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AIX-MARSEILLE UNIVERSITE FACULTE DE MÉDECINE DE MARSEILLE ECOLE DOCTORALE DES SCIENCES DE LA VIE ET DE LA TERRE T H È S E Présentée et publiquement soutenue devant LA FACULTÉ DE MÉDECINE DE MARSEILLE Le 06 Juin 2014 Par Mlle Marine GILABERT Née le 04 Avril 1980 à Marseille RECHERCHE DE BIOMARQUEURS PRONOSTIQUES ET PREDICTIFS DE LA REPONSE THERAPEUTIQUE DES TUMEURS PANCREATIQUES : « LE PROJET PACAOMICS » Pour obtenir le grade de DOCTORAT d’AIX-MARSEILLE UNIVERSITÉ SPÉCIALITÉ : Pathologie Humaine Membres du Jury de la Thèse : Mr Eric Raymond Professeur des Universités Paris Rapporteur Mr Louis Buscail Professeur des Universités Toulouse Rapporteur Mr Anthony Gonçalves Professeur des Universités Marseille Examinateur Mr Juan Iovanna Directeur de Recherche 1, INSERM-CRCM Marseille Directeur de thèse

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  • AIX-MARSEILLE UNIVERSITE

    FACULTE DE MÉDECINE DE MARSEILLE

    ECOLE DOCTORALE DES SCIENCES DE LA VIE ET DE LA TERRE

    T H È S E

    Présentée et publiquement soutenue devant

    LA FACULTÉ DE MÉDECINE DE MARSEILLE

    Le 06 Juin 2014

    Par Mlle Marine GILABERT

    Née le 04 Avril 1980 à Marseille

    RECHERCHE DE BIOMARQUEURS PRONOSTIQUES ET PREDICTIFS DE LA REPONSE THERAPEUTIQUE DES TUMEURS PANCREATIQUES : « LE PROJET PACAOMICS »

    Pour obtenir le grade de DOCTORAT d’AIX-MARSEILLE UNIVERSITÉ

    SPÉCIALITÉ : Pathologie Humaine

    Membres du Jury de la Thèse :

    Mr Eric Raymond Professeur des Universités Paris RapporteurMr Louis Buscail Professeur des Universités Toulouse RapporteurMr Anthony Gonçalves Professeur des Universités Marseille ExaminateurMr Juan Iovanna Directeur de Recherche 1, INSERM-CRCM Marseille Directeur de thèse

  • SOMMAIRE

    Liste des tableaux et FiguresListe des abréviations

    INTRODUCTION …………………………………………………………………………………………… p1LE CANCER DU PANCREAS ……………………………………………………………………………… p3I. SOURCES EPIDEMIOLOGIQUES ……………………………………………………… p3II. FACTEURS DE RISQUE ………………………………………………………………….. p7III. SUSCEPTIBILITE GENETIQUE ET EPIGENETIQUE …………………………... p11IV. TRAITEMENTS ……………………………………………………………………………. p19V. SURVIE …………………………………………………………………………………………. p25VI. CELLULES SOUCHES PANCREATIQUES ………………………………………….. p29VII. AUTOPHAGIE ……………………………………………………………………………… p33VIII. HETEROGENEITE TUMORALE ……………………………………………………… p39LE PROJET PACAOMICS …………………………………………………………………………………. p47I. OBJECTIFS …………………………………………………………………………………….. p49II. STRATEGIE ………………………………………………………………………………........ p49III. LES INTERVENANTS ……………………………………………………………………… p51IV. METHODOLOGIE …………………………………………………………………………… p51V. DIAGRAMME DE FLUX …………………………………………………………………… p59MATERIELS ET METHODES ……………………………………………………………………………. p61I. PRELEVEMENTS …………………………………………………………………………… p611. Prélèvements tumoraux2. Prélèvements sanguins 3. Transport des prélèvementsII. CULTURE CELLULAIRE …………………………………………………………………. p651. Traitement de l’échantillon 2. Culture cellulaire et croissance tumoraleIII. XENOGREFFES ……………………………………………………………………………… p671. Traitement de l’échantillon 2. Suivi des xénogreffesIV. HISTOLOGIE …………………………………………………………………………………. p71V. CELLULES SOUCHES CANCEREUSES ………………………………………………. p731. Marquages 2. Cytométrie de flux MACSQUANT-VYBVI. AUTOPHAGIE…………………………………………………………………………………. p811. Méthodologie2. Analyse du flux autophagique

  • SOMMAIRE

    VII. CHIMIOGRAMMES………………………………………………………………………… p851. Drogues2. Déroulement du test3. Analyses des résultats4. Analyses statistiquesV. PROFIL GENOMIQUE : LE TRANSCRIPTOME ………………………………… p971. Récupération des échantillons et extraction des ARN totaux2. Contrôle qualité des ARN3. Analyses des donnéesRESULTATSI. PATIENTS INCLUS DANS LE PROJET PACAOMICS ……………………… p99II. ETABLISSEMENT DE TUMEURS VIVANTES…………………………………. p1051. Taux de réussite, taux d’échec des amplifications tissulaires et cellulaires2. Xénogreffes III. HETEROGENEITE TUMORALE DES 17 LIGNEES ………………………… p1111. Données clinico-pathologiques des patients « parents » des 17 lignées2. Hétérogénéité morphologique des cellules en culture primaire3. Hétérogénéité histologiqueIV. PROFIL DE SENSIBILITE AUX DROGUES : LES CHIMIOGRAMMES .. p1251. Technique reproductible2. Comparaison des sensibilités de 17 lignées cellulaires entre elles3. Corrélation entre chimiogrammes et réponse clinique des patients aux droguesV. PROFIL TRANSCRIPTOMIQUE et PUBLICATION SCIENTIFIQUE… p133VI. LES EXPLORATIONS CELLULAIRES: CELLULES SOUCHES ET

    AUTOPHAGIE…………………………………………………………………………….. p1591. Hétérogénéité du profil d’expression des marqueurs des cellules souches cancéreuses2. Hétérogénéité du niveau d’autophagieDISCUSSION ………………………………………………………………………………………………… p173CONCLUSION ………………………………………………………………………………………………. p189BIBLIOGRAPHIE …………………………………………………………………………………………. p191ANNEXES

  • Liste des tableaux et figures

    Tableaux

    Tableau 1 : Liste non exhaustive de maladies génétiques ou mutations génétiques germinales associées au cancer du pancréas.

    Tableau 2 : Nombre d’essais thérapeutiques concernant les tumeurs pancréatiques en France de 2007 à 2013.

    Tableau 3 : Traitements anticancéreux et Autophagie.

    Tableau 4 : Effectifs des patients inclus par centre et par année.

    Tableau 5 : Histoires cliniques et caractéristiques clinico-pathologiques des 17 patients ayant permis d’obtenir les 17 lignées cellulaires.

    Tableau 6 : Analyse des statuts mutationnels Kras des 17 cultures primaires obtenues après xénogreffes.

    Tableau 7 : Répartition phénotypique des 17 tumeurs xénogreffées en fonction de leur grade de différenciation.

    Tableau 8 : Comparaison des sensibilités de chaque lignée cellulaire à chaque drogue. Réalisation d’un « Top score » : les 3 lignées les plus sensibles et les 3 plus résistantes par drogue testée.

    Tableau 9: Comparaison des réponses thérapeutiques des patients à la première ligne de chimiothérapie reçue avec les données de sensibilité in vitro (chimiogramme) des cultures primaires.

    Tableau 10 : Profil d’expression des marqueurs cellules souches avec analyse des mono, bi, tri et quadruple marquage cellulaire réalisés sur chacune des cultures primaires.

    Figures

    Figure 1 : Estimation des taux d’incidence et de mortalité par cancer pancréatique en 2008, standardisés sur l’âge (standard européen) pour 38 pays d’Europe.

    Figure 2 : Carte mondiale du taux de mortalité par cancer du pancréas chez l’homme, pour 100 000 habitants, standardisé sur l’âge (données issues du GLOBOCAN 2008, IARC).

    Figure 3 : PanINgram » illustrant la progression vers le cancer pancréatique à partir des lésions précurseurs PanINs (reproduit à partir de Feldmann et al. 2007).

    Figure 4 : Les 12 altérations génomiques dans le cancer du pancréas.

    Figure 5 : Les potentielles thérapies ciblées disponibles pour le traitement du cancer du pancréas.

  • Figure 6 : Diagramme pronostique des tumeurs pancréatiques. Evaluation sur 1000 cas au diagnostic.

    Figure 7 : Le concept des cellules souches cancéreuses.

    Figure 8 : « Dame autophagie ».

    Figure 9 : Mécanismes de l’autophagie chez les eucaryotes.

    Figure 10 : Caractéristiques scanographiques d’un adénocarcinome de la tête du pancréas.

    Figure 11 : Hétérogénéité des profils de survie entre 2 patients de même présentation clinique.

    Figure 12 : Coupes histologiques provenant d’adénocarcinomes pancréatiques de 3 patients différents.

    Figure 13 : Représentation graphique de l’évolution mutationnelle des cellules cancéreuses au cours du temps.

    Figure 14: Notion de « Niche thérapeutique ».

    Figure 15 : Les principaux objectifs du projet PaCaOmics.

    Figure 16 : Les partenaires hospitaliers.

    Figure 17 : Collecte des échantillons et amplifications tissulaires et cellulaires.

    Figure 18 : Diagramme de flux de données du projet PaCaOmics.

    Figure 19 : Exemple d’ensemencement en culture cellulaire d’une biopsie d’adénocarcinome pancréatique humain.

    Figure 20 : Destinée des prélèvements tumoraux et des xénogreffes.

    Figure 21 : Principe de la réaction enzymatique de la technique de marquage ALDEFLUOR.

    Figure 22 : Principes d’utilisation du MACSQUANT-VYB.

    Figure 23 : Quantification protéique de LC3 I et II par Image J analysis software. Exemple des lignées AD-IPC et AH-IPC.

    Figure 24 : Lecture de viabilité cellulaire à l’aide du test Prestoblue.

    Figure 25 : Profil de sensibilité cytotoxique in vitro ou « chimiogramme » de la lignée L-IPC à la Gemcitabine.Figure 26 : Proportion des taux de réussite et taux d’échecs d’amplifications tissulaires et cellulaires.

  • Figure 27 : Résultats des techniques de xénogreffe.

    Figure 28 : Cinétique de croissance tumorale des xénogreffes pour quelques lignées données à titre d’exemple.

    Figure 29 : Etude au microscope optique en contraste de phase des 17 cultures primaires issues de xénogreffes d’ADK pancréatiques humains après culture cellulaire

    Figure 30 : Etude anatomopathologique d’une tumeur xénogreffée bien différenciée. Exemple de la tumeur C-NOR.

