thésée combattant le minotaure

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Ch. Picard Sur un célèbre groupe disparu : Thésée combattant le Minotaure à l'Acropole d'Athènes In: Mélanges d'archéologie et d'histoire T. 55, 1938. pp. 28-41. Citer ce document / Cite this document : Picard Ch. Sur un célèbre groupe disparu : Thésée combattant le Minotaure à l'Acropole d'Athènes. In: Mélanges d'archéologie et d'histoire T. 55, 1938. pp. 28-41. doi : 10.3406/mefr.1938.7280 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_0223-4874_1938_num_55_1_7280

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"Sur une célèbre groupe disparu: Thésée combattant le Minotaure à l'Acropole d'Athènes", Charles Picard, 1938, MEFRA, 55, pp., 28-41.

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Page 1: Thésée combattant le Minotaure

Ch. Picard

Sur un célèbre groupe disparu : Thésée combattant le Minotaureà l'Acropole d'AthènesIn: Mélanges d'archéologie et d'histoire T. 55, 1938. pp. 28-41.

Citer ce document / Cite this document :

Picard Ch. Sur un célèbre groupe disparu : Thésée combattant le Minotaure à l'Acropole d'Athènes. In: Mélanges d'archéologieet d'histoire T. 55, 1938. pp. 28-41.

doi : 10.3406/mefr.1938.7280

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_0223-4874_1938_num_55_1_7280

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SUR UN CÉLÈBRE GROUPE DISPARU :

THÉSÉE COMBATTANT LE MINOTAURE

A L'ACROPOLE D'ATHÈNES

A propos d'une coupe de Vulci conservée au Museo Gregoriano du Vatican *, M. E. Lœwy a récemment éclairé d'un jour nouveau 2 les raisons historiques qui assurèrent à Thésée un rang privilégié dans l'art grec, à travers toute la première moitié du ve siècle.

Il y eut alors, en Attique surtout, un vif mouvement de piété pour le héros, qui passait pour avoir affranchi sa cité de la dépendance cré- toise, et qui avait décidé aussi de la victoire sur Eleusis. En 476, sur l'ordre d'un oracle, Cimon, fils de Miltiade, ayant conquis Scyros, y fit rechercher des cendres dont tout Athènes réclamait le retour3. On nous dit qu'un aigle avait, dans l'île, désigné lui-même le tertre glorieux. Le Théseion fut bâti à Athènes, hérôon du Libérateur à qui l'on attribuait le synœcisme. Les peintures de Micon décorèrent l'édifice, et c'est à ces œuvres que M. E. Lœwy a attribué

1 Scritti in onore di Bartolomeo Nogara, Roma, 1937, p. 247 et suiv., pi. XXVI-XXVIII.

2 Cf., déjà, Edm. Pottier, Pourquoi Thésée fut-il l'ami d'Hercule? Pubi. Institut de France, 25 octobre 1900 ; Rev. art, 1901, I, p. 1-18.

3 Dans mon étude sur Les luttes primitives d'Athènes et d'Eleusis, Rev. hist., CLXVI, 1931, p. 48 et suiv., j'ai défendu, pour ma part, l'historicité du personnage de Thésée, sur l'existence duquel E. Pottier hésitait encore. Le mouvement religieux qui s'est développé avec tant d'ampleur à l'occasion de la translation des cendres, dans Athènes, pendant la première moitié du ve siècle, ne pouvait avoir un prétexte « mythique ». Athènes sentit ce qu'elle devait à son héros : « ville de Thésée », selon l'inscription que fit encore graver l'empereur Hadrien sur le fronton [de l'arc de triomphe élevé au pied de l'Acropole !

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Planche I

Thésée et le Minotaure : le groupe d'Athènes

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THÉSÉE COMBATTANT LE MINOTAURE A L'ACROPOLE D'ATHENES 29

l'inspiration première dont bénéficièrent, et les sculpteurs du Trésor des Athéniens à Delphes — ce qui prête à contestation pour les dates1 — , et les décorateurs du Pseudo-Théseion, l'Éleusinion έν άστε-., selon moi2 — où les exploits de Thésée, vers 450-440, obtinrent si large place.

