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Thème 5 : Les Français et la République Chapitre 9 : La République, trois républiques 1 Introduction : Depuis la Révolution française, nombreux sont les hommes politiques français à la recherche d'un système politique stable, pérenne, capable d'être accepté par la plus grande majorité des Français. Cette recherche explique la multitude de régimes que connaît le pays à partir de 1789 : monarchies, empires, républiques, tous plus ou moins libéraux et/ou autoritaires, se succèdent jusqu'à la chute du Second Empire, le 4 septembre 1870. Est alors fait le choix d'un nouveau régime, républicain, qui apparaît pourtant très contesté, non seulement à cause de l'opposition nette d'une partie de la classe politique monarchiste ou bonapartiste, mais aussi à cause de la division entre les républicains eux-mêmes. Les premières années de la III e République sont donc des années de questionnement et de combat pour les républicains, qui doivent définir ce qu'est pour eux la République afin d'assurer le fonctionnement de ses institutions et d'éviter qu'elle ne disparaisse. Progressivement, une idée clé se met en place : en France, seule la République 1 peut incarner la démocratie 2 . La victoire de la République est donc aussi celle de la démocratie, ce qui explique que, depuis 1870, ce système politique n'a véritablement été remis en cause qu'une seule fois, entre 1940 et 1944. Cependant, la République n'est pas figée : trois systèmes successifs (III e , IV e et V e Républiques) ont été appliqués en France en un siècle et demi, ce qui montre bien l'importance des débats politiques, encore présents aujourd'hui, autour des valeurs de la République et de la démocratie. Problématique : Quel est le caractère complexe de la République en France et comment ce modèle s’est-il enraciné depuis les années 1870, sans pourtant être exempt de crises et de remises en cause ? I. L’enracinement de la culture républicaine dans les décennies 1880-1890 : Comment l’enracinement de la culture républicaine contribue-t-il à rendre incontournable la République en France dans les années 1880-1890 ? A. Une République minoritaire dans les années 1870 : Documents à utiliser : discours de Léon Gambetta du 9 octobre 1877, document 2 p. 303. Document 1 : L’éloge du suffrage universel et du système républicain : Aujourd'hui, citoyens, si le suffrage universel se déjugeait, c'en serait fait, croyez-le bien, de l'ordre en France, car l'ordre vrai – cet ordre profond et durable que j'ai appelé l'ordre républicain – ne peut en effet exister, être protégé, défendu, assuré, qu'au nom de la majorité qui s'exprime par le suffrage universel. (Très bien ! très bien ! - Bravo ! bravo !) Et si l'on pouvait désorganiser ce mécanisme supérieur de l'ordre, le suffrage universel, qu'arriverait-il ? Il arriverait, Messieurs, que les minorités pèseraient autant que les majorités ; il arriverait que tel qui se prétendait investi d'une mission en dehors de la nation, d'une mission que l'on qualifierait de providentielle, en dehors et au-dessus de la raison publique, que celui-là irait jusqu'au bout, puisqu'on lui aurait donné la permission de tout faire jusqu'au bout... 1 Forme d'organisation politique dans laquelle les détenteurs du pouvoir l'exercent en vertu d'un mandat conféré par le corps social – en ce sens « république » s'oppose à « monarchie », mais ne se confond pas avec « démocratie », dans l'hypothèse, par exemple, d'une restriction du suffrage –, 2 Fondé sur la valorisation de l'individu et sur l'égalité juridique, l'idéal démocratique moderne émerge à l'aube du XVIII e s. d'une nouvelle conception de l'homme dans laquelle celui-ci, libre et doué de volonté autonome, n'est plus soumis à la divine Providence. La liberté est définie comme une faculté inhérente à la personne humaine et se réalise pleinement à travers la reconnaissance de droits naturels, inaliénables et sacrés.

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Page 1: Thème 5 : Les Français et la République · la veille de ce scrutin solennel du 14 octobre 1877, de rentrer en eux-mêmes, et je leur demande si le spectacle de ces cinq mois d'angoisses

Thème 5 : Les Français et la République Chapitre 9 : La République, trois républiques

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Introduction : Depuis la Révolution française, nombreux sont les hommes politiques français à la recherche d'un système politique stable, pérenne, capable d'être accepté par la plus grande majorité des Français. Cette recherche explique la multitude de régimes que connaît le pays à partir de 1789 : monarchies, empires, républiques, tous plus ou moins libéraux et/ou autoritaires, se succèdent jusqu'à la chute du Second Empire, le 4 septembre 1870. Est alors fait le choix d'un nouveau régime, républicain, qui apparaît pourtant très contesté, non seulement à cause de l'opposition nette d'une partie de la classe politique monarchiste ou bonapartiste, mais aussi à cause de la division entre les républicains eux-mêmes. Les premières années de la IIIe République sont donc des années de questionnement et de combat pour les républicains, qui doivent définir ce qu'est pour eux la République afin d'assurer le fonctionnement de ses institutions et d'éviter qu'elle ne disparaisse. Progressivement, une idée clé se met en place : en France, seule la République1 peut incarner la démocratie2. La victoire de la République est donc aussi celle de la démocratie, ce qui explique que, depuis 1870, ce système politique n'a véritablement été remis en cause qu'une seule fois, entre 1940 et 1944. Cependant, la République n'est pas figée : trois systèmes successifs (IIIe, IVe et Ve Républiques) ont été appliqués en France en un siècle et demi, ce qui montre bien l'importance des débats politiques, encore présents aujourd'hui, autour des valeurs de la République et de la démocratie. Problématique : Quel est le caractère complexe de la République en France et comment ce modèle s’est-il enraciné depuis les années 1870, sans pourtant être exempt de crises et de remises en cause ? I. L’enracinement de la culture républicaine dans les décennies 1880-1890 : Comment l’enracinement de la culture républicaine contribue-t-il à rendre incontournable la République en France dans les années 1880-1890 ?

A. Une République minoritaire dans les années 1870 : Documents à utiliser : discours de Léon Gambetta du 9 octobre 1877, document 2 p. 303. Document 1 : L’éloge du suffrage universel et du système républicain : Aujourd'hui, citoyens, si le suffrage universel se déjugeait, c'en serait fait, croyez-le bien, de l'ordre en France, car l'ordre vrai – cet ordre profond et durable que j'ai appelé l'ordre républicain – ne peut en effet exister, être protégé, défendu, assuré, qu'au nom de la majorité qui s'exprime par le suffrage universel. (Très bien ! très bien ! - Bravo ! bravo !) Et si l'on pouvait désorganiser ce mécanisme supérieur de l'ordre, le suffrage universel, qu'arriverait-il ? Il arriverait, Messieurs, que les minorités pèseraient autant que les majorités ; il arriverait que tel qui se prétendait investi d'une mission en dehors de la nation, d'une mission que l'on qualifierait de providentielle, en dehors et au-dessus de la raison publique, que celui-là irait jusqu'au bout, puisqu'on lui aurait donné la permission de tout faire jusqu'au bout...

1 Forme d'organisation politique dans laquelle les détenteurs du pouvoir l'exercent en vertu d'un mandat conféré par le corps social – en ce sens « république » s'oppose à « monarchie », mais ne se confond pas avec « démocratie », dans l'hypothèse, par exemple, d'une restriction du suffrage –, 2 Fondé sur la valorisation de l'individu et sur l'égalité juridique, l'idéal démocratique moderne émerge à l'aube du XVIII e s. d'une nouvelle conception de l'homme dans laquelle celui-ci, libre et doué de volonté autonome, n'est plus soumis à la divine Providence. La liberté est définie comme une faculté inhérente à la personne humaine et se réalise pleinement à travers la reconnaissance de droits naturels, inaliénables et sacrés.

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Mais, Messieurs, il n'est pas nécessaire, heureusement, de défendre le suffrage universel devant le parti républicain qui en a fait son principe, devant cette grande démocratie dont tous les jours l'Europe admire et constate la sagesse et la prévoyance, à laquelle, tous les jours, de tous les points de l'univers, arrivent les sympathies éclatantes de tout ce qu'il y a de plus éminent dans les pays civilisés du monde. Aussi bien, je ne présente pas la défense du suffrage universel pour les républicains, pour les démocrates purs ; je parle pour ceux qui, parmi les conservateurs, ont quelque souci de la modération pratiquée avec persévérance dans la vie publique. Je leur dis, à ceux-là : Comment ne voyez-vous pas qu'avec le suffrage universel, si on le laisse librement fonctionner, si on respecte, quand il s'est prononcé, son indépendance et l'autorité de ses décisions, – comment ne voyez-vous pas, dis-je, que vous avez là un moyen de terminer pacifiquement tous les conflits, de dénouer toutes les crises, et que, si le suffrage universel fonctionne dans la plénitude de sa souveraineté, il n'y a plus de révolution possible, parce qu'il n'y a plus de révolution à tenter, plus de coup d'État à redouter quand la France a parlé ? (Très bien ! très bien ! Applaudissements.) C'est là, Messieurs, ce que les conservateurs, c'est là ce que les hommes qui, les uns de bonne foi, les autres par entraînement et par passion, préfèrent le principe d'autorité au principe de liberté, devraient se dire et se répéter tous les jours. C'est que, pour notre société, arrachée pour toujours – entendez-le bien – au sol de l'ancien régime, pour notre société passionnément égalitaire et démocratique, pour notre société qu'on ne fera pas renoncer aux conquêtes de 1789, sanctionnées par la Révolution française, il n'y a pas véritablement, il ne peut plus y avoir de stabilité, d'ordre, de prospérité, de légalité, de pouvoir fort et respecté, de lois majestueusement établies, en dehors de ce suffrage universel dont quelques esprits timides ont l'horreur et la terreur, et, sans pouvoir y réussir, cherchent à restreindre l'efficacité souveraine et la force toute puissante. Ceux qui raisonnent et qui agissent ainsi sont des conservateurs aveugles ; mais je les adjure de réfléchir ; je les adjure, à la veille de ce scrutin solennel du 14 octobre 1877, de rentrer en eux-mêmes, et je leur demande si le spectacle de ces cinq mois d'angoisses si noblement supportées, au milieu de l'interruption des affaires, de la crise économique qui sévit sur le pays par suite de l'incertitude et du trouble jetés dans les négociations par l'acte subit du seize mai, je leur demande si le spectacle de ce peuple, calme, tranquille, qui n'attend avec cette patience admirable que parce qu'il sait qu'il y a une échéance fixe pour l'exercice de sa souveraineté, n'est pas la preuve la plus éclatante, la démonstration la plus irréfragable que les crises, même les plus violentes, peuvent se dénouer honorablement, pacifiquement, tranquillement, à la condition de maintenir la souveraineté et l'autorité du suffrage universel. (Profond mouvement.) Je vous le demande, Messieurs : est-ce que les cinq mois que nous venons de passer auraient pu maintenir l'union, l'ordre, la concorde, l'espérance et la sagesse, laisser à chacun la force d'âme nécessaire pour ne pas céder à la colère, à l'indignation, aux mouvements impétueux de son cœur, si chacun n'avait pas eu la certitude que le 14 octobre il y aurait un juge, et que, lorsque ce juge se serait exprimé, il n'y aurait plus de résistance possible ?... (Vive approbation et bravos prolongés.) C'est grâce au fonctionnement du suffrage universel, qui permet aux plus humbles, aux plus modestes dans la famille française, de se pénétrer des questions, de s'en enquérir, de les discuter, de devenir véritablement une partie prenante, une partie solidaire dans la société moderne ; c'est parce que ce suffrage fournit l'occasion, une excitation à s'occuper de politique, que tous les conservateurs de la République devraient y tenir comme à un instrument de liberté, de progrès, d'apaisement, de concorde. C'est le suffrage universel qui réunit et qui groupe les forces du peuple tout entier, sans distinction de classes ni de nuances dans les opinions.

