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SUR LES POSSIBILILIT]~S D'ADAPTATION CHEZ LES INSECTES SOCIAUX ET SP]~CIALEMENT CHEZ L'ABEILLE par R6my CHAUVIN [Station de Recherches Apicoles, Bures-sur-Yvette (Seine-et-Oise).] Parmi les possibilit6s d'adaptation des insectes sociaux, il faut noter la capacit6 de r6parer les dommages, mSme graves, inflig6s au nid. :l'ai recher- ch~ jusqu'ofl pouvait aller ce pouvoir de r6gulation, sp6cialement chez les abeilles ; mais je citerai aussi abondamment les recherches similaires de VUILLAUME (1960) sur les guSpes. Les Abetlles en ruche hortzontale. Plusieurs exp6rimentateurs ont d6jh song6 ~ modifier la position des rayons. Dans l'ancienne apiculture h cadres fixes, c'6tait une pratique assez r6pandue de renverser la ruche sens dessus dessous dans le but de bloquer la ponte de la reine. Cet arrSt de ponte reste assez sujet h caution, mais il est bien certain que les abeilles ne souffraient gu~re du retourne- mentet que la colonie continuait h mener une vie normale. Les tentatives qui ont consist6 ~ placer les rayons horizontalement ont 6t6 plus rares. Citons celles de SMIT~ (1959). I1 remarque que la reine pond aussi bien sur la face sup6rieure que sur la face inf6rieure des rayons ; les soins aux larves se donnent 6galement bien sur les deux faces. Toutefois on remarque quelques anomalies au moment de l'operculation. 10 50 p. 100 des cellules sur les faces inf6rieures montrent un opercule bomb6 ressemblant un peu/~ celui du male ; ces cellules contiennent une larve ou une nymphe de dimensions au-dessous de la normale. Les autres cellules, aussi bien sur la face inf6rieure que sur la sup6rieure, contiennent des larves et nymphes normales. Un tableau emprunt~ ~ SMITH donne quelque id6e des anomalies constat6es. LARVES EN VOlE DE NY~IPHOSE. ,IEUNES NY,',IPHES. Position supdrieure .......... 150 133 Infdrieure, normaux ......... t~8 '131 I nf6rieure, bomb6s ........... 96 105 INSECTES SOCIAUX, TO.',IE VII, N ~ 2, i960. 8

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Page 1: Sur les possibilités d'adaptation chez les insectes sociaux et spécialement chez l'abeille

SUR LES POSSIBILILIT]~S D'ADAPTATION CHEZ LES INSECTES SOCIAUX

ET SP]~CIALEMENT CHEZ L'ABEILLE

p a r

R6my CHAUVIN [Station de Recherches Apicoles, Bures-sur-Yvette (Seine-et-Oise).]

Parmi les possibilit6s d 'adaptation des insectes sociaux, il faut noter la capacit6 de r6parer les dommages, mSme graves, inflig6s au nid. :l'ai recher- ch~ jusqu'ofl pouvait aller ce pouvoir de r6gulation, sp6cialement chez les abeilles ; mais je citerai aussi abondamment les recherches similaires de VUILLAUME (1960) sur les guSpes.

L e s A b e t l l e s en r u c h e h o r t z o n t a l e .

Plusieurs exp6rimentateurs ont d6jh song6 ~ modifier la position des rayons. Dans l'ancienne apiculture h cadres fixes, c'6tait une pratique assez r6pandue de renverser la ruche sens dessus dessous dans le but de bloquer la ponte de la reine. Cet arrSt de ponte reste assez sujet h caution, mais il est bien certain que les abeilles ne souffraient gu~re du retourne- m e n t e t que la colonie continuait h mener une vie normale.

