t s eliot poèmes 1910-1930

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T. S. ELIOT Poèmes texte anglais présenté et traduit par PIER.R.E LEYR.IS LE DON DES LANGUES ÉDITIONS DU SEUIL

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Traduit de l'anglais par Pierre Leyris/Translated from english to french by Pierre Leyris

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Page 1: T S Eliot Poèmes 1910-1930

T. S. ELIOT

Poèmes

texte anglais présenté et traduit par

PIER.R.E LEYR.IS

LE DON DES LANGUES

ÉDITIONS DU SEUIL

Page 2: T S Eliot Poèmes 1910-1930

DU MÊME AUTEUR aux mêmes Éditions

QuATRE QUATUORS

Texte anglais traduit par Pierre Leyris

Notes de John Hqyward

~EURTRE DANS LA CATHÉDRALE

Traduit et présenté par Henri Fluchère

EsSAIS CHOISIS

Traduit par Henri Fluchère

A paraître:

LA RÉUNION DE FAMILLE

T. S. ELIOT

Poèmes

texte anglais pr~senté et traduit par

PIER.R.E LEYR.IS

LE DON DES LANGUES

ÉDITIONS DU SEUIL

Page 3: T S Eliot Poèmes 1910-1930

Il a été tiré de la première édition de cet ouvrage

5 xo exemplaires sur vélin blanc filigrané des Papeteries de Lana, numérotés de 1 à 5 ro

dont xo hors commerce.

Tous droits de reprodHCtion, d'adaptation et de tradHCtion réservés pour lous pa;• s.

Copyright I!J47 by Éditions du Seuil.

Avant-propos

Page 4: T S Eliot Poèmes 1910-1930

AVANT-PROPOS DU TRADUCTEUR

Il y a bien longtemps que la poésie de T. S. Eliot est présente parmi nous, mais d'une présence éparse, voyageuse, qu'il fallait enfin fixer et regrouper en l'accen­tuant : c'est le propos de cette édition bilingue qui rend compte, par un choix abondant, de la période 1910-1930 et prélimine à la publication des Q~~atre Q~~atuors.

Une circonstance particulière renforcerait ici, s'il en étaif besoin, le droit de cité d'un écrivain insigne. CommeT. S. Eliot le reconnait volontiers, son langage naissant s'est appuyé, non pas sur la poésie victorienne, mais sur la poésie française de la fin du siècle dernier et plus spécialement sur le parler de Laforgue. En effet, introduits - ou restitués - à notre langue, la très laforguienne Chanson d'amour de Prtifrock qui ouvre ce recueil, ou encore ces préludes (le troisième est daté : Paris, 1910) qui sonnent un peu comme du Corbière, montrent en T. S. Eliot un surgeon de notre symbolisme;

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Page 5: T S Eliot Poèmes 1910-1930

surgeon chargé de fruits neufs dont nous devrions bien prendre à notre tour de la graine.

La seconde influence avouée par le poète, . soit le théâtre élizabéthain dans sa période finale, éclaire aussitôt la première. Car on voit bien ce qu'avaient de commun, à deux siècles et demi de distance et appliquées de part et d'autre à des fins apparemment si différentes, les tirades d'un Webster et les complaintes du Monté­vidéen: c'est- pour ne rien dire d'un contenu pas mal macabre, puisque nous nous bornerons ici à des consi­dérations quasi techniques 1 - la respiration naturelle du discours et le caractère quotidien de la matière verbale.

Nous avons connu cela en France, dira-t-on : vers le même temps, Apollinaire, Max Jacob... Sans doute, mais le terrain anglo-américain était tout autrement préparé. Et de même qu'en peinture rien, certes, n'y annonçait le cubisme, en poésie, c'était encore 2 avec ... Swinburne par exemple qu'il s'agissait de rompre. Il y fallait alors un instinct singulièrement sûr pour démêler dans la double jungle et de la tradition anglaise et du symbolisme français les éléments propres à revivifier la poésie en la rendant capable des mots (et des choses) de tous les jours.

« C'est, dit Eliot, une loi de la nature ... que la poésie ne s'écarte jamais trop de notre langage quotidien. Et

I. Comme nous nous bornerons strictement à considérer la poésie lyrique d'Éliot, en ne faisant état que des pièces qui composent ce recueil.

2. Hookins ne sera publié postbumement qu'en 1918.

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chaque révolution en poésie est susceptible d'amener un retour au langage commun et parfois de s'annoncer comme ce retour même. »Et encore:« A certaines périodes la tâche du poète consiste à explorer les possibilités musicales qu'offre la convention établie sur quoi repose la relation du langage poétique au langage parlé; à d'autres périodes elle consiste à rattraper l'évolution du parler commun qui n'est rien autre elle-même que l'évolution de la pensée et de la sensibilité. »

Cette seconde tâche, assurément, confronta Eliot en 1910; mais, quand il l'eût menée à bien, il s'appliqua à la première. Et lorsque, dans le même essail, il loue Shakespeare d'avoir accompli « la besogne de deux poètes » d'abord adaptant peu à peu sa propre forme au langage de la conversation, de sorte qu'au moment où il écrivait Antoine et Cléopâtre, il avait inventé un moyen d'expression au moyen duquel tout ce qu'un personnage dramatique aurait à dire - que ce fût sublime ou bas, « poétique » ou «prosaïque » - pût être dit avec naturel et beauté », puis << dans ses pièces plus tardives... se livrant à une expérience qui lui permettra de déterminer à quel degré de complication et de raffinement la musique peut atteindre sans trop s'éloigner du langage parlé et sans que les personnages du drame cessent de figurer des êtres humains » --:- lorsqu'Eliot rend cet hommage à Shakespeare, il est impossible de ne pas penser que son œuvre à lui accuse le même double achèvement.

1. La Musif{N4 de la Poésie, trad. Rachel Bespalov («Fon taine » , 27-28 : Écrivains et Poètes des États-Unis d'Amérique).

II

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Au début de sa carrière, donc, T. S. Eliot, dans un effort que le naturel rend invisible, accommoda le langage commun à son nombre propre afin d'exprimer en poésie, sur le ton de la conversation, disons si vous, voulez la condition humaine sous son accoutrement du début de ce siècle. S'il y a d'emblée tant de vérité dans ses poèmes, c'est d'abord qu'ils évitent le piège du réalisme (ou bien alors il faudrait dire que Seurat est réaliste), comme le montrent clairement les pièces mêmes qui risqu~ent le plus d'y tomber, Matin à la fenêtre ou Le Bostonien d11 Soir par exemple, petites scènes de genre, sans doute, mais surtout les signes de moments intérieurs. Ici la poésie, usant natu~;ellement des mots de tous les jours, répond aussi mal que possible à cet 1r ab11s de langage 11 par quoi Valéry affectait sur le tard de la définir. C'est que, si la fonction poétique du mot n'est jamais confondue chez Eliot avec sa fonction usuelle, elle s'y superpose le plus souvent - comme, chez nous, dans Le Lo11p et l' Agnea11 ou dans Q11e voiliez­volis la porte liait fermle - pour plus d'évidence et de secret.

Quant à l'influence de Laforgue, elle fut immédia­tement résorbée une fois qu'elle eut fait son œuvre : dès La Figlia che Piange, datée 1911 -et qui serait plus rilkéenne que laforguienne si elle était autre chose qu'éliotienne - Je poète fait entendre un chant tout personnel, le même, essentiellement le même, chant de repli méditatif qui portera dix ans plus tard Geron/ion, vingt ans plus tard Mercredi des Cendres ou Marina.

Si le poète a trouvé dès l'abord sa musique propre

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avec une intégralité et une perfection qui assureront sa <:onstance, son langage n'est pas pour autant à l'abri de tout avatar : il faudrait sinon que, comme les peuples heureux, celui-ci n'eût, ni son maître, d'histoire. Le jour vint qu'il apparut au poète comme un lit tari; alors Eliot recourut au français (mais il ne vivait pas en français); puis, renforçant l'ironie et, peut~être, assujet­tissant plus étroitement quelque masque, il enferma son <:hant à double tour dans la geôle de quatrains rimés à rythme bref et régulier (quelque chose comme ceux de Théophile Gautier), mais sans empêcher, grâce à Dieu, que la voix du prisonnier ne parvint jusqu'à nous, <:omme dans cette dernière strophe, si pathétique, de Sweenry parmi les rouignols 1 •

Les dates, ici encore, ont leur prix, non plus du point de vue de l'histoire littéraire, mais du point de vue de l'histoire tout court. Ce dernier poème est de 1918. La Te"e Vaine portera : 19.U-19ZZ. Portera est le mot, car s'il est un ouvrage dont on puisse dire enfin sans abus qu'il assume son époque, avec tout ce dont elle procède et tout ce qu'elle mijote, c'est bien celui-là. Dans cette fresque à cinq dimensions, parsemée de « papiers collés »qui éprouvent la solidité de l'édifice, l'auteur est aussi p.résent que Courbet dans L'Atelier d11 Peintre : c'est qu'il y a coïncidence entre le destin du poète et le destin du monde; ou, d'une manière plus particulière et plus aiguë, co-inhérence d'une certaine mort-naissance du

1. Celle-là même où Œdipe et Agamemnon sont cavalièrement confondus pour ~paissir l'horre~ du bois sacœ.

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poète à lui-même et des affres (agonales ou gestatrices ?) de l'Occident. En ce sens, on pourrait appliquer à I...a Terre Vaine ce qu'on a dit de Finnigans Wake quand on l'a défini comme le chant du cygne d'une civilisation, avec cette seule réserve -les chants désespérés n'étant pas les plus beaux - qu'il s'agit chez Eliot d'un cygne libre de ressusciter, donc d'un phénix.

Le langage choisi est tel qu'il assure une communi­cation permanente entre la conscience du poète et la conscience universelle; intégrant les paroles mémorables de l'Orient et de l'Eurasie aussi bien que le verbe déchu de deux filles dans un pub de Londres; tissant ainsi une trame verbale merveilleusement commune dont la banalité répond à celle des anciens mythes perpétués dans la grand'ville d'aujourd'hui. Langage de tous les jours et de tous les temps dans lequel seul il pouvait être dit que le Roi Méhaigné pêche toujours derrière l'usine à gaz, montré qu'une hirondelle ne fait pas le printemps.

Ce qui est vraiment confondant, c'est que le concert innombrable, la grande rumeur universelle que l'on entend dans La Terre Vaine nourrisse, sans jamais l'altérer, la voix tout embrassante du poète 1 • Qu'avec une pareille ouverture de compas, son langage demeure parfaitement fidèle à lui-même, témoigne d'un comble de maîtrise qui ne pouvait être dépassé que dans le refus, ou mieux, pour éviter toute équivoque, dans une adhésion unique qui impliquât un dépouillement

1. ll se produit même cet incroyable changement à vue que les citations avouées ou cachées tkrlienmnt aussitôt de l'Eliot.

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rigoureux. Cette adhésion - cette conversion - est dite, ce dépassement réalisé dans Mercredi des Cendres puis dans les Poèmes d'Ariel, où la catharsis salvatric~ entrevue, et presque prêchée déjà, dans La Terre .Vaine, est mise en œuvre. Ici le concert universel n'est plus qu'un murmure, présent certes, mais lointain, sur lequel se détache le solo linéaire de la méditation pénitentielle qui offre les terres vaines de l'âme aux pluies de la Grâce et transmue peu à peu la délectation morose en une prière où le verbe du poète rejoint sa source et sa fin.

Ces remarques laissent deviner une poésie strictement nécessaire, parcimonieusement sécrétée (à raison d'un poème ou deux par an, certaines années restant muettes) par un destin jalousement économe d'expression lyrique. Elle est de celles dont on peut être charmé dès l'abord, même en glissant à la surface du texte, mais dont on ne saurait pénétrer le milieu dense sans un effort d'attention et de sympathie. Un poème comme La Terre Vaine exige, certes, plusieurs lectures, ne-serait-ce que parce que sa structure générale n'est saisissable qu'à son terme et que son propos d'ensemble donne à tout instant son sens à chacun des thèmes qui s'entrelacent dans ses pàrties. Au niveau de profondeur où le poète se meut, souvent l'allusion seule est possible et l'ambiguité devient loi. Des images sont proposées qu'un lecteur hâtif - en France surtout où l'on ne s'étonne plus de voir les mots en liberté errer en plein midi, une lanterne à la ~ain, à la recherche d'un contenu - ne sera que trop enclin à regarder comme arbitraires : c'est qu'elles

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Page 8: T S Eliot Poèmes 1910-1930

étaient trop intimes pour être aussitôt élucidées; mais elles reviendront dans les poèmes suivants, au long des années, avec cette admirable constance que les sots prennent, chez un Eliot comme chez un Braque, pour de la monotonie - toujours plus pleines, plus signifiantes, plus opaques peut-être parce que plus denses, mais frangées sur les bords d'une lumière plus éclatante.

A chaque nouvelle approche, le texte anglais récom­pense continûment, par la double musique des mots et de leur contenu, l'effort du lecteur. Hélas, il n'en saurait être de même du texte français puisque, pour faire naître le poème dans une autre langue, il faudrait retourner

So11s le rommeil, là où les eaux se mêlent,

à cette nappe souterraine d'avant les mots et à sa gesta­tion frémissante - mais alors c'est un autre poème qui jaillirait. Tout ce que le traducteur peut dire pour défendre le reflet qu'il a cherché à fixer, c'est qu'une fois établie en français une trame· aussi serrée que pos­sible de concepts, d'images, d'allusions, de mots enfin, il y a lâché en quelque sorte le rythme du poète en se souvenant de la mélodie à laquelle il devait tendre - ceci sans acte volontaire, par une suite d'accueils bien plutôt que par coups de force.

Si le fruit de ce travail d'écoute est d'un bonheur inégal, c'est d'un égal malheur qu'il eût été sans l'exquise bienveillance de Mr. Eliot. Qu'eussions-nous fait, privé de ces entretiens de Londres qui nous .ont éclairé tant de registres cachés, épargné tant de pièges ?

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Nous devons aussi les plus vifs remerciements à Mr. John Hayward pour avoir non seulement revu notre traduction avec une patiente rigueur qui mitigeait ses censures de précieuses suggestions, mais encore inséré à l'intention du lecteur français, parmi les notes origi­nale~ de LA Terre Vaine, un faisceau d'explications qui éclatrent la structure, les allusions et le cadre londonien du poème sans violer son secret.

Notre gratitude se tourne ~nfin, en lui dédiant ce travail, vers B.

PIERRE LEYRIS.

2

Page 9: T S Eliot Poèmes 1910-1930

FIRST POEMS

1910•1920

PREMIERS POÈMES

1910-1920"

Page 10: T S Eliot Poèmes 1910-1930

THE LOVE SONG OF ]. ALFRED PRUFROCK

S'io credesse che mia risposta fosse A persona che mai tomasse al mondo, Questa fiamma storia senza piu scosse. Ma perciocche giammai di questo fondo Non tomo vivo alcun, s'i'odo il vero, Senza tema d'infamia ti rispondo.

Let us go then,you and I, When the evening is spread out against the sky Like a patient etherised upon a table ; Let us go, through certain halj-deserted streets, J!he n1uttering retreats Of restless nights in one-night cheap hotels And sawdust restaurants with oyster-shells : Streets that follow like a tedious argument Of insidious intent

2.0

CHANSON ,D'AMOUR DE J. ALFRED PRUFROCK

S'io credesse ch6 mia risposta fosse A persona che mai tomasse al monda, Questa fiamma storia senza piu scosse. Ma perdocche giammai di questo fondtJ Non torno vivo alcun, s' i' odo il vero Senza tema d'infamia li rispondo.

Allons-nous en donc, toi et moi, Lorsque le soir est étendu contre le ciel Comme un patient anesthésié sur une table : Allons par telles rues que je sais, mi-désertes Chuchotantes retraites Pour les nuits sans sommeil dans les hôtels de passe Et les bistrots jonchés de sciure et de coquilles; Ces rues qui poursuivent, dirait-on, quelque dispute

interminable Avec l'insidieux: propos

2.1

Page 11: T S Eliot Poèmes 1910-1930

To !ead you to an overwhe!ming question . ... Oh, do not ask, 'What is it ?' Let us go and make our visit.

In the room the women come and go Ta/king of Miche/angelo.

The yel!ow fog that rubs its back upon the window-panes, The ye!!ow smoke that rubs its muzzle on the window-

panes Licked its longue into the corners of the evening, Lingered upon the pools thal stand in drains, Let jal! upon its back the soot that falls from

chimneys, S!ipped by the terrace, made a sudden !eap, And seeing tbat it was a soft October nigbt, Curled once about the bouse, and fel! as!eep.

And indeed there will be time For the ye!!ow smoke tbat s!ides along the street Rubbing its back upon the window-panes; Tbere will be time, tbere will be time To prepare a face to meet the faces tbat you meet; There wi/1 be time to murder and create, And #me for al! the works and days of bands

.2..2.

De te mener vers une question bouleversante ..• Oh 1 ne demande pas : « Laquelle ? » Allons plutôt faire notrç: visite.

Dans la pièce les femmes vont et viennent En parlant des maîtres de Sienne.

Le brouillard jaune qui frotte aux croisées son échine,

Le brouillard jaùne qui frot!e aux croisées son museau

A couleuvré sa .l~p,g,ge dans les recoins du soir, A traîné sur les mares qui stagnent aux égouts, A laissé choir sur son échine la suie qui choit des

cheminées, Glissé le long de la terrasse, bondi soudain, Et voyant qu'il faisait un tendre soir d'octobre, S'est enroulé autour de la màison, puis endormi.

Et pour sûr elle aura le temps, La jaunâtre fumée qui glisse au long des rues, De se-frotter l'échine aux vitres;

1

Tu auras le temps, tu auras le temps A la rencontre des visages de rencontre dète

composer un visage : Le temps de mettre à mottet de créer, Et le temps pour tous les travaux-et-jours des mains

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Page 12: T S Eliot Poèmes 1910-1930

That lift and drop a question on your plate; Time for you and time for me, And time yet for a hundred indecisions, And for a hundred visions and revisions, Bejore the taking of a toast and tea.

In the room the women come and go Ta/king of Miche/angelo.

And indeed there will be time To wonder, 'Do I dare ?'and, 'Do I dare ?' Time to turn back and descend the stair, With a bald spot in the middle of my hair­[Thry will sery : 'How his hair is growing thin !'] .L\{y morning coat, my col!ar mounting firmly to the chin, My necktie rich and modest, but asscrted ry a simple

pin-Thry will sery: 'But how his arms and legs are thin!'

Do I dare Disturb the universe? In a minute there is time For decisions and revisions which a minute will reverse.

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Qui soulèvent, puis laissent retomber une question sur ton assiette :

Temps pour toi et temps pour moi, Temps pour cent hésitations, Pour cent visions et révisions, Avant de prendre une tasse de thé.

Dans la pièce les femmes vont et viennent En parlant des maîtres de Sienne.

Et pour sûr j'aurai bien le temps De me demander : « Oserai-je? »et « Oserai-je? » Le temps·de me retourner et de descendre l'escalier Avec une couronne chauve au sommet de ma tête ... (Et l'on dira : «Mais comme il a les cheveux

rares 1 ») Ma jaquette, mon faux col montant avec fermeté

jusqu'au menton, Ma cravate riche et modeste exaltée par une simple

épingle ... ( « Voyez comme ses bras et ses jambes sont

grêles 1 ») Oserai-je Déranger l'univers ? Une minute donne le temps De décisions et de repentirs qu'une autre minute

renverse.

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Page 13: T S Eliot Poèmes 1910-1930

For 1 have knoWtJ'them ali already, known them ali­Have known the evenings, mornings, afternoons, 1 have measured out my /ife with coffee spoons; 1 know the voices dying with a dying jal/ Beneath the music from a farther room.

So how should 1 presume?

And 1 have known the eyes already, known them ali­The eyes that fix you in a formulated phrase, And when 1 am formulated, sprawling on a pin, When 1 am pinned and wriggling on the wall, Then how should 1 begin To spit out ali the butt-ends of my days and wqys ?

And how should 1 presume ?

