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Jean-Yves GROSCLAUDE, Rajendra K. PACHAURI et Laurence TUBIANA (dir.) Les promesses de l’innovation durable 2014 Dossier

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Regards sur la Terre décrypte la complexité des processus qui composent le développe-ment durable et en révèle toute la richesse.

La première partie dresse le bilan de l’année 2013 : retour sur les dates, les lieux et rapports clés qui ont structuré les débats et l’action en faveur d’un développement plus durable ; analyse des événements marquants, identification des acteurs majeurs, des enjeux et des perspectives dans les domaines du développement, de l’agro-écologie, de la biodiversité, du climat, de la gouvernance, etc.

Le Dossier 2014 a pour ambition de décortiquer et analyser les rouages de l’innovation, considérée comme la nouvelle clé du développement durable. Véhicules électriques, agriculture biologique, énergies renouvelables, e-learning : l’essor de ces technologies émergentes et modèles alternatifs génère l’espoir d’un développement plus décentra-lisé, frugal, flexible et démocratique, que les modèles déployés au cours du xxe siècle. L’innovation s’impose comme mot d’ordre des organisations internationales, gouver-nements, entreprises, universités et de la société civile pour répondre aux défis écono-miques, sociaux et environnementaux de la planète. Quel est le véritable potentiel de ces innovations ? Comment et où se diffusent-elles ? Comment bousculent-elles les modèles conventionnels, dans l’agriculture, l’approvisionnement en eau et en énergie, les transports, l’éducation ? Leur ascension fulgurante, dans toutes les régions du monde, tient-elle ses promesses d’avènement d’une société plus durable et inclusive ? Au-delà de la technologie, quelles innovations institutionnelles sont-elles nécessaires pour atteindre cet objectif ?

Fruit d’une coopération entre l’AFD (Agence française de développement), l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales) et le TERI (The Energy and Resources Institute), Regards sur la Terre constitue un outil d’information et de compréhension indispensable.

Jean-Yves GROSCLAUDE, Rajendra K. PAChAURi et Laurence TUbiAnA (dir.)

Les promesses de l’innovation durable

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26 € Prix TTC France6228092ISBN : 978-2-200-28957-7

Établissement public, l’Agence française de développe-ment (AFD) agit depuis soixante-dix ans pour combattre la pauvreté et favoriser le développement dans les pays du Sud et dans l’Outre-mer. Elle met en œuvre la politique définie par le Gouvernement français. Présente

sur quatre continents où elle dispose d’un réseau de 70 agences et bureaux de représentation dans le monde, dont 9 dans l’Outre-mer et 1 à Bruxelles, l’AFD finance et accompagne des projets qui améliorent les conditions de vie des populations, soutiennent la croissance économique et protègent la planète : scolarisation, santé maternelle, appui aux agriculteurs et aux petites entreprises, adduction d’eau, préservation de la forêt tropicale, lutte contre le réchauffement climatique… En 2012, l’AFD a consacré près de 7 milliards d’euros au financement d’actions dans les pays en déve-loppement et en faveur de l’Outre-mer. Ils contribueront notamment à la scolarisation de 10 millions d’enfants au niveau primaire et de 3 millions au niveau collège, et à l’amélioration de l’approvisionnement en eau potable pour 1,79 million de personnes. Les projets d’efficacité énergétique sur la même année permettront d’économiser près de 3,6 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an. www.afd.fr

Institut de recherche sur les politiques, l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) a pour objectif d’élaborer et de partager des clés d’analyse et de compréhension des enjeux stratégiques

du développement durable dans une perspective mondiale. Face aux défis majeurs que représentent le changement climatique et l’érosion de la biodiversité, l’Iddri accompagne les différents acteurs dans la réflexion sur la gouvernance mondiale et participe aux travaux sur la redéfinition des trajectoires de développement. Ses travaux sont structurés transversa-lement autour de cinq programmes thématiques – Gouvernance, Climat, Biodiversité, Fabrique urbaine, Agriculture – et d’un programme transver-sal – Nouvelle Prospérité. www.iddri.org

