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Compte-rendu de la session : Promouvoir les compétences psychosociales chez les enfants et chez les jeunes Paris – Centre universitaire des Saints-Pères 3 juin 2014 Modérateurs : Pierre ARWIDSON, Inpes, Xavier D’AUZON, association relais familles

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Compte-rendu de la session : Promouvoir les compétences

psychosociales chez les enfants et chez les jeunes

Paris – Centre universitaire des Saints-Pères

3 juin 2014

Modérateurs : Pierre ARWIDSON, Inpes, Xavier D’AUZON, association relais familles

9èmes Journées de la prévention de l’Inpes – Promouvoir les compétences psychosociales chez les enfants et chez les jeunes

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Introduction Pierre ARWIDSON Directeur des affaires scientifiques, Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes)

Cette session sera l’occasion d’aborder la promotion des Compétences psychosociales1 (CPS) chez les enfants et chez les jeunes avec un panel international composé de Brian Mishara (Québec), Daniel Pellaux (Suisse) et de représentants français. J’ai découvert les programmes fondés sur les CPS grâce à Daniel Pellaux et j’ai immédiatement eu l’intuition que les CPS constituaient un fondement de l’éducation à la santé. Il y a 18 ans, Daniel Pellaux m’avait demandé de le remplacer pour présenter le programme « Objectif grandir » qu’il avait conçu avec le soutien de l’Office fédéral de santé publique (OFSP). J’étais donc intervenu au Club de pédiatrie sociale et à la fin de ma présentation, un professeur très respectable m’a expliqué que ce type de programme était l’exact opposé de ce qu’il convenait de faire en promotion et en éducation à la santé. Notre session thématique prouve qu’il n’avait pas nécessairement raison. Nous avions également créé un groupe de travail européen relatif aux CPS parrainé par John Orley de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). A l’origine, je m’interrogeais sur les fondements scientifiques de ces programmes. Depuis, j’ai découvert que le champ des CPS faisait l’objet de nombreuses recherches scientifiques. Les approches en faveur du développement des CPS ont émergé de l’intuition de praticiens et ont ensuite été complétées par une abondante littérature scientifique. Elles font désormais partie des travaux de la société européenne de recherche en prévention.

1 Les CPS sont « la capacité d’une personne à répondre avec efficacité aux exigences et aux épreuves de la vie quotidienne. C’est l’aptitude d’une personne à maintenir un état de bien-être mental en adoptant un comportement approprié et positif à l’occasion des relations entretenues avec les autres, sa propre culture et son environnement » (OMS, 1997).

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Cadre conceptuel

Un regard historique sur l’émergence des compétences psychosociales dans une perspective européenne

Le développement des compétences psychosociales, une approche originellement anglo-saxonne

Daniel PELLAUX Institut fédéral des hautes études en formation professionnelle (IFFP), Suisse2

La Suisse a intégré les CPS dans sa loi fédérale relative à la formation professionnelle et les CPS y sont enseignées aux jeunes de 16 à 20 ans. En Suisse, deux tiers des 16-20 ans choisissent la formation duale (formation par alternance). Ils travaillent trois jours par semaine et suivent des cours deux jours par semaine. Lorsque nos travaux sur les CPS ont débuté dans les départements de santé mentale et de prévention des drogues de l’OMS, il existait peu de littérature francophone sur ce sujet. Notre groupe de travail avait constaté les faibles résultats des programmes de prévention, notamment en prévention de la toxicomanie. Aussi, il nous apparaissait indispensable de développer une nouvelle stratégie de prévention. Notre approche était alors relativement intuitive et visait à développer une stratégie de prévention générale en santé. A l’époque, les références scientifiques et épidémiologiques dans le champ des CPS provenaient essentiellement des Etats-Unis. Outre les travaux d’Albert Bandura et de Watzlawick, Gilbert Botvin avait lancé les premiers programmes de prévention de la toxicomanie au travers d’une approche en termes de life skills, d’aptitudes à la vie quotidienne. Rapidement, il nous a semblé nécessaire d’investir le champ des CPS en se fondant sur les expériences des Etats-Unis et du Royaume-Uni. Notre objectif était alors d’identifier des compétences transversales utiles à un adolescent pour faire face aux situations du quotidien, indépendamment de sa culture, de sa religion et de son système politique. En 1991, nous avons abouti à un accord sur dix compétences basiques à développer, parmi lesquelles : - savoir résoudre les problèmes ; - savoir prendre des décisions ; - avoir une pensée créative et critique ; - savoir communiquer efficacement ; - être habile dans ses relations interpersonnelles ; - avoir confiance en soi et avoir de l’empathie pour les autres ; - savoir gérer son stress ; - savoir gérer ses émotions.

L’introduction des compétences psychosociales dans les programmes internationaux et nationaux

Le cadre éthique et d’action choisi pour promouvoir les CPS a été la Convention internationale des droits de l’enfant. A partir de ces premiers travaux, nous avons produit en 1996-1997 des

2 Responsable de filière et maître d’enseignement en pédagogie et psychologie à l’IFFP, Daniel Pellaux a participé au développement des programmes de CPS en Europe. Consultant à l’OMS, il est conseiller scientifique de la fondation Mentor.

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documents définissant des pistes de recherche dans ce champ et nous avons défini des stratégies pour introduire les CPS dans les milieux scolaires. Au-delà de la prévention de la toxicomanie, nous avons ciblé certains projets de promotion des femmes au sein de pays asiatiques en raison des restrictions de droits dont elles font l’objet. L’assertivité3 se traduit différemment selon les cultures et nous avons développé des stratégies pour l’affirmer comme une CPS importante. L’accent sur l’assertivité a notamment été mis dans les projets que nous avons récemment développés dans les pays arabophones. A partir de 1998, nous avons développé une stratégie d’introduction des CPS dans les différents programmes onusiens. Au Zimbabwe et en Thaïlande, l’introduction de ces compétences a été effectuée par le biais des programmes de prévention du Syndrome de l’immunodéficience acquise (SIDA) alors qu’elles ont été introduites au Royaume-Uni dans le cadre de programmes relatifs aux abus sur les enfants et aux Etats-Unis au sein de programmes de prévention des toxicomanies et des violences. L’Afrique du Sud et la Colombie ont été les premiers pays à introduire des enseignements en CPS dans leurs programmes scolaires, sous la dénomination de Life orientation ou d’Integral Education. Nous avons ensuite déterminé les facteurs de succès de ces expériences. Premièrement, il est apparu vain de développer, comme c’était le cas initialement, un programme de développement des CPS d’une seule année pour les enfants de 10 à 12 ans. Aussi, nous avons conçu une approche dès le jardin d’enfants et valable tout au long de la scolarité, en partant du principe que les approches par les CPS se revisitent régulièrement pour tenir compte des différents stades de vie de l’enfant et de l’adolescent. Les principaux ambassadeurs de ces programmes ont été les enseignants. Les programmes scolaires étant déjà très chargés, nous avons créé des activités pouvant venir en remplacement d’autres activités, ce qui explique notamment en France l’emploi des méthodes actives4 et ludiques. Il fallait également que chaque pays définisse une stratégie nationale en matière de CPS. La consolidation de ces stratégies nationales est cependant lente dans certains pays (en France notamment), tandis que la Belgique, le Québec et la Suisse sont pionniers en la matière. Les CPS se développent de manière différente selon les pays et tiennent compte du contexte culturel. Il est important que l’élève participe, réfléchisse et s’approprie ces CPS et que des liens se tissent entre ces compétences et les principaux contenus des programmes scolaires (apprentissage de la langue, matières scientifiques). Plus le programme est ludique, plus le plaisir d’apprendre est exacerbé. Par conséquent, nous avons eu recours aux méthodes actives. Il nous semblait également indispensable de faire participer les parents à ces programmes mais ceux-ci résistent encore aujourd’hui. Ces résistances cachent parfois la peur d’être dépossédé d’un rôle éducatif. Il faut ainsi des trésors de patience et une communication accrue entre enseignants et parents pour définir leurs prérogatives respectives de transmission des CPS. Indépendamment des cultures, nous observons invariablement une peur entre enseignants et parents. Cette défiance mutuelle est d’autant plus incompréhensible que les deux groupes visent à armer l’enfant pour affronter d’éventuelles difficultés.

Le développement des compétences psychosociales à l’échelle européenne et en Suisse

Le projet européen Unplugged est destiné aux enfants à partir de 12 ans et comprend 12 leçons de prévention, notamment en matière de toxicomanie. Il se déploie dans 31 pays mais la France n’y a malheureusement participé que de manière très limitée. Ce programme est suivi et évalué par l’université de Turin. Il permet de réunir un nombre considérable de statistiques sur les habitudes

3 L’assertivité, ou comportement assertif, est un concept désignant la capacité à s’exprimer et à défendre ses droits sans empiéter sur ceux des autres. 4 Les méthodes actives utilisent et provoquent l’activité intellectuelle de l’élève. Selon J. Vial (Histoire et actualité des méthodes pédagogiques, 1986), les critères dominants d’une méthode active seraient : l’activité (activité authentique face au réel : observation, manipulation, création, recherche, formation d’hypothèses…), la liberté (il faut qu’il y ait adhésion, initiative de la part de l’apprenant) et l’auto-éducation (l’approche vise à l’autonomie de l’apprenant dans son éducation).

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de milliers de jeunes. J’invite d’ailleurs les chercheurs à contacter l’université de Turin pour comparer leurs résultats. Grâce à l’Organisation des nations unies (ONU), ce programme adaptable à chaque situation nationale a été exporté dans les pays arabes, en Inde et au Brésil. Il en existe aussi une version française. En 2004, la Suisse a introduit une loi relative à la formation professionnelle concernant les jeunes de 16 à 20 ans, voire davantage. Au-delà des compétences professionnelles et méthodologiques, elle développe une approche en termes de CPS. La loi fédérale définit des compétences personnelles et sociales qui sont liées à plus de 230 professions et font l’objet d’enseignements. Dans les années à venir, nous engagerons en Suisse une recherche pour comprendre comment les 16-20 ans s’identifient à leur future profession. Cette identification suppose la maîtrise de certaines CPS5. Il s’agira d’examiner comment ces jeunes intègrent les règles, les normes et les valeurs des différentes professions. En Suisse, la formation professionnelle des jeunes revêt une importance cruciale. Comme en Allemagne, elle a été construite pour leur permettre d’acquérir parallèlement à une pratique professionnelle des titres leur permettant d’intégrer l’enseignement universitaire. Pour conclure, je me réjouis de cette journée qui sera l’occasion d’aborder la plupart des questions sur lesquelles nous travaillons depuis 20 ans.

Echanges avec la salle

L’absence d’étude sur l’histoire du développement des compétences psychosociales

Pierre ARWIDSON Merci pour cette présentation qui offre une perspective historique et internationale de la démarche de promotion des CPS. Je te remercie aussi d’avoir épargné la France même si tu as transmis des messages entre les lignes. Existe-t-il des traces écrites de cette histoire du développement des CPS dans les programmes internationaux ? Daniel PELLAUX La mémoire de ce mouvement est plutôt détenue par ses pionniers. Des travaux sur les CPS ont été publiés par l’OMS mais la succession des personnes et des projets au sein des organisations internationales n’est pas propice à la conservation de cette mémoire. Le mouvement en faveur du développement des CPS s’est formalisé en 1998 grâce à la rencontre des organisations onusiennes. Néanmoins, il n’a pas fait l’objet d’étude historique à proprement parler jusqu’à présent.

Les compétences psychosociales des jeunes à l’heure du chômage de masse

De la salle (Béatrice-Anne BARATCHART, médecin, Agence régionale de santé (ARS) Aquitaine) Quel est le poids des CPS dans un contexte de chômage de masse en France et en Europe ? Daniel PELLAUX En Suisse, nous constatons que les jeunes perdent rarement leur emploi pour des questions de savoirs professionnels et méthodologiques. En revanche, ils perdent leur emploi car ils ne savent pas se comporter selon les normes et les habitus du monde professionnel. Aussi, nous visons à leur transmettre, dans une perspective presque éducative, des enseignements relatifs à la manière de se comporter, d’être et de communiquer dans le monde du travail. Cette manière d’être est très différente de leur manière d’être dans leur groupe de pairs. Parfois, il est

5 Communiquer dans une équipe et avec d’autres professionnels, repérer les conflits, négocier une situation difficile et trouver des solutions constructives, accepter les remarques d’amélioration, etc.

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nécessaire de réapprendre à ces jeunes des compétences éducatives de base qu’ils ne possèdent pas toujours (à dire « bonjour » par exemple). Grâce au système éducatif, les jeunes disposent généralement des compétences nécessaires pour s’intégrer professionnellement. Néanmoins, la maîtrise des CPS est également vitale à l’intégration professionnelle. Pierre ARWIDSON La Suisse ne connait pas le chômage de masse. Daniel PELLAUX En effet. Le taux de chômage en Suisse s’élève de 3 à 5 %. Ce faible taux de chômage s’explique notamment par notre système de formation qui fait que les jeunes sont attendus dans les entreprises.

Compétences psychosociales et milieu pénitentiaire

De la salle (Martine VALADIE-JEANNEL, médecin, ARS Aquitaine) Avez-vous des exemples de programme mis en place en milieu pénitentiaire ? Par exemple, les intervenants de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) travaillent au sein des quartiers de détention de mineurs sur les compétences de base que vous évoquez. Daniel PELLAUX J’ai participé à un programme aux Maldives, un pays dont le milieu pénitentiaire connait de grands problèmes. Des agences internationales luttant contre la torture ont notamment dénoncé certaines pratiques. En outre, le système judiciaire maldivien est connu pour sa tendance répressive. Par exemple, la durée de la peine pour consommation de cannabis varie entre trois et six ans. Des révoltes ont eu lieu en milieu pénitentiaire et ont suscité l’attention de la communauté internationale. De ce fait, il a été possible de développer au sein des centres de détention maldiviens un projet de développement des CPS auprès des jeunes de 18 à 25 ans. Ce projet est similaire aux programmes pour jeunes adolescents mais développe davantage les enseignements sur le rapport à la loi, la responsabilité ou l’autonomie. En Grande-Bretagne, des projets similaires sont développés depuis de nombreuses années. Pierre ARWIDSON En France, la PJJ développe actuellement un programme de promotion de la santé en milieu pénitentiaire avec l’aide de la Fédération nationale de l’éducation et de promotion de la santé (FNES) et le soutien financier de l’Inpes.

Apport des compétences psychosociales dans l’éducation à la santé en milieu scolaire : un cadre de référence

Education à la santé et compétences psychosociales en milieu scolaire

Paule DEUSTCH Directrice de l’animation des territoires et des réseaux, Inpes6

La mission de l’école est d’apprendre à lire, à écrire et à compter. Néanmoins, le suivi de la santé des élèves fait également partie de ses mandats. La mission d’éducation à la santé de l’école se retrouve dans le socle commun de connaissances et de compétences, dans les programmes de l’école primaire et dans les projets des Comités d’éducation à la santé et à la

6 Médecin de santé publique, Paule DEUSTCH a multiplié les expériences aux échelles locale, régionale ou nationale. Elle a travaillé au Haut conseil de la santé publique (HCSP), au ministère de la Santé et dispose d’une grande expérience de travail avec l’Education nationale.

