Éternels t4 - la flamme des ténèbresekladata.com/if38zuel8n4f4kc1bw9ygpobjuw/eternels_t4...alyson...

172

Upload: others

Post on 28-Feb-2020

7 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as
Page 2: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

AlysonNoël

Eternels–Tome4

«Laflammedesténèbres»

MichelLafon

Page 3: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

—Tuasfumélamoquette,out’asprisuncoupsurlatête?

Havenenlaissetombersoncupcakeroseàpépitesdesucrerouge.Souslestroiscouchesdemascara,sesyeuxcherchentlesmiens,maisjeparcoursnerveusementduregardlaplacebondée. Etmoi qui croyais que ce serait une bonne idée de l’emmener dans sa pâtisseriepréférée, pour lui annoncer la nouvelle ! Je regrette déjàma décision. Comme si un petitgâteauàlafraiseallaitsuffireàfairepasserlapilule…Onauraitmieuxfaitderesterdanslavoiture.

—Necriepascommeça,s’ilteplaît!

Jecroiraisentendreunevieilleinstitutriceaigrie.Havensepencheversmoietramènelalonguemècheplatinedesafrangederrièresonoreille.

— Pardon?Onestbiensurlamêmeplanète, là?Tuviensdem’annonceruntruccomplètementdingue,ettumereprochesdeparlertropfort?Tutefichesdemoi,ouquoi?

J’inspireungrandcoup.Ils’agitdelimiterlesdégâtsplusfacileàdirequ’àfaire.Jebaisseencorelavoix:

— Je ne te reproche rien ! C’est juste que… personne ne doit savoir. Il fautabsolumentqueçaresteunsecret.

Leseulpetitennui,c’estquejemetrouvejustementenfacedelapirepipelettedumonde.Alors,unscooppareil!

Haven se laisse glisser sur sa chaise d’un air renfrogné et marmonne sa colère. Je laregarde,etquelquechosem’alerte.Jevoisdéjàlessignesdesonimmortalité!Sapeaupâleestparfaitement lisse, translucide;sescheveuxchâtainsetsamècheplatine le longdesonvisagebrillentcommeunepubpourdushampoingde luxe.Mêmesesdentssemblentplusblanches qu’avant, et je me demande comment c’est possible, alors qu’elle n’a bu quequelquesgorgéesd’élixir.Matransformationavaitétébeaucouppluslente.

Tantpis.J’oublieuninstantmapromessedenejamaisespionnerlespenséesdemesamis,etmeplongedanssonénergiepour lirecequ’ellenemeditpas. Il s’agitd’uncasde forcemajeure,aprèstout.

Mais jemecogneaussitôtàunmur.Circulez,yarienàvoir.Jevaismêmejusqu’à fairesemblantdem’intéresseràsabagueàtêtedemortpourfrôlersamain–sansrésultat.

Sonavenirm’estcaché.

Havenregardetout,saufmoi:laplace,safontaine,lesjeunesmèresavecleurspoussettesengrandeconversationsurleurtéléphoneportableetlesadolescentesquiricanent.

C’estjustequec’esttellement…

Jesaisquec’estduràavaler,maisbon…

J’ai intérêtà trouvermieuxsi je tiensà laconvaincre,mais lasituationmedépasse,moiaussi.

Ellemeregarded’unairblasé,sanscesserdepianotersurlebrasdesachaisemétallique.

Un

Page 4: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

—«Duràavaler»?C’estcommeçaquetuvoisleschoses,toi?

J’aidécidémentlechicpourtrouverlaformulequin’arrangerien!Siseulementjepouvaisrecommencer de zéro, je tâcherais dem’y prendre un peumieux…Mais c’est trop tard. Jetentederattraperlecoupcommejepeux.

— Non,mais j’essaie d’imaginer comment tu les vois, toi. Je sais que ça paraîtcomplètementfou…

LevisagedeHavenestunmasqued’uneimpassibilitéinquiétante.Jenepeuxmêmeplusliresonaurapourdécelersonhumeur.

—Sérieusement?Cen’estpasuneblague?Tum’asrendueimmortelle?

Je hoche la tête et redresse les épaules pour encaisser la colère qui va suivre. Giflesphysiquesouverbales,jeméritetoutcequ’ellepourramejeteràlafigure.J’aidétruitsavie,aprèstout.

—Waouh…J’avouequejesuisunpeusouslechoc.Jenesaispasquoitedire!

JetriturelebraceletenargentqueDamenm’aoffert.

— Écoute,Haven,jesuisvraimentdésolée.Tunepeuxpassavoiràquelpoint!Jem’enveuxtellement,je…

Je voudrais me justifier, expliquer les conditions du choix impossible que j’ai dû faire,combienc’étaithorribledelavoirsipâle,sifaible,àdeuxdoigtsdelamort…

—Maistudébloquesouquoi?Tuesentraindeterépandreenexcuses,alorsquejesuisentranse,àmedemandercommentjepourraisteremercierunjour!

Hein?

Havenbonditsursachaisecommeunpetitdiableàressort,levisageilluminé.

—Sérieux!C’esttropgénial!C’estletrucleplusmortel–enfin,immortel!–quimesoitjamaisarrivé!Etc’estgrâceàtoi,Ever!

Jeluifaisunpetitsourirecoincé.Jen’avaispasdutoutprévucetteréaction-là.Pourtant,unefoisdeplus,Damenm’avaitprévenue.

Damen,monâmesœurdepuisquatresiècles,fabuleusementbeau,compréhensif,patientetgénéreux– ilavaitdevinécommentHavenprendrait lachose,etc’estpourçaqu’ilavaitinsistépourm’accompagner.MaisjevoulaisaffronterHavenentêteàtête.Aprèstout,c’estmoiqui luiai faitboirede l’élixir,c’estmoiqui l’ai transformée :àmoide tout luirévéler.Saufqueriennesepassejamaiscommeprévu,évidemment.

Ellejubile,desétoilesdanslesyeux.

—C’estunpeucommeêtreunvampire,non?Maisenmieux:pasbesoind’éviterlesoleil,nidedormirdansuncercueil!C’estlepiedintégral!Depuisletempsquej’enrêvais,c’est un vrai miracle ! Je suis belle et immortelle comme un vampire, mais sans lesinconvénients!

Jeprotesteplatement:

—Tun’asrienàvoiraveclesvampires.Çan’existepas,d’abord.

Etnon,nivampires,niloups-garous,nielfes,nifées–justedesimmortels,deplusenplus

Page 5: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

nombreuxgrâceàRomanetmoi…

—Ahouais?Commentpeux-tuenêtreaussisûre?

— Parce que Damen a eu plus que le temps de voir le monde, et il n’a jamaisrencontré de vampires, ni personne qui en ait vus. Il pense que ce mythe s’inspire desimmortels,maisavecquelquesdistorsionspourfairefrémirdansleschaumières.Lesang,lesoleil,lepieuenbois,l’ailetlereste,c’estdufolklore,riendeplus.

MaisHavenn’écoutedéjàplus.Ellemontredudoigtsoncupcakeàmoitiédémoli.

—Jepeuxtoujoursmangercequej’aime,ouest-cequ’onauntrucspécialqui…

Sesyeuxs’écarquillentetelletapesurlatable.

Ah,c’estça !Ce jus rouge, là !Le trucbizarrequevousbuvez tout le temps !Pasvrai?C’estbiença,hein?Benallez,quoi,qu’est-cequetuattends?Passe-moiunebouteille,etquelafêtecommence!Jenetiensdéjàplusenplace!

Jen’enaipasapportéavecmoi.Ne te fâchepas, jevais t’expliquer.Jesaisqueçaa l’airsuper cool et tout, et c’est en partie vrai. Tu ne vieilliras plus jamais, tu n’auras plus deproblèmesdepeauoudecheveuxquis’abîment,tuvasavoirunesilhouetted’enfersansfairelemoindreeffort,ettuvaspeut-êtremêmeprendrequelquescentimètres.Maisilyaungrosbémol,aussi–pasqu’unseul,enfait.Ilfautquejet’expliquetoutçaavantde…

Ellebonditdesachaiseetsautillesurplace.

— Oh,çava!Pourquoitumebassinesavecteshistoiresdebémol?Jepeuxcourircommeleventetvivredessièclessansjamaisprendreuneride–quedemanderdeplus?Entoutcas,jem’encontenteraibienpouruneéternitéoudeux!

Jeregardeautourdemoi.Ilfautàtoutprixquejecalmesonenthousiasmeavantqu’ellen’attirel’attention.Jemepencheverselleetsiffleentremesdents:

— Haven, arrête. Assieds-toi, s’il te plaît. Je suis très sérieuse, c’est bien pluscompliquéqueça!

Maiselleresteplantéedevantmoietmedéfieduregard,déjàgriséeparsonimmortalitétouteneuve.

— Tues toujours sérieuse, toutest toujours compliqué, avec toi. Tunedesserresjamais les dents. Franchement, regarde-toi ! Tu me donnes les clés du royaume, et tuvoudraisquejerestesagementassisependantquetudissertessurlecôtéobscurdelaforce?Mais tu planes complètement ! Il faut que tu te décoinces unpeu, pour changer. Fais-moiconfiance,laisse-moitesterunpeumonnouveaumoi,voirdequoijesuiscapable.Tiens,sionfaisaitlacourse?Lapremièrearrivéeàlavoitureagagné!

Jememordslalèvre.Jepréféreraiséviter,maisjecroisquejevaisavoirbesoind’unpetitcoupde télékinésie bien placé pour la ramener sur terre et luimontrer qui commande. Jeplisselespaupièresetenvoiesachaiseluitaperderrièrelesjambespourl’asseoirdeforce.

—Aïe!Çavapas,non?Tum’asfaitmal!

Jehausselesépaules.Jesaistrèsbienqu’ellen’auramêmepasdebleu.Etpuis,j’aitropdechosesàexpliquer,ettroppeudetempspourlefaire.Jemepencheverselleetplantemonregarddanslesien.

Page 6: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

— Crois-moi,Haven.Si tuveuxjouerdans lacourdesgrands, il fautconnaître lesrègles.Sinon,c’estlacatastrophegarantie.

Page 7: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Haven entre dansma décapotable, claque la portière, et remonte ses pieds sur lesiège, les genoux sous le menton. La bande-son de la scène : une sélection de soupirs,grognementsetcommentairesfurieuxàmonégard.

Jesorsduparking,décidéeàignorersonattitudehostile.

Règle numéro un : ne jamais – jamais – en parler à qui que ce soit. Personne ne doitsavoir,nitesparents,nitonpetitfrère,ni…

Pff ! Ça ne risque rien, je ne leur parle pas ! Et puis, tu te répètes,ma vieille. Dis-moiquelquechosequejenesachepasdéjà,quejepuissesortirdecettevoitureetcommencermanouvellevie.

Jelaregardeencoin.Ellen’arrêtepasdecroiseretdedécroiserlesjambes,detirersursamèchedecheveuxetderemuersursonsiège.Lemessageest trèsclair :ellesupporte trèsmald’êtrecoincéedanscettevoitureavecmoi.

Maisjerefusedemelaisserimpressionner,j’aitropàdire.

—EtpasunmotàMiles,biensûr.

Ellepousseunsoupirexaspéréetfaittournerlabaguequ’elleporteaumajeur.Jevoisbienqu’ellerésisteàl’enviedelaissercedoigtmemontrercequ’ellepense.

—Motusetbouchecousue,j’aipigé.Accélèreunpeu!

— Tupeuxcontinueràmangernormalement,mais turisquesdeneplusenavoirenvie. L’élixir apporte tous les nutriments nécessaires. Évidemment, en public, il fautmaintenirlesapparencesetfaireunminimumsemblantdemanger.

Elles’esclaffe.

—Ah,c’estçaquetufaisais,quandtumettaistonsandwichenpiècesencroyantquepersonnene le remarquait ?Tu«maintenais les apparences» ?C’était très réussi, jedoisdire:Milesetmoiétionspersuadésquetuétaisanorexique!

Je me concentre sur la route pour ne pas laisser Haven me taper sur les nerfs. JecomprendsmieuxDamenetseshistoiresdekarma–mevoicifaceauxconséquencesdemesactes,etpasmoyend’yéchapper.Etlepire,c’estquesic’étaitàrefaire,jerecommencerais.Madécisionseraitlamême.Lasituationabeauêtredesplusinconfortables,jepréfèremillefoissubirçaqued’alleràl’enterrementdemameilleureamie.

Havensetourneversmoi,bouchebée,lesyeuxécarquillés:

—Ohpu…rée!Jecrois…jecroisquejet’aientendue!Jecroisesonregard,etmalgrélesoleildeCalifornie,j’aisoudainlachairdepoule.

Ohnon!Pitié,pasdéjà!

—J’aientenducequetupensais!Tutedisaisquetuétaisbiencontentedenepasêtre àmon enterrement, c’est bien ça ? J’ai littéralement entendu lesmots dansma tête !C’esttropcool!

Je ne dis rien, mais lève mon bouclier psychique pour protéger mes pensées et mon

Deux

Page 8: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

énergie.Commenta-t-ellepuliremespenséesalorsquejeneperçoismêmepaslessiennes–etquejeneluiaipasencoreapprisàsefabriquerunbouclier?Jeluttecontreunevaguedepaniqueimminente.

— Alorscen’étaitpasuneblague,cettehistoiredetélépathie?Vouscommuniquezvraimentcommeça?

Je hoche la tête doucement.Haven a les yeux qui brillent comme jamais. Leur couleurnoisettesommetoutebanale, souventcachéesousdes lentillesauxcouleurshallucinantes,s’estchangéeenuntourbillonmagnifiqued’or,detopazeetdebronze–merci,l’élixir!

—J’aitoujourssuquevousétiezbizarres,maisalorslà!Etvoilàquej’ailesmêmespouvoirsquevous!SiseulementMilesétaitlà!

Je freine pour laisser passer un piéton et ferme les yeux une seconde. Patience, Ever,patience…

—Mêmes’ilétaitlà,tunepourraispasluidire,tutesouviens?

Elle tourne la tête vers une Bentley noire arrêtée à notre hauteur, avec un beau jeunehomme au volant. Elle lui fait un petit signe de lamain et un clin d’œil, et éclate de rirequandilrépondparunsourirecharmeur.

—Oui,maman!Sérieux,Ever,détends-toi!J’aicomprislaleçon,jeneluidiraipas,OK?C’estjustequej’aienviedetoutluiraconter,questiond’habitude.Maisjevaism’yfaire,t’inquiète.Allez,avoue,c’estquandmêmesacrementgénial,non?Commenttuasréagi,toi,quandtul’asdécouvert?Tun’aspastrouvéçamortel–sansjeudemots?

J’écrase l’accélérateur et fais crisser les pneus. Je repense au premier jour de monimmortalité – ou plutôt, au jour oùDamenm’a tout expliqué, sur le parking du lycée. Jen’étaispasencoreprêteàl’écouter.Etjenetrouvaispasçagénialdutout,aucontraire.Puis,quand il a pris le temps de m’exposer notre long passé commun, je n’ai toujours pas sucomment l’accepter.D’uncôté, je trouvais ça formidablequenous soyons réunisaprèsdessiècles. Mais en même temps, j’avais du mal à tout accepter – et à abandonner ma vienormale.

Et encore, à l’époque, nous croyions que la décisionm’appartenait : soit je continuais àboire de l’élixir et confirmaismon immortalité, soit je vivaisma vie le plus normalementpossible,jusqu’àunemortnaturelle.Maismaintenant,noussavons.

Maintenant,nousconnaissonslesortquiguettelesimmortelsimprudents.

LepaysdesOmbres.

Levideinfini.

L’abysseéternel.

Le noir glacial dans lequel les immortels flottent, seuls et privés d’âme, pour toutel’éternité.

Unsortqu’ilnousfautéviteràtoutprix.Havenmetiredemarêverieparunéclatderire.

—Allô,Ever?Ici,laTerre!

Jeluijetteuncoupd’œil,maisnesourispas.Havenmedévisageuninstant.

—Excuse-moi,maisjenetecomprendsvraimentpas.C’est,genre,leplusbeaujour

Page 9: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

demavie, et tunepensesqu’àmeparlerdes aspectsnégatifs ?Tu voudrais que jepleureparcequetum’asoffertjeunesseéternelle,forceetbeautéphysiques,etextralucidité?

—Haven,cen’estpastoutrose,tusais.Ilya…

Elleselaisseretombercontreledossieretreposelespiedssurlesiège.

—Ouais,ouais.Ilyadesrègles,descontreparties.Messagereçucinqsurcinq.

Ellerassembletoussescheveuxd’uncôtéetlesenrouleautourdesondoigt.

—Sincèrement,Ever.Tun’enaspasmarre,parfois,deportertoutlepoidsdumondesurtesépaules?Tuasuneviederêve!Tuesgrandeetbelle,blondeauxyeuxbleus,avecdestalents incroyables et le plus beau gosse du monde à ton bras ! Non, mais sérieux, j’enconnaisquivendraientleurâmeaudiablepouravoirlaviequetuas!Ettuvoudraismefairecroirequec’estunlongcalvaireseméd’embûchesetdelarmes?Désolée,maisjepensequetuasperdulaboule.Honnêtement,jenemesuisjamaissentieaussibien!Jesuischargéeàbloc,commesilafoudrem’avaittraverséedelatêteauxpieds!Ilesthorsdequestionquejetesuivedanstondélireparanoïaque.Situcroisquejevaismemettreàporterdessweatsàcapuche informes, un iPod vissé aux oreilles, tu te trompes.Cela dit, je comprendsmieux,pourl’iPod.C’étaitpournepasentendrelesvoixdetoutlemonde,c’estça?Maismoi,jen’aipasl’intentiondecontinueràvivrecommeunepetitesourisquepersonneneremarque.Jecomptebienprofiterdemanouvellevieàfond–etfairepayeràStacia,CraigetHonor,s’ilsosentencoresemoquerdenous!Quandjepenseàtoutcequ’ilst’ontfaitendurerpendantunan,ettoi,tunedisaisrien!Jenecomprendsvraimentpas…

J’hésite à abaissermon bouclier et à répondre par la pensée,mais lesmots ont plus deforcequandonlesditàvoixhaute.

— Tu sais, quand je suis devenue immortelle, j’ai perdu tellement de choses enéchange:mafamille,l’espoirdetraverser…

Jem’interromps.Ilestencoretroptôtpourluiparlerdel’Étéperpétuel.Chaquechoseensontemps.

—Enfin,jenelesrejoindraijamais,tuvois.Etça,c’estquelquechosequej’aiencoredumalàaccepter.

Elletendlamainversmonépaule,levisageattristé,maislaretireaussitôt.

Oups!Désolée,j’avaisoubliéquetudétestaisqu’ontetouche.

Jenedétestepasvraiment,maisçapeutmerévélertropd’informationsd’uncoup.

—Est-cequeceserapareilpourmoi?

Ellen’abuqu’unebouteilled’élixir, et elle estdéjà transformée. Jemedemande cequel’avenirluiréserve.

—Jen’ensaisrien.Ilyadeschosesquej’aiacquisesquandjesuismorteetquej’aiatterrià…

Je m’interromps, mais elle plisse les paupières pour essayer de lire dans mes pensées.Heureusementquemonboucliertientbon.

— Disons que j’ai eu une expérience demort imminente, et ça peut changer leschoses.

Page 10: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Jemegaredevantchezelle.Ellemefixeunmoment.

—J’ail’impressionquetunemedispastout,loindelà.

Jeneniepas.Jefermelesyeuxethochedoucementlatête.C’esttellementdurdementirenpermanence,jesuissoulagéedepouvoiradmettrequelquesvérités.

Jepeuxtedemanderpourquoi?Jemetourneverselle.

Parcequeçaferaittropd’uncoup.Etpuis,ilyadeschosesdonttudoisfairel’expériencepartoi-même.Maisjen’aipasencorefini.

Jefouilledansmonsacetensorsunpetitsachetdesoie.

Haven le prend et l’ouvre. Elle en fait glisser une petite grappe de pierres colorées,accrochéesàuncordondesoiepardefinsanneauxd’or.

Qu’est-cequec’est?

Untalisman.Tudoistoujourslegardersurtoi,c’esttrèsimportant.

Elle faitdanser lespierresdevant sesyeux,dans les rayonsdusoleil. Je sors lemiendesousmontee-shirt.

J’enaiunaussi.

Pourquoiilssontsidifférents?

Ellecomparelesdeux,commepourdéciderlequelestleplusjoli.

—Parcequenoussommesdifférentes.Ilssontpersonnalisésenfonctiondesbesoinsdechacun.Ilssontfaitspournousprotéger.

Elleinclinelatêteetfroncelessourcils.

— Nousprotégerdequoi?Onestimmortelles,non?Pourquoiest-cequ’onauraitbesoin de protection ? Contre quoi ? Je suis désolée, mais je te comprends de moins enmoins,Ever!

Jeprendsmonélan.Jesaisquejem’engageenterrainminé–contrel’avisdeDamen,desurcroît.J’espèrequ’ilnem’envoudrapas.

TudoisteprotégercontreRoman.

Roman?N’importequoi!Ilnemeferaitjamaisdemal.

Jen’encroispasmesoreilles.Jeviensdetoutluiraconter!

Désolée,Ever,maisRomanestmonami.Etpuis, çane te regardepasvraiment,mais jepensequece serabientôtplusqu’unami.Ceque tu racontesnemesurprendpas : tun’asjamaiscachétahaineenversRoman.Jetrouveçaàlalimitedupathétique,pourtouttedire.

Maisc’estlavérité!

Il faut absolumentque je retrouvemon calme.Élever la voixne sert à rienavecHaven.Elleestbientroptêtue.

—Bon,c’estvraiquejen’aimepascetype.Maisjeterappellequ’ilaessayédetetuer–j’auraisunpeudemalàenfairemonami,aprèsça!Ilyadestémoins,tusais,jen’étaispasseule!

Ellepianoteduboutdesonglessurlaportièredelavoiture.

Page 11: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

OK. Alors, attends, que je récapitule. Roman a essayé de m’empoisonner avec un thébizarre…

Delabelladone,c’estunpoisontrèsviolent.

Ouais, jesais.Cequejeveuxdire,c’estquetuprétendsqu’ilvoulaitmetuer.Or,aulieud’appeleruneambulance,tudécidesdevenirvoirpartoi-même?Tunedevaispasleprendretrèsausérieux!Alorspourquoijeledevrais,moi?

J’ai essayé d’appeler une ambulance, mais… c’est compliqué ! Je devais choisir entre…entrequelquechosedontj’aivraimentbesoin,ettoi.Commetupeuxlevoir, jet’aichoisie,toi.

Ellemeregardesansriendire,maisjesensqu’elleréfléchitàchacundemesmots.

—Romanm’avaitpromisdemedonnercequejevoulaissijetelaissaismourir.Maisjenepouvaispasfaireça.Donc,tevoilàimmortelle.

Ellesoupireetsecouelatête,regardepasserungroupedegaminsauvolantd’unevoituredegolf.

—Écoute,jesuisdésoléequetun’aiespaseucequetuvoulais,Ever.Sincèrement.MaistutetrompesausujetdeRoman.Ilnem’auraitjamaislaisséemourir.D’aprèscequeturacontes,ilavaitl’élixiràlamain,prêtàmesauveraucasoù…Jepensepouvoirdirequejeleconnaisunpeumieuxquetoi.Ilsavaitquej’étaismalheureuseàcausedeMascotteetdemafamille. Ilvoulaitprobablementmerendre immortellepourm’épargner toutça,maispeut-êtrequ’iln’osaitpasmetransformerenvampire.C’estunelourderesponsabilité, j’imagine.Maisjesuissûrequesitunem’avaispasfaitboirel’élixir,ill’auraitfait,lui.Ilbluffait,c’esttout.Regardeleschosesenface:tuasfaitlemauvaischoix,pointfinal.

Jemarmonne,excédée:

—Çan’arienàvoiraveclesvampires!

De tout ce qu’elle vient de me débiter, je choisis de relever ça ? Je me calme etrecommence:

— Çanes’estpaspassécommeça.Pasdu tout.C’est…,Je laissemourirmavoix.Havenadétourné latête,ellenem’écoutemêmeplus.Elleestpersuadéedesaversiondesfaits.Alors,tantpis.Maintenantquejel’aimiseengarde,Damennepeutplusm’envouloirpourcequejevaisdire.

—OK,croiscequetuveux,passetontempsavecRomansiçat’amuse.Maisrends-moijusteunpetitservice,portetontalisman.Nel’enlèvejamais.Et…

Elleadéjàouvertlaportièreetmisunpieddehors,impatiented’êtreloindemoi.

—Etpuisquetuparlaisdemeremercierdet’avoirrendueimmortelle…

Nosyeuxsecroisent.

—Alors,j’aibesoinqueturécupèrescequeRomanm’avaitpromis.

Page 12: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Trois

Damenm’ouvrelaporteavantquejen’aieeuletempsdefrapper.

—Alors,commentças’estpassé?

J’entre sans répondre et ilme suit dans le salon, où jeme laisse tomber sur le canapémoelleuxet faisglissermessandales. Il s’assoitàcôtédemoi,mais j’évitesonregard.Moiquipourraispasser l’éternitéetplusàcontemplersonvisage,sespommettessaillantes,seslèvres charnues, ses grands yeux noirs frangés de cils épais, aujourd’hui je ne peux pas leregarderenface.

Il me caresse doucement la joue, et malgré le voile d’énergie qui nous sépare et nousprotège,jesenssachaleurfamilièrepétillerdansmesveines.

—Çayest,tuluiasparlé?Est-cequelecupcakeasuffiàadoucirleschoses?

Jefermelesyeuxetreposelatêtecontrelevelours.Jesimulelafatigue,carj’aipeurquemon regard ne lui révèle mes pensées, mon énergie, mon essence – et cette palpitationétrangeetétrangèrequirésonnedanstoutmoncorpsdepuisquelquesjours.

—Pasvraiment,non.Elleyaàpeinetouché.Ilfautcroirequ’elleestvraimententraindedevenircommenous–àplusd’untitre,d’ailleurs.

Jesenssonregards’intensifier.

—Qu’est-cequetuveuxdire?

Jemelaisseglissertoutaufondducanapéetpasseunejambepar-dessuslasienne.Blottieainsiaucreuxdesonénergie,jesensmoncœursecalmer.

— Elle est déjà tellement transformée ! Physiquement, elle a cette beauté dérangeante,sansfaille…tusais?Etelleaentendumespensées,j’aiétéobligéedelesbloquer.

—Dérangeante?C’estcommeçaquetuvoisleschoses?Quetunousvois,nous?

Jenesaispaspourquoij’aichoisicemot-là,maisclairement,celagêneDamen!

—Non,cen’estpascequejevoulaisdire…Maiscen’estpasvraimentunebeauténormale,admets-le.Même lesplusbeauxmannequinsdumondenesontpasaussiparfaits.Etpuis,qu’est-cequ’onvadiresiellegranditdedixcentimètresdujouraulendemain,commemoi?

Damenplisselespaupières.Ilasentiquej’étaisentraindeluicacherquelquechose.

—Ondiraque c’estunepousséede croissance tardive.Cela arrive aussi auxmortels, tusais!

Mais j’ignoresatentative faiblardedemefairesourire.Jeparcoursdesyeux lesétagèresqui croulent sous lespremièreséditions rarissimes,puis lespeinturesabstraitesauxmurs.Damenasentiquequelquechosenetournaitpasrond.J’espèrejustequ’ilnevoitpasàquelpoint.Qu’ilneserendpascomptequesijeparleetagisnormalement,lecœurn’yestpas.

—Etalors?Est-cequ’elletedéteste,commetulecraignais?

Je regarde en coin cette âme magnifique qui m’aime depuis quatre siècles, malgré lesbourdesetlesbêtisesquej’enchaîne.Jesoupireetfermelesyeux.Jematérialiseunetuliperougequejeluitendsaussitôt.Cesymboledenotreamouréternelestaussilegagedupariquenousavonsfait.

Page 13: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

—Non, tu as gagné. Elle est folle de joie et ne sait pas commentme remercier. Elle al’impressiond’êtreunerockstar.Encoremieux:rockstaretvampiretteà lafois.Maisunevampirettedeluxe,attention!Sanslerégimespécialglobulesetlelitencercueil.

Jesourismalgrémoi,maisDamenfaitlagrimace.

—Ellenageenpleinmythe,donc.Jetrouvecelaunpeuvexantpournous!

—Oh,jesuissûrequec’estjusteunrésidudesaphasegothique.L’excitationvabienfinirparretomber,unefoisqu’elleseserahabituéeàcetteidée.

Ilmesoulèvedélicatementlementonpourquejeleregarde.

—Tuparlesd’expérience?L’excitationestdéjàretombée,pourtoi?Est-cepourçaquetun’arrivesplusàmeregarderdanslesyeux?

—Non!

Ilamisledoigtsurunepartieduproblème,maisjeneveuxpasl’admettre.

—Non,jesuisjustefatiguée.Jesuisunpeu…surlesnerfs,cesdernierstemps.C’esttout.

Jemecachedanslecreuxdesoncou,toutprèsducordondesontalisman.Cettenervositéquim’habitedepuisplusieursjourss’apaiseunpeuàsoncontact.

—J’aimeraisqu’onpuisserestertoutletempscommeça!

Enréalité,j’aimeraispouvoirressentircecalme-làenpermanence.

Pourquoirienn’estpluspareil?

—Onpeut,tusais.Riennenousenempêche.Jemeredresseetluifaisface.

—Moi,jeconnaisdeuxpetitespersonnesquinousenempêchent!

Justement,RomyetRayne,lesdeuxterreursjumellesquisontànotrecharge,dévalentlesescaliers.Leursvisagespâles,leursgrandsyeuxnoirsetleursfrangestailléesaurasoirsontidentiques–maislaressemblances’arrêtelà.Romyporteunelégèreroberoseàfleursetdessandales, tandisqueRaynesepromènepiedsnus,avecLuna, leurpetite chatteaussinoirequesatenue,juchéesursonépaule.EllesoffrentungrandsourireàDamen,etmefusillentduregardavantdesortirdanslejardin.Normal,quoi.Voilàaumoinsunechosequin’apaschangé.

—Net’inquiètepas,Ever.Ellesvontfinirparchangerd’avisàtonsujet.

Jesaisqu’ilvoudraits’enpersuader,maisjenemefaispasd’illusions.

—Non,jenecroispas.Etjeneleurenveuxpas,ellesontleursraisons.

Jemeredresseetremetsmessandales.

—Tut’envasdéjà?J’évitesonregard.

—Oui.SabineainvitéMunozàdîner,etj’aipromisd’êtrelà.Elleveutqu’onapprenneàseconnaîtreendehorsducadreprof-élève,tuvois.

Aussitôt,jemerendscomptequej’auraisdûinviterDamen.C’esttrèsgrossierdemapartdene pas y avoir pensé.Mais s’il est là, je ne pourrai pas exécutermon autre projet de lasoirée.Celui dont il se doutepeut-être,mais qu’il nedoit surtoutpas voir. Ilm’abien faitcomprendre ce qu’il pensait de lamagie entredesmains inexpérimentées. J’ajouteun trèsconcluant:

—Enfin,voilà,quoi…

Page 14: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

—EtRoman?

Nosregardssecroisentetjeretiensmonsouffle.Voilàlemomenttantredouté.

—TuasprévenuHaven?Tuluiasracontélerôlequ’ilajouédanssatransformation?

Jehochelatête,enessayantdemerappelerlepetitdiscoursquej’airépétédanslavoiture.J’espèrequeDamenseraconvaincu,parcequemoi…

—Et…?

Jemeraclelagorgemaisnedisrien.

Damenme regarde, six siècles de patience dans les yeux. J’ouvre la bouchepour parler,maisilmeconnaîttropbien.Iladéjàcompris.

—Jevois…

Sontonestneutre.Iln’amêmepasl’airdemejugeretj’ensuispresquedéçue.Aprèstout,jemejuge,moi,alorspourquoipaslui?

—J’aipourtantessayé,tusais!Jeluiaiditdeseméfier,maisellen’arienvouluentendre!Alorstantpis,sielleinsistepourtraîneravecRoman,ellepeutaumoinsessayerdeluipiquerl’antidoteaupassage,non?Jesais, jesais…tun’espasd’accordsur leprincipe,mais jenevoistoujourspaspourquoi.

Damenmelaisseparler,impassible.

—Etpuis,onn’apasdepreuvequ’ilaitvraimenteul’intentiondelatuer.Ilavaitl’antidoteàlamain.Mêmesij’avaischoisidelalaissermourir,ilauraitpulasauverinextremis,non?

Jen’arrivepasàcroirequejesuisentrainderecyclerl’argumentquem’aserviHavenilyamoinsd’uneheure,etquim’estrestéentraversdelagorge!

—Telquejeleconnais,iln’auraitpashésitéàretournerlasituation!Tusais,raconteràHavenquej’étaisprêteàlalaissermourirpourlamontercontrenous!Tuyaspensé?

L’inquiétudearemplacélecalmesurlevisagedeDamen.

—Non.Jen’yavaispaspensé,eneffet.

—Maisnet’enfaispas!JevaisveillersurHavenpourm’assurerqu’ellenerisquerien.Onnepeutpaslapriverdesonlibrearbitre,nonplus.Ellealedroitdechoisirsesamis,non?Alors,bon…voilà…

—Oui,saufquec’estunpeupluscompliquéqueça.Elleadessentimentsplusqu’amicauxpourRoman.Tunel’aspasoublié?

Jehausselesépaules:

—Elleavaitdessentimentspourtoiquandtuesarrivé,tuterappelles?Pourtant,elles’enestviteremise.Etpuis,souviens-toideJosh:elleétaitpersuadéequec’étaitsonâmesœur,jusqu’àcettehistoiredechaton,etadieuJosh!Maintenantqu’ellepeutavoiràpeuprèstoutcequ’elledésire,jesuissûrequeRomanvaperdredesonattrait.Net’enfaispaspourelle.Elleal’airfragile,commeça,maisellealapeaudure,crois-moi!

Jemelève.Findelaconversation,encequimeconcerne.Cequiestfaitestfait.Jeneveuxsurtout pas lui laisser l’occasiondedire ou faire quelque chosequi trouble davantagemessentimentsquantàlarelationdeRomanetHaven.

Damenhésiteun instant,puisse lèved’ungestesoupleetmesuit jusqu’à laporte,où ilmeprendlamainetm’attireàlui.Ilm’embrasseetletempss’arrête.Jemepressecontrelui,

Page 15: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

sens les contours de son corps se fondre avec lemien. Je voudrais que ce baiser lavemesfautes,bannisseàjamaiscenuageorageuxquimepoursuitpartout.

Jesuislapremièreàromprelecharme.

—Ilfautquej’yaille.

JemontedansmavoitureetDamenrentredanslamaison,quandlesjumellesapprochent,Lunaperchéesurl’épauledeRayne,quisiffleentresesdents:

—C’estcesoiroujamais.Laluneentredansunenouvellephase.

Pasbesoind’endireplus,nousnouscomprenons.Jepasselamarchearrièreetcommenceàreculerquandellemerappelle.

—Tusaiscequetudoisfaire,Ever?Tun’aspasoubliénotreplan?

Jeleurfaissignequenon,jen’aipasoublié.Maisquoiquejefasse,jesaisqu’ellesnemepardonnerontjamais.

Tandisquejesorsdel’alléeettournedanslarue,leurspenséesmepoursuivent.

C’estmald’utiliserlamagiepourdescauseségoïstes.Lekarmaveilleett’enferapayerletriple.

Page 16: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Quatre

Lapremière choseque je vois enarrivant, c’est la Prius grise deM.Munoz garéedevantlamaison.L’enviedefairedemi-touretdem’enfuirmesauteàlagorge.Maisjemerésigneetrentremavoitureaugarage.Ilesttempsd’affronterlaréalité.

D’admettre enfin que ma tante et tutrice légale est tombée amoureuse de mon profd’histoire.

Jedoisreconnaîtreque,àchoisir,j’aimeautantfaireconnaissanceautourd’unbondînerqu’aupetitdéjeuner.Mêmesicen’estqu’unequestiondetemps–jel’aivu.«Bonnefindesoirée,monsieurMunoz.Tiens, bonjour, onclePaul ! »C’est comme si c’était fait. Il n’y aqu’euxdeuxquinelesaventpasencore.

Jerefermelaportequicommuniqueentrelegarageet lamaison,etavancesurlapointedespieds.Lebutdel’opérationestdemefaufilerincognitojusqu’àmachambre,afind’avoirunpeudetempspourmoi–letempsderéparermeserreurs.

J’aiàpeineposéunpiedsurlapremièremarchedel’escalierqueSabinepasselatêteparlaportedusalon.

—Ah,Ever, te voilà ! Ilme semblait bienavoir entendu ta voituredans l’allée.Ledînerseraprêtdansunepetitedemi-heure.Enattendant,tupeuxvenirdirebonjour.

Jemepencheunpeu,etvoisunepairedepiedsposéssurl’ottomanedusaloncommes’ilsétaient chez eux. Je saisbienque c’est l’été etque tout lemonde sepromèneen sandales,mais quand même ! J’avoue que cela me chiffonne un peu de trouver ses pieds nusd’intellectueldansmonsalon.JemetourneversSabine,quia les jouesrosesd’euphorieetlesyeuxbrillants,etrenouvellemapromessed’êtreheureusepourelle–mêmesi laraisondesonbonheurnem’enchantepasvraiment.

— Oui, oui. Je vais juste prendre une petite douche et de me changer. Je tiens à êtreprésentable.

—OK,maisnetraînepas,d’accord?Ellefaitdemi-tour,puissereprend.

—Oh, j’ai failli oublier. Il y avaitdu courrierpour toi.Elle saisit une enveloppe couleurcrèmeposée près du téléphone etme la tend. Je distingue lesmots «Magie etRayonsdelune»imprimésàl’encrevioletteenhautàgauche,etmesnometadresseécritsdelamaindeJude.

Jeresteimmobile.Ilmesuffiraitdetoucherl’enveloppepourendevinerlecontenu,maisjeneveuxpas.Jeneveuxplusentendreparlerdemonboulotd’été,nideJude,monpatronqui,commeparhasard,avaitjouéunrôlecrucialdanschacunedemesviesprécédentes.Lorsdechaque incarnation, ilparvenaitàgagnermonaffection, jusqu’à cequeDamenentreenscèneetmeravisselecœur:untriangleamoureuxvieuxdeplusieurssièclesetquiaprisfinjeudidernier,àlasecondeoùj’aivul’Ouro-borostatouédanslebasdudosdeJude.

Damen a eu beaume rappeler que c’est unmotif fréquent, que sa symboliquen’est pasnégativeetqueDrinaetRomanenontdétournélesens,jeneveuxpasprendrederisque.

JerefusedelaisserlebénéficedudouteàJude.Ceseraitbientropdangereux,surtoutquejesuisàpeuprèssûrequ’ilfaitpartiedeleursinistreclique.

Sabinemedévisage,l’airdedire:«Jepeuxliretousleslivressurlesujet,rienn’yfait:lesadossontdesextraterrestres,unpointc’esttout!»C’estdevenusonregardhabituel,ence

Page 17: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

quimeconcerne.

—Ever?

J’attrape l’enveloppe par le coin avec un petit sourire faiblard et commence à monterl’escalier. Je tremble de la tête aux pieds. L’enveloppe contient un chèque que je n’ai pasl’intentiond’encaisser,ainsiqu’unpetitmotdanslequelJudemedemandedeluifairesavoirsijecompterevenir,ous’ildoitmechercheruneremplaçante.

Riendeplus.

Ni:Qu’est-cequit’apris,l’autresoir?

Ni : Pourquoi m’as-tu catapulté à dix mètres, alors que tu étais sur le point dem’embrasser?

Maisc’estparcequ’ilconnaîtdéjàlesréponses.Ilsaittout,depuisledébut.Jenesaisispasencore bien ce qu’il manigance, mais j’ai l’intention de le découvrir. Il a peut-être unelongueurd’avancesurmoi,maispluspourlongtemps.

Dansma chambre, je lance l’enveloppe vers la corbeille à papier, lui faisant décrire uneséried’arabesquesenl’airavantqu’elleneretombeavecunpetitbruittriste.Ilfinirabienparcomprendrequejenereviendraipas.

J’ouvremonplacardetprendsmaboîted’ingrédientsmagiquessurl’étagèreduhaut.

Selon les jumelles, c’estaujourd’hui (etaujourd’hui seulement)que jepeuxrenverser lesortquej’aijetéjeudidernier,quandj’aiinvoquél’aidedesforcesdel’ombreparignorance.Mais ce soir, la pleine lune revient, et avec elle, la déesse de Lumière, tandis qu’Hécate lamaléfique, que j’ai accidentellement appelée jeudi, retombe dans les ténèbres où elle vademeurerjusqu’àlaprochainelunenoire.

Je sorsde laboîte les cristaux,bougies,herbesethuilesdont je vaisavoirbesoin, et lesdispose soigneusement surmonbureau.Puis jeme fais coulerunbainavecde l’angéliquepourmeprotégeretleverlesort,dugenévrierpourbannirlesentitésnégatives,etquelquesrameauxderuepouraccélérermaguérisonetleretourdemavolontépropre.Enfin,j’ajoutequelquesgouttesd’huileessentielledepetitgraincontrelesespritsmaléfiques.

Je me déshabille, me glisse dans la baignoire, saisis un cristal pur et m’immergecomplètement.Puisj’entamel’incantation:

Quemoncorpssoitlavé,absousetressourcé,

Pourquemamagiegagneenefficacité.

Monespritlibérérelèveledéfi

Etassurelesuccèsdecettenouvellemagie.

Maiscontrairementà ladernière fois, jenevisualisepasRomandevantmoi.Jeneveuxpaslevoiravantdemesentirprête–avantquecenesoitabsolumentnécessaire.

Penseràluitroptôtseraitunrisqueinsensé.

Depuisquelesrêvesontcommencé,jen’oseplusmefaireconfiance.

Lapremièrenuit,quand jemesuisréveillée trempéedesueur froideavecdes imagesde

Page 18: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Romandevantlesyeux,j’aicruquec’étaitunrésidudelanuitatrocequejevenaisdepasser:JudeetsonOuroboros,Havendevenueimmortelleparmafaute…Maischaquenuit,depuis,les rêves reviennent, sans répit. Le jour aussi, il envahit mes pensées, tandis que cebattementétrangeetsourdrésonnedanstoutmoncorps.

Lesjumellesavaientraison.Mêmesijemesentaistrèsbienjusteaprèslerituel, j’aivitecomprisquemonerreurallaitavoirdesconséquencesdésastreuses.

AulieudesoumettreRomanàmavolonté,jemesuissoumiseàlasienne.

Ce n’est pas lui quime cherche pourm’offrir l’antidote, c’estmoi qui le poursuis, sansretenue…etsansespoir.

Damennedoitjamaisl’apprendre–personnenedoitsavoir.Ilm’avaitpourtantprévenuequelamagieestuneforcequ’ilnefautpasprendreàlalégère,quiavitefaitdesejouerdesamateurstropambitieuxetdelesentraînerducôtéobscur.Cettefois-ci,j’aibienpeurquesapatiencenecraque.

Jecrainsquecenesoitlaproverbialegoutted’eau.

J’inspire profondément etme laisse glisser sous la surface de l’eau pour absorber toutel’énergiesalvatricedecebain.Dansquelquesminutes,jeseraidébarrasséedecetteobsessionsinistre,ettoutrentreradansl’ordre.

Avant de sortir, je me frictionne vigoureusement, comme pour changer de peau et medéfairedecettemuesalie.

Puis j’enfilemon peignoir de soie et vais cherchermon athamé dans le placard. Quandelles l’ont vu, Romy et Rayne ont déclaré qu’il était trop pointu, que le but n’était pas detrancherlamatière,maisseulementl’énergie.Ellesontinsistépourquejelefassefondreetque je leur confie lemétal afinqu’elles en façonnentunnouveau. J’ai acceptédebrûler lalame devant elles pour la purifier,mais j’ai refusé de suivre le reste de leur plan. Je suispersuadéequ’ellesexagéraientpoursemoquerdemoietdemonincompétenceenmatièredemagie. Après tout, si le problème venait de la lune, pourquoi faire toute une histoire d’uncouteau?

Cependant,parprécaution,j’ajoutequandmêmequelquespierresaumanchedel’athamé.Une larme-d’Apache pour assurer chance et protection, une pierre de sang pour apportercourage, forceetvictoire (un triogagnantà tous les coups), etune turquoise,parcequ’elleguérit et renforce les chakras (apparemment, le chakra du discernement, à la gorge, atoujours été mon point faible). Enfin, je jette une poignée de sel sur la lame avant de lapasserdanslaflammedemestroislonguesbougies.J’enappelleauxquatreéléments–feu,air, terre, et eau – pour dissiper les ombres et lemal, et ne laisser passer que lumière etbonté. Je répète l’incantation trois fois avant d’invoquer l’assistance des hauts pouvoirsmagiques–ladéesse,etnonlavileHécateàtroistêtesetcheveluredeserpents,lareinedesTénèbres.

Jemarqueuncercleausolet leparcours trois fois,encensdansunemain,athamédansl’autre.Jevisualiseunelumièreblanchequientredansmoncrâne,courtdansmoncorps,lelong demon bras, et jaillit de l’athamé pourmarquer le sol dansmon sillage. Bientôt, lesmincesfilsdelumièresetissentautourdemoietformentuncoconargentéetscintillant.

Jem’agenouilleaumilieuducerclesacré,lèvelamaingauche,etsuismalignedeviedelapointedel’athamé.Lesangjaillit,etjefermelesyeuxpourmanifesterRoman,assisenfacedemoi,quim’invitedesonregardirrésistibleetdesonsourireenjôleuràm’approcherdelui.

Page 19: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Jeluttepourignorersabeautéhypnotique,etnetoucherquelecordonrouginouéautourdesoncou.

Lecordongorgédemonsang.

Celuiquej’aiplacémoi-mêmejeudi, lorsdurituelquisemblaitavoir fonctionné, jusqu’àce que tout parte en vrille. Mais cette fois, c’est différent. Mon but est différent. Je veuxreprendremonsang,medélierdelui.

J’entamel’invocationavantquel’imagedeRomannesedissipe.

Aveccenœud,jedéfais

Lesortmagiquequinousliait.

Quel’équilibresoitrétabli,

Quetonemprisesoitabolie.

Mavolontéredevientmienne,

Sanstortcauser,àcetteheuremême.

Telssontmonsouhait,maparole,monvœu,

ReinedeLumière,exauce-le!

Jeplisselespaupièrescontreleventfurieuxquitourbillonneautourdemoietrepousseàl’extrêmelesparoisdemoncocondelumière,tandisqu’uncoupdetonnerreéclateau-dessusdema tête. Je tends lamaindroite, paumeouverte, et regardeRomandroitdans les yeux.Puisjedénouementalementlecordondesoncouetrappellelesangquilecoloreàmoi.

Àsonorigine.

Savraieplace.

J’encroisàpeinemesyeux,quandunarcrougejaillitducordonverslapaumedemamainblessée.Lecordons’éclaircitpourredevenird’unblancpur.

Jem’apprête à bannir l’image de Roman, et avec elle ce lien hideux entre nous, quandsoudainlebattementsourdquimepoissedepuisdesjoursclaquedansmesveines,commeunevaguesipuissantequejenepeuxriencontreelle.

Lemonstreenmoi s’est réveillé. Il s’étireet s’agite,affamé, insistant, réclamantsondû.Moncœurprotesteetsedémènedansmapoitrine,jetrembledetousmesmembres…maisjenepeuxpas lutter.Jesuiscaptivedesdésirsdumonstre,mavolonténecompteplus.Monseulbutàprésentestd’étanchersasoif.

Affolée,jeregardelecycleserépéter.Monsangperledansmapaumeentailléeetimbibelecordon jusqu’àcequ’unegouttecramoisie se libèreet coule le longdu torsedeRoman.Jesuisimpuissante,malgrétousmesefforts.

Jenepeuxnirésisteràl’appelimpérieuxdesonregard.

Niempêchermoncorpsdetendreverslesien.

Nirenversercesortquimeligoteàlui.

Romanestcommeunaimant–etjemeretrouvecontrelui,nosgenouxetnosfrontsen

Page 20: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

contact.Jenevoisplusquelui…neveuxplusquelui.

Plusmoyendeniercedésirmonstrueux.

Monunivers entier se réduit à l’espace qui nous sépare. Ses lèvres charnues si près desmiennes,etcegrondementdansmesveinesquicommandeàmoncœurdeplonger,demeperdre,demefondreenlui.

Meslèvressetendentverslui,imperceptiblement,quandsoudain,dufonddemonâme,lesouvenirdeDamenrefait surface, sonvisage, sonodeur.Unbref éclairdanscettemaredenoirceur,maisquisuffitàmerappelerquijesuis,etpourquoijesuislà.

Jerompscecharmeatroceethurle:

—Non!

Jesautesurmespiedsetm’éloignedelui…deça.Jereculesiviolemmentquemoncocondisparaîtautourdemoi,etquelesbougiess’éteignentenmêmetempsqueRomandisparaît.

Toutcequ’ilreste,cesontlesroulementsdetambourdemoncœur,monpeignoirtachédesang,etcemotdontl’échorésonneencoreaufonddemagorge.

—Non,non,non,ohpitié,non!

—Ever?

Je regarde autour de moi, affolée. J’espère qu’elle va s’en aller, me laisser tranquillequelquessecondes,justequelquessecondes…

—Ever,çava?Ledînerestprêt,tuveuxbiendescendre?

—Oui,oui,je…

Je fais apparaître une petite robe bleue à la place de mon peignoir souillé. Que faire,maintenant?ImpossiblededemanderconseilàRomyetRayne, jen’imaginequetropbienleurréaction.Ellesnemepardonneraientjamaismamaladresse,ets’empresseraientdetoutraconteràDamen.

Jesensàl’énergiedeSabinequ’ellehésiteàentrerdansmachambre.

—J’arrive!Unepetiteseconde!Ellesoupire.

—Jetedonnecinqminutes,etaprès,jevienstesortirdelàmoi-même.

Je me coiffe en vitesse et enfile des sandales. Je veux être sûre d’être impeccable àl’extérieur.Parcequ’àl’intérieur…riennevaplus!

Page 21: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Cinq

Jerefermelaportedujardinetm’élancedanslarue,laissantderrièremoilesriresdeSabineetdeMunozquifinissentleurbouteilledevinauborddelapiscine.Jem’appliqueànepascourirtropvitepouréviterd’attirerl’attention.

J’aidéjàeubienassezdemalàexpliquerlachoseàSabine.Etlefaitquej’aieengloutilestroisquartsd’unpouletaubarbecue,unegrosselouchedesaladedepommesdeterre,unépidemaïs etdeuxverresde sodanem’apas facilité la tâche.Évidemment, jeme suis forcéepourmemontrerpolieetrassurermatante,maisjecroisquej’aisurtoutréussiàl’inquiéterencoreplus.

C’estavecsavoixhautperchéedesjoursd’alerterougequ’ellem’ademandé:

—Quoi?Maintenant?Maisilvabientôtfairenuit,ettuvienstoutjustedeterminertonrepas!

J’aisentiunenouvellephobienaîtredanssonesprit:etsic’étaitdelaboulimie?

Elle a enfin fini par admettre que je n’étais ni boulimique ni anorexique, mais ellecontinue à chercher une explication à mon comportement étrange. Je suis prête à parierqu’une nouvelle mission vient de s’inviter dans son planning de la semaine : passer à lalibrairie,rayon«santé-psychologie».

J’aimerais pouvoir tout lui expliquer, la regarder droit dans les yeux et lui annoncertranquillement:

—Détends-toi,Sabine.Cen’estpasdutoutcequetucrois.Jesuisimmortelle,c’esttout.C’estlaraisonpourlaquellejen’aibesoinquedemonélixirrougepourmenourrir.Maisilsetrouve que ce soir, j’ai un petit souci avec un sort que je viens de jeter, alors je risque derentrertard.Nem’attendspas!

Peuprobablequej’oseunjour.Etinterdit,par-dessuslemarché.

Maintenantquej’aivucequipouvaitarriverquandonlaissaitgermerl’idéed’immortalitédans des esprits peu stables, j’adhère complètement à la règle numéro un de Damen : nejamaisrévélernotresecret.

Maisc’estplusfacileàdirequ’àfaire.Etc’est làqu’intervientmatoutenouvellepassionpourlejogging.Mevoici(dumoinsauxyeuxdeSabineetMunoz)danslapeaud’unevraiesportive.

La petite excuse bien saine et proprette pour fuir lamaison et la compagnie deMunoz,mêmesijedoisavouerque,malgrémoi,jel’aimebien.

L’excuseparfaitepour laisserderrièremoideuxpersonnesmerveilleuseset allernourriruneobsessiontoutcequ’ilyadeplusmalsaine.

Ilfautàtoutprixquejecanalisecetteforcequidirigemavolonté.Jetourneàgauchesansralentirl’allure.Autourdemoi,lesvoitures,letrottoiretlesfenêtressontpommelésdel’orrougequelaissentdansleursillagelesderniersrayonsdusoleil.Mesmuscless’échauffent,etmes jambes accélèrent la cadence. Je connais le danger, le risqued’attirer l’attention, et jevoudraisralentir,maisjenepeuxpas.Jenecontrôlepasplusmespiedsquematête.

Jemeprécipite versmacible.Rueaprès rue, lepaysageperd ses contours et se trouble.Moncœurvienttapercontremapoitrine,maiscen’estpasdûà lacourse–jenetranspire

Page 22: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

mêmepas.

C’estlaproximitéquim’affole.

Lesimplefaitdesavoirquejemerapproche.

Quej’ysuispresque.

Jesuisattiréeversmapertecommelesmarinsd’Ulysseparlechantdessirènes,etjenedésireriend’autrequecela.

Soudainjem’arrête,toutcessed’existerautourdemoi.Jenevoisplusqu’uneseulechose:laportede laboutiquedeRoman.Je rassemblemoncouragedans l’espoirde repousser labêtesauvage,cettepulsationétrangeetétrangèrequimecourtdanslesveines.Jeveuxjusteentrerpoliment,posément, luiexposermonproblèmeunebonnefoispourtoutes,etqu’onn’enparleplus.

Jeprendsplusieursprofondesrespirationspourpuiseraufonddemoilaforcenécessaire.Maissoudain,quelqu’unditmonnom:unevoixfamilièrequej’auraisvoulunejamaisplusentendre.

Il s’avance versmoi, tranquillement, la tête inclinée sur le côté, léger comme une brised’été. Il a le bras gauche dans le plâtre, et s’arrête à quelques pas demoi – juste hors deportée.

—Ever?Qu’est-cequetufaisici?

Jedéglutissansrépondre.Jesuispartagéeentre lesoulagementdesentir labêteenmois’apaiser et l’étonnementde constaterquemonpremier réflexen’estpasdebondir etd’enfinir avec lui… mais de mentir. Je cherche tous les prétextes possibles pour expliquerpourquoijemeretrouvepantelanteetsalivantedevantlemagasindeRoman.

Jeplisselespaupièresetluilanceunregarddur.

—C’estplutôtàmoide teposer laquestion !Tuesvenuvoir tonpetitcamaradede jeu,c’estça?Aufait,bienvu,leplâtre.Trèsconvaincant…pourceuxquinesaventpasquituesvraiment,entoutcas.

Ilsefrottelementonetdemanded’unevoixcalme:

—Ever, ça va ? Tu n’as pas l’air dans ton assiette. Il paraîtrait presque sincère,mais jesecouelatête.

—Bienessayé,Jude.

Sonregardsemblemedemanderdequoijeparle,aujuste.Maisjenemelaissepasleurrer.

—Sérieusement, faire semblantde t’inquiéterpourmoi, d’être réellementblessé… tu esvraimentprêtàtoutpourresterincognito,pasvrai?

Il fronce les sourcils, une expression d’inquiétudementeuse sur son visage faussementgentil.–Jenefaispassemblant,crois-moi.J’aimeraisbien,maismalheureusement,cen’estpasuneblague.Tun’asquandmêmepasoublié l’autresoir,quandtum’asbalancécommeun Frisbee à l’autre bout de ton jardin ? Parce que voilà le résultat : des contusions enpagaille,leradiusfracturé,etquelquesphalangesenvrac,riendemoins.

Je fais « pfff » d’un air blasé. J’ai mieux à faire que d’écouter ses bobards. Je doisabsolument trouver Roman et lui montrer qu’il ne me contrôle pas du tout, que je mecontrefichedelui,quejesuismaîtressedemoi-même.Maisjesuispersuadéequ’ilestpourquelquechosedanscequim’arrive,etjedoisleconvaincredemedonnerl’antidoteetdeme

Page 23: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

laissertranquille.

—Écoute, Jude, je suis sûre que ta petite histoire te gagne la sympathie des gens qui ycroient,maismalheureusementpourtoi, jen’enfaispaspartie.Jet’aipercéà jour,et tu lesaistrèsbien.Alorsépargne-moitonbaratin,OK?Lesrenégatsnesontjamaisblessés.Enfin,jamaistrèslongtemps:ilsguérissentinstantanément.Alorstonplâtre…

Judereculed’unpas.Aumoins,ilestbonacteur:ilavraimentl’airperplexe.

—Maisdequoituparles?C’estquoi,cettehistoirede«renégats»?Tudélires,ouquoi?

—Oh,çava!Nejouepasl’innocent.TufaispartiedesfidèlesdeRoman.Etn’essaiepasdelenier,j’aivutontatouage.

Ilgardelemêmeaircomplètementabasourdi.Jeretirecequej’aidit : iln’estpassibonacteurqueça,s’iln’aquecetteexpressionenstock!

—Atterris,monvieux!J’aivutonOuroboros…tontatouage,dansledos.Tusaistrèsbienquejel’aivu!Jesuismêmesûrequetuasfaitexprèsdem’attirerdansleJacuzzipourmelemontrer, l’airderien.Etcrois-moi, j’aibiensaisi lemessage.Alorspasbesoindefairecettetêted’abruti,jesuisaucourant.

Ilregardeautourdeluid’unairhésitant.Ilattendlesrenforts,peut-être…Qu’ilsviennent,jem’enmoque!

—Ever,çafaitdesannéesquej’aicetatouage.Enfait,je…

Jemedoutequeçadoitenfaire,desannées!Allez,dis-moi,enquelsiècleas-turencontréRoman?Dix-huitième?Dix-neuvième?Tupeuxbienmeledire,non?Jesuissûrequeçanes’oubliepas,unmomentpareil.

Judepinceleslèvres,cequifaitapparaîtresesdeuxjoliesfossettes.Maiss’ilcroitquesoncharmemefaitencoredel’effet,ilsetrompe.Jen’yaijamaisvraimentétésensible,d’abord.

Ils’efforcedeparlerd’unevoixcalme,maislacouleurdesonaurasetrouble,etmerévèleàquelpointilestnerveux.

—Ecoute,Ever,jetejurequejenecomprendsrienàcequetumeracontes.Jenesaispassituterendscompte,maisc’estcomplètementfou,tonhistoire.Etpourtant,malgrétoutça,etmalgrémonbras,j’aimeraispouvoirt’aider,maisjenesuispassûrquej’yarriverais:tuasdéjàl’airbienatteinte,avectesdéliresderenégatsetdedix-huitièmesiècle.Alorsjevoudraisjusteteposerunequestion:sicetype,ceRoman,estsimauvaisquetuleprétends,quefais-tuàrôderdevantsaboutique?

Jepiqueunfard:priseenflagrantdélit.

—N’importequoi!Jenerôdepas,je…

Pourquoiest-cequejeressens lebesoindemejustifieralorsque,contrairementà lui, jen’airienàmereprocher?

—Etpuis,ceseraitplutôtàmoidetedemandercequetufaisici!Jeregardesonvisagebronzé, sa cicatrice à l’arcade sourcilière et sa dentition irrégulière, sans doute laissée enl’état pour tromper la méfiance des gens comme Damen et moi. Et ses yeux, d’un vertincroyableetquim’ontattiréependantplusdequatrecentsans…Maisc’estdupassé,toutça.Depuisquej’aiapprisdequelcôtéilachoisideseranger,toutestdéfinitivementfinientrenous.

Pasdemystère,Ever.Jerentraischezmoi,c’esttout.Tusaisbienqu’onfermeunpeuplus

Page 24: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

tôt,lesamedi.

Bienrépondu.Probable,même.Maisjenesuispasdupe.

J’habitejustelà.

Ilmontreunedirectiondudoigt,maisjegardelesyeuxdanslessiens.Jenepeuxpasmelaisserdistraire.Judes’approched’unpas,maisresteàbonnedistance.

Tuneveuxpasqu’onailleboireuncaféouunthé?S’asseoiraucalmequelquepart?Tun’asvraimentpasl’airenforme,tusais.

Jedoisreconnaîtrequ’iladelaconstance.Jesouris.

Si,bonneidée.J’adoreraisréinstallerdansuncafébientranquilleetécoutercequetuasàmedire…Maisavant,j’aibesoinquetumeprouvesquelquechose.

Ilsetendetsonaura–safausseaura–frémit.

Prouve-moiquetun’espasl’und’entreeux.Unnuagepassesursonvisage.

—Ever,maisdequoitu…

Ils’interromptenvoyantl’athamédansmamain.C’estlarépliqueexactedeceluiquej’aiutilisétoutàl’heure,aveclesmêmespierresprotectricessurlemanche.J’aibienpeurd’avoirbesoindeleuraide.

LesyeuxrivéssurceuxdeJude,j’avanceàpaslentsetdisd’unevoixsourde:

Iln’yaqu’unefaçondeleprouver,pasmoyendetricher.Etjenerépondspasdemesactess’ilserévèlequetum’asmenti.Maisnet’enfaispas,commetulesaissansdoute,ladouleurnedurepas.

Ilmevoitbondirsurluietessaied’esquiverlecoup,maisjesuistroprapide.

Jeluisaisislebrasetabaissel’athaméd’ungestevif.Judevasaignerquelquessecondes,puislablessurevaserésorber.Justequelquessecondes…

—Ohnon!

Ma gorge se serre et la voix me manque, tandis que Jude trébuche et manque perdrel’équilibre.

Ilmeregarde,puisbaisselesyeuxversl’entailleàsonbras,latachedesangquis’agranditsursesvêtementsetformeuneflaqueausol.

—Maist’escomplètementfolle?Qu’est-cequiteprend?Jerestebouchebée, incapablederépondreoud’arrachermonregarddelablessurebéantequejeluiaiinfligée.

Pourquoiest-cequeçanes’arrêtepasdesaigner?Pourquoiest-cequeçanecicatrisepas?Ohnon!

—Jude, je…Je suisdésolée ! Je vais t’expliquer, c’est…Jem’approchepour le soutenir,mais il reculed’unpasmal assuré. Il essaied’appuyer sonbrasplâtré sur lablessurepourarrêterlesaignement,maiscelanefaitqu’empirerleschoses.

— Écoute, Ever. Je ne sais pas quel est ton problème, mais clairement, il est plus quesérieux.Jeneveuxplusavoiraffaireàtoi,tum’entends?Va-t’en,s’ilteplaît.Toutdesuite!

—Non,attends.Laisse-moit’emmenerauxurgences.L’hôpitalesttoutprès,jepeux…

Jefermelesyeuxetmatérialiseuneserviettequej’appuieaussitôtsurl’entailleàsonbras.Iln’yapasdetempsàperdre:Judeestd’unepâleurà fairepeuret il tientàpeinesurses

Page 25: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

jambes.

