territoires de santé pour quoi faire · le meilleur comme pour le pire… mais, en france, ... la...

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53 Argent, soins et protection sociale O n tombe malade “là où on est” et cette assertion dit assez bien l'interruption et la limitation du déplacement que cela représente. L’objectif du système de soins est de nous aider à nous relever lorsque nous tombons; celui du système de santé serait de nous apprendre à ne pas tomber. On tombe parfois malade “à cause d’être là”, soumis aux éléments, on tombe plus souvent malade “d'être là” et de n’y pas bien vivre : le contexte social et économique est souvent bien plus pathogène que l’environnement physique. Aider à se relever ou à marcher sans tomber, c’est-à-dire comprendre, t r a i t e r, soigner, éduquer pour la santé, implique de tisser autour de la personne tout un filet de relations, un maillage supposant la proximité autant que la qualité. LE TERRITOIRE, UNE NOTION LONGTEMPS NÉGLIGÉE Santé et territoires sont indissolublement liés, pour le meilleur comme pour le pire… mais, en France, la croyance historique en la toute puissance du progrès médical, une administration longtemps jacobine et surtout parisienne, des assurances sociales fondées sur le travail et non sur la rési- dence jusqu’à la loi de juillet 1998, la collusion his- torique de ces trois forces au détriment de la par- ticipation du patient et du citoyen à sa santé ont fait négliger l’importance du territoire, ce lieu où pourtant s’acquiert, se conserve et se retrouve la santé. Ces forces, sans doute, historiquement justi- fiées, montrent depuis dix à vingt ans leurs limites. Si elles ont conduit en un demi-siècle à mettre sur pied l’un des meilleurs systèmes de santé au monde, elles ont aussi fait négliger la prévention, les soins de suite, la santé psychique, la prise en charge au long cours à l’inverse du traitement de l’aigu, la perspective humaine à l’inverse de la dimension technique du soin. Pour preuve, si nous avons l’un des taux de mortalité par infarctus du myocarde parmi les plus bas du monde, nous avons aussi le taux de mortalité de prématurés le plus élevé de l’Europe des quinze, avec le… Portu- gal! Nous avons aussi un système de soins très coû- teux, trop coûteux, qui ne trouve pas Parce que les choses doivent et peuvent se régler au plus près du lieu où elles se produisent, la régionalisation et la territorialisation de la santé sont déjà une réponse politique et administrative En France, il apparaît que les changements sont longs à se mettre en œuvre Le plan régional de santé publique et l’activité des Sros, dits de “troisième génération”, entre autres, parviendront-ils à réguler les disparités d’accès des citoyens aux services de santé ? Des territoires de santé , pour quoi faire ? santé publique EMMANUEL VIGNERON MOTS CLÉS • Carte sanitaire • Organisation des soins • Régionalisation • Santé publique • Schéma régional d’organisation sanitaire (Sros) • Territoire de santé d o s s i e r SOiNS CADRES - n°52 - novembre 2004 CITATION « L’Homme va bien là où il va tout entier…» . Jules Romain

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A r g e n t , soins et protection sociale

On tombe malade “là où on est”et cette assertion dit assez bien

l'interruption et la limitation dudéplacement que cela représente.L’objectif du système de soins est denous aider à nous relever lorsquenous tombons ; celui du système desanté serait de nous apprendre à nepas tomber. On tombe parfois malade “à caused’être là”, soumis aux éléments, ontombe plus souvent malade “d'êtrelà” et de n’y pas bien vivre : lecontexte social et économique estsouvent bien plus pathogène quel’environnement physique.Aider à se relever ou à marcher sanst o m b e r, c’est-à-dire comprendre,t r a i t e r, soigner, éduquer pour lasanté, implique de tisser autour de lapersonne tout un filet de relations,un maillage supposant la proximitéautant que la qualité.