Léon Gambetta, discours devant l’assemblée nationale, 9 octobre 1877.

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Questions : 1. A l’aide de votre livre, présentez le document. Ce discours a été prononcé le 9 octobre 1877 à la chambre des députés par Léon Gambetta, un des principaux leaders des républicains durant les années 1870 : défenseur de la France et de Paris contre les Prussiens en 1871, il veut soutenir la poursuite de la guerre mais se résout finalement à l’armistice. Principal défenseur d’un système républicain, il fait partie de ceux qui poussent à la mise en place d’une réelle république, fondée sur le suffrage universel en 1877 par opposition au camp des monarchistes et au maréchal de Mac Mahon, alors dirigeant de l’Etat français. C’est cette position qu’il reprend dans son discours faisant l’éloge du système représentatif républicain, de l’usage du suffrage universel et refusant en bloc la monarchie et tout système fondé sur une base autoritaire. 2. En vous appuyant sur le texte, donnez la vision de la République telle que Gambetta la

met en avant. La République est d’abord définie en miroir : ce ne peut être un régime héréditaire, personnel et monarchique. Gambetta garantit la République en s’appuyant sur le suffrage universel car, selon lui, seule la souveraineté nationale, pleinement respectée peut permettre au nouveau régime de se stabiliser et éviter les écueils connus par les régimes précédents : dérives autoritaires et héréditaires des monarchies, plébiscites sous le second Empire sans que le suffrage universel soit réellement respecté. La République doit donc être fondée sur le respect des droits et des libertés, conquises de 1789, héritage dont se réclament les Républicains et la majorité des Française selon Gambetta – ce qui n’est pas aussi sûr pour la population. Il veut donc fonder le régime sur un système parlementaire, fondé sur la représentation nationale et s’oppose à l’idée d’un exécutif fort risquant d’amener à nouveau les spectres de la monarchie, de l’Empire, voire d’une nouvelle révolution. 3. A quelle autre vision du nouveau régime s’oppose-t-il dans son discours ? Qui sont les

soutiens d’un tel régime ? Gambetta s’oppose fermement aux conservateurs, monarchistes et bonapartistes qui sont encore membre de l’assemblée à ce moment-là. Ces derniers sont les partisans d’un exécutif fort, qui plongerait ses racines dans la tradition de l’Etat monarchique, soit un pouvoir héréditaire, fort qui ne s’appuierait pas sur le vote de la Nation entière et nierait une partie de la représentativité et de la souveraineté nationale. 4. Au prix de ces oppositions, quel est le modèle qui sort vainqueur de cette lutte entre

conservateurs et républicains ? (Utilisez le document 2 p. 303) Les élections de 1877 sont décisives pour la survie du régime républicain. Alors que les républicains restent majoritaires, malgré une perte de 40 sièges (323 sièges au lieu de 363 précédemment), les ultra-conservateurs ont progressé de 77 sièges (200 contre 123 sièges précédemment) sans pour autant obtenir la majorité. Mac Mahon refuse la sanction du suffrage universel et nomme un gouvernement de combat avec à sa tête, le général Rochebouët. Les députés refusent par 325 voies contre 218 d’entrer en communication avec le ministère pour la défense « des droits de la nation et des droits parlementaires ». Mac Mahon accepte de se soumettre et finit par démissionner le 30 janvier 1879 ce qui marque la défaite du camp monarchiste et conservateur. Peut alors se mettre en place la IIIème République, régime de type parlementaire, fondé sur le suffrage universel masculin. Cependant, la mise en place du régime ne veut pas dire son enracinement immédiat dans la société. Tout un processus doit alors se mettre en place pour diffuser et faire accepter les valeurs de la République.

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B. Enraciner et diffuser les valeurs républicaines :

1) La République s’enracine dans le paysage par ses symboles

Document à utiliser : la célébration du 14 juillet 1883, estampe anonyme conservée au Musée Carnavalet à Paris. Document 1 : La Célébration de la République le 14 juillet.

Questions : 1. Qui est le principal défenseur de la République et de la démocratie selon cette estampe ?

Quelle image de ce peuple est donnée dans l’estampe ? Le principal défenseur de la nation est ici le peuple représenté par le lion sur la statue mais aussi présent dans l’ensemble de la cérémonie : hommes – y compris ceux venus des colonies – comme les soldats, les instituteurs, les bourgeois issus de tous horizons, les femmes et les enfants qui défilent dans les bataillons scolaires, tandis que les petites filles ont pris l’apparence de Marianne (en bas à gauche de l’image). Le peuple est donc agissant et souverain, à même de protéger les droits, les libertés, la démocratie, la patrie et la République. Cela est aussi souligné par le lion, qui pose sa patte sur une stèle représentant les droits de l’homme. 2. Quels sont les lieux symboliques de la République sur cette estampe ? Deux lieux sont particulièrement symboliques de la République dans cette estampe : la mairie et l’école.

République Française

Drapeau tricolore

Mairie

Bataillons républicains

Bonnet phrygien, symbole de liberté, héritage de la Révolution

Le peuple triomphant défenseur des droits.

L’école républicaine

Allégorie de la justice et de l’égalité devant la loi

Allégorie de la fraternité

Marianne, allégorie de la liberté

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La première est à la fois siège d’institution, lieu de pouvoir et lieu symbolique. La mairie est républicaine par définition, puisque la France elle-même l’est depuis le 4 septembre 1870, et que les mairies sont les sièges les plus nombreux du fonctionnement des institutions. Elles forment les lieux le plus proches des citoyens et les plus universellement présents. La mairie, depuis 5 avril 1884, doit être associée à un hôtel de ville, qu’elle en soit propriétaire ou locataire et qu’il ne doit être en aucun cas le logement du maire, du secrétaire de mairie ou de l’instituteur. Ce devait être un local indépendant loué par acte spécial. La commune devait meubler son local de mobilier et du matériel nécessaire à l’exercice de ses fonctions administratives et à le maintenir en bon état. Désormais, partout la Mairie, entre dans le paysage, dans la vision banale de l’espace rural ou urbain, et au-delà, dans les traditions républicaines. La deuxième est le lieu dans lequel les valeurs républicaines sont diffusées, notamment depuis les lois scolaires de 1881 et 1882. , qui donnent à tous l’accès à l’instruction primaire. Les valeurs républicaines sont alors inculquées aux enfants durant les heures de classe. L’école devient donc le deuxième lieu symbolique, que toute commune doit posséder et par l’intermédiaire de laquelle s’enracine la culture républicaine (voir 2) 3. Quelle est la place de l’armée dans cette représentation de la République ? L’armée est célébrée comme une institution essentielle de la République. Dans cette optique, l’armée est une institution choyée, la majorité des gradés, même compromis par l’Empire ou la répression de la Commune, étant maintenus. En 1889, une loi réduit le service militaire à 3 ans au lieu de 5. L’école apparaît comme une institution complémentaire de l’armée : on éduque au patriotisme, on crée des bataillons scolaires avec entrainement avec des fusils de bois (même si l’expérience échoue et ne dure pas longtemps). Des transformations progressives ont lieu amenant les officiers de l’Etat Major à être indépendants du corps politique et à se renouveler progressivement. D’ailleurs, le 14 juillet, outre les bals populaires et autres manifestations, se marque par la prise d’armes où la garnison se déploie dans des éclatants uniformes et le retentissement des fanfares. Vincent Duclert décrit le premier 14 juillet comme l’expression d’une volonté républicaine de créer un lien indéfectible avec l’armée mais qui les entraîna à refuser toute démocratisation du monde militaire. La cérémonie d’Etat eut lieu le 14 juillet 1880 à Longchamp où 400 colonels commandant les régiments récurent des drapeaux de la part du président de la République, Jules Grévy élu chef d’Etat en janvier 1879 pour 7 ans démontrant comme le dit Jean-Marie Mayeur que « la patrie et la nation sont bien au coeur de la culture politique républicaine ». Les images naïves célèbrent la République triomphante présidant à la grande fête, en insistant sur le ralliement de l’armée au nouveau régime mais aussi mettent en avant les sens de liberté et de fraternité. 4. Que symbolisent le drapeau tricolore et l’allégorie de la liberté, appelée depuis les années

