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Stratégies de développement des arbres Mickaël JEZEGOU – Conseil Général des Côtes d'Armor Direction de l'agriculture des espaces ruraux et naturesl Service aménagement rural et forestier – Cellule bocage Le mode de développement des arbres est une discipline apparue dans les années 1970 à l'initiative de scientifiques comme Francis Hallé. Ces nouveaux travaux de recherche ont apporté un éclairage intéressant sur l'organisation du corps des plantes, leur architecture et leur vieillissement. Nous pouvons nous étonner que sur ce sujet, peu de travaux aient été entrepris jusqu'alors. Nous noterons l'exception forestière où la riche bibliographie nous éclaire sur la formation de la biomasse à travers les courbes de production de peuplement forestier. Ces dernières se cantonnent toutefois à analyser le développement d'un ensemble d'arbres sur un laps de temps assez court correspondant à leur stade de développement maximum. En matière de développement, deux stratégies s'opposent : - la stratégie du gigantisme qui concerne les espèces se développant à partir d'un axe principal. Cela concerne une majorité de conifères (Araucaria, Séquoias, épicéas…) mais aussi quelques feuillus comme le peuplier. - la stratégie de la réitération qui concerne la plupart des feuillus ainsi que quelques conifères comme l'if. Ces espèces forment à l'âge adulte une colonie de "petits arbres". On parle alors d'arbre coloniaire. Photo : Y MORHAN Sequoia géant – Plouec du Trieux Stratégie du gigantisme Chêne pédonculé – Plédéliac Stragégie de la réitération

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Stratégies de développement des arbres Mickaël JEZEGOU – Conseil Général des Côtes d'Armor Direction de l'agriculture des espaces ruraux et naturesl Service aménagement rural et forestier – Cellule bocage Le mode de développement des arbres est une discipline apparue dans les années 1970 à l'initiative de scientifiques comme Francis Hallé. Ces nouveaux travaux de recherche ont apporté un éclairage intéressant sur l'organisation du corps des plantes, leur architecture et leur vieillissement. Nous pouvons nous étonner que sur ce sujet, peu de travaux aient été entrepris jusqu'alors. Nous noterons l'exception forestière où la riche bibliographie nous éclaire sur la formation de la biomasse à travers les courbes de production de peuplement forestier. Ces dernières se cantonnent toutefois à analyser le développement d'un ensemble d'arbres sur un laps de temps assez court correspondant à leur stade de développement maximum. En matière de développement, deux stratégies s'opposent : - la stratégie du gigantisme qui concerne les espèces se développant à partir d'un axe principal. Cela concerne une majorité de conifères (Araucaria, Séquoias, épicéas…) mais aussi quelques feuillus comme le peuplier.

- la stratégie de la réitération qui concerne la plupart des feuillus ainsi que quelques conifères comme l'if. Ces espèces forment à l'âge adulte une colonie de "petits arbres". On parle alors d'arbre coloniaire.

Photo : Y MORHAN

Sequoia géant – Plouec du Trieux Stratégie du gigantisme

Chêne pédonculé – Plédéliac Stragégie de la réitération

Pour prolonger les premiers travaux de recherche, une modélisation du développement des arbres a été étudié par les chercheurs du CNRS et du CIRAD de Montpellier (unité mixte de recherche "AMAP). Il a été notamment mis en évidence le principe de l'architecture minimale. Chaque espèce se compose d'un nombre bien défini d'axes et l'organisation du végétal répond à une hiérarchisation des axes bien définie. Par exemple pour le frêne, il a été montré que l'unité architecturale minimale est composée de 3 axes de ramification possédant chacun des caractéristiques propres concernant l'orientation, la taille des unités de croissance, la phyllotaxie, la sexualité… Il est admis que lors de sa croissance cette espèce ne développera pas sur l'unité architecturale minimale d'axes complémentaires. Par extension, d'autres espèces ont été étudiées et il apparaît que le nombre d'axes de l'unité architecturale minimale varie d'une espèce à l'autre. Elle peut atteindre par exemple 5 axes pour le platane.

. Cependant le principe des unités architecturales minimales n'explique pas à elle seule le développement des arbres et notamment au stade adulte. Il est admis que les arbres capables de dupliquer leur séquence de développement initial connaissent un processus de réitération. Deux processus de duplication se distinguent : - le premier concerne la réitération séquentielle correspondant au développement naturel de l'arbre. Ce processus conduit au développement de la cime de l'arbre. En dehors de tout phénomène extérieur, le processus de développement d'un arbre est finalement assez simple. Après avoir mis en place une unité architecturale minimale, l'arbre va créer son houppier en développant une série de réitérations de plus en plus petite. Il est admis qu'un arbre atteint un stade adulte à partir de 4 à 5 niveaux de réitérations séquentielles.

Unité architecturale minimale sur frêne – Domaine départemantal de

la Roche Jagu (Ploëzal)

La réitération séquentielle

Réitération séquentielle sur un jeune Platane (Port du Légué à Plérin)

- le second concerne la réitération traumatique. Au cours de sa vie, un arbre peut subir une série de traumatisme d'ordre naturelle (chablis, volis, sécheresse, inondation…) ou artificielle (taille, blessure, changement drastique de conditions…). L'arbre va réagir à ces stress en redéveloppant de nouvelles unités architecturales minimales. Ce phénomène est d'une grande importance pour la vie de l'arbre qui développe finalement par cette réaction un processus de régénération et de survie à partir de bourgeons existants ou latents. Parmi les exemples de réitérations traumatiques nous pouvons citer une pratique courante dans la gestion des haies bocagères de Bretagne: l'émondage. Environ tous les 9 ans, l'arbre est régulièrement mis "à nu" par des élagages et étêtages. A chaque cycle, il développe des réitérations séquentielles formant la première année l'équivalent de "tapis" de semis.