On a marqué les dérivations essentielles, et d'autres, dans la peinture des vases. Mais il ne semble pas qu'on ait jusqu'ici prêté l'attention nécessaire à un groupe en ronde-bosse de l'Acropole d'Athènes, qui fut reproduit, pourtant, par le monnayage officiel de la ville, et qui, à côté du nombre des reliefs, des peintures, doit son intérêt à son caractère plus isolé. Ayant remarqué à Rome, au cours d'un séjour au Palais Farnese dans l'été de 1937 3, certains documents de sculpture non signalés, qui peuvent permettre, associés à d'autres, d'évoquer le célèbre groupe disparu, je suis heureux de leur consacrer ici quelques pages, en ces Mélanges de l'École française de Rome où d'ailleurs, dès 1910, une de mes premières études archéologiques reçut déjà l'hospitalité.

Le groupe auquel je me suis intéressé n'a pas, je l'ai dit, trop retenu l'attention jusqu'ici ; et pourtant il a prêté déjà à certaines erreurs d'attribution, puisqu'on en a fait à l'occasion, mais, hélas ! sans nulle preuve, une œuvre myronienne4 (pi. I).

Pausanias nous l'avait signalé au delà du sanctuaire de l'Artémis

1 J'ai marqué mes premières réserves {Rev. arch., 1937, II, p. 116-117) — à propos de l'article de M. E, Loewy dans les Scritti Nogara — sur la date trop basse, à mon sens, qu'on serait amené à déterminer, pour les sculptures du Trésor des Athéniens, si l'on acceptait la dépendance des métopes de ce Trésor par rapport aux peintures de Micon, celles-ci postérieures à 476.

2 Cf., sur l'identification (Éleusinion), mes notes de la Rev. arch., 1938, I, p. 99 et suiv. et p. 102 et suiv.

3 Qu'il me soit permis de remercier, en cette occasion, M. J. Carcopino, Directeur de l'École de Rome, dont l'amitié m'a tant facilité ce séjour d'étude.

4 Cf., par exemple, A. Philadelpheus, Acropole, X, 1935, p. 6-7, flg. I. Cf. aussi A. J. Α., 41, 1917, p. 139.

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30 THÉSÉE COMBATTANT LE MINOTAURE

Brauronia sur l'Acropole ; le dernier architecte-archéologue qui se soit occupé de l'aménagement de la citadelle sacrée au temps de Périclès, M. Gorham Philipps Stevens1, localiserait l'œuvre en un point très défini, comme faisant « pendant » avec le groupe, myro- nien celui-là, d'Athéna et de Marsyas2.

M. G. P. Stevens n'a pas manqué de signaler, à l'occasion de son étude, Γ « excellent torse de marbre du Minotaure, trouvé près de la Tour des Vents et conservé au Musée national d'Athènes ». Il s'agit, du reste, d'un groupe, comme on va voir, car nous avons aussi les fragments, correspondants, du Thésée. Cet ensemble mutilé, que M. Gorham Philipps Stevens n'hésite pas à rapprocher du groupe de l'Acropole, était plus grand que nature : la distance entre le coude du Minotaure et le sommet de la tête, sur la copie d'Athènes, étant, par exemple, de 0m90 ; ce qui dépasse sensiblement les proportions humaines normales (environ 0m65).

J. Harrison3 avait déjà remarqué et signalé sur les monnaies impériales d'Athènes la reproduction d'un groupe Thésée-Mino- taure, qui lui paraissait être celui de l'Acropole même : attestation de popularité officielle. L'embarras commence quand on aperçoit aujourd'hui que les monnaies d'Athènes ont, au vrai, reproduit plusieurs groupes assez différents par le détail 4, et que nous connaissons aussi, à côté des documents retrouvés à Athènes, près de la Tour des Vents, les débris d'un duel Thésée-Minotaure analogue, quoique plus petit : plusieurs fragments recueillis à Rome, à la Piazza S. Tommaeo in Parione5.

1 The Periclean entrance court of the Acropolis of Athens, Pubi. Amer. School. Athens, Harvard Univ. Press, 1936 ; cf. p. 41-42.