1880 Marianne ? La couleur du drapeau, bleu, blanc et rouge est héritier de la révolution. La Légende a voulu que ces trois couleurs aient été réunies le 17 juillet 1789 lorsque le roi arrivant à l’hôtel de ville de Paris et accueilli par Bailly ait accepté de joindre à la cocarde blanche fixée à son chapeau, les couleurs de la ville de Paris – le bleu et le rouge. Il semble que ces trois couleurs aient déjà été associées quelques jours plus tôt par Lafayette qui voulait trouver un signe de ralliement pour la garde nationale nouvellement créée : ainsi unit-il le blanc de l’uniforme des gardes françaises, ralliées au mouvement insurrectionnel, au bleu et rouge de la milice parisienne. Cette cocarde tricolore apparaissait donc comme un témoignage d’unité retrouvée un symbole d’alliance et de concorde. Cependant, l’utilisation du drapeau bleu, blanc et rouge avec les bandes dans le sens vertical est longue et semée d’embûches. Le drapeau devient un

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symbole de plus en plus fréquent dans la geste militaire, lorsque des territoires sont conquis sur l’ennemi : l’Algérie, la Crimée, la guerre prussienne de 1870. Autour du même drapeau, dans la célébration d’un même culte, se trouvent réunis la Monarchie de Juillet, les deux Empires, les trois Républiques (Ière, IIème et IIIème Républiques). L’emblème au trois couleurs tend à apparaître comme l’emblème de la seule patrie. Cela se complète donc bien le poids de l’armée et de la Patrie dans le nouvel idéal républicain. Marianne, elle, est le symbole de la liberté, utilisée par les Républicains depuis la Révolution. De posées et fortes dans les moments où la République dominent, elle se fait révoltée et insurgée dans les moments où les Républicains sont rejetés dans l’ombre. Dans le cadre de la cérémonie, elle est au cœur de la place centrale. Elle est le symbole de la liberté associée à la celle de la fraternité et de la justice. 5. Pourquoi célébrer la fête du 14 juillet et quel est le chant qui peut-être joué et chanté par

les membres des bataillons scolaires ? La première cérémonie est celle de 1879 qui est davantage un rappel de la fête de la Fédération de 1790. Il s’agit certes de faire le lien entre la République et la Révolution, mais dans la phase démocratique (paradoxalement, celle-ci est liée à la monarchie constitutionnelle et non à la première République identifiée aux dérives autoritaires). La fête est donc vue comme une fête civique, populaire et laïque. La loi qui instaure le 14 juillet comme fête nationale fut votée par la Chambre des députés le 8 juin et le Sénat le 21 juin 1880 avant d’être promulguée le 6 juillet 1880 (cela met fin à la fête nationale fixée le 15 août par Napoléon Ier

et réinstaurée par Napoléon III après sa prise de pouvoir). On peut remarquer que la Marseillaise devient hymne national dès 1879 ce qui provoqua débats et polémiques jusqu’en 1914. Dans les années 1880, les républicains s'emploient alors à diffuser leurs valeurs à l'ensemble de la société française : pour eux, la République doit permettre d'implanter la démocratie sur tout le territoire français. Une véritable culture républicaine se met donc en place dans les années 1880 : elle combine des lieux (mairie, école), des symboles (Marianne, le drapeau tricolore), des gestes (chanter la Marseillaise), des fêtes (la célébration du 14 juillet) visant à enraciner les valeurs et le système républicain en France. Celui-ci s'impose donc rapidement, entraînant un déclin réel des mouvements monarchistes au début des années 1890.

2) La République s’enracine dans les lois : a. L’œuvre scolaire au cœur de l’enracinement républicain.

C’est dans le domaine scolaire que la politique de liberté et de laïcité se combine. L’école est le drapeau de la république : celui de la laïcité car il laisse la possibilité pour tout citoyen de recevoir une formation indépendante de tout dogme religieux (surtout catholique) et celui de la liberté en affranchissant les esprits de la prégnance de l’Eglise, en créant des esprits critiques capables de s’opposer aux notables et en favorisant toutes les possibilités de l’esprit humain. Les pédagogues ne peuvent, en raison de la sacralisation de la valeur sacrée du savoir et de l’esprit critique, devenir des prêtres de la religion positive et sont donc très libres (même si les pratiques pédagogiques peuvent le contredire). Par ailleurs, il s’agit d’affirmer une unité de la Nation au-delà des divisions sociales et régionales comme le traduit l’ouvrage «Le Tour de la France par deux enfants » de G. Bruno, en réalité Augustine Fouillée. Un dispositif complet est mis en place pour y parvenir : - la diffusion de l’instruction élémentaire : celle-ci s’inscrit dans une longue durée ….loi

Guizot de 1833…la gratuité (1881), l’obligation (ce qui est rendu possible par la mise en place d’un réseau d’écoles accessibles) et laïque (le jeudi est laissé libre pour les enfants

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chrétiens). Des réseaux de formation d’instituteurs sont crées avec les Ecoles normales ce qui permet d’améliorer le niveau d’enseignement.

- Le développement d’un réseau d’enseignement primaire supérieur qui prépare au brevet élémentaire après 12 ans et ouvre les portes des concours de recrutement. Celui-ci est mis en concurrence avec la filière des collèges et des lycées qui mènent au baccalauréat, établissements élitistes et payants réservés à la bourgeoisie.

Cet ensemble offre alors une voie d’ascension sociale, certes étroite et compétitive mais possible sur deux générations. Cette mesure scolaire s’inscrit dans un combat politique entre les républicains et la droite conservatrice. Celle-ci qui préfère les solutions de tradition et d’autorité, défend la solution monarchique avec l’appui d’un clergé largement nourri au Syllabus. C’est pourquoi Ferry veut épurer la France du « mal catholique » : épuration du Conseil d’Etat et de la magistrature, article VII de la loi scolaire de 1880 qui interdit aux congrégations d’enseigner d’où de des débats violents au Parlement après la fermeture d’une école tenue par des Jésuites (Ferry y apparaît soit trop extrémiste soit trop modéré). Cependant, Ferry veille à ne pas envenimer la situation : il se montre conciliant avec les congrégations, respecte le Concordat et maintient dans les faits « les devoirs envers Dieu » dans le contenu de l’enseignement moral du primaire.

b. L’instauration de lois sociales fondamentales Multiples, elles portent l’empreinte démocratique des politiques des républicains lors de leur arrivée au pouvoir. Dans une optique historique, les républicains pensent que le pouvoir doit être limité afin de garantir les libertés et de se prémunir de toute répression éventuelle future. Les lois fondamentales de 1879-1884 constituent le socle fondamental de la République : - loi de 1880, en mettant fin à l’autorisation administrative pour ouvrir un café ou un débit

de boisson (une simple déclaration en mairie suffit désormais), permet de créer des lieux de vie publique et d’expérience politique (on restreint en même temps l’ivresse publique),

- liberté du colportage, - loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui comprend la liberté d’imprimer, de

librairie, d’affichage, de vente sur la voie publique. Les éventuels délits relèvent de la justice et seul subsiste le droit de réponse,

- loi du 30 juin 1881 sur la liberté de réunion. Il n’existe qu’une déclaration préalable et la nécessité de créer un bureau responsable de la réunion. Cependant, pour éviter de favoriser les congrégations religieuses, la liberté d ‘association fut restreinte (par l’introduction d’une autorisation). Cette loi fut complétée en 1884 par la loi Waldeck-Rousseau qui autorise la formation de syndicats par branche professionnelle,

- loi du 04 mars 1882 qui autorise la liberté communale : les maires sont élus par les conseils municipaux (sauf à Paris).

Enfin, d’autres mesures veulent inscrire la République dans un contexte laïque même si le Concordat de 1801 est maintenu : dès 1880, on autorise le travail le dimanche. Cette mesure qui veut dégager la loi civile du commandement religieux est un avantage pour le salarié confronté à des patrons souhaitant le « travail en continu » (obligation du repos hebdomadaire en 1906). Cela démontre que pour les républicains, le combat pour la laïcité est plus important que le conflit social. Autre loi : la loi Naquet de 1884 qui légalise le divorce (introduit par la Révolution, aboli en 1816). Loin de toute considération égalitaire, l’adultère des femmes y plus sévèrement sanctionné que celui des hommes.

c. Une adhésion progressive en raison des possibilités offertes par la République Les Français s’approprient ce régime en raison des possibilités qu’il offre : - une ascension sociale par le biais de l’école

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- une garantie contre l’arbitraire politique Par ailleurs, le monde ouvrier, plus réticent envers le régime républicain, y adhère de fait. L’école est présentée comme la solution au problème social : pour les notables au pouvoir, la République et son école peuvent permettre de réintégrer le peuple dans le jeu politique et permettre l’ascension sociale. En 1876 à Paris, 1878 à Lyon et 1879 à Marseille, se tiennent les trois premiers congrès ouvriers où les mouvements marxistes se définissent opposés à la République en raison de la priorité accordée à la lutte des classes. Ce refus de se rallier au nouveau régime s’explique de plusieurs manières : - l’ambiguïté de la fondation de la République : Thiers, son fondateur, a réprimé dans le

sang la Commune dont les acteurs, amnistiés le 14 juillet 1880, profitent de la liberté pour revendiquer une révolution sociale,

- les forces économiques dominantes du patronat des houillères, des transports, etc. se sont ralliés à la République par pragmatisme d’où son qualificatif de bourgeoise (à un moment où l’Etat accorde des avantages dans le secteur des transports par des conventions aux patrons),

- les difficultés économiques des années 1880 d’où le chômage, les troubles, les manifestations, etc. en l’absence de véritable législation sociale.

