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TERRE DE DESIR

GILLES RANC

TERRE DE DESIR

L ' ARABESQUE

136 . 138 , rue Lamarck PARIS

© 1958. Editions de l 'Arabesque.

Tons droits réservés pour tous pays, y compris

l'U.R.S.S.

CHAPITRE PREMIER

Au fond du grenier baigné d 'une demi-clarté, Alba s'était renversée su r le foin, sa jupe rou- ge relevée su r les cuisses ; ses cheveux l'en- touraient d 'une belle coulée de boucles som- bres et brillantes. Un r i re parei l à un roucou- lement de colombe agitait sa gorge.

Elle remonta ses bras derr ière la tête, bom- ba ses seins, et, détai l lant le garçon qui se tenait droit devant elle, m u r m u r a entre ses dents :

— Eh bien, Juanito, qu'est-ce que tu at- tends ? Aurais-tu peur ?

— Peur... peur de toi ? Il me semble que je t 'ai déjà prouvé à maintes reprises le con- t raire ! Petite imbécile, va !

Alba, placide, s'assit sur le foin odorant ; elle savait le tenter, l 'at t iser p a r les pénom- bres secrètes ma l cachées p a r la jupe ; elle feignit d'être piquée p a r un insecte et en pro- fi ta pour passer le bout de ses ongles su r ses seins, qu'elle i rr i ta sous les yeux allumés et comme fous de Juanito. Il haleta :

— Qu'est-ce que tu veux, au juste, Alba ? Tu as prétendu, tout à l 'heure, que tu ne se- rais jamais plus là moi, que je te sortais des yeux, que tu me haïssais, et maintenant. . .

— Maintenant ? — ... Tu me tentes, peti te aguicheuse. Tu es

là à i rr i ter m a peau avec toutes tes merveilles étalées.

— Et tu ne t 'en plains pas, j 'espère ? De nouveau, orgueilleusement, elle exhiba

les frui ts qui venaient éclater au milieu de la frêle échancrure de soie rouge ; la jupe, un peu plus relevée, laissa apercevoir une peau moins sombre, là où les exigences de la pu- deur voulaient qu'Alba, qui aimait vivre li-

brement , cachât ses charmes. Elle r icana de nouveau, puis dit :

— Te plains-tu, oui ou non, de me savoir à toi ? Je suis tienne, Juanito, je t 'ai dans la peau ; j 'ai d 'abord voulu résister à cette con- viction... Mais là présent, je sais que toute lut- te de m a pa r t est inutile. Tu m e tiens. T u m'as révélé des plaisirs que je n 'oubl ierai plus. Tu as tiré de moi des plaintes qu 'aucune femme ne peut avoir poussées, j 'en suis sûre, sans être liée à mor t avec un homme.

Elle se releva sur un coude et demanda : — Comprends-tu ce que cela veut dire :

être liée à mor t avec un être ? Il se je ta auprès d'elle sur le foin ; elle le

regarda haleter , la chemise ouverte sur ses pectoraux de bronze où la sueur p iquai t des gouttelettes.

I l avait les cheveux du même b r u n qu'elle, et Alba n 'avait jamais pu voir ses admirables yeux, à la fois suppliants et impérieux, sans se sentir remuée jusqu 'au fond des sèves.

« Que je l 'aime ! pensa-t-elle. Comment lui résister désormais ? E t lui me désire au tan t

que je peux le souhaiter. Pourquoi faut-il que

ce mal terrible me dévore ?... » Le mal terrible d'Alba, c'était la jalousie ;

elle ne pouvait voir une fille du mas appro- cher le jeune homme, se f rôler à lui, ou mê- me échanger de simples plaisanteries, avec Juanito, sans être bouleversée d'une sorte de rage ardente et destructive. Elle détestait sur- tout les filles blondes, celles dont la chair pâle, croyait-elle, devait tenter peut-être plus que la sienne l 'envie d 'un garçon pétri de muscles bruns... p a r contraste.