2 Point R, du plan de la fig. 28, à la p. 33. 3 J. Harrison, Myth, and mon. of ancient Athens, p. 410 ; cf. G. Ph.

Stevens, 1. I, p. 41, fig. 37. 4 Cf. J. N. Svoronos, Les monnaies d'Athènes, pi. 96, η08 1 à 14 (trois

groupes ou types différents), en bronze. Le Cabinet des Médailles de Paris n'en possède malheureusement aucun dans ses séries.

■Mus. national des Thermes, salle XIII, sans nos. — J'en dois les

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a l'acropole d'athènes 31

Voilà qui doit rendre prudent sur le rapport ( ?) à chercher avec le groupe primordial de l'Acropole d'Athènes, et aussi sur la valeur respective de nos divers documents d'étude conservés. Je n'ai pas eu d'autre ambition ici que de rapprocher les diverses pièces les unes des autres, d'Athènes à Rome, pour les faire ainsi mieux connaître, et juger, s'il se peut.

II faut partir (fig. 1) des monnaies qui ont permis de reconnaître le fait essentiel, la diversité des types. Dans le répertoire précieux qu'il avait donné des Monnaies d'Athènes, J. N. Svoronos a classé à la pi. 96, parmi les types d'époque impériale, diverses pièces où il voit la représentation du duel du Labyrinthe. Je ne crois pas, après examen d'autres documents, qu'il y ait nécessité d'adjoindre encore d'autres représentations de la pi. 95, où Th. Reinach estimait, semble-t-il x, qu'il y aurait lieu de reconnaître aussi Thésée et le Mi- notaure ; il peut s'agir plutôt, dans la forme vague visible à côté du héros, de la Pierre de Trézène, déjà soulevée pour la reprise des gnô- rismata 2.

Les monnaies de la planche 96, sur le répertoire de Svoronos, montrent le héros aux prises avec un adversaire monstrueux déjà tombé sur le genou : posture donnée aux réprouvés et aux vaincus, tant à l'époque classique que pendant l'ère hellénistique, et jus-

photographies à l'amabilité de la Direction du Musée et à l'obligeante entremise de M. E. Arias, conservateur. Le Thésée est étiqueté « athlète » ou « aurige » ; mais le lieu de découverte montre bien que les deux pièces (elles se font face au Musée de chaque côté- d'une fenêtre) appartenaient au même ensemble. — Un groupe de Thésée tuant le Minotaure, document insuffisamment étudié, fait partie des collections de la Villa Albani.

1 Note manuscrite de son exemplaire des Monnaies d'Athènes, légué généreusement par la famille à l'Institut d'art et d'archéologie, Paris.

2 Armes paternelles qui devaient décider de la reconnaissance de Thésée en Attique ; sur les origines étrangères d'Ion, et sur cette Reconnaissance de Thésée, cf. Ch. Picard, Rev. hist., GLXVI, 1931, p. 1 et suiv.

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32 THÉSÉE COMBATTANT LE MINOTAURE

qu'à Baalbek encore1. Les pièces 1-7 ici reproduites, et qui appartiennent respectivement aux collections de Leningrad (1), Munich (2), Athènes (3), J. Anderson (4), Copenhague (5) et Berlin (6-7), font toutes voir le Minotaure tombé déjà à gauche de son vainqueur ; Thésée pose le genou sur lui, dans une attitude évoquant beaucoup les Mithras tauroctones, mais dont on trouverait,

Fig. 1. Monnaies d'Athènes : Thésée et le Minotaure

en fait, les premiers exemples parmi la plus vieille imagerie de Sparte, de Sélinonte ou d'Olympie. Le groupe n'a rien non plus de spécifiquement myronien, malgré le contraste des postures des duellistes, dont les lignes axiales représentent toutes deux ici des obliques plus ou moins accusées. Sur les pièces 6 et 7 de Berlin, on voit plus distinctement qu'ailleurs 2 la massue de Thésée, arme d'emprunt,

1 On comparerait, par exemple, certaines métopes de la Gigantoma- chie .au Parthenon (face Est), sans qu'il soit interdit de remonter plus avant : C. Praschniker, Parthenonstudien, 1928, p. 226-227, fig. 133. — Ce sera aussi la posture donnée plus tard aux Galates vaincus, sur une stèle de Gyzique, et dans un groupe de l'Agora des Italiens à Délos, cf. Gh. Picard, BCH., INI, 1932, p. 491-530, pi. XXIV-XXVI. — A Baalbek, au temple de Bacchus, cette posture est devenue celle du Lycurgue d'une des frises des platea de Yadyton : personnage pris à tort dans la publication allemande [Baalbek, II, 1923) pour un Zeus délivrant de sa cuisse le petit Dionysos ; cf. Gh. Picard, Mél. syriens en V honneur de R. Dussaud, à paraître.