    Figure 31: Comparaison anatomopathologique, à partir d’une même tumeur xénogreffée, des coupes histologiques obtenues après chaque réimplantation.

    Figure 32 : Immunohistochimie avec co-marquage des cellules épithéliales et des fibroblastes. Exemple de la lignée B-TIM.

    Figure 33 : Analyse comparative anatomopathologique des tumeurs xénogreffées et de leurs homologues humaines.

    Figure 34 : Reproductibilité des expériences de Chimiogramme. Exemple de la lignée AH-IPC.

    Figure 35 : Chimiogrammes des 17 cultures primaires pour les 5 drogues testées : Gemcitabine, Docétaxel, 5FU, Oxaliplatine et SN38.

    Figure 36 : Représentation sous forme d’histogrammes des pourcentages de marqueurs cellules souches pour les 17 cultures primaires testées.

    Figure 37. Regroupement des cultures primaires en fonction de leur profil d’expression des « 4 marqueurs cellules souches »

    Figure 38 : Profil d’expression des marqueurs cellules souches des courts survivants 01.001, L-IPC, AO-IPC, 01.030 et Foie 8b identifiés par les analyses transcriptomiques.

    Figure 39 : Western Blot et quantification de LC3 II évaluant le niveau basal d’autophagie des 17 cultures primaires.

    Figure 40 : Histogrammes évaluant les variations du flux autophagique après traitement par chloroquine.

    Figure 41 : Niveau basal d’autophagie et variations du flux autophagique après traitement par chloroquine chez les courts survivants 01.001, L-IPC, AO-IPC, 01.030 et Foie 8b identifiés par les analyses transcriptomiques.

    Figure 42 : Niveau basal d’autophagie et variations du flux autophagique dans les lignées cellulaires très sensibles (L-IPC, HNO1 et HN14) ou très résistantes (H-NOR, HNO3 et foie 8b) à la Gemcitabine

  • Liste des abréviationsAC : AnticorpsADK: AdénocarcinomeADN: Acide désoxyribonucléiqueAF : Acide foliniqueALDH : Aldéhyde déshydrogénaseAMM : Autorisation de Mise sur le Marché ARN : Acide ribonucléiqueBAA : BODYPI-AminoAcetateBAAA-DA : BODIPY™-aminoacetaldehyde-diethyl acetate BPC : Bonnes Pratiques Médicales Cliniques BPE : Bovine Pituitary Extract BRCA : Breast Cancer BSA : Bovine Serum AlbumineCDKN2A : Cyclin Dependant Kinase Inhibitor 2ACSC : cellules souches cancéreusesDEAB : DiEthylAminoBenzaldéhydeDMEM : Dulbecco’s Modified Eagle Medium DMSO : Dimethyl sulfoxydeEGF : Epidermal growth factor EGFR : Epidermal growth factor receptorESA : Epithelial Specific Antigen = EpcamEpcam : epithelial cell adhesion moleculeFACS : Fluorescence Activated Cell SortingFAMMM : Familial Atypical Multiple Mole MelanomaGEM : GemzarGEO : Gene Expression OmnibusGO : consortium Gene Ontology GSEA : Gene Set Enrichment AnalysisGWAS : Genome Wide Association StudyHPS : Hématoxyline-Phloxine-SafranHRP : horseradish peroxidase IPMN : Intraductal Papillary Mucinous Neoplasms IRI : IrinotecanKras (KirstenrAs) : gène de la famille ras codant pour une protéine de 21 kDa impliquée dans la transduction des signaux prolifératifs des facteurs de croissanceMSP : Methylation Specific Polymerase chain reaction MCA : Methylated CpG island Amplification MDR : Multi Drug ResistanceNCBI : National Center for Biological InformationNFPTR : National Familial Pancreas Tumor Registry NHcl : Acide chlorhydriqueOR : Odd ratioOXA : OxaliplatinePALB2 : Partner And Localizer of BRCA2PanIN : Pancreatic Intraepithelial neoplasias PBS : Phosphate Buffer SalinePCA : Principal Component Analysis

  • PCCC : Pancreatic Cancer Cohort ConsortiumPCR : Polymerase Chain Reaction PE : phosphatidyl éthanolamine PFA : ParaformaldéhydePI : Propidium InositolPI(3)K : phosphatidyl inositol 3-phosphatePRSSI : protease serine 1RT-CT : Radiothérapie-chimiothérapieSEER : Surveillance, Epidemiology and End ResultsSG : Survie GlobaleSSR : Survie Sans RécidiveSVF : Serum de Veau FoetalT° : températureTIPMP : tumeurs intracanalaires papillaires et mucineuses du pancréasTXT : TaxotèreTTP : thymidine triphosphate5FU : FluorouracileUTP : Uridine triphosphate

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    INTRODUCTION

    L’adénocarcinome canalaire pancréatique est un problème majeur de santé

    publique en France et dans le monde. L’enjeu qu’il représente n’est pas tant le fait de son incidence (il reste un cancer relativement rare), que celui de sa mortalité extrêmement élevée, malgré les progrès constants des techniques d’imagerie diagnostique et de la prise en charge médico-chirurgicale.

    Le taux de survie à 5 ans tous stades confondus est encore d’environ 5 %, aux USA comme en Europe [1-2] et c’est le seul cancer dont le ratio mortalité/incidence est de 98 %. Ce pronostic extrêmement sombre s’explique par la localisation profonde du pancréas, l’apparition tardive des symptômes de la maladie et l’absence de test de dépistage, qui rendent un diagnostic précoce difficile. À cela, il faut ajouter l’extrême agressivité et les capacités métastatiques élevées de la plupart des tumeurs pancréatiques. C’est la raison pour laquelle beaucoup de progrès doivent être accomplis, depuis la compréhension de la genèse des formes invasives, jusqu’à leur traitement.

    Cette thèse porte sur une expérience régionale multicentrique et multidisciplinaire concernant les adénocarcinomes pancréatiques. Les données clinico-pathologiques et les données moléculaires sont prospectives depuis l’année 2012 et resteront en cours d’investigation jusqu’à la fin de l’année 2014. Ce travail a aussi été l’occasion d’une mise au point concernant l’épidémiologie régionale du cancer pancréatique, la place de la biopsie diagnostique et/ou de la chirurgie d’emblée et le développement des techniques de « Omics » dans le cancer du pancréas.

    Une présentation par Poster et Communication orale ont été consacrées au projet PaCaOmics lors du Congrès des Journées francophones d’Hépato-Gastroentérologie et d’Oncologie digestive en Mars 2014. Par ailleurs une présentation de la publication scientifique relative à ce travail sera exposée dans le document qui suit.

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    Figure 1 : Estimation des taux d’incidence et de mortalité par cancer pancréatique en 2008, standardisés sur l’âge (standard européen) pour 38 pays d’Europe (adapté de Jemal A, CA Cancer J clin 2009)

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    LE CANCER DU PANCREAS

    La terminologie de « cancer primitif du pancréas » s’emploie pour décrire une tumeur maligne dont l’origine est une cellule pancréatique. En fait, ce terme regroupe un grand nombre de tumeurs au comportement et au pronostic variés, mais que l’on peut séparer en deux groupes bien distincts : les rares tumeurs issues des îlots de Langerhans, c’est-à-dire du tissu pancréatique endocrine (essentiellement les insulinomes et les glucagonomes), et le groupe des cancers issus du pancréas non endocrine, c’est à dire exocrine. Au sein de ce second groupe, l’adénocarcinome (ADK) canalaire est de loin le plus fréquent puisqu’il représente à lui seul plus de 80% de la totalité des cancers pancréatiques [3]. La classification des cancers pancréatiques exocrines est en pleine évolution. Autrefois uniquement basée sur les caractéristiques histologiques de la tumeur, elle tend aujourd’hui à prendre en compte des données moléculaires et génétiques qui ont montré leur valeur pronostique et peuvent guider la prise en charge thérapeutique. I. SOURCES EPIDEMIOLOGIQUES Incidence/Mortalité Les projections issues des registres d’incidence ont permis d’estimer qu’environ 96 000 nouveaux cas de cancer sont survenus en 2008 en Europe [4] (regroupant les 39 pays définis par les Nations unies). Avec un taux d’incidence globale de 7 à 12 pour 100 000 habitants dans la plupart des pays industrialisés, le cancer du pancréas reste relativement rare. Les chiffres de mortalité, quasiment identiques aux chiffres d’incidence le placent pourtant au 5e rang des morts par cancer pour les deux sexes en Europe, et au 4e rang aux USA [4-5]. En raison du caractère familial dans 5 à 10% des tumeurs pancréatiques, l’enregistrement de l’histoire familiale est une démarche essentielle chez tout malade atteint ou suspect d’être atteint d’un cancer du pancréas. Depuis 15 ans, plusieurs registres familiaux des tumeurs pancréatiques ont été créés dans le monde [6-7]. En particulier aux USA, le registre du Johns Hopkins Hospital, le National Familial Pancreas Tumor Registry (NFPTR), regroupe actuellement près de 3 500 familles. Son but est à la fois d’identifier des gènes ou des polymorphismes génétiques associés à un risque accru de cancer, et de mettre au point des techniques de dépistage précoce (génétique, biologie moléculaire, ou imagerie) dans le groupe à haut risque que constituent les familles de patients [8].