Tandis que Juanito, le souffle court, sidéré de désir, la contemplait à son aise, elle se rappela une jeune paysanne aux cheveux de lin, venue quelques mois plus tôt au mas de la Soleillado a ider les journal iers habituels ; cette petite, gorge parfaite, n 'avait pas froid aux yeux ; elle aguichait visiblement le jeune Espagnol, en se baissant su r les sillons, crou- pe dessinée par la robe fendue, les rondeurs de sa poitr ine s 'écrasant sur son ventre, dans une pose très suggestive. Un jour que Juanito contemplait la fille aux cheveux pâles — ah ! qu'elle connaissait bien ce regard luisant de convoitise, plus sombre encore entre les longs

cils andalous ! — elle avait été prise d 'un goût de battre, de meur t r i r , une impat iente f u r e u r l 'avait soulevée et, d 'un coup. elle s'était je- tée sur l ' indésirable.

S ' emparan t d 'une poignée de terre, ayant basculé sa rivale dans le sillon, elle l 'avait forcée à absorber un peu de terreau brûlant . Alba criait :

— Tiens, petite ordure, ça t ' apprendra à p rendre de sales postures devant les hommes ! Tiens, et tiens encore !

Oui, Alba se rappela i t cette circonstance..., avec une certaine confusion, il est vrai. D'ail- leurs n'était-elle pas sûre que Juani to fû t à elle, uniquement à elle ? Et, quand elle s'é- tait relevée, robe troussée au-dessus de la fil- le allongée sur le sol, les yeux pleins de lar- mes et m a n q u a n t d'étouffer, elle avait eu comme hor reu r d'elle-même ; elle avait couru comme une démente au fond de la m e r des vignobles rectilignes qui valsaient sous son regard ; elle s'était jetée à l 'abri d 'une haie de cyprès, la tête enfouie sous ses bras. Ah ! de quoi ne serais-je pas capable pour lui, pour le garder, pour n 'avoir son corps et son regard

qu 'à moi seule ! » Et l 'herbe qu'elle sentait sous ses lèvres, qui chatouillait son corps ar- dent, glissait sa subtile f ra îcheur le long de ses bras, c'était encore l 'odeur de Juanito qu'elle lui rappelai t . Tout à coup, elle avait en tendu un brusque éboulis de cailloux au- dessus d'elle : Juani to écartait le r ideau de cyprès, il venait de la découvrir là, humiliée, bourrelée de honte, et doucement il s'était glissé près d'elle. Elle avait été à lui dans un élan de toute sa chai r décontractée.

— Juanito, mon chéri, calme-moi. J 'ai plus besoin de toi que de nourri ture. Avec toi, je vivrais volontiers des jours et des jours r ien qu'avec quelques tomates, un peu de pain et de l 'eau pure.

— Alba, m o n amour, m a terrible petite fil- le...

Oui, elle s 'était livrée à lui, fiévreusement, sans souci qu'ils fussent si peu cachés au regard des curieux, en pleine campagne, à un je t de pierre du grand mas endormi dont les tuiles romaines rut i la ient à l 'horizon, sous l ' imposante masse agreste du Mont-Ventoux.

— Alba, pars avec moi. Nous gagnerons

Marseille. Tes parents ne pour ron t plus s'op- poser à notre amour. Consens à me suivre, Alba, et nous aurons la plus belle passion du monde.

Alba, soudain, s 'était fermée, comme in- quiète, regardant du côté de la maison, où il lui semblait deviner ses parents aux aguets, — et sa mère chuchotai t à son père, Maître Raphaël , lou maistre : « Notre fille se perd, Antoine. Ce Juani to n'est qu 'un va-nu-pieds, un bon à rien. Il f au t défendre Alba contre l ' a rdeur de sa nature. »

Car la mère d'Alba, Marcelline, était une femme pleine de préjugés ; elle tenait à ce qu'elle appelai t l 'honneur des Raphaël , au

prestige d'un nom connu e t respecté dans la région — et surtout, songeait Alba, à ga rder la for tune qui devait revenir à leur fille des entreprises d 'un vague employé de fer- me. Juani to pouvait être beau, hardi , coura- geux à la besogne, qu ' importa i t à la vieille Marcelline ! Elle rêvait pour Alba d 'un par - ti de tout repos, d 'un époux aussi bien renté qu'eux, les Raphaël .