LE T E R R I TO I R E, U N E N OT I O N L O N G T E M P SN É G L I G É ESanté et territoires sont indissolublement liés, pourle meilleur comme pour le pire… mais, en France,la croyance historique en la toute puissance duprogrès médical, une administration longtempsjacobine et surtout parisienne, des assurancessociales fondées sur le travail et non sur la rési-dence jusqu’à la loi de juillet 1998, la collusion his-torique de ces trois forces au détriment de la par-ticipation du patient et du citoyen à sa santé ontfait négliger l’importance du territoire, ce lieu oùpourtant s’acquiert, se conserve et se retrouve lasanté. Ces forces, sans doute, historiquement justi-

fiées, montrent depuis dix à vingt ans leurs limites.Si elles ont conduit en un demi-siècle à mettre surpied l’un des meilleurs systèmes de santé aumonde, elles ont aussi fait négliger la prévention,les soins de suite, la santé psychique, la prise encharge au long cours à l’inverse du traitement del’aigu, la perspective humaine à l’inverse de ladimension technique du soin. Pour preuve, si nousavons l’un des taux de mortalité par infarctus dumyocarde parmi les plus bas du monde, nousavons aussi le taux de mortalité de prématurés leplus élevé de l’Europe des quinze, avec le… Portu-g a l! Nous avons aussi un système de soins très coû-teux, trop coûteux, qui ne trouve pas

❚ Pa rce que les choses doivent et peuvent se régler au plus près du lieu où elles sep r o d u i s e n t , la régionalisation et la territorialisation de la santé sont déjà une réponsepolitique et administrative ❚ En Fra n c e, il apparaît que les changements sont longs à sem e t t re en œuvre ❚ Le plan régional de santé publique et l’activité des Sros, dits de“troisième généra t i o n ” , e n t re autre s , parviendront-ils à réguler les disparités d’accès des citoyens aux services de santé ?

Des territoires de santé,pour quoi faire ?

santé publique

EM M A N U E L VI G N E R O N

MOT S C L É S

• Carte sanitaire

• Organisation des soins

• Régionalisation

• Santé publique

• Schéma régionald ’ o r g a n i s a t i o nsanitaire (Sros)

• Territoire de santé

d o s si e r

SOiNS CADRES - n°52 - novembre 2004

C I TAT I O N

« L’Homme va bien là où ilva tout entier…» .

Jules Romain

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54 SOiNS CADRES - n°52 - novembre 2004

ses moyens de régulation et nul ne peut dou-ter que ces forces en soient l’une des causes.Le domaine de la santé n’est pas le seul à entrete-nir avec les territoires de trop faibles relations.Longtemps, les politiques publiques n’ont eud’autre objet que d'organiser la France autour dela capitale, d’y faire parvenir les productions duroyaume ou du pays, d’y rendre chaque partieégale pour l’intégrer à la Nation, de penser ce quiest bon pour elles. Cela est vrai de Colbert commedes chemins de fer sous Napoléon III, du “jardin àla française”, des ingénieurs des Ponts comme desindices d’équipements hospitaliers.

LA R É G I O N A L I S AT I O N D E S P O L I T I Q U E S S A N I TA I R E SN’E S T PA S R É C E N T ELa création de la Délégation à l’aménagement duterritoire et à l’action régionale (Datar) le1 4 février 1963 est la conséquence de cette penséeaudacieuse du président Charles de Gaulle : « L’ e f-f o rt multiséculaire qui fut longtemps nécessaire à notrepays pour maintenir son unité, malgré les divergences desp rovinces qui lui étaient successivement rattachées, nes’impose plus désormais. Au contraire, ce sont les activitésrégionales qui apparaissent comme les re s s o rts de sa puis-sance de demain ». Près de vingt ans plus tard, unautre président de la République, François Mitte-rand, en lançant les lois de décentralisation, décla-r a i t : « La France a eu besoin d’un pouvoir fort et cen-tralisé pour se faire. Elle a besoin aujourd’hui d’un pou-voir décentralisé pour ne pas se défaire » .Vingt, quarante ans, les changements sont longs –ce qui pourrait décourager – mais ils s’enracinentprofondément dans une longue durée, qui nousdépasse et nous laisse espérer, mais qui nous ditaussi qu’aucune disposition nouvelle, aucun textede loi, ne saurait être le Deus ex machina v e n a n trésoudre tous les problèmes par la seule magie deson interv e n t i o n .Au reste, sans doute parce que cela est tellementévident en ce domaine, l’intérêt d’une territoriali-sation des politiques de santé a été perçu depuislongtemps et particulièrement à partir de la loiÉvin du 27 juillet 1991, créant les Schémas régio-naux d’organisation sanitaire (Sros). La santé est,aujourd'hui, l’un des secteurs des politiquespubliques où la régionalisation et l’approche terri-toriale sont le plus évidemment en marche. Eneffet, depuis ces trente dernières années, lois etordonnances se sont succédé pour arriver à unes i m p l i fication de l’organisation et du fonctionne-ment du système de santé au niveau régional.❚ La loi n°70-1318 du 31 décembre 1970 p o r t a n tréforme hospitalière a créé la carte sanitaire pour

