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TENOCHTITLAN Programme de 2 de : Thème 4, nouveaux horizons géographiques et culturels des Européens à l’époque moderne Question obligatoire : l’élargissement du monde, XV e -XVI e s, une cité précolombienne confrontée à la conquête et à la colonisation européenne Approche pédagogique en histoire des arts Joël Dubos Formateur HIDA Novembre 2010 Commentaire d’un document extrait du Codex Mendoza, folio 1, circa 1541-1542

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TENOCHTITLAN

Programme de 2de : Thème 4, nouveaux horizons géographiques et culturels desEuropéens à l’époque moderne

Question obligatoire : l’élargissement du monde, XVe-XVIes, une citéprécolombienne confrontée à la conquête et à la colonisation européenne

Approche pédagogique en histoire des artsJoël Dubos

Formateur HIDANovembre 2010

Commentaire d’un document extrait du Codex Mendoza, folio 1, circa 1541-1542

I PREALABLE : pour mieux comprendre :

- Codex mésoaméricain : Il s’agit d’ouvrages manuscrits, appelés souvent livres peints, réalisés surdu papier végétal ou des peaux d’animaux recouvertes d’une couche de plâtre, qui se déploient enaccordéon. Soumis à des conventions très rigoureuses, ils comportent du texte sous forme deglyphes et des images porteuses d’un sens très précisément codifié. On les classe en fonction de leurancienneté (préhispanique ou coloniale), de leurs régions d’origine, de leurs sujets.Systématiquement détruits par les Espagnols qui n’y voyaient que des manifestations païennes, ilssubsistent en nombre très restreint pour la période précoloniale.

- Site de Tenochtitlan : la capitale de l’Empire aztèque,-ensuite recouverte par l’extension deMexico, la ville coloniale espagnole-, se situait au cœur du plateau central, à plus de 2000md’altitude, dans la cuvette du lac Texcoco (déjà en voie d’assèchement, il était devenu une lagunepeu profonde parsemée de bancs de sable et de vasards). Elle était entourée d’une digue et reliée àla terre ferme par quatre routes. A l’intérieur, elle était parcourue de canaux jusqu’en son centre (onentrait en barque dans le palais de l’empereur), chaque artère de communication comportant unechaussée doublée d’une voie d’eau. Il est à noter que c’est la localisation initiale de la ville deTenochtitlan qui explique la particularité actuelle de Mexico, la seule grande capitale d’Amériquelatine construite dès l’origine loin de la mer, selon la volonté de Cortès d’effacer le souvenir de lacapitale des Mexicas.

- Dénomination : nous employons ici indifféremment et comme synonymes les termes de Mexicaset d’Aztèques, ce qui peut sembler abusif au niveau scientifique (les Mexicas étant en fait le nomd’une tribu particulière, à l’intérieur d’un ensemble plus vaste).

- Religion : les Aztèques se considèrent comme le peuple élu du dieu solaire Huitzilopochtli.Comme lui, ils ont en charge la bonne marche de l’univers et doivent à ce titre recommencer lesacrifice fondateur du dieu soleil.

- Glyphe : élément de l’écriture pictogrammatique des Aztèques. Elle était en voie de simplificationau moment de la conquête et, une vingtaine d’années plus tard, lors de la réalisation du CodexMendoza, son déchiffrage commençait déjà à poser des problèmes d’interprétation aux dernierslettrés aztèques.

II UNE ŒUVRE HAUTEMENT SYMBOLIQUE

A Présentation du document

- La source :Il s’agit d’un folio extrait du Codex Mendoza, dont il constitue la première page. Commandé

par le vice-roi de la Nouvelle Espagne Antonio de Mendoza, il date du début des années 1540. Ilserait le fruit d’une collaboration entre plusieurs personnalités (dont un prêtre inconnu et un scribeindigène Francisco Gualpuyohualcal). Le document est conservé à la bibliothèque de l’Universitéd’Oxford.

- Les auteurs :Ce document a été apparemment commandé dans un contexte politique particulier, Mendoza

cherchant à rallier l’antique aristocratie mexicas en lui permettant de retracer son passé prestigieuxdans sa version aztèque.

- La composition :

Le document se décompose en trois parties : la frise de la bordure extérieure constituée deglyphes, l’image du haut renvoyant à un code très précis, et le dessin du bas, est l’évocation d’unebataille. Le feuillet, réalisé sur du papier européen, se présente sous un format d’environ 21 cm delarge sur 24 cm de haut.