And 1 have known the arms already, known them a/1-Arms that are braceleted and white and bare [But in the lamplight, dOwned with light brown hair !] 1s it perfume from a dress That makes me so digress ? Arms thatlie along a table, or wrap about a shaw!.

z.6

Car je les ai connus déjà, oui, tous connus ... J'ai connu les soirées, les matins, les midis, Jaugé ma vie avec de petites cuillers; Je sais les voix: mourant dans un mourant déclin Sous la musique venue d'une pièce lointaine.

Comment, dès lors, me risquerai-je?

Et j'ai connu les yeux déjà, oui tous connus ... Les yeux qui vous rivent dans une phrase en

formule, Et une fois mis en formule, une fois étalé sur une

épingle, Une fois épinglé, donc, et me tordant le long du

mur, Comment dès lors commencerai-je A cracher les mégots de mes voies et mes jours ?

Comment dès lors me risquerai-je ?

Et j'ai copnu les bras déjà, oui tous connus ... Les bras cernés de bracelets, et blancs et nus (Mais ~ous la lampe offrant un duvet châtain · clair 1)

Est-ce pas un parfum de robe Qui me fait ainsi divaguer ? Les bras couchés sur une table, les bras qui

enroqlent un châle.

Page 14: T S Eliot Poèmes 1910-1930

And should I then presume ? And how should I begin ?

Shall I say, I have gone at dusk through narrow streets And watched the smoke that rises from the pipes Of lonefy men in shirt-s/eeves, /eaning out of windows? ..•

I should have been a pair of ragged claws Scuttling across the floors of silent seas.

And the afternoon, the evening, sleeps so peacejul{y 1 S moothed l?J long ftnger s, As/eep . .. tired . .. or it malingers, Stretched on the jloor, here beside you and me. Should 1, after tea and cakes and ices, Have the strength to force the moment to its crisis ? But though 1 have wept and fasted, wept and prayed, Though I have seen my head [grown s/ightfy bald]

brought in upon a platter, 1 am 110 prophet- and here' s no great matter,-1 have seen the moment of my greatness jlicker, And I have seen the eternal Footman hold nry coat, and

snicker, And in short, I was afraid.

28

Devrais-je dès lors me risquer? Comment devrais-je commencer?

Dirai-je : j'ai passé à la brune par des rues étroîtes, Et j'ai vu s'élever la fumée de la pipe D'hommes solitaires en bras de chemise à leur

fenêtre?

Que n'ai-je été deux pinces ruineuses Trottant au fond des mers silencieuses.

L'après-midi, le soir dort si paisiblement ! Lissé par de longs doigts, Assoupi... épuisé ... ou jouant le malade, Couché sur le plancher, près de toi et de moi. Devrais-je, après le thé, les gâteaux et les glaces, Avoir le nerf d'exacerber l'instant jusqu'à sa crise? Mais bien que j'aie pleuré et jeûné, pleuré et prié, Bien que j'aie vu ma tête (qui commence à se

déplumer) offerte sur un plat, Je ne suis pas prophète ... et il n'importe guère; J'ai vu de ma grandeur le moment vaciller, J'ai vu l'éternel Laquais tenir mon pardessus et

ricaner, En un mot j'ai eu peur.

Page 15: T S Eliot Poèmes 1910-1930

And would it have been worth it, after ali, After the mps, the marmalade, the tea, Among the porcelain, among some talk of yon and me, Would it have been worth while, To have bitten off the matter with a smile, To have squeezed the universe into a bali To roll it toward some ove17Jlhelming question, To say : 'I am Lazarus, come from the dead, Come back to tell yon ali, I shall tell yon ali' -If one, settling a pillow by ber head,

Should say : 'That is not what I meant at ali. Thal is not it, at ali.'

And would it have been worth it, after ali, Wou!d it have been worth white, After the SIUJsets and the dooryards and the sprinkled

streets, After the novels, after the teacups, after the skirts thal

Irai/ along the floor -And this, and so much more ? -It is impossible to say just what I mean 1 But as if a magic lantern threw the nc1'tles in patterns on

a screen: Would it have been worth while If one, settling a pillow or throwing off a shaw/, And turning toward the window, should say :

Aurait-ce été .la peine, après tout, Après les tasses, la confiture, le thé, Parmi les porcelaines et quelques mots de toi à moi, Aurait-ce été la peine . De trancher bel et bien l'affaire d'un sourire, De pétrir l'univers pour en faire une boule, De le rouler vers une question bouleversante, De dire : « Je suis Lazare et je reviens d'entre les

morts, Je reviens pour te dire tout, je te dirai tout ... » Si quelqu'une, arrangeant un coussin sous sa tête,

Disait : « Ce n'est pas ça que j'avais voulu dire; Ce n'est pas ça, du tout. »

Aurait-ce été la peine, après tout, Aurait-ce été la peine, Après les cours, les rues arrosées, les couchants, Après les romans, après les tasses de thé, après les

jupes qui traînent sur le plancher .. . Après ceci, après tant d'autres choses ... ? Ah 1 comment exprimer ce que je voudrais

dire 1 Mais comme si une lanterne magique projetait le

motif des nerfs sur un écran : Aurait-ce été la peine si quelqu'une, Arrangeant un coussin ou rejetant un châle, Se· retournait vers la fenêtre et murmurait :

Page 16: T S Eliot Poèmes 1910-1930

'Thal is not it at ali, Thal is not what I mean!, at al!.'

No ! I am not Prince Han;/et, nor was mean! to be ; Am an attendant lord, one thal will do To swe/1 a progress, start a scene or two, Advise the prince ; no doubt, an easy too!, Deftrential, glad to be of use, Politic, cautious, and meticu!ous; Full of high sentence, but a bit obtuse ; At times, indeed, a/most ridiculous­A/most, at times, the Pool.

I grow old . .. I grow old . .. 1 sha/1 wear the bottoms of my trousers rolled.

Sha/1 I part my hair behind? Do I dare to eat a peach 1 sha/1 wear white jlannel trousers, and walk upon the

beach. 1 have heard the mermaids singing, each to each.

1 do not think thal they will sing tome.

«Ce n'est pas ça du tout, Ce n'est pas ça du tout que j'avais voulu dire. »

Moi, Prince Hamlet? Non pas : Je ne le suis et jamais n'ai dû l'être; Mais un seigneur de la suite, quelqu'un Qui peut servir à enfler un cortège A déclencher une ou deux scènes, à conseiller Le prince; assurément un instrument facile, Déférent, enchanté de se montrer utile, Politique, méticuleux; et circonspect; Hautement sentencieux, mais quelque peu obtus; Parfois, en vérité, presque grotesque ... Parfois, presque, le Fou.

Je vieillis, je vieillis... . Je ferai au bas de mes pantalons un retroussts.

Partagerai-je mes cheveux: sur la nuque ? Oserai-je manger une pêche ?

Je vais mettre un pantalon blanc pour me promener sur la plage. . . .

J'ai, chacune à chacune, ouï chanter les suèiles.

Je ne crois guère qu'elles chanteront pour moi.

33 3

Page 17: T S Eliot Poèmes 1910-1930

I have seen them riding seaward on the waves Combing the white hair of the waves blown baçk When the wind blows the water white and black.

We have lingered in the chambers of the sea By sea-girls wreathed with seaweed red and brown Till human voices wake us, and we drown.

Paris•Munich, 191 I.

34

Je les ai vues, montées sur les vagues, au large, Peignant les blancs cheveu:g; des vagues rebroussées Lorsque le vent brassait l'eau blanche et bitumeuse.

Nous avons musardé au:x; chambres de la mer Par les filles-de-mer couronnés d'algues brunes, Mais la voi:x; des humains nous éveille et nous noie.

Paris-Munich, I9II.

Page 18: T S Eliot Poèmes 1910-1930

PRELUDES

1

The winter evening settles down With sme/1 of steaks in passageways. Six o'dock. . • The burnt-out ends of smoky days. And now a gusty shower wraps The grimy scraps Of withered !caves about your ftet And newspapers from vacant lots ; The showers beat On broken blinds and chimney-pots, And at the corner of the street A !one/y cab-horse steams and stan;ps. And then the lighting of the lamps.

Cambridge (Mass.), r9 ro.

PRÉLUDES

I

Le soir d'hiver choit aux ruelles Parmi des relents de grillade. Il est six heures. Mégots éteints de jours fumeux. Void que l'averse en bourrasque A nos pieds plaque Des bribes de feuilles souillées Et de vieux journaux arrachés Aux terrains vagues; Contre les jalousies brisées Et les tuiles des cheminées L'averse bat; Un cheval de fiacre esseulé Au coin de la rue piaffe et fume. Puis les réverbères s'allument

Cambridge (Mau.), IJIO.

37

Page 19: T S Eliot Poèmes 1910-1930

II

The morning cames to consciousness Of faint stale smells of beer From the sawdust-trampled street With ali its muddy feet that press To earfy coffee-stands. With the other masquerades That time resumes, One thinks of ali the hands That are raising dingy shades ln a thousand furnished rooms.

Cambridge (Mass.), 1910.

III

You tossed a blanket from the bed, You lay upon your back, and waited ,· You dozed, and watched the night revealing The thousand sordid images Of which your sou/ was constituted ,· They flickered against the ceiling. And when ali the world came back And the light crept up between the shutters

38

II

Le matin s'ouvre à la conscience D'un relent de bière éventée Qui monte, vague, De la rue jonchée de sciure Par les pieds boueW!; qui s'empressent Aux zincs de l'aube. Parmi les autres mascarades Que l'heure assume, On évoque toutes les mains Qui relèvent des stores douteW!; Dans mille garnis.

Cambridge (Mass.), 1910:

III

Tu rejetas la couverture, Puis, sur le dos, tu attendis, Sommeillant, guettant dans la nuit Les dix mille images sordides Dont ton âme était composée Et qui tremblotaient au plafond. Mais lorsque le monde revint Avec la lumière aux persiennes

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Page 20: T S Eliot Poèmes 1910-1930

And you heard the sparrows in the gutters, You had such a vision of the street As the street hard!J understands; Sitting along the bed's edge, where You curled the papers from your hair, Or clasped the yellow soles of ftet In the palms of both soiled hands.

IV

His sou/ stretched tight across the skies Thal fade behind a city block, Or trampled by insistent flet At four and five and six o' clock ; And short square fingers stuffing pipes, And evening newspapers, and eyes Assured of certain certainties, The conscience of a blackened-street Impatient to assume the world.

I am moved by fancies thal are curled Around these images, and cling: The notion of some infinite!J gentle Infinite!J st~jfering thing.

40

P~ris l'~to.

Et les moineaux dans les gouttières., Ta vision de la rue fut telle Que la rue ne la comprit guère ; Comme, assise en travers du lit, Tu déroulais tes papillottes Ou crispais tes paumes souillées Sur la plante de tes pieds jaunes.

IV

Son âme écartelée au ciel

Paris, r~ro.

Qui s'éteint derrière un immeuble Ou meurtrie de pas insistants De quatre à cinq, de cinq à six; Les doigts trapus bourrant des pipes, Les journaux du soir, et les yeux Pleins de certaines certitudes, La conscience d'une rue noircie Avide d'assumer le monde.

Je suis ému de songeries Lovées autour de ces images et qui s'agrippent : la notion Comme d'un être infiniment Tendre et souffrant infiniment.

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Page 21: T S Eliot Poèmes 1910-1930

Wipe your band across your mouth, and laugh ; The worlds revolve like ançient women Gatheringfuel in vacant lots.

Cambridge (Mass.), 1911.

Essuyez votre main à vos lèvres; riez. Les mots tournent en rond ainsi que des

vieillardes Qui glanent des débris sur un lotissement.

Camb,.idg6 (Mau.), ryrr.

4J

Page 22: T S Eliot Poèmes 1910-1930

LA FIGLIA CHE PIANGE

0 quam te memorem virgo •••

Stand on the highest pavement of the stair­Lean on a garden urn -Weave, weave the sunlight in your hair- . Clasp your ftowers to you with a pained surprue -Fling them to the ground and turn With a fugitive resentment in your ryes : But weave, weave the sunlight in your hair.

S o I would have had him leave, \ SoI would have had her stand and grieve, S o he would have lift As the sottlleaves the botfy torn and bruised, As the mind deserts the botfy it bas used. I should ftnd

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LA FIGLIA CHE PIANGE

0 q110m te memorem virgo ...

Tiens-toi sur la plus haute marche du perron ... Accoude-toi à l'urne ...

tT isse tisse le soleil dans tes cheveux; ... ' . . Serre tes fleurs contre to1 avec une surpr1se

douloureuse ... Lance-les à terre et détourne-toi Avec un :ressentiment fugitif dans les yeux : Mais tisse, tisse le soleil dans tes cheveux.

Ainsi aurais-je voulu le voir partir, Ainsi la voir, debout et s'affiigeant, Ainsi donc serait-il parti . Comme l'âme abandonne le corps défait, meurt:rl, Comme l'esprit délaisse le corps qu'il a servi. Quand trouverai-je

45

Page 23: T S Eliot Poèmes 1910-1930

Some wtry incomparably light and deft. Some wtry we both should understandJ Simple and faith/css as a smi/e and shake of the hand.

She turned awtryJ but with the autumn weather Compelled my imagination many dtrysJ Matry dtry s and matry hours : Rer hair over her arms and her arms full of jiowers. And I wonder how they should have been together ! I should have /ost a gesture and a pose. Sometimes these cogitations sti/1 amaze The troubled midnight and the noon's repose.

Cambridge (Mass.), 19II.

Une voie subtile, légère incomparablement, Une voie que toi et moi pourrions comprendre, Simple et sans foi comme un sourire et une

poignée de main.

Elle se détourna, mais de concert avec l'automne Força mon imagination pour de longs jours, De longs jours et de longues heures; Ses cheveux: sur ses bras et ses bras pleins de

fleurs. Mais comment avaient-ils bien pu se réunir 1 J'eusse perdu sinon un geste et une pose. Parfois encore ces réfle:Jcions étonnent Et l'inquiet minuit et le midi tranquille.

Cambridge (Mass.), I9II.

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Page 24: T S Eliot Poèmes 1910-1930

lviORNING AT THE WINDOW

They are rattling breakfast plates in basement kitchens, And along the trampled edges of the street I am aware of the damp souls of housemaids Sprouting despondentfy at area gates.

The brown waves of fog toss up to me Twisted faces from the bottom of the street, And tear from a passer-by with muddy skirts An aimless smile that havers in the air And vanishes along the leve! of the roofs.

Oxford, 1915.

MATIN A LA FEN:Ë.TRE

La vaisselle du breakfast tinte dans les sous-sols Et le long des trottoirs piétinés de la rue J'ai conscience que l'âme humide des servantes Perce languissamment au:x: entrées de service.

Les vagues rousses du brouillard bernent vers moi Du fin fond de la rue des visages distors Tirant d'une passante à la jupe boueuse

\,Un sourire sans but qui flotte dans les airs Et s'évanouit le long des toits.

Oxford, IjiJ.

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Page 25: T S Eliot Poèmes 1910-1930

THE BOSTON EVENING TRANSCRIPT

The readers of the Boston Evening Transcript, Sway in the wind like a field of ripe corn.

When evening quickens faintly in the street, Wakening the appetites of /ife in some . And to others bringing the Boston Everung

Transcript, 1 mount the steps and ring the bell, turning Wearily, as one would turn to nod good bye to

Rochefoucauld, If the street were time and he at the end of the street, And 1 say, "Cousin Harriet, here is the Boston

Evening Transcript." Oxford, 1915.

~0

LE BOSTONIEN DU SOIR

Les acheteurs du Bostonien du Soir Ondulent sous la brise comme un champ de blé mûr.

Lorsque le soir s'anime tant soit peu dans la rue Éveillant chez ceux-ci des appétits de vivre Et portant à ceux-là le Bostonien d11 Soir Je monte les marches et tire la cloche, me retournant D'un geste las, comme on ferait pour dire adieu à

Rochefoucauld Si la rue même était le temps et lui tout au bout de

la rue,-Et j'annonce : « Cousine Harriet, void le Bos toni en du

Soir. »

Oxford, 19IJ.

Page 26: T S Eliot Poèmes 1910-1930

AUNT HELEN

Miss Helen Slingsby was my maiden aunt, And lived in a sma/1 house near a jashionable square Cared for by servants to the number of jour. Now when she died there was silence in heaven And silence at ber end of the street. The shutters were drawn and the undertaker wiped his

jeet- · He was aware that this sort of thing bad oçcurred bejore. The dogs were hand.;omefy provided for, But shortfy ajterwards ·the parrot died too. . The Dresden dock continued ticking on the mantelptece, And the footman sat upon the dining-table Holding the second housemaid on his keees -Who had a/ways been so carefulwhi/e ber ntistress lived.

Oxford, 1915.

TANTE HÉLÈNE

Miss Hélène Slingsby, ma tante, restée fille, Habitait une petite maison aux abords d'un square

de bon ton Servie par quatre domestiques. Elle vint à mourir et le ciel fit silence Et silence son bout de rue. On ferma les persiennes, le croque-mort s'essuya

les pieds ... Ce n'était pas la première fois qu'il avait vu

pareille chose. Les chiens furent amplement pourvus, Mais bientôt la perruche rendit l'âme à son tour. La pendule de Dresde continua son tic tac, Et le valet de pied s'assit sur la grand'table Avec, sur ses genoux, la seconde femme de

cltambre-Elle qui du temps de sa maîtresse avait été si

pointilleuse. OxjOI'd, r'IJ.

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Page 27: T S Eliot Poèmes 1910-1930

Mr. APOLLINAX

0 rij~ xcxw6nrro~. 'HpcixÀ&t<;, rij~ 7tcxpcx8o/;oÀoy(a:ç. &ÙfLlJ)(CXVOt;; &v6poo7tOt;;.

When Mr. Apollinax visited the United States His laughter tinkled among the teacups.

LUCIAN.

I thought of Fragilion, that shy figure among the birch-trees, And of Priapus in the shrubbery Gaping at the lady in the swing. In the palace of Mrs. Ph/accus, at Proftssor Channing-

Cheetah's He laughed like an irresponsible fœtus. His laughter was submarine and profound Like the old man of the sea' s Hidden under coral islands Where worried bodies of drowned men drift down in the

green silence, Droppingfrom ftngers of surf. I lookedfor the head of Mr. Apollinax rolling under a chair

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MONSIEUR APOLLINAX

0 rij~ xcxtv6nrrot;;, 'HplixÀ<:tt;;, rijt;; 7tcxpcx8o/;oÀoylcx<;. WfLlJ)(CXUOÇ &v6p007tOÇ.

LUCIEN.

Lorsque Monsieur Apollinax: visita les États-Unis Son rire tinta parmi les soucoupes. Je songeai à Fragilion, forme furtive parmi les hêtres, A Priape épiant du fond de la charmille La bergère à l'escarpolette. Au palais de Madame Phlaccus, chez le docteur

Channing-Cheetah, Il éclata de rire tel un fœtus irresponsable; D'un rire sous-marin et profond Comme rit le Vieil Homme des mers Couché sous les atolls où les corps des noyés Tombés de doigts d'écume Dérivent, malmenés, dans le silence vert. Monsieur Apollinax, Sa tête allait-elle pas rouler sous une chaise

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Page 28: T S Eliot Poèmes 1910-1930

Or grinning over a screen With seaweed in ils hair. 1 beard the beat of centaur' s hoojs over the hard turf As his dry and passionate talk devoured the afternoon. "He is a charming man'- 'But after ali what did he

mean?"-"His pointed cars... He must be unbalanced," -"There was something he said thal 1 might have

challenged." Of dowager Mrs. Ph/accus, and Proftssor and

Mrs. Chee/ah I remember a slia of lemon, and a bitten macaroon.

Oxford, 191).

Ou grimacer au haut du paravent Les cheveux pleins d'algues marines. J'entendais sur l'herbe battue sonner des sabots de

centaure Tandis que, sec et passionné, son discours dévorait

les heures. « C'est un homme charmant. »- « Mais qu'a-t-il

voulu dire ? » « Ces oreilles pointues... Est-il dans son assiette ? » « Il a dit quelque chose que j'aurais pu.mettre en

question. ~ Concernant Madame Phlaccus mère, le docteur et

Madame Ch.eetah, Je n'ai mémoire que d'un zeste et d'un macaron

mordillé. Oxford, I1If.

