tempÉrament et rhÉtorique dans les …jacques.szpirglas.pagesperso-orange.fr/memmonttheo.pdf · 2...

45
1 UNIVERSITÉ PARIS 8 - VINCENNES À ST-DENIS UFR ARTS, PHILOSOPHIE, ESTHÉTIQUE Département de Musique TEMPÉRAMENT ET RHÉTORIQUE DANS LES MADRIGAUX DE MONTEVERDI Jacques SZPIRGLAS Mémoire de Master 1 réalisé sous la direction de M. Joël HEUILLON Année universitaire 2007-2008

Upload: lamkien

Post on 12-Sep-2018

230 views

Category:

Documents


3 download

TRANSCRIPT

1

UNIVERSITÉ PARIS 8 - VINCENNES À ST-DENIS

UFR ARTS, PHILOSOPHIE, ESTHÉTIQUE

Département de Musique

TEMPÉRAMENT ET RHÉTORIQUE

DANS LES MADRIGAUX DE MONTEVERDI

Jacques SZPIRGLAS

Mémoire de Master 1 réalisé sous la direction de

M. Joël HEUILLON

Année universitaire 2007-2008

2

INTRODUCTION

Tempérament et Rhétorique sont deux mots et deux notions rarement accolées. La notion de tempérament est apparue tardivement, avec la généralisation des instruments à clavier vers la fin du XIVe siècle et est restée longtemps le domaine réservé des musiciens et facteurs d’instruments à clavier. Par contre, la Rhétorique nous vient des Grecs, via les Romains. C’est d’abord l’art de produire un discours efficace pour convaincre un auditoire.

La Rhétorique est le premier des sept arts libéraux, arts libéraux qui forment le Trivium et le Quadrivium. Le Quadrivium est constitué des sciences mathématiques, l’arithmétique, la musique, la géométrie et l’astronomie et le Trivium de la Rhétorique, la Grammaire et la Dialectique. Au-delà de l’art oratoire, la Rhétorique s’applique à l’ensemble des arts, qui assument à leur tour les objectifs d’éduquer, de plaire et d’émouvoir. Pour la musique, la Rhétorique devient une véritable « poétique musicale », d’après l’ouvrage homonyme de Joachim Burmeister1 édité à Rostock en 1606. La Rhétorique constitue la structure de pensée et le fondement de tous les systèmes éducatifs en Europe occidentale du quatrième siècle avant Jésus-Christ au début du vingtième siècle. Elle a pris un regain d’importance à la Renaissance, notamment en Italie, avec la découverte en Europe d’un corpus d’originaux antiques, ramenés de Constantinople par des intellectuels byzantins, notamment la Poétique et la Rhétorique d’Aristote.

La notion de tempérament peut être expliquée simplement en suivant Dominique Devie2. « Un cycle de 12 quintes commençant en Ut aboutit à un Si# ». Si ce cycle est réalisé en montant d’une quinte pure3, puis en descendant d’une quarte pure, et en répétant 6 fois cette opération, « l’intervalle entre le départ et l’arrivée est égal à une octave + 1 comma

pythagoricien4 ». Le Si# ainsi obtenu est supérieur à l’octave juste. On obtient une échelle

musicale, a priori ouverte. « L’appellation de tempérament ne convient véritablement qu’à

une échelle musicale qui tend à se refermer sur elle-même. » Par exemple si on assimile Si# à l’octave du Ut de départ. « C’est le cas du tempérament à tons moyens, appelé tempérament mésotonique, qui se propose de faire rentrer un cycle de 12 quintes dans l’octave, tout en

favorisant les tierces. Accorder en tons moyens, c’est raccourcir le cycle de 4 quintes formant

une tierce de 4 fois 1/4 de comma autant de fois qu’il le faut (c’est-à-dire 3 fois), pour

aménager l’espace conventionnel de l’octave.5 » Même si les musiciens « pratiques » ont eu

très tôt besoin de cette notion de tempérament, pour l’accord de leurs instruments, elle n’a été théorisée que très tard. En effet, selon Dominique Devie6, le premier chiffrage non ambigu d’un tempérament, le tempérament mésotonique, se trouve dans les « Dimonstrazioni

harmoniche » de Gioseffo Zarlino7, parues à Venise en 1571.

La problématique de ce mémoire a pour origine l’étude de la chanson « La nuit froide et

1 BURMEISTER, Joachim, Musica Poetica, Rostock, Stephan Myliander, 1606, translated by Benito V. Rivera, edited by Claude V. Palisaca, Yale University Press, New haven and London, 1993 2 DEVIE, Dominique, Le tempérament musical, philosophie, histoire, théorie et pratique, Librairie Musicale Internationale, Marseille, seconde édition, 2004 3 On appellera intervalles purs, les intervalles correspondant à des rapports « simples de longueurs de corde vibrante expérimentés depuis l’antiquité sur le « monocorde » : 2 pour l’octave, 3/2 pour la quinte, 4/3 pour la quarte, 5/4 pour la tierce majeure, 6/5 pour la tierce mineure, etc ... . Pour un lecteur d’aujourd’hui habitué aux fréquences, il faut considérer les rapports inverses. 4 DEVIE, Dominique, ibid, p. 35 5 DEVIE, Dominique, ibid, p. 37 6 DEVIE, Dominique, op. cit., p. 62 7 ZARLINO, Gioseffo, Dimonstrazioni harmoniche, Venice, 1571, 2/1573, 3/1588

3

sombre » de Roland de Lassus sur un extrait d’un poème de Joachim du Bellay8. Le tempérament en vigueur sur la période allant de 1550 à 1650 est de façon certaine le tempérament mésotonique. Les preuves proviennent à la fois d’organologues et de musicologues et sont rassemblées dans l’ouvrage de Dominique Devie déjà cité. Il est possible aussi de croiser ces preuves avec les œuvres de musique elles-mêmes et l’utilisation dans ces œuvres d’un nombre restreint de diades, c’est-à-dire d’intervalles musicaux, comme le fait par exemple Jean-Yves Asselin9.

En effet, le tempérament mésotonique s’est imposé à la Renaissance sur les systèmes pythagoriciens à quintes pures à cause de l’utilisation de plus en plus fréquente par les compositeurs de tierces majeures, notamment dans les finales. Les tierces pythagoriciennes sont plus larges d’un comma que les tierces pures, sonnent très durement et sont souvent masquées par des ornements. Le tempérament mésotonique comporte 8 tierces majeures pures et 4 tierces pythagoriciennes. Comme il a déjà été dit, il comporte 11 quintes égales, plus petites d’un quart de comma que la quinte juste. La douzième quinte, la quinte du loup, est très fausse. Elle est plus grande que la quinte pure d’un comma trois-quarts, mais dans le contexte du tempérament mésotonique, elle est plus grande de deux commas par rapport aux autres quintes mésotoniques. Ces différents intervalles « difficiles » pour le tempérament mésotonique seront appelés dans la suite intervalles « interdits », terme légèrement inexact mais parlant, car ces intervalles ne sont utilisés que de façon exceptionnelle.

L’hypothèse d’utilisation du tempérament mésotonique peut donc être à nouveau vérifiée par l’analyse de l’ensemble des intervalles de « La nuit froide et sombre » et l’absence au moins sur les temps posés d’intervalles difficiles pour le mésotonique. C’est effectivement le cas. Tous les intervalles sont de bons intervalles pour le tempérament mésotonique, à l’exclusion d’une seule triade formant un accord majeur de Si sur le mot « ombre », à la fin du second vers. Cet accord majeur de Si est inclus lui-même dans une figure, le « Passus Duriusculus », passage chromatique, par demi-tons conjoints à la même voix10. On peut supposer avec une grande probabilité, que Roland de Lassus a utilisé ces intervalles dissonants pour représenter ou illustrer la métaphore de la mort et du chaos que représentent les trois premiers vers sur la nuit :

La nuit froide et sombre / Couvrant d’obscure ombre / La terre et les cieux

La partition correspondante est jointe en annexe 4, exemple N°49. J’ai réduit pour clavecin la première partie de cette chanson dans plusieurs tempéraments usuels dont le tempérament mésotonique. Je joins à ce mémoire l’enregistrement correspondant. Avec le tempérament mésotonique, les tierces pures sonnent merveilleusement brillantes, même sous forme d’accords parfaits avec la quinte. L’accord majeur de Si avec sa tierce pythagoricienne large et sa préparation chromatique descendante au Canto, provoque une forte tension.

Cette analyse confirme la pratique compositionnelle de Roland de Lassus dans le tempérament mésotonique, pour cette chanson à quatre voix. Mais l’utilisation exceptionnelle d’un intervalle difficile pour le tempérament mésotonique sur un texte lourd de sens me conduit à formuler la problématique plus générale de ce mémoire : Peut-on émettre l’hypothèse d’une utilisation rhétorique des intervalles difficiles pour le tempérament mésotonique au même titre que l’utilisation de dissonances ou de figures, sur une période couvrant la fin de la Renaissance et le début du baroque ? Je tenterai de valider cette

8 The Oxford Book of French Chansons, edited by Frank DOBBINS, Oxford University Press, 1987, pp. 238-240 9 ASSELIN, Pierre-Yves, Musique et tempérament, éditions Costallat, Paris 1985 10 KIRCHER, Athanasius, Musurgia universalis, Roma, 1650

4

hypothèse sur le corpus des 8 Livres de madrigaux de Claudio Monteverdi.

Cependant, si l’analyse des intervalles des œuvres étudiées peut nous donner une réponse sur la pratique compositionnelle des musiciens, la question de l’interprétation vocale de ces madrigaux, accompagnés ou non d’instruments reste posée. On sait très peu de choses quant à la « performance » des madrigaux. On sait que les interprètes étaient généralement assis autour d’une table.

Dans le cadre d’une exécution vocale, les chanteurs étaient vraisemblablement, soit doublés par des instruments mélodiques comme les flûtes, les violes et violons, soit soutenus pour la justesse et donc le tempérament par un instrument harmonique comme le luth ou le clavecin. Les madrigaux pouvaient aussi faire l’objet d’exécutions purement instrumentales.

Dans le cadre des exécutions accompagnées par des instruments à clavier, la mise en œuvre effective du tempérament mésotonique est indubitable.

Dans tous les autres types d’exécution, le doute est permis. D’une part pour les exécutions purement vocales, certains théoriciens anciens affirment que les chanteurs s’expriment naturellement par des intervalles justes, c’est-à-dire associés à des ratios pythagoriciens ; Ce à quoi d’autres répondent que s’il en était ainsi, il y aurait une dérive constante du diapason. On peut lire James Murray Barbour11 sur ce sujet. D’autre part, dans le cadre d’accompagnements ou d’exécution par des instruments frettés, certains musicologues affirment à partir de traités anciens que le tempérament utilisé pouvait être très proche d’un tempérament égal. L’Annexe 10 de l’ouvrage cité de Dominique Devie12 traite de ce sujet.

Mais certaines « performances » modernes montrent que la cohabitation entre instruments harmoniques et instruments frettés est parfaitement possible dans le tempérament mésotonique et il devait en être de même à l’époque de Claudio Monteverdi. Il est à regretter que de nombreuses interprétations font les intervalles difficiles pour le mésotonique aussi justes que les autres, enlevant ainsi tout effet de surprise ou de malaise chez l’auditeur.

Ce mémoire, dont le but est de valider l’hypothèse d’une utilisation rhétorique du tempérament mésotonique dans le corpus des 8 Livres de madrigaux de Claudio Monteverdi est formé de cette courte introduction, de trois parties et d’annexes.

Dans la première partie, je rappelle les notions utiles à la compréhension du tempérament mésotonique, les catégories de la rhétorique et enfin la définition et l’éthos des modes. Dans une deuxième partie, je donne la synthèse des résultats obtenus sur l’ensemble des madrigaux de Monteverdi, en termes d’utilisation d’intervalles « difficiles » pour le tempérament mésotonique. Dans une troisième partie, j’analyse Livre par Livre tous les madrigaux comportant ces intervalles « difficiles ». La dernière partie rassemble les conclusions de ce mémoire. Enfin, des annexes donnent les résultats détaillées, madrigal par madrigal, sous forme de tableaux.

Nous avons utilisé différentes éditions des 8 Livres de madrigaux13 : l’édition URTEXT due à

11 BARBOUR, James Murray, Tuning and Temperament: a historical survey, Michigan State College Press, East Lansing, 1951, 2/1953. Reed. Da capo Press, New York 1972. 12 DEVIE, Dominique, op. cit., pp. 363-372 13 MONTEVERDI, Claudio, Madrigali. Libro I (Venezia 1587), a cura di Andrea Bornstein, UT ORPHEUS EDIZIONI, Bologna Italia, 2001 MONTEVERDI, Claudio, Madrigali. Libro II (Venezia 1590), a cura di Andrea Bornstein, UT ORPHEUS EDIZIONI, Bologna Italia, 1998 MONTEVERDI, Claudio, Madrigali. Libro III (Venezia 1592), a cura di Andrea Bornstein, UT ORPHEUS EDIZIONI, Bologna Italia, 2002

5

Andréa Bornstein pour tous les livres sauf le septième, et l’édition issue de : « Tutte le opere

di Claudio Monteverdi, Malipiero, Gian Francesco, Asolo, Italy » publiée en 16 volumes de 1926 à 1942, par Gian Francesco Malipiero (1882-1973), éditée par Dover pour les Livres IV et V et VIII et Universal Edition pour les Livres VI et VII.

Les traductions des textes des madrigaux avec intervalles « difficiles » sont issues des jaquettes des disques compacts14, de Delitiae Musicae pour le Livre 1, de la Venexiana pour les Livres 2, 3, 4, 6, 7 et 8 et du Concerto Italiano pour le Livre 5, à l’exception de la traduction du « Lamento d’Arianna » du Livre VI de Joël Heuillon15, des traductions inédites de Françoise Graziani de l’Université Paris 8 de « Se i languidi miei sguardi » du Livre VII, du « Combat de Tancrède et Clorinde » et de la « Lamentation de la Nymphe » du Livre VIII.

