téléphonie mobile -...

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23 Valeurs mutualistes n°223 février 2003 Valeurs mutualistes n°223 février 2003 22 santé prévention L es champs électromagnétiques sont omniprésents dans notre quotidien. Naturels, ils sont générés par la Terre elle-même ou par les orages. Artificiels, ils sont produits par tout appareil qui fonctionne à l’électricité ou qui sert à l’acheminer : sèche-cheveux, ordinateurs, lignes à haute tension... Ils sont aussi créés par les ondes radioélectriques qu’utilisent certains appareils médicaux ou de chauffage, la radio, la télévision... ou la téléphonie mobile. Mais paradoxe des sociétés modernes : plus nous sommes dépendants de ces technologies pour notre confort, notre information, notre sécurité, voire notre santé, plus nous nourrissons d’inquiétudes face aux effets que pourrait produire une exposition accrue à cet environnement électromagné- tique. Ces craintes n’ont jamais été aussi grandes que depuis l’apparition de la téléphonie mobile. Afin de permettre à nos 38 millions de téléphones portables de commu- niquer, plus de 30 000 antennes-relais ont fleuri dans toute la France, sur les bords des routes ou sur le toit des bâtiments. Peu esthétiques, ces stations de base cris- tallisent la colère des riverains et des locataires : non consultés lors de leur implantation, ceux-ci se plai- gnent aujourd’hui de maux qui seraient consécutifs à la proximité des antennes (migraines, insomnie, vertiges, dépression, perte de poids, tachycardie...). Les études veulent rassurer Y a-t-il péril en la demeure ? Non, répondent dans un bel ensemble les opérateurs de téléphonie et les experts scientifiques mandatés par le ministère de la Santé et par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scien- tifiques et technologiques (OPECST) du Sénat. «La puis- sance des ondes émises par la seule Tour Eiffel est l’équivalent de la puissance des 30 000 antennes-relais implantées en France par les trois opérateurs de télé- phonie mobile», précise-t-on en effet à la direction «Radiofréquences et santé» de Bouygues Télécom. Le rapport Zmirou, remis au ministre de la Santé en 2001, «ne retient pas l’hypothèse d’un risque pour la santé des populations vivant à proximité des stations de base». Quant au rapport rédigé par les sénateurs Jean-Louis Lorrain et Daniel Raoul, il conclut que «les études scien- tifiques montrent clairement que, s’il existe un risque lié à la téléphonie mobile, celui-ci est faible et a trait aux téléphones portables et non aux antennes-relais». Pourtant, des interrogations subsistent. Ainsi, le rapport Zmirou préconise que «les bâtiments sensibles (hôpitaux, crèches et écoles) situés à moins de 100 mètres d’une macro-station de base ne soient pas atteints directement par le faisceau de l’antenne». Tout en reconnaissant que cette mesure n’a pas d’effet sanitaire ! «Elle a été prise principalement dans le but de rassurer les parents des élèves concernés», note Bernard Veyret, directeur de recherche au CNRS et membre du comité d’experts Zmirou (1) . En outre, quid de l’indépendance des experts, dont les études sont sou- vent financées en partie par les opérateurs de téléphonie mobile ? L’association Priartem (Pour une réglementa- tion des implantations d’antennes-relais de téléphonie mobile), qui regroupe les plaintes des riverains, se fait ainsi l’écho des accusations de l’Office européen d’éva- luation des choix scientifiques et technologiques. En février 2001, celui-ci a publié une note intitulée «Champs électromagnétiques et santé» relatant les conflits d’in- térêts entre industrie et recherche : «Nous avons besoin d’un accès à l’information égal pour tous. Faute de quoi, les intérêts privés continueront à avoir un avantage mal- sain. » (2) Que penser enfin des différences de normes adop- tées par les pays européens ? Alors que la France fixe des limites d’exposition du public aux champs électro- magnétiques des antennes-relais à 41V/m pour le réseau à 900 MHz, et à 58V/m pour celui à 1 800 MHz, l’Italie et la Suisse établissent cette valeur limite, sur leur réseau de 1 800 MHz, à 6V/m et à 4V/m... Des normes à revoir ? Concernant les appareils téléphoniques eux-mêmes, les seuils d’exposition aux radiofréquences, exprimés en termes de DAS (débit d’absorption