Page 29: T S Eliot Poèmes 1910-1930

GERONTION

Thou hast nor youth nor age But as it were an after dinner sleep Dreaming on both.

Here I am, an old man in a dry month Being read to by a boy, waitingfor rain. I was neither at the hot gates Nor fought in the warm rain Nor knee deep in the salt marsh, heaving a cut!ass, Bitten by flics, fought. My bouse is a decayed bouse, And the jew squats on the window si!/, the owner, Spawned in some estaminet of Antwerp, Blistered in Brussels, patched and pee!ed in London.

GÉRONTION

Es-lu jeune, es-tu vieux? C'est ~omme si Tu sommeillais après le dijeuner Rêvant de ~es deux âges

Shakespeare, Mesure pour Mesure.

Me voici là, vieil homme que je suis, par un mois sec, Écoutant ce garçon me faire la lecture, attendant

que vienne la pluie. Je n'étais pas au brûlant défilé Je n'ai pas combattu dans la pluie chaude Ni, embourbé dans la saline jusqu'au genou, Levant un glaive, mordu par les mouches, combattu. Ma maison est une maison délabrée; Dans l'encoignure de la fenêtre est accroupi Le juif, son locataire, qui fut mis bas Dans quelque estaminet d'Anvers, empustulé A Bruxelles, rapiécé et desquamé à Londres.

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Page 30: T S Eliot Poèmes 1910-1930

The goal coughs at night in the field overhead ,­Rocks, moss, stonecrop, iron, merds. The woman keeps the kitchen, makes tea, Sneezes at evening, poking the peevish gutter.

I an old n1an, A du// head among windy spaces.

Signs are laken for wonders. 'We would see a sign !' The word withùz a word, unable to speak a word, Swaddled with darkness, In the iuvescence of the year Came Christ the /iger

In depraved Mf!Y, dogwood and chestnut, flowering judas, To be eaten, to be divided, to be drunk Among whispers ,' by Mr. Si/vero With caressing hands, at Limoges Who walked ali night in the next room ,· By Hakagawa, bowing among the Titians ,· By M.adame de Tornquist, in the dark room Shifting the candies,· Fraülein von Kmp

6o

Le bouc grinche la nuit d:~ns le pré d'au-dessus . Rocailles, lichen, chiendent, ferraille et excréments La femme vaque à la cuisine, fait le thé, Éternue à la fraîch~, fourgonne du tisonnier La vidange quinteuse.

Que suis-je qu'un vieillard Un cerveau vide parmi des espaces venteux.

On tient les signes à prodige. « Un signe, Nous voulons voir un signe ! » La Parole dedans la parole, ne pouvant dire une

parole, Et dans ses langes de ténèbre. En la jouvence de

l'année Vint Christ le tigre

En mai dépravé - cornouilles et châtaignes, faînes de Judée-

A manger, boire et partager En chuchotant; par Monsieur Silvero Aux mains flatteuses, qui à Limoges Marcha toute la nuit dans la chambre à côté; Par Hakagawa, saluant parmi les Ti tiens; Par Madame de Tornquist qui, dans la chambre

obscure Remuait les bougies; par Fraülein von Kulp

Page 31: T S Eliot Poèmes 1910-1930

Who turned in the hall) one hand on the door. Vacant shuttles

Weave the vina. I have no ghostsJ An old man in a draughty house Under a windy knob.

After such knowledgeJ what forgiveness? Think now History has ma'!Y cunning passages) contrived corridors And issues) deceives with whispering ambitions) Guides us by vanities. Think now She gives when our attention is distracted And what she givesJ gives with such supple confusions Thal the giving famishes the craving. Cives too late What' s not believed in) or if stiJl believedJ In memory on/y) reconsidered passion. Cives too soon Into weak handsJ what' s thought can be dispensed witb Till the refusai propagates a fear. Think . Neither fear nor courage saves us. Unnatural vices Are fathered by our heroism. Virtues Are forced upon us by our impudent crimes. These tears are shaken from the wrath-bearing tree.

6z.

Qui, la main sur la porte, se retourna. Les navettes vides

Tissent le vent. Je n'ai pas de fantômes : Rien qu'un vieillard en ce logis à courants d'air Sous une butte venteuse.

Après un tel savoir, quel pardon ? Dis-toi bien Que l'Histoire a maints passages subtils, maints

corridors Et issues dérobées, qu'elle nous égare D'ambitions murmurantes, nous leurre de vanités ;

oui, dis-toi bien Qu'eU~ donne lorsque notre attention est en défaut Et ce qu'elle donne, le donne en un si confondant

mélange Que le don affame l'affamé. Qu'elle donne trop tard Ce à quoi l'on ne croyait plus, ou bien si l'on y croit

encore Ce n'est qu'en souvenir, en passion ruminée. Qu'elle

donne trop tôt A des mains sans vigueur, ce dont on imagine Pouvoir se dispenser peut-être, mais l'heure vient Où le refus engendre la frayeur. Dis-toi Que frayeur ni courage ne sauraient nous sauver. Nos vices monstrueux sont fruits de l'héroïsme. Nos crimes sans pudeur nous dictent des vertus. Ces pleurs, c'est l'arbre des colères qui les secoue.

Page 32: T S Eliot Poèmes 1910-1930

The figer springs in the new year. Us he det~oNrs. Think at fast

We have not reached conclusion, when I Stiffen in a rented house. Think at fast I have not made this show purpose/ess!J And il is not I?J any concitation Of the backward devi/s. 1 would meet you upon this honest!J. I that was near your heart was removed therefrom To /ose beaury in terror, terror in inquisition. 1 have /ost my passion : why should I need to keep it Since what is kept must be adulterated? 1 have /ost my sight, sme/1, hearing, faste, and touch : How should I use them for your doser contact?

These with a thousand sma/1 deliberations Protract the profit of their chi/led delirium, Excite the membrane, when the sense has cooled, With pungent sauces, multip!J variery In a wilderness of mirrors. What will the spider do, Suspend its operations, will the weevi/ Delay? De Bai/hache, Fresca, Mrs. Cammtl, whirled Bryong the circuit of the shuddering Bear

Bondit le tigre au Nouvel An. Et nous dévore. Dis­toi enfin

Qu'il n'est pas vrai que nous ayons atteint la conclusion

Lorsque je m'ankylose dans un logis à bail. Dis-toi enfin

Que ceci n'est pas de ma part parade vaine Ni conjuration des démons rétrogrades. Je voudrais là-dessus être au clair avec toi Moi qui fus proche de ton cœur, j'en fus chassé Perdant la beauté dans l'effroi, et l'effroi dans

l'inquisition. J'ai perdu ma passion : pourquoi la garderais-je ? Tout ce qui est gardé forcément s'adultère. Vue ouïe goût odorat, toucher, j'ai tout perdu: ' , ' . Comment donc, pour mieux t'approcher, en userais-

je?

Ces considérations et mille autres pareilles, Prolongeant le profit de leur délire gla~é'. Excitent la muqueuse, le sens ayant fro1d1, De leurs sauces poivrées, multiplient les aspects Dans une jungle de miroirs. Mais l'araignée, Que fera-t-elle ? Va-t-elle suspendre son ouvrage ? Le charançon, va-t-il temporiser ? Madame Cammel, Fresca, De Bailhache, projetés Par delà le circuit de l'Ourse frissonnante

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Page 33: T S Eliot Poèmes 1910-1930

In fractured atoms. Gull against the wind1 in the windy straits

Of Belle Isle1 or running on the Horn1

White feathers in the snow1 the Gulf claims, And an old man driven by the Trades To a sleepy corner.

Tenants of the house1

Thoughts of a dry brain in a dry season.

66

London, 1919.

En poussière d'atomes. Mouette contre le vent

Dans les goulets venteux de Belle-Isle ou ~ourant Droit sur le Horn, duvet blanc dans la netge, Le Gulf réclame, et c'est Un vieillard balayé par les vents alizés Dans son recoin d'oubli.

Habitants du logis Pensers d'un cerveau sec en temps de sécheresse.

Londres, Ijij.

Page 34: T S Eliot Poèmes 1910-1930

THE HIPPOPOTAMUS

And when this epi3tle is readamong you, cause that it be read also in the church of the Laodiceans.

The broad-backed hippopotamus Rests on his bel(y in the mud; Although he seems so ftrm to us He is mere(y jlesh and blood.

F/esh and blood is weak and frai/, Susceptible to nervous shock; While the True Church can never fail For it is based upon a rock.

The hippo' s fteble steps may err In compassing material end.r, While the True Church need never stir To gather in its dividends.

68

L'HIPPOPOTAME

Et quand cette épltre sera lue parmi vous, faites en sorte qu'elle soit lue éga­lement dans l'église des Laodkéens.

L'hippopotame au dos puissant Vautre sa panse dans la fange; Quelque robuste qu'il nous semble Il n'est jamais que chair et sang.

Chair-et-sang est fragile et frêle, Ses nerfs sont passibles d'un choc, Mais l'Église onques ne chancelle Car elle est bâtie sur un roc.

Son faible pas peut égarer L'hippo' qui va cherchant provende Mais l'Église, c'est sans bouger Qu'elle encaisse ses dividendes.

Page 35: T S Eliot Poèmes 1910-1930

The 'potamus can never reach The mango on the mango-tree ,-But fruits of pomegranate and peach Refresh the Church from over sea.

At mating ti me the hippo' s voice Betrqys inflexions hoarse and odd, But every week we hear rejoice The Church, at being one with Cod.

The hippopotamus' s dqy Is passed in sleep ,- at night he hunts ,­Cod works in a mysterious wqy -The Church can sleep and fied at once.

I saw the 'potamus take wing Ascending from the damp savannas, And quiring angels round him saing The praise of Cod, in loud hosannas.

Blood of the Lamb shall wash him clean And him shall heaven(y arms enfold, Among the saints he shall be seen Petjorming on a hârp of gold.

Jamais mangue ne fut ravie Par le 'popotame au manguier Mais l'Église, elle, est rafraîchie D'outre-mer, par le grenadier.

Lors du rut l'hippo' fait entendre Des sons bizarres, odieux Alors que l'Église, elle, chante Sa joie d'être une avec son Dieu.

L'hippopo' dort quand il fait clair Attendant, pour. chasser, la nuit; Mais l'Église, divin mystère, Ensemble dort et se nourrit.

J'ai vu le 'potame voler Au-dessus des moites savanes : D'un chœur angélique entouré, Il montait parmi les hosannes.

Au firmament enfin sera Par le sang de l'Agneau lavé Emmi les saints demeurera Pinçant une harpe dorée.

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Page 36: T S Eliot Poèmes 1910-1930

He sha/1 be washed as white as snow, By ali the marryr'd virgins kist, While the True Church remains below Wrapt in the old miasmal mist.

London, 1918.

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Blanc comme neige on le verra Accolé des vierges du ciel Mais l'Église en bas restera Dans son brouillard pestilentiel.

Londres, I!JI8.

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Page 37: T S Eliot Poèmes 1910-1930

LUNE DE MIEL t

Ils ont vu les Pays-Bas, ils rentrent à Terre Haute Mais une nuit d'été, les voici à Ravenne, A l'aise entre deux: draps, chez deux: centaines de · punaises, La sueur estivale, et une forte odeur de chienne. Ils restent sur le dos écartant les genoux:

. De quatre jambes molles toutes gonflées de morsures.

On relève le drap pour mieux: égratigner. Moins d'une lieue d'ici est saint Apollinaire En Classe, basilique connue des amateurs De chapiteaux: d'acanthe que tournoie le vent.

Ils vont prendre le train à huit heures Prolonger leurs misères de Padoue à Milan

x. Écrit en français par l'auteur (N. d. T.).

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Où. se trouve la Cène, et un restaurant pas cher. Lu1 pense aux: pourboires, et rédige son bilan. Ils auront vu la Suisse et traversé la France. Et saint Apollinaire, raide et ascétique, Vieille usine désaffectée de Dieu, tient encore Dans ses pierres écroulantes la forme précise de

Byzance.

Londres, 1917.

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Page 38: T S Eliot Poèmes 1910-1930

DANS LE RESTAURANT 1

Le garçon délabré qui n'a rien à faire Que de se gratter les doigts et 6e pencher sur mon

épaule: « Dans mon pays il fera temps pluvieux, Du vent, du grand soleil, et de la pluie; C'est ce qu'on appelle le jour de lessive des gueux. » (Bavard, baveux, à la croupe arrondie, Je te prie, au moins, ne bave pas dans la soupe.) « Les saules trempés, et des bourgeons sur les ronces C'est là, dans une averse, qu'on s'abrite. J'avais sept ans, elle était plus petite. Elle était toute mouillée, je lui ai donné des

primevères. » Les taches de son gilet montent au chiffre de

trente-huit.

1. Écrit en français par l'auteur (N. d. T.).

«Je la chatouillais, pour la faire rire. J'éprouvais un instant de puissance et de délire. »

Mais alors, vieux lubrique, à cet âge ... « Monsieur, le fait est dur. Il est venu, nous peloter, un gros chien· Moi, j'avais peur, je l'ai quittée à mi-ch~min C'est dommage. » .

Mais alors, tu as ton vautour 1 V~-t'en te décrotter les rides du visage l T1ens, ma fourchette, décrasse-toi le crâne. D~ quel droit paies-tu des expériences comme moi ? T1ens, voilà dix sous, pour la salle de bains.

Phlébas le Phénicien, pendant quinze jours noyé Oubliait les cris des mouettes et la houle de '

Cornouaille, Et les profits et les pertes, et la cargaison d'étain : Un courant de sous-mer l'emporta très loin L~ repassant aux étapes de sa vie antérieure. F1gurez-vous donc, c'était un sort pénible; Cependant, ce fut jadis un bel homme de haute

taille. '

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Page 39: T S Eliot Poèmes 1910-1930

SWEENEY AMONG THE NIGHTINGALES

Apeneck Sweenry spreads his knees Letting his arms hang down to laugh, The zebra stripes along his jaw Swel/ing to maculate gira.ffe.

The circ/es of the stormy moon Slide westward toward the River Plate, Death and the Raven drift above And Sweenry guards the hornéd gate.

Gloomy Orion and the Dog Are veiled; and hushed the shrunken seas ,· The person in the Spanish cape Tries to sit on Sweenry's knees

SWEENEY PARMI LES ROSSIGNOLS

Sweeney-outang déploie ses jambes Et, laissant choir ses bras, s'esclaffe· Les stries qui zèbrent ses mâchoire; S'enflent en taches de girafe.

La lune d'orage dérive Vers l'Occident et Santa-Fé Aux nues la Mort, le Corbeau planent Sweeney défend l'huis encorné. 1 '

Orion s'enténèbre, et le Chien; Les mers contractées font silence· La personne en cape espagnole ' Gravit les genoux sweeneyens

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Page 40: T S Eliot Poèmes 1910-1930

Slips and pulls the table doth Overturns a co.f!ee-cup, Reorganized upon the jloor J'he yawns and draws a stocking up;

The silent man in mocha brown S prawls at the window-si/1 and gapes ; The waiter brings in oranges Bananas ftgs and hothouse grapes ;

The silent vertebrale in brown Contracts and concentrates, withdraws; Rachel née Rabinovitch Tears at the grapes with murderous paws

J'he and the lady in the cape Are suspect, thought to be in league ,· Therefore the man with heavy eyes Declines the gambit, shows fatigJ~e,

Leaves the room and reappears Outside the window, leaning in, Branches of wistaria Circumscribe a golden grin ;

So

Tr~buche, s'accroche à la nappe, Fa.tt culbuter la cafetière · Et puis se recompose ad sol En remontant sa jarretière.

Le muet en veston moka Se 'Vautre à la fenêtre et bée. Le garçon passe des sorbets' Des raisins et des ananas · ,

Le vertébré silencieux Se ressaisit, bat en retraite Tandis que Rachel née Nathan Mord dans la pulpe à belles de~ts.

Tr<?uvant ces deux dames suspectes, Flatrant entre elles quelque ligue L'homme aux yeux lourds refus: net Le gambit, avoue sa fatigue,

Quitte la pièce et reparaît A la fenêtre où il s'incline Inscrivant son rictus doré' Dans les rameaux d'une glycine;

SI

6

Page 41: T S Eliot Poèmes 1910-1930

The host with someone indistinct Converses at the door apart, The nightingales are singing near The Convent of the Sacred Heart,

And sang within the bloorfy wood When Agamemnon cried aloud, And let their liquid siftings jal/ To stain the stiff dishonoured shroud.

London, 1918.

82

Le patron confabule avec Un quelconque interlocuteur Qu'on ne voit; les rossignols chantent Près du couvent du Sacré-Cœur,

Comme ils chantaient au bois sanglant Lorsque râla le Roi d'Argos, Souillant de leurs fientes liquides Le suaire raidi d'opprobre.

1. « L'huis encorné » ( horned gate) désigne, par une équivoque que nous avons mal sauvegardée, à la fois la lune cornue et cette Porte de Corne par laquelle Virgile assure que les ombres véri­diques trouvent une issue facile :

Sunt geminae Somni portae, quarum altera fertur. Cornea, qua veris facilis datur exitus umbris.

(N. d. T .).

Page 42: T S Eliot Poèmes 1910-1930

TI-IE WASTE LAND

Nam Sibyllam quidem Cumis ego ipse oculis meis vidi in ampulla pendere, et cum illi pueri dicerent : I:(['vÀÀ~ -r( 6€Àe:L<;; ; respondebat iila : &.1to6~ve:rv 6éÀw.

Pour Ezra Pound il miglior fabbro.

LA TERRE VAINE

Nam Sibyllam quidem Cumis ego ipse oculis meis vidi in ampulla pendere, et cum illi pueri dicerent : I:t('uÀÀ~ -r( 6éÀe:L<;; ; respondebat illa : &.1to6~ve:Lv 6éÀw.

Pour Ezra P0und il miglior fabbn.

Page 43: T S Eliot Poèmes 1910-1930

I

THE BURIAL OF THE DEAD

April is the cruel/est month, breeding Lilacs out of the dead land, mixing Memory and desire, stirring Du// roofs with spring rain. Winter kept us warm, covering Barth in forgetjul snow, feeding A little /ife with dried tubers. Summer surprised us, coming over the Starnbergersee With a shower of rain; we stopped in the colonnade, And went on in sunlight, into the Hofgarten, And drank coffee, and ta!ked for an hour. Bin gar keine Rnssin, stamm'aus Litauen, echt deutsch And when we were children, staying at the arch-duke's,

86

L'ENTERREMENT DES MORTS

Avril est le plus cruel des mois, il engendre Des lilas jaillissant de la terre morte, il mêle Souvenance et désir, il stimule Par ses pluies de printemps les radn~s inerte~. L'hiver nous tint au chaud, de ~ ·~ ne1ge oublieuse Couvrant la terre, entretenant De tubercules secs une petite vie. L'été nous surprit, porté par l'averse Sur le Starnbergersee; nous fîmes halte sous les

portiques 10 Et poussâmes, l'éclaircie venue, dans le Hofgarten,

Et puis nous prîmes du café, et nous causâmes. Bin gar keine Russin, stamm'aus Litauen, echt

deutsch. Et quand nous étions enfants, en visite chez l'archiduc

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My cousin' s, he look me out on a sied, And I was frightened. He said, Marie, Marie, hold on tight. And down we went. In the mountains, there you fee/ free. 1 read, much of the night, and go south in the winter.

What are the roots that clutch, what branches grow Out of this stony rubbish? Son of man, You cannot sqy, or guess,for you know on/y A heap of broken images, where the sun beats, And the dead tree gives no shelter, the cricket no relief, And the dry stone no sound ofwater. On/y There is shadow under this red rock (Come in under the shadow of this red rock), And I will show you something different from either Y our shadow at morning striding behind you Or your shadow at evening rising to meet yo11 ; I will show you ftar in a handful ofdust.

Frisch weht der Wind Der Heimat zu Mein Irisch Kind, Wo weilest du?