MONTEVERDI, Claudio, Madrigali. Libro IV (Venezia 1603), a cura di Andrea Bornstein, UT ORPHEUS EDIZIONI, Bologna Italia, 1998 MONTEVERDI, Claudio, Madrigali. Libro V (Venezia 1605), a cura di Andrea Bornstein, UT ORPHEUS EDIZIONI, Bologna Italia, 2003, Seconda ed. 2007

MONTEVERDI, Claudio, Madrigals Books IV (Venizia, 1603) and V (Venezia, 1605), Reprint. Originally published: Tutte le opere di Claudio Monteverdi, Malipiero, Gian Francesco. T. 3-4. Asolo, Italy 1927, preface and new literal translations of the texts by APPELBAUM Stanley, Dover Publications, Inc., New York, 1986 MONTEVERDI, Claudio, Madrigali Libro VI (Venezia 1614), a cura di Andrea Bornstein, UT ORPHEUS EDIZIONI, Bologna Italia, 2005 MONTEVERDI, Claudio, Madrigali Libro VI (Réédition, Venezia 1614), Originally published: Tutte le opere di Claudio Monteverdi, Malipiero, Gian Francesco. Asolo, Italy, UNIVERSAL EDITION UE 9586, Austria, 1997 MONTEVERDI, Claudio, Madrigali Libro VII (Réédition, Venezia 1641), Originally published: Tutte le opere di Claudio Monteverdi, Malipiero, Gian Francesco. Asolo, Italy, UNIVERSAL EDITION UE 9586, Austria, 2003 MONTEVERDI, Claudio, Madrigali Guerrieri e amorosi Libro VIII Vol. I: Madrigali Guerrieri (Venezia 1638), a cura di Andrea Bornstein, UT ORPHEUS EDIZIONI, Bologna Italia, 2000, Seconda ed. 2007 MONTEVERDI, Claudio, Madrigali Guerrieri e amorosi Libro VIII Vol. II: Madrigali Amorosi (Venezia 1638), a cura di Andrea Bornstein, UT ORPHEUS EDIZIONI, Bologna Italia, 2000, Seconda ed. 2007 MONTEVERDI, Claudio, Madrigals Books VIII (Venezia, 1638) (Madrigali Guerrieri et Amorosi, Reprint. Originally published: Tutte le opere di Claudio Monteverdi, Malipiero, Gian Francesco. T. 3-4. Asolo, Italy 1929, with a preface and new literal translations of the texts by Stanley Appelbaum, Dover Publications, Inc.,New York, 1991 14 MONTEVERDI, Claudio, Madrigals Book 1, Delitiae Musicae, Marco Longhini, NAXOS 8.555307, plaquette, translation: Susannah Howe. MONTEVERDI, Claudio, Secundo Libro dei Madrigali, La Venexiana, Claudio Cavina, Monteverdi Edition, vol. 02, GCD 920922, 2004, trad. française de Pierre Mamou, www.glossamusic.com/catalogue/0922.htm MONTEVERDI, Claudio, Terzo Libro dei Madrigali, La Venexiana, Claudio Cavina, Monteverdi Edition, vol. 03, GCD 920910, 2001, trad. française de Pierre Mamou, www.glossamusic.com/catalogue/0910.htm MONTEVERDI, Claudio, Quarto Libro dei Madrigali, La Venexiana, Claudio Cavina, Monteverdi Edition, vol. 04, GCD 920924, 2003, trad. française de Pierre Mamou, www.glossamusic.com/catalogue/0924.htm MONTEVERDI, Claudio, Quinto Libro de Madrigali, Concerto Italiano, Rinaldo Alessandrini, Opus 111, 1993, plaquette, trad. française de Michel Chasteau. MONTEVERDI, Claudio, Sesto Libro dei Madrigali, La Venexiana, Claudio Cavina, Monteverdi Edition, vol. 06, GCD 920926, 2004, trad. française de Pierre Mamou, www.glossamusic.com/catalogue/0926.htm MONTEVERDI, Claudio, Settimo Libro dei Madrigali, La Venexiana, Claudio Cavina, Monteverdi Edition, vol. 07, GCD 920927. 2 Cds, 1998, trad. française de Pierre Mamou, www.glossamusic.com/catalogue/0927.htm MONTEVERDI, Claudio, Ottavo Libro dei Madrigali, La Venexiana, Claudio Cavina, Monteverdi Edition, vol. 08, GCD 920928. 3 Cds, 2005, trad. française de Pierre Mamou, www.glossamusic.com/catalogue/0928.htm 15 HEUILLON, Joël, Musique, rhétorique et passions. Fondements socio-anthropologiques de la musique du premier baroque (Florence et Mantoue, 1580-1620), Thèse Université Paris VIII, 1999.

6

1.1 INTRODUCTION AU TEMPERAMENT MESOTONIQUE

Par commodité, on appellera Do, Ré, Mi, Fa, Sol, La et Si, les notes issus de la Solmisation, c’est-à-dire indépendantes du diapason, et définies par les intervalles qui les séparent : T, T, t, T, T, t, où T désigne un ton et t un demi-ton.

On utilise les ouvrages de Pierre-Yves Asselin16 et de Dominique Devie17 pour définir et représenter les tempéraments et leurs principales caractéristiques, notamment en termes d’intervalles « difficiles » ou « interdits », termes que nous utiliserons indifféremment pour signifier des intervalles qui, joués ou chantés simultanément, sont difficilement utilisables.

Suivant Pierre-Yves Asselin18, on peut définir deux types de petits intervalles qui auront de l’importance dans la suite. Un cycle de 12 quintes pures ou en fait constitué de 6 fois une montée d’une quinte pure et une descente d’une quinte pure définit le comma pythagoricien. C’est-à-dire, si le cycle part d’un Do, il arrive à un Si# plus haut que le Do d’un comma pythagoricien. Un cycle de 4 quintes pures consécutives du cycle précédent définit une tierce majeure qui est plus grande qu’une tierce majeure pure d’un comma syntonique.

Construire un tempérament, c’est construire un cycle de 12 quintes tempérées, c’est-à-dire non toutes pures, qui se referme sur lui-même. Ce cycle forme une partition de l’octave, en 12 intervalles, dont les notes peuvent être jouées sur un clavier classique. On fait Si# = Do et toutes les notes diésées égales aux notes bémolisées immédiatement supérieures, par exemple Sol# égale à Lab. Cela revient à répartir le comma pythagoricien sur un certain nombre de quintes en les diminuant ou les augmentant.

Suivant Pierre-Yves Asselin19 : « la représentation la plus commode du cycle des 12 quintes

d’un système d’accord est le cercle. En effet, cette figure schématique nous aide à juger de la

qualité des composantes d’un système donné. Nous représentons ici, la quinte pure par un

« 0 » et la quinte altérée ou tempérée par un nombre, précédé du signe + ou -, indiquant la

proportion de comma dont la quinte est altérée par rapport à sa valeur pure. »

Dans ce paragraphe, je définirai d’abord, le tempérament mésotonique et les intervalles « interdits » associés. Je ferai ensuite une digression, apparente, sur l’accompagnement de la voix humaine par différents types d’instruments selon Salomon de Caus20. Je terminerai par une présentation rapide d’un autre tempérament inégal plus tardif que le mésotonique, le Werkmeister III.

1.1.1 LE TEMPERAMENT MESOTONIQUE

Dominique Devie21 définit le tempérament mésotonique ou à tons moyens : le « tempérament

à tons moyens ... se propose de faire rentrer un cycle de 12 quintes dans l’octave, tout en

favorisant les tierces. Accorder en tons moyens, c’est raccourcir le cycle de 4 quintes formant

une tierce de 4 fois 1/4 de comma (syntonique) autant de fois qu’il le faut (c’est-à-dire 3 fois)

pour aménager l’espace conventionnel de l’octave. » Cela revient donc à obtenir un maximum de tierces pures, en diminuant les quintes constitutives d’un quart de comma syntonique. La quinte du loup résiduelle est, elle, fortement augmentée.

16 ASSELIN, Pierre-Yves, op. cit. 17 DEVIE, Dominique, op. cit. 18 ASSELIN, Pierre-Yves, ibid., p. 37 19 ASSELIN, Pierre-Yves, op.cit., p. 41 20 de CAUS, Salomon, Institution Harmonique, Frankfort, Jan Norton, 1615, reprint ed., Genève Minkoff, 1980, Partie deuxième, pp. 54-56 21 DEVIE, Dominique, ibid, p. 37

7

Je donne ci-après la représentation du tempérament mésotonique, où le coma est le comma syntonique.

C’est un tempérament régulier à quart de comma, c’est-à-dire que toutes les quintes, sauf une, sont également altérées et réduites d’un quart de comma syntonique, par rapport à la quinte pure. La quinte du loup, entre Sol# et Ré# ou Mib, est trop grande d’un comma trois quarts, par rapport à la quinte pure et de deux commas syntoniques par rapport aux autres quintes mésotoniques.

Il faut noter que « Historiquement, la » quinte du loup » du système pythagoricien aurait été

située entre Si et Fa#, d’après ce que témoigne le traité du milieu du XVe siècle d’Henri

Arnault de Zwolle22

»). La quinte du loup s’est donc déplacée à la Renaissance vers Sol#/Ré# ou Lab/Mib.

Cette représentation permet23 « d’apprécier d’un simple coup d’œil, la qualité des intervalles :

-le ton est formé de 2 quintes consécutives ; ex. : Do/Ré, formé de Do/Sol et Sol/Ré ». Tous les tons, sauf Do#/Ré# et Sol#/La#, sont égaux et plus petits que ces deux derniers, qui contiennent la quinte du loup.

« -la tierce majeure est formée de 4 quintes consécutives » ; les tierces ne contenant que des quintes altérées d’un quart de comma syntonique sont des tierces pures. 4 tierces majeures sont altérées : Si/Ré#, Fa#/La#, Do#/Mi# et Sol#/Si# sont plus grandes d’environ 1 comma syntonique que la tierce pure.

22 ASSELIN, Pierre-Yves, ibid, p. 69 23 ASSELIN, Pierre-Yves, ibid, p. 42

FA

DO

SOL

RE

LA

MI

SIb

MIb

SOL#

DO# FA#

SI

-1/4

-1/4

-1/4

-1/4

-1/4

-1/4

-1/4

-1/4

-1/4

-1/4

-1/4

Loup

+1 3/4

8

La dénomination de mésotonique ou tempérament à tons moyens vient du fait que les tons constitutifs d’une tierce majeure pure mésotonique sont égaux et intermédiaires entre les tons majeurs et mineurs de ratios respectifs 9/8 et 10/924.

Historiquement, les spécialistes dont Dominique Devie25 font remonter l’apparition du tempérament mésotonique à la période 1450-1470. Il s’est perpétué, avec des variations selon les pays, jusqu’à la fin du XVIIe siècle. Le premier témoignage attestant du tempérament mésotonique, date de Ramos en 1482. Les premières instructions pour élaborer un tempérament, ce tempérament étant le tempérament mésotonique, sont dues à Pietro Aaron en 1523, en Italie.

Le premier chiffrage non ambigu du tempérament mésotonique, se trouve dans les « Dimonstrazioni harmoniche » de Gioseffo Zarlino26 parues à Venise en 1571. Les autres instructions en Italie pour construire le mésotonique sont dues à Armodio Maccioni en 1604 et 1624, à Costanzo Antegnati en 1608, à Galeazzo Sabbatini en 1657 et à Lemme Rossi en 1666 selon une liste établie par Dominique Devie27.

Pour évaluer la qualité des intervalles du mésotonique, on peut comparer les battements qu’ils provoquent. Dans son Annexe 11, Pierre-Yves Asselin28 calcule pour différents intervalles et pour les tempéraments usuels, le nombre de battements par seconde des intervalles pris dans le deuxième octave du clavier.

Il obtient par exemple que les quintes battent autour de 2 battements par seconde à l’exception de la quinte du loup et la quarte associée, qui battent à environ 13 battements par seconde.

Les tierces majeures altérées battent à environ 30 battements par seconde pour Si/Ré#, 25 pour Lab/Do, 22 pour Fa#/La# et 17 pour Do#/Mi#.

Les tierces mineures, qui sont trop étroites, battent entre 2,5 et 4,5 battements par seconde quand elles ne « contiennent » pas la quinte du loup. Dans le cas contraire, on a 3 tierces mineures difficilement utilisables qui battent respectivement 37 battements par seconde pour La#/Do, 28 pour Fa/Lab et 25 pour Ré#/Fa#.

En conclusion, Claudio Monteverdi composait sa musique et notamment sa musique vocale dans un environnement mésotonique. Le tempérament mésotonique à quart de comma a été élaboré pour obtenir un maximum de tierces majeures pures : toutes les tierces majeures, qui ne font pas intervenir la quinte du loup. De la même façon, les sixtes mineures associées aux tierces majeures pures sont pures.

Les tierces majeures difficilement utilisables, et par difficulté décroissante, sont :

Si/Ré# ou Dob/Mib, Sol#/Si# ou Lab/Do, Fa#/La# ou Solb/Sib et Do#/Mi# ou Réb/Fa, qui sont trop larges d’un comma environ.

Les tierces mineures ne faisant pas intervenir la quinte du loup, sont légèrement altérées et plus petites que des tierces mineures justes. De même, les sixtes majeures associées sont légèrement altérées et plus grandes que les sixtes majeures justes. Les tierces mineures difficilement utilisables, et par difficulté décroissante, sont :

La#/Do# ou Sib/Réb, Fa/Lab ou Mi#/Sol# et Ré#/Fa# ou Mib/Solb qui sont très étroites.

24 ASSELIN, Pierre-Yves, ibid, p. 75 25 DEVIE, Dominique, op. cit., pp. 55-63 26 ZARLINO, Gioseffo, op. cit. 27 DEVIE, Dominique, ibid, p. 67 28 ASSELIN, Pierre-Yves, ibid, pp. 217-221

9

Les quintes, hors la quinte du loup Sol#/Ré# ou Lab/Mib, sont légèrement altérées, mais utilisables, surtout avec des tierces pures dans des accords parfaits majeurs et mineurs. La quinte du loup Sol#/Ré# ou Lab/Mib est difficilement utilisable et trop large d’un comma trois quarts syntonique.

Le tableau suivant réunit les intervalles « difficiles » ou « interdits » pour le mésotonique sous une forme « anachronique », mais synthétique, d’intervalles issus d’accords parfaits majeurs ou mineurs. On note par OUI les accords utilisables et par NON grisé les accords « interdits ».

Accords Ré Mib Mi Fa Fa# Sol Lab La Sib Si Do Do#

Majeurs OUI OUI OUI OUI NON OUI NON OUI OUI NON OUI NON

Mineurs OUI NON OUI NON OUI OUI NON OUI NON OUI OUI OUI

Il faut noter que dans l’accord de Lab majeur, la quinte Lab/Mib et la tierce majeure Lab/Do sont « difficiles ». La tierce mineure Do/Mib est utilisable. Pour l’accord de Lab mineur, seule la quinte est « difficile ».