Les tentatives qui ont consist6 ~ placer les rayons horizontalement ont 6t6 plus rares. Citons celles de SMIT~ (1959). I1 remarque que la reine pond aussi bien sur la face sup6rieure que sur la face inf6rieure des rayons ; les soins aux larves se donnent 6galement bien sur les deux faces. Toutefois on remarque quelques anomalies au moment de l'operculation. 10 50 p. 100 des cellules sur les faces inf6rieures montrent un opercule bomb6 ressemblant un peu/~ celui du male ; ces cellules contiennent une larve ou une nymphe de dimensions au-dessous de la normale. Les autres cellules, aussi bien sur la face inf6rieure que sur la sup6rieure, contiennent des larves et nymphes normales. Un tableau emprunt~ ~ SMITH donne quelque id6e des anomalies constat6es.

L A R V E S EN VOlE DE N Y ~ I P H O S E . , I E U N E S NY, ' , IPHES.

P o s i t i o n s u p d r i e u r e . . . . . . . . . . 150 133 I n f d r i e u r e , n o r m a u x . . . . . . . . . t ~ 8 '131 I n f6 r i eu re , b o m b 6 s . . . . . . . . . . . 96 105

INSECTES SOCIAUX, TO.',IE V I I , N ~ 2, i 9 6 0 . 8

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102 RIGHT CHAUVIN

I1 a sembl~ A SMITH que beaucoup de Iarves de ta face inferieure glissaient vers le has, hors de la nourriture, et que les nourrices les operculaient h~tivement, sans achever la distribution de la quantit~ normale de nour- riture.

J 'ai plac~ ~galement ~ l'horizontale une ruehe DAD)iNT de i0 cadres, en disposant au-dessous des cadres un treillis m~tallique ~ larges mailles qui emp~chait les rayons de s'affaisser. L'op~ration a eu lieu en mai-juin, au cours des ann~es 1957 et i959, e t a dur~ quatre mois ~ ehaque fois. A mon grand ~tonnement, je n'ai remarqu~ aucune perturbation de l'~levage, bien que certaines cellules anormales du type de eelles remarqu~es par SMITH aient pu en effet ~tre d~cel6es h la face inf~rieure ; mais elles ~taient loin d'etre aussi nombreuses que dans les experiences de cet auteur puisque leur hombre n'atteignait que 5-i0 p. 100 du total. Je n'ai pu remarquer aucune difference quantitative de la ponte de la reine entre les deux faces et non plus aucune difference dans la quantitd de nectar frais entreposd sur les deax faces (v. plus loin). Je pensais que peut ~tre la construction des cellules royales serait modifi~e par la position anormale des cellules; reals, apr~s l 'enl~vement de la reine, il n'est pas apparu de differences sensibles entre le nombre et la forme des cellules royales de la rdche horizontale et celles d'une ruche verticale. Elles se trouvaient routes cependant sur la face inf~rieure des rayons. La forme des cellules montre, par contre, d'int~res- santes variations. On salt que, dans le cadre en position normale, les cellules pr~sentent une l~g~re pente vers l'int~rieur du rayon; or, au bout de deux mois d'horizontalit~, elles sont progressivement remani6es, de telle sorte qu'elles divergent vers l'extdrieur ; l'angle avec la verticale devient de plus en plus marqu~ du centre du rayon vers la p~riph~rie. Cette inclinaison vers l'ext~rieur est particuli~rement nette dans les longues cellules ~ mie! de la p~riph~rie.

En cas de miell~e, le nectar est entrepos~ h l'~tat frais aussi bien sur la face inf~rieure que sur la sup~rieure. Comment peut-il se maintenir dans des cellules ouvertes vers le bas? Sans doute, la tension superficielle le fait-elle adh6rer aux parois ; il est en effet facile d'introduire une grosse goutte d'eau avec une pipette fine, dans les cellules de la face inf~rieure, et la goutte se maintient parfaitement. Les abeilles, toutefois, ne pourraient- elles r~server la face sup~rieure du rayon au nectar frais et n 'entreposer sur la face inf~rieure que le nectar qui a d~j~ perdu beaucoup d'eau? Il serait possible de le v~rifier en administrant du sirop dilu~ h la ruche horizontale en dehors des p~riodes de miell~e et en mesurant au r~fractom~tre les concentrations moyennes en dessus et en dessous des rayons. Le s i r o p - d'abord ~ 50 p. i00, puis ~ 30 p. i00 duns les experiences suivantes - - a ~t6. donn~ dans un nourrisseur pos~ sur le plateau, ~ droite du corps de ruche (si l'on se place en arri~re de la ruehe). Trois ~ quatre litres de sirop t i lde ~taient absorb~s h chaque fois h partir de i0 heures du matin. Les pr~l~ve- ments dans les cellules en vue de l 'exameu r~fractom~trique se faisaient i7 h 30, en notant ~ chaque lois la face et l 'emplacement du cadre par rap- port au nourrisseur. L'exp~rience s'est d~ro ul~e de j uillet h septembre i959,

