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Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France Thulé des brumes / Adolphe Retté ; portrait à l'eau-forte par E. H. Meyer

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Page 1: Thulé des brumes / Adolphe Retté ; portrait à l'eau-forte par E. H. …/12148/bpt6k1132632.pdf · la messe de l'Idéal ah que jamais ne jaillissent de l horizon quotidien les bru-tales

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Thulé des brumes / AdolpheRetté ; portrait à l'eau-forte

par E. H. Meyer

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Retté, Adolphe (1863-1930). Auteur du texte. Thulé des brumes /Adolphe Retté ; portrait à l'eau-forte par E. H. Meyer. 1891.

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THULÉ DES BRUMES

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DU MÊME AUTEUR

Cloches en la Nuit, (chez Léon Vanicr).

A PARAITRE

Une belle Dame passa.

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ADOLPHE RETTÉ

des Brumes

Veau- forte par E. H. Meyer

PARISBIBLIOTHÈQUE

Artistique & Littéraire

MDCCCXCI

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Il a été tiré de cet ouvrage 312 exem-blaires, dont 12 sur Japon impérial et

300 sur simili-japon.

EXEMPLAIRE N°

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A

MOCKEL

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PRÉFACE

ES réalités du monde m'affectaientcomme des visions, et seulementcomme desvisions, pendant que lesidées folles du pays des songes

devenaient en revanche, non la pâture demon existence de tous les jours, mais positi-vement, mon unique et entière existenceelle-même. » Qui dit cela ? Egœns leMétaphysicien.

Pour certaines âmes complexes de ce temps,il est des jours ou la vie se fait si hostile,l'ambiance si asphyxiante, qu'elles se réfu-gient éperduemeni dans le rêve. Alorsparfois pendant des mois et des mois l'âmevit une existenceanormale et grandiose lesidées s'exaspèrent et se déforment les senti-ments prennent une intensit} formidable lessensations s'imprègnent de souffrance volup-

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tueuse; le Moi, qu'abandonne son principedivin: lca volonté, n'est plus qu'un Océanorageux oit tanguent des galères folles. Si,durant une telle période gloire du Démon

la Fatalité veut qu'une idée fixe s'emparede l'âme ainsi dèsorlntèe si, par exemple, ledésir passionné d'une Apparence féminines) implante et lca domine au point d'incarnercette idée fixe, il' éclate une ivresse solitairequi va presque jusqu'à la démence. Mais leMoi chérit sapour la décupler et laperpétuer, dans l'empire lumineuxet criminel que lui ouvrent les excitants ils) oublie et ne veut pas être guéri. Il fautun hasard violent plusieurs diront un mi-racle pour que l'âme reprenne son équili-bre et soit sauvée.

Tel est le sens de ce lz'vre. Quelques-uns lecondamneront, surtout à cause des joies dé-fendues qui l'enfièvrent et de la spéciale sen-sualité qiï il recèle. D'autres l'aimeront pourson Art trzste et parce qu'il est LES MÉ-MOIRES DU RÊVE.

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PROLOGUE

i pâle, ainsi le m'or tristc d'un monastèreSaignante azassi d'un doux svzrci qu il vaut mieux

i taireDame d'Automne azrx mains fanéesMon âme flotte en la vesprèe.

Sanglots d'une onde fabuleuse, à nuées éphémères,Ciel d'or, moires vibrant de harpes énervées

Est ce l'Euphrate où tu te désaltèresMa pauvre reine énamourée ? »

« Je ne sais. je voudrais boire à même la briseUn peu de l'oubli frais qui sommeille aux ramures

Ou, vierge aubale, espoir des Aurores futures,M' agenouiller au seuil très loin d'une rzouvelle église

Et pourtant, et pourtant, ô fière solitude,Parmi tes parfums morts et le frisson des soirs,Je rcvis l'hymne lent des soleils blancs, prélude

D'un chœur pleuré par nos archanges noirs,Prophètes de la Nuit que ton silence élude.

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0 mirage indécis qu'il ne faut effacer,o le charmefrileux des feuillures gracilesC'est le luth défaillant de la Sainte Cécilé.

Mais quel geste violant ma faiblesse docileVoici Circé rieuse et son philtre opiacéJe bois. je suis le dieu trés fort et très subtilEt le Souci s'en va, boiteux, qui m'a blessée.

o poison sidéral oit fulgure le RêveUnique trône Illusion

Un envol d'oiseaux d'or éclate qui m'enlèveVers un parc embrasé de rouges floraisons.

Adieu la vie sans ailes et la grise raisonLes nuées ont fui o. fut ma prison

Jouvence, sais ta fontaineEt, sauve de la foule obscure qui se traîne,Je vais cueillir enfin ces ètjiles lointaines. »

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FUMÉES NOCTURNES

Ce sont choses créblisculairesDes -visions de fin de nuit.

PAUL Verlaine

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ÉNÈBRE miséricordieuse, Charitéaux yeux innocents dont les cilsd'or filtrent des larmes pallide-ment lointaines, la Nuit épand à

flots son silence pacifiant sur le sommeilagité de la ville. Les doigts ailés d'espritssubtils émeuvent les cordes filant haut deharpes délicates il plane un épitha-lame inouï pour les noces d'une âmeet du Mystère.

Fontaine de toutes grâces parmi leslys du recueillement eau sereine, fluidegemme convoitée où se sont noyées lesbarbaries du Vivre clair fleuve en san-glots sillé de gondoles lumineuses ledeuil murmurant de violes mémoriales yberce l'ennui d'un prince difforme et quise cache miroir de mélancolie et d'ou-

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bli offrant les moires nivéennes et bleuesdes solitudes lunaires après tant d'éta-pes brûlantes à la fatigue d'un péleri-nage vers la basilique du Nul forêts deGulistan, ombres fraîches qui t'enlinceu-lent, âme malade qu'ont corrodée, touthier, les sels de la Mer Désolée la bon-ne Nuit maternelle caresse l'enfance fra-gile du Rêve ah qu'elle ne surviennejamais la furtive luisance d'un petit-jourqui lie décèlerait peut-être avorton -lasainte Nuit étoilée allume des cierges pourla messe de l'Idéal ah que jamais nejaillissent de l horizon quotidien les bru-tales fanfares du soleil. Que je sois encette Nuit souriante, que le charme ve-louté de cette Nuit mystique descende enmoi et tu ne m'auras plus, Vie mons-trueuse, cauchemar affamé dont les gueu-les me guettent.

Vers l'empire d'ombres, à jamais reclusdes jours saturniens, au bleu tranquilleloin comme un regard de femme ennuyée

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(sérénité encore jeune, en demi-teintes,d'un automne dont je veux ignorer leterme, et même s'il doit expirer plusgrave, quand, dehors, les fleurs de neigeprécipiteront des parterres bientôt violés,quand les fenêtres s'étoileront de gemmesserpentines, soit l'hiver, à l'écart, trèsprès pourtant par cette frêle barrière pris-matique et de gel) l'Assise attend, sapensée errante sur des joyaux d'aventurenon le froid baiser d'un bracelet de jade,non plus l'ambre septentrional d'un collier,mais des grelots d'or, passages d'hippo-griffes privés tout au fbnd des moires demon âme, nacres d'un palais sous l'Océan,une mince viole, aussi, dormant les ryth-mes qui chanteront un soir, doucement,vers Elle un soir où les cloches rouil-lées perdront leur battant, où s'épanouira,pour la gloire de ses seins légers, le seulessentiel de mes Rêves.

En avant, les banquises élancent dansun ciel d'acier mort des aiguilles de tur-

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quoise et d'émeraude les banquisesrectilignes, trop correctes qui cernentl'horizon, ligne incurvée vers un pôle né-cessairement plat. La terre éparse, enarrière, à perte de vue. c'est une blancheurde plaines irrémédiables, dans l'attentedu printemps arctique. Mais qu'y pousse-ra-t-il ?

Si le soleil est tiède, de maigres lichenset de tristes petites bruyères roses. Celle-là qui rêvait tout à l'heure et ses pâlesyeux bleus passera peut-être l'annéeprochaine; nous lui offrirons un pauvrebouquet.

Aujourd'hui, qui donc habite cette soli-tude ?

Piété sur un bloc de glace ô le mornepiédestal un ours blanc se balance, unours savant qui a vu les villes du Sud onl'y régala de coups de triques, mais il yapprit plusieurs choses en effet il grogne:« GNÔTI SEAUTON. »

Un vieux phoque gorgé de polissons,vautré au bord d'une crevasse, s'enricane.

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Le clown dont le papillon s'est brûléles ailes à tant de lustres disait à sonami « Si tu crois qu'il me suffit d'avoirtissé d'étoiles l'étoffe de mon âme, si tut'imagines que porter à perpétuité la traî-ne de cette reine de Saba l'Illusion m'estune joie • il est vrai qu'en d'autres cir-constances j'ai tendu à la Fantaisie lescercles de songe où j'espérais qu'elle res-terait prisonnière, mais elle retombait,svelte, sur le dos de son noir cheval infa-tigable (je pense que c'est un démon) etgalopait plus loin si, enfin, tu ne t'espas encore aperçu des pierres précieusesque je crache parmi de tels crapauds etce n'est pas du strass, tu peux vérifiervide ce verre où stagne un deuil liquide etraconte-moi les Triboques lors, nousressemblerons peut-être à tout le monde.»

Mais l'ami brisa son verre sur le plan-cher et garda le silence, car, au fond, ilcomprenait très bien.

Ils ambulent raidement par les frises dupalais de Xerxès, robes d'or et faces d'é-

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bène, graves et tellement séculaires, selonla majesté qu'ils protègent les archers.

Cependant, au-dessous d'eux, se tasseun tout petit palais gris il n'y a person-ne aux portiques il n'y aura personnejamais plus.

Des gens passent qui regardent ces.archers tenez pour certain qu'ils en ontpeur un peu et que cela les ennuie.

Rassurez-vous, gens, ils sont prison-niers dans une cage de verre, les carquoissont vides et ceux-là se taisent pour l'éter-nité.

L'aboides meutes roule sous les futaies.Aux clairières que le soleil martial cribled'or neuf, aux taillis où les mares entr'ou-vrent un œil moussu,. le cor du chasseur-enfant s'enroue.

Le même, un éphèbe en chasse, l'après-midi les ombres s'allongent, les huées.des corbeaux l'accompagnent et l'hama-dryade c'est une archi-centenaire dès.les siècles lui chante « Tu ne l'attra-peras pas. » Son cheval galope.

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La forêt saigne de crépuscule le chevallassé a pris le pas le cor est crevé etl'auréole du chasseur divin pend, déchi-rée, aux branches basses.

Voici que la Nuit monte les chiens setaisent et se couchent en rond. Labête serait-elle prise, par hasard ? Lecheval est mort.

Allègre, enfin, depuis tant d'annéescette chasse un vieux chasseur s'a-vance et regarde. Il n'y a rien, rien quele clair de lune, tout solitaire, étalant deslinceuls sur le sol.

C'était une journée il y a longtemps.

La fragile adolescente, épousée demainpeut-être d'un magicien hors d'âge, des-cend les marches sonores vers les vagues

alanguis baiseras mauve, jonquille, pé-tales de camélias épris du friselis pareildes satins qui la parent, et du mystèresidéral d'un talisman donné par une féeamie la couronne au tumulte infléchi deses cheveux et regrette la descente

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trop brève lors que sérénadent, pour eile,les harpes d'Océanides fuyardes tels finsvols de mouettes en arpèges doux sur lamer. Et le vent tambourine comme unfol par les falaises.

Atterrissez la gondole des funérailles,allumez les torches que cette amantedès maintenant endormie, vogue touteseule, puisque nul à son doigt frêle nepassera l'anneau qui la garderait duDiable.

Celle-ci est une vierge Poésie (maisplus pour moi) bientôt aventurée surl'Océan (donnez-lui une palme) que, pourla sauvegarder, elle ait, là-bas, dans sapatrie Thulé des Brumes, la prière auxlèvres liliales de ses sœurs, mortes d'avoirété cloîtrées (moi, je garde sa fleur mys-tique taisez-vous vagues) ou bien, (il y ades pirates sur la mer) qu'elle ait quelqueroyaume étrange ou bien les cygnesd'Artémis maternelle l'emporterontdans laLune moi je n'étais qu'une église veuvede St-Ciboire, elle, une trop fière clochetted'argent.

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Ce sont les bons poètes, en mal d'unePsyché, qui rôdent par les flaches noireset s'éclaboussent mutuellement d'eau saleet de rimes bariolées.

Quelque arakhné d'arrière-saison étendsur la ville sa toile pluvieuse et la soie,partout, des brouillards visqueux lesclochers toussent des heures longuementtintinnulées sombres, impalpables chau-ves-souris par les rues et les places desgouttières chantent une prophétie ondirait d'une Atlantide confuse.

Ici le cabaret invite Sancho-Pançasommeille au comptoir il a vendu l'armetde Mambrin et tient l'âme de Don Quf-'chatte captive dans le tiroir, avec les grossous cette nuit de névralgie, en recueil-lements, en compromissions vides et dechoses qui ressuscitent.

Eternels mounis nimbés de vapeursblêmes, ce sont deux poètes. Et tandisque, pour eux, wsur la table valsent destopazes brûlées, l'un, discord « Mes sou-liers'sont percés. »

Et l'autre «Les pieds mouillés fontles cervelles chaudes. »

Et puis ils boivent et fument sans rien

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dire plus Sancho, de mauvaise humeurau comptoir, le cabaret torpide et la ruealentour Arakhné y darde fort seslongues pattes froides, mais elle ne pren-dra personne les goutières sanglotent enla mineur une girouette poitrinairebat lamesure. Dans un instant, l'un sera, la.Palestine grise et rouge se lève le sul-tan Soleiman-ben-Daoud qui se mémorece Cantique des Cantiques à cause d'unelointaine Sçulamit.e et dispose les glorieuxtapis de son âme pour l'advenue de Belki&

elle ne viendra pas l'autre contemplecouler la Gangâ violette où les grands pa-chydermes vont s'abreuver à l'aube lesbambous fraternels se penchent et de leurduvet lui caressent l'échine, et sainte-ment, il adore, issu de son nombril à ja-mais aryâ. le lotus d'azur qui recèle laTrimourti mais ce ne sont que fuméesd'alcool et de tabac.

En un coin, le conseiller Krespel tour-mente son aigre violon; les crépusculesinéluctables régnent, et, voici, soudain,fleurir, et s'enrouler autour de leurs cuis-ses transies, grandir jusqu'à leur front

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terne, les mornes glycines des cénotaphesd'Inconscient.

Enfin hosanna -montent dans l'airbrun les tours de cristal des Mont-Salvatfuturs.

En extase sous l'arbre de vie, je m'im-prègne des tourmentes florales suscitéespar les brises du Paradis terrestre etj'écoute tinter au loin la chaîne d'or quientrave les chevilles puériles de Sa-lammbô.

Les branches de l'arbre se balancentleur cliquetis, un cistre affolé pour unefête barbare. Il y a des fruits parmi iesbranches, de beaux fruits vermeils, maisje ne les cueillerai mon vieux cousin leSerpent caché dans les feuillures m'a re-commandé de n'y pas toucher.

Pourtant quelques-uns gisent surl'laerbe'; mûrs, le vent les a détachés.Si je goûtais celui-là.

Ah! l'affreuse amertume.Il tombe une sueur froide des feuillures

glauques de l'arbre pour la première

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fois, un nuage cache le soleil les oiseauxconstatent d'un sifflet, moqueusement labrise disperse des relents de cadavre etpleure les tendresses orphelines. Le Ser-pent s'écrie « Je te l'avais bien dit »

et Salammbô a cassé sa chaîne d'or.Arbre de vie et fruits de mort.

Un lac profane, qui fut sacré, lespasteurs des hauts plateaux y ont miréleur génie, la flamme du somâ, commel'aube primitive épioyait ses gonfanons

un lac où le fantôme d'un grave mi-nuit se pérennise et préside aux dansesdu brouillard, dentelles et mousselinesmodulées harmonieusement vers la failleclassique d'une ceinture de saules et depeupliers les saules, en panaches dequel tombeau, les peupliers, lyres dou-loureuses parmi le vent et cierges tristesun rire blafard aux chrysoprases du cielc'est la lune. Des vagules se poursuiventselon quelque faible courant et n'arriventguère à émouvoir l'orgueil des fleurs de

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nymphéa,ces délicates personnes pavanéesà cause de leur collerette et qui sont si dé-funtes pourtant. Infatigablement, parce minuit sans lendemain, la gentille cré-celle d'une grenouille accuse le silencele silence large tombé sur l'eau, les sau-les, les peupliers, et sait encore rire aurêve de la nuit.

La légendaire histoire que vibre la gre-nouille l'onduleuse inquiétude épanduede la nuit dormeuse, des voix chucho-tantes loin tant de silence dorlote le lacdes ancêtres jusqu'au jour de soleil et derédemption où le sphinx garotté quelquepart sous les arbres déchire son linceul delierre et crie un mot de tous envié.

Les peupliers se plaignent dans levent et les saules.

Ce jour-là il luit quelquefois lajoie tonitruante d'orgues viriles, la hauteclameur d'or des buccins de gloire s'irra-dient pour un triomphe et l'essor rajeunide l'Anadyomène du lac propage desmythes agiles elle agite l'étendard enfeu de sa chevelure et vole, les yeuxéperdus, vers la lente majesté d'unOlympe, là-bas, au fond des âges. Tu

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luiras jour de soleil et de rédemption(C'est un minuit de Jouvence.) Ensuite,

un autre jour s'éteint il n'est plus quelignes boiteuses tachant le papier parl'hypogée où des fumées traînent, quel-qu'un cherche son âme et ne la trouvepas pour longtemps encore, elle s'estnoyée dans le lac paresseux.

La nuit d'été, brasillante d'étoiles em-plit ses yeux mais, heureusement, ellen'en sait rien. Ce charme combien diffé-rent de celui d'autres yeux, froides ténè-bres bien inconscientes où dorment desbois maudits; et la vanité de son corps,elle ne l'a pas oui, ce charme.

D'autres feindront d'ignorer leur beautéou plutôt laisseront tomber de ces re-gards Vous me trouvez belle ? çam'est fort égal je le sais mieux quevous. »

Mais ce charme tranquille de ses yeuxtout à elle, l'été nocturne de ses yeux lecharme, vous dis-je.

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Epanouissez la joliesse précaire deséventails lentement, qu'ils amusent l'In-somnie chassieuse très vite qu'ils nuentd'arcs-en-ciel brefs les vapeurs de tes aro-mates criards, ô cité d'artifices.

Les éventails, dans le noir, sont desbouquets de feu pâle, la neige des casca-des lunaires sur un massif d'asphodèles,•de nobles guirlandes des Panathénées.

Une théorie moqueuse se précipitepêle-mêle avec la course effarée des nua-ges et Lui lance, de là-haut, des perleslaiteuses. Elle ne les ramasse pas, Ellesait qu'en réalité ce sont des boules deverre peintes. Moi, certains soirs, jeles recueille, mais les rejette tôt ou tardet viens m'accroupir à ses pieds, prèsdu foyer poudroyant de cendres froides.Là le vent chante dans les cheminées

j'ai de nouveau, longtemps, un rêvelumineux de barques balancées au bleucalme de ses yeux et, fenêtre entr'ouverte,la caresse s'élargit des éventails frais quileurrent sagement l'Insomnie.

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Les tilleuls en fleur embaumaient cettenuit.

Que les flammes du bûcher s'érigentdans l'ombre la pourpre de jeunesse, cediadème trop étroit, l'épée émoussée ettels manuscrits de Kabbale qui n'appri-rent rien à personne puisque, d'enfance,nous en avions deviné la doctrine, qu'onles brûle aussi cette tresse de cheveuxpluricolores.

Des yeux pâlement bleus m'invitent ausilence la Maïa au bord de la mer m'asouri je vais dormir entre ses seins.