The Energy and Resources Institute (TERI) est une organisation non gouvernementale indienne créée en 1974 pour développer des solutions innovantes afin

de traiter les enjeux du développement durable, de l’environnement, de l’efficacité énergétique et de la gestion des ressources naturelles. Ses diverses activités vont de la formulation de stratégies locales et nationales jusqu’à la proposition de politiques globales sur les enjeux énergétiques et environnementaux. Basé à Delhi, l’Institut est doté de plusieurs antennes régionales sur le territoire indien. www.teriin.org

Jean-Yves GROSCLAUDE, directeur exécutif en charge de la stratégie à l’Agence française de développement (AFD), est agronome et Ingénieur général des Ponts, des Eaux et des Forêts. Après une carrière d’expertise dans les secteurs des infrastructures, de l’eau, de l’envi-ronnement, de l’agriculture au sein de sociétés d’amé-nagement régionales françaises, Jean-Yves Grosclaude a

successivement occupé au sein de l’Agence française de développement les fonctions de chargé de mission « Agriculture et infrastructures rurales », directeur-adjoint de l’agence de l’AFD à Rabat (Maroc), secrétaire général du Fonds français de l’Environnement mondial, directeur technique des opérations, directeur exécutif en charge des Opérations. Depuis août 2013, il est en charge de la direction exécutive de la stratégie et, à ce titre, gère les fonctions « Programmation stratégique, études et recherche, redevabilité et formation ». Par ailleurs, il est membre du Comité ministériel COP 21 et anime les réflexions internes pour la mie en œuvre de la stratégie « Climat » de l’AFD.

Laurence TUbiAnA, économiste, a fondé et dirige l’Insti-tut du développement durable et des relations interna-tionales (Iddri) et la chaire Développement durable de Sciences Po. Elle est professeur au sein de l’École des affaires internationales de Sciences Po et à l’université Columbia (États-Unis). Elle est membre du comité de pilotage du débat national français sur la transition

énergétique et du Conseil consultatif scientifique des Nations unies ; elle est également co-présidente du Leadership Council du Réseau des solutions pour le développement durable des Nations unies. Chargée de mission puis conseillère auprès du Premier ministre sur les questions d’environnement de 1997 à 2002, elle a été directrice des biens publics mondiaux au ministère des Affaires étrangères et européennes. Elle est membre de divers conseils d’universités et de centres de recherches internationaux (Coopération internationale en recherche agronomique pour le développement – Cirad, Earth Institute à l’université Columbia, Oxford Martin School). Elle est également membre du China Council for International Cooperation on Environment and Development et du conseil d’orientation stratégique de l’Institute for Advanced Sustainability Studies (Potsdam, Allemagne).

Rajendra Kumar PAChAURi est docteur en génie industriel et en économie. Il est actuellement le directeur général de The Energy and Resources Institute (TERI) basé à Delhi (Inde). Depuis 2002, il préside le Groupe intergou-vernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) qui a obtenu le prix Nobel de la paix en 2007.

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En Europe, la Directive cadre sur l’eau (DCE) demande de partir de la recon-quête de la qualité du milieu aquatique pour construire les politiques de l’eau. Cela concerne les services publics

d’eau et d’assainissement comme les autres usagers. Or, le passage à la gestion conjointe des services et des ressources en eau implique un changement de paradigme difficile, surtout pour les mégalopoles du Sud, qui ont du mal à passer des génies civil et sanitaire au génie de l’environnement. Nous illustrons ces difficultés sur les cas de São Paulo et de Rio de Janeiro, où l’exploitation hydroélectrique a provoqué une crise de qualité et de quantité de l’eau pour les villes. Il faudrait passer de ce qu’on appelle au Brésil le saneamento básico (assainisse-ment de base : l’eau potable et les égouts) au saneamento ambiental (qui ajoute l’épuration

Chapitre 11Interaction entre services publics et ressources en eau dans les grandes métropolesBernard BARRAqUé, Centre international de recherche sur l’environnement et le développement, France Rosa fORMIGA-JOHNSSON, université fédérale de Rio de Janeiro, Brésil

Le développement urbain a fait apparaître de très grandes villes ayant un fort impact sur l’environnement, et notamment sur l’eau à la fois en quantité et en qualité. Ces villes cherchent des solutions territoriales avant de recourir à une technologie de plus en plus coûteuse : un changement de paradigme difficile, en particulier pour les mégalopoles du Sud.

des eaux usées, la gestion des déchets solides, la maîtrise de la pluie, etc.).