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citoyenneté (CESC) de l’enseignement secondaire. Le socle commun de connaissances et de compétences comprend notamment le pilier 6, intitulé « Connaître les principes et fondements de la vie civique et sociale ». Ce pilier a entre autres pour objectif de développer un comportement responsable. Quant au pilier 7, « Autonomie et initiative », il vise à : - développer les capacités à être autonome ; - faire preuve d’initiative ; - avoir une bonne maîtrise de son corps et une pratique physique, sportive et artistique. L’Inpes développe un partenariat avec la Direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) depuis de nombreuses années afin d’élaborer un cadre de référence en éducation à la santé s’articulant autour du développement des CPS. Pour accroître l’efficacité de l’éducation à la santé, la littérature scientifique recommande d’inscrire cet apprentissage dans une approche globale reposant sur le développement des CPS à l’échelle de l’établissement scolaire. Dans notre système éducatif, l’éducation à la santé appartient à un domaine transversal. Elle ne constitue pas une discipline spécifique et ne fait pas l’objet d’horaires, de programmes ou de manuels scolaires dédiés. Dans certains pays anglo-saxons, elle constitue une discipline dotée d’un horaire de une à deux heures par semaine et d’un programme. Du fait de sa spécificité, l’éducation à la santé a un statut à part en France et est rarement obligatoire. Son évaluation n’est pas prise en compte dans la moyenne générale des élèves ou dans le passage vers les classes supérieures.

D’une programmation à un cadre de référence en compétences psychosociales

En lien avec l’Education nationale, les services de l’Inpes ont initialement élaboré une programmation en éducation à la santé. Pour ce faire, un comité de pilotage composé de représentants de l’Inpes, de la DGESCO, de l’Université de Lyon et de l’Ecole supérieure du professorat et de l’éducation (ESPE) d’Auvergne a été constitué. Après six mois de travaux, les groupes de travail ont arrêté une programmation en deux étapes : - l’élaboration d’un document de cadrage théorique piloté par l’Inpes ; - la création d’outils pour accompagner la mise en œuvre de cette programmation pilotée par la DGESCO. Les travaux relatifs au document de cadrage théorique ont duré de novembre 2012 à janvier 2014. De septembre 2013 à février 2014, un groupe restreint a rédigé une programmation avant le lancement d’un processus de relecture en mars 2014. Ce groupe de travail comprenait essentiellement des représentants de l’Education nationale pour favoriser l’appropriation de cette programmation par la communauté éducative7. L’objectif du projet était de rendre les jeunes responsables et acteurs de leur santé. Pour ce faire, il s’agissait de contribuer au développement des CPS tout au long de la scolarité, notamment en accompagnant les enseignants pour intégrer les CPS dans leur enseignement. Le choix de livrable s’est porté sur un document à destination des enseignants faisant le lien entre les CPS, le contenu des enseignements de chaque discipline et les thématiques de santé (nutrition, activité physique, éducation à la sexualité). Initialement, il était prévu d’élaborer une programmation d’éducation à la santé de la maternelle au lycée, mais des difficultés sont apparues durant les travaux. En effet, définir une programmation adaptée à chaque niveau et à chaque discipline scolaire supposait un travail laborieux de reprise des programmes scolaires. De plus, la fin des travaux a été perturbée par la réécriture des programmes scolaires issue de la loi de refondation de l’Ecole de juillet 2013, qui rendait caduque notre programmation. Dans ce contexte, il a fallu transformer le projet de programmation en un projet de cadre de référence d’éducation à la santé et de développement

7 Le groupe de travail restreint était composé de représentants des universités, d’Inspecteurs généraux de l’Education nationale (IGEN), de médecins et d’infirmières. Le groupe de relecture du document était pour sa part composé d’enseignants, le public-cible du programme.

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des CPS en milieu scolaire. Ce cadre de référence s’appuie non plus sur les programmes mais sur les disciplines scolaires.

Vers un cadre de référence d’éducation à la santé et de développement des compétences psychosociales en milieu scolaire

Maxime CRAMET Chargé d’études et de recherches, Inpes8

Notre cadre de référence est composé de quatre parties : - présentation des CPS ; - identification des CPS en milieu scolaire ; - présentation des modalités d’articulation des CPS aux compétences disciplinaires ; - lien entre les CPS et les thématiques de santé. L’OMS déploie des modèles de CPS par thématique (compétences sociales, émotionnelles, cognitives) tandis que le socle commun de connaissances et de compétences identifie des compétences personnelles, sociales et civiques. Pour toucher le plus grand nombre, nous avons opté pour l’intégration des différents modèles et définitions des CPS. Dans la première partie du cadre de référence, le modèle par couple a été mis en avant afin de lier des couples de CPS avec des compétences scolaires et des comportements de santé. Cette présentation des CPS permet de mettre en évidence les liens entre différentes compétences interdépendantes. Par exemple, le couple de CPS « savoir gérer son stress/savoir gérer ses émotions » a été mis en lien avec la situation de l’élève qui présente un exposé devant sa classe et avec les consommations compulsives (de substances psychoactives par exemple). Les compétences de gestion des émotions sont également reliées à des compétences cognitives comme l’exercice de la pensée critique et la capacité à prendre des décisions. La deuxième partie du cadre de référence relie les CPS à la vie quotidienne de l’établissement scolaire. En effet, de la pause méridienne aux moments de vie de classe, l’école est un terrain propice au développement des CPS. Les CPS s’exercent déjà dans le milieu scolaire et il est possible de les repérer et de les renforcer. Elles sont transversales à la vie de l’établissement et se développent aussi bien dans les ateliers périscolaires que dans le cadre des élections de délégués de classe. Par conséquent, il est crucial de réunir l’ensemble de la communauté éducative autour des projets d’établissement pour renforcer l’acquisition de ces compétences. Elles sont également en jeu dans les pratiques de classe comme les travaux de groupe qui mobilisent des compétences de communication et d’argumentation. De la même manière, les pratiques d’évaluation peuvent être pour l’élève un moyen de prendre conscience de soi, de ses ressources et de ses limites. Pour permettre à ces compétences de se développer, il convient de responsabiliser l’élève et d’en faire un acteur à part entière. Pour ce faire, il faut développer des méthodes pédagogiques actives de mise en situation ou d’organisation de débats. La troisième partie du cadre de référence présente la façon dont les compétences disciplinaires peuvent être articulées aux CPS. Par exemple, l’enseignement des mathématiques favorise la logique inductive, les capacités de synthèse et les compétences cognitives. Les liens entre compétences disciplinaires et CPS ont été appréhendés dans un continuum de la maternelle au lycée et l’intensité de ces liens a été catégorisée au sein de tableaux synthétiques. De manière générale, les disciplines humanistes, littéraires ou artistiques développent particulièrement les compétences de communication, l’habileté dans les relations, la pensée critique et créative ou les compétences de gestion du stress et des émotions. Quant aux disciplines scientifiques, elles 8 Psychologue clinicien doté d’une une grande expérience des actions de terrain, Maxime Cramet a rejoint l’Inpes en 2013. Co-organisateur de la session des journées de la prévention 2014 relative à la promotion des compétences psychosociales, il a assuré le lien entre les secteurs de l’éducation et de la science à l’Inpes.

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contribuent au développement des compétences cognitives de pensée critique, de prise de décision et de résolution des problèmes. Enfin, l’Education physique et sportive (EPS) permet de développer l’ensemble des CPS.

Figure 1 – Liens entre CPS et compétences disciplinaires à l'école primaire

La quatrième partie du cadre de référence porte sur le lien entre les CPS et les thématiques de santé9. Des fiches définissant chaque thématique de santé ont été rédigées et le lien entre les CPS et l’adoption de comportements bénéfiques pour la santé a été mis en évidence. Par exemple, l’alimentation est un enjeu central à l’adolescence où l’image de soi revêt une grande importance, notamment en raison de l’influence des médias. Par conséquent, il est conseillé de développer la pensée critique de la maternelle au lycée pour permettre aux jeunes d’appréhender ces questions avec du recul. Nous proposons également dans cette partie d’effectuer une synthèse des connaissances acquises par le biais des programmes scolaires, par exemple sur les fonctions nutritives des aliments et les besoins des organismes. Ce cadre de référence met en lumière le caractère transversal des CPS. Il vise à permettre aux professionnels de l’éducation de les repérer et de composer avec elles quotidiennement en favorisant leur développement tout au long de la scolarité. Paule DEUTSCH Ce cadre de référence a été relu par plus de 20 personnes parmi lesquelles des enseignants, des membres de l’enseignement supérieur de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA), de l’Inpes, des Instances régionales d’éducation et de promotion de la santé (IREPS), du réseau des universités pour l’éducation à la santé (UNIRéS) et des Centres d’information régionaux sur les drogues et les dépendances (CIRDD). Ils ont estimé que ce

9 Il s’agit des thématiques de santé retenues par l’Education nationale dans son bulletin officiel du 15 décembre 2011 : consommation de substances psychoactives, éducation à la sexualité, prévention des risques infectieux, promotion de l’activité physique et de l’alimentation.

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travail était original et intéressant. Les représentants de l’Education nationale ont souhaité faire de la partie relative aux thématiques de santé un document à part entière. Il nous a également été demandé d’intégrer au cadre de référence les lycées professionnels. Le corps des IGEN nous a pour sa part demandé de transmettre ce travail au Conseil supérieur des programmes (CSP) pour le valider et l’articuler avec les nouveaux programmes scolaires.

Echanges avec la salle

Faire valider ce cadre de référence par le Conseil supérieur des programmes

Pierre ARWIDSON Au regard de la densité des programmes scolaires, cette initiative vise à ne pas ajouter des matières supplémentaires mais à favoriser l’intégration des CPS en milieu scolaire. De la salle (Gérard CORUBLE, médecin, ARS Provence-Alpes-Côte d’Azur - PACA) Votre travail vise l’intégration des CPS dans les programmes de l’Education nationale. Il s’agira ensuite de mettre en œuvre des programmes de développement des CPS au sein des établissements scolaires. Quelles seront les modalités de mise en œuvre de ces programmes ? Paule DEUTSCH Pour l’instant, il s’agit d’intégrer les CPS au milieu scolaire. Ensuite, il faudra mettre en évidence les outils permettant aux enseignants qui le souhaitent de renforcer la démarche de développement des CPS. Néanmoins, il convient avant tout de faire valider ces CPS par le CSP.

Vers une intégration des compétences psychosociales à la future loi de santé publique ?

De la salle (Béatrice-Anne BARATCHART) Une des priorités des avant-projets de loi de santé publique qui circulent actuellement est la prévention et la promotion de la santé chez les enfants et les jeunes. Peut-on imaginer que vos recommandations soient intégrées à la future loi de santé publique ? Paule DEUSTCH L’Inpes a proposé à la Direction générale de la santé (DGS) d’intégrer ce cadre de référence à la loi de santé publique. Nous verrons si ces dispositions sont reprises. Par ailleurs, une mission interministérielle de la santé en milieu scolaire sera prochainement mise en place et nous espérons y participer pour défendre le développement des CPS en milieu scolaire.

Plaidoyer pour une intégration des approches de développement des compétences psychosociales en milieu scolaire

De la salle (Colette CATALAYOUT, chirurgien-dentiste) Je travaille depuis plus de 20 ans à la mise en œuvre du programme de prévention en santé bucco-dentaire du Conseil général du Val-de-Marne. La maladie carieuse est un marqueur majeur d’inégalité sociale d’accès à la santé. Face à cet enjeu, notre programme développe une action transversale de la Protection maternelle et infantile (PMI) au collège en partenariat avec l’Education nationale et la Caisse primaire d’Assurance-Maladie (CPAM). Je suis impressionnée de votre travail qui fournit à ma pratique quotidienne des fondements théoriques. Est-ce que ce travail se base notamment sur des retours d’expérience ? Paule DEUSTCH En effet, ce travail provient notamment de l’expérience de certains établissements scolaires et des programmes connus par l’Inpes.

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De la salle (Martine DAOUST, ancienne rectrice, responsable de laboratoire de recherche, université Jules Verne d’Amiens) La promotion des CPS est nécessaire dès le plus jeune âge. Néanmoins, je me demande comment introduire cette démarche au sein de l’école. Les représentations relatives à la carie dentaire ont sensiblement évolué grâce à une mobilisation collective et la peur du dentiste a disparu. Cependant, le développement des CPS suppose de modifier les pratiques des enseignants et nous sommes loin du compte. J’ai conçu une formation transversale au sein de l’université d’Amiens sur la prévention des conduites à risques. A cette occasion, j’ai constaté qu’aucune formation transversale de ce type n’était dispensée par les ESPE et que les formations existantes s’articulaient autour d’une didactique et de pratiques de classe qui n’évoluent pas. Le développement des CPS suppose peut-être d’alléger les programmes qui sont pléthoriques, en supprimant quelques heures d’enseignement général au profit d’un enseignement d’éducation à la santé. Cependant, cette proposition est très mal reçue. Par ailleurs, cette démarche doit faire l’objet d’un portage politique local notamment en raison de l’indigence des projets d’établissement. Votre approche est pertinente car elle consolide les compétences de jeunes démunis, souvent sans repères. Lorsque j’étais rectrice, je ne suis malheureusement pas parvenue à la mettre en œuvre. Il conviendrait peut-être d’imposer une formation aux CPS au sein des ESPE. Paule DEUTSCH Dès la conception de notre cadre de référence, nous avons mené une démarche de plaidoyer. Nous avons rencontré le ministre de l’Enseignement supérieur pour intégrer ces formations aux programmes des ESPE ainsi que le cabinet du ministre de l’Education nationale. Malheureusement, ce cabinet a changé et nous sommes contraints de recommencer nos démarches. Nous menons une démarche de conviction, notamment en lien avec les IGEN, pour que ces formations soient intégrées à la formation initiale et continue des enseignants. Nous avons expliqué aux enseignants que cette démarche n’induisait pas nécessairement une charge de travail supplémentaire. Les enseignants sont libres d’approfondir cette démarche au travers de certains outils mais il faudrait avant tout leur faire prendre conscience qu’ils contribuent déjà quotidiennement au développement des CPS. En tout état de cause, nous espérons que ce cadre de référence sera porté à l’échelle nationale.

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Etudes évaluatives des actions pour le développement des compétences psychosociales

Programmes ESPACE et SFP: principes et premiers résultats

Le programme ESPACE : une stratégie de prévention de l’alcoolisation précoce

Corinne ROEHRIG-SAOUDI Médecin et thérapeute familiale, Comité départemental d’éducation pour la santé (CODES) des Alpes-Maritimes10

Les résultats finaux de l’évaluation du programme Education, sensibilisation et prévention alcool au collège avec l’appui de l’environnement (ESPACE) ne seront connus qu’à la fin de l’année. Par ailleurs, la dernière réunion du programme Soutien aux familles et à la parentalité (SFP) a eu lieu la semaine dernière. Le programme ESPACE a été créé dans le Limousin à la demande de l’alcoologue Martine Daoust et du ministère de l’Education nationale. Son comité de pilotage réunit Daniel Bailly, Marie Choquet et des représentants des services de promotion de la santé des élèves. Il a été financé par l’association Entreprise & Prévention et s’est déroulé de 2010 à 2012. Pour cette expérimentation, l’Observatoire régional de santé (ORS) du Limousin avait retenu deux groupes comparables de 15 collèges action et de 15 collèges témoin réunissant chacun environ 1150 élèves. Ce programme, basé sur le volontariat, requérait l’autorisation des parents. ESPACE visait à prévenir les risques liés à l’alcool au collège (consommations régulières et recherche d’ivresse) par le développement de l’estime de soi et des CPS, une amélioration des connaissances et une modification des représentations positives liées à l’alcool. Vingt-deux ateliers participatifs (jeux de rôle, mises en situation) ont réuni les collégiens sur trois ans de la 6ème à la 4ème pour renforcer leurs CPS. Ces 34 heures d’ateliers ont été intégralement animées par des professionnels de l’Education nationale. Six ateliers relatifs aux connaissances et aux représentations liées à l’alcool ont été intégrés au programme de Sciences de la vie et de la terre (SVT) et animés par les enseignants de SVT, au rythme de deux ateliers par an. Les encadrants-animateurs de ces ateliers ont suivi une formation annuelle de trois jours portant sur les concepts de la promotion de la santé et des CPS et sur l’animation du programme. Ils ont reçu des supports pédagogiques, ajustés par un groupe de référents en fin d’année (vocabulaire, type d’animation). Par ailleurs, ces ateliers ont fait l’objet d’une évaluation interne par les enseignants. En 6ème, les ateliers portaient sur la confiance en soi, l’affirmation de soi et la relation aux autres. En 5ème, ils se focalisaient davantage sur la gestion des émotions et la résolution des problèmes. En 4ème, ce sont la communication, la résistance aux pressions, le développement de l’esprit critique et créatif qui faisaient l’objet des ateliers.

