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Thierry Brugvin Sociologue [email protected] COMMENT LES ELITES ECONOMIQUES INFLUENCENT ELLES LES DECISIONS DES POUVOIRS PUBLIQUES ? Introduction Notre hypothèse est la suivante : dans le cadre de la gouvernance globale, il existe une relation dialectique entre le premier pouvoir, celui des infrastructures économiques (capital financier et économique, force productive et force de travail), le second, celui des infrastructures de classe (c'est-à-dire les rapports sociaux de production, dans lesquels s’inscrit la lutte des classes, entre la classe capitaliste, la classe des gestionnaires des pouvoirs publics, la classe d’encadrement, la classe prolétaire) et le 3e pouvoir, celui des superstructures (étatiques, juridiques, idéologique, militaire et communicationnel). L'analyse plus structurelle des mécanismes du capitalisme mondialisé reste, un des fondements de l’explication des inégalités démocratiques. Cependant, dans la mesure où a déjà largement été développée, en particulier par les marxistes, nous n’entrerons pas dans le détail, bien que ces éléments soient fondamentaux. C’est pourquoi, même dans un système politico-économique où la liberté et l’égalité seraient en parfaite harmonie, donc dans une nation idéale, le gouvernement d’une nation aura toujours une certaine propension à soutenir les entreprises ou les coopératives nationales, puisque celles-ci sont la structure de production essentielle à la vie de la société. C’est pourquoi, Marx expliquait que l’infrastructure, telles les forces productives, détermine prioritairement les superstructures, tels l’Etat et le gouvernement. C’est vrai dans une société capitaliste, mais aussi dans une société socialiste ou communiste par exemple. C’est pourquoi, il est nécessaire de démocratiser l’économie nationale et internationale, afin de ne pas attiser les dérives du nationalisme égoïste contre celui des autres nations, mais

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Thierry [email protected]

COMMENT LES ELITES ECONOMIQUESINFLUENCENT ELLES LES DECISIONS DES POUVOIRS PUBLIQUES ?

IntroductionNotre hypothèse est la suivante : dans le cadre de la gouvernance globale, il existe une relation

dialectique entre le premier pouvoir, celui des infrastructures économiques (capital financier et économique, force productive et force de travail), le second, celui des infrastructures de classe (c'est-à-dire les rapports sociaux de production, dans lesquels s’inscrit la lutte des classes, entre la classe capitaliste, la classe des gestionnaires des pouvoirs publics, la classe d’encadrement, la classe prolétaire) et le 3e pouvoir, celui des superstructures (étatiques, juridiques, idéologique, militaire et communicationnel).

L'analyse plus structurelle des mécanismes du capitalisme mondialisé reste, un des fondements de l’explication des inégalités démocratiques. Cependant, dans la mesure où a déjà largement été développée, en particulier par les marxistes, nous n’entrerons pas dans le détail, bien que ces éléments soient fondamentaux.

C’est pourquoi, même dans un système politico-économique où la liberté et l’égalité seraient en parfaite harmonie, donc dans une nation idéale, le gouvernement d’une nation aura toujours une certaine propension à soutenir les entreprises ou les coopératives nationales, puisque celles-ci sont la structure de production essentielle à la vie de la société. C’est pourquoi, Marx expliquait que l’infrastructure, telles les forces productives, détermine prioritairement les superstructures, tels l’Etat et le gouvernement. C’est vrai dans une société capitaliste, mais aussi dans une société socialiste ou communiste par exemple. C’est pourquoi, il est nécessaire de démocratiser l’économie nationale et internationale, afin de ne pas attiser les dérives du nationalisme égoïste contre celui des autres nations, mais aussi d’éviter de satisfaire l’intérêt des propriétaires privés des moyens de production au détriment des travailleurs et des citoyens. Au plan national, le système qui offre le plus de pouvoir aux travailleurs, donc de démocratie relève d’un marché de producteur composé de coopératives et d’entreprises publiques démocratisées, régulées et organisées dans le cadre d’une fédération sociale, telle que l’envisageait Proudhon1. De même, au plan mondial, l’organisation en fédération internationale, permet une régulation du marché mondial et une planification. Les agences de l’ONU, tels la FAO ou le HCR, le PNUE, qui tentent respectivement de réguler et de planifier, quelque peu l’alimentation, les réfugiés et l’environnement en sont une première amorce.

L’INFLUENCE DE L’INFRASTRUCTURE SUR LA SUPERSTRUCTURERobert Cox, il a développé une économie politique critique. Le modèle de Cox s’inscrit dans

celui de Gramsci, qui considère qu’au sein du bloc historique, il y a une relation dialectique entre la superstructure (forces matérielles, forces des idées) et l’infrastructure (forces matérielles incluant les rapports sociaux de production)2. Au sein des structures historiques, Cox distingue donc trois forces fondamentales : les forces matérielles, celles des idées et des institutions. Chez Cox, « l’institutionnalisation signifie une stabilisation et une perpétuation d’un ordre particulier. Les institutions reflètent la relation de pouvoir prévalant à leur origine et tendent au moins initialement a encourager les images constitutives de ces relations de pouvoirs (...). Les institutions sont des amalgames particuliers d’idées et de pouvoir matériels, qui à leurs tours influencent le développement des idées et des capacités matérielles ». L’efficacité des institutions « en tant que régulateur de conflit reste de cette façon amoindrie »3.1 PROUHDON Pierre, Du Principe fédératif et de l'unité en Italie (1863), chap.VII, in Bancal p.165.2 GRAMSCI Antonio, Quaderni del carcere, t. I-IV, Turin, Edition V. Gerratana, 1975, p. 1501.3 COX Robert W., Approches to world Order, Cambridge University Press, 1996, p. 99.

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Selon la vision des néogramsciens, c’est donc par la mobilisation de la société civile que cette hégémonie peut être contestée en refusant ce consentement passif et inconscient. Cette mobilisation et cette pression pouvant bien sûr s’exercer à tous les niveaux institutionnels, économiques ou idéologiques.

Robert Cox en s’inscrivant donc dans une perspective marxiste “élargie” considère que “les forces sociales sont engendrées par le processus de production” (Cox 1996 : 100). De plus “les forces sociales ne doivent pas être pensées comme existant exclusivement à l’intérieur des États. Certaines forces sociales peuvent dépasser la contrainte des États et les structures mondiales peuvent être décrites en terme de forces sociales, de la même façon qu’elles peuvent être décrites comme une configuration du pouvoir étatique. Le monde peut être représenté comme une forme de forces sociales en interactions dans lequel chaque État joue un rôle intermédiaire bien qu’autonome entre les forces sociales de la structure globale et les forces sociales locales situées à l’intérieur de pays particuliers ” (Cox 1996 : 105).

Robert Cox définit trois pôles au sein du bloc historique. « Dans une perspective matérialiste historique transnationale, il n’y a pas systématiquement une hiérarchie prédéterminée entre les trois pôles » que sont : « les rapports de production, les principales structures de production, et l’appareil d’État » (Cox 1987 : 5). Cependant, les structures de production tendent nous semble-t-il a conserver un pouvoir prépondérant, même si leurs relations sont interactives et circulaires.

Robert Cox s’intéresse donc particulièrement aux causes, qui sont à l’origine de l’ordre mondial. Il reproche aux néoréalistes de ne pas s’interroger suffisamment sur cet aspect, car il estime que “toute théorie sert un objectif”, il s’agit donc de le dévoiler. Cox considère que c’est par un processus historique que l’ordre mondial s’est bâti. Or, ce dernier dépend du pouvoir hégémonique, qui est le résultat de trois forces: la répartition des ressources matérielles (économique et militaire), une représentation du monde dominant (le pouvoir idéologique) et des institutions, qui gèrent un monde (le pouvoir institutionnel). Dans les pays républicains, le pouvoir de ces derniers étant moins fondé sur la contrainte et la répression que sur le consentement fondé sur l’idéologie hégémonique.

C’est pourquoi les institutions notamment internationales sont un des éléments nécessaires pour les États, pour perpétuer leur hégémonie, sinon il risque d’affronter une contestation excessive. Grâce à elles, ils parviennent à prolonger le consentement des autres États et de la société civile internationale vis-à-vis du type de politique en vigueur, actuellement le néolibéralisme.

Selon la vision des néogramsciens, c’est donc par la mobilisation de la société civile que cette hégémonie peut être contestée (Tooze, 2001), en refusant ce consentement passif et inconscient. Cette mobilisation et cette pression pouvant bien sûr s’exercer à tous les niveaux institutionnels, économique ou idéologique.

