequenotremèreétait…—Oui.Labonnesociéténesemblepassesoucierdespourquoietdescomment,répliquaRalston,
quisepenchapourremplirleverredesonfrère.Callieestheureusequetusoislà,Nick.EtJulianaleseraaussi.Essaiedet’amuser,cesoir.
S’amuser?Commesic’étaitpossible!Ilyavaitcinq joursqu’ilavaitquitté Isabel,et iln’avaitpasconnuuneseuleminutedeplaisir. Il
doutait fortement que le fait de rester la nuit dans un jardin plus oumoins éclairé, en compagnie dedemoisellesgloussanteschaperonnéesparleursredoutablesmèrespuisseychangerquoiquecesoit.
Aucontraire,même.PasserdutempsdanslejardinluirappelleraitIsabel,etdanseravecdesfemmesquin’étaientpaselleallaitlerendrefou.
—Ilyaquelquechosequetudoissavoir,repritsonfrère.—Quoidonc?—Tu es toujours considéré comme un excellent parti. Je suppose que la plupart des femmes qui
viendrontcesoirserontlàpourtoi.—Jesuismarié.—Cetteinformationn’apasétérenduepublique,commetulesais.Aupassage,onauraitpupenser
quetupréviendraistonfrèredetonchangementd’étatavantd’arriveràLondresetdeluiimposertafacedecarême.
Legestequ’esquissaNickindiquaaufrèreenquestioncequ’ilpensaitdesaremarque.Ralstonserenversadanssonfauteuil.—Tousceuxquitetenaientpourleplusgracieuxdenousdeuxvontêtresurpris,cesoir.
Nickseleva,enproieàunecolèreirrationnelle.—Danscecas,jedevraispeut-êtrepartirett’épargnerlacorvéed’avoiràmesupporter!—Rassieds-toi,espècedecrétin.—Situmetraitesencoreunefoisde…—Jenevaispasmebattreavectoidansmonbureau,entenuedesoirée,coupaRalstonenfaisant
tournersonscotchdanssonverreavecuncalmeostentatoire.Calliem’écorcheraitvif.LaplaciditédesonfrèreramenaNickàlaraison.Ilserassitet,prenantsatêteentresesmains,se
frottalevisagecommepoureffacersafrustration.Lorsqu’ilrelevalesyeux,Ralstonl’observaitd’unaircompatissant.
—Ellet’abienaccroché,monfrère…C’était la première allusionqu’il faisait à Isabel, en dehors de la brève conversation au cours de
laquelleNickluiavaitannoncésonmariage.—Elleest…incroyable, répliqua-t-il, saiside l’envie irrépressibledeparlerd’elle,commesi le
faitdel’évoquerpouvaitlaluiramener.Ralstonneditrien,secontentantd’écouter.Nickpoursuivit,pluspourlui-mêmequepoursonfrère:—Ellepossèdeunetelleforce…Lorsqu’ellecroitenquelquechoseouquandelledéfendsonbien,
c’estunereine.Elleneressembleàaucunedesfemmesquenousconnaissons.Lapremièrefoisquejel’aiembrassée,dit-ilenrelevantlesyeux,elleportaitunpantalon.
Ralstoneutunsourireencoin.—Difficiledeleurrésister,lorsqu’ellessontenpantalon…—Maisilyaaussidelafragilitéenelle.Uneincertitudequimedonneenviedelaprotéger.Etelle
esttellementbelle…ajouta-t-ilensegrattantlajoue,songeur.Avecdegrandsyeuxbrunsdanslesquelsilestsifaciledeseperdre…
—Tul’aimes.Nicksoutintleregardperspicacedesonfrère.—Plusquejenel’auraisjamaiscrupossible.—Danscecas,pourquoies-tuici,àboireduscotchdansmonbureau?—Parcequ’ellenem’aimepas.—Impossible!—J’apprécietaréactionàsajustevaleur,Gabriel,maisjet’assurequ’Isabelnem’aimepas.—Biensûrquesi,rétorquasonfrère,impérieux.Ellesnousaimenttoujours.CetteaffirmationarrachaunlégerrireàNick.—Ehbien,peut-êtrequ’ellest’aiment,toi.Toujoursest-ilquecelle-cinem’aimepas.—Danscecas,tudoistefaireaimerd’elle.—Non,réponditNick.J’enaiassezd’essayerdemefaireaimerdefemmesqui,elles,nem’aiment
pas.Laleçonaporté.—Ilnes’agitpasden’importequellefemme,maisdetafemme.Qu’enl’occurrence,tuaimesbelet
bien.Oui,Dieusavaitqu’ill’aimait!Nick n’avait jamais ressenti de douleur plus violente que lorsqu’il l’avait entendue dire qu’elle
l’avaitépousépardevoir,etnonparamour.Maiscettedouleurnesemblaitpasdiminuerl’intensitédecequ’iléprouvaitpourelle.