  • 4

    Figure 2 : Carte mondiale du taux de mortalité par cancer du pancréas chez l’homme, pour 100 000 habitants, standardisé sur l’âge (données issues du GLOBOCAN 2008, IARC)

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    LE CANCER DU PANCREAS

    Age et sexe, variation dans le temps L’âge médian de survenue du cancer du pancréas se situe aux alentours de 70 ans. Les données de Surveillance, Epidemiology and End Results (SEER), National Cancer Institute, USA, portant sur les années 2002-2006, montrent qu’aux États-Unis, le diagnostic est extrêmement rare avant l’âge de 45 ans (moins de 5% des cas), et que l’incidence augmente ensuite avec l’âge dans les deux sexes [9]. Avant 50 ans (« early onset pancreatic cancer »), le cancer du pancréas survient presque exclusivement chez les gros fumeurs, les patients irradiés (c.-à-d. traités par radiothérapie régionale pour un autre cancer), ou chez les sujets que les antécédents familiaux placent dans un groupe à haut risque [10-11]. Dans ce dernier groupe, plus le patient index est jeune, plus le risque d’avoir un cancer augmente pour les membres de sa famille (hazard ratio 1,55 par année décroissante pour le cas index, 95% IC : 1,19-2,03)[8]. Pour le cancer pancréatique comme pour la plupart des cancers digestifs à l’exception de la vésicule biliaire, il existe une prédominance masculine marquée. Le sex ratio est actuellement autour de 1,5 et semble relativement stable quels que soient la région ou l’âge de survenue [12]. Le taux d’incidence semble présenter une variation similaire dans le temps. Ainsi, une augmentation régulière des cas de cancers pancréatiques a été décrite tant aux États-Unis qu’en Europe jusqu’au début des années 1970, période au cours de laquelle le taux a commencé à stagner ou à diminuer très lentement pour les hommes. Pour les femmes, le taux d’incidence est encore en augmentation dans la plupart des pays du monde, à l’exception des États-Unis et de certains pays d’Europe du Nord où il est stable ou en léger déclin [13-14-15]. Des variations similaires des taux de mortalité ont été publiées pour l’Europe et le Japon [16-17]. Comme pour le sex ratio, l’explication la plus probable pour ces variations dans le temps est le tabagisme, qui, on le verra ci-dessous, est un des facteurs de risque le mieux identifié pour le cancer du pancréas. Répartition géographique, ethnicité La figure 2 issue de GLOBOCAN 2008 montre que le taux d’incidence du cancer pancréatique se caractérise par une grande disparité géographique. Les taux d’incidence et de mortalité les plus élevés sont retrouvés parmi les populations afro-américaines aux Etats-Unis. Globalement, les pays les plus touchés sont situés en Amérique du Nord, en Europe (pays nordiques et Italie), et en Asie (Corée et Japon). Les pays les moins touchés semblent être l’Inde, les pays d’Afrique, et, plus généralement, les pays proches de l’équateur.

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    LE CANCER DU PANCREAS

    II. FACTEURS DE RISQUE Pancréatite chronique La pancréatite chronique, quelle que soit son origine, prédispose au cancer du pancréas. Dans les pays industrialisés, où elle est majoritairement due à une consommation excessive d’alcool (retrouvée chez 80% des patients), le risque de cancérisation augmente avec la durée de la pancréatite. Une cohorte historique multicentrique internationale, dont les résultats publiés en 1993 font toujours référence, a montré que le risque de progression était respectivement de 1,8 et 4% après 10 et 20 ans, avec une élévation globale du risque de 14,4 (95% IC : 8,5-22,5) chez les sujets atteints de pancréatite chronique par rapport aux témoins [18]. Deux formes particulières de pancréatite chronique ont été associées à des risques très élevés : la forme tropicale et la forme héréditaire. Dans les deux cas, la maladie est caractérisée par un plus jeune âge d’apparition, et la cancérisation survient également à un plus jeune âge [19]. Tabagisme L’une des rares causes établies pour l’ADK pancréatique est le tabagisme. Les données publiées par le Pancreatic Cancer Cohort Consortium (PCCC) provenant de huit larges cohortes nationales et internationales décrivent un risque similaire chez les fumeurs par rapport aux non-fumeurs (OR : 1,77 ; 95% IC : 1,38-2,26) mais confirment le phénomène dose-effet selon lequel le risque augmente avec le nombre de cigarettes fumées chaque jour, le nombre d’années de tabagisme et la dose cumulée de tabac [20]. D’après une étude américaine comprenant plus de 800 patients atteints d’adénocarcinome canalaire, le risque est multiplié par trois chez les gros fumeurs (plus de 20 paquets-année) par rapport aux non-fumeurs, et une interaction de type additif semble exister avec d’autres facteurs de risque, comme le diabète sucré ou l’existence d’antécédents familiaux [21]. Diabète et obésité Le diabète sucré de type II est également associé au risque de cancer du pancréas dans la quasi-totalité des études transversales ou prospectives réalisées à ce jour, mais l’interprétation des résultats de ces études est délicate. Une méta-analyse de 36 études publiées entre 1966 et 2005 a montré un odd ratio combiné autour de 2 chez les patients diabétiques et a permis de mettre en lumière certains aspects de cette complexité [22]. Elle a montré, d’une part, l’existence d’une hétérogénéité entre les études, les petites études et les études les plus anciennes rapportant des associations plus fortes, et, d’autre part, une relation inverse avec la durée de la maladie, le risque de cancer étant 50% plus élevé chez les patients dont le diagnostic de diabète avait été fait récemment (moins de 5 ans avant le diagnostic de cancer) par rapport aux autres (5 ans ou plus). Ces résultats sont en faveur de l’hypothèse selon laquelle le diabète serait une conséquence du processus de cancérisation plutôt qu’une de ses causes, hypothèse encore largement débattue dans la littérature.

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  • 9

    LE CANCER DU PANCREAS

    L’association avec une surcharge pondérale (mesurée par l’indice de masse corporelle (IMC)) habituelle avant la survenue du cancer a également été étudiée et semble modérée mais réelle, comme en témoignent les résultats d’une méta-analyse portant sur 21 études de cohortes qui montrent un risque augmenté de 1,12 (95% IC : 1,06-1,17) pour 5 points d’IMC additionnels [23]. Dans le cas du diabète comme dans celui de la surcharge pondérale, l’un des mécanismes physiopathologiques pourrait être une résistance à l’insuline qui se caractérise biologiquement par une hyperactivité du pancréas, avec une hyperglycémie et une hyperinsulinémie. Le risque de développer un cancer après 5 à 10 ans est deux fois plus élevé chez les sujets présentant une hyperglycémie à jeun à l’inclusion, et trois fois plus élevé chez les sujets présentant une hyperinsulinémie [24]. Pour compliquer encore le tableau, une étude récente a montré le rôle protecteur de la metformine, molécule antidiabétique largement prescrite, dont les effets anti-oxydants et anti-tumoraux ont été démontrés in vivo, alors que l’insuline ou les médications qui favorisent la sécrétion d’insuline sembleraient augmenter le risque de cancer [25]. Facteurs alimentaires L’évaluation des risques liés à l’alimentation est un exercice connu pour être difficile en épidémiologie. C’est d’autant plus vrai pour un cancer relativement rare, rapidement évolutif et extrêmement létal comme le cancer du pancréas. Aucun lien solide n’a jamais pu être établi entre certaines habitudes alimentaires et la survenue de l’ADK pancréatique [26]. Il existe pourtant des points de relatif consensus. Plusieurs études semblent montrer que la consommation de viande rouge élèverait le risque d’environ 20 %, alors que le régime de type méditerranéen, qui consiste notamment en une consommation élevée de fruits et de légumes, serait associé à une légère diminution du risque [27-28-29-30]. Tous ces résultats doivent être interprétés avec précaution. De façon notable, d’autres associations qui avaient été évoquées par le passé n’ont pas été confirmées par des études ou des revues critiques récentes. Il s’agit, par exemple, de l’effet délétère de la consommation de café ou de l’effet protecteur du thé vert [31-32]. Le cas de la vitamine D est particulier, d’une part parce que son apport n’est pas uniquement lié à l’alimentation, mais aussi à l’ensoleillement, et d’autre part parce que le dosage plasmatique de la 25-hydroxyvitamine D permet d’estimer la quantité biodisponible. Plusieurs études observationnelles ont montré l’effet protecteur d’un régime comprenant un apport nutritionnel élevé de vitamine D, confortant ainsi les résultats des études écologiques montrant une corrélation inverse entre exposition UVB et prévalence du cancer pancréatique [33-34]. Pourtant, deux études prospectives avec dosage plasmatique de la 25-hydroxyvitamine D à l’inclusion n’ont pas retrouvé cet effet après un suivi médian de 12 ans pour l’une d’entre elles [35-36].

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    LE CANCER DU PANCREAS

    Allergies L’ensemble des données disponibles indique une association inverse entre des antécédents personnels allergiques et la survenue de cancer du pancréas. Une méta-analyse, basée sur les résultats de 14 études (4 cohortes et 10 études cas-témoins) totalisant plus de 3 000 cas de cancer du pancréas, montrait une importante hétérogénéité dans les résultats, et estimait le risque global à 0,82 (95% IC : 0,68-0,99) [37] lorsque l’on considérait tout type d’allergie. Parmi les hypothèses physiopathologiques avancées, l’existence d’un système immunitaire hyperactif chez les personnes allergiques pourrait être à l’origine d’une meilleure protection contre le développement du cancer. III. SUSCEPTIBILITE GENETIQUE ET EPIGENETIQUE

    La présence d’antécédents familiaux n’est retrouvée que dans un petit nombre de cas de cancers pancréatiques (5 à 10% selon les pays), mais a fait l’objet de recherches intensives au cours des dernières années [38]. Globalement, le risque de cancer pancréatique est à peine plus élevé chez les descendants d’un patient index que dans la population générale (RIS : 1,2 ; 95% IC : 0,85-1,61) [6]. Pourtant, dans certains cas d’agrégation familiale, il est établi que le patient a hérité de l’un de ses parents une mutation majeure (dominante ou récessive) qui va le prédisposer à développer certains types de lésions précancéreuses ou de cancers. Cette mutation est appelée constitutionnelle ou germinale, car elle est présente dans toutes les cellules de l’organisme, et elle est transmissible à la descendance. Dans la grande majorité des cas cependant, les mutations successives conduisant à la cancérisation sont uniquement observées au niveau du tissu pancréatique, et ne sont donc pas transmissibles. Ces mutations sont appelées somatiques, et surviennent spontanément ou sous l’action de facteurs génotoxiques environnementaux (radiations, tabac). On parle alors de formes sporadiques. Précurseurs Les précurseurs reconnus du cancer pancréatique sont au nombre de trois : pancreatic intraepithelial neoplasias (PanINs), intraductal papillary mucinous neoplasms (IPMNs), et mucinous cystic neoplasms. Si les trois lésions sont susceptibles de progresser vers le cancer invasif, le processus physiopathologique par lequel elles y parviennent n’a été véritablement établi que pour les PanINs, qui constituent les précurseurs principaux de l’adénocarcinome canalaire. La présence de ces précurseurs a été mise en évidence dans le cancer pancréatique de type familial. Les travaux réalisés à partir du registre américain NFPTR ont montré que les lésions de type « précurseurs » sont plus fréquentes chez les patients qui présentent un cancer familial que chez ceux qui présentent un cancer sporadique, et qu’elles ont tendance à être multifocales et d’un grade plus élevé [38].

  • 12

    Figure 3 : PanINgram » illustrant la progression vers le cancer pancréatique à partir des lésions précurseurs PanINs (reproduit à partir de Feldmann et al. 2007).

