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page 49 ÉLÉMENTAÍRE La relativité restreinte 2005, année mondiale de la physique, fut l’occasion de célébrer le centenaire de quatre publications remarquables d’Albert Einstein. Parmi celles-ci figure un article sur la relativité restreinte qui a bouleversé nos conceptions d’espace et de temps, et qui continue d’être l’outil de travail quotidien de nombreux physiciens, en particulier pour étudier les constituants élémentaires de la matière. Mais pourquoi parle-t-on de relativité ? En quoi est-elle restreinte ? Et quelle révolution Einstein a-t-il provoqué avec son article ? Le principe de relativité Pince-mi et Pince-moi sont dans un bateau... et jouent au basket. Le premier envoie la balle au second, qui shoote et marque ! Vu de la terre ferme, nos deux sportifs, ainsi que leur ballon et leur panier de basket, se déplacent en même temps que le navire glissant sur les gouffres amers. Pince-mi et Pince- moi doivent-ils adapter leur façon de shooter pour pouvoir marquer des paniers malgré le déplacement du bateau? Ou bien la trajectoire du ballon est-elle la même que s’ils jouaient sur la terre ferme ? Imaginons qu’ils aillent jouer à l’intérieur du navire, dans une salle fermée, sans hublot ni fenêtre, de sorte qu’ils ne puissent pas voir si celui-ci s’éloigne du quai ou non. Peuvent-ils, en étudiant la trajectoire de leur ballon, déterminer s’ils sont en mouvement et si, oui ou non, le navire quitte le port ? La réponse à cette question est : non, tant que le bateau se déplace en ligne droite et à vitesse constante (on parle alors de mouvement de translation uniforme). En pratique, cela suppose bien sûr une mer très calme ! En fait, aucune expérience de physique ne peut permettre de détecter un mouvement de translation uniforme : si Pince-mi descend du bateau et réalise une expérience de physique sur la terre ferme, tandis que Pince-moi réalise exactement la même expérience sur le bateau, les résultats obtenus seront identiques (aux incertitudes expérimentales près). Il est donc impossible de dire de manière absolue si le bateau est en mouvement. Tout ce que Pince-mi peut dire, c’est que le navire se déplace par rapport au quai. À l’inverse, Pince- moi, resté sur le bateau et observant Pince-mi sur la terre ferme, estimera que c’est le rivage qui est en mouvement par rapport au bateau. En bref, tout ce que l’un et l’autre sont en mesure d’affirmer, c’est que la terre ferme et le navire sont en mouvement relatif l’un par rapport à l’autre. Cette observation fondamentale sur les lois de la physique est connue sous le nom de principe de relativité. Il fut énoncé pour la première fois par Galilée : les lois de la physique sont les mêmes dans tous les référentiels inertiels, c’est-à-dire pour tous les observateurs en mouvement de translation uniforme les uns par rapport aux autres. En fait, ce principe nous est très familier. Par exemple, si nous allons au wagon-bar d’un TGV et si nous renversons malencontreusement notre café, celui-ci ne tombe pas un mètre plus loin du fait de la grande vitesse du train, mais bien sur nos genoux comme si nous étions assis à la terrasse d’un café ! Galileo Galilei (1564-1642). Principe de relativité Selon ce principe, les lois de la physique ne doivent pas privilégier un point de vue – ou référentiel – particulier plutôt qu’un autre pour décrire un phénomène. Cette relativité n’a rien à voir avec le relativisme, un point de vue philosophique selon lequel toute idée, concept, ou affirmation serait la simple émanation de l’environnement humain où elle est née, ce qui rendrait impossible toute comparaison ou discussion hors de ce dernier. Référentiel inertiel (ou galiléen) Un référentiel inertiel est un « point de vue » dans lequel le principe de Galilée s’applique : en l’absence de force agissant sur lui, un objet se déplace à vitesse constante, selon un mouvement de translation uniforme. Un référentiel se déplaçant à vitesse constante par rapport à un référentiel inertiel est lui- même inertiel. Les référentiels ne sont pas tous inertiels. Ainsi, le wagon d’un train qui accélère et le cheval de bois d’un manège en mouvement circulaire n’ont pas cette propriété. Dans ces référentiels, les trajectoires des objets semblent affectées par des forces supplémentaires, qui sont en fait des artefacts dus au « point de vue » choisi pour décrire la trajectoire. C’est le cas, par exemple, de la force d’inertie, de la force centrifuge, ou encore de la force de Coriolis. Référentiel Un référentiel est l’équivalent physique d’un « point de vue », à partir duquel un observateur peut procéder à des mesures physiques. On peut ainsi définir le référentiel de Pince-mi (lié au quai) et celui de Pince-moi (attaché au navire). Théorie DR