—Ellen’apasbesoindemoi…—Tusemblesconvaincu,àtort,qu’illeurincombed’avoirbesoindenous.Selonmonexpérience,ça
marchequasimenttoujoursdansl’autresens.Unhommeplussagequemoi,poursuivitRalstonaprèsavoir
consultésamontre,m’aditunjourque,s’ilavaitagiencrétinfinietperdulaseulefemmeàlaquelleiltenait,illaconduiraitchezlepasteurleplusprochepuisluiferaitunenfant.
—Jel’aidéjàépousée,ditNickentressaillantauxsouvenirsquecesmotséveillaientenlui.—Tuasdoncfaitlamoitiéduchemin.Une image jaillit dans son esprit : Isabel dans le donjon éclaboussé de soleil deTownsendPark,
entouréed’enfants.Deleursenfants.Undésirbrutall’envahit,etilfronçalessourcils.—Jedétestequetuaiesraison.—Commejemetromperarement,répliquaRalstonavecunlargesourire,jecomprendsquecelate
poseunproblème.Nick s’abîma dans ses réflexions.Quels choix s’offraient à lui ? Isabel et lui étaientmariés, que
diable!Ilnepouvaitpasresterloind’ellepourtoujours.D’ailleurs, iln’avaitqu’uneenvie : sauter sur ledosde soncheval, retournerdans leYorkshireà
brideabattue,prendreIsabelparlesépaulesetlasecouer.Ensuite,ill’enlèveraitetl’emmèneraitdanslevieux donjon pour lui faire l’amour jusqu’à ce qu’elle l’accepte de nouveau dans sa vie. Et, enfin, ilpasseraitlerestedesonexistenceàlarendreheureuse.
Quisait?Siellenepouvaitpasl’aimermaintenant,peut-êtreyviendrait-elleavecletemps.Maiscelan’arriveraitpass’ilrestaitàLondres.—JeretournedansleYorkshire,annonça-t-il.Ralstonsefrappalacuissedelamain.—Excellent!Maistudoisresterpourcemauditbal,poursuivit-ilenselevant,sinonmafemmene
melepardonnerajamais.Nickl’imita,revigoréparsadécision.Ilassisteraitaubal.Etensuite,iliraitrejoindresafemme.
—Nick!Nicksedétournadelatabledesrafraîchissements,oùilétaitentraindeseverserunelimonadeen
regrettantquecenesoitpasduscotch.Sabelle-sœurfondaitsurlui.— Bonsoir, lady Ralston, dit-il après s’être incliné. Quelle foule ! Quel succès ! Vous êtes
décidémentl’hôtesselaplusaccompliedubeaumonde.Calliesemitàrire,puisellebaissalavoix.— Faites en sorte que lady Jersey ne vous entende pas. Sinon, elle ne nous invitera jamais à
l’Almack’s.—Ceseraitvraimentdommage,répliqua-t-il,ironique.—Jesuisheureusedevousvoir.Ralstonm’avaitditquevousétiezenville,maispasgrand-chose
d’autre.Lamineplusgrave,Callieajouta:—Commentallez-vous,Nick?—Quoiquevousprétendiez,monfrèrevousenaditbeaucoup…répondit-ilaprèsuninstant.LarougeurrévélatricedeCallielefitsourire.—Envérité,jemesensbienmieuxqu’ilyaquelquesheures,avoua-t-il.Calliehaussalessourcils.—Cen’estpaslebal,lacausedecerevirement?—Non,madame,assuraNickenriant.EllejoignitsonrireausienalorsqueJulianalesrejoignait,toutsourire.
— Je trouve incroyable de n’avoir pas été avertie que tu étais revenu, Nick ! dit-elle quand ils’inclinapourluibaiserlamain.Quelgenredefrèrenevientpasvoirsasœurimmediatamente?