    Mucin1

    TelomereKrasshortening

    PSCA,Mucin5,HER2/Neu

    p16

    Mucin1

    CyclinD1

    P53,DPC4,BRCA2

    Ki67,TopoIIα

    Mesothelin

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    LE CANCER DU PANCREAS

    Dans les cancers de type sporadique, l’existence de mutations somatiques identiques à celles identifiées dans le cancer invasif a également permis d’établir le caractère précurseur des PanINs [39]. Un « PanINgram » établi à partir des pièces opératoires de 44 patients américains présentant un cancer pancréatique schématise les altérations moléculaires qui surviennent durant le processus de cancérisation [40], (Figure 3). Par exemple, le raccourcissement des télomères, complexes nucléoprotéiques situés à chaque extrémité des chromosomes, survient précocement, et n’est pas spécifique d’une évolution vers le cancer invasif [41-42]. En revanche, la présence d’un biomarqueur tardif, comme la mésothéline dans le liquide pancréatique, pourrait permettre de suspecter une évolution spécialement rapide [40]. Une accumulation progressive de mutations dans les gènes KRAS2, TP53, p16/CDKN2a et DPC4 accompagne la transformation histologique. Les mutations de l’oncogène KRAS (KirstenRAS) sont rares dans le pancréas normal puisque leur fréquence se situe autour de 13 %, alors qu’elles sont observées dans près de 90% des ADK pancréatiques. Une méta-analyse des données publiées entre 1988 et 2003 a montré que les mutations du gène KRAS sont détectées dans respectivement 36, 44 et 87% des lésions PanIN-A, PanIN-B, et PanIN-2-3 [43]. Cette étude a donc montré que l’augmentation graduelle dans la positivité KRAS est corrélée à la sévérité des lésions précancéreuses. La question reste posée de l’identification des facteurs qui sont à l’origine de la mutation KRAS. Plus généralement, les raisons de la fréquence et de la rapidité d’évolution des PanINs vers le cancer invasif restent largement spéculatives [44]. Mutations constitutionnelles Grâce au séquençage du génome humain et aux registres familiaux, il a été montré que l’existence de certaines mutations constitutionnelles au sein de gènes bien identifiés confère une importante majoration du risque de cancer pancréatique. Souvent, cette mutation à forte pénétrance prédispose à la survenue de plusieurs autres types de cancers. Il s’agit par exemple de la mutation du gène BRCA2 (BReast Cancer 2) associée au cancer familial du sein et de l’ovaire, de la mutation du gène STK11 (serine/thréonine kinase 11) associée au syndrome de Peutz-Jeghers, ou de la mutation du gène CDKN2A (Cyclin Dependant Kinase Inhibitor 2A) associée au syndrome de mélanome familial FAMMM (Familial Atypical Multiple Mole Melanoma). D’autres mutations ont été décrites chez les patients atteints de pancréatite chronique héréditaire (notamment sur le gène PRSSI (protease serine 1)), et, plus récemment, plusieurs mutations et délétions sur le gène PALB2 (Partner And Localizer of BRCA2) ont été incriminées dans le cancer pancréatique familial [45] (Tableau 1)

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    Tableau 1 : Liste non exhaustive de maladies génétiques ou mutations génétiques germinales associées au cancer du pancréas.

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    Mutations somatiques Le nombre moyen de mutations somatiques observées dans le cancer du pancréas semble beaucoup plus limité que dans le cancer du sein ou le cancer colorectal [46]. Une douzaine de voies métaboliques ont été identifiées, dont l’altération par une ou plusieurs mutations somatiques (leur nombre et leur nature peuvent varier d’une tumeur à l’autre) est associée au processus de cancérisation (Figure 4). Figure 4 : Les 12 altérations génomiques dans le cancer du pancréas

    D’après Jones and al, 20008

    Certaines mutations somatiques ont été largement étudiées. Par exemple, celles qui se produisent dans les gènes KRAS, CDKN2A, TP53 et SMAD4 sont à l’origine d’altérations substantielles du génome et de la transcription qui facilitent la dérégulation du cycle cellulaire, la survie de la cellule, l’invasion et les métastases. Les mutations activatrices de l’oncogène KRAS2 sont présentes dans 90 à 95% des cas d’ADK pancréatique. Certaines mutations constitutionnelles décrites dans les syndromes familiaux ont également été impliquées dans le développement du cancer sporadique (exemple du gène STK11 retrouvé dans le syndrome de Peutz-Jeghers [47]). Très récemment, une étude d’association sur l’ensemble du génome (GWAS : Genome wide association study), réalisée sur 3 851 cas et 3 934 contrôles, a permis de faire émerger trois nouvelles régions génomiques associées au risque de cancer pancréatique (chromosomes 13q22.1, 1q32.1 et 5p15.33) qui font l’objet d’une recherche approfondie en cours [48]. Le séquençage du génome du cancer pancréatique a permis d’ébaucher une classification intégrée histologique/moléculaire des tumeurs pancréatiques, basée sur la mutation de gènes spécifiques [49]. Par exemple, une série autopsique de 76 patients a montré une relation entre la perte de l’activité du gène SMAD4/DPC4 et l’agressivité du cancer [50].

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    Polymorphismes génétiques Considérés individuellement, la plupart des polymorphismes ont une faible pénétrance et ne conduisent qu’à une légère augmentation du risque, souvent non significative au plan statistique [51]. Il est cependant probable qu’une combinaison de génotypes constitue un facteur de risque plus discriminant qu’un locus génotypique isolé, et que la proportion des cas apparemment sporadiques susceptibles d’être attribués au polymorphisme génétique soit bien plus élevée que ne le laissent penser les études se concentrant sur un locus particulier [52]. Cas particulier parmi les polymorphismes génétiques, une association entre groupe sanguin ABO et cancer pancréatique a été suspectée depuis près d’un demi-siècle. Les résultats issus de l’étude Panscan (2009) ont confirmé cette association, en montrant que les sujets ayant un groupe sanguin de type A, B ou AB ont un risque plus élevé que ceux de type O (hazard ratio= 1,44 ; 95% IC : 1,14-1,82) [53]. Plus récemment, il a été montré par le Pancreatic Cancer Cohort Consortium (PCCC) que le risque augmentait avec chaque allèle non-O, le risque le plus élevé survenant pour le génotype BB (HR = 2,42 ; 95% IC : 1,28-4,47) [54]. Épigénétique L’épigénétique repose sur trois grands mécanismes qui ont chacun été impliqués dans la physiopathologie du cancer pancréatique : la méthylation de l’ADN, les modifications et les variants des histones, et les micro-ARN (mi-ARNs). Généralement, une cellule tumorale présente une perte importante de méthylation, avec 20 à 60% de moins de cytosine méthylée qu’une cellule normale [55]. Cette hypométhylation affecte surtout les régions intergéniques ; elle s’observe déjà dans les lésions précancéreuses, et augmente avec la progression histologique [56-57-58]. Paradoxalement, c’est l’inverse qui est observé au sein des îlots CpG (CpG islands), particulièrement riches en nucléotides CG. Ainsi, l’étude génomique par les techniques de « methylation specific polymerase chain reaction » (MSP) et de « methylated CpG island amplification » (MCA) a mis en évidence une méthylation aberrante au sein des îlots CpG de certains gènes promoteurs aux fonctions anti-prolifératrices [59]. L’expression des gènes « MUC » est altérée dans de nombreux cancers épithéliaux, y compris celui du pancréas. Cette altération est la conséquence de deux processus épigénétiques : l’hyperméthylation des îlos CpG, et l’altération des lysines de l’histone H3 [60]. Les mucines sont des glycoprotéines représentant le constituant principal du mucus et déterminant ses propriétés d’élasticité et de viscosité. De premières études ont suggéré que les cancers pancréatiques qui présentent l’évolution la plus agressive expriment MUC1 (pan-epithelium membrane-associated mucin) mais n’expriment pas MUC2 (intestinal-type secreted mucus), alors que les tumeurs intracanalaires papillaires et mucineuses du pancréas (TIPMP) à faible potentiel évolutif n’expriment pas MUC1 mais expriment MUC2. Des études plus récentes suggèrent que le profil d’expression des gènes MUC1, MUC2, MUC4, et MUC5 pourraient être utilisé pour la détection précoce des cancers pancréatiques et pour la caractérisation de leur potentiel évolutif [61].

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    IV. TRAITEMENTS Traitements des patients opérés

    Il y a seulement quelques années, le cancer du pancréas était encore considéré comme chimio-résistant et la chimiothérapie ne faisait pas partie de l'arsenal thérapeutique de cette maladie [62-63]. La raison de cette chimiorésistance est multifactorielle. La surexpression du gène MDR (Multi Drug Resistance) dans le pancréas normal et tumoral ainsi que celle de la glutathion-S-transferase pourraient expliquer en partie cette chimiorésistance [64]. Une des molécules les moins influencées par les mécanismes de résistance décrits plus haut est le FLUOROURACILE (5-FU). Cette molécule a donc été largement utilisée dans le traitement des cancers du pancréas opérés, localement avancés ou métastatiques [65]. L’essai ESPAC 1 [66] a montré que la chimiothérapie seule par 5-FU et Acide Folinique (AF) après résection pancréatique carcinologique, selon le schéma de la Clinique Mayo (USA), améliorait significativement la survie globale (SG) (19,7 vs 14 mois ; p = 0,0005). Les résultats définitifs de l’essai publiés en 2004 [67] confirmaient le bénéfice en survie (survie à 5 ans : 21% dans le bras chimiothérapie vs 8% dans le bras sans chimiothérapie ; p = 0,009). Par ailleurs, après la publication de l’ESPAC 1, l’association adjuvante délétère de radiothérapie et de chimiothérapie (RT-CT) avec du 5-FU n’a plus été un standard thérapeutique en France.

    Depuis une vingtaine d'années, bien que ses résultats globaux soient assez décevants, la chimiothérapie par GEMCITABINE a montré son intérêt en améliorant la survie des patients opérés (traitement adjuvant). En effet, comme dans l’ESPAC 1, les patients de l’étude de phase III CONKO 001 ont été randomisés pour recevoir de la GEMCITABINE (1 000 mg/m² J1, J8, J14/4 sem. x 6) ou une simple surveillance. Le critère principal d’évaluation était la survie sans récidive (SSR). La SSR dans le bras avec GEMCITABINE (13,4 mois) était supérieure à celle du bras surveillance seule (6,9 mois) ; p < 0,001. La médiane de SG était de 22,1 mois dans le bras avec GEMCITABINE et de 20,2 mois dans le bras contrôle (p < 0,06) avec une SG estimée à 3 ans de 34% vs 20,5% respectivement [68]. Les résultats de cette étude avec un suivi plus long ont été rapportés à l’ASCO en 2008 [69]. La GEMCITABINE améliorait significativement la médiane de SG vs observation (22,8 versus 20,2 mois, p = 0,005), et le nombre de patients survivants à 3 et 5 ans, qui était de 36,5% et 21,0% avec la GEMCITABINE vs. 19,5 % et 9,0% pour le bras observation, respectivement.