Pour rassembler les résultats sur les intervalles « interdits », il nous suffira en fait des quatre catégories associées aux accords majeurs de Fa#, Lab, Si et Do#.

1.1.2 INTERPRETATION DE LA MUSIQUE VOCALE SELON SALOMON DE CAUS

Il est intéressant dans cette partie, de citer l’état de l’art sur la musique vocale et plus particulièrement la musique vocale accompagnée, au début du XVIIe siècle selon un traité de musique théorique, celui de Salomon de Caus déjà cité. Pour lui et de nombreux auteurs, la voix humaine est d’inspiration divine et s’exprime naturellement par des intervalles pures, c’est-à-dire exprimés par des rapports pythagoriciens. Il passe donc en revue les différents types d’instruments selon qu’ils sont capables ou non de s’accorder avec la voix humaine. Les notions de tempérament sont implicites, comme le sont les capacités de la voix à s’adapter à ces tempéraments et donc à chanter « faux ».

Salomon de Caus29 distingue trois sortes d’instruments.

La première sorte est formée des instruments de musique stables. « Les orgues, Espinettes &

Harpes, sont de ce genre, ... . Ce qui cause une Musique pleine & sans grande Artifice.

Toutefois aucuns savent si bien manier lesdits instruments, en tremblant les deux sons d’un

semiton, que cela apporte une grande délicatesse à l’ouïe. » On en déduit d’abord que les instruments de musique stables sont accordés suivant un tempérament, que les musicologues nous disent être le tempérament mésotonique, et que l’ornementation, dont les tremblements, était couramment utilisée pour cacher les accords difficiles.

La deuxième sorte est constituée des instruments de musique en partie stables, « comme les

Violes, le Lut, Guiternes, Cithre & semblables, dont les intervalles des sons sont arrêtées avec

des Touches, lesquels sont en partie stables & en partie muables. La raison est, qu’en jouant

desdits instruments l’on peut faire quelques tremblements sur les touches, en montant ou

descendant, en sorte que cela apporte une grande douceur à l’ouïe. Mais néanmoins les

Tirades & tremblements de la voix sont beaucoup plus parfaits, laquelle n’est arrêtée

29 de CAUS, Salomon, op. cit., Partie deuxième, pp. 54-56

10

d’aucune touche, ainsi prononce la Consonnante en sa plaine perfection. Et mêmement il

n’est pas possible de faire que les dites Touches soient toutes placées selon la mesure

démontrée au Monocorde de la première partie de cette Institution. » On voit, dans cette dernière phrase, une allusion à l’accord des instruments frettés.

La dernière sorte est celle des instruments muables. « Comme par exemple, les Cornets,

Flutes, & Hautbois sont gradués de trous, ... . Néanmoins, ceux qui savent bien manier les

dits instruments peuvent les hausser ou baisser à leur plaisir, par le moyen des doigts, qui

bouchent lesdits trous peu à peu selon la volonté du joueur. Mais les Violons passent en ce

sujet tous les autres instruments, d’autant qu’ils ne sont sujets à aucune touche. »

Salomon de Caus, dans son chapitre XXXIX aborde principalement la question de l’accompagnement instrumental de la voix. « Tous les Instruments de Musique en général, qui

sont muables & non arrêtées de touches, se peuvent mêler fort agréablement avec les voix. » En sous-entendu, la voix est juste, c’est-à-dire selon les proportions harmoniques exactes, et les instruments muables peuvent l’accompagner exactement. « Mais ceux qui sont arrêtées

desdites touches, comme les Luts & Violes & autres semblables, ne peuvent leurs accords

avec la voix si exactement. La raison est, que les touches, dont ils sont graduées, sont

éloignées par intervalles de semitons égaux, qui ne sont directement mesurées selon la

proportion Harmonique. ... . Mais à cause que le son desdits instruments passe assez vite, &

spécialement du Lut, les fautes ne sont pas si tôt connues. » On peut déduire de ce passage, que pour Salomon de Caus, l’accord des luths et violes se fait en tempérament égal et seule la persistance faible du son permet un accompagnement satisfaisant de la voix.

« Mais si des Orgues sonnaient directement comme ledit Lut, la faute se connaîtrait grande.

Quant aux dites Orgues, Epinettes & Harpes, ils se peuvent mieux accommoder avec les voix,

encore que leurs sons soient stables. Mais les tons et consonantes y sont mieux divisées. Et de

tous les Instruments il n’y en a pas un, qui veuille être accordé plus exactement que lesdites

Orgues. Aussi est-ce le plus parfait de tous les autres. » On peut en conclure que le tempérament mésotonique d’accord des orgues et clavecins de ce début du XVIe siècle en France est bon pour accompagner les voix et donc que la voix s’adapte au mésotonique.

En conclusion de ces citations, les chanteurs à l’époque de Claudio Monteverdi vivaient et chantaient dans un univers mésotonique, a fortiori quand ils étaient accompagnés par des orgues ou clavecins. Luths et violes leur posaient éventuellement des problèmes de justesse. La pratique instrumentale de beaucoup de groupes de musique ancienne Renaissance, montre que les luths et violes supportent un accord mésotonique. Pourquoi n’en aurait-il pas été de même au début du XVIIe siècle ? De plus, pratiquement et implicitement, le chanteur accompagné adopte l’intonation de l’instrument qui l’accompagne et donc son tempérament. Cette adaptation se fera plus ou moins vite selon que le chanteur, aura ou n’aura pas l’oreille absolue. Ce qualificatif étant bien entendu relatif et vaudra pour le tempérament et le diapason, s’il existe, en vigueur à l’époque et dans le lieu de vie du chanteur.

11

1.1.3 UN AUTRE EXEMPLE DE TEMPERAMENT, LE WERKMEISTER III

Andreas Werkmeister (1645-1706), cité par Dominique Devie30, a décrit dans son « Orgel

Probe »31 plusieurs systèmes d’accord, dont le Werkmeister III. Ce tempérament est devenu le tempérament inégal « passe-partout » pour interpréter les musiques baroques de la fin du XVIIe siècle et de la première moitié du XVIIIe siècle. Il a sans doute remplacé progressivement en Allemagne le tempérament mésotonique.

Le Werkmaister III est d’inspiration pythagoricienne en ce qu’il favorise les quintes justes au détriment des tierces justes. Il consiste à répartir le comma pythagoricien de la quinte du loup sur 4 quintes : Si/Fa# (la quinte du loup pythagoricienne), Do/Sol, Sol/Ré et Ré/La. On a la représentation analogue à la précédente32.

Les caractéristiques de ce tempérament sont toujours suivant Jean-Yves Asselin :

« - Aucune tierce majeure pure

- 3 tierces majeures pythagoriciennes,

- Progression de la tension assez douce vers les tonalités avec altérations. »

Si en Werkmeister III, l’accord de Si majeur est tendu comme dans le mésotonique, l’accord de Lab majeur, qui contient la quinte du loup du mésotonique Lab/Mib, est un très bel accord et Bach l’utilise dans des situations de paix et de calme.

30 DEVIE, Dominique, op. cit., Chap. 11 31 WERKMEISTER, Andreas, Orgel Probe, Quedlinburg 1681, (trad. angl. par Kraft C. Sunbury Press, Raleigh 1976) 32 ASSELIN, Jean-Yves, op. cit., p. 94

FA

DO

SOL

RE

LA

MI

SIb

MIb

SOL#

DO# FA#

SI

-1/4

-1/4

-1/4

0

0

0

0

0

0

-1/4

0

0

12

1.2 RAPPELS SUR LA MUSICA RHETORICA

A partir du XVIe siècle, se créent et se développent des cours princières, les princes souhaitant fonder des dynasties. On peut citer en Italie la cour des Médicis à Florence. Les Médicis exportent en France le concept, qui atteindra son apogée avec Louis XIV au XVIIe siècle. C’est le processus de curialisation, qui confisque tous les pouvoirs des aristocrates, et les transforme en courtisans entièrement dépendant du Prince.

Les arts colonisent la vie de cour pour la plus grande gloire du Prince et pour la mise en œuvre du processus de civilisation des mœurs, avec un double mouvement contradictoire : d’une part, la promotion officielle de la vertu, de la transparence et de la raison et d’autre part, la manipulation totale du courtisan, soumis à une concurrence féroce pour les honneurs et les charges, et qui, pour ne pas déplaire au Prince, est confiné dans la dissimulation.

C’est pour d’autres raisons, que l’Eglise déploie massivement à la même époque les arts dans les lieux de culte et dans les rituels. Il s’agit de reconquérir l’audience perdue et de stabiliser l’audience survivante, l’idée étant de subjuguer par les sens un auditoire, dont on ne sollicite plus l’adhésion intellectuelle.

La musique bien entendu est concernée par ces deux types d’usage, musique profane de cour et musique religieuse, avec pour objectifs notamment de faire l’éloge du Prince et de sa vertu et de convaincre les fidèles du bien et du mal. Les musiciens, dans la perspective de retrouver les effets produits par la musique dans l’antiquité et décrits par les auteurs anciens, se réapproprient les catégories rhétorique et poétiques.

En se référant aux habitudes compositionnelles des italiens, que l’on peut déduire des préfaces, des correspondances, des relations académiques, des descriptions de fêtes, ..., ainsi qu’à celles des allemands que l’on trouve de façon plus systématique dans des traités de poétique musicale du XVIe au XVIIe siècle, par exemple Joachim Burmeister33 (1566-1629), Christoph Bernhard34 (1628-1692), Johann Mattheson35 (1681-1764), on peut déduire un arsenal de procédés rhétoriques musicaux dont disposait le compositeur « moyen ».

Cette rhétorique musicale, bien qu’issue de la Rhétorique antique, science et techniques de l’Art oratoire ou comment faire un discours efficace pour convaincre un auditoire, ne se réduit pas à la rhétorique déployée dans le texte mis en musique. Elle déploie des moyens proprement musicaux, même si on retrouve les cinq opérations classiques de la rhétorique : l’invention, la disposition, l’élocution, l’action et la mémoire36. Cette dernière opération est peu développée à l’époque qui nous occupe.

L’invention musicale, première des 5 opérations de la rhétorique classique, se déploie essentiellement sur un texte porteur de valeurs sémantiques spirituelles ou profanes : actions, passions, images. La première étape consiste à choisir un mode adapté à l’éthos général du

33 BURMEISTER, Joachim, op. cit. 34 BERNHARD, Christoph, tractatus compositionis augmentatus, c. 1657 35 MATTHESON, Johann, Der Vollkommene Capellmeister, Hambourg, 1725 36 L’invention rassemble l’ensemble des moyens capables de convaincre l’auditoire, les arguments objectifs comme les faits, les preuves, les arguments subjectifs comme le bien et le mal, les sentiments ou passions et les topiques, notamment les idées communément admises. La disposition est formée traditionnellement de 5 parties, l’exorde, la narration, la confirmation, la digression et la péroraison. C’est la mise en ordre des différents moyens de persuasion, l’agencement et la répartition des arguments. L’élocution est la rédaction du discours. Le discours y est organisé dans le détail. Elle porte sur le choix des mots, le style bas, moyen, élevé, le rythme des mots et les figures. La mémoire : on considérait dans l’Antiquité qu’un discours devait être su par cœur. L’action ou prononciation est l’énonciation effective du discours, avec les effets de voix, les mimiques, la gestique.

13

texte. Ces choix modaux ont des implications sur le parcours « harmonique » de l’œuvre, notamment en terme de cadences intermédiaires et de cadence finale plus ou moins développée. La seconde étape consiste à analyser le texte pour en extraire le sens général et un enchaînement d’actions, de passions ou d’images. Cette démarche a été inaugurée par Joachim Burmeister37.

La disposition musicale, seconde opération de la Rhétorique se déduit pour partie de cette analyse du texte, qui fait partie à la fois de l’invention et de la disposition. En effet pendant près d’un siècle, la majorité des œuvres musicales ont trouvé leur forme dans celle des textes. A l’église, on peut citer l’ensemble des musiques liées à des fêtes particulières, motets, psaumes et passions, à l’exception des musiques rituelles de l’ordinaire de la messe. A la cour, on peut citer les musiques des genres moyens et nobles, comme les madrigaux et la musique de théâtre, les « favola in musica » ou les opéras, à l’exception des musiques de pur divertissement comme les bals. Enfin, il faut exclure de ces œuvres, dont la forme est gouvernée par celle du texte, toutes les musiques strophiques, danses ou cantiques de louange. Cette musique, au service du texte peut être appelée d’un nom difficile à traduire en français : « durchkomponiert », musique, qui ne se répète pas, d’un bout à l’autre de l’œuvre.

Pour Joachim Burmeister38, suivant Aristote, une œuvre musicale se décompose en trois parties : l’exorde, le développement et la fin. La première est informative. Le développement est en général découpé en une séquence d’actions, de passions concupiscibles ou irascibles. D’autres effets de disposition sont utilisés par les compositeurs, par exemple le nombre de tactus par vers, qui dynamise ou ralentit le discours, la répétition de mots ou de vers, la superposition de vers dans les compositions polyphoniques.

L’élocution musicale est principalement concernée par les figures musicales. Joachim Burmeister39, Athanasius Kircher40, dans la tradition allemande décrivent un certain nombre de procédés d’écriture musicale ou figures à l’imitation des figures rhétoriques de l’antiquité. Elles se fondent sur la tradition, mais également sur les innovations des grands Maîtres. Comme le conseille Joachim Burmeister, cet arsenal n’est pas restreint aux figures qu’il décrit, mais chaque texte est l’occasion pour le bon compositeur d’une fabrication adaptée. Je donnerai en note de bas de page la définition des figures quand elles interviendront dans le texte.

L’action ou la prononciation musicale, c’est-à-dire les effets de voix, s’ajoute à tout cet arsenal lors de la performance musicale : accélérer ou décélérer le tempo, enfler ou diminuer le son, animer les notes avec des trilles ou trémolos, remplir les intervalles par des « passages » en fonction d’un projet de sens. A cause des dérives des interprètes, cette ornementation, au sens moderne du terme, est cadrée par les compositeurs en général dans les préfaces aux œuvres, voir par exemple, la préface au Combat de Tancrède et Clorinde ou seule la strophe commençant par « Notte » doit être ornée. L’ornementation chez Claudio Monteverdi renvoie au cosmos, c’est-à-dire l’ordre, la beauté et l’harmonie.