Alorsj’ignoresesprotestations,etpasseunbrassouslesienpourl’aideràmonterdanslavoiture que je viens de faire apparaître devant nous. L’étrange battement qui hantaitmesveinesapresquedisparu,maism’incitequandmêmeàtournerlatête.

Roman nous regarde depuis la vitrine de sa boutique. Il ricane et retourne la petitepancartequiannoncequelemagasinestFERME.

Page 26: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Six

—Commentva-t-il?

Jejettemonmagazinesurlatablebassedelasalled’attenteetmelève.C’estàl’infirmièrequej’adressemaquestion,carilmesuffitd’uncoupd’œilpourvoirqueJudeadésormaislesdeux bras immobilisés. Son aura fulmine d’un rouge courroucé, et son regard furieuxmesignifiesansambiguïtéqu’ilneveutplusjamaismerevoir.

L’infirmières’arrêtedevantmoietmetoisedelatêteauxpiedsavecuneminutiequimefaitfrémir.JemedemandecequeJudeluiaracontédeson«accident».

Ildevraitguérirrapidement,dit-elleenfin.L’entailleestprofondeetl’osaétélégèrementtouché,mais la plaie est propre et, avec un traitement antibiotique, il n’y a pas de risqued’infection. Évidemment, les prochaines semaines vont être très pénibles, même avec lesantidouleursquenousluiavonsprescrits.Maiss’ilsereposebien,ildevraitêtreremisavantlafindel’été.

Sontonestfroidetfactuel,pasdutoutaimable.Elletournelatêteverslaporteetjesuisson regard. Deux officiers de la police de Laguna Beach s’avancent vers moi, et elle leuradresseunpetitsigne.

Jerentre la têtedans lesépaulesetmerecroquevillesous leregardsombreethostiledeJude.Jecomprendssacolère,jemériteraiseneffetd’êtreemmenéeauposte,menottesauxpoignets…maisquandmême!Jenepensaispasqu’iliraitjusqu’àmedénoncer.

Lesdeuxofficierssecampentdevantmoi,mainssurleshanches.Jenevoispasleursyeuxderrièreleurslunettesdesoleil.–Jecroisquevousavezdeschosesànousdire.Monregardoscilleentrel’infirmière,Judeetlesflics.

Jesuisfichue.Monkarmavientdemerattraper,etilporteununiforme!Curieusement,toutcequimepréoccupeàcetinstant,c’estdesavoirquijevaisbienpouvoirappeler.

JemevoismaldemanderàSabinedejouerlesavocatsmiraclesàlarescousseunefoisdeplus.Jenepourraisplus jamais la regarderen face.Et j’imagineencoremoinsexpliquer lasituationàDamen.Jevaisdevoirmesortirdecepétrintouteseule.

Je me racle la gorge, prête à dire n’importe quoi pour briser ce silence, mais Jude medevance.

—Comme je l’ai déjà dit à l’infirmière, j’ai voulu faire quelques travaux chezmoi. Trèsmauvaise idée, quand on a un bras dans le plâtre. Au moins, maintenant, je suis obligéd’embaucherquelqu’un.

Ilseforceàsourirefaiblement…etàcroisermonregard.Jevoudraissourireàmontouretcorroborersonhistoire,maisjesuistropétonnéequ’ilprennemadéfense: jerestebouchebéecommeuneidiote.

Lesofficierssoupirent,contrariésd’avoirétéappeléspourrien,maistententunedernièrequestion:

— Vous êtes sûr que vous n’avez rien à ajouter ? Parce que je dois dire que ce n’esteffectivementpasmalind’entreprendredestravauxquandonestmanchot.

Peut-êtresoupçonnent-ilsquelquechosedelouche,maisJudepersisteetsigne:

— Que voulez-vous que je vous dise ? C’était complètement crétin dema part, je vous

Page 27: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

l’accorde,maisc’estentièrementmafaute.

Les deux hommes nous regardent d’un air sévère, l’infirmière, Jude et moi, puismarmonnentvaguementque,s’ilchanged’avis,iln’aqu’àlesappeler.L’und’euxglisseunecarte dans lamain gauche de Jude. Sitôt qu’ils ont le dos tourné, l’infirmièreme dévisageméchamment.Ilestclairqu’ellen’apasgobéunmotdel’histoiredeJudeetqu’ellemevoitdanslerôledelapetitecopinepsychotiquecoupabledecrimepassionnel.

— Je lui ai donné un antalgique assez puissant, qui ne devrait pas tarder à faire effet.Inutiledepréciserqu’iln’estpasenétatdeconduire…

Ellemetendunefeuilledepapier,puisseravise.

—Voicil’ordonnance.Assurez-vousqu’ilprendbiensesantibiotiques,nousnevoulonspasrisquerl’infection.Mais,àpartça,lemieuxquevouspuissiezfairepourluiestdelelaissersereposer.Tranquille.

Ellemedéfieduregard.

Je voudrais la rassurer, mais je suis tellement secouée par l’accident, son regard,l’intervention de la police et la réaction de Jude que je couine commeune souris prise aupiège:

—Pasdeproblème.

Ellefronceuncoindelabouche,décidémentpeuemballéeàl’idéedemeconfierJude,oumêmesonordonnance.Maisellen’apaslechoix.

Noussortonsdel’hôpitaletmontonsdanslavoiturequej’aimatérialiséeenurgence.J’oseàpeineregarderJude.

—Prendsàdroiteetdépose-moidanslecentre-ville.Jemedébrouilleraipourrentrer.

Ilparled’untonneutreetgroggy,maissonaurabordéederougemontrequesacolèreestencorebienvivace.Jem’arrêteàun feuetprends le tempsde le regarder. Il faitdéjànuit,pourtantjedistinguelescernesprofondssoussesyeuxetlasueurquiperlesursonfront.Ildoitsouffrirlemartyre,etc’estàcausedemoi.

— Il est hors de question que je te laisse rentrer en bus, c’est ridicule ! Dis-moi où tuhabitesetjeteprometsdetedéposersainetsauf.

Judes’esclaffefroidement:

—Sainetsauf?C’estuneblagueouquoi?Parceque jedoisdireque jenemesenspasvraimentensécuritéavectoi.Etonnant,non?

Jesoupireetlèvelesyeuxverslecielsansétoiles.Puisjedémarreendouceurpournepasl’effrayerdavantage.

—Ecoute,Jude,jesuissincèrementdésolée.Profondément,affreusementdésolée.

Jeluilanceunregardappuyé,pourluiprouverquejelepense.Maisilsecouelatête.

—Tuveuxbiengarderlesyeuxsurlaroute,s’ilteplaît?Àmoinsquetun’aiespasbesoindeçapourvoiroùtuvas…

Jeregardedevantmoietcherchelesmotspourleconvaincre.

— C’est juste là, à gauche, dit-il. Lamaison avec le portail vert. Gare-toi dans l’allée, letempsquejedescende.

Jem’exécuteetcoupelecontact.

Page 28: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

—Ohnon, tu peux laisser tourner lemoteur. Si tu crois que je vais te faire entrer chezmoi…

—Commetuvoudras.

Jemepenchepourouvrirsaportière,maisiltressailleàmonapproche.

—Ecoute,jesaisquetuesépuiséetquetupréféreraisêtreaussiloindemoiquepossible.Etfranchement,jetecomprends.Maisj’aimeraisquetumelaissesunechancedet’expliquer,çaneprendraquequelquessecondes.

Ilmarmonnedanssabarbeetsetourneversmoi.

—OK.Celavateparaîtrecomplètementfou,maisj’avaistouteslesraisonsdecroirequetuétais…

—Unrenégat,oui.J’aicompris,Ever,tumel’asassezrépété.

Jemegrattelenez.Jesaisquelasuiteneluiplairapasdavantage,maistantpis.

—Oui,maiscequejeveuxdire,c’estque…jecroyaisquetuavaisl’intentiondemefairedumal.Crois-moi,c’estlaraisonpourlaquellejet’aiattaqué.J’aivutontatouage,etc’étaitpresquelemêmequeceluideRoman,Drinaetlesautres…EtpuisAvat’aappelé,toi.Toutça,plusquelquesautresindicesquejenepeuxpasterévéler…Bref,j’aivraimentcruquetu…

Jem’interromps.Inutiled’insister.Jepréfèreposerlaquestionquimetaraudedepuisquenousavonsquittél’hôpital.

—Maisdis-moi,situessifâchécontremoi,situmedétestestant,pourquoim’as-tuaidéeàl’hôpital?Pourquoiavoirmentiauxflics?Aprèstout,c’estmoiquit’aiblessé.Etilss’endoutaient. Mais tu as préféré inventer un gros mensonge et laisser passer la chance dem’envoyerderrièrelesbarreaux.Honnêtement,jenecomprendspas.

Judefermelesyeuxetrenverselatêteenarrière.Parpitiépoursadouleuretsafatigue,jesuissurlepointdeluidirequeçanefaitrien,quandilrouvrelesyeuxetplantesonfabuleuxregardvertdanslemien.

Écoute,Ever.Tuvascroirequejesuisfou,maisjememoquepasmaldesavoirpourquoitum’asattaqué.Cequejemedemande,c’estcommenttuasfait.Jemecramponneauvolant,muette.

—Commentas-tu faitpourm’envoyer faireunvolplanéà l’autreboutde ton jardin,oupourm’attaqueravecunedaguesertiedepierresprécieusesalorsqu’uneminuteauparavanttuavaislesmainsvidesetquetun’asnipochesnisac.Etoùas-tufaitdisparaîtretonarme,après?

Jesoupireethochelatêtelentement.Àquoibonnier?

Etpuis,pendantquetuyes,tupeuxmedirecommenttut’yesprisepourdémarrercettevoiture sansclé,oupourentrerdans laboutique ferméeàdouble tour, lepremier jour,oupourtrouverLeLivredesOmbresaussifacilement,alorsqu’ilétaitdansuntiroirverrouillé.Oublie tout le reste, les excuses et les explications bidon. Dis-moi seulement comment tufais.C’estlaseulechosequim’intéresse.

Jedéglutisàgrand-peine,ettenteunepauvreblaguepourgagnerdutemps.

—D’accord.Maisj’espèrequetesantidouleursfontdéjàdel’effet!

J’ajouteunpetitrireminablequiachèved’exaspérerJude.

Page 29: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

—Écoute,Ever.Situtedécidesàdirelavéritéunjour,tusaisoùj’habite.Sinon…

Ilessaied’ouvrir laportièrepoureffectuerunesortiedigneetdramatique,maisavecunbrasbandéetl’autreUnsleplâtre,l’effetestfranchementraté.Jesorsdelavoitureetfaisletourpour luiouvrir.Celam’aprismoinsd’une seconde, j’espèrequ’ilnevapasyvoiruneatteinteàsavirilité.

—Tuveuxdel’aidepoursortir?Maisilresteassisetsouffle:

—J’avaisoubliéça,dansmalistedes«comment»:tutedéplacesplusvitequ’unfélin.

Jenesaispasquoirépondre.Ilfinitparleverunsourcil.

—Bon,tum’aides,ouiounon?

Jem’approcheetmebaissepourpasserunbrassouslesien.C’estseulementàcetinstantquejemerendscompteàquelpointilestaffaibli.

—Tuveuxbienm’ouvrirlaported’entrée,aussi?

—Biensûr.Tumepasseslaclé?

—Depuisquandas-tubesoind’uneclé?

Jenerelèvepas,etmeconcentresurlespivoinesrosesetrougesquibordentl’allée.

—Queljardinmagnifique!Jenesavaispasquetuavaislamainverte.

—Oh, ce n’est pasmoi. C’est Lina qui a tout planté, jeme contente d’entretenir ce quipousse.C’esticiqu’oncultivepresquetouteslesherbesvenduesàlaboutique.

Jesensqu’ilestfatiguédeparler,fatiguédemoi.Iln’aspirequ’àrentrerchezluietoubliertoutecettemésaventure.

Je ferme lesyeuxetvisualise laporte, jusqu’àentendre ledéclicde laserrure.Puis je lefaisentreretluiadresseunpetitsignedelamain,deboutsurlepaillasson.C’estpathétique,ondiraitquejeleraccompagneaprèsungentilpique-niquesurlaplage!Maisjen’entreraipass’ilnem’yinvitepas.

Ilmeregarde,etuncalmedélicieuxm’enveloppe.

—Tuprometsdeneplusm’agresser?

—Promis,jeveuxjusteteprêtermain-forte.Saboucheseplisseàmoitié.

—C’étaitunjeudemots?Jesouris.

—D’unenullitégrandiose,jesais.

Jude s’appuie contre lemur de l’entrée et prend le tempsdemedétailler de la tête auxpieds.Puisilsoupire:

—Écoute,j’aiunpeudemalàl’admettre–surtoutquetum’asdéjàassezridiculisépourcette vie – mais je crois que j’ai effectivement besoin d’un petit coup de pouce pourm’installer.Jen’étaisdéjàpastrèsdouéquandj’étaisjustemanchot,alorslà,avecdeuxbrasenmoinsetlesmédocsquicommencentàfaireeffet,jen’osemêmepasimaginer!Ceseral’affaire d’une minute, et après tu pourras aller retrouver Damen et terminer ta soiréetranquille.

JefroncelessourcilsenentendantlenomdeDamen,maisjenebronchepas.J’allumelalumièreetsuisJudedanslejolipetitsalond’unauthentiquecottagetypiqueduvieuxLagunaBeachavecsesgrandesfenêtresetsacheminéeenbriques.Onn’envoitplusbeaucoup,des

Page 30: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

commeça.Judelitl’admirationsurmonvisage.

— C’est chouette, hein ? Lamaison a été construite en 1958. Lina la achetée pour unebouchée de pain, c’était avant que les grosses fortunes et les caméras de télé-réalité nedébarquentcommeunenuéedesauterelles.

Jem’approchede labaievitréequidonnesurun jolipatioenbriquesetunepelouseenpenteraidequimèneàunpetitescalier,puisàlaplage.

—Linamelalouepourunesommesymbolique,maismonrêve,ceseraitdelaluiracheterunjour.Elleyajustemisunecondition:jedoisluipromettredenepastransformercepetitbijourustiqueenfauxpalaistoscan.Commesic’étaitmongenre!

Jem’arracheàlavuedel’océanpailletéderefletsdelunepourallerdanslacuisine.

J’allumelalumièreetouvredeuxplacardsavantdetrouverlesverres.Jemeretourne,àlarecherched’unebouteilled’eau,maismetrouvenezànezavecJude.

—Ceneseraitpasplussimpled’enmatérialiserune?demande-t-il.

Jenesaispascequimedérangeleplus:saproximité,oulefaitquejenel’aiepasentenduapprocher.Jebafouilleàmoitié:

— Euh… J’aime autant faire les choses à l’ancienne, si ça ne t’ennuie pas. L’eaumatérialiséen’apasmeilleurgoût,tusais.

J’espèrequ’ilestdéjàdanslebrouillarddesesmédicamentsetqu’ilneserendpascompteàquelpointsaprésenceprèsdemoimebouleverse.

Maisilnebougepas,etsonregardnetrahitrien.D’unevoixendormie,ildemande:

—Ever,t’esquoi,exactement?

Mesdoigtssecrispentsurleverre,j’aipresquepeurqu’ilm’éclatedanslamain.Jeregardelestomettesausol,latableenbois,l’évierenpierre…toutsaufJude.Maislesilences’étire,épais,visqueux,insupportable.

—Je…Jenepeuxpasteledire.

Ilnes’agitpasseulementdel’influencedulivre,nest-cepas?Ilyaautrechose.

Jecroisesonregardetcomprendsaussitôtmagaffe.Jeviensd’admettrequejen’étaispastoutàfaitnormale,alorsquej’auraispum’entirerenmettantmabizarreriesurlecomptedelamagie.MaisJuden’yauraitpascru,detoutefaçon.Depuislepremierjour,ilasentiquejecachaisquelquechose,bienavantqu’ilnemeprêteLeLivredesOmbres.

—Pourquoinem’as-tupasditqu’ilétaitencodé,d’ailleurs?

Judes’éloigne,agacé,surladéfensive.

—Maissi,jetel’aidit.

— Non, tu m’as dit qu’il était écrit en thébain et qu’on ne pouvait le comprendre qu’àl’intuition.Mais tu as omis dementionner le code de protection qu’il faut désactiver pourpouvoir accéderà ceque le livre contient réellement.Cen’estpas ceque j’appelleunpetitdétailinsignifiant!Pourquoinem’enas-tupasparlé?

Ils’appuiecontrelatable.

—Excuse-moi,maistuneseraispasentraindem’accuser,parhasard?Parceque,corrige-moisijemetrompe,maisilmesemblaitqu’enmecoupantlebrasjusqu’àl’os,tuavaisreçulapreuvedemoninnocence.

Page 31: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Jecroiselesbrassurlapoitrine.

—Faux.Toutcequeçam’aprouvé,c’estquetunefaispaspartiedesrenégats.Maisriennemeprouvetoninnocence.J’ignoresonregardexaspéré,jen’enaipasfiniaveclui.

—Ettunem’astoujourspasditcommenttut’étaisprocurécelivre,nonplus.

—Si,jetel’aidit:c’estunamiquimel’avendu,ilyadesannéesdecela.

Et comment s’appelle-t-il, cet ami ? Laisse-moi deviner : ce ne serait pas Roman, parhasard?Judes’esclaffed’unairagacé.

— Ah, je vois. Tu es toujours persuadée que je fais partie de sa « tribu », c’est ça ?Franchement,Ever,jecroyaisquetuavaisenfincompris!

Jedécroiselesbrasetfaistournerleverreentremesmains.

—Écoute, Jude, j’aimeraisbienpouvoir te faire confiance.Sérieusement, jenedemandeque ça.Mais l’autre soir, quand…enfin,Romanaglisséque le livre lui avait appartenuunjour.Alors,j’aivraimentbesoindesavoirsic’estluiquitel’avendu.

Iltendsaseulemainàpeuprèsvalideetmeprendleverre.

—C’esttoiquim’asprésentéRoman,Ever.Jen’airienàt’apprendresurlui.

Ilsetourneversl’évierpourremplirsonverre,etj’enprofitepourexaminersonaura,sonessence,letondesavoix:ilnementpas,nemecacherien.

— Tu bois l’eau du robinet ? C’est la première fois que je vois ça depuis que j’ai quittél’Oregon.

Ilvidesonverred’untraitetleremplitdenouveau.

—Jesuiscommeça,j’aimelasimplicité.

Ilsedirigeverslesalonets’affalesurunvieuxcanapémarron.Jelesuis.

—Sérieusement,pourenreveniraulivre,tunesavaisvraimentpas?

— Je vais être honnête avec toi : je n’ai pas compris un traître mot de ce que tum’asracontéce soir.J’aimerais t’accorder lebénéficedudouteetprétendrequec’està causedemesmédicaments,maisjecroismesouvenirquetun’étaisdéjàpastrèscohérenteavant.

Jem’assoisenfacedeluietposeunpiedsurlaportedeboissculptéquitientlieudetablebasse.

— Je suis désolée, je… J’aimerais pouvoir t’expliquer, s’il y a quelqu’un qui mérite decomprendre,c’estbientoi.Maisjenepeuxpas.C’esttropcompliqué,etçaneconcernepasquemoi.

—DamenetRomansontimpliquésaussi?

Jefroncelessourcils.

—C’étaitjusteunesupposition,commeça.Maisàvoirtatête,ondiraitquej’aivujuste.

Jepromènemonregarddanslapiècepouréviterdeluirépondre:despilesdelivres,unevieillechaînehi-fi,quelquesœuvresd’artcurieusesetharmonieuses,maispasdetélé.

—J’aidespouvoirsparticuliers,enplusdeceuxquetuconnaisdéjà.Jepeuxdéplacerdesobjetsparlapensée…

—Télékinésie.

—Faireapparaîtredeschoses…

Page 32: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

—Manifestation,instantanéedanstoncas.C’esttrèsrare.Maisd’ailleurs,pourquoias-tutantbesoindecelivre?Tuaslemondeàtespieds:tuesbelle,intelligente,bardéededonsentoutgenre,etjeseraisprêtàparierquetoncopainaaussiquelquestalentscachés…

C’estlatroisièmefoisqu’ilparledeDamenenmoinsdedixminutes.Jen’aimepasceladutout.Judeaurait-ildevinéquelpassécompliquénouslie,Damen,luietmoi?

—C’estquoi,tonproblèmeavecDamen?

Ils’installeunpeuplusconfortablement,uncoussinderrièrelatête.

Qu’est-cequetuveuxquejetedise?Ilnemerevientpas,cetype.Ilyauntrucchezluiquimemetmalàl’aise,mêmesijen’arrivepasvraimentàmettreledoigtdessus.Etnon,cen’étaitpasunmauvais jeudemots.Ne faispascette tête-là, tum’asposéunequestion, j’yréponds.D’ailleurs,situenasd’autres,c’estlemomentoujamais.Cesmédocssontextra:jeplanejusteassezpourparlersansinhibition,etjesuisencoreàpeuprèscohérent.

Mais je n’ai plus de questions. Et il serait peut-être temps que je lui apporte quelquesréponses,àmontour.Oudumoins,quejelemettesurlavoie,puislelaissecomprendreparlui-même.

—Tusais,cen’estpaspourrienquevousnevousappréciezpasbeaucoup,Damenettoi.

—Ah,c’estdoncréciproque.

Nosregardssecroisent,sefixent.Jesuislapremièreàbaisserlesyeux.

—Net’enfaispas,Ever.Iln’yarienàexpliquer.C’estlanaturemasculinedanstoutesanullité. Tu sais, le genre de compétition bestiale qui commence quand il y a une filleabsolument géniale, etdeux types fous amoureuxd’elle.Etpuisqu’il nepeut y avoirqu’unvainqueur -pardon, puisqu’il n’y a qu’un vainqueur – je vais retourner dans ma caverne,donner quelques coups demassue dans lemur en poussant des grognements, puis léchermesblessuresàl’abridesregards.

Ilfermelesyeuxetbaisseencorelavoix.

— Crois-moi, Ever, je sais reconnaître quand je suis échec et mat. Je sais tirer marévérence.Cen’estpaspourrienquejeportelenomdusaintpatrondescausesperdues.J’ail’habitude,jesuistoujours…

Sonmentons’affaissesursapoitrineetsesmotss’éteignentdoucement.Jemelèvepourlecouvrird’unplaidetchuchote:

—Dors.J’iraicherchertesmédicamentsdemain.Tuasbesoindetereposer.

Jene saispas s’ilm’entend,mais je tiens à le rassurer. Je tourne les talonspourpartir,quandsavoixmerappelle.

—Hé,Ever!Tunem’aspasrépondu:pourquoias-tubesoindecelivre,alorsquetupeuxavoirtoutcequetudésires?

Jeme retourne et regarde cette âme que je connais depuis des siècles, depuis plusieursvies,etquim’aretrouvéeunefoisdeplus.Ildoityavoiruneraisonàcela.Jecommenceàcroire que l’univers ne connaît pas le sens dumot « hasard ». Sauf que je ne vois pas dequelleraisonilpeuts’agir,j’ignoretantdechoses.Toutcequejesais,c’estqueDamenetluisontdesopposésparfaits.LaprésenceapaisantedeJudeestàlachaleurvibrantedeDamencequeleyinestauyang.

J’attendsquelquesminutesqu’ilplongedansunprofondsommeilavantdelelaisserseul.

Page 33: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

–Parcequejen’aipastoutcequejedésire,Jude.Loindelà.

Page 34: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Sept

—Ah!Jesavaisbienqu’ilyavaituntrucpasnetchezvous !Surtout toi,Damen !C’estvrai,quoi,personnen’estaussiparfait.Désolée,maissitucroyaispasserinaperçu…

Damen sourit et nous ouvre la porte. Au passage, son regard m’enveloppe comme unecaresseetilm’envoieundélugedetulipestélépathiquespourmedonnerlecouragedontjevaisavoirbesoin.

Havennousobserve,lesmainsplantéessurleshanches.

—Et,pour info, je lesai vues, vos fleurs.Elle tourne les talonset entredans lamaison.Damenmelanceunregardalarmé.LuiaussiestsurprisdelavitesseaveclaquellelesdonsdeHavensedéveloppent.Etencore,cen’estqueledébut.

Dans l’entrée,elle tournesurelle-mêmecommeunegamineémerveilléepar le lustredecristaletl’épaistapispersan–deuxdesantiquitésinestimablesqueDamenafaillibazarderlorsdesaphasemonastique,ilyadecelaquelquessemaines,quandilétaitpersuadéqu’ilnepourrait racheter son passé narcissique qu’en se défaisant de tous ses biens matériels.Heureusement, les jumelles sont passées par là, et soudain il n’a plus été questionquedeleurfournirleplusgrandconfortpossible.

Havenarrêtedetourneretéclatederire.

—Ouah!Jen’arrivepasàlecroire.C’estmagnifique!Tupourraisfairedesfêtesdefolie,rien que dans l’entrée ! C’est la coutume, chez les immortels, de vivre dans des palacespareils?Parcequesic’estlecas,jenedispasnon!

Jenesaispascommentrépondresansmelancerdansuneexplicationpérilleusedel’artdematérialiserlesobjetsetdechoisirletiercégagnantauchampdecourses.

—Euh…Damenaquelquesannéesd’avancesurnous.

—EtRoman,ilacombiend’avance?Parcequec’estsympa,chezlui,maisrienàvoiravecça.Damen etmoi échangeons un regard.Nous ne pouvons plus compter sur la télépathie,puisqueHavennousentendrait,maisjesaisquenoussommesd’accord:nepasrépondreàsaquestion,etresteraussivaguesquepossible,aussilongtempsquepossible.Elleatoutletempsdedécouvrirlavéritésurnous,RomanetletristesortdefeusagrandecopineDrina.

Havens’élancedanslesalon,oùles jumellessontaffaléeschacuneàunboutducanapé,chacune avec son exemplaire dumême livre. Raynemâchonne distraitement une barre dechocolat,tandisqueRomypicoredansungrandboldepop-cornaubeurre.

—Salut,lanceHaven.Alorsvousaussi,vousêtesimmortelles?

Rayneluilancesonéternelregardrevêche,etRomysecontentedefaire«non»delatêteavantdereprendresalecture.

—Euh…non.Ellessont…euh…

Duregard,jesupplieDamendetrouveruneexplicationvalable.JemevoismalraconteràHavenque ce sontdeux sorcièresmortelles,maisqui viennentdepasser trois sièclesdansunedimensionparallèleetqui,grâceàmoi,seretrouventcoincéesicipourl’instant.

Damenvoleàmonsecours.

—Ellesfontpartiedemafamille.

Page 35: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Havennousregarded’unairdésabusé.Elleenaplusquemarredenossemi-mensongesmaladroits.

— Ben voyons. Tu veuxme faire croire que tu es toujours en contact avec tes prochesdepuis…depuisjenesaismêmepascombiendetemps?Remarque,lesréunionsdefamillenedoiventpasêtretristes,aumoins!

Damensemblenepasvouloirrelever,maisjedécidedem’enmêler.

—Cequ’ilveutdire,c’estqu’ellesfontunpeupartiedelafamille,quoi.

Raynejettesonlivresurlatableetnousfusilleduregard,Havenetmoi.

—Oh,çava!Arrêtederacontern’importequoi,pourchanger!Onn’estpasdelafamille,et on n’est pas immortelles non plus, pigé ? On est des sorcières, réfugiées des procès deSalem.Etsituasd’autresquestionsdumêmegenre,garde-lespourtoi,onn’yrépondrapas,detoutefaçon.Tuensaisdéjàtrop.

Havenouvredesyeuximmenses,bouchebée.

—Ehben!Décidément,çarepousselesfrontièresdubizarre!

Je jetteun regard furieuxàRaynepour lui signifierqu’elleauraitmieux faitde se taire.Havens’installedansungrosfauteuiletnousregardetouràtour,commesielleattendaitunmot de passe mystique, ou un rite initiatique. Elle cachemal sa déception quand Damenrevientdelacuisineavecunepetitecaissed’élixir.

Elleluiprenddesmainsavecunegrimace.

—Quoi,c’esttout?Septmalheureusespetitesbouteilles?Vousvoulezmetuer,ouquoi?

Raynegrincedesdents:

—T’es immortelle,crétine, ilsnepeuventpas te tuer !MaisHavensortsonamulettedesoncorsetendentelleetl’agitesouslenezdeRayne.

—Crétinetoi-même!S’ilsnepouvaientpasmetuer,pourquoiest-cequ’Evermeforceraitàportercetruc,d’aprèstoi?

—Pfff ! Je le connais, tonmachin ! Si tu l’enlèves et que tu te prends un coup dans lemauvaischakra,adios!Maisilsuffitdelegardersurtoi,etilnepourrarient’arriverpendantdessièclesetdessiècles.

Havenéclatederire.

—Ehben!Elleesttoujoursaussigrincheuse,ouj’aidroitàuntraitementdefaveur?!

J’ai envie de lui répondre que non, cette attitude ne lui est pas réservée. Je serais biencontente d’avoir une alliée, pour changer. Mais Haven va s’asseoir à côté de Rayne etentreprenddeluichatouillerlespieds.Etlesvoilàsupercopines,melaissantunefoisdeplussurlatouche.

—Écoute,Haven,intervientDamen.Tun’aspasbesoindeboiredel’élixirtouslesjours.Uneseulegorgéepeuttesuffirepourlescentprochainesannées,peut-êtreplus,

—Ahoui?Alors,pourquoitubiberonnesçacommesitavieendépendait?

—Parceque,commetuviensde ledire,mavieendépend.Maisc’estuniquementparcequejetraînesurcetteplanètedepuispasmaldetemps.

HavenreposelespiedsdeRayneparterreetsepencheenavant.

Page 36: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

—Combien,exactement?

—Longtemps.Maisleplusimportant,c’estque…

—Attends,là!Tutefichesdemoi?Tuneveuxpasmediretonâge?Tufaiscommecestrentenaires qui fêtent leurs vingt-neuf ans jusqu’à ce qu’ils en aient quatre-vingts ? C’estpousserlavanitéunpeuloin,tunetrouvespas?Moi,jecroisquejeseraitropcontentedecriermonâgesurlestoits,quandj’auraiquatre-vingt-deuxansetunepeaudebébé!

—Cen’estpasdelavanité,c’estduréalisme!rétorqueDamen.

Maisjevoisbienqu’ilestvexé,probablementparcequeHavenavujustedanssonrefusdediresonâge,mêmes’ilneveutpasl’admettre.Ils’estpeut-êtredébarrasséde.sesvêtementsde couturier et de ses bottes italiennes cousues main, mais quelques restes d’orgueil luicollentencoreàlapeau.

—Etpuis,Haven,tunepeuxpastevanter,reprend-il.Tunedoisriendireàpersonne.Jecroyaisquevousenaviezparlé,Everettoi?

Havenetmoirépondonsd’uneseulevoix:

—Ohoui,onenaparlé.

— Donc, il ne devrait pas y avoir de question : tu gardes les petites habitudes et tescupeakes,ettucontinuesàtecomporternormalementpournepas…

–…attirerl’attention,jesais.Jeconnaislachanson,Damen!Everm’atoutexpliqué,ellem’abienmise en garde contre le grandméchant loup, lemonstreduplacard, et le zombiesouslelit!Maisaurisquedevousdécevoir, jememoquepasmaldetoutesceshistoiresàfairepeur.Toutemavie,j’aiétélafillebanalequepersonneneremarqueetquisefonddansledécor.Pourtant,cen’estpasfauted’avoiressayédemedistinguer.Ettuveuxquejetedise,l’anonymat à outrance, c’est nul ! Alors maintenant que j’ai enfin la chance d’attirerl’attention de tous, je ne vais pas cracher dessus ! Au contraire, j’ai bien l’intention d’enprofiter.Cen’estpasuncrime,si?Allez,quoi,nesoyezpasradins.Passez-moicetélixir:ceseratellementdrôledevoirlatêtedeStaciaetHonoràlarentrée!

Damenmejetteunregardaffolé:c’esttacréature,Frankenstein,faisquelquechose!

Mais je ne suis pas moins paniquée que lui. J’essaie de prendre un air calme etconvaincantetmetourneversHaven.

—Haven,s’ilteplaît…Onenadéjà…

—Maistoiaussi,tuenboistoutletemps!Pourquoipasmoi?

Jenevaisquandmêmepas luiexpliquerque l’élixiraiguisedespouvoirsque jen’aipasenviedepartageravecelle!Celaneferaitqu’attisersacuriositéetsonentêtement.

—Jecomprends tonpointdevue,maisDamenaraison, tusais.Jen’enaipasvraimentbesoin.C’estjustequejemesuishabituéeaugoût,mêmes’ilparaîtunpeubizarreaudébut.Maiscen’estpasvraimentnécessaired’enboiretouslesjours,nimêmetouteslessemaines,enfait.

—Maisbiensûr.Bon,cen’estpasgrave,jevaisdemanderàRoman.Jesuissûrequ’ilnechercherapasd’excusesbidonspourmerationner,lui.

Jedéglutisbruyamment.C’estundéfiqu’ellevientdemelancer.

Lunaluisautesurlesgenoux,etHavencommenceàlacaressersouslementon.

Page 37: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

—Tiens,salut,toi.Tun’étaispascenséem’appartenir?C’estpourçaquetuesvenuemevoir,tuasreconnutavraiemaîtresse?

Romyselèved’unbondetprendLunadanssesbras.Havenéclatederire:

—Houla,ducalme!Jenevaispasvouslavoler.RomylafusilleduregardetpercheLunasursonépaule.

—Ça,tunerisquespas!C’estunêtrevivant,pasunobjetquetupeuxacheter,voleroujeterquand tun’enveuxplus !Lesanimauxpartagentnotrevie, ilsnenousappartiennentpas.

Surce,ellefaitsigneàsasœurdelasuivreetsortentrombedusalon.

Havenlesregardepar-dessussonépaule.

— Dis donc, on est susceptible dans ta famille, Damen ! Mais je ne vais pas la laisserchangerdesujetaussifacilement.J’essaiedeprendreuntondeconversationpolie,commesijen’étaisquevaguementintéressée.

—Tiens,d’ailleurs,enparlantdeRoman,commentva-t-il?

J’espèrequ’ilsn’ontpasremarquécommesonnomatremblésurmeslèvres.

— Il va très bien, merci. Je n’ai rien de plus à vous dire… enfin, rien qui puisse vousintéresser,entoutcas.

Ellenousobserveavecunpetitsourireencoin.J’ailadésagréableimpressionque,malgrésapromesse,ellen’estpasdutoutdisposéeànousaider.Ellereporteaussitôtsonattentionsursesongles.

—Çaalors!Jelesaipourtantcoupéscematin!Ilspoussentaussivite,lesvôtres?Etc’estpareilpourmescheveux:mafrangeadéjàprisunboncentimètreenquelquesjoursàpeine!

Damen et moi échangeons un regard : tant de transformations, après seulement unebouteille ? Ce constat, conjugué aux événements pour lemoins dérangeants des dernièresvingt-quatreheures,meramèneàmaconvictionpremière:ilfautàtoutprixéloignerHavendeRoman.

—Écoute,Haven.Jesaisquetun’aspasenvied’entendreça,mais tudoiséviterRomancommelapeste.Tunepeuxpascontinueràtravaillerdans lamêmeboutiqueque lui,c’esttropdangereux.Sic’estunequestiond’argent,jepeuxt’enprêterjusqu’àcequeturetrouvesdu boulot. Je sais que tu crois que jeme trompe,maisDamen était présent ; il a tout vu,commemoi.Romanestunevraiemenace,sanscompterqu’ilest…

…d’unenoirceurabyssale,etd’unebeautédévastatrice,irrésistible…Savoixdansmatête,sonvisagedansmesrêves…ilmesuitpartout,jen’arrivepasàluiéchapper.Jenepensequ’àlui,nedésirequelui…

—Enfin…Jenevoudraispasqu’iltefassedumal,quoi.Jereprendsmonsouffle.RienquedepenseràRoman,moncorpstoutentiertrembleencadenceaveccettepulsationdansmesveines.J’aibienfaillimetrahir.

EtquandHavenmeregardeetlèveunsourcil,jepaniqueensilence:aurait-elleinterceptémespenséestorduesetcoupables?Maisnon,monboucliermeprotège,etsiDamenn’arienentendu,Havennonplus.

—Ever,ma vieille, tu radotes. J’avais déjà compris lemessage la première fois, tu sais,maisrienn’achangé.Jenesuistoujourspasd’accordavectoi,mets-toiçadanslecrâne.Et

Page 38: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

puis,réfléchis:jen’aiaucunechanced’obtenircequetum’asdemandésijenemerapprochepasdelui,pasvrai?

Elleplisselesyeuxcommeunfélin.

—Croyez-moi,vousdeux.Romann’estpasunemenace.Paspourmoi,entoutcas.Vousvous trompez complètement sur soncompte, ildéborded’amouretdegentillesse.Alors, sivousteneztantànotreamitié,vousavezpeut-êtreintérêtànepastropmefâcher.Parceque,sij’aibiencompris,jesuisvotreseuleetuniquechance.C’estbiença?

Damenfaitunpasverselle,lavoixtremblantderage.

—Attention,Haven.Tujouesàunjeudangereux,là.Jecomprendsbientonenthousiasmepour tes toutnouveauxpouvoirs,maisneperdspas le sensdes réalités.Jeneconnaisquetrop bien ce risque, je suis passé par là. J’étais le premier, figure-toi. C’était il y a trèslongtemps,maisjem’ensouvienscommesic’étaithier.Jemerappelleaussilalonguelisted’erreursquej’aicommises,touslesregretsquej’aiaccumuléspouravoir laissémasoifdepouvoir étouffer toutedécencehumaineenmoi.Ne suispasmonexemple,Haven,Ne faispaslesmêmeserreurs.Etnet’avisesurtoutpasdenousmenacer,Everetmoi.Cenesontpaslessolutionsquimanquent.Nousn’avonspasbesoindetoipour…

—Ça suffit ! J’en aimarre !Non,mais vous vous entendez ?Vousmeparlez comme sij’étaisun esprit inférieur, incapablede comprendrequoique ce soit !Peut-êtreque je saisexactement comment utiliser mes pouvoirs ! Peut-être même que vous pourriez en tirerquelques leçons !Mais non, cette idée ne vous amême pas effleurés, vous êtes bien tropbinairespourça.«Faisci,nefaispasça,onterationnetonélixirparcequ’onnetefaitpasconfiance.»Non,maisvousvousrendezcompte?Etvousvoudriezquemoi, jevous fasseconfiance?

J’essaiedecalmerlejeu.

—Biensûrquesi,ontefaitconfiance,Haven.Cen’estpastoi,leproblème.C’estRoman.Jesaisquec’estduràadmettre,maisilsesertdetoi.Tun’esqu’unpionsurl’échiquier,encequi leconcerne. Ilarepéré toutes tes faiblesses,et ilen jouepour temanipulercommeunpantin.

—Ahoui?Ettuvoudraisbienmedirequellessontcesfaiblesses,Ever?

Avantqueladiscussionnetourneaurèglementdecomptes–ouaupugilat–Damenlèvelamainetdit:

—Onneveutpassebattreavectoi,Haven.Onessaiedeteprotéger,c’esttout.

—Etqu’est-cequivousfaitcroirequej’aibesoindevotreprotection?Vouscroyezquejesuistropstupidepourmedébrouillertouteseule?

Elleselève,leregardglacial.

—Écoutez, j’aimerais pouvoir vous croire,mais c’est au-dessus demes forces. Vousmecachezquelquechose,jelesens.Etjesensaussiquetoi,machèreEver,tuesjalousedemoi.Eh oui, Ever Bloom, Miss Perfection incarnée, jalouse de la pauvre petite Haven Turner.Marrant,non?

Jerefusedecommenter.

—C’estcompréhensible,remarque.Tuavaisl’habituded’êtrelaplusgrande,laplusbelle,laplusdouéeen tout, avec lemec leplus intelligentet leplus sexydu lycéeà tonbras.Et

Page 39: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

voilàquejerisquedeterattraper,maintenantquejesuisimmortelle.Moiaussi,bientôt, jeseraiparfaite.Lavérité,c’estqueçatefaitmalaubiderienqued’ypenser.Etleplusdrôle,c’est que tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même ! Tu as beau dire que, si tu devaisrecommencer,tuferaislemêmechoix,jesuispersuadéequetumepréféraisavant,quandjen’étais qu’unepauvre fille enquêted’attentionqui racontait deshistoires àdormirdeboutdansdesréunionsd’anonymesentoutgenre!

Ellerelèvelementonetmeregardeavecunearrogancequiannonceclairementquecettefille-làn’existeplus.

—Allez, ne le nie pas. Je sais très bien que ce sont ces faiblesses dont tu parlais tout àl’heure. Depuis le début, c’était évident que tu te sentais supérieure à Miles et moi. Tudaignais nous accorder ta précieuse compagnie,mais seulement en attendant que quelquechosedemieuxseprésente…

— C’est faux ! Vous êtes mes meilleurs amis, je… Elle fait claquer sa langue, un gesteempruntéàRoman.

— Oh, arrête. Épargne-moi les grandes déclarations à la guimauve. Dès que ton étalonitalienadébarqué,onne t’aplusvuequ’audéjeuner,etencore…Vousétiez tropoccupésàjouer le jolipetit couplede contede féespourvous soucierdedeuxpauvresnazes commeMiles et moi. Tu nous gardais sous le coude, au cas où, mais en fait tu t’en fichaiscomplètement, de nous. Eh bien, réjouissez-vous : vous allez pouvoir passer de longuesvacancesensolitaire.Milesestsurledépartet,quantàmoi,jemesuisfaitdenouveauxamisquemanouvellepersonnalitén’intimidepasdutout.

—Haven,maisqu’est-ceque tu racontes ?Tuesmalade ?Comment est-ceque tupeuxdireça?

Elle redresse les épaules. Contrairement à moi, l’élixir ne l’a pas fait grandir : elle esttoujoursaussipetiteetfrêlequ’avant,maissasilhouettedepoupéeaprisquelquechosedeférocement vivant. On dirait une petite panthère noire dans son pantalon en cuir et soncorset en dentelle. Ce n’est pas la première fois que je la vois en colère, mais là, c’estdifférent.Elleestdifférente.Elleestdangereuse,etellelesait.Maislepire,c’estqu’elleaimeça.

—Commentjepeuxdireça?Maisparcequec’estlavérité,toutsimplement!

Ellelancelecartond’élixiràDamensansmêmeleregarder,persuadéequ’ill’attrapera,ettournelestalons.

—Gardetonélixir,va.J’enconnaisunquinemerationnerapas,lui.Etjesuissûrequ’ilseferaunplaisirdem’apprendretoutcequevousteneztantàmecacher!

Page 40: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Huit

Damensetourneversmoietlemot«catastrophe»résonneentrenous.

Ils’assoitsurlecanapé,maisjerestedebout,sonnée.

— J’étais sûr qu’elle nous poserait des problèmes. Elle est beaucoup trop fragile pourassumerdetelspouvoirs.Jeneluidonnepaslongtempsavantdepartirenflammes.Tuvasvoir.

Jemelaissetombersurl’accoudoiràcôtédelui.

—«Tuvasvoir»?Tuessérieux,quandtudisça?Tucroisvraimentqueçavaempirer?

Ilhochelatêteensilence.Jesensqu’ilseretientdepenser.Jet’avaisprévenue.Maisiln’apasbesoindememénager.Jesaispertinemmentquejesuisresponsabledecedésastre.

Jesoupireetmelaisseglisserdel’accoudoirpourmeretrouvertoutcontrelui.Jedevraisfaire quelque chose pour reprendre le contrôle de la situation… mais quoi, au juste ?Jusqu’ici, chaque fois que j’ai pris une décision, c’était la pire possible. Je suis fatiguée detoutcela–épuisée.Toutcequejeveux,c’estunelonguesieste,bienpaisible,sansl’intrusiondeRomandansmesrêves.

Roman.

J’entendsl’échodecenomdansl’espritdeDamen.Ilaentendu!

Ilsetourneversmoietétudiemonvisage,chercheàcomprendrecequejenedispas.

—Qu’est-cequit’afaitchangerd’avis?Pourquoiluiavoirditdeseteniràdistancedelui?

— Parce que tu avais raison. C’était égoïste de lamettre en danger pour notre intérêt ànous.

Sauf que c’est un gros mensonge. La vérité, c’est que je ne l’ai pas fait par égard pourHaven. J’ai bien peur d’avoir seulement voulu l’écarter de Roman pour mieux pouvoirl’approcher,moi.

Jefermelesyeuxetluttepourfairetairelemonstre,Damenaleregardlourdd’inquiétude.Ilposeunemainsurmongenouetmurmure:

—Hé, ne sois pas si dure envers toi-même.On traverse une période difficile, c’est vrai.Maisonvas’ensortir.Onestensemble,c’esttoutcequicompte.Pourlereste,ontrouveraunesolution,jetelepromets.

—Ouais,onestensemble.

Maisau lieudusoulagementque jevoulaisexprimer,mesmotsrésonnentd’unprofondennui.Damenseredresse,alerté.

—Cen’estpascequetusouhaites?

Jetendslamainversluiettentedemaîtrisermavoix.

—Si.Biensûrquesi.Tucomptesplusquetoutpourmoi…plusquetout.

Je répète cesmotsque je sais être vrais… j’aimerais seulement les ressentir avec autantd’intensité qu’avant. Mais Damen n’est pas dupe. Il a une expérience pluricentenaire dessautesd’humeur,réponsesévasivesetmensongesdontunefemmeestcapable.

—Ever,ilyaquelquechosequicloche?Tuestoutebizarredepuis…

Page 41: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

—Depuisquejet’aifaitboirel’élixirquinousinterditdenoustoucher?

—Non.

—Depuisquej’airenduHavenimmortelle?

—Nonplus.Jesaisqueturegrettescesdécisions,maisjenetejugepas.Tuasfaitdetonmieuxauvudescirconstances.Non, je trouvetoncomportementchangédepuisquetut’esinitiéeàlamagie.Tusemblésdistraite,préoccupée,commesitun’étaisjamaiscomplètementprésente.Etjedoisdirequecelam’inquiète.J’espèrequetunet’espaslaissésubmerger,etque,sic’estlecas,tuaccepterasmonaide.

Ilyatantd’espoiretdetendressedanssonregardquejenepeuxmerésoudreàluiavouermonattirancenéfastepourRoman.C’estbientropsordide.

—Tuasraison,jemesuisunpeuempêtréedanslamagie.Jepréfèret’épargnerlesdétails,mais ça va beaucoupmieux,maintenant.Romy etRaynem’ontmontré comment régler leproblème.Fais-moiconfiance.

Jesenssoninquiétuderedoubler,maisillafaittaire.

—Bon,situledis,jetecrois.Maissituasbesoind’aide,jesuislà.

Ilestlà–monamour,monâmesœur.Jesaisquenosdeuxdestinssontliés,etquemesrécentespéripétiesne sontqu’ungrossierobstacle en traversdenotre chemin,unvulgairegraindesable.Etpourtant,jesenslemonstrequiseréveilledansmesveines.

—Damen,tuneveuxpasqu’ons’enailled’ici?

Sonvisagesedétend:ilesttoujoursprêtàtenterl’aventure.

—Si,biensûr.Tuasunedestinationentête?

—Fermelesyeuxetsuis-moi.

Page 42: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Neuf

Àlasecondemêmeoùnousatterrissonssurl’herbe,jemesensmieux.Mille,dixmillefoismieux!Jemerelèveetgambadedanslaprairie,enfinlibéréedecetteénergiealiénante,cettepulsationbizarrequicontaminemesrêves.JeregardeDamenpar-dessusmonépauleet luifais signe de me rejoindre. Pour la première fois depuis des jours et des jours, je sourisfranchementetjoyeusement.

Jesuisrégénérée,prêteàrepartirdubonpied.

Damens’approcheet,àunpasdemoi, fermelesyeux.Aussitôt, lechampmagnifiquedel’ÉtéperpétuelsetransformeencopieconformeduchâteaudeVersailles.NousvoiciaubeaumilieudelagaleriedesGlaces,souslesplafondsornésdefresques,lesdoruresetleslustresen cristal qui font miroiter dans toute la pièce la lumière douce des chandelles. Monenchantement est total, quand soudain les premières mesures d’une symphonie majeureretentissent. Damen s’incline devant moi et me tend la main. J’exécute une profonderévérenceetremarquelarobequejeporte:uncorsetdécolletéetajustéquimetenvaleurlesplissoyeuxetexubérantsdemajuped’unbleuroyal.Quandjerelèvelesyeux,Damensortdesapocheunmince étui qu’il ouvre etme tend.Un cri d’émerveillementm’échappe. Sur levelours noir : unmagnifique collier serti de saphirs et de diamants, queDamenme passeaussitôtautourducou.

J’aperçoisnotrerefletdansl’undesmiroirsquibordentlagalerie,Damenenbasdesoie,culotte de gentilhomme et veste de velours, et moi dans ma robe fabuleuse, les cheveuxrelevés en une coiffure raffinée. Je comprends mieux ce qu’il a voulu recréer, il tient àm’offrirlavied’opulencedontDrinam’aprivée.

Telle Cendrillon, j’aurais pu quitter mes frusques de servante et vivre cette vie-là, siseulementmamortprématuréenem’avaitpasempêchéede chausser l’escarpindevair.Sij’avais pu vivre, Damen m’aurait fait boire de l’élixir, et la pauvre petite Evaline seraitdevenue lamagnifique jeune femmedont jevois lereflet.Presquedeuxsièclesaprèsnotrerencontre,nousaurionsdansédanscettegalerie féeriqueauxcôtésdeLouisXVIetMarie-Antoinette.

Mais Drina en avait décidé autrement : elle m’avait tuée et avait lancé Damen à marecherchependantquatrelongssiècles.

Jeclignedesyeuxpourrefoulerleslarmes,etposeunemainsursonépaule.Ilmeprendpar la taille etm’entraînedansunevalseexperte,dansun tourbillonde soiebleue.Je suisbouleverséeparlabeautédecequ’ilarecréépourmoi.Jemeserrecontreluietchuchoteàsonoreille:

—Ya-t-ild’autrespiècesàvisiter?

Aussitôt, ilmeprendpar lamainetm’entraînedansundédaledecouloirsetd’escaliers,pourfinalements’arrêterdevant lachambrelaplusépoustouflantequ’ilm’aitétédonnédevoir.

Je contemple la pièce comme une petite fille émerveillée, et Damenme sourit, appuyécontrelechambranledelaporte.

—Bon,cenesontpaslesappartementsroyaux–Marie-Antoinetteetmoin’étionspasliésà ce point –mais tu as devant les yeux la chambre quim’était réservée lorsque j’étais en

Page 43: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

visite.Commentlatrouves-tu?

Jeposeunpiedsurl’épaistapis,etcontempleuninstantlesfauteuilsgarnisdesoieetleschandeliersdorésà la feuille.Puis jeprendsmonélan,sautesur legrand litàbaldaquinettapotelacouverturemoelleuseàcôtédemoicommeunegamineinsouciante.Peut-êtreparcequej’aieffectivementlaissémessoucisderrièremoi.

Jesuisàl’Étéperpétuel,oùRomannepeutm’atteindre.

Damenmerejointetsepencheau-dessusdemoi.

—Alors,qu’enpenses-tu?

Jecaressesonbeauvisageetéclated’unrirejoyeux–monvrairire.

—Cequej’enpense?J’enpensequetueslegarçonleplusextraordinairedumonde.Non,jeretirecequej’aidit…

Damenfeintunaird’inquiétude.

—Tuesleplusfantastiquedelaplanète–detoutl’univers!Sérieusement,quid’autrequetoipourraitimaginerunrendez-vousaussigalant?

—Tuessûrequeçateplaît?

Jevoisdanssesyeuxquesaquestionestsincère.Alorsjeluipasselesbrasautourducouet l’attire à moi pour un presque baiser, à travers notre voile d’énergie protectrice. C’esttoujoursmieuxquerien.

Damenreculeunpeuetposelatêtesursamainpourmieuxmeregarder.

— C’était une époque tellement enivrante ! Je voulais que tu puisses y goûter, voircommentc’était–commentj’étais,moi.Jeregrettetantquetun’aiespaspulavivreàmoncôté.Cela aurait étémerveilleux.Tuaurais été laplusbellede la cour, éclipsant toutes lesautres.Hmm,àlaréflexion,Marie-Antoinetten’auraitpeut-êtrepasapprécié!

Jejoueaveclejabotdesachemise.

—Ahbon?Pourquoi?Est-cequ’elleavaitdes«desseins»àtonsujet?Est-cequetuétaisàlacouravantquelecomtedeFersenn’aitquittélascène,ouaprès?

—Avant,pendantetaprès.C’étaitvraimentl’endroitrêvé–enfin,pouruntemps.Etpourrépondre à ta question, nous étions juste bons amis. Elle n’avait pas de « desseins » meconcernant,oualors jene l’avaispasremarqué.Non, jepensaisplutôtaufaitquecertainesfemmessuperbessupportentmaldevoirarriverd’autresbeautés.

Maisc’estsurtoutsabeautéà luiquimecaptive.Cethabitsemblerévélersabontéetsanoblessed’âmemieuxquesesbottesdemotoduvingtetunièmesiècle.J’ail’impressiondevoirsavraienature,savraiepersonne.

—J’imaginequ’ellenedevaitpasbeaucoupapprécierDrina,danscecas.

Damenfroncelessourcils,etjecomprendssoudainpourquoi.Ilapeurqu’ils’agissed’unrésidu de jalousie de ma part. Mais j’ai fait cette remarque en repensant à la beautéfulgurantedeDrina,sansressentirlamoindregêneoujalousie.Etcen’estpasdûàlamagiedel’Etéperpétuel.J’aidépassécestadepuéril,etacceptéqueDamenaiteuunehistoireavantmoi.Aprèstout,ilsembleraitquemoiaussi,j’aieeuunehistoireavantlui.

Jeluiprendslamainetl’inviteàliredansmespensées,àvoirparlui-même.Ilmesourit,visiblementsoulagé.

Page 44: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

— Drina et Marie n’avaient pas vraiment d’atomes crochus, en effet. Je suis presquetoujoursvenuseul.

J’imagineuninstanttouteslesjeunesfemmesquiontdûdéfaillirenlevoyantarriveràlacoursanscavalièreàsonbras.Peuimporte,c’estmoiqu’ilaime,etdepuisquatresiècles.Jecroisquejesaisisenfinlamesuredecetamourextraordinaire.

— Et si on restait ici pour toujours ? On n’a qu’à s’installer dans ces somptueuxappartements, et quand on s’en lassera – si on s’en lasse un jour – on pourra toujoursvisualiserautrechose.

Damenmecaressedoucementlescheveux.

—OnpeutfairecelasurTerre,tusais.Onestlibresdechoisiroùonvit,oùonva…onajusteàpassernotrebacd’abord!

Iléclatederire,etjesourisenretour.Maislavérité,c’estquesurleplanterrestre,jenesuispaslibre.Aprèslesortquejemesuisinfligé,jenesuispluslibredutout.

Et tantque jen’auraipas trouvé lemoyende l’annuler, iln’y aqu’icique jepourraimesentirmoi-même.Unefoisfranchileportailduretour,plusriennemeprotégeradeRoman.

Damenmesouritetm’embrassetendrement.

—Maisdansl’immédiat,riendenouspressedepartir,pasvrai?

Jeleserrecontremoietm’abandonneàcemoment,limitémaisdéjàmerveilleux.

—Non,riendutout.

Page 45: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Dix

—Ever…Ever!Réveille-toi, il est tempsde rentrer. Je roule sur ledos etm’étire enbâillant,envahieparunedélicieuselangueur.

Damen éclate de rire et me chatouille derrière l’oreille. Je glousse dans mon demi-sommeil.

—Jesuissérieux,Ever.Tuétaisd’accordpourrentrercheznousunjour.

J’ouvre un œil, puis l’autre. Je ne vois que soies, dorures, et le jabot de la chemise deDamenquifrôleleboutdemonnez.

NoussommestoujoursàVersailles?

—J’aidormilongtemps?

Damenmeregardebâillerd’unairamusé.

—Net’enfaispas,jenesuispasvexédutout!

—Vexédequoi?

Soudainjemeredresse,bienréveillée,cettefois.

— Attends une minute ! Tu veux dire que je me suis endormie pendant que tu… quenous…?

Lefeumemonteauxjoues:j’aiosém’endormirenpleincâlin!

Damenhoche la tête, l’air franchementamusé.C’estdéjà ça.Mais jeme cache le visagedanslesmains,horrifiée.

Voilàlapreuvedemonépuisementtotalaprèscettesemainedemalheur.

—C’estnul!Jesuisvraimentdésolée!

Damenselèveetmetendlamain.

—Maisnon,iln’yapasdequoiêtredésolée!C’étaitplutôtmignon,jedoisdire.Etpuis,c’étaitunepremière,pourmoi.Etauboutd’unsiècle,unsiècleetdemi,lespremièresfoissefontrares,tusais.

Ilm’aideàmerelever.

—Tutesensmieux?Reposée?

Jehochelatête.C’estlapremièrefoisquejedorspaisiblementdepuisquevoussavezquiacommencéàenvahirmesrêves.Jemesenstellementbienquejesuisprêteàretournersurterrepouraffrontermesdémons–l’und’entreeux,enparticulier.

Damencommenceàfaireapparaîtrelevoiledoréduportail.

—Onyva?

—Mais…etcetendroit?Ilvadisparaître,unefoisqu’onserapartis?

—Oui,maisonpeuttoujourslerematérialiser.Tulesais,n’est-cepas?

Ilmejetteunregardétrange.

Je saisbienqu’il peut recréer cedécordemémoire,mais jepréfère le laisser intact. J’aibesoinde savoirquece lieu fabuleuxdemeure, solideet éternel, etque jepeuxy reveniràloisir.Jeneveuxpasqu’iln’enrestequ’unsouvenir,simerveilleuxsoit-il.

Page 46: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Damens’inclineetmeprendlamain.

—Tesdésirssontdesordres:VersaillesresteVersailles.Jesourisetcaresselejabotdesachemise.

—Etça?

Damenéclatederire–unsonquejen’entendsplusassezsouvent.

—Jepensaismechangeravantderentrer,saufobjectiondetapart.

J’inclinelatêtesurlecôtéetplisselecoindeslèvres.

—Je t’aimebien,danscette tenue.Tuessibeau, jediraismême…royal.Jeneplaisantepas,j’ail’impressiondevoirlevraitoi,celuidel’époquequetusemblesavoiraiméleplus.

—Oh,tusais,jelesaitoutesaimées.Certainesplusqued’autres,maisaposteriori,toutesavaientquelquechoseàoffrir.Et,sijepeuxmepermettre,tuesabsolumentravissantedanscetterobe.

Ileffleurelafroncededentellequiornemondécolleté.

—Maisjecroisqu’onauraitdumalàpasserinaperçus,àLaguna.

Je soupire, presque triste de voir nos parures du XVIIIe céder la place à nos habitscaliforniens.

— Et maintenant, dit-il en faisant glisser mon amulette sous le col de ma robe, quelledestinationchoisis-tu:chezmoi,oucheztoi?

Jepinceleslèvres.Ilnevapasaimermaréponse,maisjemesuispromisd’êtrehonnêteavecluipendantlesraresinstantsoùj’ensuisphysiquementcapable.

—Nil’unnil’autre.IlfautquejepassevoirJude.

Il tressaille. C’est un mouvement infime, presque imperceptible, mais je l’ai vu. Et j’aibesoindeluifairecomprendrecequeJudeadéjàadmis:qu’iln’yapasdeconcurrenceentreeux.Qu’iln’enajamaisétéquestion.Damenaconquismoncœurilyadeceladessiècles,etjeneluiaijamaisrepris.

Alorsjechoisis l’honnêteté,denouveau.Jepourraismecontenterdeluirejouerlascènepar télépathie,mais jem’y refuse. Il y a certains passages qu’il risquerait d’interpréter detravers–ilyenamêmebeaucoup.Jem’efforcedoncd’adopteruntoncalmeetposé,etdem’entenirauxfaits,sansrienenjoliver.

—Je…Enfait,jel’aiplusoumoinsagressé.

—Ever!

Damensursauteviolemment,uneexpressionsichoquéesurlevisagequejedoismeforcerànepasdétournerleregard.

Jesecouelatêteetsoupire.

—Jesais…Maislaisse-moit’expliquer,s’ilteplaît.Jevoulaisprouverqu’ilétaitimmortel,mais…Bref,quandj’aicomprismonerreur,jel’aitoutdesuiteconduitauxurgences.

—Ettuasomisdemeledireparceque…?

Jevoissursonvisagequ’ilestblesséparcetteomission.Alors,jeleregardebienenfaceetconfesse:

— Parce que j’avais trop honte. Parce que je ne fais qu’enchaîner les bourdes, et je ne

Page 47: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

voulaispasquetuperdespatienceettelassesdemoi.Jecomprendrais,remarque…

Jelaisseplanermaphraseetmegrattelebras–l’undemesnombreuxticsnerveux.

Damenposelesmainssurmesépaulesd’ungestefrancetdoux,commesonregard.

—Messentimentspourtoisontinconditionnels,Ever.Ilnemeviendraitjamaisàl’idéedetejuger,oudeperdrepatience,oudetepunir.Jet’aime,purementetsimplement.J’aimeraisquetuneressentesjamaislebesoindemecacherquoiquecesoit.Tucomprends?Tupeuxaccumulertouteslesgaffesquetuveux,tunetedébarrasseraspasdemoicommeça.Jeseraitoujours là,Ever.Et si tu as besoind’aide, si tu as des ennuis ouque tu es complètementdépasséeparlesévénements,tun’asqu’àm’appeler,etjeviendraiàlarescousse.

Je hoche la tête, muette de gratitude devant cette chance incroyable : être aimée parquelqu’und’aussimerveilleux,quelqu’unquejenesuispastoujourssûredemériter.

—Alorsvat’occuperdetonami,moijem’occupedesjumelles,etonseretrouvedemain,d’accord?

Je luirépondsparunrapidebaiser,puis lui lâche lamainavantde fermer lesyeuxpourvisualiserleportaildelumièrequivameramenersurterre.

J’atterrisdevantchezJude,frappeàdeuxoutroisreprisesenluilaissantbienletempsderépondre, puis je décide de me passer d’autorisation et d’entrer malgré tout. J’inspectechaque recoin de la petitemaison, garage et jardin compris, puis referme la porte derrièremoietprendsladirectiondelalibrairie.

Mais sur la route, je passe devant la boutique de Roman. Il me suffît d’un regard à lavitrine,suivid’unautreàl’enseigneRENAISSANCE,etd’untroisièmeàlaporteouvertequim’inviteàentrer–etlemalestfait.Envolée,lamagiedel’Etéperpétuel,remplacéeparcethorribleintrusquimefaitvibrermalgrémoi.

Jemobilisema volonté pour trouver la force de passermon chemin,maismes jambespèsentdestonnesetrefusentd’obéir,tandisquemonsouffles’épuise.

Impossibledefuir.Jesuisfigée,pétrifiéeparcedétestablebesoindeletrouver,delevoir…ce besoin de lui. La bête immonde reprend le contrôle demon corps comme si je n’avaisjamaisconnulereposbienfaiteurdel’Étéperpétuel,commesilapaixm’avaitabandonnée.