Et Juani to en voulait au père et à la mère

d'Alba de leur att i tude arrêtée, semblait-il, une fois pour toutes. Il reprochai t souvent à Alba de n 'oser point rompre ses liens fami- liaux. Alors, comme pour la punir parfois, il s 'amusai t à distinguer quelque fille légère, à la forcer avec désinvolture dans un taillis, et le lendemain, la fille répétai t tout aux jour- naliers de la Soleillado. Alba retrouvait la m ê m e fu reu r forcenée ; elle injuriai t Juanito ou s 'enfermai t dans sa chambre, comme une bête blessée.

Ils en étaient arrivés à ce stade où leur amour — sans cesse contrar ié p a r les au t res — était devenu un drame permanent , seule- ment coupé de frénétiques interludes.

« Mais aussi, songeait Juanito, pourquoi n'accepte-t-elle pas de fu i r avec moi ? Pour- quoi continu e-t-elle de se laisser terroriser pa r ses parents , elle si libre, si vierge folle d'au- tre pa r t ? »

Devinant combien ils r isquaient d'être épiés p a r les paysans, au cours de leurs rendez-vous par la campagne, ils avaient décidé de se re- jo indre plus discrètement dans ce grenier quasi abandnoné, situé au fond des c o m m u n s

Alba y gr impai t chaque après-midi, à l 'heure de la sieste, pa r une échelle de corde qu'ils re t i ra ient une fois que Juani to était venu la rejoindre. Toute la campagne, alentour, sous un ciel torride, semblait dormir . Mais eux, certes, ne dormaient guère au cours de cette heure où leur a rdeur mutuel le se ran imai t dans les plus inventives caresses. Et parfois , confuse de s'être donnée avec tant de l ibéra- lité, Alba se demanda i t :

— Et si on nous entendai t ? J 'ai soupiré, j 'ai dû crier des mots d ' amour avec trop de violence ! Ah ! Dieu fasse que m o n père ne soit pas mis au courant de mes folles auda- ces.. »

Juani to la regardai t de tout près : il bu- vait ces lèvres d'une pourpre attirante, l 'éclair des dents parfaites. Il avait enfoui son nez derr ière l 'oreille d'Alba — et la humai t com- me une f leur prestigieuse. Leurs bouches s'at- t irèrent, se mordirent , puis il sentit Alba s 'écar ter légèrement :

— Tu ne m'as pas répondu, Juanito : je t 'ai demandé si tu savais ce que c'est que de se sent ir unie à un être jusqu 'à la mort ?

— Que vas-tu chercher là encore ? Elle griffa la nuque du garçon de ses ongles

aigus :

— Je suis jalouse de toi. Je le suis de plus en plus, et ce sent iment m'étouffe, parfois. Je t 'ai vu, hier encore, regarder la fille de cui- sine de m a mère d 'un air qui m 'a mise en rage. Il m'est impossible de souff r i r cela plus longtemps. Tu dis que tu m'aimes... et tu te conduis bien souvent à m o n égard comme un rustre, un goujat.

Juanito pri t un air à la fois f i naud et em- bar rassé :

— Voilà bien tes reproches ! Toi, tu te crois sans reproche. Tu m e voudrais ton esclave, ton chien, mais tu persistes à te conduire, de ton côté, exactement comme il te plaît. Tu m'appel les et je viens. C'est là ton idéal, pas vrai ? Tu te détournes, me déconcertes d 'un

refus, et j 'obéis encore. Tu me fais endure r de rudes supplices, m a très belle...

Alba paru t offusquée : — Ingrat ! Ne t'ai-je pas tout donné de ce

qu'une fille sérieuse peut accorder à un gar- çon comme toi ?

— Ton corps, je sais et j 'apprécie ce pri- vilège. Mais ton esprit, ta pensée, tu les gar- des pour toi. A vrai dire, tout en p ré tendan t

être folle de moi, tu ménages les tiens. Tu restes la fille Raphaël , celle qui doit épouser un type riche et doit hér i ter de la Soleillado. On dirait que tu me crois intéressé, p a r mo- ments, m a parole ! C'est faux, puisque je te propose depuis longtemps de quitter ce pays avec moi. Je travail lerais pour toi, si tu vou- lais, et je te ferais une vie aussi heureuse que celle que tu mènes ici, dans la hantise des ca- chotteries et de la mauvaise conscience.