37 BURMEISTER, Joachim, op. cit. 38 BURMEISTER, Joachim, op. cit. 39 BURMEISTER, Joachim, op. cit. 40 KIRCHER, Athanasius, op. cit.

14

1.3 RAPPELS SUR LES MODES

Nous nous réfèrerons principalement à Salomon de Caus41, qui dans son Institution Harmonique résume l’état de la théorie musicale au début du XVIIe siècle en Europe et notamment en Italie où le titre de son ouvrage souligne sa filiation avec l’œuvre homonyme de Gioseffo Zarlino42, et à Nicolas Meeùs43 pour son cours sur la Théorie modale au Moyen Âge et à la Renaissance.

On traite dans une première partie de la définition et de la nature des modes. On rappelle l’éthos des modes selon Salomon de Caus et de leurs transposés éventuels. On applique ces définitions à la musique polyphonique. Dans une seconde partie, on en déduit les méthodes que nous appliquerons pour déterminer les modes de certains madrigaux de Claudio Monteverdi.

1.3.1 DEFINITION ET NATURE (ETHOS) DES MODES

En début de la deuxième partie de son Institution Harmonique, Salomon de Caus44 donne les définitions des modes, qu’il illustrera par de nombreux exemples dans les chapitres suivants. Dans les chapitres IX à XXIII45, Salomon de Caus revient en détail sur les effets des différents modes et les explique par la place du demi-ton par rapport à la fondamentale du mode. Il passe ensuite en revue les douze modes et « leur nature », c’est-à-dire leur éthos. Pour les artistes du premier baroque en ce début du XVIIe siècle, dont l’objectif est de plaire, d’éduquer et d’émouvoir, l’intérêt nouveau dans l’Antiquité, et ici les modes, relève tout autant de la vénération des maîtres anciens, que de la volonté de retrouver les capacités d’émouvoir, de susciter les passions, dont toute la littérature antique se fait l’écho.

1.3.1.1 Définitions

« DEFINITION IIII

MODULATION est entendue pour un changement d’un son à un autre.

Cette définition n’a autre besoin d’explication.

DEFINITION V

MODE est une sorte de musique faite sous une certaine modulation

Ce mot de Mode est appelé par aucuns modernes Ton. Toutefois Mode vient mieux à propos.

L’invention en est fort antique. » Salomon de Caus introduit ensuite les 8 modes ecclésiastiques et les douze modes modernes : « Quant à ce qui dépend de l’institution de nos

Modes modernes, elles ont été depuis quelque 200 ans jusques au nombre de huit, sur

lesquelles les chants de l’Eglise se réglaient, comme il se peut voir en la pratique de musique

de Franchini Gafori. Toutefois Zarlin, laborieux en cette science, a montré, qu’il y en a douze

comprises au diapason, savoir six principales (authentiques) et six collatérales (plagals), lesquelles seront montrées ci-après. Lesdites Modes étantes bien ordonnées, assujettissent

notre musique sous certaines règles convenables à la parole, ou au sujet de notre chant :

41

de CAUS, Salomon, op. cit. 42

ZARLINO, Gioseffo, The Art of Counterpoint, Part III of Le Intitutioni harmoniche, Venice, 1558, trans. Guy Marco and Claude Palisca. New Haven, 1968 43

MEEUS, Nicolas, Théorie modale Moyen Âge et Renaissance ; Université de Paris Sorbonne, 2005, crlm.paris4.sorbonne.fr, janvier 2007 44 de CAUS, Salomon, ibid, Partie deuxième, pp. 3-4 45 de CAUS, Salomon, ibid, Partie deuxième, pp. 19-29

15

comme par exemple, si nous avons un sujet gai, plein d’allégresse, nous trouverons entre

lesdites Modes modernes … aucunes propres pour accommoder ledit sujet ; et si nous avons

un sujet triste et lamentable, autres Modes seront propres pour icelui. »

1.3.1.2 Utilisation des modes

Dans son chapitre X, Salomon de Caus46 décrit « De la situation des notes Principales

contenues aux douze Modes, et comme il faut en user » et finit par donner la définition classique du mode que l’on trouve par exemple au XIe siècle, dans le Dialogus du pseudo Odon de Cluny : « le ton ou mode est une règle qui distingue tout chant par sa finale

47 ».

Par exemple, un chant dans le troisième mode, le mode de Ré authente se termine par un Ré et va traditionnellement de ce Ré au Ré de l’octave supérieure. Pour un chant du quatrième mode, le mode de Ré plagal, il se termine par Ré et va traditionnellement du La inférieur au La supérieur avec éventuellement une à deux notes au-dessus et au-dessous.

1.3.1.3 Ethos des modes et modes transposés

Dans son chapitre XXIII (« Pour connaître la nature de chacune Mode »), Salomon de Caus48 résume l’éthos de chacun des douze modes :

« Les sujets de notre Musique, sont composés de quelques unes des affections dépendantes de

ces trois principales : à savoir la première gaie ou allègre, la deuxième mélancolique ou

lamentable, la troisième grave ou sévère ; ou bien du mélange de grave et allègre ensemble,

ou de grave et lamentable ».

Cette nature des modes ou éthos est d’après Salomon de Caus, suivant les écrits de Gioseffo Zarlino, fonction de la place des demi-tons (notés t) et tons (notés T) dans l’octave modale considérée. On a pour chaque fondamentale :

Do = TTtTTTt, Ré = TtTTTtT, Mi = tTTTtTT, Fa = TTTtTTt, Sol = TTtTTtT, La = TtTTtTT

La présence du triton Fa/Si dans le mode de Fa, fait que le mode de Fa est le plus souvent avec un Sib à la clef, ce qui nous donne la décomposition TTtTTTt, c’est-à-dire celle du mode de Do. On dit alors que le mode de Fa avec un Sib à la clef est le mode de Do transposé sur Fa.

Dès la Renaissance, on a besoin, pour la facilité du chant, de transposer des modes à la quinte ou à la quarte. Pour cela, à l’imitation du mode de Fa avec un Si bémol à la clef, on trouve d’autres modes avec ce Sib à la clef : le mode de Do avec un Sib est le mode de Sol transposé sur Do ; le mode de Ré avec un Sib à la clef est le mode de La transposé sur Ré ; le mode de Sol avec un Sib à la clef est le mode de Ré transposé sur Sol et enfin le mode de La avec un Sib à la clef ets le mode de Mi transposé sur La. Observons que le mode de Mi ne peut exister avec un Sib à la clef, car il correspondrait à un mode de Si qui n’existe pas.

Ces modes transposés ont tout naturellement l’éthos du mode d’origine, puisque pour les anciens et les contemporains de Monteverdi, l’éthos dépend de la place des demi-tons et tons. Suivant Salomon de Caus49 et suivant Nicolas Méeus50 pour le noms des modes ecclésiastiques selon la terminologie de Glarean, on a le tableau suivant :

46 de CAUS, Salomon, Op. cit., Partie deuxième, Chapitres X, pp. 20-21 47 MEEUS, Nicolas, Op. cit. 48 de CAUS, Salomon, ibid, Partie deuxième, Chapitres XXIII, pp. 28-29 49 de CAUS, Salomon, op. cit., Partie deuxième, Chapitres X à XXIII, pp. 28-29 50

MEEUS, Nicolas, op. cit., p. 42

16

Mode Armure Structure Nom selon Glarean Ethos

Do authente TTtTTTt Ionien Première mode de nature gaie Do plagal Hypoionien Deuxième mode de nature grave et gaie Do authente Sib TTtTTtT Mixolydien transposé Mode grave et lamentable

Do plagal Sib Hypomixolydien trans. Mode grave et gaie

Ré authente TtTTTtT Dorien Troisième mode de nature grave Ré plagal Hypodorien Quatrième mode de nature gaie Ré authente Sib TtTTtTT Eolien transposé Mode grave et un peu lamentable

Ré plagal Sib Hypoéolien transposé Mode grave et lamentable

Mi authente tTTTtTT Phrygien Cinquième mode lamentable Mi plagal Hypophrygien Sixième mode fort lamentable Fa authente TTTtTT Lydien inexistant Fa plagal Hypolydien inexistant Fa authente Sib TTtTTTt Ionien transposé Septième mode grave et gaie

Fa plagal Sib Hypoionien transposé Huitième mode grave et allègre

Sol authente TTtTTtT Mixolydien Neuvième mode grave et lamentable Sol plagal Hypomixolydien Dixième mode grave et gaie Sol authente Sib TtTTTtT Dorien transposé Mode nature grave

Sol plagal Sib Hypodorien transposé Mode de nature gaie

La authente TtTTtTT Eolien Onzième mode grave et un peu lamentable La plagal Hypoéolien Douzième mode grave et lamentable La authente Sib tTTTtTT Phrygien transposé Mode lamentable

La plagal Sib Hypophrygien trans. Mode fort lamentable

Remarquons que, pour Zarlino et à sa suite Salomon de Caus, le premier et le deuxième mode sont les modes de Do, au contraire de ce qui se faisait au Moyen-Âge : le premier mode étant le mode de Ré authente. Cela a pu entraîner des confusions dans les différents traités.

Enfin, le septième mode, le mode de Fa authente avec un Sib à la clef, mode de Do authente transposé sur Fa, devrait avoir l’éthos de Do authente, c’est-à-dire gaie et non grave et gaie. Cette incohérence peut cependant être expliquée, car traditionellement le requiem ou messe des morts est en mode de Fa authente et l’éthos de ce mode doit reflêter son utilisation traditionelle. On se réfèrera à la thèse de Fabien Delouvé à paraître en 2008.

1.3.1.4 Mode et musique polyphonique

La suite de la deuxième partie de l’Institution Harmonique de Salomon de Caus51 est consacrée pour une très grande part à un traité de composition ou de « Contrepoint ».

Les chapitres XXV à XXXI52 traitent du contrepoint à 2 voix, que l’on nomme Superius et Basse. En termes de mode, on a : « il est aussi fort requis, que le Contrepoint que l’on fera

sur le sujet, soit de même mode que le dit sujet, si l’on peut, (car autrement il n’y a point de

reglement contraint) à celle fin d’avoir la même modulation ou environ. Car ce serait chose

impropre, que le sujet fut d’une nature gaie, et le Contrepoint d’une nature lamentable. »

51 de CAUS, Salomon, op. cit., Partie deuxième, Chapitres XXV à XXXIV, pp. 30-54 52 de CAUS, Salomon, ibid, Partie deuxième, p. 30

17

Le chapitre XXXII53 traite de la composition à trois parties. « Les noms des parties seront,

Basse pour la partie grave, Tenor, ou Taille pour la partie moyenne, & Superius ou Dessus

pour la partie aigue ». Les exemples italiens cités montrent que la finale du mode est donnée par la Basse et le genre authente ou plagal par le Superius.

Les chapitres XXXIII et XXXIV54 traitent de la composition à 4 voix pour le premier et à cinq et six voix pour le second. C’est la voix de Tenor qui donne le mode de l’œuvre. La règle de l’alternance s’applique, mais ici Salomon de Caus fait une erreur : « Sur toutes choses il

faut regarder à faire que toutes les parties soient d’un chant facile & agréable ; & que

suivant le sujet de la parole l’on puisse faire élection d’un Mode convenable à icelle, pour

faire chanter le Tenor, lequel ordinairement est le sujet sur lequel les autres parties se

composent, la Basse sera aussi de la même Mode comme le Tenor. Mais le Superius et le

Contratenor seront de la prochaine Mode ». Il faut sans doute lire le Superius à la place de la Basse, qui est du même mode que la voix d’Alto, ici Contratenor, voir par exemple Nicolas Meeùs55.

Les œuvres à 5 voix (et plus) ont la même structure que celles à 4 voix, mais avec un second Superius ou Tenor ou Basse. Chez Monteverdi, les voix supplémentaires sont dénommées Quinto, Sesto ou Settimo, et sont du même mode, authente ou plagal, que la voix placée directement au-dessus dans la partition.

1.3.2 METHODES

Pour définir les modes des madrigaux de Claudio Monteverdi, nous avons utilisé la méthode suivante. De façon générale, nous avons, pour chaque madrigal, identifié la note fondamentale de l’accord final et les ambitus de chaque voix. Suivant Nicolas Meeùs56, l’harmonie de l’accord donne la fondamentale du mode. Reste à déterminer le caractère authente ou plagal du mode : ce qui est donné par les ambitus de chaque voix.

Nous avons vérifié que dans tous les cas sans ambiguïté des madrigaux à 4 voix et plus, la règle d’alternance était vérifiée. Ce qui nous permet de lever un certain nombre d’ambiguïtés induites par des ambitus trop grands ou trop petits, en faisant l’hypothèse que, dans ces madrigaux, la règle de l’alternance est vraie. Car en général, au moins une voix possède un caractère authente ou plagal certain.

On a vérifié de même, que dans le cas de madrigaux à 5 voix et plus, les voix supplémentaires étaient du même mode que la voix placée directement au-dessus dans les éditions que nous avons analysées.

Dans les cas des madrigaux à une voix et basse continue, le mode est donné par celui de la voix. En général la voix de basse continue joue le rôle d’une seconde voix en contrepoint et a le même mode que la voix haute, voir Salomon de Caus57. Pour les madrigaux des Livres VII et VIII à 2 voix égales et basse continue, l’on se retrouve dans le cas précédent. Pour les madrigaux à deux voix inégales et basse continue, l’on se trouve généralement dans le cas d’un contrepoint à deux voix, qui ont donc le même mode.

53 de CAUS, Salomon, ibid, Partie deuxième, pp. 41-52 54 de CAUS, Salomon, ibid., Partie deuxième, pp. 53-54 55 MEEUS, Nicolas, op. cit., p. 40 56 MEEUS, Nicolas, ibid, p. 38 57 de CAUS, Salomon, op. cit., deuxième partie, p. 30

18

Dans le cas des madrigaux à trois voix : soit ils sont à trois voix inégales, le mode est alors le mode de la voix de Tenor, soit les voix sont formées de deux voix hautes égales et d’une voix de Basse et l’on se retrouve dans le cas précédent de madrigaux à deux voix.

J’ai rencontré des problèmes pour quelques madrigaux, dans le « genre représentatif » ou en italien « in genere rapresentativo », qui sont de petits opéras avec de multiples personnages et des ballets. Les affects ou les actions peuvent changer vite. Chaque air ou morceau semble avoir une unité modale et un éthos propre, fonction de ces affects. On parle alors de tons. Ces problèmes ont été, semble-t-il, résolus par Monteverdi lui même par exemple pour le « ballo » des chants guerriers du Livre VIII, qui a été divisé en deux numéros et le « Lamento della

Ninfa » qui a été divisé en trois numéros à unicité modale non ambigüe.