10 Formée par Boris Cyrulnik, Corinne Roehrig est très impliquée dans la prévention auprès des adolescents. Elle est l’auteure de l’ouvrage Janus et autres histoires de cœur extraordinaires, publié aux éditions de l’Harmattan.

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Figure 2 – Support pédagogique du programme de développement des CPS de 4ème

Evaluation du programme ESPACE : un impact net sur l’estime de soi et plus mitigé sur la consommation d’alcool

L’évaluation d’ESPACE, pilotée par l’ORS du Limousin, visait à déterminer l’impact du programme sur l’estime de soi et les CPS, les connaissances, les représentations et les consommations d’alcool des élèves. Des questionnaires auto-administrés ont été distribués en classe sous la responsabilité des infirmières scolaires. Des tests ont été effectués au début de la classe de 6ème et un an après la fin du programme. Ils ont concerné 2130 élèves, soit 72 % de l’échantillon initial. Leurs parents, les 95 animateurs du programme, quatre équipes éducatives et 12 chefs d’établissement ont également été interrogés dans le cadre d’une enquête qualitative. Le programme a suscité l’adhésion des encadrants de l’Education nationale. Parmi les répondants à l’évaluation11, 80 % des animateurs et dix chefs d’établissement sur 12 étaient d’accord pour continuer ce type de programme à condition de disposer des moyens nécessaires. De nombreux avis élogieux ont été exprimés sur les formations, les stratégies et les ateliers développés. Des critiques ont porté sur la difficulté d’intégrer deux heures d’atelier dans un emploi du temps déjà très chargé. Les parents ont peu participé à ce programme mais ont émis des avis plutôt favorables sur ESPACE. 93 % des parents connaissaient le programme et 71 % estimaient que la participation de leur enfant à ce programme était positive12. 40 % déclaraient avoir perçu un effet du programme sur le comportement de leur enfant et sa confiance en lui tandis que 10 % des répondants étaient certains de cet impact. Un an après le programme, 37 % des élèves avaient le sentiment que ce programme leur avait apporté quelque chose. Ils se sont estimés majoritairement contents d’en avoir bénéficié et ont considéré que ce serait une bonne chose que d’autres jeunes en bénéficient. L’évaluation du programme témoigne d’une évolution significative des connaissances liées à l’alcool mais ne montre pas d’évolution au niveau des représentations. Le programme a généré un net 11 47% de répondants à l’évaluation parmi les encadrants. 12 21 % de répondants à l’évaluation parmi les parents sondés.

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impact sur l’estime de soi et les CPS, notamment sur les indicateurs liés à la confiance en soi et à l’affirmation de son point de vue. En revanche, il n’a quasiment pas eu d’effet sur les consommations d’alcool. La prise en compte du degré d’adhésion des élèves au programme débouche sur un constat contrasté. En effet, les niveaux de consommation des élèves ayant adhéré au programme sont faibles contrairement à ceux des élèves n’ayant pas adhéré au programme, qui sont parfois plus élevés. Par ailleurs, le pourcentage d’adhésion au programme varie de façon importante entre les établissements du programme (de 12 à 80 %).

L’appréciation positive du programme par les élèves tend à s’émousser avec le temps. Par ailleurs, des questionnements subsistent sur les raisons de l’hétérogénéité de l’adhésion des élèves au programme (profil de l’enfant, type d’animateur, implication des parents, modalités d’implantation, de formation et d’encadrement du programme). L’appréciation d’ESPACE par les encadrants est globalement positive mais leur implication et leur savoir-faire sont apparus hétérogènes. Lors de la première année, le programme a suscité un engouement considérable des équipes encadrantes des collèges action sur la thématique de l’estime de soi et des CPS. Elles ont notamment souhaité qu’une équipe académique de formateurs soit constituée sur cette thématique. Cette équipe a depuis sensibilisé et formé 249 personnels de l’Education nationale. Les parents ont été peu impliqués dans le programme mais y étaient globalement favorables. Les réunions d’information n’attiraient que quatre à cinq parents et les journaux destinés aux parents n’étaient pas lus. Aussi, il a été décidé d’associer les programmes ESPACE et SFP pour favoriser l’implication des parents.

Le programme SFP ou comment soutenir les parents et la famille

Le programme SFP13 est un programme éducatif familial crée par Karol Kumpfer14. Initialement, il était destiné aux familles de toxicomanes et visait à éviter la reproduction des comportements toxicomaniaques par les enfants. Karol Kumpfer a identifié des facteurs de protection vis-à-vis de cette reproduction des comportements toxicomaniaques : de bonnes relations familiales, une supervision parentale et une transmission de valeurs positives dans la famille. 30 ans et 151 études évaluatives plus tard, le programme SFP est désormais implanté aussi bien au sein de populations à risque qu’au sein de la population générale. Présent dans 35 pays, il est mis en œuvre dans des pays aussi différents que les Etats-Unis, l’Afrique du Sud, la Chine et l’Irak. Chez les parents, il augmente la confiance en soi et le sentiment d’efficacité parentale, améliore la communication entre parents, diminue le stress lié à l’éducation d’un enfant, la dépression, les consommations d’alcool et de produits psychoactifs. Chez les enfants, il augmente la coopération intrafamiliale, les compétences sociales et les résultats scolaires. Il diminue les troubles du comportement, la dépression, les consommations d’alcool et de substances psychoactives. Enfin, il diminue les conflits familiaux. L’inscription par les parents au programme SFP est volontaire. Le programme dure 14 semaines, à raison d’une session de deux heures par semaine qui réunit les parents et les enfants. Pendant la première heure de chaque session, le groupe des parents est encadré par deux personnes qui valorisent les compétences parentales tandis que deux animateurs valorisent parallèlement les CPS auprès des enfants. Lors de la deuxième heure, la famille est réunie afin de renforcer le lien familial ou d’effectuer ensemble des activités développées lors de l’heure précédente. Les enfants trop jeunes pour participer aux sessions sont gardés sur place. La session dédiée aux parents vise à développer les habiletés parentales15. Elle vise à développer la capacité à faire face aux défis éducatifs ainsi qu’à l’évolution émotionnelle et comportementale de son enfant au travers d’une communication et de temps d’intervention appropriés. L’animation du programme SFP

13 Strengthening Families Program en Anglais. 14 Karol Kumpfer est psychologue et titulaire de la chaire de promotion et d’éducation à la santé de l’université de Salt Lake City. 15 Augmenter les temps d’échanges positifs, mieux communiquer, mieux formuler ses attentes, améliorer le climat relationnel et la supervision parentale pour éviter les conduites à risques, etc.

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repose sur les deux piliers que sont la bienveillance et la bientraitance. Les animateurs discutent avec les parents et leur soumettent des propositions d’activités qu’ils peuvent librement décliner.

Les résultats prometteurs du programme SFP en France

En France, l’Inpes a financé une première étude d’implantation d’un programme SFP dédié aux jeunes de 6 à 11 ans à Mouans-Sartoux en 2012. Face à la réussite de ce programme dans cette ville dynamique, l’Inpes a souhaité élargir l’expérience à des quartiers plus difficiles. Le programme SFP a donc été implanté dans deux quartiers de Mouans-Sartoux et dans deux quartiers prioritaires des villes de Carros et de Grasse. 38 familles ont ainsi participé au SFP qui a ensuite fait l’objet d’une évaluation. Celle-ci portait sur la fidélité au programme16, le succès du SFP étant en grande partie la résultante de cette fidélité, et sur l’efficacité à court terme du programme17. Les résultats partiels agrégés (3 groupes sur 4) de cette évaluation témoignent d’une progression des moyennes des compétences parentales de l’ordre de 40 %. La fidélité au programme est satisfaisante puisque 86 % des activités ont été complétées et que l’assiduité des familles varie de 73 % à 92 %. Ces résultats sont d’autant plus satisfaisants que Karol Kumpfer estime que lors des primo-implantations on peut perdre jusqu’à 60% des familles inscrites. Nous développons aujourd’hui un programme SFP à la française qui comprend des guides d’animation et des formations adaptés. Grâce à l’Inpes et à l’ARS de PACA, nous réalisons actuellement un DVD qui servira de support pour animer les sessions et d’outil d’appropriation des recommandations du programme SFP pour les familles. Le protocole d’implantation du programme SFP est désormais éprouvé et l’adaptation culturelle du contenu des guides d’animation des sessions (vocabulaire, exemples, type d’animation) a été réalisée. L’échelon municipal semble le plus adapté pour diffuser ce programme en raison de son maillage de proximité (écoles primaires, services scolaires, culturels et de loisirs). Dans le cadre de cette expérience, le programme a ainsi été animé par les professionnels des municipalités. Nous avons revisité l’évaluation du programme SFP et l’ensemble des retours concernant les protocoles du SFP sera disponible au plus tard le 31 octobre 2014.

Echanges avec la salle

Le programme SFP, un vecteur de lien social

Pierre ARWIDSON Le programme SFP est aujourd’hui devenu un programme européen qui fait l’objet de recherches en Angleterre, au Pays de Galles, en Estonie et en Suède. Il s’inscrit par ailleurs au cœur des travaux de la société européenne de recherche en prévention. De la salle (Béatrice-Anne BARATCHART) Votre évaluation laisse apparaitre un impact du programme SFP sur la cohésion intrafamiliale. Avez-vous également remarqué un effet sur les relations entre les familles participant au programme ? Corinne ROEHRIG-SAOUDI Absolument. Ce constat met en évidence les bénéfices du programme en matière d’apprentissage social. Des liens se sont tissés entre les familles qui continuent à se voir suite au programme ou se saluent à l’école. J’ai revu le premier groupe de parents de Mouans-Sartoux qui continue à se fréquenter et à s’interroger sur le programme. Ils ne mettent plus en pratique de manière aussi constante les recommandations du programme mais les reprennent occasionnellement pour 16 Les critères évalués étaient les suivants : assiduité des familles, activités complétées par session, questionnaires remplis en ligne par les animateurs après chaque session. 17 Envoi à Karol Kumpfer de questionnaires remplis par les familles pour une comparaison internationale du programme.

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faire face à certaines difficultés. Dans d’autres pays, des groupes Internet se créent autour du programme. Par ailleurs, les prochaines sessions du programme SFP associeront probablement des parents ayant déjà bénéficié du programme comme co-animateurs.

Vers une synergie territoriale entre les REAP et le programme SFP

De la salle (Anne-Sophie LASSALLE, enseignant-chercheur en psychologie, Université Lille 3) Quel outil utilisez-vous pour définir les échelles de compétences parentales et évaluer l’estime de soi ? S’agit-il d’un outil validé ? Par ailleurs, ce programme ne devrait-il pas être prochainement associé aux Réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents (REAP) qui sont fortement implantés territorialement et mettent en œuvre des activités de soutien et d’accompagnement des parents ? Les REAP, qui organisent d’ailleurs des ateliers parents, enfants et enfants-parents, sont des lieux propices pour développer territorialement un programme comme le SFP. Corinne ROEHRIG-SAOUDI En effet. Karol Kumpfer insiste sur la nécessité de distinguer ces trois temps d’activité (parents, enfants et famille) pour donner toute sa force au programme. Le REAP des Alpes-Maritimes a été associé à la présentation des résultats du SFP et nous espérons développer ce programme en lien avec les REAP. Les grilles relatives aux compétences parentales ont été conçues et validées par Karol Kumpfer. Je vous les ferai parvenir avec plaisir. Pierre ARWIDSON La MILDECA a organisé il y a quelques années des journées de la parentalité durant lesquelles le programme SFP a été présenté à l’ensemble des REAP présents.

La stratégie d’intégration des parents au programme SFP

De la salle (Nathalie DESPLANQUE, infirmière, Direction de l’action sociale, de l’enfance et de la santé (DASES), Paris) La DASES de la Ville de Paris comprend trois infirmières référentes en éducation à la santé qui interviennent dans les écoles maternelles et élémentaires pour aider les enseignants à développer des projets d’éducation à la santé. Il est possible de concevoir un projet d’établissement généralement fondé sur le mieux-vivre ensemble. En revanche, les enseignants éprouvent des difficultés à y intégrer les parents. Comment associez-vous les parents-cibles de ce type de projet ? Corinne ROEHRIG-SAOUDI Le protocole d’implantation du programme SFP se déploie en entonnoir. Lors d’une première phase, il est appuyé politiquement par une municipalité désireuse de participer à sa mise en place. Ensuite, une large phase d’information est organisée pour toucher l’ensemble des professionnels susceptibles de côtoyer les familles (enseignants, animateurs de centres sportifs et de loisirs, services municipaux). Nous travaillons avec ces professionnels les argumentaires à présenter aux familles en fonction de leur degré de proximité avec elles. Par exemple, un professionnel qui aura entendu une personne évoquer ses problèmes d’autorité parentale pourra l’orienter vers la mairie. Les familles du programme SFP peuvent être classées selon trois types, en fonction de l’ampleur du « bruit » de leurs difficultés intrafamiliales : - les familles dont le « bruit » demeure à l’intérieur de la famille. Elles répètent sans cesse la même chose pour se faire entendre, crient et se disputent. Cependant, ce « bruit » n’a pas d’effet extérieur à la famille. Ce sont les familles les plus faciles à convaincre ; - le deuxième cas de figure est celui des familles convoquées à l’école pour des faits de violence ou tout autre signe de dérapage intrafamilial ; - le dernier type de public renvoie aux familles qui ont déjà fait l’objet de mesures de protection. A l’aide des agents communaux, des stratégies différenciées d’interaction sont mises en œuvre en fonction des difficultés rencontrées par les familles. Il s’agit de les amener progressivement vers le

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programme SFP qui repose sur la base du volontariat. J’ai l’habitude de présenter ce programme en expliquant que je suis mère de quatre enfants et que mon seul regret est que mon dernier enfant avait déjà 18 ans lorsque j’ai découvert le SFP.