Cependant, ces partis marxistes, divisés et peu organisés, ne captent pas électoralement ce mécontentement des classes populaires qui se tournent vers les républicains radicaux ou plus tard les boulangistes. Cela marque cependant une opposition entre deux tendances chez les républicains : ceux tels Gambetta et Ferry prêts aux concessions, les opportunistes et ceux qui comme Clémenceau, Rochefort ou Naquet qui veulent aller plus loin, les radicaux, ces deux tendances se divisant sur les questions institutionnelles et sociales.

C. L’Affaire Dreyfus : une crise des valeurs républicaine ? Documents à utiliser : ensemble documentaire (sauf le document 1) p. 306-307. Questions : 1. A l’aide de votre livre, reconstituer les trois étapes et les faits qui leur sont associés au

cours de l’affaire Dreyfus. Les faits sont connus et peuvent être divisés en trois parties : - la première va de la découverte à l’été 1894 de l’affaire jusqu’à l’arrestation et la

déportation de Dreyfus en 1895 ce qui ne suscite pas d’intérêt malgré les tentatives des mouvements antisémites d’exploiter l’affaire,

- la deuxième entre 1897 et 1899 caractérise la période marquée par une offensive des défenseurs de Dreyfus et des antidreyfusards appuyés par le gouvernement qui se termine par une crise politique : Dreyfus est condamné à nouveau, lors du procès de Rennes, avant d’être libéré et gracié le 9 septembre 1899,

- la troisième étape : grâce à l’action de Jaurès et la présence d’un gouvernement dit de Bloc de gauche, Dreyfus est innocenté définitivement par la décision de la Cour de cassation le 12 juillet 1906.

2. Quels sont les enjeux politiques de l’affaire Dreyfus ? Il s’agit donc d’une crise politique qui met à mal le régime : face à l’offensive de la presse extrémiste ou populaire, la République, à travers ses élites, s’identifie à la raison d’Etat au dogme de la nation. Ce qui menace alors le régime constitutionnel et la société démocratique, ce n’est pas le risque de coup d’Etat (écarté depuis l’affaire Boulanger et que l’échec de la tentative de Déroulède le 23 février 1899 confirme) mais l’arbitraire des pouvoirs administratifs (notamment une armée encore antisémite) et la faillite des institutions, incapables de restaurer l’autorité du pouvoir civil.

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Cependant, cette crise politique contribue à un reclassement des forces politiques autour de la crainte du nationalisme, la défense des Droits de l’Homme et du citoyen, la primauté du pouvoir civil sur la force armée, la souveraineté et l’indépendance de la justice. Ce sont ces arguments d’indépendance de la justice, du nécessaire respect des droits de la personne et du refus de la partialité de l’Etat qui sont invoqués par les Dreyfusards pour justifier leur engagement pour défendre Dreyfus alors que beaucoup ne cachent pas leur tendance à croire la version étatique au début de l’affaire – c’est le cas de Gabriel Séailles, professeur de philosophie à la Sorbonne. C’est ce contexte de nécessité de réponse démocratique, à laquelle l’armée échappe dans un premier temps, jusqu’à après la Seconde Guerre Mondiale, qui explique alors les lois fondamentales du début du XXe siècle : la loi sur les associations du 1 juillet 1901 et la loi de séparation des Eglises et de l’Etat du 3 juillet 1905. 3. Quel est l’impact de l’affaire Dreyfus : - chez les intellectuels ? Cette affaire marque aussi de manière nette l’entrée des intellectuels dans l’arène politique : le 6 juin 1898, est créée la Ligue française des droits de l’Homme et du citoyen. Ceux-ci sont l’avant-garde d’une souveraineté civique, celle où les citoyens interviennent dans la place publique et exigent des explications quant ils pensent leurs indépendances menacées. Cela met en avant une nouvelle modernité démocratique que Péguy définit comme le devoir de l’Etat et du politique de reconnaître le droit à la justice d’un citoyen. - dans la société française en général ? L’Affaire Dreyfus est un moment d’éducation à la démocratie, d’expérience de la politique et de fraternité dans la société. Elle constitue un pilier identitaire : les valeurs dreyfusardes sont des valeurs d’apprentissage démocratique pour des catégories de populations exclues du débat politique comme les femmes, les jeunes et les ouvriers, qui nourrissent par la suite les mouvements de résistance alors que les mouvements antidreyfusards, incarnés par l’Action française, trouvent de puissants ressorts intellectuels que Vichy et la collaboration de l’Allemagne incarneront. - dans l’expression des personnes au sein de la vie politique ? Vincent Duclert évoque même «la révolution du dreyfusisme», une révolution morale et sociale : - la naissance d’un engagement civique qui imprègne le corps social des enjeux politiques du pays à travers des réseaux d’Universités populaires mais aussi la presse. Même si la majorité de la presse, surtout régionale, adopte une position plutôt antidreyfusarde, plus par conformisme que par réelle conviction, cela ne crée pas un sentiment antidreyfusard majeur dans le pays : les manifestations sont surtout parisiennes et se limitent au temps du procès, l’opinion publique s’intéressant à l’Affaire qui lui permet d’accéder à une véritable réflexion sur l’Etat et la place de l’individu, - la naissance d’un débat sur le contenu de l’éducation civique et de la philosophie de l’enseignement. Dans « La République des instituteurs », Jacques et Mona Ozouf montrent que des instituteurs n’hésitent pas à en parler et cherchent volontairement à faire émerger une réflexion personnelle, - l’émancipation des groupes jusque là marginalisés ou réprimés comme les ouvriers et les femmes : l’Affaire Dreyfus raconte une histoire qui les concerne, celle d’un combat pour la justice et l’égalité, combat qui rejoint leur propre préoccupation, - une nouvelle représentation de la démocratie. La caricature et le genre de l’image devinrent des enjeux de représentation politique. On assiste à une opposition entre la caricature antidreyfusarde, répétitive et obsessionnelle à une image dreyfusarde différente. Ainsi, les peintres et dessinateurs de celle-ci (comme Pierre-Emile Cornilier, Jules Grandjouan, Henri-

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Gabriel Ibels, Félix Vallotton, Théophile Steinlen) choisissent de représenter les valeurs de justice et de vérité sous les traits de femmes jeunes et lumineuses se dressant graciles et fragiles devant les haines sombres et masculines. Cette représentation inédite de l’évènement démocratique rencontre un succès certain en France et à l’étranger. Cela annonce aussi le visage d’un monde que l’on espère meilleur qui se reconnaît alors dans le mouvement des femmes vers l’égalité et la liberté. Cette image de la femme, plus fine et gracile, plus jeune s’oppose à celle que les antidreyfusards représentent : rondes, fécondes, guerrières, un brin vulgaires ... L’historien Vincent Duclert, dans l’ouvrage La République imaginée, 1870-1914 décrit ainsi l’affaire Dreyfus : « Son impact politique et moral comme ses représentations intellectuelles et sociales, ses conséquences nationales comme ses répercussions internationales, en font un véritable passé-présent régulièrement réactivé dans les mémoires individuelles ou collectives et dans les discours populaires ou savants. L’affaire Dreyfus incarne à la perfection la forme « affaire », [...] à savoir un événement qui polarise l’opinion publique, domine la vie politique, traverse les institutions, mobilise les personnes, les groupes, les croyances, suscite ses mots et son langage ». Pour l’historien, elle marque l’entrée de la France et du monde dans le XXème siècle caractérisé par la puissance du nationalisme et le pouvoir de l’Etat qui se confronte à la résistance des individus et la défense des libertés, des droits fondamentaux et l’égalité civique.

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II. Les combats de la résistance et la refondation républicaine Lorsque la guerre est déclarée en septembre 1939 le gouvernement comme l'état-major font le choix de l'attentisme. En mai 1940 Hitler déclenche la blitzkrieg et en quelques semaines c'est la déroute d'une armée dont les chefs n'ont, le plus souvent, rien compris aux nouvelles stratégies militaires à l'œuvre. Le 22 juin est ratifié l'armistice réclamé cinq jours plus tôt par le nouveau chef du gouvernement, le Maréchal Pétain. qui obtient, légalement, les pleins pouvoirs le 10 juillet 1940 par un vote du Parlement. C'est la fin de la IIIe République, le nouveau régime mis en place est autoritaire et personnel articulé autour du nouveau chef de l'Etat français, Pétain, qui entame une politique de collaboration active avec l'Allemagne nazie avec l'appui notamment de personnages tels Pierre Laval. Pétain prétend régénérer la France en instaurant ce que l'on nomme la Révolution nationale.

A. Vichy et la destruction du modèle républicain Documents à utiliser : affiche de propagande de R. Vachet, document 1 p. 316 et documents 4 et 5 p. 317. Document 1 : La Révolution nationale de R. Vachet, entre 1940 et 1942, Avignon (affiche non officielle du régime).

Questions : Le régime de Vichy est né de la défaite de 1940 :

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1. A l’aide des documents, montrez que le régime de Vichy est né de la défaite de 1940 et qu’il a mis en place des choix conscients et déterminés concernant la mort du régime républicain et l’instauration d’un nouveau régime politique.

Dès les lendemains de l’entrée en vigueur de l’armistice, le maréchal Pétain, Pierre Laval et leurs entourages mirent en œuvre trois choix qui marquaient autant de ruptures fondamentales. L’historien Nicolas Beaupré explique que ces grandes orientations ne furent pas le fruit d’une longue maturation ou d’un processus de radicalisation – même si elles durent par la suite prises dans une spirale de durcissement. Elles procédaient de décisions pleinement conscientes et déterminées par la conjoncture de l’été 1940. A ce moment-là, après avoir opté pour l’armistice, les élites politiques placées à la tête du pays firent le choix : - de remplacer la République par un nouveau régime, animé d’une idéologie tenant la fois de

l’utopie réactionnaire, de la révolution conservatrice et de la dictature charismatique, avec des emprunts au fascisme.