Le modèle de Cox s’inscrit dans celui de Gramsci. Ce dernier qui considère qu’au sein du bloc historique, il y a une relation dialectique entre la superstructure (forces matérielles, forces des idées) et l’infrastructure (forces matérielles incluant les rapports sociaux de production). Gramsci (1975) considérait que l’hégémonie idéologique et politique résidait, au sein de la société civile. A la suite de Marx, Gramsci a montré la relation dialectique entre l’idéologie (la superstructure) et l’infrastructure. Le mode de production rend compte d’une relation dialectique entre :

- la base matérielle de la société (dite infrastructure), qui comprend les forces productives (moyens de production, techniques, connaissances, forces de travail) et les rapports sociaux (de production) étant eux-mêmes dans une relation dialectique;

- et les structures politiques et idéologiques (dites superstructures), essentiellement au service de la classe dominante.

Gramsci insiste sur l’unité organique et dialectique : « l’infrastructure et la superstructure forment un bloc historique »4. Ces deux pôles « ne sont pas véritablement séparables, ni réellement, ni chronologiquement ». Ainsi, au sein du bloc historique, il existe une interdépendance, entre les deux pôles, qui le constituent : « les forces matérielles sont le contenu et les idéologies, la forme (. . . ).

4 GRAMSCI Antonio, Quaderni del carcere, t. I-IV, Turin, Edition V. Gerratana, 1975, p. 1501.

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Mais, la distinction de forme et de contenu est purement dialectique, car les forces matérielles ne seraient pas concevables, historiquement, sans les formes, et les idéologies seraient de simples fantaisies individuelles sans les forces matérielles » (Gramsci: 1975 : 869).

L’action des individus, de la société civile, agit sur les représentations sociales et sur les infrastructures. Marx et Engels l’avaient bien compris, mais ils n’ont pas poussé, l’analyse de cette dimension dialectique, aussi loin que Gramsci, ce qui a fait dire, à certains de ces continuateurs que seules les infrastructures déterminaient les changements.

La propriété privée des moyens de production est la structure clé de la domination dans le système capitaliste. Marx explique que « (...) dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un degré déterminé de leurs forces productives matérielles. L’ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base concrète sur laquelle s’élève une superstructure juridique et politique et à laquelle correspondent des formes de conscience sociale déterminées »5. Alain Bihr précise avec raison qu’en réalité, Marx ne différencie pas la société en deux, mais en trois structures principales :

1) la base ou infrastructure constituée par les forces productives et les rapports sociaux de production ;

2) la structure constituée par les rapports de classes et de propriété des moyens de production ; 3) la superstructure constituée par les institutions politiques (étatiques ou non) et les systèmes

idéologiques. 6 Marx définit les infrastructures, comme l’ensemble des forces productives et des rapports sociaux

de production. Les forces productives de la société reposent sur « trois facteurs : matières de travail, moyens de travail et forces de travail » (Bihr, 2012 : 29). Quant aux rapports sociaux de production, ils se présentent comme une articulation entre trois types de rapports :

1) les rapports des producteurs à leurs moyens de production, 2) les rapports des producteurs entre eux (ces rapports constituent ce qu'on appelle couramment la

division sociale du travail, c'est-à-dire les rapports de classes entre propriétaires et non-propriétaires), 3) puis les rapports des producteurs et des non-producteurs au produit du travail social (il s'agit de

la richesse sociale, périodiquement produite et reproduite par la société) « Par rapports sociaux de production, Marx entend les rapports que les hommes entretiennent entre eux au sein de la production de leurs conditions matérielles d'existence, au sein du procès par lequel ils transforment collectivement la nature pour la dominer et se l'approprier » (Bihr, 2012 : 27-28).

Pour les marxistes les rapports sociaux de production déterminent les rapports de classe, puis les rapports de propriété. Alain Bihr souligne « ce qu'est une classe sociale, ce qu'elle fait ou est amenée à faire dépend d'abord et essentiellement de ses rapports à toutes les autres classes sociales. En un mot, la structure de classes (l'ensemble des rapports entre les classes) est déterminante à l'égard de l'être (des propriétés) et du faire (des pratiques) des différentes classes » (Bihr, 2012 : 23). « Si les rapports capitalistes de production servent de matrice à la division des sociétés contemporaines en classes sociales, si en ce sens les rapports de classes s'enracinent dans les rapports de production, il s'en faut de beaucoup qu'ils s'y réduisent. Des uns aux autres, il y a, d'une part, toute l'épaisseur des médiations qui naissent spécifiquement des luttes de classes qui permettent aux classes de se former (en tant que sujets collectifs), mais qui tendent tout autant à les déformer, en les décomposant (en fractions et couches) tout comme en les composant (en blocs et catégories). À quoi s'ajoutent, d'autre part, les effets du travail que chaque classe sociale entreprend sur elle-même pour se constituer en tant que sujet collectif, en affirmant son pouvoir, son organisation et sa conscience » (Bihr, 2012 : 129).

Selon Marx, la société est donc structurée selon 4 structures principales. Il différencie :1) la base ou infrastructure constituée de trois (ou cinq) sous niveaux :i) par les forces productives (« l’infrastructure des forces productives »)

5 MARX Karl, Préface à la Contribution à la critique de l’économie politique, traduction française, Editions Sociales, 1957, p.4.

6 BIHR Alain, Les rapports sociaux de classe, Edition Page 2, Lausanne, 2012.

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ii) et les rapports sociaux de production (« l’infrastructure des rapports sociaux de production ») ;

iii) engendrant des rapports de classes (la structure de classe) ;2) Et la superstructure constituée par les institutions politiques (étatiques ou non) et les systèmes

idéologiques, les structures juridiques,3) cette dernière étant composée et déterminée principalement par des rapports de propriété des

moyens de production.

La superstructure juridique de la propriété privée des moyens de production est majoritairement générée par l’infrastructure, mais vient aussi la renforcer. Il s’agit la de l’analyse marxiste classique, mais nous verrons ensuite, que cela demande à être un peu réajusté, nous semble-t-il. Au sein de l’infrastructure, 1) la première structure est celle des forces matérielles de production, 2) puis vient les rapports sociaux de production (telle que la hiérarchie dans le travail, la spécialisation…), 3) qui engendrent des rapports de classes (entre dominants et dominés par exemple) explique Marx. A partir de ce stade se développe la superstructure, en particulier la structure juridique, avec en premier lieu les rapports juridiques de propriété (privée des moyens de production dans le capitalisme). Cependant, dans le système capitaliste au moins, cette 4e structure génère une boucle rétroactive, car la propriété privée des moyens de production et d’échanges renforce alors le 2 e structure qui relève de la hiérarchie des rapports sociaux (le chef - propriétaire face au travailleur salarié non propriétaire), qui vient renforcer la 3e structure, les rapports de classes (la classe dominante capitaliste, contre les classes de salariés). Ainsi, dans cette boucle rétroactive, la structure juridique au sein de superstructure renforce la structure sociale concrète formée par le travail dans lequel s’exerce concrètement les rapports sociaux de production au sein de l’infrastructure. Il s’opère ainsi, une relation circulaire et dialectique (une détermination réciproque) entre infrastructure (notamment entre rapports sociaux de production, structure de classe) et superstructure (en particulier la structure juridique de propriété des moyens de production).

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LA CLASSE DES ELITES CONTRE LA DEMOCRATIE ?Qu’est-ce qu’une élite ? Les perspectives essentialiste et naturaliste consistent à penser que les

spécialistes, les élites sont naturelles, puisque chaque société suppose un système de coordination, donc un minimum de centralisation pyramidale. Même dans les petits groupes qui cherchent à fonctionner de manière la plus horizontale possible, il existe généralement des leaders. Ces derniers sont aussi présents dans les grands groupes et plus encore les grandes organisations locales et nationales requièrent en plus des coordinateurs que l’on peut qualifier de dirigeants.

Les grandes organisations peuvent se passer des élites, mais pas des coordinateurs et des spécialistes.

Mais quelle est finalement la différence entre une élite et un dirigeant ? Est-ce seulement une question de démocratie, ou aussi une question de différence de compétences. Il semble bien que ce soit les deux, car un leader ou un dirigeant, s’il l’est pour ses compétences.

Le pouvoir peut être défini comme la capacité d’agir vers un but et de disposer d’un ascendant ou d’une domination sur les autres individus. Quant aux élites, Burton et Higley les définissent ainsi : ce sont « des personnes, qui sont capables, grâce à leur position dans des organisations puissantes, d’influencer de façon régulière la vie politique nationale »7. Nous souscrivons à cette définition, mais nous l’élargirons « la vie politique nationale », à la vie d’une nation ou du monde, car la politique n’est pas le seul secteur clé dans la gouvernance d’une nation et il existe des élites influentes hors du secteur économique, tel les grands PDG ou dans le secteur politique, telles les élites intellectuelles.

7 BURTON Michael, HIGLEY John, « Invitation to Elite Theory. The Basic Contentions Reconsidered », in William G. Domhoff, Thomas Dye, Power Elites and Organizations, Beverly Hills, Sage, 1987, p. 223.