Promouvoir la santé mentale des enfants

« Les amis de Zippy » : un programme pour améliorer les stratégies d’adaptation des enfants

Brian MISHARA Professeur en psychologie, Université du Québec à Montréal18

J’ai toujours rêvé de pouvoir agir en amont de la prévention du suicide et éviter que les personnes ne deviennent suicidaires. De nombreuses études montrent que les jeunes qui ont déjà tenté de mettre fin à leurs jours ont un répertoire moins important de stratégies d’adaptation, de façons de faire face aux situations difficiles apparemment insurmontables. « Les amis de Zippy » est un programme de promotion de la santé mentale des enfants qui vise à améliorer leurs stratégies d’adaptation. Une stratégie d’adaptation désigne toutes les actions qui visent à améliorer une situation et/ou à se sentir mieux sans faire de tort à personne. Ce programme ne fournit pas de réponses univoques et les enfants doivent trouver eux-mêmes leurs stratégies d’adaptation et en évaluer l’efficacité en fonction des critères d’amélioration de la situation et de leur bien-être. Ce programme vise à leur enseigner précocement des stratégies d’adaptation pour qu’ils continuent à les utiliser pour faire face à d’éventuelles difficultés ultérieures. Il a été testé et remanié lors de plusieurs étapes. J’ai régulièrement évalué des programmes dont le contenu était pertinent mais dont la portée n’était pas suffisante pour avoir un impact sur le développement quotidien de l’enfant. En effet, il est nécessaire de réaliser entièrement le programme « Les amis de Zippy » pour permettre aux enfants de développer leurs habiletés, d’évaluer eux-mêmes le contenu du programme et leurs succès. Les enfants s’approprient et utilisent les enseignements du programme dans différentes situations qui mettent l’accent sur l’entraide. Le programme repose sur des principes de répétition et de continuité afin qu’il soit bien intégré par les enfants. Selon l’approche théorique de Lazarus et Folkman, il existe deux sortes de mécanismes d’adaptation : des mécanismes centrés sur la modification des situations et des mécanismes centrés sur les émotions. Par exemple, en cas de conflit avec mon épouse, je peux m’adapter en buvant un litre de vodka, en exprimant mes sentiments mais aussi en achetant des roses à mon épouse ou en demandant conseil auprès d’un ami. En revanche, certaines situations ne sont pas modifiables. Si ma grand-mère meurt, je ne pourrai pas changer cette situation mais je pourrai faire des choses pour me sentir mieux.

18 Fortement impliqué dans la prévention du suicide à l’échelle nationale et internationale, Brian Mishara a été président de l’Association internationale de prévention du suicide. Il dirige le Centre de recherche et d’intervention sur le suicide et l’euthanasie (CRISE).

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Figure 3 – Zippy, la mascotte du programme "Les amis de Zippy"

« Les amis de Zippy », un programme mondialement éprouvé

Zippy est un insecte. Il s’agit d’un animal domestique et du meilleur ami des personnages des histoires que nous utilisons. Le programme « Les amis de Zippy » existe dans 30 pays. Il cible les enfants de 4 à 11 ans, et plus particulièrement les enfants de six ou sept ans. Il se décline en 24 séances de 45 minutes animées par des enseignants formés au programme pendant une journée. Chaque séance peut comprendre des jeux de rôle, des mises en situation, des ateliers de dessin ou des discussions de groupe. Le premier module du programme porte sur les sentiments et son objectif est de reconnaître, de pouvoir exprimer et d’agir sur les sentiments. Le deuxième module porte sur la communication et a pour objectif d’aider les enfants à exprimer ce qu’ils ressentent, à écouter les autres et à demander de l’aide. Un troisième module concerne les relations et vise à aider les enfants à garder leurs amis, à briser la solitude et le rejet, à résoudre les conflits et à se faire des amis. Un quatrième module porte sur la résolution des conflits et met l’accent sur la dimension d’entraide. Un module de formation concerne également les changements et les pertes (divorces, déménagements, changements d’école, mort). Il comprend notamment une visite au cimetière qui suscite en amont du programme les craintes des enseignants mais qui est ensuite généralement plébiscitée. Une histoire illustrée raconte notamment l’enterrement de Zippy. Le sixième module, intitulé « on s’adapte », récapitule les stratégies d’adaptation et les manières d’aider les autres. « Les amis de Zippy » a fait l’objet d’une dizaine d’évaluations. J’ai notamment évalué l’expérimentation de ce programme en Lituanie et au Danemark avec Mette Ystgaard de l’Université d’Oslo. Le groupe bénéficiaire du programme présentait, par rapport à un groupe témoin comparable, une augmentation des niveaux de coopération, d’affirmation et de contrôle de soi (habilités sociales). Il présentait également une augmentation du nombre de stratégies d’adaptation utilisées dans les situations observées par les enseignants, un constat confirmé par l’entretien avec les enfants. Il a également diminué les comportements problématiques d’externalisation (agressivité, violence) et d’hyperactivité. Grâce au programme, les enseignants estiment que la gestion de la classe est beaucoup plus aisée. Une autre évaluation a porté sur la phase de transition de l’école maternelle à l’école primaire en Lituanie. Cette étude a révélé que les enfants ayant bénéficié des « amis de Zippy » se sont mieux adaptés à leur nouvelle école et ont une plus grande faculté à composer avec les difficultés.

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Le programme « Les amis de Zippy » est actuellement implanté dans environ 30 pays et fait l’objet de quelques expériences en France. Il y a quelques semaines, il a atteint le million de participants dans le monde. La Norvège mène depuis trois ans une recherche d’ampleur qui vise à évaluer sur une quinzaine d’années l’impact du bénéfice précoce de ce programme sur la vie des enfants.

Figure 4 – L'implantation mondiale du programme "Les amis de Zippy"

Les effets prometteurs du programme « Passeport : s’équiper pour la vie »

Il y a cinq ans, nous avons été financés par l’Agence de santé publique du Canada pour créer un programme similaire au programme « Les amis de Zippy » mais ciblant les enfants de 9 à 11 ans. Nous avons créé à partir d’une feuille vierge ce programme qui visait aussi bien les enfants bénéficiaires que les non-bénéficiaires du programme « Les amis de Zippy ». Nous avons rencontré des parents, des enfants, des enseignants et des experts pour définir notre programme de la manière la plus adéquate. Nous avons ensuite réalisé des tests sur quatre activités pilotes et au sein de camps d’été avant de tester au Québec le programme en 2011-2012 sur environ 800 enfants et un groupe témoin d’une trentaine de classes. Suite à l’évaluation de ces tests, nous avons remanié le programme et l’avons implanté en 2012-2013 dans 45 classes action et 45 classes témoin, soit plus de 2 000 enfants. Le programme « Passeport : s’équiper pour la vie » vise à enseigner tôt aux enfants à élargir leur répertoire de stratégies d’adaptation afin de mieux les équiper pour résoudre les difficultés de leur quotidien et à venir. Il vise les enfants des 2ème et 3ème années de l’école primaire au Québec. Il est animé par leurs enseignants et se décline en cinq modules et 17 séances. Il s’agit d’un programme clé en main pour lequel l’enseignant reçoit une boîte à outils comprenant tout le matériel nécessaire. Une version électronique de cette boîte à outils est actuellement en cours de développement. Le programme comporte des bandes dessinées qui introduisent les sujets des séances et implique les parents qui sont invités à chaque module à des « ateliers causerie ». Néanmoins, malgré nos efforts, les parents qui ont le plus besoin de ce programme sont généralement absents de ces ateliers. Le programme vise à renforcer les habiletés positives et l’entraide des enfants. Par exemple, une séance est consacrée à un jeu collectif où le pion avance en fonction de l’ensemble des réponses des enfants. Les enfants évaluent eux-mêmes l’efficacité des stratégies d’adaptation utilisées et pratiquent leurs habiletés dans différents contextes (école, familles, amis).

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Les enfants reçoivent avant le programme une bande-dessinée mettant en scène des enfants qui découvrent un dragon et le dénouement de la bande-dessinée leur est révélé lors de la séance suivante. Chaque semaine, ils reçoivent ainsi des bandes-dessinées qui introduisent les sujets des séances. Par exemple, un géant est empêché par ses parents d’aller à un concert avec son ami dragon car ils estiment qu’il est trop jeune.

Figure 4 – La bande-dessinée comme outil pédagogique du « Passeport : s'équiper pour la vie »

Un module sur les émotions vise à identifier et communiquer la nature de nos émotions dans différentes situations ainsi que les émotions d’autres personnes. Un module sur les relations avec les autres vise à se faire des amis et à augmenter le répertoire des stratégies d’adaptation dans le cadre des relations interpersonnelles. D’autres modules concernent les situations difficiles mais aussi la justice, l’équité et l’égalité ou les changements et les deuils. Nous venons d’achever l’évaluation du programme et nous débutons l’analyse du suivi des enfants un an après le programme pour examiner ses effets continus. Chaque enfant a répondu à un questionnaire avant et après le programme et des situations fictives lui ont été soumises afin qu’il y propose des solutions. Nous avons analysé les observations des enseignants et des parents suite aux activités de classe ou à des focus groups. L’implantation du programme a été très réussie. Nous n’avons modifié qu’une activité et quelques consignes. De manière générale, nous observons une augmentation du nombre des stratégies d’adaptation utilisées par les enfants dans différentes situations, une augmentation de l’affirmation de soi et une diminution des situations au sein desquelles les enfants n’ont pas exprimé leurs sentiments. Dans un mois, un site Internet dédié

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au programme « Passeport : s’équiper pour la vie » proposera différentes activités et informations au bénéfice des enfants, des parents et des enseignants.19

Echanges avec la salle

Quid des publics spécifiques dans les approches de développement des compétences psychosociales ?

Pierre ARWIDSON Existe-il une version française du programme « Passeport : s’équiper pour la vie » ? Brian MISHARA Sa version originale est en français. De la salle (Jean-Louis BOSC, Union nationale pour l’insertion sociale du déficient auditif - UNISDA) Il y a quelques années, l’UNISDA a mené une étude auprès des personnes atteintes de déficiences auditives qui montrait que plus d’un déficient auditif sur deux se trouvait en détresse psychologique. Cette observation est confirmée par le Baromètre santé de l’Inpes qui montre qu’une proportion importante de personnes sourdes apparaît en souffrance psychique. Avez-vous évalué l’effet de vos programmes sur des populations spécifiques ? Brian MISHARA Je n’ai pas connaissance d’une utilisation de ces programmes pour les personnes malentendantes. Il existe en revanche une version anglaise du programme « Les amis de Zippy » destinée aux personnes présentant des difficultés d’apprentissage. Cette version remplace notamment l’écrit par des dessins et symboles et simplifie les activités. Elle a rencontré un grand succès, notamment dans les classes comportant une forte proportion d’élèves en difficulté.

Accompagner les enfants tout au long de l’école primaire

Pierre ARWIDSON Pourquoi êtes-vous reparti d’une page blanche pour le programme « Passeport : s’équiper pour la vie » alors que vous bénéficiiez de l’expérience des « amis de Zippy » ? Brian MISHARA A long terme, notre objectif est de développer une série de programmes tout au long de l’école primaire. Le programme « Les amis de Zippy » concerne les enfants des 2ème et 3ème années d’école primaire tandis que le programme « Passeport : s’équiper pour la vie » concerne les enfants des 4ème et 5ème années d’école primaire. Il existe par ailleurs un autre programme qui permet un approfondissement des CPS dans la foulée du programme « Les amis de Zippy ». Enfin, nous proposons sur notre site Internet une série d’activités utilisables par les enseignants pour renforcer l’intégration des enseignements du programme « Les amis de Zippy » dans les pratiques des enfants. Notre objectif avec le « Passeport : s’équiper pour la vie » était de créer un programme ne nécessitant pas d’avoir bénéficié préalablement des « amis de Zippy ».

19 Pour plus d’informations, contactez les concepteurs du programme aux adresses suivantes : [email protected] ou [email protected]. Vous pouvez également consulter les sites Internet du CRISE (www.crise.ca), du programme « les amis de Zippy » (www.zippy.uqam.ca) ou de Partnership for children, l’organisme gestionnaire du programme « les amis de Zippy » à l’échelle mondiale (www.partnershipforchildren.org.uk).

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Outils et interventions pour le développement des compétences psychosociales

Introduction

Xavier d’AUZON Association relais familles

Les prochains débats seront l’occasion d’aborder les outils et interventions pour le développement des CPS. Je dirige une petite association de prévention dans les Yvelines qui mène des projets sans nécessairement les évaluer et qui rencontre des difficultés à obtenir des fonds. Je suis représentatif des acteurs de terrain qui mènent des actions avec toute leur bonne volonté, sans nécessairement connaître l’ensemble des tenants et des aboutissants théoriques de leurs pratiques. Par conséquent, cette demi-journée de débat permettra probablement d’alimenter ma pratique de nouveaux outils.

Le cartable des compétences psychosociales

D’un « tâtonnement expérimental » à une capitalisation des savoirs et des expériences

Marie-Odile WILLIAMSON Directrice du pôle Loire-Atlantique, IREPS Pays de la Loire

Les échanges de la matinée ont révélé les difficultés en France à faire le lien entre les acteurs de terrain et les chercheurs. Dans ce contexte, notre action vise à intégrer les apports scientifiques dans les projets d’établissements. L’idée du nom du site Internet que nous avons développé nous est venue lors d’un séjour d’immersion professionnelle au sein d’une équipe de prévention québécoise. Cette équipe développait un programme de prévention dénommé le « cartable ». Le cartable des CPS est né de la volonté de partager une expérience acquise lors de la mise en œuvre d’un programme de renforcement des CPS chez des enfants de 7 à 12 ans en milieu scolaire. Ce programme de prévention des conduites addictives a débuté en 2001, après une période expérimentale de trois ans. Il a concerné jusqu’en 2013 6 000 enfants et perdure encore aujourd’hui. Le paysage des CPS en France a fortement évolué ces 15 dernières années. A l’époque, l’approche par les CPS relevait d’une stratégie innovante et l’éducation à la santé en milieu scolaire était moins développée. Dans ce contexte, notre programme régional de renforcement des CPS s’est développé en 2001 autour de trois axes : - promouvoir le renforcement des CPS dans les pratiques éducatives ; - soutenir les intervenants autour d’un programme innovant ; - mutualiser des savoirs pédagogiques et méthodologiques. Il s’agissait alors de définir des critères d’implantation adaptés à la spécificité du programme, notamment en intervenant au minimum deux ans auprès d’une même population d’enfants et de mener 15 à 20 séances de travail. Il s’agissait également d’intervenir en co-animation avec les enseignants, de leur permettre de s’approprier des méthodes interactives et expérientielles et de construire des séances adaptées aux différents contextes d’action. Ainsi, notre démarche était proche du « tâtonnement expérimental », cher à Célestin Freinet, même si elle s’appuyait sur des

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programmes existants comme « Contes sur moi » au Québec ou « Mieux vivre ensemble dès l’école maternelle ». D’une certaine manière, notre programme est issu d’un « copier-créer ». Notre démarche était néanmoins structurée et s’est articulée autour de regroupements régionaux permettant des échanges entre experts de différents champs. Nous avons rédigé un premier cahier des charges d’un référentiel des CPS à l’usage des intervenants et nous avons constitué une abondante matière de travail qu’il nous est apparu judicieux de diffuser plus largement. Pour favoriser cette mutualisation des savoirs, nous avons retenu en 2010 le principe d’un site Internet qui correspondait bien à des pratiques en permanente évolution. Il nous était de plus difficile de s’engager sur un outil long à construire et le projet du site Internet présentait l’avantage de pouvoir être alimenté régulièrement. Dans ce contexte, nous avons conçu le site www.cartablecps.org.

