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INTRODUCTION
Dans l'accompagnement social, le vécu d'une personne constitue souvent un paramètre
essentiel à l'évaluation des problèmes qu'elle rencontre et à l'analyse de sa situation : les
situations de souffrances, d'errance, les difficultés sociales, familiales, personnelles découlent
en général d'une évolution dans le temps qui a mené aux freins et aux difficultés présentes.
Lorsqu'il s'agit d'une situation ou d'un événement brutal, traumatisant, imprévisible (décès,
accident, agression...) et qui n'est pas le fruit de l'évolution d'une situation dans le temps, cet
événement vient aussi s'inscrire ou constituer une rupture dans la continuité d'une histoire de
vie.
Le thème que j'ai choisi d'approfondir dans le cadre de ce mémoire porte sur
l'utilisation de la méthode des histoires de vie ou approche biographique dans
l'accompagnement social. Celle-ci met au centre de sa démarche l'importance de cet aspect
temporel et multidimensionnel des situations rencontrées en service social et donne une place
prépondérante au récit par l'usager de sa propre histoire.
Une approche, telle que la définit Mathilde Du Ranquet, est un « modèle
d'intervention ». Celui-ci « décrit ce que le travailleur social fait, c'est-à-dire la façon dont il
recueille les données, élabore une hypothèse, choisit les objectifs, stratégies et techniques qui
conviennent aux problèmes rencontrés ».1
Le Service Social dispose de différentes approches, intégrant une pluralité
d'orientations théoriques, nées de l'articulation entre différentes disciplines (relevant des
Sciences Humaines, comme la Philosophie, la Psychologie, la Sociologie mais aussi des
Sciences de l'Education, de la Communication...). Ces disciplines sont apparues dans la
réforme du diplôme d'Etat de 2004 et reconnues en tant qu'unités de formation contributives.2
Elles sont contributives au service social car elles apportent des outils et méthodes
d'accompagnement (approches) qui contribuent à la lecture, à l'analyse des situations sociales
rencontrées et à des stratégies d'action.
L'approche biographique fait partie des différentes approches contributives au service
social, que sont par exemple, l'approche systémique, l'approche psychosociale, l'analyse
transactionnelle (AT), la programmation neuro-linguistique (PNL)..., chacune ayant des
1 DU RANQUET M., Les approches en service social, éd. Le centurion, Québec, 1981, 351 pages, p. 21. 2 Arrêté du 29 juin 2004 relatif au diplôme d'Etat d'assistant de service social, Titre II : Contenu et
organisation de la formation, article 5.
DABOUIS Catherine
2
références et orientations théoriques spécifiques, des dynamiques différentes. Au sein de cet
ensemble d'approches, on peut distinguer celles qui constituent des outils d'analyse de
situations et des techniques de communication, de celles qui sont des méthodes
d'accompagnement.3 L'AT ou la PNL constituent plutôt des outils d'analyse (la PNL par
exemple, étudie ce qui conditionne nos comportements et notre langage. L'analyse
transactionnelle apporte une autre lecture des comportements et modes de communication,
(selon les modes Parent, Adulte ou Enfant...). L'approche des histoires de vie ou l'approche
systémique sont davantage des démarches méthodologiques à part entière avec un cadre
d'intervention spécifique à l'intérieur duquel on utilise des outils de lecture et d'intervention
comme le génogramme par exemple, que l'on partage avec l'usager.
L’approche des histoires de vie ou approche biographique est très peu abordée durant
nos trois années de formation et pourrait ne pas l’être du tout, celle-ci n’étant pas inscrite au
programme. Elle semble moins sollicitée en service social que les approches systémique et
psychosociale, par exemple. En trois ans, trois cours ont été consacrés à l’initiation à cette
méthode, au sein du module d'enseignement sur les approches contributives. Celui-ci a pour
objectif de former les étudiants aux approches pluridisciplinaires (telles que celles citées plus
haut) dont s'enrichit le service social.
Après avoir présenté les raisons de mon intérêt pour la méthode des histoires de vie, je
procéderai, à partir d'une question de départ, à une exploration de terrain et théorique. Cette
question évoluera au cours de ma recherche.
A l'issue d'un bilan intermédiaire, aboutissant à une nouvelle question, je poserai une
hypothèse et en fonction de celle-ci, je délimiterai un champ d'enquête complémentaire ainsi
que les professionnels à consulter et élaborerai un outil d'enquête.
Enfin, des préconisations d'intervention seront envisagées et viendront clore mon mémoire.
3 Cette distinction provient d'un cours sur les différentes approches contributives en service social, reçu en
janvier 2009 : à partir d'une situation concrète, il s'agissait d'élaborer une analyse de celle-ci selon les différents regards qu'apportent la PNL, l'AT, la systémie, l'Histoire de Vie.
3
PREMIERE PARTIE : Du choix de mon centre d'intérêt
vers l'élaboration de ma question de départ
Mon intérêt pour la méthode des histoires de vie s'est trouvé éveillé par des cours
d'initiation dans le cadre de ma formation ainsi que par une expérience de stage où l'utilisation
de cette approche m'aurait semblé pertinente.
I. L'apport des cours dispensés sur la méthode des histoires de vie
Des trois cours sur cette méthode se sont dégagés des éléments de connaissance sur
l’historique de l’approche biographique et des éléments de compréhension de ce qu’elle est,
ceux-ci venant nourrir ou rectifier mes représentations :
Historiquement, la notion d’histoire de vie est d’abord présente dans les biographies des
grands hommes et récits épiques de l’antiquité grecque (l'Iliade) et se poursuit en Philosophie,
de Platon à Rousseau (Les Confessions). Elle s’inscrit aussi dans la Littérature du 19ème siècle
avec Balzac (Le Père Goriot), Flaubert (Madame Bovary), par la description de personnages
indissociables de leurs parcours de vie, de leurs milieux sociaux et témoignant d’une époque.
L’importance du vécu d’une personne et l’impact de traumatismes passés ont été mis en avant
en Psychanalyse par Freud. L’approche biographique est intégrée et reconnue en Sociologie
Clinique (dans sa dimension d'intervention, elle s'intéresse à la façon dont le sujet social se
construit un sens à partir des divers déterminismes qui agissent en lui) et comme pratique de
formation dans les Sciences de l’Education.
La prise en compte des histoires de vie traverse donc différents domaines de recherche
ou champs professionnels et c’est précisément le recoupement, les interactions entre
différentes disciplines qui me semblent constituer la richesse et le décloisonnement des divers
systèmes de pensées.
Dans le cadre de ces cours, l’approche des histoires de vie a été abordée en tant que
méthode d’intervention qui, pratiquée en service social, vise le développement de la
personne : la relation entre l’assistant(e) social(e) et l’usager va permettre de libérer le récit,
de l’organiser et de tenter de le traduire ensemble, d’y trouver du sens, une cohérence pour
repérer ses éventuelles fractures et établir des liens entre les événements.
Aborder l’histoire de vie de la personne, son parcours (son milieu social, son histoire
4
personnelle, familiale, ses épreuves…), permet aussi au travailleur social de s’inscrire sur le
terrain de l’autre. En faisant son récit autobiographique, la personne peut donner un nouvel
éclairage à sa situation présente et aborder l'avenir à la lumière de la compréhension du sens
de son histoire.
En se mettant à distance du ressenti présent, d’une conception du présent comme une
situation figée, la personne, en se racontant, intègre ce maintenant à un processus sans cesse
en devenir. C’est un moment où elle devient sujet de son discours, la personne n’est plus
l’objet subissant les événements.
Ces cours ont aussi mis en évidence l’importance du rapport au temps, s’agissant du
récit d’un parcours et ont souligné la spécificité de cette approche qui prend en compte toutes
les composantes d’une vie, en croisant le vécu individuel, familial, la place de la personne au
sein d’un groupe et d’une organisation sociale, avec une orientation donnée au récit, un cadre
bien défini, balisé par l’intervenant (le conseiller d’orientation, l’assistant social…).
Parmi les représentations que j’avais de l'entretien social au début de ma formation, je
l’envisageais comme un moment, un espace favorisant particulièrement la possibilité pour la
personne de s'arrêter sur elle, de prendre du recul pour faire un retour sur son vécu. Je le
voyais comme un espace de réflexion, un moment où la personne peut narrer son histoire.
A partir de ces premières représentations et des cours sur l’approche biographique, je
me rends compte de mon ignorance de ses techniques. Si j’ai une idée globale de cette
approche et de son intérêt et si je pense emprunter à cette approche dans les entretiens
relevant davantage du soutien psycho-social, la méthode des histoires de vie, en revanche, est
loin de se limiter à un retour sur le vécu.
Bien sûr, il ne s’agit pas de faire de l’approche biographique un modèle d'approche
systématique mais elle me semble très intéressante et fructueuse dans les situations qui
peuvent suggérer de l’employer.
5
II. Exemples de situations sur lesquelles se sont appuyés les cours
d'initiation à la méthode
Les cours ont été illustrés par des situations concrètes, notamment celle d’un entretien
d’orientation professionnelle4 :
Au cours d’un entretien avec un conseiller d’orientation, une jeune femme titulaire
d’un Diplôme d'Etudes Approfondies (DEA) en Droit du travail, a évoqué des conflits
systématiques, une agressivité de sa part envers le recruteur au moment de ses entretiens
d’embauche sans comprendre pourquoi, d’où une inquiétude et des doutes sur ses aptitudes à
travailler dans le domaine juridique.
Spontanément, elle a abordé son histoire familiale et en plusieurs entretiens, elle a fait
le récit de son histoire de vie. Au cours de l’exploration de son histoire personnelle et
familiale (le milieu social, la place de chacun, les ruptures et conflits familiaux…), elle a tenté
d’éclairer sa situation, de donner du sens à ses difficultés actuelles. Dans le cadre bien précis
d’un entretien d’orientation, elle a pu élaborer une réflexion autour de son rapport aux autres
en général ainsi que dans le domaine professionnel et ce qu’il y avait en jeu pour elle dans ce
type de rapport :
Cette jeune femme a décrit sa famille comme très modeste, composée de personnes
exerçant des professions dures et non reconnues socialement (ouvriers d’usine, couturière…)
et n’ayant pas d’ambition pour elle, ni d'attrait pour les études en général.
Elle a parlé de sa famille comme étant frappée par la malchance, l’histoire familiale
était constituée de ruptures violentes, décès et conflits. Porteuse de cette injustice qu’elle
voulait réparer, elle était dans un rapport de revanche, particulièrement dans les entretiens
d’embauche où se jouaient le rétablissement de la justice et la possibilité d’avoir cette
reconnaissance qu’elle n’avait pas de la part de sa famille.
Elle était animée d’un sentiment d’injustice qui avait non seulement motivé son
orientation mais avait engendré par là-même un rapport agressif aux autres. Au fil de
plusieurs entretiens, elle a fait le récit de son parcours personnel, de son vécu et de son
histoire familiale et a pris conscience de tous ces enjeux en s’appuyant sur différents outils
(comme l’exploration du génogramme, des tests de personnalité et d’orientation
4 NICOLAS J-P., Le génogramme : une approche clinique dans l'entretien d'orientation, Université de Caen,
Service Commun Universitaire d'Information et d'Orientation (S.U.I.O), novembre 1991, 19 pages, pages 11 à 19.
6
professionnelle). Ce qui lui a permis aussi de repérer ses failles et leurs origines.
L’utilisation de l’approche biographique délimitée dans un cadre bien précis (ici, des
entretiens d’orientation) et s’effectuant sur plusieurs entretiens, par le moyen de différents
outils, a permis à la jeune femme de mieux comprendre sa dynamique personnelle, ce qui se
joue pour elle dans son rapport aux autres. La lumière qu’elle a donné à son parcours de vie a
fait évoluer son rapport à lui et du même coup a permis d’envisager autrement son rapport à la
société, aux autres, sous ce nouvel éclairage.
Dans cette situation évoquée par un conseiller d’orientation, j’ai découvert un nouveau
champ professionnel dans lequel l’utilisation de l'approche biographique avait aussi sa place.
Une autre situation (s'appuyant sur l'écrit d'une ancienne étudiante de l'IRTS, ayant
effectué un stage dans un Service d'Investigations) a été exposée en cours, celle de Madame D
: d'une première union avec Monsieur B, elle donne naissance à Alizée et se sépare de
Monsieur un an plus tard, en 2001. En 2002, elle rencontre Monsieur C et donne naissance à
Kévin. En 2003, Alizée est placée en pouponnière, suite à un signalement de l'école pour
maltraitance de la part de Monsieur C à l'égard de la fillette. Madame D choisit de se séparer
de Monsieur C en 2004 afin de récupérer la garde d'Alizée et part dans un foyer d'accueil pour
jeunes mères (durant 5 mois). Une AEMO judiciaire intervient depuis 2005 et aide Madame à
reprendre son rôle de mère. Avec 2 enfants, elle se sentait en effet dépassée lors du retour
d'Alizée au domicile et pouvait adopter une attitude démissionnaire. Actuellement elle a 26
ans et vit avec ses deux enfants en appartement.
Dans le cadre d'une enquête sociale, l'approche de l'histoire de vie est peu conseillée
car il ne s'agit pas d'un réel accompagnement mais si Madame D en a la possibilité
ultérieurement, il semble intéressant pour elle d'effectuer un travail d'investigation, de mise en
forme d'un récit cohérent avec une assistante de Service Social, en reprenant son parcours de
vie. Celui-ci peut être évoqué de manière diachronique, c'est-à-dire en respectant l'ordre
temporel des événements dans le récit (une reprise synchronique, elle, étudie les événements
se produisant en même temps) : à partir de données qui ressortent de son histoire, cette
approche peut permettre à Madame D d'être en situation d'éclairer des incompréhensions, en
croisant et en reliant les événements entre eux. L'assistante sociale et elle-même peuvent
émettre des hypothèses de compréhension, dans un travail de co-construction (entre deux
''chercheurs'', sans rapport de dominant-dominé). Dans cette situation, ses séparations avec
Monsieur B, avec sa fille, puis avec Monsieur C, marquent son passé de trois ruptures
7
affectives fortes. C'est une mère très jeune (19 ans) et seule, il semble qu'elle ne puisse
bénéficier d'aucun soutien de la part de ses parents. La reconnaissance d'un manque affectif
peut constituer par exemple une des hypothèses de compréhension d'une immaturité en tant
que mère... En outre, l'assistante sociale, par le bais du retour sur le parcours de Madame, peut
valoriser ses ressources et certains de ses actes comme étant très courageux, par exemple,
cette dernière a accepté une vie précaire, un départ en foyer, pour retrouver sa fille et
reprendre son rôle de mère.