→ Il s’agit donc d’un document marqué par un début d’acculturation, la tradition restant fortenotamment au niveau du récit et de la tradition picturale, mais l’insertion du texte en espagnol oul’utilisation du papier portent la marque de l’influence espagnole.

B Les thèmes :

- la symbolique renvoie à une légende des origines des Mexicas et plus particulièrement à lafondation de la capitale Tenochtitlan.

- la composition de l’image est une évocation du site de la capitale aztèque Tenochtitlan.

- la symétrie rigoureuse reflète la cosmogonie des peuples de la Méso-Amérique, elle-mêmeélément clef pour comprendre l’organisation de l’espace des peuples pré-colombiens.

- il s’agit d’un document de la transition comportant des hiéroglyphes, de l’espagnol, et unetechnique picturale antérieure à la conquête.

C Interprétations à décoder

1) Une histoire magnifiée

Ce codex reprend en fait la version officielle, en partir mythique, en partie magnifiée, de l’histoiredes Aztèques.

- Le mythe des originesL’aigle : L’image principale fait référence à une prophétie du dieu Huitzilopotchili, selon laquelleles Aztèques cesseraient leur migration le jour où ils verraient un aigle perché sur un figuier en trainde dévorer un serpent.

Le figuier de barbarie : il évoque le cœur des victimes sacrifiées. Il fut ensuite remplacé par unserpent, la métaphore étant peut-être destinée à édulcorer le souvenir des sacrifices humains.

La pierre sur laquelle pousse le figuier : elle serait due à la transformation du cœur d’un chefennemi plongé dans le lac Texcoco. Visiblement, ayant souffert à leurs débuts d’une conditionmisérable (nomades, chassés de partout, puis semi-esclaves exploités, réfugiés ensuite au cœur desmarais probablement en butte à des ennemis plus puissants, les Aztèques ont gardé en mémoire lesouvenir puissant des premières victoires, synonymes d’émancipation).

- L’histoire officielle d’une domination impérialeLe bouclier : il évoque la conquête militaire, brutale et impitoyable, d’un peuple dont la culture estfondée sur les valeurs guerrières. La guerre, liée d’abord à la survie du groupe puis à sa libération,s’est ensuite transformée en une guerre de conquêtes destinée à accroitre l’empire, à lui permettrede contrôler via un lourd tribut les richesses des peuples soumis, mais aussi à fournir des prisonnierssacrifiés en grand nombre.

- L’évocation d’un événement historique à l’étage inférieur : un enjeu clef dans la politique dedomination aztèque.

La bataille évoquée sur ce dessin renvoie aux deux premières conquêtes aztèques (celles desvilles de Colhuacan et de Tenayuca), qui auraient marqué le début d’une ascension implacable. Enfait, il semble qu’il faille relativiser cette victoire, et l’inscrire plutôt dans une geste relevant plus dela propagande que de l’histoire.

→ Pour ce peuple jeune à l’échelle de l’histoire de la Méso-Amérique, en plein essor à l’arrivée desEspagnols, l’histoire a constitué très tôt un énorme enjeu de légitimation du pouvoir, en invoquantune destinée d’essence divine et une série de victoires irrésistibles. La politique extérieure, dominéepar la guerre de conquête et la nécessité de maintenir un contrôle brutal, a trouvé un puissantjustificatif dans la politique instaurée par Tlacaelel (personnage central du XVe siècle qui conseillatrois empereurs), reposant sur la propagande officielle alliée à la destruction des archives despeuples vaincus.

2) Une évocation géographique ?

Par plusieurs aspects, ce document permet de retrouver la configuration de la capitale aztèque telleque l’ont décrite les Espagnols :

- Un site peu ordinaire : la Venise américaineTenochtitlan est bâtie sur des ilots d’une vaste lagune: le lac Texcoco est ici évoqué par la

bordure de l’image supérieure. C’est donc une ville lacustre.

- La croix de Saint André : la division en 4 quartiers et les 4 voies d’accèsLa bourgade construite au milieu des roseaux s’est considérablement accrue, consolidée et

embellie, dans le respect de règles urbanistiques alors inconnues en Europe, notamment avec ladivision en quartiers, les calpuli. Au nombre de quatre, ils représentent des unités territorialescorrespondant probablement à d’anciens clans. Ils sont évoqués par la croix qui, partageant l’imageen 4, ne traduit pas seulement les données urbanistiques de la capitale : le chiffre 4 correspond à uneconception religieuse de l’univers.