Hydroélectricité et transferts d’eau à São Paulo et Rio de JaneiroComme en Europe méditerranéenne, entre les années 1930 et 1940 (une période connue sous le nom d’Estado Novo), l’expansion des infrastructures a eu lieu dans un climat auto-ritaire et centralisé, favorable à la gestion à grande échelle à la fois de l’énergie électrique et des ressources en eau, au niveau fédéral. Les services d’eau sont restés de compétence municipale directe jusqu’aux années 1960 ; dans une logique de financement public, on ne payait pas l’eau, ce qui favorisait les gaspil-lages et les pertes. Les ingénieurs préféraient satisfaire la demande en développant l’offre hydraulique, et ils sont demeurés plus inspirés

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par le paradigme du génie civil qu’en Europe [Britto, 2001 ; Costa, 1994].

L’intervention des gouvernements natio-naux dans la réalisation d’infrastructures a été soutenue après 1945 par les institutions financières internationales. L’engagement du gouvernement fédéral américain dans des projets hydrauliques multifonctions (TVA, Mississipi, Colorado) avait montré la voie, et on a voulu y inclure l’approvisionnement en eau des villes. De plus, les experts anglo-saxons étaient fréquemment convaincus de l’incapacité des gouvernements locaux dans le domaine des services publics [cf. par exemple pour le Royaume-Uni : Saunders, 1983].

Au Brésil, pour produire l’électricité des régions métropolitaines de São Paulo et de Rio de Janeiro, on a détourné l’eau de son cours naturel, provoquant à terme une pénurie d’eau urbaine [Formiga-Johnsson et Kemper, 2005]. Les barrages-réservoirs Guarapiranga

et Billings, réalisés respectivement dans les années 1920 et 1930, font passer l’eau du bassin de la rivière Tietê où se trouve São Paulo, en conduite forcée vers l’océan, faisant bénéficier une usine électrique d’une forte dénivelée. Après la Seconde Guerre mondiale, on a voulu y reprendre de l’eau pour alimenter São Paulo. Mais les réseaux d’assainisse-ment de l’agglomération n’avaient pas suivi l’expansion urbaine et démographique, et le barrage de Billings était pollué. En effet, pour augmenter la production électrique, on faisait remonter dans le réservoir de l’eau du Tietê, devenu une rivière urbaine très polluée [Keck, 2002]. En 1992, les défenseurs de l’environne-ment ont obtenu que cesse le pompage d’eau polluée dans ce barrage, sauf en cas de graves inondations urbaines. Mais la tension n’est pas retombée, car la compagnie d’électricité voudrait reprendre le pompage, quitte à ce que l’eau soit traitée avant.

São Paulo : des solutions techniques dépassées par la croissance de la population

La production hydro-électrique et la distribution d’eau potable, malgré la recherche de solutions techniques, sont progressivement entrées en concurrence dans l’agglomération de São Paulo.

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À l’inverse, un autre transfert d’eau pour l’hydroélectricité a facilité l’approvisionne-ment de Rio de Janeiro [Formiga-Johnson et al., 2007] : les deux tiers du débit du Paraiba do Sul, qui coule vers la côte est du Brésil, sont détournés vers le sud et l’océan en contrebas, via un petit fl euve côtier non loin de Rio. Le Guandu a vu son débit septupler, et il a ainsi pu devenir la source principale d’eau potable et industrielle de la région métropolitaine, soit 8 millions d’habitants. En revanche, le peu d’eau qui reste dans le Paraiba do Sul, en aval de la dérivation, est désormais gravement pollué par la multiplication des développements urbains et industriels jusqu’à son embou-chure à l’extrémité est de l’État de Rio. Et la situation pourrait s’aggraver si l’État de São Paulo, où se trouve la tête du bassin à l’ouest, décidait de détourner aussi de l’eau pour la métropole pauliste ; ou si l’État de

Minas Gerais, où coule une bonne partie des affl uents nord du fl euve, voulait les exploiter davantage.