Sans doute, ii vaudrait mieux vivre.« La vie c'est l'action, et l'action c'est la.

joie » dit une philosophie. Mais une pâlefigure- si heureusement pâle au ni m-

be de lys qui s'étiolent, d'une voix oùpassent des vols de chérubins d'or d'au-trefois, me chante « Le bonheur se faitavec des rêves. »

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J'incline à l'approuver et puis, etpuis, ma vie, à moi, c'est la frêle plantede rêve dont j'aime à surveiller l'essen-tielle croissance. Je n'admets pas que« les choses » me dérangent de ce soinet, s'il faut absolument encourir la fatigued'un effort, je préfère que le mien sevoue à lisser des fleurs irréelles ainsi,vaguement, sans autre but que de m'in-filtrer un peu de leur pollen jusqu'aucœur.

Cependant un Pauvre surgit, humbleetrogue à la fois, qui comparaît devantun conclave de nécromans. 0 les rouges.regards ternes dardés sur ce maupiteux,et comme son auréole récupérée depuisles aventures offusque leur diaboliqueréalité

Le président a recueilli les avis il y aunanimité (oh ceux-là malfaisants, vraieaprès-midi de canicule de l'âme) la sen-tence se prononce « Il faut que le Pau-vre subisse des épreuves il s'y cassera lecou, espérons-le. »

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Et le Pauvre, passablement insoucieux,ne se doutant pas, s'en va vers leschausse-trapes. Mais les épreuvescommencèrent tout de suite par desyeux noirs.

Je collectionne des ailes de Chimères.Déjà, un certain nombre froidementarrachées tombent en poussière entreles feuillets de maints albums dissimulésau fond d'ur.e armoire solide encore qu'unpeu vermoulue meuble de famille dontje suis fier il a subi tant d'assauts

Mais une Chimère dernière, longtempspoursuivie,m'agriffanaguère de ses onglesd'airain, commej'allais la vaincre, et m'em-porta vers une noire étoile double, in-connue jusqu'alors au ciel de mon rêve.Elle m'enleva si ,profcnd que votre terre,messieurs, ne m'est plus qu'une cendreuseluisance. C'est pourquoi vous entendrezpeut-être assez mal les phrases que -jem'efforce de proférer pour votre instruc-tison. Ne m'en veuillez pas je suis si loinde vous et si éperdu à cause des som-

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bres merveilles qui fleurissent en cettenoire étoile double.

Immanence entêtée, malgré tout et àtravers tout, cette rage de penser « Non,tu ne seras pas la brute souhaitée, ditquelqu'un quel que soit ton ennui, tuprendras encore ton Moi aux cheveuxpour le traîner en plein jour froid de laconscience et tu gourmanderas les absur-des cabrioles de ta pétulante âme fonda-mentale et tu penseras. »

Et je m'écrie tout joyaux « Bien, bien,un temps viendra certainement où elle etmoi parviendrons aux sommets les plusimmaculés de la Métaphysique. En atten-dant, cassons un peu les facettes du mi-croscome essentiel afin d'étudier ce qu'ila dans le cœur. Et n'est-ce pas le plussage, dis, ma conscience (puisque c'esttoi que l'on invoque) au lieu de troubler,par notre attitude austère, les allègresfaunes barbouillés de lie qui turbulent etbrayent en nous ? »

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Et ma très judicieuse conscience merépond (je crois qu'elle a perdu tout sensmoral, décidément) « Je voudrais bienretrouver la tête d'^ne de Bottom et quenous nous en affublions sans doute, alors,pourrions-nous plaire, au moins une nuit,à tels caprices de Titania ce serait tou-jours une satisfaction do:.née à notre folieet nous reculerions d'autant le jour peuenviable où nous enclore aux grottes deglace de la seule Métaphysique. »

Ma conscience, vous m'étonnez unpeu pas trop.

Ensuite, accroupi devant le feu joyeuxÇakyâ-Mouni, j'étudiai jadis tes attitu-

des je jongle éperduement avec deprécieuses boules de métal bleu, vert,rose, jayet mes idées. Chacune, enheurtant le plafond de marbre noir oùcourent des chèvres d'argent, vibre etrésonne large comme un plain-chantcent cathédrales lyriques rugissent d'en-cens gyrants et de rosaces triomphalesempyrée aux noces en explosions de telles

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fleurs furieuses sur l'autel, le Saint-Sacre-ment tourne, pareil à un fou moulin declarté.

Oh cette fois, j'ai lancé mes idéesd'une telle force qu'elles traversent leplafond et filent en sifflant bolidesparmi l'Inconscient ténébreux, mon cielunique. Jamais la terre réelle ne les re-verra. Egayée à ce spectacle, la chouettede Pallas, perchée sur la pendule, enpleure de rire. Pour clore dignement cettepetite fête intime, si je crevais ses largesyeux vides ?

Cependant, il faut se distraire à ceteffet quelques journées encore défilent.

Voyez-vous, je me suis étendu dansl'herbe jeune, au bord de cette rivière quifrissonne de friselis doux. Qu'il fait tièdeet bleu et gorge-de-pigeon, là-bas, versle défilé où la rivière se cache les va-gules clapotent, d'argent bruni bossuede lueurs paille on dirait le rire d'unefille chatouillée et j'aime cette chan-son niaise.

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Ainsi, paresseux, le visage balayé entreillis de quelle visière d'un capricieuxcasque, par les fines lanières d'un saule,je suis volontiers le dieu qui se repose,satisfait.du paysage créé et r-rtout d'avoirévoqué de franches senteurs dont il em-panache sa réverie.

Le ciel, sillé d'opulentes nuées blon-des qui se cambrent, est tout à fait selonma nonchalance ultra-humaine. En amont,

mon esprit de tous les jours un pontoù s'enchevêtrent des bruyances de genshilares et de voitures bien peintes; enaval mon âme de demain les satins.flous de la brume flottante sur le défiléqu'étoilent et parfument des jasmins re-tombants, et d'où vient, peut-être, legrondement d'une Cataracte enlinceulantd'écume les cadavres de géants qui doi-vent être immolés plus tard dans lefutur. En attendant, ils bâtissent des Ba-bels illusoires.

Et le dieu cueille des herbes et leslance tournoyer parmi l'eau clapoteuse

et le dieu s'endort dans la consciencede sa force.

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De concentriques parcs d'ombre ondu-dulent et se frisent, puis se défrisent à.l'infini leurs frondaisons filigranées denoires plumes d'autruches prospèrent qui,taquinées par la brise étésienne, pleuventde petits flocons sur la poudre des alléesbleues une touffe de tulipes, avec l'in-terjection, ça et là, d'un glaïeul, joue les.prismes sous le mystère d'une. diffuselumière d'éclipse. Dans un bassin, quegivrent les larmes congelées des étoilesde l'an passé, une eau, sombre comme unremord, rêve et déforme en soi le refletd'une pâle face sans yeux.

D'où cette face, puisque personne ne-s'est jamais miré là ?

Un Prince très vieux, quoique si jeune,,sur un orgue installé au péristyle d'un tem-ple en ruine, se joue des airs qui rendentfous les sylphes de son âme à tous lesvents et s'enfle, s'enfle par la nuit d'oret lui répond de partout la flûte du GrandPan.

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Promenades le long de l'inertie jaunâ-tre des canaux, stations éternisées dansun brouillard visqueux que déchirent lescris enroués de locomotives en manoeuvre

compter les coups de pioche d'un ter-rassier dont la physionomie humble etcanaille à la fois exaspère, observer lesgrimaces d'un singe attaché là par unsaltimbanque qui se saoûle au cabaret ducoin. Trop simples, ces grin:aces cheznous (atavisme et sélection, commentdonc!) il en est un jeu autrement complexe

témoin le schéma d'avarice et de ruseinscrit aux rides de l'orde face de monhôtesse, dès qu'il s'agit de régler. Fumer

boire aussi. D'autres jours; je con-temple, éperdu, le ciel tout printanière-ment neuf et le soleil tant qu'ils s'indé-cisent et flottent pareils à un grand rêvebleu et or. Ou je cueille les giroflées d'unparterre et les disperse flotter pourquel contraste sur l'eau croupie d'unbaquet grouillant de monades et de bac-téries mais un rayon dansant crible cettepourriture de trous d'émeraude où palpi-tent, selon des milliards de facettes, depetites ailes diamantées.

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Le soir, je me complais au concert descrapauds qui filent des notes de haatboiset se répondent d'un pré à l'autre.- Toutenfin,plutôt que d'affronter ce blême vieil-lard accroupi au fond d'un Vatican d'om-bres et qui attend patiemment son heurema génuflexion et mon baisersursapantou-fle tout, plutôt que ce pontife sinistredont je récuse l'infaillibilité la consciencedu Réel et ses cardinaux l'Ennui.

Mes pélerins en manteau rouge progres-sent sur une route aux ornières brûlantes.« Très chers, ne vous écartez ni à droite,ni à gauche. A droite, vous rouleriez lelong d'un talus d'acier poli jusque dansun canal où se diluent des mages suran-nés, et dont l'eau verte bue fait perdre lamémoire. A gauche, on y meurt à caused'une jeune sorcière enguirlandée d'acheset d'asphodèles qui se régalerait de votrecœur, si vous vous laissiez tenter aurythme de sa démarche flexoeuse parmiles sabres des nénuphars qu'elle a semés

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afin que l'on se déchire les pieds, venantà elle.

Bons pélerins, avancez toujours droitau milieu de la route pélerins demon désir, marchez les yeux fixés sur lescoupoles d'or et les tours de bronze de lacité d'orgueil où mes cloches tintent laPâque du renoncement, où tonne d'hym-nes glorieuses la basilique dont je suis leTiturel. »

Dès les années d'enfance (maintenant,plus que jamais), un rêve de froides blan-cheurs immobiles au Nord où personne,avant moi, n'aurait laissé l'empreinte deses pas.

O joies exquises aller très seul, ainsi,pendant des semaines, sous la Nuit po-laire qu'incendient, de loin en loin, lesfeux d'artifices silencieux de l'auroreboréale lire à la neige en obliques volsde papillons ds songe qui frôlent et cares-sent et me drapent d'hermine puis m'ar-rêter pour modeler d'albes statues qui ne

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fondront pas. Oui, aller au Nord, tou-jours, sans autre but que d'y aller.

Puis le rêve s'inquiète il y a quelqu'unpourtant au bout de ce désert. Et, eneffet, bientôt, (vous le savez, plaines par-courues d'un sommeil blanc) une fuméelente se vrille à l'hor izon un toit bleuâtregrandit peu à peu; j'approche c'estlà

A l'intérieur -tout blanc aussi d'unecabane que tapissentdes satins immaculés,un vieillard se chauffe devant un foverviolâtre dont les flammes tintinnulentcomme des notes d'harmonica si chenu,si centenaire, si ancêtre à moi l'Ermite-des-Neiges. Je m'assieds auprès de luinous nous reconnaissons sans rien dire,d'une grande tendresse et nous chauf-fons des siècles et des siècles, cependantqu'un grillon brode de minces algèbres àl'usage des salamandres. Dehors le mer-cure géie le vent cause pianissimo avecla neige qui tombe, tombé manne pro-diguée d'un paradis du Froid de grandsrennes aux andouillers d'argent errentautour de la maison et risquent parfois

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un oeil de velours à la fenêtre et brâmentdoucement.

C'est si calme ô blancheur jusqu'auréveil

Ces yeux ah tous les yeux d'elles,dédales dont s'amuse ma pensée désœu-vrée.

Ceux-ci reposoir de velours aventu-rin stellé de feux roses et quelle vision

parmi de graves sonneries de cord'une tourelle, au lion d'or et de sableassoupi, «où se désole une châtelainepersécutée les mandores fredonnentsous les doigts insoucieux de pages mi-parti le palefroi d'un Beau Ténébreuxhennit vers la tourelle.

Un peu romance, ces yeux mais c'estbien cela et puis le reposoir sauve tout.

Ceux-là, que comprendra seul un es-prit apte à cultiver, comme il sied, lanoire fleur Hystérie, ceux-là tant denacres morbides et de burgaus louche-ment phosphoreux, falots du diable encolère parce qu'Elle n'a pu violer l'ultime

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Graal fière âme de cristal et d'acier denos plus récents Parsifal.

Toi, il y a longtemps, un soir de fau-bourg en liesse.

D'autres, que la fée Mélancolie netoucha jamais de sa baguette mirez leurinconsciente cruauté farouches métauxen radiances d'autres astres dont nul spec-troscope ne fixera l'insolite flamboiement.Devant eux, certaines heures fiévreuses,il semble que le vent de l'Inconnu vientde passer sur notre front.

L'excellente personne ignorait sesyeux.

Et d'autres, et d'autres ciel vibrantviolant selon des forges orageuses auxéclairs longs à l'horizon, mais qui s'at-ténue, très clair, en colliers de perles dé-noués vers les hauteurs. Jardin aban-donné, tout imprégné d'automne, avecses allées criardes de feuilles mortes etoù, par surcroît, une folle arrogante agitedes sonnailles afin d'écarter les angesgardiens de l'âme d'Erigone lasse quis'efforce d'être encore ivre là.Vagues convulsives, lourdement verdâ-tres, blafardement cadavéreuses d'une

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montée de lune maléfique et des gouf-fres ultérieurs où se lovent des serpents,où le basiïic siffle. D'autres, si reculés,glaives bleus entrechoqués puis cal-mes panoplies que bouleverseraient denouveau si elle ne se méfiait de soi-même des rancunes de VG'alküre. Oh!tous les yeux d'Elles, bien connus, tropconnus, valsent et fulgurent autour de mapensée.

Mais silence a ténèbres ^brusques.Qu'advient-il, p\. que la Nuit se dérobeainsi devant une tendeur soudaine ?

Les yeux d'Elle, les yeux de la trèschère enfant s'allument parmi la désola-tion du petit-jour Lac divinement som-bre, lac trois fois pur. frissonnant d'im-palpables vapeurs blanches qui s'enfuyentet qu'argente oh lointainement uneaube de missel. La Reine Tristesse setient assise au bord de ces flots mélodieuxet trame on ne sait quelle étoffe d'orsdésespérés et demeure muette et de profilparce que les palombes envolées ne re-viendront jamais plus. Ah! noyer soncœur en ces yeux s'y perdre, et cueiliirun peu des lèvres le sanglot d'un chœur

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-d'étoiles épars dans le ciel qui se meurtsi follement au fond du lac mystérieux.C'est ici le Rêve convoité, c'est le charmeet la grâce et l'infini et mon âme nepeut plus s'échapper du réseau qu'onttendu les regards d'Elle. Et mes yeux, àmoi, sont deux miroirs irréparablementternis car je suis aveugle pour avoirtrop reflété ces yeux là.

La vie réelle flotte autour de moi com-me un voile de funérailles.

Or je ne me reconnais plus très biensi las, échoué sur ce divan fané dont lesressorts ont des gémissements d'héréti-ques à la question. L'odeur d'un crime.ancien stagne par la chambre les rideauxsemblent des parents éplorés autour d'unetombe les meubles craquent d'une façoninquiétante le foyer me gèle où deuxtisons jouent à qui ne flambera pas. Etquel, aux yeux brouillés, me guette dufond de la glace ?

J'ai la très nette perception de n'être

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pas ici: mon Moi vibre ailleurs oh

tout à fait ailleurs où ?.Cependant, la créature, debout devant

moi, promène ses doigts taquins dans sarousse chevelure ébouriffée puis elleprend son verre toujours cet alcool in-fernal et le choque au mien resté surla table.

« Allons, buvez à quoi pensez-vous ?

A rien. j'ai froid et je suis ivre

vous vous en êtes bien aperçue ?Quelle humeur! Mais que cher-

chez-vous ? n'entendez-vous pas la pluietomber ? vous n'allez pas sortir par untemps pareil ? »

Je vide mon verre sans répondre et. jeregarde autour de moi quelle détresseen ces choses Et moi un loup tra-qué, vous dis-je, un vrai loup. Ce per-sonnage dans la glace m'ennuie.

« Mais à quoi pensez-vous donc ?reprend-elle, écartant les plis du peignoirqui voile très peu sa royale fauvenudité.

Ah non, assez pour aujourd'hui,ma charitable amie. Et puis, si vous tue-

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nez à le savoir, je" pense à ma doubleétoile noire, à la chère mauvaise étoiledont je suis exilé depuis bien longtemps.Si vous saviez comme mon cœur a malau coeur

C'est à moi que vous racontez cela ?A vous même aussi, je crois inutile

de broder davantage sur ce thème jevous ai trop d'obligations pour vous cha-'griner de mon chagrin je pars. je re-tourne dans mon Ile. vous savez: monIle D'ailleurs, j'aime beaucoup lapluie. »

Et je m'en vais sans plus, un peu chan-celant, tandis qu'elle, si tranquille in-différente ? allume une cigarette.

Je suis content de n'être pas resté.pourtant, je reviendrai bientôt à coupsûr.

Un scribe implacable Asmodées'installe en une salle vaste que hantenttous les démons de l'Impureté. Sur destables de granit, d'un stylet de fer, il ins-crit les péchés commis en tant de mauvais

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lieux dont il souleva le toit lors que monâme s'y saoûlait salement, bassement.Certains soirs, j'ai quelque effroi à con-templer la froide lampe si jaunequi éclaire sa tâche sinistre. Pour rien aumonde, je ne risquerais un regard verscette encyclopédie de mes vilenies maisune envie folb m'empoignerait de me ré-fugier aux cilices et aux macérations si,à la réflexion. je ne me prouvais que « toutcela » ce n'est pas de ma faute nonvraiment pas de ma faute, étant donné lefol dont je ne sais qui me confia la garde-et qu'il faut bien distraire, n'est-ce pas ?

Pourtant, se disculper ainsi, c'est peut-être encore une suggestion des démonsque j'entrevois grimacer par les ombres.sulfureuses de la salle.

Si je consultais ce scribe?. J'oubliaisque, pour mon malheur, il est muet etsourd. Allons, mon doux fol, je croisqu'il est préférable de retourner là-bas.d'où nous venons.

Est-ce que ces choses auront une iïn ?Mon Moi mc pèse horriblement et ce

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double railleur me dégoûte que je faisjaillir, si souvent, tel, un diable de saboîte au nez des gens qui se croient endroit de m'observer. Engeance bavarde,ils rient ils me trouvent drôle.

Réfugions-nous au pur paysage noctur-ne d'un rêve fatidique.

Sous la lune bleue, une molle prairies'étale où fleurissent des campanulesd'or; au milieu, un puits qu'étreignent deslierres tourmentés. Pas un bruit, pas unsouffle ô royaume du Calme

Que de nuits, je m'accoude à la mar-gelle de ce puits dont l'immobile eaunoire me renvoie, au lieu de mon reflet,l'image d'Une de qui j'attends toujours,sans' espoir de l'obtenir, un sourire ac-cueillant.

Oui, que d'heures vers cette eaumagicienne. J'y mêlerais volontiers quel-ques larmes si je n'avais oublié depuisdes ans, la façon dont on s'y prend pourpleurer. Ou me jeter dans le puits ?.. Mais

l'image se briserait et puis un ordreémané de Ses yeux sombres calicesme rejette en arrière. Alors, je m'assieds-clans l'herbe parfumée de la prairie dor-

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meuse je me surprends à cueillir un bou-quet de campanules d'or que j'élève enoblation à la lune la lune bien amicalequi frôle mes lèvres du baiser d'un rayonbleu, froidement chaste. Et, rythmes ca-ressants, l'âme des campanules chante aufond de mon cœur.

0 compensation n'importe je suistrès malade.

Maintenant, la vie quotidienne emporteune bière encore Croque-Mort, lui-même,conduit le deuil. Et les passants s'éton-nent du drap c-andide semé d'œils-de-paonet s'écricnt « Qu'est-ce donc ? »

Pas grand'chose une fois de plus,quelque âme trop bien née retourne auxLimbes.

