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Texte du discours prononcé par ANTHONY BROWNE lors de la remise du prix -^_ Hans Christian Andersen 2000 J e sais que je ne vais pas arriver à exprimer combien je suis honoré d'être ici ce soir. Quand on m'a annoncé au télé- phone que j'avais gagné le Prix Hans Chris- tian Andersen, j'ai été très ému. MOI ! - le Prix Andersen - ça paraissait incroyable ! On aurait dit une page tout droit sortie de Marcel le Rêveur - « Parfois Marcel rêvait qu'il avait gagné le Prix Hans Christian Andersen. » J'avais l'impression d'être Alice au Pays des Merveilles, tout semblait chan- ger. J'ai eu chaud et froid, je me suis senti excité et vidé, j'étais léger et lourd, le tout simultanément. Déboussolant, mais mer- veilleux ! Il y a beaucoup de gens qui ne sont pas pré- sents que j'aimerais remercier ce soir. Mon père, qui est mort de manière soudaine et horrible devant moi quand j'avais 17 ans, a été une des plus grandes influences dans ma vie et dans mon travail. Parfois, quand on me demande pourquoi je dessine des gorilles si souvent, je dis qu'ils me rappellent mon père, et c'est vrai. C'était un homme grand et fort qui avait été soldat, boxeur professionnel et instituteur. Il était très physique, il nous a encouragés, mon frère et moi, à jouer au rugby, au foot, au cricket, à faire de l'athlétisme - presque tous les sports. Pourtant il passait des heures avec nous à dessiner, à faire des modèles réduits et à écrire des poésies, et jusqu'à sa mort, chaque soir avant de se coucher, il nous prenait dans ses bras et nous embras- sait tous les deux (pas très britannique, je le crains). Mon Papa, ill. A. Browne, Kaléidoscope N°197 FÉVRIER 2001 /105

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  • Texte du discours prononcé par

    ANTHONY BROWNElors de la remise

    du prix-^_ Hans Christian

    Andersen 2000

    J e sais que je ne vais pas arriver àexprimer combien je suis honoré d'êtreici ce soir. Quand on m'a annoncé au télé-phone que j'avais gagné le Prix Hans Chris-tian Andersen, j'ai été très ému. MOI ! - lePrix Andersen - ça paraissait incroyable !On aurait dit une page tout droit sortie deMarcel le Rêveur - « Parfois Marcel rêvaitqu'il avait gagné le Prix Hans ChristianAndersen. » J'avais l'impression d'être Aliceau Pays des Merveilles, tout semblait chan-ger. J'ai eu chaud et froid, je me suis sentiexcité et vidé, j'étais léger et lourd, le toutsimultanément. Déboussolant, mais mer-veilleux !

    Il y a beaucoup de gens qui ne sont pas pré-sents que j'aimerais remercier ce soir.Mon père, qui est mort de manière soudaineet horrible devant moi quand j'avais 17 ans,a été une des plus grandes influences dansma vie et dans mon travail.Parfois, quand on me demande pourquoi jedessine des gorilles si souvent, je dis qu'ilsme rappellent mon père, et c'est vrai. C'étaitun homme grand et fort qui avait été soldat,boxeur professionnel et instituteur. Il étaittrès physique, il nous a encouragés, mon

    frère et moi, à jouer au rugby, au foot, aucricket, à faire de l'athlétisme - presque tousles sports. Pourtant il passait des heuresavec nous à dessiner, à faire des modèlesréduits et à écrire des poésies, et jusqu'à samort, chaque soir avant de se coucher, ilnous prenait dans ses bras et nous embras-sait tous les deux (pas très britannique, je le

    crains).

    Mon Papa, ill. A. Browne, Kaléidoscope

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  • Et les gorilles sont un peu comme ça - ce sontd'énormes créatures puissantes à l'aspectféroce, qui sont en fait des animaux doux,délicats et sensibles.Eux non plus ne sont pas très britanniques.

