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36 La der 24 heures | Mercredi 17 juin 2015 Contrôle qualité VC3 une bonne soixantaine, des femmes en majorité. Les plus âgés ont 75 ans (dont un homme, «un Italien passionné»), les plus jeunes 3 ans. Elle les accueille dans une petite bâtisse de Renens, entourée d’un parking et de hauts immeubles. Une église désaffectée, bordée d’un modeste jardinet potager. Ses murs sont troués d’innombrables fenêtres: «La lumière ex- térieure, c’est si important pour l’appren- tissage du flamenco!» Osons une question de béotien: «C’est quoi, au fond, votre flamenco?» Réponse de Sylvia Perujo: «C’est bien plus qu’une danse et ses techniques. Une manière de traduire par le corps tout ce qui traverse notre quotidien. Des impressions heureu- ses et belles. De la tristesse aussi, des laideurs, des tourments, mais que la danse peut sublimer. On s’y ressource, on y respire mieux. Mon meilleur oxygène, c’est la danse andalouse. Quand mon père mourut, il y a sept ans, d’un stupide accident de voiture en Espagne, je fus effondrée, car c’est bien lui qui nous y avait initiés, mon frère Antonio et moi. De là où il se trouve, il m’envoie des forces incroyables. Via sa mort, il a fait de moi une vraie femme. Et je suis sûre que mon enfant qui va naître fera de moi une femme meilleure encore. Et qu’à 70 ans je danserai moins bien, mais danserai en- core.» Feria Flamenca Renens, rte de Lausanne 37, du ve 19 au di 21 juin, samedi gratuit. www.al-andalus.ch soin plus fort qu’aujourd’hui de se re- grouper, se souvient Sylvia Perujo. Moi j’étais encore en Pampers quand je fus reçue la première fois dans ces réunions, dans un local du complexe des Bergières. Antonio, mon aîné de 6 ans, natif comme moi de Lausanne, y esquissa ses premiers pas de flamenco grâce aux encourage- ments de notre père. Il nous insuffla tout de suite l’amour de la feria en nous faisant participer chaque été à celle de Málaga. Nous avons eu la chance d’avoir des pa- rents qui nous poussaient vers le haut, jusqu’au sommet de nos choix indivi- duels.» Si leur aîné, Juan, né sur la Costa del Sol, fera celui d’y retourner pour y exercer des activités non artistiques, les deux cadets resteront dans l’arc lémani- que pour y recréer le génie musical et chorégraphique de l’Andalousie. La carrière de la petite Sylvia s’élève dès ses 6 ans comme une tornade de den- telles: «coachée» par son frère Antonio en Suisse, en France et ailleurs en Europe, elle est applaudie en Espagne, à Jerez de la Frontera, à Séville (où elle reçoit une bourse prestigieuse), à Madrid… Elle ren- contre les plus grands maîtres du fla- menco. Mais ses tournées internationales ne lui font pas oublier sa Romandie na- tale: en juillet 2014, elle est maître de danse dans le Carmen mis en scène à Avenches par Eric Vigié. Aujourd’hui, elle frappe un peu moins du talon en raison de sa grossesse, mais c’est pour mieux savourer les plaisirs de l’enseignement. Un métier qu’elle com- mença à 15 ans, avec pour élèves des gens qui en avaient 30! Aujourd’hui, ils sont Gilbert Salem Texte Odile Meylan Photo L a danse andalouse, qu’elle pratique depuis sa petite en- fance, lui confère une grâce gestuelle qu’une première maternité, bientôt à terme, sensualise davantage et rend Sylvia Pe- rujo plus rayonnante. «Qu’il le veuille ou non, mon premier enfant aura dansé avec moi», fait-elle en désignant son ventre rebondi et en clignant de grands yeux noir et or. «Grâce au flamenco, ma gros- sesse s’est déroulée alegria, sans nau- sées.» Elle se sent d’aplomb pour accueil- lir vendredi les participants à la 5e Feria Flamenca de Renens, sous l’égide de l’as- sociation Al-Andalus, créée en 1995 par son père et qu’elle codirige actuellement avec son frère Antonio. Lui à Genève, elle à Renens. Durant trois jours, la salle communale et l’esplanade renanaises retentiront de joyeux fracas de claquettes et castagnet- tes dans un fond de froufrous de guipures et de sons de guitares de la Sierra bétique. Le pays d’origine de Sylvia, que cette na- tive de Lausanne a appris à aimer à tra- vers ses parents. Ils l’avaient fui avant la chute du général Franco en 1975. «Une Andalousie plus intérieure que maritime, avec chèvres et amandiers parfumés.» Francisco Perujo, le papa, avait été fermier général en amont de Málaga. Dé- barquant en Suisse, il dut s’accommoder de métiers moins bucoliques, dans des hôtels d’Ouchy, puis dans la conciergerie d’une usine de l’Ouest lausannois. Très tôt il devint un membre actif d’une asso- ciation d’autres émigrés andalous, qui se réunissaient le dimanche pour discuter politique, mais aussi manger des nourri- tures ancestrales, et surtout chanter et danser. «Rappelons que les Espagnols exilés en Suisse avaient à cette époque un be- Sylvia Perujo, danseuse Le flamenco est l’oxygène qu’elle préfère «A 70 ans, je danserai. Certes différemment. Mais je danserai encore» Tiré de la Feuille d’Avis de Lausanne du 17 juin 1940 Suisse Nos réfugiés Partir un jour subitement, en abandonnant tout derrière soi, son foyer, ses plus chers souvenirs de famille, et aussi son gagne-pain; affronter les bombardements et la mitraille; harassé, épuisé, arriver en Suisse avec les vêtements que l’on a sur le dos, et le plus souvent pas ou fort peu d’argent dans sa poche, et se