A r g e n t , soins et protection socialed o s si e r

La santé est, aujourd'hui, l’un des secteurs des politiques publiques

où la régionalisation et l’approche territoriale sont le plus évidemment

en marche

EN C A D R É 1

LE S T E R R I TO I R E S D E S A N T É

❚ Article L.6121-1 du Code de santé Publique. Le schéma d’organisation sanitairea pour objet de prévoir et susciter les évolutions nécessaires de l’offre de soins pré-ventifs, curatifs et palliatifs afin de répondre aux besoins de santé physique et men-t a l e. Il inclut également l’offre de soins pour la prise en charge des femmes enceinteset des nouveau-nés.Le schéma d'organisation sanitaire vise à susciter les adaptations et lescomplémentarités de l’offre de soins, ainsi que les coopérations, notamment entreles établissements de santé. Il fixe des objectifs en vue d’améliorer la qualité,l’accessibilité et l’efficience de l’organisation sanitaire.Il tient compte de l’articulation des moyens des établissements de santé avec lamédecine de ville et le secteur médico-social et social ainsi que de l’offre de soinsdes régions limitrophes et des territoires frontaliers.Un arrêté du ministre chargé de la santé fixe la liste des thèmes, des activités desoins et des équipements lourds devant figurer obligatoirement dans un schémad’organisation sanitaire.Le schéma d’organisation sanitaire est arrêté sur la base d’une évaluation desbesoins de santé de la population et de leur évolution compte tenu des donnéesdémographiques et épidémiologiques et des progrès des techniques médicales et après une analyse, quantitative et qualitative, de l’offre de soins existante.Le schéma d’organisation sanitaire peut être révisé en tout ou partie, à toutmoment. Il est réexaminé au moins tous les cinq ans.❚ Article L.6121-2. Le schéma d'organisation sanitaire comporte une annexe établieaprès évaluation de l’adéquation de l’offre de soins existante aux besoins de santé etcompte tenu de cette évaluation et des objectifs retenus par le schéma d’organisa-tion sanitaire. Cette annexe précise :• les objectifs quantifiés de l’offre de soins par territoires de santé, par activitésde soins, y compris sous la forme d’alternatives à l’hospitalisation, et paréquipements matériels lourds définis à l'article L. 6122-14 ;• les créations, suppressions d’activités de soins et d’équipements matérielslourds, transformations, regroupements et coopérations d’établissementsnécessaires à la réalisation de ces objectifs.Selon les activités et équipements, les territoires de santé constituent un espaceinfrarégional, régional, interrégional ou national. Les limites des territoires de santésont définies par le directeur de l'agence régionale de l’hospitalisation pour lesactivités et équipements relevant du schéma régional d’organisation sanitaire etpar le ministre chargé de la santé pour ceux qui relèvent d’un schéma interrégionalou national.Les autorisations existantes incompatibles avec la mise en œuvre de cette annexesont révisées au plus tard deux ans après la publication du schéma d’organisationsanitaire.Les modalités de quantification des objectifs mentionnés au présent article sontfixées par décret.S o u rc e : O rdonnance nº 2003-850 du 4 s e p t e m b re 2003, art. 5 I, II, Journal Officiel du 6 s e p t e m b re 2003.

