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STEPHENIEMEYER

FASCINATION

Traduitdel’anglais(état-unis)parLucRigoureau

Hachette

©HachetteLivre2005.43,quaideGrenelle,75015Paris.

978-2-012-01970-6

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Pourmasœuraînée,Émily,sansl’enthousiasmedelaquellecettehistoiren’auraitjamaisététerminée.

Maisdel’arbredelaconnaissancedubienetdumaltunemangeraspas,Carlejouroùtuenmangeras,tuenmourras.Genèse,2,17.

L’éditionoriginaledecetteœuvreaparusousletitreoriginalde:TWILIGHT,auxéditionsLittle,BrownandCompany

(Inc.),NewYork,NewYork,USA.Tousdroitsréservés.

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Prologue

Jen’aijamaisbeaucoupréfléchiàlamanièredontjemourrais–mêmesi,cesderniers

mois, j’aurais eu toutes les raisons de le faire – mais je n’aurais pas imaginé que ça sepasseraitainsi.

Haletante, je fixai lesyeuxnoirsduprédateur,à l’autreboutde la longuepièce. Ilmerenditmonregardavecaffabilité.

C’étaitsûrementunebonnefaçond’enterminer.Àlaplaced’unautre,d’unquej’aimais.Noble,pourrait-ondire.Çadevraitcompterenmafaveur.

Sijen’étaispaspartiepourForks,jenemeseraispasretrouvéedanscettesituation,j’enavais conscience. Pourtant, aussi terrifiée que je fusse, je n’arrivais pas à regretter madécision.Quandlavievousafaitdond’unrêvequiadépassétoutesvosespérances,ilseraitdéraisonnabledepleurersursafin.

Cefutavecunsourireaimableettranquillequelechasseurs’approchapourmetuer.

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1

PREMIÈRERENCONTRE

Mamèremeconduisitàl’aéroporttoutesfenêtresouvertes.Latempérature,àPhœnix,

frôlaitlesvingtetundegrés,lecielétaitd’unbleuéclatant.Enguised’adieux,jeportaismachemisepréférée,lablanchesansmanches,auxboutonnièresrehausséesdedentelle.J’avaismoncoupe-ventpourseulbagageàmain.

Il existe, dans la péninsule d’Olympic, au nord-ouest de l’État de Washington, unebourgade insignifiante appelée Forks où la couverture nuageuse est quasi constante. Il ypleut plusquepartout ailleurs auxÉtats-Unis.C’est cette ville et son climat éternellementlugubre quemamère avait fuis en emportant le nourrisson que j’étais alors. C’est là quej’avaisdûmerendre,unmoistouslesétés,jusqu’àmesquatorzeans,âgeauquelj’avaisenfinoséprotester.Cestroisdernièresannées,monpère,Charlie,avaitacceptédesubstitueràmesséjoursobligatoireschezluiquinzejoursdevacancesavecmoienCalifornie.

Et c’était versForksque jem’exilais à présent–un acte quim’horrifiait. JedétestaisForks.

J’adoraisPhœnix.J’adoraislesoleiletlachaleursuffocante.J’adoraisledynamismedelavilleimmense.

—Riennet’yoblige,Bella,merépétamamèrepourlaénièmefoisavantquejegrimpedansl’avion.

Mamèremeressemble,sicen’estqu’ellealescheveuxcourtsetlevisageridéàforcederire. Je scrutai ses grands yeux enfantins, et une bouffée de panique me submergea.Commentmamère aimante, imprévisible et écervelée allait-elle se débrouiller sansmoi ?Certes,elleavaitPhil,désormais.Lesfacturesseraientsansdoutepayées,leréfrigérateuretle réservoir de la voiture remplis, et elle aurait quelqu’un à qui téléphoner quand elle seperdrait.Pourtant...

—J’enaienvie,répondis-je.J’aibeaun’avoir jamaissumentir, j’avais répétécebonimentavecune telle régularité

depuisquelquessemainesqu’ileutl’airpresqueconvaincant.—SalueCharliedemapart.—Jen’ymanqueraipas.—Onsevoitbientôt,insista-t-elle.Lamaisonteresteouverte.Jereviendraidèsquetu

aurasbesoindemoi.Sonregardtrahissaitcependantlesacrificequecettepromessereprésentait.—Net’inquiètepas.Çavaêtregénial.Jet’aime,maman.Ellemeserrafortpendantunebonneminute,jemontaidansl’avion,elles’enalla.EntrePhœnixetSeattle, levoldurequatreheures,auxquelless’enajouteunedansun

petitcoucoujusqu’àPortAngeles,puisunejusqu’àForks,enauto.Autantl’avionnemegêne

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pas,autantj’appréhendaislarouteencompagniedeCharlie.Charlies’étaitmontréà lahauteur. Ilavaitparuréellementheureuxdemadécision–

unepremière–devenirvivreavecluiàplusoumoinslongterme.Ilm’avaitdéjàinscriteau

lycée,s’étaitengagéàmedonneruncoupdemainpourmetrouverunevoiture[1].Maisça

n’allaitpasêtre facile.Aucundenousn’est trèsprolixe,commeondit,et jenesuispasdugenre àmeubler la conversation. Jedevinaisqu’il était plusqueperturbéparmon choix–commemamèreavantmoi,jen’avaispascachélarépulsionquem’inspiraitForks.

Quand j’atterrisàPortAngeles, ilpleuvait.Jeneprispasçapourunmauvaisprésage,juste la fatalité. J’avais d’ores et déjà fait mon deuil du soleil. Sans surprise, Charliem’attendait avec le véhicule de patrouille. Charlie Swan est le Chef de la police, pour lesbonnesgensdeForks.Mondésird’acheterunevoitureendépitdemesmaigresressourcesétaitavanttoutmotivéparmonrefusdemetrimballerenvilledansunebagnoleéquipéedegyropharesbleusetrouges.Riendetelqu’unflicpourralentirlacirculation.

Charlie m’étreignit maladroitement, d’un seul bras, lorsque, m’approchant de lui, jetrébuchai.

— Content de te voir, Bella, dit-il en souriant et enme rattrapant avec l’aisance quedonnel’habitude.Tun’aspasbeaucoupchangé.CommentvaRenée?

—Mamanvabien.Moiaussi,jesuisheureusedetevoir,papa.Devantlui,j’étaispriéedenepasl’appelerCharlie.Je n’avais que quelques sacs. La plupart des vêtements que je portais en Arizona

n’étaient pas assez imperméables pour l’État deWashington.Mamère etmoi nous étionscotisées pour élargirma garde-robe d’hiver,mais ça n’avait pas été très loin. Le tout entraaisémentdanslecoffre.

—Jet’aidégotéunebonnevoiture,m’annonçaCharlieunefoisnosceinturesbouclées.Ellet’iracommeungant.Paschèredutout.

—Quelgenre?Sonbesoindepréciserqu’ellem’iraitcommeungantaulieudes’entenirà«unebonne

voiture»m’avaitrenduesoupçonneuse.—Enfait,c’estunecamionnetteàplateau.UneChevrolet.—Oùl’as-tutrouvée?—TuterappellesBillyBlackdeLaPush?LaPushestlaminusculeréserveindiennesituéesurlacôte.—Non.—Ils’enservaitpourallerpêcher,l’été.Cequiexpliquaitpourquoijenem’ensouvenaispas.Jesuisplutôtdouéepourgommer

demamémoirelesdétailsaussiinutilesquedouloureux.—Ilestclouésurunfauteuilroulant,maintenant,continuaCharlie,ilnepeutdoncplus

conduire.Ilm’enademandéunprixtrèsraisonnable.—Dequelleannéedate-t-elle?Rienqu’àsonexpression,jecomprisqu’ilavaitescomptécouperàcettequestion.—Euh,Billyasacrémentbricolélemoteur...Ellen’estpassivieillequeça,tusais.Ilnepensaitquandmêmepasquej’allaisrenoncersifacilement?Jenesuispascruche

àcepoint-là.—Ill’aachetéeen1984,mesemble-t-il,enchaîna-t-il.—Neuve?— Euh, non. Je crois que c’est un modèle du début des années soixante, avoua-t-il,

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piteux.Oudelafindesannéescinquante.Maispasplus.—Char... Papa, je n’y connais rien enmécanique. Je serai incapable de la réparer s’il

arrivequoiquecesoit,etjen’aipaslesmoyensdepayerungaragiste...— T’inquiète, Bella, cet engin est comme neuf. On n’en fabrique plus des comme ça,

aujourd’hui.«Cetengin...»Çapromettait!—C’estquoi,paschère?Aprèstout,c’étaitlaseulechosesurlaquellejenepouvaismepermettredememontrer

difficile.—Euh,laisse-moitel’offrir,chérie.Unesortedecadeaudebienvenue.Charliemejetauncoupd’œilpleind’espoir.Unevoituregratuite.Rienqueça!—Tun’espasobligé,papa.J’avaisprévud’enacheterune.—Fais-moiplaisir.Jeveuxquetusoisheureuse,ici.Il se concentrait de nouveau sur la route. Charlie a dumal à exprimer ses émotions.

Difficultédontj’aihérité.C’estdoncenfixantmoiaussilepare-brisequejerépondis:—C’estvraimenttrèsgentil,papa.Merci.C’estuncadeauformidable.Inutile de lui préciser qu’être heureuse à Forks relevait de l’impossible. Il n’avait pas

besoindesouffriravecmoi.Àchevaldonné,onneregardepaslabouche.Pasplusqu’onneregardelemoteurd’unecamionnettequ’onn’apaspayée.

—Euh,derien,marmonna-t-il,gêné.Nous échangeâmes encore quelques commentaires sur le temps – humide –, et la

discussions’entintlà.Ensuite,nouscontemplâmeslepaysage.Magnifique,ilmefallaitenconvenir.Toutétaitvert:lesarbres,leurstroncscouvertsde

lichen,leursfrondaisonsdégoulinantesdemousse,lesolencombrédefougères.Mêmel’airquifiltraitàtraverslesfeuillesavaitdesrefletsverdâtres.Uneoverdosedeverdure–j’étaischezlesMartiens.

Nous finîmes par arriver chez Charlie. Il vivait toujours dans lamaisonnette de troispiècesachetéeavecmamèreauxpremiers(etseuls) joursde leurmariage.Devantce logisimmuableétaitgaréemanouvelle–pourmoi–voiture.D’unrougedélavé,elleétaitdotéed’ailesénormesetbombéesainsiqued’unecabinerebondie.Àmaplusgrandesurprise,j’entombaiamoureuse.J’ignoraissielleroulerait,maisjem’yvoyaisdéjà.Deplus,c’étaitunedecesbêtesenaciersolidequirésistentàtout,decellesqui,encasdecollision,n’ontpasuneégratignurealorsquelevéhiculequ’ellesontdétruitgîtenpiècesdétachéessurlesol.

—Elleestgéniale,papa!Jel’adore!Merci!La journée abominable quim’attendait le lendemain en serait d’autantmoins atroce.

Pour aller au lycée, je n’aurais pas à choisir entre unemarche de deux kilomètres sous lapluieouuneviréedanslavoituredepatrouilleduChefSwan.

—Raviqu’elleteplaise,bougonnaCharlie,embarrasséparmonexpansivité.Jenemispaslongtempsàtransportermesaffairesàl’étage.J’avaislagrandechambreà

l’ouest, celle qui donnait sur la façade. Ellem’était familière, ayant étémienne depuismanaissance.Leplancher,lesmursbleuclair,leplafondincliné,lesrideauxdedentellejaunieàlafenêtre–toutcelaappartenaitàmonenfance.LesseulschangementsopérésparCharlieaufuretàmesurequej’avaisgrandiavaientconsistéàremplacerleberceauparunlitpuisàajouter un bureau. Sur ce dernier trônait désormais un ordinateur d’occasion, la ligne dumodem agrafée le long de la plinthe jusqu’à la prise de téléphone la plus proche. Uneexigencedemamère,histoiredegarderplusfacilementlecontact.Lerocking-chairquiavait

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bercémaprimejeunesseétaittoujoursdanslemêmecoin.Iln’yavait,surlepalier,qu’unepetitesalledebainsquejedevraispartageravecCharlie,

uneperspectiveàlaquellejem’efforçaidenepastroppenser.Charlie a une grande qualité : il n’embête pas les gens. Il me laissa doncm’installer

tranquillement,unexploitdontmamèreauraitétéincapable.Jefuscontentedecetinstantdesolitudependantlequeljen’avaisniàsourireniàafficherunairbéat.Jepuscontempleràloisir la pluie battante ; découragée, je m’autorisai même quelques larmes. Je n’étaiscependantpasd’humeuràpleurerpourdebon.Jegardaisçapourl’heureducoucher,lorsquejedevraissongeraumatinsuivant.

Le lycéedeForksn’accueillaitque trois cent cinquante-sept élèves– cinquante-huit àprésent:terrifiant!ÀPhœnix,lesclassesdepremièrecomptaientàellesseulesplusdeseptcentsindividus.Ici,touslesmômesavaientgrandiensembleaumêmeendroit,commeleursgrands-parents avaient fait leurs premiers pas à la même époque et aumême endroit. Jeseraislanouvelle,venuedelagrandeville,unobjetdecuriosité,unmonstre.

Sij’avaiseul’allured’unefilledePhœnix,j’auraissansdoutepuentireravantage.Mais,physiquement,jenem’étaisjamaisadaptée.Aulieud’êtrebronzée,sportive,blonde,joueusedevolley,etpourquoipaspom-pomgirl,bref,lapanopliedetoutefillevivantdanslaValléeduSoleil, j’avais, endépitde l’éternel étéd’Arizona,unepeaud’ivoire, sansmême l’excused’avoir les yeux bleus ou les cheveux roux. J’ai toujours été mince, dans le genre moucependant–riend’uneathlète.Jen’étaispasassezcoordonnéedansmesmouvementspourpratiquer un sport sansm’humilier –, et je ne parle pas des blessures que jem’infligeais,ainsiqu’àceuxquisetenaienttropprèsdemoi.

Mes vêtements rangés dans la vieille commode en pin surmontée d’un miroir,j’emportaimatroussedetoilettedanslasalledebainscommuneafindemedébarrasserdelacrasseduvoyage.Toutendémêlantmescheveuxmouillés,jem’examinaidanslaglace.Peut-êtreétait-ce la lumière,mais jeme trouvaimauvaisemine, le teint terne.Mapeaupouvaitêtrejolie–elleétaittrèspâle,presquetranslucide–àconditiond’avoirquelquescouleurs.Jen’avaispasdecouleurs,ici.

Devantmonrefletblafard,jefuscontrainted’admettrequejemementais.Cen’étaitpasqu’unequestiondephysique.Jenem’intégreraispas.Sijen’avaispasréussiàmefondreaumilieudestroismilleélèvesdemonprécédentlycée,qu’allait-ilenêtredanscebled?J’avaisdumalàm’entendreaveclesgensdemonâge.Plusexactement,j’avaisdumalàm’entendreaveclesgens,unpointc’esttout.Mêmemamère,lapersonneaumondedontj’étaislaplusproche,n’étaitjamaisenharmonieavecmoi,jamaissurlamêmelongueurd’onde.Parfois,jemedemandaissimesyeuxvoyaientcommeceuxdesautres.Moncerveausouffraitpeut-êtred’unedéfaillance.

Mais la cause importait peu, seul comptait l’effet. Dire que demain ne serait qu’undébut!

Jedormismal,cettenuit-là,bienque j’eussepleuré.Lesclaquementspermanentsdes

gouttesetduventsurletoitrefusaientdes’estomperensimplebruitdefond.Jeramenailevieuxcouvre-litdélavésurmatête,yajoutaiplustardl’oreiller.Rienn’yfit:jenem’assoupispasavantminuit,lorsquelapluiefinitparsetransformerenuncrachinétouffé.

Aumatin,mafenêtrem’offraitpourseulspectacleunépaisbrouillard,etunesensationde claustrophobie grimpa sournoisement en moi. On ne voyait jamais le ciel, ici ; c’étaitcommed’êtreencage.

Lepetit-déjeunerencompagniedeCharliesedéroulaensilence.Ilmesouhaitabonne

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chancepourlelycée.Jeleremerciai,conscientedelavanitédesesbonnesparoles.Lachanceavaittendanceàmefuir.Charliesesauvalepremiervers lecommissariat–sonépouse,safamille.Unefoisseule,jerestaiassisesurl’unedestroischaisesdépareilléesquientouraientl’anciennetablecarréeenchêneetexaminailaminusculecuisineauxmurspalissésdeboissombre,auxplacardsjaunevifetausolcouvertdelinoblanc.Rienn’avaitchangé.C’étaitmamèrequi avaitpeint lesmenuiseries,dix-huit ansplus tôt, tentativedérisoired’amenerunpeudesoleildanslamaison.Surlemanteaudelapetitecheminéedusalonadjacent,pasplusgrandqu’unmouchoirdepoche,setrouvaitunerangéedephotos.UnedumariagedeCharlieetRenéeàLasVegas,puisunedenoustroisàlamaternitéaprèsmanaissance,priseparuneinfirmière serviable, suivie de la ribambelle de mes portraits d’école, y compris celui del’année précédente. Ces derniersm’embarrassèrent – il faudrait que j’en touche unmot àCharliepourqu’illesmetteailleurs,aumoinstantquejevivraischezlui.

Ilm’étaitimpossible,danscettemaison,d’oublierquemonpèrenes’étaitpasremisdudépartdemaman.J’enéprouvaiuncertainmalaise.

Jene tenaispasàarriver trop tôtau lycée,mais jenesupportaispasderester iciuneminute de plus. J’enfilai mon coupe-vent – qui me fit l’effet d’avoir été tissé dans uncomposantdangereuxpour l’homme–etsortis. Ilbruinaitencore,pasdequoimetrempernéanmoinspendantlesquelquesminutesoùj’attrapailaclétoujourscachéesousl’avant-toitde la porte et verrouillai celle-ci.Mesnouvelles bottes imperméabilisées chuintaient d’unefaçonagaçante.Lescraquementshabituelsdugraviersousmespasmemanquaient.Jen’euspasl’occasiond’admirermacamionnettetoutmoncontent;j’avaistrophâted’échapperàlabrumehumidequivirevoltaitautourdematêteets’accrochaitàmescheveux,endépitdemacapuche.

L’habitacleétaitagréablementsec.BillyouCharlieavaientapparemmentfaitunbrindeménage, même si les sièges capitonnés marron clair sentaient encore un peu le tabac,l’essenceetlamenthepoivrée.Àmongrandsoulagement,lemoteurréagitauquartdetour,mais bruyamment, rugissant à l’allumage avant de tomber dans un ralenti assourdissant.Bah!Unvéhiculeaussiantiquenepouvaitêtreparfait.Laradioantédiluviennefonctionnait,uneheureusesurprise.

Bienquejen’yeussejamaismislespieds,trouverlelycéefutunjeud’enfant.Commela plupart des autres édifices officiels locaux, il était situé le long de la quatre voies. Àpremière vue, il n’avait rien d’un établissement scolaire. Seul le panneau annonçant safonctionm’incita àm’arrêter.Onauraitditune sériedemaisons identiques construites enbriquesbordeaux.Ilétaitnoyéaumilieudetantd’arbresetd’arbustesquej’eusd’aborddumal à enmesurer l’étendue.Où était passée la solennité de l’institution ?medemandai-je

avecnostalgie.Oùavaientdisparulesclôturesgrillagéesetlesdétecteursdemétaux[2]

?Jemegaraidevantlepremierbâtiment,quiarborait,au-dessusdesaporte,unécriteau

marqué ACCUEIL. Il n’y avait aucune autre voiture, d’où je conclus que le stationnementétaitinterdit.Mieuxvalaitcependantdemanderunplanàl’intérieurplutôtquedetournerenrondsouslapluiecommeuneidiote.Quittantàregretlacabinesurchauffée,jeremontaiunétroitcheminpavébordédehaiessombres.Jeprisuneprofondeinspirationavantd’entrer.

L’intérieur était brillamment éclairé et plus chaleureux que ce que j’avais prévu. Lebureaun’étaitpasvaste:unesalled’attenteexiguëavecdeschaisespliantescapitonnées,unemoquette mouchetée, orange et de mauvaise qualité, des murs surchargés d’avis et detrophées,unegrossependulebruyante.Desplantespoussaient àprofusiondansdegrandspotsenplastique,àcroirequ’iln’yavaitpasassezdeverduredehors.Lapièceétaitcoupéeen

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deuxparunlongcomptoirqu’encombraientdesdépliantsauxcouleursvivesetdescorbeillesmétalliquesdébordantdepaperasse.Derrière,troisbureaux,dontl’unréservéàunematroneàlunettesetcheveuxrouges.ElleportaitunT-shirtvioletquimedonnaaussitôtlesentimentd’êtresurmontrenteetun.

Lafemmeàlacrinièreflamboyantelevalatête.—Jepeuxt’aider?—Jem’appelleIsabellaSwan,l’informai-je.Immédiatement,unéclatallumasonœil.Elleétaitaucourant,j’étaisattendue,unsujet

deragotsàn’enpasdouter.Lafille,enfinrentréeaubercail,del’ex-épousevolageduChef.—Ahoui,acquiesça-t-elle.Elle fouilla dans une pile dangereusement instable de papiers jusqu’à dénicher ceux

qu’ellecherchait.—Voicitonemploidutemps.Etunplandulycée.Ellem’apportaplusieursfeuillesetm’indiqual’emplacementdemesclasses,surlignant

lescheminslesplusrapides.Ellemedonnaaussiuneficheàfairesignerparchaqueprofetm’avertit que j’étais priée de la lui rapporter en fin de journée.Avec un sourire, elle émit,comme Charlie, le vœu que je me plusse à Forks. Je lui répondis par le rictus le plusconvaincantàmadisposition.

LorsquejeregagnailaChevrolet,d’autresélèvesavaientcommencéàarriver.Suivantlafiledesvéhicules,jecontournailelycée.Jeconstataiavecplaisirquelaplupartdesvoituresétaientplusvieillesque lamienne, riende tape-à-l’œil.ÀPhœnix, j’avaisvécudansundesraresquartiersmodestesponctuant ledistrict deParadiseValley. Il n’était pas rarede voiruneMercedesouunePorscheflambantneuvessurleparking.Ici,laplusbellevoitureétaituneVolvorutilante,etelledétonnait.Malgré tout, jecoupai lecontactdèsque j’eus trouvéuneplace,histoiredenepastropattirerl’attentionparmespétarades.

Avantdedescendre, j’essayaidemémorisermonplanafindenepasdevoir le sortir àtoutboutdechamp,auvudetous.J’enfouisensuitelespapiersdansmonsac,miscederniersurmonépauleetrespiraiungrandcoup.«Tupeuxlefaire,mementis-jesansbeaucoupdeconviction.Personnenevatemordre.»Surce,jesoufflaietm’extirpaidel’habitacle.

Prenantsoindedissimulermonvisagesousmacapuche, j’empruntai le trottoirbondéd’adolescents.Mavestenoireuniesefondaitdanslamasse,cequimesoulagea.

Unefoisquej’eusdépassélacantine,jedénichailebâtiment3sansdifficulté–ungroschiffrenoirétaitpeintsurfondblancàl’undesanglesdel’édifice.Aufuretàmesurequejem’enrapprochais,jesentaismonpoulss’accélérerdefaçondésordonnée.Jefranchislaportederrièredeuximperméablesunisexesentâchantdecontrôlermarespiration.

Lasalledeclasseétaitmodeste.Lesélèvesquimeprécédaients’arrêtèrentsur leseuilpoursuspendreleursmanteauxàunelonguerangéedepatères.Jelesimitai.C’étaientdeuxfilles,uneblondeàpeaudeporcelaine,l’autreégalementpâle,avecdescheveuxchâtainclair.Aumoins,jeneseraispaslaseuleiciàêtreblanchecommeunlavabo.

J’allai porterma fichedeprésence auprof, ungrandhommeau frontdégarnidont lebureau portait une plaque l’identifiant comme M. Mason. En voyant mon nom, il medévisageabêtement–une réactionpas très encourageante– et, bien sûr, je rougis commeunepivoine. Sansprendre lapeinedemeprésenter aux autres, il finit parm’envoyer àunpupitre vide au fond de la classe. À cette place, il était plus difficile à mes nouveauxcamaradesdemereluquer,cequinelesdissuadapaspourautant.Jegardailesyeuxbaisséssur la bibliographie que le prof m’avait remise. Guère originale : Brontë, Shakespeare,Chaucer,Faulkner.J’avaisdéjà tout lu.Cequiétaità la fois réconfortantet... ennuyeux.Je

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medemandaisimamèreaccepteraitdem’expédiermonclasseurdevieillesdissertationsousielleconsidéreraitquec’étaitde la triche.PendantqueM.Masonronronnait, jepassaienrevuedifférentsscénariosdedisputeavecelle.

Quandlasonnerie–espècedebourdonnementnasal–sefitentendre,unboutonneuxdégingandéauxcheveuxaussinoirsqu’unenappedepétrolesepenchadepuis larangéedetablesvoisinepourmeparler.

—TuesIsabellaSwan,hein?Leprototypedujoueurd’échecsexcessivementserviable.—Bella,lecorrigeai-je.Tous ceux qui étaient assis dans un rayon de trois chaises se retournèrent pour me

lorgner.—Quelesttonprochaincours?demanda-t-il.Jedusvérifierdansmonsac.—Euh...civilisation.AvecJefferson.Bâtiment6.J’étaiscernéedetouscôtéspardesregardsavides.—Jevaisau4,jepeuxtemontrerlechemin.(Décidémenttropobligeant.)Jem’appelle

Éric.—Merci,répondis-jeavecunsouriretimide.Enfilantnosvestes,nous sortîmes sous lapluiequiavait reprisdeplusbelle.J’aurais

juréqueplusieurspersonnesmarchaient suffisammentprèsdenouspour entendre cequenousdisions.Jedevenaisparanoïaque,ilfallaitquejemesurveille.

—Alors,c’estdrôlementdifférentdePhœnix,hein?s’enquitÉric.—Eneffet.—Ilnepleutpasbeaucouplà-bas,non?—Troisouquatrefoisl’an.—Lavache,çadoitêtrebizarre.—Justeensoleillé.—Tun’espastrèsbronzée.—Mamèreestalbinos.Il me dévisagea avec une telle stupeur mâtinée de frayeur que je soupirai.

Apparemment,nuagesetsensde l’humourétaient incompatibles.Encorequelquesmoisdecerégime-là,etj’oublieraiscommentmanierlesarcasme.

Contournant la cafétéria, nous nous dirigeâmes vers les bâtiments sud, près dugymnase.Éric sedonna lapeinedem’accompagner jusqu’à laporte,alorsquecelle-ci étaitvisibleàdeskilomètres.

— Eh bien, bonne chance ! me lança-t-il au moment où j’attrapais la poignée. Nousauronspeut-êtred’autrescoursensemble,ajouta-t-il,pleind’espoir.

Jeluiadressaiunhochementdetêtevaguementaimableetentrai.Lerestedelamatinéesedéroulagrossomododelamêmefaçon.Monprofdemaths,M.

Varner,que j’auraisde toutemanièredétestérienqu’àcausede lamatièrequ’ilenseignait,futleseulquim’obligeaàmeplanterdevantlaclassepourmeprésenter.Jebalbutiai,piquaiunfardettrébuchaisurmespropreschaussuresenallantm’asseoir.

Au bout de deux heures de cours, j’étais capable de reconnaître quelques visages ;chaque classe avait toujours son courageux pour entamer la conversation etme demandermes impressions sur Forks. Jem’essayai à la diplomatiemais, pour l’essentiel, jementis.Avantage:jen’euspasuneseulefoisbesoindemonplan.

Une fille s’assit à côté de moi en maths et en espagnol, et c’est ensemble que nous

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gagnâmes lacantineàmidi.Elleétait frêle, largementpluspetitequemonmètresoixante-trois,mais samasse de boucles brunes compensait notre différence de taille. Son prénomrefusantdes’inscriredansmoncerveau,jemecontentaid’acquiesceràsonverbiagesurlesprofsetlescours,unairbéatsurlevisage.Jenetentaimêmepasdesuivrelaconversation.

Nous nous installâmes au bout d’une table bondée, et elle m’introduisit auprès dequelques-unesdesesamies,dontj’oubliai lesnomsaufuretàmesurequ’ellelesénonçait.Elles paraissaient impressionnées par l’audace dont elle faisait preuve en m’adressant laparole.Del’autrecôtédelasalle,legarçondemoncoursd’anglais,Éric,m’adressadegrandssignesdubras.

C’est là, en pleine cantine, alors que je m’efforçais de discuter avec des inconnuesindiscrètes,quejelesvispourlapremièrefois.

Ilsétaientassisdansuncoin,aussiloinquepossibledumilieudelalonguepièceoùjemetrouvais.Ilsétaientcinq.Ilsneparlaientpas,nemangeaientpas,bienqu’ilseussenttousunplateau–intact–devanteux.Contrairementàlaplupartdesélèves,ilsnemeguignaientpas,etilmefutaisédelesobserversansrisquerderencontrerunepaired’yeuxexagérémentcurieux.Cenefutcependantriendetoutcelaquiattira–etretint–monattention.

Ilsn’avaientaucuntraitcommun.L’undestroisgarçons,cheveuxsombresetondulés,étaitmassif–musclécommeuntypequisoulèvedelafonteavecacharnement.Ledeuxième,blond, était plus grand, plus élancé, mais bien bâti. Le dernier, moins trapu, était long etmince,avecune tignassedésordonnéecouleurcuivre. Ilavait l’airplusgaminque lesdeuxautres,lesquelsévoquaientmoinsdeslycéensquedesétudiantsdefac,voiredesenseignants.

Les filles étaient à l’opposé l’une de l’autre. La grande était hiératique. Elle avait unesilhouettemagnifique, comme celles qui font la couverture du numéro spécialmaillots debaindeSports Illustrated,dugenrequi amène chaque femme se retrouvant à côtéd’elle àdouterdesaproprebeauté.Sacheveluredoréedescendaitenvaguesdoucesjusqu’aumilieude sondos.Lapetite,mince à l’extrême, fine, rappelait un lutin. Ses cheveuxnoir corbeaucoupéstrèscourtpointaientdanstouslessens.

Etpourtant,cescinq-làseressemblaientdefaçonfrappante.Ilsétaientd’unepâleurdecraie,plusdiaphanesquen’importequeladohabitantcettevilleprivéedesoleil,plusclairsquemoi,l’albinos.Tousavaientlesyeuxtrèssombres,endépitdesnuancesvariéesdeleurscheveux. Ils présentaient également de larges cernes sombres, violets, pareils à deshématomes,commes’ilssouffraientd’insomnieourelevaientàpeined’unefracturedunez.Bienquecelui-ci,àl’instardetousleurstraits,fûtdroit,parfait,aquilin.

Maiscen’étaitpasçanonplusquimefascinaeneux.Ce furent leurs visages, si différents et si semblables, d’une splendeur inhumaine et

dévastatrice.Decesvisagesqu’onnes’attendjamaisàrencontrersauf,éventuellement,danslespagescoiffured’unmagazinedemode.Ousouslepinceaud’unmaîtreancienayanttentédereprésenterunange.Ilétaitdifficilededéterminerlequelétaitleplussublime.Lablondesansdéfaut,oulegarçonauxcheveuxcuivrés,peut-être.

Touslescinqavaientleregardéteint.Ilsneseregardaientpas,neregardaientpasleurscondisciples,neregardaientriendeparticulierpourautantquejepusseenjuger.Soudain,lapluspetitedes filles se leva et s’éloignade ces grandes enjambées rapides et élégantesquin’appartiennentqu’auxmannequins.Jelasuivisdesyeux,ébahieparsadémarchegracilededanseuse,jusqu’àcequ’ellesefûtdébarrasséedesonplateau–canettenonouverte,pommenonentamée–etglisséeparlaportedederrière, incroyablementvite.Jerevinsauxautres.Ilsn’avaientpasbronché.

—Quisontcesgens?demandai-jeàmavoisine,dontlenomm’échappaittoujours.

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Aumomentoùelleseredressaitpourvoirdequijeparlais,bienqu’ellel’eûtsûrementdevinérienqu’àmonton,illevabrusquementlatête–leplusmince,legamin,lebenjaminsansdoute.Ils’attardamoinsd’unesecondesurmacollègued’espagnol,avantdem’aviser.

Ildétournalesyeuxrapidement,plusvifquemoi,alorsque,soudaintrèsgênée,j’avaisaussitôtbaissélesmiens.L’espacedecebrefinstant,j’avaiscependanteuletempsdenoterquesestraitsn’exprimaientaucunintérêt:c’étaitcommesimoninterlocutricel’avaithéléetqu’il avait réagi instinctivement, sachant pourtant qu’il n’avait aucune intention de luirépondre.Confuse,mavoisinerigolaet,commemoi,seconcentratoutàcoupsursesongles.

—Edward etEmmettCullen,Rosalie et JasperHale, récita-t-elle.Celle qui est partie,c’estAliceCullen.IlsviventavecledocteurCullenetsafemme.

Toutceladansunsouffle.Je jetai un coup d’œil à la dérobée en direction de l’Apollon qui, maintenant,

s’intéressait à son plateau, réduisant en charpie un beignet avec ses longs doigts pâles. Àpeine entrouverte, sa bouche admirable remuait à toute vitesse. Ses trois commensauxl’ignoraient,maisilnemefutpasdifficilededevinerqu’illeurparlaitàvoixbasse.

Des prénoms étranges et rares, songeai-je. Datant de la génération de nos grands-parents.Àmoinsqu’ilsnefussentenvoguedanscescontrées.Jefinisparmesouvenirquemavoisines’appelaitJessica,unprénomdespluscommuns.ÀPhœnix,j’enavaiseudeuxencoursd’histoire.

—Ilssont...pasmaldutout.Cettelitotedesplusflagranteseutdumalàfranchirmeslèvres.— Tum’étonnes ! s’esclaffa Jessica. Oublie, ils sont en couple. Dumoins Emmett et

Rosalie,JasperetAlice.Etilsviventensemble.Sa voixdénotait à la fois l’étonnement et la condamnation typiquesd’unepetite ville,

pensai-jeavecdédain.Pourêtrehonnête,jedevaiscependantadmettreque,mêmeàPhœnix,lasituationauraitprovoquédescommérages.

—LesquelssontlesCullen?Ilsn’ontpasl’aird’êtredelamêmefamille...—Ilsnelesontpas.Ledocteuralapetitetrentaine,illesaadoptés.LesHale,lesblonds,

eux,sontfrèreetsœur,jumeaux.Placésenfamilled’accueil.—Ilsnesontpasunpeuvieux,pourça?—Saispas.Ilsontdix-huitans,maisilshabitentavecMmeCullendepuisqu’ilsenont

huit.Elleestleurtante,genre.— C’est vraiment sympa de la part des Cullen. S’encombrer aussi jeunes d’autant de

gamins.—Ouais,j’imagine,admitJessicaavecréticence.J’eus l’impression que, pour une raison quelconque, elle n’aimait pas beaucoup le

couple.Vulesregardsqu’ellelançaitàleursrejetons,j’enconclusquec’étaitparjalousie.—Je crois bienqueMmeCullennepeut pas avoir d’enfants, précisa-t-elle, comme si

celacontrebalançaitleurgénérosité.Toutenconversant,jenecessaisd’épierfurtivementmessurprenantscondisciples.Eux

continuaientàcontemplerlesmurssansmanger.—IlsonttoujoursvécuàForks?demandai-je.Auquelcas,j’auraisdûlesremarquerpendantl’undemesséjoursestivaux.—Non,réponditJessicad’unevoixsous-entendantqueç’auraitdûêtreévident,même

pourunefillefraîchementdébarquéecommemoi.Ilsontdéménagéilyadeuxansd’Alaska.J’éprouvai un élan de compassion, puis de soulagement. De compassion, parce que,

aussi beaux fussent-ils, ils restaient des étrangers rejetés par leurs pairs ; de soulagement,

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parcequejen’étaisfinalementpaslaseulenouvelleet,surtout,paslapluscaptivante.Toutàcoup,leplusjeuned’entreeux,undesCullen,plongealesyeuxdanslesmiens.

Sonexpressionétait, cette fois, celled’une franchecuriosité.Jemedérobaivivement,maispasavantd’avoirdéceléenluiunesorted’espéranceàlaquellejen’avaispasderéponse.

—Quic’est,cegarçonauxcheveuxblond-roux?m’enquis-je.Mine de rien, je constatai qu’il poursuivait son examen de moi. Contrairement aux

autres élèves, ilne semontraitpas indiscret aupointd’être impoli.En revanche, ses traitsétaientempreintsd’unesortedefrustrationquejenecomprispas.Jebaissailatête.

—Edward.Ilestsuperbe,maisinutiledeperdretontemps.Apparemment,aucunedesfillesd’icin’estassezbienpourlui.

Jessica renifla avec une telle rancœur que je me demandai quand il avait refusé sesavances.Jememordisleslèvrespourcachermonsourireavantdem’intéresserdenouveauàeux.Edwardavaitbeaus’êtredétourné,ilmesemblabienquesajouetressaillait,commesiluiaussiavaitétoufféunrire.

Quelques minutes plus tard, tous les quatre se levèrent d’un même mouvement. Ilsétaientd’unegrâce remarquable, y compris le costaud.C’enétaitdéroutant.Edwardnemeprêtaitplusaucuneattention.

Je restai en compagnie de Jessica et de ses amies plus longtemps que je ne l’auraisvoulu,alorsquejenetenaispasàarriverenretardàl’undemescours,encepremierjour.Unedemesnouvelles connaissances qui, prévenante,me rappela son prénom–Angela–,

avaitclassedebiologieavancée[3]

avecmoidansl’heurequisuivait.Nousnousyrendîmesensemble,ensilence.Elleaussiétaitréservée.

Quand nous entrâmes dans le labo, Angela fila s’installer derrière une paillasseexactementidentiqueàcellesdontj’avaiseul’habitudeenArizona.Elleavaitdéjàunevoisineattitrée. D’ailleurs, toutes les tables étaient occupées, sauf une, dans l’allée centrale. JereconnusEdwardCullenàsescheveuxextraordinaires,assisàcôtédel’uniquetabouretlibre.

Pendant que j’allais me présenter au prof et faire signer ma fiche, je l’observai encatimini.Aumomentoùjepassaidevantlui,ilseraiditsursonsiègeetmetoisa.Sonvisagetrahissaitcette foisdesémotionssurprenantes–hostilitéetcolère.Choquée, jem’esquivairapidement enm’empourprant. Je trébuchai sur un livre qui traînait et dusme rattraper àunetable.Lafillequiyétaitassisepouffa.

Lesyeuxd’Edwardétaientd’unnoird’encre.M.Bannerparaphamafeuilledeprésenceetmetenditunmanuelsanss’embarrasser

depolitesses inutiles. Jepressentisque lui etmoi allionsnous entendre.Naturellement, iln’eutd’autrechoixquedem’envoyeràlaseuleplacevacante.Jem’yrendis,regardrivésurleplancher,encorestupéfaiteparl’hostilitédemonfuturvoisin.

J’eusbeaugarderprofilbasquandjeposaimesaffairessurlapaillasseetm’assis,jevisducoindel’œilEdwardchangerdepostureets’éloigner,sepressantàl’extrêmeborddesontabouret, la figure de biais, comme s’il tâchait de fuir une mauvaise odeur. En douce, jereniflaimescheveux.Ilssentaientlafraise,leparfumdemonshampooingpréféré.Unarômeplutôt innocent. Jem’abritai derrière la tenture demes cheveux etm’efforçai de suivre laleçon. Malheureusement, elle portait sur l’anatomie cellulaire, un sujet que j’avais déjàétudié.Jeprisnéanmoinsdesnotesavecapplication,lenezcolléàmoncahier.

Malgrémoi,jerevenaissanscesseàmonétrangepartenairedelabo.Pasuninstantilnesedétenditnineserapprocha.Lamainposéesursajambegauche,serrée,formaitunpoingoù se dessinaient les tendons sous la peau blême. Elle non plus ne se relâcha pas. Les

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mancheslonguesdesachemiseblancherelevéesjusqu’auxcoudesdévoilaientdesavant-brasétonnammentfermesetmusclés.Ilneparaissaitplusaussifluet,loindesonrobustefrère.

Lecourssemblas’éterniser.Était-ceparcequelajournéetouchaitàsafinouparcequej’attendaisquecepoingserelaxe?Entoutcas,celaneseproduisitpas.Edwardnebronchapas.Onauraitditqu’ilnerespiraitpas.Qu’avait-il?Cecomportementétait-ilhabituel?Jerevismonjugementquantàl’amertumedeJessica.Ellen’étaitpeut-êtrepasaussiaigriequejel’avaissupposé.

Celan’avaitrienàvoiravecmoi,sûrement.Ilnemeconnaissaitnid’Èvenid’Adam.Jemepermisunnouveaucoupd’œil,cequejeregrettaiaussitôt.Ilmecontemplaitde

sesprunellesnoiresquiexprimaientuneréellerépulsion.Jetressaillisetrevinsàmonlivreenme tassant surmon tabouret. La phrase « si les regards pouvaient tuer »me traversal’esprit.

Àcet instant, laclochesonna,et jesursautai.EdwardCullenréagitcommeunressort.Me tournant le dos, il se leva avec souplesse – il était bien plus grand que je ne l’avaisestimé–etquittalelaboavantquequiconqueeûtbougé.

Je restai pétrifiée sur place, le suivant des yeux sans le voir. Son attitude avait étéodieuse. Injuste. Je rassemblai lentement mes affaires tout en m’évertuant à maîtriser lacolèrequimontaitenmoi,parcrainted’éclaterensanglots.Bizarrement,meshumeurssontreliées à mon canal lacrymal. Je pleure lorsque je suis furieuse, un travers des plushumiliants.

—C’esttoi,IsabellaSwan?demandasoudainunevoixmasculine.Levantlatête,jedécouvrisungarçonaucharmantvisagepoupinetauxcheveuxblonds

soigneusement gominés en pointes ordonnées. Il me souriait chaleureusement. De touteévidence,luinetrouvaitpasquejepuais.

—Bella,rectifiai-jed’unevoixaimable.—Jem’appelleMike.—Salut,Mike.—Tuasbesoind’aidepourtrouvertoncoursd’après?—Jecroisquejemedébrouillerai.J’aigym.—Moiaussi,s’exclama-t-il,visiblementravi,alorsquecen’étaitsansdoutepasunetelle

coïncidencedansunétablissementaussipetit.Nousyallâmesdeconserve.C’étaitunbavard.Ilalimental’essentieldelaconversation,

cequim’arrangea. Il avaitvécuenCalifornie jusqu’à l’âgededixans, et il comprenaitmesréticencesenversleclimatlocal.Ilserévélaqu’ilpartageaitégalementmoncoursd’anglais.Cefut lapersonnelaplusagréablequejerencontraice jour-là.Enfin, jusqu’aumomentoùnouspénétrâmesdanslegymnase,carilmelança:

— Alors, tu as planté ton crayon dans la main d’Edward Cullen, ou quoi ? Je ne l’aijamaisvudansuntelétat.

Jechancelai.Jen’étaisdoncpaslaseuleà l’avoirremarqué.Apparemment, laréactiond’EdwardCullenavaitétéanormale.Jedécidaidejouerlesgourdes.

— Tu veux dire le garçon à côté duquel j’étais assise en biologie ? répliquai-jeingénument.

—Oui.J’aicruqu’ilavaituneragededents!—Jenesaispas.Jeneluiaipasadressélaparole.— Il est zarbi, poursuivit Mike en s’attardant auprès de moi au lieu de gagner les

vestiaires.Moi,sij’avaiseulachancedepartagerunepaillasseavectoi,jet’auraisparlé.Leprofdegym,Clapp,medénichaune tenuemaism’autorisaànepasparticiperàce

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premiercours.ÀPhœnix,l’éducationphysiquen’étaitobligatoirequedurantdeuxans.Ici,onn’ycoupaitpasdetoutesascolarité.ForksétaitdécidémentmonEnferpersonnelsurterre.J’assistaiàquatrematchsdevolleyensimultané.Mesouvenantdunombredeblessuresquej’avaissubies–etinfligées–enpratiquantcesport,labilememontaauxlèvres.

Lasonneriefinitparretentir.Jeretournailentementàl’accueilpouryrendremafiche.Lapluieavait cessé, remplacéeparunventviolent.Et froid.J’enroulaimesbrasautourdemoi.

Lorsquej’entrai,jefaillistournerlestalonsetm’enfuir.Edward Cullen se tenait devant le comptoir. Je le reconnus à sa tignasse cuivrée et

désordonnée. Il n’eut pas l’air de remarquermon arrivée. Jeme pressai contre lemur dufond, attendant que la secrétaire fût libre. Il discutait avec animation, d’une voix basse etséduisante.Jenetardaipasàsaisirl’objetdeleurdispute:ilessayaitdedéplacersoncoursde sciencesnat.N’importequel autrehoraire ferait l’affaire. Jeneparvinspasà croirequec’étaituniquementàcausedemoi.Ildevaityavoireuautrechose,unévénementantérieuràma présence. Sa fureur relevait forcément d’une exaspération qui neme concernait pas. Ilétaitimpossiblequecetinconnuéprouvâtundégoûtaussisoudainetintenseàmonégard.

La porte se rouvrit, et un courant d’air polaire envahit la pièce, agitant des papiers etébouriffant mes cheveux. La nouvelle venue se contenta de glisser vers le bureau pour ydéposerunenoteavantderessortir,maisEdwardCullenseraidit.Ilsetournalentementetmetoisa–sabeautéfrôlaitl’absurde–desesyeuxperçantsetemplisdehaine.Uninstant,uneboufféedeterreurpurehérissaleduvetdemesbras.Ceregardneduraqu’uneseconde,ilréussitnéanmoinsàmetransirplusquelabiseglaciale.L’Apollons’adressadenouveauàlasecrétaire.

—Tantpis,décréta-t-ildesavoixdevelours.C’est impossible,et je comprends.Merciquandmême.

Là-dessus,ilpivotasursestalonset,m’ignorantroyalement,disparut.Jem’approchaiducomptoirettendismafichesignée.Jedevinaisque,pourunefois,je

n’avaispasrougimais,aucontraire,blêmi.—Comments’estpasséecettepremièrejournée,petite?medemandalasecrétaired’un

tonmaternel.—Trèsbien,mentis-je.Mal.Carellen’eutpasl’airtrèsconvaincue.Sur leparking, lacamionnetteétaitquasiment lederniervéhiculeencoreprésent.Elle

mefit l’effetd’unrefuge,dulieuqui,déjà,évoquaitpourmoileplusunfoyer,danscetrouperduvertethumide.J’yrestaiassiseunmoment,contemplant lepare-briseavecdesyeuxvides.Jenetardaipasnéanmoinsàavoirassezfroidpourdevoirbrancherlechauffage,etjemis le contact. Lemoteur rugit. Je rentrai chez Charlie, luttant tout le chemin contre leslarmes.

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2

ÀLIVREOUVERT

Lejoursuivantfutmieux...etpire.Mieuxparcequ’ilnepleuvaitpasencore,bienquelesnuagesfussentdensesetopaques.

Plusdécontractéparcequejesavaisàquoim’attendre.Mikes’assitàcôtédemoienanglais,sous le regard peu amène d’Éric le joueur d’échecs ; c’était assez flatteur. Les gens nemereluquèrentpasavecautantd’insistancequelaveille.Jedéjeunaiavectoutungroupe,parmilequelMike,Éric, Jessica et plusieurspersonnesdont les visages et lesnomsnem’étaientplusaussiétrangers.J’euslesentimentquejecommençaisàflotteraulieudecouleràpic.

Pire, parce que j’étais fatiguée. Je n’arrivais toujours pas à dormir, avec le vent quimugissaitautourdelamaison.Pire,parcequeM.Varnerm’interrogeaenmaths–alorsqueje n’avaismême pas levé le doigt –, et que jeme trompai.Nul, parce que je dus jouer auvolley et que, la seule fois où je n’évitai pas le ballon, je le lançai sur la tête d’un demeséquipiers.Pire,parcequ’EdwardCullenétaitabsent.

Toute la matinée, je redoutai l’heure de la cantine et la perspective de son attitudedéstabilisante. Une partie de moi souhaitait se confronter à lui et exiger des explications.Pendant ma nuit d’insomnie, j’avais même répété mon discours. Je me connaissaisnéanmoins suffisamment bien pour savoir que je n’aurais pas ce courage. À côté de moi,CendrillonadesalluresdeTerminator.

Lorsque j’arrivai à la cafétéria avec Jessica – en m’efforçant, en vain, de ne pas lechercherdesyeux–,jedécouvrisque,sisesétrangesfrèresetsœursétaientdéjàinstallés,luin’étaitpaslà.Mikenousinterceptapournousentraîneràsatable.Jessicaparutraviedecetteattention,etsesamiesnetardèrentpasàsejoindreànous.Toutenessayantd’écouterleurinsouciantbavardage,jecédaiàunmalaisetenaceetguettainerveusementlemomentoùilapparaîtrait. Je priai pour qu’il se contentât de m’ignorer, afin de me prouver que messoupçonsétaientinfondés.

Ilnevintpas,letempspassa,etmatensionaugmenta.Lorsque,à la findurepas, sonabsenceseconfirma,c’estavecplusd’assuranceque je

me rendis en cours de biologie.Mike, quimontrait toutes les qualités d’un saint-bernard,m’accompagnafidèlementauxportesdulabo.Surleseuil,jeretinsmonsouffle,maisEdwardn’étaitpaslànonplus.Ensoupirant,jegagnaimaplace.Mikem’emboîtalepas,sanscesserdepérorersurunesortieprévueàlamer.Ils’attardaprèsdemonbureaujusqu’àlasonneriepuis, avec un sourire de regret, il alla s’asseoir à côté d’unemalheureuse qui arborait unappareil dentaire et des cheveux gras. Visiblement, j’allais devoir m’occuper de lui, ce quipromettaitdenepasêtrefacile.DansunevillecommeForks,oùlesgensviventlesunssurles autres, un peu de diplomatie est indispensable. Le tact n’a jamais été mon fort, et jemanquaisdepratiquepourcequiétaitd’éconduirelesgarçonsunpeutropcordiaux.

Jefussoulagéed’avoirlapaillassepourmoiseule.Dumoins,c’estcequejemerépétai.En vérité, j’étais obsédée par l’idée d’être à l’origine de la défection d’Edward. Penser que

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j’étaiscapabled’affecterquelqu’unàun teldegréétait ridiculeetégocentrique. Impossible.Malgrétout,jem’inquiétai.

Lorsquelescourss’achevèrentenfinetquelefeudemesjoues(provoquéparunnouvelincidentengym)sefutatténué,jeremisrapidementmonjeanetmonsweaterbleumarineetquittai en trombe les vestiaires, heureuse de constater que j’avais réussi à semer monprotecteurcanin.Jefonçaisurleparking,àcetteheureencombréd’élèves,grimpaidansmacamionnetteetfouillaimonsacpourvérifierquejen’avaisrienoublié.

Laveilleausoir,jem’étaisaperçuequelestalentsculinairesdeCharlienedépassaientguère le stade des œufs au bacon. J’avais donc exprimé le désir d’être chargée des repaspendantladuréedemonséjour.Monpèreavaitétéplusqueravidemedonnerlesclésdelasalledebanquet.J’avaisdécouvertparlamêmeoccasionqu’iln’yavaitrienàmangerdanslamaison.Ainsi, j’avais emportéau lycéema listede commissionsetdu liquideprisdansunbocalétiquetéARGENTDESCOURSES.Jepartaisenexpéditionausupermarchéducoin.

Jedémarraimonenginpétaradant sans tenir comptedes têtesqui se tournaientdansma direction et reculai prudemment avant de me glisser dans le flot de voitures quiattendaientdepouvoirsortirduparking.Tandisque jepatientais, laissantentendreque lesgrondementsassourdissantsdemaChevroletvenaientd’unautrevéhiculequelemien,jevislesCullenet lesHalemonterdans leurvoiture.C’était laVolvoneuveet rutilante.Commepar hasard. Jusque-là, je n’avais pas pris garde à leurs vêtements, trop fascinée par leursvisages. En les observant de plus près, jem’aperçus clairement qu’ils étaient habillés avecune élégance hors du commun ; des affaires toutes simples,mais qui revendiquaient avecsubtilité des origines griffées. Ils se seraient baladés enhaillons que çan’aurait cependantrienchangéàleurbeautéetàleurallureremarquables.Tantdeclasseetderichesseàlafoispouvaientagacer,mêmesilavie,laplupartdutemps,fonctionnaitainsi,hélas.Entoutcas,leurapparencenelesaidaitpasàs’intégrerdansl’universdulycée.

Maisnon!Jenecroyaispasvraimentàunostracisme.Leurisolementétaitsansdouteunchoix.Ilétaitimpensablequelesportesnes’ouvrissentpasdevanttantdevénusté.

Commetoutlemonde,ilsexaminèrentmabruyanteguimbardelorsquejelesdépassai,etjefusbiencontentedem’éloigner.

Le supermarché était tout proche de là, juste à la sortie suivante sur la quatre voies.Fairelescoursesfutagréable,normal.ÀPhœnix,c’étaitmonboulot,etjeretombaidanscetteroutinefamilièreavecplaisir.Lemagasinétaitsuffisammentgrandpourquejen’entendisseplusleclapotisdelapluiesurletoitquisechargeaitdemerappeleroùj’étais.

Deretouràlamaison,jerangeailesprovisions,lesentassantlàoùjetrouvaisdelaplaceenespérantqueCharlieneprotesteraitpas.J’enveloppaidespommesdeterredansdupapieralu et les glissai au four, plongeai deux steaks dans une marinade et les fourrai auréfrigérateur,enéquilibresuruneboîted’œufs.

Puis je montai mon sac à l’étage. Avant de commencer mes devoirs, j’enfilai unsurvêtement, ramassaimes cheveux humides en une queue-de-cheval et vérifiaimonmailpourlapremièrefois.J’avaistroismessages.

Bella, m’écrivait ma mère, envoie-moi un mot dès que tu seras arrivée. Dis-moi

comments’estpassétonvol.Pleut-il?Tumemanquesdéjà.J’aipresqueterminénosbagagespourlaFloride,maisjeneretrouvepasmoncorsagerose.Sais-tuoùjel’aimis?CoucoudePhil.Maman.

Avecunsoupir,jeconsultailesuivant.Ellel’avaitenvoyéhuitheuresaprèslepremier.

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Bella, fulminait-elle, pourquoi ne m’as-tu pas encore répondu ? Tu attends quoi ?

Maman.Ledernierdataitdumatinmême.Isabella,sijen’aipassignedetoid’ici17h30aujourd’hui,j’appelleCharlie.Jeregardaimonréveil.J’avaisencoreuneheure,maismamèren’étaitpasréputéepour

sapatience.Maman,écrivis-je,calme-toi.Inutiledegrimperauplafond.Bella.Jel’expédiai,puisenrédigeaiunnouveau.Maman,Tout va bien. Évidemment qu’il pleut. J’attendais d’avoir quelque chose à t’écrire. Le

lycée, ça roule. Juste un peu répétitif. J’ai fait la connaissance de gens sympas avec qui jemange.

Toncorsageestchezleteinturier.Tuétaiscenséeallerlecherchervendredi.Charliem’a acheté une camionnette à plateau, tu y crois ? Je l’adore. Elle est vieille,

maissupersolide,cequiestbien,tusais,pourunefillecommemoi.Tumemanques aussi. Je te réécrirai bientôt,mais jen’aipas l’intentionde consulter

mesmailstouteslescinqminutes.Détends-toi,respire,jet’aime.Bella.J’avais décidé de relire Les Hauts de Hurlevent – le roman que nous étudiions en

anglais –, juste pour le plaisir, et c’est ce à quoi j’étais occupée quand Charlie rentra dutravail.J’avaisoubliél’heureetmeprécipitaienbaspoursortirlespatatesetmettrelaviandesouslegril.

—Bella?lançamonpèreenm’entendantdévalerl’escalier.Quid’autre?—Salut,papa!Bienvenue!—Merci.Il accrocha son pistolet au portemanteau et se débarrassa de ses bottes tandis que je

m’affairaisdanslacuisine.Àmaconnaissance, iln’avait jamaisutilisésonarmeenservice.Mais il l’avait sur lui. Lorsque j’étais petite, il avait pris l’habitudede retirer les balles dèsqu’ilfranchissaitleseuil.Ilfautcroirequ’ilmeconsidéraitcommeassezmûreàprésentpournepasmetuerparaccidentetpassuffisammentdépressivepourmesuicider.

—Qu’ya-t-ilàdîner?s’inquiéta-t-il.Ma mère est une cuisinière pleine d’imagination dont les expériences ne sont pas

toujourscomestibles.Jefussurprise,etpeinée,qu’ils’ensouvîntencore.—Steaksetpommesaufour.Réponsequiparutlesoulager.Ilavaitl’airembarrassé,deboutdanslacuisine,lesbrasballants.Aussi,ilgagnalesalon

d’unpaslourdpouryregarderlatélépendantquejem’activais.C’étaitplussimplepournousdeux.Jepréparaiunesaladetandisquelaviandecuisait,puismislecouvert.Lorsquetoutfutprêt,jel’appelai,etilmerejoignitenreniflantavecgourmandise.

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—Çasentbon,Bella.—Merci.Nousmangeâmessansmotdiredurantquelquesminutes.Sansinconfortnonplus.Le

silencenenousgênaitnil’unnil’autre.D’unecertainemanière,nousétionsfaitspourvivreensemble.

— Alors, comment ça marche, au lycée ? demanda-t-il en se resservant. Tu as déjàsympathisé?

—J’aiplusieurscoursencommunavecunefille,Jessica.Jedéjeuneavecsescopines.Ilyaaussicegarçon,Mike,trèsgentil.Toutlemondeestplutôtaccueillant.

Àuneexception,maisdetaille.— Ça doit être Mike Newton. Chouette môme, chouettes parents. Son père tient le

magasin de sport qui se trouve à la sortie de la ville. Avec tous les randonneurs quifréquententlecoin,lesaffairesmarchent.

—TuconnaislesCullen?risquai-je.—Lafamilledumédecin?Biensûr.Ledocteurestunchictype.— Ils... leurs enfants... sont un peu spéciaux. Ils n’ont pas l’air de s’être vraiment

intégrés,aulycée.LacolèredeCharliemepritaudépourvu.— Ah, les gens d’ici ! grommela-t-il. Le docteur Cullen est un brillant chirurgien qui

pourraittravaillerdansn’importequelhôpitaletgagnerdixfoisplus.(Sontonmonta.)Nousavonsdelachancedel’avoiretquesafemmeacceptedevivredansunepetiteville.C’estungrandatoutpournotrecommunauté,etleursgaminssontbienélevésetpolis.Àleurarrivée,j’avaisdesdoutes.Desadolescentsadoptés...Maisilssesontrévéléstrèsmûrs,ilsnem’ontpasdonnél’ombred’unsouci.Jenepeuxpasendireautantd’autresgossesquiviventdanslarégion depuis des générations. En plus, ils sont très unis, un exemple pour nous tous. Ilspartentcamperunweek-endsurdeux...Maisparcequecesontdesétrangers, leshabitantsducrusesententobligésdecancaner.

C’étaitlediscourslepluslongquejel’avaisjamaisentenduprononcer.Aucundoute,ilsupportait mal les racontars – quels qu’ils fussent – à propos des Cullen. Je fis machinearrière.

—Oh,ilsnem’ontpassembléantipathiques.C’estjustequ’ilsnesemélangentpas.Ilssontdrôlementbeaux,ajoutai-je,désireusedememontrerpositive.

—Tu verrais le docteur, plaisantaCharlie, apaisé.Heureusement qu’il est heureux enménage. Les infirmières ont dumal à se concentrer sur leur boulot quand il est dans lesparages.

Ledîners’achevadanslecalme.Charliedébarrassalatablependantquejem’attaquaisàlavaisselle.Puisilretournaausalonet,macorvéeterminée–àlamain,pasdemachine–,jeregagnai ma chambre en traînant des pieds à l’idée des exercices de maths qui m’yattendaient.Jevoyaisdéjàseprofileruneroutinequotidienne.