Il faut également noter que ce mode de développement s'applique de la même manière au système racinaire. Au regard de ce mode de croissance, nous comprenons que les arbres détiennent les records de longévité. Parmi les différentes théories concernant le vieillissement, nous pouvons citer celle d'A. Shigo baptisé l'hypothèse "Peau – Cœur". Au cours de son développement, un arbre va voir sa masse statique se développer de manière exponentielle. Ses besoins en énergie (capture de l'énergie par le système racinaire ou foliaire) vont se développer de manière équivalente. Parallèlement, il a été mis en évidence que l'énergie potentielle disponible (ressource) était limitée. Un phénomène de scénécence intervient lorsque les 2 courbes se rappochent.

Arbre juvénile Arbre Jeune Arbre adulte Arbre scenécent

Temps

Éne

rgie

Evolution des réserves de métabolites de l’arbre Hypothèse peau / cœur développée par A. Shigorepris par W Moore (l’atelier de l’arbre)

Énergie nécessaire au développement de l’arbre

Énergie potentielle

Réitération traumatique sur émonde à Dolo Apparition de milliers de petits rejets

semblables à des semis naturels

Ce phénomène de scénécence a particulièrement été décrit grâce au travail de Christophe Drénou. Le chêne remarquable de Tronc-joli à Bulat Bestivien (22) a notamment servi à illustrer sa thèse sur le phénomène. La notion de scénescence se traduit par l'apparition de structure particulière à la périphérie de la cime avec des unités de croissance minuscules. Attention toutefois à ne pas confondre scénécence et dépérissement. Le premier correspond au stade ultime de développement de l'arbre et aboutit à la mort de l'arbre qui perd son aptitude à produire des rejets. Le second correspond à un phénomène de perturbation physiologique. Ce dernier, selon la vigueur de l'arbre et le niveau de stress, peut tout à fait être réversible grâce notamment au phénomène de réitération traumatique détaillé ci-avant. La connaissance architecturale des arbres peut permettre d'apprécier d'anciens phénomènes de dépérissement. Aujourd'hui, nous pouvons notamment observer ce phénomène sur de vieux arbres qui ont su réagir à un stress et reformer une nouvelle cime. Ce nouvel éclairage apporte un nouveau regard au gestionnaire d'arbre. Les nouvelles connaissance apportées par la recherche fondamentale sur le mode de développement des arbres peuvent avoir des applications concrètes.

Chêne pédonculé scénécent - Ploubalay Chêne pédonculé de plein champ dépérissant – Jugon Les lacs

Ensemble d'ifs remarquables de Kergrist Moëlou – Abandon de la cime initiale et reformation d'un nouveau houppier L'ancienne cime sera-t-elle encore visible dans un siècle ?

Photo : G Bernard

Un premier exemple concerne l'émondage. Cette pratique est parfois mal comprise par le grand public. Mais paradoxalement et contrairement aux idées reçues, ce type d'entretien permet de prolonger la vie de l'arbre. Artificiellement bridé, celui-ci préserve davantage ses réserves vitales et dépense moins d'énergie. Attention ce mode de gestion nécessite tout de même d'être réalisé dans les règles de l'art et de suivre une périodicité d'élagage de moins de 10 ans. Au-delà de cette fréquence, les réserves d'amidon accumulées au niveau des bourrelets des rejets migrent dans les branches supérieures. Il est alors très délicat de revenir en arrière sans mettre en péril la vie de l'arbre. Un second exemple concerne la taille des arbres. Comprendre les réponses physiologiques d’un arbre ou d’un arbuste à une taille est fondamental pour mettre en place des techniques de gestion adaptées. Dans le cas de formation d'arbre de haut-jet, il sera par exemple préférable de réaliser des tailles de formation sur les réitérations séquentielles plutôt que d'intervenir en élagage sur l'architecture minimale.

Repères bibliographiques Barthelemy D et al., 1997. Caractéristiques des différents ordre de ramification. http://amap.cirad.fr/architecture/planches/unite_frene.html Conseil Général des Côtes d'Armor, 2010. Emondes, les techniques d'entretien. http://www.cotesdarmor.fr/fileadmin/user_upload/developpement/l_agriculture/le_bocage/emondes.pdf Drenou C. et Feterman G., 2009. Face aux arbres. Ulmer, Paris 160 p. Drenou C. et Edelin C., 1994. Approche architecturale de la senescence des arbres. Le cas de quelques angiospermes tempérées et tropicales, Thèse de doctorat Université de Montpellier II, 261 p Edelin C, 2010. L'architecture caulinaire et racinaire des arbres, in L'arbre durable mais vulnérable, acte du colloque du 28 mai 2010 à Paris, 56 p, ed SNHF, Paris. Hallé F & Oldemann R.A.A., 1970. Essai sur l'architecture et la dynamique de croissance des arbres tropicaux. Masson, Paris 178 p. Mansion D., 2010. Les trognes, l'arbre paysan aux milles usages. Edilarge, 120 p. Moore, W, 2003. Le modèle des Zones de l'arbre. Arbres et Sciences n°8 Moore W, 2006. Le processus de vieillissement de l'arbre et particularité des trognes. Atelier de l'arbre

Taille de formation

Élagage

Formation d’arbre de haut-jet

Pour les formations d'arbres de haut-jet mieux vaut privilégier une taille de formation (intervention sur les réitération séquentielles) qu'un élagage (intervention sur l'architecture minimale)