Un site Internet comme outil de transfert de connaissances et de construction de projets

Magali SEGRETAIN Chargée de mission en éducation pour la santé, IREPS Pays de la Loire20

Le site du cartable des CPS a été conçu comme une boîte à outils au sein de laquelle l’utilisateur peut piocher des idées, des activités et des outils pour construire son propre projet. Son utilisation s’accompagne néanmoins de repères. Ainsi, le site Internet comprend une rubrique « les CPS en théorie » qui propose des repères théoriques sur la nature, l’origine et l’usage des CPS. La rubrique « de la théorie à la pratique » définit les différentes CPS et offre également des repères pédagogiques et méthodologiques permettant à l’utilisateur de construire son projet. Elle rappelle aussi qu’au-delà d’un programme de séances collectives, le renforcement des CPS suppose des aptitudes éducatives portées au quotidien par les encadrants des enfants. La rubrique « se repérer dans les CPS » propose également des définitions des CPS, dont l’intitulé est simplifié. Par exemple, une fiche « émotions » offre des éléments de définition, associe des mots-clés et formule une proposition de construction pédagogique en déclinant chaque CPS en sous-thèmes. Par exemple, le thème « savoir gérer ses émotions » est décliné en un programme associé à des activités abordant quatre sous-thèmes : « le B.A BA des émotions », « émotion et situations », « émotions et réactions », « gestion des émotions ». Des objectifs sont reliés à chaque sous-thème auquel sont associées des activités dont le descriptif est téléchargeable dans la rubrique « les CPS en pratique ».

20 Ancienne enseignante en physique-chimie, Magali Segrétain anime notamment des formations sur les CPS.

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Figure 5 - La fiche « Savoir gérer ses émotions » du cartable des CPS

La rubrique « CPS en pratique » propose deux entrées pour construire un programme : une entrée par activité, qui donne accès à une banque d’activités, et une entrée par les parcours. Par exemple, la compétence « émotions » donne accès à une liste non-exhaustive d’activités. De cette manière, le cartable des CPS offre un matériau pour concevoir des séquences pédagogiques en tenant compte d’une variété d’objectifs. La fiche-activité précise le déroulement de l’activité21 et donne accès à des annexes. Enfin, les activités sont caractérisées par une typologie (activités d’exploration, d’appropriation, etc.). L’entrée par les parcours débouche sur des propositions de séance et un guidage sur deux ou trois séances thématiques. Elle décrit complètement la séance, de l’accueil des enfants à sa clôture, et tient compte des principes pédagogiques répertoriés dans la rubrique « de la théorie à la pratique ». Pour conclure, le cartable des CPS a été conçu comme un moyen d’outiller ses utilisateurs mais il sert aussi à communiquer sur les CPS. Marie-Odile WILLIAMSON Ce site est un support important de formation des professionnels et d’accompagnement de projets. En 2013, notre investissement dans le champ des CPS a été à l’origine de 27 journées de formation, de 85 conseils méthodologiques et de 14 projets accompagnés. Les CPS sont devenues le premier sujet de sollicitation de l’IREPS des Pays de la Loire. Dans notre région, le site a été visité 2 386 fois en 2013 et a été utilisé par 1 395 utilisateurs. Grâce à cette expérience, nous avons constaté un intérêt grandissant pour le renforcement des CPS et des phénomènes d’appropriation de ces enjeux par les acteurs de terrain. Cette expérience a aussi généré des implantations de projets intersectoriels et pluridisciplinaires construits à la demande d’établissements

21 Par exemple, la fiche les « émotions en tableau » distingue une étape d’activité/expérimentation, une étape de prise de conscience/analyse permettant une réflexion de groupe et une étape d’élargissement/synthèse/généralisation permettant de récapituler les enseignements de l’activité, de les élargir éventuellement à d’autres situations et d’en tirer une conclusion de groupe.

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scolaires, de structures de jeunesse, d’élus, de parents et d’ESPE. Notre action couvre désormais un spectre qui va de la maternelle au lycée. Le nombre de visites du site a doublé en un an pour atteindre 12 530 visites. La France représente 67 % des visites du site devant des pays comme le Canada et la Belgique. Les Pays de la Loire sont les premiers visiteurs du site devant les régions Île-de-France et Rhône-Alpes. Après sa mise en ligne en 2011, nous aimerions désormais actualiser et développer cet outil avec des mises à jour, la création d’un module d’échanges avec les visiteurs ou la mise en ligne de vidéos. Nous souhaitons également étoffer la liste des sites Internet ressources et mettre en ligne une sélection d’outils pédagogiques.

Echanges avec la salle

De la théorie à la pratique : la gestion du groupe d’enfants

De la salle (Nathalie DESPLANQUE) Lorsque l’on organise des activités avec les enfants, notamment sur le thème des émotions, il arrive que des situations personnelles ressurgissent. Par conséquent, il n’est pas inutile de prévoir en amont de l’activité la présence du médecin scolaire ou d’une psychologue car il n’est pas toujours aisé de gérer une situation individuelle dans le cadre d’une activité de groupe. Marie-Odile WILLIAMSON En effet. La rubrique « entre théorie et pratique » vise justement à faire le pont entre repères théoriques et modalités pratiques de mise en œuvre d’un programme. Il est par exemple conseillé d’organiser des interventions en binôme afin de pouvoir faire preuve d’une disponibilité satisfaisante. Il convient également de travailler en lien avec l’équipe de l’établissement et de disposer de relais éducatifs qui assurent la continuité de la séance et l’intégration pédagogique des CPS. A la mise en ligne du cartable des CPS, notre équipe s’est interrogée sur les conditions d’utilisation des informations diffusées. A cet égard, nous assurons des formations qui visent à sécuriser les programmes de renforcement des CPS. Néanmoins, nous avons pris le parti de diffuser ce cartable des CPS et nous avons misé sur la consolidation d’une démarche globale en matière de CPS.

Des guides d’intervention pour le développement des compétences psychosociales en milieu scolaire

La difficile élaboration d’un projet de transfert des connaissances et des pratiques

Béatrice LAMBOY Responsable du pôle « populations et cycles de vie », Inpes

L’Inpes travaille depuis plusieurs années sur l’élaboration de guides de développement des CPS. Ce projet s’inscrit en lien direct avec nos missions d’élaboration de programmes de prévention et de promotion de la santé. Notre objectif est de s’appuyer sur les nombreuses données scientifiques et les expériences accumulées dans ce champ depuis 30 ans pour assurer un transfert de connaissances et de pratiques entre le champ scientifique et le champ professionnel. L’Inpes entend ainsi diffuser des outils fondés scientifiquement et adaptés au contexte français. Depuis près de dix ans, la direction des affaires scientifiques de l’Inpes synthétise les données issues du champ des CPS. Depuis 2005, elle a effectué une quinzaine de synthèses de la littérature relative aux interventions efficaces en prévention et en promotion de la santé. Ce travail de synthèse a permis de mettre en évidence des centaines d’interventions validées scientifiquement ; la majorité d’entre-elles s’appuie pour tout ou partie sur le développement des CPS.

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Notre projet s’inscrit également dans la continuité d’un long parcours d’expérimentation et d’évaluation de programmes validés scientifiquement. Cette démarche n’a pas toujours fonctionné comme nous le souhaitions mais a nourri notre projet actuel. En 2005, l’Inpes a soutenu l’implantation en France d’une adaptation du programme de Visite à domicile (VAD) de David Olds, une référence en matière d’intervention précoce (le projet CAPEDP). En 2008-2009, nous avons tenté d’implanter le programme SFP. Cette tentative n’a pas fonctionné comme planifié mais ce programme a continué à vivre par ailleurs. En 2009-2010, nous avons tenté d’implanter avec peu de succès le programme Brindami développé au Québec par Richard Tremblay. Nous avons ainsi constaté qu’il n’était pas forcément aisé d’implanter en France des programmes dont la forme des interventions et le contexte théorique n’étaient pas connus ou compris. Par exemple, l’approche psychoéducative visant à développer les CPS n’était pas forcément comprise il y a cinq ans. Le cadre théorique de ces programmes était méconnu et nous étions taxés de comportementalistes. De plus, nos protocoles expérimentaux en Essai Contrôlé Randomisé (ERC)22 étaient mal compris et les formats de type kit, programme structuré, standardisé voire minuté à l’image du programme de Karol Kumpfer, n’étaient pas forcément bien reçus. Cette transmission de savoir était vécue comme trop directive et revêtait une coloration anglo-saxonne mal perçue.

Vers un outil de transmission des savoirs souple et adapté au contexte français

Malgré ces difficultés, l’Inpes était entouré d’acteurs français qui utilisaient déjà des programmes de développement des CPS et qui l’ont soutenu dans son projet dont les objectifs opérationnels ont évolué progressivement. Désormais, il vise à mettre à disposition des professionnels français les savoirs et savoir-faire contenus dans les principaux programmes validés de développement des CPS selon un format adapté au contexte français. Nous réaliserons plusieurs guides à destination des enfants et des parents. Ces guides répondront à la demande de compréhension des fondements théoriques de ces programmes. En réponse à la critique sur la logique de programme, nous proposerons une boîte à outil flexible à partir de laquelle le professionnel sera libre de construire son propre programme en fonction de ses affinités et de son contexte d’action. En tant qu’organisme public, nous sortirons également de la logique des programmes concurrents et nous dégagerons les composantes communes aux différents programmes en nous appuyant par ailleurs sur une capitalisation des expériences et des savoir-faire français qui se développent actuellement à un rythme soutenu. Nous avons mis en place en 2010 un groupe de travail resserré réunissant des professionnels utilisant des programmes de développement des CPS validés. Ce groupe comprenait notamment des acteurs de terrain (psychologues, formateurs, chargés de mission) et des enseignants-chercheurs. Notre guide s’appuie sur le cadre conceptuel des CPS porté par des organismes internationaux comme l’OMS et par l’abondante littérature scientifique en la matière. Il s’appuie également sur cinq programmes internationalement validés, reconnus et traduits en France : le programme SFP, le programme Incredibles Years Series de Carolyn Webster-Stratton, le programme Parent

22 Les ERC sont souvent utilisés en médecine pour tester l'efficacité de plusieurs approches thérapeutiques dans une population de patients. Les sujets sont aléatoirement répartis parmi les groupes correspondants à chaque approche thérapeutique testée. Ensuite, on vérifie que les deux populations sont proches en comparant les caractéristiques de base, dont les caractéristiques démographiques. L'intérêt de la randomisation est qu'elle limite les biais de sélection et permet une répartition homogène entre les groupes des facteurs connus et inconnus. Dans la mesure du possible, lors de l’intervention thérapeutique, les sujets, les thérapeutes et les évaluateurs ne savent pas si le patient reçoit un traitement médicamenteux ou quel traitement médicamenteux il reçoit. Ceci permet que la seule variable qui soit différente entre les groupes soit le traitement. Cette stratégie permet un maintien de la comparabilité.

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Effectiveness Training23 de Thomas Gordon, le programme Brindami et le programme Life Skills training de Gilbert Botvin.

D’un guide unique à plusieurs guides d’intervention destinés aux parents et aux enfants

Initialement, nous souhaitions élaborer un guide unique comprenant un volet CPS-enfant et un volet CPS-parent. Cependant, les professionnels intervenant auprès des enfants et ceux intervenant auprès des parents étant assez différents, nous avons créé un groupe « enfants » et un groupe « parents » chargés de concevoir deux types de livrables : un guide des CPS à destination des parents et un guide voire plusieurs guides à destination des enfants. Le guide destiné aux parents comprend une première partie théorique fournissant une présentation détaillée des CPS. Elle présente également les fondements et les mécanismes des ateliers de développement des CPS des parents et les programmes d’appui du guide. Enfin, elle comprend une présentation théorique des trois modules du programme et de 14 CPS communes aux différents programmes. La deuxième partie du guide porte sur la méthode et rappelle les principes pédagogiques spécifiques aux CPS. Elle comprend 14 fiches-compétences regroupées en trois modules. Ces fiches rappellent les savoirs essentiels en matière de CPS et proposent quatre à cinq activités par fiche. Le premier module d’intervention en direction des parents, « avant d’agir », rappelle des compétences de base. Il vise à identifier la nature de la situation relationnelle pour mobiliser les techniques de résolution de problèmes adaptées à la situation. Il vise également à permettre de réguler ses émotions avant d’agir. Le deuxième module vise à construire une relation et un climat familial positifs. Il regroupe trois compétences principales : « valoriser les comportements positifs », « communiquer de façon positive » et « formuler ses attentes de façon constructive ». A partir de ce socle nécessaire au bien-être personnel et à un contexte relationnel positif, le troisième module vise à faire face aux difficultés relationnelles parents-enfants. Dans ce module, trois grands types de contexte relationnel ont été identifiés : « résoudre un problème qui concerne l’enfant », « résoudre un problème qui oppose l’enfant et le parent », « résoudre un problème qui relève de l’adulte ». Lorsque l’enfant est en difficulté, le parent peut l’accompagner par des compétences d’écoute active et de résolution de problème. Lorsqu’un problème oppose l’enfant et le parent, il s’agit de résoudre le conflit de sorte qu’il n’y ait pas de perdant. Lorsque le problème ne relève que de l’adulte, il s’agira d’employer différentes techniques alternatives à la punition24. Le guide des CPS destiné aux parents a été largement remanié et fait l’objet d’une dernière relecture interne avant une possible édition. Nous envisageons de le déployer via une stratégie de développement des partenariats. Le guide CPS destiné aux enfants répond globalement au même format. Une partie théorique présente les CPS et les ateliers de développement des CPS. Une partie pratique regroupe 11 fiches-compétences regroupées en trois modules. Par ailleurs, nous réfléchissons à développer une version numérique de ce guide. Le guide destiné aux enfants s’articule autour de trois grands types de compétences : « être bien avec les autres - développer ses compétences relationnelles », « savoir analyser et résoudre des problèmes – développer ses compétences cognitives », « être bien avec soi - développer ses compétences émotionnelles ». Le module relatif aux compétences relationnelles aborde les compétences « créer des relations satisfaisantes », « communiquer efficacement », « s’affirmer et résister à la pression des pairs ». Le module relatif aux compétences cognitives aborde les compétences « développer une pensée », « résoudre des problèmes », « demander de 23 Le programme Parent Effectiveness Training a été un programme fondateur du champ parental. Datant des années 1960 et inscrit dans un courant humaniste, il n’a pas fait l’objet d’un protocole de validation scientifique classique mais son contenu se retrouve dans l’ensemble des programmes parentaux validés scientifiquement. 24 Ignorer les comportements gênants sans conséquence, exprimer son désaccord de façon constructive, modifier l’environnement, réorienter un comportement gênant, mettre temporairement à l’écart, mettre en œuvre la technique des conséquences logiques et du retrait de privilèges.

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l’aide », « prendre des décisions ». Enfin, le module relatif aux compétences émotionnelles aborde les compétences « être bien avec soi-même », « gérer son stress », « gérer sa colère », « avoir une bonne estime de soi ». Nous finalisons actuellement un guide des CPS destiné aux enfants de 8 à 11 ans. A l’automne prochain, nous développerons des expérimentations et des évaluations en milieu scolaire. En cas de succès, nous concevrons des guides destinés à d’autres tranches d’âge.

Echanges avec la salle

Vers un élargissement progressif du périmètre des guides d’intervention ?