—Untrèsvilainfrère,admitNick,amusé,commetoujours,parlesaupoudragedemotsitaliensdanslaconversationdesasœur.
—Tuvasvenirnousvoirdemain,n’est-cepas?—Jecrainsquecenesoitpaspossible.Jedoisrepartirauxpremièreslueursdujour.—Pourquoi?demandaJulianaavecunemoueadorable.Tuasjusteeuletempsdedirebonjour!Nesouhaitantpasfairepartdesonmariageàsasœur,toujoursdémonstrative,enpublic,Nickbiaisa.—Jedoism’occuperd’uneaffairede laplushaute importance.Mais je t’assureque tuseras très,
trèsheureusedurésultatdemonvoyage.—Bien.J’espèrequ’ilseraaccompagnéd’unmagnifiqueprésent,letaquinaJuliana,quirivaalors
lesyeuxsurunpoint,derrièrel’épauledeNick.Callie,quiest-ce?—Quidonc?demandaCallieensehissantsurlapointedespieds.—Chut!Jeveuxentendresonnomlorsqu’onl’annoncera.Après avoir levé les yeux au ciel, Nick tendit la main vers une quiche – non sans se demander
vaguementpourquoi,soudain,lesdeuxfemmesarboraientdessouriresniais.—LadyNicholasSt.John!Unbrusquesilencesefitdanslafoule.Nickrestafigésurplace.Ilavaitdûmalentendre!Lentement,
ilsetournaversl’escalierqu’empruntaientlesinvitéspourdescendredanslejardin.Enhautdesmarches,resplendissantedansunerobeécarlate,setenaitIsabel.Il neput détacher ses yeuxd’elle.L’espaced’un instant, il crut que son imagination lui jouait des
tours,qu’ellen’étaitpasvraimentlà,danslejardindesonfrère,àLondres.Julianaluienfonçauncoudepointudanslescôtes.—Nick…Nesoispasunidiota.Tunevoispasqu’elleestterrifiée?Valarejoindre.Ces mots le tirèrent de sa torpeur, et il se dirigea vers sa femme, d’abord en marchant, puis en
courant,parcequemarcherprenaittropdetemps.Ilallaitcertainementcauserunscandale,maispeuluiimportait.Ils’excuseraitauprèsdeCallieplustard.
D’abord,ilvoulaitatteindreIsabel, latoucher,etavoirlaconfirmationquenon,iln’étaitpasfou:elleétaitbienlà,venuepourlui.
Courir dans un bal présentait au moins cet avantage que la foule, interloquée, s’écartait sur sonpassage.Aussineluifallut-ilquequelquessecondespouratteindrel’escalieretengravir lesmarches.Isabel le regardait venir vers elle, les yeux écarquillés par un mélange de nervosité, de surprise,d’excitation,etdequelquechosequ’iln’osapasnommer.
Ilnes’arrêtaqu’àunpasd’elle,ladévorantduregard.Elleprituneprofondeinspiration,etsesseinssegonflèrentsousledécolletédesamagnifiquerobedesoie.
—Bonsoir,monsieur,dit-elleenlesaluantd’unerévérence,avantdechuchoter:Tum’asmanqué.—Toiaussi,tum’asmanqué.AumomentoùNicktendaitlamainverselle,quelqu’untoussotaavecfermetéàcôtéd’eux.—Nicholas,tupourraispeut-êtreaccompagnertafemmeàl’intérieur,suggéraGabriel.Isabel, rougissante, baissa les yeux face à la foule qui les observait avec une curiosité non
dissimulée.Nickserralespoingspourcontenirsonenviedelatoucher.—Oui,biensûr.Madame,sivousvoulezbien…Pourentrerdanslamaison,ilsdurentpasserdevantlafiledesinvitésquiattendaientd’êtreannoncés
etseraientnécessairementdéçusd’avoirmanquélemomentleplusexcitantdelasoirée.
AprèsavoirentraînéIsabeldanslapremièrepiècequiseprésentait,Nickenrefermalaporte,dontilrepoussaleverroupourplusdesûreté.Ilssetrouvaientdanslabibliothèque,éclairéeparuncandélabreuniqueplacésurlemanteaudelacheminée.