    J'ai passé mes jeunes années dans un pubdans le nord de l'Angleterre, et il paraît queje rentrais dans le bar le soir, que je me met-tais debout sur une table et que je racontaisaux clients des histoires d'un personnageque j'ai appelé Big Dumb Tackle. Je faisaisde grands dessins remplis de minuscules sil-houettes qui se faisaient la guerre - des sol-dats, des chevaliers ou des cow-boys. Mais ily avait toujours en arrière-plan des petitesblagues, des choses étranges qui se passaientet pouvaient être totalement sans rapportavec ce qui se passait en premier plan : unetête décapitée en train de dire quelque chosede drôle, un bras démembré en train de gesti-culer - je n'avais jamais entendu parler desurréalisme. (Et en fait, il n'y avait pas unegrande différence avec ce que je fais actuel-lement dans les livres pour enfants.)

    Il m'a toujours semblé vivre dans l'ombre demon frère, Michael, qui a presque deux ansde plus que moi. Il était plus grand, plusrapide, plus fort et je trouvais qu'il dessinaitmieux que moi. J'avais l'impression que jene serais jamais aussi doué que lui. Jamais.Je lui dois très certainement la naissance demon personnage le plus célèbre, Marcel, unchimpanzé qui vit dans un monde degorilles, tous plus grands et plus puissantsque lui. Les enfants m'écrivent bien plus delettres à propos des Marcel qu'à propos detous mes autres livres. Beaucoup d'enfantssemblent s'identifier à lui - ils ont l'impres-sion que le monde est dirigé par des gensplus vieux, plus importants, que ce soientdes frères ou des sœurs plus âgés, desparents, des professeurs, des policiers ou despoliticiens. Je pense que beaucoup d'adultesont cette même impression.

    Une de mes lettres préférées venait d'unenfant qui me demandait : « Cher AnthonyBrowne, est-ce que Marcel est une vraie per-sonne ou est-ce que tu l'as inventé ? »

    J'ai étudié le graphisme au Leeds Collège ofArt, et j'étais très mauvais élève. J'avaisenvie de faire les Beaux-Arts, mais je pensaisque je devais faire graphisme pour gagner unjour ma vie. Ce n'était pas une période facilepour moi, je me sentais très perdu- graphisme semblait vouloir dire publicité,vernis et superficialité et j'avais l'impressionque le cours était destiné à ceux qui allaientdiriger des agences de publicité, plutôtqu'aux gens qui étaient prêts à se salir lesmains avec du fusain ou de la peinture. J'aipassé beaucoup de temps en classe de nu, àfaire un dessin après l'autre, et à essayerd'oublier le monde lisse et commercial verslequel j'étais censé m'orienter.Je pense que beaucoup d'adolescents traver-sent une période d'intériorisation morbidependant laquelle ils sont fascinés par lamaladie et la mort, et la mort prématurée demon père a augmenté chez moi cette fascina-

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    Marcel le rêveur, 111. A. Browne, Kaléidoscope

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  • tion. Du dessin extérieur du corps humainen cours de nu, je suis passé au dessin del'intérieur du corps. En puisant dans mesvieux cours de biologie à moitié oubliés, j'aifait une série de tableaux dans lesquels onvoyait les intestins, le cœur, le foie, etc. depersonnes autrement normales.J'ai quitté l'université avec un diplômemédiocre.

    Pour mon diplôme de fin d'études, j 'ai illus-tré un livre imaginaire intitulé « L'Hommeest un animal ». J'ai fait quatre grandstableaux violents à l'huile et douze petitsdessins sur le comportement humain, chacunaccompagné d'un texte qui décrivait le com-portement animal. Par exemple, un dessinmettait en avant un homme dominateur quibousculait un homme soumis alors que tousdeux marchaient dans la rue. Le texte : « Lesprimates en bas de l'échelle évitent d'occu-per l'espace d'un aîné. »Bien que totalement différent dans la façond'être traité et dans le style, ce dessin a servide base pour une illustration de Marcel laMauviette. Il y a quelque chose dans la ten-sion et dans la contradiction entre les mots etle dessin qui se retrouve dans mes livresaujourd'hui. Par ailleurs, le thème« L'Homme est un animal » a refait surfacebien des années plus tard dans Zoo.Il y avait dans mon cours un professeur quim'a inspiré, Derek Hyatt, un peintre, qui acru en moi et qui m'a encouragé dans ce quej'essayais de faire, qui m'a ouvert les yeux àl'art et l'illustration, et c'est une autre per-sonne que j'aimerais remercier ce soir.Après avoir quitté l'université, je n'avais pasla moindre idée de ce que j'allais faire - jedétestais le graphisme, et je voulais toujoursêtre peintre mais le monde des Beaux-Artsme semblait tout aussi commercial. Un jour,alors que je regardais subrepticement unlivre intitulé « Carrières pour filles », j'aidécouvert le métier de l'illustration médicale.Ça paraissait merveilleux - le boulot parfait -