Xavier D'AUZON Il est intéressant de pouvoir mesurer les difficultés d’élaboration de ce projet. A cet égard, Carl Rogers disait : « il ne faut pas parler d’erreur mais d’expérience ». Il conviendrait par ailleurs d’investir les risques psychosociaux liés aux activités de prévention car les professionnels de ce secteur, qui œuvrent au bien-être des familles, rencontrent parfois eux-mêmes des difficultés. De la salle (Gérard CORUBLE) Votre guide porte davantage sur les enfants que sur les adolescents. A partir de l’adolescence, est-il nécessaire de développer une approche des CPS par genre ? Béatrice LAMBOY Nous progressons prudemment sur des thèmes consensuels. Nous avons dégagé des CPS génériques sur les 8-11 ans que nous espérons décliner prochainement sous forme de modules à destination des petits enfants, mais aussi des collégiens de 6ème et 5ème. Il s’agira aussi à l’avenir d’utiliser ces CPS dans le cadre de programmes sur des thématiques de santé (addictions, santé sexuelle). A cet égard, un document de l’OMS montre qu’il est possible d’adapter chaque CPS à des problématiques de santé.

La diversité des approches de développement des compétences psychosociales

De la salle (Michel CLAEYS, président de l’Association pour l’éducation émotionnelle) Il ne s’agit pas de fournir aux enseignants des solutions univoques. Il faut leur offrir une batterie d’outils qui incite à l’auto-apprentissage afin qu’ils développent eux-mêmes des solutions adaptées aux problématiques de leurs élèves. Magali SEGRETAIN Le cartable des CPS vise à mettre des outils à disposition des intervenants qui les adaptent à leurs pratiques. Il offre un matériau pour consolider un programme de l’école primaire au collège. Il s’adapte même aux adolescents en fin de collège. Les intervenants utilisent le cartable par l’entrée compétence ou par l’entrée thématique pour donner du sens à leurs actions. Les méthodes actives permettent également de mobiliser les CPS sans aborder de front les thèmes de la connaissance de soi ou des émotions. De la salle (Colette CATALAYOUT) Les portes d’entrée des stratégies de développement des CPS sont diverses. Il peut s’agir de parler, de sourire et de vivre ensemble. L’évocation de sujets simples rejoint le travail de développement des CPS, y compris lorsque cela est fait sans le savoir à la manière d’un Monsieur Jourdain. Nous avons la chance d’être éclairés par des chercheurs qui nourrissent de théorie nos pratiques. Le travail mené dans des Zones d’éducation prioritaire (ZEP) au sein de collèges difficiles en lien avec

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les enseignants rejoint ces approches. Il faut clarifier par notre travail ces CPS pour partager plus largement les enjeux de santé publique.

La fin des résistances françaises aux approches de développement des compétences psychosociales ?

Xavier D'AUZON Cette approche par les CPS semble bienveillante et constructive. Pourtant, elle rencontre des résistances de la part des acteurs de terrain. Comment l’expliquez-vous ? Béatrice LAMBOY D’abord, le format de ces guides doit être adapté au contexte d’intervention. Or, l’approche par programme, a fortiori portée par un organisme national, peut générer des incompréhensions. De plus, ce format étant anglo-saxon, il est parfois rejeté. Dans ce contexte, nous travaillons à l’adaptation d’un format susceptible de promouvoir les CPS qui constituent un déterminant majeur de santé, de bien-être et de réussite éducative. Pour ce faire, il convient de construire un format tenant compte des pratiques de terrain mais aussi de la richesse des données scientifiques. La réalisation de ce transfert et de ce partage de savoirs et de pratiques est notre objectif. Marie-Odile WILLIAMSON Après des résistances françaises au développement des approches de développement des CPS, nous parvenons à un stade de maturité et ces approches font l’objet d’une véritable demande de la part des enseignants qui rencontrent des difficultés liées notamment à l’enjeu du vivre-ensemble. L’exercice du métier d’enseignant revêt désormais une vaste dimension éducative et les CPS répondent à de véritables besoins des enseignants. Les personnes a priori réfractaires à l’implantation de ces projets sont parfois des personnes vigilantes, dotées d’un fort esprit critique. Elles peuvent devenir ensuite des collaborateurs très impliqués. A contrario, certains partenaires précocement favorables à ces démarches se désengagent parfois. Face à ces tendances, il convient d’effectuer un travail de longue haleine et de développer des dynamiques de travail collectif. Magali SEGRETAIN Ancienne enseignante, j’ai observé qu’il était plus facile de faire porter ces projets par l’ensemble de la communauté éducative plutôt que par des enseignants seuls. Par ailleurs, ces résistances sont parfois utiles pour donner du sens aux projets de développement des CPS et favoriser leur appropriation dans une démarche progressive. De la salle (Marc VANDEZANDE, IREPS de Franche-Comté) Les obstacles au développement de ces projets ne sont-ils pas liés à l’absence d’heure de formation dédiée ? La consolidation d’un horaire dédié permettrait à ces programmes de se développer de manière homogène. Sans cela, certains enseignants motivés seront contraints d’inclure ces enseignements dans leur programme scolaire au « chausse-pieds », en utilisant à la carte le cartable des CPS, et sans pouvoir déployer un programme complet et efficace de développement des CPS. Béatrice LAMBOY En France, il est essentiel de proposer des solutions souples. Aussi, il convient de proposer plusieurs options à différents niveaux. Des programmes comme SFP et ESPACE s’inscrivent dans une véritable logique programmatique. Parallèlement, le cartable des CPS ou les guides de l’Inpes proposent des boîtes à outils. Par ailleurs, l’Inpes consolide en lien avec la DGESCO un cadre de référence des CPS qui entend avoir une influence sur la politique éducative. Ainsi, nous développons une variété de modalités d’interventions et un plaidoyer national afin de favoriser le développement des CPS.

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L’approche par les compétences psychosociales : vers l’avènement d’un nouveau paradigme ?

De la salle (Michel CLAEYS) L’approche par les CPS consacre un changement de paradigme dans l’éducation et inaugure un processus de transformation inévitable. Il s’agit d’une montée de marée que certaines digues de résistance tentent de contenir. Cependant, une prise de conscience globale se dessine et cette marée envahira l’ensemble du pays. Il convient d’accompagner ce processus de transformation relativement naturel sans se soucier des barrières. Nous répondons à une demande sociale et je ne suis pas inquiet pour ce processus qui se développera à son propre rythme. Marie-Odile WILLIAMSON La rencontre des initiatives du « haut » - les politiques de l’Inpes et de l’Education nationale - et des initiatives du « bas » - les actions des intervenants de terrain - créée une véritable complémentarité qui contribuera à favoriser les besoins et la diffusion de ces approches. Xavier D'AUZON Ne faut-il pas se méfier d’une utilisation à la carte de ces programmes qui nuirait à la pertinence d’une approche globale ? De la salle (Cécile LE GOFF, IREPS Aquitaine) L’IREPS d’Aquitaine propose une formation aux enseignants, aux infirmiers et aux assistantes sociales scolaires afin de développer les CPS des enfants. Au cours de cette formation, une enseignante en SVT s’est rendu compte que sa pratique d’éducation à la santé n’était pas idéale. De ce fait, elle a transformé radicalement sa manière d’enseigner, en distillant quotidiennement des savoirs en CPS par des travaux de groupe ou des méthodes d’écoute active. Le développement des CPS est un travail quotidien qui nécessite un changement profond des méthodes pédagogiques françaises.

Quels moyens humains pour diffuser les compétences psychosociales ?

De la salle (Sylviane RONDET, infirmière scolaire, académie de Créteil) Les enseignants font en permanence l’objet de nouvelles demandes et sont généralement de bonne volonté. Néanmoins, il est attendu d’eux qu’ils se forment seuls au développement des CPS. Ne faudrait-il pas plutôt dédier des moyens humains pour diffuser ces approches, notamment par l’installation de personnes-référentes ? Sans politique volontariste, la marée montera très lentement. Cécile Le GOFF Il existe au sein de l’Education nationale des infirmières scolaires chargées de mission en éducation à la santé qui sont les personnes-ressources en la matière. Magali SEGRETAIN Nous recevons déjà des enseignants en formation. Certains apprécient les interventions progressives en co-animation tandis que d’autres découvrent par eux-mêmes des outils comme le cartable des CPS. Par exemple, une infirmière scolaire a récemment découvert le cartable des CPS qu’elle a promu auprès de trois enseignants qui se sont inscrits à des formations relatives aux CPS. Les personnes sont capables de s’emparer des outils mis à leur disposition pour développer des stratégies d’équipe. Néanmoins, il serait évidemment préférable que des moyens supplémentaires soient alloués à la formation aux CPS. Michel CLAEYS Il ne faut pas uniquement compter sur la motivation des individus et il serait judicieux que les autorités nationales créent un cadre favorable au développement des CPS. A cet égard, je me

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réjouis du fait que les CPS fassent partie depuis une dizaine d’années des objectifs de l’Education nationale. Nous attendons désormais l’étape suivante.

Former les enseignants aux compétences psychosociales : l’approche de l’éducation émotionnelle

Un éventail de stratégies pédagogiques

Xavier D'AUZON Une participante m‘a fait remarquer que les présentations concernaient principalement le milieu scolaire. Certains programmes, comme CAPEDP, ne sont cependant pas axés autour du milieu scolaire. Nous rediscuterons de ce point.

Michel CLAEYS Psychothérapeute, président de l’Association pour l’éducation émotionnelle

Ma présentation portera sur la formation des enseignants, sachant que l’éducation émotionnelle25 concerne plus généralement l’ensemble des prises de conscience, des relations et des modes de résolution de problème des individus. Elle est un moyen de réussite de l’individu et de la collectivité humaine. L’Education nationale a introduit les CPS dans son programme et il convient de s’interroger sur les modalités de formation des enseignants aux CPS et sur leur application. Pour ce faire, il faut faire évoluer le cadre pédagogique vers des stratégies pédagogiques adaptées. De nombreux enseignants considèrent que les CPS ne relèvent pas de leurs missions. Or, l’éducation requiert des compétences de communication et de gestion de groupe. Tout éducateur se doit de pouvoir appliquer des stratégies pédagogiques adéquates comme la pédagogie active, la pédagogie positive, la pédagogie coopérative, la pédagogie diversifiée ou la pédagogie démonstrative.

La pédagogie active

Qu’est-ce que la pédagogie active ? Depuis plusieurs heures, vous êtes assis et vous écoutez nos exposés. Nous vous parlons d’une estrade éclairée et vous êtes silencieux dans l’ombre. Il s’agit de l’exact opposé de la pédagogie active. Pour changer de stratégie, je vous demanderai de vous lever. Qui vous a fait vous lever ? C’est moi. Maintenant, embrassez votre voisine. Qui vous a fait embrasser votre voisine ? C’est moi. Maintenant, égorgez votre voisine. Qui vous empêche d’égorger votre voisine ? Vous-même. Cette démonstration prouve que nous sommes toujours maîtres de ce que nous faisons. Je n’ai pas le pouvoir d’actionner vos muscles. Je peux vous inviter à faire quelque chose mais vous êtes libres de répondre ou non à ma demande. Je vous demande maintenant de penser à quelque chose que vous faites car vous y êtes contraint et de le formuler sous forme affirmative. Par exemple « je dois payer mes impôts ». Prenez-un instant pour réfléchir à ce que cette affirmation génère chez vous. Ce ressenti est pesant. Maintenant, formulez différemment cette pensée, sous la forme de « je choisis ». Ressentez-vous une différence ? Il ne s’agit pas de la même énergie ni du même ressenti. La réappropriation de son choix, de sa propre puissance, entraine une dynamique toute autre. Nous sommes créateurs de notre propre réalité. Cette prise de conscience est importante. Quoique l’on fasse, nous choisissons de le faire.

25 L’éducation émotionnelle vise à développer les compétences liées aux différents aspects de la relation à soi-même, aux autres, à l’environnement et à la collectivité. Elle offre des apprentissages en relation avec le bien-être physique, émotionnel et mental, le développement personnel, l’intégration sociale, l’équilibre intérieur et la gestion de son existence. Elle s’adresse à tous les âges mais se concentre par priorité sur les enfants, adolescents et jeunes adultes (source : www.education-emotionnelle.com).

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Dans certaines situations, on vous impose des choses. Cependant, la contrainte ne fonctionne pas. Elle implique la soumission, la démotivation voire l’infantilisation. En revanche, le choix renforce la motivation et donne de l’énergie. Songez à une situation agaçante à l’occasion de laquelle vous diriez « je me sens irrité, triste, en colère quand tu fais cela ». Cette pensée génère un ressenti désagréable. Reformulez cette affirmation de la manière suivante : « je choisis de me mettre en colère quand tu fais cela ». Quelle est la différence ? Vous renouez avec le sentiment d’être créateur de votre réalité et de vous réapproprier vos choix. L’autre nous fait généralement ressentir quelque chose alors que nous avons en réalité le choix de ressentir autre chose. Cette démonstration illustre le fait qu’il est possible de se positionner comme victime ou comme créateur, selon que l’on se réapproprie la conscience de ses choix. Quoique l’on pense, ressente ou fasse, nous choisissons de penser, de ressentir ou de faire. Cette façon de travailler vous fait participer à une expérience, elle implique le groupe et l’enseignement prend alors de l’intérêt. Cette démonstration montre aussi que le choix a une place centrale dans la motivation des individus. Lorsque mon enfant de cinq ans refuse d’aller au bain, je peux l’empoigner de force ou lui demander ce qu’il prendra comme jouet dans le bain. De cette manière, il fera un choix plutôt que d’entrer en confrontation et me suivra. Reconnaître le choix permet de dégager une motivation. Ainsi, l’enseignant doit modifier son approche pour passer de celui qui délivre une information à celui qui est le « coach » d’un auto-apprentissage. Cette approche consacre un changement de paradigme. Elle n’est pas nécessairement complexe à mettre en œuvre mais requiert du savoir-faire, un soupçon d’expérience, quelques outils et une prise de conscience. Le « coach » d’auto-apprentissage assiste l’élève dans la clarification de ses choix et la fixation de ses objectifs. Les résultats de la contrainte seront moins fructueux et elle n’engendrera au mieux que de la soumission. Un parent peut refuser d’assumer le rôle de gendarme pour assister l’enfant dans la fixation de ses objectifs, notamment par l’établissement de petits « contrats ». Ces stratégies pédagogiques sont essentielles pour développer les CPS.

La pédagogie positive

Un enfant récalcitrant sera blâmé et critiqué. Cette stratégie pédagogique n’est pas la bonne. Il convient de passer d’un rapport autoritaire à un rapport émancipateur par une pédagogie positive. Il s’agit d’être dans l’écoute et la reconnaissance de ce que l’enfant ressent, d’être dans un dialogue qui permet d’aboutir à un « contrat ». Il s’agit de motiver l’enfant et de valoriser les petites choses qu’il parvient à faire plutôt que de se focaliser sur les grandes choses qu’il ne parvient pas à faire. Ce changement de paradigme ne s’improvise pas, il s’enseigne. A long terme, il sera impossible de faire l’économie de la formation à ces stratégies pédagogiques. D’ailleurs, de nombreux intervenants demandent déjà ces outils pédagogiques.

La pédagogie coopérative

La pédagogie coopérative est essentielle dans le monde au sein duquel nous évoluons. La classe est un lieu idéal pour apprendre à coopérer. Les apprentissages entre pairs sont souvent efficaces grâce à une mutualisation des savoirs et à un partage des ressources. Le travail en équipe et le développement de projets communs engendrent des résultats très intéressants du point de vue des apprentissages disciplinaires et du développement des CPS nécessaires pour communiquer et s’accepter.