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La relativité restreinte 2005, année mondiale de la physique, fut l’occasion de célébrer le centenaire de quatre publications remarquables d’Albert Einstein. Parmi celles-ci figure un article sur la relativité restreinte qui a bouleversé nos conceptions d’espace et de temps, et qui continue d’être l’outil de travail quotidien de nombreux physiciens, en particulier pour étudier les constituants élémentaires de la matière. Mais pourquoi parle-t-on de relativité ? En quoi est-elle restreinte ? Et quelle révolution Einstein a-t-il provoqué avec son article ?

Le principe de relativitéPince-mi et Pince-moi sont dans un bateau... et jouent au basket. Le premier envoie la balle au second, qui shoote et marque ! Vu de la terre ferme, nos deux sportifs, ainsi que leur ballon et leur panier de basket, se déplacent en même temps que le navire glissant sur les gouffres amers. Pince-mi et Pince-moi doivent-ils adapter leur façon de shooter pour pouvoir marquer des paniers malgré le déplacement du bateau? Ou bien la trajectoire du ballon est-elle la même que s’ils jouaient sur la terre ferme ?

Imaginons qu’ils aillent jouer à l’intérieur du navire, dans une salle fermée, sans hublot ni fenêtre, de sorte qu’ils ne puissent pas voir si celui-ci s’éloigne du quai ou non. Peuvent-ils, en étudiant la trajectoire de leur ballon, déterminer s’ils sont en mouvement et si, oui ou non, le navire quitte le port ? La réponse à cette question est : non, tant que le bateau se déplace en ligne droite et à vitesse constante (on parle alors de mouvement de translation uniforme). En pratique, cela suppose bien sûr une mer très calme !

En fait, aucune expérience de physique ne peut permettre de détecter un mouvement de translation uniforme : si Pince-mi descend du bateau et réalise une expérience de physique sur la terre ferme, tandis que Pince-moi réalise exactement la même expérience sur le bateau, les résultats obtenus seront identiques (aux incertitudes expérimentales près). Il est donc impossible de dire de manière absolue si le bateau est en mouvement. Tout ce que Pince-mi peut dire, c’est que le navire se déplace par rapport au quai. À l’inverse, Pince-moi, resté sur le bateau et observant Pince-mi sur la terre ferme, estimera que c’est le rivage qui est en mouvement par rapport au bateau. En bref, tout ce que l’un et l’autre sont en mesure d’affirmer, c’est que la terre ferme et le navire sont en mouvement relatif l’un par rapport à l’autre.

Cette observation fondamentale sur les lois de la physique est connue sous le nom de principe de relativité. Il fut énoncé pour la première fois par Galilée : les lois de la physique sont les mêmes dans tous les référentiels inertiels, c’est-à-dire pour tous les observateurs en mouvement de translation uniforme les uns par rapport aux autres. En fait, ce principe nous est très familier. Par exemple, si nous allons au wagon-bar d’un TGV et si nous renversons malencontreusement notre café, celui-ci ne tombe pas un mètre plus loin du fait de la grande vitesse du train, mais bien sur nos genoux comme si nous étions assis à la terrasse d’un café !

Galileo Galilei (1564-1642).

Principe de relativitéSelon ce principe, les lois de la physique ne doivent pas privilégier un point de vue – ou référentiel – particulier plutôt qu’un autre pour décrire un phénomène. Cette relativité n’a rien à voir avec le relativisme, un point de vue philosophique selon lequel toute idée, concept, ou affirmation serait la simple émanation de l’environnement humain où elle est née, ce qui rendrait impossible toute comparaison ou discussion hors de ce dernier.