Le saneamento básico et la centralisation des services au BrésilVers le milieu des années 1950, est apparu le concept de saneamento básico, correspon-dant à l’autonomisation des services d’eau et d’assainissement, par rapport au développe-ment urbain et à l’intégration d’infrastructures urbaines qui caractérisait la gestion antérieure [Rezende et Heller, 2002]. Bien que restant sous contrôle public, les deux réseaux devaient être gérés ensemble par des organismes spéci-fi ques. La planifi cation et la gestion devaient reposer sur des techniques d’ingénierie modernes et des modèles entrepreneuriaux, notamment en recourant à la tarifi cation de l’eau au volume. Ainsi l’autofi nancement accru passait par la création d’autarquias municipais,

La diversion des eaux du Paraiba do Sul

La diversion des eaux du Paraiba do Sul par le biais des infrastructures hydro-électriques de Barra Mansa a historiquement aidé à alimenter Rio de Janeiro en eau potable. La pollution des eaux et les conflits d’usage menacent aujourd’hui cette solution technique.

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établissements publics à budgets séparés1, alors que la collecte des ordures et la maîtrise de la pluie restaient des services municipaux fiscalisés.

Les réseaux ont commencé à s’étendre dans les périphéries des villes. Cependant, une fois que la situation sanitaire s’est améliorée, les États fédéraux et fédérés ont préféré consacrer les ressources publiques à des infrastructures productives (énergie, transports) plutôt qu’à l’assainissement local. Le sous-investissement et la croissance urbaine rapide ont finalement abouti à une situation de fragmentation entre le centre et la périphérie : la plupart des banlieues, occupées par des habitants à faible revenu, ont été mal desservies. De plus, dans ces zones, l’urbanisation s’est souvent faite sans planification ni contrôle public ; leur équipement n’a pas été pensé à l’avance, voire refusé a posteriori puisqu’il s’agissait de terrains occupés de façon illicite. Par ailleurs, sur ces terrains impropres à l’urbanisation (zones très pentues, humides ou inondables), les infrastructures publiques étaient en général techniquement irréalisables [Britto, 2001].

Dans les années 1970, le pays a connu un développement industriel intense, une explosion démographique et une urbanisation accélérée. À la suite du coup d’État militaire de 1964, le régime autoritaire a lancé le PLANASA – Plano Nacional de Saneamento Básico – en 1971 dans le but de rationaliser les investisse-ments et de développer les réseaux de manière significative en dix ans. La centralisation admi-nistrative au niveau des États fut considérée comme d’importance primordiale, car assurant la péréquation des coûts. Chaque État s’est doté d’une Compagnie de saneamento básico (CESB). Celle de l’État de Rio de Janeiro, crée en 1975, s’est en pratique substituée à presque toutes les municipalités de l’État de Rio de Janeiro. Dans l’État de São Paulo, elle a été créée en 1973 par l’intégration de diffé-rentes unités de gestion.

En dépit de l’accent mis sur l’extension des réseaux, ces établissements publics ont été

1. En France, il s’agirait soit de régies autonomes, soit d’EPIC, mais contrôlés par l’État plutôt que par les communes.

poussés à fonctionner comme des sociétés pri-vées. Cela les a menés à donner la priorité aux plus gros investissements et aux gains rapides. Et, après quelques années de succès initial dans l’amélioration des services, les CESB n’ont pas pu éviter des difficultés financières, du fait de l’augmentation inexorable des taux d’intérêts.

Bien que la constitution fédérale de 1967 leur ait laissé la responsabilité juridique de la distribution d’eau, la nouvelle politique publique a réduit le rôle des municipalités à la signature de contrats de concession avec les compagnies publiques d’État. Leur passer la main était le seul moyen d’avoir accès aux nouvelles formes de financement. Pendant plusieurs années, la plupart des gouverne-ments municipaux n’ont pas remis en cause le nouveau modèle. En fait, la prédominance des CESB était l’envers du déni de leurs responsa-bilités constitutionnelles en matière d’eau et d’assainissement, en particulier dans les États du nord plus pauvres [Braga et al., 1995 ; Fabriani et Pereira, 1987].