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OMBRES SUR LE MUR

L'heure triste oit chacun de son côté s'cu vcm

VICTOR HUGO

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LA LÉGENDE DU BON PAUVRE

E singulier Pauvre vêtu d'ail-leurs d'azur et d'or, et qui seglorifiait d'une large plumo depaon à son chapeau imagina

d'aller s'asseoir à la porte de l'égliseoù frère Laurent marie Roméo et Juliette.

« Voilà de bons jeunes gens aussi leurferai-je volontiers l'aumône d'un conseil

pourvu, toutefois, que mademoiselleCapulet reste strictement voilée car je-suis ainsi fatalement constitué, qu'un re-gard de vierge rencontrée sollicite enmoi je ne sais quel Prince Charmantdontje voudrais bien être quitte C'est irrésis-tible et très contrariant flûter des ma-drigaux n'étant plus guère mon fort.Autant vaudrait exiger de la rabougrissouche d'un saule séculaire d'avoir à

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s'étoiler de roses thé dans les vingt-quatreheures. Je sais parbleu, que le rose-théfut. il y a des temps, la nuance même demon âme mais dès qu'aujourd'hui, ellese pavane .rous la livrée du Dieu-Vert, jeveux que ia reine Mab m'emporte.

Consommatum est, voici les conjointsLa petite sotte! elle a relevé son voile.

Ma foi, je n'en suis pas trop fâché de sitièdes oiseaux gris s'effarouchent dans sesyeux qu'on doit lui pardonner. »

Le Pauvre s'avance, chapeau basl'extravagante plume de paon balayant lapoussière et, fixant sur les nocturnesépousés un regard de ses yeux à lui où per-siste un rayon égaré de Sirius « Mon bonmonsieur, la légende voudrait que toutecette cérémonie aboutît assez tragiquement mais rassurez-vous, il n'en serarien malgré les racontars d'un certainShakespeare qui, vous ayant prévus, s'estdonné le genre de transmuer votre histoireen chef-d'oeuvre. quel maussade indi-vidu Moi je suis plus sérieux et.

Confiez-moi votre main, mon bon mon-sieur pour prix de la male-aventure que

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je vais vous débiter, je demande seule-ment un sourire de madame. »

Et Roméo ô Roméo en pourpointcouleur de ce calme, minuit d'été s'in-terloque mais lui tend la main.

« Dieu Vert qu'adore l'âme des lotusfrêles et toi, Saturne, sa planète chère,inspirez-moi En bloc, monsieur, vousêtes voué à finir h és fol et très vieux vousperdrez des illusions et surtout des som-mes et, avant un an, vous délaisserezmadame pour courir les tavernes. Parfoisaussi, vous serez le maigre qui sérénadesous d'i:ngrats balcons. Il vous arriverade ne pas payer votre terme et de porterdes gants fripés. Vous regretterez, alors,la prébende dont vous avez gratifié ledigne frère Laurent mais trop tard.Toutefois, d'ici là, vous avez pour troismois de sensations agréables sur la plan-che soit dit sans offenser madame.A votre tour, mon enfant, continue-t-il ense tournant vers Juliette Vous mourrezjeune tant mieux, car ce sera de solitudeet d'ennui. Ah vous croyez qu'il suffitde se perpétuer souriante et tranquillede rester là, en peignoir rose frais-lavé,

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toujours docile au baiser, mais n'ayant legénie de l'offrir la première de préparerpour le dîner de votre mari il rentrerasouvent en retard d'innocente bienqu'exquise polenta de dormir l'entièrenuit sans ronfler, il est vrai dans latoute quiétude de votre sereine cons-cience ?. Ce n'était pas la peine de rece-voir une éducation aussi complète qu'estia vôtre ni, surtout, de vous laisser enleverMon enfant, mon enfant, de tapageursyeux noirs, un peu de travers, vous joue-ront quelques mauvais tours et il en ré-sultera ma prédiction à M. Roméo.Je vois que je n'aurai pas mon sourire.Eh bien, pleurez l'ange qui se balancedans le calice de votre lys recueillera vosdernières larmes de vierge-et ce me seracompté là-haut »

Un grand salut chapeau virevoltant,la magique plume de paon dardée auxastres et il s'enfuit. Et les deux ena-mourés, notablement ahuris, se regardent.« Hum gronde frère Laurent, quelqueivrogne. »

« Ah dit le Pauvre en s'en allant, j'aidéfendu la morale je me sens une âme

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toute neuve. Pourtant Cvotte charmantefille a de doux yeux gris, et quel purgéranium, ses lèvres! Il faut que j'enguérisse tout de suite je dormirais mal. »

Il gagne un sien ami, philosophe etmême épicier à ses moments perdus« Mon cher Maître, donnez-moi pour deuxsous de résignation. » Satisfait, il vague,dégustant la drogue, par cette blanche'Nuit d'été, toute parfumée, de résédas,toute pétillante d'étoiles jeunes jusquesau petit jour, lequel a pour privilège del'envoyer au lit.

Six mois plus tard. L'heure se traîne,louche et Prne, l'heure névralgique quescandent les tombereaux broyant des mar-ches funèbres sur le pavé des faubourgs.Le Pauvre en simarre de velours grisbordée d'hermine, plume de coq au cha-peau rencontre, au fond d'une douteusesoupente, où l'on vend de la soupe auxchoux à cinq centimes le bol, le seigneurRoméo blafard, échoué sur une caissevide et dévorant sa portion de soupe àses pieds, une guitare honteuse s'éche-velle.

« Ah ah! mon cher monsieur, j'ai

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prédh juste. Tenez, il me reste un peude réb çjnation avalez-le plutôt que cebrouet. Et puis, écoutez ce n'est pasl'alouetta qui chante encore moins lerossignol coest l'oiseau couleur d'infiniqui fait son nid dans la gueule des sphinx,non loin du vieux Nil.

Vous avez mangé ? bien alors, con-.sidérez un peu l'amitié que je vous porteTitania m'attend dehors et son ailéchar d'émeraude s'impatiente ellem'emmène en son royaume de la Fableplutôt que de vivre cette vie en petitespluies quotidiennes, voulez vous m'ac-çompagner ? »

Humblement, Roméo suit le Pauvreils sortent et prennent place auprès deTitania. Divinement verte, autour d'eux,la Nuit d'automne, et rouges ses étoiles.

pareilles à des pleurs de sang. Et lex char ailé les emporte vers le pays où croîtla mandragore qui chante.

Exégètes du songe, mes frères, imitez-.

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POUPÉE D'HIER

E long sourire artificiel et cir-conscrit de blême Et tel regardvacillant s'allonge comme unehoule d'arbres morbidement do-

rés par un soleil d'automne.« Mon doux garçon, dit-elle, vous sou-

vient-il pas avoir aimé ces miroitementsde fleuve aux ondoyances de ma roussechevelure cette fossette en mes exqui-ses maigres épaules? Etudiez un peumais quel pudeur vous retient ? labuée sur mes voilés yeux, semblables,aujourd'hui, à des vitraux en novembre

chez eux se blottit une petite âme sansprix. Vous vous taisez? Un aimant ou-trageux vcus attire vers des nords coeru-léens. Allons puisque tant positif vousvous entêtez, acceptez la fleur d'ombre

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qui se dissimule au loin de mes plussoyeux parterres. Vous restez calmene la connaissez-vous plus ? »

Un soleil automnal agonise, très seul,sous les arbres fatigués d'or l'orangéfaune de ses yeux se vespérise et devientredoutable ô crépuscule impatient depassion

« Je suis bien las, répond le Pauvre, etl'éternel malentendu réside en ceci quevous semblez l'ignorer. Cependant, exa-minez-moi ne devinez-vous pas, à monair hébété, que vos paroles m'arriventimprécises, l'on dirait de très loin ? Unfâcheux brouillard nous sépare je crain-drais qu'à s'offrir de la sorte, votre chèrepetite àme' reflet en faveur de quij'ingéniai naguère, avec quels pinceauxabsolus, mon savoir d'enlumineur nes'y enrhumât. Ensuite, il se fait soirc'est l'heure évasive où je me complais àmoi-même, hormis tout décor aussi, re-marquez, ah remarquez: je grelotte, jeme sens coupable et digne de votre dé-dain. Si vous vouliez seulement compren-dre quel froid émané de vos yeux s'évertueautour de ma pensée. Oui, vos yeux

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Ajoutez qu'une guêpe acérée s'y em-busque.

Oh! Narcisse honteux, s'écrie t-elle,vous me feriez vraiment regretter moncher papa Coppélius. Voyons, daignezm'emmener au bois je dissimulerai mabeauté sous des fourrures hyperboréenneset je vous réciterai, de la voix que voussavez, des choses. fort bien puisquevous me les avez apprises.

Il était une fois, répond-il maisnon, cela suffit de par vous, j'ai hurlélongtemps sous les rouges fouets destrois Mégères (or, peut-être, ne sont-ellesqu'une) Colère, Orgueil, Luxure. Cesétats de service.

Ah sortons.Après tout, pense-t-il en la suivant,

i° un délicieux bouquet d'oeillets ponceause fane à sa ceinture; 2" son parfum nem'est pas nouveau mais, sans doute, pour-ra-t-il m'évoquer encore quelques joiesbigarrées; 3" cet appartement, par l'om-bre violette, se peuple de profils inquié-tants et il vaut mieux éviter les taquine-ries des gnomes que je pressens tapisderrière les coussins du divan; et puis.

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et puis, vae soli je me sens, ce soir, uneâme absurdement orpheline: la leurrersera pruderit. »

Passe un fiacre

« Cocher, au bois. » Et ils roulent sansdire rien.

Mais elle tout-à-coup « Quoi, vousne parlez pas ? N'avez-vous fait pro-vision de concetti ? »

Mais le Pauvre, lâche à ses heures,garde la fierté de soi-même ce jour-là:« Ma chère, je ne sais quel bon génie ex-prime, en la coupe de mon Esprit, le jusd'une verte grappe de songe. Qu'yfaire? Je suis, vous ne l'ignorez pas, ledernier roi de Thulé des Brumes j'ai desdevoirs. Souffrez donc, qu'en silence, jevous instaure un palais digne du cou-chant mystique qui flotte dans vosyeux. »

Oh vous êtes bien librePlus que vous ne le croyez. »

Et ils roulent, très sages, parmi la titil-lante senteur poivrée des œillets captieux,et les encres montantes d soir, et les in-vectives de la ville ver? s imminentesétoiles.

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UN SOIR DU PAUVRE

'arrive le Pauvre à la besacelourde de rêves de mauvais aloiet d'illusions qui n'auront coursjamais plus à l'orée de ce

verger vert pervers et si correctsinistre un peu par maints pommiersbien taillés dont les pommes luisentcomme de fraîches blessures. Le soleil estdéfunt des sylphes de turquoise et d'a-méthyste ferment de verrous d'or lesportes d'un fragile palais lointainementoccidental. Plus haut, un grand œil clair,sans pupille, vacille dans le ciel. Derrièremoi, des brouillards mauves, des gazesbrunes flottent sur le chemin parcourule blanchâtre chemin poussiéreux où, soli-taire, l'empreinte de mes pas. Le vent ades chansons tristes dans les br anches le

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vent il raconte de vieilles, vieilles his-toires oubliées.

Mais je n'écoute pas les radotages duvent dans les branches je suis le Pauvrequi vide sa besace sur l'herbe et supputesa recette des jours derniers.

Voici de jolis cailloux qu'une personnecharitable me donna, pour les plus raresjoyaux de son écrin, le matin de mon dé-part d'elle. Ah ah je nous vois encoredevant le grand feu de pommes de pinqui mussitait moi, grave, les pieds auxchenets, tout à fait selon le fauteuil faus-sement héraldique où j'adossais ma cour-bature de vagabond !as, et récitant, sanstrop d'ennui ma foi, de précieuses sor-nettes apprises autrefois à l'école de telles,passantes extraordinairement subtiles.Elle debout, au coin de la cheminée, ensa flottante robe couleur de vagues atlan-tiques et mordillant une mèche de sesnoirs cheveux épars et s'écriant « Mais,vrai, mon cher Pauvre, vous avez des.regards singuliers on dirait d'un chatqui cherche à fasciner une tremblantesouris. Oh je ne puis vous dire à quelpoint vos yeux m'attirent, vos changeants.

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yeux aux rougeâtres reflets, puis piquésd'or, puis sombrement smaragdins tout aufond. Bien, ,bien, répondis-je, je vou-drais dormir. » Lors, la glauque robetomba et comment cela se fit-il ? lacharitable personne fut dans mes bras.Je crois que nous feignîmes, toute la nuit,de nous aimer très fort.

Le lendemain elle m'offrit ces pierresje les acceptai on sait que je suis unPauvre sans aucun scrupule et je par-tis mais, plusieurs jours, j'ai eu froidautour du cœur.

Allons, cailloux, à la besaceCette opale voyons. Oui, je me

rappelle des soirs de muets soirs ànous regarder à nous scruter à nousétonner d'un mur de glace pérennel entrenous et des fantômes immobiles qui inter-disaient tout mariage à nos lèvres. Oh

les lèvres exangues d'elle et ses fins pâlescheveux et ses yeux où frémissait l'âmedu luth de Sainte Cécile

Quand je la quittai (bientôt, car je de-venais dangereusement pensif), elle meglissa cette opale si mourante et brouil-lée. Elle m'apeure cette 'opale et ce

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n'est pourtant jamais sans une larmedont je me raille aussitôt que je la con-temple.

Voici la ceinture, soie cerise,.pasquilleset verroteries et plaques de faux argent.A la manier, quel rire jusqu'au râle cré-celle encore dans ma mémoire MonDieu, comme elle riait la toute-jeune siperversement maigre et petite, toutepetite, qui m'apprit le charme équivoqued'étreindre un quasi-adolescent. Je l'aitant incitée à rire peut-être fus-je tropgai avec celle-là qu'elle en est morteme léguant sa ceinture des jours defête.

A la besace »Sans commentaires, le Pauvre remue

et rejette aussitôt mille objets bouclesfripées, rubans déteints, bracelets ternis

fanfreluches fanées, ces aumônes decombien grimacières créatures sansplus. Et, soudain, il tire de sa poitrineune médaille, or vierge qui semble unfragment d'étoile puis la cache précipi-tamment, puis la retire encore et s'écried'une voix autre « Enfin, l'unique profilpar qui de rouges lys saignent dans mon

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coeur; enfin, l'Imprévue, celle d'un ins-tant, toute merveille que mon rêve nimbepour les siècles. 0 navrement une ren-contre, un baiser, un sanglot et sa fuiteparce que la Chimère l'évoquait ailleurs.O la flamme de pitié dans les sombresyeux, gloire illusoire dont je meurs etn'avoir eu que cette pitié ô la petite bou-che au sourire triste qui me demandaitpardon de ma souffrance et qu'Elle nel'ait pas guérie ô profil aimé par delàl'Apparence frêles yeux qui vous illumi-niez d'une âme d'enfant, irréelle!

Celle-ci me donna un peu de painl'amer pain! ma seule nourriture depuisqu'elle n'est plus mienne. »

Le Pauvre lance la médaille dans l'herbescintillante de rosés. Et la médaille luitd'une aiguë luisance, et lui brûle le cœur.Il se lève, il hésite, si maigre mélan-colie qui subit il est une ombre aucrépuscule. Oh s'en aller, quitter ce ver-ger où les fruits sont vermeils comme desblessures fraîches.

Mais la clarté d'or palpite vers son cœur.Alors, le Pauvre, l'illogique Pauvre ra-masse la médaille et la baise éperduement

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en versant quelques larmes ridiculesn'est-ce pas

Ensuite, assis parmi les gramens mouil-lés, il dévore l'amer pain de jalousie, lenoir pain de son tourment puis finittout de même par s'endormir, roulé dansson manteau.

Le vent fredonne des chansons mortesdans les branches; la prairie tremble d'oi-seaux blessés qui vagissent. Et la Damede Nuit, montée dans le ciel, se complaîtmalignement à balancer, sur le grelottantPauvre, sa blafarde lanterne lunaire.

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UN AUTRE SOIR

E Pauvre, en tunique de linbleu si pâle d'un ciel d'Octobre

s'assied sur un trône de glace,au palais de l'Illusoire. Devant

lui, s'alignent, confinées en des jattesd'argile, les réductions de telles Abstrac-tions dont le scintillement le persécuta,lors que l'Eté blondissait les falaises denotre Ile (si lointaine !). Mais ellesfurent éteintes et gisent.

Or il se lamente de la sorte « Hélas,depuis longues années je me consume àmuer mes sentiments en idées, et nul ré-sultat digne d'orgueil n'a récompensé mesdésintéressés effort?, sauf celui-ci qu'avectoute bonne volonté, je ne puis considérerautrementqu'un peu effrayant chaque foisqu'il m'advint de tenter, au jour vrai, une

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manifestation du dieu antérieur dont lesyeux sont des lacs sévères et les cheveuxd'harmonieuses futaies au tréfonds de monâme des anciens jours, quelqu'un sau-grenu fol s'est substitué à moi (com-ment ? je ne sais) pour proférer par mapropre bouche d'inquiétantes sentencesqui font s'écarter de mon enseignementapprécié cependant les disciples éven-tuels que j'eusse voulu convertir.

On semble me considérer un person-nage compromettant, qu'il vaut mieuxne pas fréquenter et leurs attitudes signi-fient un total mépris. Quant à moi,l'étranger tu, je sors d'un vertigineuxcauchemar je me récrie, sachant avoirformulé le contraire de ma pensée et,pourtant, la répercussion en moi des effa-rantes doctrines de l'autre m'éveille desympathiques échos.

Si je risque alors un regard au miroiroù je surveille mon âme, je demeure stu-péfait, ne l'y reconnaissant plus et ysurprenant je ne sais quelle présence re-doutable ce n'est pas le dieu appli-quée à illuminer de pâles fanaux les -ara-besques contrariées du Parc qui recèlemon Etre le plus lointain.

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Là. se passe une fête à quoi ma penséeapparente n'a pas été conviée là, millelabyrinthes de prismes entrelacent leursénigmes qu'une transparente fée, sous unvoile qui ne dissimule que son visagemais complètement parcourt d'un piedboiteux.

Ensuite des gens vont à grandes enjam-bées et dispersent sur les choses unepoudre d'or qu'il serait préférable de nepas gaspiller ainsi du moins, c'est monjugement d'aujourd'hui, rien que d'au-jourd'laua. Puis des dames mystérieuses,aux yeux inéclos, vêtues de raides bro-carts en froides cassures glauques, d'unenuance imprécise, se rangent au sommetd'un escalier de marbre débouchant surune esplanade qui se perd dans unenuit traversée de « possibilités » flui-des. Plusieurs descendent les marcheslentement, lentement mais combien dedegrés avant d'être parvenues en bas

Plus loin, d'autres petites dames, enrobe d'espoir flambant, dansent entre elles,à contre mesure, au son d'une musiquemonotone je n'en saisis pas exactementle rythme mais quant (1 présent il me

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paraît régler les sursauts d'une notesolitaire, tantôt languissante, tantôt fébrile,répétée jusqu'à l'énervement. (Je suisinquiet, je m'impatiente, un désir de lalumière d'ici me tourmente vers ces effi-gies là-bas.) Des seigneurs multicoloressurgissent, parfois, qui demandent timi-dement à entrer dans la danse mais onles chasse. Ils s'éloignent fort contristé.sau point de se rouler sur le sable pailléd'or et de jeter au loin leurs perruquesbien peignées qui luisent, pareilles à depetites comètes. D'un coin sombre, unpersonnage écarlate apprécie les passavants de ces dames. Tout à coupune heurte inconnue sonne il s'approchede l'une et lui fait un signe. Elle com-prend, elle s'arrête, elle incline la têtequ'il lui tranche d'un coutelas acéré. Tou-tes sont ainsi décapitées. Nul sang necoule; mais leurs yeux, enfin nés,fulgurent,jeunes roses d'une aurore estivale. Les sei-gneurs acclament très haut et lissent leurs.perruques récupérées et appellent de lamain celles en attente sur l'escalier demarbre. Aucune ne bouge alors, ils dan-sent follement, sans plus s'occuper d'cl-

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Tout s'éteint. Je n'aperçois plus quele dieu devenu très vieux et quis'efface baîller en s'éventant d'un chênedéraciné il me crie des phrases que jen'entends pas. toutefois, je les devineironiques.