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Mon "Cousin, il m'emmena sur son traîneau Et je pris peur. Marie, dit-il, Marie, cramponne-toi. Et nous voilà partis 1 Dans les montagnes, c'est là qu'on se sent libre. Je lis, presque toute la nuit, et l'hiver je gagne le

Sud.

Quelles sont les racines qui grippent, quelles les branches qui croissent

2.0 Parmi ces rocailleux débris ? 0 fils de l'homme, Tu ne peux le dire ni le deviner, ne connaissant Qu'un amas d'images brisées sur lesquelles tape

le soleil : L'arbre mort n'offre aucun abri, la sauterelle aucun

répit, La pierre sèche aucun bruit d'eau . Il n'est D'ombre que là, dessous ce rocher rouge (Viens t'abriter à l'ombre de ce rocher rouge) Et je te montrerai quelque chose qui n'est Ni ton ombre au matin marchant derrière toi, Ni ton ombre le soir surgie à ta rencontre;

30 Je te montrerai ton effroi dans une poignée de poussière.

Frisch weht der Wind Der Heimat zu, Mein frisch Kind, Wo wei/est du ?

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'You gave me hyacinths ftrst a year ago ; 'Thry ca/led me the hyacinth girl.' - Yet when we came back, late,from the Ifyacinth

garden, Your arms full, and your hair wet, I could not S peak, and my ryes failed, I was neitber Living nor · dead, and I knew nothing, Looking into the heart of light, the silence. Oed' und leer das Meer.

Madame Sosostris,famous clairvqyante, Rad a bad cold, nevertheless 1s known to be the wisest woman in Europe, With a wicked pack of cards. Here, said she, 1s your card, the drowned Phoenician Sai/or, (The se are pearls that were bis eyes. Look!) Here is Bel/adonna, the Lady of the Rocks, The lady of situations. Here is the man with three staves, and here the Whee/J And.here is the one-eyed merchant, and this card, Which is blank, is something he carries on his back, Which) am forbidden to see. 1 do not ftnd The Hanged Man. Fear death by water. 1 see crowds of people, walking round in a ring.

« Juste une année depuis tes premières hyacinthes ? « On m'avait surnommée la fille aux hyacinthes. » - Pourtant le soir que nous rentrâmes si tard du

Jardin des Hyacinthes, Toi les bras pleins et les cheveux mouillés, je ne

pouvais Rien dire, et mes yeux se voilaient, je n'étais ni

40 Mort ni vivant; et je ne savais rien, Je regardais au cœur de la lumière, du silence Oed'und leer das Meer.

Madame Sosostris, fameuse pythonisse, Avait un mauvais rhume, encore qu'on la tienne Pour la femme, la plus habile de l'Europe Avec un méchant jeu de cartes. Voici, dit-elle, Votre carte, le marin Phénicien noyé : (These are pearls that were his ryes. Regarde 1) Void Belladonna, la Dame des Récifs,

5o La dame des passes critiques. y oid l'homme au triple bâton, void la Roue, Void leQnarchand borgne, et cette carte Vide, c'est quelque chose qu'il porte sur le dos Mais qu'il m'est interdit de voir. Je ne trouve

pas Le Pendu. Gardez-vous de la mort par noyade. Je vois comme des foules, et qui tournent en

rond.

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Thankyotl. If you see dear Mrs. Equitone, Tell ber 1 bring the horoscope myself: One must be so carejul these dqys.

Unrea/ Ciry, Under the brown fog of a winter dawn, A crowd ftowed over London Bridge, so mat!J, 1 bad not thought death bad undone so ntaf!J. Sighs, short and infrequent, were exhaled, And each man ftxed his eyes before bis feet. Flowed up the hill and down King William Street, To where Saint Mary Woolnoth kept the hours With a dead sound on the final stroke of nine. There 1 saw one 1 knew, and stopped him, crying :

'Stetson! 'You who were with me in the ships at lvfylae ! 'That corpse you planted fast year in yotlr garden, 'Has it begun to sprout? Will it bloom this year? 'Or bas the sudden frost disturbed its bed? 'Oh keep the Dog far bence, that' s jriend to mm, 'Or with his nails he' Il dig it up again ! 'You! hypocrite lecteur! - mon semblable, - mon

frère!'

Merd. Quand vous verrez chère Madame Equitone, 58 Dites-lui de ma part

Que je lui porterai l'horoscope moi-même : Il faut être si prudent par le temps qui court.

6o Cité fantôme Sous le fauve brouillard d'une aurore hivernale : La foule s'écoulait sur le Pont de Londres :tant de

gens, .. Qui eût dit que la mort eût défait tant de gens ? Des soupirs s'exhalaient, espacés et rapides, Et chacun fixait son regard devant ses pas. S'écoulait, dis-je, à contre~pente, et dévalait King

William Street, Vers où Sainte-Marie Woolnoth compte les heures Avec un son éteint au coup final de neuf. Là j'aperçus quelqu'un et le hélai : « Stetson !

70 «Toi qui fus avec moi dans la flotte à Mylae 1 « Ce cadavre que tu plantas l'année dernière dans

ton jardin, «A-t-il déjà levé? Va-t-il pas fleurir cette année? « Ou si la gelée blanche a dérangé sa couche ? «Oh keep the Dogfar bence, that's friend to men, «Or with his nai!s he'!/ digit up again! «Hypocrite lecteur! ... mon semblable! ... mon frère! ... »

93

Page 47: T S Eliot Poèmes 1910-1930

II

A GAME OF CHESS

The Chair she satin, /ike a burnished throne, Glowed on the marble, where the glass Held up by standards wrought with fruited vines From which a golden Cupidon peeped out ( Another hid his eyes behind his wing) Doubled the flames of sevenbranched candelabra Reflecting light upon the table as The glitter of ber jewe!s rose to meet it, From satin cases poured in rich profusion ; In vials of ivory and coloured glass Unstoppered, lurked her strange synthetic petfumes, Unguent, powdered, or liquid- troubled, confused And drowned the sense in odours ; stirred by the air That freshened from the window, the se ascended

94

II

UNE PARTIE D'ÉCHECS

The Chair she satin, like a burnished throne, Se reflétait dans le marbre, où la glace Au:x: supports rehaussés de vignes fructueuses

8o Qu'entr'ouvrait, curieux, un Cupidon doré (Un autre se cachant les yeux dessous son aile) Doublait les feux des candélabres à sept branches, Lesquels jetaient sur la table un éclat Vers qui montaient les rais de ses bijoux Du satin des coffrets versés à o-rand'richesse ·

b ' Dans l'ivoire ou le verre coloré des fioles Débouchées, ses parfums bizarres et chimiques, Onguents, pulvérulents ou liquides, dormaient : Troublant, brouillant, noyant les sens dans les

senteurs, 90 Ils montaient, par le vent de la fenêtre émus,

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Page 48: T S Eliot Poèmes 1910-1930

In fattening the prolonged candle-ftames 1

Flung their smoke into the laquearia, Stirring the pattern on the coffered ceiling. Huge sea-wood jed with copper Burned green and orange, framed lry the coloured stone, In which sad light a carvèd dolphin swam. Above the antique mante/ was displayed As though a window gave upon the .rylvan scene The change of Philomel, lry the barbarous king . S o rude (y forced; yet there the nightingale Fi/led aff the desert with inviolable voice And stil/ she cried, and sti/1 the 1'llorld pursues, ']ug ]ug' to dirty ears. And other withered stumps of time Were told upon the walls; staringforms Leaned out, /eaning, hushing the room enclosed. Footsteps shujjled on the stair. Under the ftre/ight, under the brush, her hair Spread out in jiery points Glowed into words, then would be savage!J sti/1.

'My nerves are badto-night. Yes, bad. Stay with me. 'Speak tome. W~ do you never speak. J'peak.

Alourdissant la flamme allongée des cierges, Projetant leurs fumées sur les laquearia,. Animant les motifs des caissons de la voûte. D'énormes bûches de bois d'épave clouté de

cuivre Brûlaient vert et orange, encadrées par la pierre De couleur, et nageait dans la lueur chagrine Un dauphin ciselé. La cheminée antique - On eût dit d'une baie sur la scène sylvestre Proposait la métamorphose de Philomèle

1 oo Pàr le royal barbare brutalement forcée; Là cependant le rossignol Emplissait le désert d'une voix inviolable Pleurant toujours, mais toujours va le monde « Tio, tio » aux oreilles cireuses. Et maints tronçons de temps flétri étaient dépeints Sur la muraille, où des figures au regard fixe S'inclinaient, imposant du geste le silence A la salle. Des pas bruissaient sur les degrés. A la lueur du feu, sous la brosse, ses cheveux Se hérissaient en dards étincelants, en mots

110 Ardents, pour retomber dans un calme sauvage.

« J'ai les nerfs à vif ce soir. A vif, te dis-je. Reste avec moi.

« Mais pade-moi 1 Jamais tu ne me parles. Parle.

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Page 49: T S Eliot Poèmes 1910-1930

'What are you thinking of? What thinking ? What? '] never know what you are thinking. Think.'

I think we are in rats' ailey Where the dead men /ost their bones.

'What is that noise?' The wind under the door ..

'What is that noise now? What is the wind doing ?' Nothing again nothing.

'Do 'You know nothing? Do you see nothing? Do you

remember 'Nothing?'

I remember Those are pearls that were his eyes. 'Are you a/ive, or not? Is there nothing in your head?'

0 0 0 0 that Shakespeaherian Rag­It' s so elegant So intelligent

But

« A quoi donc penses-tu ? Que penses-tu ? Dis-moi 1

« Ah ! je ne sais jamais ce que tu penses. Pense. »

Je pense que nous sommes dans la venelle aux rats Où les morts ont perdu leurs os.

« Quel est ce bruit ? » C'est le vent sous la porte.

« Qu'est-ce encore que ce bruit? Qu'est-ce que fait le vent ? »

Ce n'est rien. Toujours rien.

rzo « Eh 1 quoi « Ne sais-tu rien? Ne vois-tu rien? Ne te souviens­

tu donc? « De rien ? »

Je me souviens Those are pearls that were his eyes. . « Es-tu vivant, oui ou non? N'as-tu donc r1en

dans la tête ? »

0 0 0 0 cet air Shakespea-hearien : Il est si élégant

r 30 Et si intelligent

99

Que

Page 50: T S Eliot Poèmes 1910-1930

'What shall I dtJ now? What shall I do?' tJ shal! rush out as I am, and walk the street "With my hair down, so. What shal! we do to-morrow? 'What sha!l we ever do?'

. The hot water at ten. And if it rains, a c!osed car at four. And we shall play agame of chess, Pressing !id!ess eyes and waitingfor a knock upon th~

door.

When Li!' s hus band got demobbed, I said­I didn't mince my words, I said to ber myselj, HURRY UP PLEASE ITS TIME

Now Albert' s coming back, make yourselj a bit smart. He' Il want ta know what y ou done with that mo ney he

gave you Ta get yourselj some teeth. He did, I was there. You have them al! out, Li!, and get a nice set, He said, I swear, I can' t bear ta look at you. And no more can't I, I said, and think of poor Albert, He' s been in the army four years, he watJts a good time, AtJd if you don'! give it him, there' s others will, I said. Oh is there, she said. Something o' that, I said.

lOO

« Que faire à présent ? Mais que faire ? » « Je vais courir dehors, comme je suis, dans la

rue « Les cheveux: tout défaits .. Que ferons-nous

demain? « Que ferons-nous jamais ? »

L'eau chaude pour dix: heures Et s'il pleut, à quatre heures la voiture fermée. Puis nous ferons une partie d'échecs En pressant nos yeux: sans paupières, en guettant

un coup · à la porte.

Quand le mari de Lil a été de la classe, 140 J'i ai pas mâché mes mots, j'i ai dit moi-même

MESSIEURS ON VA FERMER

Maint'nant qu'Albert revient, il faut un peu t'soigner .

Et montrer c' que t'as fait du pèze qu'i t'a donné Pour t'acheter des dents. Même que j'étais là : « Fais-toi les tirer, Lil, achète un chic dentier Qu'il a dit, sacré nom j'peux: pas te reluquer. » Ni moi non plus, de vrai. Pense à ce pauv' Albert Donne-z-i du bon temps, ça fait quatre ans qu'i

sert. Si c'est pas avec toi, ça s'ra avec une aut'.

150 - Oh 1 c'est comme ça, qu'élle dit. - Ça m'en a l'air, que j' dis.

lOI

Page 51: T S Eliot Poèmes 1910-1930

Then l'li know who to thank, she said, and give me a straight look.

HuRRY UP PLEASE ITS TIME

If you don't like it you can get on with it, I said. Others can pick and choose if you can't. But if Albert makes off, it won't be for lack of te/ling. You ought to be asbamed, I said, to look so antique. (And ber on!J tbirty-one.) I can't belp it, she said, pu/ling a long face, !t' s them pills I look, to bring it off, she said. (She's bad jive already, and near!J died of young

George.) The chemist said it would be ali right, but I've never

been the same. You are a proper foot, I said. Weil, if Albert won'! leave you a/one, there it is, I said, What you gel married for if you don't want cbildren? HURRY UP PLEASE ITS TIME

Weil, that Sunday Albert was home, they had a hot gammon,

And they asked me in to dinner, to get the beauty of it hot-

102

J'saurai qui t'mercier, qu'elle a fait en m'regardant dans l' blanc des yeux

MEssiEURS, oN vA FERMER

Oui, et si ça t'plaît pas, c'est du pareil au même. Quand on a un mari, faut savoir le garder Mais si Albert se barre, t'auras été prév'nue. T'as pas honte, que j'i fais, t'as l'air d'avoir cent

ans (Et notez bien qu'elle en a pas trent'deux) C'est pas d'ma faute qu'elle dit en f'sant la gueule C'est ces cachets qu'j'ai pris afin de l'décrocher

r6o (Ça lui fait son cintième et pour Jules c'est tout juste

Si elle a pas crevé.) L'pharmacien avait dit que c'serait rien, qu'elle

me fait, Mais-à dater d'ce jour j'ai pus été la même. Non mais alors qu'est-ce que tu tiens comme

couche 1 Avec ça, si Albert en veut, t'as rien à dire : Pourquoi qu'tu t'es mariée si t'avais peur des

mômes? MESSIEURS ON VA FERMER

Ce dimanche qu'Albert est rev'nu, ils avaient une jambe de cochon

Même qu'i m'ont dit de v'nir manger pasqu'i a rien d'tel qu'un jambon chaud ...

103

Page 52: T S Eliot Poèmes 1910-1930

HURRY UP PLEASE ITS TIME

HURRY UP PLEASE ITS TIME

Goonight Bill. Goonight Lou. Goonight Mqy. Goonight. Ta ta. Goonight. Goonight. Good night, ladies, good night, sweet ladies, good night,

good night.

104

MESSIEURS ON VA FERMER

MESSIEURS ON VA FERMER

'Soir, Bill, 'Soir, Lou. 'Soir, May. 'Soir, Bob. A la prochaine. Bonsoir. Good night, ladies, good night, sweet ladies, good night,

good night.

Page 53: T S Eliot Poèmes 1910-1930

III

THE PIRE SERMON

The river's tent is broken: the fast ftngers of leaf Clutch and sink into the wet bank. The wind Crosses the brown land, unheard. The f!Ymphs are

departed. Sweet Thames, run sojt!J, till I end my song. The river bears no empry botties, sandwich papers, Silk handkerchiefs, cardboard boxes, cigarette ends Or other testimof!Y of summer nights. The f!Ymphs are

departed. And their friends, the loitering heirs of ciry directors -Departed, have left no addresses. By the waters of Leman I sat down and wept . .•

106

ISo

III

LE SERMON DU FEU

Le dais du fleuve est rompu : les derniers doigts de feuille

Grippent la berge humide et s'enlisent. Le vent Rase, inouï, la terre brune. Les nymphes s'en sont

allées. Sweet Thames, run sojt!J, till I end my song. Au fil du fleuve point de bouteilles vides, ni de

papiers à sandwich Point de mouchoirs de soie, ni de cartons, ni de

mégots Ni d'autres témoignages des nuits d'été. Les nymphes S'en sont allées, et leurs amis, Les héritiers oisifs des riches potentats, En allés aussi, sans adresse. Sur les bords du Léman je m'assis et pleurai ...

Page 54: T S Eliot Poèmes 1910-1930

Sweet Thames, run soft!y till I end "!Y song, Sweet Thamcs, run soft!J,for I speak not loud or long. But at my back in a cold blast I hcar The rattlc of the bones, and chuck/e sprcad from car to

car. A rat crcpt soft!J through the vegetation Dragging its slimy bcl!y on the bank Whilc I was ftshing in the du// canal On a wintcr evening round behind the gashouse Musing upon the kii1g my brother' s wreck And on the king my father' s death bcfore him. White bodies naked on the low damp ground And boncs cast in a little low dry ga"et, Rattled by the rat' s foot on!J, year to year. But at my back from time to ti mc I hear The sound of horns and motors, which sha/1 bring Sweeney to Mrs. Porter in the spring. 0 the moon shonc bright on Mrs. Porter And on ber daughtcr They wash their feet in soda water Et 0 ces voix d'enfants, chantant dans la coupole!

Twit twit twit Jug jug jug jug jug jug So rude/y forc'd. Tereu

108

Sweet Thames, run soft!J till I end my song, Run soft!J, mon chant ne sera fort ni long. Mais j'entends derrière moi dans la bise glacée Grelotter des cliquettes et des rires décharnés. Un rat, traînant sa panse limoneuse Rampa, furtif, parmi les herbes, Tandis que je pêchais dans le morne canal

190 Un soir d'hiver, derrière le gazomètre En méditant sur le naufrage du roi mon père Et, plus avant, sur le trépas du roi mon frère. Corps blancs, corps nus sur la terre basse et

moite Et ces os au rebut dans la mansarde basse Le rat seulles fait cliqueter au long des ans. Pourtant, derrière moi, j'entends de temps à autre Le bruit de trompes et de voitures, qui mènera Sweeney vers Madame Porter au printemps 0 the moon shone bright on Mrs. Porter

200 And on ber daughter They wash their feet in soda water Et 0 ces voix d'enfants, chantant dans la coupole!

Twit twit twit Tio tio tio tio tio tio Brutalement forcée. Térée

Page 55: T S Eliot Poèmes 1910-1930

Unreal City Under the brown fog of a winter noon Mr. Eugenides, the Smyrna merchant Unshaven, with a pocket full of currants C.if. London : documents at sight, Asked me in demolie French To luncheon at the Cannon Street Hotel Followed by a weekend at the Metropole.

At the violet hour, when the cyes and back Turn upward from the desk, when the hutnan engine

waits Like a taxi throbbing waiting, 1 Tiresias, though blind, throbbing between two lives, Old man with wrinkled female breasts, can see At the violet hour, the evening hour that strives Homeward, and brings the sai/or home from sea, The typist home at teatin;e, clears her breakfast,

lights Her stave, and lays out food in tins. Out of the window perilous!J spread Her drying combinations touched by the sun' s fast rays, On the divan are pi led (at night her bed) Stockings, slippers, camisoles, and stays. 1 Tiresias, old man with wrinkled dugs Perceived the scene, and foretold the rest-1 too awaited the expected guest.

llO

Cité fantôme Sous le fauve brouillard d'un hivernal midi Monsieur Eugénidès, négociant smyrniote

210 Mal :rasé, les deux poches pleines de raisins secs C.A.P. London: documents à vue, Me convia en français démotique A déjeuner au Cannon Street Hotel Et puis ... à passer le week-end au Métropole.