Lemonstreestréveillé,etilréclamesondû.Malgrétousmeseffortspourdéguerpiravantqu’ilnesoittroptard…ilesttroptard.Ilestvenuàmoi.

—Voyez-vouscela,Everàmaporte.

Romans’appuie contre le chambranle, cheveuxd’or etdentsd’ivoire, ses yeux turquoiserivéssurmoi.

—Tum’asl’airunpeu…crispée.Toutvacommetuveux?

Sonfauxaccentbritishm’énerveauplushautpointd’habitude…maiscesoirjeletrouveirrésistible,et je luttede toutesmes forcespourresteràmaplace.Dansmoncœuretmoncorps,unebatailleépiquefaitrage:cettepulsationétrange,contremoi.

Romanritàgorgedéployée,commepourmieuxexhiberl’Ouroborostatouédanssoncou,dontleserpents’animeetm’appelledesalanguefourchue.

Alors,malgrétoutcequejesaissurlebien,lemaletlesimmortelspassésducôtéobscur,jem’approche.Jefaisunpasversladéfaite,puisundeuxième…etuntroisième.Mesyeuxnequittent pas Roman, affreusement sublime. Je ne vois que lui, ne veux que lui. Je sens à

Page 48: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

peinel’infimepartiedemoirestéeintactequisubsistequelquepart,quicrieetsedébatmaisnefaitpaslepoids.Elleestvitesubmergéeparlavagueobsédantequim’habiteetn’aqu’unbut.

Sonnoms’invitesurmeslèvres,etjem’arrêtetoutprèsdelui–siprèsquejedistinguelespaillettesviolettesdanssesiristurquoise,jesenslefroidglacialquiémanedesapeau.Cettesensationquimefigeaitdedégoûtm’attiredésormaiscommeuneoasisluxuriante.

Romansouritencoinetpasseunemaindansmescheveuxemmêlés.

—J’étaissûrquetuchangeraisd’avis.Soislabienvenueducôtéobscur,Ever.Jecroisquetut’yplairas.

Sonéclatderireestunecaressedélicieusementgivrée.

—Çanem’étonnepasquetuaieslarguéceminabledeDamen.Jesavaisquetuallaisfinirpart’enlasser.Toutecetteattente,cesprisesdetêteadolescentes,cescrisesdeconscienceàdeuxballes,sansparlerdetoutescesbonnesactions!crache-t-ilavecdégoût.Jenesaispascommenttuasputeniraussilongtemps.Etpourquelrésultat,jeteledemande?Parceque,désolé si la nouvelle te choque, poulette, mais il n’y a aucune récompense dans l’au-delàquandtonavenirestici,dit-ilentapantdupied.Cen’estqu’unestupidepertedetemps.Rienne sert de repousser le plaisir : il est tellementmeilleur quand on le cueille tout frais. Tun’imaginesmêmepas,mapauvreEver,l’étendueetlamagnitudedesdélicesàtaportée.Maistu es une petite veinarde, car je ne suis pas rancunier. La preuve, j’accepte de te servir deguide,situleveux.Qu’endis-tu?Paroùcommencer,cheztoiouchezmoi?

Ilpromèneundoigtlelongdemajoue,demonépaule,etlelaisseglisserverslecoldemarobe.Sontouchermeglace,etpourtantjenedemandequ’àm’ysoumettre.Jefermelesyeuxetlesupplieintérieurementdecontinuer,d’explorer,dem’emmeneroùilvoudra…

—Ever?C’esttoi?Tuplaisantes,là,j’espère!J’aperçoisHaven,deboutderrièrenous.SesyeuxjettentdeséclairsdefurieentreRomanetmoi,etnes’adoucissentunpeuquequandRomanéclatederireetmerepousse,m’annulecommeunrien,mecongédiedesonunivers.

— Je t’avais dit qu’elle reviendrait à la charge, dit-il en jetant un œil dédaigneux à mapauvrecarcassetransie,trempéedesueurfroide,tremblantededésirinassouvi.

Et j’aimal de le voir passer un bras autour de sa taille à elle. Ils tournent les talons etrentrentdanslaboutique.

LavoixdeRomanmepoignarde:

—TuconnaisEver,ellenemelâchepasd’unesemelle.

Page 49: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Onze

Jeparsencourant,etcouvreplusieurscentainesdemètresenquelquessecondes.Jenesuisqu’unevisionfugitiveetfloueauxyeuxdeceuxquim’aperçoivent,maisjem’enmoque.Peuimportecequ’ilspeuventpenser.Uneseulechosecompte,melibérerdecetenvahisseurinterne,cetintrusmystique,etretrouverlevraimoi.

J’entreencoupdeventdanslalibrairie,alorsqueJudeestsurlepointdefermerlaporte.Jemanquelerenverser,maisilm’esquiveàtemps.

Pantelante,pitoyable,complètementdétraquée,jel’implore:

—J’aibesoind’aideet…tueslaseulepersonneàquijepuissedemanderça.

Judemedévisage,paupièresplissées,puisilm’entraîneverslepetitbureauaufonddelaboutiqueetmefaitsignedem’asseoir.

—Doucement,murmure-t-il. Respire. Sérieusement, Ever, je ne sais pas ce qui t’arrive,maisjesuissûrqueçapeuts’arranger.

Je secoue la tête etmepenche vers lui. Les jouesmebrûlent etmes yeuxmenacent des’échapperdeleursorbites.Jedoisagrippermachaisepourresterassise,etm’empêcherderetournerlà-bas.

—Etsi tu te trompais?dis-jed’unevoix tremblanteet suraiguë.Et si çanepouvaitpass’arranger,justement?Siçasetrouve,jesuisfichue!

Jude fait le tourdubureauet s’assiedsursachaise,qu’il fait tournerdegaucheàdroitetout en m’examinant, le visage calme et placide, insondable. Bizarrement, ce mouvementmachinal,cepivotementconstantparvientàm’apaiser.Peuàpeu,jemelaisseallercontreledossierdemachaise,marespirationralentit,etmesyeuxs’absorbentdanslacontemplationdudessindeGaneshquiorneletee-shirtdeJude,enpartiecachéparsesdreadlocksdorées.

Quandjemesensenfinpresquehumaine,jereprends:

— Écoute, je suis vraiment désolée de débarquer ici comme une furie. J’étais venue tedonnerça,dis-jeenluitendantlesacenpapierdelapharmacie,qu’ilouvremaladroitement.Cesonttesmédicaments, jesuispassée lesprendredans la journée.Jepensais lesdéposersurtonbureauàlaboutique,etpuisçam’estsortidelatête.

Judeacquiescesansmelâcherduregard.

—Ever,pourquoies-tuvenue?Clairement, cen’estpaspourmeparlerdemesmédocs,dit-il en les repoussant d’un geste. Parce que, vois-tu, je n’ai pas du tout l’intention de lesprendre.Lesantalgiquesetmoi,onn’estpastrèscopains,commetuaspuleconstater.

Asonregard,jecomprendsqu’ilsesouvientdetout.Iln’arienoubliédelaconfessionqu’ilm’afaite.Jebaisselesyeuxsousprétextedelissermarobe.

—Prendsaumoinslesantibiotiques,ilsserventàéviterlerisqued’infection.

Ilreculesachaise,poselespiedssurlebureau,etplongesesincroyablesyeuxvertsdanslesmiens.

—Etsionsedispensaitdespolitessesetquetumeracontaiscequit’amène?

Jerespireungrandcoup,lâchemarobe,etluijetteuncoupd’œilprudent.

— J’étais vraiment venue pour t’apporter ton traitement, promis.Mais en chemin j’ai…

Page 50: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Disonsqu’ils’estpasséquelquechoseet…Asseztraîné,ilesttempsdecracherlemorceau;sijeveuxqueJudem’aide,autants’abstenirdemettresapatienceàrudeépreuve.

—Jecroisquej’aiaccidentellementliéRomanàmoi.Judeessaiederetenirunsursautdedégoût.

—Enfin,pourêtreplusprécise,jecroissurtoutquejemesuisliéeàlui.Maisjenel’aipasfaitexprès.C’étaitlecontrairequejevoulais,etquandj’aiessayéd’annulerlesort,çan’afaitqu’empirer.Jen’aiaucundroitdetedemanderdel’aide,jem’enrendsbiencompte.Maisjenesaispasversquid’autremetourner.

Illèveunsourcil.

—Vraiment?Tun’aspasunepetiteidée?Jerassemblemesarguments.

—Jesaisceque tuvasmedire,maiscen’estmêmepasenvisageable.Jenepeuxpas ledireàDamen.J’aimeraisautantqu’iln’apprennejamaiscequej’aifait.Ilnemanipulepaslamagie, il s’enméfie, alors je ne vois vraiment pas comment il pourraitm’aider. Et puis jerisqueraisdeleblesseretdeledécevoirpourrien.Maistoi,cen’estpaspareil,tut’yconnaisensorts.Etj’aibesoindequelqu’unquis’yconnaisse.Tudoispouvoirmemontrercommentréparertoutça,non?

—C’estparierunpeulourdsurmatête,tunetrouvespas?dit-ilenreposantlesbrassurlescuisses.

—Oui,peut-être.Mais jesuissûreque tumérites toute laconfianceque je t’accorde.Jeveuxdire,maintenantquetuasprouvéquetun’étaispasducôtédesméchants…

Envoyantsonbras,j’aisoudainuneillumination:jecroisquejetienslemoyenparfaitderacheterma conduite.Maispatience…D’abord, jedois réglermonproblème. Jedéglutis etbaisse les yeux, horrifiée devant l’énormité de ce que je suis sur le point de confesser. Etpourtant,illefaut.J’aibesoindeledireàvoixhaute.

—J’aibienpeurqueRomannesoitdevenuuneobsessionpourmoi.

JejetteunregardencoinàJude.Ilapâli,maisessaiedefairebonnefigure.Jeluiensuisreconnaissante.

—C’estterrifiant.Jefaisunefixationsurlui,nepensequ’àlui,rêvedelui…Etilsemblequeriennepeutenrayercela.

Judedodelinedelatêted’unairpensif,commes’ilétaitentraindefeuilletermentalementungrimoirede renversementde sorts à la recherchedu remède adhoc.Puis il revient surterre,segrattelementonsursonplâtreetsoupire.

—Cen’estpasrien,Ever.C’estmêmefranchement…compliqué.

Jemetordslesmains.Cen’estpasmoiquiiraislecontredire.

—Lierquelqu’unàsoi…C’estlegenredesortqu’iln’estpastoujourspossibled’annuler.

Jemepencheenavantetmeforceàparlercalmementpourendiguerlapanique.

—Pourtant,jecroyaisquetoutpouvaitsedéfaire.Ilsuffitd’exécuterlesortappropriéaumomentpropice,pasvrai?

Sonhaussementd’épaulesmedonneuncoupdecafard.

—Désolé,Ever.Jeterépètejustecequej’aiapprisenétudiantetpratiquantceschoses-là.Maisc’esttoiquipossèdesLeLivredesOmbresetceprétenducode.Tudoislesavoirmieux

Page 51: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

quemoi.

Jereculecontreledossierdemachaise.

—Pfff…LeLivrenem’aidepasbeaucoup, tusais.J’aisuivià la lettre les instructionsdeRomyetRayne,j’aireprispresquetouslesélémentsdupremiersort,et…

—Attends,attends:tuasreprispresquetousleséléments,ouvraimentlesmêmes?

—Ben…tous.Enfin,laplupart.Logique,puisquepourrenverserunsort,ilfautsuivrelesmêmesétapes.C’estcequeditleLivre,etlesjumellesmel’ontconfirmé.

Jude hoche lentement la tête… trop lentement. Je vois bien qu’il essaie de contenir sapropreinquiétude.

—Jenevoisvraimentpascequiaputoutfairedérailler.D’ailleurs,audébut,j’aicruquej’avaisréussi.C’estaprèsquelesortm’acomplètementéchappé.Ilacommencéàseformer,puisàs’inversersanscesse,àrépéterlaséquenced’événementsquejevenaisdecréer.

—Ever,tudisquetuasreprislesétapesdusort,maisest-cequetuasutilisélesmêmesressources:herbes,cristaux,etc.?

—Pastoutes,non.Quelledifférenceçapeutbienfaire?

—Quelétaitl’outilprimordial,celuiquiavraimentdéclenchélesort?

—Alors,aprèslebain,j’ai…L’athamé.

Nous échangeons un regard lourd de sens : c’est ça. La voilà, ma petite erreur auxconséquencesterribles.

—Je…Jel’aiutilisépourunéchangedesang,et…

Soudain ses yeux s’élargissent, ses joues blêmissent, et son aura semet à frémir d’unefaçonalarmante.

—Est-cequec’estl’athaméaveclequeltum’asblessé?Cettefois,ilnecherchemêmepasàcachersoninquiétude.

—Non,cen’étaitqu’unevagueréplique,matérialiséeàlava-vite.L’originalestchezmoi.

Lesoulagementluiredonnedescouleurs.

—Tantmieux.Parcontre,jeneveuxpastevexer,maisc’étaitprécisémentl’élémentquetuauraisdûrenouveler.Ladéesseexigequ’onn’utilisequedesoutilsneufs,purs,viergesdetoute magie. Tu ne peux pas la servir avec les objets viciés qui ont invoqué la reine desTénèbres.

Oups.

Lescoinsdesesyeuxsemblenttomberunpeusouslepoidsdelatristesse.

— Je suis désolé. J’aimerais vraiment pouvoir t’aider,mais jeme sens un peu dépassé,pour tout te dire. Tu devrais peut-être consulter Romy et Rayne, elles ont l’air de s’yconnaître.

—Tuessûr?Parceque,sionyréfléchitbien,j’aisuivileursconseilsàlalettre.C’estvraique mon athamé ne leur plaisait pas. Elles le trouvaient mal fichu et voulaient que je lefonde, mais quand j’ai refusé, elles n’ont pas insisté plus que ça. Et elles ne m’ontcertainementpasexpliquépourquoiilneleurconvenaitpas.Ellesnem’ontjamaisditquejenepouvaisplusm’enservir,ouquejenedevaisutiliserquedesoutilsneufspourquelesorts’inverse.Bizarrement,ellesontomisdemecommuniquercepetitdétailàpeinevital.

Page 52: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Nos regards se croisent, et je vois que Jude se pose les mêmes questions que moi.Pourquoi iraient-elles me faire une chose pareille ? L’auraient-elles fait exprès ? Medétestent-ellesàcepoint?Judebalaiecessuspicionsenunclind’œil,maisilneconnaîtpasbiennotrehistoire.Et celle-ci est bien trop compliquéepour éliminer tout soupçon sans yréfléchiràdeuxfois.

—Attends, écoute-moi.Laquestionmérited’êtreposée,Jude.Elles sont trèsprochesdeDamen,etl’adorentautantqu’ellesmehaïssent.Sérieusement,jen’exagèrepas.Etmêmesiellessontcenséesnetoucherqu’àlamagieblanche,jelesimagineassezbienmaniganceruntrucdecegenre,histoiredemedonnerunebonneleçon,voiredejeterunfroidentreDamenetmoi.Aprèstout,quisaitcequileurpasseparlatête?Etpuis,àsupposerquecen’étaitpasintentionneletquelles ignoraient toutsimplementceproblème, jenepeuxpasme tournervers elles pour autant. Parce que, dans l’éventualité où elles l’ont fait exprès, elles vonts’empresser de tout raconter à Damen, et il est hors de question qu’il ait vent de cetteaventure, jeneveuxpas leblesser.Et si ellesne l’ontpas fait exprès, ellesvont sauter surl’occasiondemetournerenridicule.C’estundeleurspasse-tempsfavoris.

Judeposemaladroitementlescoudessurlebureau.

—Ever,jecomprendstondilemme,vraiment.Maistudoisbienterendrecomptequetuesauborddelaparanoïa,là.Tunecroispas?

Jeplisseméchammentlesyeux.Àcroirequ’iln’apasécoutéunmotdecequej’aidit.

— Jem’explique, avant que tu neme fusilles du regard. Primo, tum’accuses d’être unrenégat,alorsquejenevoismêmepascequetuveuxdireparlà,àpartqueçaaunrapportavecRoman,untypequi,apparemment,mènesaproprebandedegrandsméchantsetqui,aupassage,tedégoûteett’attirefollementàlafoissuiteàunsortd’attachementmalficelé.Et,tun’enespas sûreà centpourcent,mais il estpossible,dans tapetite têtedumoins,queRomy etRayne se soient juré d’avoir ta peau, ce qui expliquerait qu’elles aient passé soussilence certaines informations cruciales relatives audéroulementdu sort, afinque tu ratestoncoupett’éloignesdeDamenparlamêmeoccasion.QuantàDamen,tuespersuadéequ’ilnetepardonneraitpasdet’êtremisedansunetellesituation,et…Bref,tuvoiscequejeveuxdire?

Je croise les bras, le regard dur. Il n’est pas drôle du tout, et il n’a rien compris à masituation,quiestd’ailleursbienpluscompliquéequecela.

—Ever,s’ilteplaît.Jeveuxvraimentt’aider.Tudevraislesavoir,non?Maisjetiensaussiàêtredebonconseil.TudoisparlerdecettehistoireàDamen.Jesuissûrqu’ilcomprendraetque…

—Jet’aidéjàexpliquémillefoisqu’ilseméfiedelamagie,etqu’ilm’aexpressémentmiseengarde.Jenesupporteraispasqu’ildécouvrequejenel’aipasécouté,etqu’ilvoieàquoijemesuisabaissée.

Judesecalesursachaiseetmeregardeuninstantavantdesoupirer.

—Maisçanetegênepasquejelesache,moi.C’estça?

Ilessaiedesourire,maisn’yparvientqu’àmoitié.

— Écoute, je vais être parfaitement honnête avec toi. Cette situation est extrêmementinconfortablepourmoiaussi,mais tuesplusoumoinsmondernierrecours.Si tuneveux

Page 53: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

pasêtremêléàmesdéboires,libreàtoi.Tun’asqu’àledire,etje…

J’agrippelesaccoudoirsdemachaisepourmelever,mais ladouceurdesesmagnifiquesyeux verts me convainc deme rasseoir. Il ouvre un tiroir et fouille tant bien quemal endisant:

—Ondiraitquej’ysuisdéjàjusqu’aucou,danstesdéboires,commetudis.Alors,autantessayerdevoircequejepeuxfaire.

Page 54: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Douze

—EtmoiquimecroyaiscondamnéàpartiràFlorencesansunderniercâlindetapart!

Miles joint legesteà laparoleetm’étouffeàmoitiédanssesbras. Il jetteuncoupd’œilprudentàDamenpar-dessusmonépauleetchuchote:

—Contentdevoirquevousêtesréconciliés.

Jem’écarte,l’airétonné,puisjemerappellequenousnenoussommespasvusdepuislasoiréequej’avaisorganiséepoursondépart.Ilm’avaitalorsencouragéeàtrouverlebonheuravecJude.

Mileslitdansmesyeuxetseslèvresseretroussentenunsourirecoquin.

—Benquoi?Jeveuxquetusoisheureuse,cen’estpasinterdit,quandmême!ajoute-t-ilenadressantunpetit signede têteàDamen.Moi, jeveuxque tout lemondesoitheureux.Tiens,d’ailleurs, tuferaismieuxdenepastropt’aventurerdans lamaison,ou le jardin.Enfait,l’idéal,ceseraitqueturestesoùtues,biensagement.

Damen s’approche et passe un bras protecteur autour de ma taille. C’est avec la voixenrouéed’appréhensionqu’ildemande:

—Tuveuxdirequetuasinvitédesgensquipourraientnousvouloirdumal?

Jeconnaisdéjà la réponse.Depuisquenoussommesdescendusde lavoiture.Àmesurequej’avançaisdansl’allée, lebattementétrangeetaliénantenmoiseréveillaitunpeupluspourm’envoyercetteinformationprimordiale,laseuledontj’aievraimentbesoin.

Romanestici.

Les autres ne sont que de vulgaires figurants.Miles fait une petitemoue chagrine et sepasseunemaindanslescheveux.

— Pas du tout, je plaide non coupable. Ils se sont invités tout seuls. Depuis midi, çan’arrêtepasdesonner.Maisbon,jeveuxquetulesaches:jesuisaucourantpourHavenettoi,alors…

—Pardon?

Je ledévisageattentivement : sonaura jaunesoleil, lacouleurde lagentillessepure,estourléed’ungrisincertain.Ilsemordlalèvre,puisselance:

— Ecoute, Ever, elle m’a tout raconté. J’aimerais bien pouvoir rester et vous aider àrésoudrececonflit,mais…

—Qu’est-cequ’ellet’adit,exactement?

Damenresserresonétreinte,mais jegarde lesyeuxrivéssurMiles,quisecoue la têteetfaitminedeseverrouillerleslèvresavantdejeterlaclépar-dessussonépaule.

—Désolé,Ever,maistunem’obligeraspasàmemêlerdeça.Toutcequejesais,c’estquevous êtes en froid.Moi, je tiens à rester neutre. Et pour tout te dire, je t’aimenti, tout àl’heure.Jen’aimeraissurtoutpasrestericipourvousaideràvoussortirdecettesituation.Jedisais ça pour être gentil,mais la vérité, c’est que je suis plus qu’impatient de partir pourFlorenceetdevouslaisserdémêlervoshistoires.Etvousavezintérêtàyarriver,parcequ’ilesthorsdequestionquej’aieàchoisirentrevousdeuxàmonretour.Soyonsclairs:tuasuncertain avantage, vu que tu me conduis au lycée tous les matins, mais je connais Haven

Page 55: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

depuissuperlongtemps,etcen’estpasnégligeablenonplus.

Milesfermelesyeuxcommesiceshistoiresdefillesluidonnaientlamigraine.

Damenintervientalors,etàentendrel’urgencedanssavoixgraveetdouce,ilnefaitaucundoutequesiMilesnecrachepaslemorceaudanslaminute, iln’hésiterapasàbrisernotrepromessetaciteetàplongerdansl’espritdenotreami.

—Miles,noustecomprenonsparfaitement,maisilestabsolumentvitalquenoussachionscequ’elle t’adit,motpourmot.Nousne lui répéteronsrien, si c’estcequi t’inquiète,maisnousdevonsàtoutprixlesavoir.

MilesprenduneposethéâtraleetluiadresseleregardblessédeJulesCésaràsontraîtredefils:

—Toiaussi,Damen?

Mais, s’il se réfugie derrière ce clin d’œil à Shakespeare, il n’en est pasmoins contrariéqu’onluiforceainsilamain.

—Bon,d’accord, jevaisvousledire.Maisc’estbienparcequejemets lesvoilesdemain.Dansmoinsdevingt-quatreheures, je fileraidans lesnuagesenregardantdes filmsque jeconnaisparcœuretenmangeantunplateau-repasemballésousvide.Maisjevouspréviens,n’allezpasmefairelatêtesicequejevousdisnevousplaîtpas.C’estvousquiavezinsisté,proteste-t-ilavantdefaireunepausepourménagerseseffets,levisagesoudainsérieux.Alorsvoilà,Havenm’aditquevousvouliezl’éloignerdeRomanpartouslesmoyensparceque–etje vous rappelle que ce sont ses propres termes, pas les miens, alors ne blâmez pas lemessager–ellepensequevousêtesjaloux.

Enfinnon,pastoi,Damen.Maiselleestpersuadéequ’Everluienveutparceque,jecite(ilseraclelagorgeavantdeselancerdansuneimitationgrinçanteàsouhaitdeHaven):«Jecommence enfin à m’épanouir, et Ever ne supporte pas de ne plus être au centre del’attention.»

Milesnoussignifiecequ’ilenpensed’unhaussementdesourcils.J’aiunpeuhontedeluiavoirmisunetellepression,maisjesuissurtoutsoulagéeetravie:cen’estpasaussigravequecequejecraignais.Havenabeaumedétester,elleaquandmêmeréussiàgardersecrètesanouvelleidentité.Enfin,jusqu’àprésent.

Damenresteimperturbable,maisjelesenstoutaussirassuréquemoi.

JeregardeMilesetlance,histoirededirequelquechose:

—Ohnon,c’estmoche.Jesuisdésoléequ’elleailles’imagineruntrucpareil.

Maisenfait,jesuisdéjàpasséeàautrechose.Lamagiesinistrequim’habites’agiteetfaitbattremon cœur à cent à l’heure. J’ai de nouveau les paumesmoites et une sensation depalpitation entêtante. Je ne rêve que d’une chose, larguer ces deux boulets le plus vitepossible pour aller le retrouver. Roman. La faim incontrôlable qui me pilote exige d’êtrenourrie,quelqu’ensoitlecoûtpourmoi,oumesamis.

Je déglutis à grand-peine et me force à respirer calmement et profondément. Jem’accrocheà l’uniqueétincelledebonsensquipersisteenmoi,malgré la tempêtequi faitragedansmoncorps.

J’entendsàpeineMilessoupirer.

— Voilà, vous savez tout. Une bonne vieille dispute de nanas. II y a des types que les

Page 56: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

crêpagesdechignonsfontfantasmer,maistrèspeupourmoi.Ettoi,Damen?

—Ohnon,rassure-toi.Celafaittrèslongtempsquejem’ensuislassé.

J’aperçois un éclair de douleur sur son visage, un souvenir de Drina et moi, aussitôtdissipé.

MaisMilesn’arienremarqué,etilpoursuit:

—Celadit,ellearaisonsuruntruc…

Damenmeserreunpeuplusfort,touslessensenalerte,alorsquejenesouhaitequ’unechose:qu’ilvienneàmarencontre.

—Jelatrouvecarrémentcanon,cestemps-ci.Jenesaispassiçatientàsonnouveaulookpost-apocalyptique et rock’n roll gitan,mais ondirait qu’elle s’est enfin trouvée, épanouie,commeelledit.Etjedoisl’admettre,depuisletempsqu’ellesecherchait,c’estnormalqueçaluisoitmontéàlatêtedesetrouverenfinenpositiondeforce.Tuvoiscequejeveuxdire?Laisse-luiunpeude temps, et je suis sûrqu’elle finirapar se calmer.Un jour…Maispourl’instant,jecroisquelemieuxestdegardernosdistances,etdenepasprendretoutçatroppersonnellement.Enfin,quandjedis«nous»,jeparlesurtoutdevous,parcequejenesaispassivousvousensouvenez,mais…jeparsàFlorencedemain!

Jehoche latêtecommeunrobotetafficheunsourireamusé.J’espèrequeMilesyverraune complicité joyeuse parce que, intérieurement, je brûle et bouillonne. Je refusecatégoriquementdelaisserHavenprofiterdesesnouveauxpouvoirs,sicelaveutdireprofiterdeRomanaupassage.

Pasquestion.

Maisjeneparlepasdetoutcela,biensûr.Jerestemuette,etcontinueàscannerlapièceduregardenattendantl’arrivéedemonsurfeurpréféré,monbeaublondauxyeuxtropbleus.

— Enfin bref, jeme contrefiche de ce qui se passe entreHaven et toi, personne nemeforcera à choisir l’une ou l’autre. Ce qui veut dire que vous êtes toutes les deux lesbienvenuesdansmamaison.Enrevanche,jen’avaispasinvitétoutesaclique,c’estellequilesaincrustés.Neluirépétezpas,mais…jenelesenspas,ceRoman.Jeletrouveunpeu…

Milesfroncelessourcilsencherchantlemotjuste,puisrenonce.

—Bref,disonsqu’ilyaquelquechosequimedérangechezlui,untrucbizarre.Jen’arrivepasàdirequoi exactement,mais ilme faitunpeu lemêmeeffetqueDrina.Vousvousensouvenez?

Ilnousdévisageàtourderôle,commes’ilattendaitquenousconfirmionssessoupçons.MaisDamenetmoirestonsdemarbre,unmurdenonchalancequemêmelabêteenmoinepeutébranler.

—Enfin,bon.S’il larendheureuse,c’esttoutcequicompte,pasvrai?Aprèstout,onnepeutpaslesempêcherdefairecequ’ilsveulent.

Onparie?

Jeplisseleslèvresetlespaupièrespourretenircesmots.

—Non,maisc’estvrai,quoi…

Miles continue sur sa lancée, et j’en profite pourm’inviter dans ses pensées.Un rapidetour d’horizonm’indique qu’il est surexcité à l’idée de partir, bien qu’un peu angoissé delaisserHolt derrière lui.En revanche, il ne se doutepas lemoinsdumondede l’existence

Page 57: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

d’immortels,corrompusounon.

—Donc,engros,vousavezhuitsemainespourdémêlerça.Jecomptesurtoipourluifaireentendrelavoixdelaraison,Ever.TusaiscommemoiàquelpointHavenpeutêtrebutée.Jel’adore, hein,mais je ne connais personnequi aime autant avoir raison.Elle préférerait sebattreàmortplutôtqued’admettrequ’elleatort.

Je lui souris, soulagée par ma brève incursion dans ses pensées. Je renouvelle mapromesse de ne recourir à cela qu’en cas de forcemajeure, et regardeDamen sortir de sapocheunboutdepapierpliéenquatre.Jesuiscertainequ’ilvientdelefaireapparaître.

—Tiens,au fait,Miles : je t’ai fait la listedontonavaitparlé.Tous lesendroitsànepasmanqueràFlorencesontlà-dessus,ajoute-t-ilenréponseauregardinterrogateurdeMiles.Ilyabiendequoit’occuperquelquessemaines.

Son regard est placide, parfaitement sincère et désintéressé. Mais je ne suis pas dupe.Damen semble déterminé à faire oublier àMiles la liste queRoman lui a donnée. Ce quej’ignore,c’estpourquoi.

Quandjeluiaidemandé,ils’estfermécommeunehuîtreetarefuséd’enparler.Toutceque je sais, c’estqueRomanachaudement recommandéàMilesunedemeurebiencachéedes touristesqui recèleraitquelques raresobjetsd’art.Damenaeu l’airprisdepaniqueenl’apprenant, sans que je comprenne pourquoi. Que risque-t-il, en effet, puisque toutes sespeinturesontétédétruitesdansl’incendiequ’ilalui-mêmedéclenchéilyaquatresiècles,etoù,officiellementdumoins,ilapéri?

Miles parcourt la liste d’un rapide coup d’œil avant de la replier pour la ranger dans lapochedesachemise.

—Merci.Mais,tusais, j’aireçuleprogrammedétailléhier,et jecroisquejem’estimeraiheureuxsijetrouveletempsdedormir!Ilsneplaisantentpasquandilsdisentquejouerlacomédieestuntravaildechaqueinstant;çavaêtreunvéritablestageintensif,plutôtquedesvacancessouslesoleild’Italie,dontjerêvaisdéjà.

Damenapprouved’ungeste,etjevoislesoulagementtraversersonvisage.Sijen’étaispasobnubiléeparRoman,jel’entraîneraisàl’écartpourluiendemanderlaraison.Maisjeresteplantée là, face à cette évidence cruelle : la chaleur qui émane de lui et me picotedélicieusement la peau d’habitude est supplantée par le battement sauvage quime secouetoutentière.

L’arrivéedeJudedanslapiècenepeutriennonpluspourl’enrayer.

Ils’arrêtedevantnousetm’adresseunpetitsignedetêteavantdesetournerversDamen.Instinctivementilsredressentlesépaules,bombentletorseetsetoisentcommedeuxmâlesenrut.JerepenseauxmotsdeJude,l’autresoir,quandilmedisaitqueDamenetluiétaientengagésdansuneluttedesplusprimitivespourmeconquérir.

Deuxgarçonsmagnifiques, intelligents et talentueux sebattentpourmoi, et jenepensequ’à celui qui est dans la pièce d’à côté. Celui qui sort avec mon amie, et qui est aussimalfaisantqu’irrésistible.

DamenmontrelebrasdeJudeetdit:

—Çadoittefairesouffrir.

À l’intonation de sa voix et à l’expression de son visage, jeme demande s’il parle d’unedouleurphysiqueouémotionnelle.Aprèstout,noussavonstouslestroisquec’estmoiquiai

Page 58: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

infligécesblessuresàJude.

MaisJudesecouesesdreadlocks.

—C’estclairquejenesuispasautop,maisEverfaitdesonmieuxpourcompenser.

Milesnousconsidèred’unairahuri.

—Attends,là!Tuveuxdirequec’estEverquit’afaitça?

Jemefige…etdoisretenirungros«ouf»quandJudes’esclaffe:

—Maisnon!Jevoulaisjustedirequ’ellem’aideàlaboutique.Çaseraittrophumiliantdesefaireestropierparunefille!

J’éclatederire.Enpartiepourrompre lesilenceet la tensionàcouperaucouteau,maisaussiparcequejesuisàboutdenerfs.Malheureusement,c’estungrosrireaffreux:tropfort,tropaigu,presquehystérique,etquinefaitquesoulignerleprofondmalaisedel’instant.

Malgré tout, Damen reste àmes côtés, stoïquemais déchiré, déterminé à toujours agirdansnotreintérêtàtouslesdeux,mêmes’ilnevoitpastoujoursclairementcequ’ilenest.Une fois de plus, la honte me ronge : je m’en veux d’avoir provoqué cette situationinextricable, d’être la pire des petites amies, de me morfondre de désir pour le sinistreindividuquis’évertueànouspourrir laviedepuisdessemaines.Alors, je fermelesyeuxetadresseàDamenunbouquetdetulipestélépathiquespourmeracheter.Saufqu’aulieudesfleurscharnuesquejevisualisais,ilreçoituneespècedegrospâtérougesaledégoulinantsurdestigesabîméesetmaigrichonnes.Unélèvedematernelleauraitfaitmieux.

Damen me regarde, les yeux plissés d’inquiétude, mais Jude choisit ce moment pourlancer:

—Bon,benmoijevousdisadios.Miles,bonvoyage,dit-ilenluitendantsonplâtrepourluiserrerlamaincommeilpeut,avantdesetournerversmoi.Ever…

Sonregards’attardesurmoiquelquessecondesdetrop,assezpourmefairefrémir,etpourquetoutlemondeleremarque.Jen’arrivepasàdéciders’il l’afaitexprèspourqueDamencomprennequec’est luiquej’aichoisiquandj’étaisauxabois,ous’ilest justeincapabledementiretsupportemallepoidsdusecretquenouspartageons.PuisilsetourneversDamen,etilséchangentunregardlourdd’implicationsquejenedéchiffrepas.IlnedétournelesyeuxquequandMileslepoussegentimentverslaporte.C’étaitlagoutted’eaudontj’avaisbesoinpour prendre la bonne décision : cesser de repousser Damen, soulager ma conscience, etaccepterenfinl’aidequ’ilmeproposedepuistoujours.

Je le prends par le bras et le regarde bien en face, prête à vider mon sac de secretsinnommables. Mais aussitôt ma gorge se serre et bloque mes mots, me privant d’air aupassage.Maconfessiontourneàlaquintedetouxrougeaudeetsifflante.

QuandDamenmecaresse la joue etmedemande si tout vabien, j’ai enviedem’enfuir,mais je n’en fais rien. Je rassemble mes forces pour faire bonne figure. Tête basse etpaupièrescloses,j’attendsquelacrisesecalme.Unechoseestclaire,jenecontrôleplusrien,pasmêmemonproprecorps.Lemonstreestréveilléetpluspuissantchaquejour,etiln’apasl’intentiondelaisserDamens’immiscerentreRomanetmoi.

MilesrefermelaportederrièreJudeetnousfaitface.

—Non,cen’étaitpasbizarredutout!

Je plonge la main dans mon sac et fouille jusqu’à trouver ce que je cherche. La petite

Page 59: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

étincelleintacteenmoimedictedem’activer,dedonnermoncadeauàMilespuisdesortird’ici au plus vite, avant que cette magie malsaine ne prenne définitivement les rênes etm’obligeàfairequelquechosequejeseraisûrederegretter.Romanapproche, je lesens.Ilfautquejem’arrachedecetendroitavantqu’ilnesoittroptard.

—Onnepeutpasrester,maisjetenaisàteremettrececi.

J’espèrequeMilesne remarquepas le tremblementdemesmainsquand je lui tends lepetitcarnetdecuirquej’aichoisipourlui.Jeconcentretoutemonénergiesurmarespirationpourgarderlabêteàdistance.Milescaresselacouvertureduboutdesdoigtsavantd’admirerles pages d’épais papier crémeux. J’essaie de gommer toute hystérie de ma voix avantd’intervenir:

— Bon, jeme doute que tu vas créer un blog,mais au cas où tu n’aurais pas d’accès àInternet,ousituveuxconsignerdespenséesunpeuplusprivées,jepensaisquetupourraisécrirelà-dedans.

Milessouritdetoutessesjoliesdents.

—Ever!D’abordunefête,puisuncadeau?Tumegâtes,machère!

Jesourisenréponse,maissesmotsm’effleurentàpeine.Toutdisparaîtsoudain.Romanestentrédanslapièce.

Alasecondeoùjelevois,labêteenmoiterrasselapetiteétincellequiluttaitjusque-là,etjene sensplusqu’unepulsation infernalequi grondedeplus enplus fort, qui tambourinedansmesveines,etqueseulepourraapaisermonunionavecRoman.

Damen me serre contre lui. Il a senti mon énergie basculer et se tient prêt à touteéventualité.Misa,puisMarcoetRafedisentaurevoiràMilestandisqueHavennousobserve,vêtued’unerobedeveloursvioletquimetmagnifiquementenvaleursonteintpâleetparfait.Sesyeuxmedétaillentdespiedsàlatête,etsesdoigtschargésdebaguespianotentunpetitairmenaçantsurseshanches.Sisonauraétaitencorevisible,jeseraissansdouteconfrontéeàunmurdurougeleplusfurieuxquisoit.

Mais je n’ai pas besoin de la lire pour savoir ce que Haven pense ou ressent. Elle estcommemoi,une immortelleavecdesœillèresetunseulbut,Roman.Elleaussiestprêteàtoutpourl’obtenir.

Sonregardm’égratigne,maiselleestsisûredesonpouvoir,griséedesapuissancetoutenouvelle,qu’ellemedisqualifiebienvited’unhaussementd’épaulesdédaigneux.

Elles’approchedeMilespourleserrerbrièvementdanssesbras,puiss’écarteaussitôtqueRomanarrivepourluidonneruneaccoladetoutemasculineendisant:

—N’oubliepas,justeaprèslePonteVecchio,tuprendslapetiteallée,puistutournesdeuxfoisàgauche,etc’estlatroisièmeportesurtadroite.Elleestgrandeetrouge,tunepeuxpaslarater,ajoute-t-il,desétincellesdanslesyeuxtandisqu’il lesposesurDamen.Jet’assure,mon pote, ça vaut vraiment le détour. Tiens, tu n’as qu’à demander à Damen, si tu veux.Qu’est-cequetuendis,monvieux?Jenemenspas,hein?Jesuissûrquetuvoisdequoijeparle.

Mâchoirecrispée,paupièresplissées,DamengardelesyeuxrivéssurRomanetparled’unevoixblanche:

—Non,jenevoispasdutout,désolé.

Page 60: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

MaisRomaninclinelatêtesurlecôtéetaffecteunfortaccentcockney.

—Ahouais?T’esvraimentsûrdetoi,monpote?Parcequejeseraisprêtàparierquejet’yaivu,

—J’endoute.

Damenlaissetombercesmotscommeuncouperet,lesyeuxbrillantsdedéfi.

MaisRomanpartd’unrire insouciantet lève lesmainscommepourserendre.Puis ilsetourneversmoi.

—Ever…

Etvoilà,jesuisfichue.Rienquemonprénomsurseslèvres,etjefonds.

Jenesuisplusquelaveenfusion,prêteàlesuivreoùilvoudra.

J’avanceverslui,piégéeparceregardbleuacier.Chaquepasmerapprochedesimagesquidéfilent dansma tête et qu’il a créées pourmoi. Le genre de scène quim’aurait dégoûtéeavantlesort,quim’auraitdonnéenviedelefrapperenpleindeuxièmechakrapourenêtredébarrassée.

Maisàprésentjesuisenfeuethorsd’haleine,impatientedejouerenfinsonscénario.

Damenessaiedem’atteindre,physiquement etmentalement. Il cherche àm’envoyerunmessage, me ramener vers lui, mais en vain. Ses pensées ne sont plus qu’un charabiamarmonnéetincompréhensible,unechaînedemotsillisiblesdontjen’aiquefaire.

Riennem’intéresseplus,hormisRoman.

Je faisunpasdeplus.Mesmains tremblent,mesmuscles se tendentàme fairemal, jebrûle de sentir sesmains froides surma peau. Peu importe le public autour de nous, peuimportequ’ilsoitchoqué,jenepenseplusqu’ànourrirlemonstrequim’habite.

Plusqu’unpas,quejem’apprêteàfranchir…MaisRomans’écartesoudainetsedirigeverssavoiture.J’enperdsmonéquilibre,monsouffleetmaraison.Milesnecomprendpascequivientdesedéroulersoussesyeux,etDamenm’observed’unairalarmé.

Il lui faut tout son courage et toute sa détermination pour ne pas perdre la face enprésencedeMiles.Ilreprendlaconversationlàoùnousl’avionslaissée.

—Enmatière d’art, les goûts de Roman sont d’une vulgarité à pleurer. Tiens-t’en àmaliste,tuneleregretteraspas.

Mais,sisonvisageparaîtcalmeetdétendu,cen’estqu’unefaçade.L’énergiequiémanedeluidélivreuntoutautremessage.

Je sais pertinemment que cela devrait me préoccuper. Et ce sera le cas dès que cetteprésence aliénante aura décidé de se tapir dans un coin pourme laisser respirer et que jemesurerai l’impact de mes actions. Mais ce moment atroce reste encore à venir. Pourl’instant,jenepeuxpenseràriend’autrequ’àlui.

Oùilva.

Sielleestaveclui.

Etcommentjepeuxlesarrêter.

Milesnousregarde,Damenetmoi,visiblementimpatientdemonterdansl’avionetlaissercedésastrederrièrelui.Ilseraclelagorgeetdit:

Page 61: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

—Bon…Ça, c’est fait.Est-ceque ça vous tentede rejoindre les autres ?La troupe est àl’étage,danslasalledejeux.OnvaserejouerquelquesscènesdeHairspray,pourleplaisir.

Damenamorceun«non»delatête,maisjel’ignore.J’aienviedetout,saufd’assisteràunmedleyd’airsdecomédiemusicale,maissijetiensàreprendrelescommandesdemavie,jedoisresterici,ensécuritédanscettemaison.Sijemetsunpieddehors,jevaispartiràlarecherchedeRoman.

Etpuis, toutedistractionest labienvenue. Jene supportepas le regard interrogateurdeDamen, son air douloureux. J’ai besoin de temps pourme calmer,me recentrer, avant depouvoirenfinm’expliqueretrévélerl’immondevérité.

JeprendslamaindeDamenetlaserredanslamienne,enespérantquelevoiled’énergiequi nous sépare et nous protège suffise à masquer la moiteur glacée de ma peau. Nousmontonsl’escalieretentronsdanslasalledejeuxavecunsourireforcéetunpetitgestedelamain.

Jerepenseausecretquem’aunjourlivréMiles:jouerlacomédie,c’estprojeter,projeter,projeter,croireaumensongeavecassezdeconvictionpourquelepublics’ylaisseprendre.

Page 62: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Treize

—Damen,je…

J’essaiedeluidire,defairesortircesmotsquirefusentdefranchirmeslèvres.Magorgeestdenouveaunouéeetbrûlante,commesilemonstredevinaitmesintentionsetmemettaitdesbâtonsdanslesroues.

Damenmeregarde,uneinquiétudepresquepaniqueinscritesursonbeauvisage.

Jefaisunedeuxièmetentative,coasselamentablement,maisparviensàdire:

—Et si on retournait à l’Étéperpétuel ?ÀVersailles ? Jepivote surmon siègepour luifaireface,etlesupplieduregardd’acceptermaproposition.

—Maintenant?

Il s’arrête à un feu et me regarde paupières plissées et sourcils froncés, signe qu’ilm’examineendétail.

Jeserreleslèvresethausselesépaulespourfeindrelanonchalance,alorsquejesuisuneboule de nerfs depuis que nous sommes arrivés chez Miles, et que le seul moyen de medéchargerdemon fardeauenmeconfiantàDamenpourqu’ilm’aide, c’estdemerendreàl’Étéperpétuel.Ici,surleplanterrestre,jenecontrôleplusnimesactesnimesparoles.

J’insistemaladroitement,sansoserleverlesyeuxversDamen.

—Jecroyaisquetuaimaiscetendroit.Aprèstout,c’esttoiquil’ascréé.

Ilhochelatête,maisc’estlegenredegestequin’approuverien,quisertjusteàgagnerdutempsetàcachercequ’onpensevraiment.Etc’enest trop.Jen’enpeuxplus,nesupporteplusd’être ici. Je veuxpartir, et tout de suite, avant quemon envahisseurne reprenne lescommandes.

—C’estvrai,c’estunendroitquej’aimebeaucoup,dit-ilprudemment,d’unevoixgrave.Etcommetul’asfaitremarquer,c’estmoiquil’aicréé.Jesuistrèsflattéquecelateplaiseaussi,maisjedoisdirequejem’inquiète.

Jesoufflepourdégagermescheveuxdemonvisageetcroise lesbraspourbienmontrermonexaspération.Àmadécharge,jen’aipasvraimentletempsdejouerlasubtilité.

—Ever,écoute…

Il tend la main vers moi mais je me recroqueville avec un frisson. Encore un dessymptômes involontaires de mon obsession ténébreuse. C’est l’une des raisons pourlesquellesjedoismesortirdelà…etdoncpartird’ici.

Mais lorsque leu feu passe au vert, Damen redémarre avant de me lancer un regardimmensémenttriste.

—Qu’est-cequit’arrive,Ever?Celafaitdesjoursquetun’esplustoi-même.Etpuis,toutàl’heure,chezMiles…Çamerépugnedeledire,maislorsqueJudeestarrivé…disonsqu’ilyaeuunchangementd’énergiedansl’air.Etpuis,quandRomanestentrédanslapièce…

Ildéglutitàgrand-peineetserrelesmâchoiresuninstantavantdepouvoircontinuer:

—Ever,qu’est-cequit’estarrivé?

Jebaisselatête,etlesyeuxmepiquent.Jetenteunenouvellefoisdetoutluiavouer,maislamagieenadécidéautrement.Alors,fautedemieux,jecherchelabagarre.Jesaisdéjàque

Page 63: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

labêtes’enréjouira,etjesuisprêteàtoutpourqu’ilacceptedemesuivre.

C’estodieux,maisjen’aipaslechoix.Everlamégères’écrie:

—C’estparfaitementridicule!Non,maisfranchement,jen’encroispasmesoreilles!Tunel’aspeut-êtrepasremarqué,maismonétéderêveàparessersurlaplageàtoncôtén’estpas prêt de se réaliser, alors excuse-moi de vouloir grappiller quelques moments detranquillitéàl’Étéperpétuel!

Je secoue la tête avec véhémence et croise les bras encore plus fort… mais c’est pourcacher le fait qu’ils tremblent à la folie. J’ai bien conscience d’être injuste et irrationnelle,maiss’ilvoulaitbienmesuivre,si j’arrivaisà l’entraînerà l’Étéperpétuel,alors jepourraistoutexpliquer.

Jesenslepoidsdesonregardsurmonvisage,etjesaisqu’ilaremarquélescernesnoirssous mes yeux, mon menton victime d’une poussée d’acné, et mes vêtements quipendouillentpiteusementsurmacarcasseamaigrie.Ilsedemandesûrementàquoicelaestdû, etpourquoi je semblemise en échecà toutpointde vue.Son inquiétude est si sincèrequ’ellemeserrelecœur.

Etquandsesyeuxseplissentencoredavantage,jecomprendsqu’ilessaiedemeparlerpartélépathie,maiscen’estpluspossible.Pasici,dumoins.

Alorsjemedétourneverslavitre,pourluimasquercettehorriblevérité: jenel’entendsplus.J’aiperdul’accèsàsespensées,àsonénergie.Jeneressensmêmepluslepicotementchaleureuxquimeparcouraitàsoncontact.

Toutcelaadisparu,éradiquéparlemonstre.

Mais ce n’est vrai que dans cette dimension-ci. À l’Été perpétuel, je serais fraîche etdispose,commeavant.EtDamenetmoiserionsdenouveauenharmonie.

Jeplaideunedernièrefois,demapauvrevoixéraillée:

—Viensavecmoi, je t’ensupplie.Jepeux tout t’expliquer,maisseulement là-bas.S’il teplaît,Damen.

Ilmeregardeetsoupire,déchiréentrel’enviedemefaireplaisiretcequ’ilcroitêtresondevoir.

—Non.

Sanséquivoque.Inutiledenégocier.

Cen’estpasseulementunrefusdel’Etéperpétuel:ce«non»s’adresseàmoietmeprivedelaseulechosequipuissemesauver.

C’estlevisagecrispéderegretqu’ilreprend.

—Ever, je suisvraiment, sincèrementdésolé,mais c’estnon.Jen’iraipas.Jepensequenousavonstoutintérêtàrentrerchezmoipourdiscuterdetoutcelaposément.

Assiseàcôtédeluidanslavoiture,avecmesyeuxcernés,mesboutonsetcetteespècedecourantélectriquequimemetsur lesnerfs, j’ai toutes lespeinesdumondeàmecontenir,tandis qu’il énumère tout ce qui le préoccupe à mon égard ; combien j’ai changé,physiquementmaispasseulement,etpourlepire,évidemment.

Maissesparolesmepassentau-dessusdelatête,commeunbourdonnementlointain.Jesuisdéterminéeàalleràl’Etéperpétuel,avecousanslui.Laquestionneseposemêmepas.

Page 64: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

—Est-cequetuboistonélixirrégulièrement?Tuasbesoindedavantagedebouteilles?Ever,jet’ensupplie,disquelquechose.Qu’est-cequ’ilya?

Pourtouteréponse,jefermelesyeuxpourretenirmeslarmes,incapabled’expliquerquejesuisembarquéedansuntrainfouquejenecontrôleplus,quejenepeuxarrêter.

Il plisse les paupières dans un dernier effort pour m’atteindre par télépathie, puisabandonne.Jenereçoisrien.Jesuisfinie,brisée,horsservice.

—Tunem’entendsmêmeplus,n’est-cepas?

Ils’arrêtedevantunpassagepiétonettendlamainversmoi.Maiss’ilyaunechosequejen’ai pas perdue, c’estma vitesse. Je saute de la voiture en un éclair, puis enroule les brasautourdemoietserresifortqu’ilss’engourdissent.Mesdoigtstressaillentetmoncœurbataurythmedecettehorriblepulsation.Sijenedéguerpispastoutdesuite,jevaismelanceràlarecherchedeRomanmalgrémoi.Jen’aipaslechoix.

Ma voix chevrote,mais je n’ai pas de temps à perdre. Ilme faut à tout prix régler cettehistoire,d’unefaçonoud’uneautre.

—Écoute-moi,s’ilteplaît.Jevaist’expliquertoutcequetuveuxunefoisqu’onysera,jetelepromets.Maisilfautquecesoitlà-bas.Ici,jenepeuxpas.Alors…tuviens,ouiounon?

Jecontractelamâchoirepourempêchermesdentsdeclaquer,maisellesgrincentmalgrétout,etmeslèvrestremblenttroppourqu’ilneleremarquepas.

Damenm’adresseun regard triste, et un seulmot franchit ses lèvres auprixd’un effortsurhumain.

—Non.

Jel’aiàpeineentendu,maisilseressaisitetreprend,plusfort:

—Non.J’aimeraismieuxrestericietchercherunmoyendet’aider.

Jerelèvelatêteetsoutienssonregardaussilongtempsquepossible…cequi,jel’avoue,nedurepaslongtempsdutout.Jevoudraispouvoirretournerdansleconfortdesavoiture,meblottirdanssesbras,sentirsachaleurjoyeuseetréconfortante,etconfesserenfinlasommedemespéchés jusqu’à l’absolution.Mais ce sentimentn’émanequed’une infimepartiedemoi, et cette mince étincelle de raison est vite piétinée par le nouveau moi, sombre etimpétueux,quinedemandequ’àcroquerlefruitleplusdéfenduetempoisonnépossible.

Jen’aiqueletempsdevoirleregardinterloquédeDamenavantdefermerlesyeuxpourmatérialiserleportaildelumière.J’yentreaussitôtendisant:

—Bon,puisquec’estcommeça,j’yvaistouteseule.

Page 65: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Quatorze

J’atterris sur les fesses, pile devant la réplique de l’ancienne demeure des rois deFrance.Maisjenepeuxpasmerésoudreàyentrer.SansDamen,celan’apasdesens.C’estnotrerefugeàtouslesdeux,unendroitsacréoùreposentquelques-unsdemessouvenirslespluschers.Ilesthorsdequestionquejem’yaventuresanslui.

Jemerelèveetm’époussettelederrière,toutenjetantuncoupd’œilalentourpourrepéreroùjemetrouve.Ilmeseraitfaciled’imaginerunedestinationetd’yarriverparmagie,maisj’ai envie de marcher, de flâner où bon me semble sans jamais presser le pas. Je veuxsavourerma liberté pendant que la bête dort, sans doute roulée en boule quelque part aufonddemoi,n’attendantquesonheure.Maispourl’instant,j’aibienméritéunpeudepaix.

Jelèvelesmainsetlesagitedanslabrumelégèreetscintillantequibaignechaquechoseicietsembleémanerdepartoutetnullepartàlafois.L’airdélicieusementfraisquicourtsurmapeaum’apaise,etjesaisdéjàquejevaisfinirpartrouverquelquerecoinmerveilleux,unendroitquejeseraienchantéededécouvrir.C’estlàtoutlecharmedel’Étéperpétuel:touslescheminsmènentàlabeauté.

Jem’arrêteprèsduruisseauarc-en-cielquiserpentedanslaprairieparfumée,etfaissurgirunpetitmiroirdepochepourregarderdequoij’ail’air.Jesuisaussitôtsoulagéed’yvoirquemesyeuxsontredevenusd’unbleuprofond,quemescheveuxontretrouvéleurlustre,etquema peau n’a plus lemoindre défaut.Mêmemes cernes ont disparu. Je voudrais tant queDamenmevoieainsi, régénérée.Celamepeinedepenserquesonderniersouvenirdemoisoitceluidelacréaturemonstrueusequejesuisdevenueparmaproprefaute.

Jemepromènelonguementaumilieudesarbresfrissonnantsetdesfleurscharnues.LeurparfumentêtantmesuitjusquesurlaroutepavéequimèneàlapetitevilleoùsetrouventlesGrandsSanctuairesdelaConnaissance.

Jelaissederrièremoilesjoliesboutiques,lecinémaetlesalondecoiffure,traverselaruedevantlagaleried’art,etpassedevantunstandquivenddesfleurs,desbougiesetdespetitsjouets en bois. Jeme fraye un chemin parmi la foule bigarrée demorts et de vivants quivaquent à leurs occupations, puis tourne enfin dans la ruelle qui débouche sur le calmeboulevardet l’escalier somptueuxdes temples. Jemonte lesmarchesquatreàquatre, sansquitterdesyeuxlesgrandesportessévères.Ilmeresteunedernièreétapeàfranchir.

Debout devant le magnifique édifice, je contemple les colonnes majestueuses et lessculptures raffinées du fronton sous le toit en pente douce. J’ai devant les yeux uneconstruction toute d’amour et de bonté, d’intelligence généreuse. J’anticipe déjà la visionsans cesse changeante desmonuments les plus beaux et les plus sacrés dumonde : le TajMahalprenant laformeduParthénon, lui-mêmecédant laplaceautempleduLotusetà lagrandepyramidedeGizeh…Maisriennebouge.Jenedistinguequel’imposantefaçadequireste demarbre devantmoi. Lesmétamorphoses n’apparaissent qu’à ceux qui sont dignesd’entrer–etjenelesuisplus.

Mevoilàbannie.

Condamnée.

Jemetrouvesurleseuilduseulendroitsusceptibledem’aideràréparerlesdégâtsquej’aicausés,maisl’accèsm’enestrefusé.

Page 66: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Je vais jusqu’à ruser en sollicitant les souvenirs que je garde des monuments enmouvement,maisrienn’yfait.LesGrandsSanctuairesdelaConnaissanceneselaisseraientjamaisbernerparuneimpurecommemoi.

Jeredescendsquelquesmarchesetm’assois,latêtedanslesmains,atterréedevoircequejesuisdevenue,àquoijemesuisabaissée.Jemedemandesic’estcelaqu’onappelletoucherlefond.Jen’imaginepasdepiresortqued’êtrerejetéedel’Etéperpétuel.

—Ohpardon!

Jem’écarte vivement et replie les jambes. Je suis toute seule sur cesmarches,mais ceserait trop dur pourMme Poussez-vous-de-mon-chemin deme contourner ! Jemesure unbon mètre soixante-quinze, d’accord, mais je ne prends pas tant de place que ça, quandmême!Jegardelevisagedanslesmainspourmecacherdecettepimbêchequi,elle,aaccèsauxtemples.Quandsoudain:

—Hé,mais…Ever,c’esttoi?

Jemefigesurplace.Jeconnaiscettevoix.Jenelaconnaisquetropbien.

Je relève la tête lentement. Je ne suis pas pressée de croiser le regard d’Ava. Pourtant,quandjevoissesépaischeveuxauburnetsesgrandsyeuxnoisette,quelquechoseserappelleàmonbonsouvenir.Maisc’esttropténu,troplointainpourquejesaisissedequoiils’agit.Etpuis, après tout, jem’enmoque. Ava est bien la dernière personne que j’aie envie de voiraujourd’hui – ou n’importe quel autre jour, d’ailleurs. Mais pourquoi faut-il que ce soitaujourd’hui,précisément?Est-cequejen’aipasétésuffisammentpuniecommeça?

—Alors,Ava,onessaied’entrerendouce?

Ma voix empeste le sarcasme, et je la dévisage méchamment. Puis la vérité me frappeaussitôt : c’est exactement ce que j’essayais de faire, il n’y a pas cinqminutes. C’est plusqu’horrifiant,mevoilàdanslesbas-fondsdelahonteaucôtéd’Ava.

Elles’agenouilleàcôtédemoietinclinelatêtepourmieuxmevoir.

—Ever?Tuvasbien?

Jecroiraisvoirdelatendressedanssonregard,commesielleétaitsincère.

Maisjeconnaislespécimen.Iln’yaqu’unechosequicompteauxyeuxd’Ava,etc’estAva.Rien ni personne d’autre nemérite son attention. Elle l’a prouvé en laissant Damen pourmortjusteaprèsm’avoirpromisdeluivenirenaide.

Jelaregardeunpeuplusattentivement,étonnéedenepaslatrouversidifférentedujouroùelles’estenfuieavec l’élixir.Celadit,elleétaitdéjàplutôtpasmalavant, iln’yavaitpasgrand-choseàaméliorer.

J’imitesavoixdoucereuse:

—Est-cequejevaisbien?Ouais,ilfautcroire.Maisjesuissûrequejenepeuxpasalleraussibienquetoi,pasvrai?Quilepourrait?

Je cherche des yeux unOuroboros tatoué sur sa peau, ou un autre indice de son statutd’immortellerebelle.Nonseulement jene trouveriende tel,mais jemerendscomptequetoutsonattirailhabitueldebijouxmatérialisés,tousplusclinquantslesunsquelesautres,adisparuauprofitd’uneuniquecitrinebrutemontéesurunesimplechaîned’argent.J’essaiedemerappelercequej’ailusurcettepierre…Ahoui,elleapportejoieetabondance,jecrois,maissurtout,elleprotègelesseptchakras.Pasétonnantqu’Avaressentelebesoind’enporter

Page 67: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

une.

Je lui signifie tout le bien que je pense d’elle par un regard haineux et pousse un grossoupirexaspéré.

—Benoui,maintenantquetuas lemondeàtespieds,personnenepeutalleraussibienquetoi.Jemetrompe?Alorsvas-y,Ava,dis-moil’effetqueçafait,d’êtreimmortelle?Est-cequeçavalaitlapeinedetrahirtesamis,aumoins?

Ellemedévisage,lesyeuxtristesetchargésd’appréhension.

—Tun’yespasdutout,Ever!Tuastoutcomprisdetravers.

Jemeremetsdebout.Mesjambesflageolent,maisjeneveuxrienlaisserparaîtredevantAva.Jeluitourneledos,lassedesesmensonges,

—Ever,attends !Jen’aipaspris l’élixir, je…Je faisvolte-facecommeune furie.–Non,maispourqui tumeprends?Je lesais trèsbien,quetuaspris l’élixir !Ouvre lesyeux, jesuis là,devanttoi.Ettusaiscequeçaveutdire?Quejesuisrevenue!Riennes’estpassécommeprévu,Ava.Enfin,pascommejel’avaisprévu.Toi,enrevanche,ondiraitquetut’enest bien tirée, tu as laisséDamen tout seul alors qu’il était trop faiblepour sedéfendre. Ilétait mourant, et tu l’as abandonné là où Roman pouvait facilement l’atteindre. Et puis,commesicelanesuffisaitpas,tuesrevenuedonneruncoupdepouceàtoncheramiRoman,l’autre soir, avec Haven. Tu lui as concocté une bonne petite infusion de belladone pourl’empoisonner!

Jenesaismêmepaspourquoijemefatigueaveccettesaletraîtresse.Ellem’adéjàfaittropdemal,etneméritemêmepasquejeluiaccordemonattention.

Je descends l’escalier d’une démarche de plomb. C’est comme simes jambes refusaientd’obéirauxsignauxdemoncerveau.

Maismaluttepourmettreunpieddevantl’autreestsoudaininterrompue:

—J’aimeraisquetumedonnesunechancedetoutt’expliquer,Ever.

Jehausselesépaulesetlance,sansmeretourner:

— Oui, ben, on ne peut pas toujours obtenir tout ce qu’on veut, même quand on estimmortel.Faudrat’yfaire!

Comme je ne l’entends plus, je jette un rapide coup d’œil par-dessus mon épaule, lesmusclestendusaucasoùelles’aviseraitdem’attaquer.Quellen’estpasmasurprisequandjelavoisinclinéeversmoi,paumesjointes,tandisqueseslèvresmurmurent:

—Namaste.

Puiselleseredresseet,sousmonregardeffaré,ahuri,éberluéetdégoûté,lesimposantesportesdemarbres’ouvrentpourlalaisserentrer.

Page 68: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Quinze

—Salut!

Jerelèvelatête,surprisedetrouverJudedevantmoi.J’étaisplongéedansmontravail,etnel’aipasentenduarriver.Sonauraestd’unbeaubleuserein.

—Commentest-cequetufais?

—Commentjefaisquoi?demande-t-ilens’adossantaucomptoir.

—Tutedébrouillestoujourspourt’approchersansquejelesente.J’examinesontee-shirt,curieusededécouvrirlemotifdujour.

—Tiens,c’estquoi,cedessin?

Il ferme les yeux, lève les bras et tente de former un cercle avec le pouce et l’index dechaque main. Mais, engoncé dans son plâtre et ses bandages, il abandonne et chantonnedoucement une note grave, « Ommmm », qui semble prendre sa source dans son plexussolaire.

Puisilrouvreunœiletm’explique:

—C’estlesondel’existence,lesondel’Univers.Jefaisunemoued’incompréhension.