spécifique), sont fixées à 2W/kg. L’opérateur Bouygues Télécom se veut rassurant : le niveau moyen d’émission des mobiles actuels est inférieur à 1W/kg. «Il s’agit de normes éta- blies sur la base des effets thermiques que ces ondes génèrent, et qui peuvent être nocifs», explique Pierre Aubineau, directeur de recherche au CNRS en physio- pathologie à Bordeaux. En effet, les téléphones porta- bles et les relais utilisent des fréquences de 900 MHz à 1 800 MHz. Or, de 1 MHz à 10 GHz, les champs de radiofréquence pénètrent les tissus humains et pro- voquent un échauffement dû à l’absorption de l’énergie des ondes électromagnétiques par les tissus. «Le seuil d’exposition à partir duquel apparaissent ces effets est divisé par 50 pour définir un niveau de sécurité, poursuit le professeur Aubineau. Pourtant, ces normes doivent être remises en question.» En effet, sa dernière étude, menée sur des rats soumis à des expositions de 3 W/kg à 0,75 W/kg, met en évidence certains effets provoqués par les ondes des téléphones portables sur les vaisseaux san- guins irriguant le cerveau. Ceux-ci deviennent alors per- méables, permettant à des molécules indésirables d’ar- river au cerveau. Il pourrait exister des risques d’inflammation du tissu cérébral avec, à court terme, une augmentation des migraines. Pourquoi les ondes émises par les antennes-relais et les portables présenteraient-elles un risque dont seraient dépourvues les autres sources du champ électromagné- tique ? Sans doute parce que les données échangées sont transmises par salves, afin de permettre à plusieurs téléphones d’utiliser le même canal. Ces ondes pulsées induisent de très basses fréquences, les ELF (Extremely Low Frequency). Celles-ci ont été classées comme étant « peut-être cancérigènes» par le centre international de recherche contre le cancer, qui mène une large étude à ce sujet dont les résultats sont attendus pour 2004. En attendant, les précautions s’imposent. Il faut éviter d’utiliser un portable en déplacement : en voiture bien sûr, comme dans le train, car l’appareil fonctionne alors à pleine puissance pour passer d’un relais à l’autre. Il est aussi préférable d’utiliser un kit piéton pour réduire les émissions. Enfin, avant d’acheter un téléphone mobile, mieux vaut vérifier son DAS auprès de l’opérateur. Concernant les antennes-relais, leur éloignement des habitations est sujet à caution, car cela augmenterait paradoxalement leurs niveaux d’émission. Plusieurs municipalités ont d’ores et déjà signé des chartes de bonne conduite avec les opérateurs, portant sur l’implan- tation ou les niveaux d’émission des antennes. Davantage de transparence et de concertation contribueront peut- être à réduire les tensions... Katia Vilarasau (1) Cf. Table ronde du 30/12/02 au Palais de la découverte à Paris, consultable sur www.palais-decouverte.fr/actu/ dossiers.htm (2) Note de synthèse n°5/2001, février 2001, PE n° 297.563, consultable sur www.europarl.eu.int/stoa/publi/pdf/ briefings/05_fr.pdf Les radiations émises par la téléphonie mobile, et plus généralement les ondes électromagnétiques, ont-elles des effets néfastes pour la santé ? Valeurs mutualistes tente de faire le point. A qui s’adresser pour obtenir la mesure du niveau d’émission d’une antenne-relais ? Il faut prendre contact avec l’opérateur qui l’exploite. Le site Internet de l’Agence nationale des fréquen- ces comporte également la liste des prestataires de contrôle. La mesure coûte entre 1 500 et 2 300 euros. Mesure des antennes-relais Un champ ou une onde électromagnétique consiste en la propaga- tion d’énergie sous la forme d’un champ électrique couplé à un champ magnétique. Un champ électrique est produit par la présence de charges électriques statiques et s’exprime en volts par mètre (V/m ou Vm -1 ). Un champ magnétique est produit par le déplacement de charges électriques et s’exprime en ampères par mètre (A/m ou Am -1 ). La fréquence d’une onde, ou nombre d’oscillations par seconde, s’exprime en hertz (Hz). Définitions Téléphonie mobile : quels effets sur la santé ? Voisin/Phanie Garo/Phanie www.priartem.com www.anfr.fr www.sante.gouv.fr/htm/ dossiers/index.htm www.senat.fr/opecst/ rapports.html en s@voir +en Sur les bords de routes ou sur les toits des bâtiments, 30 000 antennes-relais ont été implantées dans toute la France.