A l'heure violette, quand les yeUA et l'échine Se relèvent du bureau, quand le moteur humain

attend Comme un taxi attend, battant, Moi Tirésias, vieillard aux mamelles ridées, Battant entre deux vies, bien qu'aveugle, je vois

220 A l'heure violette, à l'heure tardive qui s'efforce Au logis, ramenant le matelot du large Et ramenant la dactylo à l'heure du thé

22 3 Pour ranger son breakfast, pour allumer son poêle Et préparer son repas de conserves. Suspendues dans le vide ses combinaisons sèchent Pa:r les derniers rayons du soleil caressés, Su:r le divan (la nuit, son lit) s'empilent Chemise, bas, soutien-gorge et corset. Moi Tirésias, vieillard aux mamelles ridées, J'ai contemplé la scène et j'ai prédit le reste,

230 Attendant, moi aussi, le visiteur prévu.

III

Page 56: T S Eliot Poèmes 1910-1930

He, the young man carbuncular, arrives, A small bouse agent' s clerk, witb one bold stare, One of the low on whom assurance sits As a silk bat on a Bradford millionnaire. The time is now propitious, as be guesses, The meal is ended, sbe is bored and tired, ~ntieavours to engage ber in caresses Wbicb stiJl are unreproveti, if untiesireti. Flusbeti ana' tiecitieti, be assaults at once; ~xploring banals encounter no tiefence ;

. His vaniry requires no response, Ana' malees a welcome of intiifference. (Ana' I Tiresias bave foresuffereti ali ~nacted on this same tiivan or bed ,· I who bave sat by Tbebes below the wall And walketi among the lowe si of the tieati.) Bestows one final patronising kiss, And gropes bis wtty, ftntiing the stairs unlit...

Sbe turns ana' looks a moment in the glass, Harti!J aware of ber tieparteti lover ,· Her brain a/lows one balj-formeti tbougbt to pass : 'Wel/ now tbat's tione: ana' I'm glati it's over.' Wben love!J woman sloops lo foi!J ana' Paces about ber room again, a/one, Sbe smootbes ber bair witb automatic band, Ana' puts a recorti on the gramophone.

IU

Il arrive, jeune gandin carbonculaire, Petit gratte-papier d'agence inunobilière Et son aplomb lui sied comme un chapeau de soie Au chef de quelque Bradfordien milliardaire. Quelque chose lui dit que l'instant est propice : Le repas est fini, elle lasse, ennuyée; Il entreprend de l'attiser par des caresses Qui, sans être quêtées, ne sont point repoussées. Enflammé, résolu, il monte sur la brèche;

240 Rien n'arrête en chemin ses mains aventureuses; Il ne demande pas qu'on le paie de retour Sa fatuité faisant de froideur bon accueil · (Quant à moi, Tirésias, j'ai comme pré-souffert Tout ce qui s'accomplit sur ce divan ou lit, Moi qui me suis assis au pied des murs de Thèbes, Moi qui suis descendu au tréfond des enfers.) Pour finir, il dispense un baiser protecteur Et descend à tâtons l'escalier ténébrewc ...

Elle, se regardant un moment dans la glace, 250 A peine se souvient de l'amant disparu;

Son cerveau lui accorde une demi-pensée : «Le bisness est fini, je n'en suis pas fâchée. » When love!J woman sloops to fol!J pour Enfin se trouver seule, elle arpente la chambre, En lissant ses chevewc d'un geste d'automate, Puis met en mouvement son gramophone.

8

Page 57: T S Eliot Poèmes 1910-1930

'This music C1'ept by me upon the waters' And along the Strand, up Queen Victoria Street. 0 City City, 1 tan sometimes hear Beside a publit bar in Lower Thames Street, The pleasant whining of a mandoline And a daller and a thatter from within Where jishmen lounge at noon : where the walls Of Magnus Martyr hold Inexplkable splendour of Ionian white and gold.

The river sweats Oil and tar The barges drift With the turning tide Red sails Wide To leeward, swing on the heavy spar. The barges wash Drifting logs Down Greenwith reath Past the Isle of Dogs~

Weialala leia Wallala leialala

Elizabeth and Leitester Beating oars

II4

« This music trept by me upon the waters » En remontant le Strand et Queen Victoria Street. Cité, ô ma Cité, je surprends quelquefois

z6o Aux approches d'un bar de Lower Thames Street Le plaisant trémolo d'un air de mandoline Ainsi qu'un cliquetis de verres et de voix: Là où s'attardent à midi les poissonniers, là où les

murs De Magnus Martyr irradient L'inexplicable éclat de leurs ors d'Ionie.

Le fleuve sue Le mazout et la poix: Les gabares dérivent Avec le flot changeant Leurs voiles rouges Déployées sous le vent Tournent de-ci de-là sur leur espar pesant Les gabares repoussent Des rondins V ers le Bras de Greenwich, par delà l'Ile aux

Chiens. Weialala leia Wallala leialala

Elizabeth, Leicester Au battement des rames

Page 58: T S Eliot Poèmes 1910-1930

The stern was fortJJed A gilded she/1 Red andgold Rippled both shores S outhwest wind Carried down streatJJ The peal of belis White towers

Weialala leia Wallala leialala

'TratJJs and dusry trees. Highbury bore tJJe. RichtJJond and Kew U!;did tJJe. By Richmond 1 raised my knm Supine on the jloor of a narrow canoe.'

'My jeet are at Moorgate, and my heart Under my feet. After the event He wept. He promised "a new start". 1 made no comment. What should 1 resent ?'

'On Margate Sands. 1 can connec!· Nothing with nothing. The broken ftngernails of dirry hands.

ll6

280 La proue de leur nacelle Une conque vermeille Et or La houle vive Effleurait les deux rives Et le vent d'ouest Portait au fil de l'eau Le chant des cloches Tours blanches

Wcialala leia \Xfallala leiala

« Des trams, des arbres poussiéreux. Highbury m'a nourrie; Richmond et Kew Perdue. Avant Richmond j'ai levé les genoux Au fond du canoë où j'étais étendue. »

« J'ai les pieds à Moorgate et le cœur Piétiné. Après l'affaire donc Il a pleuré, promis « un reco~n:encement »: . Je n'ai rien répondu. De qu01 lut en voudraiS-Je ? »

.~oo « Sur la plage, à Margate. Je ne puis rien Relier à rien. Des ongles écornés, des mains douteuses.

II]

Page 59: T S Eliot Poèmes 1910-1930

1\fy people humble people who expect Nothing.'

la la

To Carthage then I came

Burning burni'ng burning burning 0 Lord Thou pluckest me out 0 Lord Thou pluckest

Burning

118

Ma famille, d'humbles gens et qui n'attendent Rien. »

la la

A Carthage alors je m'en fus

Brûlant brûlant brûlant brûlant 0 Seigneur Tu m'arraches

3 1 o 0 Seigneur Tu arraches

Brûlant.

Page 60: T S Eliot Poèmes 1910-1930

IV

DEA TH BY W ATER

Phlebas the Phoenician, a fortnight dead, Forgot the cry of gulls, mtd the deep sea swe/1 Amd the profit and Joss.

A current under sea Picked his bones in whispers. As he rose and fel/ He passed the stages of his age and youth Entering the whirlpool.

Gentile or Jew 0 you who turn the wheel and look to windward, Consider Phlebas, who was once handsome a11d tai/ as

you.

IZO

IV

MORT PAR EAU

Phlébas le Phénicien, mort depuis quinze jours Oublia le ressac, et le cri des mouettes, Et les profits et pertes. .

Un courant sous-mann Lui picora les os à petit bruit. Tout en ballant, Il remonta au long des jours vers sa jeunesse Et piqua dans le tourbillon.

Juif ou Gentil, 0 toi qui tiens la barre et regardes au vent, Considère Phlébas, naguère ton pareil En grandeur et beauté 1

IZI

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v

WHAT THE THUNDER SAID

After the torchlight red on sweaty faces Ajter the frosty silence in the gardens After the agony in stony places The shouting and the crying Prison and palace and reverberation Of thunder of spring over distant mountains He who was living is now dead We who were living are now dying With a little patience

Here is no water but onfy rock Rock and no water and the sandy road The road winding above among the mountain.r Which are mountains of rock without water If there were water we .rhould .rtop and drink

12.2.

v

CE QU'A DIT LE TONNERRE

Après le feu des torches sur les faces en sueur Après le gel du sile~ce aux; ja~dins Après l'agonie aux: heux: rocatlleux: Après les cris et les clameurs Après la geôle et le palais après l'écho Du tonnerre printanier au loin dans les montagnes Lui qui vivait Le voici mort . Nous qui vivions voici que nous allons mourtt

330 Avec un peu de patience

Ici point d'eau rien que le roc Point d'eau le roc et la route poudreuse La route qui serpente à travers la montagne La montagne de roc sans eau . . S'il y avait de l'eau nous ferions halte et nous bomons

12.3

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Amongst the rock one cannot stop or think Sweat is dry and fee/ are in the sand If there were on(y water amongst the rock Dead mountain mouth of carious teeth that cannot spit Here one can neither stand nor lie nor sit There is not even silence in the mormtains But dry sterile thunder without rain _ There is not even solitude in the mountains But red suJ/en faces sneer and snarl From doors of mudcracked bouses

And no rock If there were rock And also water And water A spring

If there were water

A pool among the rock If there were the sound of water on(y Not the cicada And dry grass singing But sound of water over a rock Whm the hermit-thrush sings in the pine trees Drip drop drip drop drop drop drop But there is 110 water

Comment parmi les rocs faire halte et penser La sueur est séchée les pieds sont ensablés Si seulement il y avait de l'eau parmi ces rocs Montagne morte, bouche cariée et qui ne peut cracher

340 Comment rester debout comment s'asseoir ou se coucher

Il n'y a pas même de silence dans les montagnes Rien que le tonnerre sec et stérile sans pluie Il n'y a pas même dy solitude dans les montagnes Mais des faces enflammées des faces hargneuses qui

ricanent Au seuil des maisons de boue craquelée

l'eau Et point de roc Ou bien le roc Et puis de l'eau Encore de l'eau Une source Une mare dans le roc

S'il y avait de

S'il n'y avait que le seul bruit de l'eau Pas la cigale Ni l'herbe sèche qui chante Mais le seul bruit de l'eau sur le rocher Là où la grive-ermite chante parmi les pins Drip drop drip drop drop drop drop Mais il n'y a pas d'eau.

IZ5

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Who is the third who walks a/ways beside you ? When I count, there are on!J you and I together But when I look ahead up the white road There is a/ways another one walking beside you Gliding wrapt in a brown mantle, hooded I do not know whether a man or a woman - But who is that on the other side of you ?

What is thal sound high in the air Murmur of maternai lamentation Who are those hooded hordes swarming Over end/css plains, stumbling in cracked earth Ringed by the flat hqrizon on!J What is the city over the mountains Cracks and reforms and bursts in the violet air Fa/ling towers ]erusalem Athens Alexandria Vienna London Unreal

A woman drew ber long black hair out tight And jiddled whisper 171usic on those strings And bats with baby faces in the violet light Whist/cd, and beat their wings And crawled head downward down a blackened wall

12.6

3 6o - Quel est donc ce troisième qui marche à ton côté?

Lorsque je compte il n'y a que nous deux: Mais lorsque je regarde au loin la route blanche Il y a toujours un autre qui glisse à ton côté Enveloppé d'un manteau brun, le chef voilé Je ne sais pas si c'est un homme ou une femme - Qui est-ce donc qui marche à ton côté ?

Quel est ce bruit très haut dans l'air Ce gémissement maternel Quelles ces hordes voilées et qui pullulent

3 70 Sur les plaines sans borne et qui trébuchent Sur la terre craquelée que cerne l'horizon Quelle est cette cité par delà les montagnes Qui se démembre et se reforme et s'effiloche dans

l'air violet Quelles ces tours croulantes Jérusalem Athènes Alexandrie Vienne Londres Fantômes

Une femme étirant ses longs cheveux: de jais Sur leurs cordes tendues jouait une complainte

3 8o Et des chauves-souris à face de poupon Chuintaient en batifolant dans l'air violet Ou sur un mur noirci rampaient la tête en bas

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And upside down in air were tower s Tol/ing reminiscent belis, thal kept the hours And voices singing out of empty cisterns and exhausted

wells.

In this decayed hole among the mountains In the faint moonlight, the grass is singing Over the tumbled graves, about the chape/ There is the empty chape/, on!J the wind's ho:ne. It has no windows, and the door swings, Dry bones can harm no one. On!J a cock stood on the rooftree C7o co rico co co rico In a flash of lightning. Then a damp gus/ Bringing rain.

Ganga was sutJken, and the limp leaves Waited for rain, while the black douds Gathered far distant, over Himavant. The jungle crouched, humped in silence. Then spoke the thunder DA Datta : what have we given? .N.[y friend, blood shaking my heart The awful daring of a moment's surrender Which an age of prudence can never retract

12.8

Et des tours renversées égrenaient dans le ciel Des carillons réminiscents qui sonnaient l;heure Et des voix résonnantes Montaient des puits taris et des citernes vides

En ce creux de ruine au milieu des montagnes A la faible clarté de la lune, l'herbe chante Sur les tombes culbutées, autour de la chapelle

390 La chapelle vacante où n'habite que le vent. De fenêtres point, la porte ballotte Quel mal pourraient faire des os desséchés Seul un coq claironne au faite du toit Co co rico co co rico Dans un éclair: Puis une bourrasque humide Porteuse de pluie.

Ganga avait décru et les feuilles languides Aspiraient à la pluie, les nuées noires S'amassaient au lointain par-dessus l'Himavant

400 La jungle était tapie, bossue, dans le silence Alors le tonnerre dit DA Datta : Qu'avons-nous donné ? Mon ami, le sang affolant le cœur L'épouvantable audace d'un instant d'abandon Qu'un siècle de prudence ne saurait racheter

9

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By this, and this on(y, we have existed Which is not to be found in our obituaries Or in memories draped by the benejicent spider Or under seals broken by the lean solicitor In our empry rooms DA Dayadhwam : I have heard the key Turn in the door once and turn once on(y We think of the key, each in his prison Thinking of the key, each c-onjirms a prison On(y at nightfa/1, aethereal rumours Revive for a moment a broken Coriolanus DA Damyata : The boat responded Gai(y, to the hand expert with sail and oar The sea was calm, your he art would have responded Gai(y, when invited, beating obedient To controlling hands

I sat upon the shore Fishing, with the arid plain behind me Sha/1 I at /east set my lands in order? London Bridge is fa/ling down fa/ling down fa/ling dow Poi s'ascose nel foco che gli affina Quando · fiam uti chelidon - 0 swallow .rwallow

J>ar cela nous avons été, par cela seul Qui n'est point consigné dans nos nécrologies Ni dans les souvenirs que drape la bonne aragne

ofi o Ni sous les sceaux que brise le notaire efflanqué Dans nos chambres vacantes DA Dayadhwam :j'ai entendu la clef Tourner une fois, une seule fois, dans la serrure Nous pensons à la clef, chacun dans sa prison Pense à la clef, par là confirmant sa prison Pourtant quand vient le soir, des rumeurs

éthérales Raniment pour un temps un Coriolan défait DA

o420 Damyata : le navire A gaîment répondu à la main du nocher La mer était tranquille et ton cœur eût gaîment Répondu à l'invite, eût obéi, battant, Aux mains régulatrices.

Je pêchais sur la rive Derrière moi se déroulait la plaine aride Mettrai-je au moins de l'ordre dans mes terres? London Bridge is fa/ling down, fa/ling down, fa/ling

down Poi s'ascose ne/ foco che gli ajjina

o430 Quando jiam uti chelidon ... Aronde aronde

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Le Prince d'Aquitaine à la tour abolie These fragments I have shored against my ruins W0' then Ile fit you. Hieronymo' s mad againe. Datta. Dayadhwam. Damyata.

S hantih shantih shantih

Le Prince d'Aquitaine à la tour abolie Je veux de ces fragments étayer mes ruines W0' then Ile fit you. Hieronymo' s t11ad againe. Datta. Dayadhwam. Damyata.

Shantih shantih shantih

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NOTES POUR LA TERRE V AINE 1

« Le problème de l'histoire et du mécanisme du temps est l'un des grands thèmes de La Terre Vaine; il sy mêle au désir du salut cosmique et personnel. Jamais poème n'a montré un sens plus profond de la pression du passé sur le présent et de son existence dans le présent. »

(H.-L. Gardner.)

1. Ces notes ont une double origine : les unes ont été établies dès le principe et pour l'édition anglaise, par T. S. Eliot; les autres pour la présente édition, par John Hayward. Bien qu'elles soient confondues afin de suivre l'ordre des vers, on les distin­guera à ·ceci que les notes de John Hayward sont en italique.

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Technique :

« Je crois q11e les éléments par lesquels la musique concerne le plus étroitement le poète sont le sens du rythme et le sens de la structure ... L'usage de thèmes récurrents est aussi naturel à la poésie qu'à la musique. Il y a des possibilités prosodiques qtti présentent quelque analogie avec le développement d'un thème par divers groupes d'instrutnents; il y a des possibilités de transitions dans un poème comparables aux différents mouvements d'une .rymphonie ou d'un quatuor; il y a des possibilités d'arran­gement contrapunctique. »

(T.-S. Eliot : « The Music of Poetry », I9<{2.}

Non seulement le titre, mais le plan et, pour une bonne part, le symbolis~e accide~tel de. ce poème ont été suggérés par le hvre de Mtss Jesste ~· Wes­ton sur la légende du Graal : « From Rttual to Romance» (Cambridge). Je lui dois tant, en vérité, que le livre de Miss Weston élucidera les difficultés du poème beaucoup mieux que mes notes ne sau­raient le faire; et je le recommande (indépendamment

' du grand intérêt qu'il présente par lui-même) à

136

quiconque penserait que ladite élucidation en vaut la pei_ne. Je suis également redevable, d'une manière générale, à un autre ouvrage d'anthropologie qui a profondément influencé notre génération: j'entends « Le Rameau d'Or » j'ai mis particulièrement à contribution les deux volumes « Adonis, Attis, Osiris ». Tous ceux auxquels ces ouvrages sont familiers reconnaîtront immédiatement dans le poème certaines références aux rites de végé­tation .

I. L'ENTERREMENT DES MORTS

Vers I. Avril, le moir de la renaissance. Cf «Le Vq;•age des Mages » :

« ... Cette Naissance là Fut pour nous agonie amère et douloureuse, Fut comme la Mort, fut notre mort. >>

(Cf. IXTI061Xvdv 6é:l.w -le souhait de la Sibylle.)

8-Io. La scène est Munich et ses environs.

2o. Cf. « Ezéchiel » II, i.

23. Cf. « Ecclésiaste » XII, v.

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z6. Cf « Parzival » :

"And this stone ali men cali the Graal ... As children, the Graal doth cali them, Neath its shadow they wax and grow." (Cette pierre, tout homme l'appelle le Graal... Enfants, le Graal/es appelle, A son ombre ils poussent et croissent.)

p. V. «Tristan und Isolde», I, strophes 5-8.

41 . Cf « Burnt Norton », I, IV.

42. Les paroles du guetteur annonçant à Tristan que le navire d'Isolde n'est nulle part en vue. L'absence d'amour sur la Terre Vaine.

46. La composition exacte du paquet de cartes du Tarot ne m'est pas familière, et je m'en suis librement écarté à ma convenance. Le Pendu, figure du jeu traditionnel, sert mon propos à deux égards : parce qu'il est associé dans mon esprit au Dieu Pendu de Frazer, et parce que je l'associe au personnage encapuchonné du passage des disciples d'Emmaüs, dans la Cinquième Partie. Le Marin Phénicien et le Marchand apparaissent plus tard; ainsi que les « foules », et la Mort par l'Eau qui s'opère dans la Quatrième Partie. Quant à l'Homme aux TroisBâtons(unmembreauthentique

du jeu de Tarot) je l'associe, tout à fait arbitraire­ment, au Roi Pêcheur lui-même.

47: Le Marin Phénicien. Type du dieu de la fertilité que l'on jette annuellement dans la mer pour symboliser la mort de l'été. On utilisait le jeu de Tarot pour prédire la montée des eaux.

48. « Cesperlesfurentsesyeux. »(«La Tempête»).

52. Borgne. C'est-à-dire vu de profil sur la carte à ;ouer.

6o. Cf. Baudelaire : » Fourmillante cité, cité pleine de rêves, Où le spectre en plein jour raccroche le passant. »

63-68. Cf. « Inferno », III, 55-57 : "si lunga tratta

di gente, ch'io non avrei mai creduto che morte tanta n'avesne disfatta."

et« Inferno »,IV, 25-27:

"Quivi, seconde che per ascoltare, non avea piante, ma' che di sospiri, che l'aura eterna facevan tremare."