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POSSIBILITI~.S D 'ADAPTATION CHEZ LES INSECTES SOCIAUX ~03

RESULTATS.

Sirop it 50 p. 100, /uillet 59.

Face sup. Face inf. 6& 77 74 75,5 68 70 59,5 63 63,5 57,5 6& 74 62,5 79

Moy. 67 71

Sirop it 30 p. 100, 9 sept. 59. Ici le nourrisseur.

Face sup. Face inf. 35 48 36 36 51 68 75 77 59 71 77 75

Moy. 55 62

Sirop it 30 p. 100, 18 sept. 59. Ici le nourrisseur.

Face sup. Face inf. 36,5 37 37 46 37,5 38,5 67 67 65,5 66

MoyA6,5 53,8

Pour les ruches verticales, les pr616vements 6talent op6r6s sur les deux faces droites et gauche de chaque cadre, le nourrisseur se trouvant & droite. Sur le tableau, le trait vertical mat6rialise le cadre.

Ruches verticales position normale. Sirop it 30 p. 100, 29 septembre.

34[36 4 6 1 5 7 33134,5 35133 33,5,33

Faces dr. moy. : 38,7 ; & g. [ 36. Ici le nourrisseur.

Date 9 octobre, sirop h 30 p. 100, ruche verticale.

36159 5 4 1 3 6 3 5 1 3 3 33[35 Ici le nourrisseur. Faces dr. moy. : 60 ; h g. : 39.

I1 est bien certain que le sirop plus concentrd se trouve plus souvent dans la face infgrieure des rayons horizontaux. Une pareille diff6rence entre les faces ne se rencontre pas dans les ruches & rayons verticaux. Dans les ruches horizontales, les concentra t ions augmenten t aussi au fur et & mesure que l 'on s'61oigne du nourrisseur. Dans les ruches verticales, un tel ph6nom6ne est moins net.

Comme nous avons vu plus hau t que le nectar ou m~me l ' eau pure t iennent aussi bien en place dans les cellules ouvertes vers le has que vers celles qui s 'ouvrent vers le haut , les diff6rences de concentra t ions sur les deux faces des rayons hor izoa taux doivent tenir & une part iculari t6 de compor t emen t des abeilles plut5t qu'& une per turbat ion des condi t ions physiques d 'entreposi t ion du nectar.

Autres adaptations. Travaux de Darchen.

Je ne puis r6sumer ici les t r a v a u x tr6s 6tendus de DARCHEN gut la const ruct ion et leg remaniements de la cire chez les abeilles. J ' en t irerai toutefois deux exemptes d ' adap t a t i on parfa i tement nets.