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Des territoires de santé, pour quoi faire ?

un développement cohérent du parc hospitalierf r a n ç a i s .❚ La loi n°91-748 du 31 juillet 1991 portant réformehospitalière a rationalisé les dépenses de santé parl’évaluation de l’activité hospitalière et créé les pro-jets d’établissements et le Sros.❚ La loi n°93-8 du 4 janvier 1993 relative aux rela-tions entre les professions de santé et l’assurancemaladie, dite “loi Teulade”, pour ce qui concernele secteur ambulatoire, a créé les Unions régio-nales de médecins libéraux (URML).❚ Les ordonnances d’avril 1996 ont instauré lesAgences régionales d’hospitalisation (ARH), nou-velles autorités uniques pour les établissementspublics et privés. Elles ont aussi créé les Unionsrégionales des caisses d'assurance-maladie(Urcam), chargées notamment de la définitiond'une politique de gestion du risque et d’analysedes besoins, les conférences régionales de santé(CRS), chargées de déterminer les priorités régio-nales de santé, et les programmes régionaux desanté (PRS) qui en procèdent.❚ La loi n°98-657 du 29 juillet 1998 de lutte contreles exclusions crée les programmes régionaux d'ac-cès à la prévention et aux soins (Praps).❚ La loi n°2002-303 du 4 mars 2002 relative auxdroits des malades et à la qualité du système desanté regroupe les instances de concertation enune instance unique, les conseils régionaux desanté (CRS).❚ L’ordonnance n°2003-850 du 4 septembre 2003clarifie les compétences, réforme le régime desautorisations et du contrat, et instaure de nouvellesrègles pour l’élaboration des Sros. Elle établit lanotion de territoire de santé en réécrivant lesarticles L.6121-1 et L.6121-2 du Code de santépublique (voir encadré 1).❚ La loi n°2004-806 du 9 août 2004 relative à la poli-tique de santé publique instaure le plan régionalde santé publique (PRSP) arrêté par l’État aprèsconsultation du comité régional de santé publique.Parallèlement, elle instaure le groupement régio-nal de santé publique (GRSP) qui rassemble danschaque région les diverses instances interv e n a n tdans les domaines de l’observation, de l’épidé-miologie, de la prévention et de l’éducation pourla santé. La loi ouvre aussi la porte à de futuresagences régionales de santé (ARS), assurant à lafois des missions de santé publique et d’organisa-tion des soins.❚ La loi n°2004-810 du 13 août 2004 relative à l’as-surance maladie complète le dispositif en renfor-çant les Urcam, en prévoyant des liens plus fortsentre ARH et Urcam, et envisage même au titre de

l’expérimentation la possibilité de création desARS (article 69). Elle fixe dans tous les cas une listeminimale d’actions qui devront être menéesconjointement dans chaque région par l’ARH etl’Urcam, à savoir :• l’élaboration d’une politique d’installation desp rofessionnels des médecins libéraux, au traversde l’identification des zones rurales ou urbaines oùest constaté un déficit en matière d’offre de soinset dans lesquelles des primes à l’installation pour-ront être versées, le tout en cohérence avec les dis-positions prévues dans le Sros;• la permanence des soins de médecine générale,dont l’organisation restera arrêtée dans chaquedépartement par le préfet, mais sur proposition del’ARH et de l’Urcam. Le décret en Conseil d’Étatqui organise la permanence de soins en applica-tion de l’article 40 de la loi de financement pour2003 sera modifié en conséquence;• le rapprochement ville/hôpital, avec l’établisse-ment d’un programme annuel conjoint d’actions,notamment en termes de développement desréseaux et de promotion des bonnes pratiques(voir encadré 2).❚ La circulaire du 8 mars 2004 relative à l’élabora-tion des Sros vient préciser ce dispositif. Les Sros,instaurés pour cinq ans, arrivent, en effet, aujour-d’hui à renouvellement. Tout concourt à établirque les Sros dits de “troisième génération” ferontune plus large place encore à la notion de terri-toires, de bassins de santé. Mais pour quoi faire ?