2 La même arme est du moins certaine sur les pièces 1-7 ici figurées, et

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arme héracléenne, moins fréquente aux mains de Thésée que la double hache ou l'épée. Nous ne savons pas si le héros l'utilisait ou la brandissait aussi à l'Acropole, mais c'est ici un argument pour faire reconnaître un Thésée (à la massue) dans le relief attique du Bêma dit de l'archonte Phaidros, au théâtre de Dionysos à Athènes, où l'on a parfois voulu voir plutôt un Antinoos x. — Sur les monn

aies, en tout cas, la matraque n'est pas brandie; le coup décisif a été porté, puisque le Minotaure est déjà à demi écroulé sur le sol. Thésée garde son arme, mais posée comme au repos sur la saignée du bras droit, tandis qu'il empoigne par les cornes le monstre accablé, sans doute pour le tirer hors du Labyrinthe, comme on le voit faire sur la coupe d'Aison, au Musée de Madrid2.

Les monnaies 15-18 3 (fig. 2) donnent l'aspect d'un tout autre groupe, où le combat est encore en cours ; là, le Minotaure — ou bien résistait à Thésée, qui lève sur lui la massue (?), — ou bien, et je le croirais plutôt, il l'implorait ; j'interpréterais ainsi le geste de la main tendue, qui reparaît. Les personnages ont changé respectivement non seulement d'action, mais de place ; le Minotaure est

ailleurs. — Sur toutes ces pièces, au droit, Athéna casquée (avec quelques variantes du casque et de la coiffure) .

1 Par exemple, P. Graindor, Athènes de Tibère à Trajan, 1931, p. 199 et suiv. ; Athènes sous Hadrien, 1934, p. 277 et suiv. J'ai marqué mes objections, pour l'interprétation et pour les dates proposées ; Rev. arch., 1936, II, p. 241-243.

2 Gh. Dugas, Aison, 1930, cf. p. 62, et fig. 9 à la p. 44. Il eût été nécessaire de prêter là plus d'attention au caractère symbolique du décor. S'agit-il bien d'un porche « ionique » (p. 62) ? On discerne un ordre composite, en tout cas, des regulae avec gouttes paraissant sur l'architrave ; à noter, le décor du chapiteau, avec le bandeau formé d'une grande grecque, au- dessous des volutes (cf. l'Erechtheion) ; et aussi le me'amire-labyrinthe, dressé sans aucune raison autre que symbolique, à droite du Minotaure abattu. Ce décor de labyrinthe reparaît ailleurs, Diet. Ant., Theseus, fig. 6888.

8 Le n° 15 est à Copenhague ; les nos 15-17 à Berlin ; le n° 18 est indiqué par J. N. Svoronos comme faisant partie de la collection G. Baltazzi. A l'avers, têtes d'Athéna, avec variantes.

Mélanges d'Ardi, et d'Hist. 1938. λ

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M THESEE COMBATTANT LE MINOTAURE

figuré vers la droite de Thésée; Thésée n'a pas non plus le mouvement oblique qu'on remarquait dans la précédente série ; selon les variantes, qui pourraient permettre de distinguer plus d'une formule ici même, les deux adversaires paraissent çà et là plus redressés. La comparaison semble permise avec certains groupes des métopes Est du Parthenon.

Fig. 2. — Monnaies d'Athènes : Thésée et le Minotaure

Or, nous allons retrouver à peu près les mêmes différences de mouvement et de présentation entre les groupes statuaires d'Athènes et de Rome, malgré les ressemblances de détail. Le groupe figuré à Athènes, le plus grand, semble avoir été aussi le plus dynamique, le plus en rapport avec la peinture de la coupe de Madrid, où Thésée tirait déjà le monstre vaincu hors du Labyrinthe.