En termes de qualité des infrastructures et de l’environnement urbain en lui-même, les conséquences de cette nouvelle approche ont été désastreuses : les CESB ont rarement tenu compte des plans d’urbanisme locaux, à moins bien sûr qu’ils ne coïncident avec les leurs. La façon même dont le saneamento básico était défini – donnant la priorité aux réseaux d’eau et d’assainissement, mais excluant le drainage et la collecte des déchets solides, et reportant à plus tard le traitement des eaux usées – a généré des situations critiques en termes d’inondations et de pollution des ressources en eau.

La nécessité d’intégrer la gestion des ressources et des services est apparue. Des agences environnementales ont été créées pour contrôler la pollution, et des initiatives de gestion intégrée des eaux ont été adoptées loca-lement par le Grand São Paulo. Malgré leurs faibles résultats pratiques, ces expériences ont été des précurseurs importants à l’émergence d’un nouveau paradigme des services d’eau, intégrant la protection des ressources en eau et l’amélioration de leur qualité.

En 1986, une crise institutionnelle profonde a conduit à la fin du PLANASA. Ses succès

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initiaux dans l’amélioration des taux de rac-cordement à l’eau étaient liés à la vitalité de l’économie brésilienne entre 1967 et 1980. Cependant, les investissements ont été concen-trés sur l’eau potable, et ont laissé de côté l’assainissement, et surtout le traitement des eaux usées. En effet, l’approvisionnement en eau coûte moins cher et peut facilement être financé par les usagers, générant de meilleurs retours sur investissement que la collecte et le traitement des eaux usées. De plus, la part de la population capable de payer le prix réel des services était trop faible pour assurer l’autofinancement tel qu’il avait été planifié à l’origine. En conséquence, le PLANASA a davantage investi dans les zones urbaines riches tandis que le taux de raccordement n’a guère progressé dans les municipalités les plus pauvres et, en particulier dans les zones d’occupation illégale des terres [Barraqué et Britto, 2006].

Les compagnies d’État se sont enfermées dans une logique d’offre, fondée sur la croyance que les ressources étaient inépuisables et que la technologie pourrait toujours résoudre les problèmes de l’approvisionnement en eau. De toute façon, le Grand São Paulo continuait de manquer d’eau de bonne qualité, ce qui a justifié de détourner de l’eau d’un nouveau bassin versant voisin dans les années 1970, le Piracicaba. Et c’est précisément le conflit qui s’est développé dix ans plus tard avec les usages locaux et les besoins du milieu naturel, qui a été l’une des origines de la grande réforme de la gestion des ressources en eau au niveau de l’État de São Paulo, puis au niveau fédéral, dans les années 1990.

En définitive, dans les deux grandes métro-poles, la qualité de l’eau potable n’est pas très bonne, et l’épuration des eaux usées reste à la traîne. Comment gérer les ressources avec un assainissement encore inachevé ?

vers une interaction services-ressources ?Au Brésil, le paradigme du génie de l’environne-ment prend de l’ampleur, fondamentalement parce qu’avec la croissance urbaine et indus-trielle, les services d’eau et d’assainissement

sont devenus des enjeux majeurs. Dans le bassin de l’Alto-Tietê, c’est un défi considérable d’arriver à équilibrer demande et disponibilité en eau pour 18 millions d’habitants concentrés dans le Grand São Paulo. Cette urbanisation a conduit à un entrelacs complexe d’intérêts et de débats sur l’eau, comprenant des politiques sectorielles, des transferts interbassins, etc. [Formiga-Johnsson et Kemper, 2005]. À un moindre degré, le même problème se pose pour la Région métropolitaine de Rio de Janeiro (RMRJ) : le Guandu est devenu très pollué, obligeant l’usine d’eau potable à utiliser de grandes quantités de produits chimiques. Depuis le début des années 1990, le recours au génie de l’environnement passe par la gestion de la demande, la flexibilisation de la réparti-tion de l’eau, la protection des ressources et les économies d’eau. Sous le gouvernement Lula, la participation des usagers et la gestion de la pluie et des déchets urbains doivent désormais être prises en compte. C’est l’enjeu du sanea-mento ambiental.