d o s si e r

SOiNS CADRES - n°52 - novembre 2004

EN C A D R É 2

DE S AG E N C E S R É G I O N A L E S D E S A N T É À E X P É R I M E N T E R

❚ Article 68. Au plus tard un an après l'entrée en vigueur de la présente loi, l e sministres chargés de la Santé et de la Sécurité sociale désignent les régions qui, sur labase du volontariat, sont autorisées à mener pendant une durée de quatre ans uneexpérimentation créant une agence régionale de santé, qui s’appuiera sur l’expé-rience tirée du fonctionnement des missions régionales de santé mentionnées à l’ar-ticle L. 162-47 du Code de la Sécurité sociale.Les agences régionales de santé sont chargées des compétences dévolues àl’agence régionale de l’hospitalisation et à l’union régionale des caisses d’assurancemaladie. Elles sont constituées, selon des modalités définies par décret en Conseild’État, sous la forme d'un groupement d’intérêt public entre les organismesd’assurance maladie, la région, si elle est déjà membre de l’agence régionale del'hospitalisation, et l’État. Les personnels des agences régionales de l’hospitalisationet des unions régionales des caisses d'assurance maladie sont, avec leur accord,transférés dans les agences régionales de santé ainsi créées. Ces personnelsconservent le statut qu’ils détenaient antérieurement à leur intégration. En outre,les agences régionales de santé peuvent employer des agents dans les conditionsfixées à l’article L. 6115-8 du Code de la santé publique.S o u rce : Loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie.

G L O S S A I R E

• ARH : agence régionaled ’ h o s p i t a l i s a t i o n

• CRS : c o n f é r e n c e srégionales de santé

• Datar : délégation àl’aménagement duterritoire et à l’actionr é g i o n a l e

• GRSP : g r o u p e m e n trégional de santé publique

• MCO : m é d e c i n e,c h i r u r g i e, o b s t é t r i q u e

• PMSI : p r o g rammme demédicalisation dessystèmes d’information

PRAPS : p r o g ra m m e srégionaux d’accès à laprévention et aux soins

• PRS : p r o g ra m m e srégionaux de santé

•SROS : schéma régionald’organisation sanitaire

• T2A : t a r i fication àl ’ a c t i v i t é

• Urcam : union régionaledes caisses d’assura n c em a l a d i e

• URML : union régionalede médecins libéra u x

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PO U R U N E “C O N S C I E N C E G É O R G R A P H I Q U E”D E S T E R R I TO I R E S D E S A N T ÉAu fond, il a été parfaitement répondu à la ques-tion dans un récent dossier de Soins Cadre s1 o ù ,sous la plume de François Grémy, la situation àlaquelle les hommes et les femmes de terrain sontchaque jour confrontés, a été campée magistrale-ment et sans détours inutiles. Il importe de bienprendre la mesure de ses propos et particulière-ment de ceux concernant les conséquences de latransition épidémiologique: le vieillissement de lapopulation et l’effacement de l’aigu au profit duchronique, qui a pour conséquence majeure dedéplacer le problème du champ pathologique auchamp physiologique pur de la sénescence. Av e cd’autres, nous disons depuis plus de dix ans que làréside la tare majeure de notre système de soinsqui l’empêche d’être un système de santé. Lasénescence, la dépendance, le handicap ne sontpas une “maladie” mais une donnée qui s’impose ànotre société et qui commande son élargissementdu champ de la pathologie au champ de l’accom-pagnement social et médico-social de l’évolutionphysiologique normale des individus. Dans lemême dossier, Gérard Dumont2, ancien directeurde l’ARH Nord-Pas-de-Calais et, à ce titre,confronté à la plus mauvaise situation sanitairerégionale qui soit en France, estimait que « la ques-tion majeure posée à notre système de soins est celle de