Cettenuit-làfutenfinsereine.Jem’endormisrapidement,épuisée.Le reste de la semaine se passa sans anicroche. Jem’habituais au train-train demes

cours.Levendredi,j’étaisàmêmedereconnaître,sinond’identifier,presquetouslesélèvesdu lycée. En gym, tandis que nos adversaires tentaient de profiter de ma faiblesse, mespartenaires apprirent à ne pasme passer le ballon. Pourma part, je fus trop heureuse dem’écarterdeleurchemin.

EdwardCullennerevintpasenclasse.Chaque jour, jeguettaisavecanxiété lemomentoù le restede la tribuentraitdans la

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cantine,sanslui.Alorsseulement,jemedétendaisetmejoignaisàlaconversationrégnantàmatable.Elletournaitpourl’essentielautourdel’excursionà l’OceanParkdeLaPushqueMikeprojetaitpourdansquinzejours.J’étaisinvitée,etj’avaisaccepté,plusparpolitessequeparenvie.Àmesyeux,lesplagessedevaientd’allierchaleurettempssec.

Levendredi,c’estavecunedécontractionparfaitementnaturellequejefranchislaportedemaclassedesciencesnat,sansplusm’inquiéterdel’éventuelleprésenced’Edward.Pourmoi,ilavaitabandonnél’école.Jem’évertuaisànepaspenseràlui,mêmesijen’arrivaispastotalementàmechasserducrânequej’étaisresponsabledesadisparition,aussiridiculequecelasemblât.

Monpremierweek-end sedéroula sans incidentnotoire.Charlie, peuhabitué à resterdansunemaisond’ordinairedéserte, travaillapresque tout le temps.Moi, je fis leménage,m’avançaidansmesdevoirsetécrivisàmamèredesmailsfaussementenjoués.Lesamedi,jeme rendis à la bibliothèque, mais le fonds était si maigre que je ne pris pas la peine dem’inscrire ; il allait falloir que je pousse très bientôt jusqu’à Olympia ou Seattle pour ytrouver une bonne librairie. Je m’interrogeai vaguement sur la consommation de lacamionnette...etfusprisedefrissons.

Lapluietombadoucementetsansbruit,jen’euspasd’insomnies.Le lundi, des gens me saluèrent sur le parking. Des prénoms m’échappaient encore,

maisj’agitailamainetsourisàtoutunchacun.Ilfaisaitplusfroid,cematin-là,mais,ôjoie,ilnepleuvaitpas.Enanglais,Mikepritsaplaceréservéeàcôtédemoi.NouseûmesdroitàuneinterrosurprisesurLesHautsdeHurlevent.Facile,trèsfacile.

L’undansl’autre,jemesentaisbienplusàl’aisequejen’auraiscrul’êtreauboutd’uneseulesemaine.Plusàl’aisequejen’avaisjamaisespérél’êtreici,enfait.

À lasortieducours, l’airétaitsaturédetraînéesblanchesquitournoyaient.Lesélèvess’interpellaientavecexcitation.Labisememordaitlesjoues,lenez.

—Super!s’écriaMike.Jecontemplaileslambeauxdecotonduveteuxquis’accumulaientlelongdutrottoiret

voletaientdefaçonerratiquedevantmesyeux.Adieumabellejournée.—Beurk!—Tun’aimespaslaneige?s’exclamaMike,surpris.—Non.Çasignifiequ’ilfaittropfroidpourpleuvoir.(Tuparlesd’uneévidence.)Enplus,

jecroyaisqu’elleseprésentaitsouslaformedebeauxgrosfloconsbienpropres.Là,ondiraitlesextrémitésdecotons-tiges.

—Tun’asjamaisvulaneigetomber?medemanda-t-il,incrédule.—Biensûrquesi.(Pause.)Àlatélé.Il éclata de rire. C’est alors qu’une grosse boule molle et détrempée s’écrasa sur sa

nuque. Nous nous retournâmes pour voir d’où elle venait. Je soupçonnai vite Éric, quis’éloignaitsansnousregarderendirection–lamauvaise–desonprochaincours.Mikeétaitparvenuauxmêmesconclusions,carilramassauntasdebouillieblanche.

— Je te retrouve à la cafète, d’accord ? annonçai-je en m’en allant. Les gens qui sebombardentdetrucshumides,trèspeupourmoi.

Lesyeuxrivéssurlasilhouetted’Éric,ilhochalementon.Toute la matinée, ce ne furent que discussions animées sur la neige. Apparemment,

c’étaitlapremièrechutedelasaison.Jenem’enmêlaipas.Certes,elleétaitmoinshumidequelapluie–jusqu’àcequ’ellefondedansvoschaussettes.

LorsquejemerendisàlacantineavecJessica,aprèsnotrecoursd’espagnol, j’étaissurmesgardes.Delabouillassevolaitdetouscôtés.J’avaisunechemisecartonnéeàlamain,et

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j’étaisprêteàm’enservircommed’unbouclierencasdebesoin.Jessicametrouvatordante,maismonexpressionlaretintdes’enprendreelle-mêmeàmoi.

Mike nous rattrapa à la porte, hilare. La glace prise dans ses cheveux dérangeait lespointes de sa coiffure. Lui et Jessica, énervés commedes gosses, évoquèrent la bataille deboulesdeneigetandisquenousprenionsnotreplacedanslaqueue.Parhabitude,j’inspectailatableducoin.Jemefigeaisurplace.Cinqpersonnesyétaientassises.

—Ohhé,Bella?(Jessicametiraparlebras.)Tuveuxmangerquoi?Jebaissailesyeux;mesoreillesétaientbrûlantes.Jen’avaisaucuneraisond’êtregênée,

merappelai-je.Jen’avaisrienfaitdemal.—Qu’est-cequiluiarrive,àBella?demandaMikeàmanouvelleamie.—Rien,répondis-je.Jeneprendraiqu’unelimonade,aujourd’hui.Jerattrapailafiled’attente.—Tun’aspasfaim?s’inquiétaJessica.—Jesuisunpeupatraque,expliquai-jesansoserlaregarderenface.Je patientai pendant qu’ils se servaient, puis leur emboîtai le pas en direction d’une

table,concentréesurmespieds.Unefoisinstallée,jebuslentementmaboisson,l’estomacendéroute.Deuxfois,Mikes’enquitdemasantéavecunesollicitudedémesurée.Jeluigarantisquecen’étaitrien,mêmesij’envisageaidejouerlesmaladesetdemeréfugieràl’infirmeriedurantl’heuresuivante.

N’importequoi!Jen’auraispasdûmesentirobligéedefuir.Jedécidaidem’autoriseruncoupd’œilàlafamilleCullen.S’ilmetoisaitavechostilité,

jesécheraislabiologie,envraietrouillardequej’étais.Jelesépiaiencatimini.Aucund’euxnenousobservait.Jemeredressaiunpeu.Ilsriaient.Edward,JasperetEmmettavaient lecrâne couvert de glace fondue. Alice et Rosalie s’étaient écartées d’Emmett qui s’ébrouaitdansleurdirection.Ilsseréjouissaientdecepremiervraijourd’hiver,commetoutlemonde.Sauf qu’ils me donnèrent l’impression d’une scène de film. Et puis il y avait autre chosederrièrecesriresetcetteespièglerie.Uneespècededifférencesurlaquellejen’arrivaispasàmettreledoigt.J’étudiaiEdwardplusminutieusementquesesfrèresetsœurs.Sapeauétaitmoins pâle, trouvai-je, peut-être rosie par l’excitation, et ses cernes s’étaient beaucoupestompés.Maiscen’étaitpasçanonplus.Jemeperdisdansdessupputations,m’escrimantàidentifiercequiavaitchangé.

—Bella, qui est-ceque tu fixes comme ça ? intervint soudain Jessica en suivantmonregard.

À cet instant précis, les yeuxd’Edward rencontrèrent lesmiens.Aussitôt, je baissai latêteetm’abritaiderrièremescheveux.J’euscependantlaconvictionque,aumomentoùnosprunelles s’étaient croisées, il n’avait pas semblé inamical ni dur, contrairement à notredernièrerencontre.Unefoisencore,ilm’étaitapparucurieuxetbizarrementinsatisfait.

—EdwardCullentemate,mechuchotaJessicaenriant.—Iln’apasl’airfurieux,hein?nepus-jem’empêcherdedemander.—Non,répondit-elle,déroutéeparmaquestion.Ildevrait?—Jecroisqu’ilnem’apprécieguère,avouai-je.Toujoursaussibarbouillée,jeposaimatêtesurmonbras.— Les Cullen n’aiment personne... Enfin, disons qu’ils ne s’intéressent pas assez aux

autrespourlesaimer.Entoutcas,ilcontinueàt’admirer.—Arrêtedeleregarder,sifflai-je.Ellegloussa.Jesoulevailementonpourvoirsielleobéissait,envisageantderecourirà

laviolencedanslecascontraire,maiselles’exécuta.

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Puis Mike se mêla à notre conversation. Il projetait une bataille de boules de neigeépiquesurleparkingaprèslescoursetnousinvitaitànousjoindreàlui.Jessicaacceptaavecenthousiasme.SafaçondecontemplerMikeétaittransparente–elleétaitprêteàfairetoutcequ’ilvoudrait.Jegardailesilence,envisageantdéjàdemecacheraugymnaseenattendantqueleparkingsevide.

Jusqu’à la fin du repas, je pris grand soin d’éviter deme tourner vers sa table. Aprèsmûre réflexion, je décidai de relever le défi que je m’étais lancé : comme il avait semblédénuédecolère, j’iraisensciencesnat.Laperspectivedem’asseoirunenouvellefoisàcôtédeluidéclenchadespetitssoubresautsapeurésdansmonventre.

JenetenaispastropàmerendreencoursavecMike–visiblement, ilconstituaitunecible appréciée des chahuteurs. Mais, arrivés à la porte, tous ceux qui m’entouraientgrognèrent: ilpleuvait,et lapluieemportait lesultimestracesdeneigeenruisseauxglacésquis’écoulaientdanslescaniveaux.Jemismacapuche,secrètementenchantée.Jepourraisrentrerdirectementàlamaisonaprèsl’éducationphysique.Mike,lui,necessadeseplaindresurlechemindubâtiment4.

En classe, je constatai avec joieque laplace à côtéde lamienneétait encore vide.M.Banner déambulait dans la pièce, déposant un microscope et une boîte de lamelles surchaque paillasse. Le cours ne commençant que dans quelques minutes, les bavardagesallaientbon train.J’évitaideguetter laporte toutengribouillant sur lacouverturedemoncahier.

J’eusbeauentendre trèsnettementqu’on tirait le tabouretvoisin, je restaiconcentréesurmesdessins.

—Bonjour,murmuraunevoixharmonieuse.Je redressai la tête, stupéfaitequ’ilm’eût adressé laparole. Il se tenait aussi loinque

possible de moi, mais son siège était orienté dans ma direction. Ses cheveux mouillésdégouttaient, ébouriffés ; pourtant, il donnait l’impression de sortir d’une pubpour un gelcoiffant.Sonvisageéblouissantétaitouvertetcordial,unlégersourireétiraitseslèvressansdéfaut.Seulssesyeuxrestaientprudents.

—Jem’appelleEdwardCullen,poursuivit-il.Jen’aipaseul’occasiondemeprésenter,lasemainedernière.TudoisêtreBellaSwan.

Soudain,j’étaisperdue.Avais-jerêvé?Carilétaitd’unepolitesseexquise,maintenant.Ilattendaitquejeréagisse.Malheureusement,jenetrouvairiendeconventionnelàdire.

—D’où...d’oùconnais-tumonnom?bredouillai-je.Iléclatad’unrireséduisant.—Oh,cen’estunsecretpourpersonne.Tuétaisattenduecommelemessie,tusais.Jegrimaçai,guèreétonnée.—Cen’estpasça,m’enferrai-jebêtement.PourquoiBella?—TupréfèresIsabella?—Non,mais je pense que Charlie... mon père... nem’appelle pas autrement derrière

mon dos. Du moins, c’est ainsi que tout le monde ici paraît me connaître, essayai-jed’expliquer,toutenayantl’impressiond’êtreunevraiecrétine.

—Ahbon.Illaissatomber,etjedétournailesyeux,penaude.Parbonheur,M.Bannerdébutason

cours à cet instant, et jem’appliquai à suivre. Il nous expliqua que les lamelles des boîtesétaientmal rangées. Nous devions identifier les différentes étapes de lamitose à laquelleétaientsoumiseslesracinesd’oignonsqu’ellesrenfermaientetrétablirl’ordredeladivisioncellulaire.Nousétionscenséstravailleràdeux,reporternosrésultatssurlepolycopiéfourni,

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letoutenvingtminutesetsansutilisernoslivres.—Allez-y,conclutM.Banner.—Lesdamesd’abord?meproposaEdward.Sonsourireétaitsibeauquejeledévisageaicommeuneidiote.—Àmoinsquetupréfèresquejecommence.Lesouriresefana.Visiblement,ils’interrogeaitsurmescapacitésmentales.—Non,protestai-jeenpiquantunfard,aucunproblème.C’étaitdelafrime.Unpeu.J’avaisdéjàmenécetteexpérience,etjesavaisquoichercher.

Çadevraitêtre facile.Prenant lapremière lamelle, je l’insérai sous lemicroscopeetajustairapidementl’oculaire.Uncoupd’œilmesuffit.

—Prophase,décrétai-jeavecassurance.—Çat’embêtesijeregarde?intervintEdwardaumomentoùj’allaisretirerlalamelle.Samains’emparadelamiennepourarrêtermongeste.Sesdoigtsétaientglacés,àcroire

qu’illesavaitplongésdansunecongèrejusteavantlecours.Maiscenefutpaspourcelaqueje me libérai de son emprise à toute vitesse – son contact m’avait brûlée comme unedéchargeélectrique.

—Désolé,marmonna-t-ilenmelâchantaussitôt.Il ne renonça pas pour autant à se saisir du microscope. Chancelante, je l’observai

menerunexamenencoreplusrapidequelemien.— Prophase, acquiesça-t-il en inscrivant soigneusement ce résultat dans la première

casedel’imprimé.Ilpositionnahabilementladeuxièmelamelle,àlaquelleiln’accordaguèreplusqu’une

étudesuperficielle.—Anaphase,annonça-t-ilenécrivant.—Jepeux?demandai-jed’unevoixneutre.Avecunemouenarquoise, il fit glisser l’appareil versmoi. Jem’empressaidevérifier.

Bonsang,ilavaitraison!Jefusdéçue.—Troisièmelamelle,exigeai-jeentendantlamainsansleregarder.Ilmelapassaens’arrangeantpournepastouchermapeau,cettefois.Jefusaussibrève

quepossible.—Interphase,pronostiquai-je.Je lui cédai lemicroscope avant qu’il ait eu le temps de le réclamer. Il contrôlamon

verdict pour la formepuis le reporta sur le polycopié, ce que j’aurais pu faire pendant sonobservation, sauf que son écriture nette et élégante m’impressionnait. Je ne tenais pas àdéparerlapageavecmespattesdemouche.

Nous eûmes fini bien avant les autres. Je vis Mike et sa partenaire comparer deuxlamellesplusieursfoisdesuite,etundesgroupesdetravailavaitouvertendoucesonlivresouslatable.

J’eusdonctoutleloisirdem’obligerànepasdévisagermonvoisin,sanssuccès.J’étaisen train de le guigner quand jem’aperçus qu’ilme contemplait avec cet air de frustrationinexplicablequim’avaitdéjàintriguée.Toutàcoup,jecrusdevinercequiavaitchangéenlui.

—Tuportesdeslentilles,non?m’exclamai-jetoutàtrac.Cetteréflexioninattendueparutledésarçonner.—Non.—Ahbon,marmottai-je.Tesyeuxsontdifférents,pourtant.Haussant les épaules, il détourna la tête.Malgré tout, j’étais convaincue qu’il y avait

quelquechosedenouveauenlui.Jegardaisunsouvenirtrèsnetdelanoirceurternedeses

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pupilles lorsqu’il m’avait toisée – une couleur qui tranchait sur sa pâleur et ses cheveuxblond vénitien. Aujourd’hui, ses yeux avaient une teinte complètement autre : un ocreétrange,plussoutenuqueducaramelmaispanachéd’unenuancedoréeidentique.Jenemel’expliquais pas, àmoins qu’il m’eûtmenti à propos des lentilles. Pourquoi l’aurait-il fait,cependant ?Oualors,Forksme rendait folle, au sens littéral dumot.Baissant les yeux, jeremarquaiqu’ilserraitlespoings.

Intrigué par notre inactivité,M. Banner s’approcha de notre paillasse. Par-dessus nosépaules,ildécouvritnotreimprimédûmentcomplétéetexaminadeplusprèsnosréponses.

—Laisse-moideviner,Edward, insinua-t-il, tuasestiméqu’Isabellaneméritaitpasdetoucheraumicroscope?

—Bella,lecorrigeaautomatiquementmonvoisin.Etdétrompez-vous,elleenaidentifiétroissurcinq.

M.Banners’adressaàmoi,quelquepeusceptique.—Tuasdéjàtravaillélà-dessus?—Pasavecdesracinesd’oignons,admis-je,embarrassée.—Delablastuladeféra?—Oui.—Tusuivaisunprogrammepourélèvesavancés,àPhœnix?devina-t-ilenhochant le

menton.—Oui.Ilméditaquelquesinstants.— Eh bien, finit-il par déclarer, il n’est sans doute pasmauvais que vous deux soyez

partenairesdelabo.Ils’éloignaengrommelantdanssabarbe.Jereprismesgribouillis.—Dommage,pourlaneige,hein?melançaEdward.J’eus l’impressionqu’ilseforçaitàfaire laconversation.Unefoisdeplus, jecédaià la

paranoïa – c’était comme s’il avait entendu l’échange que Jessica et moi avions eu à lacafétériaetqu’ilessayaitdeprouverqu’ils’intéressaitauxautres.

—Pasvraiment,répondis-je,choisissantlafranchise.Préoccupéeparmessoupçonsridicules,j’avaisdumalàêtreattentive.—Tun’aimespaslefroid.C’étaituneaffirmation.—Nil’humidité,renchéris-je.—TudoisdifficilementsupporterForks,s’aventura-t-il.—Tun’imaginesmêmepasàquelpoint.Ces mots parurent le fasciner, ce qui me laissa pantoise. Quant à son visage, il

m’obsédait tellement que je devaism’interdire de le contempler plus que ne l’autorisait lacourtoisie.

—Pourquoies-tuvenuet’installerici,alors?Personnenem’avaitposélaquestion–entoutcas,pasdefaçonaussidirecte.—C’est...compliqué.—Jedevraisréussiràcomprendre,persifla-t-il.Jenedisrienpendantunlongmoment,puiscommisl’erreurdecroisersonregard.Ses

prunelles d’un or sombre me déstabilisèrent, et c’est sans réfléchir que j’acceptai dem’expliquer.

—Mamères’estremariée.—Çanemeparaîtpastrèscompliqué,souligna-t-il.Quandest-cearrivé?

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—Enseptembre.Mêmemoi,jeperçuslatristessedemavoix.—Ettunel’appréciespas,conjecturaEdwardsanssedépartirdesagentillesse.—Si,Philestchouette.Tropjeune,peut-être,maissympa.—Pourquoin’es-tupasrestéeaveceux,s’ilestaussiagréable?Son intérêtmedépassait. Ilme scrutait pourtant comme simapauvre vie était d’une

importancefondamentale.— Phil voyage beaucoup. Il est joueur de base-ball professionnel, précisai-je avec un

demi-sourire.—Célèbre?s’enquit-ilensouriantàsontour.—Non.Iln’estpastrèsbon.Justedeschampionnatsdesecondordre.Ilsedéplacepas

mal.—Ettamèret’aexpédiéeiciafindel’accompagnerlibrement.Denouveau,c’étaituneaffirmation.—Non,protestai-je,ellen’yestpourrien.C’estmoiquil’aivoulu.—Jenesaisispas,avoua-t-ilenfronçantlessourcils.Safrustrationmesembladémesurée.J’étouffaiunsoupir.Pourquoiprenais-jelapeine

deracontermavie?Sûrementparcequel’intensitédesacuriositénefaiblissaitpas.— Au début, repris-je, elle est restée avec moi. Mais il lui manquait. Elle était

malheureuse...Bref,j’aidécidéqu’ilétaittempsquejeconnaisseunpeumieuxCharlie.Jeprononçaicesdernièresparolesavecdesintonationssinistres.—Etmaintenant,c’esttoiquin’espasheureuse,endéduisit-il.—Labelleaffaire!—Çan’estpastrèsjuste.—Onnetel’adoncjamaisdit?ripostai-jeavecunricanementamer.Lavieestinjuste.—J’aieneffetl’impressiond’avoirdéjàentenduçaquelquepart,admit-ilsèchement.—Inutiledeselamenter,parconséquent,conclus-jeenmedemandantpourquoiilme

fixaitainsi.—Tudonnesbien lechange,murmura-t-il,appréciateur,mais jeparieque tusouffres

plusquetunelelaissesvoir.Jelegratifiaid’unegrimace,résistantdifficilementàl’enviedeluitirerlalanguecomme

unegaminedecinqans,puisjedétournailatête.—Jemetrompe?Jel’ignorai.Difficilement.—J’enétaissûr!plastronna-t-il.—Etenquoiçateconcerne,hein?répliquai-je,acide.Jerefusaistoujoursdeleregarderetmefocalisaisurlesrondesduprofdanslasalle.—Bonnequestion,chuchota-t-il,sidoucementqu’ilparutseparleràlui-même.Lesilences’installa,et jedevinaiqu’iln’endiraitpasplusàcesujet. Irritée, je fixai le

tableauenfronçantlessourcils.—Jet’agace?demanda-t-il,l’airsoudainamusé.Sansréfléchir,jeluijetaiuncoupd’œil...etluiavouailavérité,unefoisdeplus.— Pas vraiment, maugréai-je. Je m’agace moi-même, plutôt. Je suis tellement

transparente.Mamèrem’appellesonlivreouvert.—Jenesuispasd’accord.Jetetrouveaucontrairedifficileàdéchiffrer.Malgré tout ce que je lui avais confessé et tout ce qu’il avait deviné seul, il était

apparemmentsincère.

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—C’estquetuesbonlecteur.—Engénéral,oui.Il m’adressa un large sourire qui dévoila une rangée de dents extrablanches et

régulières. À cet instant, M. Banner rappela la classe à l’ordre, et je me tournai vers lui,soulagée.J’étaisébahied’avoirrévélémamisérableexistenceàcegarçonétrangeetsuperbequipouvaitmemépriseroupasaugrédeseshumeurs.Ilm’avaitdonnél’impressiond’êtresubjuguéparnotreconversation,maisunebrèvevérificationm’appritqu’ils’étaitdenouveauéloignédemoi,etquesesmainsagrippaientlatableavecuneévidentetension.

Je m’astreignis à écouter M. Banner qui illustrait, transparents et rétroprojecteur àl’appui,cequej’avaisélucidésansdifficultéàl’aidedumicroscope.Hélas,j’avaisl’espritbienembrouillé.

Lorsquelaclocheretentitenfin,Edwardsesauva,aussivifetgracieuxquelelundi.Et,comme ce jour-là, je le regardai s’éloigner avec stupeur. Mike se précipita vers moi pourportermeslivresàmaplace.L’imaged’unsaint-bernardremuantlaqueues’imposaàmoi.

— C’était nul, grogna-t-il. Toutes ces lamelles se ressemblaient. Tu as de la chanced’avoirCullenpourpartenaire.

—L’exercicenem’aposéaucunproblème,rétorquai-je,piquéeparsesinsinuations.Etpuis,j’avaisdéjàmenéuneexpériencedecetype,ajoutai-jeaussitôt,regrettantmarebuffadeetcraignantdel’avoirblessé.

— Cullen a eu l’air plutôt sympa, aujourd’hui, commenta-t-il au moment où nousenfilionsnosmanteaux.

Etluin’avaitpasl’airtrèscontent.—Jenesaispascequiluiaprislasemainedernière,éludai-jeenjouantl’indifférence.Sur le trajet du gymnase, je fus incapable de prêter l’oreille aux bavardages deMike.

L’heure d’éducation physique n’arrangea rien non plus. Ce jour-là, Mike était dans monéquipe. Chevaleresque, il défendit ma position et la sienne, et mes rêvasseries ne furentinterrompues que lorsque c’était mon tour de servir – chaque fois, mes coéquipiers sebaissèrentprudemment.

La pluie n’était plus qu’un brouillard quand j’émergeai sur le parking, mais je fusheureuse de gagner l’abri dema Chevrolet. Jemis enmarche le chauffage, pour une foisinsoucieusedurugissementabêtissantdumoteur,déboutonnaimoncoupe-vent,rabattis lecapuchonetébouriffaimescheveux.

J’inspectais lesalentoursafindem’assurerque lavoieétait libre lorsque jeremarquaiune silhouette blanche et immobile. Edward Cullen s’appuyait contre la porte avant de laVolvo,àtroisvoituresdelà,etmefixait.Aussitôt,jefismarchearrière,manquant,dansmahâte,d’emboutiruneToyotaCorollarouillée.Heureusementpourelle,j’enfonçailapédaledefreinà temps.C’étaitexactement legenredevéhiculequemacamionnetteaurait réduitenbouillie.Jeprisuneprofondeinspirationet,veillantavecapplicationànepasleregarder,jereprismamanœuvre,avecplusdesuccèscecoup-ci.Raidecommeunpiquet, jedépassailaVolvo–j’auraisjuréqu’Edwardriait.

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3

PHÉNOMÈNE

Lorsquej’ouvrislesyeuxlelendemainmatin,quelquechoseavaitchangé.Lalumière.Levert-de-grisambiantdugenrejournuageuxenforêtétaitilluminéd’une

nuanceplusclaire.M’apercevantquelebrouillardn’opacifiaitpasmafenêtre,jesautaidulitpourallervoir...etpoussaiungémissementhorrifié.Unefinecouchedeneigerecouvraitlacour, saupoudrait le toit dema camionnette, blanchissait la rue. La pluie de la veille avaitgelé, solidifiant les aiguilles des arbres en sculptures fantastiques et somptueuses ettransformantl’alléeenpatinoire.J’avaisdéjàassezdemalànepasmecasserlafigurequandlesolétaitsec–ilétaitsûrementplussûrquejeretournemecouchertoutdesuite.

Charlieétaitpartilorsquejedescendis.Parbiendesaspects,vivreavecluiressemblaitàvivreencélibataire,etjemesurprenaisàsavourermonindépendanceplutôtqu’àsouffrirdesolitude.J’engloutisunboldecéréalesetquelquesgorgéesdejusd’orange–directementaugoulot. J’avaishâtede filer au lycée, cequim’effrayait. J’avais conscienceque cen’étaitnivers une studieuse émulation ni vers le plaisir de retrouver mes nouveaux amis que jecourais. J’étaispresséedeme rendre à l’école à caused’EdwardCullen.Et c’était très, trèsbête.

J’aurais dû l’éviter complètement, après mes sots et embarrassants bavardages de laveille.Etpuis jememéfiais ;pourquoiavait-ilmentiàproposdesesyeux?L’hostilitéquiémanaitparfoisdeluicontinuaitàmeterrifier,etlaseuleidéedesonadmirablevisageàmeparalyser. Je savais aussi que nous n’étions pas dumêmemonde. En aucun cas, donc, jen’auraisdûêtrefébrileàlaperspectivedelerevoir.

Ilmefallutfaireappelàtoutesmescapacitésdeconcentrationpourréchapperdel’alléeverglacée. Je faillis bien perdre l’équilibre en atteignant ma voiture mais réussis àm’accrocher au rétroviseur juste à temps. La journée allait être cauchemardesque, aucundoutelà-dessus.

Sur le trajet du lycée, j’oubliai mes soucis en repensant àMike et Éric et à la façonmanifestementdifférentedontlesgarçons,ici,secomportaientàmonégard.J’étaispourtantcertained’avoirlamêmetêtequ’àPhœnix.Peut-êtreétait-cequemescamaradesmasculins,là-bas,m’avaient vue traverser lentement toutes lesphasesdifficilesde l’adolescence etnes’étaientpasdonné lapeinededépassercestade.Peut-êtreétait-ceque jereprésentaisunenouveautédansunevilleoùcelles-ciétaientrares.Àmoinsquemamaladressequiconfinaitàl’infirmiténefûtconsidéréeavecsympathieplutôtqu’avecmépris,medonnantdesalluresdeprincesseendétresse.Quoiqu’ilenfût,l’attitudedechiotdeMikeetl’apparentejalousied’Éric étaient déconcertantes. Je n’étais pas sûre de ne pas leur préférerma transparencecoutumière.

Je conduisis avec une lenteur d’escargot, peu désireuse de semer le désordre et la

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destructionsurmaroute.LaChevroletsemblaitcependantnepasavoirdedifficultésaveclaglace noire qui couvrait l’asphalte. Lorsque j’en descendis, sur le parking du lycée, jedécouvrispourquoi.Unéclatargentéayantattirémonattention, jemerendisà l’arrièreduvéhicule–enm’agrippantprudemmentauplateau–afind’yexaminerlespneus.Ilsétaientceints de fines lignes métalliques entrecroisées en losanges. Charlie s’était levé à pointd’heurepourchaînermacamionnette.J’euslagorgeserrée,soudain.Jen’avaispasl’habitudequ’ons’occupâtdemoi,etlesattentionsdiscrètesdemonpèremeprenaientaudépourvu.

Jeme tenaisderrièremavoitureenessayantdemaîtriser labrusquevagued’émotionquis’étaitemparéedemoiquandj’entendisundrôledebruit.

Plusieurschosesarrivèrentenmêmetemps.Etpasauralenti,commedanslesfilms.Aucontraire, l’adrénalineparutdégourdirmon cerveau, et je réussis à saisir enblocune séried’événementssimultanés.

À quatre voitures de moi, Edward Cullen avait les traits tordus par une grimacehorrifiée. Son visage se détachait sur unemerd’autres visages, tous figésdansunmasqued’angoisse identique. De plus immédiate importance cependantm’apparut le fourgon bleunuit qui glissait, roues bloquées et freins hurlant, en tournoyant follement à travers leparking verglacé. Il fonçait droit surma Chevrolet, et j’étais en plein sur sa trajectoire. Jen’eusmêmepasletempsdefermerlesyeux.

Juste avant que ne me parvienne le crissement de tôles froissées du véhicule fous’enroulantautourduplateaudemacamionnette,quelquechosemefrappa.Fort.Saufquelecoupnesurgitpasdelàoùjel’attendais.Matêteheurtalebitumegelé,unemassesolideetfroidemeclouaausol.Jemerendiscomptequejegisaissurlesol,derrièrelavoituremarronprès de laquelle je m’étais garée. Je n’eus pas le loisir d’engranger d’autres détails, car lefourgon se rapprochait : après avoir rebondi bruyamment sur l’arrière de la Chevrolet, ilcontinuaitsacoursedésordonnéeets’apprêtaitàmerentrerdedansunedeuxièmefois.

Un juron étouffém’apprit que je n’étais pas seule. Impossible de ne pas reconnaîtrecettevoix.Deuxlonguesmainsblanchesjaillirentdevantmoipourmeprotéger,etlefourgons’arrêtaenhoquetantàquelquescentimètresdemafigure, lesgrandespaumess’enfonçantparunheureuxhasarddansuneindentationprofondequimarquaitleflancduvéhicule.

Puis les mains bougèrent, si vite qu’elles en devinrent floues. L’une d’elles attrapaitsoudain le dessousdu fourgon, et quelque choseme tirait en arrière, écartantmes jambescommecellesd’unepoupéedesonjusqu’àcequ’ellesviennentfrapperlespneusdelavoituremarron.Dansungrondementmétalliquequimedéchiralestympansetuneaversedeverrebrisé, le fourgon retomba à l’endroit exact où, un instant plus tôt, s’étaient trouvées mesjambes.

Un silence absolu régna pendant une seconde interminable, puis les hurlementscommencèrent.Dans lecharivari, j’entendisplusieurspersonnescriermonnom.Maisplusclairement que ces braillements, je perçus, toute proche, la voix basse et affolée d’EdwardCullen.

—Bella?Çava?—Trèsbien.Mes intonations sonnèrent étranges à mes propres oreilles. Je voulus m’asseoir,

m’aperçusqu’ilmeserraitcontreluidansuneétreintedefer.—Attention,m’avertit-il quand jemedébattis. Je crois que tu t’es cogné la tête assez

fort.Jeprisconscienced’unedouleurlancinanteau-dessusdemonoreillegauche.—Ouille!murmurai-je,déconcertée.

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—C’estbiencequejemedisais.Ilsemblaitsujetàuneétrangegaieté.—Commentdiable...Jem’interrompispourtâcherd’éclaircirmesidéesetderecouvrermesesprits.—Commentas-turéussiàt’approcheraussivite?—J’étaisjusteàcôtédetoi,Bella,affirma-t-ilenretrouvantsonsérieux.Je me détournai pour me redresser et, cette fois, il me lâcha, délaçant ses bras et

s’éloignant de moi autant que l’espace restreint le lui permettait. Il arborait une moueinquièteetinnocente,etjefusdenouveaudésorientéeparl’intensitédesespupillesdoréesquiparaissaientmereprocherl’absurditédemaquestion.

Tout à coup, on nous découvrit, une meute de gens aux joues striées de larmes, sehélant,nousinterpellant.

—Nebougezpas!nousordonnaquelqu’un.—SortezTylerdufourgon,criaquelqu’und’autre.Uneactivitéfébriles’organisa.Jetentaidemelever,maislamainglacéed’Edwardm’en

empêcha.—Attendsencoreunpeu.—J’aifroid!protestai-je.Ilétouffaunrire.Qu’est-cequeçasignifiait?—Tuétaislà-bas,merappelai-jesoudain.Prèsdetavoiture.—Non,répliqua-t-ilensefermantbrusquement.—Jet’aivu!Alentour, c’était le chaos.Des voix graves retentirent, signequedes adultes arrivaient

surplace.Demoncôté, jen’avaispas l’intentiondecéder.J’avais raison,etEdwardCullenallaitdevoirenconvenir.

—Bella,j’étaistoutprèsdetoietjet’aitiréedelà,c’esttout.Ilme balaya du pouvoir dévastateur de ses yeux, comme pourme communiquer une

informationcruciale.—Non,m’entêtai-je,mâchoiresserrées.L’ordesesirisflamboya.—S’ilteplaît,Bella.—Pourquoi?—Fais-moiconfiance.La douceur envoûtante de ses accents fut interrompue par les ululements de sirènes

lointaines.—Jurequetum’expliquerasplustard.—D’accord!aboya-t-il,soudainexaspéré.—Tuasintérêtàtenirparole,insistai-je,furieuse.Il fallut six secouristes et deux profs – Varner et Clapp – pour déplacer le fourgon

suffisamment loin afin de laisser passer les brancards. Edward refusa vigoureusement des’allonger sur le sien, et jem’efforçai de l’imiter,mais le traître leur révéla que jem’étaiscogné la têteetque jesouffraissûrementd’unecommotion.Je faillismourird’humiliationlorsqu’ils me mirent une minerve. On aurait dit que tout le lycée était là qui observaitgravementmonchargementenambulance.Edwardgrimpaàl’avant.C’étaithorripilant.

Histoiredene rien arranger, leChefSwandébarquaavantqu’ils aient eu le tempsdem’évacuer.

—Bella!brailla-t-il,paniqué,lorsqu’ilmereconnutsurlacivière.

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—Toutvaaussibienquepossible,Char...papa,soupirai-je.Jesuisindemne.Iln’endemandapasmoinsconfirmationàl’ambulancierleplusproche.Jeprisleparti

de l’ignorer et m’appliquai à dérouler l’inexplicable méli-mélo d’images folles qui sebousculaientdansmoncrâne.Lorsquelesbrancardiersm’avaientemportée,j’avaisremarquésansl’ombred’undoutequelepare-chocsdelavoituremarronétaitprofondémentenfoncé–uneformequin’étaitpassansévoquerlecontourdesépaulesd’Edward.Commes’ils’étaitarc-boutécontrel’autoavecassezdeforcepourentordrelemétal...Etpuisilyavaitlessiens,qui avaient contemplé la scène de loin, avec un mélange d’émotions qui allaient de ladésapprobation à la fureurmais sans une once d’inquiétude pour la santé de leur frère. Ilfallaitquejetrouveuneexplicationlogiqueàceàquoijevenaisd’assister–uneexplicationévitantdeconclurequej’étaiscinglée.

Naturellement,l’ambulancefutescortéeparlapolicejusqu’àl’hôpitalducomté.C’étaitd’un ridicule consommé. Le pire fut qu’Edward franchit tranquillement les portes desurgencessursespieds.Laragemefitcrisserdesdents.

Ilsm’installèrent dans une grande salle d’examen avec une rangée de lits séparés pardesrideauxauxdessinspastel.Uneinfirmièremecollauntensiomètreautourdubrasetunthermomètresouslalangue.Personnenesesouciadetirerlatenturepourmedonnerunpeud’intimité.Estimantquejen’étaispasobligéedegardercette imbéciledeminerve, j’enôtairapidementlesbandesVelcroetlabalançaisousunmeuble,unefoisl’infirmièrepartie.

Peu après, le personnelmédical s’agita dans tous les sens, et un deuxième blessé futamené sur le lit voisin.Sous lespansements tachésde sangqui enserraient étroitement satête, je reconnus Tyler Crowley – il partageaitmes cours de civilisation. Il avait beau êtredansunétatmillefoispirequelemien,ilmedévisageaavecanxiété.

—Bella,jesuisdésolé!—Jen’airien,Tyler.Toi,tuasmauvaisemine.Çava?Les infirmières avaient commencé à dérouler les bandages souillés, dévoilant une

myriadedecoupurespeuprofondessursonfrontetsajouegauche.Ilignoramaquestion.—J’aicruquej’allaistetuer!Jeroulaistropvite,j’aiétésurprisparleverglas...Ilgrimaça,carontamponnaitsesblessures.—Net’inquiètepas:tum’asloupée.— Comment as-tu réussi à fiche le camp aussi vite ? Tu étais là et, soudain, plus

personne...—Euh...Edwardm’atiréedelà.Tylerparutsurpris.—Quiça?—EdwardCullen.Ilétaitprèsdemoi.Mêmemoijenefuspasconvaincueparcepiètremensonge.—Cullen?Jenel’aipasvu...Enfin,touts’estpassésivite.Ilvabien?—Ilmesemble.Iltraînedanslesparages.Ilsnel’ontpascouchésurunbrancard,lui.Je savais que jen’étais pas folle.Qu’était-il arrivé ?Cedont j’avais été témoin restait

inexplicable.Ilsm’emmenèrentpasseruneradioducrâne.Jeleurgarantisquejen’avaisriendutout,

etl’examenmedonnaraison.J’exigeaidepartir,maisonmerépliquaqu’ilfallaitd’abordquejevoieunmédecin.Bref, j’enfusréduiteàpatienter,harceléeparlesconstantesexcusesdeTyleretsespromessesdes’amender.J’eusbeauluirépéterxfoisquej’étaisenpleineforme,ilnecessadesetorturer.Finalement, jefermai lesyeuxet l’ignoraitandisqu’ilpoursuivaitsonmonologuecontrit.

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—Elledort?s’enquitunevoixharmonieuseunpeuplustard.J’ouvris les paupières. Edward se tenait au pied demon lit, unemoue narquoise aux

lèvres.Jelefusillaiduregard.Cenefutpassimple–ilm’étaittellementplusnatureldelecouverdesyeux.

—Hé,Edward,jesuisdésolé...commençaTyler.Monsauveurl’arrêtad’unemain.—Iln’yapasmortd’homme,lerassura-t-ilenluidécochantsonsourireétincelant.Il alla s’asseoir sur le lit de Tyler, face à moi. De nouveau, son expression était

sardonique.—Alors,quelestleverdict?medemanda-t-il.— Je n’ai rien,mais ils refusent deme relâcher,me plaignis-je. Explique-moi un peu

pourquoitun’espasficeléàunecivièrecommenous?—Simplequestionderelations.Net’inquiètepas,jemechargedetonévasion.Àcetinstant,unmédecinapparutaudétourducouloir,etj’enrestaicoite.Ilétaitjeune,

blond...etplusbeauquetouteslesstarsdecinémaquejeconnaissais.Ilavaitnéanmoinsleteintpâle,lestraitstirésetdescernessouslesyeux.Sij’encroyaisladescriptiondeCharlie,ils’agissaitdupèred’Edward.

— Alors, mademoiselle Swan, m’apostropha-t-il d’une voix remarquablement sexy,commentvoussentez-vous?

—Trèsbien,affirmai-je(pourladernièrefois,j’espérai).S’approchantdunégatoscope,ill’alluma.—Vos radios sont bonnes,m’annonça-t-il. Vous avezmal à la tête ?D’après Edward,

vousavezsubiunsacréchoc.—Toutestenordre,soupirai-jeenlançantuncoupd’œilpeuamèneauditEdward.Desdoigtsfraisauscultèrentmoncrâneaveclégèreté.—C’estdouloureux?s’inquiétaledocteurCullenenremarquantquejetressaillais.—Pasvraiment.J’avaisconnupire.Unrireétoufféattiramonattention–Edwardmecontemplait,une

moueprotectricesurleslèvres.Mesyeuxlancèrentdeséclairs.—Bon,votrepèrevousattendàcôté.Vouspouvezrentrer.Maisn’hésitezpasàrevenir

sivousavezdesétourdissementsoudestroublesdelavision.—Jenepeuxpasretourneraulycée?JevoyaisdéjàCharlies’essayantaurôledemèrepoule.—Vousferiezmieuxdevousreposer,aujourd’hui.—Etlui,ilyretourne?insistai-jeendésignantEdward.—Il fautbienquequelqu’unannonce labonnenouvelledenotresurvie, se justifiace

dernieraveccondescendance.— En fait, précisa le docteur Cullen, la plupart des élèves semblent avoir envahi les

urgences.—Oh,bonsang!gémis-jeenmecachantlevisagedanslesmains.—Vouspréférezresterici?s’enquitlemédecin.—Non,non!merécriai-jeensautantdulitrapidement.Troprapidement,carjetitubai,

etlepèred’Edwardmerattrapa,l’airsoucieux.—Çava,assurai-je.Inutiledeluipréciserquemesproblèmesd’équilibrenedevaientrienàl’accident.— Prenez un peu d’aspirine si vous avez mal, suggéra-t-il en me remettant sur mes

pieds.

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—Çan’estpasaussiaffreuxqueça.— Il sembleque vous ayez eubeaucoupde chance, conclut-il dansun sourire tout en

signantd’ungrandgestemafeuilledesortie.—Àmettresurlecompted’EdwardLaChance,précisai-jeentoisantlesujetincriminé.—Ahoui...c’estvrai,éludalemédecinquis’absorbasoudaindanslespapiersqu’iltenait

avantdes’intéresseràTyler.Messoupçonsseréveillèrent:ledocteurCullenétaitdemècheavecsonfils.—J’aibienpeurquevousnedeviezresteravecnousunpeupluslongtemps,lança-t-ilà

Tylerenauscultantsescoupures.Dèsqu’ileuttournéledos,jem’approchaid’Edward.—Jepeuxteparleruneminute?sifflai-je.Ilreculad’unpas,lèvrescrispées.—Tonpèret’attend,répliqua-t-ilsurlemêmeton.—J’aimeraisavoirunepetitediscussionenprivé,situveuxbien,persistai-jeaprèsavoir

jetéuncoupd’œilaulitvoisin.Furibond, Edward tourna les talons et sortit de la pièce à grands pas, m’obligeant

presqueàcourirpourlerattraper.Lecoinducouloiràpeinedépassé,ilmefitface.—Alors?demanda-t-il,agacé,leregardfroid.Sonhostilitém’intimida,etcefutavecmoinsdesévéritéquejel’eussesouhaitéqueje

m’exprimai.—Tumedoisuneexplication.—Jet’aisauvélavie,jenetedoisriendutout.—Tuasjuré,contrai-je,bienqu’ébranléeparl’animositéquisuintaitdelui.—Bella,tuasprisuncoupsurlatête,tudélires.—Matêtevatrèsbien!ripostai-je,exaspérée.—Queveux-tudemoi,Bella?—Lavérité.Comprendrepourquoitumeforcesàmentir.—Maisqu’est-cequetuvasimaginer?—Je suis sûreque tun’étais absolumentpasà côtédemoi.Tylerne t’apas vu, alors

arrêtedemeraconterdesbobards.Cefourgonallaitnousécrasertouslesdeux,etçanes’estpasproduit.Tesmainsontlaissédesmarquesdedans,ettuasaussienfoncél’autrevoiture.Tu n’as pas une égratignure, le fourgon aurait dû m’écrabouiller les jambes mais tu l’assoulevé...

Merendantsoudaincomptedeladingueriedemesparoles,jemetus.J’étaissifurieuseque je sentis les larmesaffleurer : les ravalant, je serrai lesdents.Luimedévisageait avecincrédulité.Maisilétaittendu,surladéfensive.

—Tupensesvraimentquej’airéussiàsouleverunevoiture?Son ton laissait entendre que j’étais folle à lier, ce qui me rendit d’autant plus

soupçonneuse.Caronauraitdituneréplique lancéeà laperfectionparunacteurdetalent.J’acquiesçaiavecraideur.

—Personnenetecroira,tusais,affirma-t-il,vaguementmoqueur.—Jen’aipas l’intentionde lecrier sur les toits, répliquai-jeendétachantchaquemot

pourcontenirmarage.Unétonnementfugacetraversasonvisage.—Danscecas,quelleimportance?—Pourmoi,çaena.Jen’aimepasmentir,alors tuas intérêtàmedonnerunebonne

raisondelefaire.

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—Pourquoinepastecontenterdemeremercieretoubliertoutça?—Merci.J’attendis,furieuse,obstinée.—Tun’aspasl’intentionderenoncer,hein?—Non.—Alors...turisquesd’êtredéçue.Nousnoustoisâmesquelquesinstants.J’eusdumalànepasmelaisserdistraireparsa

beautélivide.C’étaituncombatcontreunangedestructeur,etjefuslapremièreàromprelesilence.

—Pourquoit’es-tudonnélapeinedemesauver,alors?demandai-je,glaciale.L’espace d’une seconde, ses traits magnifiques prirent une expression étonnamment

vulnérable.—Jenesaispas,chuchota-t-il.Surce,ilfitdemi-tourets’éloigna.J’étais tellement remontée qu’il me fallut plusieurs minutes pour digérer cette

dérobade. Ensuite, je me dirigeai lentement vers la sortie. Affronter la salle d’attente futencorepirequeprévu.ÀcroirequetouslesvisagesquejeconnaissaisàForkss’étaientdonnérendez-vouspourmelorgner.Charlieseprécipitaversmoi,etjelevailesmains.

—Jen’airien,lerassurai-jed’unevoixboudeuse,carjen’étaispasd’humeuràpapoter.—Qu’aditlemédecin?—Quej’allaisbienetquejepouvaisrentreràlamaison.Mike,Jessica,Éricétaientlàetconvergeaientversnous.—Allons-y,décrétai-je.Mettantunbrasderrièremondossansvraimentmetoucher,Charliemeconduisitvers

lesportesvitréesquiouvraient sur leparking.J’agitaipiteusement lamainendirectiondemes amis, espérant ainsi les convaincre qu’ils n’avaient plus besoin de s’inquiéter.Monterdanslavoituredepatrouillefutunvéritablesoulagement–commequoi,toutpeutarriver.

Letrajetsedéroulaensilence.Plongéedansmespensées,j’avaisàpeineconsciencedelaprésencedeCharlie.Pourmoi,l’attitudedéfensived’Edwardétaitlapreuvedelabizarreriedecequej’avaisvu,mêmesij’avaisencoredumalàaccepterl’inacceptable.

Unefoischeznous,Charlieouvritenfinlabouche.— Euh... il faut que tu appelles Renée, marmonna-t-il en baissant la tête d’un air

coupable.—Tuasprévenumaman!m’écriai-je,stupéfaite.—Jesuisdésolé.Jeclaquailaportièredelavoitureunpeuplusfortquenécessaireetentrai.Mamèreétaithystérique,naturellement.Jedusluirépéteraumoinstrentefoisqueje

mesentaisbienavantqu’ellenesecalme.EllemesuppliaderentreràPhœnix–oubliantquelamaisonétaitvide–mais ilmefutplusfacilederésisteràsesprièresquejenem’yétaisattendue.LemystèrequereprésentaitEdwardmerongeait.EtEdwardlui-mêmem’obsédaitencore plus. Idiote, idiote, idiote ! Je n’avais aucune intention de fuir Forks ; contre toutelogique;cequen’importequidecenséetnormalauraitfait.

Jepréféraimecouchertôt.Charlien’arrêtaitpasdemeregarderavecinquiétude,etçametapaitsurlesystème.Jem’octroyaitroisaspirinesavantd’allerdormir.Unebonneidée,carladouleurs’estompa,etjenetardaipasàm’assoupir.

Cettenuit-là,pourlapremièrefois,jerêvaid’EdwardCullen.

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4

INVITATIONS

Dansmonrêve, il faisaittrèssombre,et la lumièrechichesemblaitsourdredelapeaud’Edward.Jenevoyaispassonvisage,seulementsondos,aufuretàmesurequ’ils’éloignaitdemoi,m’abandonnantdans l’obscurité.J’avaisbeaucourir, jene le rattrapaispas ; j’avaisbeaul’appeler, ilneseretournaitpas.Troublée,jem’éveillaietneretrouvaipaslesommeilavant cequimeparutêtreun très longmoment.Par la suite, ilhantames songespresquechaquenuit,maisenrestanttoujoursàlapériphérie,horsd’atteinte.

Lemois qui suivit l’accident fut difficile, source de tensions, et, pour commencer, degêne.

Consternée, jemeretrouvaiaucentrede l’attentionpour le restede la semaine.TylerCrowley était insupportable, me suivant partout, obsédé par le besoin de se racheter. Jem’évertuaiàlepersuaderquemondésirlepluscherétaitqu’iloubliâttoutel’affaire,d’autantquej’étaisindemne,maisiln’endémordaitpas.Ilmepoursuivaitauxinterclasses,déjeunaità notre table désormais surpeuplée.Mike et Éric étaient encore plus hostiles à son égardqu’ilsnel’étaientl’unenversl’autre,cequim’inquiétait–jen’avaisnulbesoind’unnouveladmirateur.

Edwardn’attisal’intérêtdepersonne,endépitdemesassurancesrépétéesquec’étaitluile héros, qu’il avait risqué sa vie en venant àma rescousse.Malgrémes efforts pour êtreconvaincante, Jessica,Mike,Éric, tout lemonde affirmait nepas l’avoir vu avant qu’on aitretirélefourgon,cequim’amenaàm’interroger.Pourquoiétais-jelaseuleàavoirremarquéqu’il se tenait aussi loindemoi avantde voler, brusquement, invraisemblablement, àmonsecours?Dépitée,jecomprisquec’étaitsansdouteparcequ’aucunélèveneprêtaitattentionàluicommemoi.J’étaislaseuleàêtrefascinée.Pitoyable!

Ilnefutjamaisentouréd’unefouledespectateurscurieux,avidesd’entendresaversiondel’incident.Commed’habitude,onl’évita.LesCullenetlesHalecontinuèrentàs’asseoiràlamême table, ànepasmanger, àneparlerqu’entre eux.Aucund’eux, surtoutpas lui,neregardaplusdansmadirection.

Lorsqu’il était à côté demoi en classe, aussi loin que la paillasse le lui permettait, ilparaissaittotalementoublieuxdemonexistence.Cen’étaitquequandilarrivaitàsespoingsdesefermertoutàcoup–peauencoreplusblanchequed’ordinaire,tenduesurlesos–quejedoutaisdel’authenticitédesonindifférence.

Il regrettait de m’avoir tirée de sous les roues de Tyler – il n’y avait pas d’autreexplication.

J’avaisvraimentenviedeluiparleret,dèslelendemaindel’accident,lemardi,j’essayai.Lorsquenousnousétionsquittés,àlasortiedesurgences,nousétionstousdeuxencolère.Lamiennen’avaitpas cédéd’unpoucedevant saméfianceàmonégardalorsque,demoncôté, jerespectaismapartdumarchésansfaillir.Néanmoins, ilm’avaitsauvé lavie,quellequesoitlafaçondontils’yétaitpris.Et,letempsd’unenuit,lachaleurdemafureurs’était

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fondueenunegratitudetoutàlafoisrespectueuseetcraintive.Il était déjà installé quand j’arrivai au labo, fixant le tableau noir. Je m’assis,

m’attendantàcequ’ilsetournâtversmoi.Riendanssonattituden’indiquaqu’ils’étaitrenducomptedemaprésence.

—Bonjour,Edward,dis-jeavecbonnehumeur,histoirede luimontrerque j’avaisdesmanières.

Sa tête pivota d’unmillimètre, ilme gratifia d’un très bref hochement dementon enévitantcependantmesyeux,puisilrepritsapositioninitiale.

Et ce fut le dernier contact que j’eus avec lui, alors qu’il était là, à portée de main,quotidiennement.Jel’observais,parfois,parcequej’étaisincapabledem’enabstenir–maisàdistance, à la cafétéria ou sur le parking. Je voyais ses yeux dorés s’assombririmperceptiblementaufildesjours.Encours,cependant,jememontraisaussiindifférenteàsonégardqueluiaumien.J’étaismalheureuse.Etlesrêvessepoursuivaient.

Endépitdemesmensongeséhontés,lateneurdemesmailsalertaRenéesurmonétatdépressif,etelletéléphonaàplusieursreprises,soucieuse.Jemismabaissedemoralsurlecompteduclimat.

Il y en eut au moins un pour se réjouir de la froideur de mes relations avec monpartenairede sciencesnat–Mike.Je comprisqu’il avait craintque le sauvetageaudacieuxd’Edwardnem’eûtimpressionné.Ilétaitsoulagédeconstaterqu’ilavaitplutôtproduitl’effetinverse.Ils’enhardit,s’asseyantauborddemapaillassepourdiscuterbiologieavantledébutdescours,snobantEdwardavecautantd’applicationquecederniernousignorait.

La neige disparut pour de bon, après ce jour de verglas périlleux. Mike regrettait sabatailledeboulesdeneigerepousséeauxcalendesgrecques,maisserattrapaitavecl’idéequel’excursionauborddelamerseraitbientôtpossible.Néanmoins,lapluienecessadetomber,etlessemainespassèrent.

Jessica m’alerta sur une nouvelle menace lorsqu’elle m’appela, le premier mardi demars, pourme demander la permission d’inviterMike au bal de printemps qui aurait lieudansdeuxsemaines.C’étaitauxfillesdechoisirleurcavalier.

—Tues sûrequeçane t’embêtepas... tunecomptaispas lui enparler? insista-t-ellequandjeluieusréponduquejen’avaisaucuneobjection.

—Non,Jess,jen’iraipas.Danserdépassaitlargementmescompétences.—Tusais,c’estdrôlementsympa,pourtant.Ses tentatives pour me convaincre de venir ne furent guère enthousiastes. Je la

soupçonnaidepréférermoninexplicablepopularitéàmacompagnie.—Amuse-toibienavecMike.Le lendemain, encoursdemathsetd’espagnol, jem’étonnaidevoirqueJessicaavait

perdu son exubérance coutumière. C’est en silence qu’elle m’accompagna en classe, et jen’osai luidemander la raisonde cemutisme.SiMikeavaitdécliné son invitation, j’étais ladernière personne à qui elle se confierait. Mes craintes furent confirmées pendant ledéjeuner,quandelles’assitaussiloinquepossibledeMikeetentrepritÉricavecanimation.Desoncôté,Mikesemontrainhabituellementcalme.Ilnesedéridaquelorsqu’ilm’escortaenbiologie.Sonairgênémeparutdemauvaisaugure. Iln’abordapas lesujetavantque jefusseassiseetluiperchésurmonbureau.Commetoujours,j’étaisélectrifiée,conscientedelaproximitéd’Edward(j’auraispu le toucher)etdesadistance(àcroirequ’iln’étaitque lefruitdemonimagination).

—Tusais,selançaMike,lesyeuxvisséssurleplancher,Jessicam’ainvitéaubal.

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—Super!m’exclamai-jeenfeignantleravissement.Vousallezvouséclater.—C’estque...Ilhésita,étudiamonsourire,visiblementdouchéparmaréaction.—Jeluiairéponduquej’avaisbesoind’yréfléchir.—Quelleidée!Jem’étaisautoriséuneoncedereprochedans lavoix.Enréalité, j’étais soulagéequ’il

n’eûtpasrefusétoutnet.—Jemedemandaissi...euh,situcomptaism’inviter,toi.Je gardai le silence un instant, détestant la vague de remords qui m’envahissait. De

biais,jevislatêted’Edwardpivoterversnousimperceptiblement,enungesteinstinctif.—Mike,jecroisquetudevraisaccepter.—Tuasdéjàchoisiquelqu’un?Edwardremarqua-t-illafaçondontleregarddeMikepapillotaitdanssadirection?—Non.J’aibienl’intentiondesécherlebal.—Pourquoi?Peudésireused’entrerdansdesexplicationssurledéfipérilleuxquedanserreprésentait

pourmoi,jeluidonnailepremierprétextequejetrouvai.—JevaisàSeattle,cesamedi-là.De toute façon, j’avais besoin de m’aérer un peu – soudain, cette date convenait à

merveille.—Tunepeuxpaschoisirunautreweek-end?—Non,désolée.Entoutcas,tunedevraispasfairelanguirJessicapluslongtemps.C’est

impoli.—Ouais,tuasraison,marmonna-t-il.Et, découragé, il regagna sa place. Je fermai les yeux et appuyai mes doigts sur mes

tempespourtenterderepousserlaculpabilitéetlacompassionquej’éprouvaisenverslui.M.Banner se mit à parler. Je soupirai, rouvris les paupières. Edward me dévisageaitcurieusement,aveccettetoucheàprésentfamilièredefrustrationdanslesyeux,encoreplusnettelorsquesesirisétaientnoirs.Déconcertée,jesoutinssonregard,m’attendantàcequ’ilfuieaussitôt.Aulieudequoi,ilcontinuademescruterdefaçonpénétrante.Ilétaitexcluquejecèdelapremière.Mesmainssemirentàtrembler.

—MonsieurCullen?appelaleprof,attendantuneréponseàsaquestionquejen’avaispasentendue.

—LecycledeKrebs,lançaEdwardquis’arrachaàsacontemplationavecuneréticenceévidentepourfairefaceàM.Banner.

Immédiatement, je plongeai dansmon livre. Plus pleutre que jamais, je ramenaimescheveuxpar-dessusmonépauledroiteafindedissimulermonvisage.J’étaisincréduledevantlaboufféed’émotionsquim’avait saisie, justeparcequ’il avaitdaignéme regarder,pour lapremièrefoisenplusd’unmois.Jeneluipermettraispasd’avoirunetelleinfluencesurmoi.C’étaitminable.Plus,c’étaitmalsain.

Je fis mon maximum pour l’oublier durant le reste de l’heure et, comme c’étaitimpossible,pourqu’aumoinsilnedevinepasquej’étaisconscientedesaprésence.Quandlaclochesonnaenfin,jerassemblaimesaffairesenpriantpourqu’ilfiletoutdesuite,commed’ordinaire.

—Bella?Sa voix n’aurait pas dûm’être aussi familière – comme si j’en avais connu le timbre

toutemavieetnondepuisquelquespetitessemaines.Demauvaisegrâce,jemeretournai.Je

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ne voulais pas ressentir ce que je savais que je ressentirais devant son visage trop parfait.J’arboraiuneexpressionprudente;lasienneétaitindéchiffrable.Iln’ajoutarien.

— Quoi ? Tu me parles de nouveau ? finis-je par demander, une involontaire noteirascibledanslavoix.

— Non, pas vraiment, admit-il, tandis que ses lèvres frémissaient pour étouffer unsourire.

Paupièrescloses, j’inspiraidoucementpar lenez, conscienteque jegrinçaisdesdents.Luiattendait.

—Alors,qu’est-cequetuveux,Edward?Je n’avais pas rouvert les yeux, car ilm’était plus aisé ainsi dem’adresser à lui sans

divaguer.— Je te prie dem’excuser. (Il paraissait sincère.) Je ne suis pas très courtois, je sais.