La restitution faite au Musée d'Athènes, rapprochée du médaillon de la coupe d'Aison, à Madrid, donnerait ce sentiment, mais avec celui de quelques différences ; car, dans le groupe trouvé à Athènes, près de la Tour des Vents, le hanchement de Thésée, le mouvement du cou, déterminent des postures qui ne s'accordent pas, en détail, avec la figuration madrilène (fig. 3-4).

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Fig. 3. — Lk M

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Fig. 4. — Le M

inotaurr du groupe d'Athènes

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36 THÉSÉE COMBATTANT LE MINOTAURE

Le rendu de l'ombilic et des pectoraux de Thésée, du Minotaure, déterminés par des traits circulaires, la forme donnée au triangle pubien de Thésée, permettent de classer l'œuvre dont nous avons la copie à Athènes, dans le cycle des créations — de manière anato- mique large — qu'on daterait du temps de Pythagoras de Rhégion ou de Myron, après le groupe de Procrustès-Thésée 1.

La copie semble d'époque impériale : la manière dont les mèches du frontal du Minotaure ont été travaillées, avec traces de foret au centre des coquilles, pourrait permettre d'en juger plus dogmatiquement ; mais on ne doit pas oublier que cette formule de travail se retrouve déjà sur des originaux de la première moitié du ve siècle, et, par exemple, pour les statues des frontons d'Olympie 2.

Dans le groupe du Musée des Thermes (fig. 5), il y a, pour le Minotaure, similitude presque absolue du rendu des mèches taurines, entre les cornes; mêmes plis marqués autour des yeux et aux fanons. La comparaison des deux pièces ne permet pas de méconnaître l'analogie exacte des deux monstres. Du moins, la position de Thésée était-elle différente, incontestablement plus statique et moins animée. Si l'on rapproche le torse qui nous est conservé à Rome de certains morceaux attribuables à Pythagoras, — ou datés, du moins, du temps de cet artiste 3, — on saisit les différences.

1 Pour le groupe Thésée-Procrustès, cf., par exemple, H. Schrader, Archaische Marmorskulpturen im Akropolis -Museum zu Athen, 1909, p. 60 et suiv., flg. 52 et suiv. (reconstitution : flg. 53) ; H. G. G. Payne, Archaic marble sculpt., p. 72, pi. 1 05-106. — Sur les torses à rattacher, ei- norç à l'école, du moins au temps de Pythagoras, d'après un document thasien, cf . P. Devambez, BCH., 57, 1933, p. 422 et suiv., pi. XIX-XXIV.

2 Tête du « devin » ; cf. Gh. Picard, Man. archéol. gr., Sculpture; I : La période primitive, flg. 63 ; voir aussi, fronton Ouest, là tête du Lapithe mordu, H. Schrader, Phidias, flg. 145, p. 165.

8 Cf., par exemple, le torse de Thasos, P. Devambez, 1. 1. ; notamment pour le dos, pi. XXIII ; cf. aussi, ibid., flg. 3 à la p. 436, pour le rendu du « Schamhaar » ; la forme caractéristique, en accent circonflexe, ne se retrouve pas sur le document romain.

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a l'acropole d'athènks 37

Dans cette copie romaine, la tête était rapportée1 (pi. II).

Fig. 5. — Le Minotaure de Home

On ne pourrait s'engager plus avant dans l'étude des divers docu-

1 Ce n'était pas le cas à Athènes : peut-être avait-on donc transformé le Thésée de Rome selon les traits d'un empereur?

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ments que le temps a laissés à notre disposition pour le groupe disparu sans risquer de faire à l'hypothèse une part trop prépondérante.

Je ne me dissimule pas combien sont négatives les conclusions auxquelles il est nécessaire de s'arrêter, ainsi. Si les deux groupes d'Athènes et de Rome sont apparentés — d'ailleurs incomplètement ! — aucun d'eux ne se prête à un rapprochement direct avec les monnaies d'Athènes, et ils nous laissent une double incertitude sur la question des rapports cherchés avec le groupe de l'Acropole.