—L’Universestcomposéd’énergiepureenvibration,commetulesais.

—Oui,jel’aientendudire…

—Bon, ehbien«Om»est considéré comme le sonque fait cette énergie cosmique.Tul’ignorais?Jecroyaispourtantquetuméditaisrégulièrement?

Je hausse les épaules pour éviter d’admettre qu’en effet, avant, jeméditais. Je purifiaismonauraenvisualisantdesracinesjaillissantdelaplantedemespiedsverslecentredelaTerre,etpleind’autresfutilitésdepseudo-hippies.Maisj’aiarrêté.J’aimieuxàfairequedem’asseoir en lotus pourme regarder respirer, quand toutmonunivers s’écroule autour demoi.

—Tudevrais t’yremettre, tusais.C’estuneaideprécieusepouréquilibrer leschakrasetguérir,sansoublierque…

—Ahbon,çateguérit,toi?

Jedésignesesdeuxbrasamochés.Jen’aitoujourspasdécidésil’idéequej’aieuel’autrejour était bonne ou mauvaise. J’ai beau peser le pour et le contre, je n’arrive pas à merésoudreàpasseràl’action.

—J’ai rendez-vouschez lemédecin toutà l’heure, ce seraà luideme ledire.D’ailleurs,ajoute-t-il sansme quitter des yeux, je me demandais si tu aurais la bonté d’âme dem’ydéposer. Je pourrais prendre le bus,mais ça voudrait dire écourter un peuma leçon, et jepréféreraiséviter.

—Taleçon?

—Oui,tusais,moncoursdedéveloppementpsychiquepourdébutants,avecunelargepartd’épanouissement personnel et demagie wiccane. Tu n’as pas déjà oublié, quandmême ?demande-t-ilenriant.

Jemelèvepourluicédermontabouret(j’auraispuypenserplustôt),etsorsdederrièrelecomptoir.

Page 69: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

—Ahoui,aufait,commentçasepasse?

—Pasmaldutout.TacopineHonoral’airplutôtdouée,jedoisdire.

Jem’arrêtenet,soudainauxaguets.

—Honor?

—Ben…oui.Jecroyaisquevousétiezcopines.

Je secoue la tête en repensant ànotredernier jour au lycée, et à ceque j’ai entrevudesprojets deHonor : le renversement de la reine des greluches, sa soi-disantmeilleure amieStacia.

Judes’approche,etjemeplaquecontrelemurpourlelaisserpasser.

—Onestdanslamêmeclasse,pascopines.Nuancenonnégligeable.

Ils’arrêteaupireendroitpossible:justeentrelemuretlecomptoir,etpratiquementcollécontremoi.Leregardqu’ilmejettemecalmeinstantanément.C’estlapremièrefoisquemesnerfs sedénouentdepuisdes jours.Depuismadernièreescapadeà l’Étéperpétuel, en fait.Dèsmonretour, jenepensaisdéjàplusqu’àAvaetsesmanigances…àsonentréedans lestemples,aussi.IlnefautquequelquessecondesàJudepourmedépasserets’installersurletabouret,maisl’impactapaisantdesaprésencerésonneenmoi.

— De deux choses l’une : soit Honor est vraiment déterminée et consacre toute sonattentionàsesleçons,soitelleaundonpourlamagie.Vuqu’elleal’airassezpeucurieuse,maistrèsscolaire,j’auraistendanceàpencherpourl’optionnuméroun.

J’essaiede récapituler ceque je saisdeHonor,mais àpart sa relation avecCraig et sonamitiédefaçadeavecStacia,jeneconnaisriend’elle.

J’hésiteàdireàJudeque,d’aprèscequej’aisurprisdanssatêtecejour-là,lesintentionsdeHonorsemblenttoutsauf…honorables.D’unautrecôté,Stacianem’apasvraimentfaitdecadeaudepuismonarrivée àLaguna (jemedemande si ça lui arrived’en faire, d’ailleurs),alorspourquoimemêlerde leursaffaires?Je laissecettequestiondecôtéetreviensàdesconsidérationspluspratiques.

—Aquelleheurecommencetoncours?

—Dansuneheure,pourquoi?

—Jevaistravaillerdanslebureau.Viensmechercherquandtuaurasfini.

Jemedirigeverslapetitesalleaufonddelaboutiqueetfermelaportederrièremoi.Puis,jesorsLeLivredesOmbresdesacachetteetleplacedevantmoisurlevieuxbureauenbois.Aprèsquelquesprofondesrespirations,jemepenchedessuseteffleureleslettresdoréessurlavieillecouverturedecuir.

Est-ilvraimentsageetaviséderecouriràcevolumeancien?Madernièretentatives’estsoldéeparunecatastrophe,etmaintenantque jesaisquece livreestpasséentre lesmainsperversesdeRoman, jedoutedepouvoirm’y fier.Réfléchis,Ever : siRomanabel etbienmanœuvrépourquejefinisseparlirecespages,alorsm’yplongerrisqueraitderenforcersonemprise sur moi. Comme si j’avais besoin de cela ! Mais inversement, si Roman a uneinfluenceréellesurlecontenumagiqueduLivredesOmbres,alorsils’ytrouvepeut-êtreunindicecachéquipourraitmemettresurlavoie,oudumoinsm’aideràcomprendrequelestsonbutultime.

Ilfautpeut-êtrejusteposerlaquestionadéquate,commeàl’Akasha.

Page 70: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Et,à ladifférencede l’Akasha,nulbesoind’êtrepurpourentrer, il suffitdeconnaître lecodeduLivredesOmbresetdeposersaquestionenrimes.

Alors, jem’approche du vieux grimoire et chuchote les quelques vers quem’ont apprisRomyetRayne:

Révèle-nous,livreunique,

Toncontenumagique.

Accorde-nousdevoir

Tessortsettespouvoirs.

Puis je me creuse la cervelle en quête d’une habile question rimée dont la réponsem’aiderait à déjouer les plans deRoman.Maismon cerveau tourne à vide et LeLivre desOmbresmenargue,immobile,refusantdemerévélercequesespagesrecèlent.

Je m’enfonce dans ma chaise avec un soupir, et la fais pivoter de gauche à droite enparcourantlapièced’unregarddistrait.Imagesettotemss’alignentsurlesmurs,lesétagèrescroulent sous les livres…une véritablemine de ressources, d’ingrédients et de recettes. Etpourtant, rien ne m’inspire, aucun recours ne s’offre à moi. Seule la vérité me saute auxyeux : le tempsm’est compté. La fin de l’été approche, et il devient urgent de trouver unesolution.JenepeuxpaséviterDamenéternellement.

Damen.

J’appuiemespaumes surmespaupièrespourdécourager les larmes et faire refluer leurpiqûresaléedansmagorge.

Ladernièrefoisquej’aivuDamen,c’étaitlaveilledudépartdeMiles,quandj’aisautédela voiture après la fête pour m’évader à l’Été perpétuel. Depuis, je ne réponds pas autéléphone quand il m’appelle, je ne lui ouvre pas la porte, je fais à peine attention auxbouquetsdetulipesrougesquisemultiplientdansmachambre.Jene lesméritepas,ne leméritepas,lui.Pastantquejen’auraipastrouvéunmoyendeluidemanderdel’aide,oudedemanderàJudedelefairepourmoi.Maischaquefoisquej’essaie,labêterugitetrefusedelaisserlesmotsfranchirmeslèvres.Nonseulementjen’aiplusbeaucoupdetemps,maisjesuisàcourtd’options.Les recherchesdeJuden’ont riendonnéet tousmesefforts se sontrévéléscontre-productifs.Deplus,àenjugerparmoncomportementd’hiersoir,lasituationnefaitqu’empirer.

Jeme suis réveillée dans le noir le plus total. L’épaisse brume du large ne laissait pasfiltrerlemoindrerayondelune,maiscelanem’apasempêchéedesortirdemonlitetdelamaison,piedsnus,enchemisedenuit,avecuneseuledestinationentête.J’aisuivimafoliejusquechezRoman,commeunesomnambuleoul’unedesfiancéestransiesdeDracula.

J’aitraversélesruesdésertessansbruitetsanseffort,etmesuisaccroupiesoussafenêtrepouressayerdevoirentresesrideaux.Aussitôt,j’aisentisaprésenceàelle.Elleétaitlà,toutprès,àjouirdecequidevraitmereveniràmoi.

J’aicruperdrelatête,assailliedevertigesetd’unefaimirrationnelle,unbesoindéchirant.Lemonstrehurlaitenmoi,mecriaitd’allerde l’avant,dedémolir laporteetd’anéantirmarivale.Etj’allaisobéir,passeràl’attaque,quandsoudainelleaflairémaprésence.Elles’est

Page 71: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

précipitéeverslafenêtre,leregardduretmenaçant.Cefutcommeunegiflesalutairequimerappelaquij’étais–quielleétait–etcequejerisquaisdeperdresilabêteimmondevenaitàgagner.

Sansprendreletempsd’yréfléchir,jemesuisenfuieencourantd’unetraitejusqu’àmonlit. Et là, tremblante, noyée de sueur, j’ai combattu de toutes mes forces cette attirancedévastatrice,cette flammedes ténèbresquimedévore lecœuretmeconsumeunpeupluschaquejour.

Cefeusauvageetinsatiablebrûleratoutsursonpassage,monderniergraindelucidité,lefilténuquimelieàl’avenirquejeveuxvivre,ettoutcequipourraitsedresserentreRomanetmoi.

Etalorsquelesommeilfinissaitparmegagner,j’euslapirerévélationdetoutes:àl’heuredemachute,jeseraitroppervertiepourmêmem’enrendrecompte.

Jude entre dans la pièce et s’assied lourdement, bruyamment, pour être sûr que je leremarque.

Jelèvelatêtedemesbrascroiséssurlebureau.Celafaitplusd’unedemi-heurequejesuisprostréedans cette position,mains et genoux agités d’un tremblement incontrôlable, àmedébattrecontrecedésirravageurquisupplantemavolonté.

—Alors,cetteleçon?Çaprogresse?

—Jepourraisteposerlamêmequestion:tuastrouvéquelquechose?

Jehausselesépaulesavecungrognementpeudistingué.Jen’aipasdemeilleureréponseàluioffrir.Jemecoincelesmainsentrelesjambespourqu’ilnelesvoiepastrembler.

—Tun’aspastrouvélacléducode?

Je lui jetteuncoupd’œilhésitant,puis fermelesyeuxetsecouelamentablement latête.J’ai abandonné tout espoir concernant Le Livre des Ombres. Ce fichu bouquin n’a faitqu’envenimerleschoses.

—Jen’airiendécouvertdemoncôténonplus,reprendJude.Maissituasbesoindemonaide,jeveuxbienretentermachanceaveclelivre.

Ma réponse tient en trois lettres : oui. J’ai besoinde toute l’aideque jepourrai trouver,maislemonstreenragéétouffemêmecesimplemot.Seullesilencepeutapaiserlasensationd’étranglementquimebrûlelagorge.

Judeinsiste:

—Ilfautqueçarime,c’estbiença?

Jesecouelatête,toujourssansvoix,maisilneselaissepasdécouragerparmonsilence.

—Jesuisassezdouépourlesincantations,jedoisdire,etpourlerap,aussi.Tuveuxquejetemontre?

Jefermelesyeux.Jen’aipasletempsdeplaisanter.

—Non?Bon.Sagedécision,ajoute-t-ilavecunsourire.Ilnesemblepasserendrecomptedemadétresse.Ilfaitsemblantdes’essuyerlefrontcommes’ilétaitsoulagé,etlavuedesamainplâtréemerappelleleservicequ’ilm’ademandé.

Jemelève,pensantqu’ilvamesuivre,maisilresteassisetmeregardeavecuneintensité

Page 72: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

quimedéstabilise.

—Quoi?Qu’est-cequ’ilya?C’estRiley,elleestlà?Ilrejettesesdreadlockspar-dessussonépaule,etsesgrandsyeuxvertsprennentuneexpressionpeinée.

—Non,ça fait longtempsque jene l’aipasvue.J’avoueque j’aidéjàessayéde l’appeler,unefoisoudeux,maissansrésultat.Jesupposequ’ellen’apasenviedesemontrer.

Jenesuispassûred’adhéreràsonanalyse.Rileym’aenvoyéassezdemessagescryptiquesdernièrementpourmeconvaincrequ’aucontraire,ellecherchaitàmejoindre.

—Tunecroispasque…

Je m’interromps, de peur d’avoir l’air ridicule, et puis je décide de poser ma questionmalgrétout.CeneserapaslapremièrefoisqueJudemevoitfaireoudirequelquechosedestupide.

— Peut-être qu’elle essaie de se manifester mais qu’elle ne peut pas, que ça lui estinterdit?Ilyapeut-êtrequelqu’unouquelquechosequil’enempêche?

—Pasimpossible.

Maisilyaunetelledésinvolturedanssavoixquejenesaispass’ilmecroitous’ilditcelapourmefaireplaisiretmeprotégerdelavéritécrueetfroide:mapetitesœurfantômem’aabandonnée,oualorselleesttropoccupéeàs’éclaterdansl’au-delàpourdaignermerendrevisite.

Judeseredresseetmedemanded’untonpleindecuriosité,etmêmepeut-êtred’espoir:

—Est-cequ’ellet’estapparueenrêve,dernièrement?

—Non.

Je n’hésite même pas avant de mentir : je refuse d’évoquer le cauchemar dans lequelDamenétaitemprisonnéderrièreuneparoideverre,etoùRileymecriaitdel’écouter,denepasmedétourner.

Judeinclinelatêtesurlecôté:

—Tuveuxqu’onessaiedel’appeler?

Je fais « non » de la tête et soupire. Évidemment que j’aimerais l’appeler, j’aimeraisbeaucoup, même. Qui pourrait bien refuser la visite d’une adorable chipie de petite sœurmorte ?Mais quand je pense à l’état de décrépitude avancée où jeme trouve, la réponses’impose.Mêmesiellepouvaitm’aider,cedont jedoute fort, jenesupporteraispasqu’ellemevoieainsi.Jeneveuxpasqu’elleapprennecequej’aifait,cequejesuisdevenue.

Jemeraclelagorge.

—Euh…Jenemesenspasvraimentd’attaquepourça.

Judes’adosseàsachaiseetposeunpiedsursongenou,sansquesonregardquittelemienuneseuleseconde.

— Alors pourquoi es-tu d’attaque, exactement ? Tu ne fais que travailler, ces dernierstemps,ajoute-t-ilens’avançantpourposersescoudessur lebureau.Est-cequetuterendscompte que c’est l’été, dehors ? L’été à Laguna Beach, Ever ! La moitié de la populationrêveraitd’êtreàtaplace,ettuneleremarquesmêmepas.Tupeuxmecroire,sijen’étaispasestropié,jepasseraismontempsàsurferetàprofiterdusoleil.Surtoutque,corrige-moisijemetrompe,mais…c’esttonpremierétéici,non?

Page 73: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

J’inspire profondément. En effet, l’été dernier, j’étais à l’hôpital, grièvement blessée,orpheline, et encombrée de dons bizarres que je ne comprenais pas. Et dire que je croyaisvivreunenfer,sij’avaissu!J’aidumalàcroirequecelafaitdéjàunanquemavieachangé.

— Je peux m’occuper du magasin, Ever. Je peux même me traîner tout seul chez lemédecin,ettantpissij’arriveenretard.Maiss’ilteplaît,arrêtedetetortureretrepose-toiunpeu.Cen’estpas trèssaindepasser tout ton tempsentrecesmurs, surtoutquand levastemondenedemandequ’àêtreexploré.

Debout devant lui, osseuse, boutonneuse, tremblante et hors d’haleine, je représenteeffectivementl’antithèsedelabonnesanté.Jeparcourslapiècedesyeuxpourrepérerl’issuelaplusproche.

Judesepencheversmoi.

—Ever,çava?

Jesecouelatête,privéedeparole.Romanestdanslesparages,jelesensquis’approche.Ilestsortidesaboutiqueetsepromènedanslespetitesruesducentre-ville.Ilvientversmoi,etjesaispertinemmentquecen’estqu’unequestiondetemps–uneminute,peut-êtredeux–avantquemavolonténesuccombe,faceaumonstreenfurie.

Jem’agrippe au bureau et mes doigts maigres blanchissent aux jointures tandis que jeluttepourgardermonéquilibre.Ilfautquejem’échappe,etsanstarder.

JerejoinsJudeenclind’œiletsaisissonbrasplâtré.

—Situveuxquejet’emmène,ilfautpartirtoutdesuite!

Judeselèvetantbienquemal,uneexpressionalarméesurlevisage.

—Euh…Sansvouloirtevexer,Ever,jenesuispassûrdevouloirmonterenvoitureavectoi.Tun’aspasl’airdanstonassiette,c’estlemoinsqu’onpuissedire.

Il fronce lessourcilsetplongesonregardvertdans lemienpouressayerdem’atteindre,maisc’esttroptard.Jesuisentraindemenoyer,deperdrelabataille.

—Sérieusement,Ever,jecroisquetudevraissortirunpeu,prendrel’air,respirerungrandcoup.Tuverras,tutesentirastoutdesuitemieux.

Jesaisbienquec’estsagentillessequiparle,etqu’enthéorieilaraison.Maisenpratique,ilfautàtoutprixquej’évitedesortir,cardehors,Romanapprocheinexorablement.Etpuis,cen’estpaschez lemédecinque jepensaisemmenerJude.Jenesuis toujourspassûredefaire le bon choix,mais il n’y a plusde temps àperdre.Nousdevonspartir, tous les deux.Riennepeutêtrepirequederesterici.

PlusRomans’approche,etplusmoncœurs’emballe.Alors,j’agrippeleplâtredeJude,enespérantêtreencorecapabledemanifesterleportailpourpouvoiratteindreleseulendroitaumondeoùjesoisencoremoi-même.

Jelisl’incrédulitédanslesyeuxdeJude,maisjen’aipasletempsdeluiexpliquer.Sijenemedépêchepas,jeseraiperdue–toutseraperdu.

JepasseraiducôtédeRoman,etdelamagienoire.

Jechevrote:

— Tu vas encore croire que je suis folle, mais il faut que tu fermes les yeux et que tuimaginesunportaildelumièredoréejustedevanttoi.Concentre-toidetoutestesforces,nemedemandepaspourquoi.Fais-moiconfiance.

Page 74: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as
Page 75: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Seize

Nousbasculonsàtraversleportail,etatterrissonscôteàcôtesurl’herbeélastiquedelaprairieavantdenousremettresurnospieds.JemetourneaussitôtversJudeetdésignesesbras:

—Regarde!

Il baisse les yeux, puis les relève et me dévisage d’un air éberlué. Son plâtre et sespansementsontdisparu,etilneportemêmepasdecicatrice.

Jesouris,libéréedupoidsdelabête,mêmesicen’estquetemporaire.

— Tu as sûrement dû entendre parler de l’Été perpétuel au cours de tes étudesmétaphysiques,non?

Il regardeautourde lui labrumescintillante, lesarbresauxbranchesalourdiesde fruitssucculents, les fleursbigarréesquiondulentdoucement,et leruisseauarc-en-cielquicourtnonloindenous.

—Nousysommes?C’estl’Étéperpétuel?Çaexistevraiment?

Je hoche la tête. Devant son visage radieux, toute appréhension que j’aurais pu avoir àl’amenericifondcommeneigeausoleil.C’étaituneerreurd’yentraînerAva,maisJudeestdifférent,bienplusavancéqu’Avanepourrajamaisespérerl’être.

—Tu tedemandespourquoi je t’ai emmené ici ?Dis-jeavecunéclatde rire, avantqu’iln’aiteuletempsdeformulerlaquestion.

Jechoisisdeluirépondrepartélépathie:

—Pourt’aideràguérir,biensûr!

Jeneluidévoilecependantpasquec’étaitaussipoursauvermapeau,etmaraison.Jerisdevoirlasurprisesursonvisageetajoute:

—Toutn’estqu’énergie,ycomprisnospensées.Onpeut lessentir, lesentendre,etmêmecréer à partir d’elles.Mais si tu préfères retourner à l’hôpital, je peux visualiser le portailpournousrenvoyersurterre…

Jude me regarde, ouvre la bouche, puis se ravise. Il ferme les yeux pour mieux seconcentrer sur les pensées qu’il veut m’envoyer, mais se rend vite compte qu’il n’a pasd’effortàfaire.Ilrouvrelesyeuxetlesplongedanslesmiens.

—Ettuasattendutoutcetempspourm’amenerici?Jen’arrivepasàcroirequetum’aieslaisségalérer,alorsquetupouvaismeguériraussifacilement!

J’éclatederiresanslecontredire.Lemeilleurmoyendemefairepardonner,c’estencoredeluimontrertouteslesmerveillesdulieu.

—Fermelesyeux.

Il s’exécute sans hésiter. Sa confiance en moi est désormais totale, et j’en rougislégèrement.

—Maintenant,penseàquelquechosequetuveux.Celapeutêtren’importequoi,maisilfautquetuleveuillesvraiment.Sinon,turisqueraisdeleregretter.Prêt?

Jemeretrouveaussitôtassisesurunemagnifiqueplagedesablerose,faceàl’océanourlédevaguesgrandiosessurlesquellesJudesurfeavecaisance.

Page 76: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Quandilressortdel’eau,planchesouslebras,ils’écrie:

—Tuasvucesrouleaux?Incroyable!Tumejuresquejenesuispasentrainderêver?

Jesouris ; sonémerveillementmerappelle lemien, lapremière foisque jesuisvenueàl’Étéperpétuel.Mêmeaprèsplusieurspassages,lajoiedemanifestertoutcequ’onveutsanscontraintenesetaritpas.

Jesuisduregardlesgouttelettesquitombentdesesdreadlocksetcoulentsursontorse.Unedélicieuselangueurmegagnetandisqu’ils’approche,etjemehâtedebaisserlesyeux.

—Non,c’estmillefoismieuxqu’unrêve.

Surtoutquedernièrementtousmesrêvesvirentaucauchemar.

Judeplantesaplanchedanslesableàcôtédemoietmedemande:

—Etmaintenant,onfaitquoi?

—Cequetuveux.Onestlàpourtoi,faiscequitetente,jetesuis.

J’essaied’avoirl’airgénéreuseetdésintéresséealorsque,tantqu’ilresteicietexplorelespossibilitésdulieu,j’aiuneexcellenteexcusepournepasretournersurleplanterrestre,oùlesennuism’attendentdepiedferme.

Jude ferme lesyeux,prendunegrande inspiration,et l’océancède laplaceà l’anneaudevitessed’Indianapolis,OÙJudeeffectueplusieurstoursdepisteàuntraind’enfer,tandisquejel’encouragedepuislesgradins.DèsquejeCommenceàmelasserdeleregardertournerenrond,ilnoustransporteàlaterrassed’uncharmantcafésurleportdeSydney,avecvuesurlepontetl’opéra.

Noustrinquons,etjefaisremarquer:

—Alors,commeça,turêvesd’êtrepilotedecourse?

—Ohnon,maispuisquejepouvaistenterl’expérience,pourquoim’enpriver?

Jeboisunegorgéedesodaetgrimace.J’aiperdul’habitudedesboissonstropsucrées, jepréfère la douce amertume de l’élixir. Soudain les eaux scintillantes du port de Sydneydisparaissentetcèdent laplaceàunpaysagedemoulinsàvent,decanauxetdechampsdetulipes.Jenesaisquetropbienoùnoussommes.

—Amsterdam?Maispourquoi?

Ma voix tremble légèrement au souvenir de notre passé commun en ces lieux, quand ilétaitBastiaandeKooletmoi,samuse.Jemedemandecequi l’apousséàmanifestercetteville en particulier. Peut-être que l’Eté perpétuel lui a rendu lamémoire de cette époque,mêmesicen’estpaslecaspourmoi.

Maisilhausselesépaules,surprisdemaréaction.

—Jen’ysuis jamaisallé,mais ilparaîtquec’estchouette…Si tuveux, jepeux imaginerautrechose.

Et avant que j’aie eu le temps de lui dire d’en profiter autant qu’il veut, jeme retrouveassisesurunegondoleàVenise,vêtued’unerobeextravagantedanslestonsroseetcrème,unedébauchedebijouxàmoncou.Alanguiesuruncoussindeveloursrouge,jecontemplelesmagnifiquesdemeuresquinousentourent.Detempsentemps,jejetteunregardàJudequiportelatenuetraditionnelledesgondoliers:pantalonnoir,chemiserayéeetchapeaudepaille.Ilnousguided’unemainexpertesurleseauxcalmesducanal.

Page 77: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Jemeforceàrire,pourlaisserderrièremoimontroubledenoustrouveràAmsterdam.

—Hé,maisc’estquetuesdoué!

Jefermelesyeuxetimagineunebriselégère,quienvoieaussitôtsonchapeaudansl’eau.

Ilenrecréeunautreenunclind’œil.

— Ça me vient tout naturellement. Peut-être que c’était mon métier, dans une vieantérieure…Peut-êtresuis-jecenséréparerleserreursdecettevie-là,ajoute-t-ilpensivementen s’appuyant sur sa rame. Tu sais, je crois vraiment que nous venons au monde pourcorrigernosfautespasséesetprogresserversunétatdegrâce.Alors,peut-êtrequ’ilyadessièclesdecela,j’étaisunsimplegondolier,tellementabsorbéparlabeautédelajeunefemmequejeconduisaisquej’enailittéralementchaviréetmesuisnoyé.

—Quoi?Quis’estnoyé?

Maquestionestbienpluspressanteetangoisséequejenelevoulais.

MaisJudepousseunsoupirthéâtral:

—Moi.

Puisiléclatederire,avantdereprendre:

— Quant à la suite de l’histoire, la jeune femme a étémiraculeusement sauvée par unjeune noble fortuné, brun et distingué qui, bien sûr, possédait un plus gros bateau que lepauvre gondolier. Classique, quoi. Il l’a donc repêchée, réchauffée, frictionnée…À tous lescoups,illuiafaitdubouche-à-bouchepourlarameneràelle,puisill’acouvertedecadeauxtousplussomptueuxlesunsquelesautres,jusqu’àcequ’ellearrêtedejouerlestimoréesetacceptedel’épouser.Tuvoisdéjàcommentçasetermine…

Maisjefais«non»delatête,incapabledeparler.Jesaispertinemmentqu’ilnefaitques’amuserà inventeruncontede féesdepacotille,mais jeseraisaveugledenepasvoirquecettehistoireadesimplicationsbienplusprofondesquecequ’ilyamisconsciemment.

—C’estbiensimple,ilsvécurentheureuxdansleluxeetlavolupté,etmoururentdansleursommeilàunâgeavancé,avantdeseréincarnerpourleplaisirdeseretrouverdansunevieultérieure.

— Et le gondolier – toi –, comment se termine son histoire ? Il doit bien y avoir unerécompensepourceluiquipermetàdeuxâmessœursdeserencontrer,non?

Mais je ne suis pas sûre de vouloir entendre la réponse. Jude baisse les yeux etrecommenceàramerlentement.

—Cepauvregondolierestdestinéàrejouerlamêmescèneàl’infini,condamnéàsoupireraprès une belle qui n’a d’yeux que pour un autre. Le décor change,mais le script reste lemême.Voilàl’histoiredemavie–demesvies,siçasetrouve.

Ils’esclaffe,maisc’estunrireameretsolitaire,oùlatristevériténelaissepasdeplaceàl’humour.Sapetitehistoireestsiprochedelanôtre,lavraie,quej’enrestesansvoix.

Peut-être devrais-je lui révéler notre passé commun, mais cela l’aiderait-il vraiment ?Damenavaitsansdouteraisonquandilm’expliquaitquenuln’estcenséserappelersesviesantérieures. La vie serait trop facile si on connaissait déjà les obstacles à franchir pourrétablir l’équilibredenotrekarma.Etquecelameplaiseounon, il sembleraitque je fassepartiedesobstaclesqueJudedoitsurmonter.

Jemeracle lagorge. Ilest tempsdepasserauxchosessérieuses : la troisièmeraisonde

Page 78: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

notrevenueàl’Étéperpétuel.Jeviensseulementd’ysonger,etcroiselesdoigtspourquecenesoitpasuneautredemesbourdesmonumentales.

Etsionallaitautrepart?Jevoudraistemontrerquelquechose.

JudedésigneVenisedesaramedégoulinante.

—Unendroitmieuxqueça?

J’acquiesceet fermelesyeuxpournousrenvoyerdans levastechampdefleurs,oùJuderetrouvesonjeanusé,sontee-shirt«Om»etsestongs.Quantàmoi,jetroquemarobedeprincessecontremonshortenjean,mondébardeuretmessandales,avantd’entraînerJudele long du ruisseau, jusqu’à la petite ville où se trouvent les Grands Sanctuaires de laConnaissance.Maisjem’arrêtedanslaruellequidébouchesurl’avenue.

—Jude,j’aiquelquechoseàt’avouer.

Illèveunsourcilcurieux,etjerassemblemoncourage.C’estmaintenantoujamais,iln’yaqu’iciquej’arriveraià ledire.Alorsjeredresselesépaules,relèvelementon…etmejetteàl’eau.;

—Jenet’aipasamenéicidansleseulbutdeteguérir.

J’aiaussibesoinquetumerendesunservice.

—Euh…d’accord,dit-ild’untonpatient.

Je fais tournermon bracelet en argent autour demon poignet, incapable de le regarderdanslesyeux.

—Alorsvoilà…Tusais,lesortdontjet’aiparlé…ehbien,çanefaitqu’empirer.Tantquejesuis ici, tout va bien,mais dès que je retourne sur le plan terrestre, jeme transforme enépave.C’estcommesij’étaiscontaminéeparcetteobsessionmaladivepourRoman,etaucasoùtunel’auraispasremarqué,l’étatdemonâmecommenceàdéteindresurmonapparencephysique.Jen’aiplusquelapeausurlesos,jen’arriveplusàdormir…ilfautbienserendreàl’évidence:surleplanterrestre,j’aiunetêteàfairepeur.Etlepire,c’estquechaquefoisquej’essaiededemanderdel’aideàDamen,oumêmequandjeveuxtedemanderdeluiparleràmaplace,lesortm’enempêche.Cettemagienoire,cetteespècedemonstreenmoi,meserrelagorgeetm’interditdeparler.C’estcommesilesortnetoléraitpaslamoindreoppositionentreRomanetmoi.Ici,enrevanche,jepeuxparlerlibrement.Alorsjemesuisditquesituétaislà,tupourrais…

Judeinclinelatête.

— Il y a quelque chose que je ne comprends pas : pourquoi est-ce que tu n’amènes pasDamen?

—Parcequ’il refuse. Il sedouteque jevaismal,mais il croitquec’estparceque je suisaccro à l’Été perpétuel, ou quelque chose dans ce genre. Bref, il ne viendra que si je luiexpliquepourquoi,etcommejen’arrivepasàledire,jesuiscoincée.Pourcouronnerletout,jenel’aipasrevudepuisqu’onaeucettediscussion.

Mavoixsefêle,etjedéglutispourcachermahonte.

— Bon… Et quel estmon rôle, dans tout ça ? Tu veux que j’aille exposer la situation àDamen?

—Non.Enfin,pastoutdesuite.D’abord,jevaist’emmenerdevantunmonumentunpeuspécial,etsitupeuxyentrer,alorsj’auraibesoinquetusollicitesdel’aideenmonnom,que

Page 79: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

tutrouvesunesolutionàmonproblème.Aussifouquecelapuisseparaître,tun’aurasqu’àdésirersincèrementobteniruneréponse,ettul’auras.J’aimeraispouvoirlefairemoi-même,seulement…jenesuispluslabienvenue.

Jemeremetsenmarcheetilmesuit,l’airinterrogateur.

—Etc’estoù,exactement?

Noustournonsdansl’avenueetjedésignelesomptueuxbâtiment.Judesuitmondoigtduregardetécarquillelesyeuxd’admiration.

—C’estdoncvrai!

Il s’élancedans l’escalierdemarbreetme laisseaubasdesmarches,bouchebée, tandisquelesportesmassivess’ouvrentdevantlui.

Cesmêmesportesquim’ignorentavecdédain.

Jem’assoislourdementsurlesmarches,bannie.Jemedemandecombiendetempsjevaisdevoirl’attendre.J’ignorecequ’ilcomptefaireàl’intérieur,maisjesaisd’expériencequelestemplesontdequoicaptiverlenouveauvenupendantdesheures.

Je me relève et m’époussette l’arrière du short. Bannie ou pas, je refuse de rester àpoireautercommelaloquehumainequejesuisdevenue.C’est l’occasiond’explorerunpeuleslieux.Lesdernièresfoisquejesuisvenue,c’étaitavecunbutbienprécisentête,etjen’aijamaisvraimentprisletempsdeflâner.

Jepeuxchoisir lemoyendetransportquejeveux–métro,Vespa,éléphantsacré–maisj’optepourlasobriété,etrecréela jumentquej’avaismontéelorsdemapremièrevisiteaucôtédeDamen.

Jem’installe sur la selle, puis passe lamain dans sa crinière fournie et le long de sonencolure soyeuse. Je lui chuchote gentiment à l’oreille, et serre les talons pour la faireavancer. Nous partons d’un pas tranquille, sans destination précise en tête. D’après lesjumelles,l’Étéperpétuelestentièrementconstituédedésirsetlogiquement,pourvoir,faire,toucheroudécouvrirquelquechose,ilSuffitdelevouloir.

J’arrêtemamontureetfermelesyeuxendésirantlesréponsesàmesquestions.

Maisl’Étéperpétuelesttropmalinpourselaisserbernerainsi,etriennesepasse,sinonquemajuments’impatiente,etmelefaitsavoiràgrandscoupsdetêteetdesabots.J’inspireprofondémentetessaieuneautretactique.Jepasseenrevuetoutcequejeconnaisdel’Étéperpétuel, les rues, le cinéma, lesgaleriesd’art… ildoitbienyavoirun lieuque jen’aipasencorevisité.

Quelestl’endroitquej’aivraimentbesoindedécouvrir?

À peine ai-je formulé ma question quema jument s’élance au grand galop, les oreillesplaquéessurlecrâne,crinièreauvent.Jeserrelesdoigtssurlesrênesetm’efforcedenepasmelaisserdésarçonner.Jemecouchesurl’encolureetregardelepaysagequidéfile,brouilléparlavitesseetleventquimefaitpleurer.Nousarrivonstrèsviteenterraininconnu,quandsoudainmajumentpilebrutalement,etjefaisunvolplanéavantd’atterrirdanslaboue.

Mamonture hennit et se cabre, avant de retomber lourdement sur ses antérieurs et dereculerprudemment.Jemerelèvetantbienquemal,enévitantdefairedesgestesbrusquesquipourraientlafairefuir.

Jen’aipasl’habitudedeschevaux,maisjeconnaisbienleschiens.Aussi,jemontrelesol

Page 80: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

dudoigtetm’adresseàl’animald’unevoixgraveetferme.

—Nebougepas.

Lajumentmeregarde,lesoreillesenarrière,visiblementpeuenthousiaste.

Jeravalemapeuretpoursuit:

—Resteici,mabelle.

Lapauvrebêtenemeseraitpasd’ungrandsecours si jevenaisàme trouverendanger,maisj’aimeautantnepasresterseuledanscetendroitsinistre.

Je regardemon short tout crotté, et ferme les yeux pourme changer ou dumoinsmenettoyer,maisrienn’yfait.

Ilfautcroirequ’ilestimpossibledemanifesterquoiquecesoitdanslesparages.

J’essaie de me ressaisir, bien que je partage le dégoût de ma monture pour ce milieuhostile.Sij’aiatterriici,c’estpourunebonneraison.Ilyaiciquelquechosedontj’aibesoindeconnaîtrel’existence,etjemerésousàresterunpeu.J’examineplusendétaillepaysagequi m’entoure, et remarque qu’au lieu de la lumière dorée qui baigne le reste de l’Étéperpétuel, le ciel au-dessus dema tête est d’un gris sale etmorose. La brumequi scintillepartoutailleursesticiremplacéeparuncrachinfroidetdruquinoielesoletlerendboueux.Et, à en juger par les quelques arbres et plantes rachitiques, ce n’est pas une pluienourricière,aucontraire.

Jefaisquelquespas,dansl’espoirdedécouvrirlaraisondemavenuedanscecoindésolé,mais soudain mon pied s’enfonce et je me retrouve dans la boue jusqu’au genou. Je medégagetantbienquemaletreviensversmajument.J’essaiedelaconvaincredemarcheràmescôtés,comptantsursoninstinctpourposerlepiedlàoùlesolestferme,maisellerefusedemesuivre.Ellen’aqu’uneseuleidéeentête,fairedemi-tour.Jefinisparcéder,remonteenSelle,etluilaisselabridesurlecou.

Tandisquenousnouséloignons,jejetteunregardpar-dessusmonépauleetmerappellecequem’ontditlesjumellesunjour:

L’Etéperpétuelcontientlapossibilitédetoutechose.

Jecroisbienenavoiraperçulecôtéhostile.

Page 81: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Dix-sept

—Maisqu’est-cequit’estarrivé?

Jenevoispasdequoiilveutparler,puisjesuissonregardetdécouvremesjambesetmesjoliessandalesdecuirrecouvertesd’unecroûteboueuse.

Je me concentre et recrée la même tenue, mais sans la boue. Je suis soulagée d’êtrerevenuedanslapartiemagiquedel’Étéperpétuel,etd’avoirlaisséderrièremoicenoman’slandplusque sinistre.Rienqued’y repenser, j’aides frissons, et je fais apparaîtreungiletmauvequej’enfileaussitôt.

—J’enavaisassezd’attendresansbouger,surtoutquejenesavaispascombiendetempstuallaisresteràl’intérieur,alorsjesuisallée…faireunpetittour.

Jesouriscommesi jeparlaisd’unepetitepromenadedesanté,alorsqu’entre laboue, lapluie, lesarbres fantomatiqueset ladéterminationdema jumentàdéguerpir,c’étaitplutôttout le contraire. Mais Jude a déjà suffisamment de choses à assimiler pour aujourd’hui,inutiled’enrajouteravecmeshistoiresdeterritoiresobscursetinquiétants.Etpuis,j’aihâted’apprendrecequ’iladécouvertàl’intérieurdestemples.

—Maisleplusimportant,c’estcequit’estarrivéàtoi.Raconte!

Jeleregardeendétail,desesdreadlockschâtainclairàlasemelledesestongs.Iln’apaschangé en apparence, mais je sens une très nette différence dans son énergie et soncomportement.Ilparaîtplusléger,animéetsûrdelui,etpourtantjeletrouveplutôtnerveuxpourquelqu’unquivientdepénétrerdansl’undeslieuxlesplussacrésdel’Univers.

Ilm’adresseàpeineunbrefcoupd’œil.

—Euh…C’était…intéressant.

Et il croit s’en tirer aussi facilement ? C’est grâce à moi s’il est entré, je mérite bienquelquesdétails!

— Mais encore… ? En quoi était-ce si intéressant ? Qu’est-ce que tu as vu, entendu,appris ? Qu’est-ce que tu as fait une fois à l’intérieur ? Tu as obtenu la réponse à maquestion?

Jesensquejesuissurlepointdecraquer:s’ilnesedécidepasàparlerdanslaminute,jevaism’inviterdanssatêtepourenavoirlecœurnet.

Maisils’éloignedequelquespasavantdemerefaireface.

— Je ne suis pas sûr de vouloir te le raconter. Pas tout de suite, en tout cas. Ça faitbeaucoupd’informationsàdigérer,tusais.J’aibesoind’unpeudetemps,cen’estpassimple.

Jeplisselespaupièrespourallervoirparmoi-même.Noussommesàl’Étéperpétuel:rienou presque n’est secret, et Jude ne sait pas comment protéger ses pensées ici.Mais jemeheurteàunmurdepierre,etcomprendsSoudainoùilaété:l’Akasha.

LesparolesdeRomymereviennent:

«Nousne sommespas autorisés à lire toutes lespensées.Ceque tu voisdans l’Akashan’appartientqu’àtoi.»

Je fronce les sourcils, prête à insister s’il le faut, quand soudain je ressens une chaleurfamilière,undouxpicotementquinepeutsignifierqu’uneseulechose.Jefaisvolte-faceet

Page 82: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

voisDamenentraindedescendrelesmarchesdemarbre.Nosyeuxsecroisentetilsefige.

Jesuis sur lepointde l’appeler, sachantquec’estmaseuleetuniquechancede tout luiexpliquer, mais je vois la scène à travers ses yeux : Jude et moi en promenade à l’Etéperpétuel, alors que jusque-là je n’avais partagé cet endroit qu’avec lui. Avant que j’aie putrouverlesmotspourleretenir,iladisparu.Letempsd’unbattementdecils,etc’estcommes’iln’avaitjamaisétélà.

Saufquejeressensl’échodesonénergiesurmapeau.

Et l’expressionde Jude, bouchebée et les yeux écarquillés,me confirmeque je n’ai pasrêvé.Ilfaitminedes’approcherdemoipourmeréconforter,maisjem’éloigneaussitôt.Jenesupportepasd’imaginercequeDamenadûpenser…

JetourneledosàJudeetluilanced’unevoixcassante:

—Retournesurterre,s’ilteplaît.Fermelesyeux,visualiseleportail,etpars.Jet’enprie.

—Ever…

Iltentedemerattraper,maisjesuisdéjàloin.

Page 83: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Dix-huit

Jemarcheencoreetencore, sansme soucierde savoir où je vais. Jen’ai qu’un seulbut:disparaîtredelavuedeJude,etlaissermesproblèmesderrièremoi.Maisplusj’avance,etplusjerepenseàl’adagequiornaitlatassedemaprofd’anglaisdequatrième:«Vouloir,c’estpouvoir.»

Sij’essaied’échapperàmesproblèmes,jenepourraijamaislesrésoudre,etpersonneneleferaàmaplace.Ilesttempsderedresserlesépaulesetd’affronterlaréalité.

Deplus,mêmesi l’Étéperpétuelm’offreunhavredepaixetdebien-être,cen’estqu’unrefugetemporaire.Plusjem’éterniseici,plusilyadechancesquelasituationaitempiréàmonretoursurleplanterrestre.

Pourtant je m’attarde encore un peu, indécise ; et si j’allais voir un vieux film dans lecinéma de la petite ville ? Et pourquoi ne pas matérialiser Paris et y faire une longuepromenadelelongdelaSeine?OualorsvisiterlesruinesduMachuPicchu,ouduColisée?Maissoudain,jedébouchesurunvillagedepetitesmaisonsenbois.

Elles n’ont rien de remarquable, avec leurs fenêtres minuscules et leur toit pointu, etpourtant l’uned’entreellesm’attire.Ellebrilled’unéclatétrangequimeguideà travers lepetithameauet,unefoisdevantlaporte,jemedemandepourquoijesuisarrivéelà,etsijedoisentrerounon.

—Çafaitdessemainesqu’onnelesapasvuesdanslesparages,aubasmot.

Je sursaute et fais volte-face.Unvieil homme se tient auborddu cheminde terre, vêtud’une chemise blanche amidonnée, d’une veste et d’un pantalon noirs. Ses fins cheveuxgrisonnants sont rabattus sur son crâne presque chauve, et il s’appuie sur unemagnifiquecannesculptéequisembleplustémoignerdesongoûtpourlesbelleschosesqued’uneréellenécessité.

Je fronce lessourcilsd’unair interrogateur, fautede trouverquoidire.Jenesaispasdutoutcequim’aamenéeici,nidequiilpeutbienparler.

—Les deux gamines, là. Les petites jumelles brunes. Jamais réussi à les distinguer, cesdeux-là, mais ma femme y arrivait, elle. La petite mignonne, c’était celle qui aimait lechocolat–etpasqu’unpeu!ajouta-t-ilavecunpetitriremalicieux.L’autreavaituncaractèredecochon,etelleaimaitlepop-corn,maisattention,hein,duvrai,préparéàlamarmite,pasdupop-cornmatérialisé!

Levieillards’interromptethochelatêted’unairentendu.Ilmeregardeattentivement,etn’apas l’air surprisde trouverune jeune fillevêtued’unshorten jeandanscevillaged’unautresiècle.

—Mafemmelesgâtaittrop,cesgosses.Elleavaitpitiéd’elles,etjecroismêmequ’ellesefaisaitdumauvaissangpourelles.Etpuisunbeaujour,aprèstoutescesannéespasséesici,pluspersonne!Ellessontpartiessansmêmenousdireoùellesallaient.

II secoue la tête d’un air triste, et me regarde comme s’il attendait que je lui livre desréponses.

Maisjerestemuette,etconsidèretouràtourlevieuxmonsieuretlapetitemaison.Moncœur bat plus fort de la certitude qui m’assaille : c’est ici que Romy et Rayne habitaient,qu’ellesontpassélestroiscentsdernièresannées.

Page 84: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

J’éprouvepourtantlebesoind’entendrequelqu’und’autreledire.

—Monsieur,vousavezditquec’étaientdesjumelles,c’estbiença?

J’enailetournis:cettemodestecabaneenboisestlarépliqueexactedecellequej’aivuequandj’aitrouvélesjumellesblottieschezAva,etquej’aisaisilepoignetdeRomypourvoirl’histoiredeleurviedéfileràtoutevitesse:leurmaison,leurtanteetleprocèsdessorcièresdeSalemdontelleatoutfaitpourlesprotéger.Voilààquoicettevisionm’amenée…

Levieillardacquiesce,et l’espaced’un instant jemedemandes’il est réeloumanifesté :avecsesjouesempourprées,songrosnezetsonregardsidoux,ilreprésentelaquintessenceduvieilAnglaisjovialquirentrechezluiaprèsunaprès-midiaupub.Maisiln’apasl’airdevouloir s’effacer ou disparaître, au contraire. Il reste planté devant moi avec son gentilsourire,etqu’ilsoitvivantoumort,unechoseestsûre,ilestbienréel.

—RomyetRayne,c’estbienlenomdespetitesquevouscherchez,non?

Jefaissignequeoui,mêmesij’aiundoute.Est-cequejelescherchaisvraiment?Est-celaraisondemavenue?Levieilhommem’examined’unairsceptique,etunpetitricanementnerveuxm’échappe.Jemeraclelagorgeettentederetrouverunpeud’aplomb.

—Oui,euh…jesuisvraimentdésoléed’apprendrequ’ellesnesontpaslà,j’auraisaimélesvoir.

Ilhoche la têted’unairentendu,commes’ilpartageaitmadéception,et s’appuieàdeuxmainssursacanne.

—Mafemmeetmoi,ons’étaitattachésàcesgamines,surtoutqu’onétait tousarrivésàpeuprèsenmêmetemps.Cequinouschagrineleplus,c’estdenepassavoirsiellesontfinipardéciderdetraverserlepont,ousiellessontretournéessurterre.Qu’est-cequevousenpensez,vous?

Jefaisunepetitemoueindéciseethausselesépaules.Jenetienspasàcequ’ilsachequejeconnaislaréponse,etàmongrandsoulagement,iln’insistepas.

— Bref, ma femme est persuadée qu’elles ont traversé. Elle prétend que les petites enavaientassezd’attendreceluioucellequ’ellesattendaient,maisjenesuispasd’accord.Çanem’aurait pas étonné que Rayne s’en aille,mais elle n’aurait jamais réussi à convaincre sajumelle:cetteRomyestunevraietêtedemule!

Jefroncelessourcils,j’aidûmalcomprendre.

— Euh… vous voulez dire que Rayne est une tête de mule, non ? Et Romy est la plussociabledesdeux,c’estbiença?

J’attendssonapprobation,maisjen’aidroitqu’àunautreregardbizarre.

—Non,jesaiscequejedis,mademoiselle.Bienbellejournéeàvous.

Jeleregardepartir,raidecommelajustice,faisanttournersacanne,etjemedemandesima question l’a offensé. Pourquoi aurait-il choisi de couper court à notre conversation,autrement?

Iln’yapourtantpasdequoisevexer,iln’estplustoutjeuneetlesjumellesseressemblentvraiment beaucoup. Du moins, c’était le cas lorsqu’elles vivaient encore ici et portaientl’uniformed’écoleprivéequeRileyleuravait imposé,et j’imaginequ’elless’habillaientdéjàpareil avant cela.Cependant, il y avait tant d’assurancedans la voixdu vieillardque jemedemandesijen’aipastoutcomprisdetraversdepuisledébut.Oualors,iln’yaqu’avecmoi

Page 85: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

queRayneestunepeste.

Avantqu’ils’éloignetrop,jelerappelle:

—Monsieur ! Excusez-moi, euh…Est-ce que je peux entrer dans leurmaison, s’il vousplaît?Jenetoucheraiàrien,c’estpromis.

Ilsetourneàmoitiéetexécuteunjolimoulinetdesacanne.

—Nevousgênezpas,voyons!Rienn’estirremplaçableici,voussavez.

Puisilreprendsaroute,etjepousselaporte.J’entreetposelepiedsuruntapisrougeuniquiamortitlegrincementduparquetenboissousmespas.Jem’immobiliseàl’intérieur,letemps que ma vue s’habitue à la pénombre. Je me trouve dans une grande pièce carréemeubléed’unetableentouréedequelquesaustèreschaisesdebois,ainsiqued’unfauteuilàbasculefaceàunâtreremplidecendresencorefumantes.J’aidevantmoiunexempledecequ’étaitlavieen1692,enfin…l’hypocrisie,lesmensongeséhontésetlacruautéenmoins.

Je faisquelquespaset lève lesyeuxvers les lourdespoutresqui soutiennent leplafond,toutenpromenantunemainlelongdumurrêche,puisdelatablequicroulesousleslivresreliésdecuiraccompagnésdebougiesetlampesàhuile.Etpendanttoutcetemps,jen’arrivepasàmedéfairedusentimentlancinantquejesuisentraind’espionner,depénétrerdansunlieuprivéoùjen’aiaucundroitdemettrelespieds.

Pourtant, j’ai la certitude que je n’ai pas atterri ici par hasard. Je connais suffisammentl’Étéperpétuelpournepasavoirlemoindredoutelà-dessus.Quelquepartentrecesmurssetrouvequelquechoseque jesuiscenséedécouvrir.J’entredansunepetitechambre,que jereconnais immédiatement commeétant cellede la tantedes fillettes, cette femmeaimantequilesaélevées,puislesaaidéesàvenirseréfugierici,lorsqueleprocèsdeSalemaéclaté,scellantpar lamêmeoccasionsonpropredestin.Le litestétroitetpeuaccueillant, flanquéd’unetableenboissurlaquellesetrouventungroslivreetquelquesfleursetherbesséchées.Mis à part cela, ainsi qu’unmodeste tapis semblable à celui de la pièce principale et unehautearmoireentrouverteoùjedistingueunerobedecotonbrun,lachambreestvide.

Jemedemandes’ilestdéjàarrivéquelesjumellesfassentapparaîtreleurtante,commejel’aifaitavecDamenquandjepensaisnejamaislerevoir,etcombiendetempsellessesontaccrochéesàl’idéederetourneràleurvieterrestreavantdeserésigneràcettepâlecopie.

Jerefermelaportederrièremoietgrimpel’échellequimèneàlasoupente.Jedoisbaisserlatêtepournepasmecognerautoitpentu,etserrelesdentslorsquelesplanchescraquentsousmonpoids.Jemedirigeverslecentredelapièce, làoùleplafondestassezhautpourque je me redresse, et jette un coup d’œil autour de moi. Deux petits lits jumeaux sontséparés par une table de chevet encombrée de livres et d’une lampe à huile, et le resterappellelachambredeleurtante,àl’exceptiondespostersquisententlaculturepopduvingtetunièmesiècleàpleinnez.Lesmurssont recouvertsd’uncollagedesartistespréférésdeRileyet,connaissantmapetitesœur,jedevinequelesjumellesn’ontpasdûavoirleloisirderefusercettenouvelledéco.

Je reconnais, dans le désordre, les bouilles joufflues d’enfants stars de Disney devenusmultimillionnaires, lesvisagesdevedettesde séries, ainsiqu’àpeuprès tousceuxet cellesqui ont eu l’immense honneur de figurer en couverture du magazine Teen Beat. Puis jeremarqueune feuille de cahier épinglée audosde la porte, et pars d’un franc éclat de rirequand je lis l’intitulé des cours queRiley a imaginés pourRomy etRayne dans leur écoleprivéedel’Étéperpétuel.Personned’autrequemapetitesœurfantômen’auraitpuélaborer

Page 86: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

unemploidutempspareil.

8h30-9h30–Lamodepourlesnuls:lesincontournables,etlesimpardonnables;

9h30-10h30–Introductionàlacoiffure:gestesdebaseetproduitsmiracles;

Récréation–10mindepause:poursepomponnerausondespotins;

10 h 30-11 h 30 – Tout ce qu’il faut savoir sur les stars : les canons, les boulets, et lesmenteursquinesontpasdutoutcequ’oncroit;

11h30-12h30–Survivreaucollège:coursdeperfectionnementpourdevenirpopulaireetlerestersansylaissersapersonnalité;

Déjeuner–30mindepause:poursepomponnerausondespotins,etmangersivousenavezbesoin;

13 h-14 h–Maquillage et bécotage : tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur leglosssansjamaisoserledemander;

14h-15h–Introductionaubaiser :cequidéchire,cequidégoûte,etcequirisquede lefairefuir…

Bref, un récapitulatif des obsessions de Riley. Tristement, je sais qu’elle n’a jamais eul’occasiondetestersesthéoriesencequiconcernelederniercoursdel’après-midi.

Je suis sur lepointde tourner les talons,quand je remarqueun très joli cadrede formearrondiesurledessusdel’armoire.Jemehissesurlapointedespiedspourl’attraper,toutenmedemandant cequ’ilpeutbien faire là : à l’époquedesprocèsdeSalem, laphotographien’existaitpasencore.J’examinelecliché,etj’enailesoufflecoupé.C’estunephotodenous.

Riley,moietCaramel,notrelabradorsable.

Cetteimageréveilleenmoiunsouvenirsiclair,sipalpable,qu’ilmefaitl’effetd’uncoupdepoingdans leventre.Mesgenouxsedérobentsousmoiet jem’écroule,sansremarquerqueleboism’égratigneetqueleslarmescoulentlelongdemesjouesetsurleverreducadre,dissimulantlaphotoendessous.Maiscen’estplusellequejeregarde,jerevoisl’événementdansmatête.JereviscetinstantoùRileyetmoifaisionslesfollesdevantl’objectifdemonpère,tandisqueCaramelnouscouraitautourenaboyantjoyeusement.

C’étaitàpeinequelquesminutesavantnotreaccident.

Ceciestladernièrephotodenous.

Et j’en avais oublié l’existence puisquemes parents etRiley sontmorts avant que nousn’ayonspulirelacartemémoiredel’appareil.

Jeregardeautourdemoi,àmoitiéaveugléeparleslarmes,etgémisd’unepetitevoix:

—Riley?Riley,tumevois?Tueslà?

Est-cequec’estellequim’aguidéejusqu’ici,quiaOrchestrétoutça?

Jem’essuielesyeuxaveclebasdemondébardeur,puisj’effaceleslarmessurleverreducadre.Jen’aipasbesoind’entendresaréponse.Jesaispertinemmentquec’estelle,mêmesijenepeuxplus lacontacter.Ellearecréécettephotopourmedonnerunsouvenirdenousdeux,etdequij’étaisilyaunanàpeine.

Page 87: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

JerésisteàlatentationderamenerlecadreavecmoiàLagunaBeach,etlereposelàoùjel’aitrouvé.Ilappartientàl’Etéperpétuel,etsedématérialiseraitpendantletrajetduretour,de toute façon. Et puis, pour une raison que je nem’explique pas, je suis heureuse de lesavoirici.

Je redescends l’échelle, retraverse la pièce principale, et me dirige vers la porte, quandsoudain je remarque un portrait que je n’avais pas vu en entrant. C’est une peinture sansprétention,exécutéesurunegrandeplanchedebois,mais lesujetretientmonattention.Ils’agit d’une jeune femme, jolie sans être une grande beauté, dumoins d’après tas critèresactuels.Ellealapeaupâleetleslèvresminces,etsescheveuxbrunssonttirésenunchignonsévère.Pourtant,malgrél’austéritédesaposeetdesonexpression,«esyeuxresplendissentd’une lumière chaleureuse, comme ni l’image de sobriété puritaine qu’elle affichait n’étaitqu’unefaçade,etquebrûlaitenelleunfeuquepeudegenssoupçonnaient.

Je plongemes yeux dans les siens, et la vérité s’impose àmoi. J’ai beau essayer demeconvaincre que c’est imposable, ce souvenir presque subliminal quime titillait depuis dessemainesvientdesemanifesteronnepeutplusclairement.Jenepeuxpasfairesemblantdenepascomprendre.

Moncrid’effroirésonnedanslapièce,tandisquejem’enfuisversleplanterrestre,presséed’échapperàceregardquimedévisageavecsévérité,etàcepasséquivientdemerattraper.

Page 88: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Dix-neuf

Sansplus y réfléchir, je retourne sur le plan terrestre etme rends directement chezDamen.

Maisaumomentoùjem’arrêtedevantleportaildesarésidence,jemeravise.

Les jumelles doivent être à la maison, comme toujours, et il serait vraiment malvenuqu’ellesentendentcequej’aiàdireàDamen.

Maispuisquelagardienneadéjàouvertlesgrillesetmefaitsigned’entreravecungrandsourire, jeremonte laruejusqu’auparc.Jemegare le longdutrottoiretmedirigevers lesbalançoires, où je m’installe et commence à me propulser avec une telle force que je medemandesij’arriveraisàfaireuntourcomplet.Maisjenem’yrisquepas,etmecontentedesentirleventsurmesjouesquandjem’élève,etladrôledesensationdansmonventrequandjeredescends.JefermelesyeuxetappelleDamenensilence,utilisantmesdernièresforcesdevolontéavantquelemonstreneseréveilleetreprennesonpetitjeupréféré:mesaboterlavie.Jen’aimêmepaseuletempsdecompterjusqu’àdixqu’ilsetrouvedéjàdevantmoi.

Saprésencecauseunchangementdansl’atmosphère,unedoucechaleurquimepicotelapeau. Et quand j’ouvre les yeux et croise son regard, j’ai l’impression de revivre notrepremièrerencontre,surleparkingdulycée.Jesuissubjuguéeparcetinstantmerveilleuxeten oublie tous mes soucis. Le soleil couchant nimbe sa silhouette d’ocres et de rougesflamboyants qui semblent émaner de lui. J’essaie de retenir cemoment le plus longtempspossible,mêmesijesaispertinemmentquedansquelquessecondeslamagievareprendreledessusetmerendreinsensibleàsabeautéetsonamour.

Ils’installesurl’autrebalançoire,etmerattrapebientôtdanslesairs,suivantmonrythmeavecaisance.Côteàcôte,nousnousélevonsàdeshauteursvertigineusesavantderetomberàunevitessefolle,etjenepeuxm’empêcherd’yvoirunparallèleavecnotrehistoiredequatresiècles.

PuisDamentourneversmoiunvisagepleind’espoir,quemalheureusementjem’apprêteàdécevoir.Jenesuispasvenuepourlaraisonqu’ilsouhaiterait.

J’inspire profondément et ravale la boule d’angoisse quime noue la gorge avant demelancer.

—Ecoute,jesaisquelasituationesttoutsaufidéale,c’estpeudeledire.Maisjetiensàterévélerunedécouvertequej’aifaiteaprèstondépart,alorssionpouvaitmettretoutlerestedecôtépendantquelquesminutes…

Ilinclinelatêtesurlecôtéetm’envelopped’unregardsiprofondetintensequelesmotsmeurentsurmeslèvres.

Jebaisselesyeuxsurlespetitscerclesquej’aidessinésdanslapoussièreduboutdemasandale,etmeforceàpoursuivre.

—Celavasansdouteteparaîtredingue,ettunemecroiraspeut-êtrepas,maisjet’assurequejen’inventerien.

Je m’interromps le temps de lui jeter un coup d’œil furtif, et il m’adresse un signed’encouragement.Jenesaispascequimerendsinerveuse,alorsqu’ilestprobablementlemieuxplacépourcomprendrecequej’aiàluidire.Jem’éclaircislavoixetreprends:

Page 89: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

—Bon,tutesouviensquandtum’asditquelesyeuxsontlaseuleconstantedel’âme,lemiroirdupassé,etquec’estgrâceàeuxseulsqu’ilestpossibledereconnaîtrequelqu’unquel’onarencontrédansunevieantérieure?

Damenhochelatêted’ungestelentetmesuré,commes’ildisposaitdetoutsontemps.

Jeprendsmonélan,enespérantqu’ilnemeprennepaspourunefollequandjebafouille:

—Bref,làoùjeveuxenvenir,c’estque…AvaestlatantedeRomyetRayne!

Ces derniers mots m’ont échappé comme une rafale de mitraillette, mais Damen rested’uneimpassibilitéàtouteépreuve.

—Jet’aidéjàracontélavisionquej’avaiseuedeleurvie,etoùj’avaisaperçuleurtante?Ehbienaujourd’hui,danscettevie-ci,c’estAva.Çaparaîtcomplètementdélirant,mais leurtanteestmortelorsduprocèsdessorcièresdeSalemetelles’estréincarnéeenAva.

JenevoispasquoiajouteràcelaettournelatêteversDamen.Sonregards’animeunpeuetunlégersouriresedessinesurseslèvres,tandisqu’ilcontinueàsebalancerdoucement.

—Jesais,dit-ilenfin.

Jefroncelessourcils,incrédule.

Maisilserapprochedemoiaupointquenosgenouxsetouchentpresque.

—Avamel’adit.

Jebondisdemabalançoired’ungesterageur,etleschaîness’entrechoquentbruyammentet s’enroulent sur toute leur longueur avant de retomber avec un fracas infernal. J’ai lesgenouxencotonetluttepourgardermonéquilibre;commentceluiquiprétendêtrel’amourde toutesmes vies a-t-il pume trahir en se liant avec cette fiefféementeuse, au risquedemettrelesjumellesendanger?MaisDamenmeregarded’unairsereinetnonchalant.

—Ever,jet’enprie,cen’estpasdutoutcequetut’imagines.

Jepince les lèvresetdétourne lesyeux.Oùai-jedéjàentenducetteréplique?Maisbiensûr:Ava!C’estpratiquementsonrefrain.Jen’arrivepasàcroirequeDamensoittombédanssonpiège.

—Ellel’aapprislorsd’unedesesvisitesàl’Akasha.Etaujourd’hui,quandj’aicomprisquejenetrouveraispaslemoyendet’aider,j’aireçulaconfirmationdesonidentité.Celafaitdéjàquelque temps qu’elle se prépare à accueillir les filles. Elle attendait juste le bonmomentpourleurannoncerlanouvelle,maisjedoisdireque,mêmesijelacroyais,j’avaisdesdoutesquantàcequiétaitlemieuxpourlespetites.Aussi,aujourd’hui,quandj’aidemandéconseilsurcechapitre,leurhistoirem’aétérévélée.Ellessontchezelleencemomentmême.

—Et c’est tout ?Avaest revenuedans le clandesgentils, elle et les jumelles sontenfinréuniesaprès trois siècles,etonretrouvenotrepetiteviedecouple?C’estaussi facilequeça?

Jetenteunéclatderire,maislerésultatestpathétique.Dameninclinelatête.

—Tucroisvraimentqu’onpeutretrouvernotreviedecouple?