Référentiel inertiel (ou galiléen)Un référentiel inertiel est un « point de vue » dans lequel le principe de Galilée s’applique : en l’absence de force agissant sur lui, un objet se déplace à vitesse constante, selon un mouvement de translation uniforme. Un référentiel se déplaçant à vitesse constante par rapport à un référentiel inertiel est lui-même inertiel.Les référentiels ne sont pas tous inertiels. Ainsi, le wagon d’un train qui accélère et le cheval de bois d’un manège en mouvement circulaire n’ont pas cette propriété. Dans ces référentiels, les trajectoires des objets semblent affectées par des forces supplémentaires, qui sont en fait des artefacts dus au « point de vue » choisi pour décrire la trajectoire. C’est le cas, par exemple, de la force d’inertie, de la force centrifuge, ou encore de la force de Coriolis.

RéférentielUn référentiel est l’équivalent physique d’un « point de vue », à partir duquel un observateur peut procéder à des mesures physiques. On peut ainsi définir le référentiel de Pince-mi (lié au quai) et celui de Pince-moi (attaché au navire).

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Lumière, éther... et relativitéLe principe de relativité s’est avéré correct dans toutes les expériences réalisées depuis Galilée jusqu’au XIXe siècle dans le domaine de la mécanique, c’est-à-dire l’étude des trajectoires de corps solides soumis à diverses forces (traction, frottement, gravité, etc). Mais lorsque l’attention des physiciens se porta sur l’électricité et le magnétisme... ils fe caffèrent les dents fur un facré problème. En effet, J.-C. Maxwell était parvenu à rendre compte, à l’aide d’une théorie simple, de l’ensemble des résultats expérimentaux obtenus jusqu’alors dans ce domaine. De plus, cette théorie décrivait la lumière comme une onde électromagnétique se propageant à une vitesse constante et universelle.

Une théorie très satisfaisante... si ce n’est qu’elle contredit la loi galiléenne d’addition des vitesses. Supposons que Pince-moi lance un ballon sur le pont de son navire et en mesure la vitesse, tandis que Pince-mi, resté sur le quai, réalise la même mesure. Si le navire s’éloigne du quai, ils obtiendront des résultats différents, mais reliés d’une façon simple : la vitesse du ballon mesurée par Pince-mi sur le quai sera la somme de la vitesse mesurée par

La relativité restreinte

James Clerk Maxwell (1831-1879).

Le vent d’étherSi l’éther existait, la vitesse de la lumière devrait dépendre du mouvement du référentiel dans lequel on la mesure, par rapport à ce mystérieux milieu de propagation des ondes lumineuses. Or chaque année, la Terre parcourt une immense distance autour du Soleil à la vitesse d’environ trente kilomètres par seconde. Un référentiel associé à un point de la surface terrestre aurait donc dû se mouvoir en permanence par rapport à l’éther, avec une vitesse variant selon l’heure du jour et la saison. Il fallait donc mesurer l’effet de ce « vent d’éther » sur la vitesse de la lumière.A. Michelson et E. Morley conçurent un appareil, appelé interféromètre, pour étudier ce phénomène. L’instrument sépare une onde lumineuse monochromatique – i.e. de longueur d’onde bien déterminée – en deux faisceaux (voir schéma ci-contre). Ces derniers se propagent dans deux directions perpendiculaires, puis ils sont réfléchis par des miroirs, avant d’être à nouveau superposés au centre de l’appareil. On détecte enfin l’image obtenue en superposant ces deux faisceaux. En règle générale, les deux faisceaux parcourent des longueurs légèrement différentes entre le moment où ils sont séparés et celui où ils se superposent à nouveau. Cette différence de longueur, et donc de temps de parcours, engendre au niveau du détecteur des franges d’interférences qui alternent des bandes sombres et claires.

Si la Terre avait un mouvement par rapport au référentiel de l’éther, la vitesse de la lumière serait différente dans les deux directions perpendiculaires. Cela devrait affecter la figure d’in-terférence, d’une manière variable selon l’orientation de l’interféromètre par rapport au sens de déplacement de la Terre. De la mesure de telles variations en fonction de l’orientation de l’appareil, monté sur un plateau horizontal tournant, on pourrait alors en déduire la vitesse de la Terre dans le référentiel absolu de l’éther.L’expérience fut réalisée à différents moments du jour et de l’année et fut répétée de nom-breuses fois par différents groupes, mais aucune variation significative ne fut jamais détec-tée, en dépit des améliorations successives apportées à l’interféromètre de Michelson-Morley. L’éther semblait immobile par rapport à la Terre, ce qui était très improbable étant donnée la course compliquée de la Terre autour du Soleil. Plusieurs théories alambiquées furent avan-cées pour expliquer ces résultats tout en sauvegardant l’éther, mais il fallut se rendre bientôt à l’évidence : on devait abandonner l’éther, et avec lui l’idée d’un référentiel absolu...