- de mettre en œuvre, par la violence, les politiques découlant de cette vision du monde et de la France et débouchant sur l’exclusion hors de la communauté nationale de certaines catégories de citoyens.

- délibéré d’une stratégie politique, celle de la collaboration avec celui qu’elles considéraient comme le nouveau maître de l’Europe, le chancelier de l’Allemagne et Führer du IIIème Reich, Adolf Hitler.

Le régime de Vichy s’oppose au système républicain : (étude des documents 1 p. 316 et 5 p. 317) 2. Montrez que cet acte constitutionnel concentre tous les pouvoirs entre les mains du chef

de l’Etat. Le maréchal Pétain qui avait tous les pouvoirs depuis le 10 juillet 1940, y compris législatifs, s’en sert dès le lendemain en outrepassant les prérogatives accordées par la loi du 10 juillet 1940 qui n’avait pas officiellement abrogée la forme républicaine de gouvernement. Il prie les quatre premiers « actes constitutionnels » – ils furent ensuite au nombre de douze – qui instauraient un nouveau régime appelé l’Etat français dans lequel tous les pouvoirs – exécutif, législatif et judiciaire étaient entre les mains du chef de l’Etat. En effet, les chambres qui étaient censées ratifier ce changement de régime étaient « ajournées » ce qui veut dire la fin de la représentation nationale. Les ministres n’étaient responsables que devant Pétain. Enfin, ce dernier pouvait même les faire traduire en justice ainsi que tous les hauts fonctionnaires ou responsables politiques qu’il considérait ayant manqué à leur charge. L’acte IV proclamé le 12 juillet prévoyait une forme de « dictature héréditaire » puisqu’il autorisait le maréchal à désigner son successeur. Il choisit alors Pierre Laval qui accéda le même jour au poste de Vice-président du conseil. 3. En quoi ce texte et les mesures qu’il prend est-il totalement contraire au régime

républicain ? Ce texte et les mesure qu’il prend sont totalement contraires au régime républicain car : - il nie le principe de la représentation nationale en supprimant les assemblées qui sont

issues du vote des citoyens - il supprime la séparation des pouvoirs qui sont un des piliers de l’ordre républicain. - il va jusqu’à mettre en place un système héréditaire. Cela met donc en place comme le dit l’historien Nicolas Beaupré, « une dictature personnelle et charismatique » qui repose sur la seule personne du maréchal Pétain. 4. Montrez (à l’aide du document 5 p. 317) que le régime de Vichy repose sur un régime

d’exclusion fondé sur la violence. L’usage de la violence était tout autant un instrument destiné à faire appliquer les politiques de l’Etat français et tout particulièrement les politiques d’exclusion. Cette violence s’exerça à

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l’encontre de tous ceux qui étaient considérés comme les représentants de « l’Anti-France » - terme inventé par Charles Maurras au XIXème siècle. Il s’agissait dès lors de poursuivre, de réprimer mais avant tout d’exclure, tous ceux qui, selon les critères du régime, n’avaient pas leur place en France, aux besoins en inventant une nouvelle législation, ou en prenant des mesures d’exception – notamment dans le cas des Juifs. Les principales cibles de l’Etat français furent : - Les ennemis politiques - Les personnes considérées comme exogènes, c’est-à-dire extérieures, à la nation,

notamment les étrangers et les Juifs. 5. Cette législation a-t-elle été prise sous la contrainte de l’occupant nazi (aidez-vous de

votre livre et de vos souvenirs de la classe de troisième) Longtemps considérées par les historiens comme une demande de l’occupant allemand – Vichy n’agissant alors ainsi que pour protéger la France et les français comme le disait le maréchal Pétain –, depuis l’ouvrage de Robert Paxton, La France de Vichy, les historiens, notamment Henri Rousso, ont montré que le gouvernement de Vichy avait agi de son propre chef, mettant en place une collaboration d’Etat répondant parfaitement à l’idée de la lutte contre les hommes de « l’anti-France ». C’est la police française qui se charge des rafles et de la traque des résistants et qui remet ces hommes et femmes à la police allemande, au moins avant 1942. Les rafles restent presque toujours à la charge de Vichy, comme le montre la rafle du Vel d’Hiv du 16 juillet 1942. Le régime de Vichy met en place un régime d’exclusion fondé sur les thèses de l’extrême droite française 6. Présentez l’affiche de R. Vachet (document 1 de votre feuille) – vous expliquerez

également comment est construite l’affiche. Ce document est une affiche de R. Vachet produite par le centre de propagande de la Révolution nationale d’Avignon. Datée d’entre 1940 et 1942, elle a été réalisée alors que le maréchal Pétain dirige la France depuis juillet 1940 et que le pays est divisé en deux zones distinctes. Si elle n’est pas un document officiel de l’Etat français, l’affiche apporte son soutien au régime en place depuis la défaite de la France face aux nazis. L’affiche, aux couleurs de la France, est construite sur une structure duale opposant deux France désignant d’une part les responsables de la défaite du pays et résumant d’autre part les valeurs du nouveau pouvoir. L’affiche est un moyen de communication collé sur des murs et donc s’adresse à tous. Elle est cependant limitée à la région d’Avignon dans laquelle elle a été publiée. Elle a donc une portée limitée même si elle met bien en avant les principales idées du régime de Vichy et les principaux fondements de celui-ci. 7. Analysez la partie gauche de l’affiche en montrant qui sont ceux qui sont, selon Vichy,

responsable de la défaite de la France et de sa décadence (théorie mise en œuvre dès la fin du XIXème siècle par des hommes d’extrême droite comme Maurras ou Barrès).

Cette affiche a pour but de désigner les coupables de la défaite par un amalgame permanent. Tout ce qui est rejeté par Vichy, au nom de la "révolution nationale". La maison de droite est présenté de manière anarchique et branlante car ses fondations reposent sur les erreurs de la troisième république et sur les groupes responsables de la défaite et des errements de la Troisième République : - les ouvriers sont associés au pastis, à l'alcoolisme et la paresse, - les juifs au capitalisme, à la spéculation et l'avarice, de même que la franc-maçonnerie. On retrouve ainsi les clichés racistes, antisémites de l'extrême droite du côté gauche du tableau. 8. Analysez la partie droite de l’affiche en montrant quels sont les éléments fondamentaux

sur lesquels se reposent le régime de Vichy.

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A l'inverse les valeurs mises en avant par Vichy sont présentées à droite et de manière très lisible : l'armée et l'Eglise doivent former les piliers de la révolution nationale, de même que les paysans ("la terre, elle ne ment pas", un des fers de lance de Pétain), les artisans et les familles nombreuses. La nouvelle devise de la nation française : travail, famille, patrie est largement mise en valeur. Tout ceci repose sur la loi et l’ordre. La France nouvelle est alors débarrassée de tous les groupes et habitudes qui la conduisait à la décadence et qui étaient évoqués dans la partie gauche de l’affiche. 9. Quel est le message transmis par cette affiche concernant la vision du gouvernement de

Vichy ? La défaite est présentée aux Français comme l'aboutissement de la décadence de la

France sous la IIIe République et au-delà depuis la Révolution française, dont Vichy entend saper les fondements, cf. la substitution à la devise Liberté, Egalité, Fraternité, celle de travail, famille, patrie. Il s'agit pour Vichy de remettre de l'ordre dans le pays par la révolution nationale et de transformer la société en inculquant aux Français les "vraies valeurs" : - Le travail : Les grèves et syndicats sont interdits et on insiste sur la notion de discipline

dans le travail : travail manuel ("artisanat") et travail de la terre ("paysannerie") sont glorifiés.

- La famille : Elle tient une place importante et est placée au centre. Elle est considérée par Pétain comme la cellule de base de la nouvelle France. Il faut favoriser les familles nombreuses (avantages financiers). Le père y tient le rôle de chef et la femme est glorifiée dans son rôle de mère au foyer. La jeunesse doit être éduquée dans une École libérée des influences des instituteurs républicains (épuration dans l'enseignement) et est encadrée dans des organisations de jeunesse (scoutisme, compagnons de France,...)

- La patrie : le patriotisme ne peut s'étendre sans les vertus que sont la discipline, l'ordre. La Légion des Combattants (créée en août 1940 par Vallat et composée des Anciens combattants) prétend diffuser ses valeurs.

B. La Résistance, de l’opposition au fascisme à la réaffirmation de l’idée

républicaine Documents à utiliser : documents 2 et 5 p. 315, texte les «dissidents» de la France Libre de Nicolas Beaupré, texte 1942-1944, la résistance se développe et s’organise de Nicolas Beaupré, documents 3 et 4 p. 321. Document 1 : Les « dissidents3 » de la France Libre : Malgré la reconnaissance le 28 juin de De Gaulle comme le « chef des Français libres » par Churchill, les débuts furent toutefois bien difficiles pour les « gaullistes ». L’appel du 18 juin fut peu entendu. Les maigres ralliements subirent encore un coup d’arrêt après le raid de Mers el Kébir où la marine anglaise détruisit une escadre de la flotte française qui avait refusé de se rallier ou d’être neutralisée. […] L’attaque de la Royal Navy, qui fit près de 1300 morts, eut également des répercussions sur les ralliements territoriaux espérés par De Gaulle. Si, de juillet à septembre, un certain nombre de territoire de l’Empire firent dissidence – AEF, établissements français de l’Inde, terres australes –, les principaux joyaux de l’Empire – AFN et AOF – demeurèrent toutefois fidèles à Vichy. L’ambition du général de rejoindre une terre africaine pour y continuer la lutte […] dut être reportée sine die […]. A la fin de septembre 1940, la France libre ne disposait que de 35 000 combattants dont un bon nombre était isolé en AEF.