Pointer des éléments de son parcours peut permettre à Madame D de saisir leur
incidence sur sa situation, de lui apporter des clés de compréhension. En repérant ce qui a été
facteur de difficultés rencontrées dans son rôle parental par exemple, Madame D peut prendre
du recul, partir du présent sur des bases clarifiées, et tendre vers la possibilité d'envisager
l'avenir dans une nouvelle dynamique, en ayant conscience de ses freins et de ses limites.
Cette mise à distance de soi par le retour sur le parcours et en établissant des liens éventuels
entre les événements, peut également lui permettre de dissocier les problèmes vécus de ce
qu'elle est, de sortir de la fatalité d'une situation figée (« c'est comme ça », « je suis comme
ça »...) et par là-même de se décentrer de ses difficultés. Par le récit, elle peut reprendre sa
place de sujet (et non plus seulement être l'objet de son histoire) et pourra ainsi, à l'avenir,
composer avec des faiblesses et des limites qu'elle aura pu mettre au jour lors de cet
accompagnement, mais aussi s'appuyer sur les potentialités qui auront été relevées avec
l'intervenant social.
III. L'intérêt pour cette approche qu'a suscité une expérience de
stage
Dans le cadre d’une intervention sociale, l’utilisation de cette approche me semble
également pertinente, par exemple dans la situation d’une personne sans domicile fixe que
j’accompagnais lors de mon stage de deuxième année en psychiatrie adulte.
Celle-ci faisait un retour sur son parcours en effectuant des liens depuis sa situation
présente dans une continuité avec l’histoire passée.
Un projet d’accès à l’autonomie la renvoyait à une angoisse profonde, un sentiment
d’abandon. Elle évoquait une dépendance à des référents sociaux (éducateurs du centre
d’accueil et d’orientation, foyers d’hébergement..) et les sollicitait sans cesse.
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En recherchant l’origine de ce sentiment, elle faisait un retour sur son vécu, en abordant un
abandon initial de la part de ses parents et les carences affectives ressenties, dues à un long et
important parcours institutionnel.
Ces angoisses d’abandon réapparaissaient quand on évoquait les solutions de sortie de
l’hôpital, elle devait avoir la certitude que d’autres référents extérieurs allaient prendre le
relais. Malgré cette dépendance, elle avait une grande lucidité sur sa situation et voulait
reprendre confiance en elle, s’affranchir des autres.
Même si j’ai pu avec cette personne faire des liens avec le passé dans le cadre d’un
accompagnement psycho-social, je n’avais pas les connaissances méthodologiques
nécessaires à l’utilisation de l’approche biographique. Le retour sur son parcours de vie aurait
permis de travailler et réfléchir davantage autour de ses freins et de ses difficultés, de son
vécu et lui aurait permis d’envisager l'ouverture vers de nouvelles possibilités d’avenir.
Si le vécu d’une personne, les épreuves qu’elle a connues (milieu social, situation
familiale,…) déterminent et conditionnent sa situation à venir, la question est de savoir dans
quelle mesure et jusqu’à quel point elle subit ce qui arrive, si elle dispose d’une marge de
liberté lui permettant de bâtir son avenir sur la base des contraintes et opportunités qui
découlent de son passé. Faire le récit de son histoire de vie peut être le moyen pour la
personne de redonner du sens à sa situation, à ses actes, de se comprendre mieux elle-même,
par la médiation d’un professionnel, et d’accéder à des projets éclairés par une meilleure
connaissance d’elle-même.
Alors que dans mes représentations, l’approche biographique était propre au domaine
du service social, j’ai constaté au cours de ma formation que c’est un champ professionnel
dans lequel elle est très peu utilisée. Les cours dispensés sur cette méthodologie
d’intervention m’ont apporté des éléments de réponse possibles au fait qu’elle soit méconnue
et peu utilisée en service social. Cela pourrait être lié à la crainte :
- d’aller trop loin dans l’intimité de la personne, de la mettre à nu, qu'elle dévoile, malgré elle,
des choses qu’elle ne souhaitait pas mettre au jour,
- de déstabiliser la personne narratrice et le mythe qu’elle s’est forgé autour de son histoire,
- de recueillir une confidence trop lourde et difficile à gérer pour la personne…
Pourtant, ces risques me semblent tout autant présents dans l’utilisation d’autres
approches. Par exemple, le génogramme utilisé aussi dans l’approche systémique peut
présenter le même danger d’aller trop loin où plutôt d’aller là où la personne n’est pas encore
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prête à aller. C’est pourquoi il est important pour toute méthode employée, de la connaître, de
connaître ses techniques pour l’utiliser à bon escient et d'en connaître les limites pour ne pas
mettre en danger la personne. Cela rappelle aussi l’importance d’établir un cadre contenant la
parole, et dans l’approche biographique, de trouver un accord avec la personne sur
l’orientation de son récit.
Partant de mon expérience de stage en psychiatrie et des cours dispensés sur
l'approche biographique, je me propose ici de mener une expertise de cette méthode.
Le terme d'expertise, tel qu'il est défini dans le référentiel de formation, est une
« méthodologie de recherche en travail social appliquée à une problématique de territoire ou
d'une population »5. Adaptée à l'objet de ma recherche, elle est appliquée à une problématique
liée à une méthode d'intervention sociale (l'approche des histoires de vie).
L'expertise est une « méthodologie de diagnostic social »6. Effectuer l'expertise de cette
méthode consiste donc en une démarche de recherche, de détermination d'un problème de
manière la plus objective possible, à partir d'une exploration de terrain, elle-même étayée par
des apports théoriques. Cette démarche méthodologique de recherche vise à déconstruire les
représentations pour les reconstruire en fonction des réalités de terrain et des références
théoriques. Mon objectif est d'acquérir des connaissances sur la méthodologie en elle-même,
ses techniques d'intervention, de comprendre davantage sa dimension et ce qu’elle peut
apporter au service social.
IV. La formulation d'une question de départ
Mon intérêt est de savoir en quoi la méthode des histoires de vie est transposable au
service social, sachant qu’elle est davantage utilisée, dans la pratique en Sociologie clinique,
et dans la formation, en Sciences de l’Education. Est-elle pour autant une méthode
spécifiquement dédiée à ces deux domaines d’étude ? Pourquoi y connaît-elle plus de succès?
Pourquoi est-elle peu exploitée dans le champ du service social qui pourtant y fait référence ?
Mon intention est surtout de chercher ce que l'approche biographique peut apporter en
propre, comme un atout, au service social et m'amène à formuler la question de départ
5 Arrêté du 29 juin 2004 relatif au diplôme d'Etat d'assistant de service social, Annexe III, référentiel de
formation. 6 Ibid.
10
suivante :
En quoi l’approche des histoires de vie, encore méconnue, peut-elle apporter une
contribution pertinente à l’intervention sociale ? (au même titre que l’approche systémique,
par exemple).
Cette question sera testée au moyen d'entretiens avec des professionnels et au moyen
de lectures. Elle sera reconsidérée à l'issue de ces deux explorations, pragmatique et
théorique.
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DEUXIEME PARTIE : Exploration de la réalité de
terrain et recherche documentaire
Les entretiens avec des professionnels vont mettre mes représentations à l'épreuve de
la réalité de terrain. Il conviendra d'approfondir les éléments de réflexion et de connaissance
que ces entretiens m'auront apportés par une recherche documentaire et d'inscrire ma question
de départ dans l'évolution de cette phase exploratoire.
I. La consultation de professionnels
La première étape de l'exploration de terrain va consister à déterminer le choix des
professionnels auprès desquels je dois soumettre mon questionnement et à élaborer un guide
d'entretien en fonction des buts et informations recherchés.
I.1. Les intentions méthodologiques d'une exploration de terrain et les
objectifs recherchés
� La pré-enquête permettra de tester et d’affiner la pertinence de ma question de départ
et des réflexions liées à cette question.
Elle aidera au cheminement de ma réflexion.
Elle permettra également de canaliser ma recherche documentaire et de contribuer à
l’émergence d’une problématique plus construite.
� La pré-enquête a pour objectifs de recueillir les points de vue de professionnels ayant
des approches et des réalités de terrain différentes, d’obtenir de leur part des
informations sur les cinq principaux axes de recherche suivants :
- l'intérêt ou le désintérêt qu'ils éprouvent pour la méthode des histoires de vie, utilisée
auprès des usagers du service social,
- les raisons de l'utilisation ou non de cette méthode,
- les éventuelles difficultés ou craintes qu'ils ressentent au sujet de cette approche,
- les raisons qui ont amené certains d'entre eux à se former à la méthode des histoires
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de vie,
- les techniques et outils utilisés par les professionnels qui la connaissent.
I.2. L’échantillon choisi
A ce stade de ma recherche, il m'apparaît probable que peu de professionnels soient
formés à cette méthode, j’ai donc élaboré un premier guide d’entretien de pré-enquête auprès
de professionnels de terrain, qui, même s’ils ne connaissent pas de manière approfondie
l’approche biographique, peuvent apporter un regard et leur opinion sur cette dernière.
J’ai choisi d’effectuer la deuxième partie de ma pré-enquête auprès d’un deuxième
groupe de professionnels dits avertis, qui ont pratiqué l’approche biographique soit pour eux-
mêmes dans le cadre d'une formation, par exemple, soit auprès d’usagers ou encore qui ont pu
l’enseigner.
La pré-enquête s’effectuant auprès de deux groupes de professionnels, elle donne lieu
à deux questionnaires distincts, l’intérêt étant de pouvoir confronter les représentations et
connaissances des uns à celles des autres. Le deuxième questionnaire, destiné aux
professionnels avertis est en partie commun au premier mais comprend en plus une série de
questions plus précises, plus approfondies.
Les professionnels que j’ai choisi de consulter sont :
Pour le premier groupe :
- Monsieur R, assistant de service social en faveur des élèves. Dans le milieu scolaire,
l'assistant de service social est amené à rencontrer diverses situations et problématiques
dépassant le cadre de la scolarité et touchant au contexte et au parcours de vie des élèves. Il
m'a semblé intéressant de voir avec ce professionnel en quoi la méthode des histoires de vie
pourrait éclairer de manière pertinente les situations qu'il rencontre.
- Madame S, assistante de service social travaillant à la Boussole, centre d'accueil de
jour pour des personnes sans domicile fixe. Ces personnes ayant un parcours de vie marqué
d'errance, de ruptures, d'événements douloureux, j'imagine que la Boussole est un lieu
d'écoute et de soutien propice à des accompagnements à long terme où l'assistante sociale est
amenée à aborder et à reprendre avec eux leur vécu.
Pour le second groupe :
- Madame Z, formatrice de l'Institut Régional du Travail Social de Basse-Normandie
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et assistante sociale de formation. Elle a participé à deux séminaires sur l'approche des
histoires de vie, qui se sont déroulés à l'Institut International de Sociologie clinique, à Paris.
Au cours de ces séminaires, elle a pu expérimenter cette méthodologie pour elle-même.
- Madame M, titulaire d'un Diplôme Universitaire de Formateur d'Adultes (DUFA), a
également expérimenté cette démarche dans le cadre d'une formation puis l'a utilisée, en tant
qu'intervenante, auprès de jeunes et d'adultes dans le champ de l'insertion professionnelle
(dans un organisme de formation).
Il est intéressant d'aborder cette approche selon deux points de vue : celui de
l'expérimentation de la méthode pour soi-même et celui de son utilisation auprès de
personnes, dans le cadre de leur insertion professionnelle.
I.3. L’outil choisi , reporté en annexes 1 et 2
J’ai choisi d’élaborer deux guides d'entretien semi-directifs, c'est-à-dire de poser des
questions ouvertes dans un premier temps pour laisser une liberté dans les réponses. Dans un
deuxième temps, une sous-question est préparée pour relancer le questionnement s’il n’aboutit
pas ou qu’il est nécessaire de le préciser. La sous-question est un repère permettant de
recadrer la question et de ne pas oublier un aspect important de celle-ci.
L'intérêt est de centrer le discours des personnes interrogées autour des différents axes
définis au préalable et de ne pas s'en écarter tout en laissant un maximum de liberté dans les
choix et orientations de réponses des professionnels. La différence par rapport à un entretien
non-directif (qui se déroule très librement, à partir d'une question) est que cela permet
d'apporter une plus grande richesse et plus de précision dans les informations recueillies, par
le fait de pouvoir relancer la question posée, grâce aux sous-questions et au dialogue avec le
professionnel.7
7 Site Internet : pedagogie.ac-aix-marseille.fr, fiche pédagogique, le guide d'enquête, l'écrit interrogatif.
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I.4. Le bilan des entretiens effectués avec un premier groupe de
professionnels
Compte tenu de la taille de mon échantillon, j'ai choisi de restituer les entretiens l'un
après l'autre, plutôt que d'en synthétiser l'ensemble.
Monsieur R. et Madame S. ne connaissent pas précisément cette approche mais ont
manifesté un grand intérêt pour celle-ci. Ils ont pu faire des liens entre leur pratique et l'idée
qu'ils se font de cette méthode.
Le premier a exprimé l’idée selon laquelle le fait que la personne (ici l’élève) aborde
son histoire de vie est essentiel pour comprendre sa problématique et cerner ses difficultés
réelles. Pour certains élèves, leurs difficultés scolaires ou de comportement sont
indissociables d’un parcours de vie chaotique, fait de ruptures, de manque de repères, de
carences affectives, d’insécurité, de maltraitance physique, psychologique… C’est selon lui
une évidence qu’il faille se pencher sur l’histoire de vie de l’élève (dans la limite de ce qu’il
nous autorise à aborder avec lui). Il a plus précisément parlé de l’importance de pouvoir
aborder tous les aspects de la vie de l’élève et de ne pas seulement se limiter à un échange
autour des difficultés exprimées par lui : par exemple, une difficulté exprimée par rapport à la
pression du baccalauréat par un lycéen est aussi liée à un contexte de vie plus ou moins
propice, plus ou moins problématique (contexte familial, vie à l’internat, réseaux d’amis et de
soutien, aspirations personnelles, réussites et échecs passés…).
Si nous sommes ici plutôt dans un soutien psychosocial prenant en compte
l’interaction de multiples facteurs, l’idée d’une approche multidimensionnelle (la personne, la
famille, le groupe, le contexte et l’environnement social) me semble être une notion-clé de
l’approche biographique.