t ~ LES PERFORATIONS DES CELLULES ET LES DISPLACEMENTS DU FOND. - -

On a 6crit nombre de travaux sur ]a question de savoir si leg hym6nopt~res

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I04 a~Mv cH~uVli~

solitaires pouvaient ou non r6parer le fond de leur nid quand on l 'avait enlev~. I1 semble bien que cela soit possible et que l'instinct ne soit pas tout s fair aveugle (~ la difference de ce que pensait FA~as), mais il faut que I'intervention exp~rimentale ne soit pas faite ~ un stade trop tardif, lorsque la machinerie psychique de l'insecte a d~j~ franchi un stade irr6- versible. Chez les abeilles, il n'existe pas de probl6me : les perforations de toute taille et de route forme, pratiqudes dans la paroi ou le fond des cellules d'ouvri~res (D~RcHE~) et des cellules royales (VuILL~UME) sont aussit6t rebouchdes. C'est l'affaire d'une heure ou deux au grand maximum. D'autre part, si l'on s'arrange pour placer en regard les cellules des deux faces d'un rayon dont on a en]ev~ le fond (rappelons que la cellule d'une face correspond par le fond ~ trois cellules de l 'autre face), un nouveau fond est replac6 sans difficult6 : il faut tout de m~me noter ici que la pose du fond correspond d u n e manipulation compliqude et inhabitueUe et que d 'habitude les abeilles ne proc6dent pas du tout ainsi : elles ~l~vent des parois sur un fond, plut6t que de poser un fond ~ l'int~rieur d'une cellule pr~existante.

2 o L ~ TORSION DES R&YONS. - - Plus extraordinaire encore est la torsion des rayons ou des lames de cite plac~es perpendieulairement aux rayons d~j~ en place. On salt que les abeilles veillent du mieux qu'elles peuvent au parall~lisme des rayons de la ruche. Mais, lorsqu'on introduit une lamelle de cire gaufr~e perpendiculairement entre deux rayons, des ~quipes d'ouvri6res s'accrochent ~ ses deux bords et tr6s rapidement la placent en position paral- 161e. La torsion est rapidement retouch6e dans la partie de la cire o~ elle est apparente, si bien qu'en un laps de temps tr6s bref on n'en volt plus trace (DARCHEN, 1959).

Autres possibilitSs d'adaptatlon.

Si l'abeille nidifie dans des rayons de cire, il ne s'ensuit pas de l~ qu'elle ne pulsse accepter un materiel tout autre. Ainsi on a vendu et l 'on vend encore en Allemagne des rayons entiers constitu~s, avec leurs cellules, de mati6re plastique ; ils sont parfaitement accept6s par les abeilles : ]e miel y est d6pos~, les ceufs y sont pondus et le couvain ~lev~ normalement. Rap- pelons d'ailleurs que VUILLAUME (t957-i958) a montr6 que des 6bauches de cellules royales en forme de cupules, de verre ou de mati6res plastiques, ~taient fort bien accept6es par les abeilles, qui les prolongent d 'un tube de cire et y ~16vent les larves royales.

Mais il y a plus curieux : en pleine miell~e (condition sine qua non) on peut placer au milieu d'un cadre de hausse en voie de remplissage un mor- Ceau de bois perc~ de trous ronds dont la taille correspond vaguement celte d'une cellule ; il est bon de tremper au pr~alable le bois dans la cite t20 ~ qui le recouvre alors d'une mince pellicule. Alors les abeilles entrepo- sent du miel dans les trous ronds largement ~cart~s, dont la ressemblance avecun rayon de cire est pourtant bien lointaine. Il y a d'ailleurs des possi-

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POSSIBILITES D'AD&PT&TIO~ CHEZ LES INSECTES SOCI&UX t 0 5

bilit~s d 'adaptat ion particuli~rement larges en ce qui concerne le d~pSt du miel : on a pu, par exemple, fabriqaer des rayons enticrs en feuilles minces d 'aluminium; les abeilles d~posent volontiers du miel dans les cellules m~talliques du rayon et le recouvrent d'un opercule de cire quand il est mfir. Mais elles n 'y ~l~vent pas de couvain, comme darts les rayons de mati~re plastique.

Rappelons enfin que la mall~abilit~ de l'instinct se manifeste aussi par le fait que les abeilles nidifient dans des cavit~s de forme extr~mement vari~es, qu'elles adaptent h leurs besoins ; elles acceptent aussi sans inconv~nients, semble-t-il, les modules de ruche parfois invraisemblables que leur propose l'apiculteur.

Fourmis. Termites.