Aprèsl’avoiramenéedanslehalodelumière,ilembrassaIsabel,avidedelagoûter,delasentirdenouveau.Ildévorasabouche, luicoupantlesouffle.Elleluirenditcaressepourcaresseet,quandellesoupiradeplaisir,lesiensemanifestaparungrognement.Aprèsdelongsmomentsintenses,leslèvresdeNicksefirentplussouples,sonbaisers’adoucit,et ilfinitparsuivrelalèvreinférieured’Isabeldelapointedelalangue,concluantcetinstantdemanièreinfinimentplustendrequ’ilnel’avaitcommencé.
—Bonjour,dit-ilenposantsonfrontcontrelesien.—Bonjour,répondit-elleavecunsouriretimide.—Dieu,quetum’asmanqué!Tetenirdansmesbras, tesentir…Etceparfumdefleurd’oranger,
commeilm’amanqué…Ilsetutlorsqu’elleeffleuraseslèvresdessiennesavantdemurmurer:—Nick…Et,danscemotunique,ilyavaittoutelaréconciliationdumonde.—Depuiscombiendetempses-tuàLondres?—Troisjours.—Troisjours,etGabrielnem’enariendit?—Jel’aisuppliédegarderlesecret.Jen’étaispasprête.Jevoulaisêtrebellepourtoi.—Tuestoujoursbellepourmoi.Commeellebaissaitlatête,ilposal’indexsoussonmentonpourqu’ellelarelève.—Toujours,Isabel.Entenuededeuil,enpantalon,enrobedesoie…enriendutout.Tuestoujours
belle.—Jedoistedirequelquechose.Commeellenepoursuivaitpas,ilattendit.Ellefinitparinspirerprofondément.—Jet’aime.Àcesmots,qu’ilavaitdésespéréd’entendre,ilfermalesyeux.Quandillesrouvrit,ellel’observait,
nerveuse.—Tun’espasobligéededireça.—Si,protesta-t-elle.Nicksecoualatête.—Non,monamour.Tun’yespasobligée.—NicholasSt.John,écoute-moi,luiordonna-t-elleaprèsavoirreculéd’unpas.Jet’aime.Jamaisje
n’aurais cru possible d’aimer quelqu’un comme je t’aime. Je t’aimais le jour de notremariage, et laveille,et l’avant-veilleaussi.Cesmotsaffreuxque j’aidits,c’est lapeurquime lesa faitprononcer.J’avaispeur,sijet’avouaislavérité,quetumequittesunjouretquejemeretrouvetriste,seule,etlecœurbrisé…
Deslarmesluimontèrentauxyeux,etellelesessuyadureversdelamainavantdepoursuivre:—Maisnepastel’avoirditnem’apasfaitt’aimermoins.Ettuesparti.Jemesuisretrouvéetriste,
seule,etlecœurbrisé.Alors,jesuisvenueici.Parcequejenepouvaispascontinueràvivresanst’avoirdéclarémonamour.Etparcequejenevoulaispasquetutedéconsidèresalorsquetuesunhommequiméritebeaucoup,beaucoupmieuxquemoi.
Elle s’interrompit, haletante, submergée par l’émotion. Au plus profond de ses yeux bleus, elleretrouva le Nick qu’elle croyait avoir perdu avec ses paroles stupides. Ne sachant que dire pour lereconquérir,ellelaissaparlersoncœur.
—JesuisvenueàLondrespourtedirequejet’aime.Jet’enprie…Crois-moi.Ilserapprochad’elleetrefermasesmainsencoupeautourdesonvisage.—Jene tequitterai jamaisplus.Jesuisvraimentdésolédem’êtreconduitainsi. Jem’apprêtaisà
revenirverstoi.Jetelejure.Ledouxbaiserqu’ilposasurseslèvresfitéchoàlapromessecontenuedanssesparoles.—Tuespartiavantquejepuisseteparler,dit-elle,lesyeuxdenouveaupleinsdelarmes.—Jelesais,répondit-ilenl’attirantdanssesbras.Jesuisdésolé.—Jepensaisque,peut-être,tuavaisdécidéquetunem’aimaisplus.Ill’écartalégèrementpourplongersonregarddanslesien.—Non,Isabel.JejuredevantDieuquejet’aimeencoreplusqu’avant.— Bien, murmura-t-elle avec un sourire mouillé. J’ai envisagé de t’envoyer Volupté en guise
d’offrandedepaix,maiselleesttroplourde.—Jepréfère,etdeloin,celleenchairetenos.Il l’embrassadenouveauavecemportement.Quandilsfurent tousdeuxhorsd’haleine,Isabelnoua
sesbrasautourdesoncou,etill’enveloppatoutentièred’unregardgourmand.—Cetterobeestincroyable.—Elleteplaît?demanda-t-elleensefrottantcontreluicommeunechatte.Ilpoussaunlégergrognement,levisagedanssoncou.—D’oùvient-elle?—Callieafaitvenirsacouturière.Jen’avaisqu’uneexigence.—Mmm?fit-il,leslèvressurlehautdesesseins.Ellelaissaéchapperunsoupirquandilpassasespoucessurleurspointes,àtraversl’étoffe.—Qu’ellesoitrouge.—Elle estmagnifique, dit-il en relevant la tête, les yeux brûlants de passion. J’aimerais bien te
l’enleverpourmieuxl’admirer.—Non,Nick,protesta-t-elleavecungloussementamusé.Nousdevonsretourneraubal.Nousavons
déjà provoquéun scandale incroyable.MonDieu, s’exclama-t-elle en s’écartant brusquement, crois-tuqueCallienouspardonnera?Nousavonsgâchésonbal!