Ceux qui ont vécu sans louange, ni blâme, sans espoir de mort, les malheureux qui n'ont jamais été vivant.r. La foule est la foule matinale des abonnés du chemin de

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fer qui déferlent dans la Cité, venus des faubourgs sub­urbains du sud de la Tamise : hommes d'affaires, employés, dactylos, etc. King William Street est la rue qui va du nord du Pont au cœur de la Cité. C'est une scène londonienne rypique de la presse du matin. Les travailleurs de la Cité doivent être à leur bureau à 9 heures, d'où l'allusion à la cloche de St-Mary Woolnoth. Cette église, au coin de Kùig William et Lombard Streets, dessinée par Nicholas Hawksmoor, disciple de Wren, et construite de IJI6 à I727, a survécu au Blitz de I940-4I1 et c'est l'une des plus belles églises de la Cité qui demeurent. T. S. Eliot a travaillé pour un tnnps dans la Cité au Département Etranger de la Lloyds Bank.

68. Un phénomène que j'ai souvent remarqué.

69. Cf « Inferno », III, fl· « Lorsque j'eus dis­tingué certains d'entre eux, je vis et reconnus l'ombre de celui qui perpétra, par ltkheté, le grand refus. ». Le nom Stetson n'a pas de signification particulière : c'est sim­plement un nom rypique d'homme d'affaires (Cf le cha­peau « Stetson », marque américaine de coiffitres à l'usage des hommes d'affaires respectables).

70. lv[ylae, 26 o av. J.-C. La grande victoire navale des Romains sur les Carthaginois dans la première Guerre Punique. Une guerre commerciale (Cf I9I 4-I g I 8). Toutes les guerres rme seule guerre.

74· Cf. la complainte dans « The White Devil » de Webster :

« Oh 1 écarte le chien, car cet ami de l'homme Fouillerait dè ses griffes et le déterrerait 1 »

Le jardin suburbain. L'Anglais et son chien,· son amical « démon familier ». La substitution de chien à loup, dans cette allusion, est un exemple frappant de l'usage que fait Eliot des citations pour intégrer le passé au présent. L'idée est aussi suggérée que le chien, en déter­rant le cadavre, peut faire obstacle à la renaissance.

76. V. Baudelaire, Préface aux « Fleurs du Mal ».

II. UNE PARTIE D'ÉCHECS

Le contraste de la vie des grands et de la vie du peuple sur une terre stérile et dépouillée de signification. Dans la pièce de Middleton, le jeu d'échecs couvre la séduction et le viol. La malédiction de la terre dans le mythe fait suite au viol des jeunes filles à la Cour du Roi Pêcheur. Luxure sans amour. Cf aussi les « Filles de la Tamise. »

77. « La Chaise où elle siégeait comme un trône poli. » (« Antoine et Cléopâtre », II, ii, vers 190.)

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92. Laquearia, V, « Enéide », I, 726 :

dependent lychni laquearibus aureis incensi, et noctem flammis funalia vincunt.

98. Scène sylvestre. V. Milton, « Le Paradis Perdu », IV, 140.

99· V. Ovide, «Métamorphoses », VI, Philomela.

100. Cf. Troisième Partie, vers 2.04.

101. Cf. Keats. « Ode à une Urne Grecque ».

11 5 • Cf. Troisième Partie, vers 19 5 •

118. Cf. Webster : "ls the wind in that door still ?"

«Le vent est-il toujours dans cette porte? »

12.6. Cf. Première Partie, vers 37,48.

12.6. Cf. « The Hollow Men » : « la tête bourrée de paille ».

12.8. Rag = ragtime. Le monde syncopé d'après­guerre, le monde «jazz » de r920, inquiet, sans but, trépidant,futile, névrosé.

135· Lever tardif pour abréger l'ennui d'une mati­née vide. Et, par une après-midi pluvieuse, un tour en limousine, sans but, pour tuerie temps.

138. Cf. La partie d'échecs dans « Women beware Women » de Middleton.

qo. La formule traditionnelle criée par les patrons de bar quand l'heure de la fermeture approche (formttle fixée par les lois relatives aux débits de boisson).

143. La mauvaise dentition des classes prolétariennes en Angleterre, particulièrement chez les jeunes hommes et les jeunes femmes, est un fait notoire. Aussi les fausse. dents, parce que fort communes et fort mal asstfietties, sont-elles l'objet des plaisanteries populaires.

173. Cf. «Ham/et», IV, J. Ce sont les pathétiques paroles d'adieu d'Ophélie, folle, aux dames de la cour du roi de Danemark. Ham/et a accusé Ophélie d'être une putain et lui a dit de se retirer dans une « nonnerie » -mot d'argot pour' bordel au temps de Shakespeare.

III. LE SERMÇ)N DU FEU

La Tamise, en amont de Londres, de Richmond à Mai­denhead et à Henley, est le rendez-vous favori des excur­sionnistes de l'espèce décrite aux vers I79-r8o : « I!Jmphes » modernes, flanquées de leurs galants en cabriolet de sport, joyeux lurons et leurs marionnettes

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blondes. La fête nuptiale de Spenser est devenue une partottse.

176. V. le « Prothalamion » de Spenser: « Coule tout bas, douce Tamise, le temps de ma

chanson. »

182.Cj. La Captivité de Baf?ylone. - Une partie d11 poème a été écrite à Lausanne, d'où « Léman ».

189-92. Le Roi Pêcheur, blessé et impotent (son château légendaire était tof!iot~rs sit11é sur une rivière ou at/ bord de la mer) .

192. Cf. « La Tempête », 1, 2.

196. Cf. Marvell : « To His Coy Mistress » : «Mais j'entends toujours par derrière Le chariot ailé du temps. »

197· Cf. Day, « Parliament of Bees » :

« When of the sudden, listening, you shall hear, « A noise of homs and hunting, which shall bring « Actaeon to Diana in the spring, « Where ali shall see her naked skin ... » (Un bruit de chasse et de trompes qui mènera Actaeon vers Diane au printemps Alors tous verront sa peau nue ... )

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198. Cf. « Sweeney Agonistes. »

199· «Sur Madame Porter, ô la lune brille Comme elle et sa fille Se lavent les pieds dans l'eau qui pétille. »

Je ne connais pas l'origine de la ballade dont ces vers ont été tirés : elle m'a été envoyée de Sydney, Australie.

201-2. Le son des chants à la cérémonie du lavement des pieds qui précède la restauration d' Anfortas (le Roi Pêcheur) par Parzival et la levée de la malédiction qui pesait sur la Terre vaine.

eo2. V. Verlaine, « Parsifal ».

206 Exemple de ré-introduction d'un thème.

209. Les marchands syriens étaient les porteurs des légendes et des mystères anciens du Graal. M. Eugénidés, leur pendant moderne, est leur déplorable descendant.

210. Les raisins étaient cotés« Transport et Assu­rance payés jusqu'à Londres »; et la police de char­gement, etc., devait être remise à l'acheteur contre paiement de la traite à vue.

21 3. Le Cannon Street Ho tel (à la Gare de Cannon Strer.t) était en ce temps un lieu de rendez-vous commode pour les hommes d'affaires étrangers el leurs collègues

lt

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anglais, se trouvant situé au centre de la Cité et au ter­minus de l'une des routes du Continent. Son importance en tant que terminus ferroviaire ayant décliné, il est sur­tout utilisé à présent pour les réunions de conseils d'ad­ministration.

z14. Le « Métropole ». L'un des principaux hôtels­de-grand-luxe de la digue de Brighton, très fréquenté des hommes d'affaires opulents pour leurs parties de plaisir. Ce n'est pas ce que l'on appelle un « hôtel de famille».

Cf. la chanson de music-hall que George Robry a rendu célèbre :

Henri VIII en son temps était un gai luron Il avait plusieurs Je mm' s et menait jqyeus' vie C'est lui-même qui fonda l' Métropol' de Brighton ... En vérité? - Comme je vous le dis !

z15-56. L'« amour» stérile de la civilisation urbaine moderne.

ZI 8. Tirésias, quoiqu'il soit ici simple specta­teur et point du tout un personnage, n'en est pas moins la figure la plus importante du poème, celle en qui s'unissent toutes les autres. De même que le marchand borgne, vendeur de raisins secs, se confond avec le Marin Phénicien, et que celui-ci n'est pas entièrement distinct de Ferdinand, Prince

de Naples, de même toutes les femmes ne sont qu'une femme, et les deux sexes se rencontrent en Tirésias. Ce que Tirésias voit est en fait la substance du poème. Tout le passage, chez Ovide, est d'un grand intérêt anthropologique :

« ... Cum Junone jocos et major vestra profecto est Quam, quae contingit maribus », dixisse « voluptas ». Ilia ne gat; placuit quae sit sententia docti Quaerere Tiresiae : venus huic erat utraque nota. Nam duo magnorum viridi coeuntia silva Corpora serpentum baculi violaverat ictu Deque viro factus, mirabile, femina septem Egerat autumnos; octavo rursus eosdem Vidit et « est vestra si tanta potentia plagae », Dixit «ut auctoris sortem in contraria mutet, N~nc quoquc;: vos feriam 1 » percussis anguibus

tsdem Forma prior rediit genetivaque venit imago. Arbiter hic igitur sumptus de lite jocosa Dicta Jovis firmat; gravius Saturnia justo Nec pro materia fertur doluisse suique Judicis aeterna damnavit lumina nocte, At pater omnipotens (neque enim licet inrita

cuiquaril Facta dei fecisse deo) pro lumine adempto Scire futura dedit poenamque levavit honore.

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22. x. Ceci peut paraître moins exact que les vers de Sappho, mais j'avais présent à l'esprit le pêcheur côtier, le pêcheur de doris, qui s'en retourne chez lui à la tombée de la nuit.

22.2.-2.3. La ruée matinale vers le bureau l'a empêchée de ranger les restes de son petit déjeuner. Souillon par la force des circonstances comme par nature, elle n'a ni le temps ni l'inclination de cuisiner de vrais repas et se nourrit de conseroes . . Le vers 2.2.5 en fait l'un des milliers d'occupants de living-room à un lit dans quelque qrtartier résidentiel en décadence de Londres.

2.34. Bradford, centre de J'industrie lainière du York­shire, a connu une immense prospérité grâce aux contrats de guerre de I9I4-I8. Le milliardaire de ce vers est le type du «profiteur de guerre ».

2. 53. « Quand belle femme à folie s'abandonne ». V. Goldsmith, la chanson du« Vicar of Wakefield».

2.57. «Cette ariette est venue vers moi dessus les eaux. » V. « La Tempête », comme plus haut.

2.58. Londres, passée et présente, est ici évoquée. Le Strand, qui est aujourd'hui une rue de boutiques et de bureaux reliant la Cité au West-End, était naguère, comme son nom le suggère, une voie qui longeait la berge de la Tamise. Sur toute sa longueur s'élevaient les grandes

maisons des gentilshommes d'Elizabeth. Le Comte de Leicester habitait à Durham House en I ;66 et la reine Elizabeth y dina avec lui. (V. vers 2.79 et suivants.) Leicester occupa ensuite Essex House qu'il reconstruisit.

Queen Victoria Street, percée au cours du XJXe siècle ( I 36 J-7 2), relie la Cité au Quai Victoria qu'elle rejoint au Pont de Blackfriars. Ses buildings commerciaux (y compris celui du journal « The Times ») sont surtout occupés par des firmes d'ingénieurs, de grossistes et autres compagnies similaires marquantes.

z6o. Lower Thames Street. Billingsgate Market, le marché-aux-poissons central de Londres, s'étend entre la Rue de la Tamise et le fleuve, tout près de London Bridge. L'air de mandoline était dû, sans doute, à l'un des « buskers », ou musiciens ambulants, qui jouent à l'intérieur et à l'extérieur des bars de Londres.

2.64. L'intérieur "de St-Magnus Martyr est, à mon sens, l'un des plus beaux de Wren. Voyez « The Proposed Demolition of Nineteen City Churches. » (P. S. King and Son, Ltd.)

Construite en z676 par Sir Christopher Wren pour remplacer l'église primitive que Je Grand Incendie de Londres avait détruite en z666, son intérieur est remar­quable pour la beauté des sveltes colonnes ioniques qui sépare la nef des bas côtés.

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266. Ici commence la chanson des (trois) Filles de la Tamise. Elles parlent alternativement, du vers 2.92. au vers 306. Voir « Gotterdammerung », ill, i : les Filles du Rhin.

270. Les voiles rouges, imposantes et familières, des chalands et des bachots de la Tamise.

275. La Tamise au Bras de Greenwich, en aval de Londres, s'incun;e profondément pour contourner 'l'Ile des Chiens (paroisse de Pop/ar, pauvre district des docks) au Nord, et baigne au ~ud fa_ magnifique ran_gée d'édifices connus sous le nom d Hopttal de Greenwrch, l'un des plus remarquables chefs-d' œuvre de Sir Chris­topher Wren. Le contraste marq'!' da~s le poème ent:e les deux rives est assurément mtenttonnel. Greenwrch fut jadis 11n Palais R<!)'al. Elizabeth y refllt Lord Lei­cester.

279. V. Froude, « Elizabeth », Vol. I, ch. Iv, lettre de De Quadra à Philippe d'Espagne :

« L'après-midi nous trouva ~ur une nac~lle, occupés à regarder les jeux naut1que~. [~a re~e] était seule avec Lord Robert et mol-meme a la poupe, et ils se mirent à badiner, tant et si bien que Lord Robert alla jusqu'à dire, en ma présence, qu'il n'y avait .pas ~e r~iso~ pour qu'ils ne se mariassent pas s1 la reme 1 ava1t pour agréable. »

2.89. Les créneaux de la Tour Blanche, bâtie en pierre blanche de Caen ( I o 7 3) par Guillaume Je Cot~qulrant pour sen;ir de donjon à la Tour de Lond~s. C'est pour le marin un repère remarquable sur la rtve gauche de la Tamise en aval du Pont de Londres.

2.93. Cf. « Purgatorio »,V. 133 : « Ricorditi di me, che son la Pia; « Siena mi fe', disfecemi Maremma. »

2.93. Highbury (Londres Nord-Est) dans le J.au­bourg métropolitain d'Islington, est une morne banlteue de la petite bourgeoisie. Elle ne présente point d'as~O: ciation personnelle dans ce contexte, ayant étl ch~me simplement par manière de contraste avec les banlteues salubres de Richmond et de Kew qui s'étendent au sud­ouest de Londres, au pôle opposé de l'axe NE-SO. - Richmond, fameux pour ses parties de rivière, et Kew, fameux pour SC$ vastes jardins botan~ques, sont des villégiatures favorites des bords de la Tamtse pour les Londoniens en vacances.

z96. Moorgate n'était pas l'une des portes (gates) originelles de la Cité : elle fut construite pour remplacer 11ne poterne de l'enceinte nord entre Bishopgate et Cripple­gate. La porte fut démolie en IJ62 et le quartier auquel elle a donné son nom se trouve, à prisent, au cœllf' till district financier de la Cité. La « Fille de la Tamise »

Ip

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qui chante cette complainte était vraisemblablement dtutylo dans J'un des grands buildings du quartier. Lorsque T. S. Eliot travaillait dans une banque de la Cité, il prenait le métro à la station de Moorgate.

300. Margate, bain de mer populaire de l'Ile de Tha­net, Kent, à 74 milles à J'est de Londres, à l'extrémité du North Fore/and, très fréquenté pendant les vacances d'été par les travailleurs de la ville et l' « humble people».

307. V. saint Augustin, «Confessions »: «Je m'en fus alors à Carthage, où un chaudron d'amours impures m'emplit les oreilles de son chant. »

308. Le texte complet du « Sermon du Feu » du Bouddha (il correspond en importance au « Ser­mon sur la Montagne »), dont ces paroles sont extraites, se trouve en anglais dans « Buddhism and Translation» de feu Henry Clarke Warren. M. War­ren fut l'un des grands pionniers des études boud­dhiques en Occident.

309. Cf. encore les« Confessions »de saint Augus­tin. Le rapprochement de ces deux représentants de l'ascétisme oriental et occidental, au point culmi­minant de cette partie du poème, n'est pas fortuit.

IV. MORT PAR NOYADE

3 1 z. Phlébas, le dieu noyl des cultes de fertilité. Et le marchand. Cf. « Mercredi des Cendres ».

« Bien que je n'espère plus me tourner à nouveau

Flottant de-ci de-là entre profit et perte Pendtmt ce bref voyage où les rêves traversent Le demi-jour traversé de rêves entre le naître et le

mourir. »

V. CE QU'A DIT LE TONNERRE

Au début de la cinquième partie, il est fait usage de trois thèmes : le voyage à Emmaüs, la marche vers la Chapelle Périlleuse (voir le livre de Miss Wes­ton) et le présent déclin de l'Europe orientale.

3zz. L'association de Jésus au Jardin de Gethsémani avec les vieux dieux pendus de la légende.

3%9· Cf. « Meurtre dans la Cathédrale » : Vivant et vivant à demi » (le chœur des femmes du peuple de Canterbury).

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344-45. Du visages asiatiques ( thibétains). La scène s'e.rt transportée de Palestine en Asie Centrale. ·

J51· C'est le Turdus aonalaschkae pallasii,la «grive­ermite », que j'ai entendue dans la Province de Québec. Chapman dit ( « Handbook of Birds of North America ») : «Il niche surtout dans les forêts écartées et les taillis épais ... Son chant n'est remar­quable ni pour la variété ni pour le volume, mais, pour la pureté et la douceur du ton ainsi que pour l'exquise modulation, il n'a pas son pareil. » Ses « notes ruisselantes » sont renommées à juste titre.

3 59. Le retour du Dieu.

360. Les vers suivants ont été inspirés par le récit d'une expédition antarctique Ge ne sais plus laquelle, mais je crois bien que c'est l'une des expé­ditions de Shackleton) : on y rapportait que les explorateurs, à bout de forces, avaient constamment l'illusion d'être un de plus qu'ils ne pouvaient compter.

366-76. Cf. Hermann Hesse, « Blick ins Chaos»: « Schon ist halb Europa, schon ist zumindest der halbe Osten Europas auf dem Wege zum Chaos, fahrt betrunken im heiligen Wahn am Abgrund entlang und sing dazu, singt betrunken und hym­nisch wie Dmitri Karamasoff sang. Ueber diese

Lieder lacht der ;Bürger beleidigt, der Heilige und Seher hôrt sie mit Tranen.

311· L'une des « Filles de la musique » (V. « Ecclé­siaste », XII).

379-84. M. Eliot pense que l'imagerie de ce pa.r.rage lui fut, en partie, suggérée par une peinltlre de l'lcole de Jérôme Bosch.

384. Cf « Ecclésiaste », XII. « Et/a roue sera bri­sée à la citerne », etc.

3 8 5 et sui v. V. « From Rit~~a/ to Romance » : Le V~age à la Chapelle Périlleuse, un rite d'initiation. Le décor macabre de la chapelle mythique était desti111 à lproll'tler le courage de l'initié. Le cimetière e.rt associé à la Chapelle Périlleuse dans certaines versions de la légende du Graal.

391. Le coq disperse les mall'tlais esprits (Cf. «Ham­let, I, et aussi « La Tempête » : « Le chant du fier Chante­cler. ·

Criez : Co-co-rico 1 »

395 et suiv. Référence aux anciennes cr~ances aryennes sur la fertilité.

401. « Datta, dayadhvam, damyata » (Donne, sympathise, dirige). La fable sur la signification

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du Tonnerre se trouve dans le « Brihadaranyaka­Upanishad », h 1. Elle est traduite dans « Sechzig Upanishads des Veda» par Deussen, p. 489.

407. Cf. « Gérontion » : «Que fera l'araignée, sus­pendre son travail ? »

407. Cf. Webster, «Le Démon Blanc », V, VI :

" ... They' 11 remarry Ere the worm piece your winding sheet, ere the

spider Make a thin curtain for your epitaphs."