    L’essai ESPAC 3 a randomisé les patients opérés d’un adénocarcinome pancréatique, entre 5-FU + AF (schéma de la Clinique Mayo (6 cycles)) et GEMCITABINE (1 000 mg/m² J1, J8, J14/4 sem. x6). Le critère principal était la SG. La médiane de SG était de 23 mois dans le bras 5FU/AF et de 23,6 mois (95% CI, 21,4-26,4) dans le bras GEMCITABINE (p = 0,39) [70].

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    Traitements des patients ayant une maladie avancée La GEMCITABINE a par ailleurs montré son efficacité en terme de survie globale et de qualité de vie en situation de cancer avancé, comme le montre l'étude randomisée de Burris et al, évaluant des patients avec cancer du pancréas avancé, en comparant un traitement hebdomadaire par 5FU (600 mg/m. en bolus) à un traitement par GEMCITABINE (1000 mg/m. en perfusion de 30 min, 7 semaines sur 8 puis 3 semaines sur 4 = schéma de Burris) [71]. Les résultats des traitements par 5FU versus GEMCITABINE ont été respectivement : bénéfice clinique : 4,8% et 24% (p = 0,0022) ; médianes de survie globale: 4,4 et 5,6 mois ; taux de survie à un an : 2% et 18% (p = 0,0025). Cette étude a permis à la GEMCITABINE d’obtenir son autorisation de mise sur le marché (AMM) en Europe dans cette indication. Par la suite, plusieurs associations de chimiothérapie ont été testées et ont montré une efficacité relative dans les cancers du pancréas avancés comme l’association 5FU + AF+ OXALIPLATINE (schéma FOLFOX) utilisé dans plusieurs cas :

    - soit en 2ième ligne de traitement, après échec d’une chimiothérapie par GEMCITABINE [72].

    - soit en « allègement du protocole FOLFIRINOX » en raison de toxicités importantes ou d’un mauvais état général.

    Une autre association de chimiothérapie a été évaluée utilisant l’association GEMCITABINE + OXALIPLATINE (schéma GEMOX) montrant une bonne tolérance et une certaine efficacité en termes de survie sans progression et de bénéfice clinique. La différence de survie globale avec un traitement par GEMCITABINE seule n'était cependant pas statistiquement significative : 7,1 vs 9,0 mois (p = 0,13) [73]. Une autre étude de phase III a montré que l’association GEMCITABINE et CISPLATINE vs GEMCITABINE seule améliorait la survie sans progression (4,6 vs 2,5 mois ; p = 0,016) mais pas la survie globale [74]. Cette supériorité était vraie pour les patients en bon état général avec un OMS entre 0 et 1.

    Ce n’est qu’en 2010 qu’une réelle amélioration de la survie des patients présentant une tumeur avancée a été observée grâce à l’utilisation d’une polychimiothérapie utilisant : 5FU+AF+IRINOTECAN+OXALIPLATINE selon le schéma « FOLFIRINOX ». Les résultats de l’essai multicentrique de phase III (PRODIGE 4/ACCORD 11) de T. Conroy et al ont permis à ce schéma thérapeutique de devenir le traitement « gold standard » en Europe pour les patients en bon état général et présentant un cancer du pancréas avancé ou métastatique [75]. Cet essai a comparé le schéma FOLFIRINOX (association d’OXALIPLATINE 85 mg/m², d’IRINOTECAN 180 mg/m², ACIDE FOLINIQUE 400 mg/m² et de 5-FU bolus 400 mg/m² suivi de 5-FU en perfusion continue sur 46 h 2,4g/m²) à la GEMCITABINE (schéma de Burris) chez des patients atteints d’un cancer du pancréas métastatique avec un état général conservé (Performans status 0 ou 1), sans pathologie coronarienne et ayant une bilirubine normale ou subnormale (< 1,5 fois la normale).

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    Figure 5 : les potentielles thérapies ciblées disponibles pour le traitement du cancer du pancréas

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    Un total de 342 patients a été randomisé avec interruption des inclusions après l’analyse intermédiaire en raison de la positivité des résultats concernant l’objectif principal (survie globale). Les taux de réponses confirmées étaient (FOLFIRINOX/GEMCITABINE) 31,6% et 9,4% (p= 0,0001). La survie sans progression médiane était 6,4/3,3 mois (p < 0,001) et la survie globale était 11,1/6,8 mois (HR = 0,57; 95% CI = 0,45- 0,73; p < 0,001). La toxicité de cette combinaison était par ailleurs gérable.

    Malgré les progrès des drogues cytotoxiques sur cette maladie, et notamment

    malgré cette dernière association de molécules de chimiothérapie, certains patients rechutent très vite et/ou sont résistants aux traitements avec des pronostics qui restent encore très sévères. C’est la raison pour laquelle d’autres associations de traitements cytotoxiques ont été testées, notamment des thérapies ciblées (Figure 5), mais sans grande efficacité. C’est le cas de cette étude de phase III comparant la GEMCITABINE à l’association GEMCITABINE + ERLOTINIB (Tarceva®), un inhibiteur tyrosine kinase du récepteur à l’Epidermal Growth Factor (EGF) [76]. L’augmentation de la SG avec l’association était significative mais faible (6,2 mois vs 5,9 mois; p = 0,038). Les associations GEMCITABINE–BEVACIZUMAB (Avastin®) [77], GEMCITABINE-SORAFENIB (Nexavar®) [78], et GEMCITABINE-CETUXIMAB (Erbitux®) [79] n’ont pas démontré leur supériorité par rapport à la GEMCITABINE en monothérapie. C’est la raison pour laquelle d’autres molécules sont testées en pratique clinique avec notamment le développement des taxanes (TAXOTERE, TAXOL [80]) et des nanoparticules comme le NAB-PACLITAXEL (Abraxane®) couplée à la chimiothérapie [81] ainsi que plusieurs essais thérapeutiques en cours (Tableau 2).

    Tableau 2 : Nombre d’essais thérapeutiques concernant les tumeurs pancréatiques en France de 2007 à 2013. Les 12 essais thérapeutiques ouverts (dont l’essai PaCaOmics) sont répertoriés en Annexe 1.

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    V. SURVIE Malgré les progrès récents de la chirurgie et l’arrivée de combinaison de chimiothérapie et/ou de thérapies ciblées, comme vu précédemment, la survie des patients atteints d’un ADK pancréatique, tout stade confondu, est de l’ordre de 5% à 5 ans [82]. Ce pronostic reste effroyable (Figure 6). Figure 6 : Diagramme pronostique des tumeurs pancréatiques. Evaluation sur 1000 cas au diagnostic.

    1000cancersdupancréas

    600 400avecmétastasessynchronesaumomentdudiagnos c

    450inex rpablesTraitementpallia f

    150ex rpables(clinique)

    50surviesà5ans

    1. Survie des patients avec ADK pancréatiques réséqués Depuis vingt ans, la résection chirurgicale est toujours le seul traitement curatif, et seulement 10-15% des malades ont une tumeur jugée résécable au moment du diagnostic. Dans la littérature, les résultats à long terme restent péjoratifs dans les séries chirurgicales monocentriques issues de centres spécialisés; les taux de survie décroissent encore après la 5e année en raison des rechutes tardives mais plus encore, semble-t-il, en raison de la survenue de seconds cancers [83-84]. En revanche, la mortalité de la chirurgie pancréatique a considérablement diminué (3,3%) permettant d’obtenir une médiane de survie après résection de 27 mois (IC : 24,5-30,6), alors qu’elle était de 11 mois il y a 30 ans. La survie actuarielle à 3 ans est d’environ 40% (IC : 38-45) (alors qu’elle était à 20% dans les années 1990) mais reste médiocre à 5 ans aux alentours de 10%. L’amélioration de la survie depuis quelques années passe par 3 points clefs : - premièrement, une meilleure évaluation de la qualité de la résection et de son caractère complet (résection macroscopique et microscopique complète = R0) [85-86-87].

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    - deuxièmement, l’utilisation d’une chimiothérapie adjuvante chez tous les patients opérés dont le statut clinique le permet ; les résultats de trois essais contrôlés (ESPAC 1 et 3 + CONKO-001) ont ainsi déterminé la seule modification récente de la stratégie thérapeutique basée sur un niveau de preuve grade A [68] [70]. – troisièmement, la possibilité d’une résection « secondaire » en cas de tumeur initialement jugée à la limite de la résécabilité (borderline) ou de tumeur localement avancée non métastatique (tumeur présentant un contact avec les vaisseaux mésentériques) chez quelques malades sélectionnés [88].

    3. Survie des patients avec ADK pancréatiques métastatiques

    La survie des patients d’emblée métastatique est de l’ordre de 6 à 12 mois à ce jour. - Jusqu‘en 2010, la chimiothérapie des cancers pancréatiques avancés, bien que modérément efficace, a démontré un effet palliatif [89] avec des traitements hebdomadaires par 5FU permettant d’obtenir un bénéfice clinique de 4,8%, une médiane de survie globale de 4,4 mois et un taux de survie à un an de 2%, ou comme nous l’avons vu par GEMCITABINE [71] permettant d’obtenir une amélioration du bénéfice clinique à 24%, une médiane de survie de 5,6 mois et un taux de survie à un an de 18%. D’autres études évaluant l’association GEMCITABINE et OXALIPLATINE (GEMOX) [73] et GEMCITABINE + SELS DE PLATINE de façon plus générale [90], ont confirmé la bonne tolérance et l’efficacité des traitements combinés en termes de survie sans progression et de bénéfice clinique mais pas de différence en survie globale comparé à la GEMCITABINE seule, qui restait aux alentours de 6-7 mois. - En 2010, comme nous l’avons vu dans les différentes possibilités de traitements, c’est l’essai français présenté pat Thierry Conroy à l’American Society of Clinical Oncology (ASCO 2010, USA) [75] qui a permis d’obtenir une avancée dans le pronostic des patients avec cancer du pancréas métastatique, avec des résultats non équivoques pour des patients en relatif bon état général ( statut OMS > 1), traités par le protocole FOLFIRINOX (cf Traitements) avec des taux de réponses de 31,6% (9,4% pour gemcitabine seule, p = 0,0001), une survie sans progression médiane de 6,4 mois (3,3 mois pour gemcitabine seule (p < 0,001), une survie globale de 11,1 mois (6,8 mois pour gemcitabine seule (HR = 0,57; 95% CI = 0,45-0,73; p < 0,001). Cependant il reste difficile de prédire le pronostic et la survie de chaque patient et c’est une interrogation lors de chaque diagnostic de cancer pancréatique. Les différences de survie des ADK sont en grandes parties liées au fait que la maladie est hétérogène. En effet, comme nous allons le démontrer, il ne semble pas exister « un cancer pancréatique » mais bien plusieurs, et malheureusement, dans la majorité des cas, effroyablement agressifs.