Maisc’estmieuxcommeça,crois-moi.Cettefois,jefusobligéedeleregarder.Ilétaittrèssérieux.—Jenetecomprendspas,répondis-jeavecprécaution.—Ilvautmieuxquenousnesoyonspasamis.Fais-moiconfiance.Jefronçailessourcils.J’avaisdéjàentenducettephrase.—Dommagequetunet’ensoispasaperçuplustôt,grondai-je.Tuteseraisépargnétous

cesregrets.—Desregrets?(Lemotetmontonl’avaientapparemmentdésarçonné.)Dequoi?—Denepasavoirlaissécetimbéciledefourgonmeréduireenbouillie.Ébahi,ilm’observaunmoment.Quandilrepritlaparole,ilétaitpresquemécontent.—Tupensesvraimentquejeregrettedet’avoirsauvée?—Jelesais!aboyai-je.—Tunesaisriendutout.Cette fois, il était en colère pour de bon. Je tournai brusquement la tête, mâchoires

serrées,tâchantderetenirlesaccusationsdélirantesquej’avaisenviedeluicracheràlaface.Je récupéraimes livres,me levai et filai vers laporte. J’avais envisagéune sortie théâtralemais, bien sûr, je me pris les pieds dans le chambranle et lâchai mes affaires. L’idéem’effleuradelesabandonnersurplacepuis,avecunsoupir,jemepenchaipourlesramasser.Ilétaitdéjàlà;ilmetendaitmesmanuelsempilés,levisagedur.

—Merci,dis-jesèchement.—Derien,riposta-t-ilenpinçantleslèvres.Je me redressai et partis à grandes enjambées raides vers le gymnase sans regarder

derrièremoi.Laséancedesport futbrutale.Nousétionspassésaubasket.Monéquipenemelança

jamaisleballon,cequiétaitbien,maisjetombaibeaucoup,entraînantparfoisdesgensdansmachute.Cejour-làfutpirequed’habitude,parcequej’étaisobnubiléeparEdward.Jetâchaideme concentrer surmes pieds,mais il ne cessait de revenir insidieusement hantermonesprit,alorsquej’avaisplusquejamaisbesoindemonéquilibre.

Comme toujours, ce fut une vraie délivrance de rentrer à lamaison. Je rejoignismacamionnette en courant presque parce que je souhaitais éviter un maximum de gens. LaChevroletn’avaitsubiquedesdégâtsmineursdansl’accident.J’avaisdûremplacerlesfeuxarrièreet,sij’avaiseuunpotdepeinturesouslamain,jeseraisalléejusqu’àfairequelquesretouches.LesparentsdeTyler,eux,avaientétécontraintsdevendreleurfourgonenpiècesdétachées. Je manquai d’avoir une crise cardiaque quand, au détour d’un bâtiment, jedistinguai une grande silhouette sombre appuyée contre le flanc de ma voiture. Puis je

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comprisquecen’étaitqu’Éric.Jecontinuaimonchemin.—Salut!—Salut,Bella.—Quoideneuf?—Euh,jemedemandaisjuste...situaccepteraisd’alleraubalavecmoi?Savoixdérailla sur lederniermot.J’étaisen traindedéverrouillermaportière,et ses

parolesmedésarçonnèrent.—Jecroyaisquec’étaitauxfillesdechoisirleurcavalier?ripostai-je,tropétonnéepour

êtrediplomate.—Euh,ouais,admit-il,penaud.Recouvrantmonsang-froid,jem’arrachaiunsourirechaleureux.—JeseraiàSeattlecejour-là,maismerciquandmême.—Oh.Uneautrefois,peut-être?—C’estça,medérobai-je.Jememordisaussitôt la langue.Pourvuqu’ilneprennepasmaréponseaupiedde la

lettre. Il s’éloignamollement en direction du lycée. Un ricanement étoufféme parvint, etEdwardpassadevantmoncapot,regardfixésurl’horizonetlèvresserrées.Bondissantdansl’habitacle, je claquai rageusement la portière. Je fis gronder le moteur de manièreassourdissanteetreculaidansl’allée.Edwardétaitdéjàdanssavoiture,àdeuxplacesdelà,etildéboîtaendouceur,mecoupantlaroute.Puisils’arrêtapourattendresesfrèresetsœurs.Jelesapercevais,touslesquatre,quis’approchaient;ilssetrouvaientencoreauniveaudelacantinecependant.J’envisageaidedémolirl’arrièredelaVolvorutilante,maisilyavaittropde témoins. Jetant un coup d’œil dans mon rétroviseur, je constatai qu’une queue avaitcommencéàseformer.Justederrièremoi,TylerCrowleyagitaitlamain,assisdanssavieilleSentratoutrécemmentacquise.Énervée,jeneluirépondispas.

Tandis que je patientais, regardant partout sauf en direction de la voiture stationnéedevant moi, j’entendis qu’on frappait à ma vitre, côté passager. C’était Tyler. Surprise, jevérifiaidansmonrétro:savoituretournait,portièreouverte.Jemepenchaipourabaisserlafenêtre.Lamanivellerésista,etj’abandonnaiàlamoitié.

—Excuse-moi,Tyler,jesuiscoincéederrièreCullen,lançai-jeagacée.Ilétaitclairquel’embouteillagen’étaitpasdemafaute.— Oh, je sais, je voulais juste te proposer un truc pendant qu’on est bloqués ici,

répondit-ilavecunsourirejusqu’auxoreilles.Non!Cen’étaitpaspossible.—Tuveuxbienm’inviteraubal?continua-t-il.—Jeneseraipaslà,Tyler,rétorquai-jesèchement.Un peu trop. Après tout, ce n’était pas sa faute si Mike et Éric avaient épuisé mes

réservesdetolérancepourlajournée.—Ahouais,Mikemel’adit,reconnut-il.—Alorspourquoi...—J’espéraisseulementquec’étaitunefaçonsympadel’éconduire,admit-ilenhaussant

lesépaules.Bon,c’étaitbiensafaute,finalement.Jetâchaidecachermonirritation.—Désolée,Tyler,jeseraieffectivementabsente.—Pasgrave.Ilnousresteratoujourslebaldepromo.Et,sansmelaisserletempsderépliquer,ilrepartitverssavoiture.J’étaissouslechoc.

À travers le pare-brise, je vis Alice, Rosalie, Emmett et Jaspermonter à bord de la Volvo.

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Edwardme fixait dans son rétroviseur. Aucun doute : il s’amusait beaucoup, à croire qu’ilavaitcaptétoutemaconversationavecTyler.Monpiedtaquinal’accélérateur...unpetitcoupneleurferaitpasdemal.Seulecettepeintureargentéebienlustréesouffrirait.J’enclenchailapremière. Mais Edward filait déjà. Je rentrai lentement, prudente, marmonnant dans mabarbeduranttoutletrajet.

Une fois à la maison, je décidai de préparer des enchiladas de poulet pour le dîner.C’était un processus long, ce qui m’occuperait. Pendant que les oignons et les poivronsréduisaientàpetitfeu,letéléphonesonna.J’euspresquepeurdedécrocher,maisçapouvaitêtreCharlieoumamère.

C’étaitJessica,etellejubilait.Mikel’avaitrattrapéeàlafindescourspourluiannoncerqu’ilacceptaitd’êtresoncavalier.Jemeréjouisbrièvementde lanouvelle toutenremuantmonplat.Elleétaitpressée,carellevoulaitappelerAngelaetLaurenpourpartagersajoie.Jesuggérai–avecuneinnocenceétudiée–qu’Angela,latimidequiétaitenbiologieavecmoi,inviteÉric.EtqueLauren,unefilledistantequim’avaittoujoursignorée,enparleàTyler– j’avais entendu dire qu’il était encore libre. Jess trouva que c’était une excellente idée. Àprésent qu’elle était certaine d’avoirMike à son bras, elle parut sincère lorsqu’elle affirmaqu’elleregretteraitmonabsence.Jeluiservisl’excusedeSeattle.

Aprèsavoir raccroché, jemeconcentrai surmonrepas, ladécoupedupouletenpetitsdésnotamment : jene tenaispasàeffectuerunenouvellevisiteauxurgences.Mais j’avaisl’espritailleursetnecessaiderevenirsurchacunedesparolesqu’avaitprononcéesEdward.Qu’avait-ilvouludireenaffirmantqu’ilvalaitmieuxquenousnesoyonspasamis?

Une crampeme tordit le ventrequand je compris le sens cachéde cesmots. Il devaitavoirremarquéàquelpointjem’intéressaisàlui;ilnesouhaitaitpasm’encourager...donc,une amitié entre nous était exclue... parce que je lui étais complètement indifférente.Évidemment, ruminai-je, amère, les yeux brûlants – une réaction tardive aux oignonssûrement. Je n’étais pas intéressante. Lui, si. Fascinant... brillant... mystérieux... parfait...beau...etsûrementcapabledesouleverd’uneseulemaindesfourgonsd’unetonne.Ehbien,tantpis.Jen’avaisqu’àlelaissertranquille.Jelelaisseraistranquille.J’effectueraislapeinequejem’étaisimposéedanslePurgatoirequ’étaitForkspuis,avecunpeudechance,unefacdu Sud-Ouest ou d’Hawaiim’offrirait une bourse. J’imaginai des plages ensoleillées et despalmierstoutenachevantlesenchiladasetenlesmettantaufour.

Charliepritunairsoupçonneuxquand,àsonretour,ilreniflal’odeurdespoivronsverts.Impossiblede lui envouloir–onne trouvaitprobablementdenourrituremexicaineàpeuprèsconsommablequedanslesuddelaCalifornie.Maisilétaitflic,mêmes’iln’étaitqu’unpetitflicdansunepetiteville,etileutlecouraged’avalerunebouchéequiparutluiplaire.Ilétaitamusantd’observerlafaçondontsaconfianceenmestalentsculinairesprogressaitpeuàpeu.

—Papa?lançai-jeunefoisqu’ileutpresqueterminé.—Oui,Bella?—Euh... je tenais juste à t’avertir que je comptais aller passer la journée à Seattle le

samedidelasemaineprochaine...Siçanet’embêtepas.Jene voulais pas demander sa permission– ça aurait crééunprécédent fâcheux ; en

mêmetemps,ilauraitétéquelquepeucavalierdelemettredevantlefaitaccompli.—Pourquoi?s’étonna-t-il,commes’illuiétaitinconcevablequeForksnerépondîtpasà

tousmesdésirs.— J’ai envie d’acheter des livres, la bibliothèque d’ici est plutôt pauvre, et peut-être

quelquesfringues.

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J’avaisplusd’argentqued’habitudepuisque,grâceàCharlie, jen’avaispaseuàpayermavoiture.Nonquelacamionnettenefûtpasruineuseenessence.

—Tonengindoit consommerunmaximum,avança-t-il, commes’il avait ludansmespensées.

—Jem’arrêteraiàMontesanoetOlympia,voireàTacomasinécessaire.—Tuyvastouteseule?Jenesusdéterminers’ilsoupçonnaitl’existenced’unpetitamious’ilétaitjusteinquiet

quelavoiturenemeposâtdesproblèmes.—Oui.—Seattleestunegrandeville,turisquesdet’égarer,objecta-t-il,inutilementpaniqué.—Papa,PhœnixestcinqfoisplusgrandequeSeattle,etjesuiscapabledelireunplan.

Détends-toi.—Tuneveuxpasquejet’accompagne?Jedissimulail’horreurquem’inspiraitcettepropositionsousunerusedeSioux.— Inutile. Je vais sans doute perdrema journée aux cabines d’essayage. Rien de très

passionnant.—Oh,c’estd’accord.La perspective d’être coincé ne serait-ce qu’une minute dans des boutiques de

vêtementsl’avaitfaitimmédiatementreculer.Jesouris.—Merci.—Tuserasrentréeàtempspourlebal?Bonsang!Iln’yavaitquedansunbourgaussiminusculequevotrepèrepouvaitêtreau

courantdelasoiréeorganiséeparlelycée.—Non.Jen’aimepasdanser,detoutefaçon.Lui,pour lemoins,devaitcomprendreça.Cen’étaitpasdemamèreque j’avaishérité

mesproblèmesd’équilibre.Parbonheur,ilcomprit.—D’accord,conclut-il.Lelendemainmatin,enarrivantsurleparking,jemegaraivolontairementleplusloin

possible de la Volvo argent. Je préférais éviter les tentations qui auraient risqué de meconduireàracheterunevoitureauxCullen.Jesortisde lacamionnetteetmedébattisavecmes clés, qui tombèrent dans une flaque. Alors que jeme baissais pour les ramasser, unemain blanche apparut brusquement et s’en empara avant moi. Je me relevai d’un bond.EdwardCullens’adossaitavecdécontractionàmaChevrolet.

—Pourquelleraisonas-tufaitça?braillai-je,àlafoissurpriseetirritée.—Faitquoi?Iltenditlesclésetleslaissachoirdansmapaume.—Surgiàl’improviste.—Bella,jenesuisquandmêmepasresponsablesituesparticulièrementinattentive.Àl’ordinaire,sesintonationsétaientdouces,veloutées,assourdies.Jeletoisai.Sesyeux

étaientredevenusclairs,d’unecouleurmieldoréassezsoutenue.Jefusobligéedebaisserlatêtepourreprendremesesprits.

— Pourquoi ce bouchon, hier soir ? lançai-je sans le regarder. Je croyais que tu étaiscensétecomportercommesijen’existaispas.Past’arrangerpourm’embêterjusqu’àcequemorts’ensuive.

—JerendaisserviceàTyler,ricana-t-il.Histoiredeluidonnersachance.—Espècede...hoquetai-je.Aucunmotsuffisammentgrossiernemevintà l’esprit.L’intensitédemacolèreaurait

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pulebrûler,maisiln’enparutqueplusamusé.—Etjeneprétendspasquetun’existespas,enchaîna-t-il.—C’estdoncbienmamortquetusouhaites,puisquelefourgondeTylern’yapassuffi!Un éclat de fureur traversa ses pupilles fauves. Ses lèvres se pincèrent en une ligne

mince.Toutetraced’humours’évapora.—Bella,tuescomplètementabsurde,murmura-t-ild’unevoixblanche.Mespaumesmedémangèrentsouslebesoinurgentdefrapperquelquechose.J’enfus

moi-mêmeétonnée,n’étantpasdugenreviolente.Jemedétournaietfilai.—Attends!appela-t-il.Jecontinuaid’avancerd’unpasfuribondsouslapluiebattante.Iln’eutaucunedifficulté

àmerattraper.—Désolépourcesparolesdésagréables,s’excusa-t-ilenm’accompagnant.Nonqu’elles

soientfausses,maisjen’étaispasobligédelesdire,ajouta-t-ilcommejenerépondaispas.—Etsitumefichaislapaix,hein?grommelai-je.—Jevoulais juste teposerunequestion,c’est toiquim’as faitperdre le fil, rigola-t-il,

l’aird’avoirretrouvésabonnehumeur.—Souffrirais-tud’undédoublementdelapersonnalité?ripostai-jesévèrement.—Voilàqueturecommences.—Trèsbien,soupirai-je.Vas-y,pose-la,taquestion.—Jemedemandaissi,samedidelasemaineprochaine,tusais,lejourdubal...—Essaierais-tud’êtredrôle,parhasard?l’interrompis-jeenfonçantsurlui.La pluie me trempa la figure quand je levai le menton pour le dévisager. Une lueur

malicieuseallumaitsesyeux.—Etsitumelaissaisterminer?Memordantleslèvres,jecroisaimesmainsetmesdoigtspourmeretenirdelebattre.—J’aiapprisquetuallaisàSeattle,cejour-là,etj’aipenséquetuavaispeut-êtrebesoin

d’unchauffeur.Voilàquiétaitinattendu.—Quoi?balbutiai-je,passûredecomprendreoùilvoulaitenvenir.—As-tuenviequ’ont’accompagnelà-bas?—Quidonc?—Moi,évidemment.Ilarticulachaquesyllabe,commes’ils’adressaitàunedemeurée.—Pourquoi?m’écriai-je,ébahie.—Disons que j’avais l’intention deme rendre à Seattle dans les semaines à venir et,

pourêtrehonnête,jenesuispaspersuadéquetacamionnettetiendralecoup.—Macamionnettemarchetrèsbien,mercibeaucoup!Jereprismonchemin,mêmesij’étaistropahuriepourêtreencoreencolère.Unefois

deplus,ilmerejoignitfacilement.—Maisunseulréservoirtesuffira-t-il?—Jenevoispasenquoiçateconcerne.CrétindepropriétairedeVolvo.—Legaspillagedesressourcesnaturellesdevraitêtrel’affairedetous.—Franchement,Edward!(Prononcersonprénomdéclenchadesfrissonsenmoi,jeme

seraisdonnédesgifles.)Toncomportementm’échappe.Jecroyaisquetunedésiraispasêtremonami.

—J’aiditqueceseraitmieuxquenousnelesoyonspas,pasquejen’enavaispasenvie.

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—Bentiens!Voilàquiéclairemalanterne!raillai-je.Jem’aperçusque jem’étaisdenouveauplantéedevant lui.Nousnous trouvions sous

l’auventdelacantine,et ilm’étaitplusfacilederegardersonvisage.Cequi,naturellement,nem’aidapasàéclaircirmesidées.

— Il seraitplus...prudent pour toi de ne pas êtremon amie, expliqua-t-il.Mais j’en aiassezd’essayerdet’éviter,Bella.

Sesyeuxrayonnaientd’une intensité fabuleuse,etsavoixétait incandescente lorsqu’ilprononçacettephrase.J’eneuslesoufflecoupé.

—Viendras-tuavecmoiàSeattle?insista-t-il.Muette,jehochailatête.Ileutunbrefsourireavantderecouvrersagravité.—Tudevraisvraimentgardertesdistances,meprévint-il.Onsevoitencours.Surce,iltournalestalonsetrepartitversleparking.

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5

GROUPESANGUIN

J’allaienanglaisdansuntelétatd’hébétudequejeneremarquaimêmepasquelecours

avaitcommencéquandj’entraienclasse.— Merci de nous honorer de votre présence, mademoiselle Swan, m’apostropha M.

Mason,acide.Jegagnaimonpupitreenrougissant.Ce ne fut qu’à la fin de l’heure que je m’aperçus que Mike avait déserté sa place

habituelle, à côtédemoi.Je ressentisunélandeculpabilité.Maisvuqu’ilm’attendaità lasortieavecÉric, commed’ordinaire, j’enconclusque jen’étaispasen totaledisgrâce.Mikeparutd’ailleursredevenirpeuàpeului-même,cédantà l’allégresseaufuretàmesurequ’ilévoquait les prévisions météorologiques du week-end. La pluie était censée s’accorder unmaigrerépit,rendantl’excursionauborddelameréventuellementpossible.J’essayaid’avoirl’airenthousiaste,histoirederattraper ladéceptionque je luiavais infligée laveille.Çamefutdifficile;pluieounon,ilneferait,avecunpeudechance,guèreplusdedixdegrés.

Le reste de la matinée passa à toute vitesse. J’avais du mal à croire que je n’avaisimaginénicequ’Edwardvenaitdemeproposerni la lueurquiavait illuminésesyeuxàcemoment-là.Ils’agissaitpeut-êtred’unrêvetrèsconvaincantquejeconfondaisaveclaréalité.Cequimesemblaitcependantmoinsabsurdequed’envisagerquejeluiplaisaisuntantsoitpeu.

Bref, j’étais aussi impatiente qu’effrayée lorsque avec Jessica nous entrâmes dans lacafétéria.Jevoulaisvoirsonvisage,vérifiers’ilétaitredevenul’êtrefroidet indifférentquej’avaiscôtoyécesdernièressemaines.Ousi,parmiracle,jen’avaispasinventécequej’avaisentendu lematinmême.Jessicababillait sur sesprojetsdebal–LaurenetAngelaavaientinvitéleurscavaliersetilscomptaients’yrendretousensemble–,parfaitementinconscientedemoninattention.

Ladéconvenues’emparademoiquandmesyeuxseposèrentsansfaillirsursatable.Lesquatre autres étaient là, mais lui manquait à l’appel. Était-il rentré chez lui ? Accablée,j’accompagnai cette pie de Jessica dans la queue. J’avais perdu mon appétit et n’achetaiqu’unebouteilledelimonade.Jedésiraisuneseulechose–m’asseoiretbouder.

—EdwardCullentemateunefoisdeplus,m’annonçaJessicaenmeramenantsurterre.Jevoudraisbiensavoirpourquoiils’estisolé,aujourd’hui.

Jerelevaibrusquementlatête.Suivantleregarddemavoisine,jedécouvrisEdwardquimecontemplaitavecunsouriremoqueur.Ilétaitinstalléàunetablevidesituéeàl’opposédecelle où il « déjeunait » normalement. Il leva la main et, de l’index, me fit signe de lerejoindre.Commejeneréagissaispas,ilmegratifiad’uneœillade.

—C’estàtoiqu’ils’adresse?demandaJessicaavecuneincrédulitéinsultante.

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—Ilapeut-êtrebesoind’uncoupdemainpourledevoirdesciencesnat,marmonnai-jepourdonnerlechange.Ilvautmieuxquej’yaille.

Enm’éloignant, je sentis les yeuxde Jessicabraqués surmoi.Quand je fus à la tabled’Edward,jerestaideboutderrièrelachaiseinstalléefaceàlui.

—Etsitut’asseyaisavecmoi?roucoula-t-il,affable.J’obtempéraisansréfléchir,toutenl’examinantavecprudence.Ilnes’étaitpasdéparti

desonsourire.Difficiledecroirequ’untelAdonisfûtréel.J’avaispeurqu’ilnedisparûtdansunebrusqueexplosiondefuméeetdemeréveillerparlamêmeoccasion.Ilsemblaitattendrequejeparle.

—Quelrevirement,réussis-jeenfinàmurmurer.—Disonsque...Ils’interrompit,puisrepritd’uneseuletraite:—J’aidécidé,puisquejesuisvouéauxEnfers,demedamneravecapplication.Jenerépondispas,espérantdesparolesplusexplicites.Lessecondess’écoulèrent.—Tusais,finis-jeparlâcher,jen’aipaslamoindreidéedecequetuentendsparlà.—Çanem’étonnepas,pouffa-t-ilavantdechangerdesujet.Jecroisquetesamism’en

veulentdet’avoirenlevée.—Ilss’enremettront.J’avaisconsciencedeleursregardsquimevrillaientledos.—Saufsijeneterelâchepas,ajouta-t-ilavecuneétincellemalicieusedanslesyeux.J’avalaimasalive.—Çaal’airdet’inquiéter,s’amusa-t-il.—Non,répliquai-je(avecdebêtestrémolos,hélas).Çam’étonne...pourquoicettevolte-

face?—Jetel’aidit.Jesuislasdem’acharneràgardermesdistancesavectoi.J’abandonne.Ses traits étaient toujours aussi avenants, mais ses pupilles ocre étaient devenues

sérieuses.—Tuabandonnes?repris-je,perdue.—Oui.Jerenonceàêtresage.Désormais,jeneferaiquecequejeveux,ettantpispour

lesconséquences.Sonsourires’étaitfané,etsavoixavaitprisunedureténouvelle.—Encoreunefois,jenetecomprendspas.Lamouenarquoiseetcraquanteréapparut.—Jeparletrop,entacompagnie.C’estl’undesproblèmesquetumeposes,d’ailleurs.—Netetracassepas,tousm’échappent,ironisai-je.—J’ycomptebien.—Alors,enbonanglais,çasignifiequenoussommesdenouveauamis?—Amis...rêvassa-t-il,dubitatif.—Ouennemis,marmottai-je.—Ehbien,onpeuttoujoursessayer,s’esclaffa-t-il.Maisjetepréviensd’oresetdéjàque

jenesuispasl’amiqu’iltefaut.Derrièrel’affabilité,lamenaceétaitsérieuse.—Tuterépètes,soulignai-jeentâchantd’ignorermessoudainescrampesd’estomacet

deconserverunevoixégale.—Oui.Parcequetunem’écoutespas.Jecontinued’espérerquetumecroiras.Situes

untantsoitpeuintelligente,tum’éviteras.—Ilmesemblequetum’asdéjàsignifiécequetupensaisdemonintellect,rétorquai-je,

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piquéeauvif.Ilm’adressaunegrimacecontrite.Jetentaiderésumernotresurprenantéchange.—Alors,tantquejesuis...idiote,onessaied’êtreamis?—Çameparaîtcorrect.Indécise,jebaissailesyeuxsurmesdoigtscrispésautourdemabouteilledelimonade.—Àquoipenses-tu?s’enquit-il.Je plongeai dans ses pupilles d’un or profond, perdis pied et, comme d’habitude,

bredouillailavérité.—Jem’efforçaisdedevinerquitues.Ilserralesmâchoiresmaisparvint,nonsanseffort,àconserversonsourire.—Çadonnedesrésultats?lança-t-ildebutenblanc.—Pasvraiment.—Tuasdesthéories?

Jepiquaiunfard.Cederniermois,j’avaisbalancéentreBruceWayneetPeterParker[4]

.Pasquestiondel’admettre.

—Tune veux riendire ? insista-t-il, tête penchée, unemoue affreusement séductricesurleslèvres.

—Tropembarrassant,éludai-jeensecouantlatête.—C’esttrèsfrustrant,tusais.—Non,rétorquai-je,cinglante.J’ignorecomplètementcequ’ilpeutyavoirdefrustrant

danslefaitqu’unepersonnerefused’avouerceàquoiellepense,alorsqu’uneautrepersonnepasseson tempsà lancerdes remarquessibyllines spécifiquementdestinéesà flanquerdesinsomnies à la première en la forçant à chercher leur sens caché... voyons ! en quoi celapourrait-ilêtrefrustrant?

Ilaccusalecoup.—Autreexemple,enchaînai-je,laissantlibrecoursàmonagacementjusque-làcontenu,

admettonsquecettemêmepersonneaitcommistoutuntasd’actesétranges,commesauverlaviede lapremièredansdescirconstances improbablesun jourpour la traiterenparia lelendemainsansprendrejamaislapeinedes’expliquer,bienqu’ellel’aitpromis,çanonplusneseraitpasdutoutfrustrant.

—Tuasvraimentsalecaractère,hein?—Jen’apprécieguèrequ’ilyaitdeuxpoidsdeuxmesures.Nousnousdéfiâmesduregard.Puis, jetantuncoupd’œilpar-dessusmonépaule, ilse

mitàricaner.—Quoi?—Tonpetitcopaina l’airdepenserquejesuisdésagréableavectoi.Ilsedemandes’il

doitvenirséparerlesduellistes.Ils’esclaffadeplusbelle.— Bien que j’ignore de qui tu parles, je suis certaine que tu te trompes, lâchai-je,

glaciale.—Ohquenon!Jetel’aidéjàdit,laplupartdesgenssontfacilesàdéchiffrer.—Saufmoi.— En effet. Je voudrais bien savoir pourquoi, ajouta-t-il, changeant subitement

d’humeur.Sesyeuxdevinrentpensifs,etjedusmeconcentrersurlebouchondemabouteillepour

medétournerdeleurintensité.J’avalaiunegorgéedelimonade,fixantlatablesanslavoir.

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—Tunemangespas?lança-t-ild’unevoixdistraite.—Non.Inutiledeluipréciserquemonestomacétaittropnouépouringurgiterquoiquecesoit.—Ettoi?contre-attaquai-jeensignalantl’absencedenourrituredevantlui.—Jen’aipasfaim.Son expression m’échappa – comme s’il s’amusait d’une plaisanterie que lui seul

pouvaitcomprendre.—Tumerendraisservice?demandai-jeaprèsunebrèvehésitation.—Çadépend,répondit-il,brusquementsursesgardes.—Cen’estpasgrand-chose,lerassurai-je.Ilattendit,prudentmaiscurieux.— C’est seulement que... pourrais-tu m’avertir à l’avance la prochaine fois que tu

déciderasdem’ignorerpourmonbien?Histoirequejemeprépare.—C’estunerequêtequimeparaîtfondée.Quandjerelevailatête,ils’évertuaitànepasrire.—Merci.—Àmontourd’obtenirunefaveur.—Justeune,alors.—Confie-moiunedetesthéories.Houlà!—Pasça.—Troptard!Tiensparole.—C’esttoiquiastendanceàtrahirlatienne,luirappelai-jeaussisec.—Allez,rienqu’une.Jeteprometsdenepasmemoquer.—Jesuispersuadéeducontraire.Etjel’étais.Ilbaissalesyeux,puismedévisageaàtraversseslongscilsnoirs,etlalave

ocredesespupillesmeconsuma.—Jet’enprie,souffla-t-ilensepenchantversmoi.Jebattisdespaupières,l’espritvide.Bonsang!Comments’yprenait-il?—Euh...pardon?—S’ilteplaît,unedetesthéories.—Ehbien,disons...morduparunearaignéeradioactive?Avait-ilaussidestalentsd’hypnotiseurouétais-jeseulementuneproiefacile?—Pastrèsoriginal.—Désolée,jen’aiqueçaenréserve.—Entoutcas,tuesàdeskilomètresdelavérité.—Pasd’araignée?—Non.—Nideradioactivité?—Nonplus.—Flûte!—Etjesuisinsensibleàlakryptonite,s’esclaffa-t-il.—Tun’espascensérire.Iltâchaderecouvrersonsérieux.—Jefiniraipardeviner,leprévins-je.—Jepréféreraisquetun’essaiespas.—Pourquoi?

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—Etsi jen’étaispasunsuperhéros,mais justeunméchant?avança-t-il,mutin,bienquesesyeuxrestassentimpénétrables.

— J’y suis ! m’exclamai-je, car certaines de ses insinuations venaient soudain de semettreenplace.

—Vraiment?Sestraitsétaientempreintsdesévérité.Commes’ilcraignaitd’enavoirtropdit.—Tuesdangereux...Cette vérité s’imposa insidieusement à moi, et mon pouls s’accéléra. Dangereux, il

l’était. Tel était le message qu’il s’était efforcé de me transmettre depuis le début. Il secontentademefixer,leregardpleind’uneémotionquejefusincapablededéchiffrer.

—Maispasméchant,chuchotai-jeensecouant latête.Non, jenecroispasquetusoisméchant.

—Tutetrompes.Savoixétaitpresqueinaudible.Ilbaissalatête,s’emparadubouchondemabouteilleet

lefitroulerentresesdoigts.Jel’observai,étonnéedenepasavoirpeur.Ilneplaisantaitpas,j’enétaissûre.Pourtant,jen’éprouvaisqu’unevagueanxiétéderrièremafascination,réelle,cellequejeressentaistoujoursensacompagnie.Lesilenceentrenousdurajusqu’àcequejem’aperçoivequelacantineétaitpresquedéserte.Jesautaisurmespieds.

—Onvaêtreenretard.—Jenevaispasensciencesnat,aujourd’hui,annonça-t-ilenjouantaveclebouchonsi

rapidementquejeledistinguaisàpeine.—Pourquoi?—Unpeud’écolebuissonnièredetempsentempsestbonpourlasanté.Ilmesourit,maissespupillesrestaienttroublées.—Ehbienmoi,j’yvais.J’étaistropfroussardepourrisquerunecolle.—Àplus,alors.J’hésitai,partagée,puislapremièresonneriemepropulsaverslaporte.Unultimecoup

d’œilenarrièrem’avertitqu’iln’avaitpasbougéd’unpouce.Toutenmerendantenclasseaupetittrot,jetournaietretournailesquestionsdansma

tête encore plus vite que le bouchon de la bouteille. Elles étaient si nombreuses, il avaitréponduàsipeu.Enfin,lapluieavaitcessé,c’étaittoujoursçadegagné.

J’eus de la chance. M. Banner n’était pas encore là quand j’arrivai. Je m’installairapidement à ma place, consciente que Mike et Angela me dévisageaient. Mike paraissaitamer, Angela surprise etméfiante. Le prof surgit, ramenant les élèves au calme. Il portaitplusieurscartonsqu’ildéposasurlapaillassedeMikeenluidemandantdelesfairecirculer.

—Bon,lesenfants,vousalleztousprendreundesélémentsdechaqueboîte, lança-t-ilensortantunepairedegantsdelaboratoiredelapochedesablouse.

Il les enfila – le claquement sec du caoutchouc autour de ses poignetsme sembla demauvaisaugure.

— Le premier, enchaîna-t-il en nous montrant une carte blanche marquée de quatrecarrés,estunrévélateur.Ledeuxièmeestunapplicateuràquatrepointes(ilbranditunobjetquiressemblaitàunpeignequasimentédenté),etletroisièmeestunelancettestérilisée.

Ils’emparad’unpetitsachetdeplastiquebleuetledéchira.Àcettedistance,lebarbillonétaitinvisible,cequin’empêchapasmonestomacdesesoulever.

— Je vais passer parmi vous avec une pipette afin de préparer vos révélateurs, alorsmercidenepascommenceravantquejesoisprèsdevous.

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Il débuta l’expérience avecMike, déposant avec soinune goutte d’eau sur chacundescarrésdelacarte.

—Ensuite,expliqua-t-il,vousvouspiquezprudemmentledoigt...Il attrapa lamain deMike, enfonça la lancette dans sonmajeur. Pitié !Mon front se

couvritd’unesueurmoite.—Vousimprégnezdélicatementchaquepointedel’applicateur...Il serra le doigt blessé jusqu’à ce que le sang coule. Je déglutis, le cœur au bord des

lèvres.—Etvousplacezcelui-cisurlerévélateur,conclut-ilenagitantlacartedégoulinantede

rougesousnosyeux.Jefermailesmiens,assourdieparlebourdonnementquiavaitenvahimesoreilles.— La Croix-Rouge organise une collecte à Port Angeles le week-end prochain, et j’ai

estiméquevousdeviezconnaîtrevotregroupesanguin,annonçaM.Banner,visiblementl’airtrès fier de lui. Ceux d’entre vous qui n’ont pas encore dix-huit ans auront besoin d’uneautorisationparentale.Lesformulairessontsurmonbureau.

Ilsemitàdéambulerdanslaclasseavecsapipette.Posantmatêtesurlecarrelagefraisdelapaillasse,jeluttaicontrel’évanouissement.Autourdemoirésonnaientlespiaillements,geignementset riresdemescondisciplesquis’embrochaient ledoigt.Jerespirai lentementparlabouche.

—Çanevapas,Bella?medemandaanxieusementM.Banner,soudaintoutprèsdemoi.—Jeconnaisdéjàmongroupesanguin,monsieur,chuchotai-jesansoserleverlatête.—Unétourdissement?—Oui,murmurai-jeenmegiflantintérieurementpournepasavoirséchéalorsquej’en

avaisl’occasion.—Quelqu’unpeut-ilemmenerBellaàl’infirmerie?lança-t-ilàlaronde.Jen’euspasbesoinderegarderpoursavoirqueMikeseportaitvolontaire.—Tuvasarriveràmarcher?s’enquitleprof.—Oui.J’auraisrampés’il l’avaitfallu!Mikemeparutbienempresséd’enlacermatailleetde

glissermon bras sur son épaule. Lourdement appuyée contre lui, jeme laissai entraîner àtraverslecampus.UnefoislacafétériacontournéeethorsdevuedeM.Banner,jem’arrêtai.

—Accorde-moiunesecondederépit,Mike,s’ilteplaît.Ilm’aidaàm’asseoirauborddel’allée.—Etgardetesmainsdanstespoches,ajoutai-je,peuamène.Jeme couchai sur le flanc, la joue collée sur le cimenthumide et glacé, et fermai les

yeux,cequimesoulageaunpeu.—Lavache,tuestouteverte!lâchaMike,nerveux.—Bella?appelaquelqu’un,nonloinlà.Zut!Pascettevoixatrocementfamilière!Pourvuquejedélire!—Quesepasse-t-il?Elleestblessée?Ils’étaitrapproché,etilsemblaitinquiet.Malheureusement,jenedéliraispas.Jeserrai

encoreplusfortlespaupièresetpriaipourmourir.Dumoins,pournepasvomir.—Jecroisqu’elleaperduconnaissance,bégayaMike,embêté.Jenesaispaspourquoi,

ellen’amêmepaseuletempsdesepiquerledoigt.—Bella,tum’entends?repritEdward,apparemmentsoulagé.—Non,gémis-je.Fichelecamp.Ilrit.

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—Jel’emmenaisàl’infirmerie,sejustifiaMike,maisellen’apasréussiàallerplusloin.—Jem’enoccupe.Toi,retourneencours.—Non!Onmel’aconfiée.Toutàcoup,lesols’éloigna.Stupéfaite,j’ouvrislesyeux.Edwardm’avaitsoulevéeaussi

facilementquesij’avaispesécinqkilosetnoncinquante-cinq.—Lâche-moi!«Seigneur,faitesquejenedégobillepassurlui!»Ilétaitpartiavantmêmequej’eusse

terminémaphrase.—Hé!protestaMike,déjààdixmètresdenous.Edwardl’ignora.—Tuasunemineaffreuse,m’annonça-t-ilensouriantdetoutessesdents.—Repose-moiparterre,grognai-je.Les balancements de sa démarche n’arrangeaient rien. Il me tenait à bout de bras,

précautionneux,sanseffortapparent.—Alors,commeça,tut’évanouisàlavuedusang?persifla-t-ilcommesic’étaitdesplus

amusants.Je ne répondis pas. Refermant les yeux, je combattis de toutesmes forces la nausée,

lèvrescloses.—Etilnes’agitmêmepasdutien,continua-t-il,euphorique.J’ignorecommentilsedébrouillapourpousserlaporteavecmoidanssespattesmais,

soudain,unevaguedechaleurm’enveloppa,etjedevinaiquej’étaisàl’intérieur.—Oh,monDieu!s’écriaunevoixféminine.—Elleesttombéedanslespommespendantlecoursdebiologie,expliquaEdward.J’ouvrislespaupières.J’étaisàl’accueil,etEdwardlongeaitlecomptoiràgrandspasen

directiondel’infirmerie.MmeCope,lasecrétaireàcheveuxrouges,courutenavantpourluitenir le battant. Surprise, l’infirmière aux allures de grand-mère s’arracha à son romanlorsqu’il surgit dans la pièce et me déposa doucement sur l’alèse en papier craquant quirecouvraitlematelasdevinylebrund’undeslits.Puisilallas’adossercontreunmur,aussiloinquel’endroitétriquéleluipermettait.Sonregardbrillaitd’excitation.

—Rienqu’unepetite pertede connaissance, rassura-t-il l’infirmière.Onpratiquait untestsanguinensciencesnat.

—Çaneratejamais,acquiesçalaveilledame,dutondecellequienavaitvud’autres.Edwardétouffaunrire.—Resteallongéeunmoment,petite,çavapasser.—Jesais,soupirai-je.Meshaut-le-cœurs’estompaientdéjà.—Çat’arrivesouvent?—Parfois,avouai-je.Edwardtoussapourdissimulerunnouvelaccèsd’hilarité.—Tupeuxretournerencours,l’informal’infirmière.—Jesuiscenséresteravecelle.Ilavaitparléavectellementd’autoritéquelagrand-mèren’insistapas,s’entenantàune

mouecontrariée.—Jevaischercherunpeudeglacepourtonfront,petite,enchaîna-t-elleavantdefiler

horsdelapièce.—Tuavaisraison,marmonnai-je.—C’estsouventlecas.Àproposdequoi,cettefois?

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—Sécherestbonpourlasanté.Jem’entraînaisàrespirerdefaçonégale.— Tu m’as flanqué une sacrée frousse, admit-il après un bref silence, comme s’il

confessaitlàunefaiblessehumiliante.J’aicruqueMikeNewtons’apprêtaitàallerenterrertadépouilledanslaforêt.

—Ha,ha.Jecommençaisàmesentirmieux.—Franchement,j’aivudescadavresquiavaientmeilleuremine.J’aicraintuninstantde

devoirvengertonassassinat.—PauvreMike.Jepariequ’ilestfurax.—Ilmedéteste,admitgaiementEdward.—Tun’ensaisrien,objectai-jeavantdemedemanderbrusquementsi,aucontraire,ille

savaittrèsbien.—J’ensuissûr,jel’ailusursonvisage.—Commentsefait-ilquetunousaiesaperçus?Jecroyaisquetuavaisquittélelycée...J’étais presque remise,maintenant.Monmalaise serait passéplus vite si j’avais avalé

quelquechoseaudéjeuner.D’unautrecôté,iln’étaitpasplusmalquej’aieeul’estomacvide.—J’écoutaisunCDdansmavoiture.De sa part, une réponse aussi normale m’étonna. La porte s’ouvrit, et l’infirmière

réapparut,unecompressefroideàlamain.—Tiens,medit-elleenladéposantsurmonfront.Tuasreprisdescouleurs.—Jecroisqueçava,répondis-jeenm’asseyant.Rienqu’unpetitbourdonnementdanslesoreilles.Pasdevertige.Lesmursvertmenthe

restèrent à leur place. Aumoment où la grand-mère allaitm’ordonner deme rallonger, lebattants’entrebâilladenouveau,etMmeCopepassalatêteàl’intérieur.

—Nousenavonsundeuxième,annonça-t-elle.Jebondissurmespiedsafindelibérerlaplacepourleprochaininvalide.—Tenez,jen’enaipasbesoin,déclarai-jeenrendantsacompresseàl’infirmière.Mike entra en titubant. Il soutenait un autre élève de notre cours de biologie, Lee

Stephens.Cedernierétaitjaunâtre.Edwardetmoireculâmespourleurlaisserlechamplibre.—Flûte,marmonnaEdward.Vadanslebureau,Bella.Décontenancée,jeleregardai.—Fais-moiconfianceetfile.Tournantrapidementlestalons,j’attrapailaporteavantqu’elleserefermeetm’éjectai

del’infirmerie,Edwardàmesbasques.—Tum’asobéi,pourunefois,s’étonna-t-il.—J’aidétectél’odeurdusang,expliquai-jeenfronçantlenez.Contrairementàmoi,Leen’avaitpasflanchérienqu’enobservantlesautres.—Pourlaplupartdesgens,lesangn’apasd’odeur.—Pourmoisi.Unmélangederouille...etdesel.Quimerendmalade.Ilmedévisageaavecuneexpressioninsondable.—Quoi?—Rien.Mike surgit dans la pièce. Il nous balaya brièvement du regard. Sa façon d’observer

Edwardmeconfirmaqu’ildétestaitcedernier.Maussade,ilsetournaversmoi.—Tuasl’aird’allerbeaucoupmieux,melança-t-ild’untonaccusateur.—Contente-toidegardertesmainsdanstespoches,répliquai-je.

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—Letestestfini,bougonna-t-il.Tureviensencours?—Tuplaisantes?Jemeretrouveraisaussisecici.—Mouais...Aufait,tuespartante,pourceweek-end?Labaladeàlamer?Toutenmeparlant,iladressaunnouveaucoupd’œilpeuamèneàEdwardqui,appuyé

au comptoir surchargé, était perdu dans la contemplation du vide, aussi immobile qu’unestatue.

—Biensûr,acquiesçai-jeenadoptant le ton leplusamicaldont j’étais capable.C’étaitentendu,non?

—Rendez-vousaumagasindemonpère,alors.Àdixheures.IltoisaEdwardderechef.Apparemment,ils’inquiétaitd’enavoirtropdit.Toutdansson

attitudelaissaitclairemententendrequel’invitationneleconcernaitpas.—J’yserai,promis-je.—Onsevoitengym,terminaMikeensedirigeantd’unpasincertainverslasortie.—C’estça.Il me regarda une dernière fois, sa figure ronde vaguement boudeuse, puis franchit

lentement le seuil, les épaules basses. J’eus un élan de remords. Je n’étais pas sûre depouvoiraffrontersadéceptionaucourssuivant.

—Ah,lagym!grognai-je.—Jepeuxarrangerça.Jen’avaispasprêtéattentionàEdward,maintenanttoutprèsdemoi.—Vat’asseoirettâched’avoirl’airmalade,murmura-t-ilàmonoreille.Cen’était pas trèsdifficile. J’étais pâledenature, etmon évanouissement avait laissé

une pellicule de transpiration surmon visage. Jem’affalai sur une des chaises pliantes etappuyaimatêtecontrelemur.Jeressortaistoujoursépuiséedemesaccèsdefaiblesse.

Aucomptoir,Edwardparlaitdoucement.—MadameCope?—Oui?—Bellaacoursdegym,après,et jenepensepasqu’ellesoitassezbien.Enfait, jeme

demandesijenedevraispaslaramenerchezelle.Vouscroyezquevouspourriezluiépargnercetteépreuve?

Savoixressemblaitàdumielonctueux.Jedevinaiquesespupillesétaientencoreplusirrésistibles.

—Et toi, Edward, tu as aussi besoin d’unmot d’excuse ? pépia la secrétaire d’un tonaguicheur.

Pourquoiétais-jeincapabledeprendredesintonationspareilles?—Non.J’aiMmeGoff,ellecomprendra.—Bon.C’estd’accord.Tutesensmieux,Bella?melançaMmeCope.J’acquiesçaifaiblement,àpeinecabotine.—Tuesenétatdemarcherouilfautquejeteporte?Maintenantqu’iltournaitledosàlasecrétaire,Edwards’autorisaitàpersifler.—Jemedébrouillerai.Jemelevaiprudemment–çaallait.Ilmetintlaporte,unsourirepoliauxlèvresmaisle

regardmoqueur.Jesortisdanslebrouillardfroidetlégerquivenaitdetomber.Çamefitdubien–c’étaitlapremièrefoisquej’étaisheureusedel’humiditépermanentequedéversaitleciel–etnettoyamonvisagedesasueurcollante.

—Çavaudraitpresquelecoupd’êtremalade,neserait-cequepourmanquerlagym,dis-jetandisqu’ilmesuivaitdehors.Merci.

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—Derien.Ilfixaitl’horizon,lesyeuxplisséssouslesassautsdelapluie.—Tuviendras?Samedi?J’aurais bien aimé, quoique cela parût hautement improbable. Je le voyais mal

s’entasserdansune voiture avec les autres élèvesdu lycée. Il n’était pasdumêmemonde.Mais le simple espoir de sa présence suffisait à me donner un peu d’enthousiasme à laperspectivedecettevirée.

—Oùallez-vous,exactement?s’enquit-il,toujoursaussidistant.—ÀLaPush.FirstBeach,pourêtreexacte.Ses traits se crispèrent imperceptiblement, mais je ne réussis pas à déchiffrer son

expression.Mejetantuncoupd’œilenbiais,ilm’adressaunemouesarcastique.—Jenecroispasavoirétéinvité.—Qu’est-cequejesuisentraindefaire?soupirai-je.— Soyons sympa avec ce pauvre Mike, toi et moi. Ne le provoquons pas plus que

nécessaire.Nousnevoudrionspasqu’ilmorde.Une lueurmalicieusedansadanssespupilles.Cetteéventualité leréjouissaitplusque

deraison.—MauditMike,marmonnai-je,préoccupéeparlamanièredontEdwardavaitdit«toiet

moi»,quimeplaisaitunpeutrop.Nous avions atteint le parking. Je tournai à gauche en direction dema camionnette.

Edwardattrapamoncoupe-ventetmetirasèchementenarrière.—Oùcrois-tualler,commeça?demanda-t-il,offensé.—Ben...àlamaison.—J’aipromisdeteramenersaineetsauvecheztoi.Tut’imaginesquejevaistelaisser

conduiredanscetétat?Ilétaitpresqueindigné.—Quelétat?Etmavoiture?—Aliceteladéposeraaprèslescours.Ilmeremorquaitverssonproprevéhiculeavectantdevivacitéquej’eusdumalànepas

tomberàlarenverse.Serait-cearrivé,ilm’auraitprobablementtraînéeparterre.—Lâche-moi!criai-je.Il m’ignora, et je titubai comme un crabe jusqu’à la Volvo, où il me libéra enfin. Je

m’affalaicontrelaportièrepassager.—Quelledélicatesse!merévoltai-je.—C’estouvert,secontenta-t-ilderépliquerens’installantderrièrelevolant.—Jesuisparfaitementcapablederentrerchezmoitouteseule!Debout à côté de la voiture, je fulminais. Il pleuvait plus fort, à présent, et comme je

n’avaispasmisma capuche,mes cheveuxdégoulinaientdansmondos. Il baissa la fenêtreautomatiqueetsepenchaversmoipar-dessuslesiège.

—Monte,Bella.Je ne répondis pas. J’étais en train de calculer mes chances de parvenir à ma

fourgonnetteavantqu’ilnemerattrape.Avouons-le,ellesnepesaientpasbienlourd.—Jetejurequejetetraînerailà-basparlatignasses’illefaut,meprévint-il,commes’il

avaitdevinémesplans.Jecédaienessayantdeconserver lepeudedignitéqu’ilmerestait.Cene futpas très

réussi.J’avaisl’aird’unchatonàdeminoyé,etmeschaussuresgorgéesd’eauchuintèrent.—Toutcelaestinutile,lâchai-jeavecraideur.

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Il laissapasser.Tripotant lesboutons, ilaugmenta lechauffageetbaissa levolumedulecteurCD.Noussortîmesduparking.Décidéeànepasluidécocherunmotdetoutletrajet,j’adoptaiuneminerenfrognéederigueur.Malheureusement,jereconnuslamusique,etmacuriositél’emportasurmesrésolutions.

—ClairdeLune?m’exclamai-je,surprise.—TuconnaisDebussy?riposta-t-il,toutaussiéberlué.— Pas bien, admis-je. Ma mère est une fan de classique. Je ne reconnais que mes

morceauxpréférés.—C’estégalementl’undemesfavoris.Les yeux fixés sur le pare-brise, il s’abîma dans ses pensées. J’écoutai le piano et

m’installaiplusconfortablementdanslesiègeencuirgrisclair.Ilétaitimpossiblederésisteràlamélodiefamilièreetapaisante.Dehors, lapluiegommaitlescontoursdetouteschoses,les réduisant à des taches grises et vertes. Je m’aperçus que nous roulions très vite ; lavoitureavançaitcependantavec tantdesouplesseque jenesentaispas lavitesse.Seuls lesbâtimentsquidéfilaientlaissaientdevinernotreallure.

—Dequoitamèreal’air?medemanda-t-ilsoudain.Tournantbrièvementlatêteverslui,jeconstataiqu’ilm’étudiaitaveccuriosité.—Ellemeressemblebeaucoup,enplusjolie.Ilsourcilla,perplexe.—JetienspasmaldeCharlie,expliquai-je.Elleestplusextravertie,pluscourageuseque

moi.Irresponsable,unpeuexcentrique.Sacuisineestimprévisible.Jel’adore.Parlerd’ellemedéprimait,etjemetus.—Quelâgeas-tu,Bella?Pouruneraisonquejenepusidentifier,savoixcontenaitdesaccentsdefrustration.Il

avaitarrêtélavoiture,etjemerendiscomptequenousétionsarrivés.Lapluieétaitsidenseque j’avaisdumalàdistinguer lamaison.Onauraitditque laVolvoavaitplongédansunerivière.

—Dix-septans,répondis-je,interdite.—Tufaisplus,déclara-t-ild’untonréprobateurquidéclenchamesrires.Qu’est-cequ’il

yadedrôle?—Mamèrepassesontempsàrépéterquej’avaistrente-cinqansàmanaissanceetque

jesuisunpeuplusdanslaforcedel’âgechaqueannée.Ilfautbienquequelqu’unsoitadulte,ajoutai-jeensoupirant.Toinonplus,tun’aspasbeaucoupl’allured’unlycéen.

Ilmegratifiad’unegrimaceetchangeadesujet.—Pourquoitamèrea-t-elleépouséPhil?Jefussurprisequ’ilsesouvîntduprénom.Jenel’avaismentionnéqu’unefois,presque

deuxmoisplustôt.Jeréfléchisunmoment.—Elle...ellen’estpastrèsmûre,poursonâge.JecroisquePhilluidonnel’impression

d’êtreplusjeune.Etpuis,elleestfolledelui.Jesecouailatête.Cetteattirancerestaitunmystèrepourmoi.—Tuapprouves?—Quelleimportance?Jeveuxqu’ellesoitheureuse...etilestcedontelleaenvie.—C’esttrèsgénéreux...Jemedemande...—Oui?—Pousserait-elle la courtoisie à te rendre lapareille ?Quel que soit le garçonque tu

choisisses?Toutàcoup,sesyeuxfouillèrentlesmiensavecintensité.

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—Je...jecrois,balbutiai-je.Maisc’estellelamère,aprèstout.C’estunpeudifférent.—Alors,pasuntypetropeffrayant,j’imagine.—Qu’entends-tupar-là?plaisantai-je.Despiercingssurtoutelafigureetunecollection

detatouages?—C’estunedesdéfinitionspossiblesdumot.—Quelleestlatienne?Ilignoramaquestionpourm’enposeruneautre,unvaguesourireilluminantsestraits.—Penses-tuquejepourraispasserpoureffrayant?Jeméditaiquelques instants,hésitantentre luidire lavéritéetproférerunmensonge.

J’optaipourlavérité.—Euh...oui.Situlevoulais.—As-tupeurdemoi,là,maintenant?Sonvisaged’Apollonétaittoutàcouptrèssérieux.—Non.Maisj’avaisrépondutropvite,carlesourireresurgit.—Ettoi,vas-tumeparlerdetafamille?attaquai-jepourdétournersonattention.Elle

doitêtrebienplusintéressantequelamienne.Aussitôt,ilretrouvasaprudencenaturelle.—Queveux-tusavoir?—LesCullent’ontadopté?—Oui.J’hésitaiuneseconde,puismelançai:—Qu’est-ilarrivéàtesparents?—Ilssontmortsilyadesannées.—Désolée.—Jenem’ensouvienspasbien.CarlisleetEsmélesontremplacésdepuissilongtemps.—Ettulesaimes.C’étaituneaffirmation.Latendressedesavoixavaitsuffiàm’enconvaincre.—Oui.Jedoutequ’ilyaitmeilleurespersonnesaumonde.—Tuasbeaucoupdechance.—J’ensuisconscient.—Ettonfrèreettasœur?Iljetauncoupd’œilàlapenduledutableaudebord.—Monfrèreetmasœur,sansparlerdeJasperetRosalie,vontêtrefurieuxsijelesfais

languirsousl’averse.—Désolée.Ilfautquetuyailles.Pourtant,jen’avaispasenviedequittersavoiture.—Detoncôté, tupréfèressûrementrécupérertacamionnetteavantque leChefSwan

rentre,histoiredenepasavoiràmentionnerlepetitincidentdetoutàl’heure.— Je suis sûre qu’il est déjà au courant, ronchonnai-je. Il n’y a pas de place pour les

secrets,àForks.Iléclatad’undrôlederire.—Amuse-toibienàlamer... jolitempspourbronzer,ajouta-t-il,allusionàlapluiequi

dégringolait.—Jetevois,demain?—Non.Emmettetmoiavonsdécidédenousoctroyerunweek-endprécoce.—Qu’est-cequevousavezprévu?lançai-jeenpriantpourquemavoixnetrahissepas

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tropmadéception.Unamiavaitledroitdedemanderça,non?—UnerandonnéeducôtédesGoatRocks,ausuddumontRainier.JemerappelaiCharliementionnantquelesCullenallaientsouventcamper.—Ahbon.Profites-enbien,luisouhaitai-je,feignantl’enthousiasme.Jenecroispasl’avoirtrompé,cependant.—Accepterais-tudemerendreservice,ceweek-end?Il se tournaversmoi,plongeant sespupillesd’or incandescentdans lesmiennespour

joueràfonddeleurpouvoir.J’acquiesçai,tétanisée.—Ne leprendspasmal, continua-t-il,mais j’ai l’impressionque tuesdecesgensqui

attirentlesaccidentscommeunaimant.Alors...tâchedenepastomberàl’eaunidetefaireécraserparquoiquecesoit,d’accord?

Ilme gratifia de son sourire en coin. En vain, carma fascination s’était évanouie enentendantsesparoles–jelefusillaiduregard.

—Onverra!aboyai-jeenbondissantsouslapluie.Jeclaquailaportièrederrièremoiavecuneviolenceinutile.Ils’éloignasanssedépartir

desabonnehumeur.

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6

HISTOIRESEFFRAYANTES

Assisedansmachambre,j’essayaisdemeconcentrersurletroisièmeactedeMacbeth.

Enréalité,jeguettaislebruitannonçantmaChevrolet.J’auraiscruque,endépitdufracasdelapluie,j’auraisdétectésonrugissement.Pourtant,lorsquej’allaipourlaénièmefoisjeteruncoupd’œilparlafenêtre,mavoiture,soudain,étaitlà.

J’auraisaimééchapperà la journéedulendemain.Cevendrediserévélad’ailleursà lahauteur demes réticences. Il y eut, bien sûr, les commentaires surmon évanouissement.Jessica, en particulier, sembla prendre beaucoup de plaisir à colporter l’histoire.Heureusement, Mike ne se prêta pas aux racontars, et nul ne parut être au courant del’implicationd’Edward.Celan’empêchapasJessicademebombarderdequestionsàproposdenotredéjeunerentête-à-tête.

—Alors,qu’est-cequetevoulaitEdwardCullen,hier?medemanda-t-elleenmaths.—Aucuneidée,répondis-je,sincère.Ilnemel’apasvraimentdit.—Tuavaisl’airsacrémentenrogne,insista-t-elle.—Ahbon?éludai-je.—Tusais,c’étaitlapremièrefoisquejelevoyaiss’asseoiravecquelqu’unquin’estpas

desafamille.Bizarre.—Eneffet.Maretenueeutledondel’agacer,etelleécartasesbouclessombresavecimpatience–

j’imaginequ’elleavaitescomptémetirerquelquesragotsàsemettresousladent.Le pire fut que je le guettai quand même, alors que je savais qu’il ne viendrait pas.

Quandj’entraiàlacafétériaavecJessicaetMike,jenepusm’empêcherderegardersatable,oùRosalie,AliceetJasperdiscutaient,penchéslesunsverslesautres.Pasplusquejenepusempêcherlamorositédemesubmergerlorsquejecomprisquej’ignoraiscombiendetempssepasseraitavantquejelerevisse.

Dansmongroupehabituel,toutlemondeneparlaitquedesprojetsdulendemain.Mikeavait retrouvé son entrain, extrêmement confiantdans les servicesmétéorologiques locauxqui avaient promis du soleil. Je n’y croirais que quand je l’aurais vu.Mais le temps s’étaitréchauffé,presqueseizedegrés.Lasortieneseraitpeut-êtrepastotalementnulle.

Au cours du déjeuner, j’interceptai plusieurs regards peu amènes de Lauren. Je n’encomprislaraisonquequandnotregroupequittalacantine.Jemarchaisjustederrièreelle,àune dizaine de centimètres de ses cheveux lustrés blond platine, ce dont elle n’étaitvisiblement pas consciente. « ... ne sais pas pourquoi Bella (mon nom presque craché) nes’assied pas dorénavant avec les Cullen », la surpris-je en train demarmonner àMike. Jen’avaisencorejamaisremarquéquellevoixdéplaisanteetnasaleelleavait,etjefusstupéfaitedelaméchancetéquiensuintait.Jenelaconnaissaisvraimentpasbien,pasassezentoutcas

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pourqu’ellemedétestecommeça–enfin,àmonavis.—C’estmonamie,medéfenditMikeavec loyauté,quoiqued’untonunpeupossessif.

Ellemangeavecnous.Jem’arrêtaiafindelaisserpasserJessetAngela.Jenetenaispasàenentendreplus.Ce soir-là au dîner, Charlie parut ravi de mon excursion à La Push. S’il se sentait

sûrement coupabledem’abandonnerà lamaisondurant lesweek-ends, il avaitnéanmoinsconsacré suffisamment d’années à se construire des habitudes pour les brisermaintenant.Biensûr,ilconnaissaitlenomdetousceuxquiseraientdelapartie,ainsiqueleursparentsetleursgrands-parents sansdoute. Il approuvait. Jemedemandai s’il serait aussi favorableàmonprojetdemerendreàSeattleencompagnied’EdwardCullen.Nonquej’eussel’intentiondel’enavertir.

—Papa,demandai-jed’unairdécontracté,tuconnaisuncoinquis’appelle...GoatRocks,untrucdanslegenre?Jecroisquec’estausuddumontRainier.

