système de logique déductive et inductive - livre ii : du raisonnement.pdf

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    John Stuart MILL (1843)

    Systme de logique

    dductive et inductiveExpos des principes de la preuve

    et des mthodes de recherche scientifique

    LIVRE II : DU RAISONNEMENT

    (Traduit de la sixime dition anglaise, 1865)par Louis Peisse

    Un document produit en version numrique par Jean-Marie Tremblay,professeur de sociologie au Cgep de Chicoutimi

    Courriel:[email protected] web: http://pages.infinit.net/sociojmt

    Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales"Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html

    Une collection dveloppe en collaboration avec la BibliothquePaul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec Chicoutimi

    Site web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm

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    John Stuart Mill (1843), Systme de logique dductive et inductive. Livre II, 1865. 2

    Cette dition lectronique a t ralise par Gemma Paquet,[email protected], professeure la retraite du Cgep deChicoutimi partir de :

    John Stuart MILL (1843),

    Systme de logique dductive et inductive.Expos des principes de la preuve et des mthodes de recherche scientifique

    LIVRE II : DU RAISONNEMENT

    Traduit de la sixime dition anglaise, 1865, par Louis PeisseLibrairie philosophique de Ladrange, 1866.

    Polices de caractres utilise :

    Pour le texte: Times, 12 points.Pour les citations : Times 10 points.Pour les notes de bas de page : Times, 10 points.

    dition lectronique ralise avec le traitement de textes Microsoft Word 2001 pourMacintosh. Les formules ont ralises avec lditeur dquations de Word.

    Mise en page sur papier formatLETTRE (US letter), 8.5 x 11)

    La longue et pnible vrification de ce livre a t ralise au cours de lautomne 2001 etde lhiver 2002 par mon amie Gemma Paquet partir dune dition de mauvaise qualitimprime en 1866. Jai consacr une centaine dheures une seconde vrification et lamise en page. Sil subsiste des coquilles, soyez indulgent(e) puisque le document num-ris tait de qualit vraiment mdiocre, mais vraiment. Gemma et moi ne sommes pluscapable de le regarder tellement nous y avons consacr de temps.

    dition complte le 3 mai 2002 Chicoutimi, Qubec.

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    John Stuart Mill (1843), Systme de logique dductive et inductive. Livre II, 1865. 3

    Table des matires

    LIVRE II : DU RAISONNEMENT.

    Chapitre I. De l'infrence ou du raisonnement en gnral.

    1. Rcapitulation des rsultats du livre prcdent 2. Des infrences ainsi improprement appeles 3. Des infrences proprement dites, distingues en Inductions et raisonnements

    (ratiocinations)

    Chapitre II. Du raisonnement ou syllogisme.

    1. Analyse du syllogisme 2. Le dictum de omni et nullo n'est pas le fondement du raisonnement, il est simplement une

    proposition identique 3. Quel est l'axiome rellement fondamental du Raisonnement ? 4. Autre forme de l'axiome

    Chapitre III. Fonctions et valeur logique du syllogisme.

    1. Le syllogisme est-il une petitio principii ? 2. Insuffisance de la thorie commune 3. Toute infrence est du particulier au particulier 4. Les propositions gnrales sont un enregistrement de ces infrenceset les rgles du

    syllogisme sont les rgles de l'interprtation de l'enregistrement

    5. Le syllogisme n'est pas le type du raisonnement ; il n'en est que la pierre de touche 6. Quel est rellement ce type ? 7. Rapport de l'Induction avec la dduction 8. Rponse aux objections 9. De la logique formelle et son rapport avec la logique de la vrit

    Chapitre IV. Des sries ou chanes de raisonnements et des sciences dductives

    1. A quelle fin les sries de raisonnements sont ncessaires 2. Une chane de raisonnements est une srie d'infrences inductives 3. Infrences des particuliers aux particuliers au moyen de marques de marques 4. Pourquoi il y a des sciences dductives 5. Pourquoi d'autres sciences restent exprimentales

    6. Des sciences exprimentales peuvent devenir dductives par les progrs del'exprimentation 7. De quelle manire cela a lieu habituellement

    Chapitre V. De la dmonstration et des vrits ncessaires.

    1. Les thormes de la gomtrie sont des vrits ncessaires, en ce sens seulement qu'ilssuivent ncessairement d'hypothses

    2. Ces hypothses sont des faits rels dont quelques circonstances sont ou exagres ouomises

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    3. Quelques-uns des premiers principes de la gomtrie sont des axiomes, et ceux-l ne sontpas hypothtiques

    4. - ils sont des vrits exprimentales 5. Rponse une objection 6. Examen de l'opinion du docteur Whewell sur les axiomes

    Chapitre VI. Continuation du mme sujet.

    1. Toutes les sciences dductives sont inductives 2. Les propositions de la science des nombres ne sont pas purement verbales; ce sont des

    gnralisations de l'exprience 3. Dans quel sens elles sont hypothtiques 4. La proprit caractristique de la science dmonstrative est d'tre hypothtique 5. Dfinition de l'vidence dmonstrative

    Chapitre VII. Examen de quelques opinions opposes aux doctrines prcdentes.

    1. Doctrine du Postulat Universel

    2. L'inconcevabilit d'une chose ne peut pas tre considre comme un rsultatdel'exprience accumule, ni tre, ce titre, un critre de vrit 3. Et ce critre n'est impliqu dans aucun procd de la pense 4. Opinion de Sir W. Hamilton sur le Principe de Contradiction et le Principe de l'Exclusion

    du Milieu

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    John Stuart Mill (1843), Systme de logique dductive et inductive. Livre II, 1865. 5

    LIVRE II.

    DU RAISONNEMENT.

    [ citation en grec ](ARIST., Anal. prior., lib. I, cap. iv.)

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    John Stuart Mill (1843), Systme de logique dductive et inductive. Livre II, 1865. 6

    Chapitre I.

    De l'infrence ou du raisonnementen gnral.

    1. Rcapitulation des rsultats du livre prcdentRetour la table des matires

    1-Dans le Livre prcdent, nous nous sommes occup non de la nature de laPreuve, mais de la nature de l'Assertion ; nous avons examin le sens contenu dansune Proposition vraie ou fausse, et non les moyens de distinguer les Propositionsvraies des fausses. Cependant l'objet propre de la Logique est la Preuve. Pour biencomprendre ce qu'est la Preuve, il tait ncessaire de savoir ce quoi la preuve estapplicable, ce qui peut tre un objet de croyance ou Lie non-croyance, d'affirmationou de ngation; bref, ce qui est nonc dans toute espce de proposition.

    Cette recherche prliminaire nous a donn des rsultats prcis. En premier lieu,

    l'Assertion se rapporte, soit la signification des mots, soit, il quelque proprit deschoses signifies par les mots. Les assertions relatives la signification des mots,parmi lesquelles les plus importantes sont les dfinitions, ont une place, et une placeindispensable, en philosophie. Mais comme la signification des mots est essentielle-ment arbitraire, les assertions de cette classe ne sont susceptibles ni de vrit ni defausset, et, par consquent, ni de preuve ni de rfutation. Les Assertions relativesaux Choses, celles qu'on peut appeler relles pour les distinguer des verbales, sont dediverses espces. Nous avons analys chacune de ces espces et constat la nature deschoses auxquelles elles se rapportent et la nature de ce qui est nonc par toutes sur

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    ces choses. Nous avons trouv que quelle que soit la forme de la proposition, et quelsqu'en soient nominalement le sujet ou le prdicat, le sujet rel est toujours quelquefait ou phnomne de conscience, ou bien quelqu'une ou plusieurs des causes etforces caches auxquelles on rattache ces faits; et que ce qui est dit ou nonc quellesoit affirmativement, soit ngativement, de ces phnomnes ou forces est toujoursl'Existence, l'Ordre dans le lieu, l'Ordre dans le temps, la Causation ou la Ressem-blance. C'est donc l la thorie cl la proposition rduite ses derniers lments. Maisil y a encore une formule de la proposition, moins abstraite, qui, bien que s'arrtant un degr moins avanc de l'analyse, est suffisamment scientifique pour remplir le butpour lequel une dtermination gnrale de cette nature est ncessaire. Cette formuleadmet la distinction communment reue entre le Sujet et l'Attribut, et nonce commeil suit le rsultat de l'analyse de la signification des propositions: Toute Propositionaffirme que tel sujet donn possde ou ne possde pas tel attribut, ou que tel attributest ou n'est pas (en tous les sujets ou dans une partie des sujets) joint avec tel autreattribut.

    Nous laisserons l maintenant cette partie de notre recherche, et nous aborderons

    le problme spcial de la Science Logique, savoir : comment les assertions, - dontnous avons analys la signification, - sont prouves ou rfutes ; celles, du moins,qui, n'tant pas soumises l'intuition ou conscience directe, sont choses sujettes preuve.

    Nous disons d'un fait qu'il est prouv, lorsque nous le croyons vrai raison dequelque autre fait duquel il est dit s'ensuivre. La plus grande partie des propositionsaffirmatives ou ngatives, universelles, particulires et singulires,que nous ci-oyons,ne sont pas crues par leur vidence propre, mais en vertu de quelque chose dj admispour vrai, et dont on dit qu'elles sontInfrer une proposition d'une ou de plusieursautres propositions pralables, la croire et vouloir qu'on la croie comme consquencede quelque chose autre ; c'est ce qui s'appelle, au sens le plus tendu du mot, Raison-ner. Dans un sens plus restreint, le terme Raisonnement ne dsigne que la forme

    d'infrence dont le syllogisme est le type gnral. Nous avons prcdemment exposles raisons qui nous empchent d'adopter cette acception restreinte, et 1es considra-tions dans lesquelles nous allons entrer nous en fourniront de nouvelles.

    2. Des infrences ainsi improprement appeles

    Retour la table des matires

    -2. - En commenant l'examen des cas dans lesquels des conclusions peuventtre lgitimement tires, nous mentionnerons d'abord ceux o l'infrence n'est

    qu'apparente, et qu'il convient surtout de remarquer, pour qu'on ne puisse pas lesconfondre avec les cas d'infrence proprement dite. Cela a lieu lorsque la propositionostensiblement infre d'une autre se trouve, tant analyse, tre, en tout ou en partie,une simple rptition de l'assertion contenue dans la premire. Tous les exemplesd'quivalence ou quipollence des propositions cits dans les traits de logique nesont pas autre chose. Ainsi, si nous argumentions comme ceci : Aucun homme n'estincapable de raison, car tout homme est un tre raisonnable , ou bien : Tous leshommes sont mortels, car aucun homme n'est exempt de la mort , il serait clair quenous ne prouvons pas la proposition, et que nous recourons simplement une autre

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    manire de l'noncer, qui peut tre ou n'tre pas plus aisment comprise par celui quil'entend, on plus ou moins apte suggrer la preuve relle, mais qui, en elle-mme,ne contient pas une ombre de preuve.