Lorsque je reviens à moi, après ces.aventures, je titube comme un hommeivre et j'éclate d'un rire de girouetterouillée. Ce dont mes disciples s'autori-sent pour me lancer des pierres et mepoursuivre de huées. C'est pourquoi je mesuis retiré ici, le philosophe de Thulé desBrumes. Voyez je numérote avec soinces vases d'argile, selon l'ordre que con-çut mon immuable rêve. Dès que ce serafait, j'écrirai sur chacun d'entre eux« confitures pour la Postérité. »

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UNE PLAINTE

LUS bas que l'impétueux prin-temps dont la tunique s'effrangeaux griffes des ronces les ron-ces en involvules autour de maint

socle vétuste, et leurs hargnes jalousesplus bas que les houles jaune-souf-

frant des genêts où se dorlotent noséphèbes, deux à deux, les sourds arceauxsurbaissés de la crypte s'évaguent dansle noir, vers un caveau. Le souvenir d'untrès vieux parfum s'y traîne languidementpuis stagne, tel le moit baiser d'unelèvre morte ras le sol, une lampe misé-rable palpite dont la flamme geint et brûleles ailes de maigres papillons fous grim-pant le long des murs bourrus des orsternis finissent de s'écailler à la voûte etdaignent à peine refléter l'angoisse d'unŒil morne, détenu là.

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O REGARDS hagards quels fantômesplaintifs des illusions d'autrefois ceslueurs punies pour s'être trop complues àla caresse en ondoyance des rythmes dé-fendus, se heurtent par la ténèbre gla-ciale.

« Veux-tu t'asseoir ici, mon Maître ? A

travers le judas pratiqué dans la porte defer du caveau, nous écouterons la Voix sedébattre.

Volontiers cela peut tenir lieud'examen de conscience. »

Le regard vous y distingueriez unepourpre dérisoire et des gemmes saliesla regard dit « Je suis l'Epiménide, lePrince inconséquent des Lacs purs quis'aimait en son âme instinctive blancs cha-pelets dévidés d'effusion sous l'immobilitéréfléchie d'un astre intérieur. Hélas, ômémoire crispée, je sais trop tard monimprudence et qu'il fallait se hâter d'étein-dre, à son origine, le rayon qui me créades Arcadies premières de pérennellesTempes et même de radieux Edens fu-turs alacre flot dans une coupe de cieloù se grisa mon ingénuité pour les siè-cles

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Mais, ô vous, à jamais abolie simplessedes paysages bleuâtres, fleuves nocturnes,courbes comme des sabres frais ilôtschers aux idylles, et les bras tendus desnaïades, je ne suis plus le Lynceus naïfd'antan.

Faut-il remonter plus haut, ô mémoirepantelante ?. Indra pose ses pieds lumi-neux sur les cîmes virginales les jourspassent à songer parmi l'arôme dormantdes tulipiers et des rhododendrons et levent plane dans les feuillures orchestreà la méditation d'une parole de Gautâma.Cest un orbe de silence bruissant où mapensée se balance, fleur adolescente.

Enfin, des pas connus criaient sur lesable la nuit montait et souriait, véri-dique, une aux yeux aimants, aux yeuxignorants qui surent m'évoquer le plaisirsans lie.

Ces choses sont mortes et qu'es-tudevenue ô mon âme vraiment trop pri-mitive des solitudes ? Tu connus la folied'essorer, selon d'autres gestes, tes péta-les enfantins et tu répudias les Essencesdivines qui furent tes icônes. Mais l'au-rais-tu crue à venir la priapée morne d'au-

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jourd'hui ? N'aurais-tu pas nié, alors, 6toi, mon âme, les ivresses noires leslendemains hébétés, l'ennui comme unepluie froide, aupetit-jour,surdes fiévreux?

Donc sabbats sensuels présidés parun faux prophète conseillant toujours«,Cueille, c'cst l'Absolu », chœurs furieuxoù s'est cassée la voix de ma sincérité,concluons au lieu des chrysanthèmesespérés, on m'a leurré d'un bouquet d'or-ties je m'y suis brûlé les doigts et l'aijeté c"est pourquoi je suis ici.

Tu mens, s'écrie le Maître, alarméà la fin, car il est des paroles qui ne doi-vent pas être dites, tu mens: nos fêtes, ont'y entendit crier d'allégresse, préten-dais-tu, d'ennui, avons-nous deviné. Alorson t'avertit choisis --ou l'ivresse parminos éphèbes, pourvu que tu nous vendesle mensonge parfumé que ton orgueilnomme mon âme première ou le silenceici, afin qu'à loisir tu puisses, stérilement,te la créer réelle. Quel fut ton choix ?N'a-t-il pas aussi été conclu que jamais plustu ne remonterais épouvanter des mortesclartés de l'illusion les théories passion-nées que nous guidons vers l'autel descinq Voluptés ?

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Tu demandais l'ombre, tu l'as.Non, vous m'avez trompé. J'espé-

rais le temple mystérieux où je seraisl'idole sauve des apparences et des mon-des, et dont les rites consentis seraientobservés de vous tous avec une foi en-tière je croyais que l'on m'adoreraitcomme un dieu très simple et très sage.Au lieu des gloires promises et dûesce caveau et la Mort qui me parle àl'oreille.

Tu mens: ton vouloir te fit cetteprison si, sur ta tête, notre Ile étale sesfleurs et ses bois sacrés, si nous avons bâtile palais où nous dénudons les jeunes féesdont l'unique raison d'être réside en notredésir, c'est que tu comprenais les vertusde ton sacritice tu t'acceptais l'ascètequi souffre pour nous.

Aujourd'hui, je ne sais quel écho des ri-res de là-haut descend t'inciter à la révolte

inutilement. Il est trop tard la porteest fermée, la clef en fut jetée dans la mertu ne sortiras pas.

Je ressusciterai, je serai la lune cani-dienne sur tes plus inquiètes insomniesje serai le silence de tes nuits et je t'étouf-ferai.

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Non, dit le Maître en se levant, carj'ai tué le silence. »

Et il s'en va.Ainsi, au fond d'une crypte froide, sous

le plus radieux palais de mon île royale,Thulé des Brumes s'émeut, parfois, undébat séculaire et tel REGARD meurt,lentement gelé, pour avoir recueilli uneâme antérieure.

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RHAPSODIE SENTIMENTALE

ROIS, ils s'asseyent au plus fondde la sombre cour cadavéreuse.

C'est, tout autour, les mursridés comme des vieux d'un

palais ruiné que surplombent de bran-lantes corniches, piédestaux pour tellesstatues aux yeux figés'd'or et d'ébène

aux joues de bronze verdâtre où luit lapluie. Sur la tête des Trois, le si haut cielinfran. vile, l'indifférence hiémale du cielroussâtre. Les lourdes fleurs veloutéesdu silence baisent leur front anier unefrissonnante chose rouge rutile au milieude la cour et, longtemps, ainsi, lesTrois contemplent.le silence, la froidepluie qui ruisselle et les statues verdâtresleur font des signes, falotes sur le cieltrouble.

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Enfin l'un, maniant un fauve braceletimprégné d'odeurs lointaines « J'aisouvenance d'une advenue naguère j'aisouvenance des petites amies de là-bas.Quatre, elles furent que nous n'épou-serons jamais en vêture de couchantet ces regards qui défaillent d'exotiqueexil et cette fine maigreur que nousaimions trop pour l'étreindre et l'inquié--tude de ces longs doigts et la souffrance

prescrite de ces minces mains pro-férées et tordues en imploration versquelle divinité ? Mémorez des dièzes decristal se spiralent bizarrement autourd'elles un oblique soleil les farde defièvre; elles tournent, tournent lentementdevant rnoi et le triste calice de leurbouche laisse tomber, parmi des bullesde sanglots, des paroles d'autrefois dontelles ignorent le sens.

Oh là-bas, dans leur patrie de coupo-les bleues et de tours aurées, un jeune roise meurt parce qu'ellessont parties unvent migrateur souffle parmi sa plainte etnous l'apporte tout odorante de regretdes palmes s'agitent qui disent non,non, elles ne reviendront plus une étran-

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ge fleur très blanche, grandie entre lesmarches du trône, recueille les larmesdu roi et les versera en rêve surnotre cceu pour le rafraîchir. L.: roi semeurt mais les lataniers calmes sepâment de floraisons lourdes les encen-soirs en lents énervements des santalss'assoupissent et la fumée des cases, aubord d'une mer rythmique, tremble dansle soir.

Où les quatre petites légendes et leursyeux languides d'exil et de rites tropanciens ? Où les figurines d'or malade, sidroites au crépuscule, si maigres, versqui notre désir n'osa

Cette sinistre chose rouge, au-milieu dela cour, darde un éclair et palpite éper-duement.

Un autre il agite des fleurs fanées etdes papiers froissés où s'inscrivent deloyaux mensonges féminins « Mon désirse traîne, mon désir est un cygne aux ailesmutilées, dans une ténèbre sans espoir.Oà est l'enfant, la fée-enfant dont lesmains pâles pansèrent ma folie où est lerire de l'enfant qui passa parmi des neigesde camélias et de lilas où sont ses yeux,

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sombres talismans, mortels délices, patriede mon âme, une nuit et un jour ? Où estma Dame qu'adore la Chimère ? Ailleurs,loin de moi, et son auréole d'irréels papil-lons et ses lèvres tendues au dieu incon-nu. Et moi, je suis une gloire défunte,sans réveil, puisque ses yeux ne doiventplus s'allumer sur mon rêve. »

La chose saigne, saigne un fleuve desang houle où clapote la pluie et lachose gît comme un cadavre.

Le troisième « Je voudrais bien écar-ter ces rires, cette musique de foire et lecliquetis des coupes décevantes aussitoutes Elles de qui les vides yeux rôdent,surpris, ver s ma tristesse à cause de leurbruyance qui s'efforce joyeuse. Te tairas-tu, tumulte des spectres mensonges quim'attirez malgré moi et vous, regardsépris de diffamer mes plus chères reli-ques. Que fuir ? où fuir ? Mon âme ago-nise d'angoisse et ne peut. Oh que jevoudrais les chasser'ces ombres accourues,avides du sang qui coule là. L'amertumed'un fruit de péché réside sur mes lèvresqu'elles frôlent, ces ombres.

Que je voudrais être seul, oublier les

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heures mercenaires et les baisers identi-ques oh seul loin, même de vous,frères plaintifs laver aux eaux de lamélancolie, mon âme ivre de dégoût.Mais quel tapage répercuté tourbillonneen sales échos où s'enlise ma pensée en-têtée vers hier Et ne pouvoir s'oublier.Pourtant, je me sens fleurir le lys très seuldes marécages. »

La chose s'éteint, terne comme unecendre de l'an passé.

Le ciel s'anuite sur le palais ruiné lesstatues vacillent, croulent et disparaissentdans le vent la pluie ruisselle des crê-pes glacés règnent aux murs les fleurs desilence s'effeuillent, languides, une à une.

Et, princes en Enfer, trois souvenirs.s'éternisent assis autour de mon coeur-et grelottent et se désolent nostalgi-ques à jamais.

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PLEIN RÊVE

Le rêve est une seconde vie. Nous nepouvons déterminer l'instant précis où,le moi, sous une autre forme continueV œuvre de V existence C'est un souter-rain vague qui s'éclaire peu à peu, etoit se dégagent, de l'ombre et de la nuit,les pâles figures gravement immobilesqui habitent le séjour des. limbes. Puisle tableau se forme, une clarté nouvelleillumine et fait jouer ces apparitionsbizarres; le monde des Esprits s'ouvrefour nous.

GÉRARD DE NERVAL

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FRONTISPICE

r se baigner au fleuve irradié d'un astreC'est le mien je le veux stria .it les âges pâles,A lui, le fier courant vers la cité qu'encastre

6

Un rempart bruissant d'allégresses florales.

Garde la tour sonnante, archer, darde tes flèchesMa meute, en abois rouges, s'agriffe aux créneauxMais fuis plutôt déjà, mes hautes flammes lèchentTon mur veule oit tournoie un vol fou de corbeaux.

Cependant que, très doux, aux musiques des palmes!Amoureux seulement de la tulipe noire,y arrose le Jardin de mes floraisons crimesEt le mire en un flot d'or oit voltent des moires.

Qu'il combatte bien loin mon bon fleuve de guerre:J'évoque mon ciel tendre e1t triomphes d'étoiles.Pour capturer le ri-vefrêle d'éphémères,T 'araignée incomprise a tendu là ses toiles.

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THULK DES BRUMES

L fait bien calme cette nuit En-seveli sous les frondaisons anne-lées de tes cheveux, ivre un peude tes lèvres et de fatigue, j'é-

coute bruire autour de noyr- l'ombre moitequi sent bon le lilas et l'ii Si mes mainsreconnaissantes s'en vont encore vers toi,mes yeux anormaux s'éjouissent d'unedanse de lucioles sur la tenture où des ra-mages extravaguent.

Quelle pensée mystère pour moi-même te crée maintenant l'Impavideque sacrent lampe soupirée des fleurscueillies hier et déjà mourantes, les baisersfrôleurs d'existences furtives éparses enla bizarrerie de cette chambre vieille ettel regard de Nord et d'Autrefois diffusdans l'eau nocturne de !a glace ? Quel fard

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irréel givre ta joue ? Et pourquoi les lu-cioles s'empressent-elles butiner la lan-gueur orangée de tes prunelles? Entends-tu, la pendule palpite comme un cœur.0 grand calme odorant, sombre sérénitéque ponctuent des feux errants n'est-cel'espace introublé où s'élaborent les mon-des de la fable, ces paroles, vertiges gla-cés d'argents stellaires, comètes vagabon-des parmi des semences d'astres, langesde ténèbres que zèbrent de brusquesphosphorés, paresseuses fumées émiantdes pollens mythiques et ces spires deblancheur en harmonies pâlement lumineu-ses qui pleurent selon des rythmeséoliens.

La chambre s'enfonce lentement d'unmouvement doux soudain, s'étale unviolet profond essaimant des gemmesissues de girandoles parfumées et dont lachute s'arrête pour allumer les cristaux defrêles stalactites.

Un jour nouveau parait les secondessont des heures. c'est Autre-Part, ainsique l'affirment des chœurs épicènes im-

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provisant sur un thème d'hier ou dedemain et, peut-être, n'est-ce nulle part,sauf en nous-mêmes l'Inconnu très loinqui se dresse sous ces arceaux, sonorespar le tumulte des lames batailleuses d'uneproche marée montante.

Le rideau se lève. Je te suppose la gen-tille fée en attente là-bas, au seuil de plu-sieurs palais étagés et rosement marmo-réens, parmi des territoires bleuissantsque cernent des squammes micacées.

Écoute Il est une Ile si perdue au fondde la mer boréale qu'il faut être nous pourla connaître. La proue de nul navire n'aviolé son unique plage Vierge iière quedrape une tunique en genêts d'or, ensapins gémissants, nimbée d'après-midiaux tièdes caresses d'uti soleil sobre, cein-turée de ses falaises nacreuses où lescavalcades cabrées des flots s'encolèrcntde brandir en vain et en vain des éten-dards d'algues, légendaire enfin et nostal-gique aux bons poètes, elle est Thulé desBrumes.

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Parsifal y adore le Saint-Graal Jamesle Mélancolique prend à témoin de sarancœur les arbres de forêt des Ar-dennes et moque le cor d'Obêron implo-rant Titania fuyeuse Ligeia enseigne lamétaphysique à l'étudiant Nathanaëlaccoudée à un balustre que du lierreenguirlande, Mélusine effeuille des camé-lias dont Astolphe, descendu de son hip-pogriffe, recueille dévotement les pétales;Sylvie avec Aurélia s'asseyent à la Table-Ronde pour mieux ouïr un oracle de l'en-chanteur Merlin; et Pierrot ingénu méditeune pagode cosmique où logerait la Lune.Même, l'Oiseau couleur du temps flûtedes choses très fines dans les branchesCaliban, s'il ne ronfle et rêve d'outrespleines, fait danser Atta-Troll et PeterSchlemil a retrouvé son ombre.

Ah tu le sais comme moi, c'est bien lànotre Ile. Tu te rappelles tant de rêve-ries perdues sous les colonnades sifflantesdes sapins aux senteurs robustes, tantd'errances en l'or onduleux des genêtsLe soleil faible baisait sans l'offenser la.soie'ambrée de ton épiderme, et tes yeux

divins jardins changeants défiaient

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les vagues pareilles de la mer lamentanteet puis grandissaient et signifiaient cet

Océan, mon Esprit où s'engloutissent tesorgueils. Tu étais la reine, j'étais le roiafin de me plaire, tu chantais le poème dela Feu17le du Saule ou le lai de la Bellequi cassa son miroir et, par le dédaleviridant des sentes, nous allions, en unegloire estivale épanouie sur les âges, ôReine, ô Roi que saluaient les cantilènes.susurrées à peine des génies d'après-midi,dans cette Ile heureuse, notre royaumeThulé des Brumes.

Les girandoles se sont éteintes, leschœurs tus. il fait froid. Des sièclesont coulé, je m'imagine, car je me senstrès vieux depuis tant d'hiers.

Mon Dieu non, c'est la cha mbre nul-lement fatidique et le lit. Il n'est plusdevinable que le blême des draps et taface sommeillante et ces tentures chimé-riques, dômes s'écroulant, et cette Nuit où

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je me plais enlacé les ondes ténébreusesde ta chevelure aromale.

Mais écoute encore le coq chante lacampagne s'éveille, s'étire et frissonnela rosée tinte à petit bruit dans lesherbes. Et le soleil de Floréal rit ein rais

d'or à travers les persiennes.

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CRÉPUSCULE DU SOIR

ERTAINES fins de journée, lachambre est plus triste encore oùrègne une âme momentanémentsauve mais à quel prix des

remous bariolés de l'Illusion. En elle,d'obscures présences qui se font signe,les attitudes indifférentes de Fioramyeslasses, un lourd amas penchant d'idéescalcinées, des songes que suffoque uneatmosphère d'éternel orage qui n'éclaterapas, des rivières sans but, avec l'attentestupide d'un passeur dont la barque pour-rie doit couler à fond un de ces jours.Autour, décor fictif et mouvant que révèlela fenêtre large-ouverte, l'exil à peinerésigné de hordes mongoles peuplant l'oc-cidentale grisaille de la tenture ô crinsà jamais emmêlés des casques, carquois

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vides, rouille des sabres, damasquinagesquasi-effacés, robes jaunes trouées queti;sèrent les loisirs d'obliques femelleslaissées à Samarkand mais aussi, par-fois, ces regards mal éteints où rugit laférocité d'un Djingis -Khan, et ce rirecommémoratif des tours bâties de têteshumaines, et l'écho d'un galop de chevauxtartares à travers un désert qu'aggravaitle glapissement poltron des chacals.

Ah mortes de soif, toutes les aventures

Il reste cette chambre. On bâilleraitvolontiers devant les gravures pénibles,les meubles méticuleux, le chantournagefleuri des chaises, les losanges impitoya-bles du tapis n'était la glace, mystèred'or et d'ombre qu'éclabousse le sang d'unmassacre épars dans le crépusculen'était que deux âmes se sont longuement,froidement assassinées là, et que si l'unes'est donné la peine de survivre, c'est àcondition d'être un spectre • un lar-moyant, famélique et rageur spectre.