—Oui.Pourquoi?Jehaussailesépaules.—Desgensparlaientd’allerycamper.—Cen’estpasl’endroitidéal.Ilyatropd’ours.Onyvaengénéralquepourlasaisonde

chasse.—Oh,j’aisansdoutemalcompris.J’avaisespérém’offrirunegrassematinéemais,lesamedi,uneluminositéinhabituelle

meréveilla.J’ouvrislesyeuxsuruneclartéjaunequiilluminaitmescarreaux.Incroyable!Jemeprécipitai à la fenêtre pour vérifier. Je ne rêvais pas– le soleil brillait. Certes trop basdansleciel,pourtantc’étaitbienlui.Desnuagesbordaientl’horizon,maislaissaientplaceàunegrandetachebleueaumilieu.Jetraînassaiaussilongtempsquepossibledevantmavitre,merégalantduspectacle,craignantqu’ilnes’effaçâtsijem’éloignais.

ChezNewton–»LeSpécialistedesactivitésdepleinair»–se trouvaitaunordde laville.J’étaisdéjàpassédevant sansm’yarrêter : ayantbanni lesditesactivitéspourunbonmoment, je n’avais aucun besoin de matériel. Sur le parking, je me garai à côté de laSuburbandeMikeetdelaSentradeTyler.YétaientattroupésÉricetdeuxgarçonsavecquijepartageais mes cours et dont j’étais presque sûre qu’ils s’appelaient Ben et Conner. Jess,flanquéed’AngelaetLauren,étaitentouréede trois fillesparmi lesquellesunesur laquellej’étais tombée en cours de gym le vendredi. Elle m’adressa d’ailleurs un regard mauvaisquandjesortisdemacamionnetteetéchangeadesmessesbassesavecLaurenquisecouasescheveuxblondsetmegratifiad’uncoupd’œildédaigneux.

Çapromettaitdoncd’êtreundecesjourssans.Mike,lui,parutcontentdemevoir.—Tuesvenue!s’exclama-t-il,ravi.Net’avais-jepasditqu’ilferaitbeau,aujourd’hui?—Etnet’avais-jepasditquejeseraislà?—Nousn’attendonsplusqueLeeetSamantha...àmoinsquetuaiesinvitéquelqu’un.— Non, affirmai-je avec aplomb en croisant les doigts pour que ce mensonge ne me

reviennepasenpleinefigure.Etaussipourqu’unmiracleseproduiseetqu’Edwardapparaisse.— Tu monteras dans ma voiture ? me proposa Mike, visiblement satisfait par ma

réponse.C’estçaouleminibusdelamèredeLee.—Biensûr.Unsourires’épanouitsurseslèvres.Ilétaittellementfaciledeluifaireplaisir.—Tupourrast’installerdevant,promit-il.

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Jedissimulaimondépit. Iln’étaitpasaussi facilede faireplaisir à la fois àMikeet àJessica. Celle-ci nous observait d’un air renfrogné. Heureusement, le nombre joua en mafaveur.Leevintavecdeuxpersonnesdepluset,toutàcoup,chaquesiègefutnécessaire.Jeréussis à coincerJess entreMikeetmoi sur le siègeavantde laSuburban.Mikeauraitpumontrerunpeuplusdejoiemais,aumoins,safuturecavalièrefutrassérénée.

La Push n’était distante de Forks que de vingt-cinq kilomètres. La route était pourl’essentielbordéedeforêtsdensesetsomptueuseset,deuxfois,nouscroisâmeslesméandresde la large rivièreQuillayute.Jeme réjouisd’avoir laplaceprèsde la fenêtre.Nousavionsbaissélescarreaux–lavoituredevenaitunpeuétouffante,avecneufpersonnesàbord–etjetâchaid’absorberunmaximumdesoleil.

J’avaisbeaucoupfréquentélesplagesautourdeLaPushpendantmesétésàForks,etlecroissantlongdedeuxkilomètresdeFirstBeachm’étaitfamilier.Lavueétaittoujoursaussiépoustouflante.Lesvaguescouleuracier,mêmeparbeautemps,s’abattaient,moutonneuses,surlacôterocheusegrise.Desîlesauxfalaisesescarpéesémergeaientdeseauxduport;leurssommets étaient découpés enmultiples pics et plantés de hauts sapins austères. La plagen’était qu’une mince bande de sable le long de l’eau, vite remplacée par des millions degrandespierreslissesqui,deloin,paraissaientuniformémentardoisemaisqui,deplusprès,couvraienttouteslespalettesdelaroche:ocrefoncé,vertocéan,lavande,gris-bleu,orterne.La laissedehautemer était jonchéedebois flotté, énormes troncsblanchispar les vaguessalées, certains amalgamés à la lisière de la forêt, d’autres gisant, isolés, juste au-delà del’atteinteduressac.

Unventvif,fraisetchargédeselsoufflaitdularge.Despélicansflottaientaugrédelahoule tandis que des mouettes blanches et un aigle solitaire tournoyaient au-dessus. Lesnuagesbordaienttoujoursleciel,menaçantdel’envahiràtoutmomentmais,pourl’instant,lesoleilbrillaitbravementdanssonhalobleu.

Nousdescendîmes sur laplagederrièreMike, quinous conduisit jusqu’àun cerclederondins apportés par la mer qui avait visiblement déjà servi à abriter des pique-niquescommelenôtre.Unfoyerpleindecendresfroidesenoccupaitlecentre.Éricetlegarçonqui,d’aprèsmoi,s’appelaitBen,allèrentramasserdesbranchesmortesbiensèchesàl’oréedelaforêteteurent tôt faitd’érigerunassemblageen formede tipiau-dessusdes restesnoircisdesfeuxdecampprécédents.

—As-tudéjàvubrûlerduboisflotté?medemandaMike.J’étais assise sur l’un des troncs décolorés. Les autres filles s’étaient regroupées et

discutaientavecentraindepartetd’autredemoi.—Non,répondis-je.Mikes’agenouillaprèsdufoyeretenflammaunebrindilleàl’aided’unbriquet.Ilplaça

soigneusementsontisonaumilieudel’échafaudage.—Çavateplaire,alors.Regardebienlescouleurs.Ilincendiaunenouvellebranchetteetlapositionnaàcôtédelapremière.Lesflammes

netardèrentpasàlécherlebois.—Ellessontbleues!m’écriai-je,stupéfaite.—C’estlesel.Chouette,non?Aprèsavoirinstalléuntroisièmebrandonlàoùlaflambéen’avaitpasencorepris,ilvint

s’asseoirprèsdemoi.Heureusement,Jessétaitjustedel’autrecôté.Setournantverslui,ellel’entreprit.Jecontemplailesdrôlesdeflammesvertesetbleuesquimontaientversleciel.

Au bout d’une demi-heure à discuter, quelques garçons proposèrent une balade auxbassinsdemaréenaturelstoutproches.Pourmoi,cefutundilemme.D’uncôté,j’adoraisces

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vastes piscines d’eau demer laissées par le ressac. Enfant, ellesm’avaient fascinée ; ellesétaient l’unedesrareschosesquej’avaisenviedevoir lorsquejevenaisàForks.Del’autre,j’étais tombéededansplus souventqu’àmon tour.Cequin’étaitpas tropgraveà septans,surveillée parmon père. Celame rappela la demande d’Edward – ne pas prendre de bainforcé.

Ce fut Lauren qui força ma décision. Elle refusa de se promener, car elle n’avaitabsolument pas les chaussures adéquates. La plupart des filles, sauf Jessica et Angela,choisirentellesaussiderestersurlaplage.J’attendisqueTyleretÉrics’engagentàleurtenircompagnieavantdemeleversansbruitpourmejoindreauxrandonneurs.Mikeaccueillitmaprésenceparunimmensesourire.

Le trajetn’étaitpas long,maisperdre le cieldevuedans les sous-boism’oppressa.Lalumièrevertedesfrondaisonsdétonnaitétrangementaveclesriresadolescentsquifusaient,elleétaittropglauqueetmenaçantepours’harmoniseraveclebadinagedugroupe.Jedevaisprêter attention à chacun de mes pas, évitant prudemment les racines par terre et lesbranchesau-dessusdemoi,etjenetardaipasàmeretrouveràlatraîne.Jefinisparémergerde ce confinement émeraude et débouchai de nouveau sur les rochers de la côte. C’étaitmaréebasse,etunchenals’étaitformésurlagrève.Lelongdesesrivescouvertesdegalets,descreuxd’eaupeuprofondsquinesevidaientjamaiscomplètementgrouillaientdevie.

Jeprisgardeànepastropmepencherau-dessusdecesocéansminiatures.Lesautres,pleinsd’audace,sautaientderocherenrocheretseperchaientpérilleusementàleurextrêmebord.Jedénichaiunepierreàpeuprèsstabledominantl’undesplusgrandsbassinsetm’yassisavecprudence,fascinéeparl’aquariumnaturelquis’étalaitàmespieds.Leslumineuxbouquets d’anémones ondulaient sans fin au gré d’un courant invisible, des coquillageschantournés filaient sur lepourtourde la vasque en cachant les crabes, des étoilesdemers’agrippaient,immobiles,auxrochersetlesunesauxautrestandisqu’uneminusculeanguillenoirestriéedeblancsinuaitentrelesalguesd’unvertéclatant,attendantleretourdelamer.J’étais tout entière au spectacle, à l’exception d’une petite partie de mon cerveau quis’interrogeaitsurcequ’Edwardétaitentraindefaireettentaitd’imaginercequ’ilauraitdits’ilavaitétéavecmoi.

Lesgarçonsfinirentparavoirfaim,etjemerelevai,raide,pourlessuivre.Cecoup-ci,jem’efforçaidegarder le rythmeen traversant lesboiset,naturellement, je tombaiplusieursfois, récoltantquelqueségratignuressur lespaumeset tachantmon jeandevertauniveaudesgenoux.Maisbon,çaauraitpuêtrepire.

DeretouràFirstBeach,nousdécouvrîmesquelegroupequenousyavionslaissés’étaitagrandi.Nous rapprochant,nousdistinguâmes les cheveluresd’unnoirde jais et lespeauxcuivréesd’adolescentsdelaréservevenusbavarder.Lanourriturecirculaitdéjà,etlesgarsseprécipitèrentpourréclamer leurpart tandisqu’Éricnousprésentaitau furetàmesurequenousregagnionslecercledeboisflotté.Angelaetmoiarrivâmesbonnesdernières.LorsqueÉricprononçamonnom, jeremarquaiqu’unIndienplus jeune,assissurunepierreprochedu foyer,me regardait avec intérêt. Jem’installai près d’Angela, etMike nous apporta dessandwichsetunchoixdecanettes,cependantqueceluiquisemblaitêtre leplusâgédenosvisiteursrécitaitlesprénomsdesesseptcamarades.Toutcequejeretins,cefutqu’unedesfilless’appelaitJessica,etlegaminJacob.

Lacompagnied’Angelaétait relaxante,carellen’éprouvaitpas lebesoindecombler lesilenceenbavardant.Ellemelaissatoutelibertédeméditerpendantnotrerepas.Jeréfléchisà la façon chaotiquedont le tempsparaissait s’écouler à Forks, passant à toute vitesse parmoments pour ne laisser surnager dans ma mémoire que quelques images isolées plus

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distinctesquelesautres,maisralentissantaussiparfois,chaquesecondelourdedesensetsegravantdansmonesprit. Je savais exactement cequidifférenciait cesdeux tempos, et celam’ennuyait.

Durant le pique-nique, les nuages commencèrent à grignoter furtivement le ciel bleu,dissimulantquelquefoislesoleil,dessinantdelonguesombressurlaplageetnoircissantlesvagues. Après le déjeuner, les gens s’égaillèrent par deux ou trois. Certains choisirent delongerlagrèveenessayantdesauterderocherenrocherau-dessusdeseauxtumultueuses;d’autressepréparèrentpourunedeuxièmeexpéditionauxbassinsdemarée.Mike,suiviàlatrace par Jessica, décida de se rendre au village, et quelques-uns de nos visiteurs lesescortèrent, tandisque leurs camarades se joignaient à labalade. Je finisparme retrouverseulesurmonrondinencompagniedeLaurenetdeTyler,quis’occupaientaveclelecteurCDque quelqu’un avait pensé à apporter, et de trois adolescents de la réserve assis à diversendroitsducercle.Parmieux, ledénomméJacobet leplusâgédesgarçons, celuiquiavaitjouélesporte-parole.

Quelques minutes après qu’Angela fut partie avec les randonneurs, Jacob s’approchad’unpasnonchalantets’assitàcôtédemoi.Ilparaissaitavoirquatorze,peut-êtrequinzeans,etavaitde longscheveuxnoirs luisants retenusparunélastiqueauniveaude lanuque.Sapeaubrun-rouxétaitbelleetsoyeuse;sesyeuxsombresétaientprofondémentenfoncésau-dessus des méplats prononcés de ses joues. Quelques traces de rondeur enfantines’attardaientencoreautourdesonmenton.L’undansl’autre,unfortjolivisage.Néanmoins,cetteimpressionpositivefutgâchéedèsqu’ilouvritlabouche.

—TuesIsabellaSwan,n’est-cepas?Àcroirequemonpremierjouraulycéerecommençait.—Bella,soupirai-je.— Je m’appelle Jacob Black, annonça-t-il en me tendant la main sans façons. Tu as

achetélacamionnettedemonpère.—Oh,murmurai-je,soulagée,enserrantsamainlisse.TueslefilsdeBilly.Jedevrais

sansdoutemesouvenirdetoi.—Non.Jesuisleplusjeunedelafamille.Situdoisterappelerquelqu’un,cesontmes

sœurs.—RacheletRebecca!m’écriai-je,lamémoiremerevenanttoutàcoup.CharlieetBillynousavaientsouventabandonnéesensembledurantmesvisites,afinde

nous teniroccupéespendantqu’ils taquinaient lepoisson.Nousétions toutes les trois troptimides pour nouer une réelle amitié. Et, le temps d’avoir onze ans, j’avais piqué assez decrisespourmettreuntermeàcespartiesdepêche.

—Elles sont ici ?demandai-je en inspectant le borddemer, curieusede voir si je lesreconnaîtrais.

—Non,réponditJacobensecouantlatête.Rachelaobtenuuneboursed’étudedel’Étatde Washington, et Rebecca s’est mariée à un surfeur des Samoa ; elle vit à Hawaii,maintenant.

—Mariée!Disdonc!J’étaisahurie.Lesjumellesavaientàpeineunandeplusquemoi.—Alors,lacamionnetteteplaît?—Jel’adore.Elleroulecommeunejeunefille.—Oui,à conditiondenepas trop lapousser, s’esclaffa-t-il. J’ai étédrôlementcontent

queCharliel’achète.Monpèrerefusaitquejebricoleuneautrevoituretantquenousavionscelle-ci,quimarchaitbien.

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—Ellen’estpassilente.—Tuasessayédedépasserlecent?—Non.—Tantmieux,net’yrisquepas!Ilm’adressaungrandsourirequejenepusm’empêcherdeluirendre.—Elleestsuperencasdechoc,offris-jeenguisededéfense.—Untankn’enviendraitpasàbout,admit-ilavecunnouveléclatderire.—Commeça,turetapesdesautos?—Quandj’aidutemps,etdespièces.Tunesauraispasoùjepourraistrouverunmaître-

cylindrepouruneCoccinellede1984,parhasard?plaisanta-t-il.Ilavaitunevoixagréable,voilée.—Désolée,jen’enaipasvurécemment.Maisjegarderail’œilouvert.Commesijesavaisdequoiilparlait!C’étaitcependantuninterlocuteuragréable.Ilme

gratifiad’unsourireéblouissantenm’examinantavecunairappréciateurquejecommençaisàidentifier.D’ailleurs,jenefuspaslaseuleàleremarquer.

—TuconnaisBella,Jacob?demandaLaurenaveccequimeparutunbrind’insolence.—Depuisquejesuisné,confia-t-ilavecbonnehumeur.—Oh,super,commenta-t-elle,sesyeuxpâlesdepoissondémentantsonpropos.Bella,

ajouta-t-elleenmedévisageantavecsoin,j’étaisjustemententraindedireàTylerqu’ilétaitdommagequ’aucundesCullenn’aitpuveniraujourd’hui.Personnen’asongéàlesinviter?

Sesprétendusregretsmelaissèrentdemarbre.—LesenfantsdudocteurCullen?intervintl’Indienplusâgé.Il m’avait devancé, au grand agacement de Lauren. En vérité, il était plus homme

qu’adolescentetavaitunevoixtrèsgrave.—Oui.Tulesconnais?lâchaLaurenensetournantàdemiverslui,condescendante.—LesCullenneviennentpasici,trancha-t-ilenignorantsaquestion.Son ton signifiait que le sujet était clos. Désireux de regagner son attention, Tyler

demanda àLauren son avis sur unCD, et elle se désintéressa denous. J’observai le jeunehomme à la voix de basse avec surprise,mais il regardait en direction de la forêt, derrièrenous. Ilavaitaffirméque lesCullennevenaientpas ici ; sa façonde ledireavait impliquéautre chose,néanmoins ; qu’ilsn’étaientpas lesbienvenus, qu’ilsn’étaientpas autorisés às’aventurerdanslesparages.J’éprouvaiuneimpressionétrange,quejetentaid’ignorer,sanssuccès.Jacobinterrompitmesréflexions.

—Alors,Forksnet’apasencorerenduecomplètementdingue?—Dinguen’estpaslemot,rétorquai-jeavecunegrimace.Il rigola, complice.Préoccupéepar la remarque sur lesCullen, j’eus soudainune idée.

Une idée stupide, sauf que je n’en trouvai pas demeilleure. J’espérais que le jeune Jacobmanquait d’expérience avec les filles et qu’il ne détecterait pas ma tentative à coup sûrridiculedeflirteraveclui.

—J’aienviedemebaladerlelongdelaplage,déclarai-je.Tum’accompagnes?J’avaisessayéd’imiterlafaçonqu’avaitEdwarddevousregarderpar-dessoussescils.Je

devaisêtreloinducompte,maisJacobacceptamapropositionsanshésiter.Nousprîmesladirection de la digue de bois flotté, au nord. Tandis que nous arpentions les rochesmulticolores,lesnuagesfinirentparresserrerlesrangs,etlamers’assombritcependantquelatempératurechutait.J’enfonçaimesmainsdanslespochesdemoncoupe-vent.

—Tuasquelâge,seizeans?demandai-jeenbattantdespaupièrescommej’avaisvulesfilleslefaireàlatélétoutenm’efforçantdenepasavoirl’airtropidiotecependant.

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—Jeviensjusted’enavoirquinze,confessa-t-il,flatté.—Vraiment?Jetecroyaisplusvieux,merécriai-jefaussement.—Jesuisgrandpourmonâge.—TuvienssouventàForks?J’avais pris le ton espièglede celle qui souhaiteunoui.Mêmeàmoi, jeme fis l’effet

d’une crétine. J’euspeurqueJacobnemedévoile et sedétourne, écœuré,mais il semblaittoujoursaussicharmé.

—Non, pas tellement, admit-il en plissant le front.Mais dès que j’aurai terminémavoiture,jepourraim’yrendreautantquejevoudrai.Enfin,quandj’aurailepermis,tempéra-t-il.

—Quiétaitcetautre typeavecquiLaurendiscutait?Je l’ai trouvéunpeuvieuxpourtraîneravecnous.

Tentative pour me ranger du côté des plus jeunes en montrant que je préférais lacompagniedeJacob.

—Sam.Iladix-neufans.—Qu’est-cequ’ilracontait,àproposdelafamilledudocteur?—LesCullen?Oh,c’estjustequ’ilssontsupposéséviterleterritoiredelaréserve.C’étaitbiencequej’avaiscrucomprendre.Jacobparuts’absorberdanslacontemplation

d’unedesîles.—Pourquoi?Ilmejetauncoupd’œiletsemorditleslèvres.—Heu...hésita-t-il,jenesuispascenséparlerdeça.—Net’inquiètepas,jenedirairienàpersonne,c’estdelasimplecuriositédemapart,le

rassurai-jeentâchantd’adopterunsourireséduisant.N’en faisais-jepasunpeutrop?Non.Jacobmerenditmonsourire, l’airparfaitement

séduit.Puissavoixsevoilaencoreplusqued’ordinaire.—Tuaimesleshistoireseffrayantes?lança-t-il,inquiétant.—Jelesadore,m’exclamai-jeenlecouvantdesyeux.Ilsedirigealentementversunarbremortdontlesracinespointaientverslecielcomme

les pattes recroquevillées d’une formidable araignée blanche. Il se percha avec adresse surl’uned’elles tandisque jem’asseyaisplusbas, sur le tronc. Il contempla lespierres,etunemoueravieétirasagrandebouche.Devinantqu’ilavaitl’intentiondenepasmedécevoir,jemeconcentraipournepastrahirlevifintérêtquej’éprouvais.

—Tuconnaisnosvieilleslégendes?commença-t-il.Cellessurnosorigines,ànouslesIndiensQuileute?

—Pasvraiment.—Ehbien,disonsqu’ilexistedestasdemythes,dontcertainsremonteraientauDéluge.

D’après eux, les Quileute auraient, pour survivre, accroché leurs canoës aux sommets desplusgrandsarbresdesmontagnes,commeNoéetsonarche.(Tonléger,histoiredemontrerqu’il n’accordait pas beaucoup d’importance à ces blagues.) Un autre prétend que nousdescendons des loups, et que ceux-ci sont nos frères, encore aujourd’hui.Nos lois tribalesinterdisent d’ailleurs de les tuer. Et puis, ajouta-t-il en baissant un peu la voix, il y a leshistoiressurlesSang-froid.

—LesSang-froid?répétai-jesanspluscachermacuriosité.—Oui.Leslégendeslesconcernantsontaussivieillesquecellessurlesloups.Ilyena

mêmedebeaucoupplusrécentes.L’uned’ellesaffirmequemonproprearrière-grand-pèreaconnudesSang-froid.C’estluiquiauraitnégociél’accordlesbannissantdenosterres.

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Incrédule,illevalesyeuxauciel.—Tonarrière-grand-père?l’encourageai-je.— C’était un Ancien de la tribu, comme mon père. Tu vois, les Sang-froid sont les

ennemis naturels des loups. Enfin, plus exactement, des loups qui se sont transformés enhommes,commenosancêtres.Ceuxquetuappelleraisdesloups-garous.

—Lesloups-garousontdesprédateurs?—Unseul.Jeledévisageaiavidement,tâchantdedissimulermonimpatience.—Bref, reprit-il, lesSang-froidsontnosennemis traditionnels.Mais lameutedeceux

quisontapparussurnotreterritoiredutempsdemonarrière-grand-pèreétaitdifférente.CesSang-froidnechassaientpascommelesleurs.Ilsn’étaientpasdangereuxpournotrepeuple.Alors,monaïeulaconcluuntraitéaveceux.S’ilspromettaientdesetenirloindenosterres,nousnelesdénoncerionspasauxvisagespâles.

Ilm’adressaunclind’œil.J’avaisdumalàcomprendre.Jenevoulaispasnonplus luimontreràquelpointjeprenaisceshistoiresdefantômesausérieux.

—S’ilsnereprésentaientpasdemenace,pourquoi...—Ilyatoujoursunrisquepourleshumains,mêmesiceclan-làétaitcivilisé.Maison

nesaitjamaisvraimentquandilsserontincapablesderésisteràlafaim.Ilavaitfaitexprèsdeprendredesinflexionscomminatoires.—Commentça,civilisé?— Ils ont affirméne plus chasser les humains. Ils étaient parvenus à se contenter de

proiesanimales.—Enquoicelaconcerne-t-illesCullen?l’interrogeai-jeenfeignantladécontraction.Ils

sontcommelesSang-froidquetonarrière-grand-pèrearencontrés?—Non.Ils’autorisaunepausethéâtrale.—Cesontlesmêmes.Ildutprendrel’expressiondemonvisagepourdelapeur,carilsourit,ravidesoneffet.— Ils sont plus nombreux, maintenant, continua-t-il. Des jeunes, une femelle et un

mâle,ontrejointleclanmaislesautressontlesmêmes.Àl’époquedemonaïeul,onparlaitdéjà de leur chef demeute, Carlisle. Il aurait hanté ces contrées et en serait reparti avantmêmequevous,lesBlancs,n’arriviez.

—Maisquisont-ils?Qu’est-cequesontlesSang-froid?Ilmefitunegrimacelugubre.— Des buveurs de sang, expliqua-t-il d’une voix glaçante. Ton peuple les appelle

vampires.Jemeperdisdanslacontemplationduressac,parcraintederévélermesémotions.—Tuasunesacréechairdepoule!s’esclaffa-t-il,toutcontent.—Tusaisraconterleshistoires,lecomplimentai-jesansmedétournerdesvagues.—Ces légendes sont dingues, non ? Pas étonnant quemon père nous défende de les

évoquer.—Net’inquiètepas,jenedirairien.—J’imaginequejeviensdevioleruntraité.—Jeseraimuettecommeunetombe.—Sérieusement,n’enparlepasàCharlie.IlétaitdrôlementfurieuxaprèsBillyquandil

aapprisquecertainsd’entrenousrefusaientd’allerà l’hôpitaldepuisqueledocteurCullenavaitcommencéàytravailler.

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—Juré.—Tudoisnousprendrepouruntasd’Indienssuperstitieux,maintenant?Derrièrelaplaisanterie,jesentisl’ombred’uneinquiétude.Jusqu’àprésent,j’avaisévité

deleregarder,depeurdetrahirmonbouleversement.Metournantverslui,jeluisourisaussinormalementquepossible.

—Non.Jecroisjustequetuestrèsfortpourraconterleshistoireseffrayantes.Jesuistétanisée,tuvois?

Tout à coup, le bruit de pierres qui roulaient nous avertit que quelqu’un approchait.NoustournâmeslatêteenmêmetempspourdécouvrirMikeetJessicaàenvironcinquantemètresdenous.

—Tueslà,Bella!s’écriaMike,soulagé,enagitantlamain.—C’est tonpetitami?demandaJacob,alertépar lapointede jalousiequiavaitpercé

danslavoixdeMike.Jefussurprisequ’ellefûtaussiévidente.—Non,certainementpas,chuchotai-je.Je lui étais extrêmement reconnaissante et tenais à le rendre aussi heureux que

possible. Je lui adressai un clin d’œil en prenant soin de me cacher de Mike. Il sourit,transportéparmonflirtinepte.

—Quandj’auraimonpermis...commença-t-il.—TuviendrasmevoiràForks,lecoupai-je.Onirasebaladerensemble.Laculpabilitém’envahit,tantj’étaisconscientedel’avoirmanipulé.Maisjel’appréciais

vraiment. C’était quelqu’un avec qui je pourrais être amie. Mike nous avait rejoints, àprésent,Jessicaàquelquespasderrièrelui.JelevisjaugerJacobetserassérénerdevantlajeunessedel’Indien.

—Oùétiez-vouspassés?s’enquit-il,alorsqu’ilavaitlaréponsesouslesyeux.—Jacobmeracontaitseulementquelqueshistoireslocales.C’étaittrèsintéressant.—Euh...Confrontéànotreamitié,Mikes’interrompit,évaluantprudemmentlasituation.—Nouspartons,reprit-il.Ilnevapastarderàpleuvoir,apparemment.Nousregardâmeslecielmenaçant.Lapluiesemblaiteneffetsurlepointdes’abattre.—Trèsbien,dis-jeensautantsurmespieds.J’arrive.—J’aiétéheureuxdeterevoir,melançaJacob.Jecomprisqu’ils’amusaitàprovoquerMike.— Moi aussi. La prochaine fois que Charlie rendra visite à Billy, je l’accompagnerai,

promis-je.—Ceseraitgénial,assuraJacob,hilare.—Etmerci,ajoutai-je,avecchaleur.Nouspartîmesendirectionduparking.Quelquesgouttesavaientcommencéàtomber,

dessinantdestachesnoiressur lesrochers.Jemismacapuche.Quandnousarrivâmesà laSuburban,lesautresavaientdéjàchargélesaffaires.Jemefaufilaisurlesiègearrièreàcôtéd’Angela et Tyler, annonçant que c’était au tour de quelqu’un d’autre d’être assis devant.Angelaseconcentrasurlespectacledelatempêtequisepréparait,Laurenseglissaaumilieudelabanquettepourmonopoliserl’attentiondeTyler,etj’eustoutleloisirdeposermatêtesurledossier,defermerlesyeuxetdeluttercontrelespenséesquim’assaillaient.

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7

CAUCHEMAR

JedisàCharliequej’avaisdestonnesdedevoirsetquejenedîneraispascesoir-là.Ily

avait un match de basket à la télé, et il était tout excité. Comme, bien sûr, je ne voyaisvraimentpas ce qu’il y avait d’excitant là-dedans, il ne s’aperçut pasde ce quema voix oumonvisagepouvaientavoird’inhabituel.

Jem’enfermaidansmachambre, fouillaimonbureau jusqu’àceque jemette lamainsurmes vieux écouteurs et branchai ces derniers surmon petit lecteur CD. Je choisis undisquequePhilm’avaitoffertpourNoël.C’étaitundesesgroupespréférésqui,àmongoût,recouraitunpeutropàlabasseetauxhurlements.Allongéesurmonlit,écouteursenplace,je montai le volume à m’en dynamiter les tympans. Je fermai les yeux, mais comme lalumièremegênait,jemecollaiunoreillersurlatête.

Soigneusement concentrée, jem’efforçai de comprendre les textes des chansons et dedébrouiller les schémascompliquésde labatterie.À la troisièmeécoute, je connaissaisparcœurlesparoles,cellesdesrefrainsdumoins.Jedécouvrisavecétonnementque,enfindecompte, le groupeme plaisait, pour peu qu’on dépasse ses braillements. Il faudrait que jepenseàremercierPhilencoreunefois.

Cerise sur le gâteau, mon choix se révéla efficace. Les battements assourdissantsm’empêchèrentderéfléchir–cequiétaitlebutdel’exercice.Jemepassailedisqueencoreetencore, jusqu’à ce que j’arrive à chanter sur tous les airs et jusqu’à ce que jem’endorme,enfin.

J’ouvrislesyeuxsurunendroitfamilier.Avertieparunepartiedemaconsciencequejerêvais, j’identifiai la lumière verte de la forêt. Non loin, les vagues s’écrasaient contre lesrochers.Jesavaisquesijetrouvaisl’océan,j’arriveraisàdistinguerlesoleil.Jetentaisdemeguideraubruitduressac,maisJacobBlackapparaissaitsoudainetm’entraînaitparlamainendirectionducœurleplusnoirdesbois.

—Jacob?Quesepasse-t-il?Sestraitsétaientempreintsdefrayeur,etiltiraitdetoutessesforcespourvaincremes

résistances–jenevoulaispasallerversl’obscurité.—Cours,Bella,tudoiscourir!chuchotait-il,terrifié.—Parici,Bella!JereconnaissaislavoixdeMike,mehélantduprofondténébreuxdesarbres,maisjene

pouvaislevoir.—Pourquoi?demandais-jeenmedébattantpourmelibérerdel’emprisedeJacob.Àcestade,jedésiraispar-dessustoutretrouverlesoleil.Toutàcoup,lejeuneIndienme

lâchaitenpiaillant.Tremblant,ils’écroulaitsurlesolsombreets’ycontorsionnaitsousmesyeuxhorrifiés.

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—Jacob!braillais-je.Maisilavaitdisparu.Àsaplacesetenaitungrandloupbrun-rouxauxpupillesfoncées.

L’animal sedétournaitdemoiendirectionde lagrève, lepoilde l’échinehérissé, les crocsdécouverts,desgrondementssourdss’échappantdesagorge.

—Sauve-toi,Bella!criaitMike,toujoursdanslaforêt.Endépitdecette injonction, jenebougeaispas.Je fixaisune lumièrequi,de laplage,

venait versmoi. Alors, Edward sortait de derrière les arbres, la peau luisant faiblement, leregardnoiretdangereux.Illevaitlamainetmefaisaitsigned’approcher.Àmespieds,leloupgrognait. J’avançais d’un pas, ce qui provoquait le sourire d’Edward. Ses dents étaientpointuesetaiguisées.

—Aieconfiance,susurrait-il.Undeuxièmepas.Leloupsejetaitentremoietlevampire,sescrocsvisantlajugulaire.—Non!hurlais-je.Jemeredressaicommeundiablesurmonlit.Cebrusquemouvemententraînalachute

du lecteurCDde la tabledenuit.La lumièreétait toujoursallumée, j’étais touthabilléeetchaussée.Désorientée, je jetaiuncoupd’œil àmon réveil. Il était cinqheures etdemiedumatin.

En gémissant, je retombai en arrière puis roulai sur le ventre, envoyant valser mesbottes. J’étais néanmoins trop bouleversée pour me rendormir. Me retournant, jedéboutonnaimonjeanetm’endébarrassaimaladroitementenpositioncouchée.Manattemegênait, espèce d’arête rigide qui aurait jailli de mon crâne. Me mettant sur le côté, j’enarrachail’élastiqueetpassairapidementmesdoigtsdansmescheveux.Puisjeremisl’oreillersur mes yeux. Mes efforts n’avaient servi à rien, bien sûr. Mon subconscient avait faitresurgir avec une netteté effarante les images que je m’étais désespérément appliquée àchasser.J’étaisbienforcéedelesaffronter,àprésent.

Jem’assis, tropvite, et la têteme tournaun instant.Chaquechoseen son temps,medis-je, trop heureuse de retarder l’inévitable. J’attrapai ma trousse de toilette.Malheureusement, la douche fut plus courte que je ne l’eusse souhaité. Même enm’octroyantleluxedeséchermescheveux,jen’eusbientôtplusderaisonderesterdanslasalledebains.Enveloppéedansuneserviette, je retraversai lecouloir jusqu’àmachambre.Impossible de savoir si Charlie dormait encore ou s’il était déjà parti. Je regardai par lafenêtre–lavoituredepatrouilleavaitdisparu.Encoreunejournéedepêche.

J’enfilai mon survêtement le plus confortable, fis mon lit – une première. J’allumaiensuitemonvieilordinateur.Jedétestaisutiliserl’Internetici.Monmodemétaittristementdépassé,monforfaitdemauvaisequalité;seconnecterprenaitsilongtempsquejedécidaidem’offrirunboldecéréalesenattendant.

Jemangeailentement,mâchantchaquemorceauavecsoin.Quandj’eusfini,jelavaimavaisselle, laséchaiet larangeai.C’estentraînantdespiedsquejeremontai lesmarches.Jecommençaiparallerramassermon lecteurCDet lereplaçaisoigneusementaucentrede latable de nuit. Je retirai les écouteurs et les remis dans le tiroir de mon bureau. Puis jerelançailemêmedisque,baissantlesonpourn’avoirplusqu’unemusiquedefond.

Avec un nouveau soupir, je m’approchai de l’ordinateur. Naturellement, l’écran étaitcouvert de pubs. M’asseyant sur l’inconfortable chaise pliante, j’entrepris de fermer lesfenêtresjusqu’àceque,enfin,j’arriveàmonmoteurderecherchefavori.Aprèsavoirliquidéencoreuneoudeuxréclamesintempestives,jetapaiunmot,unseul.

Vampire.Comme de bien entendu, la recherche se fit avec une lenteur exaspérante. Quand le

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résultats’affichaenfin,j’avaisunsacrétriàeffectuerentrelesfilms,lesshowstélévisés,lesjeux de rôle, le rock underground et les entreprises de cosmétiques gothiques. Je dénichaisoudainunsiteprometteur–VampiresdeAàZ.J’attendisimpatiemmentqu’ilsetélécharge,fermant impitoyablement toute pubqui avait lemalheur de surgir à l’improviste.Enfin, lesites’afficha,fondd’écrantoutsimple,blanc,avecuntexterédigéennoir–trèsacadémique.Deuxcitationsagrémentaientlapaged’accueil:

Dans lemondevasteet ténébreuxdes fantômesetdémons,aucunecréaturen’estplus

abominable,plusredoutée,plusdétestée–avecunefascinationmêléedecraintepourtant–quecelleduvampire,quin’estni fantômenidémonmais relèvedes forces sombresde lanature et possède les qualités mystérieuses et terribles des deux. Révérend MontagueSummers.

S’il y a en cemonde une existence avérée, c’est celle des vampires. Rien nemanque :

rapports officiels, déclarations sous serments de gens de bonne réputation, chirurgiens,prêtres,magistrats;lapreuvejudiciaireestpluscomplexe.Etmalgrétoutcela,quicroitauxvampires?Rousseau.

Lerestedusiteétaitunelistealphabétiquedesdifférentsmythesvampiriquesàtravers

lemonde.Lepremiersurlequeljecliquai,leDanag,parlaitd’unecréaturephilippinecenséeavoir importé le taro dans l’archipel il y avait fort longtemps. La légende soutenait que leDanag l’avait cultivé avec les humains pendant des années, mais que cette collaborations’étaitachevéelejouroùunefemmes’étaitcoupéledoigtetqu’unDanag,suçantlablessure,avaittantappréciélegoûtdusangqu’ilavaitvidélamalheureusedetoutlesien.

Je parcourus avec soin les différents articles, cherchant des éléments quime fussentfamiliersouqui, dumoins,parussentplausibles.Apparemment, laplupartdeshistoiresdevampiresprivilégiaientdebellesdémoniaquesetdesvictimesenfants;ellesdonnaientaussil’impressiond’êtredesinventionsdestinéesàexpliquerl’importantemortalité infantileetàfournir aux hommes un bon prétexte à leur infidélité. Nombreuses étaient celles quiévoquaient des esprits privés de corps et prévenaient contre les rites mortuaires maleffectués.Peurappelaientlesfilmsquej’avaisvus;ettrèsraresétaientlesvampiresquisepréoccupaientdeboiredusang,exceptél’EstriedesHébreuxetl’UpierdesPolonais.

Seuls trois exemples retinrent réellementmonattention : leVaracolaci deRoumanie,un puissant mort vivant qui pouvait prendre la forme d’un bel humain pâle, le Nélapsislovaque,unêtresifortetrapidequ’ilétaitcapabledemassacrerunvillageaucompletdansl’heuresuivantminuit,etuntroisième,leStregonibenefici.

Ce dernier n’avait droit qu’à une phrase brève : « Stregoni benefici : vampire italienréputépoursabonté,ennemijurédesvampiresdiaboliques.»Cettepetiterubrique,laseule,parmidescentaines,àaffirmerl’existencedebonsvampiresfutunsoulagement.

L’undansl’autrecependant,ilyavaitpeudechosesquicoïncidassentavecleshistoiresdeJacobetmespropresobservations.Jem’étaisfaituncataloguementalaufuretàmesuredemalectureetl’avaisscrupuleusementcomparéàchaquelégende:rapidité,force,beauté,pâleur,yeuxquichangeaientdecouleur;lescritèresdeJacob:buveursdesang,ennemisdesloups-garous, absence de chaleur corporelle, immortalité. Fort rares étaient lesmythes quicontenaientaumoinsundecesparamètres.

J’avaisparailleursunautrepetitproblème,surgidemessouvenirsliésauxraresfilmsd’horreurque j’avais vus, ravivéspar ceque je lisais– les vampiresnepouvaient sortir en

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plein jour, car le soleil les consumait aussitôt. Ils dormaient dans des cercueils toute lajournéeetnesurgissaientqu’àlanuit.

Agacée, j’éteignis l’unité centrale de l’ordinateur, sans même attendre d’avoircorrectementfermélesfichiers.Au-delàdemonirritation,j’étaissubmergéeparl’embarras.Toutcelaétaitidiot.Assisedansmachambre,jecherchaisdesinformationssurlesvampires.Qu’est-cequimeprenait?JerésoluslaquestionenreportantlafautesurlavilledeForks–lapéninsuledétrempéed’Olympicdanssonentierd’ailleurs.

Il fallait que jem’aère,mais les seuls endroits où j’avais envie d’aller se trouvaient àtroisjoursdevoiture.Jemisquandmêmemesbottesetdescendis.J’enfilaimoncoupe-ventsansvérifierletempsetsortisenclaquantlaporte.

Le ciel était couvert, mais il ne pleuvait pas encore. Ignorant ma camionnette, jetraversailacourdeCharlieendiagonalepourgagnerlaforêttouteproche.Jenetardaipasàm’yêtresuffisammentenfoncéepourperdredevuelamaisonetlarouteetn’entendreplusqueleschuintementsdemespiedssurlesolmouilléetlescrissporadiquesdesgeais.

Unsentierenformederubaneffilochésinuaitàtraversbois,sinonjenemeseraispaséloignéeainsi.Jen’avaisaucunsensde l’orientation, j’étais capabledemeperdredansdesendroitslargementmoinshostiles.Lechemins’enfonçaitaucœurdelaforêt,grossomodoendirection de l’est, d’après moi. Il serpentait autour de cyprès d’Alaska, de ciguës, d’ifs etd’érables. Les noms des essences alentour nem’étaient que vaguement familiers, et je nedevaismonmaigre savoirqu’àCharlie,quim’avait autrefoisdésigné les arbresà travers lafenêtredelavoituredepatrouille.Ilyenavaitdestasquejeneconnaissaispas,etd’autresque je n’étais pas certaine d’identifier à cause des parasites verdâtres dont ils étaientcouverts.

Je suivis le chemin tantquema colère contremoi-mêmemepoussa enavant.Quandellecommençaàsecalmer, jeralentis.Desgouttes tombaientde laramure,mais j’ignoraiss’il s’était remisàpleuvoirou si c’étaient là les résidushumidesde laveille conservés trèshaut au-dessus de moi par les feuilles et qui retournaient lentement à la terre. Un arbreeffondré–récemment,cariln’étaitpasentièrementtapissédemousse–s’appuyaitcontreletronc d’un de ses congénères, créant un petit banc abrité à quelques pas du sentier.J’enjambailesfougèresetm’assisprudemmentdessusenveillantàcequemoncoupe-ventfasseécranentrelesiègedétrempéetmesvêtements.Puisj’appuyaimatêteencapuchonnéecontrel’arbrevivant.

Jen’avaispas choisi lebonendroitpourmepromener. J’auraisdûm’endouter,maisavais-jeailleursoùaller?Laforêt,d’unvertsoutenu,ressemblaitbientropàlascènedemonrêvepourm’apporter lapaix.Àprésentque lebruitaqueuxdemespass’était tu, lesilenceétaitassourdissant.Lesoiseauxnechantaientpas,etleclapotisdesgouttess’étaitaccéléré– il pleuvait sûrement au-dessus des branches. Les fougères poussaient plus haut quemoi,maintenant que j’étais assise, et je compris qu’on aurait pu passer devant moi sansm’apercevoir.Ici,aumilieudesarbres, ilétaitbeaucoupplusfaciledecroireauxabsurditésquim’avaient tant embarrassée à lamaison. Rien dans ces bois n’avait changé depuis desmillénaires,et lesmytheset légendesdecentainesdepaysdifférentsparaissaientbienplusvraisemblablesà la lueurdecebrouillardcéladonquedans l’environnementtranchédemachambre.

Jemeforçaiàmeconcentrersur lesdeuxquestionslesplusimportantesauxquelles ilmefallaitrépondre,maisquejenecessaisdefuir.

Pourcommencer,jedevaisdécidersicequeJacobavaitditàproposdesCullenpouvaitêtrevrai.

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Laréponsefusa, instinctive–non.Ilétaitbêteetmorbided’entretenirdes idéesaussiridicules. Mais alors ? Il n’y avait pas d’explication rationnelle au fait que j’étais encorevivante.Unenouvellefois,jelistaimentalementmesobservations:lavitesseetlapuissanceincroyables,lesyeuxpassantdunoiràl’orpourreveniraunoir,l’inhumainebeauté,lapeaupâleetglaciale.Etaussi–détailsquis’étaient lentement inscritsdansmamémoire–cettefaçon qu’ils avaient de ne jamais manger, la grâce dérangeante avec laquelle ils sedéplaçaient. Et la manière qu’il avait de parler, parfois, ses phrases et ses cadences quiauraient mieux correspondu à un personnage de roman du début du XIXe siècle qu’à unlycéen d’aujourd’hui. Il avait séché le cours d’identification de nos groupes sanguins. Iln’avait refusé l’invitation à la mer que lorsqu’il avait appris où nous allions. Il paraissaitdeviner ce que tout le monde autour de lui pensait... sauf moi. Il m’avait confié être unméchant,unêtredangereux...

Sepouvait-ilquelesCullenfussentdesvampires?En tout cas, ils étaient quelque chose. Quelque chose qui dépassait les justifications

rationnelles envisageables était en trainde semettre enplacedevantmesyeux incrédules.Qu’il entrât dans la catégorie des Sang-froid de Jacob oudansmapropre théorie du superhéros,EdwardCullenn’étaitpas...humain.Ilétaitplusqueça.

Alorsoui–peut-être.Jem’entiendraisàcetteréponsepourl’instant.Venaitensuiteladeuxièmequestion,laplusimportante.Sitoutcelaétaitvrai,qu’allais-

jefaire?Si Edward était un vampire – j’avais vraiment dumal à formuler cette hypothèse –,

commentfallait-ilquej’agisse?Impliqueruntiersétaitexclu.J’avaisdéjàdumalàmecroiremoi-même ; lepremieràqui jeparlerais exigeraitmon internement. Ilne semblait yavoirque deux options. Un, suivre son conseil : être intelligente, l’éviter autant que possible.Annuler nos plans, reprendre l’habitude de l’ignorer, pour autant que j’en fusse capable.Imaginerqu’unevitreépaisseetinfranchissablenousséparaitdanslecoursquenousétionsforcésdepartager.Luiordonnerdemelaissertranquille–etlevouloircettefois.

Àcetteseuleperspective,undésespoirbrutaletdouloureuxs’emparademoi.Refusantla souffrance, j’envisageai aussitôt la seconde possibilité : ne pas changer d’attitude. Aprèstout, s’il était une créature... sinistre, il n’avait jusque-là rien tenté pour me blesser. Aucontraire, j’auraisétéaujourd’huiencastréedanslepare-chocsdeTylers’iln’avaitpasréagiaussivite.Tellementvite,quecelatenaitforcémentduréflexe.Maisalors,sisauverdesviesétaitunréflexe,enquoiétait-ilmauvais?

Àforcedepeserlepouretlecontre,jetournaisenrond.Jen’étaissûrequed’unechose,enadmettantquejefussesûredequoiquecefût.LesombreEdwarddemonrêven’avaitétéqu’un reflet dema peur dumonde dévoilé par Jacob, pas d’Edward lui-même. Lorsque leloup-garou s’était jeté en avant, ça n’avait pas été pour lui que j’avais hurlé.Ç’avait été decraintequ’Edwardnefûtblessé,mêmes’ilm’avaitappeléeendévoilantdesdentsaiguisées.J’avaiseupeurpourlui.

Jecomprisquejetenaislàmavraieréponse.Jen’étaispascertained’avoirréellementchoisi.J’étaisdéjàtropimpliquée.Maintenantquejesavais–sijelesavais–nepouvoirrienfaire au sujet demon effrayant secret. Parce que, lorsque je pensais à lui, à sa voix, à sesregardshypnotiques,àlaforcemagnétiquedesapersonnalité,jen’avaisenviederiend’autrequed’êtreaveclui,toutdesuite.Mêmesi...maisnon,jen’arrivaispasàl’envisager.Pasici,pas seule dans la forêt qui s’assombrissait. Pas avec la pluie qui, sous la feuillée,l’obscurcissaitcommeà l’heureducrépuscule,etdont le tambourinementévoquaitdespasfeutrés.Jefrissonnaietquittairapidementmacachette,craignantsoudainquelesentiereût

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disparusouslesgouttes.Il était bien là pourtant, visible et rassurant, qui serpentait hors du labyrinthe vert et

humide.Jel’empruntaiavechâte,macapucheserréeautourdematête,surprisededécouvrirquej’étaisalléeaussiloin,finissantpresqueparcourir.Jecommençaimêmeàmedemandersij’étaisdanslabonnedirectionousiaucontrairejenem’enfonçaispasdanslaforêt.Maisavantd’avoireuletempsdecédercomplètementàlapanique,j’entr’aperçusdesespacesplusouvertsaumilieudesbranchesentrelacées.Puis j’entendisunevoitureet jemeretrouvaiàl’airlibre,devantlapelousedeCharlieetlamaisonaccueillantequimepromettaitchaleuretchaussettessèches.

Ilétaitàpeinemidiquandjerentrai.Jemontaidansmachambreetrevêtisunjeanetun T-shirt, dans la mesure où je ne comptais plus sortir. J’arrivai sans trop demal à meconcentrersurmondevoirdujour,unedissertationsurMacbethàrendrepour lemercredisuivant.J’entreprisderédigerunbrouillongrossier,contente,plussereineque jene l’avaisétédepuis...depuislejeudiaprès-midi,pourêtrehonnête.

Il faut dire que j’avais toujours fonctionné ainsi. Me décider m’était douloureux,représentait l’étapeque je redoutais leplus.Maisune foismeschoixarrêtés, je fonçais,engénéralsoulagéed’êtreparvenueàtrancher.Parfois,cetapaisementétaitteintédedésespoir,comme quand jem’étais résolue à partir pour Forks.N’empêche, c’étaitmieux que demedébattre face aux différentes options qui s’offraient à moi. La décision que je venais deprendreétaitridiculementfacileàaccepter.

Dangereusementfacile.Bref,lajournéefutcalmeetproductive–jeterminaimonboulotavanthuitheuresdu

soir.Charlierevintàlamaisonavecdebellesprises,etjenotaimentalementdedénicherunbonlivredecuisinepouraccommoderlepoissonlorsquej’iraiàSeattle,lasemainesuivante.Les frissons qui secouaientmon épine dorsale quand je pensais à ce voyage n’étaient pasdifférentsdeceuxquej’avaisressentisavantmapromenadeavecJacobBlack.Ilsauraientdûl’être,pourtant ; j’auraisdûavoirpeur, je lesavais.Mais jeneparvenaispasàéprouver lesbonnescraintes.

Cettenuit-là,monsommeilfutsansrêve,tantj’étaisépuiséed’avoirentamémajournéesitôtetd’avoirpasséunesimauvaisenuitlaveille.Pourladeuxièmefoisdepuismonarrivéeà Forks, je me réveillai sous la lumière jaune d’un matin ensoleillé. Je filai à la fenêtre,ébahiedeconstaterqu’iln’yavaitquasimentpasunnuagedansleciel,justequelquespetitesboulesdecotonblancet floconneuxquinepouvaientdécemmentnouspromettredepluie.J’ouvrislescarreaux–jefussurprisedevoirqu’ilsnecoinçaientninegrinçaientalorsqu’onnelesavaitpasbougésdepuisdesannées–etrespirail’airrelativementsec.Ilfaisaitpresquechaud,iln’yavaitpasdevent.Dansmesveines,monsangs’électrifia.

Charlie terminait son petit-déjeuner lorsque je descendis et il remarqua ma bonnehumeurtoutdesuite.

—Bellejournée,lança-t-ilenguisedecommentaire.—Oui,acquiesçai-je,joyeuse.Ilmesourit,etdesridesapparurentaucoindesesyeux.QuandCharliesouriait,ilétait

plus facilede comprendrepourquoimamère s’étaitprécipitéedans sesbrasetunmariageirréfléchi.L’essentieldecequienavait faità l’époqueun jeunehommeromantiques’étaiteffacéavantque jene leconnusse,demêmequ’avaientdisparu lesbouclesdesescheveuxbruns–d’une couleur, sinond’une texture, identique à lamienne–, révélant unpeupluschaqueannéelapeauluisantedesonfront.Maisquandilsouriait,jediscernaisl’hommequis’étaitenfuiavecuneRenéeâgéed’àpeinedeuxansdeplusquemoiaujourd’hui.

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J’engloutisgaiementmonpetit-déjeunerencontemplantlesparticulesdepoussièrequidansaient dans les rayons filtrant par la fenêtre. De loin, Charlie me cria au revoir, et lavoituredepatrouilles’enalla.Devantlaporte,j’hésitai,unemainsurmoncoupe-vent.J’étaistentée de le laisser à lamaison.Avec un soupir, je le posai surmon bras et sortis dans lalumièrelapluséclatantequej’avaisvuedepuisdesmois.

Avecbeaucoupd’huilede coude, je réussis àbaisserpresque en entier les vitresde lacamionnette.Jefusunedespremièresàarriverau lycée;dansmaprécipitationàpartir, jen’avaismême pas regardé l’heure. Jeme garai puisme dirigeai vers l’aire de pique-niquerarementutiliséesituéesurlafaçadesuddelacafétéria.Commelesbancsétaientencoreunpeuhumides,jem’assissurmaveste,biencontentedeluiavoirtrouvéunusage.Mesdevoirsétaientfaits–résultatd’uneviesocialeralentie–maisjevoulaisvérifierquelquesproblèmesde maths. Je m’y attaquai consciencieusement. Cependant, à mi-parcours du premierexercice,jemesurprisàrêvasserenregardantlesoleiljouersurlestroncsrougesdesarbrestout en gribouillant inconsciemment dans lesmarges demon cahier. Au bout de quelquesminutes, jeme rendis compteque j’avaisdessiné cinqpairesd’yeuxquime fixaient. Je leseffaçaiavecmagomme.

—Bella!mehélaquelqu’un.OnauraitditMike.Meretournant,jem’aperçusquelesélèvesavaientcommencéàarriverpendantqueje

meperdaisdansmessonges.ToutlemondeétaitenT-shirt,certainsmêmeenshortbienquela températuren’excédâtpasdix-huitdegrés.Mikesedirigeaitversmoienagitant lamain,vêtud’unlargebermudaetd’unpolorayé.

—Salut,Mike!luirépondis-je.Impossibledenepasmemontrerjoyeuseparcettebellematinée.Ilvints’asseoiràcôté

demoi. Les pointes de ses cheveux prenaient des teintes dorées sous le soleil, un sourireréjouifendaitsonvisage.Ilétaitsicontentdemevoirquejenepusm’empêcherdemesentirflattée.

—Jenel’avaisencorejamaisremarqué,maistescheveuxontdesrefletsroux,dit-ilenprenantentresesdoigtsunedemesmèchesquivoletaitsousl’effetdelabrise.

—Seulementquandilyadusoleil.Ilreplaçalamèchefollederrièremonoreille,jemesentisvaguementgênée.—Chouettejournée,hein?—Commejelesaime.—Qu’est-cequetuasfait,hier?Sontonétaitjusteunpeutroppossessif.—Travailléàmadisserte,surtout.Jeneprécisaipasquejel’avaisterminée–inutiledejouerlespremièresdelaclasse.—Ah,ouais!marmonna-t-ilensefrappantlefront.Elleestpourjeudi,non?—Euh,mercredi,jecrois.—Mercredi?Flûte...Tuaschoisiquelsujet?—»LafaçondontShakespearedessinesespersonnagesfémininsest-ellemisogyne?»Ilmedévisageacommesijevenaisdeluiparlerhébreu.— J’ai bien l’impression que je vais devoir m’y mettre dès ce soir, ronchonna-t-il,

morose.Jecomptaist’inviteràsortir.—Oh.Je fus prise au dépourvu. Pourquoi m’était-il devenu impossible d’avoir une

conversationagréableavecMikesansqu’elletourneàunéchangemaladroit?

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—Tusais,onpourraitallerdînerquelquepart...jebosseraiaprès.Ilm’adressa un sourire plein d’espoir. Bon sang ! Je détestaismettre quelqu’un dans

l’embarras.—Mike...Jenecroispasqueceseraitunetrèsbonneidée.Sonvisages’affaissa.—Pourquoi?MonespritvolaversEdwardetjemedemandaisilesienfaisaitdemême.—Parceque... et si jamais tu répètes ceque je vais tedire, je jureque je t’étranglerai

avecjoie.Àmonavis,ceseraitblessantenversJessica.—Jessica?Ilparutahuri.Visiblement,ilnes’étaitpasattenduàcetteréponse.—Franchement,Mike,tuesaveugle,ouquoi?—Oh!souffla-t-il,stupéfait.Cedontjeprofitaipourmettreuntermeàladiscussion.—Ilestl’heured’allerencours,etjenepeuxpasmepermettred’arriverenretardune

nouvellefois,décrétai-jeenempilantmesaffairesdansmonsac.Nousgagnâmes lentement le bâtiment3.Mike était plongédans sespensées. Jepriai

pourquecesdernières,quellesqu’ellesfussent,leconduisissentdanslabonnedirection.Quand jevisJessica, enmaths, ellebouillonnaitd’énervement.Elle,AngelaetLauren

avaientprévudeserendreenfindejournéeàPortAngelesafind’yacheterleursrobesdebal.Ellem’invitaàlesaccompagner,bienquejen’eussenulbesoind’unetenue.J’hésitai.Ilseraitsympadesortirdelavilleavecdesamies.SaufqueLaurenserait là.Etpuis, jeseraispeut-être occupée, ce soir ?Mais ça, c’était laissermon esprit vagabonder sur la plusmauvaisevoie. Si le soleil expliquait ma bonne humeur, il n’était pas le seul à l’origine de moneuphorie,loindelà.

Bref,jeréservaimaréponse,prétendantqu’ilfallaitd’abordquej’enparleàCharlie.Jessica n’évoqua rien d’autre que le bal quand nous nous rendîmes en espagnol, et

continua sur sa lancée, lorsque nous allâmes à la cantine, comme si rien ne nous avaitinterrompues.Lecourss’étaitterminéaveccinqminutesderetard,etj’étaisbientropexcitéeà laperspectivede l’instantqui allait suivrepourprêter attention à sesbavardages. J’avaisdouloureusementhâtedelevoir,luimaisaussitouslesCullen,histoiredelessoumettreaujugement des soupçonsnouveaux quime tourmentaient. Lorsque je franchis le seuil de lacafète,jeressentislepremierfrissondevraiepeurparcourirmonéchineavantdes’installeraucreuxdemonestomac.Allaient-ilsdevinercequejepensais?Puisunsentimentdifférentm’envahit–Edwarddésirerait-ildéjeunerencoreunefoisavecmoi?

Àmonhabitude,monpremier coupd’œil fut pour leur table.Un élande paniquemesecouaquand jem’aperçusqu’elleétaitvide.Monespoirretombacommeunsoufflé tandisquejefouillaisduregardlerestedelasalle,maisjecontinuaiderêverquej’allailetrouverseul,attendantquejelerejoigne.Endépitdelafoule,jefinisparadmettrequ’iln’yavaitlàaucunetracedelaprésenced’Edwardnidessiens.Lapuissancedemadéceptionmeparalysa.

Je suivis Jessica d’un pas traînant, sans plus prendre la peine de faire semblantd’écouter.

Nous étions suffisamment en retard pour que, à notre table, tout le monde fût déjàinstallé. Je préférai un siège près d’Angela à la chaise vide au côté de Mike. Je notai enpassant qu’il la proposait poliment à Jessica, qui l’accepta avec une joie non dissimulée.Angela me posa quelques questions discrètes sur la dissertation concernant Macbeth,auxquelles je répondis aussinaturellementquepossible tout en sombrantdans l’affliction.

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Elleaussimeproposadevenircesoir-là,etj’acceptai,m’accrochantdésormaisàtoutcequiparviendraitàmedistraire.

Je compris que jem’étais agrippée aux derniers filaments d’espoir quand, entrant encoursdesciencesnat,jevisquesaplaceétaitdéserteetressentisunenouvelledéception.Lerestedelajournées’écoulalentement,morose.Engym,nouseûmesdroitàuneleçonsurlesrèglesdubadmintoncequi,aumoins, signifiaque j’eus le loisirderesterassiseau lieudetituber sur le terrain. Le mieux fut que le prof n’eut pas le temps de terminer, ce quim’accordaitunjourderépitsupplémentaire.Mêmesi,lesurlendemain,onm’armeraitd’uneraquetteavantdemelâcheraveclerestedelaclasse.

Je fus heureuse de quitter le lycée pour pouvoir ronger mon frein et broyer du noiravantderessortiravecJessicaetcompagnie.Maisjevenaisàpeined’entrerchezCharliequeJessicam’appelapourannulernotreprojet.JetâchaideprendreavecsatisfactionlanouvellequeMikel’avaitinvitéeàdînerdehorscesoir-là–j’étaiseffectivementsoulagéequ’ilaitfinipar piger – mais mon enthousiasme me parut faux, même à moi. Elle reporta notreexpéditionaulendemainsoir.

Jemeretrouvaidoncprivéededistractions.Jefismarinerdupoissonpourlerepas.Onlemangeraitavecunesaladeetdupaindelaveille,sibienquelacuisinenem’absorbapasvraiment. Mes devoirs ne me prirent que trente minutes. Je vérifiai mes mails, lus lesmessages demamère, que j’avais négligés, de plus en plus secs au fur et àmesure qu’ilsétaientrécents.Ensoupirant,jerédigeaiunebrèveréponse.