Il n'est pas douteux qu'ils en aient gardé, l'un et l'autre, au moins le souvenir; mais avec ces divergences que se permettaient souvent les copistes, même quand ils se réclamaient pareillement d'une œuvre signée 1. Resterait à connaître aussi les raisons qui ont déterminé, à Rome, une copie exécutée sur un thème légendaire auquel les Romains, du moins, eussent pu n'accorder qu'un regard un peu indifférent : sauf au temps d'Hadrien, le Graeculus, qui fit lui-même inscrire sur l'arc de triomphe d'Athènes, dit porte d'Hadrien : Afë' εισιν 'Αθήναι, Θησ^ς ή πριν χόλ-.ς2! La renaissance « académique » du temps d'Hadrien a pu alors, en l'honneur de l'empereur, nouveau Thésée vainqueur des Barbares, décider de l'apport à Rome, ou d'une exécution faite à Athènes pour l'exportation. De là, la copie un peu réduite de la place S. Tommaso in Parione (région du cirque de la Piazza Navone). — La réplique d'Athènes, trouvée près de la Tour des Vents, a pu être une copie exécutée elle-même pour la Bibliothèque d'Hadrien, voisine, ou pour quelque édifice proche de l'Agora romaine, en cours d'exploration.

1 C'est le cas pour les deux copies, très différentes, que nous avons de l'Hermès Propylaios d'Alcamène, l'une et l'autre, à Pergame, à Éphèse, revendiquant par inscription l'inspiration directe du modèle !

2 Côté Nord-Ouest (de l'Acropole) ; au côté Sud-Est, vers l'Olym- pieion, il y avait, selon une autre inscription, « la ville d'Hadrien » : P. Graindor, Athènes sous Hadrien, p. 228 et suiv., et pi. VI.

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A i/ACROHOLE D ATHENES 39

* *

La victoire libératrice de Thésée, ce corps à corps audacieux avec le monstre taurin du Labyrinthe, n'avait pas été, à Athènes, dans la première moitié du ve siècle, figurée seulement sur les peintures dont tous les travaux archéologiques ont fait état 1 ; et aussi par le groupe de l'Acropole, un peu trop négligé jusqu'ici. Des métopes, où M. E. Lœwy a voulu reconnaître une inspiration tirée de la Thé- séide de Micon 2, traitaient aussi le sujet et doivent entrer en compte.

Sur le Trésor des Athéniens, à Delphes, d'abord. Là figurait, au Sud (métope 8, selon le récent classement de M. P. de la Coste-Mes- selière3), un Thésée très juvénile, vêtu jusqu'aux hanches d'un chitôn de lin à plis fins. Il lutte durement avec le Minotaure encore dressé, mais dont la tête empoignée à la corne gauche plie sous l'effort tenace et vigoureux de l'adversaire4. Plus tard, on montrera plus volontiers la lutte terminée, la partie déjà gagnée par le héros. Mais la ressemblance de la tête, position, détails, du Minotaure — et celle du torse — avec les documents en ronde bosse, à Athènes, à Rome, laisserait penser que le sculpteur du groupe de l'Acropole — si nous en avons ici les répliques ! — connaissait la métope delphique. Les digitations du grand dentelé ont été marquées, dans le groupe romain, pour le flanc du Minotaure, comme sur la métope delphique; et l'on comparerait aussi le rendu de l'ombilic. Mais la différence du costume de Thésée détourne d'aller plus loin ; et la posture des com-

1 Cf . W. Roscher, s. v. Theseus; L. Séchan, Diet. Ant., s. ν.; pour Euphronios et Douris, cf. Ch. Dugas, Aison, p. 62.

2 Scritti in onore Β. Nogara, I. I. 3 BCH., 47, 1923, p. 387 et suiv. ; cf. p. 399, et pi. XIV- XVIII. La

fig. 4, p. 399, donne la tête (Musée 86) attribuable au Thésée : cf. Fouilles de Delphes, IV, pi. XXXIX = Musée : 1440.

4 Fréquence du motif au vie siècle : Bethe, Rhein. Mus., LXV, 1910, p. 122 ; P. Wolters, Sitzb. d. Bayr. Akad., 1907, p. 113; P. Perdrizet, BCH., 1904, p. 334 et suiv. ; Fr. Poulsen, Delphi, p. 188-189.