Nicolas Beaupré, Les grandes guerres, 1914-1945, Paris (2012), p. 870-871.

3 Ce nom est attribué aux hommes de la France libre par le gouvernement de Vichy.

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Document 2 : 1942-1944, la résistance se développe et s’organise : Aussi bien pour la résistance intérieure que pour la France libre, l’année 1942 peut être considérée comme une année de transition. Le nombre de résistants augmenta sensiblement. 13 % des effectifs totaux des résistants entrèrent dans un mouvement de résistance ou un réseau en 1942 alors qu’entre juillet 1940 et décembre 1941, ils n’avaient été que 8 % à franchir le pas. 1942 est une année de cristallisation, d’enracinement et de structuration des mouvements et réseaux plus encore qu’une inflation des effectifs. […] L’arrivée de Jean Moulin en zone sud, en janvier 1942, avec le titre de « délégué général » est l’un des signes tangibles de cette structuration qui, dans l’esprit du général De Gaulle, devait se faire sous l’égide de la France libre. Les grandes rafles de juifs, l’augmentation des déportations et des répressions et, surtout, la création du STO nourrissaient une défiance toujours plus grande de l’opinion à l’égard du régime [de Vichy] et de sa politique de collaboration. L’invasion de la zone Sud, conséquence de l’opération Torch4, accéléra le basculement. Le premier trimestre 1943 est à la fois celui qui, dans la guerre, voit le plus d’entrée en résistance et celui de la fusion politique des grands mouvements de la zone Sud au sein des Mouvements Unis de la Résistance (MUR).

Nicolas Beaupré, Les grandes guerres, 1914-1945, Paris (2012), p. 944-945. Questions : Une résistance qui se construit progressivement 1. Montrez que l’appel du 18 juin 1940 et les entrées en résistances sont peu nombreuses au

cours de l’année 1940. En 1940, les Français sont dans leur grande majorité totalement abasourdis par l'ampleur de la défaite initiale et l'idée de continuer le combat contre l'Allemagne est extrêmement minoritaire. L'appel à la continuation des combats par de Gaulle le 18 juin 1940 n'obtient d'ailleurs qu'un écho très limité. Le général de Gaulle voit le nombre d’hommes prêts à combattre pour la France libre être faible et surtout, tous les hommes ne sont pas présents à Londres. A la fin de l’année 1941, les résistants de la France libre sont peu nombreux. Les résistants intérieurs sont aussi peu nombreux. Ces hommes entrés tôt en résistance, 8 % des effectifs engagés dans la résistance, sont généralement des réfractaires qui, dans un premier temps, ont refusé la défaite, la collaboration – pour beaucoup le régime de Vichy – mais, dans un deuxième temps, au cours de l’année 1941, ils passent à la résistance active en se structurant en réseaux et en mouvements de résistance qui furent les principales formes structures de la résistance. La première résistance d’avant 1941 était d’abord une addition d’actes individuels de refus de la défaite et de ses conséquences, de l’armistice, de l’occupation, motivés généralement par le patriotisme ou par un certain antigermanisme, parfois hérité de la première guerre mondiale. Les premiers réseaux se constituent donc à la fois sur le socle d’un sentiment commun de rejet patriotique et se cristallisent autour de réseaux de sociabilité – amis, collègues de travail – ou un engagement politique préalable. 2. Quelles sont les raisons qui expliquent l’augmentation des effectifs de la résistance à partir

de 1942 ? Pourtant devant le durcissement et l'échec de Vichy, l'entrée en guerre de l'URSS puis des États-Unis en 1941, l’occupation de l’intégrité du territoire français à partir de la fin de l’année 1942 et les premières victoires alliées en 1942-1943, une partie des Français s'engage activement dans la Résistance. Dans la clandestinité des maquis ou à l'extérieur de la métropole dans les FFL, un ensemble de mouvements extrêmement disparates (politiquement et sociologiquement) tente de relever le pays au nom de valeurs communes : la défense de la patrie et, le plus souvent, de la République. 4 Attaque de l’Afrique du Nord par des troupes américaines et anglaises. Cette opération vise notamment les territoires français d’Afrique du Nord.

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3. Expliquez comment les mouvements de résistance, pourtant très nombreux et de nature

multiples, deviennent de plus en plus organisés et efficaces. Dès 1941, de Gaulle tente de renforcer la coopération avec les différents groupes opérant en France. C’est cependant le parachutage de Jean Moulin en janvier 1942 qui marque le réel début de l’unification des groupes combattants et des mouvements. C’est une tâche extrêmement complexe tant les divergences, voire les oppositions politiques et parfois les ambitions personnelles sont intenses. Il parvient à unifier les trois principaux mouvements de la zone sud : Combat, Libération-Sud et franc-tireur dans les Mouvements Unis de Résistance qui se dotent d’une structure militaire commune, l’Armée Secrète (90 000 hommes), commandée depuis Londres. La mission de Moulin est élargie en février 1943 date à laquelle il est chargé de mettre sur pied une instance politique : le Conseil National de la Résistance.

C. Un modèle républicain qui sort renforcé de la guerre Des valeurs républicaines en projet dès la guerre 1. Montrez que le programme du CNR et son application à la Libération s'inscrivent dans

l'affirmation et l'approfondissement des valeurs républicaines. Le programme du CNR fait différentes propositions qui visent à l’affirmation et à l’approfondissement du régime républicain : - rétablissement du suffrage universel ; - réaffirmation des valeurs de liberté et d'égalité, des libertés et droits individuels (presse,

association, ..), solidarité et fraternité ; - mise en place d'une démocratie économique et sociale incarnée notamment par la Sécurité

sociale (créer de la confiance, baliser les parcours professionnels, éviter les déboires que les dysfonctionnements des années 1930 avaient entraînés) et le principe des nationalisations ;

Vichy devient le repoussoir absolu par la négation des valeurs républicaines qu'il a incarné. Un nouveau régime instituant une nouvelle légalité républicaine 2. Après la libération du territoire français en 1944, comment se rétablit progressivement la

légalité républicaine ? Quel est le nouveau régime qui en devient le garant ? Le rétablissement de la légalité républicaine s'opère difficilement et progressivement dès l'été 1944. Le GPRF, créé par de Gaulle le 3 juin 1944, s'appuie sur les principaux partis politiques issus de la Résistance : SFIO, PCF et MRP. Ces forces politiques sont marquées par une très forte dimension sociale qui atteste de la domination des idées de gauche au sortir de la Seconde Guerre mondiale : les forces du Tripartisme représentent alors près de 75% des électeurs et plus des 3/4 des sièges à l'Assemblée. La droite classique s'est effondrée (à peine 15 % de l'électorat), discréditée par une trop grande proximité avec le régime de Vichy. Les tensions sont cependant importantes entre les forces politiques dominantes et notamment entre de Gaulle et le Tripartisme qui s'opposent sur la nature de la future République, ce qui entraîne la démission de de Gaulle le 20 janvier 1946. Finalement le 13 octobre 1946, à la suite d'interminables débats, les Français approuvent, de justesse, par référendum, la création de la IVe République. Cela permet de clore l'incertitude institutionnelle qui régnait depuis plus de deux ans. III. 1958-1962 : une nouvelle République :

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Pourquoi peut-on dire que l’installation de la Ve République est une rupture dans la pratique du régime républicain ? Document à utiliser pour toutes les parties : article d’André Passeron dans le monde du 5 juillet 1985. Document 1 : Une république qui se cherche – rubrique l’histoire au jour le jour, rubrique du journal le Monde 28 septembre 1958 - C'est une spécialité bien française que de s'interroger sans fin sur la nature de la République. Un type de régime, pourtant, que la France connaît depuis 1792, avec, certes, quelques éclipses de première grandeur, mais qu'elle a pratiqué sans interruption, de 1870 à 1940 puis de 1944 à aujourd'hui. Au total, depuis la chute de la monarchie, la France, en cent quatre-vingt-treize ans, a vécu formellement cent vingt ans de République. […] Aucun système imaginé par ses fondateurs pour défier le temps n'a tenu ses promesses. La Première République a voulu ouvrir, après dix siècles de monarchie, une ère nouvelle-le 22 septembre 1792 est devenu l'an I-qui s'est terminée un certain 18 Brumaire an VIII. La IIe République en 1848 s'achèvera dans l'humiliation, avec un président trop puissant, dont le goût pour la conspiration a fait un empereur. La IIIe est devenue l'archétype du système parlementaire. […] Là aussi les fruits n'ont donc pas porté la promesse des fleurs, puisque ce sont les alliances parlementaires qui ont réglé le ballet des ministères. Il en sera de même sous la IVe République. Fondée en réaction à la fois contre l'instabilité gouvernementale de la IIIe et contre le pouvoir personnel et monocratique du chef de l'Etat de Vichy, la Constitution accordait la réalité du pouvoir exécutif au président du conseil, alors que le président de la République n'a pas su trouver sa place. Mais, investi par l'Assemblée nationale, menacé par les retournements d'alliances, le gouvernement sera sans cesse en sursis. L'instabilité s'accroît. Comme à la fin de la IIIe, la longévité des cabinets de la IVe est d'environ six mois. Avec la Ve République, dont la Constitution est adoptée par référendum le 28 septembre 1958, par 79,5 % des voix, de Gaulle met enfin en application ses convictions institutionnelles. Contre le "régime exclusif des partis" et la "confusion des pouvoirs" (30 janvier 1959), il affirme dans sa conférence de presse du 11 avril 1961 : "Notre Constitution est à la fois parlementaire et présidentielle, à la mesure de ce que nous commandent à la fois les besoins de notre équilibre et les traits de notre caractère."Mais le minutieux équilibre des pouvoirs établi dans le texte de 1958 s'est trouvé faussé par la réforme de 1962. L'élection du président au suffrage universel a donné à l'équation personnelle de son bénéficiaire une autre dimension, que de Gaulle exprimait ainsi le 31 janvier 1964 : "L'autorité indivisible de l'Etat est confiée tout entière au président par le peuple qui l'a élu […]. La pratique du pouvoir montre que ses titulaires se donnent souvent une grande liberté d'appréciation. Celle-ci doit toutefois correspondre aux vœux de l'opinion. […] En effet, la philosophie gaullienne qui a inspiré les institutions était toute fondée sur l'autorité qu'il convenait de rendre au pouvoir exécutif, légitime d'abord par le soutien d'une majorité parlementaire puis par l'élection du président par le peuple. La concordance des votes pouvait donc seule assurer l'harmonie de cet ensemble. Dans ce cas, selon la formule classique, le président est effectivement la "clé de voûte des institutions". Mais dans ce cas seulement. […] "En revanche, s'il y a divergence, alors on peut se demander si la nature du système ne change pas. C'est le premier ministre qui devient la "cléde voûte des institutions", à condition qu'il soit soutenu par une majorité parlementaire fidèle.