demander avec angoisse: «Demain, de quoi vivrons-nous?» Tel est actuellement le sort de nos compatriotes, nos frères. Ces hommes, ces femmes, ces enfants, allons-nous nous contenter de les recevoir en agitant des drapeaux et en chantant le Cantique suisse? Ou voulons-nous réellement, sincèrement, leur ouvrir nos bras, leur venir en aide et leur trouver du travail? France Cesser le combat Le maréchal Pétain, premier ministre de France, a déclaré à la radio: «Il faut cesser le combat.» Il ajouta que, la nuit dernière, il entra en négociations avec l’ennemi «entre soldats» pour voir s’il était possible d’atteindre un accord. Adolf Hitler Chancelier allemand K Une «clique capitaliste» sera détruite dans cette guerre. Cette clique, en raison de ses intérêts personnels, est encore prête à sacrifier des millions de vies humaines; elle ne sera cependant pas détruite par l’Allemagne, mais par ses propres peuples… H URSS Main basse sur les Etats baltes Radio-Moscou annonce que la Lituanie a accepté un ultimatum, dans lequel le gouvernement soviétique revendique le droit d’occuper le territoire lituanien «avec des forces suffisantes». (…) L’URSS a envoyé aux gouvernements de Lettonie et d’Estonie des notes identiques formulant des revendications semblables. Pontarlier Communiqué allemand «Des troupes rapides allemandes ont atteint Pontarlier, au sud-est de Besançon, à la frontière suisse, aujourd’hui. Ainsi, la tenaille autour des forces ennemies se trouvant en Alsace et en Lorraine s’est fermée.» Un Vaudois a vécu l’exode sur les routes de France Parti de Paris en voiture avec un ami, l’expatrié se retrouve pris dans le flot des réfugiés fuyant devant l’avancée allemande «Il y avait à Paris quelque quinze mille Suisses, avant l’invasion», écrit la Feuille d’Avis de Lausanne le 17 juin 1940. Devant l’avancée de l’armée allemande, ils sont nombreux à rentrer au pays. Un Vaudois, parti de la capitale fran- çaise en voiture le 9 juin, a ra- conté son périple au journal: «A 17 h, ce fut le départ. Deux routes seulement étaient accessibles à la circulation civile, toutes les au- tres étant réservées aux troupes. Aussi bien, nous prenons la file derrière une immense colonne de réfugiés, dont le lamentable cor- tège se déroule à perte de vue, en rangs serrés. Ces malheureux voyagent avec des moyens de for- tune. Des familles se sont juchées sur des chars ou des camions. Des paysans vont à pied, en dirigeant leur bétail à coups de gourdin. D’autres ont emporté quelques poules avec eux, et l’on voit des crêtes curieuses dépasser des pa- niers recouverts d’une serpil- lière. » Une vieille femme infirme s’est juchée sur une carriole for- mée d’une caisse et de deux roues de bicyclette; son fils tire cet étrange équipage, qui fait penser au pousse-pousse asiatique. D’énormes camions belges, dont les toits sont recouverts de mate- las, emmènent des rescapés de la bataille de Flandres. Ces réfugiés vivent sur les routes depuis un mois et ils paraissent s’être accou- tumés à leur existence nomade. Noyées dans le flot, les voitures sont contraintes de suivre le train, l’exiguïté de la route, d’une part, l’inexpérience des conducteurs, d’autre part, empêchant tout dé- passement. (…) A minuit, nous je- tons un coup d’œil au compteur: nous avions parcouru exactement 25 kilomètres!» A 10 h du matin, après avoir roulé toute la nuit, ils ne sont qu’à 40 km de Paris! Après avoir tourné en rond, ils finissent par trouver un officier qui les auto- rise à emprunter une route moins fréquentée. «La machine roule maintenant à quinze, à vingt, à trente, puis à quarante kilomètres/ heure. Il semble, à cette allure, qu’on circule comme des fous… » Dans les villages traversés, on commence à retrouver du pain. Pas beaucoup, bien sûr, car la boulan- gère qui travaille sans arrêt depuis quarante heures a fait des dizaines de fournées, et la farine touche à sa fin. (…) Et, les heures s’ajoutant aux heures, voici que se précise la fron- tière suisse. Griserie de retrouver le sol natal, la vie normale, des villa- ges où la lumière brille, de grandes, routes où filent des voitures étince- lant de tous leurs nickels…» Les deux amis ont mis cinq jours pour rejoindre Lausanne: «Bonheur de retrouver le pays, et toutes ces choses que des années de vie parisienne avaient presque fini par vous faire oublier. On crâne un peu, sans doute, mais on est bien obligé de convenir qu’elle est très douce cette émotion qui vous pince sous la poche gauche de votre gilet…» G.SD Article paru le 17 juin 1940 dans la Feuille d’Avis de Lausanne. Archives consultables sur scriptorium.bcu-lausanne.ch En mai-juin 1940, des millions de Français, de Belges et de Néerlandais se jetèrent sur les routes de l’exil. CORBIS Histoire Il fait l’actualité le 17 juin… 1940 Ce jour-là Née le 15 février 1981, à Lausanne. Cinq dates importantes 1987 Premier rôle sur scène à 6 ans, dans le spectacle Persecución de Félix Grande. 1998 Enfin soliste, dans la compagnie de son frère Antonio, pour Pasion Flamenca. 2002 Triomphe avec le même au Café de la Danse, à Paris, pour un Minotaure chorégraphié à l’andalouse. 2008 Son père meurt à 65 ans d’un accident de la circulation, en Espagne. 2013 Epouse le 18 mai, à Málaga, Javier Sanchez. Leur premier enfant devrait naître dans un mois. Carte d’identité