    Un autre cas est celui o, d'une proposition universelle, nous en tirons une autrequi n'en diffre que parce qu'elle est particulire, comme : Tout A est B, doncquelque A est B ; aucun A n'est B, donc quelque A n'est pas B. Ce n'est pas l, nonplus, conclure une proposition d'une autre, mais rpter une seconde fois ce qui a tdit d'abord. avec cette diffrence qu'on ne rpte pas la totalit, mais seulement unepartie indtermine de la premire assertion.

    Un troisime cas est lorsque l'antcdent ayant affirm un prdicat d'un sujetdonn, le consquent affirme du mme sujet quelque chose dj connot par le pre-mier prdicat, comme : Socrate est un homme, donc Socrate est une crature vivan-te ; raisonnement dans lequel tout ce qui est connot par crature vivante est djaffirm de Socrate en disant qu'il est, un homme. Si les propositions sont ngatives,leur ordre doit tre interverti ainsi : Socrate n'est pas une crature vivante, donc il

    n'est pas un homme ; car, en niant le moins, le plus qui le renferme est dj niimplicitement. Ces cas, par consquent, ne sont pas des exemples de relle infrence;et pourtant les exemples banals par lesquels on explique les rgles du syllogisme dansles Manuels de logique sont souvent emprunts ce genre, fort mal choisi, dedmonstrations formelles, de conclusions auxquelles quiconque comprend les termesemploys dans l'nonc des prmisses a dj donn son plein assentiment.

    Le cas le plus compliqu de cette espce d'infrences apparentes est ce qu'onappelle la Conversion des Propositions, laquelle consiste changer le prdicat ensujet et le sujet en prdicat, et construire avec ces termes ainsi renverss une nou-velle proposition qat doit tre vraie si la premire l'est. Ainsi, de la propositionparticulire affirmative : Quelque A est B, on infre que quelque B est A; del'universelle ngative : Nul A n'est B, on conclut que Nul B n'est A. De l'universelle

    affirmative : Tout A est B, on ne peut pas conclure que tout B est A; le fait que touteeau est liquide, n'implique pas que, tout liquide est de l'eau, mais il implique quequelque liquide en est; d'o il suit que la proposition : Tout A est B est lgitimementconvertible en Quelque B est A. Ce mode de conversion d'une proposition universelleen une particulire est appel conversionper accidens. De la proposition : quelque An'est pas B, on ne peut pas conclure que quelque B n'est pas A - de ce que quelqueshommes ne sont pas Anglais, il ne s'ensuit pas que quelques Anglais ne sont pas deshommes. Le seul mode usuellement reconnu de convertir la particulire ngative esten cette forme : Quelque A n'est pas B; donc quelque chose qui n'est pas B est A ,et cela s'appelle la conversion par Contraposition. Dans ce cas, cependant, le prdicatet le sujet ne sont pas renverss seulement, mais l'un des deux est chang. Au lieu deA et B, les termes de la nouvelle proposition sont : Une chose qui n'est pas B et A. Laproposition originale quelque A n'est pas B est d'abord change en celle-ci qui est

    quipollente : Quelque A est une chose qui n'est pas B ; et la proposition n'tantplus ds lors une particulire ngative, mais une particulire affirmative, admet uneconversion dans le premier mode, c'est--dire, comme on l'appelle, une conversionsimple 1.

    1 Ainsi que l'a fait remarquer sir William Hamilton, Quelque A n'est pas B peut tre converti en

    Nul B n'est quelque A ; quelques hommes ne sont pas ngres, donc Aucuns ngres ne sontquelques hommes (ex, g. europens).

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    Dans tous ces cas il n'y a pas rellement infrence; il n'y a dans la conclusionaucune vrit nouvelle, rien autre que ce qui a dj t nonc dans les prmisses, etqui est vident pour quiconque en comprend le sens. Le fait affirm dans la conclu-sion est ou le fait mme nonc dans la proposition originale ou une partie de ce fait.Ceci rsulte de notre analyse de la signification des propositions. Lorsqu'on dit, parexemple, que quelques souverains lgitimes sont des tyrans, quel est le sens de cetteassertion? Que les attributs connots par le terme souverain lgitime et lesattributs connots par le terme tyrans coexistent quelquefois dans le mme indi-vidu. Or, c'est l prcisment aussi ce, qu'on entend, si l'on dit que quelques tyranssont des souverains lgitimes; ce qui n'est pas une seconde proposition infre de lapremire, pas plus que la traduction anglaise des lments d'Euclide n'est une collec-tion de thormes diffrents de ceux du texte grec. Pareillement, si nous affirmonsqu'aucun grand gnral n'est tmraire, nous entendons que les attributs connots par grand gnral et ceux connots par tmraire ne coexistent jamais dans lemme individu, ce qui pourrait tre exactement exprim aussi en disant qu'aucunhomme tmraire n'est un grand gnral. Lorsque nous disons que tous les quadru-pdes sont sang chaud, nous n'affirmons pas seulement que les deux attributs

    connots par quadrupdes et sang chaud coexistent quelquefois, mais que le premiern'existe jamais sans le second. La proposition Quelques animaux sang chaud sontquadrupdes , exprimant une moiti de cette signification, l'autre moiti tant misede ct, a donc dj t affirme dans la proposition antcdente . Tous les qua-drupdes sont sang chaud. Mais que tous les animaux sang chaud sont quadru-pdes, ou, en d'autres termes, que les attributs connots par sang chaud n'exis-tent jamais sans les attributs connots par quadrupdes , cela n'a pas t affirm etne peut pas tre infr. Pour raffirmer dans une forme renverse tout ce qui a t,affirm dans la proposition, tous les quadrupdes sont sang chaud , il la fautconvertir par contraposition en cette manire : Rien de ce qui n'est pas sang chaudn'est un quadrupde . Cette proposition et celle dont elle est drive sont exactementquivalentes et peuvent tre substitues l'une l'autre, puisque dire que quand lesattributs de quadrupde sont prsents, ceux de l'animal sang chaud sont prsents,

    c'est dire que quand les derniers sont absents les premiers sont absents.Dans un Manuel destin aux jeunes tudiants, il conviendrait de s'arrter un peu

    plus sur la conversion et l'quipollence des propositions. Quoiqu'on ne puisse pasappeler Raisonnement ou Infrence ce qui n'est qu'une simple rassertion en destermes diffrents de ce qui a dj t nonc, il n'y a pas d'habitude intellectuelle plusimportante et dont la culture soit plus directement du ressort de l'art logique, que cellede discerner rapidement et srement l'identit d'une assertion dguise sous la diver-sit du langage. L'important chapitre des traits de logique relatif l'Opposition desPropositions et l'excellente terminologie technique employe pour la distinction desdiffrents modes d'opposition servent principalement cela. Des observations commecelles-ci : Que des propositions contraires peuvent tre toutes deux fausses, mais nontoutes deux vraies; et que des propositions subcontraires peuvent tre toutes deux -

    vraies, mais non toutes deux fausses; que de deux propositions contradictoires, l'unedoit tre vraie et l'autre fausse ; et que de deux propositions subalternes, la vrit del'universelle prouve la vrit de la particulire, et la fausset de la particulire prouvela fausset de l'universelle, mais non vice vers* ; des observations de ce genre,disons-nous, peuvent, premire vue, paratre bien techniques et mystrieuses, et,une fois expliques, elles semblent par trop simples pour exiger une exposition sisavante, puisque l'explication ncessaire pour faire comprendre les principes suffiraitamplement pour faire saisir dans chaque cas particulier qui peut se prsenter lesvrits qu'ils formulent. Sous ce rapport, pourtant, ces axiomes de logique sont sur le

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    mme pied que les axiomes mathmatiques. Que les choses gales une mme chosesont gales, entre elles, c'est ce qui n'est pas moins clair dans un cas particulier quel-conque que dans l'nonc gnral de cette vrit; et ce principe n'et pas t pos, queles dmonstrations d'Euclide n'auraient jamais, pour cela, t arrtes par la difficultde passer travers la brche sur laquelle cet axiome a jet un pont. Cependant on n'ajamais blm les gomtres de placer en tte de leurs traits une liste de ces gnra-lisations lmentaires, pour premier exercice d'une facult qu'on exigera de l'tudiant chaque pas, celle de comprendre une vrit gnrale. Mme dans la discussion devrits du genre de celles cites plus haut, l'tudiant acquiert lhabitude d'interprterles mois avec circonspection et de mesurer exactement la porte de ses assertions;condition indispensable du vrai savoir et objet essentiel de la discipline logique.

    (*) Tout A est BNul n'est B

    Contraires

    Quelque est BQuelque n'est pas B

    Subcontraires.

    Tout A est BQuelque A n'est pas BetNul A n'est BQuelque est B.

    Contradictoires

    Tout est BQuelque A est BetNul n'est BQuelque n'est pas B

    rciproquement subalternes.

    3. Des infrences proprement dites, distingues en Inductions et raisonnements(ratiocinations)

    Retour la table des matires

    3. -Aprs avoir indiqu, pour les exclure du domaine du Raisonnement ou del'Infrence proprement dits, les cas dans lesquels la progression d'une vrit uneautre n'est qu'apparente, le consquent n'tant qu'une simple rptition de l'antc-dent, nous passerons maintenant aux vrais cas d'Infrence, dans la rigoureuse pro-prit du terme, ceux dans lesquels on part de vrits connues pour arriver d'autresrellement distinctes des premires.

    Le Raisonnement, au sens large dans lequel je prends ce ternie et synonyme ainsid'infrence, est vulgairement divis en deux espces, suivant qu'il va du particulier augnral, ou du gnral au particulier. Le premier s'appelle Induction, le second Ratio-cination ou Syllogisme. Je montrerai tout l'heure qu'il y a une troisime espce deraisonnement qui n'appartient ni l'une ni l'autre des prcdentes, et qui nanmoins,non-seulement est valide, mais encore est le fondement des deux autres.