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La relativité restreinte Pince-moi sur le navire et de la vitesse du navire par rapport au quai. Mais selon la théorie de Maxwell, si nous remplaçons le ballon par un rayon lumineux, Pince-mi et Pince-moi doivent observer que l’onde lumineuse se propage à la même vitesse, quelle que soit la vitesse du bateau !

Or la loi d’addition des vitesses repose sur deux hypothèses : le principe de relativité, qui affirme que les lois physiques sont les mêmes pour tous les référentiels inertiels, et la notion de temps et de distance absolus – c’est-à-dire qui sont identiques dans tous les référentiels, qui permet de comparer directement les mesures faites dans des référentiels différents. La théorie de Maxwell ne respectait-elle pas le principe de relativité ? Ou fallait-il revoir les notions d’intervalles de temps et de distance ?

Les physiciens renâclaient à l’idée d’abandonner la vision de l’espace et du temps héritée de Galilée et de Newton, si féconde jusque là. Ils imaginèrent que les ondes lumineuses se propageaient dans un milieu, au nom presque philosophique d’éther. Le référentiel naturel de la théorie de Maxwell devait être le référentiel associé à l’éther, qui devenait donc un référentiel très particulier, « le » référentiel absolu pour tous les phénomènes électromagnétiques. Si tel était le cas, la vitesse de la lumière dans le référentiel absolu de l’éther devait s’accorder à la valeur correspondant à la théorie de Maxwell. Elle s’en écarterait dans tous les autres référentiels, en mouvement par rapport à l’éther, afin de satisfaire la loi de composition des vitesses. Mais la Nature se joua de nos rusés physiciens... Les expériences sur le vent d’éther montrèrent que la vitesse de la lumière était une constante universelle dans tous les référentiels : la théorie de Maxwell satisfait le principe de relativité. Il fallait donc revoir les notions de temps et d’espace. C’est ce que proposa Einstein en 1905 avec sa théorie de la relativité restreinte.

J’ai les dates qui se dilatent...Suivons donc Einstein et acceptons que la vitesse de la lumière soit une constante universelle, identique dans tous les référentiels inertiels. Première conséquence immédiate : la notion de durée, c’est-à-dire l’intervalle de temps entre deux événements, ne peut plus être un concept absolu, comme on l’a longtemps cru. En contradiction avec notre intuition quotidienne, elle est en fait une notion relative, qui dépend du référentiel dans lequel on se place.

Pleins de curiosité scientifique, nos deux amis décident de vérifier cette assertion. Pince-moi monte dans un train et place un miroir au plafond du wagon. A l’aide d’une source lumineuse placée sur le plancher, il envoie un rayon lumineux vers le miroir, lequel réfléchit le rayon et le renvoie à son point de départ (voir figure ci-contre). Pince-moi mesure l’intervalle de temps τ entre ces deux évènements, qui est simplement égal à la distance parcourue 2H (où H est la hauteur du wagon) divisée par la vitesse de propagation du signal lumineux, c’est-à-dire la vitesse de la lumière notée c (pour « célérité ») : τ = 2H/c.

Albert Michelson (1852-1931).

Edward Morley (1838-1923).

L’expérience du miroir, vue par Pince-moi dans le train.

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Que fait Pince-mi, resté sur le quai, pendant ce temps ? Eh bien, il mesure le même intervalle de temps, mais depuis le quai, c’est-à-dire dans un référentiel où le train est en mouvement à la vitesse constante V. Du point de vue de Pince-mi, la distance parcourue par le rayon lumineux est plus grande, puisque le point de départ, le point de réflexion et le point d’arrivée se déplacent (voir figure ci-contre). D’après la relativité galiléenne, la vitesse du rayon lumineux dans le référentiel de Pince-mi devrait être, elle aussi, plus grande – égale à la somme des vitesses du rayon lumineux emit par Pince-moi et du train, de sorte que les temps de parcours mesurés par Pince-mi et Pince-moi soient bien les mêmes.