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Un élément d'intérêt est aussi fourniil faut en tenir coinpte par le cadavremal embaumé qui git quelque partmais où ? et dont la fétidité triomphed'aromates hâtifs ses yeux ont coulé dansles joues et stagnent, verdâtres; ils n'enrappellent pas moins la glaciale détressepropre à ma conscience soit l'eau désor-mais dormante d'un puits abandonné oùle Passé flotte, amer comme une sauge.

C'est tout à fait la chambre ou l'âme,meurtrière surannée de soi-même, décidéeà ne pas favoriser l'éclosion des anémonesanémiques de la Fantaisie, et à fermerl'oreille aux sinistres propos équivoquesqui se veulent chuchotés par le malaisefébrile d'un crépuscule. Trop de reve-nants fraternels, si l'on n'y veillait, secroiraient autorisés à vous marmotterainsi des rhapsodies sentimentales dont onn'a que faire. D'ailleurs, de leurs cha-rades, la.clef en est perdue.

Mais dehors?. Dehors. le ciel est d'ar-gent pâle, de pourpres légères, de miè-

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vres satins soufre, se mourant en mollesondulations vers l'horizon cuivreux. Çà etlà, les fabuleuses caravanes des nuages,agatholithes et béryls qui, plus tard,deviendront les fauves coursiers empor-tant à des Walhalls d'étoiles les Wal-'küres du rêve.

A cette heure, le clapotis lazuli desarbres sur l'occident inquiète comme unprésage initiés très savants, ils défilent àregret devant l'acuité de ma perception,s'arrêtent parfois pour échanger de téné-breuses confidences ensuite, ils s'incli-nient selon des angles surprenants et délè-guent des ramilles me révéler les arcanessuprêmes de l'ésotérisme végétal. Lors,le vent accourt, ricaneur, des quatre coinsde l'espace et, pareil à un fol, secoue etflagelle éperdûment la gravité académi-que des rouvres, la maigreur blafarde desbouleaux, l'écheveture des saules degrandes manches vides de bras sontsecouées, des drapeaux en loques claquentet se débattent, de falotes mains d'ivro-gnes brandissent des armes impuissantes.

Enfin, un grand calme. puis cetteabsurde clameur où se résument tant de

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rancunes susurrées à voix très bassedepuis un instant la Nature est unMONSTRE

Je la savais presque et j'en ressensquelque estime pour elle à l'avenir ellem'apparaîtra moins solennellement videpeut-être condescendrai-je même à grati-fier ses aspects de quelque évocation.

Maintenant, viens ici, mon Aimée,petite bête cruelle, et tes dents luisant,ainsi des poignards, dans ta boucheentre-close, et tes yeux qui me sont lagrande Nuit astrale. Regarde le couchant:ces royales étoffes que l'on macule, cettedésolation convulsive des arbres en proieaux étreintes malignes du Vent, ces fleursproférées comme des cris, toute cetteNature, torture permanente et laideursouffreteuse ne t'apprennent rien ? N'as-tupas pitié un peu ?. Non tu ris. Alors,tais-toi, reste immobile, là nimbéed'ombre et d'or et de la brume sanglante,incluse dans la glace.

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Paisible, instillant en moi la splendeurignorante de tes yeux, tu reflètes à miracle

en l'Apparence je ne sais quelleâme très ancienne blottie au tréfonds demon être, et dont le réveil, souvent, réciteavec lenteur d'étranges litanies. Celase passe, je crois, jadis, à l'aube dessiècles aryas, un soir de Pamyr et depleine lune naissante (la lune triste etglacée comme ma conscience) le cielruisselle encore des cruors d'un soleilégorgé. Debout sur le haut lieu où s'épa-nouissent, en bleu bouquet odorant, lesflammes inextinguibles du feu sacré, jesuis le Voyant, j'entonne l'hymne infinides Essences et des Formes mon cœurarraché de ma poitrine se consume surl'autel et une mélancolique prêtresse,droite et pure en la virginité de sa robeblanche, me tend la coupe où je boirai,pour de futurs avatars, avec le méprisque me voueront fatalement les Actifs dema race, l'amour entêté du seul Rêve. Etl'autel, c'est toi mon cœur, c'est toi laprêtresse, c'est toi aussi la magnifi-cence de l'hymne mortuaire dont tu repré-sentes la strophe ultime en son irréparable

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perfection. Toutes ces choses, oui, maissans que tu le saches c'est même pour-quoi je t'aime, mon enfant.

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ALLÉGORIE

ETTE nuit, sous un autre ciel,dans le royaume du Silence et dela Mort, sur le fleuve Léthé, unebarque d'argent aux voiles vio-

lettes agitées de nul souffle, solennellesainsi les ailes repliées d'un archange quise repose. Une grande figure, drapée dedeuil, fier profil pâle de déesse, le frontlauré d'or, se tient au gouvernail laMéditation. Ingénu bouquet groupé à laproue, des adolescents en robe verte cein-turée de cramoisi effeuillent des rosesblanches sur les flots ou recueillent, clansle creux de leur main, des reflets d'étoiles:ils sourient mystérieusement et s'entre-regardent, sachant les mystères, sansparler. Selon le presque imperceptiblecourant du fleuve, la barque avance lente

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vers un but que désigne une tache desang sombrement lumineuse, à l'horizon,dans des brumes immobiles douze cygnesnoirs voguent au sillage.

Sur les rives qu'éclairent les hautesflammes livides de torches proférées pardes géants de bronze toute la Fable esten atvente à droite les Olympiensqu'ombragent l'envergure de ton aigle, ôZeus-Pâter à gauche, les dieux duRunoïaet, comme des mains de nuit large-ouvertes, les corbeaux de Wotan plusloin, vers l'ombre hermétique, l'Etre desElohims Yahveh s'efface la face doulou-reuse, flagellée de roux du Jésus se couvrede larmes qui la creusent et la déforment;mais le front de Çakya-Mouni rayonne, pa-reil à un bouclier de soleil.

La barque arrive à l'horizon des nappespourpres s'éploient sur les eaux un mé-lancolique démon, aux yeux de saphyrouvre une porte d'ébène une bouche deténèbres bée avec un fracas soudain detonnerres et de cataclysme, la barque s'yengouffre et l'impavide Méditation et lesadolescents insoucieux et les douze cy-gnes. Puis la porte se referme, on devine

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à jamais. Les dieux sont des fumées dansle brouillard.

Et, sur l'inerte fleuve Léthé, sur leroyaume du Silence et de la Mort, d'au-tres étoiles épandent froidement leursclartés inconnues.

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visiteurs DE \'ISION

OLLEMENT étendu, les mains çàet là, les yeux noyés vers la fe-nêtre dont les rideaux mal closlaissent filtrer un pacifique rayon

de pleine lune, j'écoute mourir en moi lesdernières vagues d'un Vouloir qui s'em-paresse aux grèves de l'Inconscient et qui,tantôt, sera tellement aboli que je resteraiseulement un docile réflecteur pour lescaprices bariolés du Rêve.

Une atmosphère brumeuse emplit lachambre des formes, estompées d'unegrise lumière personnelle, flottent detoutes parts les unes fluettes et serpenti-nes, en méandres qui m'attouchent puiss'écartent comme effrayés les autres,immobiles, se groupant au plafond, la têteen bas, en bizarre lustre à cent faces me-

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naçantes ou bénévoles que troue la phos-phorescence des prunelles inquiètes. Parinstants, d'un geste balayant, je dispersel'apparence d'un de ces fantômes alors,il se dédouble et une lampe de plus sejoint aux autres. Ce n'est pas importun,au contraire, ce nombreux clignotementsur moi quelque chose comme un venttrès doux, chargé d'irréel, en passe dansmes cheveux et m'électrise tout entier.

Maintenant la lune devient aveuglanteelle est là, juste en face de moi, si rondeet si vieil or bleu, dans l'entrebaîllementdes rideaux une échelle d'acier poli auxéchelons de diamant se dessine d'elle amoi. Quelque sélénite aventureux va-t-ildescendre ? Je le désire si fort qu'eneffet cinq femmes en robe d'argent et trèsjeunes d'une jeunesse éternelle, on le de-vine, malgré leurs cheveux blancs, glis-sent le long de l'échelle et, les bras gra-cieusement entrelacés, se posent devlnt.moi en Charités lunaires.

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L'une dit « Je commande aux regardsde l'Humanité, je suis ce qui vit dans lesyeux c'est par mon bienfait que tufrissonnes lorsque l'Aimée daigne épandresur toi la mansuétude d'un regard humidede volupté reconnaissante mais je suisaussi la noire flamme coléreuse qu'elle tedarde, en vos soirs de querelle. »

Une autre « J'ai donné à ton Aimée leparfum qui t'affolle si tu te penches sur sagorge nue ou sur ses plus secrètes beautésc'est par moi qu'elle t'évoque un parterrede fleurs irritantes, mêlant aux senteurssombres du dawamesk, les effluves rudesd'une fourrure de panthère. »

Une autre « L'haleine de violettesmourantes de ton Aimée erre encore surtes lèvres c'est moi qui, quand tu mariesta langue à la sienne, lui fis une salive aussisavoureuse que le suc de la framboise. »

La quatrième <\ Aux lentes caressesde tes mains promenées sur son corps,aux curiosités fébriles de tes doigts cher-cheurs, qu'ils s'attardent à la rébellion deses cheveux élastiques, qu'ils se glissentcndes replis d'ombre où s'ouvre une tres-saillante corolle je préside. »

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Et la dernière « Te souviens-tu de savoix ? Tu la comparais à des vols de féesd'or et tu disais que tintaient par elles descymbales d'étoiles. Me sais-tu gré de lavoix de l'Aimée ? »

J'allais remercier ces déesses amicaleset les assurer de ma reconnaissancequand, tout à coup, elles diminuèrent,diminuèrent et, bientôt il n'y eut plus de-vant moi que cinq grands vases de porce-laine blanche, cerclés d'anneaux verts, etdont le col élancé effusait des fuméesd'encens grêles et contournées.

Une figure jaillit du sol un linceul noiraccusait sa maigreur effrayante toute-fois elle était bien belle si pâle et jene sais quelle nocturne extase dormait aufond de ses yeux clairs. « Je suis la Mort »murmura-t-elle. A ces mots, la lune s'en-fuit, la foule nébuleuse qui encomb:ait machambre disparut. Une nuit opaque régna.

J'étais dans une salle d'ambre dont les

murs translucides me permettaient de dis-tinguer des personnes affairées aller et

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venir dans d'autres salles et d'autres sallesà perte de vue. Que faisaient-ils ? Riendont il me fut possible de me rendrecompte ils se croisaient, échangeaientde silencieuses poignées de main c'étaittout. Une voix me dit « Ce sont les ado-rateurs de la Grande Isis paresseux, neles imiteras-tu pas ? Si tu le désires, jevais rappeler les fantômes qui t'éclairaienttout à l'heure ils t'apprendront le culte. »Je répondis « Je veux bien, mais je nepuis bouger. » En effet, je me sentais fri-gide et rigide mes membres pétrifiéss'opposaient à toute velléité de mouve-ment puis l'idée seule de me dérangerme causait une frayeur insurmontable.

Renonçant à de vains efforts, je tâchaide penser. La Mort! ce mot ne frappejamais mon oreille sans que je ne me senteparcouru d'un frisson de plaisir êtremort, ce doit être si agréable cela m'é.voque une existence vague et diffuse, unobscur envol selon d'étranges rythmes,une finesse de perception si aiguë quej'entendrai par exemple pousser l'herbeet la faculté d'assister, invisible, moiépars au dessus des choses, aux colloques

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des vivants'et même d'y participer par desombres suggestions. Mais, peut-être,suis-je déjà mort.

Croyez-vous ? dit quelqu'un très bas.

Je me retournai brusquement c'étaitma chambre de tous les jours mais dansmon faateuil, s'accroupissait, habillé degris, un personnage dont le magnifiquefront proéminent, sous de crespelés che-veux bruns brillait d'une lumière fantas-tique.

« Comment vous sentez-vous? reprit-il (sa voix sans timbre semblait résonnerdans ma poitrine).

J'ai froid, mais que vous importe.Et comment êtes-vous entré ?

Je ne suis pas entré par la porte,soyez-en sûr il y a bien longtemps queje vons examine.

Qui êtes-vous donc ? Le diable ?Oh non je n'ai nul rapport avec

le vieux gentleman. Je suis Edgar Poe.Tiens, dis-je et d'ou venez-vous?

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De là, répondit-il en levant l'index?Je regardai en hant le plafond s'était

ouvert au plus fond du ciel une solitaireétoile verte clignotait bizarrement.

« Depuis ma mort, je l'habite, conti-nua-t-il, secouant la tête d'un air désan-chanté déjà, lorsque je vivais parmi vousje la visitais parfois et j'y ai recueilli desleçons qui me permirent d'écrire mon Eu-rêka. A présent, je :la sais dans sesmoindres recoins, je voudrais aller autrepart, plus haut mais je suis mort troptôt.

Oh si vous m'emmeniez dans votreétoile? Je suis sûr que moi, je m'y plairaisfort.

Eh bien, suivez-moi. »Se levant. il gagna la fenêtre et s'élança

dans le ciel, vers l'étoile. Je voulus lesuivre impossible de remuer milleliens me garottaient sur le divan. Un êtreà visage d'empuse pesait sur moi, me te-nait la gorge, chantonnait d'une voixsaturnienne « Tu n'iras pas, tu n'iras pas!tu n'es pas mort voyez-vous le petitprésomptueux qui se croyait mort.

Laissez-moi Laissez-moi » criai-je

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en me débattant, Peine perdue effortsvains les liens se resserraient et j'avaisfroid froid

Je voulus frapper le démon je ne pusque donner dans le mur un coup de poingqui me fit très mal. Je retombai sur ledivan dont les ressorts grincèrent commefracassés. « Alleluïa i alleluïa » chan-taient des voix enfantines.

Un être aux yeux hagards, vêtu d'unerobe d'hyacinthe tombant droite, sans.plis, et traînant sur le sol, avec des bouil-lonnements stridents, apparut ses bleuscheveux en désordre retombaient sur sonvisage il me regardait à travers, riantun rire sardonique. Une rouge couronned'épines encercla.it son cou et se resser-rait peu à peu pour l'étrangler. Il ne sem-blait pas s'en apercevoir « Je suis l'angede l'Hérésie » dit-il.

Alors, sur fond d'or, une foule gravîtun escalier de feu, tendant, vers un Dieule Père morose, des mains suppliantes

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dominicains, carmes déchaux, moines detoutes sortes carmélites, bénédictines,religieuse de tous ordres. « Parce, domi-ne » gémissaient-ils. « Non, cria l'ange,je ne veux pas de vos prières noussommes damnés tous. » Des nuages som-bres descendirent et voilèrent la face deDieu la foudre éclata, un éclair sinueuxperça l'ange. Il tomba. « Alleluïa! alle-luïa » chantaient les chœurs enfantins.

Un noir Océan, aux vagues difformes,houlait sous un vent glacé. Toutes lesmains suppliantes des moines et des non-nes flottaient à la surface rien que les.mains. Comme lasses d'implorer, elles setournèrent les unes vers les autres, ets'agraffant, se nouant, de leurs onglss sai-gnants, de leurs doigts livides, elles sedéchirèrent fur ieusement.

Le vent se tait l'Océan s'apaise etsommeille plane une neige de colom-bes, pattes et becs rosss, vole en cercleau-dessus. Le soleil s'élance de l'horizonun écueil lointain domine les flots- et monte

une haute colonne où Siméon Stylite, leslarmes aux veux répète « Les temps sontaccomplis les temps sont accomplis »

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Mais le Christ, marche sur les eaux cal-mes les colombes volent à lui, se posentsur ses épaules, sur ses mains, les becque-tant, roucoulant amoureusement il souritet les baiss. Puis tout se mêle un jardinde roses et de magnolias en fleur s'étenddevant moi et dans chaque calice, unenfant ailé d'or et de blanc se blottit etchante! Alleluïa! alleluïa! »

Je reviens à moi ma cigarette estéteinte; la lampe aussi.– Allons c'estma chambre, rien de plus, rien de moins.Je me sens las et très vague.« Mon Dieu, que j'ai soif!» m'écriai-je.

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NOCTAMBULISME

A Nuit, les fenêtres vous regar-dent comme si elles voulaientvous confier un secret. Et c'estl'en-allé. loin d'une glauque cou-

lée d'aigues-marines se répercutant defaçade en façade jusques au-dessus dufleuve qui tournoie en sirotant ses charo-gnes le fleuve, chanteur aux archersdes ponts, le fleuve où l'on a jeté les cou-teaux saigneux des vieilles boucheries.Comme s'il trépidait, en ébullition par degigantesques fourneaux enfouis dans sesvases, des vapeurs rousses et recuitesl'empanachent, osées au point de salir leciel et d'infirmer votre rire étoiles.Heureusement, un vent venu d'ailleursfouaille la naïade défraîchie qui trempeses crasseux appas dans ce fleuve, et se

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permet des gazouillis de syrinx parmi lesarbres exilés et malingres de la rive. Puis,voici galoper, avec de rauques sonneriesde cor, la chasse d'un roi défunt. Incité, lepreneur d'âmes embouche sa flûte noire,et, fier de défier le vent, s'évoque solitai-rement une époque dont il fut.

O vagues graïennes, vagues sacrées quiceignez Salamine et promenez, balancée,.laflottante Délos des bords siciliens au pro-montoire Sunium ô vagues, en qui vibrel'harmonie des mondes surprise par lesveillées de Platon ô siestes sous les oli-viers du Céramique ô l'aigrette de Pal-las et le rythme lent d'une processiongravissant l'Acropole!

Il en persiste que Thésée séculaire, vain-.queur de renaissants Minotaures, j'oublietoujours d'enlever les voiles funèbres dema galère. Toutefois, je n'abandonneraisplus mes Arianes éventuelles c'est plutôtelles qui me quitteraient. Et elles auraientprobablement raison de prendre ce soin.

Taïaut! taïaut! la chasse- s'affol 2 et

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roule, ainsi mille légions de chats endia-blés, par les toits gris, par les gouttièressonores, monotones écailles dont tu tecarapaces faute de mieux, ô la ville.

Suivons d'en bas et regardons.Les rues sont des serpents verts tachés

d'or et chevauchés de maigres sorcièresqui me tirent la langue une langue flam-boyante et fourchue de criminelles bâ-tisses se crevassent de rire aux sarabandesmulticolores d'un alphabet dont on lestatoua, sans doute pour dissimuler leurslèpres des minuits rouilles se débattentdans la cage trop étroite des clochers.Un Gargantua distrait s'oublie sur laville.

La chasse s'est perdue vers les lointainssourds. Il pleut. Un nourrisson que samère refuse d'allaiter pleure dans unemansarde, quelque part, tout près. Unchien hurle, faute de provende il n'aurapas sa pâtée. Et maintenant, c'est une citéveuve de ses habitants seul, je la hante

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mes pas y claquent comme les casta-gnettes d'un qui danserait son spleenet la démolirai demain, étant donné lemanque d'imprévu de ses architectures.

Mais subir encore, des heures, cesfenêtres plus ternes que l'œil d'un ivro-gne, ces fenêtres qui me. regardent commesi elles avaient quelque secret à me con-f er, alors qu'elles n'en hermétisent au-cun ?. Non

O Nuit, ma vierge sombre aux yeux deviolette, emporte-moi vers le balcon oùs'enroulent les muscats et les viornesoù s'accoude mon Aimée, vers la chambretrès vieille, vers les courtines fleuries quidéfendent, de leurs plis parfumés, le som-meil de mon Aimée.