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36 La der 24 heures | Mercredi 17 juin 2015

Contrôle qualitéVC3

une bonne soixantaine, des femmes enmajorité. Les plus âgés ont 75 ans (dontun homme, «un Italien passionné»), lesplus jeunes 3 ans. Elle les accueille dansune petite bâtisse de Renens, entouréed’un parking et de hauts immeubles. Uneéglise désaffectée, bordée d’un modestejardinet potager. Ses murs sont trouésd’innombrables fenêtres: «La lumière ex-térieure, c’est si important pour l’appren-tissage du flamenco!»

Osons une question de béotien: «C’estquoi, au fond, votre flamenco?» Réponsede Sylvia Perujo: «C’est bien plus qu’unedanse et ses techniques. Une manière detraduire par le corps tout ce qui traversenotre quotidien. Des impressions heureu-ses et belles. De la tristesse aussi, deslaideurs, des tourments, mais que la

danse peut sublimer. On s’y ressource, ony respire mieux. Mon meilleur oxygène,c’est la danse andalouse. Quand monpère mourut, il y a sept ans, d’un stupideaccident de voiture en Espagne, je fuseffondrée, car c’est bien lui qui nous yavait initiés, mon frère Antonio et moi. Delà où il se trouve, il m’envoie des forcesincroyables. Via sa mort, il a fait de moiune vraie femme. Et je suis sûre que monenfant qui va naître fera de moi une femme meilleure encore. Et qu’à 70 ansje danserai moins bien, mais danserai en-core.»

Feria Flamenca Renens, rte de Lausanne 37, du ve 19 au di 21 juin, samedi gratuit.www.al-andalus.ch

soin plus fort qu’aujourd’hui de se re-grouper, se souvient Sylvia Perujo. Moij’étais encore en Pampers quand je fusreçue la première fois dans ces réunions,dans un local du complexe des Bergières.Antonio, mon aîné de 6 ans, natif commemoi de Lausanne, y esquissa ses premierspas de flamenco grâce aux encourage-ments de notre père. Il nous insuffla toutde suite l’amour de la feria en nous faisantparticiper chaque été à celle de Málaga.Nous avons eu la chance d’avoir des pa-rents qui nous poussaient vers le haut,jusqu’au sommet de nos choix indivi-duels.» Si leur aîné, Juan, né sur la Costadel Sol, fera celui d’y retourner pour yexercer des activités non artistiques, lesdeux cadets resteront dans l’arc lémani-que pour y recréer le génie musical etchorégraphique de l’Andalousie.