Maman,désolée,j’étaisoccupée.Jesuisalléeauborddelameravecdesamis.J’avaisaussiune

disserteàrédiger.Mesexcusesétaientminables.J’abandonnai.Il fait beau, aujourd’hui. Je sais, moi aussi ça m’épate. Je vais sortir, histoire

d’emmagasinerunmaximumdevitaminesD.Bises,Bella.Jedécidaidetueruneheureavecde la lecturequine fûtpasscolaire.J’avaisemporté

unepetitecollectiondelivresàForks,dontleplususéétaituneanthologiedesécritsdeJaneAusten.C’estcelui-ciquejechoisisavantdemedirigerverslepetitjardincarrédederrière,prenantaupassageunvieuxplaiddansl’armoireàlingesituéesurlepalierdupremierétage.

Unefoisdehors,jepliailacouvertureendeuxetlaposailoindel’ombredispenséeparlesarbres,surl’épaissepelousequiétaittoujoursunpeumouillée,quellequefûtl’ardeurdesrayons du soleil. Je m’allongeai sur le ventre, jambes croisées en l’air, et feuilletai lesdifférents romans du recueil en hésitant sur celui qui m’occuperait le plus l’esprit. Mesœuvrespréférées étaientOrgueil etPréjugés etRaison et Sentiments. J’avais lu le premierrécemment, si bien que je m’attaquai au second, pour me rappeler au bout du troisièmechapitre seulement que le personnage principal se prénommait Edward. Furieuse, je metournai vers Mansfield Park, mais le héros de celui-là s’appelait Edmund, ce qui étaitfranchement trop proche. N’y avait-il donc pas d’autres prénoms disponibles à la fin duXVIIIesiècle?Agacée,jerefermailelivreetroulaisurledos.Remontantmesmanchesaussihautquepossible,jefermailesyeux.Jen’allaispenseràrienqu’àlachaleurdusoleilsurmapeau,m’ordonnai-jesévèrement.Bienquelégère,labriseagitaitdesmèchesautourdemonvisage,quimechatouillaient.Jerepoussaimescheveuxenhautdematêteet lesplaçaien

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éventailsurlacouvertureavantdemeconcentrerdenouveausurlatiédeurquicaressaitmespaupières,mesjoues,monnez,meslèvres,mesavant-bras,moncou,traversaitmachemiselégère...

Je repris conscience au bruit de la voiture de patrouille qui tournait dans l’allée. Jem’assis, hébétée, etm’aperçus que la lumière s’était couchée derrière les arbres, et que jem’étais endormie. Je regardai alentour, un peu perdue, avec le brusque sentiment que jen’étaispasseule.

—Charlie?appelai-je.Mais ilétaitentraindeclaquersaportière,de l’autrecôtéde lamaison.Jebondissur

mes pieds, bêtement nerveuse, rassemblai le plaid à présent humide et mon livre et meprécipitaiàl’intérieurpourmettredel’huileàchauffer–nousmangerionsenretard.Charlieaccrochaitsonarmeetôtaitsesbottesquandj’entrai.

—Désolée,papa,lerepasn’estpasencoreprêt.Jemesuisendormiedehors.J’étouffaiunbâillement.—Ne t’inquiète pas pour ça, répondit-il.De toute façon, je voulais voir où en était le

match.Après dîner, je regardai la télé en compagnie de Charlie, histoire dem’occuper. Il n’y

avait rien qui m’intéressât, mais comme Charlie savait que je n’aimais pas le base-ball, ilzappa sur un feuilleton décérébré qui nous ennuya l’un et l’autre. Il avait toutefois l’airheureuxdepasserdutempsavecmoi.Et,malgrémadéprime,celamefaisaitdubiende lerendreheureux.

—Papa,dis-jependantunecoupuredepublicité,JessicaetAngelavontdemainsoiràPortAngelessechercherunerobepourlebaletellesm’ontdemandédeleurdonneruncoupdemain...çat’embêtesij’yvaisavecelles?

—JessicaStanley?—EtAngelaWeber.Jesoupirai,agacéededevoirluidonnercegenrededétails.—Mais...tun’yvaspas,toi,aubal?hasarda-t-il,étonné.—Non,papa.C’estjustepourlesaideràchoisirleurrobe.Proposerunœilcritique,quoi.Jen’auraisjamaiseubesoind’expliquerçaàunefemme.Ilparutsaisirqu’iln’étaitpas

sursonterrainquandils’agissaitdesortiesentrefilles.—Danscecas,d’accord.C’estquandmêmeunsoirdesemaine.—Onpartira juste après les cours, comme ça je serai rentrée tôt.Tu tedébrouilleras,

pourledîner?—Bella, jemesuisnourripendantdix-septansavantquetuneviennest’installer,me

rappela-t-il.— Et je ne sais pas comment tu as survécu, grommelai-je avant d’ajouter plus

distinctement:Jetelaisseraidequoitepréparerdessandwichsdanslefrigo,d’accord?Surl’étagèreduhaut.

Le lendemainmatin, le temps était de nouveau radieux. Jem’éveillai avec un espoir

ravivéettentaiaussitôtdel’étouffer.Enl’honneurdelachaleur,jem’habillaid’uncorsageàcolenVbleumarine–quelquechosequej’auraisportéenpleinhiver,àPhœnix.

Jem’étais débrouillée pour arriver au lycée de façon à avoir juste le temps d’aller enclasse.Lecœur lourd, je fis le tourduparkingpourdénicheruneplacetoutenscrutant lesalentoursàlarecherchedelaVolvoargentéequi,clairement,n’étaitpaslà.Jemegaraitoutaufondetparvinsencoursd’anglais,essouffléemaiscalme,avantladernièresonnerie.

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Commelaveille,desbourgeonsd’espérancefleurirentmalgrémoidansmatête,quejedusréduireencharpie,opérationdouloureuse,quandj’inspectaienvainlacantineetm’assis,seule,àmapaillasse.

Le plan Port Angeles réactivé pour ce soir-là était d’autant plus attrayant que Laurenavaitd’autresobligations.J’avaishâtedequitterlaville,histoiredecesserdejeterdescoupsd’œil anxieux derrièremon épaule en priant pour qu’il surgisse de nulle part comme il lefaisaittoujours.Jemepromisd’êtredebonnehumeuretdenepasgâcherleplaisird’Angelaet de Jessica dans leur chasse à la robe idéale. Je pourrais sans doute en profiter pourm’acheter quelques vêtements aussi. Je refusais de croire que j’allais me retrouver touteseuleceweek-endàSeattle,unprojetquinemetentaitplusdutout.Iln’étaitquandmêmepasdugenreàannulersansmeprévenir?

Après les cours,Jessicamesuivitdans savieilleMercuryblanche jusquechezCharlieafin que j’y laissemes affaires scolaires etma camionnette.À l’intérieur, jemedonnai unrapidecoupdebrosse,excitéeàl’idéedesortirenfindeForks.JelaissaiàCharlieunmotluiré-expliquantoùtrouversondîner,échangeai leportefeuilleusédemoncartablecontreunporte-monnaieque j’utilisais rarement et courus rejoindreJessica.NouspassâmesprendreAngelachezelle.Elleétaitprête,etmonénervementgranditselonunecourbeexponentielledèsquenousquittâmesvraimentleslimitesdelaville.

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8

PORTANGELES

Jessconduisantplusviteque leChef,nousfûmesàPortAngelesavantquatreheures.

Cela faisait un moment que je n’étais pas sortie entre filles, et l’atmosphère saturéed’œstrogènes était revigorante. Nous écoutâmes du rock larmoyant tandis que Jessicajacassaitsurlesgarçonsdenotregroupe.SondîneravecMikes’étaittrèsbiendéroulé,etelleespérait franchir l’étape du premier baiser le samedi soir. Je dissimulai un sourire.Angelaétait contente d’aller au bal, sans plus. Éric ne l’intéressait pas vraiment. Jess tenta de laconfesser sur son type d’homme,mais je détournai vite la conversation sur les robes, parsolidaritéavecAngela.Celle-cimeremerciad’uncoupd’œil.

PortAngelesestunjolipetitpiègeàtouristes,bienpluscoquetetpittoresquequeForks.Habituéesdeslieux,mescompagnesn’avaientpasl’intentiondeperdreleurtempsàarpenterlaravissantepromenadeenboisquilongeaitlabaie.Jessmitdirectementlecapsurl’undesgrandsmagasinsducentre,àquelquesruesdel’avenantborddemer.

Unesimple«tenuecorrecte»étaitexigéepourlasoirée,cequinouslaissaitperplexes.TantJessicaqu’Angelaparurentsurprises,etpresqueincrédules, lorsqueje leurrévélaiquejen’avaisjamaismislespiedsdanscegenrederaout,àPhœnix.

— Ne me dis pas que tu ne sortais avec personne ! s’exclama Jess, dubitative, aumomentoùnousfranchissionslesportesdumagasin.

— Crois-moi, j’étais souvent confinée à la maison, tentai-je de la persuader, peudésireusedeluiavouermesrapportsconflictuelsavecladanse.Jen’aijamaiseudepetitaminiriend’approchant.

—Pourquoi?—Jen’intéressaispaslesgarçons.—Alors,cen’estpascommeicioùtuenesàleséconduire,riposta-t-elle,sceptique.Nousarpentionslesrayonsàlarecherchedesvêtementshabillés.—SaufTyler,corrigeaAngelad’unevoixdouce.—Pardon?hoquetai-je.— Tyler raconte à qui veut l’entendre qu’il sera ton cavalier au bal de fin d’année,

m’appritJessicaenmejaugeantd’unairsuspicieux.—Quoi?Jecrusquej’allaism’étrangler.—Jet’avaisbienditquec’étaientdesmensonges,murmuraAngelaàJessica.Je n’insistai pas, même si mon étonnement céda bientôt la place à l’irritation. Nous

venionsdetrouverleprésentoirdesrobesetnousavionsdupainsurlaplanche.—C’estpour çaqueLaurenne t’aimepas, rigola Jessica tandisquenouspalpions les

tissus.—Penses-tuquesi je l’écrasaisavecmacamionnetteilarrêteraitdesesentircoupable

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del’accident?demandai-je,lesdentsserrées.Qu’ilcesseraitenfindechercherdesfaçonsdes’excuser?

—Peut-être.Sic’estvraimentlaraisonpourlaquelleilagitainsi.Malgré le choixplutôt restreint, les fillesdénichèrentquelquesmodèles à essayer.En

lesattendant,jem’assissurunechaisebasse,àcôtédutriplemiroirenpied,etruminaimarage.Jesshésitaitentreunelonguerobenoireclassiquesansbretellesetunebleuélectriqueà franges qui arrivait aux genoux. Je l’incitai à choisir cette dernière – autant profiter del’occasionpourenmettrepleinlavue.Angelasedécidapourunepetitechoserosepâledontle drapé mettait en valeur sa silhouette élancée et allumait des reflets de miel dans sescheveux châtain clair. Je me répandis en compliments et les aidai à ranger les tenuesécartées. L’expédition s’était révélée beaucoup plus courte et aisée que bien d’autres dumême ordre que j’avais menées en compagnie de Renée. Comme quoi une offre réduiteprésentedesavantages.

Vint le tour des chaussures et des accessoires. Je me contentai de regarder et decritiquerlesessaisdiversetvariésdeJessetAngela,n’étantpasd’humeuràm’acheterquoiquecesoit,bienqu’unepairedesouliersm’eûtéténécessaire.LeplaisirdecettesoiréeentrefillesavaitétégomméparmonagacementenversTyler,etmamorositéhabituelle,uninstantdétrônée,avaitreprissesdroits.

—Angela?demandai-je,avechésitation,aumomentoùelleenfilaitdesescarpinsroseshautperchées.

Elleétaitravied’avoir,unefoisn’estpascoutume,uncompagnonassezgrandpourluipermettredeporterunsemblantdetalons.Jessicas’étaitéloignéeendirectiondesbijoux,etnousétionsseules.

—Oui?Elletenditlajambe,tournantlachevilleàdroiteetàgauchepourmieuxjugerdel’effet

deschaussures.—Jelesaimebien,dis-jelâchement.—Jecroisquejevaislesprendre,mêmesiellesn’irontavecriend’autrequelarobe.—Vas-y,ellessontsoldées.Souriante, elle referma l’autre boîte, qui contenait des mocassins blanc cassé,

visiblementpluspratiques.Denouveau,jemelançai.—Euh...Angela...Ellelevadesyeuxattentifsversmoi.—Ilesthabituelqueles...Cullen...sèchentautantlelycée?m’enquis-je,têtebasse.Matentativepourparaîtreindifférenteavaitéchouélamentablement.— Oui, répondit-elle doucement, sans me regarder. Au premier rayon de soleil, ils

partentenrandonnée.Mêmeledocteur.Ilsadorentêtredehors.—Ahbon.Ellen’insistapas,neposapaslacentainedequestionsdontJessicam’auraitabreuvéeà

sa place. Je commençais à réellement apprécierAngela. Je laissai tomber le sujet, car Jessrevenait versnousavecuneparureen strassqui s’accorderait aux souliersargentésqu’elleavaitchoisispourlasoirée.

Nousavionsprojetédedînerdansunpetitrestaurantitaliensurlefrontdemer.Commelesemplettesavaientprismoinsdetempsqueprévu,lesfillesdécidèrentderapporterleursaffairesà lavoiturepuisdedescendreàpiedvers labaie.Pourmapart, j’avaisenvied’allerdansunelibrairie.Toutesdeuxproposèrentaussitôtdem’accompagner.Jelesendissuadai:mieuxvalaitm’éviterquandj’étaisentouréedelivres,etjepréféraisêtreseuledanscescas-

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là. Nous convînmes d’un rendez-vous d’ici une heure, et elles partirent vers la voiture endiscutantavecentraintandisquejem’orientaisendirectiondelarueoùJessm’avaitassuréquejetrouveraismonbonheur.

Le magasin était bien là ; malheureusement, il était décevant. La devanture étaitencombrée de cristaux, d’attrape-rêves indiens et de livres portant sur la spiritualité. Del’autre côté de la vitrine, une femme d’une cinquantaine d’années aux longs cheveux grisrejetésdansledosetvêtued’unerobedatantdesannéessoixantemesouriait,avenante,dederrièresoncomptoir.Voilàunerencontredontjepouvaismepasser,conclus-je.Jen’entraimêmepas.Ildevaitbienexisterunevraielibrairiedanscetteville.

Je flânai dans les rues de plus en plus encombrées par les voitures de ceux quirentraientdutravail,etmedirigeai–dumoinsjel’espérais–verslefrontdemer.Déprimée,jeneprêtaispasautantd’attentionquej’auraisdûàl’endroitoùmespasm’entraînaient.Jeluttaispournepaspenserà lui,àcequ’Angelam’avaitdit...et,surtout,pourtempérermesespoirsausujetdusamediàvenirafind’éviterunedéceptionencoreplusdouloureuse.Maislorsquej’aperçusuneVolvoargentgaréelelongdutrottoir,tousmeseffortsfurentréduitsànéant.Crétindevampirelâcheur!

Furieuse, je tournai les talons et filai en direction de boutiques qui semblaientprometteuses.Malheureusement,ilnes’agissaitqued’unatelierderéparationetd’unlocalàlouer.IlétaitencoretroptôtpourquejememetteàlarecherchedeJessetAngela;etpuis,auparavant,ilfallaitabsolumentquejemeressaisisse.Jepassaiplusieursfoisdesuitemesdoigtsdansmescheveuxetrespiraiunboncoupavantdebifurquerdansuneautrerue.

Cenefutqu’audeuxièmecarrefourquejemerendiscomptequejem’égarais.Lesrarespiétons allaient tous en sens inverse, et la plupart des bâtiments alentour étaient desentrepôts. Je décidai de tourner à la prochaine intersection, puis une fois encore afin derevenirsurmespasparunautrechemin.

Un groupe de quatre hommes surgit soudain de l’artère vers laquelle jeme dirigeais,habillésdefaçontropdécontractéepourrentrerdubureau,tropnégligéepourdestouristes.Au furetàmesurequ’ils se rapprochaient, je constataiqu’ils étaientàpeineplusâgésquemoi.Ilséchangeaientdesplaisanteriesbruyantes,desriresgras,desbourradesviriles.Jemecollailepluspossiblecôtémurafindeleurlaisserunmaximumdeplaceetaccélérailepasenévitantdelesdévisager.

—Hé,toi!m’apostrophal’und’euxenmecroisant.Il devait s’adresser àmoi, vu qu’il n’y avait personne d’autre. L’instinctme poussa à

poser les yeux sur lui. Deux des gars s’étaient arrêtés, les deux autres ralentissaient.Apparemment, c’était le plus proche, une armoire à glace d’une vingtaine d’années auxcheveux noirs, qui avait parlé. Il portait une chemise de coton sur unT-shirt crasseux, unbermudaenjeanetdessandales.Ilavançaversmoi.

—Bonsoir,marmonnai-jesansréfléchiravantdedétournerrapidement leregardetdefoncer.

Jelesentendiss’esclaffer.—Hé,attends!Sans répondre, je disparus à l’angle de la rue avec un soupir de soulagement. Eux

ricanaientdeplusbelle.Cenouvelitinérairelongeaitl’arrièredeplusieursentrepôtssombreséquipésdevastes

portes de chargement, verrouillées pour l’instant.De l’autre côté, le trottoir était remplacéparuneclôturesurmontéedefildeferbarbeléquiprotégeaitunterrainoùétaientstockéesdes pièces de rechange mécaniques. J’avais largement dépassé les parties de la ville que

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j’avaiseul’intentiondevisiterentouriste.Lanuittombait,etjenotaiquelesnuagesétaientrevenus,obscurcissantl’horizonàl’ouestenuneespècedecoucherdesoleilprécoce.Àl’est,lecielétaitencoreclair,maisilprenaitdesteintesgrisespercéesçàetlàderoseetd’orange.J’avais laissé mon coupe-vent dans la voiture, et un brusque frisson m’obligea à croiserétroitement les bras sur ma poitrine. Une fourgonnette me dépassa, puis je me retrouvaicomplètementseule.

Le ciel se couvrit brusquement. J’inspectai les nuages menaçants par-dessus monépaule et m’aperçus, avec effroi, que deux hommes marchaient sans bruit à quelque dixmètresderrièremoi.Jereconnusdesmembresdugroupequej’avaiscroiséuninstantplustôt,mêmesiaucunn’était lebrunquim’avaitadressé laparole.Medétournantaussitôt, jepressai le pas. Une impression de froid qui ne devait rien au tempsme fit frissonner unenouvelle fois.Je serraismonsacàmain,passéenbandoulièrepar-dessusma tête,histoired’éviterqu’onmel’arrache.Jesavaisexactementoùsetrouvaitmabombeanti-agression–dansmesbagages,sousmonlit,encoreemballée.Jen’avaispasbeaucoupd’argentsurmoi,une vingtaine de dollars. J’envisageai un instant de laisser tomber mon sac« accidentellement » et de me sauver, mais une petite voix apeurée au fond de moi mesusurraquemessuiveursrisquaientd’êtreplusquedesimplesvoleurs.

Jetendis l’oreille,guettant lebruit feutrédeleurprésence,bientropdouxcomparéautapage qu’ils avaient fait précédemment ; ils ne modifiaient pas leur allure, ne serapprochaientpas.Jem’exhortaiàrespirer,merassurai–aprèstout,riennemeprouvaitquejereprésentaisuneciblepoureux.Jecontinuaiàavanceraussivitequepossiblesanspourautantmemettre à courir, visant le carrefour qui se trouvait à une quinzaine demètres àpeine. Apparemment, la distance me séparant des types n’avait pas diminué. Une voiturebleuequitournadanslaruemedépassaàtoutevitesse.Jefaillismejeterdevantelle,maisj’hésitai,gênée,pascertained’êtrevraimentchassée,etratailecoche.

Un simple coup d’œil me révéla que l’intersection que j’avais repérée ne donnait enréalitéquesuruneimpasse–unealléemenantàunénièmeimmeuble.Jem’étaispréparéeàm’yengouffreretdusrectifiermatrajectoireenlatraversantvivementavantderegagnerletrottoir.Larues’achevaitunpeuplusloin,àhauteurd’unpanneaudestop.J’envisageaiuninstant de piquer un sprint. Mais il me sembla que j’avais semé les deux hommes ; parailleurs, je savais qu’ils n’auraient aucun mal à me rattraper. J’étais à peu près sûre detrébucher et de m’étaler si je tentais d’accélérer. Les bruits de pas s’étant définitivementéloignés, maintenant, je risquai un regard derrière moi. Soulagée, je constatai que messuiveurs se trouvaient à une dizaine de mètres ; malheureusement, ils avaient les yeuxbraquéssurmoi.

J’eus l’impressiondemettredesheures à atteindre l’extrémitéde la rue. Je conservaiunealluresoutenue,gagnantunpeuplusde terrainàchaque foulée. Ilss’étaientpeut-êtrerendu compte qu’ils m’avaient effrayée et le regrettaient. Deux voitures qui se dirigeaientverslenordtraversèrentlecarrefour,etjerespiraipluslibrement.Unefoissortiedecetteruedéserte, je tomberais sur une avenue plus fréquentée. Ce fut avec empressement que jetournailecoindel’intersection.

Etm’arrêtaitoutnet.L’artère était bordée de part et d’autre par des murs aveugles. J’aperçus, à quelques

pâtés d’immeubles de là, des réverbères, des autos, des piétons,mais ils étaient beaucouptroploindemoi.Car,appuyésnonchalammentcontreunefaçade,àmi-hauteurdelarue,lesdeuxautresmembresdelabandem’attendaient.Unsourireexcitésedessinasurleurslèvreslorsque je me figeai sur place. Je compris alors que je n’avais pas été suivie. J’avais été

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traquée.Jenem’arrêtaiqu’uneseconde,maisellemeparuttrèslongue.Pivotant,jefilaisurletrottoiropposé,conscientedel’inanitédecettediversion–derrièremoi,lesbruitsdepass’étaienttoutàcouprapprochés.

—Tevoilàdonc!La voix tonitruante de l’armoire à glace réduisit enmiettes le silence de plomb, et je

sursautai.Danslapénombregrandissante,onauraitditquesonregardmetraversaitsansmevoir.

—Ouais!braillauneautrevoixderrièremoi.Unefoisencore,jetressaillisettentaid’accélérerl’allure.—Onajustefaitunpetitdétour!ajoutaundeceuxquim’avaientsuivie.Malheureusement, je ne tardai pas à devoir ralentir. La distance quime séparait des

deux hommes postés dans la rue s’amenuisait trop vite. Je suis capable de pousser deshurlementsstridents.J’avalaidoncunegrandegouléed’air,maismagorgeétaitsisèchequejedoutaideréussiràobtenirlevolumesonoresouhaité.D’unmouvementleste,jerécupéraimonsacdansunemain,serrant labandoulière fermement,prêteà l’abandonnerouàm’enservircommed’unearmesibesoinétait.

Leplus trapudes types sedétachadu trottoiralorsque je ralentissaisprudemmentetdescendaissurlachaussée.

—Fichez-moilapaix!prévins-jed’untonquejevoulaisfermeetassuré.Jenem’étaispastrompée,hélas–jen’émisqu’unglapissement.—Soispascommeça,chérie ! rétorqua l’autre tandisquesescamaradess’esclaffaient

bruyamment.Jambesécartées, jemepréparaià l’affrontement,essayant,malgrémapanique,deme

rappeler lesmaigresnotionsd’autodéfenseque jepossédais.Tranchantde lamain lancéenl’air en espérant réussir à briser le nez ou à l’enfoncer dans le cerveau ; doigts plongés encrochet dans les orbites pour énucléer l’agresseur ; et, bien sûr, le classique coup de piedjudicieusement placé. La petite voix dénuée d’illusions se remit soudain à parler dansmatête,mesignalantquejen’avaissansdouteaucunechancefaceàcegenredetypes,etpuisquatre d’un coup... Je lui intimai de se taire avant que la terreur ne m’anesthésiecomplètement.Jen’avaispasl’intentiond’êtreéjectéedelapartiesansenavoirmisaumoinsunautapis.Jemeforçaiàdéglutirafindepouvoirpousserunhurlementdécent.

Toutà coup,desphares surgirent.Levéhiculemanquade renverser le gars trapu,quidutsautersurletrottoir.Jemeprécipitaiaumilieudelaroute–soitcettevoitures’arrêtait,soitellem’écrasait.Ellem’évitad’unbrusquecoupdevolantavantdestopperendérapantàmoinsd’unmètredemoi,portièreouverte.

—Grimpe!lançaunevoixfuribonde.De façon stupéfiante, mon angoisse s’évapora aussitôt ; tout aussi stupéfiant fut le

sentimentdesécuritéquimesubmergea,avantmêmequejefussemontédansl’auto,justeparcequejel’avaisreconnu.Jesautaisurlesiègeenclaquantlaportière.

L’habitacleétaitsombre–leplafonniernes’étaitpasallumé–et,àlalueurdutableaude bord, je distinguais à peine son visage. Dans un crissement de pneus, il fit demi-tour,accélératropvite,provoquantuneembardéequiobligeamespoursuivantsahurisàs’écarterprestement,etnousfilâmesàtouteallureendirectionduport.

—Attachetaceinture!m’ordonna-t-il.Merendantcomptequej’agrippaismonsiègeàdeuxmains,j’obéis;danslapénombre,

le bruit de la boucle claqua fort. Edward prit un brusque virage à gauche, accéléra encore,grillaplusieurs stops.Pourtant, jen’avaispaspeurdu tout et jeme fichais éperdumentde

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l’endroitoùilm’emmenait.Jel’observai,envahieparunsoulagementdontl’intensitén’étaitpas seulement due à sa venue inopinée et à mon sauvetage. Le temps de retrouver marespiration,j’étudiaisestraitsparfaitsetm’aperçusqu’ilétaitdansunecolèrenoire.

—Çava?croassai-je.—Non,riposta-t-il,fouderage.Jegardai lesilence, subjuguéeparsabeauté, tandisqu’il regardaitdroitdevant lui.La

voitures’arrêtasoudain.Jejetaiuncoupd’œilalentour,maisilfaisaittropsombrepourqueje visse au-delà des silhouettes noires des arbres qui poussaient le long de la route. Nousavionsquittélaville.

—Bella?Lavoixétaittendue,contrôlée.—Oui?Uncouinementdesouris.Jemegrattaidiscrètementlagorge.—Tun’asrien?Safureurrentréeétaitpalpable.—Non.—Distrais-moi,s’ilteplaît.—Pardon?Ilpoussaunbrefsoupir,fermalesyeuxetsepinçal’arêtedunez.—Parle-moi,disn’importequoi,mêmedesbêtises,jusqu’àcequejemecalme.Jemecreusailatête.—Demainavantlescours,j’écraseTylerCrowley.Lecoindesabouchefrémit.—Pourquoi?—Il raconteà tout lemondeque je serai sacavalièreaubalde find’année.Soit il est

marteau,soitilcontinueàessayerdeseracheterpouravoirfaillimetuerquand...bref,tuesaucourant.Visiblement,ilcroitquelebalestlebonmoyenpourça.Ducoup,j’aipenséquesijemettaissavieendangernousserionsàégalité,etqu’ilcesseraitdes’excuser.Jen’aipasbesoind’ennemis,etLaurensecalmerapeut-êtres’ilmefichelapaix.Saufquejevaissansdoute devoir bousiller sa Sentra. Et s’il n’a plus de voiture, il ne pourra accompagnerpersonneaubaldefind’année,et...

Ilinterrompitmonbavardageabsurde.—J’enaientenduparler,admit-il,l’airunpeupluscalme.—Quoi!Bonsang,si j’arriveàleparalyserdelatêteauxpieds, iln’irapasaubalnon

plus.J’envisageaisdéjàdessolutionsplusdrastiques.Edwardouvritenfinlesyeux.—Çavamieux?m’enquis-je.—Cen’estpasterrible.Iln’ajoutarien.Calécontrel’appui-tête,ilfixaleplafond,levisagefigé.—Qu’est-cequ’ilya?chuchotai-je.—Parfois, j’aidumalàcontrôlermeshumeurs,Bella. (Luiaussimurmurait.Lorsqu’il

regardaparlafenêtre,sesyeuxseplissèrentendeuxfentesétroites.)Saufqu’ilneserviraitàrienquejeretournelà-baspourréglerleurcompteàces...(Sansterminersaphrase,ilbaissalatête,s’efforçantdemaîtrisersacolère.)Enfin,poursuivit-il,j’essaiedem’enconvaincre.

—Oh.Réaction plutôt faiblarde,mais rien demieux neme vint. Le silence se réinstalla.Un

coupd’œilàlapenduledebordm’appritqu’ilétaitplusdedix-huitheurestrente.

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—JessicaetAngelavonts’inquiéter,marmonnai-je.J’étaiscenséelesretrouver.Toujoursmuet,ilmitlecontact,effectuaundemi-tourendouceuretfonçaverslaville.

Enunriendetemps,nousretrouvâmeslesréverbères.Ilconduisaittropvite,zigzaguantavecaisanceentrelesvoituresquiarpentaientlentementleborddemer.Ilsegarasanseffortlelongdutrottoirdansunemplacementdontj’auraispourtantjuréqu’ilétaittropcourtpourlaVolvo.J’aperçus lavitrine illuminéedeLaBellaItalia, etmes amiesqui s’éloignaientd’unpasanxieux.

—Commentsavais-tuoù...Jem’interrompis,abasourdie.Desoncôté,ils’apprêtaitàquitterlavoiture.—Oùvas-tu?—Jet’emmènedîner.Il avait souri, mais ses prunelles restaient froides. Il sortit, claqua la portière. Me

débattantavecmaceinturedesécurité,jem’empressaidelerejoindresurletrottoir.—VaprévenirJessicaetAngelaavantquejedoivelessauverellesaussi.Jenesuispas

certainquej’arriveraiàmeretenirsijetombeunenouvellefoissurtespotes.Lamenacevoiléemefitfrémir.Jehélailesfillesenagitantlebras.Ellesseprécipitèrentversmoi.Leursoulagementse

transformaensurprisequandellesvirentquisetenaitàmoncôté,etelleshésitèrent.—Oùétais-tupassée?melançaJessica,soupçonneuse.—Jemesuisperdue,reconnus-je,penaude.Etpuisj’airencontréEdward,ajoutai-jeen

désignantcedernier.—Çavousdérange,sijemejoinsàvous?demanda-t-ilenadoptantsonirrésistibleton

velouté.À l’expressionahuriedemesamies, je comprisqu’iln’avaitencore jamaisdéployéses

talentsdeséducteurdevantelles.—Euh...biensûrquenon,finitparmarmotterJessica.—Enfait,Bella,nousavonsdînéent’attendant,confessaAngela.—C’esttrèsbiencommeça.Jen’aipasfaim.—Jecroisquetudevraismangerunmorceau, intervintEdwardavecautorité.Çavous

ennuiesi jeramèneBellaplustard?Commeça,vousn’aurezpasàattendrequ’elleait finisonrepas.

—Euh...non,réponditJessica.Ellesemordit la lèvre,essayantdedevinersi lapropositiond’Edwardm’agréait.Je lui

adressaiunclind’œil.Jedésiraisplusque toutmeretrouverseuleavecmonangegardien.J’avais d’innombrables questions à lui poser, ce qui serait impossible tant que nous neserionspasentêteàtête.

—D’accord,décidaAngela,plusvivequeJessica.Àdemain,Bella...Edward.Prenantsonamieparlebras,ellel’entraînaversleurvoiture,quiétaitgaréeàquelques

mètresdelà,del’autrecôtédelarue.Quandellesygrimpèrent,Jesssetournaversnousetagita lamain, dévorée par la curiosité. Je lui retournai son geste, attendant qu’elles aientdisparupourfairefaceàEdward.

—Franchement,jen’aipasfaim,insistai-je.Jescrutaisestraitsimpénétrables.—Fais-moiplaisir.Ils’approchadurestaurantetm’entintlaporteouverteavecobstination,mesignifiant

que ladiscussions’arrêtait là.Poussantunsoupir résigné, j’entrai.La salleétait loind’êtrepleine – la saison n’avait pas encore commencé à Port Angeles. La propriétaire accueillit

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Edwardavecdesyeuxgloutons(quoidepluslégitime?)etlesaluapluschaleureusementquenécessaire. La vigueur demon agacementme surprit quelque peu. La femme, plus grandequemoidequelquescentimètres,étaitunefausseblonde.

—Noussommesdeux,lançaEdwardd’unevoixséduisante.Il le faisait exprès ou quoi ? La patronnem’effleura du regard avant de se détourner,

rassérénée parma banalité et la distance prudente quemon compagnonmaintenait entrenous.Ellenousconduisitàunetablepourquatre,làoùlamajoritédesconvivessetenaient.J’allaism’asseoirlorsqueEdwardsecoualatête.

—Vousn’avezriendeplusintime?demanda-t-il.Jen’ensuispascertaine,mais ilmesemblabienqu’ilglissaitdiscrètementunbilletà

notre hôtesse. Sauf dans les vieux films, c’était la première fois que je voyais quelqu’unrefuserunetable.

—Biensûr,acquiesçalapropriétaire,aussiétonnéequemoi.Ellenousemmenade l’autrecôtéd’unparavent,dansunendroitde lapiècediviséen

alcôves,toutesvides.—Çavousva?—Parfait,larassuraEdwardenluidécochantsonsourireéclatant.Uninstantaveuglée,ellebattitdespaupières.—Euh...laserveuseseralàdansuneminute,nousdit-elleavantdes’éloignerd’unpas

chancelant.—Tudevraisarrêterdefaireçaauxgens,reprochai-jeàEdward.Cen’estpasdujeu.—Fairequoi?—Leséblouirainsi.Àl’heurequ’ilest,elleestentraindesuffoquerdanslescuisines.Ileutl’airébahi.—Oh,s’ilteplaît,m’énervai-je.Tuesquandmêmeconscientdel’effetquetuproduis!—J’éblouislesgens,moi?reprit-il,têtepenchéesurlecôté,leregardcurieux.—Tun’aspas remarqué?Tucroisdoncque tout lemondeobtientcequ’ilveutaussi

facilementquetoi?—Est-cequejet’éblouis?demanda-t-ilenignorantmaquestion.—Fréquemment.Àcemoment, laserveusearriva, l’airavide.Visiblement, lapropriétaireavaitcrachéle

morceau dans la coulisse. La fille ne parut pas déçue. Plaquant une courte mèche brunederrièresonoreille,ellesouritavecuneinutileamabilité.

— Bonjour. Je m’appelle Amber, et c’est moi qui m’occuperai de vous ce soir. Quedésirez-vousboire?

Ilnem’échappapasqu’ellenes’adressaitqu’àlui.Ilm’interrogeaduregard.—UnCoca.—Mettez-endeux.—Jerevienstoutdesuite,promit-elleavecunnouveausourire,toutaussiinutile.Saufqu’ilnelevitpas,parcequ’ilmedévisageait.—Quoi?lançai-je,unefoislafillepartie.—Commentvas-tu?medemanda-t-ilsansmequitterdesyeux.—Bien,répondis-je,désarçonnéeparl’intensitédesavoix.—Tunetesenspasétourdie,nauséeuse,glacée...?—Jedevrais?Marepartielefitrire.—Jeguetteleseffetsducontrecoup,reconnut-ilaveccesourireencoinsiparfaitquime

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coupaitlesouffle.— Je ne crois pas qu’il aura lieu, affirmai-je après avoir repris ma respiration. J’ai

toujoursététrèsdouéepourréprimerleschosesdéplaisantes.—Quandbienmême,jeseraiplusàl’aiselorsquetuaurasavaléquelquechose.Commesiellel’avaitentendu,laserveuseapportanosboissonsetunpanierdegressins.

Pasunefoisellenesetournaversmoipendantqu’ellelesinstallaitsurlatable.—Vousavezchoisi?demanda-t-elleàEdward.—Bella?Réticente,lafilledaignaenfins’apercevoirdemaprésence.— Euh... les raviolis aux champignons, dis-je en choisissant le premier plat qui se

présentait.—EtMonsieur?—Rienpourmoi,merci.Évidemment.—Sivouschangezd’avis,n’hésitezpasàm’appeler.CommeEdwards’entêtaitànepaslaregarder,laserveuses’éloigna,frustrée.—Bois!m’ordonna-t-il.Docilement,jesirotaimaboissonavantdel’avalerplusgoulûment;cen’estquelorsque

jel’eusterminéeetqu’ilpoussasonverredansmadirectionquejemerendiscompteàquelpointj’avaissoif.

—Merci,murmurai-je.Lamorsuredusodaglacéenvahitmapoitrine,etjefrissonnai.—Tuasfroid?—C’estleCoca,expliquai-jeenréprimantunsecondtremblement.—Tun’aspasprisdeveste?memorigéna-t-il.—Si.Jejetaiuncoupd’œilsurlachaisevideàcôtédemoi.—Oh,jel’aioubliéedanslavoituredeJessica.Edwardsedébarrassaitdéjàdelasienne.Jem’aperçusquejen’avaispasvraimentprêté

attention à la façondont il était habillé ; pas seulement ce soir, jamais.À croire que je neparvenais pas à détachermes yeux de son visage. Jem’obligeai àme concentrer sur autrechose.Ilôtasavestedecuirbeigeclair(dessous,ilportaitunsweateràcolrouléivoire,çaluiallait bien, soulignant la musculature de son torse) et me la tendit, interrompant monexamen.

—Merci,répétai-jeenl’enfilant.Elleétaitfroide,commemoncoupe-ventlematin,quandjeledécrochaisdelapatèredu

vestibulepleindecourantsd’air.Jefrémisderechef.Sonvêtementavaituneodeurenivrante.J’inhalai,tentantdel’identifier.Ilnes’agissaitpasdeparfum.Lesmanchesétantbeaucouptroplongues,jelesremontai.

—Cettecouleursiedàmerveilleàtonteint,déclara-t-ilenm’observant.Surprise,jepiquaiunfard.Ilposalacorbeilledegressinsdevantmoi.—Jet’assurequejenesuispassouslechoc,protestai-je.—Tudevrais.N’importequelêtrenormalementconstitué le serait.Tun’asmêmepas

l’airébranlée.Il paraissait troublé. Il plongea ses pupilles dans lesmiennes, et je vis combien elles

étaientlumineuses,pluslumineusesquejamais,carameldoré.—Jemesenstrèsensécuritéavectoi,confessai-je,fascinéeparcettefaçonquej’avais

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deluidirelavérité.Ma remarque lui déplut ; son front d’albâtre se plissa, et il secoua la tête, sourcils

froncés.—Celadevientpluscompliquéquejenel’avaisprévu,marmonna-t-ildanssabarbe.Prenant un gressin, je me mis à le mordiller tout en essayant de déchiffrer son

expression.Quandallais-jepouvoircommenceràlequestionner?—D’habitude,tuesdemeilleurehumeurquandtesyeuxsontaussiclairs,lançai-jepour

ledistrairedespenséesquilepréoccupaient.—Pardon?s’exclama-t-il,stupéfait.— Je me suis aperçue que plus tes yeux étaient sombres, plus tu étais maussade.

D’ailleurs,j’aiunethéorieàcesujet.—Encoreune?maugréa-t-il.J’acquiesçaienjouantl’indifférence.—J’espèreque tuseraspluscréative,cette fois.Àmoinsque tune l’aiesempruntéeà

d’autresBD?Sisonlégersourireétaitmoqueur,sesprunellesrestèrentternes.—Non.Maiscen’estpasmoiquil’aitrouvée,admis-je.—Et?Àcetinstant,laserveusesurgitavecmonassiette.Jemerendiscomptequenousnous

étions instinctivementpenchés l’un vers l’autre par-dessus la table, parce quenousdûmesnous redresserquandelle arriva.Elleposa leplatdevantmoi– çaparaissait appétissant–puiss’empressadesetournerversEdward.

—Vousn’avezpaschangéd’avis?Iln’yarienquivoustente?Cefutpeut-êtremoiquiimaginailedoublesensdecesparoles.—Nonmerci,maisunautreCocaseraitlebienvenu,répondit-il.—Pasdeproblème.S’emparantdesverresvides,laserveuses’éloigna.—Alors,cettethéorie?reprit-il.—Jet’enparleraidanslavoiture.Seulementsi...—Desconditions?répliqua-t-ild’unevoixmenaçante,unsourcillevé.—C’estquej’aiquelquesquestions,biensûr.—Biensûr.La fille revintavecdeuxautresboissons.Elle lesposa sur la table, sansprononcerun

motcettefois,puisrepartit.Jebusunegorgée.—Trèsbien.Vas-y!lançaEdward,toujoursaussipeuamène.Jechoisisdecommencerparlepointleplusanodin–dumoins,c’estcequejecroyais.—Quefais-tuàPortAngeles?Il baissa les yeux sur ses grandes mains qu’il croisa lentement. Me regardant par-

dessoussescils,ileutunvaguesourire,puislâcha:—Questionsuivante.—Maisc’estlaplusfacile!—Suivante.Furieuse, je m’emparai de mes couverts et transperçai soigneusement un ravioli.

IgnorantEdward, je leportaiàmaboucheet lemâchonnaipensivement.Leschampignonsétaientdélicieux.J’avalai,busunedeuxièmegorgéedeCoca,puismedécidai.

—Trèsbien,lâchai-jed’unevoixglaciale,admettons,etcen’estqu’unehypothèse,que...quelqu’unsacheliredanslespenséesdesgens...àquelquesexceptionsprès.

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—Àuneexceptionprès,mecorrigea-t-il.Théoriquement.—Àuneexceptionprès.J’étaisraviequ’iljouâtlejeu,maisjem’efforçaidenepaslemontrer.— Comment ça marche ? continuai-je. Quelles sont les limites ? Comment ce...

quelqu’un... parviendrait-il à deviner où une personne se trouve à un moment précis ?Commentsaurait-ilqu’elleadesennuis?

Mesprécautionsoratoiresdevaientvraimentembrouillermondiscours!—Théoriquement?—Oui.—Ehbien,sice...quelqu’un...—Appelons-leJœ.Ileutunsourirefroid.—VapourJoe,accepta-t-il.SiJoeavaitétéplusattentif,letimingn’auraitpasétéaussi

serré.(Ilsecoualatêteetlevalesyeuxauciel.)Iln’yaquetoipourt’attirerdesproblèmesdansuneaussipetiteville.Tuauraisruinéleursstatistiquessurladélinquancepourdixans,tusais.

—Nousparlonsd’uncashypothétique,luirappelai-jesèchement.Cettefois,iléclatad’unrirefranc,etsesiriss’allumèrent.—Eneffet,admit-il.T’appellerons-nousJane?—Commentas-tusu?insistai-je,incapablederéfrénermacuriosité.De nouveau, je m’étais inclinée vers lui. Il sembla hésiter, déchiré par une sorte de

dilemme intérieur. Ses yeux fixèrent les miens, et j’imagine que ce fut à cet instant qu’ilenvisageavraimentl’éventualitédemedirelavérité.

—Tupeuxavoirconfianceenmoi,murmurai-je.Sansréfléchir,jetendislamaineteffleuraisesdoigtscroisés.Illesretiraaussitôt,etje

meressaisis.—Jene suis pas sûr d’avoir encore le choix, avoua-t-il en chuchotant presque. Jeme

suistrompé.Tuesbeaucoupplusobservatricequejenelepensais.—Etmoiquicroyaisquetuavaistoujoursraison.—Avant,oui.J’aicommisunedeuxièmeerreuràtonsujet.Cenesontpaslesaccidents

que tu attires, cette classification est encore trop réduite : ce sont les ennuis. Dès qu’undangersurgitdansunrayondequinzekilomètres,ilestinvariablementpourtoi.

—Ettuteplacestoi-mêmedanscettecatégorie?Sonvisagesefigea,perdanttouteexpression.—Assurément.Derechef,jetendislebras.Ignorantsongestederecul,jecaressaitimidementsamain

duboutdesdoigts.Sapeauétaitfroideetdurecommedelapierre.—Merci,murmurai-je,pleinedegratitude.Celafaitdeuxfois,désormais.—Essayonsd’éviterunetroisièmeoccasion,soupira-t-ilensedétendantunpeu.Vexée,j’acquiesçaiquandmême.Ilrécupérasamainetlamitavecl’autresouslatable,

maisilsepenchaversmoi.—Jet’aisuivieàPortAngeles,reconnut-il,soudaindisert.C’estlapremièrefoisqueje

m’évertueàgarderunepersonneenvie,cequiestbeaucoupplusdifficilequejelesupposais.Sansdouteparcequ’ils’agitdetoi.Lesgensordinaires,eux,ontl’airdetraverserl’existencesanscollectionnerlescatastrophes.

Il s’interrompit. Devais-je m’inquiéter qu’il m’eût suivie ? J’en éprouvais plutôt duplaisir.Ilmedévisagea,sedemandapeut-êtrepourquoijesouriais.

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—As-tu jamais songé que les Parques avaient jugé quemon heure était venue, cettepremièrefois,aveclefourgon,etquetuavaisinfluésurledestin?risquai-je.

—Cen’étaitpaslapremièrefois,souffla-t-ild’unevoixàpeineaudible.Jelecontemplaiavecstupéfaction,maisilavaitbaissélatête.—Lapremièrefois,ç’aétéquandjet’airencontrée,précisa-t-il.Cesmotsdéclenchèrentuneboufféedepeur, etme revint enmémoire la violencedu

regardnoirqu’ilm’avaitadressécejour-là...Cependant,l’immensesentimentdesécuritéquej’éprouvaisensaprésenceétouffamescraintes.Lorsquesespupillesseposèrentdenouveausurmoi,jesusqu’ilnepouvaitdécelerlafrayeurpassagèrequej’avaisressentie.

—Tutesouviens?demanda-t-il,sonvisaged’angeempreintdegravité.—Oui.J’étaissereine.—Etpourtant,tueslà,assiseavecmoi,murmura-t-il,incrédule.—Etpourtant, jesuis là...àcausedetoi.Parcequetuasréussiàmetrouver.J’ignore

toujourscomment,d’ailleurs...Ilserraleslèvres,m’observantcommesi,unefoisdeplus,ilpesaitlepouretlecontre.

Iljetauncoupd’œilàmonassiettepleine,puisrevintsurmoi.—Tumanges,j’explique,proposa-t-il.Jem’empressaidepiquerunautreraviolietdel’engloutir.—Çaaétéplusdifficilequeprévudetesuivreàlatrace.D’habitude,çanemeposepas

autantdeproblèmes.Ilsuffitquej’aiedéjàludansl’espritdelapersonne.Ilmecontemplaavecanxiété,etjem’aperçusquejem’étaisfigée.Jem’obligeaiàavaler

etàcontinuermonrepas.—Jegardail’œilsurJessica,unpeudistraitement,jel’avoue.Commejetel’aidit,seule

toipouvaistefourrerdans lesennuisàPortAngeles.Bref, jen’aipastoutdesuitecomprisquetuétaispartiedetoncôté.Quandjemesuisaperçuquetun’étaisplusavecelle, jet’aicherchéedanslalibrairiequiflottaitdanssatête.J’aitoutdesuitedevinéquetun’yavaispasmislespiedsetquetut’étaisdirigéeverslesud...Jesavaisaussiquetuseraisbientôtobligéede revenir sur tes pas. Donc, je t’ai attendue en scannant au hasard les esprits des gensalentour afin de déceler si quelqu’un t’avait remarquée, ce qui m’aurait renseigné surl’endroit où tu pouvais être. Je n’avais aucune raison de m’inquiéter... Pourtant, j’étaisétrangementanxieux...

Perdudanssespensées,ilmeregardaitcommesij’étaistransparente,voyantdeschosesdontjen’avaispasidée.

— J’ai tourné en voiture dans le quartier, aux aguets. Le jour se couchait et jem’apprêtaisàcontinueràpiedquand...

Il s’interrompit,mâchoires crispéesparunbrusqueélande rage. Ildut faireuneffortpourretrouversoncalme.

—Etensuite?chuchotai-je.Sesyeuxcontinuaientdefixerunpointau-delàdemoi.—J’aiperçucequ’ilspréparaient,gronda-t-il,salèvresupérieurelégèrementretroussée

sursesdents.J’aidistinguétonvisagedansleursesprits.Soudain,ilplongeasatêtedanssoncoude,surlatable,secachantlesyeuxd’unemain.

Sivivementquej’enfussurprise.— Ça a été très dur... tu ne peux pas imaginer à quel point, de me contenter de

t’emporter en les laissant... vivre, avoua-t-il, la voix étouffée par son bras. J’aurais pu terameneràJessicaetAngelaetm’enaller,maisj’avaispeur,unefoisseul,denepasrésisterà

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monenviedelespourchasser,avoua-t-ildansunmurmure.Hébétée,silencieuse,incapablederéfléchir,jenebronchaipas.J’avaiscroisémesmains

sur mes genoux et je m’appuyais, faiblarde, au dossier de ma chaise. Lui se dissimulaittoujours,immobile,commesculptédanslemarbreauquelsapeauressemblait.Finalement,illevalatête–sesirisétaientemplisdedoute.

—Onrentre?proposa-t-il.—Quandtuveux.J’étaisravied’avoirencoreuneheuredevoitureensacompagnie,carjen’étaispasprête

àlequitter.Laserveusesurgitcommes’ill’avaitappelée.Àmoinsqu’ellenenousaitguettés.—Touts’estbienpassé?demanda-t-elleàEdward.—Oui,merci.Lanote,s’ilvousplaît.Savoixcalme,plusrauque,reflétant latensiondenotreéchange,parutdésarçonner la

jeunefemme.Illevalesyeuxverselle,attendant.—Oh,oui,biensûr,balbutia-t-elle.Ellesortitunportefeuilleencuirdelapochedesontablieretleluitendit.Ilavaitdéjà

unbilletàlamain.Illeglissadansleportefeuilleetluirenditcedernier.—Gardezlamonnaie,lança-t-ilensouriant.Ilselevasouplement,etjesuivislemouvement,maladroite.—Bonnesoirée!luiditlaserveuseavecunemoueaguicheuse.Illaremerciasansmêmelaregarder.Jeretinsunsourire.Ilm’escortajusqu’àlasortie,

se tenant tout près de moi mais veillant à ne pas me toucher. Je me souvins de JessicaévoquantsarelationavecMike, le faitqu’ilsenétaientpresqueà l’étapedupremierbaiser.Edward dut percevoir quelque chose, car il me dévisagea avec curiosité. Je me détournai,ravie qu’il ne sût pas lire dansmes pensées. Ilm’ouvrit la portière, la tint pendant que jem’installais et la referma doucement derrièremoi. Je l’observai faire le tour de la voiture,impressionnéeunefoisdeplusparlagrâcedesesmouvements.J’auraissansdoutedûm’yêtrehabituée,depuis,maiscen’étaitpaslecas.Àmonavis,Edwardnefaisaitpaspartiedecespersonnesauxquellesons’habitue.

Ilmitlecontactettournalechauffageaumaximum.Unfroidintenseétaittombé,etjedevinai que c’en était fini denos belles journées.Mais la veste d’Edwardme tenait chaud.J’enhumais l’odeurquand jepensaisqu’ilnemeregardaitpas.Sansmêmevérifierdans lerétroviseur,ils’inséradanslacirculationpuiseffectuaundemi-tourpourregagnerlaquatrevoies.

—Etmaintenant,déclara-t-ild’untonlourddesens,àtontour.

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9

THÉORIE

—Tum’autorisesunedernièrepetitequestion?quémandai-je.Edward roulait bien trop vite et de manière bien trop décontractée le long des rues

silencieuses.—Uneseulealors,soupira-t-il,l’airsoucieuxetleslèvrespincées.—Commentas-tudevinéquejen’étaispasentréedanslalibrairiemaisquej’étaispartie

verslesud?Délibérément,ildétournalatête.—Jecroyaisquenousétionsd’accordpourêtrefrancs,objectai-je.—Tul’aurasvoulu,bougonna-t-ilavecunsourireréticent.Jet’aiflairée.Ilseconcentrasurlepare-brise,melaissantletempsdemeressaisir.J’avaisbeauêtre

pantoise,jestockaicetteinformationdansuncoindemoncerveauafind’yréfléchirplustardet poursuivis mes investigations – s’il daignait enfin s’expliquer, j’avais l’intention d’enprofiter.

—Tun’astoujourspasréponduàmapremièrequestion,luirappelai-je,impitoyable.—Laquelle?gronda-t-il.— Comment tu arrives à lire dans les pensées des autres. Ça marche avec tout le

monde?N’importeoù?Tut’yprendsdequellefaçon?Est-cequetesfrèresetsœurs...Jemesentaisunpeubêted’exigerdesexplicationsrationnellesàceschimères.—Çafaitbeaucoupdequestions,toutça.Croisantlesdoigts,j’attendisenlecouvantdesyeux.—Non. Je suis le seul.Çane réussit pas toujours, et jedois être assezprèsdes gens.

Plus la « voix »m’est familière, plus je la capte de loin.Mais dans un rayon de quelqueskilomètresseulement.(Pauseméditative.)C’estunpeucommesituétaisdansungrandhallbondéoùtout lemondeparleraitenmêmetemps.Jeneperçoisqu’unbourdonnement,unbrouhaha,jusqu’àcequejemefocalisesurunevoix.Alors,cequepenselapersonnedevientclair.Engénéral, j’évite l’exercice, parcequ’il est assezperturbant.Etpuis, il est tellementplus facile de paraître... normal (froncement de sourcils) en répondant aux paroles dequelqu’unplutôtqu’àsesréflexions.

—Àtonavis,pourquoiest-cequetunem’entendspas,moi?—Jen’ensaisrien,avoua-t-ilenmelançantunregardénigmatique.J’imaginequeton

espritne fonctionnepasde lamêmemanièrequeceluidesautres.Disonsquetuémettraissurondescourtesalorsquejeseraisbranchésurlesgrandes.

Cettecomparaisonlefitsourire.Jem’insurgeai.—Monespritestdétraqué,c’estça?Jesuisdingue?J’étaisplusembêtéequederaison,sansdouteparcequ’ilavaittouchéunpointsensible.

J’avaistoujourssoupçonnémadifférence,etj’étaisgênéequ’illaconfirmât.

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—C’estmoiquidécryptelescerveauxdesautres,etc’esttoiquitecroisfolle!s’esclaffaEdward.Net’inquiètepas,ils’agitjusted’unethéorie...Cequinousramèneàtoi,ajouta-t-ilensefermantsoudain.

Jepoussaiunsoupir.Paroùcommencer?—Franchise,franchise,chantonna-t-il.Jem’arrachaiàlacontemplationdesonvisageafindetrouvermesmots.C’estalorsque

jeremarquailecompteurdevitesse.—Nomd’unchien!hurlai-je.Moinsvite!—Qu’ya-t-il?Ilavaitsursauté,sanspourautantleverlepied.—Turoulesàcentsoixantekilomètresheure!Affolée, je jetaiun coupd’œildehors,mais il faisait trop sombrepour y voir. Seule la

clarté bleuâtre des phares illuminait la route. La forêt qui s’élevait de part et d’autreressemblait à deux murs aveugles, deux murs sur lesquels nous irions nous fracasser siEdwardperdaitlecontrôleduvéhiculeàcettevitesse.

—Ducalme,Bella!—Tuveuxnotremortouquoi?—Pasdepanique!—Tuasuneurgence?—J’aimebienconduirevite,rigola-t-ilenmeservantsonsourireencoin.—Regardeoùtuvas!—Jen’aijamaiseud’accident,Bella.Nid’amende.J’aiunradarintégré,pouffa-t-ilense

tapantlefront.—Trèsdrôle.Charlieestflic,jetesignale.Onm’aapprisàrespecterleslois.Jesaisbien

quesijamaistuenroulaistaVolvoautourd’unarbre,tut’ensortiraissansuneégratignure...—Maispastoi,admit-il.C’est avec soulagement que je vis l’aiguille du compteur retomber peu à peu à cent

trente.—Contente?maugréa-t-il.—Presque.—Jedétesteroulerlentement.—Parcequetutrouvesçalent?—J’enaiassezdetescommentaires!aboya-t-il.Raconte-moitathéorie,plutôt.Je me mordis les lèvres, hésitante. Il me regarda. Ses pupilles couleur miel étaient

étonnammenttendres.—Jeneriraipas,promit-il.—J’aipluspeurdetacolère.—C’estsidélirantqueça?—Pasmal,oui.Ilattendit.Jememisàdétaillermesmainsafindenepaslevoir.—Vas-y,insista-t-il,serein.—Jenesaispastropparquoicommencer.—Parledébut...Tum’asditquetun’avaispasinventétathéorietouteseule.—Non.—Qu’est-cequit’amissurcettevoie?Unlivre?Unfilm?—Non.Ça s’est passé samedi, au bordde lamer. (Un coupd’œil dans sa direction, il

semblait surpris.) Je suis tombé sur un vieil ami de la famille. Jacob Black. Son père et

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Charlie se connaissent depuis que je suis petite. (Edward était toujours aussi perdu.) SonpèreestundesAnciensdelatribudesQuileute.(Ilsefigea.)Nousnoussommespromenés(inutiledesignalerque j’avaispréparémoncoup),et ilm’aracontéquelques-unesde leursvieilleslégendes,histoiredemefairepeur.L’uned’elles...portaitsurlesvampires.

Jem’aperçusquejechuchotais.Jevissesjointuresblanchirautourduvolant.—Ettuasaussitôtsongéàmoi?répondit-ild’unevoixpourtantcalme.—Non.C’estluiqui...amentionnétafamille.Ilnerelevapas,concentrésurlaroute.Toutàcoup,jem’inquiétaipourJacob.— Il estime que ce sont des superstitions idiotes, m’empressai-je de préciser.

Apparemment, il n’escomptait pas que je les prendrais au sérieux. (Hum, un peu faiblard.J’allaisêtreforcéed’avouer.)C’estmafaute,enfait.Jel’aiamenéàm’enparler,exprès.

—Pourquoi?—Laurenafaituneallusionàtoi.Pourmeprovoquer.EtunIndienplusâgéarétorqué

quetafamillenemettaitpaslespiedsdanslaréserve.Saphraseparaissaitêtreàdoublesens,alorsj’airéussiàisolerJacobetjel’aimanipulé.

Jen’étaispastrèsfièredemoi.—Commentt’yes-tuprise?—Jel’aidragué.Enfin,j’aiessayé.Çaafonctionnéau-delàdemesespérances,d’ailleurs.Cedontjenerevenaistoujourspas.—J’auraisvouluvoirça,ricanaEdward,acide.Et tuosesm’accuserd’éblouir lesgens.

PauvreJacobBlack!Jepiquaiunfardetmetortillaisurmonsiège.—Etensuite?—J’aifaitdesrecherchessurl’Internet.—Etçat’aconvaincue?L’air à peine intéressé, ce que démentaient ses mains toujours aussi crispées sur le

volant.—Non.Riennecorrespond.Laplupartdecequej’aitrouvéétaitstupide.Etaprès...—Quoi?—J’aidécidéqueçan’avaitpasd’importance.—Pardon?Sonincrédulitémefitleverlatête.J’étaisparvenueàbrisersonflegmesoigneusement

étudié.Ilavaitl’airunpeufurieuxaussi,commejel’avaiscraint.—Non,murmurai-je.Cequetuesn’apasd’importance.—Quejesoisunmonstreinhumainteseraitégal?Savoixavaitprisdesaccentsmoqueursetcruels.—Oui.Ilgarda lesilence.Denouveau, il regardaitdroitdevant lui.Ses traitsétaient froidset

tristes.—Tuesencolère,soupirai-je.J’auraismieuxfaitdemetaire.—Non,objecta-t-ild’untonaussidurquesonvisage.Jepréfèreconnaîtretonopinion,

mêmesiellememetenrogne.—Jemeseraisdonctrompéeunefoisdeplus?—Cen’estpasça,fulmina-t-il.C’esttonattitudesidésinvolte.—Alors,j’airaison?hoquetai-je.—Parcequeçaauraitdel’importance,hein?—Pasvraiment,reconnus-jeaprèsavoirrespiréunboncoup.Maisjesuiscurieuse.

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J’euslasatisfactiondeconstaterquemontonrestaitferme.—Curieusedequoi?demanda-t-il,soudainrésigné.—Quelâgeas-tu?Laréponsefusa.—Dix-septans.—Et...depuiscombiendetemps?—Unbonmoment,admit-il,amusé.Jemecontentaidecettedérobadetantj’étaisheureusequ’ilfûthonnêteavecmoi.Ilme

jaugeaprudemment,commes’ilcraignaitquejenefussechoquée.Jeluiadressaiunsourireencourageant,ilgrimaça.