Selon Madame S, dans une tentative de définition, inspirée de l'accompagnement
auprès de personnes sans domicile fixe, l'approche biographique consisterait à permettre à la
personne de raconter son histoire, son parcours de vie pour se l'approprier, faire un travail sur
soi, dégager du sens à son vécu et trouver des réponses, aller de l'avant. Ce travail se fait dans
le temps, demande d'effectuer plusieurs entretiens, dans une continuité de l'accompagnement
social. Cette approche nécessite d'établir une relation de confiance avec la personne qui va
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faire le récit de son histoire et que celle-ci se sente prête à le faire. Il est essentiel de laisser la
personne faire ce choix de décider du moment où elle se racontera.
L'écriture est aussi un moyen utilisé pour témoigner des parcours de chacun. Les
usagers de cette structure d'accueil ont créé un journal dans lequel ils écrivent des articles, ils
y livrent leur histoire, des impressions ou un événement de leur vie au moyen de mots, de
photos, de dessins (des extraits de témoignages sont en annexe 3). Cette réalisation collective
permet de libérer la parole et d'effectuer un travail de revalorisation par la création et en
utilisant leurs ressources personnelles pour écrire. Ces ressources et capacités, pour beaucoup
ils ne les soupçonnent pas car ils ont souvent une piètre image d'eux-mêmes.
L'intérêt de cette approche est de permettre à la personne de se livrer (ce qu'elle n'a
peut-être jamais fait) auprès d'une personne-ressource qui puisse écouter et partager avec elle
son histoire, le récit de son vécu, de ses errances et douleurs personnelles. L'intérêt pour la
personne est aussi de pouvoir croiser son propre regard avec un autre, nouveau, extérieur,
non-jugeant, pour lui permettre de libérer sa parole, en confiance. Par le récit, c'est la
personne qui redonne sens à son histoire et avec l'aide de l'assistant(e) social(e), elle va
apporter des réponses ou des éléments de compréhension aux problématiques qu'elle
rencontre, pour aller de l'avant. Il y a des problématiques qui semblent particulièrement
propices à l’utilisation de l’approche biographique : Madame S. me donne l'exemple d'un
homme de 30 ans qui vient à La Boussole depuis 2 ans et « craque » tous les ans à la période
de Noël. Il s'est livré à elle et lui a dit que sa mère s'était suicidée un 24 décembre lorsqu'il
avait 20 ans. Cette personne est continuellement en recherche affective et s'occupe
constamment des autres. Les entretiens passés avec l'assistante sociale sont le lieu et le
moment où il se permet de s'arrêter sur lui, de parler de lui, de son histoire et d'entamer un
travail de deuil qu'il n'a jamais fait jusqu'alors.
Madame S. se dit tout à fait légitime à utiliser cette approche, qui relève de son champ
d'intervention. Elle peut également relever du domaine de la Psychologie. Une orientation
vers un(e) psychologue est importante lorsque la situation requiert de faire appel à ses
compétences, quand la personne livre des choses qui lui sont trop lourdes à porter, trop
difficiles à gérer émotionnellement par exemple et lorsqu'on constate que l'aspect
psychologique domine, que les problématiques demandent à être traitées dans cet autre
domaine professionnel.
Il y a, selon elle, des limites à l'utilisation d'une telle approche, d'ordre contextuel,
relationnel : lorsqu'une relation n'a pas pu s'installer avec la personne (parce que la personne
16
n'est pas prête ou parce qu'un lien avec l'assistante sociale n'a pu s'établir, par exemple, lors de
demandes d'hébergement en urgence d'une personne qu'on ne reverra plus par la suite). De
plus, certaines personnes ne permettent pas d'aborder leur histoire, elles se ferment et risquent
même de ne pas revenir si on leur demande des informations sur elles. Selon les personnes, il
est plus ou moins facile d'aborder leur parcours. Certaines ne veulent pas d'un
accompagnement social et on ne peut pas les amener à dévoiler leur histoire sans qu'elles
choisissent elles-mêmes de le faire.
Si l'approche est peu connue et exploitée en service social, c'est peut-être dû à un
manque de temps : problème auquel cette professionnelle n'est pas confrontée (du fait
notamment d'un fonctionnement institutionnel assez libre qui lui permet de prendre le temps
qu'il faut avec les personnes). A partir de rencontres informelles au sein de la structure, les
personnes peuvent échanger avec l'assistante sociale, ce qui peut aboutir à un entretien
individuel sans qu'il ait été planifié, sans prendre de rendez-vous. Le fait que les échanges
s'engagent naturellement permet de développer cette relation de confiance qui va amener la
personne à se livrer plus facilement. Son utilisation sera peut-être plus difficile si le contexte
institutionnel et les conditions de travail ne permettent pas de s'attarder sur les situations
(traitement des demandes comptabilisé ou encore, par exemple, quand on ne travaille pas au
sein d'une équipe avec laquelle on peut parler des difficultés rencontrées...).
Madame S. n'a pas connaissance de craintes particulières concernant
l'utilisation de cette approche. Peut-être existe-t-il une crainte d'être intrusif vis-à-vis des
personnes. Cela dépend des professionnels, c'est avant tout, selon elle, une question de
positionnement (selon l'idée que l'on a de ce qu'est la bonne distance professionnelle par
exemple. On peut ne pas vouloir entrer dans l'intimité des personnes de peur de ne pas
maîtriser ce qui va suivre une fois passée cette limite etc...). Une telle approche demande de
prendre du temps, d'accepter l'imprévu et d'être prêt à recevoir des émotions (gestion
personnelle des émotions, connaissance de ses propres limites).
I.5. Le bilan des entretiens effectués avec un second groupe de
professionnels initiés à la méthode des histoires de vie
Selon Madame Z, l'approche des histoires de vie consiste pour la personne à faire un
retour sur son parcours, à s'appuyer sur des faits pour l'éclairer, lui donner du sens. Le récit de
la personne la rend actrice de sa vie, lui permet de prendre du recul et d'avancer vers ses
17
projets. L'objectif principal est de tendre vers l'autonomie de la personne, avec l'idée
principale qu'elle se construit à partir d'elle-même (par le récit de son parcours).
L'intérêt de cette approche est de favoriser et de mettre au centre de notre pratique la
parole de l'usager. Permettre à la personne de dire, l'amener à se raconter est naturellement au
coeur de la profession d'assistant(e) de service social.
Selon Madame Z, l'usager peut avoir la même crainte de cette démarche que celle qu'il
peut ressentir à l'idée de rencontrer un psychologue (cela demande d'oser se dévoiler). Selon
elle, la méthode est peu connue car, elle semble mal délimitée dans sa définition. Si elle est
peu utilisée en service social, c'est peut-être en raison d'un amalgame fait couramment avec
une démarche de psychothérapie. Il peut y avoir une crainte du professionnel d'outrepasser ses
fonctions et d'être intrusif, il faut être capable d'aider la personne à se libérer sans forcer la
parole. La personne doit être mise en confiance et être volontaire. Madame Z fait le reproche
à la Sociologie Clinique d'être trop influencée par le courant psychanalytique ; si un(e)
assistant(e) de service social pratique cette méthode, il ou elle ne doit pas interpréter le récit
de la personne mais doit se baser sur les faits. Il appartient à la personne d'interpréter ces faits.
La reformulation est un outil important qui permet d'être au plus près de ce que la personne
exprime sans être dans l'interprétation.
En sociologie Clinique, Madame Z a expérimenté la démarche des histoires de vie au
sein d'un groupe de 10 personnes sur 4 jours. A partir de thèmes, chaque membre du groupe
est amené à parler de son parcours devant les autres. Les membres notent ce que dit le
narrateur et lui restituent leurs écrits.
L'intervenant pose le cadre de cette démarche collective, il est le garant du temps imparti à
chacun. Il s'agit d'un processus inscrit dans un engagement mutuel, avec l'élaboration d'un
contrat collectif. D'un point de vue éthique, l'intervenant garantit la confidentialité de ce qui
est dit au sein du groupe, le non-jugement et le respect de la parole de chacun.
Pour Madame M, la méthode des histoires de vie, utilisée dans le champ de l'insertion,
permet de valoriser les acquis expérientiels, c'est-à-dire qui ne découlent pas de savoirs
académiques mais des connaissances, compétences et potentiels qui ont pu se révéler par
l'expérience, le vécu. Cette approche tend à permettre à la personne de mieux comprendre ses
freins et d'exploiter au mieux ses potentialités personnelles, pour les transférer dans le
domaine professionnel. L'intérêt est de relier l'histoire de vie à des apprentissages.
L'apprentissage ici, est le fil conducteur qui balise les séances collectives et permet aussi de
18
ne pas tomber dans l'interprétation, la thérapie.
Madame M me présente différents supports qui sont utilisés pour préparer au retour
sur soi et qui permettent de replacer les événements dans le temps et dans l'espace. Ils
apportent une mise en perspective, une prise de conscience des corrélations entre les
événements et qui sont porteuses de sens :
− L'approche topographique utilise par exemple des cartes géographiques faisant apparaître
un aspect du mode de vie (les déplacements, les déménagements, les lieux de vie, les lieux
importants...).
− La grille de Desroches, à laquelle vous pouvez vous référer en annexe 4, peut aussi
permettre de clarifier des éléments du parcours d'une vie. Il s'agit d'un tableau avec deux
axes : un axe vertical (chronologique) et un axe horizontal de recherche ayant trait à la
formation (études, connaissances expérientielles), à la vie sociale (avec utilisation de
couleurs par exemple, pour distinguer les événements personnels, familiaux,
relationnels...) et à la vie professionnelle. Cette grille n'est pas un modèle figé, les thèmes
inscrits dans l'axe horizontal s'adaptent aux axes de préoccupations définis avec la
personne. Une autre forme de grille est présentée pour exemple en annexe 5, dans laquelle
est ajouté le thème de la vie familiale.
− Peuvent être aussi utilisés des supports tels que : l'arbre généalogique, le génogramme, un
relevé de compétences par rapport à un projet précis...
Madame M m'explique qu'après ces premières étapes de préparation, vient le récit de chacun,
au cœur de la démarche (une vingtaine de minutes) et la prise de note de ceux qui écoutent.
Puis un temps d'échange a lieu, dans l'esprit d'apporter des connaissances au groupe et de
permettre l'écho que le groupe renvoie à chacun de ses membres.
Madame M utilise cette démarche en tant que formatrice auprès d'un groupe. Selon
elle, la méthode exercée dans le mode individuel serait moins riche (sans l'écho du groupe) et
dans une relation plus inégale (entre l'usager qui se raconte et le professionnel qui écoute),
qu'en groupe où tous les membres ont le même statut, la même commande. Pour elle, cette
démarche est avant tout collective.
Pour ces deux professionnelles, les difficultés qu'il peut y avoir à utiliser cette méthode
tiennent au fait qu'elle requiert un accompagnement dans le temps.
Ainsi, de nouveaux éléments me sont apparus au cours des entretiens de pré-enquête:
19
Dans mes représentations et dans les situations données en cours, l'approche était
principalement individuelle. J'ai été très surprise d'apprendre que, sur le terrain, la méthode
semble être utilisée de manière privilégiée en intervention collective.
Alors que les professionnels non initiés à cette approche la pensent tout à fait
appropriée à l'accompagnement social individuel et semblent convaincus de son intérêt pour
la personne, les professionnels ayant expérimenté la méthode l'envisagent principalement
selon le mode collectif, et notamment dans le domaine de la formation, de l'orientation et de
l'insertion professionnelles, avec l'idée que la démarche perdrait même de son intérêt dans le
cadre d'un accompagnement social individuel.
Toutes deux mettent l'accent sur l'importance pour le professionnel de ne pas
interpréter le récit de la personne, les événements de sa vie... Pourtant, l'intérêt de cette
démarche me semble aussi résider dans l'aide à apporter à la personne pour donner du sens,
émettre des hypothèses de compréhension quant aux évènements et au parcours qu'elle
raconte.
Enfin, à mon sens, l'intérêt de cette approche est de faire un retour sur soi pour éclairer
des événements passés, pour leur redonner un sens, les accepter, faire un travail de deuil par
exemple, ou trouver et comprendre le lien entre des événements vécus, des situations qui se
répètent sans que l'on sache pourquoi, etc... Or, Madame M me dit ne jamais être intervenue
en ce sens mais seulement dans le cadre de l'orientation professionnelle et de la valorisation
des acquis de l'expérience. Pour elle, cette méthode sert les projets d'avenir et, plus
précisément, dans ses interventions, les projets professionnels. Ce n'est jamais un travail de
mémoire pour seulement saisir le passé.
Ces différents témoignages m'amènent à rechercher des informations sur les objectifs
et utilisations possibles de la méthode des histoires de vie :
Qu'est-ce que cette approche vient apporter à la personne, à quelles fins? Qu'est-ce que cette
dernière peut rechercher en s'impliquant dans la démarche?
La méthode peut-elle être utilisée selon différentes formes ? En quoi est-elle légitime au sein
d'accompagnements individuels ?
Ma question de départ, que je rappelle : En quoi l’approche des histoires de vie, encore
méconnue, peut-elle apporter une contribution pertinente à l’intervention sociale ? au même
titre que l’approche systémique, par exemple, laisse place à une nouvelle question qui se pose
au sortir de la pré-enquête :
20
En quoi la méthode des histoires de vie peut-elle être pertinente au sein de
l'accompagnement social individuel (et pas seulement dans l'intervention collective),
indépendamment de l'intention de servir un projet concret?
L'objectif d'accéder à un projet professionnel, par exemple, peut motiver la démarche
et permettre de délimiter le cadre de son utilisation. Mais n'y a-t-il pas d'autres motivations
possibles à la méthode des histoires de vie ? Quelles sont ses intentions, indépendamment
d'un projet auquel elle peut mener ? La volonté de s'impliquer dans cette démarche peut
renvoyer à des situations très différentes (travail de deuil, errance, difficultés parentales,
familiales, relationnelles...). Dans ces situations, l'intérêt du retour sur le passé pour la
personne peut être d'intégrer des événements à son histoire, de leur donner un sens, de mieux
les supporter..., ce qui aide à avancer, à envisager l'avenir. Avoir un projet précis ne me
semble pas nécessaire pour justifier l'emploi de cette approche. Celle-ci peut être d'abord un
moyen d'aider la personne à comprendre, à accepter sa situation, à dépasser des difficultés.