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En plus du poids politique que l'élection d'une majorité de députés lui donnera, il pourra user de deux puissants moyens d'action : l'administration et la force armée dont il "dispose" en vertu de l'article 20 de la Constitution pour "déterminer et conduire la politique de la nation", et aussi la possibilité de faire voter par ses amis politiques à l'Assemblée des propositions de loi au cas où le président lui refuserait de déposer un projet de loi. Il est vrai que, si les relations en arrivent à ce point, le conflit entre les deux pouvoirs sera vite ouvert. Ainsi, institutionnellement, fonctionnellement, politiquement, sous le régime de la Ve République, comme le disait de Gaulle en 1964 : "On ne saurait accepter qu'une dyarchie existât au sommet."

André Passeron, Le Monde du 5 juillet 1985

A. Les crises du modèle républicain, responsable de l’agonie de la IVème République Document à utiliser : document 1 ci-dessus, textes de présentation 1 et 2 p. 322, document 2 p. 325, . Questions : Une IVème République qui n’est pas si inefficace 1. Quelle est la vision que De Gaulle a de la IVème République qui a longtemps été celle

utilisée par les historiens pour définir cette République ? Pendant longtemps, l’analyse du régime est liée à une interprétation gaulliste, celle du «régime des partis » (dans le document, la IVème République est la seule que De Gaulle renie alors que l’héritage des autres est revendiqué) et d’un système inefficace. Ressort l’idée traditionnelle d’une IVème

République qui oppose les réussites économiques et de la construction européenne aux errements et défaillances politiques, avec des ministères instables et incapables de régler le « cancer algérien ». La problématique de la modernisation économique cherche à mettre en avant un retour en arrière, celui d’un fonctionnement identique à la IIIème

République, un retour à un système jugé archaïque, dont l’objectif est de mettre en valeur la stabilité et au-delà la réussite politique du régime mis en place par De Gaulle. 2. Quels sont les défis auxquels doit faire face la IVème République (servez-vous des

connaissances acquises tout au long de l’année) ? La IVème

République affronte de multiples défis complexes comme la guerre froide, la construction européenne, la modernisation des structures économiques et sociales, les crises coloniales, etc. Complément du professeur : L’historienne Brigitte Gaïti montre que l’accusation de régime des partis ne tient pas face à une analyse serrée : sous la IVème

République, il n’existe pas de stricte discipline de parti (à l’exception du PCF soumis à une discipline totalitariste). Au sein des partis et des groupes parlementaires, l’indiscipline règne, les députés n’étant jamais sanctionnés pour avoir suivi un chemin indépendant. Les états-majors des partis n’imposent pas de directives strictes à leurs groupes parlementaires et même à leurs militants ; il existe donc une grande hétérogénéité de fonctionnement qui rend peu pertinente le titre de « régime de partis » donné à la IVème

République. La crise du 13 mai 1958, un échec circonstanciel et non un échec inéluctable (étude du document 2 p. 325)

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Dessin de Jean Effel, L’Express, 19 septembre 1958.

Jean Effel présente le « mariage » du général De Gaulle 1) et de Marianne 2) devant le général Massu 3), un des insurgés de mai 1958. Marianne est entourée par Félix Gaillard, du parti radical 4) et Guy Mollet de la SFIO 5), tous deux ralliés à la solution gaulliste de la crise. Document 1 : La crise politique en 1958 : Robert Buron a été plusieurs fois ministres sous les IVème et Vème Républiques. Les figurants se succèdent au fon du théâtre à un rythme sans cesse accru ; le devant de la scène apparaît de plus en plus vide. […] Le Régime se survit encore, mais ses infrastructures se corrodent rapidement sous l’acide de la haine et du mépris public. Son effondrement est proche… ou plutôt son effacement progressif, mais qui va bénéficier de sa disparition ? La France est-elle prête à subir la dictature d’une junte militaire ? […] Deux voies seulement me semblent ouvertes : ou bien, et rapidement, obtenir la formation d’un gouvernement franchement républicain, décidé à préconiser une solution libérale en Algérie. Alors l’épreuve de force s’engagera entre activités et démocrates-décolonisateurs. Si le leader désigné se montre ferme, nous pourrons peut-être la gagner et conforter le régime. […] Ou bien rechercher une formule qui concilie la réforme des institutions et la poursuite d’une solution libérale en Algérie. Sans doute alors, quoique je n’arrive guère à m’en persuader, est-ce vers le général de Gaulle qu’il faut porter le regard.

Robert Buron, Les dernières années de la IVème République, carnets politiques, 12 février 1958.

Questions :

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1. En vous aidant de votre livre, de vos connaissances sur la décolonisation et de recherches personnelles, expliquez les différentes étapes qui conduisent au 13 mai 1958.

Le 15 avril 1958, le gouvernement de Félix Gaillard est renversé pour plusieurs raisons : aggravation du déficit budgétaire, agitations sociales, conséquences du bombardement du village de Sakhiet Sidi Youssef en février 1958 (village tunisien où se trouve une base du FLN, bombardée par l’aviation française, qui fait 69 victimes, dont de nombreux enfants et femmes). Le 26 avril 1958, à Alger, sous l’impulsion du gaulliste Léon Delbecque, une grande manifestation de partisans de l’Algérie française réclame un gouvernement de salut public et acclame l’armée. La nomination de Pierre Pflimlin, un MRP, comme président du Conseil le 9 mai alors que celui-ci s’était rallié à l’idée de la nécessité d’entamer des pourparlers sur l’Algérie provoque une réaction immédiate : le ministre-président Robert Lacoste redoute un « Dien Bien Phu diplomatique5 » et le général Salan fait savoir au président Coty son refus de toutes négociations avec le FLN qui a annoncé l’exécution de trois prisonniers français en représailles de la mort d’un de ses militants. 2. Expliquez les événements du 13 mai 1958 et des jours qui ont suivi. Le 13 mai 1958, jour de l’investiture de Pflimlin à l’Assemblée nationale, un mouvement de protestation a lieu à Alger et la population européenne s’empare du gouvernement général. Celui-ci est alors transféré au général Salan et au général Massu (décision prise par Gaillard démissionnaire et confirmée par Pflimlin). Massu forme alors un Comité de Salut Public à Alger, appelle à la création d’un autre en France présidé par De Gaulle et condamne le nouveau gouvernement. Sans condamner le coup de force des activistes d’Alger, De Gaulle déclare le 15 mai être prêt à «assumer les pouvoirs de la République » mais, sous la pression des socialistes de Guy Mollet craignant un coup d’Etat, il réaffirme sa volonté de respecter le principe de souveraineté populaire, refuse toute idée de se transformer en dictateur et réaffirme sa volonté d’être utile à la tête de la République. En Algérie, des Comités de Salut Public se multiplient. Les risques de guerre civile apparaissent nettement. 3. Dans quel contexte le général De Gaulle arrive-t-il au pouvoir ? Sous la direction de Massu, une opération militaire, le plan «Résurrection » envisage la possibilité d’un coup de force militaire si De Gaulle n’est pas investi ou en cas de menace de coup d’Etat de la part des communistes : c’est cette menace (réelle ou supposée) que le général utilise pour faire pression auprès des députés. Pierre Pflimlin démissionne le 27 mai 1958 malgré un vote massif de confiance. Une manifestation anti-gaulliste a lieu le 28 mai sous la direction des partis de gauche non-communistes comme la SFIO, le MRP ou l’UDSR (avec Mendès France, Mitterrand, Daladier, etc.) à laquelle, sans participer à la manifestation, se rallie le PCF. Cependant, les socialistes sont divisés : Guy Mollet se rallie à la solution gaulliste pour éviter la guerre civile ou des coups de force militaire ou communiste. Le 29 mai, René Coty appelle De Gaulle à former un gouvernement et annonce qu’il démissionnera si celui-ci n’est pas investi. Une manifestation pro-gaulliste se forme spontanément sur les Champs Elysées. 4. Quelles sont les conditions posées par De Gaulle pour accepter de gouverner ? De Gaulle pose ses conditions : les pleins pouvoirs pendant 6 mois pour changer la Constitution qui sera soumise à référendum. 5. L’arrivée du général De Gaulle se fait-elle de manière légale ? Est-elle pour autant sans

opposition ? 5 Référence au désastre militaire lors de la guerre d’Indochine qui conduisit à la négociation des accords d’Evian et à l’indépendance de l’Indochine.