—Nerigolepas,maiscommentsefait-ilquetusortesenpleinjour?repris-je.Ilritquandmême.—C’estunmythe.—Lesoleilquivousréduitencendres?—Mythe.—Vousdormezdansdescercueils?—Mythe...Jenedorspas,ajouta-t-ilaprèsunebrèvehésitation.Jemisuntempsàdigérercettenouvelle.—Pasdutout?—Jamais.Cettefois, ilavaitétéàpeineaudible.Uneexpressionmélancoliquesedessinasurson

visage. Ses yeux dorés plongèrent dans lesmiens, et jeme sentis chavirer.Malgré tout, jeréussisàtenirjusqu’àcequ’ilsedétourne.

—Tuasoubliéleplusimportant,lança-t-il.Denouveau,ilétaittenduetfroid.—Quoi?—Monrégimealimentaire,persifla-t-il.—Oh,ça...—Oui,ça.Tun’aspasenviedesavoirsijeboisdusang?Jetressaillis.—Jacobaditquelquechoseàcepropos.—Etqu’aditJacob?— Que vous ne... chassiez plus les humains. Que ta famille n’était pas censée

représenterundangerparcequ’ellesenourrissaitseulementd’animaux.—Iladitquenousn’étionspasdangereux?— Pas exactement. Juste que vous n’étiez pas censés l’être.Même si les Quileute ne

veulentpasdevoussurleurterritoire,desfoisque...Ilsepenchaenavant,maisjenesussic’étaitpourregarderlarouteounon.—Alors, ilaraison?insistai-jeentâchantdecontrôlermapeur.Vousnechassezplus

leshumains?—LesQuileuteontbonnemémoire,murmura-t-il.Jedécidaideprendreçapouruneconfirmation.—Neteréjouispastropvite,tempéra-t-il.Ilsontraisondegarderleursdistances.Nous

restonsunemenace.—Commentça?—Nousfaisonsdesefforts.D’ordinaire,noussommestrèsdouéspourtoutcequenous

entreprenons. Il arrive cependant que nous commettions des erreurs. Ainsi, quand je

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m’autoriseàresterseulavectoi.—C’estuneerreur?Mesaccentsdetristessemefrappèrent.J’ignores’illesperçutluiaussi.—Uneerreurredoutable,marmonna-t-il.Le silence s’installa. J’observais les phares épouser les courbes de la route. Nous

roulionstropvite.Çaavait l’air irréel,commeunjeuvidéo.J’avaisconsciencequeletempsm’étaitcompté,etj’étaisterroriséeàl’idéedeneplusavoirl’occasiondeconnaîtrecegenrede moments avec lui – confiants, sans murs pour nous séparer. Ses derniers mots lelaissaient supposer, une perspective quim’horrifiait. Il n’était pas question de gaspiller lamoindreminutequ’ilm’étaitaccordédepasserensacompagnie.

—Dis-m’enplus,lesuppliai-jesoudain.Je me moquais de ce qu’il pouvait raconter pourvu que j’entendisse sa voix. Il me

regardabrièvement,surprisparmonchangementdeton.—Queveux-tusavoir?—Pourquoivouschassezlesanimauxplutôtqueleshommes,parexemple.Ladétressequis’étaitemparéedemoines’estompaitpas,etjem’aperçusquej’étaisau

borddeslarmes.Jetentaidecontenirlechagrinquimenaçaitdemesubmerger.—Jeneveuxpasêtreunmonstre,chuchota-t-il.—Pourtant,lesanimauxnesontqu’unpis-aller...—C’estunecomparaisonunpeuhasardeuse,maisdisonsqueceseraitcommevivrede

tofuetde laitdesojapourtoi.Nousnoustraitonsparfoisdevégétariensenguisedepetiteplaisanterie familiale. Notre régime ne comble jamais vraiment notre faim – notre soif,plutôt, même s’il nous donne la force de résister. En général. Il arrive que ce soit dur,cependant.

Cesderniersmotsprononcéssuruntondesplusmenaçants.—C’esttrèsdifficilepourtoi,encemoment?—Oui,admit-ilensoupirant.—Alorsquetun’asmêmepasfaim,affirmai-jeavecconfiance.—Qu’ensais-tu?— Tes yeux. J’ai remarqué que les gens, les hommes surtout, étaient plus bougons

quandilsétaientaffamés.—Trèsobservatrice,hein?semoqua-t-il.Jenerépondisrien,mecontentantd’écouterlesondesonrire,del’apprendreparcœur.—Tuétaispartichasser,ceweek-endavecEmmett?demandai-jequandilsefutcalmé.—Oui.Ilsetutuneseconde,commes’ilhésitaitàm’enconfierplus.— Je n’en avais pas envie, mais c’était nécessaire. Il m’est un peu plus aisé de te

fréquenterquandjen’aipassoif.—Pourquoinevoulais-tupasyaller?—Çamerend...anxieux...d’êtreloindetoi.Sesyeuxétaientdoux,maisleurintensitéliquéfiamesos.—Jeneplaisantaispas, jeudidernier, lorsque jet’aipriéedenepastomberà l’eauou

d’éviterdetefaireécraser.J’avaislatêteailleurstantjem’inquiétaispourtoi.Etaprèscequis’estpassécesoir,jesuissurprisquetusoissortieindemnedecesdeuxjours.Enfin,ajouta-t-ilensecouantlatête,presqueindemne.

—Commentça?—Tesmains.

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Jebaissailesyeuxsurmespaumeségratignées,presqueguériesmaintenant.Rienneluiéchappait.

—Jesuistombée,reconnus-je.—J’aieucette impression.Maisbon,avectoi,çaauraitpuêtrepire.Etçam’atorturé

toutletempsoùj’étaisloindetoi.Cestroisjoursm’ontparuuneéternité.J’aivraimenttapésurlesystèmed’Emmett,avoua-t-il,malheureux.

—Troisjours?Tun’espasrentréaujourd’hui?—Non,dimanche.—Alors,pourquoin’étais-tupasaulycée?J’étaispresquefurieusequesonabsencem’eûttantdéçue.—Tum’asdemandési jecraignaisdesortiraugrand jour,et je t’ai réponduquenon.

Néanmoins,mieuxvautquej’évitelepleinsoleil.Dumoins,enpublic.—Pourquoi?—Jetemontrerai,unjour.Jeméditaicettepromessequelquesinstants.—Tuauraispum’appeler,repris-je.—Iln’yavaitpasderaison,s’étonna-t-il.Jesavaisquetuallaisbien.—Certes,maismoi,j’ignoraisoùtuétais.Je...—Oui?Unefoisencore,sonirrésistiblevoixdevelours.—Jen’aipasaimé.Nepastevoir.Moiaussi,jesuisanxieusequandtun’espaslà.Cetteconfessionm’enflammalesjoues.Commeilneréagissaitpas,jeluijetaiuncoup

d’œiltimide.Ilavaitl’airpeiné.—Ah,ronchonna-t-il,çanevapasdutout.Lesraisonsdesonmécontentementm’échappèrent.—Qu’est-cequ’ilya?—Tunecomprendsdoncpas,Bella?Quejemerendemalheureuxestunechose,mais

je refuse de t’impliquer. Je ne veux plus t’entendre dire pareilles balivernes, ajouta-t-il enreportant ses yeuxangoissés sur la route.C’estmalsain,dangereux. Jepourrais te fairedumal,Bella,ilfautquetuenaiesconscience.

J’euslesentimentqu’ilmelacéraitlecœur.—Jem’enfiche!protestai-je,telleunegamineboudeuse.—Jesuissérieux.—Moiaussi.Jetelerépète,jememoquedecequetues.Ilesttroptard,detoutefaçon.—Tais-toi!Jememordis labouche.Heureusement, ilnesavaitpasàquelpoint ilmeblessait.Je

reportai mon attention sur la route. Nous ne devions plus être très loin, maintenant. Ilconduisaittoujourstropvite.

—Àquoipenses-tu?demanda-t-iltoutàcoup.Jesecouailatête,incapabledeluirépondre.Jesentisqu’ilmeregardait,refusaideme

tournerverslui.—Tupleures?s’exclama-t-il,ébahi.À mon insu, mes larmes avaient débordé. Je passai rapidement ma main sur mes

joues–lestraîtressesétaientbienlà,ellesm’avaientvendue.—Absolumentpas,répliquai-jed’unevoixtremblante.Samainsetenditversmoi,hésitante,avantdesereposerlentementsurlevolant.—Jesuisdésolé.

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Jedevinaiqu’ilnes’excusaitpasseulementpoursesparoles.Unsilencelourds’installadansl’habitacle,qu’ilfinitparrompre.

—Dis-moi...commença-t-ild’untonqu’ilvoulaitléger.—Oui?—Qu’avais-tuentête,cesoir,justeavantquejen’arrive?Jen’aipasbiencompriston

expression.Tun’avaispasl’airtellementeffrayée.Plutôttrèsconcentrée.— Je m’efforçais de me rappeler comment on liquide un agresseur, les techniques

d’autodéfense.Jem’apprêtaisàluienfoncerlenezdanslecerveau.Laseulepenséedutypeauxcheveuxbrunsmeremplitdehaine.—Quoi?Tuvoulaistebattre?s’emporta-t-il.Aulieudet’enfuir?—Jemecasselafiguredèsquej’essayedecourir.—Tun’aspassongéàappelerausecours?—J’allaislefaire.—Tuavaisraison,ronchonna-t-il.Tegarderenvieestunvraidéfilancéaudestin.Je soupirai. Nous avions ralenti, ayant atteint les faubourgs de Forks. Le trajet nous

avaitprismoinsdevingtminutes.—Jetevoisdemain?risquai-je.—Oui, j’ai un devoir à rendre. Je te garde une place à la cantine, ajouta-t-il avec un

sourire.Aussi absurde cela fût-il après nos confessions de ce soir, cette petite promesse

déclenchadespalpitationsdansmapoitrine.NousétionsdevantlamaisondeCharlie.Leslumièresbrillaient,macamionnetteétait

garéeàsaplace,toutétaitparfaitementnormal.J’eusl’impressiondequitterunrêve.Edwardcoupalecontact,maisjenebronchaipas.

—Mejures-tud’êtrelàdemain?—Oui.Jeméditaisaréponsependantuneminute,puisacquiesçai.Jeretiraisaveste,nonsans

enavoirhuméunedernièrefoisl’odeur.—Garde-la,tuenaurasbesoin.Jelaluirendisquandmême.—JeneveuxpasdevoirexpliquerçaàCharlie.—Ah,j’avaisoublié,rigola-t-il.J’hésitai,lamainsurlapoignéedelaportière,tâchantdeprolongercemoment.—Bella?demanda-t-ild’untondifférent,grave.—Oui?—Promets-moiquelquechoseàtontour.—Oui?Ce que je regrettai aussitôt. Et s’il exigeait que je gardemes distances ? C’était là un

engagementquejeseraisincapablederespecter.—Net’aventurepasdanslesboistouteseule.Surprise,jeledévisageai.—Pourquoi?—Disonsquejenesuispaslacréaturelaplusdangereusedesenvirons,expliqua-t-ilen

plissantlesyeux.C’esttout.Je frémis tant il y avait de tristesse contenue dans ces paroles,mais j’étais soulagée.

Voilàuneparolequejen’auraispasàtrahir.—D’accord.

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—Àdemain.Ilpoussaunsoupir,etjecomprisqu’ilsouhaitaitquejem’enaille,àprésent.—Àdemain.J’ouvrismaportièredemauvaisegrâce.—Bella?Jeme retournai. Il se penchait versmoi, sonmagnifique visage d’albâtre à quelques

centimètresdumienseulement.Moncœureutunraté.—Dorsbien.Son haleine m’effleura, m’étourdissant. C’était, en plus concentrée, la même odeur

exquisequecelledesaveste.Jeclignaidespaupières,subjuguée.Ilserecula.Jedusattendreque mon cerveau se remette à fonctionner pour bouger. Alors seulement, je m’extirpaimaladroitementde la voiture. Je fusobligéedem’accrocherà la carrosserie et je crusbienl’entendreréprimerunrire,maislesonétaittropétouffépourquej’ensoiscertaine.

Ilattenditquej’eussetitubéjusqu’àlaported’entréepourdémarrer.JemeretournaietvislaVolvoargentdisparaîtreaucoindelarue.Jemerendiscomptequ’ilfaisaittrèsfroid.Mécaniquement, j’attrapaima clé dansmon sac, déverrouillai la porte et entrai. Du salon,Charliemehéla.

—Bella?—Oui,papa,c’estmoi,répondis-jeenm’approchant.Ilregardaitunmatchdebase-ball.—Tueslàtôt.—Ahbon?—Iln’estpasencorehuitheures.Vousvousêtesbienamusées?—Beaucoup.Jefusprisedevertigequandjemesouvinsdelasoiréeentrefillesquej’avaisprojetéeet

decellequej’avaisfinalementpassée.—JessetAngelaonttrouvéleursrobessansproblème.—Çava?—Jesuisfatiguée,c’esttout.J’aipasmalmarché.—Fileaulit,alors.Charlieparaissaitsoucieux,etjemedemandaiquelletêtej’avais.—Ilfautd’abordquej’appelleJessica.—Tunevienspasdelaquitter?—Si,maisj’aioubliémoncoupe-ventdanssavoiture.Jeveuxjustem’assurerqu’ellene

l’oublierapasdemainmatin.—Laisse-luiquandmêmeletempsderentrerchezelle.—Tuasraison.Jeme dirigeai dans la cuisine etm’affalai sur une chaise, épuisée. J’étais vraiment à

deux doigts de m’évanouir, maintenant. Était-ce le fameux contrecoup ? Soudain, letéléphonesonna,etjesursautai.Jedécrochaivivement.

—Allô?—Bella?—Salut,Jess.J’allaistepasseruncoupdefil,figure-toi.—Tuesbienrentrée?Ellesemblaitsoulagéeet...surprise.— Oui. J’ai laissé mon coupe-vent dans ta voiture. Ça t’embêterait de l’apporter au

lycée?

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—Biensûrquenon.Allez,raconte-moi!—Euh...demain.Enmaths,d’accord?—Oh,tonpèreestdanslesparages?—Oui.—Jecomprends.Onseparledemain.Salut!Sonimpatienceétaitperceptible.—Salut,Jess.Je montai lentement les escaliers, comme alourdie par une espèce de stupeur.

J’effectuaimespréparatifsnocturnessansprêterattentionàmesgestes.Cenefutqu’unefoissousladouche,alorsquel’eaubouillantemebrûlaitlapeau,quejeprisconsciencequej’étaisgelée. Je frissonnai violemment pendant plusieursminutes avant que la vapeur chaudeneréussisse à détendremesmuscles contractés. Je restai sous le jet, trop lasse pour bouger,jusqu’àcequej’aiepresquevidéleballon.

Ensuite, je m’enveloppai étroitement dans une serviette pour retenir un peu de lachaleurdeladoucheetenfilairapidementmonpyjamaavantdemeglissersouslacouette,rouléeenboule,serréedansmesbras.Desimagesincompréhensibless’entrechoquaientdansmonesprit,etj’enécartailaplupart.Aufuretàmesurequejesombraisdansl’inconscience,quelquesvéritésm’apparurentcependant.

J’étaisàpeuprèscertainedetroischoses.Un,Edwardétaitunvampire;deux,unepartde lui – dont j’ignorais la puissance – désirait s’abreuver de mon sang ; et trois, j’étaisfollementetirrévocablementamoureusedelui.

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10

INTERROGATIONS

Aumatin,j’eusbeaucoupdemalàrésisteràlapartiedemoiquiétaitpersuadéequece

qui s’était passé la veille relevait du rêve.La logiquepasplusque le bon sensn’étaientdemoncôté.Jem’accrochaiàcequejen’avaispuinventer–sonodeurparexemple.J’étaissûrequejamaisjen’auraisétécapabledel’imaginer.Dehors,letempsétaitsombreetbrumeux–l’idéal.Iln’auraitpasderaisonsdesécherlelycéeaujourd’hui.Jemisdesvêtementsépaisenmerappelantquejen’avaisplusdecoupe-vent.Preuvesupplémentairequemamémoirenemejouaitpasdetour.

Lorsquejedescendis,Charlieétaitdéjàparti,commed’ordinaire.J’étaisplusenretardquejenel’avaiscru.J’engloutisunebarredecéréalesentroisbouchées,lafispasseravecdulaitquejebusdirectementaucartonetmeprécipitaidansl’allée.Avecunpeudechance,ilnesemettraitpasàpleuvoiravantquej’eussetrouvéJessica.

Lebrouillardétaitinhabituellementdense,dessinantcommedesvolutesdefuméedansl’air.L’humiditéglaciales’accrochaitauxpansdepeaudénudéedemonvisageetdemoncou.J’avais hâte de brancher le chauffage de ma camionnette. On y voyait si peu que je fisquelquespasdansl’alléeavantdedécouvrirqu’unvéhiculeyétaitgaré–unevoiturecouleurargent.Moncœureutunsoubresautpuiscommençadebattreàcoupsredoublés.

Ilsurgitsansquejel’aperçoive,soudainprèsdemoi,metenantlaportièreouverte.—Jet’emmène?Dem’avoirunefoisdepluspriseaudépourvul’amusait.Maisilétaithésitant,comme

s’ilme laissait la possibilité de choisir. J’étais libre de refuser, et unepart de lui l’espéraitsansdoute.Ah!Tiensdonc!

—Oui,merci,répondis-jelepluscalmementpossible.Lorsque jem’installai, je remarquai que sa veste beige était posée sur l’appui-tête du

siègepassager.Laportièreserefermasurmoiet,plusvitequelanaturenelepermettait,ilseretrouvaassisàcôtédemoietdémarra.

—Jet’aiapportélaveste.Jenevoudraispasquetutombesmalade.Sontonrestaitprudent.Jenotaiquelui-mêmen’enportaitpas,justeungiletgrisàcol

en V et manches longues. Le tissumoulait son torse parfaitementmusclé. Ce n’était quegrâceàsonincroyablevisagequejenepassaispasmontempsàreluquersoncorps.

—Jenesuispassifragile,protestai-je.Cequinem’empêchapasd’enfiler le vêtement, curieusedevérifier si l’odeurenétait

aussimerveilleusequedansmonsouvenir.Elleétaitencoreplusenivrante.—Ahbon?murmura-t-il sidoucementque jemedemandai si cetteobjectionm’était

biendestinée.Noustraversâmes lesruesembrumées, tropvite,dansunvagueembarras.Enfin,moi,

j’étaisgênée.Laveilleausoir, tous lesmurs–presque–étaient tombés.Allions-nousêtre

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aussifrancscejour-là?Jen’ensavaisrienet,ducoup,j’étaisinterdite.J’attendaisqu’ilparle.Setournantversmoi,ilmedemanda,ironique:

—Alors,pasdequestions,aujourd’hui?—Mesquestionstedérangent,ripostai-je,soulagée.—Pasautantquetesréactions.Jen’étaispassûrequecefûtlàuneplaisanterie.—Pourquoi?Jeréagismal?—Non, et c’est là leproblème.Tuprends toutde façon tellementdétendue...Cen’est

pasnormal.Çamepousseàm’interrogersurcequetupensesvraiment.—Jenetecachejamaiscequejepense.—Ilt’arrived’éluder.—Pastantqueça.—Assezpourmerendredingue.—Ilestpréférablequetunesachespas.Jeregrettaiaussitôtcesparoles.J’avaisessayéd’étouffer lapeineque jeressentais ; il

merestaitàprierpourqu’ilnel’eûtpasremarquée.Ilneréponditpas,et j’euspeurd’avoirgâché l’ambiance. Lorsque nous entrâmes sur le parking du lycée, son visage ne trahissaitrien.Avecduretard,jeprissoudainconsciencedequelquechosed’inhabituel.

—Oùsonttesfrèresetsœurs?Mêmesij’étaisplusqueravied’êtreseuleensacompagnie.—Ilsontpris lavoituredeRosalie,m’expliqua-t-il enhaussant les épaules touten se

garantprèsd’uneflamboyantedécapotablerougeautoitrelevé.Unpeuostentatoire,non?—Ehbendisdonc!soufflai-je.Avecuntelengin,c’estàsedemanderpourquoiellese

trimballeavectoi?—Parcequ’ilenmetpleinlavue.Nousnousefforçonsdenousfondredanslamasse.—C’estraté!m’esclaffai-jetandisquenoussortionsdelavoiture.J’avaisrattrapémonretard.Laconduiteaberranted’Edwardm’avaitmêmeamenéeau

lycéeenavance.—PourquoiRosaliea-t-elledécidédevenirdefaçonaussiostentatoireaujourd’hui?—Tunet’espasaperçuequej’enfreignaislesrègles?Nous traversions le campus, et il se tenait tout prèsdemoi. J’aurais souhaité réduire

cettedistanceinfimeetletoucher,maisjecraignaisqu’iln’appréciâtguère.—Pourquoiavez-vousdesvoiturespareillessivouscherchezàpasserinaperçus?— C’est un péchémignon, reconnut-il avec un sourire espiègle. Nous aimons tous la

vitesse.—Ça,j’avaiscompris.Jessicam’attendaitsousl’auventdelacafétéria,lesyeuxexorbités.Surlebras,elleavait

moncoupe-vent.—Salut,Jess!Mercid’yavoirsongé.Ellemetenditmonvêtementsansmotdire.—Bonjour,Jessica,saluaEdwardpoliment.Aprèstout,cen’étaitpasvraimentsafautesisavoixétaitaussiirrésistible.Ousesyeux

capablesdevouséblouirainsi.—Euh... salut,balbutiamonamieense focalisantversmoipour tenterderassembler

sesidées.Jetevoisenmaths,ajouta-t-elleavecunregardlourddesens.Jeretinsunsoupir.Quediableallais-jeluiraconter?—C’estça,àplus.

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Elle s’éloigna, non sans nous lancer, par deux fois, des coups d’œil inquisiteurs par-dessussonépaule.

—Qu’est-cequetuvasluidire?murmuraEdward.—Hé!Jecroyaisquetun’arrivaispasàliredansmespensées.— Ce n’est pas le cas, se défendit-il, étonné par cette attaque. Mais je décrypte les

siennes,etjepeuxt’affirmerqu’elleal’intentiondetecuisiner.Gémissant,j’ôtaisavesteetlaluirendispourlaremplacerparmoncoupe-vent.—Alors,répéta-t-il,quevas-tuluidire?—Donne-moidoncuncoupdemain.Qu’attend-elledemoi?— Ce ne serait pas du jeu, objecta-t-il en secouant la tête, un sourire malicieux aux

lèvres.—Parcequerefuserdepartagercequetusais,c’estdujeu?Ilyréfléchittoutenm’accompagnantjusqu’àmonpremiercours.— Elle désire apprendre si nous sortons secrètement ensemble. Et ce que tu ressens

pourmoi.Jedécidaidejouerlesgourdes.—Zut!Commentpourrais-jequalifiernotrerelation?Des gens déambulaient autour de nous, probablement curieux, mais j’étais à peine

conscientedeleurprésence.—Voyons...méditaEdwardenremettantenplaceunedemesmèchesfolles(jefrôlaila

crise cardiaque). J’imagine que tu pourrais répondre par l’affirmative à sa premièrequestion... Si ça ne te dérange pas, naturellement. Ce sera plus facile que toute autreexplication.

—Çanemedérangepasdutout,chuchotai-je.—Quantàladeuxième...ehbien,disonsquejetâcheraidel’écouterpourenconnaîtrela

teneur.Uncoindesabouches’étirapourformercesouriretorduquej’aimaistant.Lesouffle

coupé, jenesusquerétorqueràcettedernièreperfidie.Tournant lestalons, ilmelaissaenplan.

—Onsevoitaudéjeuner,lança-t-ilens’enallant.Troisélèvesquientraientenclasses’arrêtèrentpourmedévisageraveccuriosité.Jeme

dépêchaidegagnermaplace,rougedehonteetderage.Saletricheur!Àcausedelui,j’étaisencoreplusperturbéeparcequej’allaisdevoirdireàJessica.Jem’assisenabattantmonsacsurlebureautantj’étaisirritée.

—Bonjour,Bella!mesaluaMike,àcôtédemoi.Jelevailatête.Ilavaitunairpresquerésignésurlevisage.—Commentc’était,PortAngeles?—Euh...Impossibled’êtrefranche.—...génial,conclus-je,lamentablement.Jessicas’estdénichéunerobeformidable.—Elleaparlédelundisoir?Sonregards’anima,etjefuscontentedutourqueprenaitlaconversation.—Oui.Elleatrouvéçasuper.—Sanscharre?—Juré.M.Masonnousrappelaàl’ordreenramassantnosdissertations.Lescoursd’anglaiset

degéographiepassèrentsansquejem’enaperçusse,tantj’étaisobnubiléeparmadiscussion

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àveniravecJessicaetparl’éventualitéqu’Edwardnousespionnevial’espritdecelle-ci.Toutcomptefait,sonpetittalentserévélaittrèsennuyeuxquandilneservaitpasàmesauverlavie.

Le brouillard s’était presque dissipé à la fin de la deuxième heure de classe,mais lesnuages sombres étaient bas, oppressants, ce qui me ravit – Edward ne disparaîtrait pas àl’improviste.

Bien sûr, ilne s’étaitpas trompé.Lorsque j’arrivai enmaths, Jessicaétait installéeaudernierrang.D’impatience,ellesautillaitpresquesursonsiège.Àcontrecœur,jemedirigeaiverselleentâchantdemeconvaincrequeplusvitejemedébarrassaisdecettecorvée,mieuxceserait.

—Donne-moitouslesdétails!m’ordonna-t-elleavantmêmequejemefusseposée.—Queveux-tusavoir?—Cequ’ils’estpasséhiersoir.—Ilm’ainvitéeàdîner,puisilm’aramenéeàlamaison.Ellemetoisaavecuneraideursceptique.—Commentsefait-ilquetusoisrentréeaussitôtcheztoi?—Ilconduitcommeundingue.J’étaisterrifiée.(Tiens,prendsça,Edward!)—C’étaitunrendez-vous?Tuluiavaisditdenousretrouverlà-bas?Voilàunequestionquejen’avaispasprévue.—Non!J’aiététrèssurprisedelerencontrer.Déçueparmonévidentesincérité,ellefitlamoue.—Maisilestquandmêmepassétecherchercematin,non?— Oui. Mais ça aussi, c’était une surprise. Il avait remarqué que j’avais oublié mon

coupe-vent,hiersoir.—Vouscomptezvousrevoir?— Il a offert de m’accompagner à Seattle samedi. Il estime que ma camionnette ne

tiendrapaslecoup.Est-cequeçacompte?—Oui.—Alors,oui.—Wouah!EdwardCullen!—Jesais,acquiesçai-je.«Wouah»nesuffisaitpasàrendrecomptedecequej’éprouvais.—Attends!repritJessicaenlevantlespaumescommeunflicréglantlacirculation.Est-

cequ’ilt’aembrassée?—Non,reconnus-je.Cen’estpascommeça,entrenous.Elleparutfrustrée.Moiaussi,j’ensuiscertaine.—Ettucroisquesamedi...?—J’endoute,répondis-jeencachantmalmonmécontentement.—Dequoiavez-vousparlé?Jess n’avait pas l’intention de s’arrêter là. Le cours avait commencé,maisM. Varner

étaitdistrait,etnousn’étionspaslesseulesàbavarder.—J’aioublié!Detasdechoses.Deladisserted’anglais,unpeu.Très,trèspeu,àlaréflexion.Ill’avaitjustementionnéeenpassant.—Jet’enprie,Bella!Soisplusprécise.—Euh,d’accord...Tiens,écouteça.Tuauraisvucommentlaserveusel’adragué,c’était

trop.Saufqu’ilnel’amêmepasregardée.

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(Cadeau,Edward!Voyonscequetuferasdecelle-ci.)—C’estbonsigne.Elleétaitjolie?—Très.Etdanslesdix-neuf,vingtans.—Encoremieux.C’estquetul’attires.—Jecrois,maisc’estdifficileàdire.Ilesttellementmystérieux.(Qu’enpenses-tu,Edward?)—Tuesdrôlementcourageused’accepterd’êtreseuleaveclui.—Pourquoi?Saréflexionm’avaitchoquée,cequiluiéchappa.—Ilestsi...intimidant.Jenesauraispasquoiluidire,moi.Serappelantsansdoutesoncomportementdumatinoudelaveille,quandilavaitusé

surelledupouvoirdévastateurdesonregard,ellegrimaça.—J’avouequ’ilm’arrived’êtreincohérenteensaprésence,reconnus-je.—Ilfautadmettrequ’ilesttellementcraquant,soupiraJessica,commesicelasuffisaità

excusercepointfaible.Cequi,selonsescritères,étaitsûrementlecas.—Ilad’autresqualités.—Ahbon?Lesquelles?Jeregrettaidel’avoirlancéesurcesujet.AveccemauditEdwardauxaguets!—Jenesaispas trop...disonsque toutecettebeautécacheunepersonnalitévraiment

extraordinaire.Levampirequi souhaitaitêtrebon,qui sauvaitdesviesafindenepaspasserpourun

monstre...Jemeperdisdanslacontemplationdutableau.—Non!rigolaJess.Jel’ignoraienprétendantécouterM.Varner.—Ilteplaît,hein?Décidément,ellen’étaitpasdugenreàrenoncer.—Oui.—Pourdevrai,non?—Oui,admis-jeenrougissant.Et en croisant les doigts pour que ce détail ne se grave pas dans son cerveau.

Malheureusement,elleétaitinsatiable.—Ilteplaîtcomment?Unpeu,beaucoup,àlafolie?—Trop.Plusquejeneluiplais.Etjenevaispasréussiràchangerça.Nouveaufard.Parbonheur,àcetinstant,M.VarnerinterrogeaJessica.Celle-cin’eutpas

l’occasiondereprendresoninterrogatoirependantlecourset,dèsquelasonnerieretentit,jecontre-attaquaipourladétournerdusujet.

—Enanglais,Mikem’ademandésituavaisparlédevotresoiréedelundi.—Tuplaisantes!s’exclama-t-elle.Qu’est-cequetuasrépondu?Jel’avaisferrée.—Quetuavaisassuréavoirpasserunmomentfabuleux.Ilaparucontent.—Répète-moitoutmotpourmot!Nous consacrâmes l’interclasse à disséquer la phraséologie de Mike et l’essentiel du

coursd’espagnolàanalysersesexpressionsfaciales.Jenem’yseraispasautantcomplusijen’avaiscrainsqu’onnerevîntàmoi.Puislasonnerieannonçalapausedemidi.Jebondissurmespiedsetrassemblaimesaffairesenvrac,cequi,hélas,dutmettre lapuceà l’oreilledeJessica.

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—Tunedéjeunespasavecnous,aujourd’hui,hein?—Jenecroispas,non.Enaucuncas jenepouvaisêtrecertainequ’ilnechoisiraitpasdedisparaîtrede façon

impromptue.Mais,àl’extérieurducours,nonchalammentadosséaumur,ressemblantàunApollon

plus qu’il ne devrait être permis, Edward m’attendait. Jess leva les yeux au ciel avant des’éloigner.

—Àplus,Bella!melança-t-elled’unevoixpleinedesous-entendus.J’allaissûrementêtreobligéededébrancherletéléphone.—Salut!ditEdwardàlafoisamuséetvaguementagacé.Ilnousavaitécoutées,aucundoute!—Salut!Ne trouvant rienàajouteret luineprononçantpasunmot– il guettait sansdoute le

bonmoment–,c’estensilencequenousgagnâmeslacantine.Traverserlacafètebondéeensa compagnie me rappela beaucoup ma rentrée au lycée de Forks – tout le monde nousreluqua.Ilm’entraînadanslaqueue,toujoursaussimutique,bienquesesyeuxnecessassentderevenirsurmoipourmejauger.J’eusl’impressionquesonirritationl’emportaitpeuàpeusursabonnehumeur.JetripotainerveusementlafermetureÉclairdemoncoupe-vent.

Aucomptoir,ilchargeaunplateaudenourriture.—Qu’est-cequetufais?protestai-je.Cen’estpaspourmoi,toutça?—Non,répondit-ilenavançantverslacaisse.Lamoitiém’estdestinée,biensûr.Benvoyons!Il me conduisit aux mêmes places que celles que nous avions occupées la semaine

précédente.Ungroupedeterminalesinstallésàl’autreboutdelalonguetablenousdévisageaavecétonnementquandnousnousassîmesl’unenfacedel’autre,cedontEdwardparutnepasserendrecompte.

—Sers-toi,m’intima-t-ilenpoussantleplateauversmoi.—Jeseraiscurieusedesavoircomment turéagiraissiquelqu’untemettaitaudéfide

manger,répondis-jeenprenantunepommequejefistournerentremesdoigts.—Lacuriositéestunvilaindéfaut,persifla-t-il.Metoisant, ilsesaisitd’unepartdepizzaetenmorditaveccomponctionunebouchée

qu’ilmâcharapidementetavala.Jelecontemplai,ahurie.— Si quelqu’un te mettait au défi de manger de la terre, le ferais-tu ? s’enquit-il,

condescendant.—C’estdéjàarrivé,avouai-jeenplissantlenez.Cen’étaitpassiterrible.—J’auraisdûm’yattendre.Quelquechosederrièremoiavaitattirésonattention.—Jessica examine lemoindredemes gestes,m’annonça-t-il. Elle te détaillera le tout

plustard.À laseulementiondeJess, il s’étaitrenfrogné.Ilmeproposa lerestedepizza.Posant

ma pomme, je m’en emparai avant de détourner les yeux, devinant qu’il s’apprêtait àattaquer.

—Ainsi,laserveuseétaitjolie,hein?lança-t-ilavecdécontraction.—Tunet’enespasaperçu?—Non.J’étaisdistraitparautrechose.—Lapauvre.Jepouvaismepermettred’êtregénéreuse,désormais.

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—UnedeschosesquetuasditesàJessicame...perturbe.Il était inutile que je tente une diversion. Sa voix était voilée, et ilme jeta un regard

troublédesoussescils.—Jenesuispasétonnéequecertainsdétailst’aientdéplu.Çat’apprendraàécouteraux

portes.—Jet’avaisprévenue.—Etmoi, je t’avaisprévenuqu’ilétaitpréférablequetunesachespas toutceque j’ai

danslatête.— Certes, reconnut-il, bougon. Sauf que tu as tort. Je tiens vraiment à connaître tes

pensées, toutes sans exception. C’est juste que... il y a des choses que tu ne devrais paspenser.

—Tucoupeslescheveuxenquatre.—Laissonstomber,cen’estpascequiimportepourlemoment.—Qu’est-cequec’est,alors?Nous étions penchés l’un vers l’autre, à présent. Il avait croisé ses grandes mains

blanchessoussonmenton;unedesmiennesétaitenrouléeautourdemoncou.Jem’obligeaià ne pas oublier que la cantine était noire de monde, et que bien des yeux curieuxs’intéressaientànous.Jen’avaisque trop tendanceàme laisserenfermerdansnotrebulleintimeetpassionnée.

—Tu crois sérieusement être plus attachée àmoi quemoi à toi ?murmura-t-il en serapprochantencoredemoi,l’orsombredesespupillesmetransperçantlecœur.

Jedusmerappelerderespireretdétournerleregardavantdeperdrepied.—Turecommences,marmonnai-je.—Quoi?s’étonna-t-il.—Àm’éblouir.—Oh.Désolé.—Cen’estpastafaute,soupirai-je.Tunepeuxpast’enempêcher.—Bon,turépondsàmaquestion?—Oui.—Ouiturépondsououituestimestenirplusàmoiquel’inverse?s’énerva-t-il.—Oui,jesuisplusattiréepartoiquetunel’esparmoi.Jegardailesyeuxbaisséssurleplastiquelaminéimitationboisdelatableetm’entêtaià

nepasromprelesilencelapremièretoutenrésistantàlatentationdevérifiersaréaction.—Tuastort,finit-ilpardiredoucement.Jerelevailatêtepourplongerdanslatendressequiavaitenvahisesprunelles.—Tun’ensaisrien,chuchotai-jeenessayantdemeressaisir.Parcequesesmotsm’avaientpercélecœuretquej’auraissouhaitépar-dessustoutles

croire.—Qu’est-cequitefaitpenserça?Lestopazes liquidesdesesyeuxétaient inquisitrices,commesiellesavaientvoulu,en

vain,arracherlavéritéàmonesprit.Jeluttaipourgarderlesidéesclairesetm’expliquer.Jevisqu’ils’impatientait,frustréparmonsilence.Ilfronçalessourcils,etjelevaiundoigtpourlecalmer.

—Laisse-moiréfléchir,demandai-je.Il se détendit, satisfait de savoir que j’allais lui répondre. Je croisai les mains et me

concentraidessus.—Disonsque,sansmêmeparlerdecertainssignesévidents,ilmesembleparfois...jene

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suispassûredecequej’avance,jenelispasdanslesespritsdesautres,moi,maisbon,j’ail’impression que, derrière chacune de tes paroles, il y a unmessage caché.Qui est que tuessaiesdecouperlesponts.

Je n’avais pas trouvé mieux pour transcrire le sentiment d’angoisse que ses motsdéclenchaientrégulièrementenmoi.

—Bienvu.(Monangoisseresurgitaussitôt.)Maisc’estexactementlàquetutetrompes.Car...

Soudain,ils’interrompit.—Qu’entends-tupar«signesévidents»?reprit-il.—Ilsuffitdemeregarder,jesuisd’unebanalitéeffarante.Enfin,saufquandils’agitde

passeràcôtédelamortoud’êtresimaladroitequeçafrôlelehandicap.Comparéeàtoi...J’eusungesteévasifendirectiondesastupéfianteperfection.Uneseconde,ilplissale

front,mécontent,puissesyeuxretrouvèrentleursérénitédoubléed’unecertainesuffisance.—Tune te vois pas de façon très claire, tu sais. Je reconnais que tu es irrécupérable

pourcequiestdetefourrerdanslesennuis(ricanementcaustique),maistuesapparemmentrestéehermétiqueauxréactionsdetouslestypesdecelycéelejourdetonarrivée.

—Tumens,murmurai-je,abasourdie.—Fais-moiconfiance,neserait-cequ’unefois.Tuestoutsaufordinaire.L’éclairquitraversasesirislorsqu’ilproféracesmotsprovoquaplusd’embarrasquede

plaisirenmoi,etjemedépêchaideleramenerànosmoutons.—Entoutcas,cen’estpasmoiquichercheàromprelesliens.—Çamedonneraison,justement!serécria-t-il.C’estmoiquitiensleplusàtoi,parce

quesij’arrivaisàm’éloignerdetoi(perspectivequisemblaluiêtredifficile),sipartirétaitlasolution,jeseraisprêtàsouffrirpourt’éviterdesouffrir...demourir.

Jemehérissai.—Necrois-tupasquej’enferaisautantàtaplace?—Tuneserasjamaisàmaplace.Tout à coup, son humeur, toujours imprévisible, changea une fois encore.Un sourire

malicieuxetdévastateursedessinasurseslèvres.—Hélas, te sauver la vie commence à ressembler àuneoccupation à tempspleinqui

exigemaprésencepermanenteàtescôtés.—Personnen’aessayédemetuer,aujourd’hui.J’étaisheureusequ’ilaitoptépourunsujetplusléger.Jenevoulaispasqu’ilcontinueà

parlerdedépart,d’éloignement.S’illefallait,j’imaginequej’auraisétécapabledememettreexprèsendangerpourlegarderprèsdemoi...Jem’empressaid’oubliercetteidéeavantqu’ilneladécryptesurmonvisage,carellemevaudraitàcoupsûrdesérieuxennuis.

—Pasencore.—Certes.J’auraisbienprotesté,maisilmeplaisaitqu’ileûtpeurpourmavie.—J’aiuneautrequestion,m’annonça-t-il.—Jet’écoute.—Tuasvraimentbesoind’alleràSeattleceweek-endouest-ceseulementuneexcuse

pouréconduiretesadmirateurs?—Jetesignalequejenet’aitoujourspaspardonnélecoupdeTyler.C’esttafaute,s’il

s’estconvaincuquejeseraisacavalièreaubaldefind’année.—Oh, il aurait bien trouvé lemoyen de t’inviter sansmon intervention. J’avais juste

envied’observertaréaction.

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Ils’esclaffa.Jemeseraisfâchéesisonriren’avaitpasétéaussifascinant.—Simoi,jet’avaisproposédem’accompagneràlasoirée,m’aurais-tuévincé?s’enquit-

il.— Sans doute pas, avouai-je,mais j’aurais annulé plus tard en prétextant un coup de

froidouunechevilletordue.—Pourquoidonc?— Tu as beau ne m’avoir jamais vue en cours de gym, tu peux deviner tout seul,

soupirai-je.— Est-ce une allusion au fait que tu es incapable de marcher sur une surface

parfaitementplanesanstrébucher?—Eneffet.—Çaneseraitpasunproblème,affirma-t-ilavecassurance.Toutestdanslecavalier.J’allaisobjecter,ilnem’enlaissapasletemps.—Réponds-moi.Es-tudécidéeàterendreàSeattleouaccepterais-tuquenousfassions

autrechose?Dumomentquele«nous»étaitderègle,lerestem’indifférait.—Jesuisouverteàtoutes lespropositions.Néanmoins, jevoudraisquetum’accordes

unefaveur.Commechaquefoisquejeposaisdesconditions,ilfutsursesgardes.—Oui?—Tumelaisserasconduire?—Enquelhonneur?serenfrogna-t-il.— D’abord et surtout parce que, quand j’ai averti Charlie que j’irais à Seattle, il m’a

spécifiquementdemandésij’yallaisseuleetque,àl’époque,j’airéponduouipuisquec’étaitlecas.S’ilmeré-interrogeaitaujourd’hui,jeneluimentiraispas,bienquejen’envisagepascetteéventualité.Laissermacamionnettedevantlamaisonrisquejustederamenerlesujetsurletapis,cequiestinutile.Deuxièmement,taconduitemeterrorise.

Illevalesyeuxauciel,exaspéré.—Parmitoutcequi,enmoi,mériteraitdet’effrayer,laseulechosedonttut’inquiètes,

c’estmamanièredetenirunvolant.Dégoûté,ilsecoualatête,puissonregardretrouvasagravité.—Tutiensàcacheràtonpèrequetupassestajournéeenmacompagnie?Sesintonationscachaientmaluneespècedetensionquejenecomprispas.—AvecCharlie,endireunpeuc’est toujoursendire trop,affirmai-je,catégorique.Où

comptes-tum’emmener,detoutefaçon?—Ilferabeau,doncj’éviteraidememontrerenpublic...Maistoi,tupourraisresteravec

moi,situveux.Derechef,ilmelaissaitlesoindechoisir.—Ettumemontrerasceàquoituasfaitallusion?Àproposdusoleil.J’étaistoutexcitéeàl’idéededécouvrirunautredesessecrets.—Oui,sourit-il.Enmêmetemps,situ...aspeurd’êtreseuleavecmoi,jepréféreraisque

tun’aillespasàSeattlesansescorte.Jetrembleàlaperspectivedesdangersquit’attendentdansunevilledecettetaille.

Legoujat!—Phœnix est trois fois plus vaste que Seattle, rien qu’en nombre d’habitants. Et elle

s’étend...—Sauf que les Parques n’ont visiblement jamais entenduparler dePhœnix. Je serais

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plusrassurésijetegardaisàl’œil.Une fois de plus, ses prunellesme firent le coup bas de la lave incandescente. J’étais

infichued’yrésister,mêmesisondernierargumentétaitdesplusdiscutables.—Tuasdelachance,êtreseuleavectoinemerebutepas.—TudevraisquandmêmeprévenirCharlie.—Pourquoidiable?—Histoiredemedonnerunebonneraisondeteramenervivante!s’emporta-t-il.Jedéglutisfaceàcetéclatdeférocité.Maisuneminutederéflexionmesuffitpourêtre

certainedecequejevoulais.—Jeprendslerisque,déclarai-je.Furieux,ilsoupiraetdétournalatête.—Changeonsdesujet,suggérai-je.—Dequoiveux-tuparler?maugréa-t-il,toujoursaussiagacé.J’inspectai les alentours pourm’assurer que personne ne nous entendait. Par hasard,

mon regard tomba sur sa sœur Alice, qui me dévisageait. Rosalie, Jasper et EmmettscrutaientEdward.Fuyant cet examen, je demandai à ce dernier la première chosequimevintàl’esprit.

—PourquoiavoirchoisilesGoatRocks,ceweek-end?Charlieprétendquecen’estpasunendroitoùrandonneràcausedesours.

Ilmeregardacommesij’étaisdemeurée.—Tuveuxdirequetu...desours!hoquetai-je.Ilricana.—Tudevraissavoirquelasaisonn’estpasencoreouverte,lerudoyai-jepourcacherma

stupéfaction.—Etsituavaislulestextesdeloiavecsoin,tuauraisconstatéquecelaneconcerneque

lachasseavecdesarmes.C’estavecbeaucoupdegaietéqu’ilm’observadigérercettenouvelle.—Desours,répétai-je,ahurie.—Emmettpréfèrelesgrizzlis,secrut-ilobligédepréciser.Sadésinvolturenemetrompapas:ilguettaitmaréaction.Jemesecouai.—Mouais,marmonnai-jeenmordantdanslapizzapuisenavalantunegrandegorgéede

Coca.Ettoi,quelesttonmetsfavori?Illevaunsourciletlescoinsdesabouches’affaissèrent,désapprobateurs.—Lepuma.—Ah,dis-jesurletondelaconversationtoutencherchantmaboissonàtâtons.— Naturellement, reprit-il, très mondain, nous veillons à ne pas perturber

l’environnementenpratiquantunechasseabusive.Nousessayonsdenouscantonneràdesendroitsoùlapopulationdeprédateursesttropabondante,quitteànousdéplacerfortloin.Ilyacertesabondancedecerfsetd’élansdanslesparages,etilsconviendraienttrèsbien,maisoùseraientl’intérêtetl’amusement?

—Où,eneffet?—Emmettadoreledébutduprintemps.Lesourssortenttoutjusted’hibernationetn’en

sontqueplusirritables.Ilsourit,commeausouvenird’unebonneplaisanterie.—Quoideplusdrôlequ’ungrizzlyfurieux?—Allez,dis-moicequetupensesvraiment.Jet’enprie.— J’essaie seulement de vous imaginer. Ça me dépasse. Comment faites-vous, sans

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armes?— Oh, mais nous en avons, assura-t-il en dévoilant ses dents blanches dans un bref

souriremenaçantquidéclenchaenmoiunesériedefrissons.Simplement,pasdecellesquisontprisesencomptelorsdel’élaborationdestextesdeloi.Tuasdéjàvuunoursattaqueràlatélévision?Çadonneuneassezbonneidéed’Emmettenpleineaction.

Je ne pus maîtriser de nouveaux tremblements. Je jetai un coup d’œil en douce àEmmettetfussoulagéequ’ilnemeprêteaucuneattention.L’impressionnantemusculaturedesesbrasetdesontorsesemblaitplusredoutabledésormais.Edward,quiavaitsuivimonregard,étouffaunrire.

—Ressembles-tuàunours,toiaussi?chuchotai-je.—À un puma plutôt, dumoins c’est ce qu’affirment les autres.Nos préférences sont

peut-êtrerévélatricesdenoscomportements.Je m’arrachai un sourire compréhensif, mais mon esprit était plein d’images

contradictoiresquejeneparvenaispasàconcilier.—Est-ceunechoseàlaquellej’auraidroitd’assister?demandai-je.—Certainementpas!Sonvisagedevintencorepluspâlequed’ordinaire,etsesyeuxs’assombrirent,furieux.

Jenepusm’empêcherdereculer,ébahieeteffrayée–mêmesi jene l’aurais jamaisadmisdevantlui–parsaréaction.Ils’adossaàsonsiège,brascroiséssurlapoitrine.

—Tropduràsupporterpourmoi?insistai-jequandjefuscertainededominermavoix.—Sicen’étaitqueça,jet’emmèneraisdèscesoir,lança-t-ilsèchement.Tuasvraiment

besoind’unebonnedosedefrousse.Rienneteseraitplussalutaire.—Alorspourquoipas?Ilmedévisagealonguement.—Plus tard, éluda-t-il en se levant avec souplesse.Nous allonsmanquer le débutdes

cours.Regardant autour de nous, j’eus la surprise de constater qu’il avait raison et que la

cantines’étaitpresquevidée.Ensacompagnie,letempsetleslieuxperdaienttoutenetteté,aupointquejem’égarais.Sautantsurmespieds,j’attrapaimonsac.

—Plustard,donc,opinai-je.Jen’avaispasl’intentiond’enresterlà.

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11

COMPLICATIONS

Cefutsouslesregardsconjuguésdetoutelaclassedesciencesnatquenousgagnâmes

notrepaillassecommune.Jeremarquaiqu’Edwardnedéplaçaitplussontabouretdemanièreàsetrouverleplusloinpossibledemoi,maisque,aucontraire,ils’étaitfortrapproché,nosbrassetouchantpresque.

M.Bannerarrivadanslasalleàreculons–quelmagnifiquesensdutimingcethomme-là avait – en tirant un chariotmétallique à roulettes sur lequel étaient placés une énormetélévisionantiqueetunmagnétoscope.Cinéau lycée– l’humeurdans lapièce s’allégeadefaçonpresquetangible.Leproffourraunecassettedanslelecteur,lequelserebellaquelquepeu,avantd’éteindreleslumières.

Àl’instantoùlaclasses’obscurcissait,uneespècedecourantélectriquemetraversa,etlaprésenced’Edwardàmoinsdetroiscentimètresdemoisembladevenirencoreplusréelle.Prise au dépourvu, je constatai avec stupeur qu’il m’était possible d’être encore plusconsciente de lui que je ne l’étais déjà. Je faillis céder à une envie folle de le toucher,d’effleurer rien qu’une fois son visage hiératique dans le noir.Non ! Je perdais l’esprit. Jem’enroulaiétroitementdansmesbras,mainsserrées.

Le générique défila, trouant la pénombre de lueurs symboliques. Mes yeux, commed’eux-mêmes, papillotèrent versmon voisin. Je souris tristement en découvrant qu’il avaitadopté une posture identique à lamienne, des poings serrés sous les aisselles jusqu’à sesprunelles qui m’épiaient en douce. Il me rendit mon sourire, et ses yeux parvinrent àm’incendierendépitdunoir.Jemedétournaiavantdesuffoquercomplètement.Cesvertigesauxquelsj’étaissujetteensacompagnieétaientparfaitementridicules.

L’heureme parut très longue. Je fus incapable deme concentrer sur le film – je necomprismêmepasquelenétaitlesujet.Jem’appliquaiàmerelaxer,envain,carlesondesquiparaissaientémanersansdiscontinuerdeluinefaiblirentjamais.Ledésirpuissantdeletouchernemequittapasnonplus,etj’enfonçaimespoingscrispésdansmescôtesaupointd’enavoirmalauxdoigts.Detempsentemps, jem’autorisaisunrapidecoupd’œildanssadirection–luiaussirestaittendu.

LorsqueM.Bannerrallumaleslumières,jepoussaiunvéritablesoupirdesoulagement.Jem’étiraienagitantmesphalangesendolories.Edwardétouffaunrire.

—Voilàquiétaitintéressant,murmura-t-il.Savoixétaitsombre,etsespupillescirconspectes.—Hum,futtoutcequej’arrivaiàrépondre.—Onyva?proposa-t-ilenbondissantsursespieds,élégantendiable.Je retinsun gémissement. J’avais sport. Jeme levai prudemment, craignantquemon

équilibre n’eût été affecté par la violence rentrée qui semblait désormais affecter nosrelations. Il m’accompagna en silence au gymnase et s’arrêta à la porte. Son expression

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tourmentée,presquedouloureuse,medécontenança.Enmêmetemps,ilétaitd’unebeautésiférocequemonenvieirrésistibledelepalpersoustouteslescouturesrepartitdeplusbelle.Mon au revoir resta coincé dans ma gorge. Sa main monta, hésitante, puis caressapromptementma joueduboutdesdoigts.Sapeauétait toujoursaussiglacée,mais le tracélaissé par ses doigts était dangereusement chaud, comme si je m’étais brûlée sans enressentirencoreladouleur.

Sansunmot,ilpivotaets’éloignaàgrandspas.J’entraidanslegymnase,hébétéeetvacillante.Jeglissaiverslesvestiaires,mechangeai

dans une sorte de transe, à peine consciente des élèves qui m’entouraient. La réalité nes’imposapleinementàmoiquequandonmetendituneraquette.Elleavaitbeauêtrelégère,elle me sembla redoutable une fois dans ma paume. Je remarquai que mes camaradesm’épiaient furtivement. Le prof nous ordonna de former des paires. Par bonheur, l’espritchevaleresquedeMiken’étaitpastoutàfaitmort–ilvientseplaceràmoncôté.

—Onfaitéquipe?—Merci,Mike.Tun’espasobligé,tusais.—Net’inquiètepas,j’esquiveraiquandillefaudra.Parfois,Mikeétaitvraimentquelqu’undebien.L’heure suivante fut dure. Je réussis – j’ignore comment – à m’assommer avec ma

raquetteenfrappantMikesurl’épaule,toutçaenunseulswing.Aprèsça,jepassailerestantducoursaufondduterrain,maraquettesagementrangéedansmondos.Malgrélehandicapquejereprésentais,monpartenairesedéfendaitbien;ilremportatroispartiessurquatreàlui seul. Lorsque le coup de sifflet final retentit, il m’adressa des compliments que je neméritaisguère.

—Alors,dit-iltandisquenousquittionslecourt.—Alorsquoi?—ToietCullen?Monaffectionpourluis’évanouitimmédiatement.—Ce ne sont pas tes affaires,Mike, l’avertis-je en vouant intérieurement Jessica aux

gémonies.—Jen’aimepasça,persista-t-il.—Personneneteledemande.—Ilteregardecommesi...commesituétaisunefriandise.Jeparvinsàravalerleshennissementshystériquesquimenaçaientd’exploser,mêmesi

unpetit rirem’échappa.Mikeme toisa, furibond.Agitant lamain, jem’enfuis endirectiondes vestiaires. Je m’habillai rapidement, impatiente, ma dispute avec Mike déjà oubliée.Edwardm’attendrait-ilàlasortieoufaudrait-ilquejelerejoigneàsavoiture?Etsilessiensétaientlà-bas?Uneboufféedeterreurs’emparademoi.Savaient-ilsquejesavais?Étais-jeounoncenséesavoirqu’ilssavaientquejesavais?

J’avaisfinalementdécidéderentreràpiedquandj’émergeaidugymnase.MaisEdwardétait là, tranquillement appuyé contre unmur, ses traits admirables apaisés. J’en éprouvaiunesortededélivrance.

—Salut!soufflai-je,radieuse.—Salut!répondit-ilenm’adressantunsourireéblouissant.Commentças’estpassé?—Trèsbien,mentis-je,unpeudouchée.—Ahbon?Il n’était pas convaincu. Ses yeux s’ajustèrent légèrement, regardant par-dessus mon

épaule,puisseplissèrent,teigneux.Meretournant,jevisMikepasserauloin.

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—Qu’ya-t-il?—Newtonmetapesurlesystème.—Nemedispasquetunousasespionnés!merécriai-je,horrifiée.Mabonnehumeurs’étaitvolatilisée,soudain.—Commentvatatête?medemanda-t-ilinnocemment.—Jetedéteste!Surce,jefilaiversleparking,hésitantencoreàrentrerparmespropresmoyens.Ilme

rattrapasansmal.—C’esttafaute,sedéfendit-il.C’esttoiquiasmentionnéquejenet’avaisjamaisvueen

sport.Çaaéveillémacuriosité.Comme il paraissait tout sauf repentant, je l’ignorai. Nous rejoignîmes sa voiture en

silence–unsilenceembarrasséetfurieuxpourcequimeconcernait.Unefouledegens,degarçonsplusprécisément,s’étaitattroupéeprèsdesavoiture,etjemarquaiuntemps.Puisjem’aperçusquecen’étaitpas laVolvoqui les fascinait,mais ladécapotabledeRosalie.Unelueurdedésirsanséquivoqueallumaitleursyeux,etilsréagirentàpeinelorsqueEdwardseglissaparmieuxpourouvrirsaportière.Jegrimpaivivementàcôtédelui,inaperçue.

—Ostentatoire,bougonna-t-il.—Qu’est-cequec’estcommevoiture?—UneM3.—Pardon?—UneBMW!soupira-t-il,exaspéré,enessayantdereculersansrenverserpersonne.Jehochailatête–cenom-làmedisaitquelquechose.—Tuestoujoursencolère?medemanda-t-ilunefoissamanœuvreterminée.—Etcomment!—Mepardonneras-tusijem’excuse?—Peut-être...situessincère.Etsitumeprometsdenejamaisrecommencer.—Etsij’étaissincèreetquej’étaisd’accordpourtelaisserconduiresamedi?contra-t-il,

malicieux.C’étaitsansdoutelameilleureoffrequejepouvaisespérerdesapart.—Marchéconclu.—Danscecas,jesuissincèrementdésoléetjetepriedem’excuser.Il me regarda longuement, les yeux brûlant de sincérité et ravageant mon cœur au

passage.—Etjeseraisurleseuildetamaisonsamedimatinàl’aube,ajouta-t-il,rieur.—Euh,uneVolvoinconnuegaréedansnotrealléerisquedesouleverunproblèmeavec

Charlie.—Jen’avaispasl’intentiondeveniravec.—Comment...—Net’occupepasdeça.Jeserailà,sansvoiture.Jelaissaitomber.J’avaisunequestionautrementplusurgente,cellelaisséeensuspens

àlafindudéjeuner.—Sommes-nous«plustard?»—Jesupposequeoui,répondit-ilenfronçantlessourcils.Uneexpressionavenantesurlevisage,jepatientai.Ilarrêtalavoiture.Jedécouvrisavec

ébahissementquenousétionsdéjàchezCharlie,parquésderrièrelacamionnette.Melaisserconduire par Edward était des plus aisés à condition que je ne regarde dehors qu’une foisarrivée à destination. Me tournant vers lui, je constatai qu’il m’observait, me jaugeait

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presque.—Tun’as pas renoncé à savoir pourquoi tu es interdite de parties de chasse, n’est-ce

pas?Ilparlaitavecsolennité,maisjecrusdécelerunelueurhumoristiqueauplusprofondde

sesprunelles.—Enréalité,précisai-je,c’estsurtouttaréactionàcetteperspectivequim’intéresse.—Jet’aifaitpeur?Ilrigolaitfranchement.—Non,mentis-je.Iln’encrutpasunmot.— Pardonne-moi si c’est le cas, s’entêta-t-il sans se départir de son sourire mais en

perdanttoutetracedemoquerie.C’estjustel’idéedet’imaginerlà-bas...Samâchoiresecontracta.—Ceseraitsiterriblequeça?—Ohqueoui,susurra-t-ilentresesdents.—Parceque...?Prenantunegrande inspiration, il inspecta lesnuagesdensesqui, roulantdans le ciel,

semblaientdescendreàportéedemain.—Quandnouschassons,bougonna-t-ildemauvaisgré,nossensl’emportentsurnotre

raisonetnous...dirigent.Surtoutl’odorat.Situtetrouvaisdanslesparagesàcemoment-là...Ilsecoua la tête,absorbépar lespectaclede lanuée.Quantàmoi, jeveillaiàdominer

l’expression de mon visage, me préparant à sa prochaine inspection, qui jugerait de maréaction.Celanetardapas–jenetrahisrien.Nosyeuxs’accrochèrent,etlesilences’épaissit.Des décharges de l’électricité que j’avais ressentie en cours de sciences nat alourdirentl’atmosphèretandisqu’ilsondaitauplusprofonddemesiris.Cenefutquequandlatêtesemit à me tourner que je m’aperçus que j’avais cessé de respirer. Lorsque j’inhalai enhoquetant,brisantlaquiétude,ilfermalespaupières.

—Bella,jecroisqu’ilvaudraitmieuxquetut’enailles.Sesintonationsétaientbassesetrauques.J’ouvris la portière, et le vent arctique qui s’engouffra dans l’habitaclem’éclaircit les

idées. Par peur de trébucher, vu mon état second, je sortis prudemment de la voiture etrefermailaportièrederrièremoisansmeretourner.Lechuintementdelavitreélectriquemefitpivoter.