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battants — Thésée vu presque de profil, le Minotaure debout — crée aussi une impression divergente. Thésée devait être armé de l'épée x.

Au Pseudo-Théseion, à qui — s'il est bien l'Éleusinion d'Athènes — était si justement assignée une suite des exploits de Thésée, on retrouve le dur combat du Labyrinthe2. C'était la quatrième métope du Sud-Est. Là aussi était représenté le plein engagement, Thésée nu se ruant, saisi lui-même aux cheveux et à la poitrine, griffé à la cuisse gauche par le pied humain relevé du monstre. Le Minotaure se voyait du moins forcé d'abaisser symboliquement la tête ; déjà la main gauche du héros, serrant ses naseaux, l'étouffait, l'épée triomphatrice étant manœuvrée de la dextre pour une mise à mort sanglante.

Cette composition — qu'il faut placer au plus tard aux environs de 440 — s'écarte un peu, à la fois de celle de la métope delphique et des témoignages monétaires tardifs que nous avons conservés. Des monnaies surtout : le rapport général des postures avec le duel du Trésor d'Athènes, en effet, n'est pas niable ; et il serait certes possible, ou que les deux œuvres eussent bénéficié d'une même influence, ou que le sculpteur du Pseudo-Théseion eût connu de près le duel delphique. La convergence des deux lutteurs, dont le symplegma se noue, en haut, par les prises de bras — au cou et à la tête, aux naseaux du Minotaure et aux cheveux du héros — détermine un sensible rapport. L'artiste du « Théseion » a seulement accentué encore l'obliquité, au moins pour le buste du Minotaure.

Quand fut édifié le Pseudo-Théseion, que M. Koch et von Stock- har viseraient à dater de la période 450-440 3, la « ville de Thésée »,

1 Fr. Poulsen, l. 1., relève la large conception des formes, le rendu du bassin, et voit, dans l'auteur de la métope delphique, un précurseur de Phidias.

2 B. Sauer, Das sogenannte Theseion, 1899, p. 162-164, pi. V. 3 Arch. Jahrb., XLIII, 1928 ; Anz., col. 706-721.

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a l'acropole d'athènks 41

triomphante, songeait encore avec une vive reconnaissance à son jeune héros qui allait être peint, après 430, aux côtés de la Démocratie et du Démos, et dans le voisinage des douze dieux, sur un des murs de la Stoa Basileios1. On a souvent signalé les rapports des métopes de Delphes et d'Athènes avec les Théséides des vases peints 2, en proposant pour tout l'ensemble des représentations de ce cycle héroïque — qui reparaît à Trysa3 — une inspiration prise près des peintures du Théseion — le vrai ! — décoré par Micon après le Retour des cendres 4.

Voudra-t-on aussi attribuer à Micon, qui était peintre et sculpteur5, le groupe de l'Acropole d'Athènes, dont Pausanias n'a pas nommé l'auteur? Ce sont là des propositions pour lesquelles il ne suffît que de hardiesse. Le travail scientifique me paraît consister à faire plutôt connaître la relativité de nos connaissances, devant ce petit problème comme pour d'autres.

Ch. Picard.

1 En contre-bas du Pseudo-Théseion, comme l'ont montré les fouilles américaines ; cf. Pausanias, I, 3, 2, pour ces peintures (avec un commentaire sur le rôle politique de Thésée). Des exploits de Thésée figuraient aussi aux acrotères, sur le faîte de l'édifice : Pausanias a signalé là un de ces groupes, en terre-cuite ; il devait en exister plusieurs, primitivement.

2 E. Lœwy, Scritti, l. L, p. 252. 3 Benndorf-Niemann, Das Herôon von Giolbaschi-Trysa, pi. 19, 10, 12,

15, 16, 14. 4 Wulff, Zur Theseussage, p. 123 et suiv. ; E. Lœwy, Scritti, L L,

p. 252, n. 4. 5 Micon a travaillé pour Cimon entre 470 et 440, et il a représenté au

Poecile une bataille de Thésée contre les Amazones. Il avait fait des statues athlétiques, dont celle de l'Athénien Callias ; la base, seule, a été retrouvée à Olympie.