La pédagogie diversifiée

La pédagogie diversifiée repose sur les intelligences multiples. La neuropédagogie a montré que les apprentissages sont plus efficaces lorsque l’on fait appel à différentes formes d’intelligence. Je vous parle et votre cerveau gauche enregistre des informations. Cependant, vous êtes immobiles, vous ne manifestez pas d’émotions. Il est pourtant possible d’inclure le cerveau droit à mon

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intervention, d’y inclure le mouvement, la relation et l’émotion. De nombreux biais facilitent l’apprentissage. Par exemple, si je vous interroge sur les événements de vos 15 ans, je ramènerai peut-être à votre mémoire des épisodes marquants. Ces épisodes vous auront probablement davantage touché émotionnellement qu’intellectuellement. La mémoire fonctionne généralement mieux lorsqu’elle est liée à l’émotion. La dimension émotionnelle et affective ne peut être séparée de la performance des apprentissages. Un élève aimé, apprécié ou valorisé apprendra ainsi mieux que l’élève critiqué et mal-aimé. Sans amour, les dresseurs d’animaux n’obtiennent rien et cela vaut aussi pour les enfants.

Les pédagogies ludique et démonstrative

La pédagogique ludique réintroduit le plaisir dans les apprentissages des enfants et favorise les mécanismes d’apprentissage. Elle réintroduit le jeu, la participation active, les possibilités de changements de rôle et de prises de risques ludiques. Les activités ludiques de groupe développent la confiance et de nouveaux rapports entre leurs participants. Elles instaurent un climat favorable à un travail coopératif. La pédagogie démonstrative suppose de la part de l’enseignant de démontrer les compétences qu’il souhaite enseigner. Cette pédagogie met en lumière la nécessité de former les enseignants eux-mêmes aux CPS.

Former et outiller à l’enseignement des compétences psychosociales

L’acquisition des CPS requiert un travail sur soi et des mises en situation. Les enseignants doivent eux-mêmes mettre en pratique les CPS qu’ils enseignent. Il s’agit notamment de développer leur capacité à gérer son stress et ses émotions pour transmettre des CPS aux élèves. Aussi, il convient de les outiller sur les thèmes de la communication, des émotions ou de la formulation des demandes. Il faut également leur fournir les outils permettant d’offrir aux élèves une expérience susceptible d’engendrer une prise de conscience plutôt qu’un discours (jeux, mises en situations, etc.). Ces outils prennent la forme de cercles de parole ou d’activités d’exploration personnelle. Par exemple, il est possible d’interroger l’enfant sur ce qu’il aime de lui-même et de sa vie ou sur ce qui le fâche avant de mettre en commun cette exploration personnelle. Les activités artistiques et corporelles, le travail en équipe, le théâtre, les jeux de rôle sont autant d’autres outils de travail à explorer. De la même manière, le travail intérieur (respiration, relaxation, visualisation), les contes ou l’écriture sont mobilisables. J’ai publié plusieurs ouvrages sur l’éducation émotionnelle depuis une dizaine d’années parmi lesquels L’éducation émotionnelle de la maternelle au lycée. Ma préoccupation est de proposer non seulement un cadre théorique mais surtout des outils pratiques (jeux, activités pédagogiques) sur les manières d’inviter un groupe à intégrer des apprentissages liés à des activités pédagogiques.

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Figure 6 – L'éducation émotionnelle de la maternelle au lycée, éditions Le souffle d'or, 2013

Quelles solutions de formation aux compétences psychosociales pour les enseignants ?

Idéalement, la formation des enseignants aux CPS devrait être effectuée dans un cadre officiel. Nous atteindrons vraisemblablement cet objectif mais ce n’est pas le cas actuellement. En attendant, des centaines d’associations proposent des outils, des espaces d’échange ou des formations aux CPS. A titre personnel, j’organise depuis quatre ans un forum de l’éducation émotionnelle au mois de juillet26. Ce forum, qui réunit un public composé d’environ 80 % d’enseignants cette année, est l’occasion de réunir une centaine de participants au sein d’ateliers sur les thèmes de la formation et de l’application d’outils pédagogiques. Le forum de l’éducation émotionnelle est l’un des très nombreux outils à disposition des personnes désireuses de développer les CPS. Au regard de l’offre et de la demande en matière d’outils de développement des CPS, il est possible de progresser dans ce champ sans attendre que le ministère de l’Education nationale ne développe des approches plus formelles. Ces formations aux CPS portent aussi bien sur le savoir-être que le savoir-faire. Il s’agit également d’offrir un programme de formation diversifiée aux enseignants en les entourant d’une équipe de formateurs aux compétences diverses. Le forum de l’éducation émotionnelle a par ailleurs vocation à devenir itinérant pour répondre à des demandes ponctuelles. Enfin, il faudrait définir un niveau de formation élémentaire des enseignants aux CPS.

26 Pour plus d’informations, consultez le site Internet http://www.education-emotionnelle.com/.

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Echanges avec la salle

Les émotions, un langage universel ?

De la salle (Aurélie RAULT, Office de la naissance et de l’enfance (ONE), Belgique) Je suis surprise que les programmes de développement des CPS ciblent essentiellement les enfants à partir de six ans et non les enfants plus jeunes. Avant l’âge de six ans, les enfants sont encadrés par des puéricultrices et ont déjà l’occasion de développer leurs CPS. Xavier D'AUZON Nous évoquerons cette question lors de la table-ronde suivante. Michel Claeys, vous vivez depuis 14 ans en Chine. L’expression et la gestion des émotions sont-elles identiques en Orient et en Occident ? Michel CLAEYS Nous sommes tous humains et sommes davantage semblables que différents. J’encadre des formations de psychothérapie sur les rêves et je constate que les rêves des Chinois sont similaires à ceux des Occidentaux. Nous sommes une même famille. Nous rencontrons les mêmes problèmes et nous les solutionnons de manière similaire. En revanche, nos contextes culturels et nos systèmes éducatifs sont différents. En effet, le système éducatif chinois est encore plus rigide que le système français. Les jeunes Chinois sont disciplinés et sujets à une pression considérable car ils évoluent dans un environnement fortement compétitif. En raison de leur caractère relativement soumis, ils obtiennent des résultats satisfaisants mais il leur reste beaucoup de chemin à accomplir en matière de développement des CPS.

Développer les compétences des professionnels pour développer les compétences psychosociales des jeunes : une formation-action en Aquitaine

Vers un « empowerment » des professionnels en matière de compétences psychosociales

Cécile LE GOFF Chargée de projet d’ingénierie en éducation et promotion de la santé, IREPS Aquitaine

L’ARS d’Aquitaine a constaté qu’il existait, en Aquitaine, peu de programmes reconnus fondés sur le développement des CPS. Par conséquent, elle a demandé à l’IREPS d’Aquitaine27 de proposer une formation dans ce champ afin de développer territorialement des programmes fondés sur les CPS. Plutôt que de développer uniquement un savoir autour des CPS, l’IREPS a choisi d’outiller les professionnels pour les mettre en capacité de déployer eux-mêmes un programme de développement des CPS. L’IREPS a identifié les freins à l’implantation, à l’animation et à l’évaluation des programmes de CPS. Ensuite, elle s’est appuyée sur le processus d’apprentissage expérientiel de David Kolb qui montre que les adultes apprennent comme les enfants, selon quatre étapes, et qu’il est nécessaire de respecter ces différentes étapes afin qu’ils bénéficient d’une expérience de l’enseignement dont ils font l’objet. Ils doivent disposer d’un recul vis-à-vis de cette expérience avant de pouvoir

27 L’IREPS d’Aquitaine, financée sur des fonds publics et privés, est membre de la FNES. Sa mission est de renforcer l’éducation et la promotion de la santé au travers de six modalités d’intervention : l’accompagnement méthodologique des projets, l’information via les centres de ressources, le prêt d’outils, la formation, les interventions auprès des publics et la coordination d’acteurs par le biais de réseaux professionnels.

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la conceptualiser et de la mettre en application. L’IREPS a ainsi utilisé les outils de ses centres de ressources et conçu une formation adaptée aux attentes de ses participants (formulées lors de la préinscription). Par exemple, les principales attentes des participants à la formation de Bordeaux portaient sur l’apport d’outils, sur l’amélioration de leurs pratiques ou sur les modalités de mise en œuvre des projets.

Figure 7 – Attentes des bénéficiaires de la formation aux CPS de Bordeaux sous forme de nuage de mots

Les compétences visées à l’issue de la formation étaient les suivantes : - comprendre l’intérêt du développement des CPS ; - maîtriser des concepts d’éducation et de promotion de la santé ; - appliquer la démarche éducative en santé ; - élaborer, mettre en œuvre et évaluer un programme de renforcement des CPS. La formation visait également à acquérir les capacités de repérer et de choisir les interventions de renforcement des CPS et à se positionner comme professionnel-relais en éducation et promotion de la santé. Les sessions de formation-action de l’IREPS, dont le programme avait été en partie défini en fonction des attentes des participants, se sont déroulées sur cinq journées. La première journée de formation portait sur les représentations des CPS, leur définition et leurs limites. La deuxième journée était l’occasion d’une mise en situation des professionnels afin de tester leurs propres CPS et les outils de développement des CPS. Elle a aussi permis de travailler sur la démarche éducative en santé auprès d’un groupe de jeunes (postures professionnelles). La troisième journée a été consacrée à la méthodologie de projets. Ensuite, les participants ont écrit des projets de développement de CPS qui ont été retravaillés à l’occasion de deux journées de regroupement des participants. Deux sessions de formation ont eu lieu en 2012 à Pau et à Bordeaux. Leurs participants ont apprécié les ajustements permanents de la formation à leurs attentes. En revanche, ils ont regretté la brièveté des temps d’écriture des projets. La notion de CPS a parfois posé des problèmes de compréhension. Par conséquent, nous avons utilisé d’autres formulations pour éclairer cette notion (compétences relationnelles, cognitives, etc.). Il conviendrait également de mobiliser les participants par binôme, notamment pour mettre en place ultérieurement les programmes. Les participants se sont déclarés satisfaits du contenu de la formation, de la dynamique de groupe, de la qualité de l’animation et de la présentation des programmes et outils. En revanche, il aurait été souhaitable d’intégrer à cette formation des porteurs de programmes existants. A l’issue de la formation-action, 83 % des participants se déclarent en capacité d’utiliser leurs acquis et 90 % ont l’intention de mettre en œuvre un programme de CPS. D’ailleurs, nous avons effectué cinq

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accompagnements méthodologiques de projets d’implantation à l’issue de la formation. Nous aimerions pouvoir généraliser cette offre d’accompagnement méthodologique à l’ensemble des participants à cette formation.

Le développement de dynamiques d’équipe et de territoires

Suite à cette phase d’expérimentation en 2012, l’ARS a financé trois autres sessions de formation organisées par l’IREPS en 2013 et 2014 à Bordeaux, Pau et Angers. L’IREPS a été sollicitée par trois structures différentes28 et a formé 75 professionnels. Parmi les modifications apportées à la formation, l’IREPS a développé une approche territoriale dans le cadre de deux sessions commandées par un établissement mais proposées à l’ensemble des professionnels d’un bassin de vie (enseignants, conseillers en économie sociale et familiale (CESF), travailleurs sociaux, animateurs). Elle a proposé systématiquement un accompagnement méthodologique des participants entre les trois premiers jours de formation et les deux jours de regroupement, avant un éventuel accompagnement à l’implantation du projet. Elle a également fait intervenir d’anciens participants à la formation, notamment une enseignante en SVT qui a présenté le programme mis en place dans son établissement. Enfin, nous avons fait intervenir nos homologues de l’IREPS des Pays de la Loire pour présenter le cartable des CPS et nous élaborons un guide d’intervention sous forme de DVD qui reprend les éléments clés de la formation. De cette manière, les participants disposeront des principaux enseignements de la formation et pourront éventuellement les transmettre à leurs collègues. En 2013-2014, l’évaluation de la session de formation a révélé une satisfaction globale de 100 % des participants. Ils considèrent, à 85 %, que la durée de la formation est adaptée et apparaissent satisfaits de la qualité des intervenants, de la richesse des échanges et de l’efficacité des outils et des méthodes employés. La session relative à la méthodologie et à l’évaluation des projets pourrait cependant être améliorée. A l’issue de la formation, l’évaluation sommative laisse apparaître une augmentation des compétences des participants de 3,3 points sur 10. Pour parvenir à ce résultat, nous avons comparé avant et après la formation l’auto-évaluation des participants sur leurs compétences. Le pourcentage de probabilité de mise en œuvre d’un programme à l’issue de la formation est de 70 %. Ce score est calculé à partir d’une évaluation prédictive de l’utilisation des compétences acquises fondée sur le modèle Idéal-vouloir-vécu-possible (IVVP). Lorsque les participants remplissent les quatre critères IVVP, il est estimé qu’il est très probable qu’ils mettent en œuvre un programme de CPS. L’ensemble des participants a écrit un projet à l’issue de la formation et six projets sont actuellement en cours. Cette formation-action apparaît satisfaisante. Nous observons une évolution du sentiment de compétences des participants, une volonté encourageante de mise en œuvre des programmes et une implantation effective de programmes. L’ARS a renouvelé son financement à cette formation pour les trois années à venir. Il est envisagé de passer à six jours de formation pour approfondir les aspects de méthodologie et d’évaluation de projets. Une nouvelle session de formation visera les professionnels travaillant auprès des jeunes de 12 à 16 ans alors que la formation était auparavant destinée aux professionnels travaillant auprès des 7-12 ans et des 16-25 ans. Nous serons vigilants au maintien de l’accompagnement méthodologique, important pour la réussite des projets. Par ailleurs, l’évaluation IVVP montre que certaines personnes s’estiment incapables de mener à bien ces projets en raison de leur cadre de travail. Aussi, nous encouragerons les inscriptions à la formation par binôme ou par équipe et nous sensibiliserons les chefs d’établissements pour renforcer la volonté institutionnelle d’implantation des programmes de développement des CPS. De cette manière, nous espérons répondre à l’axe « réorienter les services de santé » de la charte

28 L’Association régionale des missions locales d’Aquitaine (ARML), un collège de Salles, le Comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté inter-établissements (CESCI) de Saint-Médard-en-Jalles.

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d’Ottawa, qui vise à promouvoir la santé par des changements organisationnels et d’attitudes professionnelles pour un travail intersectoriel plus efficace.

Echanges avec la salle

Les limites de l’empowerment des professionnels en matière de compétences psychosociales

De la salle (Gérard CORUBLE) Votre démarche ascendante est intéressante car elle suscite des dynamiques locales, des démarches par binôme et des initiatives territorialisées. Apparemment, elle vise à prodiguer des savoirs sur les CPS et à faire en sorte que chaque participant crée son propre programme de développement des CPS. Cependant, ne serait-il pas plus simple et rigoureux de s’appuyer sur les programmes existants qui ont déjà fait l’objet d’évaluation, en choisissant ceux qui répondent le mieux aux attentes des participants ? Cécile LE GOFF Il convient de laisser le choix aux professionnels de créer leurs propres programmes, adaptés à leur contexte local, institutionnel et à leurs ressources humaines, ou de s’appuyer sur des programmes éprouvés. Cette multiplication des modalités d’intervention est bénéfique pour la diffusion des programmes de développement des CPS. De la salle (Gérard CORUBLE) Comment les programmes créés par ces professionnels seront-ils évalués ? Cécile Le GOFF Nous devons approfondir cette question.

Les compétences psychosociales, un pré carré des enseignants?