SUPERSTRUCTURE

INFRASTRUCTURE

Structure de production

Rapports sociaux de production

Structure juridique

Structure des rapports de propriété (privée) des moyens de production

Structure de classes

CAUSALITE HISTORIQUE ET HIERARCHIE DES STRUCTURES SOCIETALES CHEZ MARX

Structures Etatique, Idéologique

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Cependant, si l’on considère le terme politique au sens large, alors l’influence idéologique des intellectuels et des grands patrons s’inscrit en effet dans la vie politique.

Ce qui caractérise une élite par rapport à un dirigeant, c’est essentiellement sa capacité à influer régulièrement sur le sommet de la pyramide du pouvoir économique, politique ou idéologique, ou sur l’ensemble de la vie d’un ou plusieurs de ces trois secteurs du pouvoir. Par conséquent, si les élites ne sont pas forcément consubstantielles, à la vie des groupes, les coordinateurs, donc les dirigeants, eux le sont. En effet, si un dirigeant ne disposent pas de compétences nettement supérieures à ceux qu’ils dirigent alors il ne peut considérer comme étant une élite. Par contre à compétence égale, si les procédures de décision ne sont pas suffisamment démocratiques et que le dirigeant se situe nettement au dessus des autres dans sa gestion du pouvoir, il devient alors une élite. Par conséquent, les élites ne sont pas consubstantielles au pouvoir, cependant les dirigeants, les coordinateurs et les spécialistes, eux le sont.

Au sein des infrastructures, la structure de classe la plus puissante est celle de la des élites économiques capitalistes. C'est-à-dire la classe hégémonique et dominante des propriétaires des grands moyens de production, tel le très grand patronat propriétaire du CAC 40, avec au sommet la classe des élites bancaires. Cette dernière se situe au sommet la pyramide du pouvoir, des classes socio-économiques. En dessous se positionnent, la structure de la classe du patronat (grandes entreprises), puis la classe des élites gestionnaires (les élites politiques élues, les élites bureaucratiques et technocratiques, c’est à dire classe régnante, dans le langage de Poulantzas. Alain Bihr explique, qu’à un niveau inférieur, on relève la structure de la classe des petits propriétaires des moyens de production, plus ou moins au même niveau, selon les cas que les cadres de la classe moyenne d’encadrement, qui eux sont des salariés. Enfin, tout en bas, de cette pyramide se situe la classe moyenne non-cadre et la classe prolétaire8.

On peut différencier la classe des élites économiques capitalistes (productives, financières, commerciales…) de la classe des élites politiques, publiques, militaires, médiatiques et intellectuelles. Chacun de ces types d'élites sert généralement prioritairement son intérêt personnel, cependant elles ont conscience que leur intérêt suppose que la classe des élites continuent d’exister et de dominer. Il est donc nécessaire pour elle, de servir les intérêts de la classe des élites, notamment capitalistes. Comme les souligne les Pinçon-Charlot, elles savent mieux que les autres classes sociales préserver leurs intérêts communs de classe9. En règle générale, il est difficile de figurer parmi la classe des élites, si on ne sert pas le pouvoir dominant du capitalisme mondialisé. En effet, une élite s’y oppose, elle devient gênante et les autres s’emploieront donc à limiter son influence, jusqu’à la faire tomber, car elle ternit leur dessein et leur image. La différence de pratique, de valeur et d’idéologie est généralement vécue dans les groupes sociaux, comme une forme d’agression et plus encore au sein de la classe des élites, qui tiennent les manettes du pouvoir traditionnel d’un pays.

La classe des élites se compose de celle des élites gestionnaires du capitalisme et celle des élites capitalistes. La classe des élites, n’est pas une « une classe en soi », mais une « classe pour soi », c'est-à-dire une classe consciente de ses intérêts communs de classe, pour reprendre les termes de Marx. La classe des élites gestionnaires se divise entre les gestionnaires privées (PDG) et publiques du capitalisme. Cette dernière peut aussi être qualifiée de classe des élites des pouvoirs publics, ou de classe des élites régnantes, pour reprendre les termes de Poulantzas (1971),. La classe capitaliste et celle des pouvoirs publics sont surtout unies, par le fait de conserver le pouvoir, en se le répartissant. Cette dernière possède le pouvoir législatif, exécutif, judiciaire de régulation de la société. Tandis que la classe capitaliste détient le pouvoir économique. Ces deux classes se partagent aussi différentes formes de légitimité qui sont complémentaires. Les élites élues, qui dirigent la classe des gestionnaires des pouvoirs publics disposent de la légitimité élective, les technocrates et bureaucrates de cette classe, d’une certaine légitimité d’expertise et les élites capitalistes, de la légitimité productive. Dans le système capitaliste, au sein de la classe des élites, celle des pouvoirs publics est unie à la classe des élites patronales. Cependant, cette dernière détient le pouvoir principal, grâce à la maîtrise des

8 BIHR Alain, Les Rapports sociaux de classes, Editions Page Deux, 2012, 140 pages9 PINÇON Michel, PINÇON-CHARLOT Monique, Grandes fortunes : Dynasties familiales et formes de richesses en

France, Petite Bibliothèque Payot, 2006.

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infrastructures économiques, qui lui permet d’exercer une influence forte sur le pouvoir de régulation de la classe gestionnaire des pouvoirs publics (élus, bureaucrates…). Dans les termes de Poulantzas (1971), la classe hégémonique capitaliste domine la classe régnante.

La classe des élites capitalistes et des gestionnaires publics du capitalisme domine la société. Pour le démontrer, nous nous appuierons principalement, sur les travaux de Nicos Poulantzas (1971). Afin d’analyser quelles sont les structures du pouvoir de classe, dans un système capitaliste, celui-ci reprend la distinction entre infrastructure économique et infrastructure relative aux rapports sociaux de production (ou structure de classes).

Les rapports sociaux de production, c'est-à-dire les classes sociales (propriétaire des moyens de production et non propriétaire) sont déterminées par les structures de production. Le couple formé par les rapports sociaux de production et les structures des forces de production forme les infrastructures. Marx précise que dans « la société, ce sont les rapports sociaux basés sur l'antagonisme des classes. Ces rapports sont, non pas des rapports d'individu à individu, mais d'ouvrier à capitaliste, de fermier à propriétaire foncier, etc. Effacez ces rapports, et vous aurez anéanti toute la société et votre Promé thée n'est plus qu'un fantôme sans bras ni jambes, c'est-à-dire sans atelier automatique, sans division de travail, manquant enfin de tout ce que vous lui avez donné primitivement pour lui faire obtenir cet excédent de travail »10.

« Les rapports sociaux sont intimement liés aux forces productives, les hommes changent leur mode de production, et en changeant le mode de production, la manière de produire, de gagner leur vie, ils changent tous leurs rapports sociaux (...). Suivant le caractère des moyens de production, ces rapports sociaux (...) seront tout naturellement différents. (…). Les mêmes hommes qui établissent les rapports sociaux conformément à leur productivité matérielle, produisent aussi les principes, les idées, les catégories, conformément à leurs rapports sociaux »11.

Lénine estime que les classes sociales sont donc fondamentalement déterminées par la place qu'elles occupent dans le système de production sociale, « par leur rapport aux moyens de production, par leur rôle dans l'organisation sociale du travail, et donc par les moyens d'obtention et la grandeur de la part des richesses sociales dont elles disposent. Les classes sont donc des groupes d'hommes dont l'un peut s'approprier le travail de l'autre, par suite de la différence de la place qu'ils tiennent dans un régime déterminé de l'économie sociale »12.

Ainsi, poursuit Marx, « les formes économiques sous lesquelles les hommes produisent, consomment, échangent, sont transitoires et historiques. Avec de nouvelles facultés productives acquises, les hommes changent leur mode de production, et avec le mode de production ils changent tous les rapports économiques qui n’ont été que les relations nécessaires de ce mode de production déterminé »13.

Ainsi, d’un point de vu individuel, le président de la république fédérale des Etats-Unis peut sans doute être considéré comme l’homme le plus puissant du monde, du moins au début du XXIe siècle. Cependant la classe des élites politiques et surtout financière est encore plus puissante que cet individu unique, étant donné qu’elle opère dans le cadre du système capitaliste. Ainsi, le pouvoir de la structure de classe économique et politique domine, celle de l’individu le plus puissant.

La classe la plus puissante en système capitaliste est bien sur « la classe capitaliste ». Elle se compose de la classe des propriétaires des moyens de production (le patronat). Nous pouvons les dénommer la classe économique capitaliste (la grande bourgeoisie), qui se décompose en trois sous classes : la classe des élites économiques capitalistes (le très haut patronat possédant les entreprises du CAC 40 en France), la classe patronale (les moyens et grands propriétaires capitalistes) et la classe des petits propriétaires des moyens de production (la petite bourgeoisie).