Les fourmis et les termites ayant ~t~ moins ~tudi~s que les abeilles, il serait plus difficile - - mais sans doute nullement impossible - - d 'y t rouver des exemples d'adaptation, en dehors du fait que les uns et les autres acceptent tr~s facilement des nids exp~rimentaux de toutes les formes et de toutes les tailles. Il serait sans doute int~ressant de retourner de i80o certains nids de termites dont la forme est nettement d~finie et qui pr~- sentent sans conteste une partie sup~rieure et une inf~rieure. Chez les fourmis, une telle operation serait plus difiicile ~ cause de la fragilit~ des ~difiees ; et, h cause de l'irr~gularit~ de leur plan, on ne pourrait sans doute d~eeler ais~ment les cons6quences de cette perturbation.

Travaux de Vui l laume sur les ~u~pes .

Les gu~pes, par contre, se sont r~v~l~es, entre les mains de VUILLAUMs et VUILLAUME et N~_ULLEAU (i960), un materiel particuli~rement favorable et susceptible d'adaptations 6tonnantes.

La manoeuvre du retournement du nid chez les gu~pes ~ nid souterrain ne provoque pas l ' interruption de l'~levage du couvain mais seulement celle de la construction et de l'accroissement du nid. Mais, les rayons ~tant nor- malement horizontaux, il est sans doute int~ressant de les placer dans la position verticale plutSt que de les retourner de 180~ la perturbation parait plus forte. Elle est pourtant tr~s bien accept~e par les gu~pes, qui n'interrompent nullement l'~levage; au bout d'un certain temps, toutefois, les ouvri~res commeneent ~ construire des rayons horizontaux. L'~levage ne s ' interrompt pas non plus sur les rayons en position oblique. En bref, les gu~pes, comme sans doute les abeiUes, peavent dlever leur couvain sur des rayons en position quelconque.

Bien que VUILLAUME n'ait pas encore r~alis~ sur les gu~pes des expe- riences de changement de mat~riau de construction aussi pouss~es que chez les abeilles, n~anmoins il apparait que le carton de bois ne constitue pas

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I06 REMY CHAUVIN

forc6ment la seule mati~re qu'elles puissent accepter. Les gu~pes, par exemple, operculent facilement a?ec du carton un rayon de cite introduit dans la ruche. Mais nous ne savons pas encore si elles le consid~rent comme un corps ~tranger qu'on englobe de carton pour s'en d6barrasser ou si elles pourraient y ~lever leur couvain. D'autre part, des bandes de papier pos~es sur l'involucre en diff6rentes positions sont imm6diatement accept6es et ineorpor6es ~ l'~difice (VUILLAUME et NAULLEAU, i960).

Mais il est d'autres manifestations vraiment surprenantes de l 'adapta- bilit6 des gu~pes : si, par exemple, on d6terre un nid de Vespa et qu'on le pose ~ la surface du sol tr~s rapidement, les gu~pes commencent h creuser en dessous comme si elles voulaient l 'enterrer : et les boulettes arrachdes ~ la terre au-dessous da nid sont ddpos~es sur sa partie sup~rieure. Ph~nom~ne tr~s curieux, car il correspond ~ une r~ponse tout ~ fair originale ~ une situation sans pr~c6dent dans la vie de la gu~pe. Le nid de Vespa se forme en effet dans une cavit6 du sol od la fondatriee accroche les premieres bfitisses; au fur et ~ mesure de leur accroissement, les ouvri~res creusent la terre et la transportent au dehors : mais elles n 'ont jamais eu ~ en recouvrir le nid ! On peut se demander ce qui se passerait si le hid n'~tait pas extrait du sol ; si l'on m~nageait seulement une fen~tre dans la terre qui l'en- toure, les gu~pes sauraient-elles la boucher ?

Un autre ph~nom~ne plus singulier encore a 6t6 mis en 6vidence par VUILLAUME : si le nid, retir6 du sol, est d6pos~ sur une plaque de verre ou de m6tal, alors, ~videmment, il n'est plus possible aux gu~pes de l'enfouir. On volt alors, si le nid n'est pas trop ~loign~ du bord de la plaque, sa forme sc modifier peu ~ peu. Il est progressivement reconstruit de mani~re ~ le rappro- cher da bord ; bient6t, il atteint le sol libre, et la partie du nid qui repose sur la terre commence h s'y enfoncer ;dans ce cas, des boulettes de terre ne sont pas d~pos6es sur la partie sup~rieure du nid, tout au moins tant qu'il n'a pas d6pass~ le bord de la plaque.