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    Figure 7 : Le concept des cellules souches cancéreuses Figure a : Modèle stochastique : les tumeurs sont hétérogènes mais la majorité des cellules ont la capacité de proliférer et de former de nouvelles tumeurs. Figure b : Modèle hiérarchique : les tumeurs sont hétérogènes mais seulement un petit nombre de cellules, les cellules souches cancéreuses (CSC en jaune) ont la capacité de proliférer de façon exponentielle et reproduire de nouvelles tumeurs.

    D’après Reya T. Stem cells, cancer, and cancer stem cells. Nature 2001

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    VI. CELLULES SOUCHES CANCEREUSES

    a. Concept

    Les études portant sur les cellules souches cancéreuses (CSC) tendent à prouver l’existence d’une hiérarchie cellulaire au sein des tumeurs, similaire à la physiologie normale d’un tissu, et dirigée par quelques cellules cancéreuses ayant des propriétés de cellules souches. Deux modèles d’oncogenèse s’opposent [91]. Dans le modèle stochastique, chaque cellule d’un tissu, même différenciée, peut, à la suite de l’accumulation de mutations acquises de façon aléatoire, proliférer de façon indéfinie et former un clone tumoral indépendant. Le second modèle, le modèle hiérarchique, considère la CSC comme le moteur de l’activité tumorigène du cancer (Figure 7). Dans ce modèle, les cellules d’une tumeur ont donc un potentiel de prolifération limitée en dehors d’un petit nombre de cellules cancéreuses, les CSC et/ou leurs progéniteurs précoces, qui ont la capacité de proliférer de façon indéfinie et donner naissance à toutes les autres cellules de la masse tumorale. Ainsi les propriétés caractéristiques des CSC vont être celles des cellules souches normales adultes, auto-renouvellement, longue durée de vie, capacité à reproduire l’hétérogénéité tissulaire, auxquelles s’ajoutent d’autres propriétés acquises à la suite des altérations génétiques, comme la prolifération continue et l’autonomie vis à vis de la « niche » environnementale au sein de laquelle se développent les cellules souches, comme cela a bien été décrit dans le cancer du sein [92]. L’auto-renouvellement (intrinsèque ou acquis dans le cas des progéniteurs) est un élément clé lors de l’initiation de l’oncogenèse où l’expansion des CSC permettra de former le pool initial de la tumeur. Ainsi, l’ensemble des propriétés caractéristiques des CSC, et notamment pancréatiques, pourrait constituer un avantage dans la formation des métastases [93-94] et/ou la résistance aux traitements antimoraux actuels, qui ciblent essentiellement les cellules en cycle.

    b. Les cellules souches cancéreuses pancréatiques

    Les premières CSC ont été mises en évidence dans les leucémies il y a une quinzaine d’années [95] mais ce n’est que plus récemment que des CSC ont été identifiées dans les tumeurs solides et isolées dans une très grande variété de néoplasies comme les tumeurs du système nerveux, les carcinomes prostatiques, les carcinomes mammaires, les carcinomes coliques, les mélanomes, les myélomes multiples, les cancers ORL et enfin les adénocarcinomes du pancréas [96-97-98]. Plusieurs techniques ont été développées pour tenter de les isoler et de les identifier.

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    CANCER DU PANCREAS

    c. Approches méthodologiques Les méthodes permettant d’isoler les cellules souches cancéreuses pancréatiques utilisent 2 principes différents, selon qu’elles se fondent sur des propriétés intrinsèques des cellules souches, communes quelque soit la pathologie considérée, ou sur l’expression de marqueurs de surface spécifiques, comportant souvent une spécificité d’organes et d’espèces.

    Un marqueur enzymatique : l’Aldéhyde déshydrogénase

    L’aldéhyde déshydrogénase (ALDH) est une enzyme intervenant dans le métabolisme de l’acide rétinoïque et joue un rôle dans le contrôle de la différenciation cellulaire. Ce principe d’isolement des CSC a déjà été utilisé dans d’autres pathologies comme les leucémies ou le myélome multiple [99], les tumeurs du cerveau [100] et les tumeurs mammaires [101]. Ainsi, une association entre une haute activité de l’enzyme aldéhyde déshydrogénase 1 (ALDH1) intracellulaire et les capacités de cellules souches cancéreuses a été démontrée dans plusieurs études récentes et plus précisément dans le cancer du pancréas [102-103].

    Les marqueurs de surface ou marqueurs membranaires

    Le premier phénotype de CSC pancréatiques basé sur des marqueurs de surface membranaire a récemment été démontré en utilisant les même marqueurs membranaires que ceux utilisés pour l’étude des cellules souches cancéreuses mammaires [104] à savoir le phénotype CD44/CD24/ESA (ESA Epithelial Specific Antigen aussi appelé Epcam (Epithelial cell adhesion molecule)). La sélection et le tri des cellules cancéreuses pancréatiques marquées au CD44, CD24 et Epcam par des techniques de cytométrie de flux de type FACS (Fluorescence Activated Cell Sorting), suivis de leurs implantations en xénogreffes, a permis de montrer que les cellules pancréatiques cancéreuses, exprimant à leurs surfaces membranaires les marqueurs CD44/CD24 et Epcam (communément dénommés CD44+/CD24+/Epcam+), répondaient aux principaux critères caractérisant une cellule souche, à savoir la capacité de reconstituer in vivo l’hétérogénéité de la tumeur primaire et des propriétés tumorigéniques supérieures aux autres cellules tumorales [105-106]. D’autres phénotypes basés sur l’expression de marqueurs de surface des CSC pancréatiques sont en cours d’évaluation : CD133 [107] et c-Met [108].

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    Figure 8 : « Dame autophagie » Dame autophagie tient dans sa main une balance représentant le double rôle de l’autophagie dans la suppression et la progression tumorale. Le bandeau qu’elle porte sur les yeux symbolise le manque de connaissance des facteurs qui influent sur l’équilibre des fonctions antitumorales et protumorales de l’autophagie. En effet, l’autophagie pourrait être un mécanisme antitumoral, en limitant la prolifération et l’instabilité chromosomique des cellules, en prévenant l’inflammation et/ou en induisant la mort autophagique suite au traitement des cellules tumorales par des agents anticancéreux. Mais, elle pourrait aussi être un mécanisme promoteur de tumeur en permettant la survie des cellules cancéreuses en réponse au stress métabolique et aux agents anticancéreux.

    D’après Lorin S, 2008 [109].

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    CANCER DU PANCREAS VII. AUTOPHAGIE

    a. Concept

    L’autophagie, du grec ancien signifiant littéralement « se manger soi-même » est un mécanisme physiologique du catabolisme, qui implique la dégradation de composants cellulaires inutiles ou dysfonctionnels à travers la machinerie lysosomale. Il existe trois grands types différents d’autophagie : la microautophagie, l’autophagie médiée par les protéines chaperonnes, et la macroautophagie (la forme principale). Dans l’ensemble, l’autophagie peut être considérée comme un processus favorable à la physiologie des cellules. Elle les protège contre certains envahisseurs qui réussissent à s’introduire dans le cytoplasme. L’autophagie protège aussi les cellules contre la sénescence métabolique en éliminant les mitochondries détériorées, qui produisent des quantités excessives de dérivés nocifs de l’oxygène, ainsi que les protéines endommagées par ces dérivés. Les acides aminés libérés lors de la dégradation des protéines ne sont pas perdus. Ils peuvent être réutilisés pour en construire de nouvelles. Un tel recyclage se produit aussi lorsque les cellules souffrent d’une carence alimentaire, et surtout d’un apport insuffisant en azote organique. Ce mécanisme permet donc un « contrôle qualité » du cytoplasme d’où son rôle protecteur contre le vieillissement. Toutefois, sa dérégulation conduit à une mort dite « mort autophagique » par autodigestion de la cellule.

    b. Autophagie et Cancer du pancréas Il existe un lien étroit entre l’autophagie et le cancer (Figure 8). Selon les circonstances, l’autophagie est :

    - soit un mécanisme suppresseur de tumeurs (plutôt lors de l’initiation

    tumorale): inhibition de la prolifération, dégradation des mitochondries

    endommagées, mort cellulaire suite à un traitement anti-cancéreux…

    - soit un mécanisme oncogénique (plutôt lors de l’échappement thérapeutique

    et la progression tumorale): survie de la cellule cancéreuse suite à une carence

    en O2 ou en facteur de croissances, inhibition de l’apoptose....

    Les gènes ATG (AuTophaGy) sont des gènes conservés et spécifiques de l’autophagie. D’une manière générale, ce processus est stimulé par les gènes suppresseurs de tumeurs, tels que P53 et PTEN et il est important de noter qu’un gène ATG, que l’on nomme ATG 6 ou « Becline 1 », est aussi un gène suppresseur de tumeur qui agit par un mécanisme d’haplo-insuffisance. Becline 1 est délété dans 40 à 75% des cancers du sein et des ovaires chez l’humain.

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    CANCER DU PANCREAS L’interaction de la protéine Becline 1 avec l’oncogène Bcl-2 détermine l’avenir d’une cellule. En effet, si ces deux partenaires interagissent, l’autophagie est inhibée. Une dérégulation de cette interaction dans les cancers solides [110-111] et notamment dans les cancers pancréatiques [112] conduit à la mort cellulaire par excès d’autophagie et autodigestion. De nombreux traitements anticancéreux, qu’ils soient déjà utilisés en clinique ou encore au stade expérimental, inhibent l’autophagie dans les cellules en culture. C’est le cas de la Chloroquine (que nous avons utilisé pour nos tests) mais aussi du tamoxifène, de la rapamycine et de ses analogues, du trioxyde d’arsenic, du témozolomide, des inhibiteurs des histones déacétylases, des radiations ionisantes, des analogues de la vitamine D, de l’étoposide, etc… Quelques exemples sont présentés dans le Tableau 3.

    Tableau 3 : Traitements anticancéreux et Autophagie.

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    Figure 9 : Mécanismes de l’autophagie chez les eucaryotes La première étape de l’autophagie est la formation d’une structure multimembranaire, appelée phagophore, dont l’origine reste inconnue. Cette structure s’étend pour former l’autophagosome qui séquestre du matériel cytoplasmique. L’autophagosome fusionne avec le lysosome et son contenu est ensuite dégradé par les enzymes lysosomales. Ce processus fait intervenir principalement trois complexes protéiques : la PI(3)K (phosphatidyl inositol 3-phosphate) de classe III associée à la protéine Beclin 1 et deux systèmes de conjugaison. L’événement précoce dans l’induction de la formation de l’autophagosome est la production du complexe PI3K- Beclin 1 qui permet le recrutement du premier système de conjugaison ATG12-ATG5. Ce dernier permet, à son tour, la conjugaison de la phosphatidyl éthanolamine (PE) à la protéine LC3 pour former le conjugué LC3-PE, qui est alors recruté à la membrane autophagosomale. A l’exception de cette dernière protéine qui reste associée à la membrane de l’autophagosome, toutes les autres protéines ATG se dissocient rapidement.