Selon Alain Bihr, la classe capitaliste, se compose de la « classe des propriétaires et des gestionnaires du capital social, qui dirige le procès global de reproduction du capital (…), propriétaires 10 MARX Karl, Misère de la philosophie, (1847) Traduction française, 1948, p. 76.11 MARX, (1847), 1948, p. 8412 LENINE, Les concepts élémentaires du matérialisme historique, Ed. Contradictions, 1974.13 MARX Karl Lettre à Paul Annenkov, 26 décembre 1846, in Études philosophiques, Éditions. Sociales 1968, pp. 147-

149.

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et cadres supérieurs dirigeant les entreprises privées ou publiques ; haut personnel politique, administratif et militaire ». La fraction supérieure des gestionnaires du capitalisme se compose des présidents élus, des élites technocratiques, tels les conseillers, les experts, des élites bureaucratiques, tels les directeurs des grandes administrations nationales et internationales. La classe des élites économiques capitalistes domine « les gestionnaires du capital social, qui dirige le procès global de reproduction du capital et au pouvoir de laquelle les salariés demeurent soumis » (Bihr, 2005). A la différence des classes capitalistes, les gestionnaires sont des salariés du privé ou du public et non des propriétaires des moyens de production.

La société est dirigée de manière dominante par la classe des élites capitalistes que sont les propriétaires des plus grandes transnationales. A la différence d’Alain Bihr, nous soustrairons les gestionnaires du capital social, de la classe capitaliste, pour la constituer en une classe à part, la classe des gestionnaires du capital. En effet, il nous semble plus juste et plus clair de séparer les « serviteurs » que sont les gestionnaires, des « maîtres » que sont les propriétaires privés des moyens de production du capital. Ce dernier ne se limite pas à sa dimension matérielle et financière, à la propriété, mais désigne aussi le type de rapport d’exploitation capitaliste et donc les classes capitalistes (grands propriétaires privés des moyens de production et des moyens financiers).

En France, notamment, dans les sociétés par actions la propriété revient aux actionnaires. Le président du conseil d’administration dirige le conseil d’administration (CA) des actionnaires. Le directeur général de l’entreprise est salarié et non-propriétaire de la totalité, ou d’une part conséquente d’une entreprise, par conséquent se situent dans la classe des gestionnaires. Le PDG (Président Directeur Général) cumul les deux fonctions. Plus un directeur général possède d’actions de l’entreprise qu’il dirige, plus ils passent du côté de la classe des propriétaires capitalistes. Dès qu’ils possèdent des actions, ce qui est majoritairement le cas, alors, du point de vue des rapports sociaux de production, c'est-à-dire des relations de classe entre propriétaires et salariés, le directeur général se situe à cheval entre ces deux classes. Dans la mesure ou dans les grandes entreprises privées les directeurs généraux, possèdent majoritairement un nombre important d’actions, puisqu’ils sont souvent rémunérés en stock-options (en actions) en plus de leurs salaires. C'est pourquoi ils se situent généralement dans la classe des propriétaires des moyens de production, c'est-à-dire la classe capitaliste. Mais, même lorsqu’ils ne se situent que dans la classe des gestionnaires du capitalisme, ils servent les intérêts des classes capitalistes, puisque c’est leur fonction, le motif principal de leur recrutement par ces dernières.

Au sommet de la classe des gestionnaires publics du capitalisme se situe la classe, ou fraction de classe des élites bureaucratiques des pouvoirs publics. Il s’agit par exemple des directeurs généraux des organisations internationales publiques, tel l’ONU, le FMI, la Banque Mondiale, l’OMC, des commissaires européens. Au niveau national, ce sera les directeurs généraux des administrations publiques, telle l’éducation nationale, la SNCF ou encore des généraux de l’armée. Ils dirigent la classe bureaucratique des pouvoirs publics, des cadres supérieurs aux simples employés de l’administration.

A leurs côtés, règne la classe des élites technocratiques que sont les experts, les spécialistes, les conseillers (parfois des intellectuels) de haut niveau. Ils sont présents dans chacune des grandes structures de pouvoir de la société. Cependant, les classes des élites bureaucratiques et technocratiques travaillent généralement main dans la main avec les classes des élites économiques capitalistes et politiques. D’abord, parce qu’ils sont recrutés et payés pour être à leur service, mais aussi, parce qu’ils prennent parfois ensuite leur place. Ainsi, certaines élites bureaucratiques ou technocratiques (en France ce sont généralement des Enarques), décident de se faire élire (Jospin, Chirac, Hollande, Guigou…) et deviennent alors des élites politiques. Parfois elles prennent les commandes politiques en étant simplement nommées, tel l’énarque Dominique de Villepin, qui devint 1 er

ministre du président Chirac. Ou encore Claude Guéant, qui fut préfet, puis conseiller du président Sarkozy, avant de devenir ministre, puis élus. Le président Hollande est un énarque et il s’est entouré de beaucoup d’énarques comme conseillers et comme ministres, tel Moscovici. « Selon une étude du politologue Luc Rouban, du Cevipof, l'entourage des conseillers élyséens de Nicolas Sarkozy comportait déjà 51,3% d'énarques, contre 43,9% sous Chirac, 25% durant le premier septennat de François Mitterrand... et 54% sous Giscard d'Estaing »14. Les conseillers élyséens sont donc de la classe des élites technocrates, qui deviennent parfois de futures élites politiques élues. Mais, ces élites

14 NOUZILLE Vincent, « Le grand retour des énarques », Le Figaro, 23 septembre 2012.

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techno-bureaucratiques viennent aussi régulièrement se substituer aux élites économiques. Les énarques étaient 20 % des grands patrons jusqu'en 1995 et 10 % en 200615. Il existe généralement une grande proximité idéologique, du parcours d’enseignement, de capital économique, social et culturel entre les classes des élites bureaucratiques, technocratiques, politiques et économiques.

Les classes des élites des pouvoirs publics nationaux et internationaux regroupent, les acteurs ayant une influence nationale, voire internationale et, qui sont des élus politiques, des technocrates (les ministres chaque fois qu’ils sont nommés et qu’ils ne sont pas élus au parlement, c'est-à-dire la très grande majorité dans les gouvernements français, les conseillers ministériels…) ou des bureaucrates (les grands administrateurs d’État, les commissaires européens, les directeurs des organisations internationales, telle l’OMC…). Au sommet de la classe des élites des pouvoirs publics nationales, règne la classe des élites politiques élues ou non (les présidents des républiques, les dictateurs ou dirigeants non élus de certains États, tels les monarques, ou les dictateurs), qui domine généralement, les classes des élites technocratiques et bureaucratiques.

Les élites intellectuelles représentent une classe à part. Car parmi, elles certaines peuvent réussir à se maintenir en haut de la hiérarchie, à exercer une influence, même lorsqu’elle critique le système. Ce fut par exemple, le cas du linguiste et politologue Noam Chomsky, du sociologue Pierre Bourdieu, de l’économiste Frédérique Lordon, car leur notoriété les protège, de même que leur statut professionnel de titulaire (chercheur ou enseignant) dans les pouvoirs publics. Mais, cela reste relativement rare, car on ne compte plus le nombre de chercheurs critiques ou « dissidents », qui ont été bâillonnés, ou du moins, dont l’expression à été fortement limitée, en les privant de financements suffisants pour qu’ils puissent consacrer suffisamment de temps pour leurs recherches à la critique du système. Ils ont soit manqué de ressources financières durant leurs études, soit été écartés des postes universitaires ou du CNRS, par les mandarins du système éducatif, qui protègent l’idéologie du système capitaliste adémocratique, car ils critiquaient trop le système dominant. Ces chercheurs critiques n’ont ainsi pas pu bénéficier de bourses d’études, ils ne n’ont pas été recrutés comme enseignants ou chercheurs, ni même comme journalistes. La privatisation de la recherche et de l’enseignement public renforce encore cette tendance, car elle accroît le pouvoir des financeurs privés et la loi de l’argent.

Les élites intellectuelles disposent donc d’un pouvoir spécifique, même si les de communication vers l’opinion publique, restent tenues majoritairement, par les élites de la classe capitaliste. Sous le pouvoir de ces derniers se situe donc celui, de la classe des gestionnaires du capital, puis celui de la classe des petits propriétaires des moyens de production (les artisans et les petits commerçants, les patrons de PME) que l’on appelait autrefois « la petite et moyenne bourgeoisie.» Ils disposent d’un pouvoir de domination plus ou moins équivalent ou inférieur à la classe d’encadrement, selon les situations.