Gonvlusions.

Ainsi donc, l'exp~rience montre bien que, dans les constructions animales, sont impliqu6s des types de comportement extr~mement complexes, comme je le soup~onnais dans une revue pr6c6dente (Cti~UViN, t956). I1 est 6trange de voir les insectes sociaux s 'adapter ~ des situations qu'ils n 'ont pu rencontrer auparavant ; il n'arrive jamais, dans l'existence normale de l'insecte, qu'un nid de gu~pe soit d6terr6 et pos6 sur le sol ; cependant, si cela se produit, les ouvri~res n'en sont pas troubl6es et adoptent aussitSt la solution qui consiste ~ l'enterrer. On pourrait l 'expliquer simplement en all~guant qu'un vide existe normalement au-dessous du hid sou- terrain dans la cavit~ qui l'abrite, et les gu~pes chercheraient en creusant reconstituer cet espace v ide ; elles ne peuvent 6videmment y parvenir dans ces conditions, puisque le poids du nid l 'entralne vers le bas, si bien qu'en poursuivant leurs efforts le hid se trouve enterr~. Mais c'est l~ une

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POSSIBILITES D~ADAPTATION CHEZ LES INSECTES SOCIAUX ~07

explication trop simpliste : comment interpreter alors l 'apport de bou- lettes de terre sur la partie sup~rieure du nid, et, davantage encore, la d~formation du nid pos~ sur la plaque de verre, qui l'am~nera ~ nouveau sur le sol libre ? Et j'insiste sur le fait qu'un tel ph~nom~ne n'est nullement exceptionnel. :lusqu'ofi peut done aller la capacit~ d 'adaptat ion de ces esp~ces ~ des conditions jamais rencontr~es ? on ne peut ~viter de poser la question.

Un autre fait assez troublant est l'absence apparente de perturbation quand on rend vertieaux les rayons des gu~pes et horizontaux eeux des abeilles. Toutes les ouvri~res et la reine travaillent alors clans une position tr~s anormale qui ne se rencontre jamais dans la nature ; mais elles n'en sont gu~re troubl~es. Encore une fois, quelles extr~mit~s peuvent done atteindre les insectes sociaux dans leurs capacit~s de r~ponse ~t des situa- tions anormales? Et comment ces r~ponses se trouvent-elles inscrites dans le patrimoine h~r~ditaire de l'esp~ce puisqu'elle n 'a jamais l'occasion de les utiliser ?

R~surnd.

On peut rendre horizontaux les rayons d'une ruche et verticaux ceux d'un hid de gu~pes sans perturbations visibles pour l'~levage ou le compor- tement des ouvri~res.

Les abeilles r~parent tr~s facilement et imm~diatement les trous creus~s dans les cellules d'ouvri~res ou de reines, elles posent sans difficult~ un fond aux cellules d'ouvri~res si on l 'a enlev~. Elles tordent une lame de cite perpendiculaire aux rayons pour la mettre en position parall~le.

Les abeilles peuvent d~poser leur miel dans les trous d'une plaque de bois, dans des rayons de m~tal ou de plastique ; elles peuvent ~lever leur eouvain dans des rayons de plastique et leurs reines dans des cellules de verre ou de plastique. Les gu~pes peuvent operculer avec du carton les rayons des abeilles. Les gu~pes souterraines dont on vient de d~terrer le nid le couvrent de terre et l 'enterrent en creusant au-dessous. Si une plaque de m~tal gliss~e au-dessous s 'y oppose, elles le reconstruisent peu ~ peu de mani~re h l 'amener sur le bord de la plaque et ~ l 'enterrer nouveau.

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108 a ~ M v CHXUVI~

BIBLIOGRAPHIE.

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