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    Il est ncessaire d'observer que ces expressions, raisonnement du particulier augnral et du gnral au particulier, se recommandent plus par leur brivet que parleur justesse, et n'indiquent pas exactement, sans le secours d'un commentaire, la dis-tinction de l'Induction et du Syllogisme. Le sens de ces formules est que l'inductioninfre une proposition de propositions moins gnrales, et que le syllogisme infreune proposition de propositions galement gnrales ou plus gnrales. Lorsque del'observation d'un certain nombre de faits individuels on s'lve une propositiongnrale, ou lorsque, en combinant plusieurs propositions gnrales, on en tire uneautre proposition encore plus gnrale, ce procd, qui est en substance le mmed'ans les deux cas, s'appelle l'Induction. Lorsque d'une proposition gnrale, non pisseule (car d'une proposition unique on ne peut rien conclure en dehors de ce qui estimpliqu dans ses termes), mais combine avec d'autres, on infre une propositiongalement gnrale ou moins gnrale, ou purement individuelle, le procd est leSyllogisme. Bref, quand la conclusion est plus gnrale que la plus gnrale des pr-misses, l'argument est communment appel Inductif; quand elle est moins gnraleou galement gnrale, il est Syllogistique.

    Toute exprience commenant avec les cas individuels et allant de ceux-ci aux casgnraux, il semblerait conforme l'ordre naturel de la pense de traiter de l'inductionavant le syllogisme. Il sera cependant avantageux, dans une science qui a pour but deremonter aux sources du savoir, de commencer la recherche par les derniers pluttque par les premiers degrs du travail intellectuel dans la construction de la connais-sance, et de mettre les vrits drives en arrire des vrits dont elles sont dduiteset desquelles dpend leur vidence, avant d'entreprendre d'indiquer la source origi-nelle dont elles sortent les unes et les autres. Les avantages de cette manire deprocder apparatront assez d'eux-mmes mesure que nous avancerons, pour nousdispenser ici de plus longues explications et justifications.

    Nous ne dirons donc rien en ce moment de l'Induction, si ce n'est qu'elle est, sans

    aucun doute, un procd d'Infrence relle. En effet, dans une induction, la conclu-sion contient plus qu'il n'est contenu dans les prmisses. L principe ou la loi conclusdes cas particuliers, la proposition gnrale dans laquelle s'incorporent les rsultats del'exprience, couvrent beaucoup plus de terrain que les cas particuliers qui en sont labase. Un principe tabli par l'exprience est plus que le simple total des observationsfaites dans tel ou tel nombre de cas individuels; c'est une gnralisation base sur cescas et exprimant notre croyance que ce que nous avons trouv vrai dans ces cas estvrai dans tous les autres cas, en quantit indfinie, que nous n'avons pas observs etn'observerons jamais. La nature, les. fondements de cette infrence et les conditionsncessaires pour la lgitimer seront examins et discuts dans le Troisime Livremais qu'elle ait rellement lieu, c'est ce qu'on ne peut mettre en doute. Dans touteinduction, nous allons de certaines vrits que nous connaissions cls vrits quenous ne connaissions pas, de faits constats par l'observation des faits non observs

    et mme non observables actuellement, les faits futurs, par exemple, et que nousn'hsitons pas croire sur la seule garantie de l'induction mme.

    L'induction, donc, est un procd rel du Raisonnement ou Infrence. Si et enquel sens on peut en dire autant du syllogisme, c'est ce qui reste dterminer parl'examen dans lequel nous allons entrer.

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    Chapitre II.

    Du syllogisme.

    1. Analyse du syllogisme

    Retour la table des matires

    1. -L'analyse du syllogisme, est si exacte et si complte dans les Manuels delogique ordinaires, qu'il suffira, dans cet ouvrage, qui n'est pas un manuel, de rcapi-tuler, memoriae causa les principaux de cette analyse comme bases des observationsque nous aurons faire sur les fonctions du syllogisme et sur la place qu'il tient dansla science.

    Un syllogisme lgitime se compose essentiellement de trois propositions et detrois seulement, savoir : la Conclusion, qui est la proposition prouver, et deux au-

    tres qui, ensemble, forment la preuve et qu'on appelle les Prmisses. Il faut pareille-ment qu'il y ait trois termes et pas plus, savoir le Sujet et le Prdicat de la conclusion,et un autre appel le Moyen Terme, qui doit se trouver dans chacune des Prmisses,puisque c'est par son intermdiaire que les deux autres termes doivent tre mis enconnexion. Le prdicat de la conclusion est appel le Grand ternie du syllogisme, etle sujet de la conclusion le Petit terme. Comme il ne peut y avoir que trois termes, legrand et le petit doivent chacun se trouver dans une, et dans une seulement, desprmisses, conjointement avec le moyen qui se trouve dans les deux. La prmisse qui

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    John Stuart Mill (1843), Systme de logique dductive et inductive. Livre II, 1865. 13

    contient le moyen terme et le grand terme est appele la Majeure. Celle qui contientle moyen et le petit terme est la Mineure.

    Quelques logiciens divisent les syllogismes en trois figures, d'autres en quatre,suivant la position du moyen terme, qui petit tre soit le sujet, soit le prdicat dans lesdeux prmisses, soit le sujet dans l'une et le prdicat dans l'autre. Le cas le plusordinaire est celui o le moyen terme est le sujet dans la majeure et le prdicat dans lamineure. C'est ce qui constitue la premire figure. Quand le moyen terme est le pr-dicat dans les deux prmisses, le syllogisme appartient la deuxime figure ; quandle moyen est le sujet dans les prmisses, il est de la troisime. Dans la quatrimefigure, le moyen terme est sujet dans la mineure et prdicat dans la majeure. Lesauteurs qui ne reconnaissent que trois figures font rentrer cette quatrime dans lapremire.

    Chaque figure se divise en modes, suivant ce qu'on appelle la quantit et laqualit des propositions, c'est--dire suivant qu'elles sont universelles on particuli-res, affirmatives ou ngatives. Voici des exemples de tous les modes lgitimes, c'est-

    -dire ceux dans lesquels la conclusion suit rigoureusement des prmisses. A est lepetit terme, C le grand terme, B le moyen.

    1re

    FIGURE

    Tout B est C. Nul B n'est C Tout B est C. Nul B n'est C.

    Tout A est B. Tout A est B. Quelque A est B. Quelque A est B.

    Donc Donc Donc Donc

    Tout A est C. Nul A n'est C. Quelque A est C. Quelque A n'est pas C.

    2e FIGURE

    Nul C n'est B. Tout C est B. Nul C n'est B. Tout C est B.

    Tout A est B Nul A n'est B. Quelque A est B. Quelque A n'est pas B.

    Donc Donc Donc Donc

    Nul A n'est C. Nul A n'est C. Quelque A n'est pas C. Quelque A n'est pas C.

    3e FIGURE

    Tout B est C.Nul

    B n'est C. Quelq. B est C. Tout B est C. Quelq. B n'estpas C.Nul

    B n'est C.

    Tout B est A. Tout B est A. Tout B est A. Q. B est A. Tout B est A Q. B est A.

    Donc Donc Donc Donc Donc Donc

    Q. 4 est C. Q. A n'est pas C. Q. A est C. Q. A est C. Q. A n'est pasC.

    Q. A n'est pasC.

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    4e FIGURE

    Tout C est B. Tout C est B. Quelque C est B. Nul C n'est B. Nul C n'est B.

    Tout B est A. Nul B n'est A. Tout B est A. Tout B est A. Quelque B est A.Donc Donc Donc Donc Donc

    Qnelq. A est C. Q. A n'est pas C. Quelq. A est C. Q. A n'est pas C. Quelq. A n'est pas C.

    Dans ces modles ou patrons de syllogismes, il n'y a pas de place assigne auxpropositions singulires; non, sans doute, que ces propositions ne soient en usagedans le raisonnement, mais parce que leur prdicat tant affirm ou ni de tout lesujet, ou les range avec les propositions universelles. Ainsi, ces deux syllogismes :

    Tous les hommes sont mortels. Tous les hommes sont mortels.Tous les rois sont hommes, Socrate est homme,Donc DoncTous les rois sont mortels, Socrate est mortel,

    sont des arguments absolument semblables, tous deux dans le premier mode de lapremire figure.

    Pourquoi les syllogismes de quelqu'une de ces formes sont lgitimes, c'est--direpourquoi si les prmisses sont vraies la conclusion doit l'tre ncessairement, etpourquoi il en est autrement dans tout autre mode possible (c'est--dire dans touteautre combinaison des propositions universelles, particulires, affirmatives et nga-tives); c'est ce que toute personne que ces tudes intressent a probablement apprisdj dans les livres scolaires de logique ou est capable de dcouvrir elle-mme.Cependant nous pouvons renvoyer pour toutes les explications dsires aux lmentsde Logique de l'archevque Whately, o l'on trouvera la doctrine commune duSyllogisme expose avec une grande prcision philosophique et une remarquablelucidit.

    Tout raisonnement valide, par lequel de propositions gnrales pralablementadmises d'autres propositions galement ou moins gnrales sont infres, peut treprsent sous quelqu'une de ces formes. Tout Euclide, par exemple, pourrait sansdifficult tre mis en sries de syllogismes, rguliers en figure et en mode.

    Quoiqu'un Syllogisme, construit dans l'une quelconque de ces formules, soit unargument valide, c'est dans la premire figure seule que peut s'tablir un raisonne-ment parfaitement correct. Les rgles pour ramener la premire figure un argumentd'autre figure sont appeles rgles de rduction des syllogismes. C'est ce qui se faitpar la conversiond'une des deux ou des deux prmisses. Ainsi, ce syllogisme dans ladeuxime figure :

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    Nul C n'est B.Tout A est B

    DoncNul A n'est C,

    peut tre rduit de la manire suivante. La proposition, Nul C n'est B tant une uni-verselle ngative admet une conversion simple, et peut tre change en Nul B n'est C,ce qui, on l'a vu, est la mme assertion en d'autres mots, le mme fait diffremmentexprim. Cette transformation opre, l'argument prend la forme suivante :

    Nul B n'est C.Tout A est B

    Donc

    Nul A n'est C

    Ce qui est un bon syllogisme dans le second mode de la premire figure.

    Dans cet autre argument dans le premier mode de la troisime figure :

    Tout B est CTout B est A

    Donc

    Quelque A est C,

    la mineure (tout B est A), suivant ce qui a t dit dans le dernier chapitre sur lespropositions affirmatives universelles, n'admet pas une conversion simple, mais ellepeut tre convertieper accidens en Quelque A est B; ce qui n'exprime pas la totalitde ce qui est nonc dans la proposition tout B est A, mais en exprime, comme on l'avu prcdemment, une partie, et doit par consquent tre vrai si le tout est vrai. Larduction nous donne ainsi le syllogisme suivant dans le troisime mode de lapremire figure :

    Tout B est C

    Quelque A est B

    D'o il suit videmment que :

    Quelque A est C.