II. L'approche théorique à partir d'une nouvelle question de départ
A l'issue de la pré-enquête de terrain, une nouvelle question est apparue. Il s'agit donc
ici, d'approfondir les éléments de réflexion qui en ressortent, par une exploration théorique, et
au regard de cette nouvelle question, axée sur les finalités de l'approche biographique dans le
cadre d'un accompagnement social individualisé.
Afin de préparer le travail de recherche documentaire, il s'agit d'abord de définir ses
intentions méthodologiques et les informations recherchées engageant le choix des lectures :
L'approche documentaire va permettre :
- de tester la pertinence de mon questionnement et d'approfondir les questions et éléments
nouveaux apparus lors des entretiens : pourquoi l'approche des histoires de vie serait-elle
exclusivement destinée à servir un projet (professionnel par exemple) ? Ne peut-on pas
étendre son utilisation à d'autres objectifs sociaux ? (comprendre et résoudre un conflit
familial, entamer un travail de deuil...). En quoi serait-elle plus appropriée au mode
d'intervention collectif que dans le cadre d'un accompagnement individuel ?
21
- d'inscrire ma question de départ dans une évolution, en articulation avec ce qui ressort des
entretiens effectués et des lectures, au service d'une progression vers la problématique et le
projet d'enquête.
Les informations recherchées se déclinent en plusieurs axes de préoccupation. Il ressort des
entretiens auprès du deuxième groupe de professionnels l'idée que la méthode en tant que telle
semble mal délimitée. Il est important :
- d'accéder à une définition de cette approche et de connaître ses usages dans différentes
disciplines et plus précisément en service social,
- de mieux cerner ses techniques en service social et plus précisément dans le mode
individuel,
- d'expliciter la différence entre une orientation thérapeutique et sociale de cette approche et
de comprendre son intérêt en service social, le bénéfice pour l'usager,
- d'approfondir des questions déontologiques (comme le positionnement du professionnel, la
délimitation de l'orientation du récit, la confidentialité...), de connaître ses limites et de mieux
comprendre les raisons pour lesquelles elle semble méconnue en service social.
II.1. La définition de l'approche des histoires de vie
Comme nous l'avons vu précédemment, les histoires de vie sont abordées dans divers
domaines : philosophique, littéraire, personnel (poèmes épiques, récits de voyage, journal
intime, biographies), dans le domaine de la psychanalyse (agissant par la libération de la
parole), que ce soit pour relater des événements, les faire partager, témoigner d'un vécu inscrit
dans un contexte social, historique ou encore révéler des processus inconscients....
Les histoires de vie « recouvrent un ensemble de pratiques s'attachant à la recherche et à la
construction de sens à partir de faits temporels personnels et/ou collectifs».8 Elles s'inscrivent
dans le champ des sciences humaines, comme une méthode permettant de comprendre les
interactions entre l'homme et la société ou « en quoi la singularité d'une existence et
l'environnement social s'articulent et se nourrissent mutuellement ».9
8 Site Internet de l'Association internationale des histoires de vie en formation (ASIHVIH) www.asihvif.com,
NIEWIADOMSKI C. et DE VILLERS G., Les histoires de vie aujourd'hui, page consultée le 25 février 2009.
9 CHAPUT C., Diagnostic pluri-approches, cours du 21 janvier 2009, Institut Régional du Travail Social, Hérouville Saint-Clair.
22
Une biographie (du grec ancien bios : vie et graphein : écrire) est un écrit qui a pour
objet l'histoire d'une vie particulière.10 Récit(s) de vie, histoire(s) de vie, approche
biographique renvoient à la même notion. Approche biographique « a l'avantage de vouloir
dire tout et permet de regrouper les différentes pratiques », la différence va résider dans la
mise en avant soit de l'aspect narratif (le récit) soit de la temporalité (l'histoire)11.
Dans les sciences humaines et sociales, les trois termes vont être employés
indifféremment pour désigner une méthode inscrite dans les domaines de :
� la recherche (pour atteindre un savoir),
� la formation (comme démarche d'apprentissage),
� l'intervention (visant le développement et l'émancipation de la personne).
« Cette méthode peut être pratiquée en Sociologie comme recherche et va considérer la
parole du narrateur comme un objet de connaissance. Elle peut être pratiquée soit comme
méthode d'auto-formation, soit dans une démarche thérapeutique ou encore, au sein d'une
relation d'aide. Dans ce cas elle vise le changement et le développement de la personne ».12
II.1.1 Ses fondements philosophiques
La personne est porteuse d'un savoir. Ce postulat est inspiré de divers courants de pensées :
- En Philosophie, dès l'antiquité, la théorie platonicienne de la réminiscence (du grec,
anamnèsis : ressouvenir, rappeler à son souvenir) prône l'idée selon laquelle les connaissances
sont déjà inscrites dans l'âme de l'homme (le savoir est le fruit du retour du souvenir,
l'ignorance est le fait de l'oubli), par le dialogue s'effectue le retour, la ré-émergence des
connaissances oubliées. Platon est le créateur de l'art du dialogue (du grec, dialogos :
entretien, de dialegein : discourir l'un avec l'autre). Son personnage, Socrate, permet, par le
dialogue, d'accoucher les esprits des connaissances qu'ils portent en eux sans le savoir. Platon
valorise ainsi, par le biais du dialogue, la réflexion personnelle.13
Cette théorie défend l'idée selon laquelle, par le dialogue et l'échange d'histoires individuelles,
l'homme en dégage un sens, des connaissances.
10 Dictionnaire Encyclopédique Illustré, déf. Biographie, éd. Hachette, Paris, 1998, 2027 pages, p. 204. 11 LE BARS C., « Les histoires de vie : approche singulière d'une pluralité de vies ou approches plurielles de la
singularité d'une vie ? », Mémoire de DEA en Sciences de l'Education, Caen, 1993, 101 pages, pages 5 et 6. 12 CHAPUT C., Op. Cit., Cours du 21 janvier 2009. 13 MORFAUX L-M., Vocabulaire de la Philosophie et des Sciences Humaines, déf. Dialogue et Réminiscence,
éd. Armand Colin, Paris, 1980, 399 pages, pages 83 et 314.
23
- La Philosophie du sujet au début du 17ème siècle avec Descartes, considère que le sujet est à
l'origine de la connaissance (la recherche de la vérité consiste d'abord à poser la réalité du
sujet, à se penser soi-même), cependant, avec cette différence fondamentale que ce courant de
pensée ne part pas de l'expérience du sujet (son vécu) mais de son raisonnement, abstrait.14
- Nous pouvons aussi rapprocher ce fondement théorique des histoires de vie du courant
phénoménologique à la fin du 19ème siècle en Philosophie : le savoir réside dans les
phénomènes tels que le sujet les perçoit.15
L'histoire individuelle et l'Histoire collective ne peuvent pas se penser indépendamment sans
perdre de leur sens. Elles se révèlent mutuellement, interagissent l'une et l'autre. L'histoire
personnelle n'a de sens qu'en tant qu'on l'aborde dans son contexte, qu'elle s'inscrit dans
l'Histoire et inversement, l'Histoire se constitue d'histoires individuelles.
L'homme est en partie auteur de sa vie. L'Existentialisme de Jean-Paul Sartre ( 1905-1980) est
une influence philosophique majeure fondant ce postulat théorique de la méthode des histoires
de vie. Sartre défend l'idée que, si l'homme est le fruit de déterminismes antérieurs, ce dont il
est véritablement responsable, c'est de son projet. Il en est responsable dans la mesure où il
peut donner une signification à sa situation soit pour l'accepter, soit pour la modifier dans tel
ou tel sens. Ce sont ici précisément les objectifs de la méthode : permettre à la personne de
reconstituer son histoire, de lui donner sens, de se la ré-approprier pour envisager sa situation
autrement et la ré-envisager. Tandis qu'une chose est, l'homme existe c'est-à-dire, « sort de »16
(du latin, Exsistere), échappe aux déterminations.
II.1.2. Ses usages dans les différentes disciplines universitaires
Les biographies et autobiographies s'expriment depuis toujours dans le domaine de la
Littérature.
En Histoire, les recueils de récits de vie se développent depuis la fin des années 70 et
sont essentiels à la reconstitution de faits passés et à la mémoire des évènements historiques
(lettres de guerre, témoignages...). Ils apportent une épaisseur humaine à l'Histoire qui n'est
pas seulement une suite de faits et d'événements mais qui comprend aussi des enjeux de vies
14 Dictionnaire de Philosophie, déf. Solipsisme, éd. Nathan, Baume-Les-Dames, 1997, 407 pages, page 360. 15 MORFAUX L-M., Op. Cit., déf. Phénoménologie, p.270. 16 MORFAUX L-M., Op. Cit., déf. Existence, p. 116.
24
individuelles dans des contextes sociaux, culturels, politiques...17
De même, les histoires de vie peuvent être exploitées en géographie sociale, dans les
études démographiques notamment, pour comprendre certaines évolutions de société.18
Les ethnologues sont parmi les premiers à avoir recours à cette approche, dans la
recherche de la signification sociale d’histoires de vie, par le moyen de témoignages et
autobiographies de terrain. L'ethnologie (ou anthropologie sociale et culturelle) étudie les
communautés traditionnelles, qui ont longtemps été considérées comme des cultures
primitives. Certains récits sont devenus célèbres, comme Soleil hopi : L'autobiographie d'un
Indien hopi : rare document sur une tribu indienne du tout début du 20ème siècle, décrite de
l'intérieur par « un homme qui témoigne (...) de son attachement réfléchi aux cadres
traditionnels. Hostile par expérience à une américanisation des siens et de sa tribu ».19
L'auteur témoigne des événements historiques qu'il a vécus et permet ainsi de les inscrire dans
une mémoire collective avec la première publication de son récit en 1959.
En Sociologie classique, les récits de vie sont utilisés à des fins de recherche, comme
technique de recueil de données. La méthode biographique a vu le jour avec L'Ecole de
Chicago, courant sociologique apparu au début du XXème siècle. L'un des principaux
représentants, Erving Goffman, dans Stigmate20 par exemple, a utilisé des témoignages
d'existences individuelles pour servir une compréhension plus globale de phénomènes de
société.
La Sociologie Clinique est un autre courant porteur de cette approche, dont Vincent de
Gaulégac fait partie des principaux initiateurs. Dans une visée de recherche, elle s'intéresse à
l'enseignement sociétal qu'apportent les histoires individuelles et à l'étude de l'impact de la
société sur l'individu, avec l'idée principale que l'individu et la société ne se construisent pas
indépendamment.
Au milieu des années 1970, des séminaires de travail, centrés sur les récits de vie, sont
organisés dans le cadre de la formation. Ils visent la réflexion, le développement personnel
des participants et permettent d'élaborer un travail théorique en inscrivant les histoires
singulières dans un contexte sociologique.21
En Sciences de l'Education, l'histoire de vie apparaît dans les années 1970 comme une
17 LE BARS C., Op. Cit., p. 13. 18 LE BARS C., Op. Cit., pages 13 et 14. 19 Site Internet Decitre : www.decitre.fr., Soleil hopi / résumé, page consultée le 25 février 2009. 20 GOFFMAN E., Stigmate, les usages sociaux des handicaps, Les éditions de minuit, coll. Le sens commun,
Paris, 1996, 175 pages. 21 Site Internet : www.asihvif.com, Op. Cit., 2. Le second courant, page consultée le 25 février 2009.
25
méthode privilégiée pour l'auto-formation : cet objectif sous-tend l'idée que la personne tire
un enseignement de sa propre expérience, en reconstituant son histoire, elle se forme elle
même.
Des professeurs en sciences de l'éducation ont d'ailleurs créé en 1990 l'Association
Internationale des Histoires de Vie en Formation (ASIHVIF) qui contribue à poser un cadre
théorique et déontologique à la méthode par une charte (reportée en annexe 6). Celle-ci vise à
faire reconnaître les apports éducatif et théorique de cette méthode par des actions de
formation et de recherche. L'histoire de vie est « une démarche qui met au centre le sujet
narrateur, en tant que celui-ci définit son objet de quête et développe un projet de
compréhension de soi par soi et par la médiation d'autrui ».22 C'est tout l'intérêt de la
démarche au sein d'un accompagnement social individuel ou collectif : avoir en face de soi
une ou plusieurs personnes extérieures. L'autre permet ce mouvement de dépossession d'abord
de sa propre histoire (par une prise de recul que nécessite le récit et l'échange) et de
réappropriation ensuite, une fois le récit construit, enrichi de son sens.
L'ASIHVIF définit ici l'histoire de vie comme pratique appropriée à l'intervention sociale, qui
apporte un enrichissement à la personne ou à un groupe, par une meilleure connaissance de
soi et des autres et dans une perspective d'émancipation de la personne.
Cette conception des histoires de vie renvoie directement au travail social, à ses finalités
(aider à l'autonomie des personnes, permettre de se reconstruire, d'avoir un projet de vie etc...)
et la méthode respecte des principes déontologiques qui sont au fondement du travail social
(notamment le principe d'adhésion de la personne qui se situe au centre de l'accompagnement
et actrice de son projet). Se pose désormais la question de la place et de l'utilisation des
histoires de vie en service social.
II.2. Son usage en service social
Le Service Social est paradoxalement une des disciplines (avec la psychologie) qui
utilise le moins les histoires de vie. L'approche en tant que telle n'y est pas véritablement
instituée.23 Pourtant, le recueil d'éléments constitutifs de l'histoire de vie des personnes se fait
depuis toujours dans le travail social. L'histoire de vie y est omniprésente même si elle n'a pas
22 Charte de l'Association Internationale des Histoires de Vie en Formation, 2. L'objet de l'association, juin
2002. 23 LE BARS C., Op. Cit., p. 15.
26
encore une place bien définie. Elle fait l'objet de publications d'ouvrages, d'articles, de travaux
de recherches dans le cadre de Mémoires d'étudiants, de conférences, de séminaires de
formation, qui sont autant d'apports théoriques exploités au cours de mon approche
documentaire. Les écrits et vidéos de témoignages de parcours de vie sont très utilisés auprès
des étudiants comme support d'enseignement... Enfin, l'approche peut être employée comme
méthode d'auto-formation de l'étudiant, futur travailleur social qui doit apprendre à « prendre
d'abord soin de sa propre personne et à intégrer cette attitude de questionnement sur lui-
même [nécessaire à l'exercice du métier. L'intérêt est aussi de chercher à] rassembler, à établir
du lien entre les différents sous-systèmes qui interviennent dans la construction de son
identité professionnelle ».24 Permettre à l'étudiant de se questionner et de faire un retour sur
lui, lui donne accès à un regard global sur le parcours qu'il a effectué au long de sa formation.