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■Valeurs mutualistes n°223 février 2003 ■Valeurs mutualistes n°223 février 2003

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Les champs électromagnétiques sont omniprésentsdans notre quotidien. Naturels, ils sont générés parla Terre elle-même ou par les orages. Artificiels, ils

sont produits par tout appareil qui fonctionne à l’électricitéou qui sert à l’acheminer : sèche-cheveux, ordinateurs,lignes à haute tension... Ils sont aussi créés par lesondes radioélectriques qu’utilisent certains appareilsmédicaux ou de chauffage, la radio, la télévision... oula téléphonie mobile. Mais paradoxe des sociétésmodernes : plus nous sommes dépendants de cestechnologies pour notre confort, notre information,notre sécurité, voire notre santé, plus nous nourrissonsd’inquiétudes face aux effets que pourrait produire uneexposition accrue à cet environnement électromagné-tique.Ces craintes n’ont jamais été aussi grandes que depuisl’apparition de la téléphonie mobile. Afin de permettreà nos 38 millions de téléphones portables de commu-niquer, plus de 30 000 antennes-relais ont fleuri danstoute la France, sur les bords des routes ou sur le toitdes bâtiments. Peu esthétiques, ces stations de base cris-tallisent la colère des riverains et des locataires : nonconsultés lors de leur implantation, ceux-ci se plai-gnent aujourd’hui de maux qui seraient consécutifs à la

proximité des antennes (migraines, insomnie, vertiges,dépression, perte de poids, tachycardie...).

Les études veulent rassurerY a-t-il péril en la demeure ? Non, répondent dans unbel ensemble les opérateurs de téléphonie et les expertsscientifiques mandatés par le ministère de la Santé etpar l’Office parlementaire d’évaluation des choix scien-tifiques et technologiques (OPECST) du Sénat. «La puis-sance des ondes émises par la seule Tour Eiffel estl’équivalent de la puissance des 30 000 antennes-relaisimplantées en France par les trois opérateurs de télé-phonie mobile», précise-t-on en effet à la direction«Radiofréquences et santé» de Bouygues Télécom. Lerapport Zmirou, remis au ministre de la Santé en 2001,«ne retient pas l’hypothèse d’un risque pour la santé despopulations vivant à proximité des stations de base».Quant au rapport rédigé par les sénateurs Jean-LouisLorrain et Daniel Raoul, il conclut que «les études scien-tifiques montrent clairement que, s’il existe un risquelié à la téléphonie mobile, celui-ci est faible et a traitaux téléphones portables et non aux antennes-relais».Pourtant, des interrogations subsistent. Ainsi, lerapport Zmirou préconise que «les bâtiments sensibles

(hôpitaux, crèches et écoles) situés à moins de 100mètres d’une macro-station de base ne soient pasatteints directement par le faisceau de l’antenne». Touten reconnaissant que cette mesure n’a pas d’effetsanitaire ! «Elle a été prise principalement dans lebut de rassurer les parents des élèves concernés», noteBernard Veyret, directeur de recherche au CNRS etmembre du comité d’experts Zmirou(1). En outre, quidde l’indépendance des experts, dont les études sont sou-vent financées en partie par les opérateurs de téléphoniemobile ? L’association Priartem (Pour une réglementa-tion des implantations d’antennes-relais de téléphoniemobile), qui regroupe les plaintes des riverains, se faitainsi l’écho des accusations de l’Office européen d’éva-luation des choix scientifiques et technologiques. Enfévrier 2001, celui-ci a publié une note intitulée «Champsélectromagnétiques et santé» relatant les conflits d’in-térêts entre industrie et recherche : «Nous avons besoind’un accès à l’information égal pour tous. Faute de quoi,les intérêts privés continueront à avoir un avantage mal-sain.»(2) Que penser enfin des différences de normes adop-tées par les pays européens ? Alors que la France fixedes limites d’exposition du public aux champs électro-magnétiques des antennes-relais à 41V/m pour le réseauà 900 MHz, et à 58V/m pour celui à 1 800 MHz, l’Italieet la Suisse établissent cette valeur limite, sur leurréseau de 1 800 MHz, à 6V/m et à 4V/m...