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    John Stuart Mill (1843), Systme de logique dductive et inductive. Livre II, 1865. 16

    Tous les modes des deuxime, troisime et quatrime figures peuvent tre dduitsde cette manire ou de quelque autre analogue qu'il n'est pas ncessaire d'expliquerplus longuement aprs les exemples ci-dessus. En d'autres termes,toute conclusionqui peut tre prouve dans une des trois dernires figures peut l'tre dans la premireavec les mmes prmisses, moyennant un lger changement dans la manire de lesnoncer. Tout raisonnement valide peut donc tre construit dans la premire figure,c'est--dire dans l'une des formes suivantes :

    Tout B est C Nul B n'est CTout A Tout Aou quelque A est B ou quelque A est B

    Donc DoncTout A nul Aou quelque A est C ou quelque A n'est pas C.

    ou, si l'on aime mieux des termes significatifs, on aura pour prouver une affirmativeuniverselle :

    Tous les animaux sont mortels.

    Tous le hommesQuelques hommesSocrate

    sont des animaux

    Donc

    Tous les hommes

    Quelques hommesSocrate

    sont mortels.

    Pour une ngative, l'argument prendrait cette forme :

    Nul homme pouvant avoir de l'empire sur lui-mme n'est ncessairement vicieux ;

    Tous les NgresQuelques NgresM. X., ngre

    peuvent avoir de l'empire sur eux-mmes.

    DoncNuls Ngres ne sontQuelques Ngres ne sont pasM. X. - . ngre n'est pas

    ncessairement vicieux.

    Quoique tout raisonnement puisse tre ramen l'une ou l'autre de ces formes etgagne quelquefois beaucoup en clart et en vidence par cette transformation, il y a

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    des cas dans lesquels un argument s'ajuste plus naturellement l'une des trois autresfigures, sa consquence apparaissant plus immdiatement et ostensiblement dansquelqu'une de ces figures que dans sa rduction la premire. Ainsi, si la proposition prouver tait que les paens peuvent tre vertueux, et si l'on apportait en preuvel'exemple d'Aristide, ce syllogisme de la troisime figure:

    Aristide tait vertueux,Aristide tait paen,

    DoncQuelque paen tait vertueux,

    serait un mode d'exposer l'argument beaucoup plus naturel et plus propre entranerimmdiatement la conviction que la premire figure, qui le prsenterait ainsi

    Aristide tait vertueux,Quelque paen tait Aristide,Donc

    Quelque paen tait vertueux.

    Un philosophe allemand, Lambert, dont le Neues Organon (publi en 1764)contient, entre autres choses, une des expositions les mieux labores et les pluscompltes qu'on ait jamais faites de la doctrine syllogistique, a spcialement cherch,par une analyse aussi ingnieuse que lucide, quelles sortes d'arguments entrent le plusnaturellement et le plus convenablement dans chacune des quatre figures 1. L'argu-ment est cependant toujours le mme en quelque figure qu'on l'exprime, puisque,

    comme on l'a vu, les prmisses d'un syllogisme des seconde, troisime et quatrimefigures, et celles d'un syllogisme de la premire laquelle il peut tre ramen, sont lesmmes prmisses en tout point, sauf dans le langage les mmes, du moins, en ce quicontribue la preuve de la conclusion. Il nous est donc permis, en suivant l'opiniongnrale des logiciens, de considrer les deux formes lmentaires de la premirefigure comme les types universels de tout raisonnement correct, l'une pour les cas ola conclusion prouver est affirmative, l'autre pour les cas o elle est ngative ; bienque, d'ailleurs, certains arguments aient de la tendance revtir les formes des autrestrois figures ; ce qui pourtant ne peut pas avoir lieu pour certains arguments d'uneimportance scientifique de premier ordre, ceux dont la conclusion est une universelle

    1 Voici ses conclusions - La premire figure est approprie la dtermination ou preuve des

    proprits d'une chose ; la seconde, la dtermination ou preuve des distinctions entre les choses ;la troisime, la dtermination ou preuve des exemples et des exceptions ; la quatrime, ladtermination ou l'exclusion des diffrentes espces d'un genre. Suivant Lambert, l'applicationdu dictum de omni et nullo aux trois dernires figures est peu naturelle et force ; chacune relve,selon lui, d'un axiome spcial, coordonn et gal en autorit ce dictum, et il dsigne ces axiomessous les noms de dictum de diverso pour la seconde figure, dicium de exemplo pour la troisime etdictum de reciproquo pour la quatrime. (Dianoiologie, chap. iv, 229 et suiv.) M. Bailey(Thorie du raisonnement, 2e dit., pli. 70-74) a sur ce point les mmes vues.

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    affirmative, les conclusions de ce genre ne pouvant tre prouves que dans lapremire figure seule 1.

    1 Depuis que ce chapitre a t crit, ont paru deux traits (ou plutt un trait et un jugement sur unautre trait) dans lesquels les auteurs ont voulu ajouter un nouveau perfectionnement la thorie

    des formes du raisonnement : La Logique Formelle ou calcul de l'Infrence Ncessaire etProbable de M. de Morgan et la Nouvelle Analytique des Formes Logiques , insre commeAppendice dans les Discussions sur la Philosophie, etc., de sir William Hamilton, et avec plus dedveloppement dans ses Leons de logique posthumes.

    Dans l'ouvrage de M. (de Morgan, - qui, dans ses parties plus populaires, abonde enexcellentes observations parfaitement exposes, - le principal trait d'originalit est la tentative desoumettre des rgles rigoureusement techniques les cas dans lesquels une conclusion peut tretire de prmisses considres communment comme particulires. Il remarque justement que deces prmisses , la plupart des Bs sont Cs, la plupart des B sont As , on peut conclure aveccertitude que a quelques As sont Cs , puisque deux portions de la classe B, dont chacunecontient plus de la moiti, doivent ncessairement se composer en partie des mmes individus. Ilest galement vident que si l'on connaissait exactement la proportion du la plupart de chaqueprmisse avec la classe l'y tout entire, la conclusion pourrait tre plus dtermine, Ainsi si 60

    pour 100 de B sont contenus en C et 70 pour 100 en A, 30 pour 100 au moins doivent trecommuns l'un et l'autre ; en d'autres termes, le nombre des As qui sont Cs et des Cs qui sont Asdoit tre au moins gal 3O pour 100 de la classe B. Poursuivant cette ide des propositionsnumriquement dtermines et l'tendant des formes comme celles-ci . - 45 Xs ( ou plus)sont chacun un des 70 Ys ou bien : - Aucun des 45 Xs (ou plus) n'est un des 70 Ys , etobservant quelles conclusions peuvent tre tires des combinaisons diverses de prmisses de cegenre, M. de Morgan tablit des formules universelles pour ces sortes de conclusions et cre cette fin, non seulement de nouveaux ternies techniques, mais encore un formidable appareil desymboles analogues ceux de l'algbre.

    Puisqu'il est incontestable que dans les cas indiqus par M. de Morgan des conclusionspeuvent tre lgitimement tires, et que les thories ordinaires lie tiennent pas compte de ces cas,je lie voudrais pas dire qu'il ft inutile de montrer comment ils pourraient tre soumis des formesaussi rigoureuses que ceux d'Aristote. Ce qu'a fait M. de Morgan, il tait bon de le faire une fois(et peut-tre plus d'une fois, comme exercice scolaire) ; mais je me demande si, pour la pratique,ces rsultats valent la peine d'tre tudis. L'usage pratique des formes techniques du raisonnementest d'empcher les sophismes. Mais les sophismes dont on a se garder dans le raisonnementproprement dit proviennent du manque de prcaution dans l'emploi du langage usuel, et le logiciendoit les traquer sur ce terrain, au lieu de les attendre sur son propre domaine. Tant qu'il ne sort pasdu cercle des propositions qui ont acquis la prcision numrique du Calcul des Probabilits,l'adversaire reste matre du seul terrain o il peut tre redoutable. Et puisque les propositions dontle philosophe a affaire, soit pour la spculation, soit pour la pratique, n'admettent pas, sauf enquelques cas exceptionnels, une prcision mathmatique, le raisonnement ordinaire ne peut pastre traduit dans les formes de M. de Morgan, lesquelles, par consquent, ne peuvent pas servir le contrler.

    La thorie de sir William Hamilton sur la quantification du prdicat, (dont l'originalit pource qui le concerne ne peut tre conteste, quoique M. de Morgan ait pu, de son ct aussi, arriver une doctrine semblable) peut tre brivement expose comme il suit ;

    Logiquement (je cite ses propres expressions), il faudrait tenir compte de la quantit, tou-jours entendue dans la pense, quoique, par des raisons manifestes, supprime dans l'expression,non-seulement du sujet, mais encore du prdicat du jugement. Tout A est B est quivaut tout Aest quelque B ; nul n'est B, nul A n'est un B. Quelque A est B revient quelque A est quelque

    B ; quelque n'est pas B quelque n'est pas un B. Dans ces formes d'assertion, le prdicat tantexactement coextensif an sujet, les propositions admettent la conversion simple, par laquelle onobtient deux autres formes : quelque B est tout A, et nul B n'est quelque A. Nous pouvons direaussi : Tout A est tout B, ce qui sera vrai si les classes A et B sont coextensives. Les trois der-nires formes, bien que fournissant des assertions relles, ne figurent pas dans la classificationordinaire des propositions. En traduisant de cette manire toutes les propositions et nonantchacune en celle des formes prcdentes qui rpond sa signification, on en tire un nouveausystme de rgles syllogistiques trs-diffrentes de celles en usage. Voici un aperu gnral de cesdiffrences tel que le donne sir William Hamilton. (Discussions, 2e dition, p. 651.)

    Le rtablissement de la vraie relation des deux termes d'une proposition ; une propositiontant toujours une quation de son sujet et de son prdicat et comme consquence,

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    2. Le dictum de omni et nullo n'est pas le fondement du raisonnement, il estsimplement une proposition identique

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    2. - En examinant donc ces deux formules gnrales, nous trouvons que danstoutes deux une des prmisses, la Majeure, est une proposition universelle, et que sui-vant qu'elle est affirmative ou ngative la conclusion l'est aussi. Tout raisonnement,par consquent, part d'une proposition, d'une supposition gnrale, d'une propositiondans laquelle un prdicat est affirm ou ni d'une classe entire, c'est--dire danslaquelle un attribut est accord ou refus un nombre indfini d'objets ayant descaractres communs et, en consquence, dsigns par un nom commun.