Jepousseungrossoupir,résignéeàtoutluiexpliquer.C’estlemoinsquejepuissefaire.

Jeme rassieds lourdement surma balançoire et triture les épaisses chaînes d’un gestenerveux.

—Cetaprès-midi,àl’Étéperpétuel…J’imaginecequetuaspucroire,maiscen’estpasça

Page 90: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

dutout,bienaucontraire.J’auraisvoulut’expliquer,teracontercequim’arrive,maistut’esvolatilisé,et…

Jememordslalèvreetbaisselesyeux.

—Alorspourquoinepastoutm’expliquermaintenant?Jesuislà,jet’écoute.

Maisilditcelad’untonraideetsolennelquimebriselecœurenmilleéchardesacérées.Ilest là,eneffet,sibeau,si fort,etpétridebonnes intentionsaupointdeseforcerà fairecequ’ilpenseêtrejuste,quoiqu’illuiencoûte.

Jevoudraistantleprendredansmesbrasetleserrercontremoi,trouverunmoyendeluiexposermes fautes pourme faire pardonner.Mais c’est impossible, lesmots sont retenusprisonniersparlemonstrequisévitenmoi.Alors,jehausselesépaulesetbredouille:

—C’étaittoutàfaitinnocent,tusais.Jesuissérieuse,sijel’aifait,c’estpournous…mêmesicen’étaitpasévidentàpremièrevue.

Damenm’observeavecunamourinfini,etlaculpabilitémenouelagorge.

—Alors,dis-moi,as-tutrouvécequetucherchais?

Jesensbienquecen’estpaslefonddesaquestion,maisjeneparvienspasàdevineroùilveutenvenir.

J’essaie de ne pas frémir sous son regard inquisiteur, et essuiemes paumesmoites surmonshortavantdemelancer.

—Tutesouvienscombienjemesentaiscoupabled’avoirattaquéJude?Bon,ehbien, jemesuisditquesijel’emmenaisàl’Étéperpétuel,ilguériraitinstantanément,et…

—Et…?

La voix de Damen résonne de six cents ans de patience, et je me demande soudaincomment il peut ne pas se lasser d’être aussi tolérant et d’endurer tant de souffrances,surtoutquandils’agitdemoietdemesmaladresses.

—Et…

J’essaiedeluidirecequim’arrive,j’ymetstoutemavolonté,maisrienn’yfait.Labêteestsur lequi-vive, lamagienoire courtdansmes veines, et je suis sur lepointde craquer. Jesecouelatête,lesyeuxbaissés.

— Et… c’est tout. Voilà, il n’y a rien à ajouter. Je voulais juste l’aider à guérir, et ilsembleraitqueçaaitmarché.

Damenmecouvedesonregardcalmeetlimpide,commes’ilcomprenaitparfaitement.Etc’estsansdoutevrai:ilestsiperspicacequ’ilvoitcequejeveuxdirealorsquejepeineàleformulermoi-même.Ilcomprendpresquetropbien.

—Commeonétaitàl’Étéperpétuel,j’enaiprofitépourluifairevisiter,etdèsqu’ilavulesGrandsSanctuairesdelaconnaissance,ils’yestprécipité.Quantaureste,tun’aspasbesoinquejeteleraconte…

Je lui jette un coup d’œil coupable, douloureusement consciente de tout ce qu’il auraitbesoinquejeluiraconte.

—Ettul’asrejointàl’intérieur?

Il attendma réponse en plissant légèrement les paupières, comme s’il savait déjà,maisvoulaitmel’entendredire.Ilveutquejeconfesseàquelpointjesuisdégradée,souillée.

Page 91: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Jerepoussemafranged’ungestequej’espèredétachéetlance:

—Ohnon,j’aijuste…

Jem’interromps aussitôt, ne sachant pas si je dois lui parler demon expéditiondans lesinistrenoman’slanddel’Étéperpétuel.Maisjedécidedegardercelapourmoi:aprèstout,c’étaitpeut-êtredavantageunrefletdemonpiteuxétatqu’unvéritableendroit.

—Je…Jemesuisbaladéeenl’attendant.Àunmoment,j’aimêmehésitéàm’enallerparceque je m’ennuyais, mais je voulais m’assurer qu’il retrouve son chemin alors, euh… j’aiattendu.

J’esquisseunsourireminablequinetrompepersonne.

Damen etmoi échangeons un regard lourd de sens : nous savons tous les deux que jemens,etmonmensongeesttellementcousudefilblancquejem’étonnequeDamennesesentepas insulté.Pourtant,pourune raisonque j’ignore, ilme répondparunhaussementd’épaules résigné et presqueméprisant quime déçoit profondément. La petite étincelle demon âme qui reste à peu près saine espérait qu’il cherche – et trouve – un moyen dem’arracher ces confidences qui nous empoisonnent. Mais il garde les yeux rivés sur moi,impassible.Jefinispardétournerlatêteetmevengeenfaisantremarquerméchamment:

— En tout cas, je suis contente de voir que tu ne dédaignes pas complètement l’Étéperpétuel,mêmesiturefusesdem’yaccompagner.

D’ungestebrusque, il saisit la chaînedemabalançoire etm’attire à lui avantde siffler,mâchoiresserrées:

—Ever,jen’ysuispasallépourleplaisir.C’étaitpourtoi,jetesignale.

Jedéglutisetessaiedem’arracheràsonregard,maisjen’yarrivepas.

—J’étaisàlarecherched’unmoyendet’atteindre,det’aider.Tuessidistantequejenetereconnaisplus,etcelafaitdes joursquenousn’avonspaspasséunmomentensemble.J’aibiencomprisquetum’évitesautantquetulepeux:turefusesdemevoir,entoutcassurleplanterrestre.

—C’estfaux!dis-jed’unevoixcriardeettremblantequidémentmesparoles.Tun’aspeut-êtrepas remarqué,mais je travaille beaucoup, en cemoment. Jusqu’ici, j’ai plus oumoinspassél’étéàmettredesbouquinsenrayon,tenirlacaisse,etdonnerdesséancesdevoyance.Alors oui, quand j’ai du temps libre, j’ai envie de m’échapper un peu, est-ce vraiment sirépréhensible?

Jeledéfieduregard.Presquetoutcequejeviensdedireestvrai,etjemedemandes’ilvapointerdudoigtcequinel’estpas.

Maisilneselaissepasberneretsecouelatête.

— Et maintenant que Jude va mieux, grâce à votre petit tour à l’Été perpétuel, je medemandequellevaêtretaprochaineexcuse.

J’accuselecoupetbaisselesyeux.Jenem’attendaispasàunetellerépartiedesapart,etjedois avouerque jene saispasquoi ajouter. Je tapedansunpetit caillouduboutdemasandale,fatiguéedelutter,lessivéeparcetennemiinternequim’empêchedemeconfier.

—Tusais,Ever,avant,tuétaisaussibelleetrayonnantesurleplanterrestrequelorsquejet’aiaperçuecetaprès-midiàl’Étéperpétuel.

Jen’encroispasmesoreillesetbaisseencorelatête,maisilcontinue,dansunmurmure

Page 92: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

quirésonnecommeunhurlementdansmatête.

—Jesaisquetutrempesdanslamagie,Ever,etquetuesentraindetenoyer.J’aimeraisquetumepermettesdet’aider.

Jemeraidisdespiedsàlatêteetmoncœurs’affole.

— Je reconnais les signes, Ever : les mensonges, l’anxiété, la perte de poids, cet airmisérable…Tuesmordue,Ever,accroà lamagienoire.Juden’aurait jamaisdû t’entraînersurcettevoie,etplustôttuadmettrasquetuasunproblème,plustôtjepourrait’aideràlerésoudre.

—Cen’estpas…

Maislemonstremecoupelaparole,déterminéàsapernotrerelation,etjedoisruserpourrecouvrerlaparole.

— Ce n’est pas pour ça que tu es allé aux Grands Sanctuaires de la Connaissance ? Jecroyaisquec’étaitpourm’aider.

Jevoisàsonregardquejel’aiblessé,maiscelanesuffitpasàsatisfairelabête,loindelà.Ellenefaitques’échauffer,s’étirer,sortirsesgriffes.

— Alors dis-moi : qu’est-ce que tu as vu, hein ? Qu’est-ce que l’Akasha t’a confié de siformidable?

—Rien,dit-ild’unevoixplateetabattue.Jen’yairienapprisdutout,puisquetuveuxlesavoir. Apparemment, quand une personne est seule responsable des malheurs qui luiarrivent,nulautrenepeutaccéderauxinformationslaconcernant.Jen’aipasledroitdememêlerdeteshistoires,Ever,dequelquemanièrequecesoit.Ilfautcroirequeçafaitpartieducheminementdechacun.Unechoseestclaire,enrevanche,jeudidernier,Romanaparléd’unsort,etdepuisqueJudet’adonnécelivre,toutvamal–toi,nous,toutvadetravers.

Damens’interromptun instant, commepourm’entendreconfirmersesdires,mais jenepeuxpas.

—Ever,jesaisqueJudeettoiavezunpassécommunlongetcompliqué,etilestévidentqu’il est encore amoureux de toi.Mais j’ai surtout l’impression qu’il est en travers de tonchemin,etqu’ilaplacél’obstacledelamagiesurtaroute.Ever,ellerisquedetedétruiresitun’yprendspasgarde.Ceneseraitpaslapremièrefoisquecelaseproduit,crois-moi.

Je le dévisage et comprends qu’il tente dem’envoyer une image, une sorte demessage.Maislapulsationfunestebatsonpleindansmesveines,laflammedesténèbresbrûleenmoietm’affaiblità telpointque jenesensplussespensées, sonénergie,nimêmecettedoucechaleursicaractéristique.Toutm’échappedésormais.

Damens’approchedemoietposesesmainssurmesépaulesavantquej’aieeuletempsdeciller.Ilplantesonregarddanslemiend’unairdéterminé,résoluàtirerauclairtoutecetteaffaire.

J’aimeraisque ce soit aussi simple,mais jenepeuxpas le laisser approcher et liredansmespensées. Iln’aaucunmoyendesavoirque la répulsionqu’il verraitdansmesyeuxnevientpasdemoi,maisdumonstre.

Alors,mêmesi jem’enveuxàmortdemecomporterainsi,etmêmesi jenefaisqueluiprouverqu’ilaraison,quej’aieffectivementperdulespédales,jemelèvedemabalançoireetretourneàmavoituregaréesurletrottoir.Etjemeretourneàpeinepourluilancer:

Page 93: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

—Désolé,Damen, tu fais fausse route. Tu es complètement à côté de la plaque. Je suisjustefatiguéeetsurmenée,riendeplus.Etsitutedécidesàarrêterdemeharceleravecteshistoires,tusaisoùmetrouver.

Page 94: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

vingt

Jen’aimêmepasletempsdesortirdelarésidencedeDamen:mavoituredisparaît,etj’atterrissurl’asphaltesiviolemmentqu’ilmefautquelquessecondespourcomprendrequemon véhicule s’est volatilisé sousmoi. Je regarde autour demoi, hébétée, etm’efforce decomprendre ce qui vient de m’arriver, lorsqu’une grosse Mercedes me fonce dessus etmanquedem’écraser.Sonchauffeurm’adresseuncoupdeKlaxon,ungesteobscène,ainsiquequelquesinsultesbienchoisies.Charmant.

Jemeréfugiesurletrottoir,etfermelesyeuxpourfairesurgirunenouvellevoiture,pluspuissante et plus rapide, cette fois. J’imagine une Lamborghini rouge vif, la visualise trèsclairement devantmoi.Mais quand je rouvre les yeux : rien. Le choc passé, je refais unetentative,d’abordavecunePorsche,puisavecuneMiatacommecellequim’attendsagementàlamaison:envain.J’essaiedoncunePriuscommecelledeM.Munoz,suivied’uneSmart…rien n’y fait. C’est la débâcle. Jeme résous alors àme contenter d’un scooter,mais je n’yarrivemêmepas;etlorsquejevisualise,pourrire,unepairederollers,jemeretrouveavecdes bottines de cuir blanc usées jusqu’à la trame et équipées d’un rail là où les rouesdevraientsetrouver.Alors,jedécidedecourir;mespouvoirsm’abandonnentpeut-être,maisilmeresteaumoinsmaforceetmavitesse,etcelameconsole.

Mes pieds bondissent sans effort tandis que jem’élance dans les collines qui longent lacôte. Je compte rentrer directement à lamaison, pourtant je dépasse l’embranchement etchangededestination.Jevaisdroitlàoùsetrouvetoutcedontj’aibesoin–toutcedontjerêve. La vision de ce quim’attend occupe toutesmes pensées et j’accélère encore l’allure,sansmesoucierdesconséquences.Moinsd’uneminuteplustard,j’ysuis.

DevantlaportedeRoman.

Jetremblecommeunefeuilleàl’idéedecequim’attend,etlaflammedesténèbresquimeconsumeestsivivequej’ail’impressiond’avoirdelalaveenfusionàl’intérieurducorps.Jefermelespaupièrespourmieuxsentirsaprésence…

Romanestlà,toutprès.

Jen’aiqu’àouvrircetteporte,etilestàmoi.

J’entred’unbond,et laporteheurte lemuravecuneviolencequisecoue lamaisontoutentière.Jemefaufileensilencedanslecouloir,ettrouveRomandanssonsalon,vautrésurlecanapé,lesbrasreposantsurledossierdechaquecôtédelui.Iln’apasl’airsurprisdemevoir,aucontraire:l’expressionsursonvisagemerévèlequ’ilm’attendait.

—Ever.Tuasunproblèmeaveclesportes,décidément.Nemedispasquejevaisencoredevoirremplacerlamienne?

J’avanceversluid’unpashésitant,etsonnoms’invitecommeunronronnementsurmeslèvres,tandisquemoncorpsfrémitàl’idéedesentirsonregardglacial.

Ilhochelatêted’ungestelentetmécanique,commes’ilbattaitunemesurequ’ilestseulàentendre, et j’aperçois son tatouage à chaque mouvement. D’une voix sourde et grave, ilsusurre:

—C’esttrèsaimableàtoidepassermevoir,machère,maisjedoisdirequejetepréféraisla dernière fois, quand tu es venue à ma fenêtre dans cette ravissante chemise de nuittransparente.Tutesouviens?

Page 95: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Avec un rictus, il se glisse une cigarette entre les lèvres et l’allume avant de tirer unelongueboufféepensive.Puisilprendtoutsontempspourformerunesuccessionderondsdefuméequ’ilm’envoieàlafigure,avantd’ajouter:

—Enl’occurrence,tun’espasvraimentàtonavantage.Jedoisdirequetuasl’airunpeu…affamée,jemetrompe?

Je me passe la langue sur les lèvres pour les humecter, tente de démêler ma pauvrecrinièreduboutdesdoigts.Macheveluredrueetbrillantedontj’étaisautrefoissifièren’estplusqu’unetristetouffefilasseetabîmée.J’auraisdûfaireuneffort:unsoupçondeparfum,une touche de fond de teint, des vêtements matérialisés exprès pour habiller ma maigrecarcasse…Je reçois son regardméprisant commeune gifle, tandis qu’il détaillemon corpsémaciéavecundégoûtnondissimulé.

—Sérieusement,mapauvre,si tucomptes t’inviterchezmoi, ilva falloirsoignerunpeutonapparence.JenesuispasDamen,moi.Jenesautepassurn’importequellevieillecarne.J’aimesexigences.

Je ferme les yeux, déterminée à faire l’impossible pour lui plaire, pour qu’il m’accepteenfin.Etjesaisquej’airéussiquandjerouvrelesyeuxetvoissonregardvitreux,sidéré.

—Drina!

Sa cigarette lui tombe des lèvres et brûle le tapis, tandis qu’il me dévisage avecravissement. Je sais ce qu’il voit : une peau laiteuse, des lèvres d’un rose tendre et descascadesdebouclesrousses.Jem’agenouilledevantluietéteinssacigaretteavantdeplacermeslongsdoigtsfinssursesgenoux.

—MonDieu,c’est…c’estimpossible!C’estvraiment…?

Ilnepeutterminersaphraseetsecouelatêteensefrottantlesyeux,avantdelesplongerdenouveaudansceregardémeraudeauquelilveuttantcroire.

Je ferme les paupières et savoure l’instant, le baiser glacéde son toucher. Je glissemesmains le longdesescuisseset remonte lentement, toutprèsd’avoirenfinceque jedésire,lorsquesoudain…

Havenestderrièremoi.Sesyeuxjettentdesétincellesfurieusesetsespoingssontcrispéssurseshanches.Jemedemandedepuiscombiendetempsellenousobserve.Jene l’aipasentendue arriver, n’aimêmepas senti sa présence.Mais, après tout,Havenne comptepasvraiment. Ce n’est qu’un insecte agaçant qui a la manie de se mettre en travers de monchemin.Ilmeseraitsifaciledem’endébarrasser.

Elle s’approchedemoi enme toisantavecunméprisqui seveut intimidant, envain. Jen’aipaspeurd’elle,ellenepeutriencontremoi,mêmesiellel’ignoreencore.

—Tufaisquoi,là,Ever?

—Ever?Maisdequoituparles,Haven,cen’estpasEver,c’est…

Romannousregardetouràtourd’unairhébété.Maislemalestfait,lasimplementiondemonnomromptlecharmeetilmevoit,moi.

Furieuxd’avoirétéberné,ilmerepousseavecunetelleviolencequejevolepar-dessuslatablebasseavantd’allerm’écraserdansunfauteuil,àcôtédeHaven.

—C’estquoi,cettearnaque?Qu’est-cequetum’asfait,espècedecinglée?

Je me relève sans le quitter des yeux, tandis que Haven s’approche de moi dans un

Page 96: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

tourbillondecuiretdedentellenoireetmesaisit lepoignetsi fortquesesonglesmordentma peau. Son souffle glaçant est comme une gifle surma joue, lorsqu’elle siffle entre sesdentsserrées:

—Tun’asrienàfaireici,Ever.D’ailleurs,est-cequeDamensaitoùtutetrouves?

Damen.

Cenomréveillequelquechoseenmoi–unsouvenirlointain?Jeporteunemainàmonamuletteetreculed’unpasincertain.

MaisHavens’approcheencore,levisagedéforméparlahaineetlafurie.

—Tunesupportespasquejepuisseavoirquelquechosedeplusquetoi,hein?Tuvoulaisme faire croire que Roman était dangereux pour que je te laisse le champ libre et que tupuissesl’avoirpourtoitouteseule,pasvrai?Maisj’aichangé,Ever,etilvafalloirt’yfaire.Tun’imaginesmêmepasàquelpointj’aichangé…

J’essaied’arrachermamainàsonétreinteetdem’éloignerd’elle,maiselleesttropfortepourmoi,etsij’enjugeparsonregard,ellen’enapasfiniavecmoi.

—Va-t’end’ici,Ever.Tun’auraisjamaisdûvenir.Jeneveuxpastevoirdanslesparages,etRomannonplusneveutpasdetoi.Tun’esqu’unepauvreloque,ettunet’enrendsmêmepas compte, crache-t-elle avec un coup d’œil impitoyable àmonmenton acnéique et àmapoitrine désormais creuse, l’exact opposé de sa peau de porcelaine et de ses formesparfaitement dessinées. Allez, Ever, tire-toi ! C’est moi qui décide des règles du jeu,maintenant,etlesvoici:sijamaistut’avisesderemettrelespiedsici,ouderetenteruncouptorducommetuviensdelefaire,c’esttoiquivassouffrir,crois-moi.Tuneressemblesplusàrien,mapauvrefille.Tun’esqu’uneépaveécheveléeetboutonneuse,dit-elleenrejetantpar-dessus son épaule une mèche d’un brun soyeux. Qu’est-ce qui t’arrive, Damen a changéd’avis?Iln’aplustrèsenviedepasser lerestede l’éternitéavectoietadécidédetepriverd’élixir?

J’ouvrelabouchepourparler,maisenvain.JemetournealorsversRomanetl’imploreduregard,lesuppliedem’aider,maisilmecongédied’ungesteetsesyeuxm’indiquentqu’ilneveutplusavoiraffaireàmoi.Maintenantqu’ilacomprisquejen’étaispasDrina,jen’existepluspourlui.

Nevoyantpasd’autreissue,jelèvelebrasqueHavenagrippeet,d’ungestebrusque,jelaforce à se retourner, de sorte qu’elle se trouve dos à moi, tout contre ma poitrine, avantmêmed’avoirpuréagir.

J’approcheleslèvresdesonoreilleetmurmure:

—Désolée,Haven,maisjenetoléreraipasqu’onmeparlesurceton.

Elle se débat, essaie de se dégager, mais elle peut toujours essayer : personne ne peutvaincrelemonstre,personne,àpart…

Soudain,mon regard rencontre un grandmiroir dans un cadre doré en face de nous, etl’imagequis’yreflètemefiged’horreur.LeregardvenimeuxdeHavenfaitéchoaumien,etmonvisageestsidistordu,simonstrueuxquejemereconnaisàpeine.Etjecomprendsenfincequetoutlemondevoitdepuisledébut,maisquim’échappait,jeprendsenfinconsciencedeladégradationterriblequej’aisubieparmaproprefaute.

Je relâchema prise, et aussitôtHaven se retourne comme une furie, le poing levé, unecartedesseptchakrasentête,prêteàfrapper.

Page 97: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Mais avant qu’elle n’en ait eu le temps, je la repousse violemment et m’enfuis. Lecraquementatrocede sondos lorsqu’elleheurte lemur résonnedansmesoreilles,mais jetentedemerassurerenmerappelantquelesimmortelsguérissenttoujours.

Moi,enrevanche,jen’ensuisplussisûre.

Page 98: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

vingtetun

Quandj’arrivedevantMagieetRayonsdelune,jem’attendsàytrouverJude,maislaporteestverrouilléeet l’écriteau indiqueque lemagasinestFERME.J’essaied’ouvrir laportementalement,maisc’estunnouveléchec,etjefouilledansmonsacpourytrouverlaclédelaboutique.Mesmainstremblenttellementquejelafaistomberàdeuxreprisesavantde finalement réussir à entrer.Dansmahâtedeme réfugierdans la salledu fond, j’oubliel’étagèrede figurinesd’angessurmadroiteet lesenvoiese fracasserausolenunpetit tasd’ailesbriséesetd’échardesdeverre.Maisjenem’arrêtemêmepaspourréparerlesdégâts–j’enseraisdetoutefaçonincapable–,etmeprécipiteverslebureauoùjem’effondresurlachaise.

Jeposelefrontsurlasurfacedeboisdurettentederalentirlesbattementsdemoncœuraffoléetdemaîtrisermarespiration.Lascènequivientdeseproduire repassedevantmesyeuxencoreetencore,etjesuishorrifiéedecequej’aifaillifaire,decequejesuisdevenue.

Jeresteprostréeainsijusqu’àcequemoncœurs’apaiseetquemonesprits’éclaircisseunpeu.Quand je finisparrelever la tête, je remarqueque lecalendriern’estplusaccrochéaumur,maisposébienenévidencesurlebureau,justeàcôtédemoi.Ladated’aujourd’huiestentouréeaufeutrerouge,etJudeagribouillémonnomainsique:«Çasetente,non?».

Et c’est l’illumination : la solution que je cherchais désespérément est là, à ma portée,grâceàJude.C’esttellementévidentquej’auraisenviedemegiflerdenepasyavoirpenséplus tôt.A l’intérieur de l’épais trait de feutre rouge se trouve unpetit cercle impriméquiillustre le cycle lunaire. Et celui-ci, entièrement noirci,m’indique que ce soir, la nuit serasanslune.

Hécaterevientdesprofondeurs.

Soudain,jesaisexactementquoifaire.

Aulieud’attendrelapleinelunepourimplorerladéessed’annulerlesactionsdelareinedes Ténèbres, commeme l’avaient conseillé les jumelles (ce qui, àmon avis, n’a fait quevexerladéesse,d’oùlemisérableéchecdecettetentative),j’auraisdûattendrelaprochainenuitnoireetm’adresseràlasourcedemonproblème,Hécate,pourforgeruneallianceavecelle.

J’ouvre le tiroir, repousseLeLivredesOmbres, et rassemble les ingrédientsdont je vaisavoir besoin. Je me promets intérieurement de dédommager Jude dès que je le verrai, etfourreunassortimentdecristaux,d’herbesetdebougiesdansmonsacavantdeprendre lechemindelaplage.C’estleseulendroitoùjepourraibénéficieràlafoisdelasolitudedontj’aibesoinetd’unequantitéd’eausuffisantepourpurifiermoncorpssouillé.

Quelquesminutesplustard,jemetrouveauborddelafalaise,àcontemplerl’océansinoirqu’ilsefondaveclecielnocturne.Jerepenseàcettenuit,ilyaunmoisàpeine,oùDamenetmoi étions venus à cet endroit précis, alorsque j’étaispersuadéed’avoir touché le fond enrendantmameilleureamieimmortelle.J’étaisloindemedouterquemadescenteauxenfersnefaisaitquecommencer.

Jem’engagedanslesentierquimèneàlaplage,impatientedecommencer.Tandisquejeme fraye un chemin entre les rochers, mon cœur se met à battre violemment dans mapoitrineetmapeausecouvred’unesueurfroide:labêteestréveillée,etjedoisagirvite,sijeveuxm’endébarrasser.Bientôt, je sens le sable sousmespieds, etmedirige vers la grotte

Page 99: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

dissimuléedans la falaise.Jesuiscertaineden’y trouverpersonne ; comme l’aditDamen,«lesgensvoientrarementcequ’ilsontdevantlesyeux».

Je pose mon sac par terre et l’ouvre pour en sortir une longue bougie et une boîted’allumettes. Le craquement de l’allumette est le seul bruit avec le roulement des vagues.J’allume la bougie et la plante dans le sable, puis dispose soigneusement le reste demesingrédientssurunecouverture,avantdemedéshabilleretdesortirdelagrotte.

Jecroise lesbrassur lapoitrinepourmeprotégerduventvifquime fouette lapeau.Jesensmescôtessaillantessousmesdoigtsdécharnés,maisjemerépètequec’estbientôtfini:ma guérison est proche, et personne, pas même le monstre, ne pourra m’empêcher deredevenirmoi-même.

Jecoursdansl’écumeblancheetfroide,etmesdentsclaquentsouslechocdelamorsureglaciale du Pacifique. Je plonge sous les vagues, les yeux fermés contre la piqûre salée del’eauquigrondeàmesoreilles.Unefoisquej’aidépassél’endroitoùlesrouleauxseforment,jemelaisseallersurledos,légèrecommeuneplumeàlasurfacedel’océan,débarrasséedemon fardeau.Mes cheveux se répandent autour de moi et je contemple le ciel, si noir etmystérieuxquej’yperdstoutenotiondeprofondeur.Jerefermeunemainsurl’amulettedeDamenetsollicitel’aidedescristaux,leurprotectioncontrelemonstre.Jeplacemondestinentrelesmainsd’Hécate,aveclafoique,toutcommeleyinetleyang,mêmelapirenoirceuraunversantlumineux.

Je m’immerge complètement à plusieurs reprises, jusqu’à ce que je me sente lavée etrestaurée,prêteàaffronterlamagie.Jenageverslaplageetsorsdel’eau,insensibleaufroidquimedonnelachairdepoule.Lacertitudequejem’apprêteàtuerlabêteetàsauvermonâmemeréchauffedel’intérieur.

Lesmurs de la grotte sont un théâtre d’ombres à la lumière vacillante de la bougie. Jepurifiemonathaméenlepassantàtroisreprisesdanslaflamme,puism’agenouilleaucentreducerclemagiqueque j’ai tracédans le sable.De l’encensdansunemainet l’athamédansl’autre,jerecréeunrituelsimilaireauprécédent,maiscettefoisj’ajoutecesquelquesvers:

J’enappelleàHécate,lareinedesprofondeurs.

Ainsiqu’àlamagiedelaplusnoiredeslunes.

Libérez-moidusortquicausemonmalheur,

Etéteignezlaflammesinistrequimeconsume,

ôpatronnedessorcières,entendsdoncmadouleur,

Mavolonté,mafoi;sourisàmafortune.

Aussitôt,unventviolenthurleautourdemoi,uncoupdetonnerreretentitetfaitvibrerlesparoisdelagrotte.Leschaisespliéeslelongdelaroches’effondrentetlaterrecommenceàtrembleretsemouvoirsurunrythmesismique,unepulsationprimitivequisemblevenirdesprofondeursetdontTondedechocgranditenintensité.Despierressedétachentdelaparoietviennents’écraserautourdemoi.

Lagrotteentières’effrite,sedésintègre,etbientôtilneresteplusquelecercledanslequeljesuisagenouillée,unamoncellementderochesbrisées,etlecielnoirau-dessusdematête.

Page 100: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

JemerelèveetremercieHécate.Toutentraversantlesruinesprovoquéesparlamagie,jepasseunemaindansmon épaisse chevelureblonde et fais apparaîtredes vêtementsneufsavec une telle vélocité que je ne peux douter un seul instant quema volonté ait bien étéaccomplie.

Page 101: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

vingt-deux

—Çayest?

Jepasseundoigt sous le foulardde soie queDamenautilisépourmebander les yeux,même si nous savons tous les deux que je n’ai pas besoin de regarder pour voir ce qui sepasse.Mais il tient tellement àme surprendrequ’il apris toutes lesprécautionspossibles,qu’ellesserévèlentutilesounon.

Il éclate de rire, et ce sonmélodieux emplit mon cœur de joie. Il me prend lamain etentrelacesesdoigtsaveclesmiens,m’envoyantàtraverslevoilequinoussépareunevaguede chaleur qui me picote délicieusement la peau – une sensation que j’apprécie plus quejamaisaprèsl’avoirentièrementperdue.

—Tuesprête?

Ilpassederrièremoietdénouelefoulardquim’aveugle,puismecaresselescheveuxavantdemeprendreparlesépaulespourmefairepivoterenajoutant:

—Joyeuxanniversaire!

Jesourisavantmêmed’ouvrirlesyeux.Jesuisconvaincuequesasurprise,quellequ’ellesoit,nepeutêtrequemerveilleuse.

Je regarde enfin et retiens mon souffle, bouche bée. Je porte une main à mon cou,subjuguéeparundécord’unebeautéincroyable,mêmepourl’Etéperpétuel.

C’est une exquise utopie : des tulipes rouges à perte de vue, et une ravissante rotondeplantéeaumilieu.JemetourneversDamen,interloquée:

—Quandas-tu créé cettemerveille ?Tune vienspasdematérialiser tout ça à l’instant,quandmême?

Ilcaressemonvisaged’ungestedouxquim’embrasedespiedsàlatête.

—Non,j’avouequejeprépareceladepuisquelquetemps.Larotonden’estpasentièrementdemoi,maisj’yaiapportéquelquesaméliorations.Quantauxtulipes,c’estunpetitclindœil,rienquepourtoi,ajoute-t-ilenm’attirantàlui.Jevoulaistellementquetuaillesmieuxpourquenouspuissionsprofiterdecetinstanttouslesdeux…rienquetouslesdeux.

L’amour que je lis dans son regard me fait rougir, comme si une timidité soudaines’emparaitdemoi.Jerelèvelatêteetcontemplesonbeauvisage.

—Rienquenousdeux?Tuveuxdirequ’onn’estpasobligésdesedépêcherpourarriveràl’heureàl’anniversairesurprisequim’attendsurleplanterrestre?

Damenritetm’entraînedanslechampdetulipes.

—Ilssontencoreentraindetoutpréparer.J’aipromisqu’onpasseraitunpeuplustard,maispourl’instant…Qu’est-cequetuenpenses?

Je cligne des yeux pour retenir les larmes. Ce n’est ni le lieu ni lemoment de pleurer,quand ce champ magnifique représente l’éternité de l’amour qui nous lie. Je déglutis etm’efforcedeparler,malgrél’émotionquimenouelagorge.

—J’enpenseque…tuesl’êtreleplusmerveilleuxquiexisteencemonde…etquej’aiunechanceincroyabledeteconnaître,det’aimer,et…Jecroisque…Jenesaispascequejeferaissanstoiàmoncôté,etjetesuistellementreconnaissantedenepast’êtrelassédemoi,dene

Page 102: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

pasm’avoirabandonnée.

—Jenet’abandonneraijamais,dit-il,levisagesoudaingrave.

—Tuasbienététenté,non?

Je baisse la tête et repense à ces semaines atroces où j’étais perdue, aux prises avec lemonstre.JeremercieHécateensilenced’avoirexaucémonvœuetdem’avoirrenducequicomptelepluspourmoi.

Damenmesaisitlementond’ungestedoux.

—Non,pasuneseuleseconde.Jamais.

—Tuavaisraison,tusais…pourlamagie.

Jememordslalèvreetlèveunregardtimideverslui.

Maisilsecontentederépondred’unsignedetête.Cen’estpasexactementunerévélation:jeviensseulementdeconfirmercequ’ilavaitdevinédepuislongtemps.

—J’ailancéunsort,et…ehbien,disonsqu’ilaeul’effetinversedecequej’escomptais.JemesuisaccidentellementliéeàRoman,dis-jeavantdem’interrompre.

MaisDamenmeconsidèred’uneexpressionsiimpassiblequejenepeuxladéchiffrer,etjechoisisdepoursuivre.

— Au début, je ne t’ai rien dit parce que… parce que j’avais trop honte de l’admettre.Roman était devenu une sorte d’obsession pour moi, et… Bref, le seul endroit où je mesentais moi-même, c’était ici, à l’Eté perpétuel. C’est pour ça que je te suppliais dem’accompagner,etaussiparcequelemonstre–lamagie–m’empêchaitdeteconfiermonproblème sur le plan terrestre. Chaque fois que j’essayais d’aborder le sujet, la bêtetransformaitmesmotsenuneétouffantequintedetoux.Toutçapourdire…

Damenposeunemainsurmajoueavecuneinfinietendresseetmurmure:

—Cen’estpasgrave,Ever.Toutvabien.

Jemelaisseallerdanssesbrasetcachemonvisagecontresapoitrineenbafouillant:

—Jesuisdésolée,Damen.Situsavaisàquelpoint!Ils’éloigneunpeupourmeregarder,latêteinclinée.

—Maisc’estfini,maintenant?Tuastoutarrangé?J’essuiemeslarmesdudosdelamain.

—Oui, c’est fini.Je suisguérie, etmonobsessionpourRomanacomplètementdisparu.Maisjevoulaisquetusachesque…c’étaithorribled’êtreforcéedetementir.

Ildéposeun longbaisersurmon frontpuis,d’ungesteampleetgracieux, ilme faitunerévérenceetdit:

—Etmaintenant,belledemoiselle,voulez-vousbienmesuivre?

Jesouriset,lamaindanslasienne,melaisseentraînerverslamagnifiqueconstructionaumilieudestulipes.Cetédificeestd’unetellebeauté,d’unefacturesiexquise,quejeretiensmonsouffleenyentrant.

—C’estquoi,cetendroit,exactement?

Je suis subjuguée par lemarbre poli sousmes pieds, les plafonds en coupole ornés defresques à tomber à la renverse, où gambadent de petits amours joufflus parmi d’autrescréaturescélestes.

Page 103: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Damen me fait signe de m’asseoir sur un canapé d’un blanc crémeux, aussi doux etmoelleuxqu’unmarshmallowgéant.

— C’est ton cadeau d’anniversaire. Et par une étrange coïncidence, c’est égalementl’anniversairedenotrerencontre.

Jefroncelessourcils:j’aibeaumecreuserlatête,jenecomprendspascequ’ilveutdire.Celanefaitpasencoreunanquenousnoussommesrencontrés,enfin,pasdanscettevie,encequimeconcerne.

Damenvoitmonairintriguéetrépondàmaquestionmuette.

—Lapremièrefoisquenousnoussommesrencontrés,c’étaitle8août1608.

Jesuistellementestomaquéeparcettenouvellequejeréussisàpeineàbredouiller:

—Sérieux?

Damensecarredanslescoussinsmoelleuxetm’attireàluiavecunsourire.

—Sérieux.Maistun’espasobligéedemeprendreaumot,tusais,ajoute-t-ilentendantlamainversunesortedetélécommandeposéesurlatablebassedevantnous.Tupeuxregarderpartoi-même.Etcen’estpastout,tupeuxaussiparticiper,silecœurt’endit.

Unefoisdeplus,jenevoispasdequoiilparle,nioùilveutenvenir.

—Celafaitdessemainesquej’ytravaille;disonsquec’estunesortedethéâtreinteractif.Tu peux assister au spectacle ou temêler à l’action, c’est toi qui choisis.Mais il y a deuxchosesquetudoissavoiravantdecommencer.Lapremière,c’estquetun’aspaslepouvoird’interféreraveccequisedérouledevanttoi,etlaseconde,c’estqu’ici,àl’Étéperpétuel,toutse termine toujours bien. Les épisodes inquiétants ou tragiques ont été omis, donc tun’asaucunsouciàtefaire.Ilsepourraitmêmequetusoissurpriseparcequetuvois.Moi-même,jel’aiété.

Jemeblottiscontrelui.

—Cessurprises,ellessontréelles,ouc’esttoiquilesasimaginées?

Ilsecouelatêteaussitôt.

—Oh,ellessontbienréelles,crois-moi.Messouvenirsremontentàloin,commetulesais,si loin que parfois ils sont un peu imprécis. Alors, j’ai décidé de faire quelques recherchesdanslesGrandsSanctuairesdelaConnaissance,uncoursderattrapage,enquelquesorte.Etdefait,j’airedécouvertcertainsdétailsquej’avaisoubliés.

Jeposemes lèvresà l’endroitdélicieuxaucreuxdesoncou,etaussitôt ladouceurdesapeau,sonodeurmusquéemeréchauffentlecœur.Puisjerelèvelatêteetmurmure:

—Commequoi,parexemple?

—Commeça,souffle-t-il.

Ilindiquel’écranenfacedenous,etjemeloveencoreplusprèsdeluitandisqu’ilappuiesurune touchede la télécommande.L’écran est si grand, et les images si réalistesque j’ail’impressiond’êtreimmergéedansl’action.

Aussitôt,jereconnaiscettepetiteplacepavéeoùlesgenssebousculent,pressésdepasserleur cheminetdemener leurspetites affaires, exactement commenos contemporains.Lesvoituressonttiréespardeschevauxetlesvêtementsparaissentd’unraffinementexubérantparrapportàlamodecalifornienneactuelle;lesétalagesdecommerçantsquis’égosillentme

Page 104: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

donnentl’impressiondemetrouverdansuncentrecommercialdudix-septièmesiècle.

Je jette un regard interrogateur à Damen, qui me répond d’un sourire et m’aide à merelever.Ilm’entraîneversl’écran,sivitequejefreinedesquatrefers,persuadéequejevaism’ycognerlenez.Maisilseretourneetmeglisseàl’oreille:

—Oseycroire.

Alors,j’ose.

Je prends mon courage à deux mains et j’avance. L’écran de cristal devient soudainmalléableetnousaccueilledel’autrecôté.Jem’attendsàcequ’onaitl’airdedeuxfigurantségaréssurleplateaud’unautrefilmquelenôtre,maisjemerendsaussitôtcomptequenousportonstousdeuxdescostumesd’époque,etquenousnesommespasdevulgairesfigurants.Noussommesleshérosdecettescène.

Quandjeregardemesmains,jesuissurprisedelestrouverrêchesetcalleuses,puisjelesreconnais:cesontlesmainsdemavieparisienne,quandj’étaisEvaline,unepauvreservantecondamnéeàdestâchesingratesjusqu’àcequeDamenintervienne.

Marobeestcoupéedansuntissurugueuxetserévèletoutsaufflatteuse,maisaumoinselleestpropreetbienrepassée,etjedoisdirequej’entireunecertainefierté.Mescheveuxsont rassemblés en un chignon tressé, mais quelques mèches rebelles parviennent às’échapperdemonbonnet.

Un commerçant s’adresse à moi en français, et bien que ce ne soit pas ma languematernelle,jesuiscapablenonseulementdelecomprendre,maisdeluirépondre.Ilsemblemeconnaître,et jedoisêtreuneclienteexigeante,car je levoischoisirsoigneusementunepommeetmelatendre,toutenvantantlesqualitésdubeaufruitcharnu.Maisalorsquejecherchedansmabourselasommeexacte,quelqu’unmebouscule;lapommem’échappeetvas’écraserparterre.

Je regarde ledésastre avechorreur, la chair répandue sur le pavé. Jeneme fais aucuneillusion : l’intendantedescuisinesn’acceptera jamaisdecouvrircetteperte,et j’enseraidema poche. Aussi, je me retourne, prête à couvrir de reproches celui qui m’a bousculée,lorsquejevoisquec’estlui.

Cethommeauxcheveuxd’unnoirbrillant,auregardprofondetlumineux,auxvêtementsd’uneéléganceexemplaireetaucarrossepresqueaussibeauqueceluidelareine.Ils’appelleDamen–DamenAuguste–etjen’arrêtepasdecroisersaroute,cestemps-ci.

Je retiens ma jupe d’une main et me baisse pour ramasser ce que je pourrai du fruitendommagé.Mais ilnem’en laissepas le temps,etmeretientpar lebras.Aussitôt, jesuisparcourued’unechaleursingulière.

—Pardon,murmure-t-ilavantdes’assurerquelemarchandsoitpayé.

Cetinconnum’intrigueetmoncœurbatlachamadedansmapoitrine,maismêmesicettedrôledechaleurmepicoteencore lapeau, jemedétourneetpassemonchemin.Toutcelan’estsansdoutequ’unjeupourlui,ilestbientropnoblepours’intéresseràmoi.Pourtant,ilmerattrape.

—Evaline,attendez!

Jeluifaisfaceetcroisesonregard.Jesaisdéjàquenousallonscontinueràjouerauchatetàlasouris,neserait-cequepoursauverlesapparences.Maisjesaisaussiques’ils’obstine,s’il ne se lasse pas deme faire la cour, je finirai par céder avec plaisir. Cela ne fait pas le

Page 105: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

moindredoute.

Damensourit,poselamainsurmonbrasetpense:

—C’estainsi que touta commencé, et celaaduréun certain temps.Tuveuxbienqu’onaccélèrejusqu’auxmeilleursmoments?

J’acquiesce,etmetrouveaussitôtdevantungrandmiroirdansuncadredoré.Iln’estplusquestionderoberêcheetmalcoupée:jesuisparéed’unemerveilledesoiesidoucequ’ellesemble glisser sur mon corps. Un décolleté profond révèle la peau claire de ma gorge,rehausséedebijouxsiétincelantsquejenevoisqu’eux.

Damensetientderrièremoietjecroisesonregarddanslemiroir.Sonsouriremedittoutcequ’ilpensedemanouvelleapparence,et jemeprendsàmedemander,unefoisdeplus,commentunepauvreservanteorphelinecommemoiapuenarriverlà:danscettedemeuresomptueuse,aubrasd’unhommesimagnifiqueetgénéreuxquec’enestpresquetropbeaupourêtrevrai.

Ilmetend lamainet je lesuis jusqu’àune tabledresséeavecunraffinement infini– legenredetableàlaquellej’ail’habitudedeservir,pasdem’asseoir.PourtantjeprendsplaceàcôtédeDamen,etiln’yaplusquenousdeux.Ilacongédiésesserviteurspourlasoiréeetmesert lui-même. Il tend lamain vers une carafe en cristal d’un geste lent et hésitant, et letremblementdesesdoigtsm’indiquequ’unebatailleselivredanssonesprit.

Ilmelanceuneœilladetorturéeetreposelacarafepoursesaisird’unebouteilledevin.

Jerestebouchebée,subjuguéeparcequejeviensseulementdecomprendre.

—Tuasfaillimefaireboirel’élixir!Tuétaisàdeuxdoigtsdelefaire!Qu’‘est-cequit’afaitchangerd’avis?

S’ilnes’étaitpasravisé,s’ilm’avaitservil’élixircesoir-là,toutauraitétésidifférent.

Siincroyablementdifférent.

Drina n’aurait pas pu me tuer, Roman n’aurait jamais cherché à se venger de moi, etDamenetmoiaurionsvécuheureuxpendantdessièclesetdessiècles…Bref,toutlecontrairedenotresituationactuelle.

Ilm’adresseunlongregardetrépondàmespensées.

— Je ne savais pas du tout comment tu allais prendre la chose, si tu risquais dem’envouloir…Jenemesentaispasledroitdeprendrecettedécisionàtaplace,deteforcer.Maiscen’estpaslaraisonpourlaquellejet’aiamenéeici.Jevoulaissurtouttemontrerquetavieparisienne n’était pas si misérable. Nous avons profité de moments merveilleux, commecelui-ci.Etnousenaurionseubienplussi…

Il laisse sa phrase en suspens, et je lui en suis reconnaissante. Je lèvemon verre pourtrinqueraveclui,maislatableadéjàdisparu,etnoussommesdanslesruesdeParis.Damenmeraccompagnechezmoi,etunefoisquenousnoustrouvonsprèsdel’entréedeservice,ilmeprendparlatailleetm’embrasselonguement,passionnément.Jevoudraisquecetinstantdure toujours. Ses lèvres sont si douces et pourtant si insistantes sur lesmiennes, et leurchaleurréveilleenmoiquelquechosedeprofondémentancré,defamilier…d’infinimentréel.

Je recule et le regarde, les yeux écarquillés, tandis que je passe undoigt surmes lèvresgonfléesparlafouguedesonbaiser,surl’endroitdemajoueoùsabarbenaissantealaisséma peau en feu. Il n’est plus question de voile d’énergie entre nous, il n’y a que sa peau

Page 106: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

contrelamienne.

Unsouriremerveilleuxilluminesonvisage,etilpromènesesdoigtslelongdemoncou,demonépaule.Puisseslèvressuiventlemêmemouvement,etjel’entendspenser:

—Toutceciestbienréel.Nousn’avonspasbesoindeprotectionici,nousnecouronsaucundanger.

Aussitôt,monesprits’emballe.

—Tuveuxdire…tucroisqu’onpourrait…?

Maisilsoupireetmeprendlamain.

—J’aibienpeurquetoutcelanesoitquelethéâtredupassé.Onpeutéviterd’enrevivrecertainesparties,maisonnepeutpaslemodifier,niajouterdesexpériencesqu’onn’yapasvécues.

Cettenouvellem’attristeuninstant,puisjedécidedeprofiterdecequinousestpermis,etattireDamencontremoipourun longbaiser sansbarrièred’énergie, commenousn’avonspaspuenéchangerdepuisdesmois.

Soudainledécorchange,maisnotreétreinteperdure.

Nousnous trouvonsàprésentdans l’écuriedemonpère,unrichenobleanglais.Damenesthabillépourunepartiedechasseàcourre,etjeporteunevestecintréerougepar-dessusmesculottesd’équitation.

Puisnousnousembrassonsaubordd’une rivièreenNouvelle-Angleterre, lui vêtud’unestrictechemiseblancheetd’unpantalonnoir,etmoid’unerobesévèreboutonnéejusqu’aucou.

Enfin,nousvoilàdansunchampdetulipesrougesdontlacouleurrépondàmachevelureflamboyante.Cette fois,Damenest en tenued’artiste–ample chemisede soie etpantalonfluide–etjeneportequ’unfinvoilageocredrapéautourdemoipourrévélermescourbes.Parfois,Damen s’écarte le temps d’ajouter un coup de pinceau àmon portrait,mais ilmereprendbienvitedanssesbraspourm’embrasserdeplusbelle.

Mes vies passées ne se ressemblent pas, pourtant notre histoire se déroule presquetoujoursàl’identique.Damenmeretrouveetjetombeéperdumentamoureuse,maisiltientàgagnermaconfianceavantdemeparlerdel’élixir.Chaquefois,sapatienceserévèlefatale,carDrinatrouvetoujourslemoyendesedébarrasserdemoietn’hésitepasàagir,elle.

— C’est pour ça que tu n’as pas perdu une seconde lorsque tu m’as trouvée aprèsl’accident?

Dans la chaleur de ses bras, la joue posée contre son épaule, je vois la scène selon saproprevision.Aprèsm’avoirretrouvéequandj’avaisdixans,grâceàunpetitcoupdepoucedeRomyetRayneetde l’Étéperpétuel, ilaattenduquelquesannéesavantd’emménageràEugène,dans l’Oregon.Ilvenaitdes’inscriredansmon lycée, lorsqu’unaccidentdevoiturem’aprivéedemafamilleetafaitdéraillersesplans.

Jelevoissurleslieux,éperdu,nesachantquefaireniàquidemanderconseil.Soudain,lemince fil d’argent qui relie mon âme à mon corps s’étire et casse, et Damen panique. Sadécisionestprise:ilsaisitsabouteilled’élixiretlaporteàmeslèvrespourmefairereveniràlavie,unevieéternelle…

—Desregrets?medemande-t-ild’unairanxieuxquimesuppliedenerienluicacher.

Page 107: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Maisjefais«non»delatêteetl’entraînedansunnouveaubaiser,aumilieudestulipesdel’Etéperpétuel.

Page 108: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

vingt-trois

—Tuesprête?

Damenmecaresseleslèvresduboutdesdoigts,etcecontactatténuéparlevoiled’énergieme rappelle les baisers si réels que nous venons d’échanger. Je suis tentée de retourner àl’Étéperpétuelsur-le-champpourrecommencercedélicieuxvoyagedansletemps.

Maisjenepeuxpas,nousnepouvonspas.Nousnoussommesfaitunepromesse,etmêmesicequim’attendnepeutenaucuncasrivaliseraveclecadeauqueDamenvientdemefaire,ilm’estimpossibledetournerledosàlasurprisequemeréserventSabineetmesamis.

Jeconsidèrelamaisondevantlaquellenousnoustenons:unefaçadetoutesimple,maisjolie.Elleseraitpresqueaccueillantesijenegardaislesouvenirdesévénementsatrocesquis’ysontdéroulésiln’yapassilongtemps.

—EtsionretournaitàParis?dis-je,àmoitiésérieuse.Jeneplaisantepas,Damen.Tun’esmême pas obligé de gommer les moments les plus pénibles. Franchement, j’aime encoremieuxporterunegrosserobemarronquigratteetnettoyerleslatrinesqued’affronterça.

Damenéclatederireetsesyeuxbrillentd’unairamusé.

—Leslatrines?Jesuisdésolédetedécevoir,Ever,maisiln’yavaitnilatrinesnicabinetsdetoilette,encetemps-là.C’étaitl’époquedespotsdechambre,machère.Etjet’assurequec’estunsouvenirquetunevoudraispasrevivre.

J’imagine la chose, et nepeux réprimerune grimace écœurée.Direque j’ai dû vider cesmachins!Jefrissonneetlance:

—Tuvois,j’aimeraispouvoirexpliqueràM.Munozque,sijen’accrochepastropavecsescours,c’estparcequel’Histoireperddesonintérêtquandonaétéobligédelavivre.

Damenrit,latêterejetéeenarrière,etjenerésistepasàl’enviededéposerunbaiserdanssoncou.

—Crois-moi,Ever,onl’adéjàtousvécue.Laseuledifférence,c’estquelamajoritéd’entrenousnesesouvientderien,etn’ajamaisl’opportunitéderevivrelepassé.

Soudain,sonvisageredevientsérieux.

—Alors, tuesprête?Jesaisquec’estunpeubizarre,et jenem’attendspasàcequetureprennes confiance de sitôt, mais tout le monde t’attend. On leur doit au moins cinqminutesd’attention,etdeleurdonnerl’occasiondecrier«joyeuxanniversaire»,non?

Jeplongelesyeuxdanssonregardfrancetchaleureux,etjesaisquesijedisais«non»,sije montrais la moindre réticence, il neme forcerait pas à y aller. Mais je ne vais pasmedégonfler. Ilaraison, il faudrabienque je lacroiseun jour,detoute façon.Etpuis, jesuiscurieusedevoircommentellevas’yprendrepourmeconvaincreenfaceàface.

J’acquiescedoucementetm’approchedelaporte,lorsqueDamenmelance:

—Etrappelle-toi,essaied’avoirl’airsurpris.

Il frappe deux coups brefs, puis fronce les sourcils lorsqu’il se rend compte qu’il n’y apersonnederrièrelaportepourcrier«surprise»enchœur.

NousentronssansbruitetnousdirigeonsverslacuisineoùAva,vêtued’unesimplerobemarronetdesandalesdorées,estentraindeseservirunverred’uneboissonrougevifdans

Page 109: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

unpichet.

Ellevoitmonairsoupçonneuxetéclatederire.

— C’est de la sangria, Ever ! Franchement, combien de temps va-t-il te falloir pourmerefaireconfiance?

Jehausselesépaulesenguisederéponse.Jedoutequecelaarriveunjour,malgrécequem’aditDamen.J’aibesoinqu’Avameracontesaversiondesfaits,etaprèsonverra.

Ellenesemblepasseformaliserdemonsilenceetajoute:

—Toutlemondeestdanslejardin.Alors,surprise?

—Parl’absencedesurprise,oui.

Undemi-sourirem’échappe,maisc’esttoutcequejesuisprêteàluiaccorder.Etencore,elleledoitsurtoutaufaitqu’elleaitprislesjumellesàsacharge,cequiveutdirequelavraievierecommencepourDamenetmoi.

Ellepartd’unrireinsouciantetnousfaitsignedelasuivre.

—Ah!Doncçaamarché!Ons’estditqueleseulmoyen,c’étaitdefairelecontrairedeceàquoitut’attendais.

JesorssurlaterrasseetvoisRomyetRayneassisesdansl’herbe,occupéesàpiocherdesperlesmulticoloresdansungrandsaladier,pourenfairedescolliersqu’ellespassentensuiteaucoud’unestatuedeBouddhaenpierre.Àcôtéd’elles,Judeestallongésurledosausoleil,les yeux fermés et les bras comme neufs, grâce à notre petit saut à l’Été perpétuel. Maismalgré l’étincelled’amouretdechaleurquimeparcourtquandDamenmerejointetprendmamaindanslasienne,jesuistristedevoiràquoiestréduitmonpetitgrouped’«amis».

Une femme qui ne m’inspire guère de sympathie et encore moins de confiance ; deuxgamines qui me détestent ouvertement – enfin, l’une plus ouvertement que l’autre, maisquandmême;etungarçonquim’aimedepuisplusieursvies,cequifaitdeluilerivaljurédemonâmesœur…Laseulechosequimeréconforte,c’estdesavoirquesiMilesn’étaitpasàFlorence,ilseraitlà,luiaussi.

Haven,enrevanche…

Aprèslesortquim’arendumavolontéetmonapparence,j’aiessayédeluiexpliquercequim’étaitarrivé,maiselleétaittropfurieusepourm’entendre,etn’afaitquehurler.J’aidoncdécidédeluilaisserunpeudetempspoursecalmer.Jen’avaispasvraimentlechoix,etjenepeuxqu’espérerqu’ellefinisseparvoirquiestréellementRoman.

Maisalorsquejecontemplemapauvrepetitefêted’anniversaire,jemerendscomptequej’aiperduHaven–saconfiance, sonamitié–et jenesaispassi jepourrai réparercelaunjour. Quelle ironie ! Au moment où nous avons tellement plus de choses en communqu’avant,oùjepourraisenfinluiconfierlessecretsquimepèsentdepuisquejelaconnais,jemedébrouillepourtoutgâcher,àtelpointqu’ellepréfèremelaissertomberpourselieravecmonpireennemi.

Jepousseunpetitsoupirdépité,quandsoudainHonorsortdelamaisonetvas’installerjuste à côté de Jude. Elle s’assoit dans l’herbe et arrange sa jupe autour d’elle d’un gestenatureletassuréquimelaissebouchebée,mêmelorsqu’ellesetourneversmoietm’adresseuntimidesignedelamain.

J’aimerais parler, mais le nœud qui s’est formé dans ma gorge m’en empêche. Je lui

Page 110: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

répondsparunhochementdetêteincrédule.

Ilssortentensemble,maintenant?Oualorsilssontjustecopains,etc’estleurintérêtpourlamagiequilesarapprochés?Illefaitexprès,ouiln’avraimentpassaisiquandjeluiaiditqueHonor etmoi étions seulement camarades de classe, pas amies, et que ça faisait unesacréedifférence?

Je parcours du regard la petite troupe assemblée sur la pelouse, etmon cœur se serre.Voilààquoij’ensuisréduite.Unandanscetteville,àessayerdereconstruiremavie,etmaseulerelationunpeusolideestcelleavecDamen.Heureusementqu’elleestsolide,d’ailleurs,parcequejedoisbienreconnaîtrequejel’aipousséàboutplusd’unefois.

Ava s’éclaircit la voix et nous propose quelque chose à boire, sans doute pour jouer lanormalitédevantHonoretJude. Ils sont lesseuls iciànepasconnaître lavéritéencequinousconcerne,Damenetmoi–enfin,pastoutelavérité.

Jerefused’ungeste,ettentedemeconvaincrequec’estmieuxainsi.Aprèstout,moinsjem’attache,pluslesadieuxserontfaciles,lemomentvenu.Maisj’aibeauvoirlapertinencedecetargument,celanecomblepaslevidequejeressens.

Jedéposeunrapidebaiser sur lamaindeDamenet lui envoieunmessage télépathiquepour luidiredenepass’inquiéter,que je reviens toutdesuite.Puis je tourne les talonsetrentredanslamaison.Mapremièreidéeétaitd’allerdanslasalledebainsmepasserunpeud’eau sur le visage.Mais quand je vois la porte de la petite pièce sacrée d’Ava au fond ducouloir, jedécided’yentrer.Quellen’estpasmasurprisedeconstaterque lesmursvioletsontétérepeintsdansdestonspastel!CedoitêtrelachambredeRomy,Raynenechoisiraitjamaisundécoraussisucré.

Jem’assois auborddu lit etpasse lamaind’ungestemachinal sur leduvet vert tendretandisquemerevientlesouvenirdujouroùtoutachangé.Lejouroùj’aiditadieuàDamen,et où j’ai été assez stupide pour le confier aux bons soins d’Ava. J’étais alors fermementconvaincuedeprendrelabonnedécision,bienloindemedouterquecetteminute-làauraitdetellesrépercussionssurlerestedemavie–autantdirel’éternité.

Jepousseungrossoupiretmeprendslatêteentrelesmains.Ilesttempsdemesecouer,deretournerdanslejardin,bavardercinqminutes,puistrouveruneexcusepourm’éclipserpoliment. Jeme frotte les yeux etme passe unemain dans les cheveux, prête àme lever,quandAvaentredanslachambre.

—Ah,Ever.Çatombebien,jevoulaisteparlerseuleàseule.

Jememords la lèvrepourmeretenirde luisauterdessusetde la frapperauniveaudesseptchakraspourdéterminerunebonnefoispourtoutesdequelcôtéellesetrouve.Maisjen’enfaisrien.Jeresteassiseetattendsqu’elleparle.

Elle va s’appuyer contre la coiffeuse de Romy et croise les chevilles,mais pas les bras,commepourmemontrerqu’ellen’éprouvenulbesoindeseprotéger.

—Tuavaisraison,tusais.Jeneniepasm’êtreenfuieavecl’élixirenlaissantDamensansdéfense.Jenepeuxplusrienchangeràcela.

Je croise son regard, etmoncœurbat à se rompre. Je saisdéjà tout cela,Damenme l’aexpliqué,maisc’esttoutautrechosed’entendrecetteconfessiondelabouched’Ava.

—Mais jene voudraispasque tu en tiresdes conclusionshâtives.Les choses sontpluscompliquéesquetunelecrois.Parexemple,jen’aijamaisétédemècheavecRoman.Nous

Page 111: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

nesommespasamis,et jen’ai jamais travailléavec luidequelque façonquecesoit. Il estvenupourquejeluiliseletarot,c’estvrai.C’étaitilyalongtemps,jecommençaisàpeineàproposer mes services. Et pour être honnête, son énergie était tellement étrange,déconcertantemême,quej’ai faituneprièrepour luiet l’airenvoyéaussitôt.Non,si jen’aipashonorémapromessedesecourirDamen,c’estpouruneraisonbienpluscomplexe…

—Sansblague.

Ilesthorsdequestionquejelalaissebroderouenjoliverleschoses.

Égaleàelle-même,ellenese laissepasdéstabiliserparmagrossièretéetcontinued’unevoixdouce.

— J’avoue qu’au début, j’étais un peu éblouie par tous les possibles quem’offrait l’Étéperpétuel.Comprends-moi,celafaitsi longtempsquejesubviensseuleàmesbesoins,sansl’aidedepersonne,etjet’assurequec’estparfoistrès…

—Tuvoudraispeut-êtreque je teplaigne?Parcequesic’est lecas, laisse tomber,çaneprendrapas.

—Non,jevoulaisjustet’expliquerunpeulecontexte,c’esttout.Jenecherchepasàgagnerta sympathie, crois-moi. Si j’ai appris une leçon importante, c’est de toujours prendremesresponsabilitéssansdétours.J’essayais justede te fairecomprendrepourquoimapremièreréactionaétéaussiégoïstequandj’aidécouvertlepotentieldel’Étéperpétuel,pourquoij’aiétégriséeparlapossibilitédemanifesterinstantanémenttoutcequejedésirais.Jesaisquej’en ai abusé, et je sais combien ça t’agaçait.Mais il nem’a pas fallu bien longtemps pourcomprendrequ’unpalaceremplidetrésorsnesuffiraitpasàmerendreheureuse,niicinilà-bas. C’est alors que j’ai entrepris d’améliorer mon karma. Bien sûr, j’avais déjà ma piècesacréeetmesméditationsquotidiennes,maiscelanesuffisaitpas.Cen’estque lorsque j’aidécidéd’accéderauxGrandsSanctuairesdelaConnaissancequej’airéellementcommencéàappliquer moi-même les conseils que je débitais aux autres depuis des années. Et voilàcomment j’en suis arrivée à abandonner toute poursuite de biens matériels pour meconcentrersurcetuniqueobjectif.Àpartirdelà,ilnem’apasfallulongtempspouratteindrel’Akasha,etjeneregretteabsolumentrien.

Je la dévisage à travers mes paupières plissées, et penseGénial, bien joué Ava, bravo,bravo!

—Jesaiscequetues,Ever–cequevousêtes,Damenettoi.Etbienquejen’approuvepasentièrementvotrechoix,jenemepermettraispasd’interféreravecvotrevie.

Jelafusilleduregard.

—Ahbon?C’estpourçaquetuasessayédeletuer,sansdoute?C’estcommeçaquetutedébarrassesdestrucsquetun’approuvespas,commetudis?Parceque,tuvois,j’appelleça«interférer»,moi!

Ellesecouelatêteetsoutientcalmementmonregard.

—Jenesavais riende toutcelaquand je suispartieavec l’élixir.Àcemoment-là, j’étaispersuadée que ton plan fonctionnerait, comme tu le croyais toi-même. Je pensais que turetrouveraistavied’avant,etqueDamenseraitguéri.Jenesavaispasexactementcequ’étaitl’élixir, mais je m’en doutais, et j’admets que je comptais en boire. Sauf qu’au derniermoment, jen’aipaspu.Jecroisque j’aiétérattrapéepar l’énormitédesconséquences–cequecelaimpliquaitdevivreéternellement.Cen’estpasquelquechoseàprendreàlalégère,

Page 112: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

tunetrouvespas?

Jehausselesépaulesavecun«pff»dédaigneux.Jusqu’ici,ellenem’aencorerienditquipuissemefairechangerd’avissursoncompte.D’ailleurs,jenesuistoujourspasconvaincuequ’ellen’apasbul’élixir.