Dans le Grand São Paulo, la politique inclut une démarche de maîtrise foncière, avec la protection des périmètres de captage de l’urbanisation sauvage : une loi de l’État sur les captages relance une politique initiée au milieu des années 1970. C’est un des problèmes les plus difficiles à résoudre, car le contrôle de l’urbanisation dépend des municipalités [Formiga-Johnsson et Kemper, 2005]. Mais cela implique aussi de mettre en place de nou-velles formes de gouvernance multiniveaux, car la délégation des services par les municipa-lités aux CESB reste dominante.

De plus, la montée en puissance des comités de bassin a créé une articulation de fait entre des secteurs autrefois séparés par le génie sanitaire. Ainsi, un problème d’épuration des eaux usées devient un enjeu de bonne gestion des ressources dans le bassin, tout comme en France lors de l’invention des agences de l’eau. Encore faut-il accepter une définition commune de ce qu’est une ressource en eau dans un bassin.

Quelle peut être la bonne échelle de gestion des services ? L’arrivée de la gauche au pou-voir a fait surgir un débat entre retour à une

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gestion municipale, et rénovation des sociétés publiques des États fédérés. Depuis 2009, une nouvelle possibilité s’offre avec l’autorisation enfin accordée aux municipalités de se regrou-per en syndicats (consorcios intermunicipais). Cela permet d’envisager le financement soli-daire des services à l’échelle des métropoles, et potentiellement de mieux traiter les enjeux de l’urbanisation. Mais pour remettre en cause la fragmentation urbaine, il faudrait une volonté des municipalités de dépasser la compétition entre partis politiques, voire entre ego parti-culiers, et entre villes. De ce point de vue, le Consorcio ABC (grand syndicat de communes de la banlieue de São Paulo) et le comité de bassin de l’Alto-Tietê illustrent les nouvelles directions à prendre, et méritent une étude approfondie.

ConclusionEn Europe, les services publics d’eau et d’assai-nissement ont longtemps été gérés séparément des questions de ressources en eau, notam-ment grâce à la technologie des usines de potabilisation et d’épuration des eaux usées. Aujourd’hui, on convient que ces solutions sont très coûteuses, et on cherche à améliorer la durabilité des services avec des solutions de type territorial : ce qui est d’ailleurs encou-ragé par la directive cadre sur l’eau (2000/60/CE). Par ailleurs, les progrès des technologies

autonomes (notamment du géo-assainisse-ment) ont permis de prendre conscience du médiocre rapport coût-efficacité des réseaux en zone rurale, et même en périphérie des villes. On peut donc parfaitement remplacer les seconds par les premières ; reste à trouver le moyen de renoncer au « tout-réseau », sans pour autant sortir de la notion de service public. En France par exemple, on a créé le service public de l’assainissement non-collectif (SPANC), pour mieux gérer les 5 millions de fosses septiques qui demeurent dans ce pays à faible densité de population.

Même pour l’eau potable, des alternatives aux réseaux sans grand danger sanitaire sont techniquement possibles, mais elles ont besoin de dispositifs institutionnels appropriés. Elles pourraient aussi faciliter l’extension des services d’eau au Brésil. Jusqu’à présent, dans ce grand pays, les couches moyennes n’ont pas réussi à imposer aux autres une politique de service public financé par ses usagers, mais à un coût socialement acceptable. Une possibilité s’ouvre, le modèle des grands projets hydrauliques ayant conduit à une crise de qualité de l’eau sans résoudre la question des quantités. Une relation plus durable entre services et ressources avec des solutions tech-niques plus flexibles doit cependant affronter un enjeu politique de taille : la coopération entre niveaux de gouvernement. ■

R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S

Barraqué B. et Britto A. L. N., 30 août-1er septembre 2006, “Urban Water Services: A Sustainability Issue at Both Ends?”, Conférence internationale annuelle de la Société royale de Géographie, Londres.