Nickbalayasoninquiétuded’unéclatderire.—Si je connais un tant soit peuma belle-sœur, je peux t’assurer qu’elle nous sera éternellement
reconnaissante d’avoir provoqué une telle scène lors de son bal. Elle exigera que les futures soiréesdonnéesàRalstonHousesoientàlahauteur.QueDieuaitpitiédemonfrère!
Ilrepoussauneboucledelajoued’Isabelavantd’ajouter:—Maissituveuxretourneraubal,retournonsaubal.—Jel’avoue,j’aimeraisbienretourneraubal,monamour.Pourdeuxraisons,dontlamoindren’est
pasquejevoudraisdanseravecmonmari.—Envoilàuneexcellente idée ! J’aimeraisbeaucoupque tout lemondemevoiedanseravecma
femme.Après un dernier baiser, ils quittèrent la bibliothèque. Quand ils apparurent sur la terrasse, des
dizainesd’yeuxsetournèrentaussitôtverseux.IsabelpressalamaindeNick.—Toutlemondenousregarde.Ilportalamaingantéed’Isabelàseslèvres,avantdes’inclinerpourchuchoter:—Ilsessaienttousdecalculercombiendetempsnousavonspasséàl’intérieur.—Pourquoidonc?demanda-t-elle,perplexe.
Puis,commeilhaussaitlessourcils,ellepoussaunsonétoufféavantdedissimulersonrirederrièresamain.
—Non!Ilritàsontour,etlesouffleluimanquatantelleletrouvabeau.Ilétaitàelle…toutcommeelleétaitàlui.Ilsdescendaientl’escalier,maindanslamain,lorsquequelqu’unlesinterpella.—St.John!Nick s’arrêta, attirant Isabel à soncôté, tandisqu’unhommeapprochait. Il était grand,mince, très
élégantavecsonhabitparfaitementcoupéetsesbottesétincelantes.Ilmarchaitd’unealluredésinvolteenjouantavecsacanneaupommeaud’argent.
—Densmore,annonçaNicklorsquel’hommes’arrêtadevanteux.Isabel écarquilla les yeux. Densmore ? Cet homme séduisant mais au sourire niais, c’était le
Densmorequ’ellesavaienttantredouté?Ils’inclinalégèrementdevantverselle.—LadyIsabel…—Nicholas,corrigea-t-elle.—Jevousdemandepardon?— Si c’est à moi que vous vous adressez, monsieur, je pense que « lady Nicholas » serait plus
pertinent.Densmorelesregardatouràtour,levisagefendud’unlargesourire.—J’étaissûrqu’ilssepayaientmatête.Maisvousêtesdoncmariés…Isabel,quireconnutbienlàunamidesonpère,luiadressasonsourirelepluséclatant.—Jevousassurequejenemepaiepasvotretête.Nicksecoualasienneavecunsérieuxaffecté.—Mafemmenesepaiejamaislatêtedequiconque,Densmore.—Entoutcas,pascelled’inconnus,précisa-t-elle,enchantéedevoirlafossettequicreusaitlajoue
desonmari.L’airuninstantdéconcerté,Densmorefinitpars’écrier:—Parfait!Celanepouvaitpasmieuxtomber!—C’esttoutàfaitmonavis,acquiesçaNick,quipressalesdoigtsd’Isabelentrelessiens.—Non,St.John.Cequejeveuxdire…VousallezpouvoirvousoccuperdesaffairesdeTownsend,à
présent!Àvraidire,jen’aijamaisvouludecettefichueresponsabilité.Ilréduisitensuitesavoixàunchuchotementdeconspirateur.—Çamefaitsuer.—Nousnel’aurionspasdeviné,assuraIsabeld’untonpince-sans-rire.—C’estparfait!répétaDensmoreendonnantuneclaquesurl’épauledeNick.Jevousenvoiemon
avouédemainpourdiscuterdesdétails ?Çavousva?Merveilleux !Dommagepourvotrepère, ladyNicholas,ajouta-t-ilaprèsuninstant.Euh…mescondoléances.