Il peut se situer dans une évolution personnelle et professionnelle qui se recoupent, c'est à
partir de ce questionnement sur lui-même que se construit son positionnement professionnel.
La capacité à se remettre en question permet aussi de questionner sa pratique, d'évaluer les
actes qu'il pose et posera en tant que professionnel.
La méthode est interrogée comme pratique et suscite l'intérêt de professionnels qui
peuvent l'utiliser auprès d'une personne ou d'un groupe (tels qu'ils sont présentés ci-dessous).
II.2.1. Les divers emplois de la méthode
Lors d'une journée d'étude sur l'approche des histoires de vie, organisée par l'Institut
Régional du Travail Social d'Hérouville Saint-Clair, un des intervenants, sociologue clinicien
et assistant social de formation, aujourd'hui directeur de l'Ecole Normale Sociale de l'Ouest
(ENSO), a exprimé son intérêt pour l'approche biographique dans divers domaines
d'intervention sociale, dans l'accompagnement vers l'emploi et auprès de la population
carcérale notamment. En prison, son travail d'accompagnement s'effectuait auprès de
personnes qui sont généralement dans la dévalorisation d'elles-mêmes et qui ne se sentent plus
actrices dans la société. La démarche biographique était ainsi centrée sur l'image de soi à
l'aide de l'éclairage du parcours de vie individuel pour sortir de la fatalité d'une situation,
mieux la comprendre, l'accepter et envisager une réinsertion à la sortie.25
24 Congrès 2007 NAMUR, Belgique, « Quelles formations aux métiers du social pour quel travail social ? »,
éditeur responsable : Damien Quittre, NAMUR, 188 pages, p. 63. 25 Gratton E., Journée d'étude « Histoire de vie : raconter son histoire pour vivre », Institut Régional du Travail
Social, Hérouville Saint-Clair, le 5 mars 2009.
27
Deux autres intervenantes, une assistante sociale à la SNCF et une biographe ont mené
conjointement une action sur l'histoire de vie de cheminots. Ces derniers, accomplissant des
travaux de chemin de fer, sont amenés à vivre plusieurs semaines éloignés de leur famille,
dans des Bases de vie (bâtiments d'hébergement collectif temporaire). Au moyen de
rencontres, de longs moments passés à les interviewer, avec dictaphones, elles ont ensemble
retranscrit leurs paroles, leurs histoires et conditions de vie dans un livret de recueil de
témoignages. Elles sont allées les voir à plusieurs reprises, durant plusieurs semaines, dans
ces Bases de vie où elles ont pu partager un peu de leur quotidien. Elles ont ainsi manifesté
auprès d'eux l'intérêt que représentent leur expérience commune et leurs témoignages. Ce
recueil, Ma vie en chantier, retrace le parcours de chacun, il est illustré de photos et des
propos des cheminots, d'interview auprès de responsables de Bases de vie. Il se veut être une
marque d'intérêt, de reconnaissance et de soutien, il est une trace écrite de l'histoire de leur
vécu ensemble et de leur parole, pour ne pas tomber dans l'oubli, c'est aussi un support
esthétique, travaillé dans sa mise en forme, comme une marque de respect et qui se veut
valorisant.26
L'approche biographique est utilisée dans diverses situations et dans des domaines
d'interventions très variés :
Par exemple, cette démarche est employée par une biographe à l'hôpital auprès de personnes
en soins palliatifs.27 Ses services au sein de l'hôpital sont demandés afin de constituer des
recueils de témoignages de patients en fin de vie et qui sont désireux de raconter leur histoire,
de la faire retranscrire sous la forme d'un livre destiné aux proches. Lorsque celui-ci est
achevé, il est remis entre les mains de la famille (au mari, à la mère, à l'enfant...). Ce recueil
est souvent donné après le décès du patient, parfois avant même d'être tout à fait fini. La
biographe passe de long moments auprès de chacun des patients et au cours de nombreux
entretiens, elle retranscrit leur propos, le témoignage de ce qui a compté pour eux et qu'ils
souhaitent transmettre.
Pour le patient, faire sa biographie est une aventure personnelle et un moyen de laisser une
trace de son existence, de transmettre à la famille et à la descendance sa vérité sur son histoire
personnelle, familiale, son parcours et ses épreuves. Une patiente exprime cette idée, en
parlant de ses petits enfants : « Ils auront non pas une image, ni des racontars de voisins, ils
26 Bernès M., assistante de Service Social et Papon-Jousset M., biographe, Journée d'étude « Histoire de vie :
raconter son histoire pour vivre », Institut Régional du Travail Social, Hérouville Saint-Clair, le 5 mars 2009. 27 « Humaniser la fin de vie », in Le magazine de la santé, Emission du 30 janvier 2009, France 5.
28
auront ma vie (...). Pour moi, il était important de laisser ma vérité ».28 Témoigner de sa vie
est aussi source d'apaisement pour le patient, qui prend ainsi le temps de donner du sens à son
histoire, en reconstituant les moments qui ont compté. C'est un soutien et un moyen de l'aider
à mieux accepter sa fin de vie et, en quelque sorte, à poser lui-même la fin de son histoire.
Pour lui, c'est aussi une forme de reconnaissance, une valeur rendue à son existence, une trace
écrite de son parcours de vie, pour ne pas tomber dans l'oubli. Il prépare aussi le deuil de sa
famille qui disposera de ce recueil, signifiant la fin d'une vie tout en permettant son souvenir.
Dans cet exemple, la démarche est tout à fait transposable et me semble appropriée à un
accompagnement effectué par une assistante de service social, dans ses missions de soutien,
pour l'aide à l'expression de ses sentiments et souvenirs mais aussi pour le lien fait avec la
famille et le soutien au travail de deuil.
Dans un tout autre champ d'intervention, un éducateur spécialisé a souhaité porter son
regard sur les changements, voire la violence pour l'enfant et sa famille, engendrés par
l'admission de l'enfant dans un Institut Médico-pédagogique (IMP).29 Ce professionnel a
souhaité donner la possibilité à deux enfants et leurs parents de s'exprimer autour des effets de
l'admission et de la rupture qu'ils ont vécus. Leurs témoignages ont permis à cet éducateur
d'en mesurer les enjeux pour eux, dépassant largement l'idée qu'il s'en faisait au départ. Se
sont révélés au travers du récit de chacun tout ce qui relève du système éducatif (les exigences
scolaires de l'éducation nationale, la réglementation des Commissions Départementales de
l'Education Spéciale, CDES, le projet thérapeutique...) venant déterminer, indépendamment
de tout choix réel, personnel et familial, l'orientation des enfants. Cette démarche qui se
voulait être une étude sociale visant à repenser et redonner sens au rôle des professionnels de
l'Institut a été bien au-delà de cet objectif :
Elle a permis de comprendre la famille du point de vue de chacun de ses membres, en entrant
à l'intérieur de leur histoire et du contexte familial : les attentes et le passé familial derrière les
projets pour les enfants, la déchirure insupportable que représentait pour la mère cette
séparation d'avec ses enfants. Cette femme, qui n'a pas reçu d'amour de sa propre mère, voit
se répéter une forme d'abandon, et les choix éducatifs qui lui sont imposés pour ses enfants
viennent contrarier ses valeurs, engendrant contrainte et souffrance ainsi qu'un profond
sentiment d'échec dans son rôle maternel. 28 Ibid. 29 « L'enfant enrôlé et ses manoeuvres, Récits croisés de vies institutionnelles », in Le groupe familial n°126,
éd. FNEPE, Paris, 130 pages, pages 70 à 75.
29
Il est ressorti aussi de ces entretiens avec les parents et leurs deux enfants, admis en IMP, un
décalage entre le discours institutionnel sur la famille et les nouveaux éléments de
connaissance acquis par le récit de vie de chacun des membres. L'admission des enfants à
l'IMP était fondée sur la certitude que les parents étaient séparés, celle de l'absence du père et
celle d'une mère étant dans l'incapacité de s'en occuper seule. Il s'est avéré que le père était
présent et entretenait un rapport fort avec ses enfants, il était séparé de la mère mais dans une
relation de confiance réciproque, leur séparation a eu lieu dans un contexte bien particulier
mais a engendré un rapprochement entre eux, voire la reconstruction d'un avenir commun. De
même, le comportement d'un des enfants, perçu comme fermé, avait donné lieu à une
proposition d'équipe d'effectuer des séances de thérapie pour qu'il s'ouvre davantage. Or,
l'enfant a pu, dans cette démarche, expliquer notamment les raisons de son attitude, (contrarié
d'aller chez les « anormaux »30, vie en groupe mal vécue...). Après avoir entendu l'enfant
s'exprimer sur son parcours, sur sa perception de son admission etc..., l'équipe était beaucoup
moins certaine de son caractère réservé et l'image générale qu'elle avait de lui s'est trouvée
atténuée, voire inadéquate, l'ancienne étant le fruit d'une incompréhension des motivations et
ressentis qui ont pu enfin être exprimés par l'enfant. Cette image s'est modifiée jusqu'à faire
émettre des réserves sur l'éventuelle maladie mentale de cet enfant, qui était en fait incompris.
L'aspect coléreux et têtu est devenu forte personnalité, l'opposition à certains adultes a pu être
explicitée.
L'approche biographique de la famille, au départ orientée vers une meilleure compréhension
du vécu de l'admission, s'est avérée essentielle pour engager une réflexion sur la force des
préjugés institutionnels qui peuvent rendre un placement inadapté à la singularité d'un enfant
et d'une famille.
Elle a révélé l'importance de croiser discours familial et discours institutionnel.
Dans une autre structure encore, l'utilisation des récits de vie a fait l'objet de la
demande du directeur d'un centre de post-cure pour toxicomanes (alcool, médicaments,
drogues).31 Après une première phase de sevrage (à peu près de huit semaines) et pour ceux
qui le souhaitaient, des séances en groupes (chacun étant composé de huit résidents et de deux
travailleurs sociaux) ont été organisées, deux heures par semaine selon un horaire et un lieu
fixes. Travailler le rapport de la personne à sa propre histoire et aux changements qui ont pu
30 Ibid, p. 74. 31 Ibid, «Intervention sociale et sociologie clinique », pages 104 à 108.
30
s'effectuer au cours du séjour en-post cure a été pensé comme une nouvelle forme
d'accompagnement, dans une stratégie de réintégration sociale. L'objectif était de mettre en
évidence « les mécanismes sociaux qui ont favorisé le passage d'une consommation sociale
(ou culturelle) de produits psychotropes à une consommation étiquetée socialement comme
pathologique ».32 En outre, pour ces personnes, c'était un premier travail de mise à distance de
leur vécu, la possibilité d'une prise de conscience et de mieux comprendre l'évolution de leur
parcours, les raisons de leur situation, de se sentir ainsi davantage maîtres de ce qui arrive et
de ce qu'il veulent faire de leur vie.
Les emplois de la méthode ne manquent pas, il sont multiples et constituent des
intérêts et des bénéfices pour les usagers qui sont propres à chacun d'eux : cette même
approche sert des objectifs qui peuvent être très différents (revalorisation de l'image de soi,
insertion sociale, reconnaissance d'un travail, soutien à la fin de vie, considération des
personnes par le croisement des récits de vie et des discours institutionnels...) car elle a
l'avantage d'être une approche personnalisée, elle « colle » à l'histoire de chacun. C'est aussi
ce que cette méthode apporte en propre au service social.
II.2.2. Son cadre méthodologique d'intervention
La démarche globale de l'approche biographique peut se résumer ainsi : « Un locuteur
(l'usager) énonce un certain nombre de faits, d'événements le concernant. Il essaie de les
articuler le plus significativement possible pour lui et pour son ou ses interlocuteurs. Il
produit un énoncé. Aussi clair que soit cet énoncé, il ne sera jamais transparent : la vie ne
pourra jamais se traduire complètement en mots ».33 Il reste toujours des non-dits. Un
certains nombre de filtres (personnels, sociaux, physiques...) obscurcissent le récit. « L'énoncé
pose donc au(x) locuteur(s) et interlocuteur(s) un certain nombre de questions qui appellent
une seconde opération : un travail sur l'énoncé, un travail d'analyse et d'interprétation ».34
Le travail du locuteur, qui est immergé dans sa vie, consiste à s'en dégager pour accéder à une
vision plus englobante. L'interlocuteur, étranger à cette vie, doit, lui, s'en rapprocher pour
accéder à une compréhension. Alors que le locuteur va utiliser un langage courant,
l'interlocuteur (ici l'assistant de service social) se sert d'un langage plus formel, d'élaboration,
pour décoder celui de l'autre : c'est le travail de co-construction de sens. 32 Ibid p. 106. 33 PINEAU G. et LE GRAND J-L., Les histoires de vie, Que sais-je ? éd. P.U.F, Paris, 1993, 126 pages, p. 95. 34 Ibid, p. 95.
31
Ce schéma général s'applique à la démarche biographique qu'elle soit individualisée ou
collective, indifféremment. Il est unique pour les deux types d'intervention.
Dans une démarche collective, nous avons vu les étapes principales et le cadre
déontologique des groupes de travail sur les histoires de vie :
- La session commence par un contrat qui instaure un climat sécurisant pour la personne qui
se raconte (non divulgation des récits de chacun et de ce qui se dit dans le groupe, écoute
bienveillante de tous les membres... avec un intervenant qui pose le cadre, se fait garant du
temps imparti),
- un thème est défini, par exemple celui du parcours de formation (voyages, études, lectures,
diverses expériences de vie, stages...) avec un premier temps de repli sur soi (travail de
distanciation des locuteurs vu au paragraphe précédent) en le mettant sur papier,
- chacun présente son parcours tour à tour par le récit oral,
- vient l'éclairage du récit de chacun par le groupe qui a fait un travail de transcription écrite
pendant le récit.
Le travail en groupe a l'avantage de permettre que le récit de l'un fasse écho à celui de l'autre,
il facilite ainsi des prises de conscience et pour chacun, une compréhension nouvelle de son
parcours. L'expérience de l'autre peut renvoyer à une expérience personnelle, l'enrichir d'un
nouveau regard, l'écoute de l'autre renvoie à soi, c'est une autre écoute de soi.