Comme le « Lamento » arrive après le « Combattimento de Tancredi e Clorinda » j’ai fait l’hypothèse d’unicité modale pour ce grand madrigal. Ce qui n’a pas apporté d’incohérence. Par contre il était très insatisfaisant de faire cette hypothèse pour le « Ballo delle Ingrate » de la fin des chants amoureux du Livre VIII. J’ai donc découpé celui-ci de la même façon que Monteverdi avait découpé le « ballo » de la fin des chants guerriers. Et les résultats semblent cohérents.

19

2 TEMPERAMENT MESOTONIQUE ET RHETORIQUE : SYNTHESE

Cette deuxième partie synthétise les résultats de ce mémoire. Outre le sujet spécifique traité dans ce mémoire, tempérament et rhétorique, ce dernier a pour vocation, avec d’autres mémoires de cours, de servir de base de données sur les madrigaux de Claudio Monteverdi. Un inventaire des modes des madrigaux de Claudio Monteverdi et des poètes identifiés, sur lesquels les madrigaux ont été composés, existent par ailleurs.

On appellera, de façon anachronique, accord « interdit » pour le tempérament mésotonique, un ensemble de notes contenant une diade, qui sonne « mal » dans le tempérament mésotonique, par exemple une des 4 tierces majeures « pythagoriciennes », Si/Ré#, Fa#/La#, Réb/Fa et Lab/Do ou la quinte du loup Sol#/Ré#. Je classerai ces différents accords « interdits » selon les catégories du tableau du I.2, que l’on peut ramener aux accords majeurs de Si, Fa#, Do# et Lab.

Pour être significatifs, j’ai compté les accords ou fausses relations uniquement sur les temps posés. Je n’ai pas pris en compte les accords « interdits » litigieux. J’ai considéré principalement comme litigieux, des accords de Si interprétés comme majeurs par un seul des éditeurs Andrea Bornstein ou Francesco Malipiero, en l’absence de vérification des sources originales. Les manuscrits originaux, eux, sont très clairs. Si Monteverdi veut un Ré#, il indique le Ré# sur la portée de la basse. Même si le dessus a un Fa#, il l’indique à la basse. On a donné des copies de facsimilé, exemples N°25 et N°27. Dans ces premiers temps de la basse continue, Monteverdi indique, sur la partition séparée de basse, toutes les données utiles à la réalisation de celle-ci. Ces indications, qui ne sont pas à proprement parlé de la basse chiffrée sont sources d’erreurs d’interprétation des éditeurs. Il paraît donc nécessaire de revenir le plus souvent possible aux facsimilés des éditions d’époque des madrigaux.

Cette partie comporte deux sous-parties. La première donne quelques chiffres globaux sur les madrigaux des 8 Livres de Claudio Monteverdi, notamment en termes de présence ou non d’accords « interdits » pour le tempérament mésotonique. La seconde sous-partie rassemble les éléments permettant d’affirmer l’utilisation des accords « interdits » dans une rhétorique musicale, en termes de modes des madrigaux à accords « interdits », de textes imités par les accords « interdits » et enfin des figures dans lesquels ces accords interviennent. L’analyse détaillée des madrigaux à intervalles « interdits » est faite dans la troisième partie.

20

2.1 DONNEES GLOBALES SUR LES MADRIGAUX DE MONTEVERI

Dans cette partie, on donne par Livre : le nombre et la formation des madrigaux, le nombre d’accords et de fausses relations « interdits » pour le tempérament mésotonique, les types d’accords « interdits » rencontrés, les modes des madrigaux ou des parties de madrigal qui contiennent des accords « interdits ».

2.1.1 NOMBRE ET FORMATION DES MADRIGAUX DE MONTEVERDI

On dénombre ici les pièces individualisées par un titre, en général les premiers mots du premier vers. Plusieurs pièces peuvent constituer un même madrigal. Par exemple le madrigal connu sous le nom de « Lamento della ninfa » est en réalité formé de trois pièces : « Non avea

febo ancora », « Lamento della ninfa » proprement dit et « Si tra sdegnosi pianti ».

On compte au total 188 pièces sur les 8 Livres, qui se répartissent comme suit :

Nb madrigaux Nb madrigaux

LIVRE I 21 LIVRE VI 18 LIVRE II 21 LIVRE VII 32 LIVRE III 20 LIVRE VIII-CANTI GUERRIERI 19 LIVRE IV 20 LIVRE VIII-CANTI AMOROSI 18 LIVRE V 19 TOTAL LIVRES 188

Les formations de tous les madrigaux de Monteverdi sont données en Annexe 1 dans les tableaux par Livre et sont synthétisées dans le tableau suivant. Les 4 premiers Livres contiennent des madrigaux à 5 voix sans basse. La cinquième voix dénommée Quinto est en général une deuxième voix de Soprano. Mais il peut y avoir des deuxièmes voix d’Alto ou de Ténor. Une partie de basse continue apparaît dans les Livres V et VI et sera généralisée dans les Livres suivants. De grandes formations apparaissent. Le Livre VII est majoritairement consacré à des madrigaux à 2 voix et basse continue. Le Livre VIII contient des œuvres de formations diverses à basse continue. Certains madrigaux, dans le genre « représentatif » sont de petits opéras.

Le tableau suivant donne les formations des madrigaux des Livres V et VI telles qu’elles sont chez Malipiero, en terme d’accompagnement de basse continue. En effet, Francesco Malipiero ne la met que quand elle est obligée par le compositeur lui-même, c’est-à-dire dans les 6 derniers madrigaux du Livre V et dans les madrigaux « concertato » du Livre VI. Cependant, Andrea Bornstein inclut la partie de basse continue dans tous les madrigaux des cinquième et sixièmes Livres. En effet, même quand cette basse continue n’est pas obligée par le compositeur, il remarque que la partie de basse peut différer légèrement de la partie chantée de Basso.

21

Mad Sans b.c. Avec basse continue

Nb 5 Voix 1 V. 2 V. 3 V. 4 V. 5 V. 6 V. et +

LIVRE I 21 21 LIVRE II 21 21 LIVRE III 20 20 LIVRE IV 20 20 LIVRE V 19 13 4 2 LIVRE VI 18 12 5 1 LIVRE VII 32 4 21 2 3 2 CANTI GUERRIERI 19 3 3 8 1 4 CANTI AMOROSI 18 1 4 6 1 2 4 TOTAL LIVRES 188 107 8 28 16 4 12 13

2.1.2 LES ACCORDS « INTERDITS » : SYNTHESE

Le tableau suivant synthétise les résultats détaillés dans la troisième partie de ce mémoire concernant le nombre d’accords « interdits » par Livre et sur l’ensemble des Livres, ainsi que quelques ratios significatifs. On rappelle que les accords « interdits » ne sont comptés que sur les temps posés.

Nombre

madrigaux

Nb accords

« interdits »

Nb et % madrigaux

avec accords « interdits »

LIVRE I 21 6 3 14% LIVRE II 21 0 0 NA LIVRE III 20 5 1 5% LIVRE IV 20 7 3 15% LIVRE V 19 3 2 11% LIVRE VI 18 6 3 17% LIVRE VII 32 26 8 25% CANTI GUERRIERI 19 18 3 16% CANTI AMOROSI 18 17 5 28% TOTAL LIVRES 188 88 28 15%

Parmi les 188 pièces des 8 Livres, 28 contiennent au moins un intervalle « interdit », soit environ 15% des madrigaux. On compte au total 88 accords « interdits ». On peut conclure de ces résultats et du faible nombre d’accords « interdits » sur les neufs volumes des madrigaux de Claudio Monteverdi, que l’environnement compositionnel de ces pièces est véritablement le tempérament mésotonique. L’utilisation des accords « interdits » augmente sensiblement dans les septième et huitième Livres.

Parmi ces 28 madrigaux à accords « interdits », on en compte si l’on se réfère à Malipiero, 12 sans accompagnement de basse continue. En complément, les 16 madrigaux restants sont à basse continue obligée. Si l’on suit Andrea Bornstein, qui affirme que la basse continue est fort recommandée, par le compositeur lui-même, à partir du Livre V et la « seconda pratica », on passe à 7 madrigaux sans basse continue et 21 avec basse continue. Ce résultat est

22

important car il prouve que les chanteurs à partir du cinquième Livre, chantent dans le tempérament de la basse continue.

2.1.3 ANALYSE GLOBALE DES INTERVALLES « INTERDITS » PAR TYPES

Le tableau suivant donne la répartition des accords « interdits » sur les intervalles issus de Si majeur (Si), Do# majeur (Do#), Fa# majeur (Fa#) et Lab majeur (Lab), ce dernier incluant les quintes du loup. Le tableau de synthèse par madrigal est en annexe 2.

Mad

(Nb)

Nb Madrigaux avec

accords« interdits »

Si

(Nb)

Do#

(Nb)

Fa#

(Nb)

Lab

(Nb)

LIVRE I 21 3 6 0 3 3 0 LIVRE II 21 0 0 0 0 0 0 LIVRE III 20 1 5 0 0 0 5 dt 5 loup LIVRE IV 20 3 7 7 0 0 0 LIVRE V 19 2 3 2 0 0 1 dt 1 loup LIVRE VI 18 3 6 6 0 0 0 LIVRE VII 32 8 26 26 0 0 0 CANTI GUERRIERI 19 3 18 15 1 1 1 CANTI AMOROSI 18 5 17 14 1 2 0 TOTAL LIVRES 188 28 88 70 5 6 7

dt 6 loup dt 6 loup

Accords/Total accords dt 7% loup 79% 6% 7% 8%

Les 88 accords « interdits » se répartissent comme suit : près de 80%, soit 70 intervalles sont issus d’accords de Si majeur et sont très généralement des accords majeurs complets de Si. On a 7 accords issus d’accords majeurs de Lab, 6 issus d’accords majeurs de Fa#, principalement sous formes d’intervalles Fa#/Sib et enfin 5 issus d’accords majeurs de Do# principalement sous forme d’intervalles Do#/Fa. Les 7 premiers contiennent 6 quintes du loup Sol#/Ré# ou Lab/Mib. Le dernier madrigal du Livre III, (Exemples N°4 et N°5) : « Ond’ei, di morte la sua

faccia impressa-Seconda parte » contient 5 véritables quintes du loup au travers d’un accord de Lab majeur. Il faut signaler une autre quinte du loup dans le madrigal « « M’è piu dolce il

penar per Amarilli » du Livre V, (Exemple N°10) camouflée derrière une dissonance Fa#/Sol# et un accord de Si majeur. Le nombre de quintes du loup est très faible, car cette quinte est très fausse dans le tempérament mésotonique.

On peut en conclure aussi une véritable appropriation par le compositeur des accords majeurs de Si.

23

2.2 UTILISATION RHETORIQUE DES ACCORDS « INTERDITS »

Dans ce paragraphe, on effectue trois analyses croisées : le ou les modes des madrigaux à accords « interdits », les mots ou le texte qui portent les accords « interdits » et enfin les ornements ou figures dans lesquelles ils interviennent. On termine par de brèves considérations sur l’interprétation aujourd’hui de musiques anciennes.

2.2.1 ANALYSE MODALE DES MADRIGAUX A INTERVALLES « INTERDITS »

Reprenant les résultats de la troisième partie, sur les 28 madrigaux à accords « interdits » on compte 30 modes ; les madrigaux « Combattimento di Tancredi e Clorinda » et « il Ballo

delle Ingrate » du Livre VIII comptant chacun pour deux. Ils se répartissent de la façon suivante :

11 modes de Ré authente = mode de nature grave, soit 37%,

3 modes de Mi authente = mode lamentable, soit 10%,

6 modes de Sol plagal = mode grave et gai, soit 20%,

3 modes de La authente = mode grave et un peu lamentable soit 10%.

7 modes de La plagal = mode grave et lamentable, soit 23%.

En conclusion tous les 30 modes sont de nature grave et/ou lamentable. Ces 100% sont à rapprocher du chiffre bien inférieur obtenu dans une autre étude sur l’ensemble des 188 pièces. Monteverdi utilise donc les accords « interdits » dans les éthos graves et/ou lamentables.

2.2.2 ANALYSE CROISEE TEXTE / ACCORDS « INTERDITS »

Le détail des textes, qui accompagnent les accords « interdits » sont donnés dans l’annexe 3. Les accords « interdits » imitent le texte, soit en soulignant les mots ou expressions de la topique amoureuse baroque, dans une proportion de 2/3, soit pour le tiers restant, soulignent des oxymores, contredisent le sens du texte ou sont de véritables hypotyposes58.

La grande majorité des accords « interdits » interviennent sur des mots ou des expressions comme les noms « morte » et les différents états du verbe « morire ». On trouve aussi tous les noms ou verbes associés à : « dolore », « pena », « languore », « afflizzione », « crudeltà », « lamento », « pianto », « lagrima ». Des phrases entières sont aussi imitées : « poiché da me,

misera me » tiré de « Anima del cor mio » du Livre IV (Exemple N°8), « in van piangendo in

van gridando aita » tiré de « Dove, dove è la fede – Terza parte » et « che del cor profondo

tragge » tiré de « Zefiro torna e’ l bel tempo rimena » du Livre VI (Exemples N°11 et N°13), « tanto dalla salute mia son lunge » tiré de « Così sol d'una chiara fonte viva » du Livre VIII (Exemples N°36 et N°37). Les accords « interdits » par leur fausseté imitent les passions amoureuses contrariées et douloureuses.

Le reste des accords « interdits » se décompose en trois parties dont la principale permet de souligner les oxymores ou diverses oppositions dans le texte. Un second groupe d’accords « interdits » est utilisé pour contredire ou donner un sens négatif au texte écrit. Enfin, la troisième partie est utilisée comme une véritable figure, l’hypotypose, et imite physiquement le texte.

58 Hypotyposis : l’Hypotyposis ou hypotypose est cet ornement où le sens du texte est décrit de telle sorte que le contenu du texte semble vivant. Cet ornement se trouve surtout chez les vrais maîtres.