—Hé,Bella!mehéla-t-ild’unevoixpluségale.Ilsepenchaitparlafenêtreouverte,unvaguesourireauxlèvres.—Oui?—Demain,c’estmontour.—Tontourdequoi?Ilrit,découvrantsesdentsétincelantes.—Deposerdesquestions.Puisildisparut, laVolvofilantàtoutevitesseavantquej’aieeuletempsdereprendre

mes esprits. C’est en souriant que jemarchai jusqu’à lamaison.Une chose était sûre – ilcomptaitmevoirlelendemain.

Cette nuit-là, Edward fut la vedette de mes rêves, comme d’habitude. Néanmoins,l’ambiance avait changé, craquetant de lamême électricité que celle qui s’étaitmanifestéedans l’après-midi, et je dormis mal, d’un sommeil agité, me réveillant souvent. Ce n’estqu’aux toutes petites heures du matin que je finis par sombrer dans un coma épuisé et

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ténébreux.Aulever,j’étaisfatiguéeeténervée.J’enfilaimoncolroulébrunetmoninévitablejean

enimaginantdesdos-nusetdesshorts.Lepetit-déjeunerfut lemomentcalmeetordinaireauqueljem’étaisattendu.Charliesepréparadesœufsfrits,etj’avalaimonboldecéréalesensupputant sur l’éventuel oubli par mon père de mon programme du prochain samedi.Malheureusement, il aborda le sujet de lui-même lorsqu’il se leva pour aller déposer sonassiettedansl’évier.

—Àproposdesamedi,lança-t-ilentraversantlacuisinepourouvrirlerobinet.—Oui?tressaillis-je.—TuvastoujoursàSeattle?—C’estcequiétaitprévu.J’aurais préféré qu’il neme pose pas la question, ce quim’aurait évité d’inventer des

demi-mensonges.Ilpressaunpeudeliquidevaissellesurl’épongeetfrotta.—Ettuessûrequetuneseraspasrentréeàtempspourlebal?—Jen’iraipasdanser,mehérissai-je.—Personnenet’ainvitée?Iltentadedissimulersoninquiétudeenrinçantsonassiette.—C’estauxfillesdechoisirleurcavalier,éludai-je,peudésireusedem’aventurersurce

terrainminé.—Oh.Ilessuyasescouverts,sourcilsfroncés.Je compatissais. Ce devait être une rude tâche d’être père ; vivre dans la crainte que

votre fille rencontre un garçon qui lui plaisaitmais s’angoisser aussi au cas où cela ne seproduiraitpas.Ceseraitunecatastrophe,medis-jeenfrissonnant,siCharlieavaitlamoindreidéedequimeplaisait.

Ilmequittasurungested’adieu,et jemontaimebrosser lesdentsetrassemblermesaffaires.Jenetinspasplusdequelquessecondesaprèsledépartdelavoituredepatrouilleavant de jeter un coup d’œil par la fenêtre. La Volvo argent était déjà là, garée surl’emplacementdeCharlie.Jedescendis lesmarchesquatreàquatreetmeprécipitaidehorsenmedemandantcombiendetempsallaitdurercetteroutinebizarre.J’auraisvouluqu’ellenecessâtjamais.

Ilrestaderrièrelevolant,apparemmentindifférent,tandisquejefermaislamaison.Jem’approchai, hésitai, timide, puis ouvris la portière etm’installai. Il souriait, détendu et –commed’ordinaire–beauàentomberàlarenverse.

—Bonjour,psalmodiasavoixsoyeuse.Commentvas-tu,aujourd’hui?Sesyeuxfouillèrentmonvisagecommesicettequestiondépassaitlasimplecourtoisie.—Bien,merci.J’allaistoujoursmieux,beaucoupmieux,quandj’étaisprèsdelui.—Tuparaisfatiguée,pourtant,objecta-t-ilens’attardantsurmescernes.—Jen’aipasdormi,confessai-je.Jeramenaiautomatiquementmescheveuxversl’avantpourmeprotéger.—Moinonplus,semoqua-t-ilenmettantlecontact.Je commençais àm’habituer au ronronnement étouffé dumoteur. Il y avait de fortes

chancesque lesrugissementsdemacamionnettemefichentunecrisecardiaque lorsque jem’enresservirais.

—J’aiquandmêmedûdormirunpeuplusquetoi.

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—J’ensuispersuadé.—Alors,àquoias-tuconsacrétanuit?—Biententé,maisc’estàmontourdeposerdesquestions,jeterappelle.—Oh,j’avaisoublié.Queveux-tusavoir?J’avaisbeaumecreuserlacervelle,jenevoyaispasdutoutcequipouvaitl’intéresseren

moi.—Quelleesttacouleurpréférée?—Çavarieselonlesjours.—Quelleesttacouleurpréféréeaujourd’hui?insista-t-il.—Lemarron,sansdoute.J’avaistendanceàm’habillerselonmeshumeurs.—Ahbon?—Oui.C’estunecouleurchaude.Ellememanque.Toutcequiestcenséêtrebrun,les

troncs,lesrochers,laboue,estcouvertdemousseverte,ici.Monpetitdiscoursenflamméparutlefasciner,etil leméditaquelquesinstantsenme

dévisageant.—Tuasraison,finit-ilpardécréter,lebrunestchaud.Surce, il tendit lamainet,d’ungestetimideetvif,repoussadesmèchesderrièremon

épaule.Nousétionsdéjàaulycée.Ilsegaraetsetournaversmoi.—Qu’as-tucommemusiqueencemomentdanstonlecteurdeCD?medemanda-t-il,

lestraitsaussisombresques’ilavaitexigémaconfessionpourmeurtre.Jemerappelaiquej’yavaislaisséledisquedePhil.Jeleluidis,etilmegratifiadeson

sourireencoin,unéclatétrangedansl’œil.Ouvrantuncompartimentplacésouslaradiodelavoiture,ilensortitunCDparmilatrentainequiyétaiententassés.

—TupréfèresçaàDebussy?s’étonna-t-il.C’étaitlemêmealbum,etjem’absorbaidansl’examendelajaquettefamilièrepourfuir

sonregardpénétrant.Lerestedelajournéesedéroulasurlemêmemode.Quandilm’accompagnaenanglais,

meretrouvaaprèsl’espagnol,etpendantledéjeuner,ilm’interrogeasansfinsurlemoindredétaildemoninsignifianteexistence.Lesfilmsquej’aimais,ceuxquejedétestais, lesraresendroitsoù j’étaisalléeet lesnombreuxautresque j’avaisenviedevisiter,et les livres, leslivresinlassablement.

Jeneme souvenaispasd’avoir jamais autantparlé. J’étais souvent gênée, certainedel’ennuyer. Mais son expression de concentration intense et son insatiable curiosité mecontraignaient à poursuivre. La majorité de ses demandes étaient faciles, et très peudéclenchèrentmes rougissements. Lorsque cela avait lemalheur de se produire, j’en étaisquittepouruninterrogatoiresupplémentaire.

Ainsi, quand il voulut savoir quelle était ma pierre précieuse préférée et que, sansréfléchir, je mentionnai la topaze. Il me bombardait de questions à une telle vitesse quej’avais l’impression d’être soumise à l’un de ces tests psychologiques où l’on est prié derépondreparlepremiermotquivouspasseparl’esprit.Sijenem’étaispasempourpréeàcetinstant,jesuissûrequ’ilauraitcontinuéàdéviderlalistequ’ils’étaitmentalementpréparée.Malheureusement, jepiquaiun fard,parceque, jusqu’à très récemment,mapierre favoriteavait été le grenat – impossible devant ses yeux topaze de ne pas comprendre d’où venaitmon revirement. Et bien sûr, il n’eut de cesse que j’avoue pourquoi j’étais embarrassée. Ilfinitparexigerlavéritéquandsestalentsdepersuasioneurentéchoué–simplementparce

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quej’évitaissoigneusementdeleregarder.Jerendislesarmes,concentréesurmesmainsquijouaientavecunemèchedemescheveux.

— C’est la couleur de tes yeux aujourd’hui, soupirai-je. Si tume reposais la questiondansdeuxsemaines,j’imaginequej’opteraispourl’onyx.

Dansmon involontaire élan d’honnêteté, je venais de lui fournir plus d’informationsque nécessaire, et j’eus peur de provoquer cette colère bizarre qui surgissait dès que jedérapaisetrévélaisdefaçontropévidenteàquelpointilm’obsédait.Maisildigéramonaveusansbroncher.

—Quellessonttesfleurspréférées?enchaîna-t-il.Poussantunsoupirdesoulagement,jepoursuivismonchemindecroix.Le cours de sciences nat’ fut de nouveau compliqué. Edward m’avait soumise à un

interrogatoireserré jusqu’àcequeM.Bannerapparaisseavecsonmatérielaudio.Quand leprofs’approchadel’interrupteurpouréteindreleslampes,jeremarquaiquemonvoisinavaitlégèrementécartésontabouretdumien.Celanemeservitàrien.Dèsquelasallefutplongéedansl’obscurité,commelaveillejeressentislemêmecourantélectriqueetcemêmebesoinirrésistibledetendrelamainpoureffleurersapeauglacée.

Jemepenchaisur lapaillasse,mentonsurmesbrascroisés,doigtsagrippésaureborddelatable, luttantcontre ledésir irrationnelquimedéstabilisait.J’évitaide leregarderparpeur d’avoir encore plus de difficulté à gardermon self-control, au cas où je croiserais sesyeux.Jedéployaideseffortsconsidérablespourm’intéresseraufilmmais,àlafinducours,je n’avais pas la moindre idée de ce que je venais de voir. Je fus bien contente quand lalumièrerevint.Mepermettantuncoupd’œilàEdward,jedécouvrisqu’ilm’étudiaitavecuneexpressionambiguë.

Ilselevaetm’attenditsansbouger.Commelejourprécédent,nousallâmesaugymnaseen silence et, comme le jour précédent, il effleurama joue sansmot dire, de la tempe aumenton,avecledosdesamaincettefois,avantdetournerlestalonsetdes’éloigner.

Lecoursd’éducationphysiquepassarapidement,pendantlequelj’assistaienspectatriceaumatchdebadmintonsolitairedeMike.Cederniernem’adressapas laparole, soitparcequ’ilavaitremarquéquej’étaisailleurs,soitparcequ’ilm’envoulaitencoredenotreéchangeunpeuvifdelaveille.Quelquepartaufonddemoi,j’enéprouvaisdelaculpabilité,mêmesimespenséesétaientailleurs.

Jem’empressai deme changer,maladroitement consciente que plus jeme dépêchais,plusvitejeretrouveraisEdward.Lestressaggravaitmagaucheriehabituelle,maisjefinisparfuircetendroitmaudit.Jemedétendisquandje levisaurendez-vous.Endépitdemoi,unimmense sourire étira mes lèvres, auquel il répondit avant de reprendre son impitoyableinquisition.

Ses questions étaient différentes, cependant, et ilme futmoins facile d’y répondre. Ilvoulutsavoircequi,demavied’autrefoisàPhœnix,memanquait, insistantpourquejeluidécrive tout cequ’il ignorait.Nous restâmesassisdevant chezCharliependantdesheures,tandisqueleciels’obscurcissait,larguantsoudaindestrombesd’eau.

Jetâchaidemettredesmotssurdesdétailsimpossibles,commel’odeurdescréosotes,amère, vaguement résineuse et néanmoins agréable, les stridulations harmonieuses descigalesenjuillet,ledépouillementplumeuxdesarbres,l’immensitédelanuéequiétalaitsonbleulaiteuxdansuninfiniàpeinerompuàl’horizonparlesrochesvolcaniquesviolettesdesmontagnes basses. Le plus difficile fut d’expliquer pourquoi j’aimais tant ces paysages, dejustifierd’unebeautéquirelevaitmoinsd’unevégétationrareetépineuseàl’alluresouventàdemimortequedes formesbrutesde la terre,desvalléespeuprofondes inséréesentre les

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collines rocailleusesquiavaientunemanièresiparticulièredes’accrocherausoleil.Jedusrecouriràdesgestespourtenterdeluifaireprendrelamesuredeceschoses.

Ilmerelançaitdoucement,m’incitantàme livrersansretenue,merendantoublieuse,dans la lumièrefaiblardede latempête,demonembarrasàmonopoliser laparole.Lorsquej’en terminai avec le désordre de ma chambre chez ma mère, il ne rebondit pas sur unenouvellequestion.

—Tuasterminé?lançai-je,soulagée.—Loindelà,maistonpèrevabientôtrentrer.Jemerappelaisoudainl’existencedeCharlieetsoupirai.J’observailecielnoirdepluie,

cequinemerenseignaguère.Jejetaiuncoupd’œilà lapenduledebordetfussurprisedeconstaterqu’ilétaitsitard.Charliedevaitêtredéjàenroute.

—C’estlecrépuscule,murmuraEdwardenexaminantl’horizonchargédenuages.J’eus l’impression que son esprit vagabondait très loin de nous. Je le contemplai qui

fixaitsanslesvoirlesalentours.Brusquement,ilsetournaversmoi.— C’est le moment de la journée le plus sûr pour nous, dit-il en répondant à

l’interrogationqu’ilavaitluesurmonvisage.Leplusagréable,leplustristeaussi,enquelquesorte... la find’unautre jour, leretourde lanuit.L’obscuritéest tellementprévisible, tunetrouvespas?

Ileutunsouriremélancolique.—J’aimelanuit,décrétai-je.Sanselle,nousneverrionspaslesétoiles.Bienqu’icicene

soitguèrefacile,tempérai-je.Ils’esclaffa,etl’atmosphères’allégeaaussitôt.—Charlieseraicidansquelquesminutes.Donc,àmoinsquetunetiennesàluirévéler

quetupasserastonsamediavecmoi...—Nonmerci.Jerécupéraimesaffairesetm’aperçusquej’étaisraided’êtrerestéesilongtempsassise

sansbouger.—Demain,c’estmontour,hein?— Certainement pas ! protesta-t-il d’une voix faussement outragée. Je n’en ai pas

terminéavectoi!—Qu’ya-t-ildeplusàsavoir?—Jetelediraidemain.Il se pencha devant moi pour m’ouvrir la portière, et cette proximité déclencha des

palpitationsdansmapoitrine.Toutàcoup,samainsefigeasurlapoignée.—Aïe!marmonna-t-il.—Quesepasse-t-il?Samâchoireserréeetsonexpressioninquiètem’interloquèrent.«Descomplications»,maugréa-t-il.Ilouvrit laportièred’ungesterapide,puisrepritsaplace loindemoi,presqueapeuré.

Despharestranspercèrentlapluie,etunevoiturenoirevientserangerenfacedenous.—Charlieestaucarrefour,m’avertitEdwardenfixant lesnouveauxvenusà travers le

déluge.En dépit demon étonnement et dema curiosité, jeme précipitai dehors. Les gouttes

ricochèrentbruyamment surmon coupe-vent. Je tentaidediscerner les silhouettes assisesdans le véhicule noir, mais il faisait trop sombre. Les phares éclairaient Edward – ilcontinuaitàregarderdroitdevantlui,lesyeuxvrilléssurquelquechoseouquelqu’unquejenevoyaispas.Sestraitstrahissaientunmélangedefrustrationetdeméfiance.Puisilmitle

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contact, et les pneus chuintèrent sur l’asphalte humide. La Volvo disparut en quelquessecondes.

—Hé,Bella !me héla une voix familière depuis le siège conducteur de la petite autonoire.

—Jacob?sursautai-jeenplissantlespaupièressouslapluie.Àcetinstant,lavoituredepatrouilletournaaucoindelarue,éclairantlesintrus.Jacobdescendaitdéjà.L’obscuriténem’empêchapasdedistinguerlegrandsourirequ’il

affichait.Sonpassagerétaitungroshommequidébordaitdepartout,bienplusâgé,auvisagefrappant,aux jouesaffaissées,à lapeaubruneparcouruederides, telleunevieillevestedecuir,etauxpupillesnoiresétonnammentfamilièresquisemblaientàlafoisbientropjeunesetbien tropvieillespour la large figuredans laquelleellesétaientenserrées.BillyBlack, lepèredeJacob.Jelereconnusimmédiatement,alorsquej’avaisréussi,depuiscinqansquejenel’avaisrencontré,àoubliersonnomjusqu’àcequeCharlie lementionnele jourdemonarrivée. Ilm’observait, scrutantmes traits, et je lui adressai un timide salutde la tête. Sesyeux étaient écarquillés, exprimant l’indignationou lapeur, sesnarinesdilatées. Je ravalaimacourtoisie.

«Descomplications»,avaitditEdward.Billy ne me quittait pas des yeux, tendu, anxieux. En moi-même, je gémis. Avait-il

identifiéEdward?Croyait-ilvraimentauxlégendesabsurdesquesonfilsavaitbrocardées?Laréponseselisaitclairementdanssonregard.

Oui.Ilycroyait,oui.

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12

ÉQUILIBRISME

—Billy!s’écriaCharliedèsqu’ilfutsortidevoiture.Je me dirigeai vers la maison, indiquant d’un geste à Jacob de me rejoindre sous le

porche.Derrièremoi,j’entendisCharlielessalueravecchaleur.—Jevaisfairecommesijenet’avaispasvuderrièrelevolant,mongarçon,morigéna-t-

ilJacob.— Nous passons notre permis plus tôt, à la réserve, répliqua l’adolescent tandis que

j’ouvraislaporteetéclairaisleperron.—Àd’autres!s’esclaffamonpère.—Ilfautbienquejemedéplace,intervintBilly.Malgré les années, je reconnus sa voix puissante et j’eus soudain le sentiment de

redevenirunegamine.J’entrai,laissantlebattantouvert,etallumaileslampesavantdesuspendremoncoupe-

vent à la patère. Puis jeme tins dans le vestibule, pas très rassurée, pendant que CharlieaidaitJacobàextirperBillydelavoitureetàl’installerdanssonfauteuilroulant.Quandilsseprécipitèrent,trempés,àl’intérieur,jereculai.

—Quellebonnesurprise!ditCharlie.—Çafaitunepaie,réponditBilly.J’espèrequenousnedérangeonspas.Sesyeuxsombresseposèrentsurmoi,indéchiffrables.—Non,c’estsuper.Turestespourlematch,hein?— C’est précisément le but, rigola Jacob. Notre télé est tombée en panne la semaine

dernière.—Sans compterqueJacobavaithâtede revoirBella, rétorquaBilly endécochantune

grimaceàsonfils.Ce dernier fit la moue et baissa la tête, cependant que je refoulais une bouffée de

remords.Jem’étaissansdoutemontréetropconvaincanteàlaplage.—Vousavez faim?m’enquis-jeen filantvers lacuisine,presséed’échapperauregard

scrutateurdeBilly.—Non,nousavonsdînéavantdevenir,réponditJacob.—Ettoi,Charlie?lançai-jepar-dessusmonépaule.—Oui,melança-t-ildusalon.Lescroque-monsieurenfournés, je tranchaisunetomatequand jesentisuneprésence

dansmondos.—Alors,çaroule?s’enquitJacob.—Plutôtbien, affirmai-je avec entrain tant il était durde résister à sabonnehumeur

contagieuse.Ettoi,tuasterminétavoiture?— Non, il me manque encore des pièces détachées. Nous avons emprunté celle-ci,

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précisa-t-ilendésignantlacourdupouce.—Désolée.Jen’aipasentenduparlerde...Qu’est-cequec’étaitdéjà?— Un maître-cylindre. Au fait, la camionnette marche mal ? ajouta-t-il soudain avec

sérieux.—Non,pourquoi?—J’aijusteremarquéquetunet’enservaispas.—Unamim’araccompagnée,medérobai-je,lesyeuxfixéssurlaplancheàdécouper.— Belle bagnole. Je n’ai pas reconnu le conducteur. Pourtant, je croyais connaître la

majoritédesjeunesducoin.J’acquiesçaisansmemouilleretretournaimescroque-monsieur.—Enrevanche,monpèresemblaitl’avoirdéjàvuquelquepart.—Tumepasseslesassiettes,s’ilteplaît?Ellessontdansleplacardau-dessusdel’évier.— Pas de problème. Alors, qui c’était ? insista-t-il en posant deux assiettes sur le

comptoir.—EdwardCullen,soupirai-je,vaincue.Àmagrandesurprise,iléclataderire.Levantlatête,jem’aperçusqu’ilétaitvaguement

gêné.—Voilàquiexpliquebiendeschoses!Jetrouvaismonpèrebizarre,aussi.—C’estvraiqu’iln’aimepasbeaucouplesCullen.—Vieillardsuperstitieux,marmonnaJacobdanssabarbe.—IlnevariendireàCharlie,hein?Ces mots précipités m’avaient échappé. Jacob m’observa quelques instants, une

expressionimpénétrablesurlevisage.—J’endoute,finit-ilparrépondre.Charliel’asacrémentenguirlandé,ladernièrefois.Ils

nesesontpasbeaucoupparlédepuis.Cesontenquelquesortedesretrouvailles,cesoir.Àmonavis,iléviteraderemettrelesujetsurletapis.

—Oh!Je portai son repas à Charlie et restai dans le salon, faisantmine dem’intéresser au

match,tandisqueJacobentretenaitlaconversation.Enréalité,jeprêtail’oreilleàcequeseracontaient lesdeuxhommes,guettantBillyetméditantdéjà la façonde l’empêcherdemedénonceraucasoùilauraitcédéà latentation.Lasoiréesetraînaen longueur.J’avaispasmaldedevoirsquim’attendaient.Ilsallaientresterenplan,maistantpis:j’avaistroppeurdelaisserBillyseulavecCharlie.Enfin,lematchsetermina.

—Toietvosamiscomptezbientôtrevenirà lamer?melançaJacobaumomentoùilpoussaitlefauteuildesonpèredehors.

—Jen’ensaistroprien.—Merci,Charlie,ditentre-tempsBilly.Jemesuisbienamusé.—Jet’attendspourleprochainmatch.—Comptesurnous,plaisantalevieilhomme.Bonnenuit.Sesyeuxseposèrentsurlesmiens,etsonsouriredisparut.—Prendsgardeàtoi,Bella,ajouta-t-ilgravement.—Jen’ymanqueraipas,marmonnai-jeenregardantailleurs.JemontaisdansmachambrependantqueCharlieagitaitlamain,plantésurleseuilde

laporte,lorsquemonpèrem’interpella:—Bella?Attends.Je tressaillis. Billy avait-il mangé le morceau avant que je ne me joigne à eux ?

Apparemmentnon.Charlieétaithilare,raviparcettevisiteimpromptue.

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— Je n’ai pas eu l’occasion de discuter avec toi, ce soir. Comment s’est passée tajournée?

—Bien.J’hésitai, un pied sur la premièremarche, cherchant quelques détails à partager sans

risque.—Monéquipeagagnélesquatrematchsdebadminton.—Çaalors!J’ignoraisquetusavaisjouer.—Enfait,jen’ysuispourrien.Monpartenaireestexcellent.—Quiest-ce?—Euh...MikeNewton,admis-jeavecréticence.—Ahoui, jeme souviens ! s’exclama-t-il, rasséréné.Tum’as dit que vous étiez amis.

Chouette famille. Pourquoi ne l’as-tu pas invité au bal ? ajouta-t-il au bout de quelquesminutes.

—Papa!IlsortplusoumoinsavecmonamieJessica.Etjeterappellequejenesaispasdanser.

—Pardon, j’avais oublié.En tout cas, c’est très bienque tu sois absente samedi... J’aiprévud’allerpêcheraveclesgarsducommissariat.Lamétéoprévoitunebellejournée.Maissi tu souhaites reporter ton expédition jusqu’à ce que tu aies trouvé quelqu’un pourt’accompagner,jeresteraiavectoi.J’aiconsciencedetelaissertropsouventseule.

— Ne t’inquiète pas, tu assures comme un chef, papa, le rassurai-je gentiment enespérant ne pas trahir mon soulagement. La solitude ne me dérange pas. Pour ça, je teressemblecommedeuxgouttesd’eau.

Jeluiadressaiunclind’œiletfusrécompenséeparlesourirecharmantquicreusaitsespattesd’oie.

Cettenuit-là,tropfatiguéepourrêver,jedormismieux.J’étaisdebonnehumeurquand

jem’éveillai,endépitducielgrisperle.Aveclerecul,lasoiréeencompagniedeBillyetJacobm’apparutanodine;jedécidaidel’oublier.Jemesurprisàsifflotertandisquej’attachaimescheveuxavecunebarretteet,plus tard,endescendant l’escalier.Charlienemanquapasdes’enrendrecompte.

—Tuesbienjoyeuse,cematin,souligna-t-ilenterminantsonpetit-déjeuner.—Onestvendredi.Jem’activai,carjevoulaispartiràlasecondeoùCharlieauraitfilé.Monsacétaitprêt,je

m’étaisbrossé lesdentset j’avaisdéjàmismeschaussuresquandils’enalla.Unefoissûreque la voie était libre, jeme ruai dehors.Edwardm’avaitnéanmoinsdevancée et attendaitdans sa voiture rutilante, fenêtres baissées, moteur coupé. C’est sans hésiter que jem’installaisurlesiègepassager,avidederetrouversonvisage.Ilm’offritsonsourireencoin,etmoncœurcessadebattre.Unangen’auraitpasdégagéplusd’éclat. Ilétaitparfait, iln’yavaitrienàaméliorer.

—Tuasbiendormi?Bonsang!Avait-illamoindreidéedelaséductiondesavoix?—Commeunloir.Ettoi,tanuit?— Agréable, rigola-t-il, me donnant l’impression que je ratais une plaisanterie

personnelle.—Ai-jeledroitdetedemanderàquoitul’asconsacrée?—Non,s’esclaffa-t-il.Aujourd’huiestencoremonjour.Ce coup-ci, son intérêt se porta sur les gens. Renée, ses passions, nos occupations

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communes;puislaseuledemesgrand-mèresquej’avaisconnue,mesraresamisd’école(ilm’embarrassa lorsqu’il s’enquit des garçons avec lesquels j’étais sortie). À ma grandesatisfaction, le sujet tourna court, puisque je n’avais eu aucune aventure. Il parut aussistupéfaitqueJessicaetAngelaparledésertdemaviesentimentale.

— Personne ne t’a jamais attirée ? insista-t-il avec une gravité qui me poussa àm’interrogersursesintentions.

—PasàPhœnix,reconnus-jeàcontrecœur.Sa bouche se serra en une ligne mince. Nous étions à la cafète, à ce moment-là. La

journée avait défilé avec cette vitesse qui était en train de devenir une routine. Je prisavantagedelapausequ’ilmarquaitpourmordredansmonbeignet.

—Nousaurionsdûprendretavoiture,annonça-t-iltoutàtrac.—Pourquoi?—JeparsavecAliceaprèsledéjeuner.—Oh,murmurai-je,perplexeetdéçue.Cen’estpasgrave,jerentreraiàpied.—C’est exclu, rétorqua-t-il.Nous irons chercher ta camionnette et la laisserons sur le

parking.—Jen’aipaslescléssurmoi.Jet’assure,çam’estégaldemarcher.Cequil’étaitmoins,c’étaitdeperdrequelquesprécieusesminutesdesacompagnie.—Tavoitureseralà,etlaclésurlecontact,s’entêta-t-il.Àmoinsquetucraignesqu’on

telavole.Idéequieutaumoinsleméritedeledérider.—D’accord,acceptai-je,lèvrespincées.J’étaisquasimentcertainequemescléssetrouvaientdanslapochedujeanquej’avais

porté le mercredi, sous une pile de linge sale dans la buanderie. Même en pénétrant pareffraction chez moi, il ne la dénicherait jamais. Il sembla considérer mon consentementcommeundéfietsepermitunegrimacearrogante.

—Oùallez-vous?demandai-jeleplusnaturellementdumonde.—Chasser.Sijedoispasserunejournéeseulavectoi,jepréfèreprendreunmaximum

deprécautions.Tupeuxtoujoursannuler,tusais...C’étaitpresqueunesupplique,chuchotéeavectristesse.Jebaissailesyeux,effrayéepar

lepouvoirdepersuasiondessiens.Jerefusaisd’avoirpeurdelui,quelquefûtledangerqu’ilreprésentât.Çan’avaitpasd’importance,meserinais-je.

—Non,refusai-jeenrelevantlatête.J’ensuisincapable.—Malheureusement,c’estsansdoutevrai,ronchonna-t-il.Sesprunellesparurents’assombrirdevantmoi.Jechangeaidesujet.—Àquelleheureseras-tulà,demain?m’enquis-je,déjàdépriméeàl’idéedelequitter.—Toutdépend...c’estsamedi,tuneveuxpasfairelagrassematinée?—Non.J’avaisréponduavectropd’empressement,etilréfrénaunsourire.—Commed’habitude,alors.Charlieseralà?—Non,ilpartàlapêche.Lafaçondontleschosess’étaientsuperbementarrangéesallégeamonhumeur.—Etsitunerevienspas,lançacependantEdwardavecsécheresse,queva-t-ilpenser?—Aucuneidée.Ilsaitquej’avaisprojetédeslessives.Ilsediraquejesuistombéedans

lelave-linge.Furieux, il me fusilla du regard. Je fis de même. Sa colère était bien plus

impressionnantequelamienne.

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—Quechasserez-vous,cesoir?repris-je,consciented’avoirperducecombat.—CequenoustrouveronsdansleParcrégional.Nousn’avonspasl’intentiond’allertrès

loin.Monintérêtpolipoursonsecretavaitledondelelaisserperplexe.—Pourquoiyvas-tuavecAlice?—Elleestcellequi...mesoutientleplus,avoua-t-il,sourcilsfroncés.—Etlesautres?Commentréagissent-ils?—Avecscepticisme,pourlaplupart.J’inspectai brièvement ses frères et sœurs. Ils étaient muets et indifférents à tout,

exactementcommeaupremierjour.Saufqu’ilsn’étaientplusquequatre–leurmagnifiquefrèreauxcheveuxcuivrésétaitinstalléenfacedemoi,unéclatd’incertitudedanssespupillesdorées.

—Ilsnem’aimentpas,devinai-je.—Cen’estpas ça,objecta-t-il avecdesyeux trop innocentspourque jem’y fie. Ilsne

comprennentpaspourquoijenetefichepaslapaix.—Çaalors,moinonplus,figure-toi!Ilsecoualentementlatête,exaspéré.— Je te l’ai déjà dit, tu n’as aucune conscience de qui tu es. Tu ne ressembles à

personne.Tumefascines.Jeluilançaiunregardpeuamène,persuadéequ’ilsemoquaitdemoi.Ilrit.—Avecmestalents...particuliers,murmura-t-ileneffleurantdiscrètementsonfront,j’ai

une capacité hors du commun à saisir la nature humaine. Les gens sont prévisibles.Maistoi...tesréactionssontdéconcertantes.Tum’intrigues.

Àlafoisgênée,chagrineetmécontente,jedétournailesyeuxendirectiondesafamille.Sesmotsmedonnaientlesentimentd’êtreuncobaye.Quelleidiote!J’auraisdûmedouterquesonintérêts’arrêteraitlà.

—Cen’estqu’unepartieduproblème,poursuivit-il.Laplusfacileàexpliquer.Ilyenauneautrecependant...pasaussiaiséeàdécrire...

Je continuai à détailler les Cullen. Soudain, Rosalie, la blonde époustouflante, pivotavers moi. Elle ne me regarda pas, elle me poignarda de ses prunelles sombres et froides.J’auraisvoululuiéchapper,maisellemetintsousl’emprisedesesyeuxjusqu’àcequ’Edwardémît un son rageur, étouffé, presque un sifflement de haine. Alors, Rosalieme lâcha.MetournantaussitôtversEdward, jevisqu’ildécelait sanseffort laconfusionet la terreurquim’avaientenvahie.

—Désolé,s’excusa-t-il,levisagefermé.Elleestinquiète,riendeplus...C’estque...ceneserait pas dangereux uniquement pour moi si, après m’avoir fréquenté de façon aussiostensible,tu...

—Je?—Leschosesseterminaient...mal.CommelesoiràPortAngeles,ilsepritlatêteentrelesmains,dansunéland’angoisse

absolue. J’aurais aimé le réconforter, je n’avais hélas aucune idée de lamanière dontm’yprendre.Instinctivement,jetendislebrasavantdelelaisserretombersurlatable,parcrainteque mon contact empire les choses. Puis je me rendis compte que ses mots auraient dûm’affoler.Jeguettailamontéedelapeur,envain.Toutcequejeparaissaiséprouver,c’étaitde la souffrance envers sa propre douleur. Et de la frustration. Parce que Rosalie avaitinterrompucequ’ils’apprêtaitàmedireetquej’ignoraiscommentrevenirsur lesujet.Luiétaittoujoursprostré.

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—Tudois absolumentpartirmaintenant ? demandai-je d’une voix aussi normale quepossible.

—Oui.Ilrelevalafigure.Uninstantsérieux,ilsourittoutàcoup.—C’estmieuxainsi. Il resteencoreunquartd’heuredecemaudit filmàvisionneren

biologie,etjenecroispasquej’arriveraiàlesupporter.Jesursautaisoudain.Alice–sescheveuxcourtsetnoirscommedel’encreformantun

halodepiquesdésordonnées autourde son exquis visaged’elfe– se tenait derrière lui. Sasilhouettefineétaitsouple,gracieusemêmequandelleétaitparfaitementimmobile.Sansmequitterdesyeux,Edwardlasalua.

—Alice.—Edward,répondit-elle,sonsopranopresqueaussiséduisantquesonténoràlui.—Alice, Bella ; Bella, Alice, nous présenta-t-il avec décontraction, unemoue ironique

auxlèvres.—Salut!Raviedeterencontrerenfin,melança-t-elle.Sespupillesd’obsidienneavaientunéclatindéchiffrable,maissonsourireétaitamical.—Bonjour,murmurai-jetimidement.—Tuesprêt?demandaAliceàsonfrère.—Presque,répondit-ild’unevoixdistante.Jeteretrouveàlavoiture.Elle partit sans faire de commentaire. Sa démarche était si fluide, si souple que j’en

éprouvaiunpincementdejalousie.—Aurais-jedûluisouhaiterdebiens’amuserouçaauraitétédéplacé?m’enquis-je.—Non,çaauraitconvenu,rigola-t-il.—Amuse-toibien,alors.J’avaisfeintl’entrain.Naturellement,ilnes’ylaissapasprendre.—J’ycomptebien.Quantàtoi,tâchederesterenvie.—ÀForks?Queldéfi!—Pourtoi,c’enestun,riposta-t-ilens’assombrissantaussitôt.Promets!—Jeprometsderesterenvie,ânonnai-je.Jem’occuperaidelalessivecesoir,voilàqui

devraitnepasêtretropdangereux.—Netombepasdedans,railla-t-il.—Jeferaimonpossible.Nousnouslevâmes.—Àdemain,soupirai-je.—Çatesemblesiloinqueça?plaisanta-t-il.Jehochailatête,lugubre.—Jeserailààl’heure,jura-t-ilenm’octroyantsonfameuxsourireencoin.Sepenchantpar-dessuslatable,ileffleuraunefoisdeplusmajoue,puisils’éloigna,et

jelesuivisdesyeuxjusqu’àcequ’ileûtdisparu.J’étaisdrôlementtentéedesécher l’après-midiou, toutaumoins, lecoursdegym.Un

instinct de conservation m’en empêcha. Je savais que si je filais, Mike et les autres enconcluraientque j’étaisavecEdward.Etcederniers’inquiétaitdutempsquenouspassionspubliquementensemble...aucasoùleschosestourneraientmal,perspectivepeuréjouissantequej’évacuaiimmédiatement.Quandbienmême,jepréféraimecomporterdemanièreàluifaciliterl’existence.

Jesentaisintuitivement–luiaussi,j’enétaissûre–quelajournéedulendemainallaitconstituerunpivot.Notrerelationnepouvaitperdurerdanscetéquilibreinstable,telleune

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assiettesurlapointed’uneépée.Tôtoutard,noustomberionsd’uncôtéoudel’autre.Celadépendraitentièrementd’unedécisionqu’ilprendraitoudeses instincts.Pourmapart,mareligionétait faite, j’avaisfaitmonchoixsansmêmeenavoirconscience.Désormais, j’étaisobligée de m’y tenir. Car rien n’était plus terrifiant ni plus douloureux que l’idée de medétacherdelui.C’étaitinenvisageable.

Enfillesage,jemerendisenclasse.Jenesauraisdécrirecommentsedéroulalecoursdesciencesnat,tantj’étaispréoccupéeparlelendemain.Engym,Mikeneboudaitplus.Ilmesouhaita une bonne journée à Seattle. Prudemment, je lui expliquai que j’avais annulé, àcausedemacamionnettepeufiable.

—TuserasaubalavecCullen,alors?serenfrogna-t-il.—Non,jen’aipasl’intentiond’yaller.—Qu’est-cequetuvasfaire,danscecas?insista-t-il.Je faillis céder àmonmauvais caractère et l’envoyer aux pelotes. Au lieu de quoi, je

mentisavecbrio.—De la lessive, et ensuite je bachoterai lesmaths, sinon, je suisbonnepour échouer

auxexamens.—Est-cequeCullent’aide?—Edward(etjesoulignaileprénom)nem’aideraenrien.Ilestpartienweek-endjene

saistropoù.Je remarquai avec surprise que les mensonges me venaient plus facilement que

d’habitude.Mikeretrouvasabonnehumeur.—Tu sais, tupourrais te joindreànous.Ce serait super. Je teprometsqu’ondansera

tousavectoi.L’imageduvisagedeJessicadécouvrantmaprésencemerenditunpeucassante.—Jen’iraipasaubal,Mike,compris?—Commetuveux,râla-t-il.C’étaitjusteuneproposition.Lorsquelajournées’achevaenfin,c’estsansenthousiasmequejegagnaileparking.Je

n’avaispastrèsenviederentreràlamaisonàpied,maisjen’envisageaispasqu’ileûtréussiàramener ma voiture. En même temps, je commençais à penser que rien ne lui étaitimpossible.Etj’avaisraison,carmaChevroletétaitgaréesurl’emplacementqu’avaitoccupésaVolvo lematinmême.Incrédule, j’ouvris laportière (nonverrouillée)etaperçus lescléssur lecontact.Unboutdepapiergisaitsurmonsiège.Jem’installaiet refermai laportièreavantdeledéplier.Deuxmots,rédigésdesabelleécriture.

Soisprudente

Lerugissementdumoteurmeflanqualafroussedemavie,etjerisdemoi-même.Àlamaison,jeconstataiqueleverrouétaittiré,exactementcommejel’avaislaisséen

partant.Àl’intérieur,jefonçaidroitsurlabuanderie.Rienneparaissaitavoirétédérangé.Jecherchaimonjeanetenfouillailespoches.Vides.J’avaispeut-êtresuspendumacléaucloudel’entrée,aprèstout.

Suivant le même instinct que celui qui m’avait poussée à mentir à Mike, j’appelaiJessica sousprétextede lui souhaiterbonnechance lorsdubal.Quandellemeretourna lapareillepourma journéeen compagnied’Edward, je lui annonçaique c’était remis.Elle semontraunpeuplusdéçuequenécessairepourquin’étaitpasdirectementimpliquéedansmarelationcompliquéeavecEdward.J’abrégeainosadieux.

Durant le dîner, Charlieme parut ailleurs, préoccupé par le travail sans doute, ou un

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matchdebase-ball,àmoinsqu’ilnesedélectâttoutsimplementdeslasagnes–c’estdifficiledesavoir,avecCharlie.J’interrompissarêverie.

—Tusais,papa...—Oui,Bella?—Je croisque tuas raison,pourSeattle. J’attendraiqueJessicaouquelqu’und’autre

vienneavecmoi.—Oh.Trèsbien.Tuveuxquejeresteici?—Non,nechangepastesplans.J’aidestonnesdetrucsàfaire.Desdevoirs,lalessive...

Ilfautaussiquej’ailleàlabibliothèqueetencourses.Jenevaispasarrêterd’alleretvenir.Profiteplutôtdetajournée.

—Tuessûre?— Certaine. Et puis, nos réserves de poisson ont dangereusement baissé. Nous n’en

avonsplusquepourdeuxoutroisans.—Tuesvraimentfacileàvivre,Bella.—Jepourraisendireautantdetoi.Nousnousesclaffâmesenmêmetemps.Monriremeparutfaux,ilnes’enaperçutpas

néanmoins. Je me sentais tellement coupable de le tromper que je manquai de suivre leconseild’Edwardetdeluiavouernosplans.Heureusement,jemeretins.

Aprèslerepas,jepliaidulingepropreetlançaiunnouveaucycledeséchage.C’étaitlegenred’activitéquin’occupaitquelesmains,etmonesprit,désœuvré,vagabondait,menaçantd’échapper à mon contrôle. J’oscillais entre des projections si intenses qu’elles en étaientpresquedouloureusesetunepeurinsidieusequientamaitmadétermination.J’étaisobligéedemerépéterquej’avaischoisi,etqu’iln’étaitpasquestiondechangerd’avis.Jesortaissanotedemapochesansraisonaucune,relisantlesdeuxmotsqu’ilavaitécrits.Ilmevoulaitsaineetsauve,necessais-jedemedire.Jen’avaisplusqu’àespérerencetteprofessiondefoi,àcroirequecedésirpurfiniraitpas l’emportersurtous lesautres,moinsavouables,quejelui inspirais. Quelle alternative avais-je, de toute façon ? Couper les ponts ? Intolérable.DepuismonarrivéeàForks, j’avaisvraimentl’impressionquetoutemavies’étaitréduiteàlui.

Et pourtant, une petite voix inquiète au fond de moi se demandait si... je souffriraisbeaucoupaucasoùleschosestourneraientmal.

C’estavecsoulagementquejevisarriveruneheuredécentepourmecoucher.Sachantquej’étaistropénervéepourdormir,jem’autorisaiunefolieetavalaiunmédicamentcontrele rhume dont je n’avais absolument pas besoin, destiné àm’assommer pour huit bonnesheures. C’était un comportement que j’aurais, en tempsnormal, réprouvé,mais la journéequi m’attendait le lendemain risquait d’être assez compliquée sans que j’y ajoute un étaterratiquedûaumanquedesommeil.Enattendantlespremierseffetsdel’antibiotique,jemelavaisetséchaislescheveuxetréfléchisàcequej’allaisporterlejoursuivant.

Mes affaires prêtes pour le matin, je finis par me coucher. J’étais sur les nerfs etn’arrêtais pas dem’agiter.Me relevant, je fouillai dans la boîte à chaussures qui contenaitmesCDjusqu’àcequejetrouvedesnocturnesdeChopin.Jelesmis,levolumeauminimum,merallongeaietm’astreignisàdécontracter toutes lespartiesdemoncorps, lesunesaprèslesautres.Verslemilieudel’exercice,lescachetsagirent,etjesombrai.

Jeme réveillai tôt, après une nuit calme et sans rêves. Bien que je fusse reposée, je

retombaiaussitôtdansl’étatd’énervementdelaveille.Jem’habillaiprécipitamment,lissantmon col et ajustantmon giletmarron clair jusqu’à ce qu’il se positionne correctement au-

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dessusdemon jean.Uncoupd’œilpar la fenêtrem’appritqueCharlieétaitdéjàparti.Unefinecouchedenuagescotonneuxvoilaitleciel.Ilsnedureraientpas.

J’avalaimachinalementmonpetit-déjeuner,puismedépêchaidenettoyeretderanger.Jeregardaiunenouvellefoisdehors,rienn’avaitchangé.Jevenaisjustedeterminerdemelaver les dents et redescendais quand un coup discret à la porte déclencha des pulsationsincontrôléesdansmapoitrine.Jeplanaijusqu’àl’entrée,medébattisavecleverroumaisfinisparréussiràouvrirlebattantàlavolée–c’étaitlui.Dèsquejevissonvisage,monagitations’évanouit, et je me ressaisis. Mes craintes de la veille paraissaient sans fondements dumomentqu’ilétaitlà.

Audébut,ilnemesouritpas,ilétaitpréoccupé.Puissonexpressions’éclaircitaufuretàmesurequ’ilmedétaillait,etilsemitàrire.

—Bonjour!lança-t-iljoyeusement.—Qu’est-cequicloche?Je m’examinai sous toutes les coutures afin de vérifier que je n’avais rien oublié

d’important,commemeschaussuresoumonpantalon.—Noussommeshabilléspareil!s’esclaffa-t-il.Jeviseneffetqu’ilarboraitun longgiletmarronclaird’oùpointaituncolblancetun

jeanbleu.Mon rire se joignit au sien, endépit d’un vague regret–pourquoi fallait-il qu’ilressembleàunmannequinetpasmoi?Pendantquejefermaislaporte, ils’approchadelacamionnetteetm’ym’attendit,côtépassager,avecdesairsdemartyr.

—Onapasséunaccord,luirappelai-je,triomphante,toutengrimpantderrièrelevolant.J’ouvrissaportièredel’intérieur.—Oùva-t-on?m’enquis-je.—Metstaceinture,j’aidéjàlafrousse.J’obéis,nonsanslegratifierd’unregardmauvais.—Prendsla101endirectiondunord,m’ordonna-t-il.J’eusbeaucoupdemalàmeconcentrersurlaroute,sachantqu’ilmecouvaitdesyeux.

Ducoup,jetraversaiencorepluslentementqued’ordinairelavilleendormie.—Tuasl’intentiondequitterForksavantlanuit?m’apostropha-t-il.— Cette bagnole est assez vieille pour avoir appartenu à ton grand-père. Un peu de

respect.Malgrécequ’ilvenaitd’endire,nousnetardâmespasàfranchir les limitesde laville.

Des sous-bois denses et des troncs verdis de mousse remplacèrent les pelouses et lesmaisons.

—Tourneàdroitesurla110,m’intima-t-ilaumomentoùj’allais luiposerlaquestion.(J’obéisensilence.)Maintenant,oncontinuejusqu’àcequelachausséedisparaisse.

Je perçus son amusement mais ne tournai pas la tête vers lui, de peur de quitter laroute–etdeluidonnerraisonparlamêmeoccasion.

—Etqu’ya-t-ilaprèslachaussée?—Unsentier.—Onpartenbalade?Dieumerci,j’avaismesvieillestennis.—Çateposeunproblème?Àcroirequ’ill’avaitespéré.—Non.Jem’étaisefforcéedeprononcercemensongeavecassurance.Maiss’iltrouvaitquema

camionnettesetraînait,iln’allaitpasêtredéçuavecmoi.

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—Détends-toi,rienqu’unepetitedizainedekilomètres,etnousnesommespaspressés.Unedizainedebornes!Jenerelevaipas,craignantque,sousl’effetdelapanique,ma

voix ne déraille. Dix kilomètres de racines embusquées et de cailloux instables quiessaieraient de tordre mes chevilles ou de me blesser par quelque moyen que ce fût.L’humiliationpromettaitd’être complète.Nous roulâmesen silence tandisque je ruminaisl’horreurquim’attendait.

—Àquoipenses-tu?finit-ilpars’impatienter.—Jemedemandaisjusteoùnousallions,mentis-jeunenouvellefois.—C’estunendroitoùj’aimemerendrequandilfaitbeau.D’unmêmemouvement,nousjetâmesuncoupd’œilsurlesnuagesquis’effilochaient.—Charliem’aassuréquelajournéeseraitchaude.—Luias-tuavouécequetumanigançais?—Non.—JessicacroittoujoursquenousallonsensembleàSeattle,aumoins?Idéequiparutleréjouir.—Nonplus,jeluiairacontéquetuavaisannulé–cequiestvrai,d’ailleurs.—Alors,personnenesaitquetuesavecmoi?Ilétaitencolère,maintenant.—Pasforcément...Carj’imaginequetuasprévenuAlice?—Bravo,Bella!J’aivraimentl’impressiond’êtresoutenu!Jefiscommesijen’avaispasentendu.—Es-tusidépriméeparForksquetuveuillestesuicider?s’emporta-t-il.—Jecroyaisqueçarisquaitdet’attirerdesennuis...qu’onnousvoieensemble.—Tut’inquiètesdessoucisquejepourraisavoirsitoi,tunerentraispascheztoi?C’est

lebouquet!J’acquiesçai,lesyeuxrivéssurlepare-brise.Ilmarmonnadanssabarbe,sivitequejene

comprispas.Leresteducheminsedéroulasansunmot.Jesentaisdesvaguesderéprobationfuribondeémanerdelui,etjenetrouvaisrienàdirepourl’apaiser.

Laroutes’achevabrutalement,seréduisantàunétroitsentierpédestrebaliséd’unpetitpiquet en bois. Jeme garai sur le bas-côté et bondis de voiture, à la fois parce que j’étaiseffrayéepar sa colèreetparcequeçamedonnaituneexcusepournepas le regarder.L’airs’était réchauffé, à présent, il était plus doux que ce que j’avais jamais connu depuismonarrivéeàForks,presquelourdàcausedesnuages.Retirantmongilet,jel’attachaiautourdema taille, heureuse d’avoir mis ma chemise légère sans manches – d’autant plus que dixkilomètresderandonnéem’attendaient.

Saportièreclaqua,etjerelevailatête.Luiaussiavaitôtésongilet.Ilmetournaitledos,contemplantlaforêtépaisselelongdelaquellenousétionsparqués.

—Parici,dit-ilenjetantuncoupd’œilderrièrelui,l’airtoujoursaussirevêche.Surce,ils’enfonçadanslesbois.—Maislechemin?bêlai-je,paniquée,encourantautourducamionpourlerattraper.—Jen’aijamaisditquenousl’emprunterions.—Ahbon?—Jenetelaisseraipasteperdre,va!Il se retourna,un souriremoqueuraux lèvres. J’étouffaiunpetit cri.Sa chemise sans

manchesétaitdéboutonnée,révélantlelisséblancdesapeauquis’étalait,ininterrompu,desa gorge aux contours marmoréens de son torse, libérant sa musculature impeccable desvêtementsquid’habituden’endonnaientqu’unevagueidée.Ilétaittropparfait,merendis-je

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compte, désespérée. Il était impossible qu’une créature aussi divine pûtm’être destinée. Ilmedévisagea,décontenancéparmonairtorturé.

—Tupréfèresrentrer?murmura-t-ild’unevoixquiexhalaitunesouffrancedifférentedelamienne.

—Non.J’avançai jusqu’à me retrouver tout près de lui, anxieuse de ne pas perdre une des

secondesdutempsquim’étaitimpartiensacompagnie.—Qu’ya-t-il,alors?voulut-ilsavoir,soudaintrèstendre.—Jenesuispas trèsbonnemarcheuse,confessai-je,penaude. Ilva falloirque tusois

trèspatient.—J’ensuiscapable...mêmesiçaexigebeaucoupd’efforts.Il me sourit, soutenant mon regard comme pour me tirer de mon inexplicable

découragement.Jetentaideluiretournersonsourire,maisjenefuspastrèsconvaincante.Ilm’observalonguement.

—Tuvasrentrercheztoi,mejura-t-il.Jeneréussispasàdéterminersicettepromesseétaitsansconditionousoumiseàun

départimmédiat.Jedevinaisqu’ilmettaitmonbouleversementsurlecomptedelapeurqu’ilm’inspirait et, une fois encore, je fus contente d’être celle dont il n’arrivait pas à lire lespensées.

—Si tuveuxque je crapahutedixbornesdans la jungle avant le coucherdu soleil, tuferaismieuxd’avancer,lançai-je,acide.

Ilfronçalessourcils,essayantd’interprétermontonetmonexpression,maisilfinitparrenonceretpritlatêtedenotreexpédition.

Cenefutpasaussidifficilequejel’avaiscraint.Leterrainétaitpresqueplat,etEdwardécartaitlesfougèreshumidesetlesrideauxdemoussedevantmoi.Lorsqu’ilfallaitescaladerdestroncsd’arbreoudesrochers,ilm’aidaitàlesfranchirenmesoutenantparlecoude,merelâchantdèsquej’étaisdel’autrecôté.Soncontactglacénemanquaitjamaisd’accélérerlesbattements de mon cœur. À deux reprises, je détectai sur ses traits une réaction qui meconfirmaqu’illesentendait.Jetâchaid’éviterlepluspossiblederegardersoncorpssublime,maisjedérapaissouvent.Àtouslescoups,sabeautémetransperçaitdetristesse.

Nousprogressâmesensilence,neparlantquerarement.Detempsàautre,ilmeposaitune question au hasard, de celles qui avaient échappé à ses investigations des deux joursprécédents. Mon anniversaire, mes enseignants de l’école primaire, les animaux de monenfance–jedusavouerque,aprèsavoirtuétroispoissonsrougesàlasuite,j’avaisrenoncéàcegenred’institution.Cedétailprovoquaenluiunehilaritéd’unevigueurinédite,l’échodesesrirespareilsàdesclochettesserépercutantàtraverslaforêtdéserte.

La balade nous prit presque toute la matinée, mais il ne fit pas une fois montred’agacement. Les bois s’étalaient alentour en un labyrinthe infini de très vieux arbres, aupointquejecommençaiàmedemanderavecnervositésinousretrouverionsnotrechemin.Lui était parfaitement à l’aise dans cette toile de verdure et paraissait n’avoir aucundoutequantànotretrajectoire.

Au bout de quelques heures, la lumière filtrée par la feuillée passa d’un vert olivesoutenuàunjadeplusclair– lesoleil l’avaitemporté,commeprévu.Pour lapremièrefoisdepuis que j’avais pénétré dans la forêt, l’excitation s’empara demoi et ne tarda pas à setransformerenimpatience.

—Onestbientôtarrivés?lançai-je,faussementbougonne.—Presque,répondit-il,monchangementd’humeurdéclenchantunrictusnarquois.Tu

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voislalueur,là-bas?Jescrutailesarbres.—Euh...non.—C’estsansdouteunpeutroploinpourtesyeux.—Alors,ilseraittempsquej’aillechezl’ophtalmo,marmottai-je,cequilefitrire.Auboutd’unecentainedemètrescependant,jedistinguaieneffetsouslesfrondaisons

une trouée plus jaune que verte. J’accélérai, de plus en plus fiévreuse.Me laissant passerdevant,ilmesuivitsansbruit.

Franchissant ladernièrerangéedefougères, j’entraidansl’endroit leplusravissantdumonde.Laclairière,petiteetparfaitementronde,étaittapisséedefleursviolettes, jaunesetblanches.Àquelquesmètresdelà,murmuraitunruisseau.Lesoleiltombaitdroitsurnous,noyant la place sous un halo de lumière mordorée. Intimidée, j’avançai lentement dansl’herbetendre,lespétaleschatoyants,l’airtièdeetdoré.Jemeretournaiàdemi,désireusedepartagercetinstantaveclui,maisiln’étaitpluslà.Jelecherchaivivementdesyeux,soudainalarmée,etfinisparlerepérer–ilétaitrestédansl’ombreépaissedesfeuilles,àl’oréedelaclairièreetmecontemplaitprudemment.Me revintalors enmémoire ceque labeautédeslieuxm’avait faitoublier–l’énigmed’Edwardetdusoleilqu’ilavaitpromisdememontreraujourd’hui.

Je fis un pas vers lui, pleine de curiosité. Il paraissait circonspect, réticent. Avec unsourire encourageant, je l’invitai à venir et me rapprochai encore. Il leva le bras, et jem’arrêtai,oscillantsurmestalons.Ilparutinhalerlonguementpuisplongeadansl’éclatanteauradusoleildemidi.

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CONFESSIONS

Lespectacled’Edwardausoleilétaitchoquant.Jeneparvenaispasàm’yhabituer,bien

quejel’aieeusouslesyeuxtoutl’après-midi.Sapeau,blancheendépitd’unevaguerougeurdue à sa partie de chasse de la veille, flamboyait littéralement, comme si des millions deminuscules diamants y avaient été incrustés. Il était allongé dans l’herbe, totalementimmobile, chemise ouverte sur son torse sculptural enivrant, ses bras nus chatoyants. Sespaupièrescouleurlavandeétaientfermées,mêmes’ilnedormaitpas,naturellement.Ilétaitunestatueparfaite,travailléedansunmatériauinconnulissecommelemarbreetscintillantcomme le cristal. Parfois, ses lèvres bougeaient, si vite qu’on eût dit qu’elles tremblaient.Lorsque je lui posai la question, il me répondit qu’il chantait ; trop bas pour que jel’entendisse.

Moiaussi,jeprofitaidubeautemps,bienqu’ilnefîtpasassezsecàmongoût.Àl’instard’Edward,j’auraisaimém’étendreetlaisserlesoleilréchauffermapeau.Aulieudequoi,jeme contentai deme pelotonner en chien de fusil pour l’observer, insatiable. La brise étaitdouce, emmêlant mes cheveux et ébouriffant l’herbe qui s’agitait autour de sa silhouettefigée.

Laclairière,sispectaculaireaupremierabord,pâlissaitdevanttantdemagnificence.Hésitante,toujoursaussieffrayéequ’ildisparûttelunmiragetantilétaittropbeaupour

être vrai... hésitante, je tendis un doigt et caressai le dos de samain étincelante. Une foisencore,jem’émerveillaidelatexturesansdéfautdesapeau,doucecommedusatin,fraîchecommedelapierre.Lorsquejerelevailesyeux,lessiensmeregardaient.Unsourireplissalescommissuresdeseslèvresadmirables.

—Jenet’effraiepas?plaisanta-t-il.Jesentispourtantuneréellecuriositéderrièrelebadinageaffiché.—Pasplusqued’habitude.Sonsourire s’élargit, et sesdentsmiroitèrentau soleil. Jeme rapprochai, osant tracer

les contours de son avant-bras du bout de mes doigts, qui tremblaient, ce qu’il n’allaitsûrementpasmanquerderemarquer.

—Jet’embête?murmurai-je,carilavaitrefermélesyeux.—Non.Tun’imaginespaslessensationsquetumeprocures.Jefiscourirmapaumelégèrelelongdesmusclesincomparablesdesonbras,suivantle

réseau bleuâtre des veines au creux de son coude. Mon autre main avait entrepris deretournerlasienne.Devinantmesintentions,ils’exécutaenl’undecesgestesd’unerapiditéaveuglanteetdéconcertante,etjemefigeai.

—Désolé,marmonna-t-il.J’aitendanceàmelaisseralleràmavraienature,avectoi.Soulevantsonpoignet,jel’orientaide-cide-làafindevoirlesoleilricocherdessus.Jele

collaitoutprèsdemonvisage,cherchantàdistinguerlesfacettescachéesdesonderme.

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—Dis-moiàquoitupenses,murmura-t-il.L’ignorerestsiétrange,ajouta-t-il.—Jetesignalequec’estnotrelotcommun,ànousautres.—Votreexistenceestdure.Dis-moi,répéta-t-il.—Jesongeaisquej’auraisaimésavoircequetoitupensais...—Et?—Jesongeaisquej’auraisaimécroireentaréalité.Etnepasavoirpeur.—Jeneveuxpasquetuaiespeur.Sonchuchotementtaisaitcequ’ilnepouvaitaffirmeraveccertitude–quejen’avaisrien

àcraindre.—Pourêtreexacte,lapeurenelle-mêmenemepréoccupepastantqueça.Bienqu’elle

nesoitpasnégligeable.Tropvitepourmespauvresyeuxd’humaine,ilserelevaàdemi,s’accoudasursonbras

droit, sa paume gauche toujours dansmesmains. Son visage d’ange n’était qu’à quelquescentimètresdumien.J’auraispu–j’auraisdû–reculerdevantcettesoudaineproximité,saufquej’étaisincapabledebouger,hypnotiséeparsesprunellesdorées.

—Quecrains-tu?Une question à laquelle il me fut impossible de répondre. Car, pour la seconde fois

depuisquejeleconnaissais,jehumaisonhaleine.Uneodeurfraîcheetsucrée,délicieuseetunique,quimemit l’eauà labouche. Instinctivement, jemepenchai, inhalantàpleinnez.Alors,ils’échappa.Letempsquejereprennemesesprits,ilsetenaitàdixmètresdemoi,aubordde la clairière, dans la pénombred’un énorme sapin. Ilme fixait de ses iris sombres,arborantuneexpressionénigmatique.J’étaisblessée,secouée,etmesdoigtsvidesbrûlaient.