La classe d’encadrement, théorisée par Alain Bihr, se compose des cadres supérieurs et des cadres moyens. Elle se situe entre la classe gestionnaire du capitalisme et les classes moyennes non-cadres. Les salariés de la classe d’encadrement « conçoivent, contrôlent, inculquent, légitiment les différents rapports de domination par l'intermédiaire desquels se reproduit le capital. Et ce aussi bien dans les appareils d'Etat et dans la société civile que dans les entreprises »16.

La classe prolétaire représente la classe la plus basse, celle, qui est la plus exploitée et dominée, car ses membres et ses membres accomplissent des tâches d’exécution. C'est pourquoi cette classe est plus large que la classe ouvrière, car tous les prolétaires ne sont pas des ouvriers.

La question de la représentation et de la définition des classes sociales s’avère un enjeu politique. Ce n’est pas simplement une question théorique et académique, comme le rappel Pierre Bourdieu, qui affirme même que, « la question de l'existence ou de la non-existence des classes est un enjeu de lutte des classes »17. Le modèle de Robert Cox s’inscrit dans celui de Gramsci, qui prend compte les classes sociales à la suite de Marx. Cox explique qu’il existe trois pôles au sein du bloc 15 KESLER Jean-François, L'ENA, le pire des systèmes à l'exception de tous les autres ? Albin Michel, 2007.16 BIHR Alain, Encadrement capitaliste et reproduction du capital : vers un nouveau paradigme marxiste des rapports de classe, Praxis, n°6 – novembre 2005.17 BOURDIEU Pierre, Questions de sociologie, Editions de Minuit, 1984.

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historique, fondé sur les infrastructures (les forces productives et les rapports sociaux de production) exerçant une prédominance sur les superstructures (idéologiques, juridiques, étatiques…), mais néanmoins de manière dialectique. Ainsi, les pouvoirs structurels de la classe des élites mondialisées opèrent de manière structurelle, systémique et hiérarchique, cependant, les élites individuelles disposent néanmoins d’une petite part de liberté, même si elle reste limitée face à la puissance des déterminismes du système.

A la différence de l’approche marxiste classique, dans le cadre d’une vision psycho-économique, nous estimons qu’au sein du « bloc historique », c’est néanmoins, le pouvoir de la structure psychologique des individus, qui reste une des trois premières structures de pouvoir au sein des infrastructures composées aussi des structures des forces productives et des structures de propriété (au sein des rapports sociaux de production). Nous chercherons à démontrer cela de manière plus détaillée un peu plus loin.

Les structures de classes sont un des trois pôles principaux de pouvoir déterminant la société (ou du bloc historique), dans lesquelles les intérêts de classe unissent les élites économiques et celles des pouvoirs publics. Poulantzas distingue la classe hégémonique, la classe dominante, la classe régnante, la classe tenante, les classes relais et les classes d’appuis. La classe des élites se constitue, plus encore que les autres, grâce à la défense de ses intérêts économiques, mais aussi par des proximités culturelles, sociales et symboliques entre ses membres.

Les acteurs et les structures, l'économique et le politique sont un des facteurs du pouvoir mondial et des carences démocratiques. C’est pourquoi, lorsque l’on conjugue une analyse politique (les superstructures) et économique (les infrastructures), actionnaliste (les acteurs) et déterministe (les structures), on parvient à une vision plus complète et plus fine des mécanismes du pouvoir mondial.

Poulantzas distingue la classe hégémonique, la classe dominante, la classe régnante, la classe tenante, les classes relais et les classes d’appuis. Gramsci explique que la lutte des classes s’inscrit dans le «bloc historique», qui regroupe l’ensemble des superstructures et des infrastructures. Ces dernières se composent des infrastructures économiques et infrastructures de classes (les rapports sociaux de production). Les classes entre elles se regroupent parfois entre elles dans le cadre d’un « bloc social.» Ce dernier représente « un système (…) d'alliances hiérarchisées entre différentes classes, fractions, couches ou catégories sociales, quelquefois rivales entre elles par ailleurs ; alliances constituées sous la direction de l'une d'entre elles, qui y occupe précisément une position hégémonique ; dont l’unité est assurée par un réseau d’organisations communes ainsi que par une idéologie commune ; qui peuvent d’ailleurs aboutir à une fusion partielle de certains de ces éléments» 18.

Poulantzas explique que l'hégémonie de la classe dominante s’exerce aussi par des alliances avec les autres classes sociales. « Dans le cadre de pareilles alliances, ces classes dominées peuvent accéder (mais ce n’est de loin pas toujours le cas) au rang de classe régnante, voire de classe tenante. La classe (ou fraction) régnante est celle «dont les partis politiques sont présents aux places dominantes de la scène politique»: c’est celle, dont les représentants politiques constituent et dirigent par exemple la coalition gouvernementale et/ou la coalition majoritaire sur le plan parlementaire. La classe (ou fraction) tenante de l'appareil d'État est celle «dans laquelle se recrute le personnel politique, bureaucratique, militaire, etc., qui occupe les “sommets” de l'État», autrement dit les hauts fonctionnaires civils, militaires, voire religieux19.

« D'autres classes, parties prenantes du bloc hégémonique, n'y ont que statut de classes ou de fractions relais. La classe dominante se contente de leur accorder quelques concessions (privilèges) économiques ou politiques ; essentiellement pour prix de leur rôle de «propagandistes» auprès de l'ensemble des classes dominées des intérêts, idées et valeurs autour desquels se soude le bloc hégémonique (…). D'autres, enfin, doivent se contenter d’un statut encore plus modeste de classes ou de fractions appuis. Elles n'obtiennent en fait aucune concession réelle de la part de la classe dominante. Leur soutien à cette dernière, leur participation au bloc hégémonique, se fonde en définitive essentiellement sur des illusions idéologiques, notamment quant à la nature et au rôle de l'État, perçu

18 BIHR Alain, Mai-juin 1968 en France: l’épicentre d’une crise d’hégémonie, A l'encontre, Lausanne, Suisse, Mai 2008.19 POULANTZAS, 1971, tome 2, p. 74 et 75, in Bihr (2008).

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comme arbitre impartial placé au-dessus des classes: elles sont de pures victimes du fétichisme de l’État » (Bihr, 2008).

Marx définit les classes sociales principalement en fonction de la dimension du pouvoir économique (propriétaires/salariés). C’est une approche, qui est dénommée réaliste. La classe objective telle que la nomme Bourdieu, se rapproche de l’approche réaliste de Marx. Chez Bourdieu la classe objective est fondée sur des individus disposant de conditions d’existence proche et de propriétés communes, les biens, le pouvoir, les habitus de classe. Bourdieu différencie donc, les « classes objectives » et les « classes mobilisées.» Ces dernières sont des regroupements de classes ou de fraction de classe, qui se mobilisent autour d’un intérêt commun, autour de stratégies communes (Bourdieu : 1979). Il s’agit chez Poulantzas par exemple des « classes régnantes » ou des « classes hégémoniques.» Poulantzas différencie donc les « classes mobilisées », qui viennent en quelque sorte se superposer « aux classes sociales réalistes », fondées sur la dimension économique.

« L’autonomie de l'Etat assure donc une domination plus complète de la bourgeoisie. Poulantzas propose alors de distinguer la classe ou fraction hégémonique et la classe ou fraction régnante, la (première ne cessant de contrôler, d'une manière indirecte ou directe, la fraction régnante tout en n'apparaissant pas elle-même sur la scène politique. Dans ce sens, il n'est pas nécessaire d'analyser l'origine de classe du personnel dirigeant d'Etat (…) peu importent les relations individuelles, qui unissent le personnel dirigeant du pouvoir politico-administratif et celui du monde des affaires. Car quelle que soit l'origine de classe du personnel politico- administratif, qu'il se recrute dans la petite, la moyenne ou la haute bourgeoisie la place qu'il occupe dans l'Etat fait de lui, en définitive, un ’’commis’’ 20 de la classe hégémonique »21.

La classe hégémonique, représente la classe des élites économiques capitalistes, dont la propriété des moyens de production et la conquête de l’hégémonie idéologique s’avèrent un des facteurs clés, lui permettant de dominer sans conflit apparent, la société et la classe régnante.

« Le bloc (social) hégémonique assure à la classe dominante une base sociale parmi les classes dominées qu'il intègre. Certaines de ces classes se font dès lors, les défenseurs des intérêts de la classe dominante au sein de l’ensemble de la société, élargissant d'autant l’assise sociale de son pouvoir politique, notamment sur le plan électoral»22.