L'intérêt d'un écho de groupe ne signifie pas que dans un accompagnement individualisé, la
démarche perdrait de son intérêt. Cet écho constitue la spécificité d'un travail de groupe et
c'est ce qui le distingue d'une démarche individuelle. Les deux modes d'intervention,
individuel et collectif, représentent la richesse du travail social et l'ouverture à une diversité
dans sa pratique. Ils ne sont jamais opposés mais toujours pensés dans leur complémentarité.
II.2.3. Ses étapes dans l'intervention sociale individualisée
Dans l'Intervention Sociale d'Aide à la Personne, l'approche biographique peut être
plus appropriée dans la situation d'une personne réticente à l'idée d'exposer son parcours au
sein d'un groupe. Une relation de confiance peut être ainsi plus facile à installer pour la
personne. Un des numéros du groupe familial, consacré à l'histoire de vie, définit les étapes de
l'emploi individualisé de la méthode35 :
- Un entretien préliminaire présentant l'intérêt d'une démarche d'exploration d'un itinéraire à
partir d'une problématique (problèmes relationnels, professionnels, conflit familial... La
35 Le groupe familial n°126, Op. Cit., « Histoire de vie, recherches, formations, pratiques », pages 38 à 46.
32
demande peut être liée à des freins personnels, des épreuves vécues d'une personne SDF par
exemple, qu'elle veut réussir à comprendre et à dépasser, pour sa socialisation, son
développement...),
- Un préambule débouchant sur un contrat, phase préparatoire essentielle à l'implication de la
personne dans la démarche biographique. Elle en établit les bases, le cadre relationnel
spécifique d'assistant(e) social(e) à usager. L'entretien préliminaire et le préambule (qui
posent les grandes lignes du contrat) donnent le temps à la personne de peser les enjeux et
éventuels risques pour elle avant l'entrée dans la démarche (que symbolise le contrat). C'est
lors de ces premières étapes qu'elle effectue une élaboration : « un projet de parole
s'ébauche ».36 Le contrat indique les lieux et temps de rencontres, les moyens utilisés pour le
recueil d'informations (comme le dictaphone), les engagements mutuels dans une réflexion
commune sur la trame de chaque entretien à venir, dans le travail commun de transcription et
d'analyse. Le contrat engage l'usager acceptant et s'impliquant dans cette démarche et le
travailleur social qui assure la confidentialité des entretiens.
- La mise en oeuvre, à partir de la formulation précise de la demande fondatrice de la
personne. Le travailleur social aide la personne à relater son parcours de vie, au moyen de
différents supports et techniques de communication. Il assure le maintien du cadre des
entretiens de sorte qu'ils soient balisés, pour ne pas dévier du thème travaillé. Le fil directeur
de la démarche et des entretiens, que le professionnel garantit, conditionne l'intérêt et
l'efficacité de la démarche, il permet à la personne de trouver du sens à son histoire, d'établir
des liens dans la construction de son récit.
A la fin des entretiens, ils reprennent ensemble les grandes lignes du récit à mettre en forme.
- La transcription : après l'entretien, quand la mémoire des mots, des attitudes, de l'ambiance
est encore fraîche, le travailleur social relit en écoutant l'enregistrement pour préciser des
propos, repérer les moments d'incertitudes, de silences, des hésitations dans le récit, des mots
importants qui n'avaient pas été entendus et qui ressortent lors de l'écoute de
l'enregistrement...
A chaque début d'entretien, une lecture du contenu de l'entretien précédent (la transcription)
est faite par le travailleur social afin de compléter et de préciser avec la personne certains
éléments d'informations et permet à la personne de reprendre le fil de son récit plus
facilement.
- L'analyse du contenu : la lecture de la transcription écrite au fil des entretiens fait surgir des
36 Ibid, p. 38.
33
évènements, des idées, des centres d'intérêt. En reprenant cet écrit à chaque rencontre avec la
personne, une mise en forme finale commune est effectuée, organisée en fonction d'idées
directrices qui se dégagent. Chaque idée directrice permet de produire un énoncé-clé
synthétique, celui-ci étant une première tentative de compréhension, une prise de recul. Il se
dégage un sens construit par l'histoire relatée, la personne peut établir des liens entre certains
événements, une continuité et une cohérence entre eux, qu'elle n'aurait pas saisis sans ce
support.
Les entretiens prennent fin lorsque la personne a le sentiment d'avoir achevé son récit, d'avoir
fait le tour de la question fondatrice et quand les deux interlocuteurs sentent qu'au-delà, ils
aboutiraient à « une saturation de l'information par répétitivité »37.
Un exemplaire de l'écrit est donné à la personne. Cela lui permet d'y revenir, de conserver une
trace. La personne dispose d'un « document vivant »38 relatant un aspect de son histoire de vie,
témoin d'une partie de son vécu, fruit d'un travail effectué sur elle et de sa recherche.
II.2.4. Ses outils et techniques de communication
Le professionnel, nous l'avons vu, peut proposer divers outils, supports de travail dans
l'approche biographique, afin de permettre l'émergence de souvenirs, aider à la mise en forme
du récit. Quelle que soit la stratégie employée pour libérer la parole, pour organiser le récit et
l'analyse à deux ou en groupe, il faut un rapport interlocutoire entre l'aidant et l'aidé (un
rapport narrateur/ narrataire).39
Le professionnel contrôle le questionnement, le recadre par plusieurs moyens : en
relançant l'échange, en amenant la personne à préciser certaines pensées par la reformulation
(qui consiste à redire en d'autres termes le contenu des propos de l'usager) ou encore, par la
technique du miroir (qui consiste à renvoyer à la personne ce qu'elle vient d'exprimer, à
traduire en paroles les émotions qu'elle renvoie, ses attitudes, telle expression ou tel geste).
Par la rationalisation, il peut proposer des explications logiques lorsque la personne se trouve
dans une impasse dans ses tentatives de compréhension, il relance la réflexion, aide à élargir
les perspectives de la personne.40
Ces techniques de communication, non spécifiques à l'histoire de vie et utilisées dans toute
approche sociale, permettent de ne pas tomber dans des interprétations hâtives des propos de 37 Ibid, p. 44. 38 Ibid, p. 45. 39 CHAPUT C., Op. Cit., Cours du 21 janvier 2009. 40 Les habiletés de communication, support pédagogique de terrain de stage, Centre Jeunesse, Québec, année
scolaire 2007/2008, 10 pages.
34
la personne : en les questionnant et en permettant à la personne de les questionner elle-même,
elles encouragent la personne à élaborer sa réflexion. Elles sont un moyen, pour le
professionnel, de vérifier qu'il a bien compris ce que la personne exprime mais aussi, pour la
personne, de se sentir comprise. Elles permettent de clarifier les messages confus ou vagues.
Elles aident la personne à se mettre à distance d'elle-même pour mieux identifier ses
émotions, ses pensées.
Enfin, un contrôle est effectué dans le choix que fait le professionnel de ne pas
approfondir certains propos, soit parce que la personne ne semble pas encore prête soit parce
que ces propos ou questions arrivent par association d'idées et éloignent du thème abordé. Il
est essentiel de maintenir le fil conducteur de la démarche et de chaque entretien.
II.3. Les bénéfices de cette approche pour les usagers du service social
Accéder à un sens tient de la confrontation avec l'autre, que ce bénéfice soit apporté
par une relation duelle (comme dans l'accompagnement social d'aide à la personne) ou par le
moyen d'une recherche en groupe, c'est la confrontation qui enrichit le récit de sens.
Ce qui compte n'est pas de savoir si la réalité vécue est faussée, déformée par le récit
en souvenir mais de lui donner une signification, ce qui importe dans cette démarche est ce
que son histoire représente pour la personne, dans le présent de sa situation.41
L'usage des histoires de vie en Service Social permet à la personne de dire, tendre vers
son émancipation, son développement et son épanouissement personnel, par l'établissement de
lien entre les événements relatés par elle, par une co-implication et une co-construction avec
le travailleur social ou en groupe. L'intérêt de la méthode est de permettre d'accéder à « une
mise en forme de soi dans un projet d'action sociale ».42
La personne qui fait le récit de sa vie, dans une attitude et par une prise de conscience
« réflexive et critique [se situe] comme acteur social dans un projet plus lucide et plus
pertinent ».43 L'implication de l'usager dans une démarche biographique peut le faire accéder
à une prise de conscience de certaines causes de ses difficultés, de son mode de
fonctionnement qui peut ainsi le motiver à effectuer des changements, le guider vers des
41 LE BARS C., Op. Cit., p. 49. 42 Charte de l'Association Internationale des Histoires de Vie en Formation, Op. Cit., 2.3. 43 Charte de l'Association Internationale des Histoires de Vie en Formation, Op. Cit., 2.2.
35
projets plus réfléchis, précisés...
Prendre conscience n'est pas résoudre un problème, une difficulté ; éprouver le désir
de solutionner et agir en ce sens reviennent à l'usager et relèvent de sa responsabilité mais il
peut bénéficier de l'accompagnement et du soutien du professionnel dans ses efforts et son
travail de reconstruction. La démarche biographique elle-même peut renforcer le désir de s'en
sortir, elle met en avant les freins et les difficultés mais aussi les capacités et les acquis,
l'implication du professionnel dans le travail de co-construction du récit vise aussi à redonner
courage à la personne, à la valoriser en même temps qu'à la responsabiliser.
Stéphane Guillot dans son mémoire de fin d'étude en service social a effectué une
recherche sur les histoires de vie qui était axée sur des situations de non-changement. Ce qu'il
désigne par là, ce sont les situations de répétitions de difficultés, d'échecs, de reproduction
transgénérationelle de systèmes de fonctionnement : problèmes persistants avec l'alcool,
situations de chômage continuel, répétitions de placements, de difficultés familiales ou
relationnelles, d'échecs scolaires et d'absentéisme qui peuvent être liés par exemple au rapport
qu'entretiennent les parents eux-mêmes avec l'école, à leur vision négative du système
scolaire liée à leur propre vécu de la scolarité qui a pu être perturbante et que ces derniers
transmettent, volontairement ou non, à leur enfant... Il s'agit de personnes accompagnées sur
le long terme mais dont la situation ne connaît pas de changements significatifs, (que ce soit
en service social de secteur, dans le milieu scolaire, en entreprise...). 44 Tout assistant de
service social en poste depuis plusieurs années dans un même service suit certaines personnes
depuis longtemps, dont les difficultés n'ont pas eu de véritables issues jusqu'alors ou qui n'ont
pas connu d'évolution significative de leur situation.
Il est intéressant ici d'envisager l'approche d'histoire de vie dans le but de permettre à
la personne de prendre conscience d'un fonctionnement, de mimétismes, de phénomènes de
reproduction en effectuant un retour sur son histoire, en repérant des constantes dans l'histoire
familiale par exemple. L'approche a pour but de faire accéder à une prise de conscience, de
provoquer un déclic. Au sein d'un accompagnement sur le long terme et dans une relation de
confiance déjà installée avec l'assistant de service social, cette approche peut permettre une
évolution du regard de la personne sur sa situation, en l'amenant à mieux se connaître elle-
même, à identifier les contraintes qu'elle connaît mais aussi ses capacités. L'intérêt pour
44 GUILLOT S. « A la recherche de l'histoire perdue, la démarche de l'histoire de vie en service social »,
Mémoire de fin d'études, Diplôme d'Etat d'Assistant de Service Social, 1991, 50 pages, pages 32 et 33.
36
l'usager est de pouvoir reconnaître certains déterminismes et par là-même de cerner son
pouvoir d'action, il ne s'agit pas de changer son histoire mais de faire évoluer son rapport à
elle.
La construction d’un récit est un moyen de structurer sa vie, elle vise à atteindre une
meilleure compréhension dans une mise à distance de sa propre histoire. Outre la prise de
conscience des déterminismes qui agissent en nous, de la reproduction etc… produire son
histoire de vie est un acte de création et de transformation.45 La construction d'une histoire de
vie ou d'une parcelle de vie met en évidence des reproductions ignorées jusqu'alors, qui
n'avaient pas été pensées avant par l'usager. Elle permet ainsi de comprendre ce qui se joue
dans son rapport à sa propre histoire en lien avec sa situation présente et de se reconnaître
dans sa singularité, dans son identité.
II.4. Les limites et questions soulevées par cette méthode
La démarche des histoires de vie peut susciter des craintes. L'aspect inachevé ou plutôt
ouvert de sa définition, les différents domaines d'intervention qu'elle intègre laissent un flou
autour d'elle ; on peut ainsi pointer ses limites et elle suscite des questionnements sur sa
légitimité en service social et le cadre de son utilisation.
II.4.1. Les Limites à l'utilisation de cette démarche et les risques perçus
L'approche biographique comporte des limites contextuelles : la démarche comprend
des exigences qui peuvent se confronter à des freins institutionnels (manque de temps). Ses
limites sont aussi liées à l'usager, à son désir d'être acteur dans une telle démarche et au
travailleur social, à son propre rapport à la démarche, à la connaissance de ses limites.46
Cette méthode dans le cadre d'un accompagnement social peut ne pas convenir et être
contre-indiquée : quand des difficultés émotionnelles chez la personne dépassent le champ de
compétence de l'assistante sociale, qui relèveraient davantage de celui du psychologue ou
encore si elle engendre chez la personne une dépréciation d'elle-même47. L'histoire de vie est
un domaine de recherche délicat, fragile, qui peut rendre la personne vulnérable. Le risque de
la démarche est d'engendrer des effets contraires à ceux recherchés. C'est pourquoi il relève de
45 LE BARS C., Op. Cit., p. 49. 46 GUILLOT S., Op. Cit., p. 36. 47 CHAPUT C., Op. Cit., Cours du 21 janvier 2009.
37
la compétence du professionnel d'assurer une certaine maîtrise de ce qui est dit, en respectant
le rythme du narrateur, sans forcer la parole.
La crainte éventuelle de professionnels d'être intrusifs par l'emploi de l'approche
biographique, rappelle surtout l'importance de laisser la personne faire le choix de cette
démarche. A partir du moment où celle-ci est engagée par l'usager, il assume et porte aussi la
responsabilité de ce choix, il choisit d'exposer une partie de son histoire et il est l'auteur de
son récit. Il revient au professionnel de ne pas pousser certains questionnements faisant l'objet
de réticences ou de malaise. Ce risque est présent d'ailleurs dans toute autre approche sociale,
dès que l'on questionne la personne.