24

L’oxymore règne dans la poésie baroque. En effet, suivant la philosophie antique grecque, l’harmonie et le cosmos sont la cohabitation des contraires. Des accords « interdits », pour 17% d’entre eux, soulignent ces oxymores et plus généralement les oppositions dans le texte, parmi lesquelles : « nacque la morte » tiré de « A un giro sol de’ begl’occhi lucenti » du Livre IV (Exemple N°7), « M’è più dolce il penar » tiré de « M’è più dolce il penar per Amarilli » du Livre V (Exemple N°10), « splende l’infausto giorno » et « le mie care pene » tirés de « Se

pur destina » du Livre VII (Exemples N°25 et N°27), « mia dolce pena » tiré de « Hor che 'l

ciel e la terra e 'l vento tace » du Livre VIII (Exemple N°31), « il dolce e l’amaro » et « mi

risana e punge » tirés de « Così sol d'una chiara fonte viva » du Livre VIII (Exemples N°34 et N°35).

Le deuxième groupe est constitué d’accords « interdits », utilisés de façon plus subtile. En effet, dans « Ond’ei, di morte la sua faccia impressa » du Livre III (Exemple N°5) le narrateur informe grâce à l’accord « interdit » sur « Fievolmente formò queste parole » du caractère dramatique de ce qui va suivre. Dans « Voi pur da me partite, anima dura » du Livre IV (Exemple N°6) l’accord « interdit » contredit « e non sentir dolore », je meurs et je ne sens pas la douleur. Dans « Io son pur Vezzosetta » du Livre VII (Exemple N°14), seul l’accord « interdit » sur « caro Lidio », accompagné d’un changement de rythme, indique que le caractère du madrigal n’est pas si léger que l’on aurait pu le penser. De même, dans « Ecco

Vicine o bella Tigre » du Livre VII (Exemple N°16), l’accord « interdit » sur « devoto

Amante » est plein de sous-entendus. Enfin le mot « pace », qui termine le madrigal guerrier « Hor che 'l ciel e la terra e 'l vento tace » du Livre VIII (Exemples N°32 et N°33) avec ses accords « interdits » répétés contredit l’apaisement apporté par le tourment amoureux et va dans le sens de la guerre qui habite le narrateur.

Le dernier groupe est sans doute le plus restreint, mais ajoute encore à la pertinence de ma problématique. L’intervalle Fa#/Sib et l’accord de Si majeur provoquent des battements. Ces tremblements imitent et rendent véritables les images induites par le texte : « indi tremante » dans « Ardo e scoprir, ahi lasso, io non ardisco » du Livre VIII (Exemple N°42) ou les tremblements provoqués par le froid sur « ghiacco frigido » dans « Perche t'en fuggi o

fillide? » du Livre VIII (Exemple N°44). Les accords « interdits » sont utilisés comme de véritables hypotyposes.

Le dernier exemple de ce troisième groupe est aussi une hypotypose, mais sur des plans multiples, à l’exemple du verbe italien « temprare » et par induction son contraire « distemprare ». Il s’agit du vers « che in pianto chi v'adora si distempre? » tiré de Augellin

du Livre VII (Exemple N°19). On a à la fois le sens de dissolution (dans les larmes), mais aussi de rupture de l’harmonie. L’utilisation d’accords « interdits », dont les intervalles ne respectent pas les proportions musicales « divines » en est une parfaite imitation.

Enfin, la largeur des tierces majeures et sixtes majeures « interdites », quand ces intervalles ne sont pas utilisés avec leurs complémentaires de l’octave, semble utilisée pour représenter la séparation de la mort. De même, l’étroitesse des tierces mineures et sixtes mineures « interdites » semble utilisée pour représenter la tristesse et la douleur. Ces situations sont cependant rares, par exemple sur « indi tremante » de l’exemple N°42.

2.2.3 ANALYSE CROISEE FIGURES/ACCORDS « INTERDITS »

Les accords « interdits » sont utilisés dans des situations musicales, analysables selon plusieurs axes ; selon que ces accords sont dans ou en dehors des cadences et selon qu’ils sont des accords attaqués simultanément ou de façon retardée comme les tuilages dissonants.

Les situations cadentielles comptent pour 25% du total et se décomposent elles-mêmes en accords cadentiels proprement dits, c’est-à-dire qui entrent dans la composition de la cadence

25

avant l’accord final, pour 2/3 et en retards de résolutions pour le tiers restant. Le premier groupe a bien entendu un effet rhétorique plus important.

Les situations de véritables accords comptent pour 80% du total et par différence les tuilages ou retards pour 20%. Deux tiers de ces accords au sens propre s’inscrivent dans un noëma59, et ont donc un effet rhétorique accru. Une partie non négligeable des accords cadentiels sont dans cette situation et concentrent une importante énergie musicale. Donnons enfin quelques exemples.

Les accords « interdits » cadentiels se divisent donc en vrais accords cadentiels et en retards cadentiels :

Dans les accords cadentiels, on peut citer le madrigal « Ch’ami la vita mia nel tuo bel nome » du Livre I (Exemple N°1) sur « mora ». Le madrigal « Ma tu, piu che mai dura » du Livre V en offre encore deux autres exemples (Exemple N°9), un accord Si/Ré# et un accord de Si majeur complet, dans une même cadence en Mi majeur sur « al mio morire ». Enfin, on a un exemple d’accords cadentiels à noëma dans le madrigal « Or che’l ciel e la terra e ’l vento

tace » du Livre VIII, Vol. 1 sur les deux syllabes du mot « pace » (Exemple N°32).

Dans les retards cadentielles, on peut citer le madrigal « Augellin » du Livre VII (Exemple N°19), qui a sur la même cadence en Mi sur « distempre » un premier accord cadentiel suivi d’un retard cadentiel, tous deux sur des accords « interdits ». La stance 64 du madrigal « Combattimento di Tancredi et Clorinda » tiré du Livre VIII, Vol. 1 en offre un autre exemple, avec une cadence en Mi, sur « languente » (Exemple N°38).

Les accords « interdits » non cadentiels se décomposent en véritables accords, éventuellement en noëma, et en tuilages :

Dans les accords véritables, on peut citer un accord « interdit » sur entrée fuguée dans le madrigal « A che tormi il ben mio » du Livre I (Exemple N°2) sur « io dico di morire ». Le madrigal « ond’ei, di morte la sua faccia impressa » tiré du Livre III, donne des exemples d’accords, les premiers (Exemple N°4) sur entrée fuguée sur le mot « morte » et les derniers deux accords de Lab majeur formé par toutes les voix sur le mot « formo » (Exemple N°5), dans un grand noëma. Sur tout le passage précédent l’accord, les voix sont en homorythmie sur le même texte et la quinte du loup annonce le caractère des paroles qui vont suivre. Enfin, on peut citer aussi les accords répétés de Si majeur sur « Mà deh luci serene De le mie care

pene Dolcissimo conforto » (Exemple N°29) du madrigal « Si pur destina » du Livre VII.

Dans les tuilages, on peut citer deux exemples dans le madrigal « Ch’ami la vita mia nel tuo

bel nome » tiré du Livre I (Exemple N°1) sur « il cor afflitto ». Les voix, sur des valeurs longues, rentrent décalées avec des frottements formés par des accords interdits. Enfin, on a tous les exemples de tuilages cadentiels déjà abordés dans les accords « interdits » cadentiels. Un autre peut être trouvé sur « piango » (Exemple N°30) du madrigal « Or che’l ciel e la

terra e ’l vento tace » du Livre VIII, Vol. 1.

59 Noëma : la Noëma est un passage où toutes les voix sont de valeurs égales (et de mêmes syllabes) : homosyllabiques et homorythmiques créant par contraste un effet d’adoucissement (mettant le texte en valeur).

26

2.2.4 L’INTERPRETATION AUJOURD’HUI

L’écoute d’enregistrements des madrigaux de Claudio Monteverdi donne l’impression que les inégalités du tempérament sont gommées et que par exemple, un accord de Si majeur ne sonne pas très différemment d’un autre accord majeur, au dépens du sens du texte. Les raisons en sont multiples.

La problématique du tempérament dans l’interprétation de la musique ancienne est ressentie différemment selon les musiciens. Les observations de Salomon de Caus rappelées dans la première partie de cette synthèse sont encore valables aujourd’hui. Les instrumentistes sur instruments harmoniques comme les clavecins, harpes ou orgues positifs sont ou devraient être les plus concernés. Les musiciens sur instruments frettés, luths ou violes, doivent aussi faire un choix de tempérament pour l’accord relativement fréquent de leur instrument. Par contre, les organistes sur grandes orgues, dont l’accord est long et peu fréquent, doivent adapter leur répertoire au tempérament de leur instrument. Le problème est moins aigu pour les instrumentistes à vent, à cordes non frettés et bien sûr les chanteurs.

Aujourd’hui, outre la difficulté apparente de la notion de tempérament, le problème se complique par le fait qu’un même artiste ou un même ensemble joue des musiques d’époques différentes et donc éventuellement de tempéraments différents, avec souvent le tempérament égal dans l’oreille. Si l’on prend l’exemple d’un claveciniste qui jouerait dans un même concert des œuvres italiennes prébaroques et des œuvres baroques allemandes, il lui faudrait deux clavecins accordés l’un en mésotonique, l’autre en un tempérament plus tardif comme le Wermeister III, défini au 1.1.3. S’il ne peut avoir deux clavecins, il a le choix entre réaccorder son unique clavecin entre les pièces ou utiliser le tempérament qui « marche » pour les deux, c’est-à-dire le plus récent. Le second choix est souvent adopté, mais l’interprète fait alors l’impasse sur le volet rhétorique.

La problématique du chant a capella reste entière. Il est sûr que pour des chanteurs d’aujourd’hui, chanter a capella en mésotonique paraît une gageure. Cependant, des ensembles spécialisés dans la musique Renaissance et habitués à un accompagnement instrumental tentent le challenge.

En conclusion, l’interprétation des madrigaux de Monteverdi se doit de se faire dans le tempérament mésotonique, pour rendre compte de l’ensemble des intentions du compositeur et pour traduire les affects du texte et de la musique. En effet, certains affects ne sont imités que par les accords « interdits » du tempérament, comme on l’a vu dans les parties précédentes. L’analyse musicale doit prendre en compte les accords « interdits », à commencer par les accords de Si majeur, qui sont les plus nombreux.

27

3 ANALYSE DES MADRIGAUX A ACCORDS « INTERDITS »

On donne dans cette partie, Livre par Livre, l’ensemble des madrigaux contenant au moins un intervalle « interdit » avec leurs modes (ou les modes dont ils sont transposés et qui gouvernent l’éthos du madrigal) et leurs types. On a vu dans la deuxième partie, synthèse des résultats de ce mémoire, que les accords « interdits » pouvaient se ranger selon quatre types : Les intervalles « interdits » issus d’un accord majeur de Si, de loin les plus fréquents, ceux issus d’un accord de Lab ou Sol#, qui contiennent la quinte du loup, ceux issus d’un accord de Fa#, dont les intervalles Fa#/Sib et enfin ceux issus des accords de Do#, dont les intervalles Do#/Fa.

Pour chaque madrigal avec accords « interdits », on donne un tableau, avec les pages, les mesures, où se trouvent les accords « interdits » et les textes qu’ils soulignent (les mots précis sont en gras). Pour chaque accord « interdit », on a rassemblé par Livre les exemples musicaux correspondants. Les copies des partitions et les références sont prises de l’édition UT ORPHEUS avec Andrea Bornstein comme éditeur technique, pour tous les Livres sauf le Livre VII, qui est lui pris de UNIVERSAL EDITION avec Francesco Malipiero comme éditeur technique.

On fait une analyse croisée du texte et de la musique à partir des textes italiens des madrigaux et leur traduction française (anglaise pour le Livre I), dont la référence est donnée au cours du texte. Il s’agit en général de traductions reprises de jaquettes de disques compacts.

Sont rejetés en annexe du présent mémoire des tableaux récapitulatifs par Livre donnant les formations des différents madrigaux et le nombre d’accords « interdits », des tableaux récapitulant pour l’ensemble des madrigaux à accords « interdits » leurs types, leurs modes et enfin les textes sur lesquels sont les accords « interdits ».

3.1 LIVRE I

Le Livre I contient 3 madrigaux avec accords « interdits », dont les noms, les modes et le type d’accord sont rassemblés dans le tableau suivant.

Titre du madrigal à accords « interdits »

Mode origine

Mode transposé

Si Fa# Do# Lab

Ch’ami la vita mia nel tuo bel nome Ré authente Sol authente 2 1 A che tormi il ben mio La plagal Ré plagal 2 Amor per tua mercé vattene a quella Mi authente La authente 1

Toutes les traductions de cette partie sont issues de la jaquette du disque compact de Marco Longhini60. Les copies de partitions sont issues de l’édition UT ORPHEUS61.

60 MONTEVERDI, Claudio, Madrigals Book 1, Delitiae Musicae, Marco Longhini, NAXOS 8.555307, plaquette, translation: Susannah Howe. 61 MONTEVERDI, Claudio, Madrigali. Libro I (Venezia 1587), op. cit., UT ORPHEUS EDIZIONI.

34

3.2 LIVRE II62

Le Livre II ne contient aucun accord « interdit »

3.3 LIVRE III

Le Livre III ne contient qu’une pièce avec accords « interdits », mais pas n’importe lesquels, des quintes du loup, sous la forme d’accords majeurs de Lab.

Titre du madrigal

à accords « interdits »

Mode

origine

Mode

transposé

Si Fa# Do# Lab

Ond’ei, di morte la sua faccia

impressa-Seconda parte

Ré authente La authente 5 loup

La traduction de cette partie est issue de la jaquette du disque compact de la Venexiana63. Les copies de partitions sont issues de l’édition UT ORPHEUS64.

3.3.1 OND’EI, DI MORTE LA SUA FACCIA IMPRESSA-SECONDA PARTE

Le madrigal est à 5 voix (CQATB) avec Sib à la clef sur un poème de L. Celiano. Il est en mode de Ré authente transposé de La authente : mode grave et un peu lamentable.

Recherche des intervalles « interdits » en mésotonique

Pages Mesures Accords « interdits » 108 6-7

8 9

Accord majeur de Lab (Do/Lab et quinte du loup Lab/Mib=Sol#/Ré#) Quinto et Canto/Alto sur « ond’ei, di morte la sua faccia impressa » Accord majeur de Lab sur « ond’ei, di morte ... impressa » (loup) Accord majeur de Lab sur « ond’ei, di morte ... impressa » (loup)

110 55-56 Accord majeur de Lab sur « fievolmente formo queste parole » (loup) 111-112 73-74 Accord majeur de Lab sur « fievolmente formo queste parole »(loup)

62 MONTEVERDI, Claudio, Madrigali. Libro II (Venezia 1590), a cura di Andrea Bornstein, UT ORPHEUS EDIZIONI, Bologna Italia, 1998 63 MONTEVERDI, Claudio, Terzo Libro dei Madrigali, La Venexiana, Claudio Cavina, Monteverdi Edition, vol. 03, GCD 920910, 2001, traduction française de Pierre Mamou, www.glossamusic.com/catalogue/0910.htm 64 MONTEVERDI, Claudio, Madrigali. Libro III (Venezia 1592), op. cit., UT ORPHEUS EDIZIONI.