La carrière de la petite Sylvia s’élèvedès ses 6 ans comme une tornade de den-telles: «coachée» par son frère Antonio enSuisse, en France et ailleurs en Europe,elle est applaudie en Espagne, à Jerez dela Frontera, à Séville (où elle reçoit unebourse prestigieuse), à Madrid… Elle ren-contre les plus grands maîtres du fla-menco. Mais ses tournées internationalesne lui font pas oublier sa Romandie na-tale: en juillet 2014, elle est maître dedanse dans le Carmen mis en scène àAvenches par Eric Vigié.

Aujourd’hui, elle frappe un peu moinsdu talon en raison de sa grossesse, maisc’est pour mieux savourer les plaisirs del’enseignement. Un métier qu’elle com-mença à 15 ans, avec pour élèves des gensqui en avaient 30! Aujourd’hui, ils sont

Gilbert Salem TexteOdile Meylan Photo

La danse andalouse, qu’ellepratique depuis sa petite en-fance, lui confère une grâcegestuelle qu’une premièrematernité, bientôt à terme,

sensualise davantage et rend Sylvia Pe-rujo plus rayonnante. «Qu’il le veuille ounon, mon premier enfant aura dansé avecmoi», fait-elle en désignant son ventrerebondi et en clignant de grands yeuxnoir et or. «Grâce au flamenco, ma gros-sesse s’est déroulée alegria, sans nau-sées.» Elle se sent d’aplomb pour accueil-lir vendredi les participants à la 5e FeriaFlamenca de Renens, sous l’égide de l’as-sociation Al-Andalus, créée en 1995 parson père et qu’elle codirige actuellementavec son frère Antonio. Lui à Genève, elleà Renens.

Durant trois jours, la salle communaleet l’esplanade renanaises retentiront dejoyeux fracas de claquettes et castagnet-tes dans un fond de froufrous de guipureset de sons de guitares de la Sierra bétique.Le pays d’origine de Sylvia, que cette na-tive de Lausanne a appris à aimer à tra-vers ses parents. Ils l’avaient fui avant lachute du général Franco en 1975. «UneAndalousie plus intérieure que maritime,avec chèvres et amandiers parfumés.»

Francisco Perujo, le papa, avait étéfermier général en amont de Málaga. Dé-barquant en Suisse, il dut s’accommoderde métiers moins bucoliques, dans deshôtels d’Ouchy, puis dans la conciergeried’une usine de l’Ouest lausannois. Trèstôt il devint un membre actif d’une asso-ciation d’autres émigrés andalous, qui seréunissaient le dimanche pour discuterpolitique, mais aussi manger des nourri-tures ancestrales, et surtout chanter etdanser.

«Rappelons que les Espagnols exilésen Suisse avaient à cette époque un be-

Sylvia Perujo, danseuse

Le flamencoest l’oxygène qu’elle préfère

«A 70 ans, je danserai. Certes différemment. Mais je danserai encore»

Tiré de la Feuille d’Avis de Lausanne du 17 juin 1940

Suisse Nos réfugiés Partir un jour subitement, en abandonnant tout derrière soi, son foyer, ses plus chers souvenirs de famille, et aussi son gagne-pain; affronter les bombardements et la mitraille; harassé, épuisé, arriver en Suisse avec les vêtements que l’on a sur le dos, et le plus souvent pas ou fort peu d’argent dans sa poche, et se demander avec angoisse: «Demain, de quoi vivrons-nous?» Tel est actuellement le sort de nos compatriotes, nos frères. Ces hommes, ces femmes, ces enfants,allons-nous nous contenter de les recevoir en agitant des drapeaux et en chantant le Cantique suisse? Ou voulons-nous réellement, sincèrement, leur ouvrir nos bras, leur venir en aide et leur trouver du travail?

France Cesser le combat Le maréchal Pétain, premier ministre de France, a déclaré à la radio: «Il faut cesser le combat.» Il ajouta que, la nuit dernière, il entra en négociations avec l’ennemi «entre soldats» pour voir s’il était possible d’atteindre un accord.

Adolf HitlerChancelierallemand

K Une «clique capitaliste» sera détruite dans cette guerre. Cette clique, en raison de ses intérêts personnels, est encore prête à sacrifier des millions de vies humaines; elle ne sera cependant pas détruite par l’Allemagne, mais par ses propres peuples… H

URSS Main basse sur les Etats baltes Radio-Moscou annonce que la Lituanie a accepté un ultimatum, dans lequel le gouvernement soviétique revendique le droit d’occuper le territoire lituanien «avec des forces suffisantes». (…) L’URSS a envoyé aux gouvernements de Lettonie et d’Estonie des notes identiques formulant des revendications semblables.