II.4.2. Les questions déontologiques
La pratique des histoires de vie a une légitimité dans l'accompagnement social
individualisé au regard de ses principes : délimitation d'un cadre professionnel par une charte
d'intervention qui est explicite et qui est un préalable à tout engagement de l'usager,
engagement et implication de la personne, assurance de la confidentialité des entretiens et des
finalités attendues (autonomie, développement de la personne, estime de soi, etc...).
Un des enjeux déontologique majeur est celui de la directivité que peut exercer le
professionnel ; laisser la personne prendre le contrôle de son récit est essentiel, c'est la
première règle éthique à respecter et la première condition à l'autonomie de la personne. Le
respect de cette règle est établi dans un contrat qui borne le rôle de chacun et attribue au
narrateur et au narrataire leurs place et rôle respectifs (la personne reste l'auteur du récit, le
professionnel est un facilitateur et a le devoir de cadrer, délimiter les entretiens en fonction du
thème abordé). La directivité existe nécessairement puisqu'il y a échange et c'est l'intérêt des
histoires de vie ; pouvoir construire à deux permet d'avancer là où, seul, on se situe dans
l'impasse. Le professionnel alterne entre des moments où il se met en retrait et des moments
d'implication, qui préservent d'une trop grande influence de sa part dans la construction du
récit.48
De même, l'analyse est un travail d'abord attribué au narrateur, c'est là tout l'intérêt de
la démarche, le professionnel accompagne, propose, aide à l'expression, à l'ajustement des
propos, réfléchit avec... mais n'impose aucune interprétation du récit.
48 LE BARS C., Op. Cit, pages 42 à 46.
38
II.4.3. La frontière avec la thérapie
Le travail social se nourrit d’approches pluridisciplinaires, élargit son regard en
élaborant des outils de lecture, des techniques de communication et des méthodes
d’intervention.
L’histoire de vie est une méthode d’intervention où l’apport de la psychologie est
indéniable, tout comme le laisse entendre l’approche psychosociale ou encore l’analyse
systémique (l'analyse des relations intra-familiales, de la place et du rôle de chacun laisse
aussi entrevoir la présence de la dimension psychologique).
Ce n’est pas pour autant que les champs du social et du psychique se confondent, l’objectif
social n’étant pas un objectif de soin ni lié à une étude de la psyché humaine. La démarche en
service social consiste en un travail de co-construction et de recherche de sens avec la
personne. Les propositions et hypothèses de compréhension que soumet le travailleur social à
la personne ne sont pas de même nature qu'en thérapie et font partie de son rôle de guider,
d'ouvrir des perspectives et le champ de la réflexion. De plus, le risque en terme de
répercussions psychologiques (émergence de souvenirs douloureux mal gérés par la
personne...) est présent dans toute autre approche (systémique par exemple).
La recherche de l’épanouissement social peut avoir des effets thérapeutiques, c'est-à-
dire participer à un mieux-être psychique sans que cela soit pour autant l’objectif de la
démarche en service social, parce que la personne est un tout, parce que les difficultés sociales
ne sont pas sans rapport avec un état psychique, ni même d’ailleurs sans déterminations
sociologiques. L’histoire de vie « explore en quoi l’histoire individuelle est socialement
déterminée, l’histoire personnelle étant le produit de facteurs psychologiques, sociaux,
idéologiques, culturels».49 L’intérêt de cette approche pluridisciplinaire est de ne pas réduire
l’individu à sa psyché ou aux déterminismes sociologiques qui agissent en lui ou encore aux
seules contraintes sociales subies. Ces différentes dimensions interagissent. Une approche
pluridisciplinaire permet de comprendre l’individu « à la fois comme le produit de son
environnement et comme sujet agissant ».50
Loin de s'agir d'une démarche thérapeutique, la méthode des histoires de vie appartient
avant tout aux disciplines dont l'objet de recherche est l'humain et la réalité humaine des
phénomènes sociaux dans les dimensions historiques, sociologiques, psychologiques, en tant
que l'humain subit et révèle des déterminismes sociaux, culturels, éducatifs, familiaux... La
49 LE BARS C., Op. Cit, p. 18. 50 LE BARS C., Op. Cit, p. 20.
39
démarche a un effet de mieux-être sur la personne, que l'on peut dire à certains égards
thérapeutique, mais ce sont avant tout des objectifs d'épanouissement personnel et de
réalisation sociale de la personne qui sont recherchés dans un accompagnement social.
40
Bilan intermédiaire
A la suite de ma question de départ, que je rappelle : En quoi l’approche des histoires
de vie, encore méconnue, peut-elle apporter une contribution pertinente à l’intervention
sociale ? au même titre que l’approche systémique, par exemple, le premier groupe de
professionnel, représenté par Monsieur R et Madame S, confirmait l'intérêt et la pertinence de
la démarche auprès de certaines personnes en accompagnement social individuel (auprès
d'élèves ou de personnes SDF) et collectif (travaux d'écriture à la Boussole). Les entretiens
exploratoires ont confirmé que la méthode est peu reconnue en service social et m'ont amenée
à questionner l'idée qu'elle puisse être plus appropriée à l'intervention collective qu'à
l'accompagnement social individualisé (associée à un projet d'insertion professionnelle ou de
formation et mise en place par un formateur selon Madame M). Ce qui m'a amenée à me
poser la question suivante : En quoi la méthode des histoires de vie peut-elle être pertinente au
sein de l'accompagnement social individuel (et non pas seulement dans l'intervention
collective), indépendamment de l'intention de servir un projet concret ?
Les différents écrits au sujet de cette approche ont réaffirmé le fait que l'approche
biographique n'est pas encore instituée dans le travail social, qu'il soit individuel ou collectif.
Son usage est pour l'heure le seul fait de choix de professionnels qui se forment, utilisent la
méthode ou certains de ses outils.
Nous avons vu que les approches individuelle et collective sont complémentaires. Pour
certaines problématiques (telles que conflit familial, problèmes personnels...), une démarche
individuelle semble plus adaptée et, en général, lorsque la personne ne souhaite pas exposer
sa situation devant un groupe. Celle-ci peut être plus en confiance dans une relation duelle.
Inversement, une démarche en groupe peut être plus appropriée auprès de personnes qui ont
un projet commun (professionnel, de formation par exemple).
Concernant la question de la pertinence de la démarche dans une intervention sociale
individualisée, l'ASIHVIF, ainsi que la plupart des ouvrages consultés mentionnent cette
adéquation avec le service social et lui apportent un cadre théorique (postulats et visées de la
méthode), illustré de diverses pratiques traversant de nombreux terrains professionnels (au
sein d'une prison, en entreprise, à l'hôpital, dans un IMP...), basées sur une charte
d'intervention et des exigences déontologiques claires (confidentialité des entretiens, personne
41
actrice et au centre de la démarche...). Mes lectures m'ont appris qu'elle dispose aussi d'un
cadre méthodologique bien défini, comprenant des étapes, disposant d'outils propres (grilles,
cartes,...). Un contrôle et une délimitation sont effectués par le professionnel (auquel il revient
de ne pas forcer la parole, d'être vigilant sur la direction des propos et de repérer certains
questionnements, à ne pas pousser davantage...), des supports et des techniques permettent de
baliser les entretiens et d'éviter de dévier d'un fil directeur. L'approche théorique a permis
d'appuyer les propos du premier groupe de professionnels soutenant l'intérêt et la pertinence
de la démarche en accompagnement social individualisé.
Ses perspectives sociales et les bénéfices pour les usagers, dans des situations très variées, ont
pu être mis en avant : viser une réinsertion, l'émancipation de la personne, sa reconstruction,
le dépassement de ses difficultés, l'élaboration d'un projet de vie, donner un sens à son histoire
pour l'accepter, l'assimiler et aller de l'avant, prendre du recul et aider à débloquer des
situations, quand les personnes se sentent enlisées dans des difficultés, mettre en valeur des
potentialités, prendre conscience de certains déterminismes, de phénomènes de reproductions
pour dégager ce qui relève de la responsabilité de la personne et lui réattribuer ainsi ses
capacités d'action sur sa situation, pouvoir transmettre à ses proches une part de soi par le
récit, accéder à une reconnaissance, permettre une meilleure compréhension des enjeux
personnels, familiaux dans une situation de placement par exemple et mieux évaluer les
situations, dans leur singularité... Structurer son parcours par le récit permet de faire évoluer
le rapport d'une personne à son histoire de vie, son regard et ses perspectives d'évolution.
L'emploi de la méthode est ainsi loin de se limiter à un seul travail collectif lié à un
projet d'insertion professionnelle, d'orientation ou de formation, qui en sont cependant des
objectifs possibles. Nous avons vu que l'approche biographique est une démarche
personnalisée, le terme même de biographie est explicite. Il semble aller de soi, et les apports
théoriques le confirment, que cette démarche a toute sa place dans l'intervention sociale
individualisée et peut répondre à des problématiques très différentes.
Partant de ces différents constats, et, pour garder à l'esprit la question initiale et la
démarche d'expertise de la méthode des histoires de vie dans le cadre du service social, nous
pouvons aboutir à cette question de recherche :
Si la méthode des histoires de vie peut s'appliquer à différents publics, aux différents
modes d'intervention, à différentes problématiques, quel est le dénominateur commun aux
utilisations variées que l'assistant(e) de service social peut-en faire ?
42
TROISIEME PARTIE : Enquête complémentaire aux
entretiens et aux lectures
L'exploration de terrain et la recherche documentaire, clôturés par un bilan
intermédiaire, ont donné lieu à une nouvelle question, engageant la possibilité d'effectuer, à
partir d'hypothèses, une enquête complémentaire. Celle-ci consisterait, après avoir déterminé
son champ, à consulter des professionnels choisis en fonction de cette nouvelle question et à
élaborer un outil d'enquête.
I. Mon hypothèse de compréhension liée à la nouvelle question
dégagée
Une hypothèse est une « explication plausible provisoirement admise et destinée à être
soumise au contrôle méthodique de l'expérience ».51 Mon hypothèse de compréhension vient
proposer une réponse à la nouvelle question posée, elle serait à vérifier dans le cadre d'une
enquête complémentaire, je la formule ainsi :
En prenant en compte ses multiples usages, l'approche biographique vise avant tout le
développement de la personne et, plus précisément, celui de son pouvoir d'agir sur sa vie et
son environnement.
II. La définition des concepts clés se dégageant de mon hypothèse
Le concept de développement de la personne me semble essentiel à définir pour
atteindre plus précisément l'apport spécifique de la méthode des histoires de vie : réattribuer à
la personne son pouvoir d'agir.
- Le développement :
Dans un dictionnaire classique, le développement renvoie à l'« action de déployer, de
51 Dictionnaire Encyclopédique Illustré, déf. Hypothèse, éd. Hachette, Paris, 1998, 2027 pages, p. 928.
43
donner toute son étendue à »52 : par exemple, en Mathématique ou en Français, on développe
une expression algébrique ou une idée... Dans un autre sens encore, le développement désigne
« l'ampleur, l'importance, l'extension que prend une chose qui évolue »53 : une entreprise en
plein développement par exemple est en plein « essor, expansion ».54
En économie, le développement suppose « d'abord la croissance économique (...).
Mais, plus généralement, on conçoit le développement comme une transformation sociale et
culturelle très globale : celle des sociétés traditionnelles vers des sociétés industrielles et
modernes ».55 La notion de développement durable renvoie à la conciliation de « la poursuite
de la croissance économique mondiale avec la préservation des ressources naturelles pour
les générations futures et la lutte contre les inégalités ».56
En psychologie, le développement se définit comme une « série d'étapes par
lesquelles passe l'être vivant pour atteindre son plein épanouissement ».57 Les étapes du
développement renvoient au passage d'un stade à un autre (de l'enfant vers l'âge adulte par
exemple), à une progression, à un processus de maturation de la personne.
- Le ''développement de la personne'' ou ''développement personnel'' :
« A l'origine de ce concept se trouve le Mouvement du potentiel humain, initié dans les
années 60 en Californie. [Celui-ci définit comme un besoin humain celui de]
l'épanouissement, la réalisation de soi ou le développement de son potentiel ».58
Par exemple, vouloir acquérir « une plus grande aisance, une plus grande connaissance de
soi, une vie intérieure plus riche, [vouloir] faire évoluer sa vie, professionnelle ou privée,
aspirer au changement (...) peut s'inscrire et trouver un appui dans le champ du
développement personnel ».59
Enfin, le concept de développement est inscrit dans le projet pédagogique de l'IRTS de
Basse-Normandie, au sein de la définition du travail social, comme étant sa perspective
essentielle :
52 Ibid, déf. Développement, p. 544. 53 Ibid 54 Ibid. 55 Dictionnaire des Sciences Humaines, déf. Développement économique, éd. Sciences Humaines, Auxerre,
2004, 875 pages, p. 147. 56 Ibid, déf. Développement Durable, p. 146. 57 Dictionnaire de la Psychologie, déf. Développement, éd. Larousse, coll. Sciences de l'homme, Paris, 1994,
273 pages, p. 78. 58 Dictionnaire des Sciences Humaines, Op. Cit., déf. Développement personnel, p. 152. 59 Ibid.
44
« Le travail social s’emploie à promouvoir le changement social et la solution de problèmes
dans les relations humaines de même qu’il aide les personnes à se donner du pouvoir et à se
libérer (...). Les mots de développement, de développement social, de développement social
local, utilisés par l’IRTS depuis de nombreuses années, signifient la perspective qui donne
comme objectif à l’action des professionnels du travail social : l’accroissement de la capacité
d’agir des personnes (...) ».60 Parmi les types d’interventions professionnelles auxquelles
nous sommes formés, dites privilégiées dans ce projet pédagogique, figurent « les
interventions qui mobilisent l’usager (logique du projet co-construit) ».61
Le concept de développement de la personne peut ainsi être opposé au mouvement de repli
sur soi. Tendre vers le développement en service social, c'est tendre vers la réalisation de soi,
l'épanouissement de la personne en retrouvant sa capacité d'agir sur sa vie et sur ce qui
l'entoure.
Le concept de développement n'est pas propre à l'approche biographique mais au
service social lui-même et se trouve au fondement de toute autre approche. Sa définition en
service social a permis cependant de revêtir un sens et une épaisseur propres à l'approche
biographique, en permettant de dégager un autre concept : celui du pouvoir d'agir.