Braga J. C., Medici A. C. et Arretche M., 1995, “Novos Horizontes para a Regulação do Sistema de Saneamento no Brasil”, Revista de Administração Pública, 29: 115-148.

Britto A. L. N., 28 mai-1er juin 2001, “A regulação dos serviços de saneamento no Brasil : perspectiva histórica, contexto atual e novas exigências de uma regulação pública”, Anais do IX Encontro Nacional da ANPUR, 1080-1093.

Costa A. M., 1994, Análise histórica do saneamento no Brasil, M. Sc. thesis, Rio de Janeiro ENSP, FIOCRUZ.

Fabriani C. B. et Pereira V. M., 1987, “Tendências e Divergências sobre o Modelo de Intervenção Pública no Saneamento Básico”, Texto para Discussão, 124.

Formiga-Johnsson R. M. et Kemper K. E., 2005, “Institutional and Policy Analysis of River Basin Management in the Alto-Tietê River Basin”, Policy Research Working Paper 3650, Washington, Banque mondiale.

Formiga-Johnsson R. M., Kumler L. et Lemos M. C., 2007, “The Politics of Bulk Water Pricing in Brazil: Lessons from the Paraíba do Sul Basin”, Water Policy, 9: 87-104.

Rezende S. C. et Heller L. O, 2002, Saneamento no Brasil: políticas e interfaces, Belo Horizonte, Editora UFMG.

Regards sur la Terre décrypte la complexité des processus qui composent le développe-ment durable et en révèle toute la richesse.

La première partie dresse le bilan de l’année 2013 : retour sur les dates, les lieux et rapports clés qui ont structuré les débats et l’action en faveur d’un développement plus durable ; analyse des événements marquants, identification des acteurs majeurs, des enjeux et des perspectives dans les domaines du développement, de l’agro-écologie, de la biodiversité, du climat, de la gouvernance, etc.

Le Dossier 2014 a pour ambition de décortiquer et analyser les rouages de l’innovation, considérée comme la nouvelle clé du développement durable. Véhicules électriques, agriculture biologique, énergies renouvelables, e-learning : l’essor de ces technologies émergentes et modèles alternatifs génère l’espoir d’un développement plus décentra-lisé, frugal, flexible et démocratique, que les modèles déployés au cours du xxe siècle. L’innovation s’impose comme mot d’ordre des organisations internationales, gouver-nements, entreprises, universités et de la société civile pour répondre aux défis écono-miques, sociaux et environnementaux de la planète. Quel est le véritable potentiel de ces innovations ? Comment et où se diffusent-elles ? Comment bousculent-elles les modèles conventionnels, dans l’agriculture, l’approvisionnement en eau et en énergie, les transports, l’éducation ? Leur ascension fulgurante, dans toutes les régions du monde, tient-elle ses promesses d’avènement d’une société plus durable et inclusive ? Au-delà de la technologie, quelles innovations institutionnelles sont-elles nécessaires pour atteindre cet objectif ?

Fruit d’une coopération entre l’AFD (Agence française de développement), l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales) et le TERI (The Energy and Resources Institute), Regards sur la Terre constitue un outil d’information et de compréhension indispensable.

Jean-Yves GROSCLAUDE, Rajendra K. PAChAURi et Laurence TUbiAnA (dir.)

Les promesses de l’innovation durable

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26 € Prix TTC France6228092ISBN : 978-2-200-28957-7

Établissement public, l’Agence française de développe-ment (AFD) agit depuis soixante-dix ans pour combattre la pauvreté et favoriser le développement dans les pays du Sud et dans l’Outre-mer. Elle met en œuvre la politique définie par le Gouvernement français. Présente

sur quatre continents où elle dispose d’un réseau de 70 agences et bureaux de représentation dans le monde, dont 9 dans l’Outre-mer et 1 à Bruxelles, l’AFD finance et accompagne des projets qui améliorent les conditions de vie des populations, soutiennent la croissance économique et protègent la planète : scolarisation, santé maternelle, appui aux agriculteurs et aux petites entreprises, adduction d’eau, préservation de la forêt tropicale, lutte contre le réchauffement climatique… En 2012, l’AFD a consacré près de 7 milliards d’euros au financement d’actions dans les pays en déve-loppement et en faveur de l’Outre-mer. Ils contribueront notamment à la scolarisation de 10 millions d’enfants au niveau primaire et de 3 millions au niveau collège, et à l’amélioration de l’approvisionnement en eau potable pour 1,79 million de personnes. Les projets d’efficacité énergétique sur la même année permettront d’économiser près de 3,6 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an. www.afd.fr