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    1Marcel la mauviette, ill. A. Browne, Kaléidoscope

    la combinaison de mes deux pôles d'intérêt,le dessin et l'intérieur du corps humain. Unan plus tard, j'étais artiste médical assistantdans un hôpital-école, et je faisais des dessinsexplicatifs des opérations. J'ai plus appris àdessiner et à me servir de l'aquarelle quedurant toutes mes années à l'université.J'ai longtemps pensé que cela n'avait pas delien avec ce que je fais maintenant maisj'avais tort. J'ai appris une chose primor-diale : à raconter une histoire en images.La photo d'une opération raconte très peu,elle ne montre que du sang, des instrumentset de la matière indéfinissable. En tantqu'artiste médical, je devais y mettre del'ordre, donner une substance à l'opération(pas évident), découvrir et montrer ce quiétait caché. C'était un travail difficile et pre-nant. Je connaissais très peu l'anatomie(j'avais menti pour obtenir le poste), maisc'était un excellent entraînement. Avec letemps, il m'a aussi débarrassé complètementde ma fascination morbide pour la mort etpour l'intérieur du corps humain.Alors j'aimerais remercier l'homme qui acru en moi suffisamment pour m'engager, etqui m'a appris le métier, Richard Neave.

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  • J'ai compris qu'il était temps pour moi dequitter l'illustration médicale quandd'étranges petites créatures se sont glisséesdans mes dessins d'opérations.

    Mon travail suivant fut celui de dessinateurfree-lance de cartes de vœux. J'ai rencontréGordon Fraser qui publiait des cartesmodernes et novatrices. Bien que le fait detravailler comme artiste médical m'aitdébarrassé de mon obsession pour l'inté-rieur des corps humains, je trouvais tou-jours difficile de faire un dessin léger, heu-reux. Gordon Fraser, et le besoin de gagnerma vie, m'ont appris. Quelques-uns de mesdessins les plus commerciaux étaient fran-chement épouvantables - des chats avec degrands yeux, des couples larmoyants qui semariaient - mais j'avais la liberté de faire untravail expérimental, et c'est alors, sur unepériode de quinze ans, que j'ai développé lesgorilles, les ours, les enfants et les blaguesque j'ai pu utiliser dans mes livres. GordonFraser s'est comporté comme un protecteurenvers moi. Il a été malheureusement tuédans un accident de voiture et j'aimerais leremercier, chose que je n'ai jamais faite deson vivant, pour son amitié, son encourage-ment et sa foi en mon talent.J'ai bientôt compris que je ne pouvais passuffisamment gagner ma vie à faire des cartesde vœux, alors j'ai cherché une façon d'aug-menter mes revenus. J'ai pensé que je pour-rais peut-être essayer de travailler dans desmagazines ou dans les livres pour enfants.A ce stade, je n'éprouvais pas un désir ardentd'écrire des livres pour enfants, je pensaisplutôt à la possibilité de vendre des illustra-tions à un éditeur. J'ai approché HamishHamilton, une vieille maison d'édition an-glaise de bonne réputation, et on m'a proposéd'essayer de concevoir un livre d'images.J'ai imaginé une histoire sans grande origina-lité sur un éléphant perdu dans la jungle, et jel'ai illustrée avec des dessins aux couleursvives, pas très originales non plus. Je ne savais