- Le grand temple, centre religieux de l’empire, de l’Etat, de la citéIl est représenté au dessus de l’aigle. C’est en fait une grande pyramide à degrés, au cœur

d’un vaste ensemble cérémonial comportant une quarantaine de monuments, le tout s’inscrivantdans la tradition des grandes civilisations antérieures, en particulier Teotihuacan. La pyramideportait à son sommet deux temples, consacrés à Huitzilopochtli, le dieu tribal des Mexicas, et àTlaloc, la grande divinité amérindienne : le premier préside à la guerre, le second aux activitésagricoles.→ Ce document est l’occasion de percevoir le haut degré de raffinement atteint par la civilisationaztèque et ses prouesses architecturales et plus encore urbanistiques qui émerveilla lesconquistadores.

3) Une référence à l’organisation socio-politique des Mexicas

- l’empereur : garant des équilibres cosmiques, civilisationnels et sociauxLe personnage à l’extrême gauche de l’aigle est l’empereur Tenoch, le fondateur mythique etdivinisé, reconnaissable à son siège, à la volute qui s’échappe de sa bouche (avec la même fonctionqu’une bulle de bande dessinée indiquant celui qui parle pour disposer de l’autorité nécessaire, leTlatoani), et au glyphe au dessus de lui (le cactus sur la pierre, renvoyant à la même référenceéponyme que le perchoir de l’aigle).

La datation se fait à partir des règnes des empereurs : ici elle est indiquée par les glyphes de la friseextérieure qui mentionnent les deux dates de 1325 et 1375, correspondant au règne légendaire dupremier souverain Tenoch ; la fondation de Tenochtitlan étant probablement intervenue en 1345.L’empereur assure le respect de la hiérarchie sociale et veille à la bonne marche universelle àl’intérieur des cycles cosmiques.

- un équilibre cosmologique instableLes Aztèques, dont la vie quotidienne restait régentée par un système complexe de rites

divinatoires, croyaient en un univers dépendant de la course du soleil. Pour éviter sa disparition, ilsentendaient perpétuer le premier sacrifice divin, en le renouvelant par des sacrifices humains ennombre de plus en plus considérable.

- la pratique des sacrifices humainsLe cœur des victimes : il est évoqué par les fruits du figuier de barbarie. Les Aztèques pratiquaienttoutes les formes de mise à mort, mais les plus utilisées semblent avoir été le sacrifice gladiatoire(un prisonnier entravé affrontant des guerriers aztèques) et l’arrachement du cœur (à l’aide decouteau de sacrifice en silex taillé aux formes compliquées).Le Templo major ou grand temple : il constitue le cœur religieux de la cité et l’on raconte que lorsde sa re consécration en 1487, plusieurs dizaines de prisonniers furent sacrifiées.Le râtelier aux cranes ou tzompantli : (à droite de l’aigle, il ne comporte ici qu’un crâne, mais cesrâteliers en contenaient en fait plusieurs dizaines) ; les têtes des victimes sacrifiées étaient exposéesselon une vieille coutume antérieure aux Aztèques.

→ Héritiers d’antiques croyances religieuses, les Aztèques, alertés par l’arrivée de la fin d’un cyclecalendaire, multiplièrent les sacrifices à l’aube de l’arrivée des Espagnols, alimentant la haine despeuples soumis qui se trouvèrent prêts à rallier les conquistadores.

III EXPLOITATION

Idées d’exercices :

- Comparer le drapeau mexicain actuel avec le document étudié : comment une symboliquecontemporaine renvoie-t-elle à des références multiséculaires ?

- Partir du drapeau mexicain pour en retrouver le sens symbolique sous-jacent.

- Comparer le document et un schéma / une reconstitution de la capitale aztèque : réfléchir auxdiverses formes de retranscription de la réalité géographique.

- Travailler sur la technique narrative : le sens porté par les symboles et la composition, appuyé parles deux formes textuelles (glyphes et phrases en espagnol), complété par les identifiants (lesglyphes au-dessus des personnages évoquant leur nom et leur fonction). Comparer avec unevignette de BD et d’autres formes de récits en images.

Coups de zoom : cf. illustrations jointes dans le dossier images

Illustrations pour situer la ville de Tenochtitlan et son site

Le Templo major : représentations aztèques, données archéologiques et reconstitutions

Quelques représentations de divinités aztèques

Le drapeau actuel du Mexique