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SCHERZO FALOT

A tandis qu'ils bruissent,inconscients de la claivoyancequi s'éveille en mes yeux commeembrumés de songe, je perçois

mon double, engaîné d'une lueur capucineet rose, s'enfoncer à reculons, dans unimmobile jardin planté de froides florai-sons de cristal qu'interrompent des jetsde vif-argent dont la fusée rigide retombe,en tintements sombres, dans des bassinsde porphyre pareils à du sang gelé. Le loin,le ciel, sont d'une meraux vagues excentri-ques où tanguent des galères bleues chimé-rées d'or à la proue. Je suis moins ici,parmi eux discutant, que là-bas, en l'intel-lect du ferouër dominateur qu'adulent lesvégétations de cristal. Si je parle dequelle creuse voix gutturale sonvouloir

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réfiexe, dardé en rouges flèches vers lesommet de ma tête, me dicte mon opi-nion. Si tôt émise, je sens bien que celle-ci,quoique apparemment anormale et d'unautre rythme que celle de mes interlocu-teurs, traduit pourtant la haute arrière-pensée qu'ils ne pourraient formuler-- cesAristes du Rêve, mes pairs. En effet, aprèsun silence surpris, à l'énoncé de tels voca-bles insolites synthétisant en faisceauxde symboles délivrés des gangues du réel

îeur concept identique au mien, ilss'écrient d'étonnement et acquiescent.Mais je ne puis leur révéler le dieu qui,pour de trop rapides minutes, interposaun prisme révélateur entre mes yeux etl'idéale métaphysique il m'est seuls-mentpermis de leur donner un aperçu com-bien incomplet de la houle de mondesd'Au-delà qu'un incident bref de la con-versation souleva en moi encore, quelsefforts m'a demandé l'expression réduited'un peu de l'ouragan d'idées qui me tra-verse le cerveau

La conversation continue, se traînewec une lenteur désespérante. Au pre-mier mot émis par n'importe qui, je sais

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déjà sa pensée; je terminerais sa phraseest la complèterais mais à quoi bon ?.Mon Moi se distrait d'eux de plus en pluset s'efforce en haut une chaleur téré-brante rend ma nuque douloureuse eux,je ne les vois plus que comme une tachemurmurante et difforme ils sont loin,loin l'Espace énorme et vide règne entrenous. Je lève les yeux de larges papil-lons de feu planent au-dessus de ma têteje suis aspiré là-haut.

Alors, une ville se lève aux remousignés de moires sifflantes dômes bleussupportés par des anges d'argent auxvibrantes ailes où chantent les brisestrottoirs d'or parcourus d'Etres trèsfraternels dont l'haleine, lorsqu'ils par-lent, les nue d'une atmosphère de fleursils semblent gais et, s'offrent des thyrsesenrubanés de vert-tendre et des lilas apri-lins sur une place, des enclumes de verresonnent sous le marteau de Kobolds r ouxles guirlandes, aux murs des palais deperles qui bordent les rues, sont d'un ba-riolage de gnomes enlacés qui soufflentdans de petites flûtes un orchestre, enviolons lointains, rythme les mouvements.

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C'est si tranquillement heureux, cettevillt

Enfin d'une baguette de coudrier, ledouble me touche le front mon âme.s'élance et monte s'épanouir sur la placeen un brasier- rose et capucine ou les.gentils Etres viennent réchauffer leursdoigts diaphanes car il fait froid, main-tenant. Et je chante à voix très basse

Soleils d'allégresse incendiant l'éther rosaire,Flammes qui fûtes mon berceau très puret le théâtreOit tu t'ébats albâtre et or ô vérité,Salamandres, comparses du drame, oracles dans

[l'âtre,Follets railleurs, psylles ardents aux serpents tour-

ye suis vous tous en l'Unité.[meulés:

Une voix me répond

Plus haut, plus loin, dans la Nuit folle,L Inconnu flotte et l'Eg?ise s'enfuit0 toi, ton Rêve inassouviPourchassant l'élligme qui voleSe perd en périlleux périplesVeux-tu Je fruit qui nous console?Frappe la porte d'or oit veille un ange triple.

Soudain, tout se referme; un voile deténèbres tombe.

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Ils sont là, tous, très pâles, verdâtresautour de moi et bruissent monotonement.Ils m'ennuieut mon Moi-géant étouffeici une envie me poigne de les abattrecomme des simulacres de cire.

Il faut les quitter, sortir, m'imprégnerl'âme de solitude.

Et je me précipite dehors.

Silence singulier les gens coulentcomme un vain fleuve d'ombres les voi-tures rouient sans fracas des ouates noirespèsent sur la ville le sol est un mouton-nement figé de vagues bleues. Cette idéeme jaillit le Bruit est mort « Et j'éclatede rire à la déduction que la terre estdésormais condamnée au silence éternel.

Puis une immense lettre de faire partse déploie où apparaissent des carac-tères contournés « Vous êtes prié d'as-sister aux obsèques de monsieur Bruit,décédé ce soir. Tué par de contempo-rains excès, il fut en horreur à l'Eternellui-même. De la part de sa veuve, l'Hu-manité. »

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Et'je ris, je ris tant et si bruyammentqu'un individu croisé s'en offusque aupoint de me demander si je me moque delui. -,Oh un chagrin terrible me prendà la gorge un seul soupçon d'avoir puoffenser qui sait ? peut-être un parentdu défunt les larmes aux yeux, avec unepolitesse raffinée, je me confonds enexcuses excessives qui ne manquent pasde l'ébahir davantage. Comprenant qu'ilm'est impossible de détruire son erreur, jeiui demande pour éclaircir un soup-çon, surgi tout-à-coup dans mon esprit:« Pardon ne fûtes-vous pas, en une exis-tence antérieure, un sectateur de la livideKâli ?. Si oui, je suis, sachez-le, la der-nière incarnation de Wishnou, son ennemiséculaire. »

Epouvanté, il s'éloigne. Moi, je ris,je ris: je m'amuse follement. Au loin,vers l'horizon rougeâtre, de gigantesquesArlequins se livrent à une gigue frénéti-que et répètent en refrain « le Bruit estmort, le Bruit est mort. » Tandis que j'es-saie d'imiter leurs gambades multicolores,une péripatéticienne m'aborde voicide quelle façon j'entends ses invites

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« Beau chevaliei qui partez pour la guerre,Espérez-vous cueillir le rameau d'or ?Apprenez qu'il 11e fdeurit guère

Qu'au front des morts. »

Je ne saisis pas bien! néanmoins jelui demande d'une douceur ineffable« Mon enfant, approchâtes-vous de 1?Sainte-Table, dimanche dernier ?

Va donc, eh etc. »J'avance, j'avance les Arlequins ont

disparu un chapeau de général empa-naché de noir bouche le ciel. non, c'estle Luxembourg et ses arbres. J'approcheappuyer mon front aux barreaux de lagrille. Aussitôt je suis un génie qued'adverses démons gardent captif dans unegrande cage=.. Je cherche en vain une issue;je m'efforce de me glisser entre les bar-

revaux impossible! Je sue à grossesgouttes je suis épouvantablement mal-heureux. Je me décide à sauter par dessusla grille (ce me sera facile, car je possèdeune force surhumaine) quelqu'un arrêtemon élan, un ami « Qu'est-ce que vousfaites donc ià, mon cher ? >"> Ah le charmeest rompu Je considère cet ami sauveurqui m'apparaît, avec son teint bistré et

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ses yeux noirs, un radjah malais et jelui réponds

« Si tzs veux, ô radjah, t'oi qu'assoiffe le lucre,Nous irons à Java planter la canne à sucre. »

Il s'en va, fortement ahuri. Je le mépriseet continue ma promenade une fatigueatroce commenced'appesantirmesjambes.Voilà des heures, des éternités que j'es-saie de traverser une rue je marche, jemarche, je fais des enjambées formidablessans pouvoir avancer d'un pas toujours,à ma gauche, un casque sur une têtedentue et ricaneuse non c'est le Pan-théon.

Ah enfin, la rue est traversée com-bien de siècles s'écoulèrent à ce rudelabeur un grand nombre mais com-bien ? cela me taquine. Je ne le sauraijamais car le Temps, lui aussi, est mort.Alors, quelles monnaies nouvelles ontcours?. Quoi? quoi? je ne me com-prends pas. Ah si limes is moneyhorrible paralogisme

Passe une matrone cahin cahotant unevoiture d'oranges qui est-elle cette mar-chande ? Et je déduis tout de suite, de

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son aspect répugnant, de sa palatine, ondirait squammeuse elle fut le dragon dujardin des Hespérides qui ayant ravi lespommes d'or, les trimballe dans la viepour tâcher de les vendre et en retirer dequoi offrir à rlndroe iède le collier deSaint-Georges. O confusion toutes leslégendes s'amalgament en mon esprit.Un intérêt prodigieux m'attache au mons-tre je le suis je couve ses oranges duregard le moindre sursaut de la char-rette sur le pavé raboteux me retentit aucoeur et voici que je suis, moi-même,les oranges. Je ressens un intense plaisirà me prélasser, enveloppé de papier desoie bientôt, je suis un mandarin portantle deuil de l'empereur, envoyé en Occi-dent pour répandre la doctrine de Confu-cins et, du haut de cette charrette, je memontre pour rien aux badaux parisiens.Un désir fou de boniments à la foule metourmente. Je prends la fuite.

Rentrons.

Des escaliers, des escaliers, des esca-liers Mon Dieu, je ne croyais pas habiter

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si haut je n'arriverai jamais d'autantque le diable, sous la forme de mon ombreajoute toujours d'autres escaliers à ceuxdéjà gravis. Est-ce que je ne serais pasdans les entrailles de la terre ? De bizarresclartés s'effilent le long des murs rocheuxj'entends les grondements du feu central.Me penchant dans la cage de l'escalier,j'aperçois Tubalcaïn rêveur, appuyé surson marteau. Et la montée continue, dessiècles et des siècles encore, où il mesemble traîner de lourds fantômes cram-ponnés à mes pieds.

Enfin, j'arrive.

Que je suis bien, étendu sur mon divanMa cigarette m'entoure de fumées aroma-tiques où s'esquissent mille formes vapo-reuses bas-reliefs fuyards, en mats rubansinfinis, qui retracent des amours chevau-chant des chèvres blanches parées delierre et de raisin noir galops de chevauxpâles dans une steppe ocreuse proces-sions de moines balançant des encensoirs

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orfévris et des bannières d'or vert peuplede statues harmonieuses ballets féeriquess'écroulant d'une terrasse d'escarbouclesdans une gloire d'apothéose. Enfin, lenteascension de mon Moi le plus intime àtravers des nuages bleuâtres oreillers denuages, couvertures de nuages, matelasve nuages dont la fraîcheur exquise et leparfum citrin me procurent un plaisirparesseux dont, pour rien au monde, je nevoudrais être dérangé.

Pourtant, un vent léger chasse lesnuages. Des orgues jouenttrèsdoucement;la grande nef d'une cathédrale s'incurveentre chaque pilier, tombe sur les dalles.un rayon alternativement, or et v ioletnul cierge n'est allumé mais, dans cettenuit striée de lueurs royales, je distingueun chevalier agenouillé devant l'autel ilporte une cotte de mailles d'argent bordéed'hermine, un panache blanc floconne àson casque et ses mains se tendentvers un druide couronné de gui, dont labarbe neigeuse descend jusqu'aux pieds.Debout sur l'autel, il lève lentement, lente-ment, sa faucille sanglante. Les orguespleurent largement ces clartés violettes.

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et or sont leurs harmonies elles: descen-dent sur moi et me vêtent de rizàgnifi-cence. Et maintenant, je suis l'empereurde marbre étendu sur sa pierre tombale.Et jusqu'au jour (l'affreux jour réel !), jereste ainsi couché, héraldique et pieux,marmottant des liturgies vieiHes.

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BALLET MYSTIQUE

'ABORD, un pré vert pâle parseméd'amandiers roses en boule, sousun ciel de lait où voguent desaérostats d'or; et d'aigres pi-

peaux s'enflent, décroîssent invisibles.Les amandiers bruissent à peine, s'incli-nent tous ensemble, dans le même sens,rythmiquement, selon le vent. Le ciels'abaisse, se fragmente. Et de grandsdraps blancs flottent, ondoient, puis s'a-battent et recouvrent le vert du pré lesamandiers plus roses parmi ce blanc uni-forme.

Des gouttes lumineuses tintent et luisentsur les draps. Il pleut ? je regarde leciel de la nacelle des aérostats on jettedes croix averses, rafales, tourbillons depetites croix d'or les draps en sont cou.verts lss amandiers, poudrés de ma-gnificence, plus roses encore.

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Les pipeaux ralentissent, ralentissent,agonisent. D'amères fragrances passentdans le vent.

Lentement, à la cadence des pipeauxde rêve, les amandiers tournent puisce sont des danseuses emmouselinées derosé avec des mines de martyrs qui s'enfont accroire sans préjudice de pointes,jetés-battus etc., elles ramassent les croixà poignée et les égouttent, lueurs d'or,entre leurs doigts fuselés.

Lasses de ce jeu, elles se prennent lamain une interminable farandole serpente:les ballerines, depuis cette grande, là,contre mes yeux jusqu'à cette charmantenaine, à l'norizon. Cymbales: les balleri-nes s'enlèvent et tournent, ronde rose surle ciel opalin les pipeaux froufroutentprestissimo.

Enfin une grande roue verte, rose,blanche aux rayons de croix d'or, rouleparmi les aérostats en zig-zags rutilants,et se nue de gerbes d'artifices puis m'en-cercle d'une rapide échevelure courbe defolle comète.

Les pipeaux meurent nuit en moi etsur moi.

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ENVOL CRÉPUSCULAIRE

SSIS au bord d'un ciel paradoxal.Les timbres accoutumés se sonttus qu'emportent aux cimetièresdu silence quelques nécrophores

dont on ne saurait trop louer le méprispour de telles ponctuelles bruyances.Lors, avec des hésitations de convales-cente, une ariette un peu tremblée s'exal-te dans l'air pâle et crée des stries circu-laires tôt effacées, que note au passagemon œil, puéril à force d'attention. Défileune blanche procession émaciée de péni-tentes qui se signent devant le calvaireérigé sur le couchant. Et toutes ceschoses ont lieu, je le soupçonne, par unrituel strict, en prévision des siècles à ja-mais et à jamais noirs.

Mais quelle hauteur A de pareilles

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altitudes, on oublie passablement lescarambolages de mots et d'idées où l'ons'attardait en bas les bilboquets philoso-phiques et littéraires peuvent moisir enpaix il est à gager que de longtemps jene les'fatiguerai tant sage mon âme ettrop heureuse de ce bain de recueillement,et préoccupée d'une vêture selon la der-nière mode des nuages.

Très haut, ainsi, je me sens apte à d'é-perdues cabrioles en plein troisième ciel

et c'est à peine si je puis contenir, uninstant encore, le tumulte, impatient enmoi, de je ne sais quelle volière assoifféed'infini fuyant. Oh arrêtez, vous dis-jeécoutez un peu mes paternels enseigne-ments. Inutile mon âme vacille toutefolle le chœur des petites voix essentiellestrépide et s'exige ailleurs une corde secasse. allons, partez!

Parmi le doux froufrou glissant demoires de Bengale, un multicolore envold'oiseaux migrateurs (pour la circonstan-ce) s'accélère vers des puits d'or, là-basaperçus, derrière les lointains vineux quichancellent, ivres de crépuscule.

Ah mes gypaètes au bec fatigué de

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carnage, mes cigognes, souvenir d'unrécent séjour en notre Thulé des Brumes,toi, merle blanc qui, m'apportas le roma-rin des vieilles légendes, toi rouge-gorgeentêté dont les trilles galvanisèrent unamour enterré dans les ténèbres latentes

et le morose échassier désenchantéqui traverse mes soirs à larges enjambées,tel un spectre gris, et cette galaxie depalombes surannées, enrouées à forced'avoirroucoulé sur l'autel d'une Aphroditecamarde, et que d'autres

Ils partent, ils vont, infatigables. Nultoit de repos où d'attente, d'ici là-bastant pis pour les retardataires ou leséclopés. En vain, des moulins de Briaréenous font les grands bras en vain, tente-raient de nous effaroucher les fuméesgibbeuses de la ville nous ne les voyonspoint c'est là-bas, là-bas, les bonnesThébaïdes d'or où se tait l'inepte néantfiévreux des êtres, c'est là-bas le silencepromis, at l'ermitage, et la graine desonge et la tasse de népenthès si délicate-ment offertes par les bleuâtres mainscharitables d'une Dame de Lune.

Ils sont loin mais ce n'est qu'une avant

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garde tu restes, toi, mon bel oiseau deparadis, ma chère Illusion, ma resplendis-sante âme fonda mentale Allons,envole-toi, il te faut les dépasser.

Oh! quel bond vertical: mon âme s'élanced'un orgueil à remplir les quatre horizons,et la voici vogueuse loin d'abord, der-rière les autres. Un élan nouveau lapremière si sûre de soi, elle dirige l'ou-ragan d'ailes vers les oasis d'or qui clan-gorent d'allégresse là-bas.

Plus avant, plus avart mes âmesvont vite. trop vite, car mes yeuxs'exorbitent à te suivre. Par pitié modèreton vol n'entends-tu pas des musiquesvertes et rouges tourbillonnent, en spiresde vertige, à ta poursuite. Ne te laisseras-tu rejoindre ? Ce serait une glorieuseoffrande au sourire de la Dame de Lune.quelques harmonies mon immortelsecret dont il m'eût été doux de t'en-guirlander.

Mais, plus avant, au profond de l'espacebien par delà les violâtres lointains accur-vés, les ailes planent toutes immobilesun éclair. Et enfin, l'essor altéré s'abat.Qu'est-ce donc qui passe à l'horizon ? Un

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nuage rose, une petite vapeur, un souve-nir rien.

Et l'OR ABSOLU règneDites-donc, mon cher, vous allez

tomber dans la Seine.Ah mon trop serviable ami, je vous

souhaiterais volontiers fort loin.Je conçois mais quel intérêt.

Un de ces instants, mon ami, où lavie ça n'estpas arrivé

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LE CRÉPUSCULE DES FLEURS

OUTE la flore comme une qui vamourir en plein soleil implacablede midi du bouton d'or auxplus extravagantes orchidées. Nul

être humain, nul animal le globe estcouvert de fleurs moi, rêveur solitaireau milieu.

Je fais un geste tout s'assombrit lesoleil se détache du ciel, dégringole ets'enfuit, étoile filante de moins en moinsvisible.. Il stagne un jour lie-de-vin lesfleurs se teignent de nuances sornbrementviolettes. J'essaie de cueillir un bou-quet chaque corolle perd sa tige, sedésagrège, tombe en fine poudre.

Je ferme les yeux un jour verdâtrefiltre les fleurs pâlissent, pâlissent; lesvoici blanches, aux tons de cire, cadav é

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reuses. Des ânes sans corps s'ouvrentet seferment silencieusement.

Je rouvre les yeux des cyclones géants,grondants, circulent, fauchent les fleurs,les emportent en une valse furibonde. Lescyclones se groupent en un qui vient àmoi et me balaie. Je tourne, je tourned'une vitesse folle les molécules de moncorps se disjoignent et se muent en pâlespétales pulvérisés.

Puis une sphère de fleurs blanches,si glacées, sans parfums gravite etmoi, solitaire par delà les planètes,vers la voie lactée, serpent qui se mord laqueue elle nous cerne de neufcercles con-centriques et tourne elle-même, en sensinverse de notre mouvement, si rapide-ment qu'elle semble immobile. L'espaceet le temps sont abolis froid pérennel,blancheur virante moi, incorporelle en-tité.

Tout s'arrête je retombe je reviensde millions de lieues.

Trois heures du matin sonnent lesmeubles craquent bizarrement la glacereflète un bouquet de chrysanthèmes quise fane, épars sur le marbre de la che-minée.