Mais, comme le montre bien Nicos Poulantzas, « cette couche "régnante" n’exerce pas l’hégémonie : elle ne fait même pas partie du bloc au pouvoir. Ce décalage entre classe hégémonique dans la formation sociale et classe ou couche régnante explique aussi le fait constaté par Nicos Poulantzas qu’au sein de l’État ce sont les fractions régnantes, qui représentent les intérêts des classes ou fractions de classes hégémoniques, qui ne maîtrisent pas l’État [...]. Concernant la bourgeoisie, là encore, on observe le même décalage entre fraction hégémonique (celle, qui dirige le stade dominant du capitalisme au moment considéré) et fraction régnante (celle, qui assure sa domination directe sur la partie du prolétariat jouant le rôle décisif dans la reproduction de la force de travail) » (Bihr, 2008).

En social-démocratie, la classe régnante est la classe des élites gestionnaires du capitalisme aux commandes de l’État, mais elles sont au service de la classe hégémonique, c'est-à-dire la classe des élites économiques capitalistes. Dans un système communiste stalinien, « une fraction de l'encadrement va accéder à la position de classe dominante après avoir exproprié bourgeoisie et aristocratie foncière »23. Quant au système fasciste, il s’agit d’un système capitaliste autoritaire ou totalitaire. Dans un tel contexte, la classe régnante devient aussi la classe dominante. Il s’agit des classes gestionnaires de l’État sous le pouvoir du dictateur, tels que le furent Hitler ou Mussolini. Les classes capitalistes elles perdent alors leur statut de classe dominante et se contentent du rôle d’allié de la classe régnante, sous une forme de « classe d’appui.»

20 POULANTZAS Nicos, Les classes sociales dans le capitalisme contemporain, Paris, Le Seuil, 1975.21 POULANTZAS Nicos, Pouvoir politique et classes sociales, Paris, Maspero, 1968, p.310, in BIRNBAUM Pierre, « Modernisation du système politique ou transformation de la classe dirigeante », Pouvoirs n°04 - La Ve République - janvier 1978 (décembre 1982), p 51-59.22 BIHR Alain, Mai 2008. 23 BIHR Alain, Encadrement capitaliste et reproduction du capital : vers un nouveau paradigme marxiste des rapports de classe, Praxis, n°6 – novembre 2005.

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LES INTÉRÊTS DE CLASSE UNISSENT LES ÉLITES ÉCONOMIQUES ET CELLES DES POUVOIRS PUBLICS

Les classes des élites capitalistes et des pouvoirs publics disposent d’intérêts économiques communs. Les classes sociales s’érigent à la fois sur la base d’oppositions fondée sur le niveau du revenu, sur la nature de la propriété (patrons/salariés), mais aussi de points communs de nature socioculturelle. Michel et Monique Pinçon-Charlot montrent qu’à la différence de la majorité des classes populaires, les classes sociales économiquement élevées ont une conscience de classe forte, elles connaissent leurs intérêts communs, les défendent et s’entraident fortement pour défendre leurs acquis et leurs intérêts de classe…24

La classe sociale des élites des pouvoirs publics (élus, ministres, directeurs de la haute fonction publique…) ne dispose pas majoritairement de la propriété des moyens de production, mais lorsque ces membres possèdent des revenus ou un patrimoine financier suffisant, ils peuvent acheter des actions. Ces dernières leurs confèrent une partie de la propriété des moyens de production et les placent, dans ce cas en partie dans la classe patronale. Cependant, certains présidents élus aux commandes de leur pays, se rangent quant à eux, clairement dans la classe patronale, tels les Bush, propriétaires de grande entreprises, telles Carlyle aux États-Unis, en Italie, avec Sylvio Berlusconi, propriétaire de grands médias notamment. D’autres ne sont que député, mais sont néanmoins aussi membres de l’élite de la classe capitaliste, tel Serge Dassault, qui est le patron d’entreprises d’aviation et de grands médias (le journal Le Figaro). Pour ces différentes situations, il existe un véritable problème de conflits d’intérêts, entre l’intérêt général et celui du privé. Cependant, la plupart des élites politiques en république ne sont que rarement, en même temps, patrons d’entreprises ou propriétaires majoritaires.

La classe des élites des pouvoirs publics appartient très majoritairement aux classes socio-économiques élevées. Ses membres disposent beaucoup plus hauts salaires que la classe moyenne. Il possède aussi généralement, un patrimoine supérieur à cette dernière, dès le début de leur carrière politique ou publique (pour les bureaucrates), du fait de leurs classes socio-économiques d’origine, qui est généralement élevées. Il y a très peu d’élus nationaux issus de la classe moyenne, encore moins de classe prolétaire et ils sont encore plus rares, parmi les élites des pouvoirs publics. Il existe toujours quelques exceptions, qui permettent aux classes des élites de masquer, ce déterminisme de classe, tel Bérégovoy, un fils d’ouvrier, qui fut ministre sous Mitterrand, mais il se suicida…

La classe des élites des pouvoirs publics dispose d’un patrimoine au dessus de la moyenne, du fait de leur classe socio-économique de naissance. Ce patrimoine s’accroît continuellement grâce à des salaires ou des honoraires élevés. De nombreux députés, ministres ou conseillers, travaillent dans le privé, avant, pendant, ou après l’exercice de leur mission au sein des pouvoirs publics. Ainsi, leur intégration dans la hiérarchie des classes économiques les plus élevées est réelle et s’accroît au fur et à mesure de leur carrière. C'est pourquoi leurs intérêts économiques de classe s’avèrent communs avec la classe capitaliste et se renforcent tout au long de leur carrière. Ils n’ont donc pas davantage à tirer en créant des lois ou des décrets, qui iraient contre l’intérêt des classes, les plus riches de la société, même s’ils n’appartiennent pas directement à la classe patronale.

La proximité d’intérêts économiques de la classe des élites des pouvoirs publics, avec celle de la classe capitaliste, les conduit à se sentir proches les uns des autres de manière subconsciente ou non, en percevant clairement que la perte de leurs avantages économiques de classes nuirait aux avantages des membres des classes économiques élevées.

La dépendance psychique au pouvoir et à ses symboles unit les classes des élites économiques et des pouvoirs publics. En effet, l’appartenance à une classe sociale ne se limite pas au critère économique, il porte aussi sur le niveau hiérarchique. L’appartenance à la classe des élites des pouvoirs publics suppose de disposer d’un poste au sommet de la « classe régnante » et d’être en capacité d’exercer une certaine influence. Pour conserver ce pouvoir, il faut non seulement une connivence idéologique avec la classe des élites économiques capitalistes, mais il faut ressentir un besoin de nature psychologique de ne pas perdre ce pouvoir, ou même de l’accroître. Un élément

24 PINÇON Michel, PINÇON-CHARLOT Monique, Grandes fortunes : Dynasties familiales et formes de richesses en France, Pe-tite Bibliothèque Payot, 2006.

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commun, qui unit une majorité des élites économiques et publiques relève de leur dépendance psychique au pouvoir. Ce dernier est comme l’explique le psychanalyste Adler (1918) 25, fondé sur une peur subconsciente d’être faible. La dépendance aux postes de prestige, dépend aussi du besoin d’être reconnu pour sa compétence, fondée sur la peur de ne pas être aimée et d’être faible, car incompétent. Malgré leur apparente puissance, les élites restent donc en même temps relativement faible de ce point de vue. Ainsi, elles se tiennent entre elles, par la peur d’être évincé de ces postes de pouvoir et de prestige. La classe des élites économiques s’appuie aussi sur ce levier de cette dépendance, de cette peur, pour s’assurer de la docilité des élites des pouvoirs publics en faveur de ses intérêts de classe.

L’attitude à la fois ambitieuse et traditionaliste des élites, crée ainsi une homogénéité de comportements, de valeurs, qui favorisent les alliances au sein d’une même classe et entre la classe des élites des pouvoirs publics et celles des pouvoirs économiques. Même si parfois cela créer aussi des conflits de pouvoir, ils restent néanmoins subalternes par rapport à la force des alliances.

Il s’avère donc difficile d’accéder à la classe des élites des pouvoirs publics, en tant qu’élue ou bureaucrate, en servant prioritairement l’intérêt général des classes moyennes et populaires, avant l’intérêt des classes dominantes… Car dans ce cas, cet individu sera perçu comme hors norme et va donc détonner. La classe des élites aura donc tendance à la mettre de côté et par conséquent il descendra dans la hiérarchie, si tant est qu’il soit déjà parvenu à se hisser jusqu’à ce niveau.

La solidarité de classe entre élites des pouvoirs publics a aussi pour but la conservation du pouvoir des institutions publiques. Pour les élites des pouvoirs publics, la motivation pour l’accès aux ressources économiques n’est pas non plus à négliger, même si cela se révèle un peu plus secondaire. En effet, le besoin d’exercer le pouvoir sur autrui, le pouvoir de régulation et d’obtenir une reconnaissance sociale s’avère prépondérant, sur les gains financiers que confère ce type de fonction.