35

Analyse croisée du texte et de la musique

Ond'ei di morte la sua faccia impressa

Disse: "Ahi come n'andrò senza il mio sole

Di martir in martir, di doglie in doglie."

Ed ella, da singhiozzi e pianti oppressa,

Fievolmente formò queste parole:

"Deh, cara anima mia, chi mi ti toglie."

Tandis que la mort s’imprimait sur son visage, il lui dit : « Hélas, je dois aller, sans mon soleil, de tourment en tourment, de deuil en deuil ». Et elle, oppressée de sanglots et de pleurs, formula faiblement ces paroles : « Ah, ma chère âme, qui me sépare de toi ? »

Cette seconde partie de madrigal, voit un échange amoureux entre Tirsi et Phyllis. Le premier vers est une narration indirecte qui se termine par le début du second vers par « disse ». Ensuite Tirsi intervient. Le narrateur reprend la parole sur les vers 4 et 5. Phyllis termine sur le sixième et dernier vers. Les accords « interdits » interviennent sur le premier et l’avant dernier vers, c’est-à-dire sur l’intervention du narrateur (Exemples N°4 et 5) :

Ond'ei di morte la sua faccia impressa / ... / Fievolmente formò queste parole

On a une entrée fuguée sur « Ond'ei di morte » avec un tuilage dissonant de seconde, puis une pseudo résolution sur un accord majeur de Lab et donc une quinte du loup. La deuxième partie du vers « la sua faccia impressa » commence aussi par un intervalle « interdit » Lab/Do qui se « résout » encore sur un accord majeur de Lab. Il faut noter que ces intervalles aussi bien Lab/Do que Lab/Mib sont des intervalles trop grands et accompagnent le déchirement de la mort.

Quand le narrateur reprend la parole : « ed ella ... », il le fait de façon fuguée, puis sous forme de noëma, à partir de « oppressa, Fievolmente formò ... ». Les trois derniers vers sont répétés deux fois et à chaque fois l’accent tonique de « formò » est sur un accord de Lab majeur, anticipant la mort de Phyllis et accentuant sa faiblesse.

36

3.3.2 EXEMPLES MUSICAUX DU LIVRE III

Exemple N°4 : Livre III, p. 108, « Ond’ei, di morte la sua faccia impressa »

37

Exemple N°5 : Livre III, p. 110-111, « Ond’ei, di morte la sua faccia impressa »

38

3.4 LIVRE IV

Le Livre IV contient trois madrigaux à intervalles « interdits », issus d’accords majeurs de Si.

Titre du madrigal

à accords « interdits »

Mode

origine

Mode

transposé

Si Fa# Do# Lab

Voi pur da me partite, anima dura La plagal La plagal 1

A un giro sol de’ begl’occhi lucenti La plagal La plagal 4

Anima del cor mio Ré authente Ré authente 2

Toutes les traductions de cette partie sont issues de la jaquette du disque compact de la Venexiana65. Les copies de partitions sont issues de l’édition UT ORPHEUS66. J’ai comparé pour ce Livre l’édition de F. Malipiero67 et celle de A. Bornstein.

3.4.1 VOI PUR DA ME PARTITE, ANIMA DURA

Le madrigal est à 5 voix (CQATB) sur un poème de G.B. Guarini. Il est en mode de La plagal : mode grave et lamentable.

Recherche des intervalles « interdits » en mésotonique

Pages Mesures Accords « interdits » 42 46 68 Accord majeur de Si sur « non sentir dolore »

Analyse croisée du texte et de la musique

Voi pur da me partite, anima dura,

né vi duol il partire:

ohimè, quest’è un morire

crudele, e voi gioite?

Quest’è vicino haver l’ora suprema,

e voi non la sentite?

Oh meraviglia di durezza estrema:

esser alma d’un core

e separarsi e non sentir dolore!

Vous me quittez donc, âme si dure, Et la séparation ne vous coûte aucun deuil. Hélas, c’est la mort, Cruelle, et vous vous réjouissez ? C’est être proche de l’heure suprême, Et vous ne le sentez pas ? Oh, merveille de la dureté extrême : Etre l’âme d’un coeur Et se séparer, et ne sentir aucune douleur !

65 MONTEVERDI, Claudio, Quarto Libro dei Madrigali, La Venexiana, Claudio Cavina, Monteverdi Edition, vol. 04, GCD 920924, 2003, traduction française de Pierre Mamou, www.glossamusic.com/catalogue/0924.htm 66 MONTEVERDI, Claudio, Madrigali. Libro IV (Venezia 1603), a cura di Andrea Bornstein, UT ORPHEUS EDIZIONI, Bologna Italia, 1998 67 MONTEVERDI, Claudio, Madrigals Books IV (Venizia, 1603) and V (Venezia, 1605), Reprint. Originally published: Tutte le opere di Claudio Monteverdi, Malipiero, Gian Francesco. T. 3-4. Asolo, Italy 1927, preface and new literal translations of the texts by APPELBAUM Stanley, Dover Publications, Inc., New York, 1986

39

L’accord « interdit » majeur de Si est sur la morale du madrigal, dans les trois derniers vers (Exemple N°6) :

Oh meraviglia di durezza estrema: / esser alma d’un core / e separarsi e non sentir dolore !

Il vient contredire par sa dureté le caractère sans douleur de la mort. Son effet est d’autant plus fort, qu’il intervient sur l’accent tonique de « dolore », le dernier mot du dernier vers du madrigal, en fin de noëma pour 4 voix sur 5. Cet accord intervient sur une cadence en Mi, mode de lamentation.

3.4.2 A UN GIRO SOL DE’ BEGL’OCCHI LUCENTI

Le madrigal est à 5 voix (CQATB) sur un poème de G.B. Guarini. Il est en mode de La plagal : mode grave et lamentable.

Recherche des intervalles « interdits » en mésotonique

Pages Mesures Accords « interdits » 47 50 56-57

62 67

3 accords majeurs de Si sur « nacque la morte mia » et « certo, quando

naceste » Accord majeur de Si sur « crudel e ria » et « nacque la morte mia »

Analyse croisée du texte et de la musique

A un giro sol de’ belli occhi lucenti

ride l’aria d’intorno,

e’l mar s’acqueta e i venti.

e si fa il ciel d’un altro lume adorno;

Sol io le luci ho lagrimose e meste.

Certo, quando nasceste,

così crudel e ria,

nacque la morte mia.

Avec un seul regard des beaux yeux brillants L’âme rit tout autour, Et la mer se calme de même que les vents. Et si le ciel veut que cette lumière en pare d’autres, Je suis le seul à avoir les yeux tristes et pleins de larmes C’est certain, quand tu es née, Si cruelle et perverse, Naquit aussi ma mort.

Le madrigal est formé de deux quatrains, dont le premier est léger et rapide, expression de l’harmonie, et le second dramatique. Les accords « interdits » sont rassemblés dans le second, et plus précisément dans les trois derniers vers traités simultanément par Monteverdi (Exemple N°7) :

Certo quando nasceste, / così crudel e ria, / nacque la morte mia.

Ces trois vers, à la suite les uns des autres, sont répétés deux fois jusqu’à la fin. Ils sont organisés grosso modo en fugue 2 voix par 2 voix avec un noëma sur « Certo quando

nasceste », puis une catabase68 en dissonances sur « crudel e ria » et enfin un petit sujet fugué

68 L’Anabase est une phrase montante, par opposition à la Catabase, qui est une phrase descendante.

40

sur « nacque la morte mia » en forme de cadence. La première cadence en Mi voit une tierce étroite « interdite » Si/Ré# renforcée d’une syncope dissonante Si/La sur « la morte mia ». L’avant-dernier accord de cette première cadence est un accord majeur de Si avec le Fa# qui se rajoute. La fondamentale Si est chantée par les deux voix de basse à l’unisson sur « Certo

quando nasceste ». Le dernier « crudel e ria » aux voix hautes se termine par un accord cadentiel de Si majeur avec le « nacque la morte mia » du Tenor renforcé entre la Canto et le Quinto par l’enchaînement d’une quinte du loup.

3.4.3 ANIMA DEL COR MOI

Le madrigal est à 5 voix (CQATB). Il en mode de Ré authente : mode de nature grave.

Recherche des intervalles « interdits » en mésotonique

Pages Mesures Accords « interdits » 81 9

14 Accord majeur de Si sur « anima del cor mio » Accord majeur de Si sur « poi che da me, misera me »

83

Analyse croisée du texte et de la musique

Anima del cor mio,

poiché da me, misera me, ti parti,

s’ami conforto alcun a’ miei martiri,

non isdegnar ch’almen ti segua anch’io

solo co’ miei sospiri

e sol per rimembrarti

ch’in tante pene e in così fiero scempio

vivrò d’amor di vera fede esempio.

Âme de mon cœur, Pourquoi de moi, pauvre de moi, t’éloignes-tu ? Si tu veux être le réconfort de mes souffrances, Ne m’empêche que pour le moins je te suive Moi aussi avec mes seuls soupirs. Et seulement pour te rappeler, En tant de peines et en un si féroce tourment Vivant d’amour, l’exemple de la vraie loyauté.

Les deux accords « interdits » sont sur les premier et deuxième vers (Exemple N°8) :

Anima del cor mio, / poi che da me, misera me, ti parti

Le premier vers est répété deux fois, en homorythmie sur les trois voix basses, pendant que les voix hautes soupirent sur « anima » avec un rythme blanche, noire, blanche. La répétition se termine par un accord cadentiel majeur de Si sur « del cor ». Le deuxième vers s’enchaîne en noëma avec un accord de Si majeur sur « me ». Ces premières mesures donnent le caractère de la suite du poème. Les accords « interdits » soulignent la souffrance du narrateur.

41

3.4.4 EXEMPLES MUSICAUX DU LIVRE IV

Exemple N°6 : Livre IV, p.46, « Voi pur da me partite, anima dura »

42

Exemple N°7 : Livre IV, p50, « A un giro sol de’ belli occhi lucenti »

43

Exemple N°8 : Livre IV, p. 81, « Anima del cor mio »

122

4 CONCLUSION

Après ces quelques pages, peut-on apporter une réponse à la problématique posée dans l’introduction ? Peut-on émettre l’hypothèse d’une utilisation rhétorique des intervalles « difficiles » pour le tempérament mésotonique au même titre que l’utilisation de dissonances ou de figures, sur le corpus des madrigaux de Claudio Monteverdi ?

La réponse à toutes ces questions est positive et on peut affirmer en quatre points, développés ci-après, que :

- la pratique compositionnelle de Claudio Monteverdi dans ses huit livres de madrigaux s’appuie sur le tempérament mésotonique,

- la performance musicale, au moins à partir du cinquième Livre s’appuie aussi sur le tempérament mésotonique en vigueur dans l’accord des instruments à clavier,

- l’utilisation rhétorique, dans ces conditions, des accords « interdits » pour le tempérament mésotonique paraît évidente,

- l’interprétation d’aujourd’hui des madrigaux de Monteverdi doit utiliser le tempérament mésotonique dans un souci d’efficacité rhétorique.

Le tempérament mésotonique est avéré dans la pratique compositionnelle de Claudio Monteverdi. En effet, la présence d’accords « interdits » pour le mésotonique dans l’ensemble de ses madrigaux est exceptionnelle et s’ajoute aux nombreux arguments organologiques et musicologiques de l’utilisation du tempérament mésotonique pour l’accord des instruments harmoniques à clavier comme l’orgue ou le clavecin. L’utilisation d’accords « interdits » est exceptionnelle. Seules 28 pièces parmi 188, soit 15% de l’ensemble des huit livres de madrigaux de Claudio Monteverdi, contiennent au moins un accord « interdit ». Ces 28 pièces contiennent seulement 88 accords « interdits ». Ces pièces sont analysées sous cet aspect dans la partie 3 de ce mémoire. Une analyse plus approfondie des documents sources peut faire varier légèrement ces chiffres.

Le tempérament mésotonique est avéré dans la performance musicale des madrigaux à partir du cinquième Livre. En effet, Claudio Monteverdi dans sa « seconda practica » inclut une partition de basse continue dans ses madrigaux. Cette basse continue est généralement réalisée par un clavecin et éventuellement d’autres instruments. La performance musicale des madrigaux se fait alors dans le tempérament d’accord du clavecin, c’est-à-dire le tempérament mésotonique.

L’utilisation rhétorique des intervalles « interdits » pour le mésotonique apparaît évidente. Les accords « interdits » du tempérament mésotonique ne respectent pas, et de façon audible par des battements ou tremblements, les proportions harmoniques pythagoriciennes qui gouvernent les intervalles élémentaires purs. Ils s’opposent à l’harmonie et sont donc l’expression d’une rupture avec le Cosmos et Dieu. C’est pourquoi, on les trouve dans les topiques baroques de l’amour terrestre tragique, qui s’oppose à l’amour divin (2.2). C’est pourquoi, on les trouve uniquement dans des madrigaux d’éthos grave et/ou lamentable (2.1).

L’utilisation d’accords « interdits » sur « ghiaccio frigido » et « indi tremante » dans le Livre VIII (Exemples N°44 et N°42) représente par leurs battements, les tremblements du froid ou de l’amour transi. Les deux accords majeurs de Si sur « distempre » (Exemple N°19) du madrigal « Augellin » dans le Livre VII représentent la rupture d’harmonie et le « tempérament » imparfait de la musique.

123

On voit avec les exemples analysés, que les accords « interdits » s’intègrent dans la panoplie des procédés rhétoriques poético-musicaux. Ils sont utilisés comme de véritables hypotyposes, comme on vient de le voir. Ils servent à créer les tensions dans le déroulement des cadences. Ils s’intègrent dans des anabases ou catabases comme le feraient des tuilages de dissonances. Enfin, ils peuvent renforcer l’effet d’un noëma.