—Bref,j’aifiniparviderlabouteilleparterre,matérialiserleportailpourl’Étéperpétuel,etpartirenquêtederéponses…etdepaix.

—Etalors?dis-jed’untonblasé.

—Etalors,j’aitrouvé,répond-elleavecungrandsourire.Mapaixintérieurerésidedanslaconnaissancequechacundenousaunedestinéeàaccomplir.Àprésent,jesaisquelcheminjedoissuivre.Jesuisicipourpartagermesdonsavecceuxquienontbesoin,pourvivresanspeur, dans la certitude que j’aurai toujours de quoi subsister, et enfin pourm’occuper del’éducationdesjumelles.

Ellemeregardecommesiellevoulaitmeserrerdanssesbras,maisfinalementelledécidedesepasserunemaindanslescheveuxetderesteroùelleest.Sagedécision.

—Écoute,Ever,jesuisdésoléepourtoutcequis’estpassé.Jenepensaisvraimentpasqueleschosestourneraientainsi.Encoreunefois, jenevousjugepas,Damenettoi.Vousavezvotreproprerouteàparcourir.

—Ahouais,etellevaoù,cetteroute?

Sousletongrossierdemavoix,jesuisétonnéed’entendreunevraiequestion.Siellealemoindre indice sur ce queme réservema destinée, je suis preneuse. J’en ai assez demedébattredanslenoir.

Avamesouritgentimentetsesyeuxnoisettepétillent.

—Oh,non.C’estàtoideledécouvrir,Ever.Maisjesuisprêteàparierquetuneseraspasdéçue.

Page 113: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

vingt-quatre

Il est déjà tard, quand je rentre à lamaison. Damenme propose demonter mescadeauxdansmachambreetjesuistentéed’accepter,maisjerésisteetluidis«aurevoir»d’un rapide baiser sur la joue. Je n’ai qu’une envie : plonger sous la couette pour profiterseuledeladernièreheuredemonanniversaire.

Jemontel’escalierenprenantmilleprécautions,carjevoisdelalumièresouslaportedeSabine et je ne veux pas qu’ellem’entende.Mais j’ai à peine eu le temps de déposermescadeauxsurmonbureauqu’elleatraversélecouloiretentredansmachambre.Elleporteunpeignoird’unépaistissuécru,sidouilletqu’ondiraitunnuagedecrèmefouettée.

—Joyeuxanniversaire ! lance-t-elle avecun sourire, avantde jeterun coupd’œil àmonréveil.C’estencoretonanniversaire,n’est-cepas?

—Oui.Dix-septans,etpasunjourdeplus.

Sabines’assiedauborddemonlitetexaminelapiledecadeauxsurmonbureau.Avam’aoffertdeuxlivresésotériquesquej’aiplusoumoinslusàlasecondeoùj’aiouvertlepaquet;j’aireçuunegéoded’améthystede lapartdeJude,etdeuxtee-shirtsdes jumelles.CeluideRayneporte leslogan:«Tunematérialiserasriendonttunesachestedébarrasser»(trèsdrôle), et celuideRomyarboreunmotif coloréen spirale.Ellesontdû les trouverdans lamêmeboutiquedemagiewiccane.MêmeHonorm’a offert quelque chose : ellem’a glisséunecartedetéléchargementiTunesenbafouillant:«Tuasl’aird’aimerlamusique,vuquetunetesépares jamaisdetoniPod,et tout…»Oh,etbiensûr,machambreestenvahiedebouquetsdetulipesrougesqueDamenadûfaireapparaîtreavantderepartir.Sabinesourit:

—Disdonc,c’estunsacrébutin,quetuaslà!

Jesuissonregardetessaied’adoptersonpointdevuepositif,plutôtqued’yvoirl’absencedemesdeuxmeilleursamis.

Je m’assieds sur ma chaise de bureau et enlève mes sandales, en espérant que Sabinecomprendralemessage.

—Jenevaispast’embêterlongtemps,dit-elle.Ilesttardettudoisavoirsommeil.

Je commence à protester pour la forme,maism’interromps vite. J’aime bien passer dutemps avec elle et je ne l’ai pas beaucoup vue ces dernières semaines, mais j’aimeraisvraimentpouvoirreportercettepetiteconversationàdemain,pourpouvoirprofiterseuledemasoirée.

Évidemment, elle a lu mon humeur, mais n’en comprend pas la cause, et elle froncelégèrementlessourcilsavantdeselancer.

—Alors,commentçava:Damen?Laboutique?Onsecroiseàpeine,cestemps-ci.

—Çavabien!Super,même,j’ajoutepouracheverdelaconvaincre.

Jevoislesoulagementdanssonregard.

—Entoutcas,tuasretrouvétabonnemine.Tuavaistellementmaigri,je…

Elles’interromptetuneombrepassesursonvisage,unrésidud’inquiétudequimedonnehontedemoi.Maiselleseressaisitaussitôt:

—Bref,cequicompte,c’estquetuaiesretrouvélaforme,ettajoliepeaudepêche!Etjevoulaistedire…euh…quandjet’aiparlédetetrouverunjobd’été,jepensaisjusteàunpetit

Page 114: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

mi-temps,quelquesheuresparjour,histoirequetunet’ennuiespas.Jenepensaispasquetutravailleraisautant.Franchement, j’ai l’impressionque tu faisdeplusgrosses journéesquemoi !Alors, voilà : la fin de l’été arrive, les coursne vont pas tarder à reprendre, et jemedisaisque ce serait peut-être lemomentdedémissionner etdeprofiterunpeude laplageavectesamis?

Jehausselesépaules.

—Quelsamis?

Monestomacsenoueetleslarmesmepiquentlesyeux,maisçayest,jel’aidit.J’aienfinadmiscettevéritéquimedésole.Sabineaccuse le coupetne trouvepas toutdesuitequoirépondreàcela.Puis,ellemeregardedanslesyeuxetdésigned’ungestelescadeauxsurmonbureau.

—Excuse-moidetecontredire,Ever,maisjecroisquecesontdespreuvesd’amitié,non?

Jefermelesyeuxetfais«non»delatêteavantdemedétournerpourqueSabinenevoiepasleslarmesroulersurmesjoues,tandisquejepenseàmameilleureamie,quin’étaitpaslàaujourd’huietneserasansdouteplusjamaislàpourmoi,àcausedumonstrequejesuisdevenue.

—Ever?Çava?

Sabine s’avancepourmeprendredans sesbras,mais se souvientaussitôtque jepréfèreéviterqu’onmetouche.

Jem’essuielesjouesetfais«oui»delatêtepourlarassurer.Jesenssoninquiétude,etjem’enveuxterriblementdeluicauserautantdesouci.Surtoutquejevaisbien,vraiment:jen’aiplus l’aird’unépouvantailboutonneux, leschosesse sontarrangéesavecDamen,et jen’aiplusressenticettepulsationbizarredansmoncorpsdepuiscettenuit-là,surlaplage.Etpuis, même si ma famille me manque toujours terriblement, même si je sais que je vaisdevoir dire adieu à Sabine dans un avenir proche, Damen sera toujours là, à mon côté.L’annéequivientdes’écoulerm’aaumoinsfaitcomprendreunechose,c’estàquelpointilm’estdévoué–àmoietànotrerelation.Mêmequandlasituationparaissaitinextricable,ilnes’estpaslaissédécourager.Quedemanderdeplus?Après,lereste…ehbien,ilfautfaireavec,voilàtout.

JelèvelesyeuxversSabineethochelatêted’ungesteplusassuré,cettefois.Oui,jevaisbien.J’aiprisunedécision,ilyaquelquesmois:j’aivouémavieàl’immortalité,etilnesertàrienderegarderenarrière.Jen’aiplusqu’àreleverlatêteetallerdel’avant.

JesourisàSabine,etc’estunvraisourire,quifaitpétillermonregard.

—Çava,net’inquiètepas.Unpetitcoupdeblues,c’esttout.Lajoiedesesentirvieillir,situvoiscequejeveuxdire…

Elleéclatederire.

—Ohoui, jevois trèsbien !Celadit, jenecompatiraivraimentquequandceseraà tontourd’avoirquaranteans.

Elleselèvedemonlitpourpartir,maisseretourneavantd’arriveràlaporte.

—Oh, j’ai faillioublier !Je t’ai laisséquelquesbricolessur tacoiffeuse.Jepenseque tuserassurprisedemoncadeau…je t’avoueque je l’aiétémoi-mêmequand je l’ai trouvé.Etpuis, j’avaisaussi enviede t’emmenerdéjeuneret faire lesboutiquesundeces jours, si tu

Page 115: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

peuxtrouveruncréneaudanstonemploidutempsdeministre.

—Oui,avecplaisir!

Je suis presque surprise de constater que ce n’est pas unmensonge. Je serais vraimentraviedepasserunpeudetempsavecelle,entrefilles.

—Oh,etpourcequiestdelacarte,jenesaispasdequiellevient.Jel’aitrouvéesouslaporteenrentrantcesoir,etilyavaittonnomdessus,alors…

Je jetteuncoupd’œil àmacoiffeuseet remarque,à côtéd’unpaquet rectangulaire,unegrandeenvelopperosequisemblerayonnerd’unelueurmenaçante,maléfique.

—Bon, je te laisse.Et encore joyeuxanniversaire ! Il te restequelquesminutesàpeine,profites-enbien!

Dès que Sabine referme la porte derrière elle, jeme précipite sur le paquet qu’ellem’alaissé,etcomprendsdequoiils’agitaupremiercontact.

Je déchire le papier-cadeau comme une gamine et soulève le couvercle de la boîte pourdécouvrir un mince album en cuir violet, qui contient toutes les photos de ce week-endfatidique au bord du lac, notamment celle que j’ai vue à l’Été perpétuel. Tandis que jeparcoursl’album,jemedemandesic’estRileyquiaorchestrétoutça,etsiellemevoitencetinstant.Jenecherchepasàl’appeler,celanesertjamaisàrien;jemecontentedemurmurerunfaible«merci»enessuyantmeslarmes.Puis,jeplacemonprécieuxcadeausurmatabledenuit,oùjepourraileregarderaussisouventquejeveux,etsaisisl’enveloppeoùmonnomest écrit en lettres exagérément ornées. Aussitôt, elle se met à scintiller dans ma mainsoudainglacée,etjesaisqu’ellevientdelui.

Jeglisseunonglesouslerabatetsorslacarteroseàpaillettes,oùRomanaécrit,dansuncoin:

Ilesttempsdecueillircequetudésirestant,

Pourtonanniversaire,jet’accordeunetrêve.

Retrouve-moicesoir,avantminuitsonnant,

Unesecondetroptard,ets’envoletonrêve.

Àbientôt,mabelle!

Roman

Page 116: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

vingt-cinq

J’arrivedevantchezRomanquelquesminutesàpeineavantminuit–deux,pourêtreprécise.Jecroiselesdoigtspourquesamontren’avancepaset,aulieudedéfoncersaportecomme àmon habitude, je frappe poliment et attends. S’il m’a réellement fait venir pourconclureunetrêve,unpeudetenuenepeutpasfairedemal.

Je compte les secondes sans quittermamontre des yeux, et finis par entendre le bruitétouffédesespas.Monheureestvenue,lamagievaenfinm’accordercequejedésire.

Laportes’ouvresoudainsurlui,ilmeconsidèredesesyeuxbleusétincelants,sourireauxlèvres.Ilporteungenredepeignoirdesoienoireouvertsursespectorauxbronzés,etunjeandélavéquiluitombesurleshanches.

Ilsuffitd’unregard,etriennevaplus.Jecommenceàtremblerdespiedsàlatête,j’ailesgenouxencoton,etmoncœurs’emballeaurythmedecettepulsationatrocementfamilière.J’entrevoisseulementl’horriblevérité.

Lemonstren’estpasmort!Iln’apasdisparu!Ils’étaitréjugiédansuncoindemonêtre,pourreprendredesforcesenattendantsonheure…

Jedéglutisavecpeine,etadresseàRomanunpetitsignedetêtecommesitoutallaitbien.Jedevineàsonexpressionmoqueusequ’ilsaitexactementcequisepasseenmoi,maisjenepeuxplusreculer,pasquandcedontj’aitantbesoinestenfinàmaportée.

Romaninclinelatêtesurlecôtéetm’inviteàentrersansmequitterdesyeux.

—Tuesàl’heure,j’ensuisravi.

Jesuisencoredansl’entréequandbrusquement jem’arrête,prised’undoute.MapâleursoudainesembleamuserRomanauplushautpoint.Ilpassedevantmoietmefaitsignedelesuivre,tandisquejemeplaquecontrelemurenbredouillant:

—Àl’heurepourquoi,exactement?Qu’est-cequisepasse?

Iléclatederireetmejetteuncoupd’œilpar-dessussonépaule.

—C’esttonanniversaire,voyons!ConnaissantcecherDamen,iladûsemettreenquatrepourquecettejournéesoitvraimentspécialepourtoi.Pourtant,jesuissûrquelasoiréequejevaist’offrirleseraencoreplus…

Je reste plantée dans l’entrée, fermement décidée à ne pas le suivre. J’ai beau tremblercommeunpantindésarticulé,mavoixrestecalmeetposée.

—Situveuxmefaireuncadeau,alorstienstapromesseetdonne-moicequejeveux.Netefatigue pas à me proposer un verre ou autre, je n’accepterai pas. Venons-en aux chosessérieusestoutdesuite,siçanet’ennuiepas.

Romansepasseunemaindanslescheveuxavecunsourirecarnassier.

—Ehben…cevieuxDamenestunsacréveinard!Pasdetempsàperdreenpréliminaires,à ceque je vois.Tuesdoncdugenreà sauter l’entréepourpasser toutde suiteauplatderésistance…intéressant.Situveuxtoutsavoir, jesuisonnepeutplusd’accordavectoi,mabiche.

Jem’efforcedegarderl’airneutreetimpassible,denepasmontreràquelpointsesparolesmetroublent.Aucreuxdemonventre,laflammedesténèbresestréveilléeetbrûlecommejamais,attiséeparlaprésencedeRoman,quipoursuit:

Page 117: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

—Tun’aspeut-êtrepasenvied’unverre,maisilsetrouvequemoi,si.Etpuisquejesuistonhôtepourlasoirée,j’aibienpeurquetunesoisobligéedeteplieràmonbonvouloir.

Surce, il sedirigevers le salondansun tourbillondesoienoire,etpassederrière lebarpour se servir une bonnemesure de liquide rouge dans un verre en cristal. Il fait tournerl’élixirdans le verre sousmonnez, et en voyant les gouttes écarlates le longdesparoisdecristal, je repense à la transformation deHaven. De nouveau jeme demande si l’élixir deRomann’estpaspluspuissantqueceluideDamen,ets’ilsn’ontpasunavantagesurnous.Sij’en buvais, est-ce que je deviendrais plus forte, ou est-ce que cela me rendrait aussifollementdangereusequ’eux?

J’écarte cette question troublante etme force à tenir bon,maismes doigts fourmillent,mesdentss’entrechoquent,etjesensquejesuissurlepointdecraquer.

Romanlèvesonverreetboitunelonguegorgéeavantdelancer:

—Au fait, jesuisvraimentdésoléque leschosesse terminentsimalentreHavenet toi.Queveux-tu,lesgenschangent,etcertainesamitiésnesontpasfaitespourdurer.

—Jen’aijamaisditquejelaissaistomberHaven.Jesuissûrequ’onarriveraàrecollerlesmorceaux.

Mais je suis loin de ressentir l’assurance que j’affiche, et lorsque j’aperçois l’OuroborosdanslecoudeRoman,l’étrangepulsationquim’agitegagneenintensité.

Ilmedévisage, toutenpassantundoigt finautourducristaldesonverre,et sonregards’attardesurledécolletédemarobeavecuneinsolencecalculée.

—Tu es sûrede ça,mabiche ?Parce que, sans vouloir t’offenser, j’ai déjà vu ce que çadonnequanddeuxfortestêtesveulentlamêmechose.Etengénéral,l’unedesdeuxfinitparsouffrir–oupire.Tul’asdéjàoublié?

Jem’avanceverslui–parmaproprevolonté,pascelledumonstre,mêmes’iln’aaucuneobjection–etsiffle:

—Maisc’est làque tu te trompes,Havenetmoinevoulonspasdu tout lamêmechose.Elleteveuttoi,alorsquemoi…

Ilm’examinederrière sonverre levé, et jene voisque ses yeux tropbleuspar-dessus leliquiderouge.

—Alorsquetuveuxquoi,toi?

Jehausselesépaules,etcroiselesmainsdansmondospourqu’ilnelesvoiepastrembler.

—Tulesaisdéjà.C’estmêmepourçaquetum’asfaitvenir,n’est-cepas?

Ilhochelatêteetposesonverresurlasurfacepoliedubar.

—Oui,maisj’aimeraistel’entendredire,j’adoreraisvoirlesmotsseformersurteslèvres…

Jesoutienssonregardsuggestif,puismesyeuxselaissentattirerparseslèvrescharnues,seslargesépaules,sonventreplatetmusclé…Maisjemereprendsetlanced’untoncassant:

—L’antidote.C’estça,quejeveux,ettulesaistrèsbien.

Àpeineai-jefinideparlerqu’ilsetrouveàcôtédemoi,levisageimpassible,etquandsonbraseffleurelemien,jereçoisunevaguedefroidapaisante.

—Jeveuxque tu sachesquemes intentionsen te faisant venir ici sontonnepeutpluspures. J’ai vu combien tu as souffert ces derniers mois, et je suis pleinement disposé à

Page 118: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

t’accordercequetudésires,mêmesi jedoisdirequelespectacleétaitplutôtdrôle–enfin,pour moi du moins. Mais je suis comme toi, Ever, je veux aller de l’avant, c’est-à-direretourneràLondres.Cettevilleestbeaucouptroptranquilleàmongoût,j’aibesoind’unpeuplusd’action.

—Tut’envas?

Ces mots sont sortis si vite que je ne sais pas qui, de moi ou du monstre, en estresponsable.Romanm’adresseunsourirelangoureux.

—Pourquoi,jevaistemanquer?

—Tuveuxrire?dis-jeavecunpetitricanementquinepeutcacherletremblementdemavoix.

—Arrête, jevaismevexer.Maisavantdepartir, jevoudraisréglerquelquespetitsdétailset,étantdonnéquec’esttonanniversaire,autantcommencerpartoi.Jesuisprêtàt’offrircequetudésirespar-dessustout,laseuleetuniquechosequicomptevraimentetquepersonned’autrenepeutt’apporter.

Ileffleuremonbrasduboutdudoigtetsedétourneaussitôt,mais le feuglacialdecettecaressedemeure.

Jeleregardes’éloigner,etmerappellequejenepeuxsurtoutpasmepermettredegâchercettechance.Jedoism’efforcerderepenserà ladouceurmagiquedes lèvresdeDamensurlesmiennes, il y a de cela quelques heures à peine. Je suis tout près de pouvoir retrouverpleinementcettesensation,maispourcelailfautquejegardelamainmisesurlemonstre.

Romanseretourneetmefaitsignedelesuivre,avantdeclaquerlalangued’impatienceenmevoyanthésiter.

—Crois-moi,jen’aiaucunementl’intentiondetepiégeroudetetraînerdansmachambre.Nousauronstout letempsdejoueràçaplustard,sic’estcequetuveux.Maisd’abord, j’aiprévuquelquechosed’unpeuplus technique.Est-ceque tuesdéjàpasséeaudétecteurdemensonges?

Jefroncelessourcils.Jenevoispasoùilveutenvenir,maisjememéfieetnelequittepasdes yeux tandis qu’ilme conduit dans le jardin, jusqu’à une sorte de garage reconverti enlaboratoiredesavantfoucollectionneurd’antiquités.

—Celamedésoledetel’annoncer,mabiche,etjenevoudraissurtoutpastefroisser,maisilt’arrivedementir–surtoutquandçat’arrange.Etpuisquejesuisunhommeintègreetquejet’aipromisdet’offrircequetusouhaitesplusquetoutaumonde,jetiensàcequ’iln’yaitpas lemoindremalentenduquant à l’objetde tondésir.Tudoisbienavouerqu’il sepassequelque chose d’étrange entre nous. Tu n’as quandmême pas oublié la façon dont tu t’eslittéralementjetéeàmespiedsladernièrefoisquetuesvenuemerendrevisite?

—Cen’estpas…

Romanm’interromptd’ungeste.

— Oh, je t’en prie, épargne-moi les excuses bidon. J’ai unmoyen très sûr d’obtenir lesréponsesauxquestionslespluscruciales.

Jememordslalèvreenapercevantunenginquej’aidéjàvuàlatélé.Commesij’allaismelaisserattacheràunappareilqu’ilasansdoutetruqué!

Jetournelestalonsetlance:

Page 119: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

—Laissetomber.Tuvasdevoirmecroiresurparole.C’estçaourien.

Jesuisàpeinearrivéeàlaportequ’ilmerappelle.

—Ilyauraitbienuneautresolution…Jemeretourneetilpoursuit.

—Garantiesanstrucagepossible,dumoinspourdesimmortelscommenous.Enplus,tuvas apprécier, c’est en parfait accord avec toutes les salades du genre « tout n’estqu’énergie»,quetuaffectionnestant.

Jepousseungrossoupirbienaudibleettapedupiedpourluisignifiermonimpatienceetévacuerunpeudelatensionquimonteenmoi.

Mais Roman n’a pas l’intention de se laisser bousculer. Il prend le temps de lisser lesmanchesdesavesteavantdeleverlesyeuxsurmoi.

—Vois-tu,Ever, ilestscientifiquementprouvéquelavéritéesttoujoursplusfortequ’unmensonge. Toujours. Si on confronte un mensonge avec la vérité, elle gagnera à tous lescoups.Qu’est-cequetuenpenses?

Je lève les yeux au ciel pour luimontrer ce que je pense de sa théorie– et de tout soncirque.

MaisRomanesttropdéterminépourselaisseratteindreparmamauvaisehumeur.

—Etilsetrouvejustementqu’ilexisteuntesttrèsfacilepourvérifiercettesupposition.Iln’yabesoind’aucunappareil.Commeça,pasdetrucagepossible.Tuveuxessayer?

Euh,pasvraiment!

Voilàceque jepense–etque jevoudraisdire–mais lemonstremecoupe laparole,etRomanprendmonsilencepourunaccordtacite.

—Bon.Tuesd’accordpourdirequenoussommesdeforceégale,toietmoi?Queparmilesimmortels,iln’yapasdedifférencenotableentreleshommesetlesfemmesentermesdepuissanceoudevitesse?

Jehausselesépaules;jen’yaijamaisréfléchi,etçam’intéresseassezpeu.

—Maintenantjevoudraisprocéderàunepetitedémonstrationquetudevraistrouvertrèsenrichissante.Jetiensàpréciser,unefoisdeplus,quejen’aiaucuneintentiondetepiéger.Ilnes’agitpasd’unjeu,tun’asrienàcraindre.Jecomptevraimenttedonnercequetudésires,etjen’aipastrouvédemeilleurmoyendedétermineraveccertitudecequec’est.Etpourteprouverqu’iln’yapasdetrucagepossible,jevaiscommencer.

Joignantlegesteàlaparole,ilseplacedevantmoiettendunbrasparallèleausol.

—Maintenant, pose deux doigts surmon avant-bras et pousse vers le bas pendant quej’essaiederésister.Iln’yapasd’arnaque,jet’assure.

Jecroisesonregarddedéfi,etcomprendsquejen’aipaslechoix.Ildétienttouteslesclés,jenepeuxquejouerlejeuselonsespropresrègles.

Je baisse les yeux sur son bras tendudevantmoi, délicieusement bronzé etmusclé, quim’inviteàletoucher.Jesaispertinemmentquejerisquedelaisserjaillirlemonstre,maisjetente le tout pour le tout. Je serre les dents et pose deux doigts sur la soie de samanche.Aussitôtunevaguede froidglacialme fouette le sanget ravive la flammedes ténèbresquirugitdansmonventre.

LavoixdeRomann’estqu’unsouffleàmonoreille.

Page 120: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

—Tusensça?

Je n’éprouve plus que cette folle pulsation, ce feu qui brûle en moi et que seule peutapaiserladangereusefraîcheurdeRoman.

—OK.Maintenant,tudoismeposerunequestionàlaquellejepeuxrépondreparouiouparnonetdonttuconnaisdéjàlaréponse.J’aibesoind’unpetitmomentpourmeconcentreretformulermaréponseàlafoismentalementetverbalementpendantquetuessaiesdemefairebaisserlebras.Lavéritérenforce,etlemensongeaffaiblit.Voicitachancedeprouverlavaliditédecettethéoriesurmoi,etpuisceseraàtontour.C’estleseulmoyendedéterminercequetudésiresvraiment,Ever.Allez,vas-y,demande-moin’importequoi.J’aimêmebaissémagarde,pourquetupuissesliredansmespenséesquejenetrichepas.

Ilm’observetranquillement,etlepoidsdesonregardfaitbattremoncœurdeplusenplusvite,sivitequej’enperdslavoix.

—Pose-moiunequestion,Ever,n’importelaquelle,qu’onenfinisseetqu’onpuissepasseràtoi.

Jerassembletoutesmesforcespourtenterdem’ancrer,mestabiliser…maisrienn’yfait,c’estperdud’avance.Romanmedévisage.

—Peut-êtreque tupréfèrespasserdirectementauxchosessérieuses…Tuveuxque je teteste,c’estça?

Ilmelaisseletempsdepesermaréponse,etj’enprofitepoursupplierHécatedem’aideràrésisteretàobtenircequejesuisvenuechercher.Maisquandjerouvrelesyeux,jemerendscomptequemêmeHécatem’aabandonnée.Jesuisseule.

Romans’approcheetjesenssonsoufflesurmajouelorsqu’ilchuchote:

—C’estbien l’antidoteque tuveux,n’est-cepas?C’estbiençaque tudésires leplusaumonde?

Un«oui»retentissantrésonneaufonddemoi,etjelerépèteenboucledansmatêtepourqueRomanl’entende.Maisiln’entendriendutout.

Maréponseestrestéeimmatérielle,unsoncreuxdontl’échomeurtdéjàdansmatête.

JecroiseleregarddeRoman…etperdspiedaussitôt.

La flamme des ténèbres rugit et m’envahit d’un désir brûlant. Je ne contrôle plusmesmains,quiseperdentsursontorseetagrippentsapeaudorée.

Ilmesaisitlepoignetetm’attireàlui,leslèvreshumidesetlespaupièreslourdes.

—Doucement,mabelle,jen’aimepaslestigresses,mêmesijecicatricevite.

Il m’écarte un instant pour mieux me dévorer d’un regard prédateur, comme un fauvedevantsaproie.

—Etjeneveuxpasdeçaentrenous,ajoute-t-ilenarrachantmonamulettepourlajeteràl’autreboutdelapièce.

Jem’enmoquecomplètement,seulem’importelacaressedesesdoigtslelongdemondostandisqu’ilenfouitlevisagedansmescheveux,dansmoncou,etrespiremonodeur.Soudainilmesoulèveetm’emporte jusqu’àuncanapéoù ilmedéposedoucement.Puis il retiresavesteetdéboutonnesonjean,et jenepeuxm’empêcherde laissercourirmesmainssursapeau,del’attirercontremoi,presséedesentirseslèvressurlesmiennes.

Page 121: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Jepousseuncridefrustrationlorsqu’ilmerepousseendisant:

— Du calme, ma biche. Je croyais que tu n’aimais pas les préliminaires ? Et je suisd’accord, onaura tout le tempsde jouer,maisd’abord, ça fait…quoi, quatre sièclesque tuattendsça?

Jemeredressepourlesaisirparlesépaulesetmecambrepourlesentircontremoncorps.Jeveuxqu’ilmedésireautantquejeledésire.Jesuisprêteàfairetoutcequ’ilvoudrapourqu’ilm’embrasse–etsoudainjemesouviensdecequ’ilveut…

Ilsedébarrassedesonjeanetglisseungenouentremesjambes.

—Net’enfaispas,tun’aurasmalqu’uninstant,etaprès…

Ilme regarde– et le temps semble s’arrêter. Ses yeux sont voilés de désir et ses lèvress’entrouvrent de surprise. Enfin il me contemple avec cette expression d’extase quej’attendais,cetteexpressionquimeditqu’ilaautantbesoindemoiquemoi,delui.

Jepasseunbrasautourdesoncou,impatientedesentirsonpoidssurmoncorps,etilsepencheavecunmurmurederévérencepure:

—Drina!

Jemerecule,confuse,etdistinguedanssesyeuxlerefletdecequ’ilvoit:unechevelurerousse,unteintdeporcelaine,etdesyeuxvertémeraude…cen’estpasmoi!

—Drina!Oh,Drina…

Moncorpsrépondtoujoursàsescaresses,maismoncœurseserreetrefusedejouercettecomédie.Quelque chosene vapas–pasdu tout– et je commence àpeine à le distinguerlorsqueRomanm’enlèvemarobed’ungestefluide.

Je relève les yeux sur lui, et lemalaise disparaît.Mon cadeau d’anniversaire, ce que jedésiraistant,estenfinàmaportée.

Jesensconfusémentqu’àpartirdecemoment,rienneserapluspareil.

Plusjamais.

Romanenfouit le visagedansmon cou et je tourne la tête versunmiroir ancien, oùdenouveaujevoislerefletdunefillerousseausourirecruelquejereconnaisimmédiatement.

Voilàl’imagequ’ilvoitquandilmeregarde.Cen’estpasmoi!

—Tuesprête,monamour?souffle-t-ild’untonéperdu»

Jehochelatêteensilence,maiscen’estpasmoiquiréponds.Lemonstreaprislecontrôledemoncorps,maismoncœuretmonâmem’appartiennent.

Romanavaitraison,lavéritél’emportetoujours.

Heureusementpourmoi,monâmeconnaîtlavérité.

Jefermelesyeuxetmeconcentresurlechakraducœurjusqu’àvoirl’énergiejaillirdemapoitrineetrayonnerdeplusenplusfort.

Romanmurmureunnomdansmoncou,quin’estpaslemien.Toutàsonémotion,ilnevoitpasvenirmarébellion…nileviolentcoupdegenouquejeluidonne.

Sonhurlementdedouleurmepercelestympansetjemedépêchedeméloigner.Ilneluifaudrapasplusd’uneminutepourseremettre,etalorsilseraplusdangereuxquejamais.

Je me rhabille en vitesse, ramasse mon amulette et la noue autour de mon cou, puis

Page 122: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

parcoursduregardlepetitlaboratoire.

—Oùestl’antidote?Oùest-cequetulecaches?Romansecouelatête,etjecomprendsàsonregardquec’estdenouveaumoiqu’ilvoit.

—Ever,nomde…

—Dis-moi où il est ! jehurle, tout en essayantde rester concentrée surmon chakraducœur.Ilenfilesonjeanetpersifle:

—Nonmais tu rêves ?Tume fais un couppareil et tu voudrais que je t’aide, enplus ?Laisse tomber. Tu peux faire une croix sur ton antidote. Je t’ai laissé le choix, Ever, sanstricher,et tuaspris tadécision.Tusaiscommemoique j’étaissincèrementdisposéà te ledonner. Et non, il n’est pas ici, alors ne te fatigue pas à saccager mon labo. Non maisfranchement,tumeprendsvraimentpourundemeuré,ouquoi?

Il remet sa veste et la croise sur sa poitrine d’un geste sec, comme pourm’éviter toutetentation.Maislemonstreabeaurugir,jenel’écouteplus.C’estmoncœurquicommande,désormais.EtRomanl’abiencompris.

—Tonpetitcœurapeut-êtresauvélesapparences,Ever,maiscelanechangerienaufaitque tum’aies choisi,moi.C’estmoi, la chose que tu désires le plus aumonde.Dommage,parcequeaprèslasaleblaguequetuviensdemefaire,tun’aurasplusnil’antidotenimoi.Tantpispourtoi.

Ilme fusilledesesyeux tropbleus,etdenouveau la flammedes ténèbreschercheàmepousserverslui.Maisjerecule.

—Non,jeneveuxpasdetoi.Jenet’aijamaisvoulu.Cen’estpasmoi,c’est…Jen’ypeuxrien,jenecontrôlepasce…

Jememordslalèvre.Ilfautàtoutprixquejemetaiseetquejesorted’icitoutdesuite.Jenevoisqu’unseulmoyen,etc’estsansdoutetropdangereuxdefaireçadevantRoman,maisjenepeuxpascomptersurmesjambespourfuirtantqu’ilestdevantmoi.

Je serremonamulette dansunemain et visualise le voile de lumièredoréequimène àl’Étéperpétuel.Aumomentoùjefranchisleportail,j’entendsRomanderrièremoi.

—MapauvreEver,tun’asdoncpasencorecompris?Lemonstren’estautrequetoi,toncôtéobscur,tonombre…tunepeuxplusluiéchapper!

Page 123: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Vingt-six

J’atterris dans la merveilleuse prairie de l’Été perpétuel avec un sentiment deculpabilitéintense.Jen’auraispasdûfairecela.Romanm’avuedisparaître,etc’estunrisquequejen’auraisjamaisdûprendre.Maisjenevoyaispasd’autresolution.

Mavolonté commençait à céder, ébranléepar lemonstre enmoi.Quelques secondesdeplus,etlaprésencedeRomanauraitsignifiémaperte–lafinduvraimoi,etdetoutceàquoijetiens.

Jeviensd’apprendrequelquechosedecrucial :Romanaraisonsur toute la ligne.Si j’aiperdu,sijen’aipasobtenucequejeveux,c’estparcequelemonstreetmoinefaisonsqu’un.La frontière s’est brouillée, il n’y a plus de distinction entre lui etmoi. C’est désormais lemonstrequipiloteetprendtoutes lesdécisions; jenefaisquelesuivreaveuglément,sansmoyendelefreineroudemesortirdelà.Jenesaisplusquoifaire,niversquoimetourner.

Le bilan est catastrophique. J’ai échoué à obtenir l’aide d’Hécate, comme j’ai échoué àinversermonpremiersort.QuantàDamen…non,ilnepeutpasm’aider.Jenepeuxpasluiavouerlesactesrépugnantsauxquelsj’aifaillimelivrer.

Et je ne vais certainement pas lui demander de passer les cent prochaines années àmesauverdemespropreserreurs.

Je suis tombée bien bas, trop pour espérer me relever un jour et reprendre une vienormale.Jeneretourneraidoncplussurleplanterrestre.

Jemerelèveetmarched’unpasnonchalantlelongdelarivièrearc-en-ciel.Jeremarqueàpeinequeleruisseaudisparaîtetquelechemindevientspongieuxsousmespieds,ouquelatempératureserafraîchitsoudaintandisquelabrumescintillantedel’Étéperpétuelsefaitsidensequ’ildevientdifficiledevoirautravers.

Cela explique sans doute mon choc, lorsque je comprends où je suis arrivée. Sans levouloir, j’ai atteint l’endroit où labrumeest laplus épaisse, et où il est facilede se laisserentraîner vers le point de non-retour. Je distingue à peine le contour familier, les cordeséliméesetleslattesdeboisusées,maisjen’aiaucundoutequantàcequej’aisouslesyeux.

Commentnepasreconnaîtrelepontquimènedel’autrecôté?

LepontdesAmes.

Jem’approcheencoreetm’agenouilledanslaterrehumidederosée.Etsic’étaitunsigne?Jenesuispeut-êtrepasarrivéeiciparhasard,jesuispeut-êtrecenséetraverser.

Etsilachancequej’airefuséeladernièrefoism’étaitdenouveauofferte,commesil’Étéperpétuelmefaisaitunefaveur?

Je tends la main vers la corde usée jusqu’à la trame qui semble prête à se rompre. Lebrouillards’intensifieverslemilieudupont,sibienquel’autrecôtérestenimbédemystère.Voici donc le pont que j’ai poussé Riley à franchir, et que mes parents et Caramel ontemprunté,tandisquej’hésitais.Rileym’aassuréqu’ilsallaientbien,latraverséenedoitdoncpasêtresiterrible.

Pourquoiest-cequejen’yvaispas?Jen’aiqu’àmereleveretprendremonélan.

Voicipeut-êtrecommentmedébarrasserdetousmesproblèmes–lemonstreetlaflammedesténèbresquimenoircissentl’âme–etretrouvermafamille.Ils’agitjustedemettreun

Page 124: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

pieddevantl’autre.

Quelquespasvers lesbrasaimantsdemesparentsetRiley,pourm’éloignerà jamaisdeRoman,Haven,RomyetRayne,Ava,etl’avalanchedecatastrophesquej’aidéclenchée.

Justequelquespas,etjeretrouveraienfinlapaixquej’aiperduedepuistroplongtemps.

Franchement,qu’est-cequejerisque?Ilestévidentquemafamillem’attendradel’autrecôté,commedanscesémissionsdetélé,n’est-cepas?

Jeprendsappuisurlacordepourmeremettresurmespieds.Mesjambesflageolentalorsquejemepencheenavantpouressayerdevoirunpeuplusloin.Jemedemandejusqu’oùjepourraialleravantd’atteindrelepointdenon-retour.Rileyprétendaitêtrearrivéeàpeuprèsàmi-chemin,avantderevenirsursespaspourmechercher.Nemetrouvantpas,elleavaitvoulurepartir,maiss’étaitperduedanslabrume.

Mais rien ne me garantit que, si je vais jusqu’au bout du pont, ma destination sera lamême que pourma famille. Et si j’embarquais dans un train fou, qui déraillerait sitôt del’autrecôté,pourm’entraînerversl’abîmeéterneldupaysdesOmbres,aulieud’unau-delàriant?

J’inspire profondément et dégage mon pied gauche du sol boueux, prête à tenter machance,lorsquesoudainjesuisrattrapéeparunevaguedecalmequinepeutsignifierqu’unechose.Uneseulepersonnesaitm’inspirerce sentimentdepaixabsolue,exactopposéde lachaleur vibrante de Damen. Aussi ne suis-je pas surprise de trouver Jude auprès de moi,lorsquejemeretourne.

—Tusaisoùçamène,n’est-cepas?demande-t-ilens’avançantverslepontquisebalancedoucement.

Je vois bien qu’il essaie de garder une voix neutre et posée,mais un léger tremblementtrahitsonémotion.Jehausselesépaules.

—Jesaisoùçamènelaplupartdesgens,maisjenesuispassûrequeladestinationsoitlamêmepourmoi.

Ilinclinelatêteetm’examineattentivementavantdepoursuivre,avecmilleprécautions.

—C’estlepontquivadel’autrecôté,etc’estlemêmepourtoutlemonde.Cen’estpasleplan terrestre, tu sais, il n’y a aucune ségrégation ici. L’autre côténe fait pasdedifférenceentresesvisiteurs.

Je fais unemoue sceptique. Il ignore ce que je sais, ce que j’ai vu.Commentpourrait-ilconnaîtrelesparticularitésdemasituation?

Évidemment,noussommesàl’Étéperpétuel,etilaperçumespensées.

—Tuaspeut-êtreraison,maisjenepensepasquecesoitlachoseàfaire,detoutefaçon.Lavieestdéjàsuffisammentcourte, tune trouvespas?Mêmesiellepeutparfoissemblerinterminable,cen’est finalementqu’uncourt instant,unepoussièreauregardde l’éternité.Crois-moi.

—Pourtoi,peut-être.Maispourmoi,c’esttoutlecontraire.

Je croise son regardet voisqu’il a comprisque je suisprête àme confier, à luidéballertoutemonhistoire dans lesmoindresdétails, sans faussepudeur. Il n’a qu’à demander, etj’avoueraitout.

Rectification:iln’amêmepasbesoindedemander.Ilsegrattelementond’unairpensif,

Page 125: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

etsondésirmanifestedemecomprendresuffitàouvrirlesvannes.

Lesmotssebousculentdansmaboucheenuntorrenteffrénéettumultueux.Jeremonteau tout premier jour, à l’accident après lequel Damen m’a fait boire l’élixir et m’atransformée ; je lui révèle la vraienaturedeRoman, et sesmanigancespour s’assurerqueDamenetmoinepourronsjamaisconcrétisernotreamour.Jeluiparledel’étrangepasséquilieAvaauxjumelles,etdemafaiblesselorsquej’aifaitdeHavenuneaberrationdelanaturecommemoi. Je lui révèle que ce n’est qu’en visant nos chakras que l’on peut éliminer lesimmortelsetque,danscecas,c’estl’abîmeinfernaldupaysdesOmbresquinousattend–laseuleraisonquim’empêchedetraverser lepont.C’estuntelsoulagementdetoutavoueràJude que je ne cherche même pas à ralentir le flot furieux des mots, et son expressionconcentrée, déterminée à ne pas céder à la panique ou à l’incrédulitém’encourage à viderentièrementmonsac.

Cen’estquelorsquej’enarriveàl’horribleattirancequej’éprouvepourRoman,labrûlurefuneste de la flamme qui persiste en moi et l’humiliation dégradante à laquelle je viensd’échapperparmiracle,qu’illèvelesmainsetdit:

—Ever,s’ilteplaît,ralentisunpeu.J’aidumalàtesuivre.

Jehochelatête,lesjouesempourpréesetlecœurbattant,etserremesbrasautourdemoi.Mescheveux,alourdisparlesgouttesderoséequinecessentdes’accumuler,mecollentauxjoues et aux épaules. Je contemple une colonie de nouveaux arrivants qui s’avancejoyeusement vers le pont et le franchit sans hésitation, les yeux animés d’une lueursurnaturelle.

Judedésigned’ungestelafile,silonguequejemedemandes’ilvientdeseproduireunecatastrophe,etdemande:

—Dis,celanet’ennuiepassionvaailleurs?Toutçamefaitfroiddansledos.

Jehausse les épaules, sur ladéfensive.Cedoit être le remordsduconfessé : je viensdemettreànumonâme,ettoutcequ’iltrouveàmerépondre,c’est«ralentis»et«viens,onsecasse»!Franchement,jem’attendaisàmieux,commeréaction!

—Hé,jetesignalequec’esttoiquiasdécidédevenirici.Jenet’aipasinvité.Tut’espointétoutseul.

Ilsoutientmonregard,nullementdécouragéparmasoudainesauted’humeur,etesquisseunlégersourire.

—Pasexactement…

Jefroncelessourcilssanscomprendre.

—J’aientendutonappelausecours.Jesuisarrivé iciparcequejetecherchaistoi,pas…pasça.

J’ouvrelabouchepourlecontredire,etpuisjerepenseàmapremièrerencontreaveclesjumelles.Leschosess’étaientpasséesunpeucommecequ’ilvientdedécrire.

Jerougisdehonte.

—Jen’allaispas traverser.Bon,d’accord, je l’ai envisagé,mais justeune seconde etpassérieusement…pasvraiment.J’étaiscurieuse,c’esttout.Ilsetrouvequejeconnaisquelquespersonnesquiviventlà-baset…ellesmemanquent,parfois.

—Donc,tut’esditquetuallaisleurrendreunepetitevisite?dit-ild’untonlégerquine

Page 126: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

parvientpasàatténuerl’impactquesesmotsontsurmoi.

Jefais«non»delatête,lesyeuxrivéssurmespiedsboueux.

—Alors,quoi?Qu’est-cequit’aretenue,Ever?C’estmoi?

J’aibesoindequelquesprofondesrespirationsavantd’oserreleverlatêteetaffrontersonregard.

—Non.Jen’auraispas traversé,de toute façon.J’admetsque j’ai été tentée,mais jemeserais arrêtée avant, que tu sois intervenu ou non. Ce ne serait pas correct dema part departir en comptant sur les autrespour réparermes erreurs enmonabsence.Etpuis, étantdonnécequiguettel’âmedesimmortels,jenesuispasprêtedeprendrecettedécisionsuruncoupdetête,mêmesijereconnaisquejeneméritepasmieuxquelepaysdesOmbres.J’aidéjàeuunaperçudecequim’attend,Jude,etçamefaitmaldel’admettre,maiscen’estpasl’endroitoùsetrouventmesparents.J’aibienpeurquemaseulechancedelesrevoirsoitdetechoisircommeintermédiaire.Etpuissurtout…

Je shootedansun caillou, tandis que Jude attendpatiemmentque je poursuive. Je suisbiendécidéeàluiavouerlaprincipaleraisonquim’empêchedefranchirlepont,mêmesijesaisqu’ilnevapasl’apprécier.Jeredresselesépaulesetleregardedroitdanslesyeux.

—Etpuissurtout,jesuisincapabled’abandonnerDamen,dis-jeavantdebaisserlatête.Jenepeuxpas…pasaprèstoutcequ’ilafaitpourmoi.

Je n’en dis pas davantage. J’ai la gorge nouée et me frotte les bras comme pour meréchauffer.Saufquejen’aipasfroid.

Mais Judememurmure que tout va bien, avant de poser unemain dansmondos pourm’entraînerloindupontetdelafiled’âmesquitraversegaiement,etmeramenersurleplanterrestre.

Page 127: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

vingt-sept

Judeserrelefreinàmain,maislaissetournerlemoteurdelavoiture.

—OK, voilà ce que tu vas faire. Tu y vas, et tu lui racontes tout. Non, laisse-moi finir,ajoute-t-il quand je faismine de l’interrompre. Tu t’assois en face d’elle et tu lui déballestoute l’histoire.Jesaisquetuasdesraisonsdeteméfierd’elle,maisd’aprèstoutcequejesaisetquej’aiappris,tuesentredebonnesmains.Vraiment.Elleestplusfinequetunelecrois,etcelafaitplusieursviesqu’ellepratiquecegenredechoses.Sanscompterquec’estlapersonnecapabledet’apporteruneaidevraimentefficaceetobjective.

Unfrissonmeparcourtsoudain.

—Commentsefait-ilquetuconnaissessesviesantérieures?

Ilmeregardeunlongmomentsansrépondre,etcen’estquelorsquejem’apprêteàbriserlesilencequ’ildit:

—Jesuisentrédans lesGrandsSanctuairesde laConnaissance.Je saisàpeuprès tout,désormais.

Jehochelatêtepournepaslaisservoirmapaniquenaissante.Jeluiaiplusoumoinsfaitla confession du siècle, d’accord, mais cela ne signifie pas pour autant que je lui aieabsolumenttoutdit.

Maisilécartemespeursd’unhaussementd’épaulesnonchalant.

—Unefoisquetuenaurasfiniici,tudoisallervoirDamen.Jemefichecomplètementdece que tu vas lui dire, ça ne regarde que vous. Mais tu lui as fait souffrir le martyre cesderniers temps, et j’aibeaunepas l’apprécierplusque ça…Bref,parle-lui,OK?Tunevastoujourspasmieux, tu l’asprouvécesoir,et tuasbesoinde luià toncôtépour t’ensortir.C’estlaseulechoseàfaire,etillemérite.D’ailleurs,tuferaisbiendeprendrequelquesjoursde congé. Je suis sérieux, je m’en sortirai sans problème. Et puis, Honor m’a proposé dem’assister,etjevaispeut-êtreluidonnerunechance.

J’acquiesce,impressionnéedelevoirsinoble,àprendreladéfensedesonrivaldequatresiècles.Jesaisislapoignéedelaportière,persuadéequ’iln’aplusrienàajouter,maisilposeunemainsurmongenouets’inclinelégèrementversmoi.

— Ce n’est pas tout, dit-il d’un ton soudain grave et sérieux. Loin de moi l’idée dem’interposer entreDamen et toi,mais je n’ai pas non plus l’intention dem’avouer vaincuaussi facilement.Je t’avoueque j’aiunpeudemalàdigérer le faitd’avoirpassé lesquatredernierssièclesàperdrelafilledemesrêves.

— Tu… Tu es au courant ? dis-je dans un souffle. Ses yeux bleu-vert brûlent de désircontenu.

— De l’existence de ce pauvre valet d’écurie parisien, du duc anglais, de l’humbleparoissiendelaNouvelle-Angleterreetdel’artisteconnusouslenomdeBastiaandeKool?Oui,jesaistoutcela,etmêmeplus.

Jebaisselesyeux,nesachantquoirépondre.Jesenssesdoigtsquittermongenouetvenirseposersurmajoue.

—Nemedispasquetuneressensrien,Ever.Jelevoisdanstonregard,àlafaçondontturéagisquand je te touche.J’aibien remarqué tonexpressionquand tum’asvuavecHonor

Page 128: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

hier – ou plutôt tout à l’heure. Peu importe, elle ne m’intéresse pas – pas comme tu lepenses.C’estunesimpleamitiéentreprofesseuretélève,riendeplus.

Ilfaitglissersesdoigtslelongdemajoued’ungestesidoux,siapaisantquejenepeuxmedétourner.

—Jeneveuxpersonned’autre,Ever.C’esttoi,depuistoujours.Tun’espeut-êtrepassurlamêmelongueurd’ondespourl’instant,maisjeveuxquetusachesqueriennenousretient,riennenoussépare–àpart toi.C’est toiquidécides,maisquelquesoit tonchoix, tudoisbienadmettrequejenetelaissepasindifférente.

Il incline légèrement la tête et m’adresse un sourire qui fait ressortir ses adorablesfossettes.Etjenepeuxnierque,quandilmeregardecommeça,lesourcilinterrogateur,j’aidumalàrésister.

Oui, je ressens quelque chose de particulier à son contact. Oui, il est indéniablementcraquant,gentiletdignedeconfiance.Etoui,plusd’unefoisj’aifaillimelaissertenter.MaistoutcelanesuffitpasàrivaliseraveccequejeressenspourDamen.C’estlui,monâmesœur.Depuis toujours et pour toujours. Et si je ne dois faire qu’une seule chose de bien pourrattraper cette journéede folie, c’est d’êtrehonnête avec Judeunebonne fois pour toutes,quitteàleblesser.

—Jude,je…

Mais il m’interrompt en posant un doigt sur mes lèvres. Puis il dégage une mèche decheveux de mon visage et la replace derrière mon oreille, s’attardant un peu plus quenécessaire.

—Vas-y,Ever.Présente-luitesexcuses,avouetesfautes,neutraliselesortquiterongeettrouveunantidote.Peuimportecequeturessenspourmoi,ouquituchoisisaufinal,cequicompte,c’estquetusoisheureuse.Maisjenesuispasprèsd’abandonner,sache-le.Jemènecettequêtedepuisquatrecentsans,alorsautantallerjusqu’aubout.Etaprèsquatresièclesd’une bataille tout sauf équitable, je suis à présent un peu mieux armé. Je ne suis pasimmorteletcettevoienemetentepasvraiment,maiscommeondit,connaissancerimeavecpuissance.Etgrâceàtoietauxtemples,j’aigagnéenpuissance.

Jeluisourisfaiblementetsorsdelavoiture.J’entredanslamaisonsansfrapper,mêmesije n’ai pas appelé pour prévenir que j’arrivais, et qu’il est bien trop tard pour une visiteimprovisée.Mais jenesuispassurprisedetrouverAvadanssacuisineentraindefaireduthé,levisageéclairéd’ungrandsourire.

—SalutEver.Jet’attendais.Çamefaitplaisirdetevoir.

Page 129: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

vingt-huit

Elleme tenduneassiettedecookiesparhabitude, avant de se reprendre avec unpetitrireetdelaramenerverselle.Maisj’enattrapeunaupassage,rond,doré,moelleux,etsaupoudrédegroscristauxdesucrebrun.J’encasseunmorceauet leplacesurmalangue.C’estmavariétédecookiespréférée,et j’aimeraispouvoir lesapprécierautantqu’avant.Enfait,j’aimeraisapprécierlanourritureengénéralautantqu’avant.

Avaapprochesatassedeseslèvresetsouffledeuxfoisdessusavantdeprendreunegorgéedethé.

—Netesenspasobligée,surtout.Lesjumellesenraffolent,alorstunerisquespasdemevexerenrefusant.

Jefaisungesteévasif.J’aimeraisluidirequeparfois,quandlavieordinairememanque,jem’amuse àmanger, boire et faire lesmagasins au lieu de toutmatérialiser, juste pourmeprouverquejesuisencorecapabledevivrecommetoutlemonde.Maiscespetitescrisesdenormalité ne durent jamais très longtemps, et surviennent presque uniquement lorsque jesuisfatiguéeouunpeuperdue,commecesoir.Laplupartdutemps,jen’imaginemêmepasavoirunjourenviedereveniràlabanalité.

Maisjemecontentedeprendreunautremorceaudecookieenessayantdemerappelerlarichetexturesucréedemessouvenirs.Peineperdue:j’ail’impressiondemâcherducarton,alorsquelarecetten’apaschangé-moisi.J’avaleetdemande:

—Tiens,d’ailleurs,commentvontlesjumelles?

Avaposesatasseets’avancelégèrement,toutenlissantd’unemainsonsetdetablevert.

—C’estdrôle,ons’esttoutdesuiteinstalléesdansunepetiteroutineconfortable,commes’ilnes’étaitécouléquequelquesinstantsdepuisnotreséparation.Quil’eûtcru?S’exclame-t-elle en secouant la tête d’étonnement. Je sais que la réincarnation est avant tout unehistoiredekarmaetdeproblèmesnonrésolus,mais jen’aurais jamais imaginéquecelasetraduisedemanièreaussilittérale,encequimeconcerne.

—Et leurspouvoirsmagiques?Ils leurreviennent?Ellepousseun longsoupiretsaisitPansedesatasse,sanspourautantlasoulever.

—Non,pasencore.Maiscen’estpasforcémentunemauvaisechose.

Jeluilanceunregardinterrogateur.

—Çanet’apasvraimentréussi,àtoi,demanipulerlamagie,pasvrai?

Je laisseretombermesmainssurmesgenouxpourqu’ellenemevoiepasmetordre lesdoigts. J’imagine que le tableau dema silhouette voûtée et agitée de tics nerveux suffit àrépondreàsaquestion.

—Moi-même,j’étaispartisanedelamagie,maisbon…Elles’interromptetsortlalanguesurlecôtéenfaisantminedesependre.Puiselleéclatederireenvoyantmonregardeffaré.

— Oh, détends-toi ! Ça ne sert à rien de pleurer sur un passé auquel je ne peux rienchanger. Chaque étape est nécessaire pour mener à la suivante et, en l’occurrence, lasuivante, c’est ici etmaintenant. Grâce àmes expériences passées, et grâce à toi quim’asemmenée à l’Été perpétuel, où j’ai trouvé les Grands Sanctuaires de la Connaissance, jecomprendsbienmieuxleschosesquejedistinguaisàpeineauparavant.

Page 130: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

—Ahouais,commequoi,parexemple?

C’estplusfortquemoi,monattitudegrossièreetagressivereprendledessusetjenepeuxpasm’empêcherdel’interrompre.

Mais,égaleàelle-même,Avaneprêtepasattentionàmaremarqueetpoursuitcommesijen’avaisriendit.

—J’aiapprisquelamagie,commelepouvoirdematérialiserdesobjets,consisteenfaitàmanipulerl’énergieambiante,riendeplus.Maisalorsqu’enfaisantapparaîtrequelquechoseonn’affectequelamatière,lamagie,entredemauvaisesmainsdumoins…

Elles’interromptetmelanceunregardquisemblecrier:«Entretesmainsàtoi!»,ouentoutcasc’estmonimpression.

— Enfin, utilisée par des personnes non initiées et à des fins personnelles, la magiemanipulelesgensetnonlamatière.Etc’estlàquelesennuiscommencent.

Jegrommelled’untonbougon:

—Lesjumellesauraientpumeprévenir.

Jen’arrivepasàcroirequejelesblâme,elles!Avan’estpasdupenonplus,jelevoisàsafaçondereleverlementonavantd’objecter:

—Lesjumellesnetel’ontpeut-êtrepasdit,maisjesuissûrequeDament’amiseengarde,non?Écoute,Ever,situesvenuemedemanderdel’aide–etvul’heurequ’ilest,jenepensepasque tu sois venue justepourboireun thé– alors accepte-la.Arrêtede te chercherdesexcuses, je ne suis pas là pour te juger. Tu as fait une erreur, d’accord,mais tu n’es ni lapremière ni la dernière. Crois-moi. Etmême si tu as l’impression que ton erreur à toi estparticulièrement lourde, voire insurmontable, ce genre de maladresse peut toujours serattraperetn’estsouventpasaussidangereuxqu’onnelecroit–ouplutôtqu’onl’autoriseàdevenir.

—Ah,alorsmaintenant,c’estmoiquiautorisemagaffeàempirer,c’estça?

C’estpresquetropfacilederétorquervertement,maismoncœurn’yestpas,etjelèvelesmainsengested’excuses.

—Tuasraison,pourquelqu’unquiabesoind’aideaussisouventquemoi,jeferaisbiendeprendrequelquesleçonsd’humilité!Jesuisdésolée…

Avasouritetprenduncookieauxraisinsdansl’assietteavantdem’adresserunclind’œil.

—Cen’est jamais facilepour les têtesdemule,maisonadépasséce stade,maintenant.N’est-cepas?

J’acquiesceetellepoursuit:

—Tu vois, Ever, le truc quand onmatérialise ou qu’onutilise lamagie, c’est l’intentionqu’onymet,lerésultatvisé.C’estl’outillepluspuissantdontondispose.Tuasdéjàentenduparlerdelaloidel’attraction,sansdoute:quandonseconcentresurquelquechose,onfinitparl’attirer.Ehbien,là,leprincipeestlemême.Quandonconcentresonénergiesurcequinousfaitpeur,onmultipliecettesourcedepeur.Quandonseconcentresurcequ’onneveutpas, on le récolte dix fois. De la même manière, quand tu essaies de contrôler d’autrespersonnes,tuteretrouvessousleurcontrôle.Accordertonattentionàquelqu’unouquelquechose,c’estleuraccorderuncertainpouvoirsurtoi.Donc,situtentesd’imposertavolontéàunepersonnedonnéepourlaforceràagircontresonpleingré,nonseulementçanemarche

Page 131: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

pas,maisenplustuastoutesleschancespourqueçaterevienneenpleinefigure,commeunboomerang.Et,biensûr,çaserépercutesurtonkarma,commetoutestesactions,etcen’estpasuneinfluencepositive–saufsituaimesapprendreàladure…

Ellecontinueàparler,mais jen’écouteplus.Je réfléchisàcequ’ellevientdediresur lekarmaet l’effetboomerangde lamagie.Celamerappelleunemiseengardedes jumelles :«C’estmald’utiliserlamagiepourdescauseségoïstes.Lekarmaveille,ett’enferapayerletriple.»

Jedéglutisetsaisismatassedethépourmedonnerunecontenance.

—Ever, tudoiscomprendreque,depuis ledébut, turésistesde lapire façonquisoit.Turésistesquandj’essaiedet’aider,turepoussesDamenquandils’inquiètepourtoi, tu luttescontreRomanettoutesleshorreursqu’ilt’afaitsubir…

Ellelèveundoigtpourm’empêcherdel’interrompre.

— Et le problème – l’ironie suprême – c’est que tu consacres tellement de temps etd’énergie à te concentrer sur les choses auxquelles tu résistes, que tu finis par attirerprécisémenttoutcequetuvoudraisrejeter.

Je la regarde d’un air sceptique. Est-ce que je ne suis pas justement censée résister àRoman?Iln’yaqu’àvoircequis’estpassécesoir,quandmarésistanceafaillilâcher.

Avaseredresseetposeunemainàplatdechaquecôtédesatasse.

—Toutn’estqu’énergie,tuesd’accord?

Ilparaît,oui.

— Donc, si tes pensées sont constituées d’énergie, et que l’énergie exerce une forced’attraction, quand tu penses aux choses que tu crains le plus, tu les fais advenir. Tu lesmanifestesàforcedetefocaliserdessus.Ou,pourdireleschosessimplement,ettoutàfaitàproposencequiteconcerne:«Cequiestenbasestcommecequiestenhaut,etcequiestau-dehorsestcommecequiestau-dedans»,commel’énonçaientlesalchimistes.

—Tuappellesçaparlersimplement,toi?

Jetouillemonthéd’ungesterageur.C’estduchinois,pourmoi,ceshistoires.

Ellem’adresseunsourirepatient.

—Çasignifiequecequisetrouveàl’intérieurdenoussereflèteàl’extérieur–autrementdit,quenospenséesinfluencentlecoursdenotrevie.Tunepeuxpasyéchapper,Ever.Maiscequetun’aspascompris,c’estquelamagienerésidepasentrelesmainsd’Hécateoudeladéesse…elle est là, dit-elle en se frappant lapoitrine. SiRomanexerceunpouvoir sur toi,c’estuniquementparcequetuluienasdonnélapossibilité.Tuluiasfaituncadeau!Oui,jesais,ilt’apiégée,ilchercheàt’empêcherd’êtrepleinementheureuseavecDamen,etcedoitêtrehorrible.Maissitucessesdelutteretquetuacceptescetétatdefait,quetuarrêtesdenepenserqu’àRomanetauxsalestoursqu’ilt’ajoués,tudevraisréussiràcassercelienperversque tu as établi avec lui. Alors, il te suffira d’un peu de temps et d’une bonne dose deméditationpurificatricepourqu’ilnepuisseplust’atteindre,etencoremoinstenuire.

—Oui,maisilauraquandmêmel’antidote,et…

MaisAvan’enapas terminé, et ellen’estpasdisposée àme laisser l’interrompreà toutboutdechamp.

—Tuasraison,ildétiendratoujoursl’antidote,etiln’auraprobablementaucuneenviede

Page 132: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

teledonner.Maistun’ypeuxrien,aucontraire;plustutecrispeslà-dessus,plustujettesdesorts, et plus la situation empire. À force de t’acharner contre Roman, tu as fait de lui lecentre de ton univers, et il en est parfaitement conscient. Il sait exactement comment s’yprendrepourdétournertonénergie,c’estlegrandjeudetoutnarcissique.Donc,situveuxtetirerdecefauxpasetreprendrelecontrôledetavie,alorsarrêtetout.Cessedeteconcentrersurcequetuneveuxpas,cessed’accorderautantd’attentionàRoman.Refusedejoueràsonpetitjeu,ettuverrasoùçatemène.Jesuisprêteàteparierquedèsqu’ilteverrat’adapteràlasituationetapprécierlavieavecbonheur,malgréleslimitesqu’ilvousimpose,àDamenettoi,ilselasseraetabandonnera.Tellequetuespartielà,c’estunpeucommesitulançaisdela viande fraîche àun tigre, tu flattes sonbesoin leplusprimaire.Labête est en toi,Ever,mais c’est uniquement parce que tu l’as invitée à entrer. Fais-moi confiance, tu peux lachassertoutaussifacilement.

—D’accord,maiscomment?

J’aibiencompriscequ’ellevientdem’expliquer.Celatombesouslesens,sionyréfléchitdeuxminutes.Pourtant,lapulsationquimetorturedepuisdessemainesesttoujourslà,sousla surface, et j’ai dumal à croire que ce soit aussi facile dem’en débarrasser qu’Ava ne leprétend.

—J’aidéjàessayéd’inverserlatendance,maisçan’afaitqu’envenimerleschoses.Ensuitej’aifaitappelàHécate,etj’aid’abordcruqueçaavaitfonctionné.Maisquandj’airevuRomanilyaquelquesheures…

Mes joues s’empourprentdehonte,quand je repenseà cequi a faillim’arriver, et jemereprends.