    La rduction des trois espces de Conversions des Propositions une seule - celle de la

    Conversion Simple ; La rduction de toutes les Lois gnrales des Syllogismes Catgoriques un Canon unique; L'volution, d'aprs ce seul canon, de toutes les espces et varits de syllogismes ; L'abrogation de toutes les Lois Spciales du syllogisme. La dmonstration de l'exclusive possibilit de Trois Figures syllogistiques ; et (par des

    raisons nouvelles) l'abolition scientifique et dfinitive de la Quatrime. La preuve que la Figure est une variation tout accidentelle dans la forme syllogistique, et de

    l'absurdit correspondante de Rduire les syllogismes des autres figures la premire ; L'nonc d'un seul Principe Organique pour chaque figure ; La dtermination du vrai nombre des Modes lgitimes; L'augmentation de ce nombre (trente-six) ; Leur galit numrique dans toutes les figures; et

    Leur quivalence relative ou identit virtuelle au travers de toutes les diffrencesschmatiques. Que dans les seconde et troisime figures, les deux extrmes ayant la mme relation avec le

    moyen terme, il n'y a pas, comme dans la premire, une opposition et une subordination entre ungrand et un petit terme, rciproquement contenant et contenu, dans les touts opposs de l'extensionet de la Comprhension.

    Qu'en consquence, il n'y a pas, dans les seconde et troisime figures, de prmisse majeureet mineure dtermine, et qu'il y a deux conclusions indiffrentes ; tandis que dans la premire lesprmisses sont dtermines et la conclusion prochaine est unique.

    Cette doctrine, ainsi que celle de M. de Morgan, est une addition relle la thorie syllo-gistique, et elle a, en outre, sur la doctrine du syllogisme numriquement dtermin de M. deMorgan cet avantage que les formes qu'elle fournit peuvent tre rellement des pierres de touchede la correction du raisonnement, puisque les propositions cil forme ordinaire peuvent toujoursavoir leurs prdicats quantifis et tre ainsi ramenes sous les rgles de sir William Hamilton.Mais considre comme contribution la science logique, c'est--dire l'analyse des procds del'esprit dans le raisonnement, la doctrine me semble, je l'avoue, non-seulement superflue, maisencore inexacte, puisque la forme qu'elle donne la proposition n'exprime pas, comme le fait laforme ordinaire, ce qui est actuellement dans l'esprit de celui qui l'nonce. Je ne crois pas qu'il soitvrai, comme le prtend sir William Hamilton, que la quantit du prdicat est toujours entenduedans la pense ; elle y est implique, mais elle n'est pas prsente l'esprit de la personne quimet l'assertion. La quantification du prdicat, loin d'tre un moyen d'noncer plus clairement lesens de la proposition, conduit au contraire l'esprit hors de la proposition dans un autre ordred'ides. En effet, quand nous disons : Tous les hommes sont mortels, nous entendons seulementaffirmer de tous les hommes l'attribut mortalit, sans penser du tout la classe Mortel, et sans nousinquiter si cette classe contient ou non d'autres tres. C'est seulement pour quelque butscientifique particulier que nous pensons le prdicat comme un nom de classe renfermant le sujetseulement, ou le sujet et quelque chose de plus. (Voy. ci-dessus, chap. V, 3.)

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    L'autre prmisse est toujours affirmative et nonce que quelque chose (qui peuttre un individu, une classe ou partie de classe) appartient la classe dont quelquechose a t affirm ou ni dans la prmisse majeure. Il s'ensuit que l'attribut affirm,ou ni de la classe entire peut (si cette affirmation ou ngation est vraie) tre affirmou ni de l'objet ou des objets dclars appartenir la classe; et c'est l prcismentl'assertion nonce dans la conclusion.

    Si ce qui prcde est une exposition adquate des parties constitutives du syllogis-me, c'est ce (lue nous allons examiner; mais elle est vraie dans ce qu'elle tablitjusqu'ici. On a donc gnralis ces formules et on en a fait un principe logique surlequel tout raisonnement est fond, de sorte que raisonner et appliquer le principesont supposs tre une seule et mme chose. Ce principe est celui-ci : Tout ce quipeut tre affirm (ou ni) d'une classe, peut tre affirm (ou ni) de tout ce qui estrenferm dans la classe. Cet axiome, fondement suppos de la thorie syllogistique,les logiciens l'appellent le dictumde omni et nullo.

    Cet axiome, cependant, considr, comme principe du raisonnement , est videm-ment appropri un systme de mtaphysique, gnralement adopt, sans doute, une poque, mais qui, depuis deux sicles, a paru dfinitivement abandonn, quoiqueon ait tent plus d'une fois de nos jours de le faire revivre. Lorsque les Universaux,comme on les appelait, taient considrs comme des substances d'une nature parti-culire, ayant une existence objective distincte des objets individuels classs sous leurnom, le dictum de omniavait une signification importante; car il exprimait la commu-naut de nature qui, dans cette thorie, doit tre suppose exister entre ces substan-ces gnrales et les substances particulires qui leur sont subordonnes. Que toutechose attribuable l'universel tait attribuable aux divers individus y contenus n'taitpas alors une simple proposition identique, mais l'nonc de ce qui tait conucomme une loi fondamentale de l'univers. L'assertion, que la nature et les proprits

    de la substantia secunda, faisaient partie de la nature et des proprits de chacune dessubstances individuelles appeles du mme nom, que les proprits de ]'Homme, parexemple, taient des proprits de tous les hommes, tait une proposition d'une valeurrelle, lorsque l'Homme ne pas tous les hommes, mais quelque chose d'inhrent auxhommes et trs-suprieur en dignit tous les individus humains. Mais maintenantqu'on sait qu'une classe, un universel, un genre, une espce, n'est pas une entit perse, mais rien autre, ni plus ni moins, que les substances individuelles mmes renfer-mes dans la classe, et qu'il n'y a rien l de rel que ces objets et que le nom commundonn tous et les attributs communs dsigns par ce nom; je voudrais bien savoir cequ'on nous apprendrait en nous disant que tout ce qui peut tre affirm d'une classepeut tre affirm de chaque objet contenu dans cette classe? La classe n'est autrechose que les objets qu'elle contient et le dictum de omni se rduit cette proposition

    identique (lue ce qui est vrai de certains objets est vrai de chacun de ces objets. Si leraisonnement n'tait rien de plus que l'application de cette maxime aux cas parti-culiers, le syllogisme serait certainement, ainsi qu'on l'a dit souvent, une solennellefutilit. Le dictum de omni va de pair avec cette autre vrit, qui, en son temps, a euaussi une grande importance : Tout ce qui est, est. Pour donner un sens rel audictum de omni, il faut le considrer, non comme un axiome, mais comme une dfini-tion; comme l'explication, par une circonlocution et une paraphrase, de la signifi-cation du mot classe.

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    Il suffit souvent qu'une erreur, qui semblait jamais rfute et dloge de lapense, soit incorpore dans une nouvelle phrasologie, pour tre la bien-venue dansses anciens domaines, et y rester en paix pendant un autre cycle de gnrations. Lesphilosophes modernes n'ont pas pargn leur mpris au dogme scolastique, que lesgenres et les espces sont des sortes de substance particulires, lesquelles substancestant les seules choses permanentes tandis que les substances individuelles comprisessous elles sont dans un flux perptuel, la connaissance, qui ncessairement impliquela stabilit, ne peut se rapporter qu' ces substances gnrales ou Universelles, et nonaux faits et objets particuliers qu'elles renferment. Cependant, bien que rejetenominalement, cette mme doctrine, dguise soit sous les Ides Abstraites de Locke(dont les spculations, du reste, en ont t moins vicies peut-tre que celles desautres crivains qui en ont t infects), soit sous l'ultra-nationalisme de Hobbes et deCondillac, ou sous l'ontologie des Kantistes, n'a jamais cess d'empoisonner laphilosophie. Une fois accoutums faire consister essentiellement la recherchescientifique dans l'tude des universaux, les philosophes ne se dfirent pas de cettehabitude d'esprit quand ils cessrent d'attribuer aux universaux une existence ind-pendante; et mme ceux qui allrent jusqu' les considrer comme de simples noms,

    ne purent pas se dbarrasser de l'ide que l'investigation de la vrit consistait,entirement ou en partie, en une sorte d'opration magique o d'escamotage excutsavec ces noms. Lorsqu'un philosophe, adoptant l'opinion nominaliste sur la 'valeurdes termes gnraux, conservait en mme temps le dictum de omni comme la base detout raisonnement, ces deux vues thoriques jointes ensemble devaient, s'il taitconsquent, le conduire aux conclusions les plus tranges. Ainsi, des crivains juste-ment clbres ont srieusement soutenu que le procd pour arriver par le raisonne-ment de nouvelles vrits consiste dans la simple substitution d'une runion designes arbitraires d'autres ; doctrine laquelle, selon eux, l'exemple, de l'algbredonnait une irrsistible confirmation. Je serais bien tonn, s'il y avait en sorcellerieet en ncromancie des procds plus prternaturels que celui-ci. Le point culminantde cette philosophie est le fameux aphorisme de Condillac, qu'une science n'estqu'une langue bien faite, ou, en d'autres termes, que l'unique rgle pour dcouvrir la

    nature et les proprits des choses est de les bien Nommer; comme si, tout l'inverse,il n'tait pas certain qu'il n'est possible de les nommer avec proprit qu'autant quenous connaissons dj leurs nature et qualits. Est-il besoin de dire que jamais unemanipulation quelconque de simples noms, en tant que noms, n'a donn ni pu donnerla moindre connaissance sur les Choses; et que tout ce qu'on peut apprendre par lesnoms, c'est seulement ce que celui qui les emploie savait auparavant? L'analysephilosophique confirme cette observation du sens commun, que la seule fonction desnoms est de nous mettre mme de nous souvenir de nos penses et de les communi-quer . Qu'ils renforcent, mme un degr incalculable, la facult de penser, rien deplus vrai; mais ce n'est pas par une vertu intrinsque et particulire ; c'est par lapuissance propre de la mmoire artificielle, instrument dont on a rarement su recon-natre la force immense. Comme mmoire artificielle, le langage est vritablement, cequ'on l'a souvent appel, un instrument de la pense; mais tre l'instrument et tre lesujet exclusif auquel il s'applique sont deux choses diffrentes. Sans doute nouspensons beaucoup l'aide des noms, mais ce a quoi nous pensons, ce sont les chosesdsignes par ces noms ; et il n'y a pas de plus grande erreur que d'imaginer que lapense puisse se constituer et s'exercer uniquement par des noms, ou que nouspuissions faire penser les noms pour nous.