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    CANCER DU PANCREAS

    c. Approches méthodologiques

    Le processus d’autophagie commence par la formation de vésicules appelées phagophores tant qu’elles sont encore ouvertes et autophagosomes, lorsqu’elles se referment complètement et acquièrent une seconde membrane (Figure 9). L’origine des membranes limitantes reste assez obscure. L’hypothèse la plus vraisemblable est qu’elles dérivent du réticulum endoplasmique. Au cours de la formation de l’autophagosome, des complexes protéiques ATG : complexe PI3K- Becline 1/ conjugué ATG12-ATG5 et conjugué LC3-PE, sont recrutés à partir du cytoplasme et s’associent transitoirement avec la membrane autophagosomale. Les autophagosomes séquestrent une partie du cytoplasme et tous les éléments qui s’y trouvent, dont les plus aisément reconnaissables sont les mitochondries. Les vésicules fusionnent ensuite avec le compartiment des lysosomes, créant les autolysosomes, qui expriment transitoirement le complexe LC3-PE à leur surface, ce qui entraîne la destruction de leur contenu par libération d’enzymes hydrolytiques digestives lysosomales. Les processus détaillés de régulation de l’autophagie sont exposés dans l’Annexe 2. Du point de vue cytologique, il est difficile de faire la distinction entre les différentes étapes de l’autophagie, parce que les vésicules englobantes ont souvent moins d’un micron de diamètre et que le phénomène intracellulaire est dynamique (= flux autophagique). La méthode d’étude la plus appropriée est la microscopie électronique ou les analyses protéiques permettant de quantifier LC3-PE (=LC3 II), conjugué présent temporairement sur les autolysosomes, en Western blot avant et après blocage de l’autophagie. Pour mesurer le flux autophagique, nous avons utilisé la Chloroquine, composé qui modifie le pH lysosomal et empêche le flux autophagique d’aboutir.

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    Figure 10 : Caractéristiques scanographiques d’un adénocarcinome de la tête du pancréas. Avant injection de produit iodé, l'adénocarcinome du pancréas présente le plus souvent une densité identique à celle de la glande normale, et ne peut donc être visualisé que par des signes indirects (dilatation des voies biliaires, dilatation du Wirsung, déformation des contours du pancréas). Par contre, après injection, la tumeur se rehausse nettement moins durant la phase vasculaire que le parenchyme sain, l'adénocarcinome du pancréas étant une tumeur hypovasculaire. Le scanner hélicoidal permet par ailleurs l’étude du parenchyme pancréatique, des axes vasculaires et du parenchyme hépatique.

    MassehypovasculairePrisedecontrastetardive

    Dilata oncanalaire(voiebiliaireprincipale,canaldewirsung(*))EnvahissementvasculaireMétastases,adénopathies,carcinosepéritonéale

    *

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    LE CANCER DU PANCREAS

    VIII.HETEROGENEITE DES CANCERS PANCREATIQUES

    1. Hétérogénéité clinique

    Le mode de découverte et la présentation clinique des tumeurs pancréatiques restent globalement toujours les mêmes : homme, sixième décennie, douleurs, amaigrissement, diabète et présence d’une masse pancréatique (et +/- de métastases) à l’imagerie avec des caractéristiques communes scanographiques [114] (Figure 10). Cependant l’évolution et le pronostic sont variables entre 2 patients et extrêmement difficiles à prédire. Au diagnostic, 2 patients de « même profil » peuvent présenter une évolution et une survie très différentes (Figure 11) sans que l’on puisse l’anticiper avec les outils scientifiques actuels. Figure 11 : Hétérogénéité des profils de survie entre 2 patients de même présentation clinique.

    Maladieagressive Maladienonagressive

    Décédé Encorevivant

    Différences?

    Chimiothérapie 2 mois Rechute en Mai 2012

    Chimiothérapie 6 mois Pas de rechute

    Homme58ansDouleursabdominalesChirurgied’unetumeurdelatêtedupancréasenJanvier2012

    Homme58ansDouleursabdominales,appari ond’undiabèteChirurgied’unetumeurdelatêtedupancréasenFévrier2012

    Il en est de même pour les taux de réponses thérapeutiques qui restent très variables entre 2 patients. Certains patients vont bénéficier d’un traitement (patients sensibles) et pourront vivre « plus longtemps », alors que pour d’autres, le traitement sera toxique (=pharmacogénétique) entrainant l’arrêt des traitements, ou inefficace (patients résistants) entrainant la progression de la maladie et le décès rapide.

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    LE CANCER DU PANCREAS

    C’est une des problématiques essentielles de l’ADK pancréatique : savoir proposer le traitement le plus adapté au patient et à sa tumeur

    «Connaîtrel’iden tédelatumeur,c’estmieuxconnaîtrel’ennemiqu’onaàcomba re»

    2. Hétérogénéité inter et intra tumorale

    Le cancer pancréatique est donc très hétérogène, à tel point qu’il ne devrait pas être considéré comme « 1 seul cancer pancréatique » mais comme « plusieurs cancers » qu’il faut envisager de traiter de façon personnalisée. Pour se rendre compte de cette hétérogénéité inter tumorale, il suffit de regarder les coupes histologiques provenant de différents patients (Figure 12) ainsi que leurs évolutions cliniques. Figure 12 : Coupes histologiques provenant d’adénocarcinomes pancréatiques de 3 patients différents.

    AD

    Kp

    an

    cré

    ati

    qu

    e patient#1

    patient#2 patient#3

    L’aspect microscopique est hétérogène et le reflet des aspects cellulaires et moléculaires des tumeurs pancréatiques. Le développement des techniques à haut débit, déterminant la séquence nucléotidique ainsi que le nombre de copies géniques sur le génome tumoral, a mis en évidence la grande complexité génétique des tumeurs pancréatiques.

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    Figure 13 : Représentation graphique de l’évolution mutationnelle des cellules cancéreuses au cours du temps. Chaque cellule tumorale subit plusieurs étapes clefs pendant sa croissance et sa prolifération tumorales, impliquant des phénomènes constants de mutations au cours du temps. Lorsqu’une mutation survient au sein de la population cellulaire tumorale primitive (cellules gris clair), les cellules mutées (cellules gris foncé) prolifèrent et prennent peu à peu la place des premières. Avec le temps, lorsque plusieurs mutations surviennent, il existe donc de façon concomitante au sein d’une même tumeur, plusieurs sous-populations cellulaires aux altérations génomiques différentes. Ainsi, les 15 à 20% de patients présentant des tumeurs primitives résécables et opérés portent déjà en eux une tumeur hétérogène. Le processus d’hétérogénéité cellulaire intra tumorale s’aggrave lors de la formation des métastases avec apparition de clones cellulaires très différents de la tumeur initiale et soumis encore à de multiples autres mutations.

    D’après Nowell PC, 1976 [115]

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    LE CANCER DU PANCREAS

    Hétérogénéité biologique L’ensemble des données converge pour affirmer qu’au sein de la même tumeur solide coexistent des sous-populations cellulaires aux altérations génomiques distinctes. Selon le modèle darwinien [115], une néoplasie a pour origine une cellule unique qui est la cible de mutations, évènements qui l’affranchissent des mécanismes physiologiques limitant sa prolifération. Ainsi, la succession de mutations, qui confère à la cellule un avantage sélectif et qui est suivie de périodes d’expansion clonale, aboutit à la formation d’une tumeur maligne. Dans ce cadre théorique, la masse tumorale peut alors être conçue comme un ensemble dynamique de plusieurs populations de cellules en voie de transformation ou déjà transformées, dont une population numériquement majoritaire correspondant à celle en phase de dominance clonale (Figure 13). Chacune de ces populations, y compris les métastases, représente une des différentes étapes de la formation et de la progression du cancer, et il existe un lien phylogénétique entre elles puisque les cellules ont en commun les mêmes mutations causales. Ces mutations qui contribuent au développement néoplasique sont appelées « drivers » pour les différencier des mutations dites « passengers » qui sont générées au cours de la progression tumorale, mais dont la présence ne confère pas d’avantage sélectif [116]. L’autre explication qui a été avancée afin de rendre compte de cette diversité intratumorale présuppose l’implication des cellules souches cancéreuses, vu ci-dessus, dont la capacité à donner naissance à différents types cellulaires contribuerait à l’hétérogénéité phénotypique d’une même tumeur. Pour autant, ce dernier modèle ne permet pas de comprendre la dynamique évolutive à l’origine de sous-populations de cellules malignes se différenciant par leur génotype [117].

    Hétérogénéité spatiale L’idée qu’il existe une hétérogénéité spatiale de la tumeur n’est pas nouvelle. D’une part, les interactions des cellules cancéreuses avec leur microenvironnement ne sont pas uniformes dans la tumeur, et les propriétés de la trame conjonctivo-vasculaire qui constitue le stroma cancéreux ainsi que le remodelage de la matrice extracellulaire, varient en fonction des régions de la tumeur. D’autre part, certaines zones d’un cancer sont moins bien oxygénées que d’autres et cette hypoxie locale conduit, entre autres, à une modification du métabolisme énergétique et peut conditionner la résistance thérapeutique de certaines cellules clonales [118].

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    LE CANCER DU PANCREAS

    Défi à la médecine personnalisée Cette hétérogénéité intratumorale permettrait à la tumeur d’échapper à un traitement systémique car les différents sous-clones se trouvent en compétition pour une dominance clonale. C’est bien la résistance aux médicaments, conduite par l’instabilité génétique et l’hétérogénéité intra tumorale, qui représente le problème central du faible taux de réponse aux traitements et de la récidive tumorale des patients atteints d’ADK pancréatiques. Il existe donc un véritable défi à identifier des biomarqueurs à utilité clinique qui permettrait de savoir comment traiter un patient, en tenant compte de la nature polygénique de la résistance aux médicaments et de l’hétérogénéité intra tumorale responsable de la rechute. L’identification des processus de cancérogénèse et de maintien des mécanismes pro-tumoraux passe par le décryptage de tous ces mécanismes et de leurs implications spécifiques pour chaque tumeur et pour chaque individu. CONCLUSION

    En dépit de considérables efforts de recherche ces dernières années, les approches thérapeutiques conventionnelles, incluant chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie ont un impact très modeste et le pronostic reste péjoratif. Au final, l’écrasante majorité des ADK pancréatiques développeront une maladie métastatique et une évolution fatale à court terme. Il faut considérer la tumeur pancréatique comme un écosystème constitué de plusieurs sous-populations de cellules malignes, avec une architecture génétique spécifique, et évoluant dans des niches géographiques distinctes, tout en entretenant des relations complexes de compétition et de mutualisme. La recherche de nouvelles molécules à activité anti-tumorale, susceptibles d’être efficaces sur ces populations cellulaires malignes et d’augmenter la survie des patients, est donc une nécessité. Cependant malgré les efforts de l’industrie pharmaceutique qui développent chaque année de nouvelles molécules innovantes ciblant des voies de signalisation intéressantes, si pour certains cancers nous avons assisté à de véritables révolutions thérapeutiques, pour le cancer du pancréas les résultats restent encore assez décevants.