—Disonsquej’aidécouvertquelemonstreétaittoujoursprésent,etd’humeursalementjoueuse.Jecomprendstathèse–enfinjecrois–,maisjeneconçoispasbiencommentlefaitdepenseràautrechosevamechangerlavie.Cen’estplusmoiquicommande,c’estHécate,etjenesaispasquoifairepourlarenverser.

Avam’adresseunregardcompréhensifetsavoixsefaitplusdouce.

—C’estprécisémentlàquetutetrompes.Hécatenecommanderiendutout,Ever.Tuesseulmaîtreàbord,etcedepuisledébut.Jesuisdésoléed’avoiràt’annoncerça,parcequejesaisquepersonnen’aimeentendreunechosepareille,mais…lemonstren’estpasuneentitéétrangèrequiaenvahitoncorps,cen’estpasundémonouuntrucdugenre.C’esttoi,Ever.Lemonstren’estquelareprésentationdetonproprecôtéobscur.

Jemecarredansmachaiseetcroiselesbrassurlapoitrine.

—Oh,génial.TuveuxdirequemonattirancepourRomanestréelle?Merci,Ava,çamerassurevachement.

Jeponctuemaremarqued’unsoupirappuyéetd’unregardfurieux.

Maiselleestdécidémentimmuniséecontremesréactionsdegamineinsolente.

—Jet’avaisprévenuequec’étaitunpeuduràencaisser.Maistudoisbienadmettreque,d’unpointdevuestrictementsuperficiel,ilestbeauàtomberparterre…

Ellem’adresseunsourirecomplice,commepourm’encourageràapprouver.Voyantquejeneréagispas,ellepoursuit.

—Maiscen’estpascequejevoulaisdire.Tuconnaislesymboleduyinetduyang?

Page 133: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

—Oui.Lecercleextérieur représente le tout, tandisquechaquemoitié illustre l’unedesdeuxsortesd’énergiequirégissentlemonde.Oh,etchacunecontientunegraineprovenantdel’autre,aussi…

Jemedandinesurmachaise,soudainmalàl’aise.Jesensoùcelavanousmener,etjenesuispassûred’avoirenviedelasuivre.

—Exactement,etlesgensnesontpasdifférents.Prenonsparexempleunefillequiafaitquelquesbourdes,etquis’enveuttellementqu’ellesesentindignedetoutlesoutienmoraletdetoutl’amourquiluisontofferts.Elledécidedoncdetoutréglertouteseule,derachetersesfautessansl’aidedepersonne.Cetteidéel’absorbetellementqu’ellesecoupedeceuxquil’aimentet reporte toute sonattention sur la sourcede sesmaux.Elledevientobsédéeparcettepersonnequ’elleméprisepourtant,jusqu’àceque…Bon,tuascomprisquejeparlaisdetoi, et tu connais la suitemieux quemoi. Ce que je veux dire, c’est qu’on a tous une partd’ombre – chacun d’entre nous, sans exception. Et si on se laisse aller à pencher du côtéobscur, eh bien, on en revient à la loi de l’attraction. D’où tamonstrueuse attirance pourRoman.

Unepartd’ombre?J’aidéjàentenduçaquelquepart,iln’yapassilongtemps.

—Tuveuxdirequechacundenouscontientensoisonombre?

Avaéclatederire.

—TucitesJung,toi,maintenant?

Jelaregarded’unairahuri.Jen’aijamaisentenducenom-là.

— Le Dr Carl-Gustav Jung. C’était un psychanalyste qui a beaucoup écrit sur la partd’inconscientquel’onréprime,cestraitsdecaractèrequ’onadumalàaccepter.Ilappelaitça«l’ombre».Oùenas-tuentenduparler?

Jefermelesyeuxuneseconde.

—C’estRoman.Ilatoujoursunelongueurd’avancesurmoi;ilm’aditàpeuprèslamêmechosequetoi,quelemonstren’étaitautrequemoi.C’estladernièrepiquequ’ilaréussiàmelanceravantquejenemesauve.

Avahochelatêteetfermelesyeux.

—Voyonssijepeux…

Aussitôt,unvieuxlivrereliédecuirapparaîtdanssamain.

J’enrestebouchebée.

—Commentest-ceque…?

Ellemerépondparunsourireespiègle.

—Toutcequiestpossibleàl’Étéperpétuell’estaussiici,tuterappelles?C’esttoiquimel’asappris.Maisjen’aipasmatérialisécelivre,c’étaitjusteunpeudetélékinésie;jel’aifaitvenirdemabibliothèque.

—Oui,maisquandmême…

Je suis impressionnée par tout ce qu’elle semble avoir appris depuis notre dernièrerencontre. Et pourtant, elle a choisi de continuer àmener une petite vie confortablemaissans chichis, bien loin de la norme exubérante de la côte californienne. J’étudie Ava de

Page 134: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

nouveau, et je remarquequ’elleporte toujoursune simple citrinebrute, au lieudesbijouxextravagantsqu’ellefaisaitapparaîtrelorsdenosexcursionsàl’Etéperpétueletqu’elleauraitpurecréersurleplanterrestre.Pourlapremièrefois,jemesurprendsàpenserqu’elleapeut-êtrevraimentchangé,etquecen’estplusl’Avaavidequej’aiconnue.

Ellereculesachaisedelatableetinstallelelivredevantelle.Puisellel’ouvreàlabonnepage,ettrouvelepassageenquestion.

—«Chacunestsuivid’uneombre,etmoinscelle-ciestincorporéedanslavieconscientede l’individu, plus elle est noire et sombre… Quand une situation intérieure n’est pasramenéeàlaconscience,ellesemanifesteàl’extérieursouslaformedudestin…etconstitueunedifficultéinconscientequivientcontrecarrernosmeilleuresintentions…»,etc.

Ellerefermelelivreetmeregarde.

— C’est le Dr Carl-Gustav Jung en personne qui l’écrit, qui sommes-nous pour lecontredire ? Ever, il n’appartient qu’à nous de réaliser pleinement notre potentiel et derencontrernotredestinée.Personned’autren’est responsablede tondestin.Rappelle-toicequejet’aidittoutàl’heure:«Cequiestau-dehorsestcommecequiestau-dedans».Cequioccupenospenséesfinittoujours–toujours–parinfluersurnotrevie.Alors,réfléchisbien:surquoiveux-tuconcentrertonénergie?Quiveux-tudevenir,àpartirdemaintenant?Queveux-tu que soit ta destinée ? Il y a, quelque part, un chemin qui attend de temener à taraisond’être.Jenesaispasenquoielleconsiste,maisjesuisintimementpersuadéequec’estquelque chose de très fort. Certes, tu t’es un peu éloignée de ce chemin,mais si tume lepermets,jepeuxt’yramener.Tun’asqu’àdirelemotmagique.

Jebaisse lesyeuxversmatassede théet lesmiettesdecookiesur la table.Voilàoùmeramènent toujours mes actions les plus malavisées et désastreuses : la cuisine d’Ava. Ledernierendroitoùjepensaisremettrelespiedsunjour.

Jepasseundoigtautourduborddematassetoutenpesantmesoptions–plutôtlimitées,àvraidire–avantdereleverlatêtepourcroiserleregardpatientd’Ava.Jesourisetdis:

—Lemotmagique.

Page 135: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

vingt-neuf

Je n’ai pas le temps de frapper à la porte : Damen est là. Cela ne devrait pasm’étonner,ilesttoujourslà,ausensproprecommeaufiguré.Depuisquatrecentsansilestlàpourmoi,etunefoisdepluslevoici,piedsnus,larobedechambreouvertesursonbasdepyjama, les cheveuxébouriffésd’une façonabsolument irrésistible. Ilme regardeentre sespaupièreslourdesdesommeil,etditd’unevoixéraillée:

—Salut.

J’entreavecungrandsourireetluiprendlamainpourl’entraîneràl’étage.

—Coucou.Disdonc,tuneplaisantaispasquandtudisaisquetumesensapprocher!

Ilserremamainettentemaladroitementdedisciplinersescheveux,maisjeluisourisetl’imploreensilencedenerientoucher.C’estsiraredelevoirainsi,endormietlatignasseenbataille…jedoisdirequeçanemedéplaîtpasdutout!

Ilme suit jusquedans sa pièce spéciale et se gratte lementon enme voyantm’extasierdevantsoninestimablecollectiond’objetsanciens.

—Qu’est-cequisepasse?

Je tourne le dos au portrait très sérieux que Picasso a fait de Damen et contemplel’original,tellementplussexy!

—Pourcommencer, jevaismieux.Bon,jenesuispasencorecomplètementguérie,maisc’est en bonne voie. Si jeme tiens au programme qu’Avam’a donné, je devrais être tiréed’affairetrèsbientôt.

—Quelprogramme?

Ils’adosseaucanapédeveloursetm’étudied’unregardinsistant.Jepasseunemainsurmarobe,etmemaudisintérieurementden’avoirpaspenséàfaireapparaîtrequelquechosedepluspimpantavantdedébarquerchezlui.

Mais j’étais si enthousiaste après ma discussion avec Ava et la série de méditationscurativesetpurificatricesàlaquelleellem’asoumisequejen’aipaspuattendre.Ilfallaitquejeviennelevoiraussitôt,j’avaisbesoind’êtreàsoncôté.

J’éclatederire.

— Ava m’a mise au régime détox ! Sauf que c’est mental – pas besoin de boire desinfusions de brindilles. D’après elle, ça devrait me…me guérir, m’assainir, me rendremasantéencoreaméliorée.

—Mais…jecroyaisquetuétaisdéjàguérie?C’estcequetum’asdithieràl’Étéperpétuel!

J’acquiesce,etévitedepenseràmatoutedernièrevisiteàl’Etéperpétuel,quandjevenaisd’échapperàRomanetquej’yaicroiséJude.

—Oui,mais…Disonsquejemesensencoremieux.Plusforte,vraimentcommeavant.

Je le regarde dans les yeux, etm’apprête à révéler la suite. Il le faut, cela fait partie durituel:nerienluicacher,rachetermespetitsmensonges,unpeucommecesprogrammesendouzeétapespouraccrosentoutgenre.Aprèstout,jen’étaispassidifférented’eux.

Jedéglutispéniblementetmeforceàsoutenirsonregard.

—Avapensequej’étaisdevenueunemorduedelanégativité,etqueçaallaitplusloinque

Page 136: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

la magie ou Roman. D’après elle, je n’arrivais plus à arrêter de penser à tout ce qui meterrifie,àtoutcequiamaltournédansmavie.Tusais,monincapacitéàprendreuneseulebonnedécision, ounotre impossibilité à se toucher, des trucs comme ça.Et à force demeconcentrer là-dessus, j’ai finiparattirerdifférentes formesdemalheuretde tristesse,dontRoman…Etc’estcequim’apousséeàm’isolerdesgensquej’aimeleplus,commetoi.

Jem’approchede luid’unpashésitant, tandisquemesneuronesse livrentbatailledansmatête.Unepartiemecrie:«Vas-y!Dis-luicequit’avraimentamenéeàcetteconclusion!Raconte-luicequiestarrivéavecRoman,avoueàquelpointtuétaiscorrompue!»,maisjechoisis d’écouter l’autre partie, celle qui chuchote : « Allez, ça suffit ! Change de sujetmaintenant,iln’avraimentpasenviedeconnaîtretouslesdétailssordides.»

Damenmerejoint,meprendlamain,etm’attireàluienrépondantàlaquestionqu’ilaluedansmonregard.

— Je te pardonne, Ever. Je te pardonnerai toujours. Je sais combien il a été difficiled’admettretoutçaetj’apprécietonhonnêteté.

Je frissonne.C’est sansdoutemadernière chancede tout luidire, et il vautmieuxqu’ill’apprennedemabouchequedecelledeRoman.Maisalorsquejerassemblemoncourage,ilmecaressedoucementledosetcespenséeslugubress’évanouissent.Monattentionesttoutentièreabsorbéeparladouceurdesesmains,desonsoufflesurmajoue,deseslèvrescontremon oreille… Jeme laisse porter par la sensation de chaleur délicieuse quime picote despieds à la tête.Damen effleurema bouche du bout des lèvres, puis son baiser se fait plusinsistant,malgrélevoiled’énergiequiscintilleentrenous.Maisjeneveuxplusmeplaindredecetteinfimebarrière,jeneveuxplusyfaireattention.Ilesttempsdeprofiterpleinementdecequej’ai.

Damenneplaisantequ’àmoitié,quandilmechuchoteàl’oreille:

—Tuveuxqu’onailles’embrasserpourdevraiàl’Etéperpétuel?Tuseraislamuse,etjeseraisl’artiste…

Jem’écartedansunéclatderire.

—Ettumecouvriraisdebaisers,aupointd’enoublierdefinirmonportrait!

MaisDamenmeserredanssesbrasdenouveau.

—J’aidéjàfaitunportraitdetoi,etc’estlaseuledemesœuvresquicompteàmesyeux.Tunel’asquandmêmepasoublié?Celuiqu’onalaisséaumuséeGetty?

—Ahoui!

J’éclatederireausouvenirdecettenuitmagique,oùilm’areprésentéeenangedelumièredansuntableausimagnifiquequejem’ensentaisindigne.Maisj’aiditadieuàcesentimentd’infériorité. Si Ava a raison et que l’on attire à soi ce sur quoi on se concentre, alors jepréfèretendremeseffortsversl’excellencedeDamenplutôtquemelaisseremporterverslanoirceurabyssaledeRoman.

—Jesuissûrequ’ilsl’ontemmenédansundeleurslabossouterrainshypersécurisés,oùdescentainesd’historiensde l’artsebousculentpour l’étudieretessayerdedéterminerquiestl’artiste,etcommentilabienpuatterrirlà.

—Tucrois?demandeDamen,l’airraviparcetteidée.J’approchemeslèvresdesoncouetmurmure:

Page 137: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

—Etquandest-cequ’onfêtetonanniversaireàtoi,dis?Ilfautquejem’organisesijeveuxsurpasserlecadeauquetum’asfait!

Il tourne la têteetpousseunprofondsoupir,deceuxquiviennentdu fondde l’âme,unsoupirchargédetristesseetderegrets.Lesondelamélancolie.

—Ever,jeneveuxpasquetut’enoccupes.Vraiment.Jen’aipascélébrémonanniversairedepuis…

Depuissesdixans,biensûr!Cettejournéemauditequiavaitpourtantmerveilleusementcommencé, mais au cours de laquelle il a été forcé d’assister au meurtre de ses parents.Commentai-jepuoublieruneatrocitépareille?

—Damen,je…

Mais il coupe court àmes excuses d’un geste de lamain, et se dirige vers le tableau deVelázquezquilereprésentechevauchantunétalonblanccabréàl’épaissecrinière.Iltendlamainverslecadreornédedoruresextravagantescommes’ilavaitbesoind’êtreajusté,alorsquecen’estabsolumentpaslecas.

— Tu n’as pas à t’excuser, je t’assure, dit-il sans toutefois oserme regarder. Après tantd’années,l’idéedefêtermonanniversairemeparaîtplutôtfutile,àvraidire.

—Tucroisqueceserapareilpourmoi?

J’aidumalà imaginercela :nepassesoucierdesonanniversaireou,pire,enoublier ladate.

Damenseretourneenfinetsonvisages’illumine.

—Non.Jene laisseraipascela t’arriver.Àpartirdemaintenant, jeveuxquechaque joursoitunefêtepourtoi.Jet’enfaislapromesse.

Je le regarde un instant et sa sincérité estmanifeste,mais je secoue la tête doucement.Bienquejesoisdéterminéeàpurifiermonénergieennemeconcentrantquesurleschosespositivesquejedésire,riennesertdeprétendrequelavien’estpaslavie.C’est-à-direparfoisdure,compliquée,faitedecafouillagesetd’erreurs,deleçonsàretenir,depetitesvictoiresetdegrandesdéceptions.Ilseraitvaindecroirequechaquejourestunefête,etj’ail’impressiond’enfin accepter ce fait incontournable. Après tout, même l’Été perpétuel recèle une partd’ombre,semble-t-il–unrecoinobscurnichédanstoutecettelumière.Dumoinsest-ceainsiquejel’aiperçu.

J’aimerais dire tout cela à Damen, mais à ce moment-là mon téléphone sonne. Nouséchangeonsunregardetnousécrionsd’unemêmevoix:

—Devinequic’est!

C’estundenospetitsjeux.Nousavonsunesecondepourrépondre,histoiredevoirquialesréflexespsychiqueslesplusrapides.

—Sabine,dis-je.

Celameparaîtparfaitementlogique:elleadûseréveilleretconstatermonabsence,cequiexplique qu’elle appelle pour savoir si j’ai été enlevée ou si je suis partie parmes propresmoyens.

Maisunefractiondesecondeaprèsmoi,Damensouffle:

Page 138: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

—Miles.

Bizarrement,savoixn’estplusdutoutjoueuse,etsonregards’estassombri.

Je sors mon portable de mon sac et, en effet, c’est la photo de Miles qui s’affiche. Jedécrocheetlance:

—Salut,Miles!

Maispendantuninstant,jen’entendsqueleconcertdegrésillementscaractéristiqued’unappeltransatlantique.Puisunepetitevoixlointainemeparvient:

—Salut,jet’airéveillée?Parcequemêmesijet’aitiréedulit,jetejure,çanepeutpasêtrepirequemoi:jesuiscomplètementdécalé.Jedorsalorsquejedevraismanger,etjemangealorsque jedevrais…Enfin,non,cen’estpas toutà faitvrai :vuquec’est l’Italieetque lacuisineesthallucinante,jemangeplusoumoinstoutletemps!Sérieusement,jenesaispascommentilsfontpourmangercommeçaetresteraussicanons,maiscen’estvraimentpasjuste.Enquelquesjoursdedolcevita,j’aidéjàprisdeuxkilos…etpourtant,tusaisquoi?Jem’en fiche complètement. Je m’éclate, ici, c’est vraiment trop génial ! Mais au fait, il estquelleheure,àLaguna?

Jeregardeautourdemoi,maisnetrouvepasd’horloge.

—Euh…ilesttôt.Etcheztoi?

— Je n’en sais rien, mais je dirais que c’est l’après-midi. J’ai été dans un clubcomplètementhallucinanthiersoir…Tuterendscomptequ’onn’amêmepasbesoind’avoirvingtetunanspouryentreroumêmeboiredel’alcool?Jetejure,Ever,c’estleparadis!LesItaliensont toutcomprisà lavie,eux !Enfinbon, je te raconterai toutçaplus tard,àmonretour. Je pourrai même tout te rejouer si tu veux, promis. Mais là, si je commence autéléphone,monpèrevaavoirun infarctusenvoyant la facture !Bref, il fautque tudisesàDamenquej’aisuivilesconseilsde

Roman–tusais,pourcetteespècedemusée,là–et…Allô?Tum’entends?Ever…tuestoujourslà?

—Oui,jesuislà.Çacoupeparmoments,maisjet’entendsàpeuprès.

JetourneledosàDamenetm’éloignedequelquespas;jeneveuxpasqu’illiselapaniquesurmonvisage.

—OK,donc je tedisaisque jesuispassévoir l’endroitdontm’aparléRoman–j’ensorstout juste, en fait – et il faut que tu saches que j’ai vu des trucs de dingue, là-bas.Sérieusement,j’enaiencorelachairdepoule.Ilyaquelqu’unquimedoitdesexplications,jeteledis.

—Commentça,t’enaslachairdepoule?

Àcesmots,jesensDamens’approcherdansmondosetsemettreenétatd’alerte.

—Parceque…Je t’expliquerai en rentrant,mais…Oh, j’enaimarrede ce truc, ça coupeencore!Tum’entends?Ecoute…euh…jet’aienvoyédesphotospare-mail.Surtoutne leseffacepasavantdelesavoirvues.Çamarche?Ever?Saleté…téléphone…

JecoupelacommunicationetmetourneversDamen,quiaposélamainsurmonbrasetdemande:

—Qu’est-cequ’ilvoulait?

Sanslequitterdesyeux,jemurmure:

Page 139: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

—Ilm’aenvoyédesphotos,quelquechosequ’iltientabsolumentànousmontrer.

Damenhochelatêteavecuneexpressiondedéterminationrésignée,commesilemomentqu’il craignait depuis toujours était enfin arrivé et qu’il s’apprêtait à en assumer lesconséquences.Ilm’observepoursavoirlagravitédelachose.

Jevaisdanslemenudemontéléphone,ouvremaboîtee-mailsetcliquesurlemessagedeMiles.Jeretiensmonsouffle,etmesgenouxsedérobentsousmoilorsquejevoislapremièrephoto.

Unportrait,quidatedequelquessièclesavantl’inventiondelaphoto.Etpourtant,aucundouten’estpermis:c’estlui.Ouplutôteux,posantcôteàcôte.

Damenresteabsolumentimmobile.

—Alors?Est-cequec’estlacatastrophequejeredoutais?

Je lui lance un rapide coup d’œil avant de reporter mon attention sur l’écran, fascinéed’horreur.

—Çadépenddeceàquoitut’attendais.

Des souvenirsme reviennent du jour où j’ai entrevu son passé à l’Eté perpétuel. J’étaismaladedejalousieenassistantàl’éclosiondesonamourpourDrina,maiscequejeressensen cet instant n’a rien à voir avec cela. Bien sûr,Drina estmagnifique.Elle a toujours étéd’unebeautésublime,malgrélanoirceurdesonâme,etjesuissûrequec’étaitvraiaussibienà l’époquedesrobesà faux-culsquedesminijupes.Mais le faitestqueDrinan’estplus,etquejen’éprouvepluslamoindreémotionlorsquejepenseàelleouquejevoissonportrait.

Ce qui me bouleverse dans ce tableau, c’est Damen. Son attitude, son regard et cettearrogance, cette prétention qu’il affiche. Il y a bien une trace de ce caractère rebelle quej’aime tant, mais sans le côté joueur que je connais. Le Damen du tableau semblemoinsenclin à sécher les cours pour aller boire desmilk-shakes sur la plage qu’à provoquer lessimplesmortels, d’un air de dire : « Cemondem’appartient, estimez-vous heureux que jevousautoriseàyvivre.»

IlsetientlégèrementenretraitdeDrina,sagementassisesurunechaise,mainscroiséessurlesgenoux,robeetcheveuxornésdemillebijouxetrubansquiparaîtraientridiculessurn’importe qui d’autre. Il a unemainposée sur le dossier de sa chaise et l’autre le long ducorps, lementon et les sourcils légèrement relevés en un geste de défi qui lui donne uneexpressioncruelle,presquesauvage.C’estlevisaged’unhommeprêtàtouslesméfaitspourobtenircequ’ildésire.

Bien sûr, Damen ne s’est jamais caché de son ancienne personnalité narcissique etintéressée,maisc’estunechosequed’enentendreparleretuneautredeleconstaterdemespropresyeux.

Jeparcours trèsrapidement lesautresphotosqueMilesm’aenvoyées.Cequi l’a frappé,lui,c’estdetombersurdestableauxanciens,datésdeparfoisplusieurssièclesd’écart,etoùDamenetDrinarestentd’unebeautéétrangement immuable. Ilnesesoucieprobablementpasdel’attitudehautainedeDamenoudesonregardfourbe.Non,cettesurprisen’appartientqu’àmoi.

JetendsletéléphoneàDamen,quilesaisitd’unemainlégèrementtremblante.Aprèsunrapidecoupd’œil,ilmelerendenmurmurantd’unevoixgrave:

—J’aidéjàvécutoutcela,jenetienspasàenvoirdessouvenirs.

Page 140: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Jehochelatêteetrangemontéléphonedansmonsacavecpeut-êtreunpeutropdesoin.Damencomprendbienquejechercheàévitersonregard.

—Voilà,tul’asvu.Lemonstrequej’étaisjadis.

Sesmotsmevontdroit au cœur, etme rappellent la conversationque j’ai eue avecAva.Chacundenousabriteunmonstre,uncôtéobscur,sansexception.Etbienquelaplupartdesgens passent leur vie à essayer d’oublier cette part d’ombre, à l’enfouir au fond de leurinconscient,j’imaginequequelqu’unquiavécuaussilongtempsqueDamendoits’ytrouverconfrontédetempsentemps.

—Jesuisdésolée.

Etc’estvrai,jesuisprofondémentdésoléepourlui.Peuimportenotrepassé,c’estcequenoussommesàprésentquicompte.

—Nem’enveuxpas,Damen.C’estjusteque…jenem’yattendaispas,c’esttout.J’aiétéunpeusurprise,jen’avaisjamaisvutapersonnalitépassée.

—Mêmepasàl’Étéperpétuel,danslesGrandsSanctuairesdelaConnaissance?

J’esquisseunsourirepenaud.

—Non,j’avaisdemandéàl’Akashadem’épargnerlepassageoùDrinaettoiétiezmariés.Jenesupportaispasdevousvoirensemble.

—Etmaintenant?

—Maintenant,Drinanemedérangeplusdutout.C’esttoiquimefaisunpeupeur.

J’essaiederirepourdétendrel’atmosphère,sansvraimentyparvenir.MaisDamensouritetm’attiredanssesbras.

—Corrige-moi,sijemetrompe,maisjepensequec’estunréelprogrès.

Je prends unmoment pour étudier son visage, caresser le début de barbe qui ombre samâchoire. Mon hésitation, cette brève minute pendant laquelle j’ai rejeté son anciennepersonnalités’estdéjàdissipée.Notrevécunous influence,certes,maiscelanesuffitpasàdéfinirquinoussommes.

—EtMiles?Qu’est-cequetucomptesluidire?Commentva-t-onluiexpliquercequ’ilavu?

Damenmerépondd’unevoixfermeetrésolue.–Onluidiralavérité,lemomentvenu.Etaurythmeoùvontleschoses,onn’aurapaslongtempsàattendre.

Page 141: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Trente

—Bon,maintenantjeveuxquetuteconcentresafindenourrirtonénergie.Tudoispouvoir la purifier, l’élever, et la faire accélérer jusqu’à atteindreune vitesse toujours plusgrande.Tupensesquetupeuxyarriver?

Jefermelesyeuxetmeconcentredetoutesmesforces.J’aitoujourseubeaucoupdemalavec cet exercice. Judeavaitdéjà essayédememontrer comment faire,pourque jepuisserevoirRiley.Maisj’avaisbeauymettretoutemavolonté,monénergiecontinuaitàstagner,embourbée dans cette dimension, de sorte que je ne percevais que les bruits parasites dequelquesentitésfantômesquin’avaientpasencoretraversélepont.

—Chaquefoisquetuinspires, jeveuxquetuimaginesunelumièreblancheetapaisantequit’emplitdesesbienfaits,depuislesommetdetoncrânejusqu’auboutdetesorteils.Puis,lorsque tu souffles, tu exhales tous les restes de négativité douteuse qui t’empêchentd’aborder sereinement la vie. Tu peux voir ça comme une épaisse fumée noire etcharbonneuse,çamarchetoujourspourmoi!

Avaponctuesesmotsd’unéclatderirejoyeuxquisonnecommeunrayondesoleil.

Je hoche la tête, les yeux toujours fermés, et j’imagine que les jumelles font demême.Elles se comportent avec Ava comme avec Damen, c’est-à-dire qu’elles l’idolâtrentcomplètementetluiobéissentaudoigtetàl’œil.Bon,ellesontunpeufaitlatêtequandAvaadécidédebannirLeLivredes ombres de lamaison,même après que je leur ai raconté endétailmonexpériencedecequedevient lamagiequand lebutest imprécis– la raisonquicède la place à l’obsession. Évidemment, elles se sont empressées d’objecter qu’ellesn’auraient jamais fait de bêtises aussi crasses que lesmiennes, n’auraient jamais eu l’idéetordue de procéder à un rituel par une nuit sans lune, et nemanipuleraient jamais autrechose que de la matière. Mais Ava a tenu bon, et nous voici donc en pleine séance deméditationpurificatrice.

Je suis ses conseils et me débarrasse petit à petit des résidus négatifs qui tendent às’accumulerenchacundenous.Jedoisbienavouerqu’enquelquesjoursseulementj’aidéjàpu constater une différence fulgurante. Jeme sensmille foismieux, et surtout je peux denouveaumatérialisercequejeveuxetcommuniquerpartélépathieavecDamen.Maisbienquecetteséancedegroupesoitlemeilleurmoyendemerapprocherdemonbutultime,monespritnecessedes’évaderpours’attardersurcequis’estpasséhier.

J’avaisprisunjourdecongépourprofiterunpeudeDamen.Noussommesdoncarrivéssurlaplageetavonsdisposénosserviettessiprochesl’unedel’autrequ’ellesserecouvraientpresque. Demon côté, une pile demagazines, et du côté de Damen, une planche de surfflambant neuve que je lui ai fait apparaître pour me faire pardonner d’avoir détruitl’ancienne,lorsquelagrottes’esteffondrée.Entrenous,deuxbouteillesd’élixirbienfraisetun iPodquenousnouspartageons,même si c’est surtoutmoi qui l’écoute.Ainsi installés,nous étions enfin prêts à goûter à cet été californien que nous avions tant anticipé : unelonguejournéeàparessersurlaplage,commeuncouplenormal.

MaislaparessedeDamenadeslimites.Ilfinitparseleveretattrapasaplanche.

—Tuveuxsurfer?

Jefis«non»delatête.Franchement,encequiconcernelesurf,c’estplusprudentpourtoutlemondesijerestesurlaplageàregarder.

Page 142: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Jemeredressaisurmescoudes,tandisqueDamensedirigeaitversl’océand’unpassoupleetrapide,etjemedemandaisij’étaislaseuleàm’émerveillerdesonallureféline.

Il lançasaplancheàl’eauetsejetadessusavantdesedirigerverslelarge.Jesentissoninfluence lorsque les vagues jusque-là bien sages se transformèrent en rouleaux presqueparfaits.Oubliéslesmagazinesetl’iPod,j’étaiscombléerienqu’àobserverDamen…jusqu’àcequeStaciavienneseplanteràcôtédemoi,Honordanssonombre.Demanièrethéâtrale,elleagitaseslongscheveuxstriésdemèchesblondes,remontasonsacdeluxesursonépauleetmitseslunettesdesoleilavantdes’exclamerd’unairdégoûté:

—Ever!Tum’éblouis,tellementtuesblanche!

Jedéglutisetinspiraiprofondément,maisfeignisdenepasl’avoirvueouentendue.J’étaisbiendécidéeàfairecommesiellen’existaitpas,etgardailesyeuxrivéssurDamen.

Cela ne suffit pas à la décourager. Elle me toisa des pieds à la tête avec de petitsclaquementsdelangueréprobateurs,maisselassavitedecepetitjeuettoutesdeuxallèrentseposterunpeuplusloin,prèsdel’eau,toujoursdansmonchampdevision.

C’est à ce moment-là que je craquai. Je me laissai aller à l’encontre de tout ce qu’Avam’avait enseigné, c’est-à-dire comment bloquer l’énergie négative de pestes comme Staciapour me concentrer sur mon propre mental, bien plus sain. Je baissai les yeux et dusadmettre qu’elle n’avait pas tort. Alors que quelques minutes auparavant j’étais heureused’avoirretrouvéuncorpssainetvigoureuxaprèsmapérioded’épouvantailmaigrichon,jenevoyais soudain plus que ma peau blafarde – Stacia avait raison de sortir ses lunettes desoleil : ça faisaitpresquemalauxyeux.Enplus,avecmescheveuxd’unblondpâleetmonmaillotdebainblanc,cen’étaitpasbeauàvoir:j’avaiscarrémentl’aird’unfantôme.

Jemeressaisisalors,maisilmefallutunelonguesériederespirationspurificatricespourme débarrasser de l’image négative que Stacia avait réussi àme donner demoi-même. Etencore, je n’arrivai pas àme détacher complètement. Je les regardais chuchoter, et Stacian’arrêtaitpasdefairevolersescheveuxetdejeterdescoupsd’œilàdroiteetàgauche,pours’assurerquetoutlemondelaremarquait,s’attardantsurmoiàchaquepassageavecunairdeméprisappuyé,histoireque jecomprennebienàquelpoint je ladégoûtais. Ilauraitétéfaciledemebranchersurleurspensées,maisjem’interdisdelefaire.

J’étaispourtanttentée,surtoutaprèsavoirdécouvertlesprojetsdeHonorpoursupplanterStacia–sansparlerdesesaptitudesexceptionnelles,d’aprèsJude.Apparemment,elleavaittantdefacilitésetprogressaitsivitequ’ilavaitcommencéàluidonnerdescoursparticuliers.Maisjetinsbonetmeretinsdelesespionner.J’auraisbienletempsdedécouvrircequ’ellestramaientunefoisquelescoursauraientrepris.JereportaidoncmonattentionsurDamen,etmelaissaisubjuguerparlagrâceaveclaquelleilnégociaitlesvagues,etlemiroitementdusoleil qui semblait accompagner les mouvements de ses muscles tendus sous sa peaubronzée.J’euslesoufflecoupépartantdebeautéenleregardantsortirdel’eau,saplanchesouslebras.

IlpassaàcôtédeStaciasansdaignerréagiràsonregardappuyéetàson«Salut,Damen!»suraiguetmielleux,posasaplancheàcôtédesaserviette,et sepenchapourm’embrasser,faisant tomber des gouttes d’eau salée sur mon ventre. Il s’installa tout près de moi etm’embrassa de nouveau, toujours sous l’œil insistant de Stacia, qui ne pouvait pas voir lemincevoiled’énergiequinousprotégeait.

Honor, en revanche… Je levai les yeux et la vis qui nous observait avec une expression

Page 143: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

différentedecelledeStacia:à lacuriositéetunecertainejalousiesemêlaitunenuancedecompréhensionquimefitfroiddansledos.

Elle croisa mon regard et je vis une ébauche de sourire passer sur ses lèvres avant dedisparaîtreaussitôt,melaissantavecunétrangepressentiment.JemeretournaiversDamen,et…

—Ever,youhou!Tuestoujoursavecnousouont’aperdue?lanceAvapendantqueRomyetRaynericanentdansleurcoin.

Aussitôt,monsouvenirdelaplages’évanouitetjereviensàlaréalité,danslesalond’Ava.Jelaregarded’unairpenaudetbalbutie:

—Euh…jecroisquejemesuis laissédistraire,désolée.MaisAvafaitpartiedecesprofsquineblâmentjamaisleursélèves.

—Cen’estpasgrave,çaarrive.Est-cequetuveuxnousenparler?

Jejetteunrapidecoupd’œilversRomyetRayne.

—Non,çava.Merci.

Ava lève les bras vers le ciel et s’étire tranquillement, langoureusement, puis medemande:

—Alors,qu’est-cequetuenpenses?Ontentelecoup?Jehausselesépaules.Jenesaispassij’yarriverai,maisjesuisprêteàessayer.

—Super.Jepensequ’ilesttemps,dit-elleavecunsourire.Tuveuxdelacompagnie,outupréfèresyallerseule?

Ducoinde l’œil, jevois les jumellesqui s’appliquentà regarder leurspieds, les tableauxauxmurs, la lampeauplafond…bref, toutsaufmoi.Nosdeuxdernièrestentativespour lesemmeneràl’Étéperpétuelontéchoué,etjenetienspasàleurinfligerunefrustrationinutile.

—Euh…jecroisquejepréfèreyallertouteseule,siçanevousennuiepas.

Avam’étudieuninstant,puisjointlesmainsdevantsonvisageets’inclineendisant:

—Bonvoyage,Ever.Etbonnechance.

Sesmotsrésonnentencoreàmonoreillelorsquej’atterrisdirectementdevantlesGrandsSanctuairesde laConnaissance.Jemerelèveetm’époussette lederrière.Jemesensprête,purifiée et en pleine possession demesmoyens. J’espère seulement que les instances quicommandentl’accèsauxtemplesserontdumêmeavis.

Je croise les doigts pour que la façade proteiforme s’offre à mes yeux, et monte lesmarchesquatreàquatrepournepasperdreuneseconde–ourisquerdemelaissergagnerparledoute.Unefoisenhaut,jelèvelesyeuxverslemonumentauxcolonnesmajestueuses,quisemetàscintilleretàchangerd’apparencependantquelesportess’ouvrentdevantmoi.Jepousseunprofondsoupirdesoulagement.

Jesuisdigned’entrer!

Jesuisderetour.

Jem’avance sur le soldemarbrepoli etpassedevant les longues tablesauxquelles sontinstallées des rangées de scribes qui étudient toutes les questions spirituelles du monde.Chacun d’entre eux est penché sur une tablette en cristal et cherche des réponses. Jecomprendssoudainquenousnesommespassidifférents,euxetmoi.Noussommestousici

Page 144: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

enquêtedequelquechosedevital.

Jem’arrête,fermelesyeuxetm’adresseàcetendroitmagique:

Toutd’abord,mercidem’avoiroffertunesecondechanced’entrerencelieu.Jesuisbienconsciented’avoirenchaînéleserreursetdem’êtreunpeuperduecesdernierstemps,maisj’aiapprisuneprécieuseleçon,etjevousprometsdeneplusfairedebêtises–enfin,paslesmêmes,entoutcas.Enrevanche,maquêten’apaschangé.Jerecherchetoujoursl’antidotequinouspermettrade…d’êtrevraimentensemble,Damenetmoi.EtpuisqueseulRomanledétient,j’aibesoindesavoircommentl’aborder,commentobtenircequejeveux,maissans…disons, sans le manipuler ni lui jeter de sorts, vous voyez ? Bref, je cherche un moyend’approcher Roman. Je ne sais pas trop comment m’y prendre et, euh… si vous pouviezm’aider,medonnerunindice,oumemontrercertainesinformationsquimepermettrontdefaireappelàRomansansrisquerdetoutgâcher,ehbien…j’apprécieraisbeaucoup.

Je retiens mon souffle et reste immobile comme une statue. J’entends un légerronronnement, un son très doux quim’entoure, et quand je rouvre les yeux, jeme trouvedansuncouloir.Cen’estpaslemêmequelapremièrefois,iln’yapasd’écrituresenbraillesur lemur,etcelui-ciestplus largeetmoins long.Ondiraitunpeu l’accèsauxsiègesd’unstadecouvertoud’unesalledeconcert.Eteneffet,quandj’arriveaubout,jeconstatequejesuisdansuneespèced’arènecouvertequialaparticularitédenecontenirqu’unseulfauteuil.Évidemment,celui-làm’estréservé.

Jem’installe,etdéplielacouvertureposéeàcôtédusiègepourladisposersurmesjambes.J’embrasseduregardlescolonnadesquim’entourent.Toutal’airtrèsvieuxetpassablementdécrépit,commeunmonumentantiqueuséparlessiècles.Aumomentoùjemedemandesijedoisfairequelquechose,unhologrammesematérialisedevantmoi.

Jemepencheversl’avantpourmieuxvoircetteimagehallucinante.Ils’agitd’unefamille,ou presque. Pâle et fiévreuse, une jeunemère est allongée sur le dos et hurle de douleur,supplieDieudemettreuntermeàsessouffrances.Ellen’amêmepaslachancedetenirdansses bras le fils qu’elle vient demettre aumonde que, déjà, son vœu est exaucé. Dans underniersoupir,ellerendl’âme,quisedétachedesoncorpstandisqueleminusculebébécrieetsedébatalorsqu’onlelaveetlelange.Puisonletendàsonpère,tropabattuparlechagrinpours’ensoucier.

L’hommeplongedansundeuilsansfin,etblâmesonfilspourlamortdesafemme.

Ilsetourneversl’alcoolpuis,commecelanesuffitpas,verslaviolence.

Ilcommenceàbattresonfilsalorsquecelui-cinemarchepasencore,jusqu’aujouroùils’en prend à un adversaire bien plus fort que lui au cours d’une bagarre qu’il sait perdued’avance. On retrouve dans une allée sombre son corps tuméfié et sans vie, qui affichepourtantunsourirebéatdesesentirenfinlibérédecetteviedemalheur.Etc’estainsiquelepèreabandonneunenfantaffaméàlachargedel’Église.

Unenfantà lapeaudorée,auxgrandsyeuxbleusetauxbouclesblondes…unenfantquin’estautrequeRoman.

Voilàdoncmonennemi éternel, que je suis àprésentdans l’impossibilitédehaïr. Jeneressensquede lapitiéen levoyant,plus jeuneque lesautresetmalingrepoursonâge, sebattre pour se faire uneplace, pour se sentir accepté, aimé.Maismalgré ses efforts, le filsnégligé,battuetabandonnéparsonpèredevientlelarbindetous,leurboucémissaire.

Page 145: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

MêmelorsqueDamenfabriquel’élixiretlesencourageàenboirepourseprémunircontrelapestenoire,Romanestledernierservi.Etencore,cen’estqueparcequeDrinainsistepourqu’onluiengardequelquesgouttes.Elleestlaseuleàsesoucieruntantsoitpeudelui.

Je me force à rester jusqu’au bout et à assister à tous ces siècles pendant lesquelsl’aversion de Roman pour Damen n’a fait que grandir, proportionnelle à son amour pourDrina.Sousmesyeux,Romandevientunjeunehommeincroyablementfortetaccompli,unhommequipeut obtenir tout cequ’il veut–qui il veut–hormis cequi lui tient le plus àcœur.Cedontjel’aiprivéàtoutjamais.

Je regarde tout, mais j’ai compris dès les premières minutes. Le Roman vicieux etmachiavélique que je connais n’est que le résultat de la violence de son père, conjuguée àl’indifférence de Damen et à la gentillesse de Drina. Il aurait sans doute pu vivre une viemeilleure si quelqu’un lui avaitmontré la voie.Mais il est impossible de donner quelquechosequel’onn’ajamaisreçusoi-même.

Quand leshologrammes sedissipent et que la lumièredisparaît, je saisdéjà cequ’ilmeresteàfaire.

Je me lève de mon siège, m’incline en guise de remerciement et retourne sur le planterrestre.

Page 146: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Trenteetun

Jetournedansl’alléeetcoupelemoteur, leventresoudainnouéparunsentimentd’incertitude.Lesquestionsfusentdansmatête:est-cequec’estvraimentunebonneidée?Est-ce que je vais seulement réussir à lui parler, ou est-ce qu’elle vame jeter sans regret,commesonlook«Emo»del’andernier?

Évidemment, jene connaîtrai jamais les réponses si jen’essaiepas.Donc jeprendsunepetiteminute pourme calmer,me recentrer, et faire appel à toutema force intérieure. Jepasselamainsurmonamuletteàtraverslefintissudemarobeetsorsdelavoiture.Jenesuis même pas sûre qu’elle habite encore ici, maintenant qu’elle est immortelle etsurpuissante;maissielleadéménagé,jepourraiaumoinsapprendresanouvelleadresse.

Je frappe à la porte et, quand l’employée demaison vientm’ouvrir, je suis soulagée deconstaterquerienn’achangéenapparence:c’esttoujoursunfestivaldedésordrechaotique.Je souris et prends un ton plein d’espoir, comme pour l’inciter àme donner une réponsepositive.

—Bonjour,est-cequeHavenestlà,s’ilvousplaît?

Elle acquiesce et ouvre la porte en grand, tout enm’indiquantd’un geste la chambredeHaven.Jenemelaissepasletempsdedouteretfonceversl’escalier.Arrivéedevantsaporte,jefrappedeuxcoupssecs.

— C’est qui ? Râle Haven comme si elle n’avait pas lamoindre envie de recevoir de lavisite.

Jeluiréponds,sansoserimaginerlatêtequ’elledoitfaire.

Elleentrouvre laporte justeassezpourme jeterunregardméprisant, sans toutefoismelaisserentrer.

—Çaalors…ronronne-t-elle.Ladernièrefoisqu’ons’estvues,tuasessayéde…

—Det’agresser,dis-je,enpensantlasurprendreparcetaveufrancetsansdétour.

—J’allaisplutôtdire«mepiquermoncopain»,maismaintenantquetuenparles,c’estvraiquetun’asréussiqu’àmettrelamainsurmoi,raille-t-elleavecunpetitsouriremauvais.Alors,dis-moi,Ever,pourquoiest-ceque tues là?Pour finirceque tuascommencé,c’estça?

Jeluiadressemonregardleplushonnêteetleplusdirectavantderépondre:

—Non, au contraire. Je suis venue pour effacer cette histoire sordide. Je voudrais toutt’expliquer,quel’onpuissefaireunetrêve.

Unfrissonmeparcourtàcemot:c’estceluiqueRomanavaitemployédanslalettrepourm’inciteràvenirchezlui,etças’estplutôtmalterminé.

Haveninclinelatêteetadopteuneminesceptique.

—Unetrêve?Toi,EverBloom?Lafillequiafaitsemblantd’êtremameilleureamieavantdemepiquerlegarçondemesrêves?

Lisantl’incompréhensionsurmonvisage,elles’énervefranchement.

—JeteparledeDamen!Jeterappellequej’avaisprisuneoptionsurluiavantmêmequetunelevoies.Maisnon,ilafalluquetufoncesdansletasetquetumelepiques–sousmon

Page 147: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

nez!Bon,j’admetsquecen’étaitpasplusmal,finalement.Saufquevoilà,çanet’apassuffi!Tu avais déjà tout ce qu’une personne normalement constituée pouvait désirer, maisvisiblementunseulimmortelbeauàtomberparterre,cen’estpasassezpourtoi.Alorstuasdécidé demepiquerRomanpar-dessus lemarché ! Et puis, comme tu ne fais pas dans ladentelle, tu as essayé de me tuer au passage. Mais voilà que tu viens de comprendre teserreurs,etdonctutepointeschezmoipourmedemanderdefaireunetrêve?C’estbiença?Jenemetrompepas?

—Non,tunetetrompespasvraiment,maisc’estbeaucouppluscompliquéqueça.Ilyaunechosequetudoisabsolumentsavoir.Lavérité,c’estquej’aiessayéd’ensorcelerRomanpourleforceràseplieràmavolontéetàmedonnercequejevoulais.Saufquejem’ysuisprise comme unmanche et que çam’est retombé dessus. Je t’avoue que je ne comprendstoujourspastrèsbiencommentças’estpassé…Bref,c’estlaseuleraisonquim’apousséeàagircommejel’aifait.Jepeuxtelejurer.Jen’étaisplusmoi-même–plusvraiment.Jesaisqueçaal’aircomplètementfou,etjenem’expliquepeut-êtrepasclairement,maisc’étaitunpeucommesiuneforceextérieureavaitprislescommandesdemoncorps.Jenecontrôlaisplusrien.

J’essaie de garder un air franc et convaincu pour qu’elleme croie,mais elle pousse unricanementsarcastique.

—Tuasessayédel’ensorceler?Tucroisvraimentmefairegoberuntrucpareil?

Jesoutienssonregardethochelatête.Jesuisprêteà lui faireuneconfessioncomplète,maispasici,pasdanslecouloir.J’esquisseungestedelamain.

—Est-cequejepeux…?

Elleplisselespaupièresd’unairméfiant,avantd’ouvrirsaporteàpeineassezgrandpourmelaisserpasser.

—Autantteprévenir,situfaislemoindregestedéplacéjetejurequejetesauteraidessussivitequetunecomprendrasmêmepascequi…

—Çava,détends-toi,dis-jeenm’asseyantsurson lit,commeaubonvieuxtemps–saufque lacomparaisons’arrête là.Je t’assureque je suisd’humeurparfaitementnonviolente,depuisquelquesjours.Jen’aipasdutoutl’intentiondet’attaquer.Cequejeveux,c’estfairelapaixetregagnertonamitié.Maisfautedemieux,jemecontenteraid’unetrêve.

Elles’adosseàsacoiffeuseetcroiselesbrassurlecorsetdecuirqu’elleportepar-dessussarobeendentellevintage.

—Désolée,Ever,maisaprèstoutcequej’aivucesdernièressemaines,jen’aiplusaucuneraisondetefaireconfiance.Ilvafalloirêtreunpeuplusconvaincante.

J’inspire profondément et passe unemain sur son vieux dessus-de-lit à fleurs, étonnéequ’ellenel’aitpasremplacé.

—Jecomprends,vraiment.Maisjenesupportepasdevoircequinousestarrivé.Tumemanques,notreamitiémemanque.Etçamefaitdelapeinedesavoirquec’estenpartiemafaute.

—Enpartie?s’exclame-t-elle,outrée.Écoute,cen’estpaspourremuerlecouteaudanslaplaie,mais tune croispasque ce seraitunpeuplus exactdedireque c’est entièrement tafaute?

Jelaregardedroitdanslesyeuxetdis:

Page 148: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

—Bon,d’accord,c’estessentiellementmafaute,maispascomplètementnonplus.Celadit,cen’estpasça,leplusimportant.Cequetudoiscomprendre,c’estquemêmesijen’aimepasRoman – et crois-moi, j’ai mes raisons – j’admets que vous êtes ensemble et que jen’arriverai pas à te faire changer d’avis, donc je n’essaierai plus. Et même si ça te paraîtdifficileàcroire,jet’assurequecen’étaitpasvraimentmoi.

— Ah oui, c’est vrai, c’était le grand méchant mauvais sort ! crache-t-elle d’un tonsarcastique.

Maisjenemelaissepasdémonter.

—Jesaisqueçasemblecomplètementfou,maistuesbienplacéepoursavoirquelestrucslesplusfoussontsouventbienréels,non?

Ellemeregardesansriendire,labouchefroncéed’uncôté–signequ’ellenerejettepascequejeviensdedire,etyréfléchitsincèrement.

—Onestdumêmecôté,toietmoi,etj’espèrequetufinirasparcomprendreçaaussi.Jenecherche absolument pas àmemettre en travers de ton chemin, et je n’essaierai jamais deséduirequelqu’unquiteplaît,malgrécequetuaspuvoir.J’espèrejustequ’iln’estpastroptardpourredeveniramies,mêmesiçaneseraplusjamaispareil,évidemment.Jesaisquetupassespasmaldetempsautravailetavectesnouveauxamis…euh…cesautresimmortels…

J’aioubliéleurnom,etHavenmelesrappelled’untonclairementagacé.

—Rafe,MisaetMarco.

—Oui,voilà.Maiscequejevoulaisdire,c’estquelescoursreprennentbientôtet…Bref,j’espérais qu’on pourrait… peut-être pas tous les jours, c’est toi qui vois, mais j’aimeraisqu’onpuissedéjeunertousensembledetempsentemps.Commeavant,quoi.

—Ah,doncc’estunetrêvedudéjeuner?

—Non, c’est une trêve permanente. J’espère juste qu’on arrivera encore à se voir, c’esttout.

Ellefroncelessourcilsetexamineavecattentionlespointesdesescheveux.Étantdonnéque les immortels n’ont pas de fourches, je devine que c’est uniquement pour éviter decroisermonregard–etmefairemarinerunpeuplusavantdemedonneruneréponse.

Ellefinitparreleverlatêteetdit:

— Ce ne sera jamais comme avant, et pas seulement à cause de ce qui s’est passé avecRoman–d’ailleurs,jetiensàpréciserquec’étaitvraimenttordu.Non,c’estsurtoutquej’aichangé, et que je ne regrette pas du tout la pauvre fille triste et pathétique que j’étaisauparavant.

—Tun’asjamaisétéunepauvrefillepathétique.Justeunpeutriste,parfois.

MaisHavenécartemaremarqued’ungestedelamain.

—Etpuis,Misa,RafeetMarcosontsupersympas,maisàpartnotre immortalité,onn’apas grand-chose en commun.On adesparcours et des goûts complètementdifférents.Parexemple,ilsn’ontjamaisentenduparlerdelaplupartdemesgroupespréférés,etjedoisdirequeçalimitelessujetsdeconversation.

Jehochelatête,commepourluisignifierquejecomprendstoutàfait.

—Alorsque,mêmesionn’ajamaiseutantdechosesencommun,toietmoi,j’aitoujourseu l’impression qu’on était sur la même longueur d’onde. Je voyais bien que tu ne me

Page 149: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

comprenais pas toujours, mais tu ne me jugeais pas, et j’appréciais beaucoup – enfin,j’appréciais,quoi.

Jememordslalevreenattendantlasuite,carjesensbienqu’ellen’enapasfini.

—Alorsoui,tum’asmanquéaussi.Etpuis,ceseraitchouettedegarderaumoinsuneamiepourl’éternité.D’ailleurs,tuesvraimentsûrequ’onnepeutpastransformerMiles?

—Non!jem’écrieavantdecomprendrequ’elleplaisante.

Elle éclatede rire et se laisse tomber sur sonpouf en léopard,puis étale sa jupe autourd’elleavantdeposerlajouedanssamain.

—Ever!Sérieux, il fautquetuapprennesàtedécoincer!N’empêchequeçapourrait luidonnerunsacrécoupdepoucepoursacarrièred’acteur.Ilauraittouslesrôlesdebeaugosse.

— Oui, mais pour combien de temps ? Crois-moi, même à Hollywood, les genscommenceraient à seposerdesquestions s’il gardait éternellement sabouillede jeunotdedix-huitans.

—Çan’apasposédeproblèmeàDickClark.

—Quiça?

—«Leplusvieiladolescentdumonde»!C’estunelégendedelaradio,cetype!

Jehausselesépaules,çanemeditvraimentrien.Havenéclatederire.

— Oublie, ce n’est pas grave. Mais j’ai une théorie selon laquelle il y a beaucoup plusd’immortels que ce qu’on croit. Il n’y a qu’à regarder certains acteurs ou mannequins :commenttuexpliquesqu’ilssoienttellementplusbeauxquelamoyenne?

—Euh…un ticket gagnant à la loterie génétique, un peu de chirurgie esthétique et unebonnedosedePhotoshop!dis-jeenriant.

—Peut-être.Romann’estpastoujourstrèsbavardàcesujet.

Sansblague!

—Unefois,jeluiaidemandécombiend’immortelsilyavaitvraimentsurterre,etcombienl’étaientgrâceàlui.Ehbienfigure-toiqu’ilm’atournéledosetamarmonnéuntrucbidondugenre:«Moiseullesais,aurestedumondedeledécouvrir.»J’aieubeauletanner,iln’afaitquerépétercettemêmephrase,jusqu’àcequejelâchel’affaire,tellementilm’énervait.

— C’est ce qu’il a dit, mot pour mot ? « Moi seul le sais, au reste du monde de ledécouvrir»?

J’essaiededompterlapaniquesourdequeprovoquecettephrase,maissansgrandsuccès.Jen’aimepasceladutout,etHavenl’abiencompris.

Aussitôtellesembleserendrecomptequ’elleenapeut-êtretropditetchercheunmoyendefairemachinearrière.CequinefaitqueconfirmersaloyautéenversRoman.

—Je ne sais plus très bien.C’était peut-être « à toi de le découvrir »– c’est undicton,non ? Enfin, il vaut peut-êtremieux qu’on évite de parler de Roman si on veut redeveniramies, étant donné que je l’aime et que tu le détestes. On n’aura qu’à faire comme s’iln’existaitpas.

Siseulement!C’estcequejepense,maiscequejedisn’arienàvoir:

—Tul’aimes?

Page 150: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Ellesoutientmonregardunlongmomentavantdebaisserlatête.

—Oui,jel’aime.Vraiment.

—Et…c’estréciproque?

JedoutequeRomansoitcapabled’aimerquelqu’un,surtoutaprèscequej’aivu.Personneneluia jamaismontrécequec’était,etcelanes’inventepascomplètement.Mêmecequ’ilressent pour Drina, ce n’est pas vraiment de l’amour ; cela ressemble plus au genred’obsessionquel’onpeutavoirpourunobjetbrillantetfascinantmaisinabordable,unjoyaudésirableparcequeinaccessible.C’estàcettetorture-làqu’ilveutnouscondamner,Damenetmoi.Maisiln’yparviendrapas.Avecousansantidote,cequenouspartageonsestbienplusprofond,bienplusfortquetoutcequ’ilpeutimaginer.

Havenrelèvelatêteetmeregarde.

—Honnêtement?Jen’en sais rien.Mais si jedevaisdonnerune réponseà toutprix, jediraisquenon.Ilnem’aimepas–mêmepasunpeu.Laplupartdutemps,ilessaiedecacherses sentiments en prétendant qu’il n’éprouve jamais rien, mais parfois, il a comme des…j’appelleçases«crisesdebroie-du-noir».Ils’enfermedanssachambrependantdesheureset refusedeparler à qui que ce soit. Jen’ai aucune idéede ce qu’il y fait,mais j’essaiederespecter ce besoin de solitude, même si je suis curieuse de savoir. Je me dis que si jem’accroche,ilfiniraparmefaireconfiance,etqueceseradifférent.Aprèstout,j’ailetemps…

Jenedisrien,impressionnéedelavoirsiconfiante,simûre.

Ellebaisselesyeuxsousprétextedejoueravecladentelledesajupe.

—Tusais,Ever,dansunerelation,ilyenatoujoursundesdeuxquiaimeplusquel’autre.Par exemple, avec Josh, c’était lui. Tu savais qu’il m’avait écrit une chanson quand je l’ailargué,pouressayerdemefairerevenir?Ellen’étaitpasmal,d’ailleurs,j’étaismêmeplutôtflattée.Maisj’étaisdéjàpasséeàautrechose–Roman,enl’occurrence.Etlà,c’estclairementmoiquil’aimeleplus.Ilmetolèreetonpassedebonsmomentsensemble,maisc’estaussiparcequ’iln’yapasd’autrefillequiluitourneautour.Enfin,àparttoi…ajoute-t-elleavecunregardsévèrequimedonneenviedemefairetoutepetite.Maiselleéclatederireaussitôt,etpoursuit.

— Blague à part, le message, ici, c’est que contrairement à ce que tu as l’air de croire,l’amourn’estjamaisvraimentéquitable.Ilyenatoujoursunquisoupireaprèsl’autre,c’estcommeça.Etàtonavis,Ever,quiest-cequiaimeleplus,deDamenettoi?

Sa question me prend au dépourvu, alors que j’aurais dû la voir venir. Haven attendpatiemmentmaréponse,etjefinisparbafouilleruntrucquinerimeàrien.

—Euh…Ben…Àvraidire,jen’yavaisjamaisvraimentpensé…Jenevoyaispasleschosescommeça,alors…

Haven se laisse aller au fondde sonpouf, et regarde leplafondde sa chambre constelléd’étoilesquibrillentdanslenoir.

—Ahbon?Parcequemoi,j’yaibienréfléchi,etjepeuxtecertifierquec’estDamenquit’aimeleplus.Ilremueraitcieletterrepourtoi,ettutecontentesdesuivrelemouvement.

Page 151: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Trente-deux

J’aimeraispouvoirdirequelesparolesdeHavenm’ontlaisséeindifférente,etquej’ai su non seulement les réfuter,mais la rallier àmon point de vue à coups d’argumentsimparables. Mais la vérité, c’est que je n’ai pas dit grand-chose. J’ai écarté le sujet d’unhaussement d’épaules, et elle a sorti son iPod pourme faire écouter desmorceaux que jen’avais jamaisentendus,degroupesdont j’ignorais jusqu’à l’existence.Nousavonsfeuilletédesmagazinesenpapotantdechosesetd’autres,commeaubonvieuxtemps.Maisaufond,noussavionstouteslesdeuxquecelan’avaitplusrienàvoiraveclebonvieuxtemps.

Puis je suispartiepour aller rejoindreDamen,mais saquestiona continuéàme trotterdanslatête:quidenousdeuxaimeplusl’autre?Àvraidire,aujourd’huiencore,celan’apasarrêtédemetracasser,depuislepetitdéjeunerentêteàtêteavecSabinejusqu’àlaboutique,mêmealorsquej’étaisoccupéeàrangerlesétagères,tenirlacaisse,oufairedesséancesdevoyance sousmon pseudonyme d’Avalon. Encoremaintenant, tandis que j’en termine unedernière,jenepeuxpasm’empêcherd’yrepenser.

Maclientem’examined’unairépoustouflé.

—Ouah!C’étaitvraimentremarquable,incroyable!

Ellesecouelatêteettendlamainverssonsac.Jeconnaiscetteexpression,typiqued’unepremièreséanceréussie:c’estunmélanged’excitation,d’incrédulitéetd’unefurieuseenvied’ycroire.

Je lui souris poliment et rassemble les cartes de tarot que j’utilise pourmedonner unecontenance. À vrai dire, c’est aussi pour tranquilliser les clients. La plupart des gensn’aimeraientpasdutoutl’idéequequelqu’unpuisseentendreleurspenséeslesplussecrètesetlireleurvieentièreàtraversunsimplecontact.

Maclienteglissesonsacsursonépaule,sansmequitterdesyeux.

— Je ne m’attendais pas à ce que vous soyez aussi jeune. Ça fait longtemps que vousexercez?

—Voussavez,cen’estpasunescience,c’estundon.Judem’aplusoumoins interditdedirecela,pournepasdécouragermesclientsdes’inscrireàsescours,maisvuqueHonorestla seule élève qui continue à venir, je ne vois pas où est le mal. J’essaie d’influencer manouvellefanpourqu’ellearrêtedemedévisageretvideleslieux.Jen’airiencontreelle,maisj’aiprévuquelquechosedetrèsimportantpourlasoirée,etsiellemeretardetrop,ellerisquedechamboulermesplans.Voyantsonairperplexe,jenepeuxpasm’empêcherdeprécisermapensée.

—Iln’yapasdelimited’âgepourêtrevoyant,aucontraire.Lesenfantsontuneaptitudenaturelle, tant qu’on ne leur a pas encore enseigné ce qui était possible ou acceptable auxyeux de la société. Ce n’est qu’une fois que le désir d’être accepté par les autres prend ledessusqu’ilsrejettentcedon.Parexemple,vousn’aviezpasd’amiimaginaire, lorsquevousétiezpetite?

Bon,jetricheunpeu,jeconnaislaréponsedepuisquejel’aitouchée.

—Tommy!s’exclame-t-elle,unemainsurlabouche,commesicenomluiavaitéchappémalgréelle.

Jeluisouris.

Page 152: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

— Il était bien réel pour vous, n’est-ce pas ? Il vous a aidée à traverser des momentsdifficiles.

Ellemeregarde,lesyeuxécarquillés.

—Oui…Jefaisaissouventdescauchemars,commence-t-elle,visiblementunpeugênéedel’avouer. C’était aumoment oùmes parents ont divorcé, etmon univers était sens dessusdessous,aussibienfinancièrementqu’émotion-nellement.Tommyestapparuetm’apromisdemeprotégerdesmonstres.Çaamarché,voussavez.J’aiarrêtédelevoirversl’âgede…

—Dixans,dis-jeenmelevantpourluisignifierquelaséanceestterminée.C’estunpeuplustardquelamoyenne,maisc’étaitlemomentoùvousn’avezpluseubesoindelui,etilestparti.

Jevaisouvrirlaporteetluifaissignedepasser,enespérantqu’ellesedépêched’alleràlacaissepourpayer.

Maisaulieudecela,elles’arrêteauboutducouloiretsetourneversmoi.

—Il fautabsolumentque jevousprésentemacopine.Jesuissérieuse,ellenevapasenrevenir!Ellenecroitpasàceshistoires,elles’estcarrémentmoquéedemoiquandelleasuque je venais ici. On va dîner ensemble, avec deux autres amis, et elle devrait passer meprendrebientôt,siellen’estpasdéjàlà.

Jeluirendssonsourireetessaied’avoirl’airsincèrequandjedis:

—Volontiers,jeserairaviedelarencontrer.Maiscesoirjedois…

—Oh,génial!Justement,lavoilà!

Je regarde mes pieds avec un gros soupir. Si seulement je pouvais me servir de mespouvoirs pour faire que les clients payent et s’en aillent sans faire d’histoires – juste unefois!