    pas que l'on présentait une maquette, ou quel'on pouvait discuter avec un éditeur de sesidées, alors j'ai fait tout un livre en finissantles dessins. Une perte de temps totale.J'ai essayé d'en faire un autre, intitulé « Vaouvrir la porte » un livre sans histoire, maisavec beaucoup de portes. Derrière lesportes, il y avait un certain nombre d'imagessurréalistes. C'était un projet d'album épou-vantable, mais l'éditrice, Julia MacRae, a euconfiance en moi et m'a conseillé de garderquatre images, et de bâtir une histoireautour d'elles. C'est devenu mon premieralbum, Through the Magic Mirror (À tra-vers le miroir magique).Ce n'est pas un vrai album, c'est plutôt unesérie d'images reliées par une histoire assezmince. Mais il m'a permis de démarrer et il aaussi posé les jalons de mon travail à venir.Julia MacRae allait être mon éditrice pen-dant vingt années, et elle m'a appris presquetout ce que je sais sur la conception del'album. Pour ça, et pour son amitié et sonsoutien, je serai à jamais reconnaissant.

    Quand je repense à ma carrière d'auteur-illustrateur, je me rends compte que la grandemajorité de mes livres ne traitent pas, commecertains semblent le croire, de gorilles ou dechimpanzés, ils parlent d'émotions. Souventd'enfants solitaires, d'enfants qui se sententexclus, d'enfants tyrannisés par leurs pairs,qui se sentent jaloux ou mal aimés.Ce sont pour la plupart des livres sérieux,mais j'essaie d'écrire et de dessiner avechumour, de finir sur une note d'espoir avecune fin parfois ambiguë. Ce que j'aime dansla conception d'un album, c'est le rapportente les images et les mots, et la manièredont un enfant peut faire le lien entre lesdeux. J'adore mettre des indices visuels dansmes livres, des indices qui nous donnent uneidée de ce qui se passe vraiment dans la têteet dans le cœur des protagonistes, ce qui per-met à l'image de raconter une autre histoireque celle mise en avant par les mots.

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  • Zoo, ill. A. Browne, Kaléidoscope

    Je vais souvent dans des écoles, c'est alors queje me rappelle pourquoi j'aime tant écrire etillustrer les livres pour enfants. Les enfantssont capables de tellement de choses, plus quece que les adultes pensent. Ils peuvent appré-hender des idées complexes et sophistiquéesavec une certaine aisance, ils ont uneconscience visuelle bien plus affûtée que celledes adultes, ils remarquent les détails et lesindices dans mes livres bien plus rapidementque leurs instituteurs ou leurs parents. Jetrouve très dommage qu'on leur apprenne(du moins en Grande-Bretagne) que lesimages sont pour les petits enfants, et quel'éducation et la maturité impliquent néces-sairement le fait de laisser les images de côtéet de ne plus s'occuper que des mots.J'ai visité des écoles dans beaucoup de payset je reçois des lettres d'enfants du mondeentier, et j 'en suis venu à me rendre compteque les différences culturelles entre noussont totalement superficielles. Nous avonstous les mêmes espoirs, peurs, luttes et joies,et je ne pourrais pas accepter ce prix sansremercier tous les enfants qui ont été tou-chés par mes livres, car ils m'aident à croireen ce que je fais, ils m'aident à continuer.

    Tandis que je remercie tous ceux qui ontjoué un rôle dans ma carrière, il ne faut pasque j'oublie tous mes éditeurs étrangers qui

    me sont restés fidèles au fil des ans, et parti-culièrement mon merveilleux éditeur mexi-cain, Daniel Goldin de Fondo de CulturaEconomica. Daniel publie mes livres defaçon formidable dans les pays de langueespagnole, et il a organisé des expositionsabsolument extraordinaires de mon travail àMexico, Guadalajara, Caracas et Bogota.J'ai été invité, avec mes dessins originaux,dans tous ces endroits, et je les ai tellementaimés, j ' y ai rencontré tellement de gensmerveilleux que je suis devenu un incondi-tionnel de l'Amérique Latine.Merci, Daniel, pour tout.J'aimerais aussi remercier la cellule britan-nique de l'IBBY qui m'a nominé (deux fois),et le jury international qui a décidé que jepouvais gagner cet étonnant prix, Sa Majes-té la Reine Margrethe II du Danemark(patronne du prix) et les sponsors, Nissan.