Institut de recherche sur les politiques, l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) a pour objectif d’élaborer et de partager des clés d’analyse et de compréhension des enjeux stratégiques

du développement durable dans une perspective mondiale. Face aux défis majeurs que représentent le changement climatique et l’érosion de la biodiversité, l’Iddri accompagne les différents acteurs dans la réflexion sur la gouvernance mondiale et participe aux travaux sur la redéfinition des trajectoires de développement. Ses travaux sont structurés transversa-lement autour de cinq programmes thématiques – Gouvernance, Climat, Biodiversité, Fabrique urbaine, Agriculture – et d’un programme transver-sal – Nouvelle Prospérité. www.iddri.org

The Energy and Resources Institute (TERI) est une organisation non gouvernementale indienne créée en 1974 pour développer des solutions innovantes afin

de traiter les enjeux du développement durable, de l’environnement, de l’efficacité énergétique et de la gestion des ressources naturelles. Ses diverses activités vont de la formulation de stratégies locales et nationales jusqu’à la proposition de politiques globales sur les enjeux énergétiques et environnementaux. Basé à Delhi, l’Institut est doté de plusieurs antennes régionales sur le territoire indien. www.teriin.org

Jean-Yves GROSCLAUDE, directeur exécutif en charge de la stratégie à l’Agence française de développement (AFD), est agronome et Ingénieur général des Ponts, des Eaux et des Forêts. Après une carrière d’expertise dans les secteurs des infrastructures, de l’eau, de l’envi-ronnement, de l’agriculture au sein de sociétés d’amé-nagement régionales françaises, Jean-Yves Grosclaude a

successivement occupé au sein de l’Agence française de développement les fonctions de chargé de mission « Agriculture et infrastructures rurales », directeur-adjoint de l’agence de l’AFD à Rabat (Maroc), secrétaire général du Fonds français de l’Environnement mondial, directeur technique des opérations, directeur exécutif en charge des Opérations. Depuis août 2013, il est en charge de la direction exécutive de la stratégie et, à ce titre, gère les fonctions « Programmation stratégique, études et recherche, redevabilité et formation ». Par ailleurs, il est membre du Comité ministériel COP 21 et anime les réflexions internes pour la mie en œuvre de la stratégie « Climat » de l’AFD.

Laurence TUbiAnA, économiste, a fondé et dirige l’Insti-tut du développement durable et des relations interna-tionales (Iddri) et la chaire Développement durable de Sciences Po. Elle est professeur au sein de l’École des affaires internationales de Sciences Po et à l’université Columbia (États-Unis). Elle est membre du comité de pilotage du débat national français sur la transition

énergétique et du Conseil consultatif scientifique des Nations unies ; elle est également co-présidente du Leadership Council du Réseau des solutions pour le développement durable des Nations unies. Chargée de mission puis conseillère auprès du Premier ministre sur les questions d’environnement de 1997 à 2002, elle a été directrice des biens publics mondiaux au ministère des Affaires étrangères et européennes. Elle est membre de divers conseils d’universités et de centres de recherches internationaux (Coopération internationale en recherche agronomique pour le développement – Cirad, Earth Institute à l’université Columbia, Oxford Martin School). Elle est également membre du China Council for International Cooperation on Environment and Development et du conseil d’orientation stratégique de l’Institute for Advanced Sustainability Studies (Potsdam, Allemagne).

Rajendra Kumar PAChAURi est docteur en génie industriel et en économie. Il est actuellement le directeur général de The Energy and Resources Institute (TERI) basé à Delhi (Inde). Depuis 2002, il préside le Groupe intergou-vernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) qui a obtenu le prix Nobel de la paix en 2007.

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