Et, sans attendrede réponse,Densmore tourna les talons et seperdit dans la foule, laissant Isabelinterloquée.Direquecemystérieuxtuteur,qu’elleavaittantcraint,s’étaitsimplementévanoui!
—Apparemment, j’aihéritédeTownsendParketde sesproblèmes,ditNickd’un ton faussementchagrin.
—Commentvas-tusurvivre?ironisaIsabel.—J’aidumalàl’imaginer,répondit-ilenportantunenouvellefoissamainàseslèvres.—Balivernes!Tunousadores.
LeregarddeNicks’adoucit,etl’émotionqu’ellelutdanssesprunellesbleuesluicoupalesouffle.—C’esttoutàfaitvrai.Ilétaitsiprès…Illuiauraitsuffidetendresonvisageversluipourl’embrasser…Non,ç’auraitététoutàfaitinconvenant.Danscombiendetempspourraient-ilsquittercemauditbal?UneétincellecomplicebrilladanslesyeuxdeNick.Ils’inclinaverssonoreille.—Bientôt,promit-il.Enattendant,aimerais-tudanser,mabeauté?Isabelneputs’empêcherderougirdeplaisir.—Oui,s’ilteplaît.Ill’entraînaparmilafouledesdanseursquivalsaient.Alorsqu’ilstournoyaientausondelamusique
depuisdéjàunlongmoment,ilremarquasonsourirediscret.—Àquoipenses-tu?—Àlaseconderaisonpourlaquellejevoulaisretourneraubal.—Etquiest?s’enquit-ilenhaussantlessourcils.—Demontrer à toutes ces dames qui lisent Pearls andPelisses que ce lord-là a été bel et bien
conquis.Sonbruyantéclatderire,demêmequelamanièredontill’enlaçaplusétroitement,attiral’attention
descouplesautourd’eux.Ilsallaientalimenterlescomméragespendantdesmois.Etceux-cis’intensifieraientencorelorsqu’on
découvriraitqu’IsabelétaitlafilledefeulescandaleuxcomtedeTownsend…etqu’elleétaitcenséeêtreendeuil.
Mais,tandisqu’elleriaitetdansait,blottieentrelesbrasdel’hommequil’aimait,Isabelrenonçaàs’ensoucier.Etquandilsepenchapourchuchoteràsonoreille…
Ilyavaitdepireschosesaumondequ’unscandalecauséparl’amour,n’est-cepas?
Épilogue
LeçonnumérodixCettedernièreleçon,chèrelectrice,estlaplusimportantedetoutes.Unefoisquevotrelordauraétébeletbienconquis,ilvousappartiendradeveilleràcequesonnidsoitgarnideplumespropresetconfortables. Le célibat n’est pas un état enviable pour les hommes sérieux et respectables.Ce sont lemariage, les enfants et lesplaisirsquel’unetlesautresapportentquitémoignentd’uneviebienvécue.Et nos lords – ces hommes éminents soigneusement choisis pour vous et présentés dans ces pages – attendront de leurs épousesqu’elleslesaiment,qu’ellesleshonorentetleschérissentautantqu’ilsleméritent.
PearlsandPelisses,juin1823
—Cefutunbeaumariage.—Effectivement,acquiesçaNick.IlembrassaIsabeldanslecou,toutendéfaisantlalonguerangéedeboutonsquifermaientsarobe.