    J'aimerais terminer en vous racontant quelquechose qui m'est arrivé il y a quelques années,une des expériences les plus excitantes et lesplus effrayantes de ma vie. On m'avait deman-dé d'écrire et de présenter un programme detélévision sur les livres d'enfants. Je préparaisalors mon livre Anna et le gorille. Le directeura proposé de tourner un film autour d'unerencontre que je ferais avec un gorille, face àface. Nous sommes donc allés au zoo local. Il aété convenu que j'irais sans l'équipe de télévi-sion deux fois pour que les gorilles puissents'habituer à moi. Dès que je suis entré dans lacage la première fois, un des gorilles s'estemparé de ma jambe et m'a traîné sur quinzemètres avant de me lâcher et de se jeter contreles barreaux. J'étais totalement impuissant.Toutes les années passées à jouer au rugby nem'avaient pas préparé à cela. L'homme le plusfort que je connais est un faiblard à côté deces animaux. Petit à petit, les gorilles se sonthabitués à moi. J'ai pu jouer avec eux ; ils ontinspecté et épouillé mes cheveux. En jouant,ils m'ont occasionnellement mordillé avecleurs puissantes dents, mais on m'avait dit de

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  • mettre des vêtements épais, alors je n'ai paseu mal, pas trop...Ce n'est que des mois plus tard, lorsque jesuis revenu au zoo, que je me suis renducompte combien j'avais été terrifié. L'expé-rience avait été tellement enivrante que jen'avais pas pensé à ma peur.Le jour du tournage, quand je suis arrivé avecle gardien à la cage, les gorilles semblaient trèsagités. Ils faisaient d'étranges bruits, mon-traient leurs dents, leurs visages plaquéscontre les grilles. Tandis que nous entrionsdans la cage, un des gorilles s'est approché demoi et a fait comme s'il voulait me renifler lajambe, tel un chien. C'est alors que j 'ai res-senti la douleur la plus aiguë, la plus atroceque j'aie jamais connue : le gorille avait enfon-cé ses énormes crocs dans ma jambe, qui aensuite été soulevée en l'air, puis il m'a lâchéet a couru jusqu'à l'autre côté de la cage.J'étais terrifié et j'avais très mal. Mais j'étaisaussi très gêné. J'avais déjà raconté aux gensde la télévision comment s'étaient passées mesdeux précédentes visites, et comment j'avaisjoué avec les gorilles. J'étais donc là - l'équipede télévision était restée la nuit dans un hôtelcher, les caméras tournaient et le film coûtaittrès cher - comment pouvais-je dire : « J'aitrop peur pour continuer. Est-ce que je peuxsortir ? » Alors j 'ai dit une bêtise, j 'ai ri ner-veusement, et je suis allé m'agenouiller aumilieu de la cage, faisant tout mon possiblepour ne pas regarder la grosse tache de sangqui s'étalait sur mon jean. Le gardien étaitinquiet aussi, chaque fois qu'un gorille s'estapproché, il s'empressait de l'éloigner. Nousavions tous deux trop peur de montrer quenous avions peur.

    Au bout de vingt minutes de tournage durantlesquelles il n'y avait rien à filmer, l'équipe detélévision s'est aperçue que j'étais sérieuse-ment blessé, et on m'a emmené d'urgence àl'hôpital.Par la suite j 'ai appris que le propriétaire duzoo s'était disputé avec la société de produc-

    Zoo, ill. A. Browne, Kaléidoscope

    tion à propos du règlement, et il a voulu sevenger en donnant aux gorilles des pétales derosés au moment où j'entrais dans la cage.J'aime cette image de pétales de rosés et degorilles, elle me fait penser à « La Belle et laBête ». Il paraît que ce sont des mets très pri-sés par les gorilles et ils devaient croire que jevoulais les voler. Tandis que je quittais la cageen boitant, le gardien m'a dit : « S'il avaitvoulu, le gorille aurait pu vous arracher car-rément la jambe ! ». L'incident ne m'a pasdégoûté des gorilles, mais je ne vais plusentrer dans une cage avec eux.

    Je devrais peut-être terminer avec un remer-ciement envers ces merveilleuses créaturesqui sont tellement comme nous, qui ne m'ontpas seulement inspiré dans la création dequelques-uns de mes meilleurs livres, maisqui m'ont aussi donné du courage.Je dis courage, car grâce à ma visite dans lacage des gorilles, venir ici et vous parler estfacile comme bonjour. I

    Texte traduit par Isabel Finkenstaedt

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