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MOROSE

EPU1S des heures, de dolentesheures (lentes et monotones àmourir, bourdonnantes ainsi leconventiculeen insipides litanies

de bonzes ennuyés, ennuyeux) accoudé?ur une table gluante, devant un feu dehouille entêtant je bois.

C'est ici, certes, le gîte où lécher lesblessures de son cœur, où, justementmiracle un simili-vieux lièvre papelardm'apporte un autre pot de lourde bière:noire.

Or je bois.Une obsession grandit en moi et m'en-

ténèbre d'un orage imminent je ne puisparvenir à fixer une seule de mes Idées.Dès qu'il m'en poind une, mon anxiététend son filet pour la capter sans cérémo-

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nie, quitte à la choyer, une fois prise, àlui tresser une belle cage dont les bar-reaux seront si minces qu'elle ne se dou-tera pas de sa prison. Vaine tentativel'Idée sifflotte, tournoie sur elle-même etvole se brûler les ailes dans le feu.

O navrance à mes objurgations,pas lamoindre réponse, pas le plus petit signe*d'attention une cabriole bariolée et puisbonsoir « Nous aimons mieux lestulipes ardentes de ce foyer. » Mes Idéessont bien mal-élevées, ce soir.

Or je bois.Efforçons-nous de garder nos yeux ou-

verts, consolons-nous vers l'apparence. Jepressens quelque magie prenant en pitiéma détresse et qui saura remplacer, d'unballabile de sensations dansantes, mesIdées fuyeuses. Et, au surplus, à quoibon penser désormais ? N'est-il pas préfé-rable de confier l'exclusive clef de monâme à telle songerie, sans but que soi-même, où se heurteront des musiques dis-cordantes à s'en pâmer de délice, desmariages de couleurs qui hurleront pourun divorce et que je maintiendrai impla-cablement unies ? de forcer mes nerfs,

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non quelquefois, mais toujours, à n'êtreplus qu'un fou violon malade sur quoi jepromènerais avec rage, en guise d'archet,la scie ébréchée de mon excessive sensua-lité ?

Or je bois.Regardons, regardons restreignons-

nous à l'apparence.Ah enfin une ballerine jaillit du feu,

pirouette, se déhanche devant moi. Quelsbonds quel sourire insolemment rougedans la céruse de sa face Et puis, heu-reusement, elle est aveugle non, elledort est-ce une somnambule ? etj'adore la frange hermétique de ses cils.Qu'elle n'ouvre pas les yeux, jamaisjamais Jugez, si elle me révélait soudainde noires prunelles rappelant les radieusesfleurs nocturnes que mon âme ne doit pluscueillir Je serais induit à penser; je con-naîtrais de nouveau l'Idée fixe (celle-là nes'envole pas elle sommeille), et de cegril, j'en ai assez.

Or je bois.La ballerine tourne, tourne tourbil-

lon bruissant qui m'étourdit la ballerinese permet d'extravagants entrechats par-

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fois, elle bondit haut, à disparaître dansle ciel lorsqu'elle retombe sur le plancherelle a toujours décroché quelque étoiledont scintille la gaze sombre de sa jupe.

Merci, danseuse qui m'apportez ainsi lefrais baiser, l'impersonnel baiser desétoiles les plus lointaines mortes jadisde chasteté.

La danseuse tourne tourne, selonquelles folies tintinnulantes d'un nouvelessor, elle rapporte deux soleils ju-meaux l'un vert dans sa main gauche,l'autre rouge dans sa main droite. 0 splen-deurs, apothéoses, septième paradis d'In-dra

Ténèbres soudaines.La danseuse s'est dispersée dans la

Nuit les étoiles de sa jupe rebondissentau ciel avec des ricanements aigus, lessoleils s'enfuient, en gambadant sur despattes d'araignée et tournent, tournentfollement, au plus loin du loin, commepour me narguer.

C'est la taverne, la bière pesante, le feuqui s'éteint. Un lad en lame de couteaus'ingurgite un old gin au comptoir uncommodore praliné broie des cailloux

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des gens flaves lisent des journaux, bail-lent, salivent le vieux lièvre broche desbabines et, me guignant d'un œil en cou-lisse, bat la retraite sur un tambour enzinc. Moi, je me balance comme unechaloupe sur la haute mer. Je crois bienqu'il est temps de tomber sur la table.

Là qu'on est confortable, vautréparmi les crachats, la tête dans un tas desciure de bois 0 abjection, bassesse,ô savoureux fruits, vous désaltérez masoif de ne plus penser.

Cependant. écoutez une flûte aériennea strié le silence opaque (je pense, MonDieu, je pense !) une Idée très pâle, bleu-mort et jaune comme la poussière d'uneaile de papillon en rêve, s'arrête et pleutdes larmes tièdes sur ma face. La flûtes'éplore.

Voici la forêt séculaire dont les ramuress'inclinent pour m'éventer les sentiersconvergent vers Fafner Siegfried passe,au casque d'argent, à l'épée lumineuse.Et la chanson de l'Oiseau, voletante parmiles aubépines fleuries, s'alanguit sitendre si tendre

Ah tu te souviens, mon âme ces

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larmes dans les yeux de l'Adorée, ceslarmes, lentes, une à une, sur les jouesliliales de l'Adorée, lors que chantait l'oi-seau de Siegfried.

O douceur et rémission, ce souvenirenfuyez-vous, ivresse sombre, fantasma-gories banales, têtes ahuries qui vouspenchez sur moi. Je pense, donc jesouffre. Mais j'aime ma souffrance et,répudiant l'ambiance grossière, évoquantla seule Image, racheté des désespoirsmauvais, pour l'amour d'elle, je me sensla force d'être encore le dieu qui ne semuera en bête jamais plus

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PASSANTES

Quefaudrait-il à ce cœur qui s'obstine,Coeur sans souci ah, qui le ferait battre"?II lui faudrait la reine Cléopâtre,Il lui faudrait Hélie et Melusine,Et celle-là nommée Aglaure et celleQue le Soudan emporte en sa nacelle.

JEAN MORÉAS.

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LA PETITE DEA

la campagne un peu folle où tupassais, mon petit rêve noir et rose

et ton rire en gerbes scintil-lantes de notes fausses m'amu-

sait l'oreille.Tu sais notre jardin de dahlias, de pri-

mevères et de roses trémières et les lacisd'herbe aux sentiers étroits et toi, commeune Atalante, avec tes annelés cheveuxsombres au vent ?

Et puis, encore ton rire derrière le treil-lis criard de la tonnelle exubérante deconvolvulus, de liserons, de capucines.

D'autres fois, tes yeux cette nuitd'étoiles qui s'ignore buvaient le cré-puscule balafré d'or et de sang autour dusoleil qui agonise rouge. Et tu t'émer-veillais car ainsi que moi tu aimes

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le rouge non pas un certain rouge, maistous les rouges soit le crépuscule, soitdes étoffes violentes que tes ongles érail-lent avec volupté, soit, l'hiver, des baies.éclatant pareilles à des lèvres de bac-chante oh n'est-ce tes fortes lèvres àtoi ? parmi le vert sombre des houx.

Te rappelles-tu ce grand silence, dès lanuit tombée, jusqu'au chant du coq ? Apeine, au loin, le chuchotis d'une eau quicoule, et le bruissement onduleux de laforêt ensommeillée le soir s'effume, bleusur les prés mauves glacés d'argentlunaireet la cymbale de cristal des crapauds fris-sonne çà et là. Lors, tu t'apeurais, tu teserrais contre moi ô toi, fine oisellemaigriote comme une qui n'ose, turegardais furtivement vers l'ombre. Onaurait presque pu s'imaginer que tu rêvais t

Tout cela, tout cela, c'est bien mortmorte aussi, la lyre passionnelle dont nousfîmes vibrer toutes les cordes. Depuis,nous avons connu l'hiver et la méchanteville tapageuse et l'ennui, comme unmarécage où l'on s'enlise, chacun de soncôté. Depuis, nous nous sommes rendustrès malheureux. Tu m'en as gardé si

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gentiment rancune que je ne puis m'em-pêcher de te pardonner le mal que je t'aifait.

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HÉLÈNE

ÉLÈNE, ces phrases-ci ne sont paspour me prévaloir d'un madrigalvers toi il m'indiffère même pas-sablement que tu les écoutes

elles m'agréent à moi c'est assez.Sais-tu fô toi, belle presque à l'égal

d'un portrait que, dès notre premièrerencontre, les syllabes de ton nom m'ont

.évoqué une douceur très blanche, unsommeil heureux sous les flocons lentsd'une calme neige, qui tomberait depuisdes heures et (des heures, cependant quetintinnulent les clochettes d'un traîneau-très loin. Oui, cette blancheur, lorsque jeferme les yeux:et que j'essuffle les syllabesde ton nom, ainsi, parmi la fumée opiacéed'un tabac d'Orient. Et je me sens sitranquille.

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Après, la tête appuyée sur tes seinsharmonieux, je scrute l'angle chinoise-ment si drôle de tes yeux un peu bridés

et je suis alors, tout à fait, le mandarinqui philosophe pour soi, en t'attendantdans un jardin planté d'uniques jonquilles,autour de la grande tour de porcelainelà-bas.

Laisse-moi chercher quelle âme secache derrière l'écran de soie vert-sombreoù voguent des cygnes d'or et qui laissetransparaître, en sa trame, certaine braisetraîtresse tes yeux. C'est singulier,mon regard a beau les palper, je ne puisy pénétrer. Je ne sais si je me trompeon dirait qu'ils sont doublés de vide Dis,mon amie, n'aurais-tu point d'âme, parhasard ?

Réservons la question, et laisse-moirespirer l'odeur de tes cheveux. 0 quelparterre de frêles géraniums artificiels selève, que j'aime pour leur air quant à soiet leur nuance rose pudiquement effrontéeet la tache à peine d'un soupçon de sangà la naissance de chaque pétale d'oùvoici que se dégage le souvenir d'un rareparfum dont j'ai oublié le nom.

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Je crois, Madame, vous avoir mordilléle bout dt l'oreille, Je ne vous ai, dureste, pas fait de mal puisque vous sou-riez Oh mais ce sourire.

Par lui. nous reposons sur un sable doré,tout au fond de la mer Vermeille l'ombredes paquebots sillant les vagues, là-haut,descend, en poussière d'étincelles de rubis,caresser nos deux têtes couronnées d'al-gues fines de grands coraux montent rai-dement, de toutes parts, où s'embusquemaint ondin-polype qui nous fait la nique.

Tiède mer rutilante, votre sourireque l'on y pense bien à rien

Tu t'endors ? Viens dans mes bras.Très sage, heureux de me délecter auxreflets d'arc-en-ciel que la flamme trem-blottante de la veilleuse glisse sur tonépiderme satiné, je m'engourdis en uncrépuscule d'Avril jaunes étouffés,azurs jeunes, mauves se mourant deslilas en fleur scintillent d'une pluie légèrequi tombe à petit bruit, selon quel rythmefrôleur un vent un peu aigre me pinceagréablement les nerfs et, comme, jem'ensommeille aussi, parmi le vent, la

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pluie musicale, et les lilas, et le crépus-cule d'Avril, valsent, pour mol seul, lesblanches syllabes de ton nom– Hélène

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APRÈS-MIDI

U'IL fait chaud dehors La cani-cule pèse sur la ville qui suffo-que et fume au soleil ivre detrois heures.

Ici, l'on est bien un store baissé bleutele jour la chambre est d'ombre fraîcheet de parfums légers où tous deux som-meillent le Pauvre écroulé, si vague, dansun fauteuil toi ô toi belle après-midi

nue sur le divan bas. Il t'admire carc'est l'été aussi ta radieuse rousse cheve-lure un astre, une moisson mûre, un flotde vin du Levant, un fruit d'Hespéride, lacouronne au front de la reine des géniesdu feu (s'énumère-t-il) ce million depaillettes d'or fauve où tu te roules, sûrede leur attrait et qu'il s'approchera lesbaiser tout à l'heure.

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Mais pourquoi, en ses regards, une telleexpression chagrine ?

« Ah dit le Pauvre, je dois avouer queje suis un fâcheux individu. Qu'ai-je faitpour que vous me montriez tant de man-suétude ? Dès le jour où je vous ai ren-contrée, vous aimiez ailleurs et vous étiezaimée j'aimais ailleurs et je n'étais pasaimé prétextes suffisants pour excuserun caprice, mais non une habitude. Pour-tant vous fûtes charmante, moi, si mo-

rose. D'où vient que je ne me suis pasguéri auprès de vous?

Bah dit-elle, lui apportant sa cheve-lure, quelle inquiétude Allons, apaisezvotre rancœur aux musiques rauques quise crispent dans ma voix humez la sen-teur d'orage de mon baiser et têtez encoreun peu l'or crespelé de mes bouclescela console. Et puis vous guérirez, à lalongue.

Non, non! s'écrie-t-il; d'abord, vousêtes le soleil, vous êtes l'été moi je vénèrela Lune et je suis une âme d'automne.L'automne vous ne le connaissez que parouï-dire. Si vous saviez quelles brumes-sont en moi où se dépouillent des futaies

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gémissantes. En conscience, je devraisfuir votre beauté; ne l'admirer que deloin. Alors, jugeant ainsi, pourquoi reve-nir toujours à vous ?

C'est, dit-elle, qu'ici, vous oubliez depenser le rêve vous quitte c'est qu'unetelle quiétude animale émane de moi quevous vous oubliez à mirer mes ors, àcaresser, à étreindre ma nudité sans cher-cher à savoir si j'ai une âme. Et puis moi,je vous aime justement à cause de votremélancolie.

Mais si je guérissais de la Lune sije parvenais à étrangler mon âme au pointd'être gai à votre unisson, m'aimeriez-vous encore ?

Cela ne te regarde pas. Je te disje t'aime et non pas je t'aimerais si »

Et comme une souple panthère fauvequ'elle est, elle ondule à ses pieds, sur letapis.

*•

Vraiment, pense le Pauvre, cette créa-ture envisage les choses ainsi qu'il con-vient.

Hélas pourquoi suis-je fou de la Lune ?

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LA FIN DU RÊVE

écoute: il est une Ile si perdue.

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LA FIN DU RÊVE

1

e silence, comme tine montée de nues àl' horizon violet.

,Le silence, comme des martyrs en tunique aubale.

Et mille bouquets de clématites flottent sur le silence,

Le silence, comme un dieu très ancien.

Une jeune fille aux cheveux pâles, auxyeux de lune, se tient assise dans l'herberousse où sautellent des loriots elle sou-rit bizarrement, fort amusée à disperserdes plumes de cygne dans l'air latescent.

Une fontaine dort, emmi des marjolaines.

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La ville, là-bas, c'est un dragon pape-lonné de gris et chevauché d'un cheva-lier casqué d'émeraude.

Le soleil si clair et sans chaleur, aac zénith.

Des cloches, grands lys d'argent, etleur battant, un pistil d'or, effusent dessenteurs de benjoin.

Un cimetière frissonne, jonché de violettes.

Le Prince, le front appuyé sur lesgenoux si froids de la jeune fillec'est la Mort contemple descendre àdes profondeurs en lui, un cercueil d'é-bène où repose l'apparence d'une reineenfant mais il s'ennuie.

Il se sent obsédé d'un blanc saule pleureur.

Le Prince se Iève de la matin, il s'abriteles yeux et regarde vers l'Orient quiflambe d'une guivre furieuse.

Une caravane balancée sinue là-bas ettintinnule orange et bleue en peine

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d'un port où s'embarqueront les Rois-Mages.

Le Prince prend sa course et rejoint lacaravane la jeune fille se recueille ondirait qu'elle prie les plumes de cygnesgisent

Et le silence s'entênèbre.Le silence, comme un tapis d'autrefois, tramé

de figures /anêes dont l'usure luit.Le silence comnee des ailes vers ailleurs.

II

Le prélude de Lohengrin s'évague enspirales de gel vers les hauteurs. Un jourblanc règne piqué d'étincelles bleuâtresqu'essorent les cordes niant raides deharpes menues.

Oiz croirait tane chevelure qui ondule.

Un fleuve surgit, roulant du feu, de l'oret du sang et entraîne avec quelle rapi-dité la gondole des funérailles quiporte le Prince.

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Le Prince dit « C'est moi, le Pauvredes chemins perdues c'est moi, l'effigiedes médailles oubliées. Mais qu'importeJe suis bien fatigué d'être et c'est pour-quoi je me complais, en ce leurre del'heure, à étirer un peu mes membres surles coussins soyeux que m'offrit cettegondole et puis, le paysage m'agrée. »Et il vide la coupe que lui tendent lesRois Mages.

Les rives du fleuve sont de coraux enéventails d'où tombe, goutte à goutte,une rosée rouge. Çà et là, des tours deiaspe et des folles plaintives aux créneauxs'accoudent. Les vagues susurrent à enmourir complainte mélancolique..

On croirait le nain Tidogolain chantant son mald'amour par les venelles fleuries, et que la Dames'apitoiera.

Les chevaux du soleil renaclent dans leciel torpide le soleil labarum d'Irréeldevant qui le Prince, agenouillé soudain,dévotement se signe.

Cependant que des musiques grêles se

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figent en filigranes de gel vers les hau-teurs.

Et le fleuve se couvre d'écume lar-gement, sans bruit, avec majesté.

On dirait le sommeil d'un vieillard.

III

La Nuit, pâle et fière comme une nonneroyale. Un fleuve de lait coule qu'effleu-rent des vols de flamants roses. La fine gon-dole ivoirine file vers les arches énormesd'un pont de marbre où rcvent pen-chés sur la rumeur fraîche des flots, deschevaliers mutilés, aux armures rongéesde rouille.

Basse dans le ciel, zene lune mi-partie rouge-cerise et violette.

Et la Nuit semble un cloître oit des nonnes d'ors'agenouillent.

Le Prince s'étend au fond de la son-dole, face aux étoiles « Cette Nuit, ô

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des rampes de velours si douces pour l'as-cension, aux mains tâtonnantes, de monâme d'un aveugle Une enfance s'étonneen moi par tant d'ombres et d'ors chari-tables je me sens éclore des yeux nou-veaux qui mieux mireront les coquelicotset les pervenches en fleur là-haut.

Ah je voudrais m'entrer un peu cetteNuit dans le coeur. »

La gondole passe sous le pont; untonnerre de jadis s'éveille des drapeauxpoussiéreux s'agitent des chauves-souristournoient.

Les chevaliers s'écrient « Prends-nousavec toi nous fûmes de ta suite lorsque,quittant les îles Infortunées où tu régnais,tu tentas la conquête de la princesse desPerles. »

Le Prince chante « Les chevaliers sontmorts à la croisade. »

Alors tous jettent leur bouclier dans lefleuve.

Mais la gondole est passée.

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IV

Débarquons débarquons L'air vibred'ailes d'allégresse les verdures éclatentcruellement une houle de fleurs ondule,gorgée de bonnessèves; une rouge va-peur trépide au loin et l'Eté bondit,comme un jeune tigre, à travers la cam-pagne.

C'est la moisson, la moisson cles pavots..

« Quelle ivresse rouge, ici, nous monte.au cerveau ?. Mon Prince, tu chancelleset tes mains se crispent.

Oh regardez, voici le jubilé desrouges de rêve oh! mais. regardez toutce rouge qui clangore des marches triom-phales. »

Les pavots se pressent, rubescenteattente les pavots se pavanent, lourds etaombres les pavots se gonflent, paradisd'enfer, débauche de sommeil rouge au

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soleil. Et de longues flèchesde feu grêlentsur le parterre qui exulte parfums ter-ribles, impétueux comme des étalonstparfums sonores, comme de rouges trom-pettes d'incendie,

C'est la moisson, la moisson des pavots.

De larges mouches d'or, zébrées de ru-bis, aux ailes adamantines, tournoient etse disputent les sucs opiacés puis s'en-volent déposer leur butin en des ruchesde cristal, éblouissantes là-bas, à la lisière-d'un bois fauve.