    L’hétérogénéité des tumeurs du pancréas ne laisse que peu de chances à l’efficacité d’un traitement « standard pour tous ». C’est pourtant encore le cas à ce jour. Une approche plus personnalisée est de ce fait nécessaire pour tenter de donner le « bon » traitement au « bon » patient.

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    LE PROJET PACAOMICS

    La plupart des approches développées jusqu’à présent pour caractériser les tumeurs pancréatiques sont restées peu productives, notamment en raison du fait que l’essentiel des études ont été conduites sur du tissu obtenu lors d’exérèse chirurgicale, ce qui ne correspond qu’à 15 à 20% de cas de patients très sélectionnés.

    Le Projet PaCaOmics pour « Pancreatic Cancer et techniques de Omics » a donc vu le jour dans ce contexte connu de maladie très agressive, sans possibilité encore de trouver un traitement adapté et personnalisé pour chaque patient. Du fait de l’hétérogénéité tumorale et de la présence de multiples processus physiopathologiques impliqués, les traitements conventionnels et/ou les thérapies ciblées n’ont que peu d’influence sur le devenir des patients.

    Cependant, même si le pronostic des ADK pancréatiques est notoirement sombre, quelques patients présentent une réponse aux « traitements pour tous », probablement en raison de caractéristiques moléculaires particulières. C’est ce que l’on pourrait appeler la « Niche thérapeutique » (Figure 14) qu’il serait intéressant d’identifier.

    Figure 14 : Notion de « Niche thérapeutique ». Tous les patients atteints d’ADK pancréatique reçoivent un traitement standard, décidé essentiellement en fonction de leur évolutivité au moment du diagnostic (opéré ou métastatique) et de leur état général. Peu de patients présenteront une réponse thérapeutique et seul un petit nombre de patients bénéficiera du traitement.

    98%pasderéponse

    2%??

    Le projet « PaCaOmics » propose donc de caractériser ces différences existantes entre les patients, en travaillant sur les cellules cancéreuses uniquement (les cellules stromales étant éliminées en grande partie lors de l’amplification des tissus par xénogreffes ou des cellules par cultures primaires), et dans une population reflétant plus fidèlement la population globale des ADK pancréatiques aujourd’hui, c’est-à-dire les patients opérables, mais également et surtout, les patients présentant une maladie localement avancée non opérable et les patients métastatiques.

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    Figure 15 : Les principaux objectifs du projet PaCaOmics

    Chimiogramme

    Autophagie

    Histologie

    Cellulessouchescancéreuses

    Techniquesde«Omics»

    Culturecellulaire

    Recueildesdonnéescliniques

    Pourchaqueprélèvementtumoralissudepa ent

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    LE PROJET PACAOMICS

    I. OBJECTIFS DU PROJET (Figure 15)

    - Etudier les différentes caractéristiques moléculaires à la base de

    l’hétérogénéité tumorale des adénocarcinomes pancréatiques, ainsi que les

    différences de réponse thérapeutique et de survie des patients.

    - Etablir des groupes de patients au sein de l’ensemble des tumeurs évaluées, et

    de leur associer des marqueurs moléculaires qui permettraient leur

    identification.

    - Déterminer leur profil de sensibilité aux drogues chimiothérapeutiques.

    - Proposer un traitement adapté et personnalisé pour chaque groupe de

    patients identifié.

    II. STRATEGIE

    A l’aide de xénogreffes et de cultures primaires obtenues à partir des prélèvements de patients présentant un ADK pancréatique, réaliser :

    - Des techniques de « Omics » à haut débit :

    o ARN : Profil ARNm, miARN et ARNnc et épissage alternatif

    o ADN : techniques de séquençage des exons, variation du nombre de

    copies et modifications épigénétiques de l’ADN

    o Analyses protéomiques : analyse du profil d’expression protéique,

    notamment sécrétome et Ubiquitinome

    o Stratégies shARN : recherche des voies de signalisation relevantes

    - Des analyses au niveau cellulaire notamment avec l’évaluation des cellules

    souches cancéreuses et des processus métaboliques tels que le niveau

    d’autophagie.

    - Des tests de sensibilité aux drogues avec établissement des profils de

    sensibilité in vitro aux chimiothérapies.

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    Figure 16 : Les partenaires hospitaliers

    Hôpital Nord

    Hôpital de la Timone

    Institut Paoli -Calmettes

    U 1068 (ex U624)

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    LE PROJET PACAOMICS

    III. LES INTERVENANTS

    En tant que Responsable Clinique du projet PaCaOmics, mes missions s’attachent au bon déroulement des inclusions des patients, selon le guide des bonnes pratiques médicales cliniques (BPC) relatives aux essais thérapeutiques, à la récolte des données cliniques des patients, et aux analyses des données et résultats issus des techniques d’expérimentation scientifique.

    Les trois centres cliniques marseillais participants sont l’Institut Paoli-Calmettes (promoteur de l’étude), l’Hôpital Nord et l’Hôpital de la Timone (Figure 16). Le bureau d’étude clinique (BEC) chargé du projet PaCaOmics centralise les données au niveau de l’Institut Paoli-Calmettes.

    Le centre de recherche impliqué est le Centre de Recherche en Cancérologie de Marseille (CRCM), unité INSERM 1068, équipe scientifique du Stress cellulaire, localisé à la Faculté des Sciences de Luminy, Marseille.

    Chaque intervenant du projet, médecins oncologues, chirurgiens, médecins anatomopathologistes, gastro-entérologues, directeurs scientifiques, ingénieurs de laboratoire, techniciens de recherche clinique, doctorants, internes en médecine et étudiants scientifiques, a pu soumettre ses idées lors des réunions mensuelles spécifiquement organisées pour le projet PaCaOmics, et faire ainsi évoluer le projet.

    IV. METHODOLOGIE

    L’approche scientifique implique la caractérisation moléculaire des tumeurs pancréatiques ainsi que l’étude de la sensibilité des cellules cancéreuses après amplification des tissus par xénogreffes et des cellules par cultures primaires. Ce matériel est stocké dans des biobanques par congélation, ou maintenu « respirant » dans des xénogreffes.

    Afin d’obtenir des cellules pancréatiques humaines viables sur lesquelles nous avons pu travailler, les patients devaient obéir à certains critères d’éligibilité.

    1. Critères d’éligibilité des patients

    a. Critères d’inclusion

    - Suspicion d’adénocarcinome pancréatique au diagnostic conduisant à une procédure d’écho-endoscopie diagnostique, ou à une chirurgie d’emblée.

    - Patient âgé de plus de 18 ans.

    - Patient affilié à la sécurité sociale ou bénéficiant d’un tel régime.

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    LE PROJET PACAOMICS

    a. Critères de non-inclusion

    Personne en situation d’urgence, personne majeure faisant l’objet d’une mesure de protection légale (majeur sous tutelle, curatelle ou sauvegarde de justice), ou hors d’état d’exprimer son consentement.

    b. Consentement des patients

    Dans le cadre de la recherche biomédicale, un consentement libre, éclairé et écrit des personnes participant à l’étude est recueilli, après qu’ils soient informés par le médecin investigateur lors d’une consultation, et après un délai de réflexion suffisant. L'information destinée aux participants de l'essai comprend l'ensemble des éléments définis dans la loi de santé publique du 9 août 2004 et est écrite de façon simple, dans un langage compréhensible par le patient. Le formulaire de consentement est daté et signé personnellement par le participant à la recherche et l'investigateur en 2 exemplaires originaux (un pour l'investigateur, l’autre pour le participant à la recherche). Les formulaires d'information et de consentement éclairé sont associés sur un même document afin de s'assurer que la totalité de l'information est donnée au participant à la recherche (Annexe 3). Par ailleurs, afin de réaliser des analyses de génomique ou de protéomique, le formulaire d'information précise le type de recherche qui est réalisée et le patient a la possibilité d'accepter ou de refuser la conservation de ses échantillons biologiques dans une finalité de recherche scientifique.

    c. Enregistrement des patients

    Les patients éligibles, ayant signé le consentement avec le médecin investigateur, sont enregistrés dans l’étude PaCaOmics après contact avec le promoteur assurant la centralisation des inclusions (Département de la Recherche Clinique et de l’Innovation (DRCI), Institut Paoli-Calmettes, Marseille).

    Un numéro d'inclusion est transmis par fax et mail à l’investigateur en retour de la confirmation d’inclusion (Annexe 3).

    d. Méthodes de prélèvement

    Les patients éligibles sont soumis à 2 méthodes de prélèvements différentes selon le stade de leur maladie (cf matériel et méthodes) :

    1. Prélèvement sous Echo-endoscopie : les patients présentant une maladie

    d’emblée métastatique ou chez qui un doute sur la résécabilité primaire existe

    (maladie localement avancée), subissent une endoscopie sélective

    pancréatique (Echo-endoscopie) au cours de laquelle est réalisée 2

    prélèvements biopsiques, l’un pour l’analyse anatomopathologique

    diagnostique et l’autre pour l’étude PaCaOmics.

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    LE PROJET PACAOMICS

    2. Prélèvement tumoral chirurgical : Les patients opérables et résécables

    d’emblée subissent une chirurgie carcinologique pancréatique. Lors de

    l’analyse anatomopathologique diagnostique de la tumeur réséquée, un bout

    de tumeur est prélevé et destiné à l’étude PaCaOmics.

    e. Anonymisation

    Après être enregistré dans le protocole PaCaOmics, chaque prélèvement issu de

    biopsies ou de pièces opératoires reçoit une appellation codée :

    - En 2012, les prélèvements ont reçu une appellation par ordre alphabétique (A-

    IPC, B-IPC, C-IPC, A-NORD, B-NORD, etc…), en fonction de leur date d’arrivée

    au laboratoire INSERM, et de l’Hôpital dont ils étaient issues.

    - En 2013, afin d’uniformiser la nomenclature des prélèvements, ceux-ci ont

    tous été appelés :

    tout d’abord par un numéro dési