Des normes à revoir ?Concernant les appareils téléphoniques eux-mêmes, lesseuils d’exposition aux radiofréquences, exprimés entermes de DAS (débit d’absorption spécifique), sontfixées à 2W/kg. L’opérateur Bouygues Télécom se veutrassurant : le niveau moyen d’émission des mobilesactuels est inférieur à 1W/kg. «Il s’agit de normes éta-blies sur la base des effets thermiques que ces ondesgénèrent, et qui peuvent être nocifs», explique Pierre

Aubineau, directeur de recherche au CNRS en physio-pathologie à Bordeaux. En effet, les téléphones porta-bles et les relais utilisent des fréquences de 900MHz à 1 800 MHz. Or, de 1 MHz à 10 GHz, les champsde radiofréquence pénètrent les tissus humains et pro-voquent un échauffement dû à l’absorption de l’énergiedes ondes électromagnétiques par les tissus. «Le seuild’exposition à partir duquel apparaissent ces effets estdivisé par 50 pour définir un niveau de sécurité, poursuitle professeur Aubineau. Pourtant, ces normes doivent êtreremises en question.» En effet, sa dernière étude, menéesur des rats soumis à des expositions de 3 W/kg à 0,75W/kg, met en évidence certains effets provoqués par lesondes des téléphones portables sur les vaisseaux san-guins irriguant le cerveau. Ceux-ci deviennent alors per-méables, permettant à des molécules indésirables d’ar-river au cerveau. Il pourrait exister des risquesd’inflammation du tissu cérébral avec, à court terme, uneaugmentation des migraines.Pourquoi les ondes émises par les antennes-relais et lesportables présenteraient-elles un risque dont seraientdépourvues les autres sources du champ électromagné-tique ? Sans doute parce que les données échangées sonttransmises par salves, afin de permettre à plusieurstéléphones d’utiliser le même canal. Ces ondes pulséesinduisent de très basses fréquences, les ELF (ExtremelyLow Frequency). Celles-ci ont été classées comme étant« peut-être cancérigènes» par le centre international derecherche contre le cancer, qui mène une large étude àce sujet dont les résultats sont attendus pour 2004.En attendant, les précautions s’imposent. Il faut éviterd’utiliser un portable en déplacement : en voiture biensûr, comme dans le train, car l’appareil fonctionne alorsà pleine puissance pour passer d’un relais à l’autre. Il estaussi préférable d’utiliser un kit piéton pour réduire lesémissions. Enfin, avant d’acheter un téléphone mobile,mieux vaut vérifier son DAS auprès de l’opérateur.Concernant les antennes-relais, leur éloignement deshabitations est sujet à caution, car cela augmenteraitparadoxalement leurs niveaux d’émission. Plusieursmunicipalités ont d’ores et déjà signé des chartes debonne conduite avec les opérateurs, portant sur l’implan-tation ou les niveaux d’émission des antennes. Davantagede transparence et de concertation contribueront peut-être à réduire les tensions...

Katia Vilarasau

(1) Cf. Table ronde du 30/12/02 au Palais de la découverteà Paris, consultable sur www.palais-decouverte.fr/actu/dossiers.htm(2) Note de synthèse n°5/2001, février 2001, PE n° 297.563,consultable sur www.europarl.eu.int/stoa/publi/pdf/briefings/05_fr.pdf

Les radiations émises par la téléphonie mobile, et plus généralement les ondes électromagnétiques, ont-elles des effetsnéfastes pour la santé ? Valeurs mutualistes tente de faire le point.

A qui s’adresser pourobtenir la mesure du

niveau d’émission d’uneantenne-relais ?

Il faut prendre contact avec l’opérateur qui

l’exploite. Le siteInternet de l’Agence

nationale des fréquen-ces comporte égalementla liste des prestataires

de contrôle. La mesure coûte

entre 1 500 et 2 300 euros.

Mesure desantennes-relais

Un champ ou une ondeélectromagnétiqueconsiste en la propaga-tion d’énergie sous la forme d’un champélectrique couplé à unchamp magnétique. Un champ électrique estproduit par la présencede charges électriquesstatiques et s’exprimeen volts par mètre (V/m ou Vm-1).Un champ magnétiqueest produit par le déplacement de chargesélectriques et s’exprimeen ampères par mètre(A/m ou Am -1).La fréquence d’uneonde, ou nombre d’oscillations par seconde, s’exprime enhertz (Hz).

Définitions

Téléphonie mobile :quels effets sur la santé ?

Voi

sin/

Pha

nie

Garo/Phanie

www.priartem.com www.anfr.fr www.sante.gouv.fr/htm/dossiers/index.htm www.senat.fr/opecst/rapports.html

en s@voir +en

Sur les bords de routes ou sur les toitsdes bâtiments, 30 000 antennes-relais ont été implantées dans toute la France.