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    3. Quel est l'axiome rellement fondamental du Raisonnement ?

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    3. - Ceux qui considraient le dictum de omni comme le fondement dusyllogisme partaient de suppositions semblables aux vues errones de Hobbes sur lespropositions. De ce qu'il y a des propositions parement verbales, Hobbes, dans la butde rendre sa dfinition rigoureusement universelle, dfinissait la proposition commesi toutes les propositions n'nonaient jamais autre chose que la signification desmots. Si Hobbes disait vrai, s'il n'y avait, pas d'autre manire de considrer les propo-sitions, la thorie communment reue de la combinaison des propositions dans lesyllogisme tait la seule possible. Si, en effet, la prmisse mineure n'affirme rien deplus que ceci : qu'une chose appartient une classe, et si la majeure n'affirme rienautre de cette classe, sinon qu'elle est contenue dans une autre classe,la seule con-clusion possible est que ce qui est contenu dans la classe infrieure est contenu dansla suprieure; et il ne rsulte rien de l, si ce n'est que la classification est consquenteavec elle-mme. Or, nous l'avons vu, ce n'est pas rendre suffisamment compte dusens d'une proposition, de dire qu'elle rapporte quelque chose une classe ou l'enexclut. Toute proposition fournissant une information relle nonce un fait dpendantdes lois de la nature et non d'une classification artificielle. Elle nonce qu'un objetdonn possde ou ne possde pas tel ou tel attribut, ou que deux attributs ou groupesd'attributs coexistent ou ne coexistent pas (constamment ou accidentellement). Or, sitel est le sens de toutes les propositions qui apportent une connaissance relle, unethorie du raisonnement qui ne reconnat pas ce sens ne saurait, coup sr, tre lavraie.

    En appliquant ce principe aux deux prmisses d'un syllogisme, nous obtenons lesrsultats suivants. La prmisse majeure qui, on l'a vu, est toujours universelle, nonce

    que toutes les choses qui ont un certain attribut ont ou n'ont pas en mme tempsd'autres attributs. La mineure nonce que la chose ou les choses qui sont le sujet decette prmisse possdent l'attribut mentionn le premier; et la conclusion est qu'ellesont on n'ont pas le second. Ainsi, dans l'exemple prcdent -

    Tous les hommes sont mortels,

    Socrate est homme,

    Donc Socrate est mortel,

    le sujet et le prdicat de la majeure sont des termes connotatifs, dnotant des objets etconnotant des attributs. L'assertion dans la majeure est que, avec un des deux groupesd'attributs on trouve toujours l'autre, que les attributs connots par Homme n'existent jamais que conjointement avec l'attribut Mortalit . Dans la mineure,l'assertion est que l'individu nomm Socrate possde les premiers attributs, et laconclusion est qu'il possde aussi l'attribut mortalit.

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    Si les deux prmisses sont des propositions universelles comme :

    Tous les hommes sont mortels,

    Tous les rois sont hommes,

    Donc tous les rois sont mortels,

    la mineure nonce que les attributs dnots par Royaut n'existent que joints ceuxsignifis par le mot homme. La majeure nonce, comme dans l'autre syllogisme, queces derniers attributs ne se rencontrent jamais sans l'attribut Mortalit ; et la conclu-sion est que l o se trouve l'attribut Royaut se trouve toujours aussi celui deMortalit.

    Si la prmisse majeure tait ngative comme nul homme n'est tout-puissant ,l'assertion serait, non que les attributs connots par homme n'existent jamais sansceux connots par tout puissant ; mais, au contraire, qu'ils n'existent jamais avec;d'o, par la mineure, il est conclu que la mme incompatibilit existe entre l'attributToute Puissance et les attributs qui constituent un Roi. On petit analyser de la mmemanire tout autre exemple de syllogisme.

    Si nous gnralisons le procd, et si nous cherchons le principe ou la loi impli-qus dans toute infrence et prsupposs dans tout syllogisme dont les propositionsne sont pas purement verbales, nous trouvons, non pas l'insignifiant dictum de omniet nullo, mais un principe fondamental ou plutt deux principes ressemblant ton-namment aux axiomes des mathmatiques. Le premier, qui est le principe dessyllogismes affirmatifs, est que les choses qui coexistent avec une autre chose coexis-tent entre elles. Le second, qui est le principe des syllogismes ngatifs , est qu'unechose qui coexiste avec une autre chose, avec laquelle une troisime chose necoexiste pas, n'est pas coexistante avec cette troisime chose. Ces axiomes se rappor-tent manifestement des faits et non des conventions; et l'un ou l'autre est lefondement de la lgitimit de tout argument portant, non sur des conventions, maissur des faits 1.1 M. Herbert Spencer (Principes de psychologie, pp. 125-7) dont la thorie est, d'ailleurs, conforme

    dans les points essentiels la mienne, pense qu'il est sophistique de prsenter ces deux axiomescomme les principes rgulateurs du syllogisme. Il m'accuse de tomber dans l'erreur signale parl'archevque Whately et mme par moi, de confondre l'exacte ressemblance avec l'absolue iden-tit; et il soutient qu'on ne devrait pas dire que Socrate possde les mmes attributs (ceux connots

    par le mot Homme), mais seulement qu'il possde des attributs exactement semblables ; de sorteque, dans cette phrasologie, Socrate et l'attribut Mortalit ne sont pas deux choses coexistant avecla mme chose, comme le veut l'axiome, mais deux choses coexistant avec deux chosesdiffrentes.

    Il n'y a, entre M. Spencer et moi, qu'une question de mots ; car (si je l'ai bien compris) nousne, croyons, ni lui ni moi, qu'un attribut soit une chose relle, objectivement existante; nouscroyons qu'il est un mode particulier de nommer nos sensations ou notre attente des sensations,considres dans leur relation l'objet extrieur qui les excite. La question souleve par M.Spencer ne se rapporte donc pas aux proprits d'une chose existant rellement, mais la conve-nance comparative de deux manires d'employer un nom. A ce point de vue, ma terminologie, quiest celle dont les philosophes se servent communment, me parait la meilleure.

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    4. Autre forme de l'axiome

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    4 . -Il nous reste traduire cette exposition du syllogisme de l'un en l'autre desdeux langages dans lesquels, avons-nous vu, 1toutes les propositions et combinaisonsde propositions peuvent tre exprimes. Nous avons dit qu'une proposition pouvaittre considre sous deux aspects : ou comme une partie de notre connaissance de lanature, on comme un Memorandum. pour guider nos penses. Sous le premier aspect,le spculatif, une, proposition affirmative universelle est l'nonc d'une vritspculative, qui est, que ce qui possde un certain attribut possde un certain autreattribut. Sous le second aspect, la proposition n'est pas considre comme une partiede notre connaissance, mais comme une aide pour la pratique, en nous mettant mme, lorsque nous voyons ou apprenons qu'un objet possde un des deux attributs,d'infrer qu'il possde l'autre, le premier attribut tant ainsi pour nous la marque oul'indice du second. Ainsi envisag, tout syllogisme se range sous la formule gnralesuivante

    M. Spencer semble croire que de ce que Socrate et Alcibiade ne sont pas le mme homme,

    l'attribut qui les fait hommes ne devrait pas tre appel le mme attribut; que de ce que l'humanitd'un homme et celle d'un autre homme ne se rvlent pas nos sens par les mmes sensationsindividuelles, mais seulement par des sensations exactement semblables, l'Humanit doit treconsidre comme un attribut diffrent dans chaque homme diffrent. Mais, ce point de vue,l'humanit de chaque homme ne se composerait pas des mmes attributs en ce moment-ci et unedemi-heure aprs ; car les sensations qui la manifesteront alors mes organes ne seront pas unecontinuation de mes sensations actuelles, mais une simple rptition ; ce seront des sensationsnouvelles, non identiques, mais seulement tout fait semblables. Si un concept gnral, au lieud'tre l'un dans le multiple , consistait en une suite de concepts diffrents, comme le sont leschoses auxquelles il se rapporte, il n'existerait pas de termes gnraux. Un nom n'aurait pas de

    signification gnrale si homme appliqu Jean signifiait une chose, et en signifiait une autre(bien que tout fait semblable) appliqu Guillaume.

    La signification d'un nom gnral est un phnomne interne ou externe, consistant, en dfi-nitive, en des sentiments; et ces sentiments, sitt que leur continuit est interrompue un instant, nesont plus les mmes sentiments, ne sont plus des choses individuellement identiques. Qu'est-cedonc que ce Quelque chose de commun qui donne un sens ait nom gnral ? M. Spencer dira n-cessairement : c'est la similitude des sentiments ; et je rponds : l'attribut est prcisment cettesimilitude. Les noms des attributs sont, en dernire analyse, les noms des ressemblances de nossentiments. Tout nom gnral, abstrait ou concret, dnote on connote une ou plusieurs de cesressemblances. On ne niera pas probablement que si cent sensations sont absolument semblables,on devra dire que leur ressemblance est une ressemblance, et non qu'elle consiste en cent ressem-blances qui se ressemblent l'une l'autre. Les choses compares sont multiples , mais ce qui leurest commun toutes doit tre considr comme unique, de mme prcisment que le nom estconu comme un, quoiqu'il corresponde des sensations de soi, numriquement diffrenteschaque fois qu'il est prononc. Le terme gnral homme ne connote pas les sensations drives en

    une fois d'un homme et qui, vanouies, ne peuvent pas plus revenir (lue le mme clair. Il connotele type gnral des sensations constamment drives de tous les hommes et le pouvoir (toujoursun) de causer les sensations de ce type. L'axiome pourrait tre exprim ainsi : deux types desensation dont chacun coexiste avec un troisime type coexistent l'un avec l'autre ; ou bien commececi : deux pouvoirs dont chacun coexiste avec un troisime coexistent l'un avec l'autre.

    M. Spencer m'a mal compris encore en un autre point. Il suppose que la coexistence, dontparle l'axiome, de deux choses avec une troisime signifie la simultanit, tandis qu'elle signifie lapossession en commun des attributs du mme sujet. tre n sans dents et avoir trente-deux dents l'ge adulte sont, en ce sens, des attributs coexistants, tant l'un et l'autre des attributs de l'homme,bien que, ex vi termini ils ne le soient jamais en mme temps du mme homme.

    1 Voyez ci-dessus, livre I, chap. VI, 5.

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    L'attribut est une marque de l'attribut B,

    L'objet donn a la marque A,Donc l'objet donn a l'attribut B.