« ... Ils se remarieront Avant même que le ver n'ait percé ton linceul,

avant que l'araignée N'ait enrobé ton épitaphe. »

412.. Cf. « Inferno », XXXITI, 46 :

« ed io sentii chiavar l'uscio di sotto all'orribile torre. »

Cf. également F. H. Bradley, « Appearance and Reality », p. 346 : « Mes sensations externes ne me sont pas moins privées que ne le sont mes pensées ou mes sentiments. Dans les deux cas, mon expé­rience joue au dedans de mon propre cercle, un cercle étanche à l'extérieur; et, bien que tous leurs élé­ments soient semblables, chaque sphère demeure

opaque à celles qui l'entourent... En bref, considéré comme une « existence » qui se manifeste dans une âme, le monde entier, pour chacun, est particulier ct privé à cette âme. »

418. Cf. Partie I. « Frisch weht der Wind >> - le moment de bonheur dans la vie de Tristan et d'Iseut. T. S. Eliot fut dans sa jetmesse un amateur de ytUhting expérimenté et passionné :ce fait biographique n'est pas sans lien avec l'imagerie marine dont il se plaît à jaire usage.

424. V. Weston : «From Ritual to Romance »; le chapitre sur le Roi Pêcheur.

426. Le refrain d'une fameuse et traditionnelle chan-son de nourn'ce anglaise :

" London Bridge is broken down Dance over my lady lee. " (Le Pont de Londr' s'est écroulé Dansez mr le pré de ma dame.)

427. V. « Purgatorio »,XXVI, 148. « Ara vos pree, per aquella valor «que vos guida al som de l'escalina « sovegna vos a temps de ma dolor. » Poi s'ascose ne! foco che gli affina.»

Arnaut, avant de retomber dans le jeu purifiant (Cf. « Little Gidding », II) dit : « Je suis Arnaut qui

157

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pleure et va chantant,· Contrit, je vois ma folie ancienne, Et joyeux devant moi ce jour-là que j'espère. »

428. V. « Pervigilium Veneris ». Cf. Philomela in Parties TI et III.

429. V. Gérard de Nerval, le Sonnet « El Desdi­chado ».

43 x. V. Kyd, « Spanish Tragedy » : « Parbleu, je vous ferai tenir Jérôme est redevenu fou. »

Ces mots signifient, ou visent à suggérer, que tout ceci semblera folie au monde moderne. Mais c'est, con1me dans le cas du jérôme (un précurseur de i-Iamlet) de la vieille pièce, une folie qui a un propos (Cf « Hamlet » : Il y a de la méthode dans cette folie »).

433· Shantih. Répété comme ici, il constitue la fin rituelle d'une Upanishad. « La paix qui passe l'en­tendement serait notre équivalent pour ce mot. »

J>ost-scriptum :

Voir T. S. Eliot : « Thoughts after Lambeth >> le monde est en train de chercher à élaborer une mentalité

non chrétienne. L'expérience lchouera; mais nous devons faire preuve de beaucoup de patience en attendant cet échec ,· et racheter cependant le temps : afin que la Foi puisse ltre gardée vivante à travers les sombres âges à venir,· afin de renouveler et de reconstruire la civilisation, afin de sauver le monde du suicide. »

L'Inferno de la Terre Vaine, en fait, aspire à un Pur­gatoire. Ce n'est pas, comme certains critiques l'ont supposé, un poème de désillusion.

IS9

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ASH- WEDNESDAY MERCREDI

DES CENDRES

Il

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I

Because I do not hope to turn again Because I do not hope Because I do not hope to turn Desiring this man's gift and thal man's scope I no longer strive to strive towards such things (W~ should the aged eagle stretch ifs wings ? ) w~ should 1 mourn The vanished power of the usual reign ?

Because I do not hope to know again The injirm glory of the positive hour Because I do not think Because 1 know 1 sha/1 not know The one veritable transitory power Because I cannot drink There, where trees flower, and springs flow, for ther1 is

nothing again

162

l

Parce que je n'espère plus me tourner à nouveau Parce que je n'espère plus Parce que je n'espère plus me retourner Enviant le don de celui-ci et l'envergure de celui-là Je ne m'efforce plus de m'efforcer vers pareilles choses (Pourquoi l'aigle chenu déploierait-il ses ailes ?) Pourquoi lamenterais-je Le pouvoir évanoui du règne habituel ?

Parce que je n'espère plus connaître de nouveau La gloire débile de l'heure positive Parce que je ne crois pas Parce que je sais bien que je ne saurai pas Le seul vrai pouvoir transitoire Parce que je ne puis boire Là où fleurissent les arbres et coulent les fontaines,

car il n'est rien qui revienne.

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Because I know that lime is a/ways lime And place is a/ways and on(y place And what is actua! is actua! on(y for one lime And on(y for one place I rejoice that things are as they are and I reno11nce the b!essed face And renounce the voice Because I cannot hope to turn again Consequent(y I rejoice, having to construct something Upon which to rejoice

And pray to God to have merry upon us And I pray that I mav forget These matters that with myse!j I too much discuss Too much exp/ain Because I do not hope to turn again Let these words answer For what is done, not to be donc again May the judgement not be too beavy upon us

Because these wings are no longer wings to fly But mere(y vans to beat the air The air which is now thorough(y sma/1 and dry

164

Parce que je sais que le temps est toujours le temps Que le lieu est toujours et seulement le lieu Que ce qui est réel ne l'est que pour un temps Ne l'est que pour un lieu Je me réjouis que les choses soient ce qu'elles sont Et je renonce le visage béni Et je renonce la voix Parce que je n'espère plus me tourner de nouve~u En conséquence je me réjouis, ayant à construire

quelque chose Dont je puisse me réjouir.

Et je prie Dieu qu'il nous prenne en merci Et je prie afin d'oublier . Ces choses que je débats outre mesure avec mot-

même Que je raisonne outre mesure Parce que je n'espère plus me tourner à nouveau Que ces paroles répondent Pour ce qui est commis et n'est plus à commettre Puisse le jugement sur nous ne point peser trop

lourd

Parce que ces ailes ne sont plus des ailes pour voler Mais seulement des vans pour battre l'air L'air qui est à présent si ténu et si sec

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S mailer and dryer than the will Teach us to care and not to care Teach us to sit stiJl.

Prt!J for us sinners now and at the hour of our death Pray for us now and at the hour of our death.

x66

Plus ténu et plus sec que n'est la volonté Apprenez-nous l'amour et le détachement Apprenez-nous· à rester en repos.

Ora pro nobis peccatoribus nunc et in hora mortis nostrae Ora pro nabis nunc et in hora mortis nostrae.

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II

Laqy, three white leopards sat under a juniper-tree In the cool of the day, havingfed to satiety On my legs my heart my liver and thal which had been

contained In the hollow round of my skull. And God said Shall these bones live? shall these Bones live ? And thal which had been contained In the bones ( which were alreaqy dry) said chirping : Because of the goodness of this Laqy And because of her loveliness, and because She honours the Virgin in meditation, We shine with brightness. And I who am here dissembled Proffer my deeds to oblivion, and my love To the posterity of the desert and the fruit of the gourd. I t is this which recover s MY guts the strings of my eyes and the indigestible

portions

168

II

Madame, trois léopards blancs assis sous un genévrier

Goûtaient le frais du jour, repus à satiété De ma chair de mon cœur de mon foie de cela qui

avait empli La calotte évidée de mon crâne. Et Dieu dit Ces .os revivront-ils? Ces os Revivront-ils ? Et cela qui avait empli Les os (déjà séchés) se mit à gazouiller : Parce que cette Dame est bonne et parce qu'elle Est belle, et parce qu'elle Honore la Vierge en méditation, Notre blancheur éclate. Et moi qui suis ici celé J'offre mes actes à l'oubli et mon amour Aux enfants du désert et du fruit de la gourde. Ce par quoi je recouvre Mes viscères mes yeux et les parts indigestes

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Which the leopards reject. The Lady is withdrawn In a white gown, to contemplation, in a white gown. Let the whiteness of bones atone to forgetfu/ness. There is no /ife in them. As I am forgotten And won/J be forgotten, so I won/J forget Thns devoted, conçentrated in purpose. And Cod said Prophesy to the wind, to the wind on!J for on!J The wind wi/1/istem. And the bones sang chirping With the burden of the grasshopper, saying

Lady of silences Calm and distressed Torn and most whole Rose of memory Rose of forgetfulness Exhausted and life-giving Worried reposeful The single Rose Is now the Garden Where al/ loves end Terminale forment Of love nnsatisjied The greater forment Of love satisjied

J70

Que rejettent les léopards. Et la Dame s'est retirée

De blanc vêtue, en oraison, de blanc vêtue. Que la blancheur des os rachète l'oubliance. Ils sont vidés de vie. Et tout de même Que je suis oublié et voudrais l'être, ainsi voudrais-

je Oublier, concentré dans ma dévotion. Et Dieu dit : Prophétise Au vent et au vent seul car seul le vent écoutera. Et les os gazouillèrent Entonnant le refrain du grillon et disant :

Ma Dame des silences Tranquille, désolée Déchirée, entière Rose réminiscente Rose d'oubli Épuisée, vivifiante Tourmentée, reposante La Rose unique Dès lors est le Jardin Où tout amour prend fin Où cessent le tourment D'amour insatisfait Et celui, plus cruel, De l'amour satisfait

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End of the endless ]ourney to no end Conclusion of ali that Is inconclusible Speech withottt word and Word of no speech Grace to the Mother For the Garden Where al/love tnds.

Under a juniper-tree the bones sang, scattered and shining

We are glad to be scattered, we did little good to each other,

Under a tree in the cool of the dqy, with the blessing of sand,

Forgetting themselves and each other, united ln the q_u~et of the desert. This is the land which ye Sha/1 dzvide l?y lot. And neither division nor uniry Matter s. ·This is the land. We have our inheritance.

Fin du voyage sans fin V ers le sans terme Conclusion de tout L'inconclusible Discours sans parole ct Parole sans discours Rendons grâce à la Mère Pour le Jardin Où tout amour prend fin.

Sous un genévrier les os chantaient, épars, brillants

Nous sommes contents d'être épars, nous ne nous faisions guère de bien

Les uns aux autres. Sous un arbre Dans le frais du jour et nantis de la bénédiction du

sable, S'oubliant eux-mêmes, s'oubliant les uns les autres

' 0 ,

reun1s Dans la quiétude du désert. Et voici la terre que

vous Diviserez selon le sort. La division ni l'unité N'importent. Mais voici la terre. Nous détenons

notre héritage.

173

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III

At the ftrst turning of the second stair I turned and saw below The same shape twisted on the banister Under the vapour in the fetid air Struggling with the devi/ of the stairs who wears The deceitful face of hope and of despair.

At the second turning of the second stair I left them twisting, turning below ,-There were no more faces and the stair was dark, Damp,jagged, like an old man's mouth drive/ling,

beyond repair, Or the toothed gu/let of an aged shark.

At the ftrst turning of the third stair Was a slotted window be/lied like the ftg' s fruit

174

III

Au premier tournant du second étage Je me tournai pour voir La même forme au-dessous se tordant sur la rampe Au milieu des vapeurs fétides de la cage Et se battant avec le diable des étages Au visage trompeur d'espoir et de désespoir

Au second tournant du second étage Je les laissai tordus, tournoyant au-dessous Plus trace de visages, l'escalier était sombre Moite, ébréché comme une bouche d'aïeul baveuse,

irréparable Ou la gueule hérissée d'un vieu:x; requin.

Au premier tournant du troisième étage S'entr'ouvrait une meurtrière pansue comme le

fruit du figuier

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Page 88: T S Eliot Poèmes 1910-1930

And beyond the hawthorn blos.rom and a pasture scene The broadbacked ftgure drest in blue and green Enchanted the maytime with an antique flute. Blown hair is sweet, brown hair over the mouth blown, Li/ac and brown hair ,· Distraction, music of the ftute, stops and steps of the

mind over the third stair, Fading, fading; strength beyond hope and despair Climbing the third stair.

Lord, I am not worthy Lord, I am not worthy

but speak the word on!J.

Et par delà l'épine en fleur d'un paysage pastoral La silhouette aux larges épaules, accoutrée de bleu

et de vert OJ.armait le temps de mai d'un antique pipeau Doux sont les cheveux bruns, les cheveux bruns

chassés par le vent sur les lèvres, Le lilas et les cheveux bruns ; Aliénation, air de pipeau, gammes et pas de l'esprit

vers le troisième étage, Qui se perdent, se perdent ; Efforts outre l'espoir outre le désespoir A gravir le troisième étage.

Domine non sum dignus Domine non sum dignus

sed tantum die vcrbo.

177 12

Page 89: T S Eliot Poèmes 1910-1930

IV

Who walked between the violet and the violet Who walked between The various ranks of varied green Coing in white and blue, in Mary' s co/our, Ta/king of trivial things In ignorance and in knowledge of eternal do/our Who moved among the others as they walked, Who then made strong the fountains and n;ade fresh the

springs

Made cool the dry rock and made jirm the sand In blue of larkspur, blue of Mary' s colortr, Sovegna vos

Here are the years that wa/k between, bearing Awqy the jiddles and the flutes, restoring One who moves in the time between s!eep and waking,

wearing

IV

Qui marchait entre la violette et la violette Qui marchait entre Les rangs variés de verts divers Allant en blanc et bleu, la couleur de Marie Parlant de choses banales Ignorant et sachant l'éternelle douleur Qui s'en allait, mêlant ses pas à ceux des autres, Qui fit alors les sources vives, drues les fontaines

Rendit frais le roc sec ct raffermit le sable Allant en bleu pervenche, la couleur de Marie, Sovegna vos

Voici entre-venir les années qui emmènent Au loin violons et flûtes, qui ramènent Celle qui marche dans le temps entre somme et veille,

et que vêtent

179

Page 90: T S Eliot Poèmes 1910-1930

White light folded, sheathed about her, Jolded. The new years walk, restoring Through a bright cloud of tears, the years, restoring With a new verse the ancien! rhyme. Redeem The lime. Redeem The unread vision in the higher dream While jewelled U11icorns draw by the gilded hearse.

The si/eni sis/er veiled in white and blue Betwenn the yews, behind the garden god, Whose flute is breathless, bent ber head and signed but

spoke no word

But the fountain sprang up and the bird sang down Redeem the lime, redeem the dream The token of the word unheard, unspoken

Till the wind shake a thousand whispers from the yew

And after this our exile

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De blancs plis de lumière : engainée de blancs plis. S'en viennent les années nouvelles qui ramènent Sous un diapre de pleurs, les années, qui ramènent Sur un mètre nouveau les vers anciens: Rachète Le temps. Rachète La vision indéchiffrée du plus haut rêve Les licornes tiarées traînent la herse d'or

La sœur silencieuse aux: voiles blancs et bleus Entre les ifs, derrière le dieu du jardin Dont la flûte est sans voix, baissa la tête et fit signe,

mais ne dit mot.

Mais la fontaine jaillit, l'oiseau fit choir son chant : Rachète le temps, rachète le rêve Le gage de la parole inentendue, imprononcée

Jusqu'à ce que le vent Ait de l'if secoué fait choir rrùlle murmures

Et nobis post hoc exsilium.

181

Page 91: T S Eliot Poèmes 1910-1930

v

If the /ost word is /ost, if the spent word is spent If the unheard, unspoken Word is unspoken, un heard ,· Sti/1 is the unspoken word, the Word unheard, The Word without a word, the Word within The world and for the world; And the light shone in darkness and Against the World the unstil/ed world sti/1 whirled About the centre of the si/ent Word.

0 my people, what have I done unto thee.

Itvhere sha/1 the word be found, where ».Ji/1 the 11-'0rd Resound? Not here, there is not enough silence

182

v

Si la parole perdue est perdue, la parole dépensée dépensée

Si la parole inouïe, imprononcée Est imprononcée, inouïe; Toujours est la parole imprononcée, toujours La Parole inouïe La Parole sans parole, la Parole au dedans Du monde et pour le monde; Et la lumière brilla dans les ténèbres et Contre le Monde le monde inquiet continua de

giroyer Autour de la Parole silencieuse

0 mon peuple, que t'ai-je fait

Où sera la parole trouvée, où la parole Clamée ? Non pas ici où le silence fait défaut

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Not on the sea or on the islands, not On the main/and, in the desert or the rain land, For those who walk in darkness Both in the day lime and in the night time The right lime and the right place are not here No place of grace for those who avoid the face No lime to rejoice for those who walk afJJong noise and

deny the voice

Will the veiled sister pray for Those who walk in darkness, who-chose thee and oppose thee, Those who are torn on the horn between season and season,

time and time, between Hour and hour, word and word, power and power, those

who wait In darkness? Will the veiled sister pray For chi/dren at the gate Who will not go awav and cannot pray : Pray for those who chose and oppose

0 my people, what have 1 done unto thee.

Will the veiled sister between the s/ender Yew trees pray for those who offend her And are terrifted and cannot su"ender And ajjîrm before the world and deny between the

rocks

Ni sur les îles ou la mer Ni sur le continent, la terre des pluies ou le désert, Pour ceux qui marchent dans le noir Durant le temps du jour et le temps de la nuit Il n'est point de temps juste point de lieu juste id Nul lieu de grâce pour ceux qui évitent la face Nul temps de joie pour ceux qui errent dans le

fracas et qui renient la voix

La sœur voilée priera~t~elle pour ceux Qui marchent dans le noir, qui t'ont choisi ct te

résistent Écartelés entre saison et saison, temps èt temps, entre Heure et heure, parole et parole, puissance et

puissance, qui attendent Dans le noir ? La sœur priera~t-elle Pour les enfants qui restent à la porte Ne voulant s'en aller et ne pouvant prier: Priez pour ceux qui ont choisi et qui résistent

0 mon peuple, que t'ai~je fait

La sœur voilée entre les ifs légers Priera-t~elle pour ceux qui l'offensent Et tremblent de terreur et ne peuvent se rendre Et disent oui devant le monde et disent non entre

les rocs

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In the fast desert between the fast blue rocks The desert in the garden the garden in the desert Of drouth, spitting from the mouth the withered apple­

seed.

0 my people.

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Dans le dernier désert près des derniers rocs bleus Le désert au jardin le jardin au désert De la soif, et qui crachent Des lèvres le pépin de pomme desséché.

0 mon peuple.

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VI

· Although I Jo not hope to turn again Although I Jo not hope Although I Jo not hope to turn.

Wavering between the proftt and the Joss In this brief transit where the Jreams cross The Jreamcrossed twilight between birth and Jying (Biess me father) though I Jo not wish to wish the se

things From the wide window towards the granite shore The white sails sti/1 fly seawarà1 seaward flying Unbroken wings

And the /ost heart stiffens and rejoices In the /ost li/ac and the /ost sea voices And the weak spirit quickens to rebel For the bent go/Jen-rod and the /ost sea sme/1

x88

VI

Bien que je n'espère plus me tourner à nouveau Bien que je n'espère plus Bien que je n'espère plus me retourner

Flottant de-d de-là entre profit et r erte Pendant ce bref passage où les rêves se croisent Ce demi-jour croisé de rêves entre le naître etle mourir (Père bénissez-moi) bien que je ne désire Plus désirer ces choses Par la fenêtre ouverte sur la rive de granit Toujours cinglent les voiles, ailes blanches au large Dans leur vol imbrisé

Et le cœur perdu se raidit, se réjouit Du lilas perdu, des voix marines perdues Et l'ardeur alanguie s'anime et revendique La verge-d'or ployée, l'odeur marine perdue

Page 95: T S Eliot Poèmes 1910-1930

Quickens to recover The cry of quai/ and the whirling plover And the blind eye crea/es The empry forms between the ivory gales And sme/1 renews the salt savour of the sandy earth

This is the lime of tension between dying and birth The place of solitude where three dream cross Between blue rocks But when the voices shaken from the yew-tree drift away Let the other yew be shaken and rep!y.

Blessed sister, ho!y mother, spirit of the fountain, spirit of the garden,

Suffer us not to mock ourselves with falsehood Teach us to care and not to care Teach us to sit still Even among these rocks, Our peace in His will And even among these rocks Sister, mother And spirit of the river, spirit of the sea, Suffer me not to be separated

And let my cry come unto Thee.