Alba réfléchissait; ses doigts experts cares- saient la nuque de l 'espagnol; il voulut de nouveau la soumettre sous son poids, mais, intéressée p a r ses paroles, elle coupa son élan.

— Explique-toi mieux, Juanito, dis-moi... En somme, si je comprends bien, tu te venges de mon att i tude en distinguant d 'autres filles ? C'est pour me pun i r que tu m'humilies de la sorte, à plaisir ? C'est bien cela, tu es ja loux aussi ?

Il avoua, l 'accent rauque, labouré de pas- sion : « Oui, c'est pour cela. Je pensais que tu l 'aurais compris... »

— Et tu sens que tu m'aimes, toi aussi, chair et âme, jusqu 'à la mor t ? Tu serais capable

de commettre un acte fou, criminel peut-être, si je te t rompais ?

— Exactement. Elle eut une reptat ion enamourée vers lui : — Répète-moi ces mots, Juanito, i l s me sou-

lagent. Ils me font l 'effet d 'une source, d 'un bain miraculeux.

— Eh bien, pour toi, p o u r te garder, je se- rais capable de devenir un paria , u n bandit .

Elle le récompensa de ces ardentes paroles en s 'offrant toute soudain, l ' appelant vers elle, avide de sentir sur ses cuisses la robuste pesée de Juanito. Ils restèrent ainsi unis, le souffle oppressé, un bon moment , et il leur semblai t qu 'au tour d 'eux les vignobles et les chant& des insectes n 'étaient plus qu 'un écran brû- lant à leur volupté.

Elle m u r m u r a : — Mon chéri, nous allons faire un pacte,

veux-tu ? — Quel pacte ? Alba n 'hésita guère : — Celui-ci : le p remier de nous deux qui

su rp rendra l 'autre en train de le t romper au- ra un droit terrible celui de le tuer.

— Quoi ? Tu me tuerais alors, à m a pro- chaine t romper ie ?

— Oui, comme une mauvaise bête. Je ne dis pas tout cela à la légère. Nous ne sommes plus des enfants. Nous devons peser notre marché. Il faut que tu te sentes sûr de toi, Juanito, avant d'y consentir.

Elle l 'obligea à le regarder bien en face : — Est-ce que tu dis oui ? Est-ce que tu ac-

ceptes de m o u r i r p a r m a main, si je te sur- p rends en faute ?

— Oui.

Il avait par lé gravement, en soutenant le re- gard possessif d'Alba. Mais déjà leurs peaux s 'a imanta ient de nouveau, irrésistiblement. Juani to écarta le tissu pourpre sur les fines jambes énervées, cherchant à s 'avancer vers des parages plus secrets. Le pa r fum du foin,

comme celui de la jeune fille, l 'étourdissait . On eût dit soudain que le vaste grenier à poutrelles se délivrait de toute amarre . Il les empor ta i t très loin dans le ciel éclatant d'août. Et ce jour-là, de nouveau, Alba s'en- chanta de gémissements où la joie s 'alliait à une ardente, voluptueuse douleur — celle que connaît la fille d'Eve enveloppée, forcée p a r toutes les brû lures d'Eros.

2

Elle crut d'abord entendre un gros rire d'homme, comme dans un rêve. Avait-elle eu un cauchemar ? Puis il lui sembla percevoir une rumeur de voix dans le silence torride. Ecroulé sur Alba, Juanito dormait peut-être. Elle le secoua, rabaissa hâtivement sa jupe, chuchota :

— Il me semble qu'on parle, en bas. Sei- gneur ! pourvu que l'on ne nous ait pas sui- vis !

— Tu es folle. Je n'entends rien... — Mais si... Ceux qui parlaient viennent de

se taire. Je te dis que quelqu'un nous a épiés. Quelqu'un ou plusieurs, comment savoir ?