Mais en réalité, la vitesse de la lumière n’est pas plus grande pour Pince-mi : elle est la même que pour Pince-moi. Et puisque la distance parcourue est plus grande dans le référentiel de Pince-mi, le temps de parcours mesuré par ce dernier doit être plus long !!! La notion de durée devient donc relative... ce qui modifie profondément notre conception du temps.

Pince-mi et Pince-moi viennent de nous montrer que les durées mesurées dans le référentiel où le système étudié est en mouvement sont toujours plus longues que celles dans un référentiel où le système est au repos. Ce phénomène est connu sous le nom de «dilatation des temps». Il vient de ce que la vitesse de la lumière est la même dans tout référentiel inertiel, c’est-à-dire du fait que les lois de l’électromagnétisme – et donc de la propagation des ondes lumineuses – suivent le principe de relativité.

La relativité restreinte

L’expérience du miroir, vue par Pince-mi sur le quai.

La dilatation des tempsL’expérience de Pince-mi et Pince-moi permet de quantifier le facteur de dilatation des temps en fonction de la vitesse relative des deux référentiels, moyennant l’hypothèse que l’espace est euclidien et donc que le théorème de Pythagore est valable (ceci n’est plus vrai en relativité générale). Voyons comment cela fonctionne grâce à la figure ci-dessus. Le rayon lumineux est émis en A, réfléchi en B, puis revient à son point de départ qui, du fait du déplacement du système à la vitesse V, s’est déplacé jusqu’au point C pendant le temps t de parcours du rayon (d’où la distance AC=Vt). Le rayon lumineux va de A en B en un temps t/2, puis de B en C dans le même temps. Comme la lumière se propage à la vitesse c dans tous les référentiels inertiels, on en déduit la distance AB=ct/2=BC. Le triangle ABC est donc un triangle isocèle, et le théorème de Pythagore nous dit que H2+(AC/2)2 = AB2, ou H est la hauteur du wagon. En remplaçant AB et AC par leurs valeurs en fonction de t, on obtient le temps de parcours dans le référentiel de Pince-mi : 2H/c √(1-V2/c2) En se rappelant que le temps de parcours mesuré par Pince-moi était τ = 2H/c, on obtient la relation : t = γτ avec le facteur de dilatation du temps γ=1/√(1-V2/c2). Puisque la vitesse de déplacement V du train est toujours inférieure à la vitesse de la lumière (est-ce vraiment si évident ? voir « La question qui tue »), le facteur γ (gamma) est supérieur à 1 : le temps écoulé entre les deux évènements « émission du rayon lumineux » et « réception du rayon réfléchi » mesuré par Pince-mi (référentiel où le miroir est en mouvement) est plus long que le temps écoulé entre les deux mêmes événements mesuré par Pince-moi (référentiel ou le système est au repos), ce qui est conforme à nos attentes.En pratique, les effets relativistes tels que la dilatation des temps ne se manifestent que pour des vitesses extrêmement élevées, comparables à la vitesse de la lumière : c ~ 300 000 km/s. Les vitesses typiques de notre expérience quotidienne ne sont qu’une fraction minuscule de cette vitesse limite et les effets relativistes ne sont pas manifestes. Par exemple si Pince-moi monte dans un TGV qui circule à une vitesse V = 300 km/h – soit environ trois dix millionièmes de la vitesse de la lumière – le facteur de dilatation des temps ne diffère de 1 qu’à partir de la quatorzième décimale. On comprend pourquoi ces effets avaient échappé à l’observation pendant longtemps. Ainsi, pour obtenir une dilatation des temps de l’ordre de 10%, c’est-à-dire un facteur γ=1,1, on doit atteindre 40% de la vitesse de la lumière, soit environ 125 000 km/s.

t = .

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Trois noms pour une théorie

Les noms de trois physiciens remarquables sont liés à la théorie de la relativité restreinte : Lorentz, Poincaré et Einstein. Leurs apports respectifs ont souvent été sujets à controverse... en particulier au cours de l’année 2005, qui célébrait le centenaire des travaux d’Einstein sur différents sujets, dont la relativité restreinte.