l’égalité d’accès des citoyens aux services de santé » .Le constat n’est hélas pas nouveau et l’on a depuislongtemps attiré l’attention sur les inégalités terri-toriales de santé que notre système républicainn’est pas parvenu à effacer. Lorsqu’avec Alain Cor-vez nous avons posé les bases de ces notions de ter-ritoires de santé, nous voulions insister sur laconscience géographique que l’on doit avoir desquestions de santé : la santé, entendue comme labonne santé des habitants et comme la disponibi-lité de services de santé de qualité qui apparaissentau surplus comme une condition forte de la com-pétitivité des territoires.Il est apparu assez vite aussi que la reconnaissancede territoires de santé constituait un cadre propiceà l'éclosion d'une démocratie sanitaire souhaitéepar les citoyens et souhaitable en ce qu’elleconcourt à la participation de chacun à sa santé.Les territoires sont, en effet, d’abord nos lieux desociabilité, ceux où s’exprime le mieux notre enga-gement à la vie sociale et politique, aujourd'huibien plus que notre lieu de travail, changeant etincertain pour beaucoup d’entre nous. C’est le lieuaussi où se tissent aisément des relations, desréseaux pluridisciplinaires si nécessaires à la priseen charge globale de l'individu.Il est donc assez facile de justifier l’approche terri-toriale en santé et, pour tout dire, assez surprenantde devoir le faire. Mais pour autant, s’il est facilede répondre à la question du “pourquoi”, ilimporte plus encore de répondre à la question du“comment”. Il est d’autant plus important derépondre à cette question que la réforme de la tari-fication à l’activité (T2A), d’inspiration néolibé-rale, présente de nombreux risques, non seule-ment pour les finances publiques, mais aussi pourla santé publique. La prochaine fixation d’objectifsq u a n t i fiés d’activités par territoires de santé, vou-lue par l’article 5 de l’ordonnance du 4 s e p t e m b r e2004, n’est pas sans poser de profondes contradic-tions, tant avec la T2A qu’avec les principes mêmesde notre système de santé. Ces principes ont étésolennellement réaffirmés dans le préambule del’exposé des motifs de la loi du 13 août relative àl’Assurance maladie et sur lequel nous pouvonsnous appuyer (voir encadré 3).Nous pouvons tout d’abord interpréter les textesqui se succèdent, lois, ordonnances, décrets, circu-laires, comme un effort de réponse à cette ques-tion du “comment” et ces efforts successifs doiventnous inviter à ne pas les décrier car, au final, ils tou-chent là aux questions les plus fondamentales dum o m e n t : réforme de l’État, vie participative etdynamisme des territoires. Ces textes, et tout parti-

A r g e n t , soins et protection socialed o s si e r

EN C A D R É 3LE S P R I N C I P E S D U S YS T È M E D E S A N T É F R A N Ç A I S

La situation de l’Assurance maladie est extrêmement préoccupante, comme l’avaitconstaté le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, installé en octobre2003 par le Premier ministre et réunissant les représentants des acteurs du mondede la santé. C’est pourquoi le Gouvernement a décidé de mettre en œuvre uneréforme structurelle de l’assurance maladie, en concertation avec l’ensemble desacteurs. Cette réforme vise à sauvegarder notre régime d’assurance maladie, enpréservant et consolidant ses principes fondamentaux auxquels le Gouvernementet les Français sont attachés, car ils sont à l’origine de son excellence :• l’égalité d’accès aux soins. Elle doit être garantie à tous nos concitoyens,quel que soit leur lieu de résidence sur le territoire national et quels que soientleurs revenus. Elle suppose l’existence d’un système d’assurance maladie public et universel ;• la qualité des soins. Les soins délivrés par les professionnels sont d’ores et déjàde très bon niveau. Mais nous devons résolument développer dans le domaine de lasanté la culture de la qualité ;• la solidarité. Chacun doit contribuer à l’assurance maladie selon ses moyens et recevoir selon ses besoins.S o u rce : Loi relative à l'Assurance maladie. Projet de loi n°1675 du 15 juin 2004. Exposé des motifs.

NOT E S

1 . Grémy F. De quelquesmaladies chroniques dontsouffre notre système desanté et de soins. In SoinsC a d r e s , novembre 2003 ;48 : 2 3 - 6 .

2 . Dumont G. Le principerépublicain d’égalité etl’accès aux soins enFra n c e. In Soins Cadres,novembre 2003 ; 48 :2 7 - 3 0 .

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Des territoires de santé, pour quoi faire ?

culièrement, disons-le, ceux de cette année, créentun dispositif propice, mais ce n’est pas être oiseaude mauvais augure que de penser qu’ils serontlongs à produire leurs effets, sans même supposerque, comme de nombreuses dispositions de la loidu 4 mars 2002, ils ne verront hélas jamais le débutde leur application. Tout comme une hirondelle,une circulaire, une ordonnance, une loi même, nefont pas le printemps. Ce qui se passe aujourd’huiautour de la question des territoires de santé doitdonc être vécu comme une expérience, unapprentissage, car la question n’est pas facile.