Le Prince se roule parmi les pav otssang ruisselant, couche impériale, man-teau de pourpre de songe au songeurgloire d'orgie et d'oubli qui le noie debaisers furieux.

Et le Prince s'endort. De rouges pétalessaignent sur ses lèvres une rouge lied'opium teinte ses ongles; une sueur rougerutile à son front d'un Christ de l'Illusoirequ'auréole l'essaim irrité des mouches.d'or.

C 'est la moisson, la moisson des pavots.

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v

Sous la nuit étoilée, la route très som-bre serpente à travers une plaine, champde bataille d'hier, couvert de cadavres.Des chevaux blessés, abandonnés, hen-nissent douloureusement le vent d'hiveravive des plaies qui luisent dans l'ombre,pareilles à la fleur de l'aloès. Les mortsdorment bien tranquilles, avec cet airétonné de ne plus vivre leurs yeux gelés.d'horreur reflètent les étoiles.

Tout seul ses Argonautes sont res-tés, ivres, dans les pavots le Princemarche à grands pas vers où ? Il ignore,il va. Parfois, rarement, des gens le croi-sent qui le saluent et le fixent 'd'un longregard triste. Aux rides qui leur sabrentles joues, on se doute qu'ils ont beaucoupsouffert; d'aucuns boitent. Certains chu-chotent entre eux, réfléchissent puis vien-nent au Prince, comme s'ils voulaient luidonner un conseil. Mais ils s'arrêtent,

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rétrogadent à quoi bon? semblent-ilspenser. Et ils passent après avoir saluétrès bas, non sans quelque ironie. LePrince s'arrête aussi, se retourne iléprouve confusément qu'il aurait peut-être quelque chose à leur répondre, s'ilsparlaient mais quoi ? il a oublié. Et ilpasse.

A présent, la campagne est déserte; çàet là des massifs d'arbres se recueillentplus de morts personne que la Nuit etle silence,

Le silence, comme des yeux attentifs.

Cependant une rumeur naît au fond del'horizon des éclairs fugaces trouent laNuit, incendient la campagne le tempsd'une pensée puis disparaissent.

Et le Prince arrive au bord de la mer.

VI

Un phare, tout seul, tourne, irradiant,en prismes fourmillants, sa lumière désertesur les flots, à perte de vue. La mer bouil-

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Icnne et froisse ses vagues au pied duphare vers où s'efforcent d'énormes céta-cés blancs aux geysers phosphorescents.Un friselis de feuillures sanglote très fai-blement à l'horizon cendreux qui se ferme,très proche, sur la route parcourue. LaNuit clot ses cils d'or.

Le Prince monte dans le phare unescalier de fer sonne sous ses pas; ausommet .dans la cage piuricolore, troisveilleurs en deuil. Le Prince va leuradresser la parole mais, d'un doigt sur labouche, ils lui enjoignent de se taire. Puisils l'attirent vers une fenêtre ouverte surla mer et lui désignent le loin que dévoileun rayon bleu. Là ô Rêve connude sombres sapinaies gémissent, ondu-leuses des champs de genêts tintent,million de grelots d'or, dans le vent. Unrose palais marmoréen s'étage: sur leseuil, un vieillard.

Les trois veilleurs précipitent le Princedans l'espace.

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VII

Chevauchant un bleu rayon où danse-Ariel, le Prince vole, en foudre, vers leloin. Le thème du St-Graal tremble par la.ténèbre et tourbillonne l'hippogriffed'Astoiphe.

O le jour tout d'un coup le tiède jour-de fin d'été; les brumes pâles comme unfront d'épousée du matin. Et la mer s'exas-père et brandit des étendards d'alguesvers les falaises nacreuses.

O Rêve connu c'est l'lle.Le Prince suit les sentes en méandres.

fleuris (toute la légende l'acclame); ilarrive devant le palais, si rose aux lacissombres du lierre. Sur le perron, l'attendun très vieux Roi parmi les douze pairs.du Rêve et les mignonnes fées illusoireset des buccins d'or et de bronze rugissent,effarouchant des vols de palombes, neigeempennée dansles sapins. Le Roi descendquelques marches au-devant du Prince

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il le serre dans ses bras et lui baise labouche.

« Mon fils tu as souffert la vie et lesonge tu fus le Pauvre des chemins per-dus et tes pieds saignent encore à cause-des cailloux qui les lacérèrent lors de tespèlerinages au pays de la Conscience.Ecoute tes épreuves sont finies, tu asrevêtu la tunique de silence aubal larécompense t'est due. Viens, le sommeilsans lendemain s'ouvre à toi ton âmes'aspire en le Nul viens dormir avecnous, mon fils. »

VIII

Thulé des Brumes se balance sur lesflots pareille à la fleur de lotus où mé-ditent les Trois Dieux. Et tant d'es-sences d'âmes insolites (ô le Prince et lePauvre, le Roi et ses douze pairs, les gen-tilles fées toute la légende) reposentà jamais, ravies en Au-delà.

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Le silence plane sur Thulé des Brumes^

Le silence, comme une vierge, aux yeux, de lune,

dispersant des plumes de cygne dans l'air pâle,

Le silence, comme z^n cimetière jonché de violettes,.

Le silence, comme notre mère la Mort.

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PHILOSOPHIE DU PAUVRE

Ma niélancolie s'attachel'essence des choses*.

Shakespeare As you ^ke

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PHILOSOPHIE DU PAUVRE

EUL, en cette chambre où furentdes joies, accoudé à la tablequ'encombrent maints manuscritsinachevés et qui jauniront tels

sous les poussières de l'oubli, le Pau-vre rêve.

C'est la nuit non plus du songenouveau-né que berçaient loin des cho-ses, des strophes d'étoiles fraternellesnon plus la grande Charité aux regardsinnocents mais une âpre marâtre dont lesmains revêches jettent des poignées depluie décembrale contre les carreaux. LaVie préside, difforme, et son rire ironi-que et la ville, à l'entour, ulule selon lebrouillard rougeâtre et l'hiver.

Cependant le Pauvre rêve.« Longtemps j'ai vécu, jouet des appa-

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rences, en un jardin de sensualité où,pour la fête de mes yeux, vibraient, parmiles murmures de l'eau qui chante et fuitcomme une sirène, les pourpres violences,les incitations aurées d'une flore toute enfous parfums. Le démon de la Chair vintlà et me baisa sur la bouché nulle fièvrene me resta de son baiser. Un printempsfrais veillait en moi qui douait d'éternelleenfance les fleurs belles etet pareilles à des voix de femmes dujardin merveilleux. Car mon âme avaitnom Insouci.

Un soir, j'ai rencontré l'Idée fixe lejardin se fana irrévocablement.

De quelle allégresse je l'accueillis cetteIdée Elle fut, couronnée du lierre quidissipe les fumées de l'Ivresse, la jeuneMuse modulant sur une flûte légère lesconseils harmonieux de la Sagesse. Jel'aimai pour elle seule proche, en attitu-des de déesse qui s'ignore ou lointaine,flottante aux vapeurs d'or d'un crépusculedes anciens âges et je lui vouai untemple où j'inclinais mes extases auxpieds de son silence. Là, mon âme avaitnom sa Religion.

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Idée, suppliais-je soûvent, déesse Idée,es-tu la vérité ? Puis je cherchais unecertitude dans ses yeux qui semblaientimpassiblement reculés vers des eury-thmies antérieures. Lorsqu'elle daignaune réponse, celle-ci fut telle « Je suisla Vérité parce que je suis la connais-sance de toi-même. Te connaissant, tuacquerras la conscience universelle car lemonde apparent n'est qu'un reflet dumonde intérieur l'Esprit meut les sphèreset l'Esprit est en toi. Sois solitaire etsache ton âme. »

Amère doctrine, éblouissante et froidecomme le cristal Pourtant, j'acceptaidocilement le labeur- prescrit et, que dejours, je m'efforçai vers mon Etre le plusintime. Penché sur le puits ténébreux demon âme, j'y notais les vagues échosqu'éveillaient les modulations de la flûtemagique j'écoutais le vent de l'Abstrac-tion s'engouffreret agiter, en vagues phos-phorescences la rhapsodique eau noire demes pensées mes passions furent seule-ment le caillou qu'on jette pour supputerla profondeur du puits.

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Labeur désolé, labeur stérile et dont jegrelotte encore

Quand enfin, las de tant d'efforts en vain,je regardai autour de moi, le temple élutombait en ruines, la Muse s'effaçait dans.des brumes indécises. Je me sentis trèsvieux et la conviction se leva railleuse enmoi de m'être trompé. Alors mon âmeeut nom Désert.

Ah m'écriai-je, la vie existe et j'aifaim de son étreinte. Ailleurs je trouveraice que je n'ai pu découvrir en mon EtreLe monde se promettait scintillant et mu-sical le monde me fut l'Idée à millefacettes qu'il faut étudier l'une après l'au-tre je partis à la recherche de la vie.

Adolescerice rénovée d'obscures clo-ches, dans les profondeurs, prédisaientles Graals futurs.

Je pense arriver j'arrive. C'était l'.Ilecharmante et mauvaise, Thulé des Brumesoù je me suis perdu. L'Idée y habitaitselon quel avatar redoutable.

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Or ce n'était pas la Déesse glacée quiplane au zénith d'âme mais sous de mollesclartés de lune apaisant les colères rauqueset douces d'une mer lascive, au seuil d'unrose palais marmoréen, la plus décevantedes filles d'Hécate. Son sourire était lavolupté reine de soi et d'autrui, ses yeux,la noire étoile double qui signifie mal-heurs. Pour moi, je crus seulement sonaourire et qu'elle était l'Idée.

0, dès lors, en ses bras, mort du tempset de l'espace, ô l'oubli dans sa couche, ôle poison lumineux des baisers d'elle lais-sant un goût de sang à mes lèvres.

L'Ile, pournous, rythmait des poèmes degenêts, de jasmins énervéset des cadencesde", apins gémissants d'impalpables ailesfrémissaient, en ondoyances d'auréoles,par le brouillard tiède d'une languideaprès-midi d'arrière-été l'Océan sauvagechantait l'épithalame des noces d'un Rêveet de mon âme. Que m'importaient désor-mais les Normes Solitude, Abstraction,Pénitence. Mes pensées je les lisais auxyeux de la fille de la Lune mes extasesétaient vers ses gestes je buvais toutescience au charme de sa parole où réson-

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nait l'harmonie des mondes elle régnait,l'Isis dont j'avais soulevé le voile Etrpar elle mon âme eut nom Joie.

Un jour, effleurant les flots, elle partitvers quelque chevalier puéril, casqué d'oret nimbé d'aurore, apparu soudain à l'ho-rizon occidental. Et moi, quand ils furentloin, je m'enfuis, délaissé saignant, mau-dissant l'Ile et l'Idée.

J'abordai en des villes de tumulte et demusiquesforaines. J'errais, fou, cherchantà tuer mon âme, la forçant à épuiser toutes.les coupes, avec l'espoir qu'elle y trouve-rait enfin le toxique désiré je rencontraiCircé qui m'offrit son népenthès je cueil-lis et foulai férocement les barbares.grappes bariolées de la débauche afin d'enextraire l'alcool noir d'un rêve farouchedont j'imprégna.i mon Etre je fus unChrist méchant, agonisant d'une infernalePassion. Partout, toujours, je retrouvais.l'Idée, fille de Lune en songe, surgie auxdédales décevants de l'apparence et je

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n'avais plus que ce bonheur un souvenirde sourire illuminant tels tourrants del'ivresse. Afin d'en guérir je cherchail'amour quel qu'il fût. Des bras se tendi-rent, pitoyables, que je repoussais d'au-tres, vils, où je m'attardais avec délice.-Le sourire restait vainqueur. Et l'amer-tume du néant persistait en moi à causede tant de fruits mordus puis rejetés.Enfin, souvent, bien souvent, je suisretourné chez Circé son népenthès écar-tait le sourire je le bus jusqu'à la lie.

C'est alors, qu'eux intermèdes d'unerêverie immense ei âgue comme Dieu,j'écrivis des pages où chantait et hurlaitma détresse ces pages (dont voici l'ul-time) un an de vie.

Et mon âme avait nom Folie, »

Le Pauvre erre en la chambre. Doulou-reux et si vagues, ses regards se posentsur les objets jadis familiers. Quelle indif-férence bourrue ressort de leur aspect!Ne semblent-îls dire « Des mois et des

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mois, tu nous dédaignas nous t'avonsoublié comme tu nous avais oubliés. Au-jourd'hui, si tu veux retrouver, inclus ennous, ce peu de toi que tu nous confiasautrefois, il te faut vouloir des regardsnouveaux. »

« Ah répond le Pauvre, la lampe demaléfice s'est éteinte je ne suis plus l'as-sassin de mon âme l'étrange PauvreJ'éloigne qui vécut cette néfaste année.

Mais tant d'épreuves, subies en lesvoies adverses, lors même qu'elles persis-tent par de plaies lentes à guérir, medonnent le droit de me pardonner. Jerevis Je pressens des clartés inconnuesqui m'éclaireront vers l'Idée bonne. L'au-.tre face de la vie commence d'apparaîtreet son mystère se fait accueillant. L'essaimdoré des saines pensées bourdonne déjà etveut s'échapper vers la royale flore desprimes jardins de l'Insouci. Je vais êtreencore celui aux yeux d'avril qu'attire,parmi le rire des lilas légers, sous la dou-ceur d'un soleil jeune, la danse irisée desrythmes. Bientôt j'aurai retrouvé l'inno-cence nécessaire tout me sera merveilleimprévue un Rêve radieux me guidera,

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par des sentes de musique et de parfums,loin des métaphysiques creuses et despassions qui tuent, vers le Mont-Salvat dela vérité. Et mon âme aura nom En-fance.

Quant à vous, ferventes pages sombres,lueurs d'un cauchemar défunt et qui neressuscitera pas, testament d'un ancienmoi, retournez au Diable, votre père; jene vous relirai jamais. »

La tempête décembrale s'est tue. Unmatin bleu descend du ciel et sème desdiamants sur la ville. La chambre estdouce et tiède où le Pauvre, le gai Pauvre'de naguère s'affaire à des écritures en zig-zag de poèmes ébauchés et siffle, réjouide l'atmosphère claustrale, du feu dansantet de ses mille petites guivres pluricolores.Et il savoure l'aspect reconquis bien-veillant des objets familiers.

« Bah dit-il riant à soi-même, il estécrit d'ailleurs logiquement que

Tend finit par des chansons.

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Donc quelques vers cloront à miracle,en guise d'épitaphe, ce livre véridique

quoique bizarre puisque, aussi bien, ilsl'ont commencé. Et puis rythmer et rimeret tout Y Art poétique c'est encore ce qu'ily a de meilleur dans la vie, à moins dedormir ou de tuer le temps à ne rienfaire. »

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ÉPILOGUE

I.

aguère, les soucis ovdulaient eu plaintes de haut-{bois,

Velours et tel sanglot rires virides qui s'é-[ploient

Triomphait d'une /sis adorablement grêleGloire d'un parc bleuâtre où roucoulent des tourterelles.

Vers l'azur étrange vibrant d'oiseaux fous de blan-

Vers la nue, ombiefatidique et geste de géantChassant un vain tumulte d'heures,

Isis, jadis déesse, tu pâlis et c'est, ton cœur,Le parc des lys flétris et des pavots saignants.

Quelle année! c'est donc fini cette féerie ?Quoi l'hiver, tout l'hiver embrume notre front?Voici venir la vie sans ailes et la grise raisonMes yeux s'ennuient ah c'est fini la comédie

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Comme un qui s'est pmché sur mail âme, j'y voisSombrer des tartanes désemparéesEt mille étendards d'autrefoisS'effilent dans l'eau fanéeComme un qui leurre l'avenir,

Comme un qui craint l'aube de demain, je nie mémoreLes bleus jardins du doux rien fa.ire et du dormir

OÙ des Chimè;.es crachaient de l'orDans le sang figé des porphyres.

«'Quoi notre Isis, reine d 'hier, il faudra donc V ensevelir ?»

« laisse en paix ces poussièresC'est le Passé, te dis-je, le Pas.êNe sois pas celui qu'une ombre exaspère

Et si ton âme a froid,' si ton âr:ese traîne et veut ou-\blier

Voici Circé rieuse et son philtre op'acè. »« Ah boire. ah m'enfuir encore aux pourpres d'un rêve

[d'auroreMais non c'est bien dès lors que je suis mort. »

Iî.

Egrappant les raisins fous d'équivoques treilles,J'ai savouré l'enfer en l'or des pulpes fraîchesAux espaliers maudits oit sont des fruits vermeils,Y'ai cueilli le péché comme une bonne pêche.

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Tout irièchitfrpa qui fut charmeurMême, telle une Nuit aux leurres d'astres clairsLa Belle dont les yeux furent mes seules fleurs

Êt sa chanson dîune oiselle lunaireTout, hier, me grisait qui fut trompeur.

Mais, ô fanfares irréelles,Aujourd'hui, c'est la fête d'angesfraternelsAu parvis lumineux des palais de demainOit, pour me sacrer Roi dit Rêve pèrennel,Les étoiles du ciel tombent baiser mes mains.

Aujourd'hui, je connais quelle fut ma démenceMon âme d'autrefois sommeille en sort tombeau.Et riche d'infini et velu d'innocence,Je vais, comme un enfant, par des chemitfs.. HJowv^qux,

Paris, octobre iSSç. Tours, janvier iSyïJ

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TABLE

Préface. 7Prologue.Fumées nocturnes. IlOmbres sur le 49Plein Réve 85

PassantesLa fin du Rêve.

Philosophie duEpilogue.

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BIBLIOTHÈQUE

Artistique et Littéraire31, Rue' Bonaparte, PARIS

COLLECTION D'ART

Editée sous le patronage de « La Plume »

ŒUVRES DEJA PARUES

1. Dédicaces, poésies, par Paul Verlaine, tirageà 350 exemplaires numérotés 50 ex. à 2o fr. 50 à5 fr. et 250 à 3 fr. (épuisé).

2. A Winter night's dream (Le Songe d'uneNuit d'Hiver) poème Iunatique, par Gaston et JulesCouturat. de l'Ecole funambulesque, tirage à 250exemplaires numérotés 25 ex. sur grand Japon à20 fr. 25 sur papier à la forme à 5 fr. et 200 à3 fr. (épuisé).

3. Albert, roman, par Louis Dumur, tirage à 500exemplaires numérotés 25 ex. sur grand Japon à20 fr. et 475 sur simili-Japon à 3 fr.

4. Les Cornes du Faune, poésies, par ErnestRaynaud, tirage à 162 exemplaires numérotés 12ex. sur grand Japon à 20 fr. et 150 sur simili-ho!-lande à 3 fr.

5. Le Fi Bâlouët, études de mœurs paysannes,par Jacques Renaud, tirage à 212 exemplaires numé-rotés 12 ex. sftr grand Japon à 20 fr. et 200 ex.sur simili-Japon à 3 fr.

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6. Les Tourmentes, poésies, p r Fernand Clerget,tirage à 162 exemplaires numérotés 12 ex. surgrand Japon à 20 fr. et 150 sur sirnili-holiande à 3 fr.

7. Thu'é des Brumes, légende moderne^ipar -Adol-phe Retté, tirage à 312 exemplaires nutnèrotés 12ex. sur grand Japon à 2o fr. et 212 ex; sur simili^-Japon à 3 fr. | j,

Ces éditions ne seront jamais réimprimées' %y/

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ERRATA

Page 57, ligne i i, lire quelle au lieu de quel.

53, 6, lire fauveau lieu àe faune.

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ACHEVÉ D' IMPRIMER

Le 31 Octobre iSgi, a Annonay

PAR JOSEPH ROYER.

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Texte détérioré reliure défectueuse

NF Z 43-120-11

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Contraste insuffisant

NF Z 43-120-14