Le théoricien néerlandais Hendrik Lorentz reformula en 1892 la théorie de Maxwell sur l’électricité et le magnétisme en exprimant tous ces phénomènes comme l’interaction entre des charges électriques et l’éther. La théorie de Lorentz incluait les résultats de Maxwell, mais elle rendait également compte de phénomènes ignorés par son prédécesseur (phénomène astronomique d’aberration, dispersion de la lumière dans un milieu transparent...). Pour expliquer les résultats de Michelson et Morley, Lorentz modifia sa théorie en introduisant des changements de coordonnées, qui permettaient de restaurer au moins en première approximation le principe de relativité, mais que le Néerlandais considérait comme de purs artifices mathématiques dénués de signification physique. Pour Lorentz, l’éther existait bel et bien, et le principe de relativité devait être mis en défaut un jour ou l’autre, une fois une précision suffisante atteinte dans les expériences du type de celles effectuées par Michelson et Morley.

Le mathématicien français Henri Poincaré jugeait la théorie de Lorentz la meilleure disponible, tout en restant critique à son égard, en particulier au sujet des « coups de pouce » mathématiques nécessaires pour suivre approximativement le principe de relativité. Tout en modifiant les équations de Maxwell-Lorentz pour leur permettre de satisfaire exactement ce principe, le français avança que les changements de coordonnées mathématiques introduits par Lorentz permettaient d’accéder au temps mesuré physiquement par des observateurs en mouvement par rapport à l’éther. Pour Poincaré, le principe de relativité devait être satisfait exactement par les phénomènes électromagnétiques mais, attaché aux concepts de la mécanique classique, il persista (jusqu’à sa mort !) à soutenir que l’éther était bien le référentiel absolu permettant de mesurer le temps « vrai », tandis que les temps mesurés dans d’autres référentiels n’étaient qu’« apparents ».

Albert Einstein reprit l’appareil mathématique développé par Lorentz et Poincaré, mais il procéda à un dernier saut conceptuel, audacieux et essentiel. Il suivit Poincaré en plaçant le principe de relativité au centre de sa réflexion, mais il abandonna le concept d’éther et de référentiel absolu. Il postula que les différents référentiels inertiels sont parfaitement équivalents, y compris pour la propagation des ondes lumineuses dont la vitesse est constante. A partir de ces axiomes, il retrouva les transformations de coordonnées introduites par Lorentz, montra comment concilier principe de relativité et électromagnétisme, et enfin étudia la dynamique d’une particule à des vitesses proches de celle de la lumière.

Voilà pourquoi on parle des transformations de Lorentz, qui permettent de passer d’un référentiel à un autre, mais aussi du groupe de Poincaré pour décrire la structure mathématique de ces mêmes transformations, et enfin de la théorie de la relativité restreinte d’Einstein !

Le facteur de dilatation des temps γ varie avec la vitesse de Pince-mi par rapport à Pince-moi. Lorsque les deux référentiels sont immobiles l’un par rapport à l’autre, γ=1 et les deux frères mesurent le même temps à leurs montres respectives. Le facteur de dilatation augmente avec la vitesse : on est d’abord dans un régime « classique » où γ reste très proche de 1, puis on entre dans un régime « relativiste » pour des vitesses non négligeables devant celle de la lumière. Le facteur de dilatation des temps devient infiniment grand quand on tend vers la vitesse de la lumière V=c.

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... l’panorama raplaplaLe principe de relativité, une fois étendu aux phénomènes électromagnétiques, nous impose donc de réviser profondément notre conception de temps. Mais qu’en est-il de la distance entre deux objets, un concept lui aussi absolu – c’est-à-dire qui ne dépend pas du référentiel dans lequel on se place – dans le cadre de la relativité galiléenne ? En se triturant les méninges, on se rend compte que la notion de distance ne peut rester un concept absolu en relativité einsteinienne (prononcer « aynechtayniaine » – essayez d’abord avec un crayon dans la bouche, puis avec une patate chaude, ensuite ça devient facile... vous verrez !). Pour illustrer cela, Pince-mi et Pince-moi, toujours aussi sportifs, entament une partie de ping-pong. Après quelques minutes, le premier mène 8 à 2. Pince-moi doit remonter le score. Il attend le bon moment et décoche un smash puissant en envoyant la balle à grande vitesse selon une trajectoire rectiligne. Malheureusement elle sort ! Et le point est pour Pince-mi qui creuse encore l’écart... Mais laissons cette partie effrénée pour un instant, et attardons-nous sur le smash de Pince-moi... sous un angle relativiste ! Dans le référentiel où se déroule la partie (celui de la table de ping-pong), la balle est en mouvement rectiligne uniforme à vitesse v et elle parcourt toute la longueur L de la table en un temps t = L/v.