— Le mieux est de se rendre compte. — Sois prudent. Mon père est capable du

pire, s'il te sait avec moi. Juanito se leva et se rajusta. Il fit un de-

mi-cercle et, le long de la cloison de planches, s'avança très lentement jusqu'à la fenêtre du grenier. Il risqua un coup d'œil au dehors, prudemment, et eut le souffle coupé : l'échel- le de corde était là, pendant dans le vide. Il avait oublié de la retirer ! Cette imprudence ridicule, qu'il ne devait qu'à sa hâte de re- joindre Alba tout à l'heure risquait de les perdre. Il revint près d'elle, à demi-courbé, et souffla :

— J'ai oublié de retirer l'échelle tout à l'heure.

— Mon Dieu ! Alba sentait son sang se glacer. Elle voyait

déjà Juanito tué net par son père, tombant foudroyé à ses pieds. Après tout, Maître Ra- phaël, à son acte monstrueux, aurait eu une belle excuse : il prétendrait tout simplement que son employé avait séduit sa fille, qu'il l'a- vait surpris se jetant voracement sur elle. Il serait jugé, certes, mais puni légèrement : on

connaissait son honnêteté, ses sentiments reli- gieux. De plus, il avait la fonction de conseil- ler municipal au gros bourg voisin. Beaucoup de gens ne l'aimaient guère, sans doute, dans le pays, à cause de son autorité, de sa réus- site matérielle insolente, mais nul n'oserait se mettre nettement contre lui : trop de pauvres gens, dans la plaine, dépendaient de sa for- tune... Toutes ces idées dérivaient dans la tête de la pauvre Alba atterrée, encore im- prégnée de l'odeur de l'amour.

— Qu'allons-nous faire ? — Attendons. S'il y a vraiment quelqu'un

en bas, il finira bien par donner signe de vie...

— Oui, et pour t'abattre, ou nous abattre tous les deux peut-être !

Juanito, toujours courbé, alla palper les planches qui fermaient les cloisons du gre- nier : fuir par une issue quelconque ? C'était impossible : de toute manière, d'en bas, on les verrait descendre, s'ils prenaient l'escalier des communs voisins du grenier.

— Attendons, répéta-t-il. Elle se colla contre lui ;

« Embrasse-moi. Si nous devons mourir , que ce soit en nous aimant... »

— Je t 'aime, Alba, ma mienne. Laisse-moi te serrer, te protéger. Ne pense à rien...

Avec les excès d ' imagination propres à la jeunesse, ils prévoyaient le pire, tremblants. Juani to était tout prêt, cependant, dès la pre- mière offensive de l 'ennemi, à défendre Alba. Il engloutit son front ent re ses seins, la respi- ra encore.

— On monte, Juanito... Sainte Sarah, pro- tégez-nous !

Elle se rappela i t na ïvement un pélerinage aux Saintes-Maries de la Mer, l'été précédent, où elle avait pr ié avec ferveur pour que son amour fût admis p a r les siens, pa rmi la hor- de bigarrée des gitans attirés p a r le rivage élu, Mais ce souvenir, soudain, ne lui valut plus qu ' amer tume : n'allaient-ils pas mour i r bête- ment, sans que le Ciel eût daigné leur venir en aide ?

— Oh ! Un visage se montra i t tout à coup dans

l 'ouverture béante, découpée sur le ciel. Mais ce n'était pas la face redoutée, aux sourcils

en broussaille, du célèbre « maistre » Ra- phaël. L 'homme qui les regardait , à quelques mètres, avait une épaisse chevelure hirsute et on le devinait re tenant son rire, les lèvres muet tement hilares.

Déjà, Juani to avait fa i t un bond su r ses pieds :

— Garcia ! Tu as osé nous regarder... In- f âme ! Tu n'as pas honte ?

— Tout doux, m o n bonhomme, je ne suis pas seul.

Garc ia se hissa sur le p lancher du grenier. C'était un homme court su r pattes, dans la c inquantaine ; son corps lourd était plein d 'une assurance replète. Juani to et Alba sa- vaient qu'il possédait la confiance des Ra- phaël, et cela n 'étai t pas pour les rassurer.

— Eh bé ! mes petits, on ne se gêne plus, je vois... C'est du p ropre !

— Que nous veux-tu ? — Mais rien... J 'allais à la Cadière avec une

poignée de journal iers p o u r charger quelques « banastes » de melons.., et, le tout premier, j 'a i avisé cette échelle de corde. Mettez-vous à m a place, petiots : c 'était bien na ture l que