S'anime pour recouvrer Le cri des cailleteaux, le tournoyant pluvier Et l'œil aveugle crée Les formes vides entre les portes ivoirines Et l'odeur renouvelle La saline saveur de la terre sablonneuse

Voici le temps de tension entre le mourir ct k naître Le lieu de solitude où trois rêves sc croisent Entre des rochers bleus Mais lorsque les voix chues de l'if secoué sc perdent Que l'autre if soit secoué et qu'il réponde

Sœur bénie, sainte mère, esprit de la fontaine ct esprit du jardin,

Ne souffrez point que nous nous leurrions de fausseté Apprenez-nous l'amour et le détachement · Apprenez-nous à rester en repos Même parmi ces rocs, Notre paix; en Sa volonté Et parmi ces rocs mêmes Sœur, mère Esprit de la lumière et esprit de la mer Ne souffrez point que je sois séparé

Et clamor meus ad Te veniat.

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ARIEL POEMS POÈMES D'ARIEL

13

Page 97: T S Eliot Poèmes 1910-1930

JOURNEY OF THE MAGI

'A cold coming we had of if, Just the worst lime of the year For a journey, and such a longjourney : The ways deep and the weather sharp, The very dead of winter.' And the camels galled, sore-footed, rejractory, Lying down in the me/ting snow. There were times we regretted The summer palaces on slopes, the terraces, And the si/ken girls bringing sherbet. Then the came/ men cursing and grumbling And running away, and wanting their liquor and women,

LE VOYAGE DES MAGES

« Ce fut une froide équipée, « La pire saison de l'année « Pour un voyage, surtout poUt: un si long voyage : « Les chemins ravinés, la rafale cinglante, «Le plus morfondu de l'hiver. »1 Et les chameaux sanglants, éclopés, réfractaires Qui se couchaient dans la neige fondue. Combien de fois avons-nous regretté Les palais d'été sur les pentes, les terrasses, Les filles satinées porteuses de sorbets. Sans compter les chameliers qui juraient, qui

maugréaient, Qui s'enfuyaient, voulant leur liqueur et leurs

femmes,

1. Otation d'un sermon de Lancelot Andrewes sur la Nativité. (N.d.T.)

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And the night-.fires going out, and the l~k of shelters, And the cilies hostile and the towns unfnend!J And the villages dirty and charging high priees : A hard lime we had of it. At the end we preferred to !ravel ali night, Sleeping in snatches, . With the voices singing in our ears, saytng Thal this was ali foi!J.

Then at dawn we came down to a temperate valley, Wet below snow fine, smelling of vegetation; With a running stream and a water-mill beating the

darkness, And three trees on the low sky, And an old white horse ga/loped away in the meado'»:'. Then we came to a tavern with vine-leaves over the ltntel, Six hands at an open door dicingfor pieces of si/ver, And feet kicking the empty wine-skins. . But there was no information, and so we conttnued And arrived at evening, not a moment loo soon Finding the place ; if was (you may say) satisfactory.

Et les feux de bivouac qui s'éteignaient, et le gite qui faisait défaut, .

Et les villes hostiles, les bourgades hameuses, Les villages crasseux qui demandaient les yeux de la

tête: Ce fut une rude équipée. V ers la fin nous allions toute la nuit durant, En sommeillant par bribes, Et des voix bourdonnaient à nos oreilles, chantant Que tout cela était folie.

Une aube nous descendîmes dans un val tempéré, Humide, bien au-dessous de la ligne des neiges, Imprégné d'odeurs végétales, Avec une eau courante, un moulin battant l'ombre, Trois arbres contre le ciel bas, Et ce vieux cheval blanc qui galopait dans la

prairie. Nous gagnâmes une taverne au linteau orné de

corymbes : Six mains devant la porte ouverte jouaient aux dés

des pièces d'argent . Et des pieds envoyaien: baller l.es outres v~desA. De renseignements, pomt; aussi nous contmuames Pour arriver le soir; ayant, mais juste à temps, Trouvé l'endroit : c'était (pourrait-on dire) Un résultat satisfaisant.

197

Page 99: T S Eliot Poèmes 1910-1930

Ali this was a long lime ago, I remember, And I would doit again, but set down This set down This: were we led al/ thal»''!)' for Birth or Death? There was a Birth, certain!J, We bad evidence and no doubt, I-bad seen bir th and

death, But bad thought they were different ,· this Birth was Hard and bitter agony for us, like Death, our death. We returned to our places, these Kingdoms, But no longer at ease here, in the old dispensation, With an alien people clutching their gods. I should be glad of another death.

Tout ceci est fort ancien, j'en ai mémoire Et serais prêt à repartir, mais notez bien Ceci, notez Ceci : tout ce chemin, nous l'avait-on fait faire Vers la Naissance ou vers la Mort? Qu'il y ait eu Naissance, la chose est sûre, car nous en etimes La preuve, indubitable. J'avais vu la naissance Et j'avais vu la mort; mais je les avais crues Toutes deux différentes. Cette Naissance-là Fut pour nous agonie amère et douloureuse, Fut comme la Mort, fut notre mort. Nous voici revenus chez nous, en ces royaumes, Mais nous ne sommes plus à l'aise, dans l'ancienne

dispensation, Au milieu d'un peuple étranger qui reste agrippé à

ces dieux. Une autre mort serait la bienvenue.

1117·

199

Page 100: T S Eliot Poèmes 1910-1930

A SONG FOR SIMEON

Lord1 the Roman hyacinths are blooming m bowls and The winter sun creeps by the snow bills,-The stubborn season has made stand. J{)'life is light1 waitingfor the death wind

1

Like a feather on the back of my band. Dust in sunlight and memory in corners Wail for the wind that chills towards the dead land.

Grant us thy peace. 1 have walked mai!J years in this city1

Kept faith and fasf1 provided for the poor1

Have given and ta ken honour and case. There went never a'!Y rejected from my door. Who sha/1 remember my house1 where shalllive my

children' s children When the time of sorrow is come ?

2.00

CANTIQUE POUR SIMÉON

Seigneur, les hyacinthes fleurissent dans les coupes et voici

Que le soleil d'hiver s'achemine par les monts de neige;

La saison têtue se confirme. , Ma vie attend, légère, le vent de mort Comme un duvet sur le dos de la main. La poussière ~u soleil, la mémoire aux recoins Attendent le vent glacé qui balaiera la terre morte.

Accorde-nous Ta paix. Voici bien des années que je marche dans cette ville, Observant ma foi et la Loi et pourvoyant à l'indigent, Donnant et recevant honneur et bien-être. Nul ne s'en est allé repoussé de mon seuil. Qui gardera mémoire de ma maison, où vivront les

fils de mes fils Quand le temps d'affliction sera venu ?

2.01

Page 101: T S Eliot Poèmes 1910-1930

They will take to the goal' s path, and the fox' s home,

Fleeingfrom the foreign façes and the foreign swords.

Before the lime of çords and scourges and lamentation Grant us thy peace. Before the stations of the mountain of desolation, Bejore the certain hour of materna! sorrow, Now at this birth season of decease, Let the Infant, the stillunspeaking and unspoken Word, Grant Israel' s consolation To one who has eighry years and no to-morrow.

Aççording to Thy word. They sha/1 praise Thee and suffer in every generation With glory and derision, Light upon light, mounting the saints 'stair. Not for me the marryrdom, the ecstasy of thought and

prqyer, Not for me the u!timate vision. Grant me thy peace. (And a sword shall pierce thy heart, Thine a!so.)

2.02.

Ils prendront le sentier des chèvres, se terrant au gîte des renards,

Fuyant les faces étrangères comme les glaives étrangers.

Avant le temps Des liens et des fouets et des lamentations, Accorde-nous Ta paix. Avant les stations sur la montagne de désolation, Avant !"heure assignée au chagrin maternel, En ce temps que void de naissance et de mort, Que le petit Enfant, Le Verbe qui ne parle encore et n'est parlé, M'accorde la consolation d'Israël A moi qui ai quatre-vingts ans, et qui n'ai pas de

lendemain.

Selon Ta parole Ils Te loueront et souffriront dans chaque

génération Avec gloire et dérision, Lumière sur lumière, gravissant l'escalier des saints. Le martyre n'est pas pour moi, ni la pensée ou la

prière dans l'e~ase, L'ultime vision n'est pas pour moi. Accorde-moi Ta paix. (Un glaive, à toi aussi, te percera le cœur.)

2.03

Page 102: T S Eliot Poèmes 1910-1930

1 am tired with my tn1111 /ife and the live.r of lhote after me,

1 am dying in my O'IVfl death and the deaths of lhote afte,. me.

Let thy servant depart, Having seen thy salvation.

204

Je suis las de ma vie et de la vie de ceux qui viendront après moi,

Je me meurs de ma mort et de la mort de ceux qui viendront après moi.

Laisse partir Ton serviteur, Car mes yeux: ont vu Ton salut.

1~28.

Page 103: T S Eliot Poèmes 1910-1930

ANI MU LA

'Issues from the hand of Cod, the simple sou/' To a flat world of changing lights and noise, To light, dark, dry or dam, chii!J or warm; Moving between the legs of tables and of chairs, Rising or fa/ling, grasping at kisses and toys, Advancing boldfy, sudden to take alarm, Retreating to the corner of armand knee, Eager to be reassured, taking pleasure ln the fragant brilliance of the Christmas tree, Pleasure in the wind, the sunlight and the sea; Studies the sunlit pattern on the floor And running stags around a si/ver trC!J ; Confounds the actual and the fanciful, Content with piC!Jing-cards and kings and queens, What the fairies do and what the servants SC!J.

zo6

ANIMULA

«S'échappe de la main de Dieu l'âme naïve » V ers les lumières changeantes et la rumeur d'un

monde plat Clair ou obscur, sec ou humide, chaud ou froid; Butant contre le pied des tables et des chaises, Tendant la main vers les baisers et les joujoux, S'avançant hardiment,. prompte à prendre l'alarme, Cherchant refuge au creux du bras et des

genoux, S'offrant à être rassurée, prenant plaisir A l'éclat embaumé de l'arbre de Noël, Plaisir au vent, plaisir au soleil, à la mer; Étudie le motif ensoleillé par terre Et les biches courant autour d'un plat d'argent; Confond l'imaginaire et le réel, contente Avec des cartes à jouer, des rois, des reines, Et des exploits de fée, et des dires de bonne.

Page 104: T S Eliot Poèmes 1910-1930

The heavy burden of the growing sou/ Perplexes and offends more, day by day; Week by week, offends and perplexes more W'ith the imperatives of 'is and seems" And may and may not, desire and control. The pain of living and the drug of dreams Curl up the sma/1 sou/ in the window seat Behind the Encyclopaedia Britannica. Issues from the band of lime the simple sou/ Irresolute and selftsh, misshapen, lame, Unable to fare forward or retreat, Fearing the warm rea!ity, the offered good, Denying the importunity of the blood, Shadow of its own shadows, spec/t'e in its own gloom, Leaving disordered papers in a dusty room ; Livingjirst in the silence after the viaticum.

Pray for Guiterriez, avid of speed and power, For Boudin, blown to pieces, For this one who made a great fortune, And that one who went his own way. Pray for Floret, by the boarhound slain between the yew

/t'ess, Pray for us now and at the hour of our birth.

IQ2Q

.2.08

Mais le pesant fardeau de l'âme grandissante Inquiète et blesse davantage, de jour en jour; Chaque semaine, inquiète, offense davantage Par les impératifs de l' « être » et du « paraître », Du permis et du défendu, du désir et de sa censure. La souffrance de vivre et la drogue des rêves Blottissent la petite âme dans l'embrasure de la fenêtre Derrière l' Enryclopaedia Britannita. S'échappe de la main du temps l'âme naïve Égoïste et irrésolue, boiteuse, difforme Ne sachant aller de l'avant ni reculer, Craignant la chaude réalité, le bien offert, Niant la tyrannie importune du sang, Ombre à ses propres ombres et spectre en sa ténèbre, Laissant des papiers en désordre dans une chambre

poussiéreuse; Vivant enfin dans le silence qui suit le viatique.

Priez pour Guiterriez, avide de vitesse et de puissance,

Pour Boudin, rédttit en bouillie, Pour celui-ci qui fit une grande fortune Et celui-là qui alla son chemin. Priez pour Floret, saigné par le vautre .entre les ifs. Priez pour nous à présent et à l'heure de notre

naissance.

IJZj •

14

Page 105: T S Eliot Poèmes 1910-1930

MARINA

Quis hic locus, quae regio, quae mundi plaga ?

What seas what shores what grey rocks and what islands What water lapping the bow And scent of pine and the woodthrush singing through

thefog What images return 0 my daughter.

Those who sharpen the tooth of the dog, meaning De ath Those who glitterwith the glory of the hummingbird, meaning Death Those who sit in the srye of contentment, meaning Dea th Those who suffer the ecstasy of the animais, meaning Death

210

MARINA

Quis bk IONII, fJ1IIll regio, IJ.IIIII miWii plaga 1

Quelles mers quelles rives quels rocs gris quelles îles Quelle eau lapant la proue Quelles senteurs de pin et quels chants, dans la

brume, de la grive des bois Quelles images s'en reviennent 0 ma fille.

Ceux qui aiguisent la dent du chien, signifiant Mort Rutilent des gloires de l'oiseau-mouche, signifiant Mort Croupissent dans la soue des repus, signifiant Mort Souffrent l'extase des animaux, signifiant Mort

2II

Page 106: T S Eliot Poèmes 1910-1930

Are become unsubstantial, reduced by a wind, A breath of pine, and the woodsongfog By this grace dis so!vcd in place

What is this face, !css c!ear and c!earer The pulse in the arm, !css strong and stronger-Given or lent? more distant than stars and ncarer than

the eyc

Whispcrs and SJna!! !aughter bctwecn !caves and hurry­ingfeet

Under s!eep, where al! the waters meet.

Bowsprit cracked with ice and pain! cracked with heat. I made this, I have Jorgotten And remcmber. The rigging weak and the canvas rotten Between one june and another September. Made this unknowing, half conscious, unknown, my own. The garboard strake !eaks, the seams need cau/king. This Jorm, this face, this !ife Living to live in a wor!d of lime beyond me ; let mc

2.12.

Sont devenus i.tnrilatériels, réduits à rien par une brise

Une haleine de pin, la brume du chant du bois Que cette grâce a par places dissoute

Quel est ce visage, moins clair et plus clair Le pouls dans le bras, moins fort et plus fort ... Donné ou bien prêté ? Plus loin que les étoiles ct

plus proche que l'œil

Des murmures, de petits rires entre les feuilles, des pas pressés

Sous le sommeil, là où les eaux se mêlent.

Le beaupré craqué par le gel, la peinture craquée par le chaud.

J'ai fait ceci, j'ai oublié, Je me rappelle. Le gréage qui flanche et les voiles pourries Entre certain juin et cet autre septembre. Fait ceci à mon. insu, mi-conscient, ignoré, mien. La virure de gabord fait eau, les coutures voudraient

de l'étoupe. Et void cette forme, ce visage, cette vie Vivant pour vivre en un monde de temps par delà

moi; puissè-je

213

Page 107: T S Eliot Poèmes 1910-1930

R.tsign my /ife for this /ife, my speech for thal 11nspohn, The t1111akened, lips parted, the hope, the new ships.

What seas what shores what granite islands towards my timbers

And woodthrush ca/ling thro11gh the fog My dallghter.

214

Résigner ma vie pour cette vie, ma parole pour celle-là non elite,

Pour l'éveil, les lèvres ouvertes, l'espérance, les nouveaux navires.

Quelles mers quelles rives quelles îles près mes vergues

Et l'appel de la grive au travers de la brume Ma fille.

11)0.

Page 108: T S Eliot Poèmes 1910-1930

Table

Page 109: T S Eliot Poèmes 1910-1930

TABLE DES TEXTES

DE LANGUE ANGLAISE

FrRsT PoEMs, 191o-192o.

The Love Song of J. Alfred Prufrock. . . . . . . 20

Preludes................................. 36 La Figlia che Pian ge. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44 Morning at the Window . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48 The "Boston Evening Transcript"......... 50 AuntHelen.............................. 52 Mr. Apollinax ..................... · · · · · · 54 Gerontion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58 The Hippopotamus. • • • • • . . . . . . . . . . . . . . . . . 68 Sweeney among the Nightingales. . . . . . . . . . . 78

TABLE

Avant-propos du traducteur.. . . . . . . . . . . . . . . 9

PREMIERS POÈMES, 1910-1920

La chanson d'amour de J. Alfred Prufrock . . . 2 I

Préludes ......................... ········ 37 La fig lia che pian ge. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 5 Matin à la fenêtre ................ · .. · .. · · 49 « Le Bostonien du Soir » . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 1

Tante Hélène ........................ · · · · 53 Monsieur Apollinax .................. · · · · 5 5 Gérontion ...................... · · · · · · · · · 59 L'hippopotame. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69 Lune de miel ........................ · · · · 7 4 Dans le restaurant. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76 Sweeney parmi les rossignols .......... · · · · 79

Page 110: T S Eliot Poèmes 1910-1930

THE WASTE LAND, 1922

I. The Burial of the Dead. . . . . . . . . . . . . . . . 86 II. A Game of Chess . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94

III. The Pire Sermon. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106 IV. Death by Water...................... 120

V. What the Thunder said................ 122

AsH-WEDNESDAY, 1930

I. Because I do not hope to turn again..... 162 II. Lady, three white leopards sat under a

juniper-tree.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 168 III. At the first turning of the second stair... 174 IV. Who walked between the violet and the

violet............................. 178 V. If the lost word is lost, if the spent word

is spent .................. :........ 182

VI. Although I do not hope to turn again... 188

ARIEL POEMS

Jourp.ey of the Magi ............... '...... 194 A Song for Simeon. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 200

Animula. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 206 Marina ............. · .. • .: .... . ·.·~ : . ....... ·. :. :.. 2.10

LA TERRE VAINE, 1922

I. L'enterrement des morts ........ . .... . II. Une partie d'échecs .............. · · · · ·

III. Le sermon du Feu ................. · · IV. Mort par Eau ...................... . V. Ce qu'a dit le tonnerre ............... .

Notes pour la Terre Vaine ............ .

MERCREDI DES CENDRES, 1930

I. Parce que je n'espère plus me tourner à nouveau ........................ ···

II .. Madame, trois léopards blancs assis sous un genévrier ...................... .

III. Au premier tournant d~ second éta~e ... . IV. Qui marchait entre la vwlette et la vwlette. V. Si la parole perdue est perdue, la parole

dépensée dépensée ................ : VI. Bien que je n'espère plus me tourner a

nouveau ....................... ····

PoÈMES n'ARIEL

Le voyage des Mages ................... . Cantique pour Siméon ............. · · · · · · · Animula .................. ·.· · · · · · · · · · · · · · Marina ................... ···············

87 95

107

121

123

1 3 5

195 201

2.()7

211

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COLLECTION POÉTIQUE BILINGUE dirigée par Pierre Leyris

T.-S. ELIOT : Poèmes I9IO-I930 Texte anglais pri.renté el tradllil par. . . . . Pierre Leyris

Quatre Quatuors Texte anglais tradmt par. . . ... Pierre Llyris.

Notes tk ]olm Hayward

LAo-TzBu : La voie et sa vertu Tradllit du &binois el présenté par Houang Kia-Tebeng el

Pierre Leyris LE TASSB: Les flèches d'Arrnide

Texte italien présenté et traduit par . . • Amiiberli

FRAY Lms DE LEON : Poèmes Texte espagnol pri.renté et tradml par ..•. P. Darmangeal

V. MAIAKOVSKY, B. PASTERNAK, A. BLOK, S. EssÉNINB: Quatre poètes russes Texte russe présenté el lradmt par. • . . . . Armand Robin

NIETZSCHE : Poésies complètes Texte allemand présenté et tradllit par G. Ribemont-Dessaignes

PouCHKINE : Le convive de Pierre, La Roussalka Texte russ1 présenté el lradllil par . • . . . . Henri Thomas

Les sept Psaumes de la Pérùtence Tradllitlibremenl par • . . . . . . . • . . . Paul Clawlel

SAINT PoL Roux : Anciennetés

Société d'Exploitation de l'Imprimerie BeUenand· Paris. Dép. lég. ~· trim . 1947. N• 278.

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Imprimé &n France 1 s .o6