Dans les sociétés non capitalistes, tel le système soviétique, qui était de nature communiste, les classes des élites dirigeantes politiques et économiques disposaient aussi, de revenus et de conditions de vie, supérieures aux masses. L’enjeu consistait pour ces élites à assurer la pérennité de leur pouvoir économique ou politique vis-à-vis des masses. Tant que les citoyens et les dirigeants ne seront pas parvenus à abandonner leur besoin de pouvoir, les changements de système politique n’y changeront pas grand-chose. Ainsi, même dans un système communiste non totalitaire et purement égalitaire au plan économique, la classe des élites chercheront toujours à se maintenir en haut de la pyramide, afin de conserver les avantages du pouvoir, tels que la satisfaction de son besoin de domination ou de diriger les autres et les choses, mais aussi le prestige, la reconnaissance, un accès privilégié aux ressources, etc.

Les conflits au sein de la classe des élites sont secondaires, par rapport à leurs intérêts communs. Au-delà des conflits qui les animent, ces élites, tentent ne pas trop décrédibiliser les fonctions, les instances gouvernementales et étatiques, par lesquelles elles exercent leur pouvoir personnel. Sinon, les électeurs et l’opinion publique, risque de les rejeter tous, par le discours du « tous pourris.» Dans ce cas elles pourraient ne plus conserver ses postes de pouvoir, qui reviendraient alors à d’autres élus ou bureaucrates, après une nouvelle élection.

Les élites capitalistes et les élites des pouvoirs publics, qui agissent au niveau national ou international, dans le cadre des organisations publiques internationales, tels le FMI, l’OMC, ou le conseil de sécurité, disposent d’intérêts communs. Cependant, ces deux puissantes classes d’élites sont marquées par de nombreux conflits entre elles, afin de se hisser plus haut dans la hiérarchie des élites ou au moins pour conserver leur pouvoir. Cependant, lorsque la classe économique capitaliste (hégémonique) et la classe des pouvoirs publics (la classe gestionnaire) s’affrontent, ce qui les unit reste néanmoins prépondérant sur leurs divergences. Sinon, ces conflits seraient tels, qu’ils aboutiraient à une révolution. Or, il y en a peu en Occident, depuis plus de deux siècles, avec l’avènement du capitalisme, grâce à la Révolution française de 1789 notamment. Cette dernière a permis la liberté politique, mais aussi économique, contre le pouvoir monarchique. Cette révolution fût de plus, le fruit d’actions à l’initiative principale de la bourgeoisie, au service de ces intérêts politique et économique, telle la défense forte, de la propriété privée des moyens de production. Ce qui permit le développement rapide du capitalisme, alors débarrassé de l’entrave du pouvoir monarchique. 25 ADLER, 1918.

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Les alliances de classes entre élites économiques, politiques et publiques proviennent aussi de leur proximité de capital culturel et symbolique. Pour accéder et rester à des fonctions haut placées, un individu ambitieux doit savoir créer des liens, des alliances. Auparavant, il faut souvent avoir été recruté, nommé ou choisi. Or, Bourdieu, notamment dans son ouvrage intitulé « La distinction », à bien souligné l’importance des habitus de classe, tels que la manière de s’exprimer, le choix du vocabulaire, les choix vestimentaires, le type de loisirs (le golf), de voyage, de véhicule, etc. comme signes d’appartenance à une classe26. Le capital culturel que partage la classe des élites économiques et publiques, relève aussi de connaissance et d’idéologie communes, concernant les modèles économiques, sociaux et politiques, auxquels ils se réfèrent dans leurs argumentations. Si l’un d’entre eux appuie par exemple, son raisonnement sur le modèle de Marx, ou de Gramsci, il sera immédiatement repéré et évincé rapidement.

Si les élites des pouvoirs publics n’étaient pas dépendantes de leur besoin de pouvoir et de leur attachement à l’admiration des autres, il ne leur serait alors pas nécessaire de s’accrocher aux signes extérieurs de reconnaissance sociale. Les signes de leur réussite sociale prennent à leurs yeux, la forme de logements prestigieux, de véhicules luxueux, des rituels des grandes institutions symbolisant le pouvoir, les rencontres de dirigeants renommés, etc. Aussi, dans le champ politique et dans celui des pouvoirs publics, les élites recherchent moins l’accès à des revenus conséquents que les signes du pouvoir et de la reconnaissance sociale. Ils accroissent ainsi leur « capital symbolique » liés aux postes de prestige.

Comme ces élites sont dépendantes de leur pouvoir, elles dépendent donc, de ceux, qui pourraient leur retirer. Un élu dépend de ses électeurs, mais aussi de la classe des élites capitalistes dominantes, qui peut exercer des pressions fortes contre lui, s’il ne servait plus prioritairement ses intérêts.

La proximité du type de capital culturel, tel que des valeurs, des goûts communs, conditionne d’une part la capacité à intégrer la classe des élites des pouvoirs publics, mais permet aussi d’obtenir l’appui des classes capitalistes. Mais, il suppose aussi un capital social conséquent, c'est-à-dire des relations et des réseaux suffisants. D'un côté, la classe politique recherche à développer son carnet d’adresses afin d’accroître son influence et de l’autre la classe économique capitaliste, cherche à s’acheter les faveurs des élus et des dirigeants des pouvoirs publics. Ce capital social, se développe, par exemple lors d’invitations à des soirées, des dîners mondains, par la création de liens d’amitié, la cooptation dans des réseaux de pouvoir. Grâce à sa puissance économique, la classe capitaliste, peut aussi offrir des prêts en nature (voitures haut de gamme, résidences de prestige, yachts, avions…), envoyer des fonds légaux aux partis politiques, ou encore financer illégalement un élu ou son parti sur un compte dans un paradis fiscal… Ainsi, posséder et cultiver un capital culturel et social au sein des classes dominantes renforcent encore ces alliances de classes.

De même, la détention, d’un certain « capital symbolique » initial, favorise grandement l’intégration à la classe des élites des pouvoirs publics et le fait d’être reconnu comme un interlocuteur fiable et fidèle aux intérêts de la classe capitaliste. La possession d’un tel « capital symbolique », suppose par exemple en France d’être diplôme de l’ENA. Ce qui est considéré par les classes dominantes, comme la marque d’un niveau intellectuel et d’une éducation élevés. Mais, aussi comme le signe de la capacité à se conformer à un certain moule idéologique, culturel et comportemental. Être diplômé de hautes écoles commerciales sera préféré à un diplôme de sociologie, qui sera jugé comme étant l’indicateur d’une attitude plus critique envers le système. Afficher la possession de médailles, même si elles ne sont qu’honorifiques, telle la Légion d’honneur, renforce encore les signes d’appartenance à la classe des élites. Le fait que des médailles honorifiques puissent s’obtenir par la puissance de ses réseaux, n’est considéré comme n’étant que secondaire, par leurs détenteurs. Ce qui est primordial pour développer un capital symbolique est que chacun sache, qu’ils possèdent ces médailles. Dans ce cas il n’est pas vraiment utile de les afficher ou de les porter à la boutonnière. De même, avoir occupé des postes reconnus socialement, comme important ou prestigieux, renforce ce capital symbolique, même si la personne n’était plus en capacité d’exercer cette fonction à présent.

L’accès et la conservation à la « classe régnante » des élites (des pouvoirs publics) supposent une certaine soumission à l’idéologie de « classe hégémonique » des élites 26 BOURDIEU Pierre, La Distinction, Critique sociale du jugement, Collection « Le sens commun », 1979, 680 p

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capitalistes. Un individu ambitieux, s’il désir régner un jour et entend intégrer la classe régnante, telle que la définit Poulantzas (1971), n’a pas intérêt à défendre des positions politiques situées aux extrêmes, quelles soient de gauche ou de droite. En effet, majoritairement, ce sont les élus défendant des positions politiques proches du centre gauche, ou au centre droit, qui gagnent les élections. Car les résultats des votes suivent une loi de statistique, la courbe de gausse, qui prend la forme d’une courbe en cloche, où les extrêmes sont minoritaires et où le centre est majoritaire. Par conséquent, dans un système capitaliste républicain, pour gagner à une élection, il faut défendre des idées capitalistes et non des positions non majoritaires, telles l’autogestion communiste ou le fascisme. Ainsi, le système se reproduit lui-même grâce à l’élection au suffrage universel.

N’oublions pas que si ce dispositif de perpétuation du système capitaliste élitiste ne suffisait pas, les classes capitalistes ont aussi préparé l’opinion des électeurs, dès leurs plus jeunes âges depuis des générations, en façonnant l’idéologie hégémonique capitaliste, grâce aux médias, à la communication, à l’éducation, à la religion… C’est pourquoi, pour accéder au pouvoir, puis le conserver, suppose de montrer ses capacités à être le gardien de la tradition.