Jevoisdéjàmesprojetspartirenfumée,quandsoudainelleplacelesmainsenporte-voixets’époumone:

—Sabine!Hé,viensvoir!Ilfautquejeteprésentequelqu’un.

Jemefigeetmoncorpsseglace.J’ail’impressiond’êtreleTitanicfaceàsoniceberg.

Jen’ailetempsnideréfléchirnid’agir:Sabinearriveàgrandspas.Ellenemereconnaîtpas toutdesuite,nonpasàcausede laperruquenoire–que j’aiarrêtédeporter il yaunmomentdéjà–maisparcequejesuisladernièrepersonnequ’elles’attendàvoirici.Mêmealorsqu’ellesetientjustedevantmoi,ellecontinueàclignerdesyeuxd’unairincréduleet,àsescôtés,M.Munozsembleaussipaniquéquemoi.

Puisellesecouelatête,commepourchasserdestoilesd’araignées,etbalbutie:

—Ever?Qu…Qu’est-cequisepasse?Jenecomprendspas…

Sonamienousregardetouràtour,l’airsoudainméfiant.

—«Ever»?Mais…jecroyaisquevousvousappeliez,Avalon?

J’inspire profondément et acquiesce. C’en est fini de mu petite vie de secrets et demensonges;ellevientdepartirenflammes,etl’incendien’estpasprèsdes’éteindre.

J’éviteleregarddeSabineetrépondscalmement:

—J’aideuxnoms,EveretAvalon.Çadépend.

Page 153: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

—Çadépenddequoi?s’indignemacliente,commesijel’avaispersonnellementoffensée.

Son aura fulmine et elle semble subitement remettre en cause non seulement monidentité,mais aussi la véracité de tout ce que je lui ai révélé pendant l’heure qui vient des’écouler.Elleal’airprêteàmedénoncer–àqui,ellenesaitpasencore,maiscelanechangerienàsadétermination.

—Non,maisvousêtesqui,àlafin?C’estquoi,cetteblague?

Sabineadéjàretrouvésoncalme,etc’estdesavoixd’avocateimplacablequ’ellerépond.

—Everestmanièce,etj’aicommel’impressionqu’elleapasmaldechosesàm’expliquer.

C’estcequejem’apprêteàfaire–pastoutexpliquer,etcertainementpasdelafaçondontSabinelevoudrait,maisdumoinsdirequelquechosepourcalmerlesesprits–lorsqueJudenousrejoint.

—Toutvabien?Laséances’estbienpassée?

Je jetteuncoupd’œilà l’amiedeSabine.Avec tous lesexercicesquem’infligeAva,monénergie est à son meilleur, et je sais que cette séance était d’une précision exemplaire.Pourtant, je n’ai pas prévu ce petit incident, et je vois que ma cliente rechigne à payermaintenant qu’elle sait que la miraculeuse Avalon n’est autre que la nièce mineure etvaguementdélinquantedesacopine.

J’interviens,sanslaisseràJudeletempsdeprotester.

—Toutvabien,metscetteséancesurmoncompte,s’ilteplaît.Jet’assure,c’estpourmoi.Iln’yapasdeproblème.

Cela semble convenir àma cliente– sinon à Jude.En revanche, l’aura de Sabine est enfurieetsesyeuxsontréduitsàdeuxfentesfurieuses.

—Ever?Tun’aspasmieuxàdirequeça?

Jelaregardedroitdanslesyeuxetpense:Si,j’aibienmieuxàdire,maiscen’estnilelieunilemoment!

J’ensuisencoreàcherchercommentexprimercelasans lamettreencoreplusenrogne,quandM.Munozintervient.

—Jesuissûrqueçapeutattendrejusqu’àdemain,oùvousaureztoutletempsdediscuter.Si on n’y va pas très vite, on risque de perdre notre réservation, et ce serait vraimentdommage,aprèstoutlemalqu’ons’estdonnépourl’obtenir.

Sabinesoupire,partagéeentre l’argumentfortraisonnabledeM.Munozet l’enviedemefairesentirquejenesuispastiréed’affaire.Lesmâchoirestoujoursserrées,ellemurmure:

—Demainmatin,Ever.Jecomptebientevoiraupéritdéjeuner.Etiln’yapasde«mais»quitienne,ajoute-t-elleenvoyantl’expressionbutéedemonvisage.

Je hoche la tête bien sagement,même si je n’ai aucune intention d’être à la table de lacuisinequandelleselèverademainmatin.Sitoutsedéroulecommeprévu,jeseraidansunesuiteàl’hôtelMontageavecDamen,àprofiterpleinementdecequinousaétésilongtempsrefusé…

Evidemment, je ne peux pas lui avouer cela, et je sali qu’en as du barreau, elle ne secontenterapasd’unaccordnonverbal.Jemeforcedoncàarticulerun«OK»toutpenaud.Maisalorsquejemedisquelepireestpassé,ditinsistepourquejeprésentemesexcusesàsacopinecommesi j’avais commisuncrimeà sonégard.C’enet trop,pasquestionque je

Page 154: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

plaidecoupable,alorsque jen’airien faitdemal.Jerisquede lepayerplus tard,mais tantpis.Jemetourneversmaclienteetmartèle:

—Toutcelanechangeabsolumentrienàcequejevousaidittoutàl’heure.Votrepassé,Tommy, votre avenir… vous savez que je ne vous ai pas menti, et que je ne me suis pastrompée.Alors,ausujetdecettedécisionquevousallezbientôtdevoirprendre,mêmesivousdoutezdemoiàcetinstantprécis,ilseraitquandmêmeplussagedesuivremonconseil.

Jejetteuncoupd’œilàSabine,dontl’auras’enflammesousl’effetd’uneboufféedecolèrequelaprésencedeM.Munozàsoncôtéparvientàpeineàcontenir.Ilpasseunbrasautourde sa taille et, avec un clin d’œil complice dansmadirection, l’entraîne vers la porte de laboutique.

Unefoisqu’ilssontsortis,Judesetourneversmoietsiffle.

—Hé ben ! Bonjour lesmauvaises vibrations ! Je vais devoir répandre de la sauge auxquatrecoinsdelaboutiquepourlesdissiper.Maisjenecomprendspas,jepensaisquetuluiauraisdit,depuisletemps.

—Turigoles?Tuasvucommentellearéagi?Jepréféraiséviter!

Ilouvrelacaisseetcommenceàcompterlesrecettes.

— Oui, sauf que ça se serait peut-être mieux passé si tu l’avais prévenue toi-même.Imagine le coup sur la tête qu’elle a dû recevoir en arrivant ici pour découvrir que tutravaillescommevoyante!

Il a sansdoute raison,mais je nedis rien etme contente de fourrager dansmonporte-monnaiepourluirembourserlaséancegratuitequejeviensdedonnermalgrémoi.

Jeluitendsunbillet,qu’ilrefusedeprendre.

—Tuesvraimentsûrequetuveuxprendrecetteséanceàtacharge?

JeluicollelebilletdanslamainetneluilaissepanIftempsdeprotester.

— Sûre et certaine. Et garde la monnaie – disons que c’est pour toutes les mauvaisesvibrationsquej’aicausées,Jeneplaisantepas!Enplus,elleavaitl’airraviavantqueçanesegâte !Jesuissûrequeceseraitdevenuunehabituée,alorscommeça je tedédommageunpeupourifmanqueàgagner.

Judehausselesépaulesetrangelebilletdanslacaisseavantdelarefermer.

—Tusais,toutn’estpeut-êtrepasperdu.Sicequeu»luiaspréditserévèleaussiprécisquejelecrois,ellefinirabienparrevenir,ouparenparleràdesamisquiviendrontaumoinsparcuriosité.Avouequ’ilyadequoipiquerl’intérêt:lanièced’uneavocatedehautvolhyperrationnelle,quitravailleendoucecommevoyantemiracleetpréditdestrucsincroyables…Ilyauraitdequoienfaireunlivre–ouuntéléfilm.

Jel’écouteàpeine,occupéeàexaminermonlégermaquillagedansmonmiroirdepoche.

—N’ycomptepastrop!Jepensequelacarrièred’AvaIonvientdefoncerdanslemur.

Judepousseungrossoupirdedéception.

—Nem’enveuxpas,j’aivraimentadorécetravail,ifjusqu’aufiascodecetaprès-midi,jecommençais à vrai »ment comprendre le truc pour aider les gens.Mais je pennequ’il esttempsderappelerAva.Enplus,lescoursnevontpastarderàreprendre,et…

—Tudémissionnes,c’estça?dit-ild’unairrenfrogné

Page 155: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Non, c’est juste que…Eh bien, déjà, je vais avoir besoin de réduiremes heures, et puissurtoutjenevoudraispastecauserdavantagedeproblèmes.

—Net’enfaispaspourça.J’aidéjàprévuderéembaucherAvapourlarentréescolaire.Jemedoutaisquetunepourraispascontinueràfaireautantd’heures.Maistureviensquandtuveux, tu sais. Les clients t’adorent et je… euh,moi aussi j’ai été très impressionnépar tontravail.

Ilrougitetsepincel’arêtedunezavantdepoursuivreavecunpetitriregêné.

—Décidément,jeméritelapalmedelasubtilité!

Jenerelèvepas.Jenesaispasquiestleplusmalàl’aisedenousdeux.

Ilfinitparchangerdesujet,pourbrisercesilencepesant.

—Alors,tuasuneidéedecequetuvasluidire,demainmatin?

Jerangemonmiroirdansmonsac.

—Non,paslamoindre.

—Tunecroispasquetudevraisyréfléchir, trouverunmoyendefairepasser lapilule?Personnellement, je n’aimerais pas subir un interrogatoire en règle sans y être préparé, etavantd’avoirpuboiremoncafé,enplus!

—Jeneboispasdecafé.

—Avantd’avoirbutonélixirmatinal,alors.Bref,tuvoiscequejeveuxdire?

Jeglisselalanièredemonsacsurmonépauleetmedirigeverslaporte.

—Écoute,j’adoreSabine,ellem’aaccueillieàbrasouvertsalorsquejevenaisdeperdremafamille.Etdepuis,pourlaremercier,jenefaisqueluicompliquerlavieunpeupluschaquejour.Alorsoui,biensûrquejevaistout luiavouer,neserait-cequeparcequ’elleméritedeconnaîtrelavérité–oudumoinsunepartie.Maisceneserapasdemainmatin,c’esttout.

J’essaiedenepassourireendisantcela,maisc’estpeineperdue.Quand jepenseàmonplandegénie,monvisages’illumine.

Ce soir, toute mon énergie – toutes mes bonnes vibrations, comme dirait Jude – estexclusivement consacrée à Roman. Je vais lui offrir tout l’amour, toute la paix, toute labienveillancedontjesuiscapable.C’estleseulmoyend’obtenircequejeveux.

J’aibienretenula leçon:touterésistanceest inutile,etfaire laguerreauxchosesquejeredoutenepeutque les faireadvenir.C’estpourçaque l’influencequeRomanexerçaitsurmoi a diminué quand j’ai fait appel à Hécate. Je pensais tellement avoir réussi à medébarrasserdumonstrequejen’ypensaisplusdutout,cequil’avaitdoncaffaibli.Fortedecetteexpérience,jesuisplutôtconfiante.Enmettanttoutemonénergiepositiveauservicedecequejeveux–lapaixparmilesimmortels,etl’antidote-jenepeuxquegagner.

JevaisrendreunenouvellevisiteàRoman,maisceneserapasenennemiedéterminéeàcomploter ou se battre, cette fois. Je vais lui montrer ce que je suis devenue : une âmesereineetpurifiée,prêteàluiindiquerlecheminpoursortirdesténèbreshaineusesoùilsedébatetvenirmerejoindredanslalumière.

Perduedansmespensées,jen’entendspasJudelorsqu’ilmedemandeoùjevais.Ilrépètesaquestion,l’airsoudaininquiet.

Celanesuffitpasàeffacermonsourire.

Page 156: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

—Jevaisfairequelquechosequej’auraisdûréglerilyalongtemps.

Mais il n’est toujours pas rassuré. J’aimerais pouvoir lui expliquer que je ne risqueabsolumentrien,saufquej’aidéjàperduassezdetempscommeça.

—Net’inquiètepas,Jude!Toutvabiensepasser,jesaisexactementcequejefais,cettefois.Tuverras.

Ilfaitminedetendrelamainversmonbrasavantdesereprendre.

—Ever…

— Sérieusement, ne t’en fais pas pourmoi. Je sais commentm’y prendre avec Roman,maintenant.

Judefroncelessourcilsenentendantcenometsegrattelementond’ungestepensif.Maissoninquiétudenem’atteintpas.Jeneremarquequelabagueenmalachitequ’ilporte,d’unvertàpeineplusprofondqueceluidesesyeux,etsesdreadlocksque lesoleilestivala faitblondir. Je refuse deme laisser gagner par le doute des autres. Jeme sens suffisammentforte,etj’aimeraisqu’ilmecroie.

—JesuisretournéeauxGrandsSanctuairesdelaConnaissance,tusais.J’yaiappristoutcedontj’avaisbesoin.Jesuisfinprête.

Je devrais probablement quitter la boutique sur ces bonnes paroles,mais Jude nem’enlaissepasletemps.

—Ever,jedoutequecesoitunebonneidée.Tul’aspeut-êtredéjàoublié,maisladernièrefoisquetut’esconfrontéeàRoman,çanes’estpastrèsbienterminé.Et jenesuispassûrqu’ilsesoitécouléassezdetempspourrefaireunetentative.C’estbeaucouptroptôt.

Sesmots glissent surmoi commeune goutte d’huile sur de l’eau,mais cela ne fait quel’inquiéterdavantage.

—Écoute, j’apprécie tamiseengarde,maisçanechangerienàmadécision.J’yvais,unpointc’esttout.

—Quoi?Là,toutdesuite?Tudélires?

Soudain,sonexpressionm’alarme.Jecroiselesbrassurlapoitrineetledéfieduregard.

—Pourquoi?Tucomptesessayerdem’enempêcher,peut-être?

—Peut-être.Jeferaitoutmonpossible.

—Tuferastouttonpossiblepourquoi,exactement?

—Pourteprotégerdelui.

Jeprendsletempsdel’examinerendétailavantdeplongermesyeuxdanslessiens.

—Et pourquoi ferais-tu une chose pareille ?Qu’est-ce qui te pousse à temêler demesprojets?Jecroyaisquetunevoulaisquemonbonheur,mêmesic’estaucôtédeDamenquejeletrouve?Cen’estpascequetuprétendais?

Ilbaisselesyeuxetsedandinesursontabouretd’unairsimalàl’aisequejem’enveuxdelui avoir parlé sur ce ton acerbe. J’ai dépassé les bornes. Nous avons peut-être été trèsprochesparlepassé,etpartagéplusdesecretsquenousn’aurionsdû,maiscen’estpasuneraisonpourl’accuserdementiroudétourneràmonavantagelesconfidencesqu’ilm’afaites.Je ne devrais pas exiger de lui une réponse qui, visiblement, le peine beaucoup. Pourtant,quelquechosedanssongeste,danslafaçondontsonénergies’estdéplacée,mefaittiquer.Je

Page 157: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

medemandesi…

Jetournelestalonspoursortirdelaboutique.Judefermelaporteàcléetmesuitjusquedanslepetitparkingoùnoussommesgarés.

—JecompterejoindreHonorpourboireuncafédans lasoirée, tuveuxpasser?Damenpeutveniraussi,çanem’ennuiepas.Jefaisvolte-faceetledévisageensilence.

—Bon,d’accord,çam’ennuiepeut-êtreunpeu,maisjen’enlaisserairienparaître,paroledescout!

Il lève lamaindroite pour appuyer son serment, puis fait le tourde sa Jeep et ouvre laportière.

—TuvasboiredescafésavecHonor,maintenant?

—Euh…oui.Tusais,c’esttacopinedulycée,cellequiestvenueàtonanniversaire.Tutesouviens?

Jeluiexplique,pourlaénièmefois,queHonorn’estpasmacopineetque,d’aprèscequej’ai compris lors de notre petite rencontre à la plage, son énergie n’est toujours pas trèsamicale…Puisjevoislalueurd’amusementdanssesyeuxetsafossettequisecreuse,etjem’interromps.

Ils’installederrièrelevolantetdémarresavoituredansunesériedecrachotements.

—Elleestplutôtsympa,tusais.Jet’assure,tudevraisluilaisserunechance.

Jene répondsrien,mais repenseàceque je luiaidit lepremier jour,alorsque jene leconnaissaispasencore.Jeluiavaisalorsannoncéqu’ilavaittendanceàtomberamoureuxdelamauvaisepersonne,etjemedemandesiHonorestlaprochainesurlaliste.Maissoudainson aura émet des étincelles et je me rends compte que c’est toujours moi, la mauvaisepersonnedontilestamoureux.Honorn’estmêmepasdanslacourse,etjenesauraisdirecequimedérangeleplus,cettevérité,oulesoulagementintensequ’ellemeprocure.

—Ever…

Jerelève lesyeuxet retiensmonsouffle.Judea l’airde sedébattreaveccequ’il aàmedire,puissemblerenonceretsecontentedemedemander:

—Çavaaller,tuessûre?

J’acquiesce etmontedansma voiture, plus confiante que jamais enmadécision etmespouvoirs. La lumière qui m’habite a remplacé la flamme des ténèbres, et j’ai la certitudeviscéralequetoutvabiensepasser.Jefermelesyeuxletempsdelancerlemoteur,puisjeregardeJude.

—Ne t’inquiète pas. Cette fois, je sais ce que je fais. Ça n’a rien à voir avecmes autrestentatives,tuverras.

Page 158: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Trente-trois

J’arrivedevantchezRoman:pasunbruit.

Parfait.Jecomptaislà-dessus.

Havenm’aditqu’elleallaitassisteràunconcertavecMisa,MarcoetRafe,etj’aisautésurl’occasionpourvoirRomanseuleàseul,del’approchertranquillementpourplaidermacausedelamanièrelapluspaisiblepossible.

Jemetiensimmobiledevantsaporteetfermelesyeuxuninstant.Jemeconcentrepourdétecterlamoindretracedumonstreaufonddemonâme:rien.Acroirequ’enrefusantdenourrirmacolèrehaineusepourRoman, j’aiprivé la flammedes ténèbresde l’oxygènequil’alimentait.Jesuisdésormaisseulmaîtreàbord.

Jefrappeàplusieursreprises,maiscommepersonnenerépond,jefinisparentrer.Romanest chez lui, je le sais, et pas seulement parce que sonAstonMartin rouge est garée dansl’allée.Jesenssaprésence.Pourtant,curieusement,ilnesemblepasavoirdétectélamienne,sinonilseraitdéjàvenuàmarencontre.

Jepénètredanslamaisonetjetteuncoupd’œildanslesalon,lacuisine,puisparlafenêtrequidonnesurlelaboratoireaufonddujardin.Maisjen’yvoisaucunelumièreetmedirigeverslachambredeRomanenl’appelantetenfaisantbienplusdebruitquenécessaire.Jenetienspasàlesurprendreentraindefairequelquechosed’embarrassant.

JeletrouveallongésurunimmenselitàbaldaquinaussirichementdécoréqueceuxqueDamen etmoimatérialisons pourmeubler notre version de Versailles à l’Été perpétuel. Ilporteunechemiseblanchedéboutonnéeetunvieuxjeandélavé,ainsiqu’uncasqueaudiosurlesoreilles.IlalesyeuxfermésetserreunportraitdeDrinasursapoitrine.Jem’arrêtesurleseuil,nesachantsijedoismemanifesteroulelaissertranquilleetrevenirunautrejour.

—Oh,non,Ever!Nemedispasquetuasencoredéfoncélaported’entrée?

Romans’assiedsursonlitetjettesoncasquesursatabledenuitavantderangerlecadresoigneusementdansun tiroir. Il n’a pas l’air gênéque je l’aie interrompuàunmoment siintime. Il secoue la têteet sepasseunemaindans lescheveuxpourébouriffer sesbouclesblondes.

—Tun’enaspasmarrederejouertoutletempslamêmescène?J’aimeraisbienqu’onmeficheunpeulapaix,detempsentemps.Sérieusement,entreHavenettoi,jemesensunpeuenvahi,situvoiscequejeveuxdire…

Ilpousseunsoupiretpivotepourposerlespiedsparterre,maisresteassis.Jeledévisage,etlacuriositéprendledessus.Jeferaissansdoutemieuxdemetaire,maisc’estplusfortquemoi.

—Tu…tuétaisentraindeméditer?

Jenel’auraisjamaisimaginéconcentrersonénergiepourétabliruneconnexionaveccelledel’Univers.Ilhausselesépaulesetsepasseunemainsurlefront.

—Et alors ?Qu’est-ce que ça peut bien te faire ? Je cherchais à entrer en contact avecDrina,situveuxtoutsavoir.Tun’espaslaseuleàavoirdespouvoirs,tusais.

Ça,pourlesavoir,jelesais.Maisjedéglutisetnerelèvepas.

—Ettuasréussi?

Page 159: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

AprèsmonexpériencedupaysdesOmbres,celam’étonnerait.Eteneffet, c’estavecuneexpressiondedouleurfugacequ’ilmerépond:

—Non,jenel’aipasvue.Tuescontente?Maisdis-toibienqu’unjourjelaretrouverai.Tucrois peut-être que tu nous as séparés à jamais, mais je refuse d’envisager ça. Je laretrouverai.

Jenel’espèrepas–pourtonproprebien.Tun’aimeraispascequetuverrais.

Jelepense,maisnedisrien,submergéederemordspourlesfoisoùjeluiaifaitcroirequej’étaisDrina -même si je n’en étais pas vraiment consciente. Je prends quelques secondespourévacuercesentimentnégatifetretrouvermabelleénergieavantdemelancer.

—Roman,euh…Écoute,je…

Allez,Ever,tuvasyarriver.Tuenaslaforce.Courage!

—Voilà,jenesuispasvenuepourtepiégerouteproposerunultimatum.Enfin,pasdanslesensoùtul’entends.Jeveuxjuste…

— L’antidote, finit-il en croisant les jambes en tailleur sur son lit tout froissé. Je doist’avouer une chose, Ever, j’admire ta persévérance, même si c’est plus ou moins ta seulequalité.Tucomptesreveniràlachargejusqu’àlanuitdestemps,ouquoi?Chaquefoistutepointesavecunenouvellebonneidée,unnouveaumarchéàmeproposer,unnouveauplanmachiavélique…mais chaque fois tu repars bredouille. Tu n’as toujours pas compris ?Oualors, tu ne sais vraiment pas ce que tu veux. Enfin, ton subconscient le sait, il connaît lanoirceurdetanature,maisrefusedel’admettre.

Il m’adresse un rictus moqueur, comme pour me signifier qu’il est au courant del’existencedumonstreetquecelal’amusefollement,avantdepoursuivre.

—Désolé de gâcher ta joie,ma biche,mais jeme demande ce que ce bon vieuxDamenpenseraitdetaénièmepetitevisite.Ilnevoitcertainementpascettehabituded’untrèsbonœil,si?Etd’ailleurs,quetrouve-t-ilàdiredufaitqueMilessoitsurlepointdeperceràjourundesestropnombreuxsecrets?Ohoui,bientropnombreux!Ettunelesconnaispastous,tusais.Tun’imaginesmêmepascequ’ilteresteàdécouvrir!Allez,dis-moi,sait-ilquetuesici?

J’adresseàRomanunregarddepurefranchise.

—Non,ilnelesaitpas.

Pasencore.Maisjeluiaienvoyéuntextoqu’ilnedevraitpastarderàrecevoir–dèsqu’ilsera sorti du cinéma avec Ava et les jumelles – et où je lui dis deme rejoindre à l’hôtelMontage.Ilcomprendraimmédiatement.Maispourl’instant,ilnesedoutederien.

— Je vois, acquiesce Roman enm’examinant. C’est déjà ça, tu as soigné ton apparence,cette fois.Jedoisdireque tuesplusbelleque jamais–rayonnante,même.C’estquoi, tonsecret?

Jesouris.

—Laméditation : se concentrerpourancreretpurifier sonénergie,puis la focaliser surtoutcequ’ilyadepositif.Cegenredechoses.

Roman part d’un fou rire qui le secoue de la tête aux pieds et le fait pleurer à chaudeslarmes,mais jeneme laissepasdémonter et laisse le tempsà sapetite crised’hystériedepasser.

Page 160: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Ilfinitparreprendresonsouffleetlance:

— Alors, comme ça, ce vieux Damen t’a traînée sur les sommets de l’Himalaya à larecherchedelasagesse?Lepauvre, ilnecomprendvraimentrienàrien.D’ailleurs, iln’yaqu’àvoiroùilenest…

—Euh…Arrête-moi si jeme trompe,mais tu n’étais pas toi-même en train deméditerquandjesuisarrivée?

—Ah,maispascommeça,mabelle!Çan’avaitrienàvoiravecvosbêtisesésotériques.Jeme concentre sur une personne en particulier, je ne cherche pas à me brancher sur uneprétendueénergieuniverselle.Tun’as toujourspassaisi?Toutcequ’ilyadanscemonde,c’est l’ici et maintenant. Il est là, notre paradis, que tu choisisses de l’appeler nirvana oushangri-la.C’est tout, iln’yapasdemystère !Tuperdstontempsàchercherune instancesupérieure ou je ne sais quoi. Bon, je n’ignore pas que le temps n’est pas vraiment unproblèmepour toi,mais je trouvedommagede legâcherde la sorte.CecherDamenaunetrèsmauvaiseinfluencesurtoi,crois-enmonexpérience.

Ilmarqueunepause,commes’ilréfléchissaitavantdepoursuivre:

—Alors,qu’endis-tu?Onrefaitunetentative?Tudébarquescommeça,belleàcroquer…etvuquejeguérisvite,jesuisprêtàtepardonnerlasaleblaguedel’autrefois.Cequiestfaitest fait, bla-bla-bla. Je te demanderai juste de ne pas faire de mouvement brusque et det’abstenirdeprendrel’apparencedeDrina.Celadit,jedoisavouerquejet’appréciedavantagemaintenantquej’aivudequelscoupstordustuétaiscapable.Alors?

Iltapoteunoreilleretsedécalepourmefaireuneplaceàcôtédelui,touteninclinantlatêtepourmemontrersontatouageetmedécochersonregardlepluscharmeur.

Maiscelanemefaitplusd’effet.Jem’approchedeluietdistingueunelueurd’anticipationdanssesyeux,pourtant,cettefois,jen’obéisqu’àmaproprevolonté.

—Cen’estpasnonpluspourçaquejesuisvenue.

Ilhausselesépaulescommesicelaluiétaitcomplètementégal,etditd’untontraînant:

—Alors, qu’est-ce que tu fais ici ? Allez, crache lemorceau.Haven va passer après sonconcert,etjenetienspasàrevivrelascènedel’autrefois.

—Jen’aipasl’intentiondeleverlepetitdoigtcontreHaven–nicontretoi,d’ailleurs.Sijesuisvenueicicesoir,c’estpourfaireappelàtabontéintrinsèque.Riend’autre.

Romanme dévisage d’un air éberlué et méfiant, comme s’il attendait la chute de cettemauvaiseplaisanterie.

—Jesuispersuadéequ’ilyaunfonddebontéentoi.Ouplutôt,jelesais.Jesaistoutdetoi,tamèrequin’apassurvécuàtanaissance,tonpèrequit’abattu,puisabandonné…tout.

— C’est quoi, ce délire ! souffle-t-il d’une voix si basse que j’ai failli ne pas l’entendre.Personnen’estaucourantdemonhistoire,commentas-tu…?

—Peuimportecommentjel’aiappris.Cequicompte,c’estlerésultat.Sachanttoutça,jen’aipluslaforcedetehaïr.Celam’estdevenuimpossible.

Ilrétorqueaussitôtavecunsourireentendu.

—Maisbiensûrquesi,tumehais!Tunefaisqueça!Ettuaimestellementmedétesterquetunepensesqu’àmoi!

Ilsavaitdonc,dèsledébut!Maisc’estderrièrenous,maintenant.Jem’assiedssurlebord

Page 161: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

desonlitetdis:

—C’étaitlecaspendantuntemps,maisplusmaintenant.Etjetenaisàtedirequejesuissincèrementdésoléepourtoutcequetuasdûsubir.

Ildétourneleregardetrepoussesonoreilleravechumeur.

—Pas lapeine,çanesertàrien !Laseulechosepour laquelle tudevrais t’excuser,c’estd’avoir tuéDrina.Pour le reste, épargne-moi ta pitié.Tu aspeut-êtredécidéde te racheteruneconduiteen t’occupantdespauvresetdesmalheureux,mais çanem’intéressepas.Aucas où tu ne l’aurais pas remarqué, je ne suis plus un gosse. Regarde-moi bien, dit-il enécartant les bras avec un grand sourire, jemaîtrise parfaitement les règles du jeu, et pluspersonnenepeutm’atteindre.

Jem’inclineverslui.

—C’estjustementça,leproblème.Tutraiteslaviecommeunjeu,dontleseulbutseraitdetoujoursgarderuntourd’avancesurlesautres.Tunebaissesjamaislagarde,etc’estvraiquepersonnenepeutt’atteindre.Maistuteprivesaussidelacompagniedesautres,tuignorescequec’estqued’aimeroud’êtreaimé,puisquetun’asjamaisreçud’amour.Jenedispasquetous tes choix dans la vie ont été déterminés par ça, et je persiste à croire que tu auraisparfois pu prendre de meilleures décisions, mais quand même : c’est presque impossibled’offrirauxautresceque l’onn’a jamaisconnu.C’estpourquoi jene t’enveuxabsolumentplus.

Romanmelanceunregardmauvais.

—Tunousfaisquoi,là?Lapsychanalysepourlesnuls?

Tunecomptestoutdemêmepasmefairepayerlaséance,enplus?

— Non, dis-je d’une voix douce. J’essaie juste de te dire que c’est fini. Je refuse decontinueràmebattrecontretoi.Jepréfèret’accepterett’aimerpourcequetues,quecelateplaiseounon.

Ils’esclaffeettapotelematelas.

—D’accord,montre-moi!Approcheetmontre-moicombientum’aimes,Ever…

— Je ne te parle pas d’amour physique, Roman, mais d’amour inconditionnel, sansjugementdevaleur.Jet’aimeparcequetueshumaincommemoi,immortelquiplusest.Etpuisjesuisfatiguéedetehaïr,jen’enaiplusnil’envienilaforce.J’aifiniparcomprendrelescirconstances qui ont façonné ta personnalité, et peut-être que si je pouvais y changerquelquechose,jeleferais.Maisc’estimpossible,doncjechoisisdet’aimertelquetues.J’oseespérerquecelat’encourageraàfaireungestealtruisteàtontour,maissicen’estpaslecas,tantpis.Jepourraiaumoinsdirequej’aiessayé.

Romanéclatederireetsepasseunemaindanslescheveuxd’unairincrédule.

—J’hallucine!Tuasfumélecalumetdelapaixavecunebandedehippiesouquoi?OK,tum’aimesetmepardonnes.Bravo,tantmieuxpourtoi.Maistusaisquoi?Jenetedonneraipasl’antidotepourautant.Alors…tum’aimestoujours?Tuessûrequetunepréfèrespasmedétester,finalement?Jusqu’oùvavraimenttonamour,machère,pourciterlesparolesd’unvieuxtubedesannées1970donttun’asprobablementjamaisentenduparler?Franchement,j’aimalpourvotregénération :vousn’écoutezquede lamusiquededaube.Si tusavaiscequeHavenestalléevoir!Ungroupequis’appellelesMightyHoo-ligans!Oùest-cequ’ilsontétéchercherunnomaussipourri?

Page 162: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Jeconnaislatactique,ilessaiededétournerlaconversation,maisilesthorsdequestionquejelelaissefaire.

—Tufaiscommetuveux,Roman.Jeneprétendspasexigerquoiquecesoitdetapart.

— Alors, qu’est-ce que tu fais là ? Pourquoi tu es venue jusqu’ici, si ce n’est ni pourl’antidotenipourunepetiteséancedecorpsàcorpsqui–soyonshonnêtes–teferaitleplusgrand bien ? Tu entres chez moi comme une fleur, et interromps ma méditation pourm’annoncerquetum’aimes?Tuessérieuse,là?Parcequefranchement,jetrouveçaunpeuduràdigérer.

Jesouris.Voilàprécisémentlaréactionàlaquellejem’attendais.Toutsedéroulecommeprévu.

—Biensûr!C’estnormal,puisquetun’asjamaisrencontrél’amour.Ensixcentsans,tun’as jamaisconnuunseul instantd’amourvéritable.C’estd’une tristesse tragique,maiscen’est pas ta faute. Alors, voilà : c’est ça, l’amour. Voilà l’effet que ça fait, Roman, autantcommencer à t’y habituer parce que malgré tout ce que tu m’as fait, je t’aime et je tepardonne.Jenet’enveuxplus,aucontraire,cequiveutdirequetunepeuxplusmefairedemal.Même si tu neme donnes jamais l’antidote, Damen etmoi trouverons unmoyen denousenpasser,parcequec’est luimonâmesœur.Legrandamour, levrainesecassepasaussifacilement.Ilessuielespirestempêtessansperdredesaforce,ilestéternel.Maissitun’as pas envie de changer d’attitude, ce n’est pas grave. Sache simplement que je nem’enmêleraiplus.J’enaifinidetoutesceshistoires.J’ailaviedevantmoi,etjenecomptepaslagâcher.Ettoi?

Il me lance un bref regard et je sais que je l’ai touché, même si cela ne dure qu’uneseconde.J’aivul’éclairdanssesyeux,lorsqu’ilacomprisquesonpetitjeuvenaitdetomberàl’eau, quand l’un des joueurs se retirait. Mais le Roman sarcastique reprend bien vite ledessusetraille:

—Oh,mapuce!Tuveuxvraimentmefairecroirequetuvastecontenterd’uneéternitéàtenirchastementlamaindetoncherDamen?Ahnon,pardon,mêmecelavousestinterdit.Etcetteespècedecapoted’énergiequevousvousêtesfabriquée!Cen’estpaspareil,pasvraimabelle?Cen’estpascomparableàça…

Joignantlegesteàlaparole,ils’approchedemoietposelamainsurmacuisse.Ilplongesonregarddanslemienetremontedoucementlelongdemajambe.

—Jeneconnaispeut-êtrepaslegenred’amourdonttumerebatslesoreilles,maisj’aiunelongueexpériencedecetamour-ci,dit-ilenserrantlesdoigtssurmapeau.Crois-moi,cen’estdéjàpassimal,aucontraire!Etjenesupportepasl’idéedet’ensavoirprivée…

—Alorsdonne-moil’antidote.

Je lui souris gentiment, sans chercherà retirer samaindema jambe.C’est tout cequ’ilattend :que jeperdemoncalmeet le repousseviolemment,que je l’envoiedans lemuretjustifiesaméfiance,commed’habitude.Maisnon,pascettefois.Ungestepareilmecoûteraitbien trop cher, et je tiens à ce qu’il comprennede lui-mêmeque sonpetit jeu est soudaindevenuennuyeuxàmourir.

—Tuaimeraisça,hein?dit-il.Tuaimeraisgagneraussifacilement?

Onygagnerait tous lesdeux, tunecroispas?Tufaisquelquechosedebien,etquelque

Page 163: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

chosedebient’arriveenretour.C’estlekarmaquidécide,çamarcheàtouslescoups.

Illèvelesyeuxauciel.

—Lekarma!Nousyrevoilà!Disdonc,Dament’asfaitsubirunvrailavagedecerveau,maparole!

—Peut-êtrequeoui…peut-êtrequenon,dis-jeavecunsourire.Maistun’auraslaréponsequesitutenteslecoup.

—Quoi?Tupensesquejen’aijamaisrienfaitdebiendansmavie?

—J’ai l’impressionqueçane t’estpasarrivédepuis très longtemps.Tudoisêtreunpeurouillé,àmonavis.

Iléclatederireetrejettelatêteenarrière,maissamainresteoùelleest,fermementposéesurmacuisse.

—OK,Ever,admettonsquejeterendecepetitservice:jetedonnel’antidoteetDamenettoi pouvez vous en donner à cœur joie. Et après ? Combien de temps est-ce que je devraiattendrepourquetonprétendubonkarmamereviennecommeungentilboomerang,hein?

—Jen’ensaisrien.D’aprèscequej’aivu,inutiledevouloirforcerlekarma,iln’obéitqu’àlui-même.Toutcequejesais,c’estqueçafonctionne.

—Donc si j’ai bien compris, tu voudraisque je tedonnequelque chosede trèsprécieuxpour toi, sans garantie d’obtenir quoi que ce soit en échange ? Ça ne me paraît pas trèséquitable,mabelle.Peut-êtrequetudevraisrendretonoffreunpeuplusintéressante,situvoiscequejeveuxdire…

Ilm’adresseunsourireenjôleuretfaitglissersamainunpeuplushaut–beaucouptrophaut. Jedevineà son regardqu’il essaiedemeplier à savolonté,dem’attirerdans sa têtecommeilTadéjàfait.Maiscelaneprendplus,etjerestefermementancréeoùjesuis.

En revanche, sa tentative m’a donné une idée qui pourrait peut-être contribuer à faireaccélérer les choses et m’amener plus tôt que prévu au Montage, où Damen devraitm’attendre.

JerassemblemesforcespourpasseroutrelasensationdésagréabledesdoigtsdeRomansurmapeauetdis:

— D’accord, tu ne fais pas confiance au karma. Mais est-ce que tu veux bien me faireconfiance,àmoi?

Ilm’adresseunregardinterrogateur.Jepoursuis:

— Parce que, maintenant que j’y pense, j’ai effectivement quelque chose à t’offrir enretour.Quelquechosequetudésiresplusquetout,etquemoiseulepeuxt’apporter.

—Ah!Tutedécidesenfinàaborderleschosessérieuses!Jesavaisquetufiniraispartemontrerraisonnable.

Ils’approcheetresserresonétreintesurmajambe,maisjerespireàfondpouralimenterlabellelumièrequibrilleenmoi.

—Jeneparlepasdeça.Ils’agitdequelquechosedemillefoismieux.

—Oh,nesoispassidureavectoi-même,voyons!C’esttoujoursnul,lapremièrefois,maisje te promets qu’on aura plein d’occasions de s’entraîner, histoire que tu améliores taperformance.

Page 164: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Il éclate de rire à sa plaisanterie vaseuse, mais pas moi. Je reste concentrée sur lapropositionquejeviensdeluifaire,etsurcequ’elleimplique.Cen’estprobablementpasceàquoi il s’attend et il risque deme haïr encore plus,mais je ne vois pas d’autremoyen deréellementletoucher

—sitantestqu’ilsoitpossibledetoucheruneâmeperduecommeRoman.

—Lâchemajambe,s’ilteplaît.Ilsecouelatête.

—Etvoilà!Jelesavais!Tun’esqu’uneallumeuse,Ever,rienqu’unesalepetite…

—Lâchemajambeetprendsmesmains,dis-jed’unevoixdéterminée.Fais-moiconfiance,tun’asrienàperdre.Jetelepromets.

Ilhésiteuninstant,puisfaitcequejeluidemande.Nousvoiciassisentailleurfaceàfacesur son lit, mes genoux contre les siens, mains dans les mains. La scène me rappellevaguementlesortparlequeltoutacommencé,maiscequiestsurlepointdesepassern’arienàvoiravecdelamagie.

Je m’apprête à faire un pari un peu fou, et à partager avec Roman quelque chose quil’amèneraforcémentàmedonnerl’antidote.Jeleregardedroitdanslesyeuxetdis:

—Tonraisonnementaunefaillemajeure.

—Quoi?Quelraisonnement?

—Celuiselonlequeliln’yarienendehorsdel’icietmaintenant.D’ailleurs,situenétaisconvaincu,pourquoichercherais-tuàentrerencontactavecDrina?Situcroisvraimentqu’iln’existeriend’autrequeleplanterrestreoùnousnoustrouvonsàprésent,oùespères-tulatrouver,exactement?

Il semble profondément secoué et tente de lâcher mes mains, mais je tiens bon et ilproteste:

—Jecherchaisjustesonessence,son…Oùveux-tuenvenir?C’estquoi,cedélire?

—Leréelnes’arrêtepasàcequinousentoure,Roman,loindelà.Cequetuvoisn’enestqu’uneinfimefraction.

Et j’ai l’impression que,malgré ce que tu prétends, tu le sais déjà. Ce qui veut dire quenouspouvonspeut-êtrepasserunmarché,touslesdeux.Ils’esclaffe.

—Ha!Jelesavais!Jesavaisquetunerenonceraispasaussifacilement!Nejamaisdire«jamais»,pasvrai,Ever?

Jeneprêtepasattentionàsaremarqueetpoursuis.Si je teconduisàDrinaetque je temontreoùellerepose,est-cequetumedonnerasl’antidote?

Romanlâchemesmains,soudainpâlecommelamort.

—Tutefichesdemoi?

—Non,aucontraire.Tuasmaparole.

—Mais…pourquoituferaisça?

—Parcequecen’estquejustice:tumedonnescequejedésireleplusaumonde,etjeterendslapareille.Tun’aimeraspeut-êtrepascequejevaistemontrer,etturisquesmêmedeme détester,mais je suis prête à tenterma chance. Et je te promets que je ne te cacheraiaucundétail.

—EtsijamaistumeconduisàDrinaetquejerefusedetedonnerl’antidotemalgrétout?

Page 165: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

—Alors,çavoudradirequejet’aimaljugé,etjerepartirailesmainsvides.Maisjenet’envoudraipaspourautant, et jene tedérangeraiplus jamais.Mais je suis convaincueque tucommencerasàcroireaukarmaaprèsuneexpériencepareille.Tuesprêt?

Ilme considèreun longmoment, prend son tempspourpeser le pour et le contre, puisfinitparhocherlatête.

—Tuveuxsavoiroùilestrangé?dit-ilsansmequitterdesyeux.

Moncœurs’emballe.

—Justeici.

Ilouvreletiroirdesatabledenuitetensortunepetiteboîteornéedepierresetdoubléedeveloursdanslaquellesetrouveunefioledeliquideopalescentquiscintilleunpeucommel’élixir,saufquecelui-ciestvert.

Jen’arrivepasà croireque la solutionà tousmesproblèmesest contenuedans cepetitflacondecristalqueRomanagitesousmonnez.

J’ailagorgesèche,etc’estavecpeinequejesouffle:

—Jecroyaisquetunelelaissaispasici!

—C’étaitlecas.Jusqu’àl’autresoir,ilétaitaumagasin,maisaprèstadernièrevisite,jel’airapporté. C’est le seul exemplaire, Ever. Il n’y en a que pour une personne, et la liste desingrédients n’existe nulle part ailleurs qu’ici, dit-il en se tapotant la tempe. Alors,marchéconclu?Tumemontrestonsecret,etjetedonnelemien?

Ilsouritetglisselafioledanslapochedesachemise.

—Atoi l’honneur.TumemontresoùsetrouveDrina,et jevousgarantisunavenirsansbarrières,àDamenettoi.

Page 166: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Trente-quatre

—Fermelesyeux.

JeserrelesmainsfroidesdeRomandanslesmiennesetapprochemonvisagesiprèsdusienquejesenssonsoufflesurmajoue.

—Bien.Maintenant, ouvre ton esprit et débarrasse-toi de toute pensée parasite. Fais levide,oublietoutleresteetsoissimplementtoi-même.Çayest?

Il acquiesce et agrippe mes mains avec une ardeur redoublée. Sa concentration, sadéterminationàvoirDrinamebriselecœur.

—OK,alorsvoilà:tuvasentrerdansmonesprit.Jevaisabaissermonbouclierpourquetupuissesypénétrer.Maisattention,turisquesdenepasaimercequetuvasvoir.Tuvaspeut-êtrem’envouloir,maisjeveuxquetutesouviennesquejenefaisquerespectermapartdumarché,etquejet’aiprévenu.Jet’emmènelàoùellesetrouve,mêmesijedoutequeçateplaise.D’accord?

J’ouvrelesyeuxletempsdelevoirhocherlatête.

—Alors,allons-y!Viensmerejoindre…Tuyes?

—Oui,murmure-t-il.Oui,mais…ilfaitsisombre!Jenevoisriendutout,etjetombe!Jetombesivite…Maisoù…?

—Jesais,c’estbientôtfini.Accroche-toi,respire.

Jesenssonsoufflequis’affole,etunpetitnuagedebrumevientmourircontremajoue.

—Je…jenetombeplusmais…Ilfaitnoiretje…jeflotte,toutseul…siseul…Ahnon!Ilyaquelqu’und’autreici!Drina,c’esttoi?OhDrina,oùes-tu?Drina…

Ilserremesmainssifortquejenelessensbientôtplus,sarespirationestsaccadée,etsoncorpsbaignédesueurs’affaissecontrelemientandisqu’ilselaissesubmergerparlavisionqui se déroule simultanément dans ma tête et dans la sienne – cette visite du pays desOmbres,l’abysseinfernaloùvonts’échouerlesâmesdesimmortels.

Romanmurmure un flot de paroles, si doucement que je ne le comprends pas.Mais j’ydevineuneintenseagitation,unefébrilitéinconfortable,tandisqu’ilsedébatdansl’obscuritéimpénétrabledupaysdesOmbresàlarecherchedeDrina.Noussommesfrontcontrefront,nezcontrenez,etjesensl’énergiedeRomanentièrementdirigéeverselle.

Etc’estdanscettepositionqueJudenoustrouve.Voilàcequ’ilvoit.

Romanetmoiagrippésl’unàl’autresursonlit,trempésdesueur,tellementcaptivésparnotrepaysagementalquenousnel’entendonspasapprocher.

Quandenfinjelesens,ilesttroptardpourl’arrêter.

Troptardpourréparersesactions.

Impossiblederemonterletempsetdereveniràcemomentoùj’étaissiprèsdubut…

Avantquejen’aieeuletempsdecomprendrecequim’arrive,jesuisarrachéeàl’étreintede Roman, et Jude lui saute dessus pour lui assener un coup de poing malgré monhurlement,ce«Nooon!»quirésonnedanslachambrecommes’ilyavaitdel’écho.

Jeme redresse tantbienquemal et chercheà retenir Judeavantqu’ilne soit trop tard,maisc’estpeineperdue.Marapiditéestinutile,lemalestfait.

Page 167: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

JevoiscommeauralentilepoingdeJudes’abattreenpleindansl’abdomendeRoman–sontalond’Achille.

C’est le deuxième chakra, le centre de la jalousie et du désir irrationnel en général – leprincipemêmequirégitlaviedeRomandepuissixcentsans.

Aussitôt,lesurfeurblondàlabeautéinhumainetombeenpoussière.

JesaisisJudeparlesépaulesetl’envoieàl’autreboutdelachambre.Ilatterritavecfracascontre lacommode,mais jeneprendsmêmepas le tempsde lui jeteruncoupd’œil.Jenevoisqu’uneseulechose:lachemiseblanchedeRomanconstelléed’éclatsdecristalettachéed’unbeauvertfoncé.

L’antidote.

Leflacons’estbrisédanslabataille,ettousmesespoirsavec.

Quantàl’âmedeRoman,iln’estplusquestiondelaracheter,cettefois.Elleestbeletbienperdue,enroutepourlepaysdesOmbres.

JemeretourneversJude,furieuse.

—Commentas-tuoséfaireunechosepareille?Comment?

Ilserelèveavecpeineetsefrotteledos,levisageblême.

—Tuastoutdétruit!Tout!J’étaisàdeuxdoigtsd’obtenirl’antidote,ettuasruinétoutesmeschances!Grâceàtoi,onestcondamnésàjamais!

Judemedévisaged’unairincréduleetsepencheenavant,lesmainssurlesgenoux,pourretrouversonsouffle.

—Ever,je…Jenevoulaispas…J’aicruquetuétaisenmauvaiseposture,jetejure!Ilfautquetumecroies,tuavaisvraimentl’airdesouffrir,ilétaitàmoitiévautrésurtoiet…J’avaisl’impressionquetuluttaiscontrequelquechose,commesitun’arrivaisplusàcombattretonattirancepourlui.C’estpourçaquejesuislà.C’estlaseuleraison.Jesavaisquetucomptaisvenirici,etj’avaispeurquetunesoispasprête,c’esttout.Alors,quandjevousaivuscommeça…Jene voulais pasque les chosesdégénèrent comme l’autre fois, tu vois.C’est pour çaque…

—C’estpourçaque tu l’as tué?Tuas retournécontremoi toutceque je t’aiappris,entuantRoman!

Jude secoue la tête en silence. Son tee-shirt s’est déchiré quand je l’ai attrapé pourl’éloigner de Roman, et son aura reflète sa détresse, tandis qu’il joue nerveusement avecl’anneauenmalachitequ’ilporteàlamain–lamainquiaréduitRomanenpoussière.

Puisilretrouvelaforcedesedéfendre.

— Ça fait desmois que tu n’arrêtes pas deme répéter qu’il estmaléfique et qu’il s’estconstituétouteunecliquedesinistresrenégats,sansparlerdusortquit’arendueincapablederésisteràsoncharme!C’estmoiquetuesvenuechercherquandtuavaisbesoind’aide.C’estàmoiquetuasconfiétoustesproblèmesenpremier,Ever.Queçateplaiseounon,tum’aschoisi,moi!Toutcequejevoulais,c’étaitteprotéger,deRomancommedetoi-même.C’étaitmaseuleintention,jetelejure!

—Vraiment?Tuessûrquec’étaitlaseule?Judesembledécontenancéparmaquestion.

—Quoi?Qu’est-cequetuveuxdire?

Page 168: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

JetremblederageetsaisislachemisesouilléedeRoman.

—Tuvoistrèsbiencequejeveuxdire.TuTasfaitexprès!

Je n’ai aucunmoyen de prouver ce que j’avance,maismaintenant que je l’ai formulée,cettehypothèsemesembledeplusenplusplausible.Dansmacolère,jemelaisseentraînerparlalogiquedecetteidée.

—Tul’as faitexprès,cen’étaitpasuneerreur.Tuasbiencalculétoncoupenvenant ici,hein?Tucroyaisvraimentavoirtrouvélemoyendegagneraprèsquatresièclesderivalité?Tu n’as pas trouvémieux, comme stratagème ? Priver la fille que tu prétends aimer de cequ’elledésireleplusaumonde?Tut’esditqu’enm’empêchantdepouvoirêtreavecDamen,tu allais pouvoir me consoler, c’est ça ? Tu croyais vraiment que ça allait suffire à meconvaincred’abandonnermonâmesœurpourmejeterdanstesbras?

Jecontemple lachemisedeRoman,et latachevertequi lasouille.PauvreRoman,aprèssix siècles d’une vie pathétique il n’auramême pas eu la chance de se racheter, alors quej’avaispresqueréussiàbrisersacarapacedecynismeetàl’aider–sansparlerdel’antidote.Etvoilàoùj’ensuis.

Ilasuffid’unesecondepourquejeperdetout.

—Ever…

Judes’approche,et jediscernedanssavoixàquelpointmesmotsl’ontblessé.Il tendlamainversmoi,maisjereculevivement.Ils’arrête,vaincu.

—Commentest-cequetupeuxdireunechosepareille?Jeneprétendsriendutout : jet’aime ! Vraiment, depuis des siècles. Et tu le sais très bien. Tu dois me croire, quand jet’assurequecen’étaitpasmon intentionde t’éloignerdeDamen.Je tiensbeaucoup tropàtonbonheurpoursongeràfairelinechosepareille.Etquandtuchoisirasentrenous,jeveuxquecesoitéquitable,pourunefois.

—Maisj’aidéjàchoisi,dis-jedansunmurmure.

Jeme dirige vers la porte, la chemise de Roman à lamain, et je tombe nez à nez avecHaven.

En un clin d’œil elle examine la chambre et se fait une idée de la situation.D’une voixgravequivibredecolèrecontenueetmefaitfroiddansledos,elledemande:

—Qu’est-cequetuasfait?Qu’est-cequetuasoséfaire,espècedegarce!

Elle m’arrache la chemise des mains et la serre contre son cœur, sans cesser de medévisager.Ilestclairqu’ellemetientpourresponsable,etneprêtepaslamoindreattentionàJudelorsqu’iltentedes’interposeretd’avouersaculpabilité.

Sesyeuxbrillentdecolèrederrièresespaupièresplissées.

— J’aurais dûmeméfier. J’aurais dûme douter, quand tu as débarqué chezmoi toutemielleuse, que tu n’étais pas sincère. Tu ne cherchais qu’à obtenir des informations poursavoirquandRomanseraitseulchezlui,histoiredevenirletuertranquillement!

—Non!Cen’estpasçadutout,tutetrompescomplètement!

J’aibeaum’époumoneretclamermoninnocenceencoreetencore,rienn’yfait.Elles’estdéjàfaitsonopinionsurJude,moietcequis’estpasséicicesoir.Lesmainssurleshanches,ellenousfusilleduregardetsiffle:

—Ohnon,jenemetrompepas,cettefois.Aucontraire…Tunet’entireraspascommeça,

Page 169: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Ever.Celafaitdéjàtroplongtempsquetut’amusesàmepourrirlavieetàmevolertouteslespersonnesquimesontchères.J’aiasseztolérétonpetitmanège.Àpartirdemaintenant,c’estlaguerre,mavieille.Jevaisfairedetavieuntelenferqueturegretteraslabelleépoqueoùtonseulproblèmeétaitdenepaspouvoirtouchertonâmesœur.Netefaisaucuneillusion,Ever, tu n’imaginesmême pas ce que j’ai en réserve pour toi.Quant à toi, Jude, tu vas temordrelesdoigtsdenepasêtreimmortel,parcequeaveccequejevaistefairesubir…

Page 170: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

Trente-cinq

—Donc, ça a fonctionné, dit Damen d’une voix douce qui me paraît lointaine. Ilexistaitvraiment?

Jesoupireetposelefrontsurmesgenoux,lespiedsremontéssurlesiègeencuir.Damenestarrivéaumomentoù je sortaisdechezRoman,Judesurmes talons, tandisqueHavencontinuait à hurler sa litanie de menaces derrière nous. Leur film n’était fini que depuisquelquessecondes:iln’estpaspasséauMontage,ilacomprisqu’ilyavaitunproblèmedèsqu’ilalumontexto.

Jerelève la têteetacquiesce, lesyeuxrivéssurmamaison.Quand jepenseque j’yétaispresque, que pendant unmoment j’ai vraiment cru réussir… juste avant que le ciel nemetombesurlatête.

Unesecondedemalheur,ettousnosrêvesnoussontdenouveaudéfendus.

Et pour couronner le tout, demain matin je devrai m’expliquer avec Sabine, lui dire lavérité surmon travail plus oumoins clandestin sous le pseudonyme d’Avalon et donc surmes capacités psychiques. Quoique, après une telle soirée, cela ne me paraît plus aussiterrible.

JetournelatêteversDamenetrépondsenfinàsaquestion.J’aibesoinqu’ilmecroie.

—Oui, ça amarché, vraiment. Il avait l’antidote dans sa table de nuit. Il me Tamêmemontré. C’était si petit, un flacon de la taille d’un échantillon de parfum.Et l’antidote lui-mêmeétaitd’unbeauvertbrillant.Ensuite,ill’amisdanslapochedesachemiseet…

Je déglutis. Pas besoin de m’attarder sur la suite des événements – du moins, pasverbalement.Lascènenecessederepasserenboucledansmatête,etDamenenconnaîtdéjàlesmoindresdétails.

— Et c’est là que Jude a déboulé, dit-il entre ses dents serrées. Pourquoi lui as-tu faitconfiance?Pourquoiluias-turévélénotrefaiblesse,leseulmoyendenoustuer?Qu’est-cequit’apris?

Je voisdans ses yeux àquelpoint il souhaite comprendre, etmagorge senoue.Nous yvoilà, il auramis le temps,mais ilmeblâme enfin pourmabêtise.Et pourtant, cette fois,Judeétaitplusresponsablequemoi…

Et puis, soudain, je me rends compte que ma vision est faussée. Il ne me juge pas, ilcherchejusteàdéterminercommentnousensommesarrivéslà.Jesoupireetdis:

—Moncinquièmechakra,unefoisdeplus.Jemanquecruellementdediscernement, j’aitendanceàmalinterpréterlesinformationsquejereçoisetàfaireconfianceauxmauvaisespersonnesaulieudemefieràceuxquisesonttoujoursmontrésloyauxenversmoi.

Maiscetaveudéguisénesuffitpas.Damenméritemieux,ilméritelavérité,riendemoins.

—Ilm’aaidéeàunmomentoùj’enavaisbesoin.J’étaisvulnérable,et…

Jem’interromps,frappéedemerendrecompteseulementmaintenantàquelpointj’étaismalàcemoment-là.J’étaisréellementtentéedetraverserlepont,etjel’auraispeut-êtrefaitsiJuden’étaitpasintervenu.J’aipresquetoutavouéàDamen–monusageimprudentdelamagie, et comment j’avais sollicité l’aide de Jude avant deme tourner vers lui –mais pas

Page 171: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

cela.J’aitrophonte.

—Etc’esttout,c’étaitunmomentdegrandefaiblesse,etilétaitlà.Qu’est-cequetuveuxquejetedise?

Damenmurmure:

—Etmoiquiespéraisquetuapprendraisàmefaireconfianceetàmedemandermonaideàmoi,plutôtqu’àJude,quandtuenressentiraislebesoin.

Savoixestsidouceetsisérieuseàlafoisquej’enailecœurbrisé.

Jefermelesyeuxetmelaisseallercontreledossierdusiège.

— Je sais. J’aurais dû te le diremais,malgré toutes tes promesses, je n’arrivais pas à ycroire. Je n’osais pas imaginer que tu ne me jugerais pas, je me sentais indigne de toi.D’ailleurs,tunesaispastout…

Jemeredresseetpivotepour lui faire face,puisposemesmainsàplatsurses joues.Jevoislevoiled’énergiequiscintillesousmespaumesetlavéritémefrappe:ilseratoujourslà,entre nous. Tant pis, je ferme les yeux et partage mes souvenirs avec Damen – chaquesecondedecesinstantshumiliants–sansriencoupercettefois.Ilassisteàcettenuitatroceoùj’aifailliperdremavirginitéchezRomanetàcetteminuted’hésitationdevantlepontdesAmes, toute la vérité et rien que la vérité. Il connaît à présentmon histoire dans tout cequ’elleadesordideetdepitoyable.

Quandlesimagess’arrêtent,ilprendmesmainsdanslessiennesetsourit.

—Riende ceque je viensde voirne saurait suffire àme faire changerd’avis sur toi, tum’entends?

Je hoche la tête et, pour la première fois, je le crois. Il m’a fallu tout ce temps pourcomprendrecequec’étaitquel’amour,levrai,sansjugementnicondition!

MaisDamenn’apasencoredittoutcequ’ilavaitsurlecœur.

—Ever,ilfautabsolumentquetuchangeslavisionquetuasdetoi-mêmeetdeschoixquetuasfaits.

Voyantmonairinterrogatif,ilpoursuit.

— Tu considères avoir enchaîné des erreurs monumentales, mais cette perception estcomplètementfaussée.Laréalitéesttoutautre.Tutemaudisdem’avoirfaitboirel’élixirdeRoman, alors qu’en faisant cela, tu m’as sauvé la vie ! Romy ne serait jamais revenue àtemps:jeseraismortavant,malgrélecerclemagiquedeRayne.Jemesentaispartir,tusais,maconsciencem’échappaitcomplètement.Etsitun’étaispasintervenueàcetinstant-là,situ avais refusé deme le faire boire, à l’heure qu’il estmon âme serait perdue aupays desOmbres,àerrerdanslasolitudedecetendroitnoiretglacialpourl’éternité.

Jeledévisage,bouchebée,lesyeuxécarquillés.Jen’avaisjamaisenvisagéleschosessouscetangle.J’étaistellementoccupéeàmeblâmerpourlefaitqu’onnepuisseplussetoucherque j’en ai oublié que j’avais épargné à son âmede plonger dans les abysses infernaux dupaysdesOmbres.

Damensepencheversmoietmecaresse–presque–lementon.

—Etilyamieux:tuasréussiàémouvoirRoman,àtoucherlerested’humanitéenlui–une humanité que je croyais perdue. Tu as su voir plus loin que la carapace cynique qu’ils’étaitformée,etaulieud’userderuse,tuluiastendulamain.Tuasoséluifaireconfiance,

Page 172: Éternels T4 - La flamme des ténèbresekladata.com/iF38zUEL8N4F4kC1BW9ygpobJUw/Eternels_T4...Alyson Noël Eternels – Tome 4 « La flamme des ténèbres » Michel Lafon — Tu as

ettuaseuraison.C’étaitunacted’unegénérositémerveilleuse,ettunesaispascombienjesuisfierdetoi.

Mais quelque chose me chagrine : Haven aussi avait vu l’humanité en Roman, etmaintenantellem’enveutàmort.

—EtHaven?Jel’aicondamnéeenlatransformant…

—Toutcommejet’aicondamnéeentefaisantboirel’élixir.

Jereculevivementpourmieuxlevoir.

—Maisc’estdifférent:tunesavaisriendupaysdesOmbres,àcetteépoque!

Ilm’attireàluidenouveauetmurmure:

—Je sais que je t’ai conseillé de la laissermourir,mais honnêtement, si j’avais été à taplace,jecroisquej’auraisprislamêmedécisionquetoi.Tuconnaisledicton:«Tantqu’ilyadelavie,ilyadel’espoir.»C’estmadevisedepuismaintenantsixcentsans…

Je laisse allerma tête dans le creux de son épaule et regarde lamaison, où la lumières’éteintàlafenêtredeSabine.

— Les jumelles avaient raison quand elles disaient que si on utilise lamagie à des finségoïstes,lekarmaenfaitpayerletriple.Dansmoncas,lapremièreconséquenceaétédemetrouvercontraintederendreHavenimmortelle–etd’enfairemonennemiejuréeaupassage.Ladeuxième,çaaétémonattirancemalsainepourRoman,cetteflammedesténèbresquimedévoraitdel’intérieur.EtjecroisquelatroisièmevientdeseréaliseraveclamortdeRoman,lapertedesonâme–etdel’antidote.

Jejetteuncoupd’œilnerveuxàDamen.

— A moins que… à moins que mon attirance monstrueuse n’ait émané de moi seule,l’ombredequelquechosequirésidaitenmoi.Alors,ilmeresteunedernièreconséquenceàpayer.Siçasetrouve,uneautrecatastrophenousattendautournant,etonnelecomprendraquequandilseradéjàtroptard.

Soudain,lapaniquemegagneàl’idéequerienn’estencorerésolu,quequelquechosedeterriblenousguette.

MaisDamenmeprenddanssesbras,etsaforceetsachaleur,cepicotementdélicieuxquimeparcourtàsoncontact,suffisentàdissipermesangoissesetàraviverlalumièrepurequicouveenmoncœur.Aprèstoutcequejeviensdetraverser,etàcausedemeserreursmêmes,jemesensassezfortepourfairefaceetaffrontermonkarma,madestinée,quellequesoitlaformequ’elleprendra.

LavoixgravedeDamenrésonnetoutprèsdemonoreille,enéchoàmespensées.

—Quoiqu’ilarrive,ons’ensortiratouslesdeux.Cen’estpaspourrienquenoussommesdesâmessœurs.

FINTome4