Celle-citombaauxpiedsdesonépouse,qu’ilenlaçapourl’attirercontrelui.—Maisiln’yariendeplusbeauquetoi,ajouta-t-ilenposantlamainsursonsein.Avecunlégerrire,elles’abandonnacontrelui.—Nedispasdebêtises.Laraétaitresplendissante.EtRock…Jenel’avaisjamaisvuaussiradieux.Nickrelevalatêteuninstant,l’airsongeur.Puis,prenantlelobedel’oreilledesafemmeentreses
dents, il lemordilla jusqu’àcequ’Isabel, frissonnantedeplaisir, tentedes’écarter.Mais il la rattrapapourl’embrasseravecfougue,avantd’interrompresonbaiseretdel’observer,unelueurinquiètedansleregard.
—Regrettes-tuquenousn’ayonspaseuunmariageenbonneetdueforme?Deux mois s’étaient écoulés depuis qu’Isabel l’avait rejoint à Londres et qu’ils avaient tenté de
réparerleurunion.Leurfélicitéétaittotale.IlsvivaientàTownsendParkmaisNickluiavaitproposédeserendre,à l’automne,danssapropriétéà lacampagne.Celle-cise trouvaitnonloind’Eton,etIsabelpourraitdoncêtreplusprèsdeJamesdurantsonpremiersemestreaucollège.
AvantdequitterLondres,Nickavait endossé la responsabilité légaledeTownsendPark,augrandsoulagementduvicomteDensmore.Ainsi,ilavaittoutelatitudedes’occuperdeMinervaHouseetdesesoccupantes, lesquelles s’épanouissaient à vue d’œil depuis qu’elles se savaient sous la protection deNick,deRocketde l’équipede surveillants,devenusdesmembresappréciésde lamaisonnée.MêmeGeorgianaavaitrecouvréunerelativesérénitéaprèslavisiteéprouvantedesonfrère.Leducn’avaitpasdivulguéleurssecrets,dumoinspourlemoment.
Isabeln’étaitplushantéeparl’avenirdeMinervaHouse.Ellesavaitque,quoiqu’ilarrive,Nickétaitaussiattachéqu’elleàsonsuccès.
—Jene leregrettepasdutout,assura-t-elleaprès l’avoirembrassé.Àpartirdumomentoùtumeprometsquenousauronsunevraieviedecouple.
—C’estdéjàlecas,dit-ilenlasoulevantpourl’emmenerjusqu’àleurlit.Après l’avoirallongéesur lematelas, il fitglissersamain le longdesa jambe toutenrelevantsa
chemisedesoie.—Quellenoteattribuerais-tuànotremariage,jusqu’àprésent?Commeellefaisaitminederéfléchir,illuimordillal’épaulepourlapunir.Ellerit,jusqu’aumoment
oùlescaressesplusprécisesdeNickluiarrachèrentunsoupir.Ilparcourutsoncorps,quevoilaitàpeinelafinechemise,d’unregardbrûlant.
—Pourmapart,jetrouvequetoutvapourlemieux,dit-il.Jesuisparticulièrementheureuxquetuaiesfiniparadoptermonpointdevueetparrenonceraucorset.
—Cen’estpasentièrementàcausede tonpointdevue, répondit-elleavecun légersourire. Ilvafalloirquejem’enpassependantquelquetemps.Plusieursmois,aumoins.
—Tuveuxdire…murmura-t-ilaprèsuninstant.Quandelleeutacquiescé,ilfitremontersamainpourlaposersursonventreàpeinearrondi.—Unenfant,susurra-t-ild’unevoixpleinederévérence.Elleposalamainsurlasienne,etleursdoigtss’enlacèrent.—J’aimoi-mêmeétésurprise,avoua-t-elle.IlafalluJane,KateetGwenpourmeconvaincreque
c’étaitvrai.—Commed’habitude, dit-il en riant, les femmesdeMinervaHouse sont au courant de tout avant
moi.—Celatesurprend?demanda-t-elleaprèsavoirjointsonrireausien.—Paslemoinsdumonde.Lebaiserqu’illuidonnamituntermeàlaconversation.EllefitcourirsesdoigtssurletorsedeNick,
sur ses épaules, puis les enfonça dans ses boucles souples avec un soupir de plaisir lorsqu’il fitdescendresesmainsplusbas.
—Nick…chuchota-t-elle.Jet’aime.Ellelesentitsourirecontresabouche.—Jesais.Lacertitudearrogantedesesmotslafitrire.Maissonriremourutlorsqu’ilcapturadenouveauses
lèvrespourluimontreràquelpointill’aimaitluiaussi.