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Le 1er juin 1958, De Gaulle est investi et forme un gouvernement comprenant des fidèles comme André Malraux ou Michel Debré mais aussi des ténors de la IVème

République comme Pierre Pflimlin, Guy Mollet ou Antoine Pinay. Si le PCF vote contre l’investiture, les autres partis lui accordent sa confiance, les socialistes étant divisés. Quelques personnalités refusent de voter l’investiture comme François Mitterrand, Gaston Defferre, Christian Pineau, Pierre Mendès France. Le 4 juin, investi des pleins pouvoirs, De Gaulle se rend à Alger où il lance le fameux « Je vous ai compris », dont les interprétations sont laissées libres. Ajout du professeur : Cette crise du 13 mai 1958 est l’objet de nombreuses interprétations dont la plus importante tourne autour de sa légalité et sur la fin de la IVe République. Pour certains, comme Mitterrand et Mendès France, le refus de De Gaulle de condamner le coup de force d’Alger qualifie le 13 mai de coup d’Etat ce qui le rend illégal et illégitime. De fait, l’usage par ce dernier du spectre de la guerre civile, en donnant corps à la sédition algéroise lui permet de faire pression sur le Parlement. L’interprétation gaulliste s’éloigne de ce schéma : elle atténue le lien entre le 13 mai et la nouvelle République. Elle tend à faire disparaître les années algériennes de l’Etat entre 1958 et 1962 où les atteintes à l’Etat de droit sont nombreuses et où les acteurs liés au coup de force du 13 mai disparaissent. En insistant sur l’évolution démocratique de la Ve République, l’évènement perd de son sens et ne devient qu’un accident dans l’évolution d’un régime mort de n’avoir pas su se réformer (la thèse de la fatalité des institutions) ce que René Rémond récuse. En effet, les évènements de la crise de 1958 sont le fruit d’une combinaison complexe où les acteurs n’adoptent pas de solutions fixes, s’adaptent à des évènements qui peuvent leur échapper, des difficultés qui surgissent et où les contraintes jugées prioritaires peuvent l’emporter.

B. Une République présidentielle, 1958-1962 ? Documents à utiliser : documents 4 et 5 p. 325, documents 1 et 3 p. 326, document 4 p. 327 (affiche socialiste). Questions : 1. La création d’une nouvelle constitution est-elle acceptée par tous ? La préparation de la Constitution est confiée à un groupe d’experts dirigé par Michel Debré dont le travail est suivi par un comité de quatre ministres d’Etat (Guy Mollet, Pierre Pflimlin, Félix Houphouët-Boigny et Louis Jacquinot). Les partis, sauf le parti communiste, sont consultés dans le cadre d’un Comité consultatif constitutionnel ainsi que le Conseil d’Etat. Le projet est adopté en conseil des ministres le 3 septembre et présenté le lendemain. La campagne référendaire est courte : le PCF, la gauche anti-gaulliste avec Mendès France, Mitterrand, des syndicats comme la FEN et la Ligue des droits de l’Homme font campagne pour le non qui ne remporte que 20% des suffrages alors que la participation est forte (plus de 85%). 2. Montrez que la constitution reprend les principes fondamentaux de la séparation des

pouvoirs mais qu’elle encadre aussi l’action parlementaire. La nouvelle Constitution reprend les principes fondamentaux de la séparation des pouvoirs puisque le pouvoir exécutif est entre les mains du gouvernement et du président aux pouvoirs élargis et que le parlement s’occupe du vote des lois. Cependant, la constitution encadre fortement le travail parlementaire : limite dans le temps de la durée des sessions parlementaires, suppression du droit d'interpellation, non-maîtrise de l'ordre du jour, possibilité de faire accepter un texte sans vote par l'article 49- 3, incompatibilité des fonctions ministérielles avec celle de parlementaires

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3. Montrez que des ambiguïtés persistent sur la délimitation des compétences entre le président et son gouvernement.

La consitution demeure dans une certaine ambiguïté dans la délimitation des compétences entre le gouvernement et le Président : rien ne prévoit que le Président puisse révoquer le Premier ministre. Elle juxtapose une logique représentative (rôle des partis et pouvoir de contrôle du Parlement) et la logique d'un pouvoir d'Etat (incarné par le Président) au dessus des intérêts particuliers, « guide de la nation et auteur de son unité ». C'est un texte de compromis qui s'inscrit dans une tradition de réforme constitutionnelle et de recherche d'un Etat plus efficace que la IV e République a nourrie de ses projets et de ses réflexions. Il y a donc des éléments de continuité entre les deux républiques, recouvert autour du mythe de la rupture et de la page blanche, par la rhétorique gaulliste. Par exemple, certaines dispositions, considérées comme spécifiques à la Constitution de 1958, comme l’article 49-3, ont été discutées en 1953, 1957 et surtout en mars 1958 dans le projet de révision présenté par le gouvernement Félix Gaillard. 4. Montrez que jusqu’en 1962, le nouveau président de la République prend de plus en plus

d’influence dans cette nouvelle République. Jusqu'en 1962, le problème algérien est au cœur de la vie politique et cela renforce l'autorité de l'Etat qui infléchit de fait la pratique des institutions dans un sens présidentialiste (on parle même de « monarchie républicaine » Maurice Duverger) d’autant plus que Charles De Gaulle entend imprimer sa marque dans tous les domaines de l’action gouvernementale : soutien au plan économique de Jacques Rueff, volonté de lancer une Europe des Etats face aux Etats-Unis et l’URSS, politique de l’énergie atomique (bombe A en 1960), entre autres

C. 1962, une présidentialisation accrue ? Documents à utiliser : Document 1 (texte d’André Passeron) et document 9 p. 327, texte sur la vision du gouvernement par De Gaulle. Document 2 : La vision du gouvernement par De Gaulle : « Les Conseils des ministres et les entretiens sont là pour permettre au chef de l’Etat de définir à mesure l’orientation de la politique nationale et aux membres du gouvernement, à commencer par le Premier, de faire connaitre leurs points de vue, de préciser leur action, de rendre compte de leur exécution. Cela n’empêche pas le rôle du Premier ministre de demeurer extrêmement important et d’ailleurs très lourd dans la marche des affaires, dans la direction des administrations et dans les rapports avec le Parlement ». (cité dans La France du temps présent, Histoire de France, Belin). Questions : 1. Expliquez la genèse de l’idée d’une élection du président au suffrage universel. Au lendemain des accords d’Evian, Michel Debré, partisan de l’Algérie française et d’un équilibre entre Parlement et président, démissionne sous la pression de De Gaulle qui rompt alors avec l’engagement pris en 1958, au terme duquel le Premier ministre ne pouvait être renvoyé par le chef de l’Etat. Son remplacement par Georges Pompidou qui n’est pas parlementaire et n’a aucune fonction élective, montre alors le renforcement de la position présidentielle. Le 8 juillet 1962, De Gaulle affirme sa volonté de faire élire le président au suffrage universel. 2. Montrez que la décision du général De Gaulle a suscité de violentes réactions, notamment

en raison du choix de la voie référendaire. Après l’attentat raté du petit-Clamart du 22 août, profitant de l’émotion suscitée par l’événement, De Gaulle décide de soumettre la décision de faire élire le président au suffrage universel direct sans discussion ni vote préalable du Parlement. Cela suscite une forte émotion : des parlementaires, comme le président du Sénat, Gaston Monnerville évoquent

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l’article 7 qui détermine la composition du collège électoral présidentiel et l’article 89 qui prévoit que toute procédure de révision constitutionnelle soit agréée par un vote identique des deux Chambres ; les références à l’élection de Louis Napoléon Bonaparte en décembre 1848 et au plébiscite de 1851, au coup de force de Mac Mahon de 1877 sont nombreuses. De fait, le Parlement vote une motion de censure contre le gouvernement Pompidou qui doit démissionner. Le général De Gaulle dissout alors l’Assemblée ; des élections législatives étant organisées pour le 18 et 25 novembre 1962. Il témoigne d’une conception fermée de sa représentation : il considère que sa légitimité est suffisante pour s’imposer au Parlement mais l’attentat d’août 1962 le persuade que ce ne serait pas le cas de son successeur, seule une élection au suffrage universel direct apportant la caution nécessaire selon lui. 3. Quelle est la réponse de la population au référendum ? Lors du référendum du 28 octobre 1962, le oui à une élection directe l’emporte avec 62% des suffrages exprimés mais qui ne correspond qu’à moins de 50% des inscrits, est plus urbain que rural et plus septentrional que méridional. Pour De Gaulle, c’est une victoire contre les partis et la fin des compromis accordés en 1958. Les élections législatives confortent cette victoire gaulliste : l’Union pour la Nouvelle République frôle la majorité absolue, les partis centristes sont laminés et un binôme socialistes/communistes s’installe à gauche. La vie politique est simplifiée autour de quelques grands partis entamant une lente bipolarisation. 4. Cette réforme est liée à la vision que De Gaulle a du pouvoir. Quelle est cette vision ? En 1964, lors d’une conférence de presse, De Gaulle précise sa philosophie du pouvoir : le président incarne l’autorité de l’Etat, son pouvoir procédant directement du peuple, source de sa légitimité face aux autres institutions envers lesquelles il lui appartient d’ajuster l’équilibre des pouvoirs. Par ailleurs, il refuse toute dyarchie du pouvoir : pour lui, le premier ministre n’est qu’un second. De fait, débarrassé de cet intermédiaire parlementaire, le dialogue direct entre le Président et l’opinion peut passer par une confrontation directe comme le montre les manifestations violentes des agriculteurs et la grève des mineurs en 1963. Conclusion : La Ve République présente un visage institutionnel original, hérité cependant de plus d'un siècle de débats et confrontations politiques. Ce n'est ni vraiment un régime présidentiel, ni un régime parlementaire, mais la pratique du chef de l'Etat induit une oscillation entre ces deux aspects (régime semi-présidentiel) dans un cadre républicain et démocratique. D'autres réformes constitutionnelles ont été votées depuis 1962 dont la plus récente en juillet 2008, signe que les débats sont toujours d'actualité.