De la salle Les différentes présentations évoquent les enseignants mais occultent les différents professionnels des établissements scolaires en contact fréquent avec les enfants. Cécile LE GOFF L’IREPS d’Aquitaine a formé une centaine de professionnels dont une proportion faible d’enseignants. Nous avons formé de nombreuses infirmières scolaires, des conseillers de mission locale en contact avec les jeunes de 16 à 25 ans, des chargés de mission académiques de lutte contre le décrochage scolaire, des animateurs socio-culturels, des CESF. Michel CLAEYS Nous utilisons le terme enseignant pour simplifier mais nous travaillons plus largement avec des bibliothécaires-documentalistes, des chefs d’établissement, des infirmières et avec l’ensemble des professionnels impliqués dans l’éducation des enfants. Marie-Odile WILLIAMSON Au travers de ses formations, l’IREPS des Pays de la Loire a d’abord touché les infirmières scolaires ou les assistantes sociales scolaires. Conformément à la charte d’Ottawa, ce sont les professionnels de santé qui portent essentiellement les préoccupations d’éducation à la santé. Progressivement, nous avons élargi ces publics jusqu’à atteindre aujourd’hui un public composé majoritairement d’enseignants, de conseillers principaux d’éducation (CPE) et d’assistants d’éducation. Nous touchons également un nombre croissant d’animateurs du champ socio-culturel et des loisirs. Ceux-ci apportent une complémentarité d’intervention du point de vue territorial et des lieux de

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développement des CPS, et enrichissent les programmes de développement des CPS. Ces divers publics s’ouvrent progressivement au développement des CPS et témoignent d’un intérêt croissant pour ce sujet.

De la nécessaire souplesse des programmes de compétences psychosociales

Magali SEGRETAIN La formation-action présentée comprend une séquence visant à faire réfléchir ses participants sur leurs propres CPS et sur la méthodologie de projets. Dans le cadre de ce type de séquence, nous faisons réfléchir les participants aux modalités d’implantation d’un programme et à ses critères de qualité. Il est possible d’adapter un programme de CPS tout en respectant des critères de qualité définis dans les programmes préexistants. De plus, l’appropriation souple de ces programmes validés est un gage d’efficacité. Il convient de développer une culture qui ne consiste pas à appliquer des programmes clés en main mais à élaborer des initiatives pédagogiques souples. Marie-Odile WILLIAMSON L’enjeu d’adaptation des programmes est central, notamment au regard de l’interculturalité des établissements scolaires et des lieux de vie. Chacun a la responsabilité d’adapter son projet en tenant compte de ce fait interculturel. Dans certains milieux, les enseignements en CPS sont totalement contre-culturels. Par exemple, la loi du plus fort dans un quartier difficile entre en contradiction avec nos enseignements en matière de coopération et de communication non-violente. Il faut tenir compte de ces phénomènes. Xavier d’AUZON Dans ce contexte, élaborez-vous en amont les programmes de développement des CPS en les adaptant à certaines configurations et à certains publics ou les adaptez-vous en fonction des situations ? Marie-Odile WILLIAMSON Conformément au principe du « tâtonnement expérimental », nous sommes contraints d’apprendre en marchant et de s’appuyer sur nos expériences pour adapter progressivement les programmes. Par exemple, nous sélectionnons les séquences à enseigner en fonction de leur réception et des progrès d’un groupe, dans une logique de programme « sur-mesure ». Désormais, la richesse de notre boîte à outils nous permet de construire les programmes plus facilement. Cependant, certains publics mettent parfois en jeu notre créativité et nous contraignent à bâtir des séquences en fonction des situations. De la salle Animateur territorial en contact régulier avec les enseignants et les personnels des établissements scolaires, j’observe que les projets d’établissement devront s’articuler avec des projets éducatifs territoriaux dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires. Malheureusement, les animateurs sont toujours les derniers informés de ce type de réforme qui est pourtant un bon moyen de progresser dans le champ des CPS, d’autant plus que les enfants passent seulement 10 % de leur temps à l’école et le reste du temps dans d’autres lieux de vie. Michel CLAEYS Il apparaît plus facile pour les non-enseignants d’intégrer les approches de développement des CPS. Pour leur part, les enseignants doivent faire des efforts pour introduire ces approches dans les pratiques de classe et passer d’un rapport enseignant-élève à un rapport enseignant-groupe. Béatrice LAMBOY La présente session est centrée sur le milieu scolaire mais ne reflète pas la diversité des opportunités du champ des CPS que j’ai essayé de démontrer en abordant la parentalité. Le champ

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des CPS peut être appréhendé par plusieurs entrées et exige une dynamique collective pour opérer un changement de paradigme. Nous avons concentré nos échanges sur le milieu scolaire car les premiers programmes de développement des CPS validés dans les années 1970-1980 l’ont été en milieu scolaire. Le postulat de cette validation scientifique était alors qu’il était plus facile de toucher l’ensemble de la population via ce milieu captif et d’y évaluer l’impact des programmes. Ensuite, le champ des CPS s’est diversifié pour embrasser l’environnement des enfants (parents, communauté) et ne pas créer de dissonances entre le développement des CPS de l’enfant et son environnement. Par ailleurs, l’Inpes mène actuellement une démarche avec l’Education nationale, ce qui explique l’accent mis sur les projets en milieu scolaire.

Compétences psychosociales et petite enfance

Xavier D'AUZON Les programmes de développement des CPS concernent-ils la petite enfance ? Béatrice LAMBOY L’Inpes n’a pas encore développé de projet de développement des CPS pour l’ensemble des tranches d’âge. Nous avions développé un projet d’implantation du programme « Brindami », destiné aux enfants accueillis en crèche, mais celui-ci n’a pas abouti. En revanche, nous travaillons à l’adaptation de ce programme pour le réutiliser à terme, notamment dans le cadre de notre projet de guides d’intervention auprès des différentes tranches d’âge. Nous prêtons également une grande attention à l’afflux de données concernant les interventions précoces qui démontrent l’intérêt d’agir sur les CPS dès le plus jeune âge. D’ailleurs, nous aimerions développer des projets de développement des CPS des petits enfants et de leurs parents. Marie-Odile WILLIAMSON En France, nous avons la chance de disposer d’une école maternelle enviée par les professionnels de nombreux pays. Notre école maternelle mobilise des professionnels formés dont les missions s’articulent autour de l’autonomisation et de la socialisation de l’enfant et s’inscrivent au cœur du domaine des CPS. Ainsi, même si je suis convaincue de l’intérêt de la précocité des interventions, il me semble que les besoins en matière de développement des CPS apparaissent essentiellement après l’âge de six ans. D’ailleurs, le dialogue sur les CPS avec les équipes d’école maternelle est beaucoup plus aisé qu’avec les équipes de collèges ou de lycées. De plus, de nombreux outils de développement des CPS existent pour les enfants les plus jeunes. Michel CLAEYS Le rapport est beaucoup plus simple avec les enfants de 0 à 3 ans. Il s’agit essentiellement de trouver avec eux le juste équilibre entre permissivité et fermeté, entre amour et liberté. Ce juste équilibre requiert pour l’adulte des CPS mais leur mise en application est plus aisée.

Quels outils de formation aux compétences psychosociales ?

De la salle (Elodie BILLAUD, CODES du Cher) Dans le cadre de la formation des adultes au développement des CPS, utilisez-vous des outils pédagogiques et d’intervention spécifiques ? Cécile LE GOFF Nous utilisons les outils de notre centre de ressources. Je peux vous transmettre la liste d’outils que nous avons utilisés dans le cadre de nos sessions de formation. Magali SEGRETAIN Nos formations sont conçues comme des séances d’animation collective sur les CPS. Ces séances permettent à leurs participants de prendre du recul et de comprendre certains enseignements pour

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les réutiliser auprès des jeunes. Nous employons des techniques d’animation et des supports pédagogiques qui sont un moyen d’expérimenter, d’analyser et de se « décentrer ».

Les adultes : une cible à part entière pour le développement des compétences psychosociales

De la salle (Elise BELLIER, coordinatrice de l’atelier santé ville du 13ème arrondissement de Paris) Je travaille essentiellement avec des professionnels qui agissent auprès des jeunes de 16 à 25 ans. Ces jeunes sont démunis sur plusieurs plans car ils se détachent du foyer familial et rencontrent des difficultés d’accès à la santé. Les CPS, qui ont un réel impact pour les plus jeunes, produisent-ils des résultats pour ces jeunes adultes ? Michel CLAEYS Tout le monde a besoin d’apprendre à gérer ses émotions, à acquérir des compétences de communication et de résolution de conflit. L’ensemble des outils de développement des CPS est applicable aux adultes, y compris les activités ludiques. D’ailleurs, il est amusant de constater à quel point les adultes peuvent apprendre et se libérer par le jeu. Magali SEGRETAIN Je développe des actions sur la santé et le vieillissement ainsi que des ateliers « santé et seniors ». Mes interlocuteurs reconnaissent la pertinence des outils de développement des CPS auprès de ces adultes. Par exemple, nous menons un travail sur l’estime de soi des adultes en précarité qui nous amène à mobiliser pour des retraités des outils initialement créés pour les enfants. Ces outils sont également utilisés et adaptés en lycée professionnel et en Centre de formation des apprentis (CFA) au bénéfice des personnes en décrochage scolaire. Béatrice LAMBOY Les approches de développement de CPS sont mobilisables indépendamment des thématiques de santé et des âges. Les Journées de la prévention mettent l’accent sur les enfants car cette tranche d’âge est idéale pour développer des CPS. Néanmoins, il n’est jamais trop tard pour les développer.

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Conclusion

Le difficile plaidoyer en faveur des approches de développement des compétences psychosociales

Daniel PELLAUX Paule Deutsch et Maxime Cramet rappelaient l’importance du plaidoyer national en faveur des CPS. Il faut une grande persévérance pour convaincre nos décideurs d’intégrer ces approches nouvelles au sein de programmations déjà très denses. Cette négociation suppose des compromis. Aussi, ils ont opté à juste titre pour une approche généraliste dans un contexte où les gouvernements et les ministres se succèdent. Les approches de terrain en matière de développement des CSP apparaissent également riches. Je me demande si ces expériences sont connues des décideurs politiques. D’ailleurs, de manière assez classique, les décideurs politiques sont absents de nos journées de travail. Corinne Roehrig-Saoudi a présenté deux projets à l’approche pragmatique et nous a montré le caractère frustrant de l’évaluation qui ne démontre pas toujours des changements significatifs des comportements à l’issue des programmes, ce qui nous amène à nous interroger sur la pertinence des indicateurs de nos évaluations. Par exemple, certains programmes de prévention ont abandonné l’objectif de diminution des consommations de certains produits au profit d’un objectif de retardement de la première expérience de consommation. Cet objectif part du postulat que plus les enfants sont matures, mieux ils seront à même de gérer une situation. Brian Mishara nous a démontré l’importance d’une action à long terme. Une action de prévention et de développement des CPS focalisée sur une seule tranche d’âge produit des effets positifs qui ne se maintiennent cependant pas sur le long terme. Aussi, de nombreux programmes développent une intervention tout au long du parcours de l’enfant. A ce titre, l’intervention auprès des enfants en bas âge et en crèche est légitime car cette période est l’occasion de poser les bases des CPS en lien avec les équipes éducatives et les parents. Marie-Odile Williamson et Magali Segrétain nous ont présenté une boîte à outils disponible sur Internet. Cette initiative est intéressante pour promouvoir les CPS auprès du plus grand nombre. Cependant, il faudra prévoir des animateurs sur ce site Internet pour maintenir le dialogue avec les professionnels qui consomment les programmes sans nécessairement les développer sur le long terme. J’ai été sensible aux interrogations sur les publics spécifiques d’adolescents et d’enfants qui sont parfois les oubliés des programmes de développement des CPS. Il est important d’adapter ces programmes aux enfants présentant des besoins spécifiques. Ce travail d’adaptation permet d’ailleurs d’améliorer les programmes destinés initialement à une population plus large. Béatrice Lamboy nous a remis en mémoire la propension française à résister à tout programme anglo-saxon. Elle a mis en lumière l’importance du transfert des connaissances qui suppose un renforcement de la collaboration entre praticiens et chercheurs. Les chercheurs apportent une caution scientifique aux projets et permettent aux praticiens d’obtenir des fonds. A cet égard, l’émergence des guides d’intervention de l’Inpes permettra aux différentes associations de promouvoir les approches psychosociales et de prévention auprès de leurs partenaires. Il paraît crucial de cultiver cette proximité entre chercheurs et praticiens. Les chercheurs valident les intuitions des praticiens et favorisent ainsi le développement des programmes.

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Michel Claeys a évoqué la formation des enseignants. Ceux-ci sont en recherche de pédagogies plus actives et humanistes mais craignent parfois de perdre le contrôle de la classe et d’alimenter une dynamique négative. Leur formation initiale en matière d’enseignement des CPS est souvent lacunaire et cet enjeu mériterait d’être investi.

Un champ des compétences psychosociales en progrès et en construction

Nous n’avons pas répondu aux questionnements sur l’approche par genre des CPS. Dans certains projets de développement des CPS, notamment à partir de l’adolescence, la problématique du genre apparaît cruciale. L’égalité des chances est loin d’être une réalité. Les sociétés sont de plus en plus multiculturelles et nous observons une régression globale des droits des femmes à l’échelle internationale. Il conviendra de garder à l’esprit cette réalité, notamment dans le cadre du développement des programmes destinés aux adolescents et aux jeunes adultes. Nos échanges ont été prometteurs et les projets présentés apparaissent réjouissants. Je suis impressionné par les progrès accomplis, même en France, dans le champ des CPS en l’espace de 18 ans. C’est à vous que nous le devons et je vous en remercie.

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Sigles

ARML : Association régionale des missions locales ARS : Agence régionale de santé CAPEDP : Compétences parentales et attachement dans la petite enfance : Diminution des risques liés aux troubles de santé mentale et promotion de la résilience CESC : Comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté CESCI : Comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté inter-établissements CESF : Conseiller en économie sociale et familiale CFA : Centre de formation des apprentis CIRDD : Centre d’information régional sur les drogues et les dépendances CODES : Comité départemental d’éducation pour la santé CPAM : Caisse primaire d’Assurance-Maladie CPE : Conseiller principal d’éducation CPS : Compétence psychosociale CRISE : Centre de recherche et d’intervention sur le suicide et l’euthanasie CSP : Conseil supérieur des programmes DASES : Direction de l’action sociale, de l’enfance et de la santé DGESCO : Direction générale de l’enseignement scolaire DGS : Direction générale de la santé EPS : Education physique et sportive ERC : Essai randomisé contrôlé ESPACE : Education, sensibilisation et prévention alcool au collège avec l’appui de l’environnement ESPE : Ecole supérieure du professorat et de l’éducation FNES : Fédération nationale de l’éducation et de promotion de la santé HCSP : Haut conseil de la santé publique IFFP : Institut fédéral des hautes études en formation professionnelle IGEN : Inspecteur général de l’Education nationale Inpes : Institut national de prévention et d’éducation pour la santé IREPS : Instance régionale d’éducation et de promotion de la santé IVVP : Idéal-vouloir-vécu-possible MILDECA : Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives OFSP : Office fédéral de santé publique OMS : Organisation mondiale de la santé ONE : Office de la naissance et de l’enfance ONU : Organisation des nations unies ORS : Observatoire régional de santé PACA : Provence-Alpes-Côte d’Azur PJJ : Protection judiciaire de la jeunesse PMI : Protection maternelle et infantile REAP : Réseau d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents SFP : Soutien aux familles et à la parentalité SIDA : Syndrome de l’immunodéficience acquise SVT : Sciences de la vie et de la terre UNISDA : Union nationale pour l’insertion sociale du déficient auditif VAD : Visite à domicile ZEP : Zone d’éducation prioritaire