    Rapports ce type , les arguments prcdemment cits comme spcimens dusyllogisme seraient exprims comme il suit :

    - Les attributs d'homme sont une marque de l'attribut mortalit,Socrate a les attributs d'homme,Donc Socrate a l'attribut mortalit.

    - Les attributs d'homme sont une marque de l'attribut mortalit,Les attributs d'un roi sont une marque des attributs d'homme,Donc les attributs d'un roi sont une marque de l'attribut mortalit.

    - Les attributs de l'homme sont une marque de l'absence de l'attributtoute-puissanceLes attributs de roi sont une marque des attributs de l'homme,Donc les attributs de roi sont la marque de l'absence de l'attributtoute-puissance.

    Pour correspondre cette modification de forme des syllogismes, les axiomes surlesquels le procd syllogistique est fond doivent subir une transformation sem-blable. Dans cette terminologie ainsi modifie les deux axiomes peuvent tre formu-ls ainsi : tout ce qui a une marque a ce dont il est la marque, ou bien (lorsque laprmisse mineure est universelle, comme la majeure), tout ce qui est la marqued'une marque est une marque de ce dont cette dernire est la marque. Nous laisse-rons l'intelligence de nos lecteurs le soin de constater l'identit de ces a mornes avecceux prsents en premier lieu. On reconnatra, en avanant, combien est utile cettedernire terminologie, et combien elle est plus propre qu'aucune autre, moi connue, exprimer avec force et prcision ce qu'on veut et ce qu'on fait dans tous les cas ol'on tablit une vrit par le raisonnement.

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    Chapitre III.

    Des fonctions et de la valeur logiquedu syllogisme.

    1. Le syllogisme est-il une petitio principii ?

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    1. -Nous avons montr quelle est la nature relle des vrits auxquelles se rap-porte le syllogisme, contrairement la manire plus superficielle dont il est considrdans la thorie communment reue, et quels sont les axiomes fondamentauxdesquels dpend sa force probante et concluante. Nous avons maintenant recherchersi le procd syllogistique, le raisonnement du gnral au particulier, est ou n'est pasun procd d'infrence, c'est--dire une progression du connu l'inconnu, un moyend'arriver la connaissance de quelque chose que nous ne connaissions pas aupara-vant.

    Les logiciens ont t remarquablement unanimes dans leur rponse cette ques-tion. Il est universellement admis qu'un syllogisme est vicieux s'il y a dans laconclusion quelque chose de plus que ce qui est donn dans les prmisses. Or, c'est ldire, en fait, que jamais rien n'a t et n'a pu tre prouv par syllogisme qui ne futdj connu ou suppos connu auparavant. Le syllogisme n'est-il donc pas un procdd'infrence? Se pourrait-il que le syllogisme, auquel le nom de Raisonnement a t sisouvent reprsent comme exclusivement applicable, ne ft pas un raisonnement dutout? C'est l ce qui semble rsulter invitablement de la doctrine gnralement reueque le syllogisme ne peut prouver rien de plus que ce qui est contenu dans les pr-misses. Cependant, cet aveu explicite n'a pas empch une foule d'auteurs de persister reprsenter le syllogisme comme l'analyse exacte de ce que fait l'esprit quand il

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    dcouvre on prouve des vrits quelconques, spculatives ou pratiques; tandis queceux qui ont vit cette inconsquence et tir du thorme du syllogisme Son lgitimecorollaire, ont t conduits dclarer inutile et futile la doctrine syllogistique elle-mme, en se fondant sur la petitio principiiqu'ils prtendent tre inhrente toutsyllogisme. Ces deux opinions tant, selon moi, radicalement errones, je rclamerail'attention du lecteur pour certaines considrations,sans lesquelles il me sembleimpossible d'apprcier convenablement la vraie nature du syllogisme, mais quiparaissent avoir t ngliges ou insuffisamment peses, tant par les dfenseurs de lathorie syllogistique que par ses adversaires.

    2. Insuffisance de la thorie commune

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    2. -Il doit, d'abord, tre accord que dans tout syllogisme, considr comme unargument prouvant une conclusion il y a unepetitio principii. Quand on dit

    Tous les hommes sont mortels,

    Socrate est homme,

    Donc Socrate est mortel,

    les adversaires de la thorie du syllogisme objectent irrfutablement que la propo-sition Socrate est mortel est prsuppose dans l'assertion plus gnrale Tous les

    hommes sont mortels ; que nous ne pouvons pas tre assurs de la mortalit de tousles hommes, moins d'tre dj certains de la mortalit de chaque homme individuel ;que s'il est encore douteux que Socrate soit mortel , l'assertion que tous les hommessont mortels est frappe de la mme incertitude; que le principe gnral, loin d'treune preuve du cas particulier, ne peut lui-mme tre admis comme vrai, tant qu'ilreste l'ombre d'un doute sur un des cas qu'il embrasse et que ce doute n'a pas tdissip par une preuve aliunde ; et, ds lors, que reste-t-il prouver au syllogisme ?Bref, ils concluent qu'aucun raisonnement du gnral au particulier ne peut, commetel, rien prouver, puisque d'un principe gnral on ne peut infrer d'autres faitsparticuliers que ceux que le principe mme suppose connus.

    Cette solution me semble irrfragable, et si les logiciens, bien qu'incapables de la

    contester, ont gnralement montr une forte disposition la rejeter, ce n'est pasqu'ils eussent trouv quelque dfaut dans l'argument mme, mais parce que l'opinionoppose semblait fonde sur des arguments galement irrfutables. Dans le syllogis-me prcdent, par exemple, n'est-il pas vident que la conclusion peut tre pour lapersonne qui il est prsent, actuellement et bona fide, une vrit nouvelle ? N'est-ilpas certain que tous les jours la connaissance de vrits auxquelles on n'avait paspens, de faits qui n'avaient pas t observs directement, et mme ne pouvaientl'tre, s'acquiert par le raisonnement? Nous croyons que le duc de Wellington estmortel. Nous ne savons pas cela par l'observation directe, tant qu'il n'est pas mort. Si

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    l'on nous demandait comment, alors, nous savons que le due est mortel, nousrpondrions probablement : parce que tous les hommes le sont. Ici donc, nous acqu-rons la connaissance d'une vrit non susceptible encore d'observation par un rai-sonnement qui pourrait tre expos dans ce syllogisme

    Tous les hommes sont mortels,

    Le duc de Wellington est homme,

    Donc le duc de Wellington est mortel.

    Et comme une grande partie de nos connaissances est acquise de cette manire,les logiciens ont persist reprsenter le syllogisme comme un procd d'infrence etde probation, bien qu'aucun d'eux n'ait lev la difficult rsultant de l'incompatibilitde cette opinion avec le principe reu qu'un argument est vicieux s'il y a dans laconclusion quelque chose qui n'est pas dj affirm dans les prmisses. On ne saurait,en effet, accorder la moindre valeur scientifique srieuse une simple chappatoirecomme la distinction qu'on fait entre ce qui est contenu implicitement et ce qui estnonc explicitement dans les prmisses. Lorsque l'archevque Whately dit quel'objet du raisonnement est simplement de dvelopper, de dplier, en quelque sorte,les assertions enveloppes et impliques dans celles que nous nonons, et de fairebien sentir et reconnatre une personne toute la porte de ce qu'elle a admis , il netouche pas, je crois, la difficult relle de la question, qui est de savoir comment ilse fait qu'une science telle que la gomtrie peut tre enveloppe tout entiredans quelques dfinitions et axiomes. Ce moyen de dfense du syllogisme ne diffregure au fond de ce qui, pour les adversaires, est un moyen d'accusation, quand ils luireprochent de n'avoir d'autre usage que de faire sortir les consquences d'une admis-sion laquelle une personne s'est trouve conduite sans en avoir apprci et compris

    la porte. Quand vous admettez la prmisse majeure, vous affirmez la conclusion;mais, dit l'archevque Whately, vous ne l'affirmez qu'implicitement; ce qui veut dire,sans doute, qu'on l'nonce sans en avoir conscience, sans le savoir. Mais, s'il en estainsi, la difficult revient sous une autre forme. Ne devriez-vous pas la connatre?Quel droit avez-vous d'affirmer la proposition gnrale sans vous tre assur de lavrit de tout ce qu'elle contient? et dans ce cas l'art syllogistique n'est-il pasprimafacie, comme le prtendent les adversaires, un artifice pour vous faire tomber dans unpige et vous y laisser pris. 1

    1 Il est peine besoin de dire que je n'entends pas soutenir cette absurdit, que nous devrions avoir

    connu actuellement et eu en vue chaque homme individuel, pass, prsent et futur, avantd'affirmer que tous les hommes sont mortels; quoique cette interprtation, passablement trange,de mes observations ait t donne. il n'y a pas de dsaccord, au point de vue pratique, entrel'archevque Whately ou tout autre dfenseur du syllogisme et moi. je signale seulement unecontradiction dans la thorie syllogistique, telle qu'elle est prsente par presque tous les auteurs.Je ne dis pas qu'une personne qui, avant la naissance du due de Wellington, affirmait que tous leshommes sont mortels, savait que le due de Wellington tait mortel; mais je dis qu'elle l'affirmait ;et je demande qu'on explique ce paralogisme vident d'apporter en preuve de la mortalit du duede Wellington une assertion gnrale qui la prsuppose. Ne trouvant dans aucun trait de logiquela solution de cette difficult, j'ai essay d'en donner une.

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    3. Toute infrence est du particulier au particulier

    3.-Il n'y a, ce semble, qu'une seule manire de sortir de cette difficult. La pro-position, que le duc de Wellington est mortel est videmment une infrence; elle seprsente comme une consquence de quelque autre, chose; mais peut-on, en ralit, laconclure de la proposition : Tous les hommes sont mortels? Je rponds, non.

    L'erreur en ceci est, ce me semble, d'oublier qu'il y a deux parts faire dans leprocd philosophique, la part de l'Infrence et la part de l'Enregistrement, et d'attri-buer la seconde les fonctions de la premire. La mprise consiste faire remonterl'origine des connaissances d'une personne ses notes. Si, une question qui lui estfaite, une personne ne trouve pas immdiatement la rponse, elle peut rafrachir sammoire en recourant un Memorandum qu'elle porte dans sa poche. Mais si on luidemande comment le fait est venu sa connaissance, elle ne dira pas trs probable-ment que c'est parce qu'il est not sur son carnet, moins que ledit carnet ne ft crit,comme le Koran, avec une plume de l'aile de l'ange Gabriel.