L’interprétation, aujourd’hui, doit prendre en compte le tempérament mésotonique pour une brillance accrue des tierces justes et des effets dramatiques accrus des quelques accords « interdits », que l’on peut rencontrer. Les accords « interdits » doivent prendre tout leur sens, par rapport au texte et doivent être soulignés comme pourraient l’être des dissonances. L’attention doit être portée en premier lieu sur les accords de Si majeur, les plus fréquents des accords « interdits ».

Les pistes d’approfondissements sont de plusieurs ordres :

Premièrement sur les madrigaux de Monteverdi proprement dits, il est souhaitable d’utiliser au maximum les documents sources, pour fiabiliser les résultats de ce mémoire, mais aussi pour corriger certaines erreurs d’édition. La rhétorique et le tempérament permettront de lever un certain nombre d’ambiguïtés dans les deux éditions consultées.

Deuxièmement, peut-on étendre les résultats de ce mémoire à d’autres compositeurs plus anciens comme Clément Janequin ou Roland de Lassus ou plus récents comme des compositeurs français (Nivers ?) ou Henry Purcell ? Pour Roland de Lassus, une analyse des prophéties des Sibylles pourrait éclairer le caractère ésotérique de l’œuvre.

Troisièmement, peut-on travailler sur l’utilisation croissante de l’accord majeur de Si et donc de l’altération Ré# du Ré ? A ce sujet, Dominique Devie87 cite « Bates

88 ( Nivers’ Tonal

Material ...) qui démontre, à l’aide d’une étude microscopique, que l’apparition de Ré# est

liée à une évolution de la pratique des tons transposés du système modal en vigueur ... »

87 DEVIE, Dominique, op. cit. p. 89 88 BATES, Robert E., Nivers’ Tonal Material : Tuning Restrictions & the Development of the major-minor

System, The Organ Yearbook, Vol. XVIII, 1987, pp. 78-94

124

5 BIBLIOGRAPHIE

5.1 BIBLIOGRAPHIE GENERALE

ASSELIN, Pierre-Yves, Musique et tempérament, éditions Costallat, Paris 1985

BARBOUR, James Murray, Tuning and Temperament: a historical survey, Michigan State College Press, East Lansing, 1951, 2/1953. Reed. Da capo Press, New York 1972.

BURMEISTER, Joachim, Musical Poetics, translated by Benito V. Rivera, edited by Claude V. Palisaca, Yale University Press, New haven and London, 1993

de CAUS, Salomon, Institution Harmonique, Frankfort, Jan Norton, 1615, reprint ed., Genève Minkoff, 1980

DEVIE, Dominique, Le tempérament musical, philosophie, histoire, théorie et pratique, Librairie Musicale Internationale, Marseille, seconde édition, 2004

HEUILLON, Joël, Musique, rhétorique et passions. Fondements socio-anthropologiques de la musique du premier baroque (Florence et Mantoue, 1580-1620), Thèse Université Paris VIII, 1999.

KIRCHER, Athanasius, Musurgia universalis, Roma, 1650

MEEUS, Nicolas, Théorie modale Moyen Âge et Renaissance ; Université de Paris Sorbonne, 2005, crlm.paris4.sorbonne.fr, janvier 2007

PETRARCH, Francesco, Some Love Songs, translated and annotated with a Biographical Introduction by William Dudley Foulke (Oxford University Press, 1915).

ZARLINO, Gioseffo, The Art of Counterpoint, Part III of Le Intitutioni harmoniche, Venice, 1558, trans. Guy Marco and Claude Palisca. New Haven, 1968

ZARLINO, Gioseffo, Dimonstrazioni harmoniche, Venice, 1571, 2/1573, 3/1588

5.2 PARTITIONS

de LASSUS, Roland, La nuit froide et sombre, The Oxford Book of French Chansons, pp. 238-240, edited by Frank DOBBINS, Oxford University Press, 1987

MONTEVERDI, Claudio, Madrigali. Libro I (Venezia 1587), a cura di Andrea Bornstein, UT ORPHEUS EDIZIONI, Bologna Italia, 2001

MONTEVERDI, Claudio, Madrigali. Libro II (Venezia 1590), a cura di Andrea Bornstein, UT ORPHEUS EDIZIONI, Bologna Italia, 1998

MONTEVERDI, Claudio, Madrigali. Libro III (Venezia 1592), a cura di Andrea Bornstein, UT ORPHEUS EDIZIONI, Bologna Italia, 2002

MONTEVERDI, Claudio, Madrigali. Libro IV (Venezia 1603), a cura di Andrea Bornstein, UT ORPHEUS EDIZIONI, Bologna Italia, 1998

MONTEVERDI, Claudio, Madrigali. Libro V (Venezia 1605), a cura di Andrea Bornstein, UT ORPHEUS EDIZIONI, Bologna Italia, 2003, Seconda ed. 2007

MONTEVERDI, Claudio, Madrigals Books IV (Venizia, 1603) and V (Venezia, 1605), Reprint. Originally published: Tutte le opere di Claudio Monteverdi, Malipiero, Gian Francesco. T. 3-4. Asolo, Italy 1927, preface and new literal translations of the texts by APPELBAUM Stanley, Dover Publications, Inc., New York, 1986

125

MONTEVERDI, Claudio, Madrigali Libro VI (Venezia 1614), a cura di Andrea Bornstein, UT ORPHEUS EDIZIONI, Bologna Italia, 2005

MONTEVERDI, Claudio, Madrigali Libro VI (Réédition, Venezia 1614), Originally published: Tutte le opere di Claudio Monteverdi, Malipiero, Gian Francesco. Asolo, Italy, UNIVERSAL EDITION UE 9586, Austria, 1997

MONTEVERDI, Claudio, Madrigali Libro VII (Réédition, Venezia 1641), Originally published: Tutte le opere di Claudio Monteverdi, Malipiero, Gian Francesco. Asolo, Italy, UNIVERSAL EDITION UE 9586, Austria, 2003

MONTEVERDI, Claudio, Madrigali Guerrieri e amorosi Libro VIII Vol. I: Madrigali Guerrieri (Venezia 1638), a cura di Andrea Bornstein, UT ORPHEUS EDIZIONI, Bologna Italia, 2000, Seconda ed. 2007

MONTEVERDI, Claudio, Madrigali Guerrieri e amorosi Libro VIII Vol. II: Madrigali Amorosi (Venezia 1638), a cura di Andrea Bornstein, UT ORPHEUS EDIZIONI, Bologna Italia, 2000, Seconda ed. 2007

MONTEVERDI, Claudio, Madrigals Books VIII (Venezia, 1638) (Madrigali Guerrieri et Amorosi, Reprint. Originally published: Tutte le opere di Claudio Monteverdi, Malipiero, Gian Francesco. T. 3-4. Asolo, Italy 1929, with a preface and new literal translations of the texts by Stanley Appelbaum, Dover Publications, Inc., New York, 1991

5.3 JAQUETTES DE CD

MONTEVERDI, Claudio, Madrigals Book 1, Delitiae Musicae, Marco Longhini, NAXOS 8.555307, plaquette, translation: Susannah Howe.

MONTEVERDI, Claudio, Secundo Libro dei Madrigali, La Venexiana, Claudio Cavina, Monteverdi Edition, vol. 02, GCD 920922, 2004, traduction française de Pierre Mamou, www.glossamusic.com/catalogue/0922.htm

MONTEVERDI, Claudio, Terzo Libro dei Madrigali, La Venexiana, Claudio Cavina, Monteverdi Edition, vol. 03, GCD 920910, 2001, traduction française de Pierre Mamou, www.glossamusic.com/catalogue/0910.htm

MONTEVERDI, Claudio, Quarto Libro dei Madrigali, La Venexiana, Claudio Cavina, Monteverdi Edition, vol. 04, GCD 920924, 2003, traduction française de Pierre Mamou, www.glossamusic.com/catalogue/0924.htm

MONTEVERDI, Claudio, Quinto Libro de Madrigali, Concerto Italiano, Rinaldo Alessandrini, Opus 111, 1993, plaquette, traduction française de Michel Chasteau.

MONTEVERDI, Claudio, Sesto Libro dei Madrigali, La Venexiana, Claudio Cavina, Monteverdi Edition, vol. 06, GCD 920926, 2004, traduction française de Pierre Mamou, www.glossamusic.com/catalogue/0926.htm

MONTEVERDI, Claudio, Settimo Libro dei Madrigali, La Venexiana, Claudio Cavina, Monteverdi Edition, vol. 07, GCD 920927. 2 Cds, 1998, traduction française de Pierre Mamou, www.glossamusic.com/catalogue/0927.htm

MONTEVERDI, Claudio, Ottavo Libro dei Madrigali, La Venexiana, Claudio Cavina, Monteverdi Edition, vol. 08, GCD 920928. 3 Cds, 2005, traduction française de Pierre Mamou, www.glossamusic.com/catalogue/0928.htm

126

6 ANNEXES

6.1 FORMATIONS ET NOMBRES D’ACCORDS « INTERDITS » PAR LIVRE

Les formations sont notées pour les voix : C, S, Q, A, T, B pour Canto, Soprano, Quinto, Alto, Tenor et Basso respectivement. La basse continue est notée bc et les violons ou flûtes, V ou F. Pour l’analyse des différentes voix, dans le cas des madrigaux avec basse continue, nous appelons Basse, la basse chiffrée de la basse continue et Basso la voix de basse chantée.

6.1.1 LIVRE I

Titre du madrigal Formation Accords « interdits »

Ch’ami la vita mia nel tuo bel nome CAQTB 3

Se per avervi, ohimè, donato il core CQATB 0

A che tormi il ben mio CQATB 2

Amor, per tua mercé vattene a quella CQATB 1

Baci soavi e cari CAQTB 0

Se pur non mi consenti CQATB 0

Filli cara ed amata CAQTB 0

Poiché del mio dolore CAQTB 0

Fumia la pastorella-Prima parte CQATB 0

Almo divino raggio-Seconda parte CQATB 0

Allora i pastor tutti-Terza parte CQATB 0

Se nel partir da voi CQATB 0

Tra mille fiamme e tra mille catene CAQTB 0

Usciam, ninfe, omai fuor di questi boschi CQATB 0

Questa ordì il laccio CQATB 0

La vaga pastorella CQATB 0

Amor s’il tuo ferire CAQTB 0

Donna s’io miro voi, giaccio divengo CQATB 0

Ardo, sì, ma non t’amo CQATB 0

Ardi o gela a tua voglia-Riposta CQATB 0

Arsi ed alsi a mia voglia-Contrariposta CQATB 0

Total Madrigaux = 21,

dont 3 avec accords « interdits » 6

137

6.3 RECAPITULATIF DES CROISEMENTS TEXTES/ACCORDS « INTERDITS

Livre Titre du madrigal à

accords « interdits »

Exemples Nb Textes

L1 Ch’ami la vita mia nel tuo bel nome Ex. N°1 1 2

mora

il cor afflitto L1 A che tormi il ben mio Ex. N°2 2 s'io dico di morire?

L1 Amor per tua mercé vattene a quella Ex. N°3 1 chi tanto v'ama far, ..., morire? L3 Ond’ei, di morte la sua faccia

impressa-Seconda parte

Ex. N°4 Ex. N°5

3 2

Ond'ei di morte ... impressa

Fievolmente formò queste parole L4 Voi pur da me partite, anima dura Ex. N°6 1 non sentir dolore! L4 A un giro sol de’ begl’occhi lucenti Ex. N°7 4 Certo quando nasceste

Così crudel e ria

Nacque la morte mia.

L4 Anima del cor mio Ex. N°8 2 Anima del cor mio,

poiché da me, misera me

L5 Ma tu, più che mai dura Ex. N°9 2 al mio morire L5 M’è più dolce il penar per Amarilli Ex. N°10 1 M’è più dolce il penar

L6 Dove, dove è la fede – Terza parte Ex. N°11 1 in van gridando aita L6 Ahi ch’ei non pur risponde – Quarta e

ultima parte

Ex. N°12 1 miei lamenti!

L6 Zefiro torna e’ l bel tempo rimena Ex.N°13 4 tornano i più gravi sospiri

che del cor profondo tragge

L7 Io son pur Vezzosetta Ex. N°14 2 caro Lidio L7 Ecco Vicine o bella Tigre Ex. N°16 2 devoto Amante L7 Perche fuggi Ex. N°17 2 Perché un bacio ti tolsi? Miser

più che felice,

L7 Augellin Ex. N°19 2 Distempre L7 Parlo miser o taccio Ex. N°20 1 e non languir d'amore?

L7 Tu dormi Ex. N°21 Ex. N°22 Ex. N°23

1 1 1 2 1

Io piango, ... voci lagrimose

l'aure pietose

i pianti miei

i venti

Ma te fan più crudel

L7 Se i languidi miei sguardi Ex. 24 3 O de li affetti miei nuntia fedele

L7 Se pur destina (Partenza amorosa) Ex. N°27

Ex. N°29

2 6

e già vicino ... l’infausto giorno

Ma deh, luci ... care pene

dolcissimo conforto

138

Livre Titre du madrigal à

accords « interdits »

Exemples Nb Textes

L81 Hor che 'l ciel e la terra e 'l vento tace-

Prima parte

Ex. N°30 Ex. N°31

Ex. 32/33

1 3 1 4

piango

e chi mi sface dolce pena

pace

L81 Così sol d'una chiara fonte viva-

Seconda parte

Ex. N°34 Ex. N°35 Ex. 36/37

1 1 6

il dolce e l'amaro

una man sola mi risana e punge

tanto dalla salute mia son lunge L81 Il Combattimento di Tancredi e

Clorinda : Testo (stance 64) Ex. N°38 1

1 l'empie d'un caldo fiume

languente.

L82 Due belli occho fur l'armi, onde

traffitta-Seconda parte

Ex. N°39 1 l'anima afflitta.

L82 Ardo e scoprir, ahi lasso, io non

ardisco

Ex. N°40

Ex. N°41 Ex. N°42

1 1 1

Quanto più sta celato il mio

dolore

micidial tormento.

indi tremante

L82 Non avea Febo ancora-Prima parte Ex. N°43 1 Scorgeasi il suo dolor L82 Perche t'en fuggi, o fillide? Ex. N°44

Ex. N°45 2 1 1

ghiaccio frigido pianti e lamenti,

indarno il cor distruggesi

L82 Il Ballo delle Ingrate Ex. N°46 Ex. N°47 Ex. N°48

1 1 2 4

Mirar senza dolore

versar lagrime e sangue!

Ahi vista troppo oscura

Apprendete pietà

139

6.4 ROLAND DE LASSUS : EXEMPLE N°49