Comment la balle elle-même voit-elle les choses ? Pour le savoir, imaginons que nous puissions nous jucher sur celle-ci : nous sommes alors dans le référentiel où elle est au repos. C’est maintenant la table et les joueurs qui se déplacent autour de nous. Pince-moi – l’initiateur du smash – s’éloigne à la vitesse v, tandis que Pince-mi s’approche à la même vitesse. Dans ce référentiel, le temps τ mis par la balle pour parcourir toute la table devrait être τ = L/v. On aurait alors τ = t, où t est le temps vu du référentiel de la table, comme c’est le cas en relativité galiléenne. Mais nous venons de voir que le temps vu du référentiel où la balle est au repos est en fait relié à t par la relation de dilatation des temps : t = γτ, ce qui contredit le résultat précédent !

Conclusion ? Aussi étrange que cela puisse paraître, il faut admettre que la longueur (L’) de la table dans le référentiel où la balle est au repos – et où la table est en mouvement – n’est pas identique à sa longueur (L) dans le référentiel associé à la table, mais vaut en fait : L’ = L/γDans ce cas, le temps de parcours dans le référentiel de la balle est : τ = L’/v = (L/v)/γ et on a bien t = γτ. Puisque le facteur γ est toujours supérieur à 1, on voit que la longueur de la table mesurée dans le référentiel où elle est en mouvement est plus courte que celle dans le référentiel où elle est au repos ! C’est le phénomène de «contraction des longueurs», qui est l’exacte contrepartie de la dilatation des temps.

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La jeunesse presque éternelle des muons cosmiques

En physique des particules, les grandeurs sont toujours décrites dans le référentiel au repos des particules massives. Par exemple, les muons ont une durée de vie courte (2,2 microsecondes), mais cette durée de vie est mesurée « du point de vue » du muon (dans son référentiel de repos). Les muons produits par les rayons cosmiques dans l’atmosphère sont très rapides : dans le référentiel terrestre, ils ont donc une durée de vie nettement supérieure à ces quelques microsecondes. La dilatation des durées explique pourquoi des muons cosmiques peuvent traverser toute l’atmosphère et être observés à la surface de la Terre en dépit d’une durée de vie (au repos) très brève.

De même, en faisant circuler des muons à grande vitesse dans des anneaux de stockage (ci-dessus, au CERN), les chercheurs peuvent les conserver sur des périodes plusieurs dizaines de fois plus longues que leur durée de vie !

La relativité restreinte Un outil essentiel en physique subatomiqueEn physique subatomique, on s’intéresse souvent à des phénomènes très énergétiques, pour lesquels la vitesse des particules est une fraction non négligeable de celle de la lumière. Il est alors indispensable de recourir à la relativité restreinte, comme l’illustre l’exemple de la durée de vie des muons cosmiques.

En combinant deux hypothèses simples, le principe de relativité et le caractère universel de la vitesse de la lumière, Einstein a bouleversé notre compréhension du monde physique, battant en brèche les notions de temps et d’espace absolus héritées de Galilée et de Newton. Nous avons vu que dilatation des temps et contraction des longueurs étaient liées. Il faut en fait considérer le temps et l’espace comme deux aspects différents d’une unique entité : l’espace-temps.

Vous aurez un autre aperçu de certaines conséquences parfois déroutantes de la relativité restreinte dans notre « Question qui tue » : peut-on dépasser la vitesse de la lumière ?

Pourquoi parle-t-on de relativité restreinte ?

La théorie d’Einstein, parue en 1905, applique le principe de relativité au cas particulier, « restreint », de référentiels inertiels, (comme ceux de Pince-mi et Pince-moi dans cet article) en ignorant les effets de la gravitation. En effet, un objet soumis à la force de gravitation accélère et le référentiel associé n’est donc pas inertiel. Dix ans plus tard, Einstein généralisera le principe de relativité au cas d’un référentiel quelconque, ce qui lui permettra de décrire l’interaction gravi-tationnelle comme une modification de la géométrie de l’espace-temps. Cette deuxième théorie sera appelée théorie de la relativité... générale !