    En admettant que la proposition Le due de Wellington est mortel est une inf-rence de la proposition Tous les hommes sont mortels ; d'o provient notre con-naissance de cette dernire vrit gnrale? Indubitablement de l'observation. Mainte-nant, on ne peut observer que des cas particuliers. C'est de ces cas et ces cas quetoutes les vrits gnrales doivent tre tires et rduites; car une vrit gnrale n'estqu'un agrgat de vrits particulires, une expression comprhensive par laquelle unnombre indfini de faits est affirm, ou ni. Mais une proposition n'est pas simple-ment une manire abrviative de rappeler et de conserver dans la mmoire un nombrede faits particuliers qui tous ont t observs. La gnralisation n'est pas une opra-tion de pure nomenclature; elle est aussi un procd d'infrence. Des faits observs onest autoris conclure que ce qui s'est trouv vrai dans ces cas est vrai aussi de tousles cas semblables passs, prsents et futurs, quel que soit leur nombre. Nous

    pouvons donc, par ce prcieux artifice du langage qui nous met mme de parler deplusieurs choses comme si elles taient une seule, enregistrer sous une forme concise,tout ce que nous avons observ et tout ce que nous infrons de nos observations, etnous n'avons ainsi nous rappeler et communiquer, au lieu d'un nombre sans fin depropositions, qu'une proposition unique. Les rsultats d'une multitude d'observationset d'infrences et les indications pour tirer d'innombrables conclusions dans les casnouveaux, se trouvent condenss dans une courte phrase.

    Lorsque, en consquence, nous concluons de la mort, de Jean, de Thomas et detous les individus dont nous avons entendu parler, que le duc de Wellington est mor-tel comme les autres, nous pouvons, sans doute, comme station intermdiaire) passerpar cette gnralit, que Tous les hommes sont mortels ; mais ce n'est, pas danscette dernire moiti du chemin, qui va de tous les hommes au duc de Wellington,

    que rside l'infrence.. L'infrence, est, faite quand nous avons affirm que tous leshommes sont mortels. Ce qui reste faire aprs est un simple dchiffrage de nosnotes.

    L'archevque Whately soutient que la conclusion du gnral au particulier n'estpas, comme c'est l'opinion vulgaire, un mode particulier de raisonnement, maisqu'elle est l'analyse philosophique dit mode dans lequel tous les hommes raisonnentet doivent raisonner, s'ils raisonnent. Avec toute la dfrence due une si haute auto-rit, je ne peux m'empcher de croire que la notion vulgaire est, en ce cas, la plus

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    exacte. Si de notre exprience de Jean, de Thomas, etc., qui vivaient autrefois, maissont morts maintenant, nous sommes en droit de conclure que tous les tres humainssont mortels, nous pourrions certainement, sans inconsquence, conclure aussi de cesmmes exemples que le duc de Wellington est mortel. La mortalit de Jean, deThomas et des autres est, aprs tout, la seule garantie que nous ayons de la mortalitdu dite de Wellington. L'intercalation. d'une proposition gnrale n'ajoute pas un iota la preuve. Puisque, donc, les cas individuels sont la seule preuve que nous pouvonspossder, preuve qu'aucune forme d'expression ne saurait rendre plus forte qu'ellen'est; puisque cette preuve est, ou suffisante par elle-mme, ou, ne l'tant pas pour uncas, ne peut pas l'tre pour l'autre ; je ne vois pas ce qui empcherait de prendre leplus court en allant de ces prmisses suffisantes la conclusion, et ce qui nousobligerait suivre la grande route priori en vertu du Fiat arbitraire des logiciens.Je ne vois pas pourquoi il serait impossible d'aller d'un lieu un autre, moins de gravir la montagne pour redescendre ensuite. Cc! peut tre la route la plus sure, et Ilpeut y avoir au sommet de la montagne un lieu de halte d'o la vue peut dominer surtout le pays d'alentour; mais s'il ne s'agit que d'arriver au terme du voyage, le choix dela route est parfaitement notre disposition ; c'est une question de temps, d'ennui et

    de danger.Non-seulement nous pouvons conclure du particulier au particulier sans passer par

    le gnral, mais nous ne faisons presque jamais autrement. Toutes nos infrencesprimitives sont de cette nature. Ds les premires lueurs de l'intelligence, nous tironsdes conclusions, et des annes se passent avant que nous apprenions l'usage destermes gnraux. L'enfant qui, ayant brl son doigt, se garde de l'approcher du feu, araisonn et conclu, bien qu'il n'ait jamais pense au principe gnral Le l'eu brle. Il se souvient qu'il a t brl, et sur ce tmoignage de sa mmoire il croit, lorsqu'ilvoit la chandelle, que s'il met son doigt dans la flamme il sera encore brl. Il croitcela dans tous les cas qui se prsentent, mais chaque fois sans voir au-del du casprsent. Il ne gnralise pas; il infre un fait particulier d'un autre fait particulier.C'est aussi de la mme manire que raisonnent les animaux. Il n'y a aucun motif

    d'attribuer aux btes l'usage de signes propres rendre possibles des propositionsgnrales; mais les animaux profitent de l'exprience, et vitent ce qui leur a fait dumal de la mme manire que les hommes, quoique pas toujours avec la mmehabilet. L'enfant brl craint le feu; mais le chien brl le craint aussi.

    Je crois, en fait, que lorsque nous tirons des consquences de notre expriencepersonnelle et non de maximes transmises par les livres ou la tradition nous con-cluons plus souvent du particulier au particulier que par l'intermdiaire d'une proposi-tion gnrale. Nous concluons sans cesse de nous aux autres, ou d'une personne uneautre, sans nous mettre en peine d'riger nos observations en sentences gnrales surl'homme ou la nature. Quand nous concluons qu'une personne, dans une occasiondonne, sentira ou agira de telle ou telle faon, nous jugeons quelquefois d'aprsl'observation en gros de la manire dont les hommes en gnral, ou des personnes

    d'un certain caractre, ont coutume de sentir ou d'agir; mais beaucoup plus souvent ennous reportant aux actions et aux sentiments manifests dj par cette personne dansquelque cas analogue, ou en considrant ce que nous sentirions et ferions nous-mmes. Ce n'est pas seulement la matrone de village qui, appele en consultationpour l'enfant du voisin, prononce sur la maladie et sur le remde d'aprs le souvenir etla seule autorit du cas semblable de sa Lucie. Nous faisons tous de mme toutes lesfois que nous n'avons pas pour nous guider une maxime dfinie; et si notre exp-rience est trs-tendue et si nous conservons fortement nos impressions nous pouvonsacqurir ainsi une trs-grande justesse et solidit de jugement, que nous serions

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    John Stuart Mill (1843), Systme de logique dductive et inductive. Livre II, 1865. 31

    incapables de justifier ou de communiquer aux autres. On a remarqu avec quelleadmirable sret les hommes dous d'un esprit pratique suprieur adaptent lesmoyens leurs fins sans tre en tat de donner des raisons satisfaisantes de ce qu'ilsfont, et appliquent, ou semblent appliquer, des principes qu'ils seraient tout faitincapables de formuler. C'est l une consquence naturelle chez les hommes quipossdent un riche fonds de faits particuliers, et ont t habitus conclure de cesfaits aux faits nouveaux, sans s'occuper d'tablir, soi[ pour eux-mmes, soit pour lesautres, les propositions gnrales correspondantes. Un vieux militaire, d'un seul coupd'il jet sur le terrain, est en tat de ranger ses troupes dans le meilleur ordre;quoique, s'il n'a gure d'instruction thorique et s'il n'a pas eu souvent rendre comp-te de ce qu'il a fait, il n'ait peut-tre jamais mis dans sa tte un seul thorme concer-nant les rapports du terrain et de la disposition des troupes. Mais son exprience descampements, dans des circonstances peu prs semblables, a laiss dans son espritquantit d'analogies vives, indtermines, non gnralises, dont les mieux appro-pries, se prsentant d'elles-mmes l'instant, lui su-grent l'arrangement convenable.

    L'habilet dans le maniement des armes ou des outils chez un individu sans

    instruction est probablement du mme genre. Le sauvage qui lance la flche qui tueinfailliblement son gibier ou son ennemi dans toutes les conditions ncessairementimpliques dans le rsultat, le poids et la forme de l'arme, la direction et la distancede l'objet, l'action du vent, etc., doit ce pouvoir une longue suite d'expriences dont,certainement, il n'a jamais formul les rsultats dans un thorme. On peut dire lamme chose, en gnral, de toute adresse de main extraordinaire. Il n'y a paslongtemps, un manufacturier cossais fit venir d'Angleterre, avec un trs-haut salaire,un ouvrier teinturier fameux par son habilet produire de magnifiques couleurs,pour qu'il enseignt sa manire d'oprer ses autres ouvriers. L'ouvrier vint, mais sonprocd pour doser les ingrdients, qui tait tout le secret des rsultats obtenus,consistait les prendre par poignes, tandis que dans la mthode ordinaire on lespesait. Le manufacturier voulut lui faire changer son dosage la main en un systmequivalent de pesage pour dterminer le principe de sa manire d'oprer; mais cet

    homme se trouva tout fait incapable de le faire, et ne put, par consquent, commu-niquer son habilet a personne. Ses propres expriences rptes avaient tabli dansson esprit une connexion entre les beaux effets de couleur et ses perceptions tactilesdans le maniement des matires tinctoriales. Il pouvait bien, dans chaque cas parti-culier, infrer de ces perceptions les moyens employer et les effets produits, mais ilne pouvait pas communiquer aux autres les raisons de sa manire de faire, faute deles avoir gnralises et formules dans le langage.

    Tout le monde connat le conseil donn par lord Mansfield un homme d'un trsbon sens pratique qui, ayant t nomm gouverneur d'une colonie, avait, sansexprience des affaires judiciaires et sans connaissance du droit, y prsider une courde justice. Le conseil tait de donner sa dcision rsolument, car elle serait probable-ment juste, mais de ne s'aventurer jamais en exposer les raisons, car elles seraient

    presque infailliblement mauvaises. Dans les cas de ce genre, qui ne sont nullementrares, il serait absurde de supposer que la mauvaise raison est le principe de la bonnedcision. Lord Mansfield savait que les raisons auraient t ncessairement, en ce cas,des raisons imagines aprs coup, le juge tant, en uniquement guid par lesimpressions d'une exprience antrieure, impressions non formules en maximesgnrales ; et que s'il essayait d'en formuler quelqu'une, il chouerait invitablement.Lord Mansfield, cependant, ne doutait pas qu'un homme qui, ave