Pontarlier Communiqué allemand «Des troupes rapides allemandes ont atteint Pontarlier, au sud-est de Besançon, à la frontière suisse, aujourd’hui. Ainsi, la tenaille autour des forces ennemies se trouvant en Alsace et en Lorraine s’est fermée.»

Un Vaudois a vécu l’exode sur les routes de FranceParti de Paris en voiture avec un ami, l’expatrié se retrouve pris dans le flot des réfugiés fuyant devant l’avancée allemande

«Il y avait à Paris quelque quinzemille Suisses, avant l’invasion»,écrit la Feuille d’Avis de Lausannele 17 juin 1940. Devant l’avancéede l’armée allemande, ils sontnombreux à rentrer au pays. UnVaudois, parti de la capitale fran-çaise en voiture le 9 juin, a ra-conté son périple au journal: «A17 h, ce fut le départ. Deux routesseulement étaient accessibles à lacirculation civile, toutes les au-tres étant réservées aux troupes.Aussi bien, nous prenons la filederrière une immense colonne deréfugiés, dont le lamentable cor-tège se déroule à perte de vue, enrangs serrés. Ces malheureuxvoyagent avec des moyens de for-tune. Des familles se sont juchéessur des chars ou des camions. Despaysans vont à pied, en dirigeantleur bétail à coups de gourdin.D’autres ont emporté quelquespoules avec eux, et l’on voit descrêtes curieuses dépasser des pa-

niers recouverts d’une serpil-lière.

» Une vieille femme infirmes’est juchée sur une carriole for-mée d’une caisse et de deux rouesde bicyclette; son fils tire cetétrange équipage, qui fait penserau pousse-pousse asiatique. D’énormes camions belges, dontles toits sont recouverts de mate-las, emmènent des rescapés de labataille de Flandres. Ces réfugiésvivent sur les routes depuis unmois et ils paraissent s’être accou-tumés à leur existence nomade.

Noyées dans le flot, les voitures sont contraintes de suivre le train,l’exiguïté de la route, d’une part, l’inexpérience des conducteurs, d’autre part, empêchant tout dé-passement. (…) A minuit, nous je-tons un coup d’œil au compteur: nous avions parcouru exactement25 kilomètres!» A 10 h du matin,après avoir roulé toute la nuit, ils ne sont qu’à 40 km de Paris! Aprèsavoir tourné en rond, ils finissent par trouver un officier qui les auto-rise à emprunter une route moinsfréquentée. «La machine roule

maintenant à quinze, à vingt, à trente, puis à quarante kilomètres/heure. Il semble, à cette allure,qu’on circule comme des fous…

» Dans les villages traversés, oncommence à retrouver du pain. Pasbeaucoup, bien sûr, car la boulan-gère qui travaille sans arrêt depuisquarante heures a fait des dizainesde fournées, et la farine touche à safin. (…) Et, les heures s’ajoutant auxheures, voici que se précise la fron-tière suisse. Griserie de retrouver lesol natal, la vie normale, des villa-ges où la lumière brille, de grandes,routes où filent des voitures étince-lant de tous leurs nickels…»

Les deux amis ont mis cinqjours pour rejoindre Lausanne: «Bonheur de retrouver le pays, ettoutes ces choses que des annéesde vie parisienne avaient presquefini par vous faire oublier. Oncrâne un peu, sans doute, mais onest bien obligé de convenir qu’elleest très douce cette émotion quivous pince sous la poche gauchede votre gilet…» G.SD

Article paru le 17 juin 1940 dans la Feuille d’Avis de Lausanne.Archives consultables sur scriptorium.bcu-lausanne.ch

En mai-juin 1940, des millions de Français, de Belges et de Néerlandais se jetèrent sur les routes de l’exil. CORBIS

Histoire

Il fait l’actualité le 17 juin… 1940Ce jour-là

Née le 15 février 1981, à Lausanne.Cinq dates importantes1987 Premier rôle sur scène à 6 ans, dans le spectacle Persecución de Félix Grande.1998 Enfin soliste, dans la compagnie de son frère Antonio, pour Pasion Flamenca.2002 Triomphe avec le même au Café de la Danse, à Paris, pour un Minotaure chorégraphié à l’andalouse.2008 Son père meurt à 65 ans d’un accident de la circulation, en Espagne.2013 Epouse le 18 mai, à Málaga, Javier Sanchez. Leur premier enfant devrait naître dans un mois.

Carte d’identité