Savoir allier le respect de la tradition et la compétition sauvage est une clé d’accès et de conservation du pouvoir. C’est l’analyse de Alexandra Robbins, qui s’appuie pour affirmer cela, sur l’étude des méthodes éducatives de l’Université de Yale aux États-Unis. Celles, qui ont formé notamment les présidents Bush père et fils, de même que John Kerry un des candidats aux présidentielles. Ainsi, parallèlement aux connaissances générales acquises dans toute université, un ensemble de rituels, de clubs, de cérémonies, de « bizutages » visent à entraîner les étudiants au respect des traditions, des valeurs anciennes, afin de parvenir à se fondre dans les normes dominantes de la classe des élites. Mais, le simple conformisme ne suffit pas pour se hisser en haut de la hiérarchie, car il faut aussi savoir jouer des coudes, entre futures élites et apprendre à écraser ses concurrents aux postes de l’establishment. Pour cela les attitudes de compétitions sont vivement encouragées dans cette université. Or, l’esprit de compétition est un des fondements du néolibéralisme, c’est donc la coexistence de la compétition et du conformisme, qui fait la force de la classe des élites en général et de l’enseignement de cette université de Yale en particulier 27.

Les classes politiques pour être élues dépendent du financement de la classe capitaliste. La classe des élites des pouvoirs publics s’avère aussi la classe régnante en régime capitaliste. Elle dispose donc de prestige, de pouvoir de décision et d’une forte reconnaissance sociale. Elle le doit à ses électeurs, mais aussi à la classe hégémonique des élites capitalistes. En France, ces dernières peuvent légalement financer les partis politiques, de manière circonscrite, mais réelle. Dans d’autres nations, tels les États-Unis, le financement par des personnes ou des entreprises privées est autorisé sans limitation de montant. Par conséquent, sans leur appui, un élu n’a quasiment aucune chance d’être élu à un poste élevé. Car sans ce financement privé, il ne parviendrait pas gagner la bataille de la communication politique nécessaire à une élection. Un élu devient donc redevable pour cette élection, mais aussi pour la suivante, puisqu’il lui faudra à nouveau des ressources financières. Dans les pays où le financement des partis politiques est limité par la loi, il existe néanmoins la possibilité de contourner légalement la loi, par exemple en multipliant les faux partis, au sein d’une fédération d’un grand parti, tel l’UMP. Mais, il est aussi possible de se créer des caisses occultes, cette fois illégales, ce qui a conduit de nombreux trésoriers socialistes, tel Xavier Emmanuelli, comme des trésoriers néolibéraux, tel Alain Juppé, à être condamnés par les tribunaux. Couper le lien entre ces deux classes d’élites est donc bien difficile.

Les partis politiques dominants sélectionnent les élites politiques, qui serviront la classe hégémonique capitaliste. Si les élites de la classe politique servent aussi bien les intérêts de la classe hégémonique (capitaliste), c’est aussi que les partis politiques exercent notamment une fonction de sélection. Avant d’intégrer la classe des élites des pouvoirs publics, avec un poste de président, ou de ministre, il faut généralement avoir occupé des postes moins prestigieux. Il peut s’avérer utile d’accéder au préalable, à des postes relativement importants, tel celui de député. Mais, pour cela il faudra au préalable, avoir choisi un parti politique influent, c’est dire suivant l’orientation de la classe hégémonique capitaliste. Néanmoins, il sera nécessaire d’avoir été sélectionné pour représenter le parti. Pour cela le 27 ROBBINS Alexandra, Skull and Bones, La vérité sur l'élite secrète qui dirige les États Unis, Ed. Milo, 2005.

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candidat devra montrer que ces idées s’inscrivent bien dans celui de son parti, qui est lui-même dans la ligne de la classe des élites capitalistes. L’instauration du tirage au sort pour élire les représentants des pouvoirs publics, à l’instar de ce qu’il fut pratiqué à Athènes dans l’antiquité, s’il ne résoudrait pas tous les problèmes démocratiques, briserait néanmoins le mode de reproduction des élites fondées sur la démocratie représentative, qui subit la contrainte de la sélection des partis dominants 28. Cependant, lorsque les élites des pouvoirs publics ne défendent pas docilement les intérêts des classes dominantes, leurs pairs et les élites capitalistes disposent de ressources plus contraignantes, pour les soumettre.

La classe des élites des pouvoirs publics suit les intérêts de la classe des élites économiques capitalistes aussi sous la contrainte. Lorsque les intérêts communs ne suffisent plus à orienter les décisions politiques en leur faveur, les classes capitalistes usent de aussi de pressions, sur les classes politiques, en menaçant par exemple de délocaliser à l’étranger, les emplois de leurs électeurs. Ils peuvent aussi user du chantage, du frein à la croissance, si les impôts ou les normes sociales s’accroissent, etc. Mais, l’action exercée par les marchés financiers, qui semble la plus efficace actuellement, est la pression exercée sur les élites des pouvoirs publics, grâce aux taux d’intérêts de la dette publique.

Les élites politiques au pouvoir ont besoin de se faire réélire régulièrement, par conséquent, ils se doivent de concilier deux orientations contradictoires. Ils doivent donc satisfaire les intérêts de leurs électeurs majoritaires (généralement les classes moyennes), grâce à, qui il puise leur légitimité, mais sans s’opposer aux intérêts de la classe hégémonique, qui se compose principalement des élites et des grands patrons de la classe capitaliste. Ces derniers sont représentés en France par le MEDEF. Étant donné, qu’il est quasiment impossible, de contenter la masse de leur électeur et la classe capitaliste, ils sont régulièrement battus aux élections.

Depuis la fin des trente glorieuses, la situation socio-économique se dégrade, dans la majorité des pays industrialisés, mais la stratégie des élus politiques consiste à faire croire aux électeurs qu’il n’existe aucune autre solution : « there is no Alternative », clamait Madame Tacher. Pour cela, ils s’appuient sur le discours hégémonique, celui de la pensée unique, c'est-à-dire le capitalisme néolibéral pour les partis de droite et le capitalisme social libéral, pour ceux de centre gauche. Ils tentent de se disculper de leurs échecs à satisfaire les intérêts de la classe moyenne, en disant que ce ne sont pas les élus politiques, qui décident, mais les marchés nationaux et internationaux. Ce qui est d’ailleurs en partie vrai, dans un système capitaliste, dans lequel les infrastructures économiques dominent majoritairement, les superstructures des pouvoirs publics.

La classe des élites capitalistes mettra tout en œuvre pour évincer une élite dissidente des pouvoirs publics. Cette dernière peut-être un dirigeant de la classe des pouvoirs publics, tels un élu, un bureaucrate ou un technocrate, qui s’opposent aux intérêts des élites capitalistes et qui semblent avoir oublié que la classe des élites capitalistes reste la véritable classe dirigeante dans un système capitaliste. Les élites capitalistes s’appuieront tout d’abord sur leur capital social, c'est-à-dire leurs réseaux dans les partis politiques et les pouvoirs publics, pour exercer des pressions de nature politique. Il s’agit généralement d’arguments rationnels, qui relèvent du lobbying classique des entreprises envers les élus, mais aussi d’alliances, ou d’amitiés entre certains grands patrons et d’autres élites des pouvoirs publics influentes.

Si cela n’est pas suffisant, ils pourront menacer de diminuer leur financement à son parti, dans le cas d’un élu. Les tentatives de corruption sont aussi possibles. Mais, ils pourront aussi, exercer des menaces, tenter de sortir des affaires économiques, des histoires de mœurs anciennes concernant des membres de son parti ou l’élu lui-même. L’argument ultime, qui reste rare en république, mais nettement plus fréquent, dans les pays en développement, est l’assassinat. Ce fut le cas plusieurs présidents élus démocratiquement, Salvador Allende au Chili... Ou encore, Edouard Chavez au Venezuela, qui a subi plusieurs tentatives d’assassinats, avant de décédé d’un cancer foudroyant. Aux Etats-Unis, J.F. Kennedy et auparavant Abraham Lincoln, moururent tous deux, aussi dans un attentat, bien qu’ils présidaient un Etat dit démocratique.

Cependant, la classe capitaliste n’a généralement pas besoin, d’agir par elle-même, ni d’exercer des pressions envers une élite dissidente de la classe des pouvoirs publics, aussi dénommés, les 28 SINTOMER Yves, Le pouvoir au peuple. Jurys citoyens, tirage au sort et démocratie participative, La Découverte, Paris, 2007

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gestionnaires publics du capital chez Alain Bihr (2005), classe régnante chez Poulantzas (1971). Car en amont, les membres de cette dernière exercent eux-mêmes une pression forte, vis-à-vis de leurs pairs, afin qu’ils se conforment à l’idéologie hégémonique, c'est-à-dire le capitalisme, qui est une condition de l’appartenance à la classe des élites actuellement