L'intervention par la méthode des histoires de vie semble centrée plus précisément sur
le pouvoir d'agir de la personne, qui renvoie au concept d'''empowerment'' en anglais :
« Sommairement, on peut définir l’empowerment comme la capacité des personnes et
des communautés à exercer un contrôle sur la définition et la nature des changements qui les
concernent (...). Que l’on s’intéresse aux parents d’élèves, à ceux d’enfants handicapés, aux
personnes sans abri ou plus généralement aux populations opprimées, (...) l’approche centrée
sur l’empowerment des personnes et des collectivités consiste à augmenter la capacité des
personnes, individuellement ou collectivement, à influencer leur réalité selon leurs
aspirations ».62
Yann Le Bossé fait reposer l’empowerment « sur les deux piliers du ''pouvoir'' et de
''l’action'' (...). Le terme pouvoir vise ici la capacité de réunir les ressources individuelles et
collectives nécessaire à l’accomplissement de l’action envisagée. L’accent mis sur le verbe
60 Projet pédagogique général de l’IRTS de Basse-Normandie, Chapitre 1 : Définitions, 1er octobre 2006,
Association Régionale de Recherche et de Formation à l'Intervention Sociale (ARRFIS), p.4. 61 Ibid 62 LE BOSSÉ Y., « De l’''habilitation'' au ''pouvoir d’agir'' : vers une appréhension plus circonscrite de la notion
d’empowerment », in Nouvelles pratiques sociales, Volume 16, numéro 2, éd. Université du Québec, Montréal, 2003, 241 pages, pages 30 à 51.
45
agir [plutôt qu'''action''] permet de souligner le statut d’acteur des personnes aidées ».63 Il
traduit le concept d'empowerment comme étant le processus de « développement du pouvoir
d'agir des personnes ou des collectivités ».64
Cette définition de l'empowerment correspond à ce qui est désigné dans l'hypothèse de
compréhension. Ce concept me semble réunir tous les exemples d'usages décrits
précédemment :
La personne en soin palliatif à l'hôpital qui fait le récit de sa vie se donne le pouvoir d'inscrire
sa vérité dans la mémoire de ses proches et de sa descendance, elle prend le contrôle de ce qui
se saura et se dira d'elle. Par le moyen de son témoignage, elle permet que ses expériences de
vie ne tombent pas dans l'oubli. C'est aussi la visée de l'action effectuée auprès de cheminots,
de pouvoir inscrire leurs expériences dans la mémoire collective et laisser une trace écrite de
leur histoire.
La famille qui apporte un éclairage de son histoire de vie auprès des professionnels d'un IMP
se donne le pouvoir de participer aux choix institutionnels, de se faire entendre.
L'auteur d'un délit ou d'un crime, en faisant évoluer son rapport à lui-même, à son parcours,
en se donnant des clés de compréhension, se responsabilise aussi, fait face à ses actes. La
visée de ce travail sur soi est de reprendre en main sa situation et ses projets, d'envisager sa
réinsertion sociale. Se dire que rien n'est figé, irréversible et reconnaître que ce qui arrive est
le fait de nos actes et de nos choix, c'est reconnaître son pouvoir d'agir sur sa vie, sur ce qui
est à venir.
Ce qui est transversal à ces différentes expériences est le développement de son
pouvoir d'agir qui est ici compris comme le processus visant la réappropriation de ce pouvoir
par la personne (en le « faisant sien »).65 Cette réappropriation serait la visée fondamentale de
l'approche biographique.
« Les personnes opprimées, démunies éprouvent souvent un fort sentiment
d’impuissance à l’idée de changer les choses puisqu’elles ne parviennent pas à prendre le
contrôle sur leur situation difficile; or, on sait que le sentiment d’impuissance influence
négativement la capacité à s’affirmer (...). Le sentiment d’impuissance apparaît lorsque la 63 Ibid. 64 Ibid. 65 Ibid.
46
personne refoule sa colère, banalise les événements ou tente de les oublier. La répétition de
ces attitudes entraîne la personne dans une dynamique circulaire où elle apprend
l’impuissance en vivant échec sur échec. Elle perd ainsi graduellement du pouvoir sur sa vie
».66 ''Refouler'', ''banaliser'' et ''oublier'' sont précisément ce que le recueil de récits de vie
tente d'éviter. Celui-ci vise la sortie d'un ''état de subir'' vers une ''reprise en main'' de son
histoire et la réappropriation de ses ressources et forces personnelles pour retrouver sa
capacité d'agir.
III. La détermination et la délimitation du champ de l'enquête
L'enjeu d'une enquête complémentaire serait de cerner plus précisément ce que la
démarche apporte en propre à l'intervention sociale. A partir de la question posée à l'issue de
mon bilan intermédiaire et en fonction de l'hypothèse avancée, l'enquête porterait sur la
question de l'objectif premier, essentiel de l'approche biographique : tendre vers le pouvoir
d'agir de la personne.
Il s'agirait donc, dans cette enquête, de recueillir et de recouper les points de vue
d'assistant(e)s de service social qui ont été formés à cette approche, pour :
− savoir s'ils l'utilisent ou projettent de l'utiliser et dans quel objectif, pour quel public, puis
déterminer avec eux l'atout de cette approche dans les usages qu'ils en ont fait, qu'ils en
font ou qu'ils projettent d'en faire.
− et ainsi vérifier mon hypothèse selon laquelle l'apport de la démarche réside dans la
réattribution du pouvoir d'agir des personnes.
IV. Le choix des professionnels à consulter
Dans le cadre d'une enquête complémentaire, pour cibler les professionnels à
consulter, je pourrais procéder de la manière suivante :
- répertorier les assistant(e)s de service social qui se sont formés à cette méthode, par le biais
66 Site Internet : http://archimede.bibl.ulaval, LEGROS J., « Quand le travail donne les bleus au coeur!
Intervention centrée sur la résilience et le pouvoir d'agir des personnes qui vivent de la violence psychologique au travail », 2.2 « Le processus de la réappropriation du pouvoir d’agir », Mémoire de Maîtrise, Faculté des Sciences de l’Education, Laval, 2004.
47
de l'Institut International de Sociologie Clinique, du D.U Histoires de Vie en formation et de
l'A.S.I.H.V.I.F (présentés respectivement dans les annexes 7, 8 et 9) qui sont les trois
principaux organismes de formation et de recherche (et qui, de plus, pourraient en indiquer
d'autres).
- contacter ces derniers pour leur demander s'ils ont appliqué, appliquent ou projettent
d'appliquer cette approche auprès d'usager du service social,
- puis, s'ils sont d'accord, les interviewer (du moins une partie d'entre-eux, s'ils sont très
nombreux et dispersés. Dans ce cas, je choisirais la variété des actions menées ou en
perspective comme critère de sélection de mon échantillon).
V. L'élaboration de l'outil d'enquête
Afin de mettre à l'épreuve mon hypothèse, j'imagine un entretien non-directif pour
cette enquête complémentaire. Il ne s'agirait pas d'obtenir des éléments de connaissance sur
l'approche des histoires de vie elle-même comme c'était le cas dans ma pré-enquête, mais
d'analyser, avec les professionnels, des démarches biographiques auprès des usagers et de
déterminer avec eux l'apport essentiel de cette méthode d'intervention sociale pour les
personnes.
Je privilégierai un échange libre à partir d'une question principale :
− Pouvez-vous me décrire l'intervention par les histoires de vie que vous avez réalisée, que
vous êtes en train de réaliser, ou que vous projetez réaliser ?
A la fin de l'entretien, si les professionnels ne l'ont pas déjà eux-même abordé, je leur
soumettrai mon hypothèse : au regard des situations analysées et des bénéfices apportés aux
usagers, les Histoires de vie ont-elles cet atout, ce ''supplément'', qui consiste à développer le
pouvoir d'agir des personnes, sur leur vie et leur environnement ?
48
Conclusion : pour de nouvelles préconisations concernant
l'emploi de cette approche en service social
L'approche biographique représenterait la mise en place d'une nouvelle forme d'aide
sociale dans différents champs d'intervention, que ce soit en prison, dans le domaine de
l'insertion, auprès des personnes SDF, en foyer d'hébergements d'urgence, auprès des
personnes immigrées et, plus généralement, dans le cadre d'accompagnements à long terme,
ou encore auprès d'adolescents...
J'envisage l'utilisation de cette approche auprès de toute personne au parcours
susceptible d'être particulièrement morcelé. L'intérêt est de redonner du sens et de la valeur à
sa vie, d'encourager la volonté de se préserver, de s'aimer, que l'élaboration du récit de soi ait
lieu sous forme collective ou en accompagnement individualisé. Pour ne plus subir, pour
retrouver l'envie et le pouvoir d'agir sur sa vie, la personne a besoin de comprendre, de trouver
une reconnaissance de ce qu'elle a vécu, en étant entendue, de se redonner de l'importance,
d'identifier et d'affirmer ses ressources personnelles, d'accéder ainsi à une meilleure estime
d'elle-même.
Dans le cadre d'un action collective, le recueil d'histoires de vie peut être utilisée dans
des services tels que celui de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (P.J.J) : Lise POIRIER-
COURBET, dans une intervention lors d'un débat sur le processus de reconstruction de soi
après un viol, a exprimé l'intérêt, dans ce service, du recueil de récits de vie auprès des jeunes
auteurs de délits et de crimes sexuels.67 Le récit, centré sur l'acte, permettrait de mettre des
mots, d'intégrer cet épisode dans un parcours de vie, pour rendre capable d'agir sur le contrôle
de soi. Dans leur mission de prévention de la récidive et de l'aide à la réinsertion, les
travailleurs sociaux peuvent mettre en place un groupe de parole élaboré autour du récit de vie
de personnes ayant commis de tels crimes. Cette action permettrait de pouvoir parler de l'acte
posé, du contexte et des événements qui peuvent lui être liés, d'aborder la façon dont cet acte
est compris et perçu moralement par la personne au présent, les changements connus depuis
et l'évolution de son rapport à son propre acte criminel. L'écho du groupe, dont tous les
67 POIRIER-COURBET L., Journée d'étude « Vivre-Survivre, Récits de résistance », ASIHVIF, Paris, le 28
mars 2009.
49
membres sont confrontés à la même réalité d'avoir posé un acte criminel, permettrait de
donner à chacun des clés de compréhension sur son histoire et de prendre un certain recul par
rapport à sa propre situation. L'objectif serait encore ici de redonner aux personnes le pouvoir
de faire évoluer leur regard et de retrouver cette capacité à remobiliser leur ressources
personnelles, à atteindre un rapport critique à soi et à retrouver un pouvoir d'agir sur son
histoire. Si celle-ci ne peut pas changer, la personne peut cependant la faire évoluer autrement
en prenant conscience d'actes passés et à partir d'une meilleure compréhension et
connaissance de soi.
Pour terminer, je développerai l'intérêt de cette approche contributive auprès de la
population des demandeurs d'asile, qui m'a été inspirée par une communication de Corinne
Chaput, formatrice à l'IRTS de Basse-Normandie, lors d'un congrès très récent.68 Ces
personnes, sans repères à leur arrivée en France et dans l'attente incertaine d'un statut de
réfugié, peuvent bénéficier d'un accompagnement dans leurs démarches mais que fait-on de
leur vécu, des épreuves qui les ont amenés à fuir leur pays d'origine ? Les événements
traumatiques (attentats, guerre, persécutions politiques) ont dû provoquer chez eux des peurs
intenses, un sentiment d'impuissance ou d'horreur et causent une souffrance persistante dans
le temps, bien souvent sans jamais avoir pu être élaborée par la parole. Ces événements n'ont
plus de chronologie, ils envahissent la vie de la personne, « il y a comme un gel de la
mémoire ».69
L'approche biographique permettrait au travailleur social d'intervenir autrement. Une
relecture, un recadrage de l'évènement, le rétablissement de repères, la production de sens
viseraient à « réduire l'impact qu'un épisode émotionnel passé peut conserver sur l'expérience
actuelle »70 et apporteraient le sentiment d'être compris, une reconnaissance de ce qui a été
vécu. Les seuls récits de vie que ces personnes sont amenées à faire sont ceux contenus dans
le dossier destiné à l'Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA), ce
sont des écrits « froids et dénués d'affects »71, avec la suspicion et le besoin de justification
qu'ils sous-tendent. Leur soutien premier est souvent celui qu'apportent les travailleurs
sociaux, qui les aident dans leurs démarches. Dans ces accompagnements, il me paraît
68 CHAPUT C., « Après le vécu d'une situation de guerre par des demandeurs d'asile, qu'apporte la méthode des
histoires de vie dans la reconstruction du sujet ? » Troisième congrès de l'Association Internationale pour la Formation, la Recherche et l'Intervention Sociale, Hammamet, du 21 au 24 avril 2009, 18 pages.
69 Ibid, p.12. 70 Ibid, p.12. 71 Ibid, p.12.
50
important de donner cette possibilité aux personnes de parler d'elles autrement, en toute
liberté, sans l'enjeu d'obtenir un droit d'asile.
Dans son mémoire72, une étudiante en service social exprime l'idée que le demandeur d'asile
n'a été qu'« agi » durant les évènements vécus au pays, « agi » pendant l'exil, par des passeurs
parfois, « agi » à l'arrivée en France par les conditions d'accueil et les exigences du dossier
OFPRA. Pouvant faire enfin un récit authentique, y remettre une continuité là ou il n'y avait
que ruptures, trouver un sens à l'insensé, c'est enfin ne plus être « agi » mais se remettre en
situation de pouvoir agir à nouveau sur sa vie.
Ces personnes, comme d'autres qui vivent dans l'errance, l'abandon, qui sont en
rupture dans leur vie, ont besoin de travailleurs sociaux en capacité de les aider à s'exprimer, à
intégrer progressivement les événements difficiles dans leur histoire pour retrouver
« continuité, cohérence et estime de soi ».73
« Il ne s'agit pas de malades psychiques (et dans ce cas, les travailleurs sociaux continueront
à les orienter comme ils savent le faire) mais de ''malades du réel'', et c'est bien notre rôle
que de les accompagner ».74
72 LAURENCE J., « Les croyances chez les demandeurs d'asile », Mémoire de fin d'études, Diplôme d'Etat
d'Assistante de Service Social, 2009, 45 pages, p. 43. 73 CHAPUT C., « Après le vécu d'une situation de guerre par des demandeurs d'asile, qu'apporte la méthode des
histoires de vie dans la reconstruction du sujet ? » Op. Cit., p. 16. 74 Ibid, p. 16.