DE S T E R R I TO I R E S D E S A N T É P O U R R É P O N D R EAU X B E S O I N S D E L A P O P U L AT I O NAu-delà de l’espace de concertation qu’ils créent,les territoires de santé, tels que nous les avonsconçus avec Alain Corvez, sont d’abord des terri-toires d’étude et de concertation. Ils ne sont pasuniques et il existe au moins cinq niveaux de terri-toires, dont quatre pour l’hospitalisation, que nousproposons d’appeler territoires “de proximité”(globalement, l’hôpital local), “de recours” (l’an-cien centre hospitalier de secteur) et “de réfé-rence” (le Chu) en fonction de la plus ou moinsgrande rareté des soins qu’ils délivrent et des acti-vités de santé qu’ils seront appelés à développer enconséquence de la transition épidémiologique.Chacun habite ainsi plusieurs territoires emboîtéset gradués au sein desquels il doit pouvoir trouverla réponse qui convient à son problème de santéau bon moment et au bon endroit, c’est-à-dire àchaque fois que la qualité et le coût le permettent,au plus près de chez lui, ce qui suppose aussi d’ac-cepter la distance à chaque fois que la qualité et lecoût le demandent.Ces territoires doivent, dans un premier temps,être des lieux de concertation et de propositionautour d’une juste appréciation des besoins deleur population. Les systèmes d’information dontnous disposons aujourd’hui, et notamment le pro-gramme de médicalisation des systèmes d’infor-mation (PMSI) du champ MCO (médecine, chi-rurgie, obstétrique), constituent une base deréflexion solide non pas pour fixer des besoinsmais pour poser les problèmes afférents à une sur-ou sous-consommation. Est-ce un effet de codage,un effet d’offre ou un effet épidémiologique quiexplique la sur- ou la sous-consommation dans unterritoire par rapport à ce que consomment les ter-ritoires voisins ou les Français à âge et sexe com-p a r a b l e s?Dès lors que l’on aura discuté autour de cesmesures – mais il y faudra du temps, de la pédago-

gie et beaucoup de formation des acteurs à l’ana-lyse quantitative et surtout à son interprétation –on aura de réelles bases pour déterminer ce quedoit être la réponse aux besoins de la population.Pour l’heure, les territoires de santé doivent êtreinvestis par tous les acteurs, d’abord pour y établirla concertation avec les acteurs voisins dans lecadre de réseaux, ensuite pour y faire l’apprentis-sage d’une démarche de véritable santé publiqueassez éloignée de notre pratique historique. Lesdispositions législatives récentes vont dans ce sens,prévoyant une meilleure circulation de l’informa-tion et sa mise à disposition de tous. À cette fin ,l’article 35 de la loi du 13 août 2004 prévoit la créa-tion d’un Institut des données de santé dont l’ob-jectif principal sera de veiller à la qualité des sys-tèmes d’information utilisés pour la gestion durisque maladie et au partage des données, dans lerespect du principe d’anonymat. À brève échéance, va cependant se poser, prati-quement, la question des fondements médicauxde la T2A et des annexes opposables du Sros fix a n tdes objectifs quantifiés par territoire qui apparais-sent, du reste, comme une curieuse contradiction.Elle est celle des possibilités d’application à un élé-ment majeur du pacte républicain français desmécanismes de marché. Elle est, paradoxalementaussi, celle de la possibilité d’une planification apriori dans un domaine où seul le contrôle a poste-r i o r i, c’est-à-dire la pratique constante d’une éva-luation scientifique ou encore le “contrôle médi-cal”, nous paraît envisageable. Que se passera-t-ilsi, en septembre, les objectifs quantifiés sont dépas-sés parce qu’il y aura eu une canicule en août? Etque se passera-t-il si, en décembre, ils ne sont pasatteints parce que cette année-là il n’y aura pas eude problèmes ?

CO N C L U S I O NAinsi, s’il est heureux que la territorialisation de lasanté soit comme un navire en marche, il imported’apprendre à bien l’utiliser pour en éviter lesécueils de sa route. L’apprentissage sera sans doutebien plus long que les exercices en cours, mais ilen vaut la peine et c’est en marchant que l’onapprend à marcher. ■

d o s si e r

SOiNS CADRES - n°52 - novembre 2004

L’AU T E U R

Emmanuel V i g n e r o n , professeur des Universités,directeur scientifique du groupe Santé et Territoires de laDélégation à l’aménagement du territoire et à l’actionrégionale (Datar), conseiller scientifique de la Datar,Montpellier (34)

DU MÊME AU T E U R

• Vigneron E, Corvez A .(en coll. a v e c ) .Aménagement du territoireet santé publique. A c t u a l i t éet dossier en santép u b l i q u e. j a n v i e r 2 0 0 0; 2 9 .

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