—Excuse-moi,dis-jetoutbas,sachantqu’ilm’entendrait.—Donne-moijusteunmoment.J’attendis, immobile.Auboutdequelques secondes incroyablement longues, il revint,

lentementpourlui.Ils’arrêtaàquelquespasdemoiets’assitgracieusemententailleur.Sonregardétaitvrilléaumien.Ilinspiraprofondément.

—Désolé,marmonna-t-ilavecunsourirehésitant.Comprendrais-tusijetedisaisn’êtrequ’unhomme?

J’acquiesçai aussitôt,mais sa plaisanterie nemedéridapas. L’adrénaline envahitmesveinesaufuretàmesurequeledangers’imposaitàmaconscience.Illeflairasanspeine,etsamouedevintnarquoise.

—Jesuislemeilleurprédateuraumonde,n’est-cepas?Toutenmoit’attire–mavoix,mestraits,monodeur.Commesij’avaisbesoindeça!

Brusquement,ilseremitdeboutetdisparutd’unbondpourréapparaîtresouslemêmearbrequ’auparavant.Ilavaitfaitletourdelaclairièreenmoinsd’uneseconde.

—Tunepourraispasm’échapper!s’esclaffa-t-ilavecamertume.Il arracha au sapin une branche de cinquante centimètres de diamètre – le bruit fut

assourdissant,legestefacile–etjouaavecpendantuninstantavantdelajeteràunevitesseeffarante contre le tronc d’un autre arbre énorme, où elle explosa. Puis, il fut de nouveaudevantmoi,aussifigéqu’unroc.

—Tunepourraispasmerésister,murmura-t-il.Je n’avais pas bronché, effrayée pour de bon. C’était la première fois que je voyais

tomber sa façade soigneusement cultivée ; jamais il n’avait été aussi peu humain, ni plusbeau.Hébétée,stupéfiée, j’étaisunoiseauprisaupièged’unserpent.Sesyeuxmagnifiquessemblaientbrillerd’uneâpreexcitation.Ilsseternirentpeuàpeu,etsonvisageretrouvalemasquedetristessequiétaitlesiend’ordinaire.

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—N’aiepaspeur,chuchota-t-il,sesintonationsveloutéesvolontairementséductrices.Jetepromets...Jetejuredenejamaistefairedemal.

J’eusl’impressionqu’ilcherchaitàs’enconvaincrelui-même.—N’aiepaspeur,répéta-t-ilenserapprochantavecunelenteurexagérée.Dansunmouvementdélibérémentmesuré,ilsebaissajusqu’àcequenosyeuxfussent

àniveau.—S’ilteplaît,pardonne-moi.Jesaismecontrôler.Tum’asprisaudépourvu,c’esttout.

Jevaisêtresage,maintenant.Ilguettamaréaction;malheureusement,j’étaisincapabledeprononcerunmot.—Jen’aipassoif,aujourd’hui,insista-t-ilenm’adressantuncoupd’œilcomplice.Jenepusm’empêcherderire,unpetitsontremblotantetétranglé.—Çavaaller?Latendresseétaitrevenue.Samainmarmoréenneseposaprudemmentsurlamienne.

Jecontemplai sapeau lisseet froide,puis sespupilles.Ellesétaientdouceset contrites.Jereprisdélibérémentmescaresseslelongdesveinesdesamainetluilançaiunsouriretimide.Celuiqu’ilmeretournaétaitéblouissant.

—Oùenétions-nous,avantquejemecomporteaussimal?—Trèsfranchement,j’aioublié.Ilparuthonteux.— Je crois que nous parlions de ce qui provoquait ta peur, en dehors des raisons

évidentes.—Ahoui.—Alors?Je continuais à dessiner au hasard des tracés sur sa paume iridescente. Les secondes

s’écoulèrent.—Lapatiencen’estpasmonfort,soupira-t-il.Plongeantdanssesyeux,jecomprisquetoutcelaétaitaussinouveaupourluiquepour

moi.Quellesquefussentsesannéesd’insondableexpérience,c’étaitdurpourluiégalement.Cetteréactionmedonnalecouragenécessaire.

—J’aipeurparceque,pourdesraisonsévidentes,jenepeuxpasresteravectoi.Or,j’aipeurd’enavoirenviedemanièredéraisonnable.

Jeneleregardaisplus–ilm’étaitdifficiledeprononcercesparolestouthaut.— Oui, désirer ma compagnie est effectivement effrayant. Et vraiment pas dans ton

intérêt. (Je fronçai lessourcils.)J’auraisdûm’éloignerdepuis longtemps. Il faudraitque jeparte,là,toutdesuite.Hélas,jenesuispascertaind’enavoirlaforce.

—Jeneveuxpasquetut’enailles.— Voilà exactement pourquoi je devrais m’y résoudre. Ne t’inquiète pas, va. Je suis

égoïste.Moiaussi,jedésiretroptacompagniepourêtreraisonnable.—J’ensuisheureuse.—C’estmal!Il retirasamain,plusdoucementcette fois,mêmesisavoixétaitdevenuedure(mais

tellementplusbellequen’importequellevoixhumaine).Ilétaitarduàsuivre–sesbrusquesetconstantessautesd’humeurmedésarçonnaient.

— Ce n’est pas seulement ta compagnie que je désire, reprit-il. Ne l’oublie jamais.Rappelle-toiquejereprésenteundangersanségalpourtoi,quejesuislamenaceabsolue.

Ils’interrompit.Levantlatête,jem’aperçusqu’ilfixaitsanslavoirlaforêt.—Jenesuispascertainedetecomprendre.

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Ilmeregardaet,unefoisencore,latendresserepritledessus.—Commentt’expliquersanst’affoler?Sans réfléchir, il replaça sa main entre les miennes ; je la serrai comme un trésor

précieux.— Cette impression de chaleur est étonnamment agréable, commenta-t-il en

contemplantnosdoigtsentrelacés,avantdeseconcentrersursesidées.Bon,reprit-ilunpeuplus tard, tu sais que les gens n’ont pas les mêmes goûts. Certains aiment la glace auchocolat, d’autres préfèrent la fraise. (J’acquiesçai.) Désolé pour cette comparaisonmalheureuse, je n’ai pas trouvé mieux. (Nous rîmes.) Tu vois, chacun a une odeurparticulière,uneessencepersonnelle.Si tuenfermaisunalcoolique repentidansunepiècepleine de bière frelatée, il réussirait à résister. Mais supposons que tu remplaces la bièreéventéeparunverred’unexcellentetrarissimecognac,queturemplisseslapiècedeceseuletpuissantarômedevieuxbrandy,commentcrois-tuqu’ilsedébrouillerait?

Nous nous dévisageâmes, comme pour lire les pensées de l’autre. Il fut le premier àbriserlesilence.

—Lamétaphoreestsûrementmalchoisie.Iln’estpeut-êtrepassidifficilederésisteraucognac.J’auraisdûprendreunhéroïnomane.

—Serais-tuentraindemesuggérerquejesuisunedosed’héroïne?—Exactement.—Celaarrive-t-ilsouvent?Ilréfléchitàmaquestionencontemplantlacimedesarbres.—J’enaiparléàmesfrères.PourJasper,vousêtesinterchangeables.Ilestlemembrele

plusrécentdenotrefamille,etsonsevragerelèveducombat.Iln’apasencoreeuletempsdesesensibiliserauxdifférentesodeursetsaveurs.Navré...

—Cen’est rien.Écoute,ne te souciepasdeme choquer oudem’effrayer.C’est votremode de fonctionnement, et je peux le comprendre, m’y efforcer du moins. Explique leschosescommeellesteviennent.

—Merci.Bref,Jaspern’estpassûrd’avoirrencontréquelqu’unquisoitaussi...attirantquetul’espourmoi.Emmett,quiest,sijepuisdire,danslebaindepuispluslongtempsm’acompris,lui.Ilm’aavouéqueçaluiétaitarrivédeuxfois,dontunedemanièretrèspuissante.

—Etàtoi?—Jamais.Lemotrestasuspenduuninstantdanslatiédeurambiante.—CommentaréagiEmmett?demandai-jepourromprelesilence.Mauvaisequestionvisiblement.Levisaged’Edwards’assombrit,samaindanslamienne

seserraenunpoing,etildétournalesyeux.J’attendis,maiscomprisquejen’obtiendraispasderéponse.

—Jecroisdeviner,finis-jeparmurmurer.Ilmeregarda,l’airtristeetsuppliant.—Mêmeleplusfortd’entrenousaledroitàl’erreur,non?chuchota-t-il.—Queveux-tu?Monconsentement?Mavoixavaitclaqué,plussèchequejenel’auraissouhaité.Jetâchaidemecontrôler–

aprèstout,pareillefranchisedevaitbeaucoupluicoûter.—Est-ceàdirequ’iln’yapasd’autresolution?Lasérénitéaveclaquellej’étaisentraind’évoquermapropremortmeconfondit.—Non,non!s’empressa-t-ild’objecter.Ilyenad’autres,biensûr.Ilestévidentqueje

ne...

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Iln’achevapassaphrase.Sesyeuxbrûlantsplongèrentdanslesmiens.—Nousdeux,reprit-il,c’estdifférent.PourEmmett,ils’agissait...d’étrangers,croisésau

hasard. C’était il y a longtemps, et il n’était pas aussi... entraîné ni aussi prudentqu’aujourd’hui.

Ilsetutetmedévisageaintensémenttandisquejeméditaiscesparoles.—Donc,sinousnousétionsrencontrés...dansunealléesombre,jenesaispas...—J’aiétécontraintdefourniruneffortdémesurépourmeretenir...aumilieudecette

classepleined’élèves.Lorsquetuespasséeprèsdemoi,j’auraispudétruireenunefractiondesecondetoutcequeCarlisleabâti.Sijen’avaispaseul’habitudedeluttercontremasoifdepuis...troplongtemps,j’auraisétéincapablederésister.

Ilme jetauncoupd’œil lugubre.Cet instantn’étaitque tropvifdansnosmémoiresàtousdeux.

—Tuasdûtedirequej’étaispossédé.—Jen’aipascompriscettehaineimmédiate.—C’étaitcommesituétaisunesortededémonsurgidemonEnferpersonnelpourme

détruire.L’arômedetapeau...j’aicrudevenirfou.Duranttoutecetteheure,j’aiimaginémilleetunstratagèmespourt’attirerdehorsett’avoiràmoiseul.Jelesaicombattusunàunenpensantauxmiens,auxrépercussionséventuelles.Ilfallaitquejem’enfuie,quejem’éloigneavantdenepouvoirretenirlesmotsquit’auraientincitéeàmesuivre...

Je chancelai à l’évocation de ce souvenir amer. Ses prunelles dorées lançaient desflammes,hypnotiquesetmortelles.

—Tuseraisvenue,m’assura-t-il.—Sansdoute,acquiesçai-jed’unevoixquej’espéraicalme.Sourcillant,ilmelibéradelapuissancedesonregardincandescent.—Ensuite,enchaîna-t-il, j’aivouluchangermonemploidutempsafindet’éviter,ettu

étais là, dans ce petit bureau surchauffé, et ton odeur était enivrante. Là aussi, j’ai faillicraquer.Iln’yavaitqu’unautrehumainavecnous,unefemmefrêlequejen’auraiseuaucunmalàliquider.

Malgré le soleil, je frissonnai.Cen’étaitquemaintenantque jeprenais lamesuredespérils auxquels j’avais été exposée. Pauvre Mme Cope. J’avais été si près de provoquer,involontairement,samort.J’entremblaidenouveau.

— Mais j’ai résisté, disait Edward. J’ignore comment. Je me suis forcé à ne past’attendre,ànepastesuivre.Dehors,ilm’aétéplusfacilederéfléchiretdeprendrelabonnedécision,carjenesentaisplustafragrance.J’aidéposélesautresàlamaison–j’avaistrophontepourleurconfiermafaiblesse.Ilsavaientjustedevinéquequelquechosedetrèsgraves’étaitproduit–etj’aifoncédroitàl’hôpitalpourannonceràCarlislequejem’enallais.

Cetaveumedérouta.Luisemblacontrit,commes’ilvenaitdeconfesseruneimmenselâcheté.

—Nousavonséchangénosvoitures,ilavaitfaitlepleindelasienne,etjenevoulaispasm’arrêter.Jen’aipasosérentreraffronterEsmé.Ellenem’auraitpaslaissépartirsansunescène, sans essayer de me persuader que c’était inutile... Le lendemain matin, j’étais enAlaska.J’yaipassédeuxjours,avecdevieillesconnaissances...maislamaisonmemanquait.Savoirquej’avaismeurtriEsmé,lesautres,mafamilleadoptive,m’étaitinsupportable.Dansl’air pur des montagnes, j’avais du mal à croire que tu sois aussi irrésistible. Je me suisconvaincuquefuirétaitminable.J’avaisdéjàététenté,pasavecunetelleampleur,loindelà.J’étaisfort.Quiétais-tu,petitefilleinsignifiante(ileutungrandsourire),pourmechasserdel’endroitoùjedésiraisvivre?Alors,jesuisrevenu...

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Ils’abîmadanslespectacledelanature.J’étaismuette.— J’ai pris mes précautions, chassant et mangeant plus que nécessaire avant de te

revoir.J’étaiscertaind’êtreassezsolidepourtetraitercommen’importequelautrehumain.Malheureusement, c’était de l’arrogance.Qui plus est,mon incapacité à lire tes pensées etconnaître tes sentiments à mon égard n’a fait que compliquer les choses. Je n’étais pashabitué à recourir àdesméthodes aussi retorses, commede t’espionner à travers Jessica...dont l’espritn’estpas trèsoriginal etdont jenepouvaisêtre certainde la fiabilité.Tout çaétaittrèsirritant.J’étaisagacédedevoirm’abaisseràcegenredecomportement.

Cesouvenirluiarrachaunegrimace.—Jedésiraisquetuoubliescefameuxjour,etj’aitentédeteparlercommeàn’importe

qui.J’avaishâte,même,espérantainsiréussiràdécryptertoncerveau.Malheureusement,tuétais bien trop passionnante, et je me suis retrouvé pris au piège de tes expressions...aujourd’hui encore, quand tu agites la main ou secoue tes cheveux, ton odeur m’enivre...Après, bien sûr, tu as failli être écrasée sous mes yeux. Enmon for intérieur, je me suisinventéuneexcuseidéale–sijen’étaispasintervenu,tonsangseseraitrépandudevantmoi,etj’auraisétéincapabledemecontenir,cequiauraitmontréàtousmavraienature.Maisceprétextenem’estvenuquetardivement.Surlemoment,maseulepenséeaété«paselle».

Il ferma les paupières, perdu dans sa douloureuse confession. J’étais attentive, avide,irrationnelle.Lebonsensmesusurraitque j’auraisdûêtreterrifiée.Aulieudequoi, j’étaissoulagéedecomprendre,enfin.Surtout, j’étaispleinedecompassionpourcequ’ilendurait,alorsmêmequ’ilm’avouaitêtrecalcinéparledésirdem’ôterlavie.

—Etàl’hôpital?finis-jeparréussiràmurmurerd’unetoutepetitevoix.Rouvrantlesyeux,ilmetransperçadesonregard.—J’étaisconsterné.Jen’arrivaispasàcroirequej’avaismislesmiensendanger,queje

m’étaislivréàtonpouvoir,toiparmitantd’autres.Commesij’avaiseubesoind’unenouvelleraisondetetuer.

Noustressaillîmestousdeuxlorsquelemotluiéchappa.—Saufqueçaaeul’effetcontraire,s’empressa-t-ildepoursuivre.Jemesuisbattuavec

Rosalie,EmmettetJasperlorsqu’ilsontsuggéréquejetenaislàuneoccasionde...Nousnenousétionsencorejamaisaffrontésaussiviolemment.Carlisles’estrangédemoncôté.Aliceaussi.Esmém’aseulementconseilléd’agirdefaçonàpouvoirresterparmieux.(Ilsecoualatêteavecindulgence.)Lelendemain,toutelajournée,j’aiscannélesespritsdeceuxàquituparlais,etj’aiétéchoquédeconstaterquetutenaisparole.Jenetecomprenaispasdutout.Je savais juste qu’il m’était impossible de m’impliquer plus avant avec toi. J’ai fait monmaximum pour m’éloigner. Et chaque jour, le parfum de ta peau, de ton haleine, de tescheveux...mefrappaitaussipuissammentquelorsdenotrepremièrerencontre.

Sespupillessetournèrentunenouvellefoisversmoi,étonnammenttendres.—Paradoxalement, tout aurait étéplus facile si jenous avais exposésdès ledébut en

cédantàmes impulsions. Il est trop tardàprésent,même là, toutde suite, alorsquenoussommesseuls,sanstémoins.

J’étaissuffisammenthumainepourluidemanderpourquoi.—Isabella...Ilprononçamonnomenentier,soigneusement,puism’ébouriffagentimentlescheveux

desamainlibre.Unfrissonsecouamoncorps.—...Bella,jenemesupporteraisplussijelefaisais.Tunedevinespasàquelpointcela

m’atorturé.(Ilbaissalatête,denouveauhonteux.)T’imaginerimmobile,blanche,froide...neplusjamaisterevoirrougir,neplusjamaisrevoircetéclatd’intuitionallumertesyeuxquand

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tu pressens mes mensonges... ce serait intolérable. Tu es désormais l’élément le plusimportantdemavie.Detoutemavie.

J’avais du mal à suivre les méandres de la conversation. Du joyeux sujet de monimminentdécès,nousenétionssoudainvenusàdesdéclarations.Ilattendaitquejeréagisse,etj’avaisconsciencedesespupillesdoréesfixéessurmoi.

—Tusaiscequej’éprouvepourtoi,finis-jeparconfesseràmontour.Jesuisici...cequi,engros,signifiequejepréféreraismourirplutôtquedeteperdre.Jesuisuneidiote.

—Tul’es,admit-ilens’esclaffantsèchement.Nos regards se rencontrèrent, et je ris aussi. Nous trouvions tous deux ma bêtise et

l’improbabilitédumomentquenousvivionsdésopilantes.—Etlelions’épritdel’agneau...murmura-t-il.Exaltée,jedétournailatêteetdissimulaimesyeux.—Quelimbécile,cetagneau!soupirai-je.—Quelfou,celion...Quelmasochiste...Il s’abîma dans la contemplation de la forêt ombreuse, entraîné par des pensées

secrètes.—Pourquoi...Je m’interrompis, hésitant à poursuivre. Il me sourit, et le soleil se refléta sur son

visage...etsesdents.—Oui?—Dis-moipourquoitut’esenfuidevantmoi.—Jeviensdetel’expliquer,rétorqua-t-ilensefermant.—Non.Jevoudraissavoircequej’aifaitdemal.Ilvafalloirquejesoissurmesgardes,

dorénavant.Mieux vaut donc que j’apprenne tout de suite les gestes à éviter. Celui-ci, parexemple,ajoutai-jeencaressantledosdesamain,paraîtacceptable.

— Tu n’as rien fait demal, m’assura-t-il en retrouvant son entrain. C’était ma faute,Bella.

—Maisjeveuxaideràterendreleschosesplusaisées,sic’estpossible.— Eh bien... C’était juste ta proximité. Par instinct, la majorité des humains nous

évitent,révulsésparnotreétrangeté...Jenem’attendaispasàcequetunetesauvespas.Etpuis,ilyavaitl’odeurdetagorge.

Ils’arrêtanet,commes’ilcraignaitdem’avoirchoquée.—Trèsbien,jelacacheraiàpartirdemaintenant!Je baissai le menton, histoire de détendre l’atmosphère qui s’était alourdie. Ça

fonctionna–ilrit.—Non,vraiment,j’aisurtoutétésurpris.Samainlibreseplaçadélicatementsurmoncou.Jenebronchaipas.Lafroideurdeses

doigtsmefitvibrer,commesilanatureexigeaitquej’eussepeur.Mais,danslemaelströmdemesémotions,lapeurn’avaitpassaplace.

—Tuvois,dit-il,toutvabien.Monsangbattaitdansmesveines, et j’auraisvouluêtre capablede ralentir sa course,

pressentant que cela devait contribuer à compliquer la tâche d’Edward, qui l’entendaitsûrement.

—Cesrougeurssontmagnifiques,murmura-t-il.Doucement, il dégagea son autre main. Les miennes retombèrent, inertes, sur mes

genoux.Ileffleuramajoue,pritmonvisageentresesdoigtsdemarbre.—Nebougepas,chuchota-t-il.

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Pasdedanger!J’étaispétrifiée.Posément,sansjamaismequitterdesyeux,ilsepenchaversmoi.Puis,vifmaiscaressant,ilappuyasajoueglacéecontrelacourbedemagorge.Pourlecoup,j’enfusréduiteàuneimmobilitétotale.J’écoutaisarespirationmesurée,observantle soleil et le ventqui jouaientdans ses cheveuxde cuivre, cequ’il y avaitdeplushumainchezlui.Avecunelenteurdélibérée,sesmainsglissèrentle longdemoncou.Jefrissonnai,l’entendis reprendre son souffle, mais il ne s’interrompit pas, et ses doigts légersdescendirent surmes épaules avant de s’arrêter. Son visage se faufila sur le côté, son nezfrôlamaclaviculeet,enfin,ilenfouitsatêtedansmapoitrine,bouleversantdetendresse.

—Ah,soupira-t-ilenprêtantl’oreilleauxbattementsdemoncœur.Je ne sais pas combien de temps nous restâmes ainsi immobiles. Ça me parut des

heures.Monpoulsfinitpars’apaiser.Edwardnebronchanineparlapastantqueduranotreétreinte.Jedevinaisque,àtoutinstant, l’effortrisquaitdeserévélertropéprouvant,etquema vie pouvait se terminer – si vite que je nem’en serais sans doute pas rendu compte.Néanmoins,jen’arrivaispasàéprouverdepeur.Jenepensaisàrien,sicen’estàcepremiercontactintime.

Puis,troptôtàmongoût,ilmerelâcha.Sesyeuxétaientpaisibles.—Ceneseraplusaussidur,annonça-t-il,satisfait.—Est-cequeçal’aété?—Pasautantquejel’auraiscru.Etpourtoi?—Non.Pourmoi...non.Moninflexionlefitsourire.—Tiens,dit-il enprenantmamainpour laplacer contre sa joue.Tu sens commeelle

s’estréchauffée?Sapeauordinairementgeléeétaitpresquetiède,eneffet.Jem’yintéressaicependantà

peine,carj’étaisentraindetouchersonvisage,quelquechosedontj’avaisrêvédepuisnotrerencontre.

—Restetranquille,luiordonnai-jeàmontour.Personnenesavaitsefigercommelui.Fermantlesyeux,ilsepétrifia,sculptureofferte

àma curiosité. J’allai à sa découverte encore plus lentement qu’il ne l’avait fait avecmoi,veillant à réfréner ma passion. Je caressai sa joue, effleurai ses paupières et les ombresviolacéesdesescernes.Jesuivisletracédesonnezparfaitpuis,encoreplusprudemment,deseslèvresaudessinmagnifique.Elless’entrouvrirent,et jesentissonhaleinefraîchesur leboutdemesdoigts.J’avaisenviedemepencherdessus,d’inhalersonarôme.Aussi,jeretiraimamainetreculai,soucieusedepasdépasserleslimites.Ilrouvritlesyeux,sonregardétaitaffamé.Pasdemanièreàm’effrayer,plutôtàdéclencherunspasmeaufonddemonventreetàaffolermonpoulsunefoisdeplus.

— J’aimerais tant, murmura-t-il, j’aimerais tant que tu sentes la... complexité... laconfusion...quej’éprouve.Quetucomprennes.

Ilrepoussasoigneusementmescheveux.—Explique-moi,soufflai-je.— Je ne pense pas y parvenir. Je t’ai déjà dit, d’un côté, la faim – la soif – que,

déplorable créature, je ressens pour toi. Je crois que tu saisis ça, jusqu’à un certain point.Mais, comme tun’es pas accro à une substance illégale quelconque, ton empathie ne peutêtrecomplète.D’autresfaimsmedévorent,cependant.Despulsionsquim’échappent,mêmeàmoi.Quimesontétrangères.

—Toutçam’estbeaucoupplusfamilierquetunelepenses.—Jenesuispashabituéauxémotionshumaines.Est-cetoujoursainsi?

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—Pourmoi?Non,c’estlapremièrefois.Ilpritmesmains.Ellesmeparurentsifaiblesdansl’étaudessiennes.—J’ignorecommentêtreprochedetoi,reconnut-il.Jenesuispassûrdelepouvoir.Mes yeux plantés dans les siens pour ne pas l’affoler, je me penchai en avant, très

lentement,etplaçaimajouecontresontorsedepierre.Jel’entendisrespirer,riend’autre.—Celamesuffit,chuchotai-jeenfermantlespaupières.Enungestetrèshumain,ilm’enlaçaetplongeasonvisagedansmescheveux.—Tutedébrouillesbienmieuxquecequetuprétends,fis-jeremarquer.—Jeconservedetrèsvieuxinstincts.Ilssontpeut-êtreenfouistrèsprofondément,mais

ilsexistent.Nous restâmes assis ainsi un autre long moment. Était-il aussi réticent que moi à

bouger ? La lumière faiblissait, cependant, et les ombres de la forêt commençaient à nousatteindre.Jesoupirai.

—Tudoisrentrer.—Jecroyaisquetunepouvaisliredansmespensées.—Ellesmedeviennentdeplusenplusclaires.Lagaietéilluminaitsavoix.Ilm’attrapaparlesépaules.—Puis-jetemontrerquelquechose?demanda-t-il,soudainenjoué.—Quoi?—Comment jemedéplacedans lesbois.Ne t’inquiètepas, s’empressa-t-ildepréciser

devantmaréticence,tun’asrienàcraindreetnousseronsàlacamionnettedrôlementplusvite.

Sabouchesetorditencesourireencoinsicraquant,etmoncœureutunraté.—Tuvastetransformerenchauve-souris?m’enquis-je,pastrèsrassurée.Ilpartitd’unéclatderiretonitruant.—Celle-là,cen’estpaslapremièrefoisqu’onmelasert.—Tuparles!Commesilesgensosaient.—Allez,trouillarde,grimpesurmondos.Je crus qu’il plaisantait mais, apparemment, non. Mes hésitations l’amusèrent, et il

tendit lamain.Mon rythme cardiaque s’affola.Même si Edward ne pouvait lire dansmespensées,monpoulsmetrahissaittoujours.Ilm’aidaàm’installeretcramponnamesjambesetmesbrassiférocementautourdeluiqu’unêtrenormalseseraitétouffé.J’eusl’impressiondechevaucherunroc.

—Jepèseunpeuplusquelesacàdosmoyen,leprévins-je.Il balaya mon avertissement d’un revers insouciant de la main. Jamais il n’avait été

aussi heureux. Soudain, il attrapa ma paume, la pressa contre son nez et respiraprofondément.

—Deplusenplusfacile,marmonna-t-il.Alors,ilsemitàcourir.Si j’avaisdéjàeupeurdemourirensaprésence,cen’étaitrienparrapportàceque je

ressentis alors. Il fila commeunboulet de canonà travers le sous-bois épais et sombre. Ilétaitfantomatique:aucunbruitneprouvaitquesespiedstouchaientlesol,etsarespirationnechangeapas,àcroirequ’ilnefournissaitaucuneffort.Pourtant,lesarbresdéfilaientàunevitesseaffolante,nousrasantdeprès.J’étaistropterrifiéepourfermerlesyeux,endépitducourantd’airfroidquimegiflaitetm’arrachaitdeslarmesbrûlantes.J’euslabêteimpressiond’avoirpassélatêteparlehublotd’unavionenpleinvol.Et,pourlapremièrefoisdemavie,jeressentislafaiblessenauséeusedumaldestransports.

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Toutàcoup,cefutterminé.Alorsquenousavionsmisdesheureslematinàatteindrelaclairière,nousétionsrevenusàlaChevroletenquelquesminutes.

—Génial,hein?s’exclama-t-il,hilare.Immobile,ilattendaitquejedescende.J’essayaibien,maismesmusclesnerépondirent

pas.Mesbrasetmesjambesrestèrentenroulésautourdelui,tandisquelatêtemetournaitdésagréablement.

—Bella?demanda-t-il,anxieux.—J’aibesoindem’allonger,jecrois.—Oh,navré.Ilpatienta.Malheureusement,j’étaistoujoursaussiincapabledememouvoir.—J’aiaussibesoind’aide,avouai-je.Ilétouffaunrire,puisdélaçadoucementmesmainsquiétranglaientsoncou.Laforce

d’airaindesespoignetsétaitimplacable.Ilmefitglisserdevantlui,meprenantdanssesbrascomme un bébé, m’y gardant quelques instants avant de m’étendre délicatement sur desfougèresmoelleuses.

—Commenttesens-tu?J’avaistellementletournisquejen’ensavaisfichtrementrien.—Nauséeuse.—Metstatêteentretesgenoux.J’obéisetnetardaipasàêtreunpeusoulagée.Jerespirai lentement.Ils’assitprèsde

moi. Au bout d’un moment, je m’aperçus que je pouvais relever la tête. Une sonneriestridenterésonnaitdansmesoreilles.

—Cen’étaitpasunetrèsbonneidée,murmura-t-il,penaud.—Au contraire, c’était une expérience très intéressante, tentai-je de le rassurer d’une

voixfaiblarde.—Ha!Tuesblanchecommeunlinge...Pire,même.Commemoi!—J’auraisdûfermerlesyeux.—Rappelle-t’en,laprochainefois.—Pardon?Ils’esclaffa,ravi.—Frimeur,ronchonnai-je.—Regarde-moi,Bella,chuchota-t-il.Sonvisageétaittoutprèsdumien.Sabeautém’étourdit–c’étaittrop,unexcèsauquel

jenem’accoutumaispas.—Enchemin,jeréfléchissais...—Àlameilleurefaçond’éviterlesarbres,j’espère.—Petitesotte.Courirestunedeuxièmenaturechezmoi.Jen’aipasbesoind’ypenser.—Frimeur,répétai-je.—Non,enchaîna-t-ilensouriant,jeréfléchissaisàuntrucquej’aienvied’essayer.Surce,ilrepritmonvisageentresesmainsencoupe.J’arrêtaiderespirer.Ilhésita–pas

d’une façonnormale,pasd’une façonhumaine,pascommeunhommepourrait tergiverseravantd’embrasserunefemme,afindejaugersaréaction,devoircommentellevaleprendre.Oupourprolongerl’instant,cemomentparfaitd’anticipation,parfoismeilleurquelebaiserlui-même. Edward, lui, hésita pour se tester, pour vérifier que c’était sans danger, qu’ilcontrôlait sa soif. Puis ses lèvres de marbre froid se posèrent tout doucement sur lesmiennes.

Ceàquoiniluinimoin’étionsprêts,cefutmaréaction.

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Monsangbouillonnasousmapeau,incendiamabouche.Monsouffledevintheurtéeterratique.Mesdoigts agrippèrent ses cheveux, collant sa tête contre lamienne.Mes lèvress’ouvrirent,etj’inhalaiàfondsonodeurcapiteuse.Aussitôt,ilsepétrifia.Sesmains,doucesmaisfermes,merepoussèrent.Rouvrantlesyeux,jevisqu’ilétaitsursesgardes.

—Houps!—Commetudis.Unéclatsauvageilluminaitsespupilles,samâchoireétaitcrispée.Iltenaitmonvisage

éblouiàquelquescentimètresdusien.—Dois-je...Jevoulusm’éloigner.Sesmainsrefusèrentdemelâcher.—Non,c’estsupportable.Uneminute,s’ilteplaît.Ilétaitpoli,maîtredelui.Jecontinuaidelecontempler,observantsesiriss’adoucirpeu

àpeu.Ilm’adressaunsourireétonnammentespiègle.—Etvoilà,annonça-t-il,visiblementtrèssatisfaitdelui.—Supportable?—Jesuisplusfortquejenelepensais.Çafaitplaisirdel’apprendre.—J’aimeraispouvoirendireautantdemoi-même.Navrée.—Jetepardonne.Tun’esqu’unehumaine,aprèstout.—Merciducompliment.Ilseremitdeboutenundecesmouvementsfluidesetpresqueinvisiblesdontilavaitle

don. Il me tendit la main, ce qui me surprit. J’étais tellement habituée à notre tacite etprudenteabsencedecontacts.J’attrapaisapaumeglacée–cetteaideétaitlabienvenue,carjetitubais,n’ayanttoujourspasretrouvémonéquilibre.

— C’est encore la course ou dois-je le mettre sur le compte de mon habileté àembrasser?

Comme il sembla humain en cet instant d’allégresse où sa physionomie séraphiquerespirait la joie. Ce n’était pas le même Edward que celui que j’avais connu. Et j’en étaisencoreplusentichée.Meséparerdeluimeseraitdésormaisphysiquementdouloureux.

—Unpeudesdeux,j’imagine.—Mieuxvautquejeprennelevolant,alors.—Çavapaslatête?— Je conduis mieux que toi dans tes meilleurs jours, railla-t-il. Tes réflexes sont si

lents!—J’ensuisconvaincue,maisnimesnerfsnimacamionnetten’yrésisteront.—Fais-moiconfiance,Bella,s’ilteplaît.Dansmapoche,mesdoigtsseserrèrentautourdemesclés.—Pasquestion,finis-jepardécider.Incrédule,illevalessourcils.Lecontournant,jemedirigeaiverslaportièreconducteur.

Ilm’auraitpeut-être laisséepasser si jen’avaispas vaguement titubé.Quoique... rienn’estmoinssûr.Sonbrass’enroulaautourdemataille,m’emprisonnantfermement.

—Bella, j’aidépensébeaucoupd’énergiepour tegarderenvieaujourd’hui.Jen’aipasl’intentiondetelaisserconduirealorsquetun’arrivesmêmepasàmarcherdroit.Etpuis,tut’esvuequandt’abu?cita-t-ilenricanant.

Unarômeinsupportablementalléchantémanaitdesontorse.—Bu,moi?protestai-je.—Maseuleprésencet’intoxique,persifla-t-il.—Voilàunargumentquejenepeuxguèreréfuter,soupirai-je.

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Jen’avaispas le choix. J’étais incapablede lui refuserquoique ce soit. Jebrandis lesclés,samainblanches’enemparaàlavitessedel’éclair,sansbruit.

—Vas-ydoucement,l’avertis-je,mavoitureestunedamedutroisièmeâge.—Trèsjuste.—Ettoi,lançai-je,agacée,tun’espasaffectéparmaprésence?Une fois encore, ses traits si mobiles se transformèrent, et une douceur chaleureuse

envahit sonvisage.D’abord, ilne réponditpas. Il se contentade sepencherversmoietdepromener ses lèvres le long de ma mâchoire, de mon oreille à mon menton, à plusieursreprises.Jetressaillis.

—Quandbienmêmeseseraitlecas,murmura-t-ilenfin,iln’enrestepasmoinsquej’aidemeilleursréflexes.

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14

LARAISONETLACHAIR

Jedoislereconnaître,ilconduisaitbienquandilgardaituneallureraisonnable.Comme

tant d’autres choses, cela semblait ne lui coûter aucun effort. Il avait beau à peine prêterattentionàlaroute,ilnedéviaitjamaisdesatrajectoire.Unemainsurlevolant,l’autredanslamienne,ilfixaittantôtlesoleilcouchant,tantôtmonvisage,mescheveuxquivolaientparlafenêtreouverte,nosdoigtsentremêlés.

Ilavaitmisunestationderadioquipassaitdevieuxtubesetfredonnaitàl’unissonunechansonquejen’avaisjamaisentendue.Ilenconnaissaitchaquephrase.

—Tuaimeslamusiquedesannéescinquante?—Elleétaittrèsbonne,àl’époque.Bienmeilleurequecelledesdeuxdécenniesquiont

suivi.Pouah!Aumoins,c’estredevenusupportableàpartirdesannéesquatre-vingt.—M’avoueras-tujamaistonâge?poursuivis-je,unpeuhésitante,carjenetenaispasà

gâchersonentrain.—C’esttellementimportant?rigola-t-il,àmongrandsoulagement.—Non,mais jenepeuxm’empêcherdem’interroger...Riende telqu’unmystèrenon

résolupourmedonnerdesinsomnies.Ilseperditdanslacontemplationducrépusculependantdelonguesminutes.—Fais-moiunpeuconfiance,finis-jeparmurmurer.Ilsoupira,puisplongeasesyeuxdanslesmienscommes’ilavaitoubliéqu’ilconduisait.

Cequ’ilyvitl’encourageasansdouteparceque,aprèss’êtreretournéverslesoleilcouchantdontlalumièreparaitsapeaud’étincellescouleurrubis,ilm’avouaqu’ilétaitnéàChicagoen1901. Il vérifia d’un coup d’œil comment je réagissais, et je pris soin de rester impassible,attendantpatiemmentlasuite.

— Carlisle m’a trouvé au fond d’un hôpital à l’été 1918, continua-t-il avec une petitemoue. J’avais dix-sept ans et j’étais en train de mourir de la grippe espagnole. (J’inspiraiprofondément.) Je n’en garde pas un souvenir très net. C’était il y a longtemps, et notremémoirehumaine s’estompe...En revanche, jeme rappellebien ceque j’ai éprouvéquandCarlislem’asauvé.Cen’estpasuneétapefacilequ’onoublie.

—Ettesparents?—Lamaladielesavaitdéjàemportés.Jen’avaispersonne.C’estpourquoiilm’achoisi,

d’ailleurs.Danslechaosdel’épidémie,quis’apercevraitquej’avaisdisparu?—Commentt’a-t-il...sauvé?Ilneréponditpastoutdesuite,commes’ilréfléchissaitauxmotsjustes.—Çan’apasétésimple.Raressontceuxdotésdelaretenuenécessaire.MaisCarlislea

toujours été le plus humain, le plus compatissant de nous tous... À mon avis, il n’a pasd’équivalentdansl’Histoire.Pourmoi,çaajusteététrès,trèsdouloureux.

Rien qu’au pli de ses lèvres, je devinai qu’il n’en dirait pas plus sur ce sujet, et je

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réprimaimacuriosité,bienqu’ellefûtloind’êtreassouvie.Maisj’avaisbesoindeméditertrèssoigneusementceproblèmeparticulierdontjecommençaisjusteàentrevoircertainsaspects.À coup sûr, avec sa vivacité, lui avait déjà médité tous les détails qui m’avaient jusqu’àprésentéchappé.Savoixdouceinterrompitmespensées.

—Ilaagiparsolitude.C’estengénérallaraisonquiprésideàcettedécision.J’aiétélepremiermembredesa famille,mêmes’ila trouvéEsmépeuaprès.Elleétait tombéed’unefalaise.Ilsl’onttransportéeaussitôtàlamorguedel’hôpital,bienque,parmiracle,soncœurbattîtencore.

—Ilfautdoncêtreàl’agoniepourdevenirun...Nousn’avionsjamaisprononcélemot,etjenepusm’yrésoudreàcetinstant.—Pas forcément.C’est justeCarlisle. Il n’imposerait jamais ce choix à qui aurait une

autresolution.Sonrespectétaitimmenselorsqu’ilparlaitdesonpère.—Ilditcependantquec’estplusfacilequandlesangestfaible,ajouta-t-il.Ilseconcentraitsurlaroutemaintenantquel’obscuritéétaittombée,etjesentisquele

sujetétaitclos.—EtEmmettetRosalie?— Rosalie a été la troisième. Ce n’est que bien plus tard que j’ai compris qu’il avait

espéréqu’elleseraitpourmoicequ’Esméétaitpourlui.(Illevalesyeuxauciel.)Maisjenel’ai jamais considérée que comme une sœur. Deux ans après, elle a ramené Emmett. Ellechassait – nous habitions les Appalaches, à l’époque – et elle est tombée sur un ours quis’apprêtaità l’achever.Elle l’aportésurplusdecentcinquantekilomètrespour leconfieràCarlisle, parce qu’elle avait peur de ne pas y arriver elle-même. Je commence aujourd’huiseulementàmerendrecomptecombiencevoyageadûêtreéprouvantpourelle.

Me jetant un coup d’œil incisif, il leva nosmains croisées et effleurama joue de sesdoigts.

—Etpourtant, soulignai-je enmedétournantde l’insupportable splendeurde ses iris,ellel’aaccompli.

— Oui, chuchota-t-il. Quelque chose chez Emmett lui en a donné la force. Ils sontensemble depuis. Quelquefois, ils vont vivre ailleurs, en couple. Sauf que plus nousprétendonsêtre jeunes,plus ilnousestaisédenous fondredansunenvironnement.Forksnous ayant semblé idéal, nous nous sommes tous inscrits au lycée. (Il rit.) J’imagine que,d’iciquelquesannées,nousseronsbonspourcélébrerunenouvellefoisleurmariage.

—AliceetJasper?—Tousdeuxsontdescréaturesextrêmementrares.Ilsontdéveloppéleurconscience–

commenous l’appelons– seuls, sansavoir été guidésparquiconque. Jasperappartenait àuneautre...famille,trèsdifférente.Dépressif,ilenestparti.C’estAlicequil’atrouvé.Commemoi,ellepossèdecertainsdonsquidépassentceuxdontnotreespèceestnormalementdotée.

—Ahbon?Jecroyaisquetuétaisleseulàpouvoirliredanslespenséesdesgens?—Alicead’autrestalents.Ellevoit.Cequirisqued’arriver,cequivaarriver.Maisc’est

très subjectif. Le futur n’est pas gravé dans le marbre. Les événements sont susceptiblesd’évoluerauderniermoment.

Samâchoiresecrispa,etsesprunellesseposèrentbrièvementsurmoi,sivitequejemedemandaisij’avaisrêvé.

—Quelgenredechosesvoit-elle?—Jasper,parexemple.Elleasuqu’il lacherchaitavantmêmequ’ilnes’endoute lui-

même.ElleaaussivuCarlisleetnotrefamille.Alors,ilsnousontrejointstouslesdeux.Elle

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est particulièrement sensible aux non-humains. Ainsi, elle sait toujours quand d’autresindividusdenotreespèceapprochent.Ets’ilsreprésententunemenace.

—Et...vousêtesnombreux?balbutiai-je,ébahie.Combienétaient-ilsàévoluerparminousincognito?— Non, pas tant que ça. La majorité ne parvient pas à se stabiliser. Seuls ceux qui,

commenous,ontrenoncéàchasserleshumainssontcapablesdevivreaveceuxpendantuncertaintemps.Nousneconnaissonsqu’unseulautregroupecommelenôtre,dansunpetitvillagede l’Alaska.Nousavonsvécuensemblependantquelque temps,maisnousétions sinombreuxquenousavonsfiniparéveillerlessoupçons.

—Etceuxqui...sontdifférentsdevous?—Desnomadespourlaplupart.Nousavonstousconnuça,àunmomentouàunautre

denotreexistence.Commetout,c’estuneviedontonfinitparselasser.Ilarrivequenousencroisions,parceque,engénéral,lesnôtrespréfèrentleNord.

—Pourquoi?Nousétionsgarésdevantchezmoi,àprésent,etEdwardavaitarrêtélemoteur.Lasoirée

étaitnoire et tranquille, sans lune.La lumièreduperron était éteinte–Charlien’était pasencorerentré.

—Tun’as donc rien remarqué, cet après-midi ?Tu crois que je pourrais arpenter desrues ensoleillées sansprovoquerd’accidents ?Sinous avons choisi denous établirdans lapéninsuled’Olympic,undesendroitslesplushumidesdumonde,ilyaunebonneraison.Ilesttellementagréabledesortirenpleinjour.Tun’imaginespasàquelpointonselassedelanuit,àcentansetquelques.

—C’estdelàquesontnéesleslégendes?—Sansdoute.—EtAlice,ellevientd’uneautrefamille,commeJasper?—Non.Cequireprésenteunvraimystère,d’ailleurs.Ellen’aaucunsouvenirdesavie

d’avant. Elle ne sait pas non plus qui l’a créée. Elle s’est réveillée seule. Celui qui l’avaitfaçonnéeavaitdisparu,etaucund’entrenousnecomprendnipourquoinicomment.Siellen’avait pas eu son don, si elle n’avait pas vu Jasper et Carlisle, elle serait probablementdevenueunevraiesauvageonne.

Toutçafaisaitbeaucoupd’informationsàdigérer,etj’avaisencoretantdequestions.Àmongrandembarras,monestomacgronda.J’étaissifascinéequejenem’étaispasaperçuequejemouraisdefaim.

—Jet’empêched’allerdîner,s’excusaEdward.—Net’inquiètepaspourmoi.—C’estlapremièrefoisquejepasseautantdetempsencompagniedequelqu’unquia

besoindesenourrir.J’avaisoublié.—Jen’aipasenviequetupartes.Voilàquiétaitplusfacileàdiredanslapénombre.Mêmesimavoixmetrahitsûrement,

commeelletrahissaitàquelpointj’étaisdésespérémentéprisedelui.—Tum’inviteraisàentrer?—Çateplairait?J’avaisdumal à envisager cette créaturedivine assise surunedespauvres chaisesde

monpère.—Oui,siçaneposepasdeproblème.J’entendissaportièreserefermerendouceuret,presquesimultanément,ilfutdemon

côté,ouvrantgalammentlamienne.

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—Voilàquiesttrèshumain,lecomplimentai-je.—C’estentrainderevenir,aucundoute.Ilm’accompagna jusqu’au perron, tellement silencieux que je ne pusm’empêcher de

vérifier s’il était là. Dans l’obscurité, il paraissait bien plus normal. Toujours aussi pâle etdivinementbeau,mais sansque sapeaune scintillâtdemanière fantastique. Il atteignit laporteavantmoietl’ouvrit.Interloquée,jem’arrêtainet.

—Leverroun’étaitpastiré?—Si.J’aiutilisélaclécachéesousl’avant-toit.J’entrai, allumai la lampe du porche et me tournai vers lui, soupçonneuse. J’étais

certaineden’avoirjamaismentionnédevantluicettecléderéserve.—J’avaisenvied’enapprendreplussurtoi,sejustifia-t-il.—Tum’asespionnée?Jeneréussispascependantàinsuffleràmontonlacolèrenécessaire.Envérité,j’étais

flattée.—Àquoioccupermesnuits,sinon?L’insolent!Laissanttomberpourlemoment,jegagnailacuisine.Ilm’yprécédaenvieil

habituéet s’assit sur lachaisemêmeoù j’avaisessayéde l’imaginer.J’eusdumalànepasbéer d’hébétude. Aussi, je me concentrai sur la préparation de mon repas – une part deslasagnesdelaveillequejeréchauffaiaumicro-ondes.Lacuisinenetardapasàembaumerlatomate et l’origan. Sans quitter des yeux l’assiette qui tournait dans le four, je décida d’enavoirlecœurnet.

—C’estarrivésouvent?—Pardon?Visiblement,jel’avaistirédesesréflexions.—Combiendefoises-tuvenuici?répétai-jeenévitanttoujoursdeleregarder.—Jeterendsvisitepresquetouteslesnuits.—Pourquoi?m’exclamai-jeenvirevoltantsurplace.—Tuestrèsintéressantequandtudors.Tuparles.—Nomd’unchien!Je rougis jusqu’à la racine des cheveux et m’agrippai au comptoir. Je savais que je

marmonnaisdansmonsommeil,biensûr;mamèrem’avaitsuffisammentembêtéeavecça.Maisjen’avaispassongéàm’inquiéterdecetteparticularité.

—Tuestrèsencolère?medemanda-t-il,aussitôtennuyé.—Çadépend!—Dequoi?—Decequetuasentendu,tiens!Immédiatement,sansbruit,ilfutàmoncôtéets’emparademesmainsavecdouceur.—Net’enfaispas,susurra-t-ilenabaissantlatêtepourplongersesyeuxdanslesmiens.

(Embarrassée,jemedétournai.)Tamèretemanque,tut’inquiètesàsonsujet.Etlebruitdelapluiet’énerve.Audébut,tuparlaissouventdecheztoi,là-bas,c’estmoinslecas,àprésent.Unefois,tuasdit:«C’esttropvert!»

Ilsourit,désamorçantmonsentimentd’humiliation.—Quoid’autre?insistai-je.—Tuasprononcémonprénom,admit-il,conscientdelaréponsequejeguettais.—Beaucoup?soupirai-je,vaincue.—C’estcombienpourtoi,beaucoup?—Oh,non!

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Jebaissailatête.D’ungestenaturel,ilm’attiratendrementcontrelui.—Nesoispasgênée,mesouffla-t-ilàl’oreille.Sijesavaisrêver,jenerêveraisquedetoi.

Etjen’enauraispashonte.Soudain, des pneus chuintèrent dans l’allée tandis que des phares illuminaient les

fenêtres.Jemeraidis.—Est-ilnécessairequetonpèresachequejesuislà?s’enquitEdward.—Jen’ensuispascertaine...—Uneautrefois,alors...Etjemeretrouvaiseule.—Edward!chuchotai-je.J’entendis un petit rire fantomatique, puis plus rien. La clé deCharlie tourna dans la

serrure.—Bella?appela-t-il.Cegenred’habitudem’agaçait–quid’autrepouvaitêtreàlamaison?Maismaintenant,

ceréflexenemeparaissaitplusaussidingue.—Jesuisici.Pourvu qu’il ne remarque pas mes accents quelque peu hystériques. J’attrapai mon

dîneretm’assisàtable justeaumomentoùilapparaissait.Sespas lourdsrésonnaientfort,aprèslefurtifEdward.

—Tupeuxmepréparerlamêmechose,s’ilteplaît?Jesuisépuisé.S’appuyant sur le dossier de la chaise d’Edward, il retira ses bottes avec ses pieds. Je

m’occupaidesonrepastoutenavalant lemien–jemebrûlai la langued’ailleurs.J’emplisdeuxverresdelaitpendantqueleslasagnesréchauffaientetengloutislemienpourapaiserlefeu de ma bouche. Quand je le reposai, je m’aperçus que ma main tremblait. Charlies’installa – le contraste entre lui et le précédent occupant du siège était comique. Il meremerciapourl’assietteplacéedevantlui.

—Bonnejournée?luidemandai-jeprécipitamment.Jemouraisd’enviedemeréfugierdansmachambre.—Très.Çamordaitbien...Ettoi?Tuasréussiàfairetoutcequetuvoulais?—Non.Ilfaisaittropbeaupourresterenfermée.—Oui,c’étaitunejournéeexceptionnelle.C’étaitpeudire,pensai-je.Jeterminaimonrepasendeuxbouchées.—Tuespressée?Sescapacitésd’observationmedéstabilisèrent.—Oui,jesuisfatiguée.J’ail’intentiondemecouchertôt.—Tuasl’airtendue.Pourquoi,pourquoidoncfallait-ilqu’ilsemontreaussiattentifjustementcesoir-là?—Vraiment?Unpeumince,commeréponse.Jelavairapidementmavaisselleetlamitàégouttersur

untorchon.—Onestsamedisoir,s’aventuramonpère.Jel’ignorai.—Pasdeplanpourlasoirée?persista-t-il.—Non,papa.J’aijusteenviededormir.—Lesgarçonsducoinnesontpastongenre,hein?essaya-t-ildeplaisanter,bienque

sontonfûtsuspicieux.—Jen’enaipasencorerepéréunseul.

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—EtceMikeNewton?Tudisaisqu’ilétaitsympa.—Cen’estqu’unami,papa.— De toute façon, tu vaux mieux qu’eux tous réunis. Tu auras tout le temps d’en

chercherunàlafac.Le rêve de tout père, que sa fille ait quitté lamaison avant que ses hormones ne se

mettentàlatravailler.—C’estça,lançai-jeenmedirigeantversl’escalier.—Bonnenuit,chérie.Àn’enpasdouter, ilallait tendre l’oreille toute la soirée,histoiredevérifierque jene

faisaispaslemur.—Àdemain.Ouplustôt,desfoisqu’il luivienneàl’idéedes’assureraubeaumilieudelanuitque

j’étaisdansmonlit.Jemontaipesammentlesmarchesafindeleconvaincrequej’étaisépuiséeetfermaima

portesuffisammentfortpourqu’il l’entendeavantdefoncersur lapointedespieds jusqu’àma fenêtre. Je l’ouvris en grand et me penchai dehors, scrutant l’obscurité et le couvertimpénétrabledesarbres.

—Edward?chuchotai-jeenayantl’impressiond’êtrecomplètementidiote.Un rire étouffé me parvint dansmon dos. Je me retournai d’un bond en portant un

poing surma bouche pour retenir un cri de terreur.Radieux, il était allongé en travers demon lit, mains derrière la tête, pieds dans le vide – la décontraction incarnée. Le cœurbattant,jemelaissaiglissersurlesol.

—Désolé,s’excusa-t-ilenessayantdecachersonamusement.—Donne-moiuneminute,letempsquemoncœurreparte.Ils’assit,lentementpournepasm’affolerunedeuxièmefois,puissepencha,tenditses

longsbrasetmerelevaenm’attrapantsouslesaisselles,commeavecunenfantquiapprendàmarcher.Ilm’aidaàm’asseoirprèsdelui.

—Là,murmura-t-ilenposantunemainfroidesurlamienne.Commentvatoncœur?Sonriresilencieuxsecoualelit.Nousrestâmesunmomentsansriendire,tousdeuxà

l’écoutedemonpoulsquisecalmait.L’idéequ’ungarçonhantaitmachambrealorsquemonpèreétaitàlamaisonmetraversal’esprit–jelachassaiimmédiatement.

—M’accorderais-tuquelquesinstantsd’humanité?—Maiscertainement,assura-t-ilavecungrandgestedubras.—N’enprofitepaspourfiler!—Àvosordres,Madame.Sur quoi, il prétendit devenir statue. Sautant surmes pieds, je récupéraimon pyjama

(parterre)etmatroussedetoilette(surlebureau).Sansallumer,jemeglissaisurlepalierenprenantsoindefermerlaportederrièremoi.Jemebrossaiférocementlesdents,tâchantd’êtreà la foisappliquéeet rapide.En revanche, jem’attardai sous ladouche,désireusedeprofiter aumaximumdesbienfaits de l’eau chaude.Peu à peu, lesmuscles demondos sedétendirent,etmarespirationsecalma.L’odeurfamilièredemonshampooingmedonnalesentiment que je pouvais être lamêmeque cematin-là. Jem’interdis de penser àEdwardassis dansma chambre, parce que çam’aurait obligée à reprendre à zéromes exercices derelaxation.Lorsquevintlemomentoùjedusmerésigneràsortir,jecoupail’eauetmeséchaiprestement,repriseparunsentimentd’urgence.J’enfilaimonT-shirttrouéetmonpantalondesurvêtementgris.Troptardpourregretterdenepasavoiremportélepyjamaensoieoffertparmamèredeuxansplustôt.IlsetrouvaitquelquepartdansuntiroiràPhœnix,avecses

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étiquettes.Jedémêlaimescheveuxenvitesse,jetailedrapdebaindanslepanieràlingesale,ma

brosse à dents et mon dentifrice dans ma trousse de toilette, et me précipitai au rez-de-chausséepourqueCharlievoiebienquej’étaisprêteàmecoucher.

—Bonnenuit,papa.—Bonnenuit,Bella.Ilparutsurprisparmonapparition.Siça luiévitaitdevenirm’espionnerdans lanuit,

tantmieux.Jegrimpailesmarchesdeuxàdeuxsansfairedebruitetm’engouffraidansmachambre. Edward n’avait pas bougé, Adonis perché sur ma housse de couette délavée. Jesouris,etseslèvrestressaillirent,lastatuereprenantvie.Ilmejaugea,etnilevieuxT-shirtnimacoiffuresommaireneluiéchappèrent.

—Trèsjoli,commenta-t-il.Jeluiadressaiunegrimace.—Non,vraiment,çatevatrèsbien.—Merci.Jeretournaim’asseoirentailleuràcôtédelui,yeuxbaisséssurlesdessinsduplancher.—Pourquoicemanège?medemandaEdward.—JesoupçonneCharliedecroirequejevaism’éclipserendouce.—Oh.Pourquoi?Commes’ilnedevinaitpascequitraversaitl’espritdemonpèremieuxquemoi.—Apparemment,ilm’atrouvéeunpeusurexcitée.Ilpritmonmentondanssapaume,medévisagea.—Enfait,tuestouterose.Il approcha son visage du mien, colla sa joue fraîche contre ma peau. Je restai

parfaitementimmobile.—Mmmm,soupira-t-ild’aise.Ilm’était trèsardudepenseràunequestioncohérentequand ilme touchait, et ilme

fallutunebonneminutedeconcentrationpourentamerlaconversation.—Çasemble...beaucoupplusfacilepourtoi,maintenant,d’êtreenmacompagnie.— C’est l’impression que je te donne ?murmura-t-il, son nez glissant le long dema

mâchoire.Samain,aussi légèrequ’unpapillon, écartaunemèchemouilléepourpermettreà ses

lèvresd’effleurerlecreuxdemonoreille.—Beaucoup,beaucoupplusfacile,précisai-je,haletante.—Mmm...—Jemedemandais...Mais ses doigts qui chatouillaient ma clavicule me firent perdre le fil, et je

m’interrompis.—Oui,souffla-t-il.—Comment...çasefait...àtonavis?J’avais balbutié, ce qui m’embarrassa. Je sentis son haleine caresser mon cou tandis

qu’ilriait.—Onappelleçalavictoiredelaraisonsurlachair.Soudain,jereculai.Ilsefigea.Nousnouscontemplâmesprudemmentunmoment,puis,

ilsedétenditetl’étonnementsedessinasursestraits.—Aurais-jemalagi?—Non...aucontraire.Tumerendsfolle.

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Ilméditacetaveu.Ilavaitl’airravi,lorsqu’ilrepritlaparole.—Vraiment?Unsouriretriomphantilluminasonvisage.—Tuveuxaussiquejet’applaudisse?persiflai-je.Ils’esclaffa.—Jesuisagréablementsurpris,c’esttout,sejustifia-t-il.Encentetquelquesannées,je

n’aurais jamais imaginé quelque chose comme ça... rencontrer une personne avec laquellej’aurais envie de me comporter... différemment d’avec mes frères et sœurs. Et découvrir,mêmesitoutcelaestencorenouveaupourmoi,quejenesuispassinul...avectoi...

—Tuexcellesdanstouslesdomaines.Ill’admitavecunhaussementd’épaules,etnousrîmessansbruit.—Commentçapeutdéjàêtreaussiaisé?persistai-je.Cetaprès-midi...— Ça ne l’est pas. C’est juste que, tout à l’heure, j’étais... indécis. Désolé, je suis

impardonnabledem’êtrecomportéainsi.—Pardonné.—Merci.Vois-tu,jen’étaispassûrd’êtreassezfort.Ettantquesubsistaitlapossibilité

quejesois...dépassé,jesuisresté...surmesgardes.Jusqu’àcequej’aiedécidéquej’enétaiscapable,qu’ilétaitimpossibleque...quejamaisjene...

C’était la première fois que je le voyais avoir autant de mal avec les mots. C’étaittellement...humain.

—Donc,conclus-je,iln’yaplusderisque?—Lavictoirede la raison sur la chair, répéta-t-il en souriant, sesdents luisantmême

danslenoir.—Disdonc,c’étaitdrôlementfacile.Rejetantlatêteenarrière,iléclatad’unriresilencieuxmaispleind’exubérance.— Parle pour toi ! rectifia-t-il en effleurant mon nez du bout des doigts avant de

reprendre soudain son sérieux. Je fais des efforts. Si ça devait devenir... trop dur, je suispresquesûrquej’arriveraisàpartir.

Jefronçailessourcils.Jenevoulaisplusl’entendreévoquercesujet.—Etdemainneserapasaussiaisé,continua-t-il.J’airespirétonodeurtoutelajournée,

etj’ysuisdevenumoinssensible.Quejem’éloignedetoipendantunmoment,etjedevraisrecommencer.Maispasàzéro,mesemble-t-il.

—Alors,net’éloignepas,répondis-je,incapablededissimulermondésir.—D’accord!plaisanta-t-il.Qu’onamènelesfers,jeseraitonprisonnier.Ce furent ses mains pourtant qui se fermèrent comme des menottes autour de mes

poignets, tandisquesondouxriremusicalrésonnaitunefoisencore.Ilavaitplusricesoirqueduranttouslesmomentsréunisquej’avaispassésaveclui.

—Tuasl’airplus...optimistequed’habitude.—N’est-ilpascenséenêtreainsi?Lebonheurdespremièresamoursettoutletoutim.

Incroyable, n’est-ce pas, cette différence entre lire quelque chose, le voir en peinture etl’expérimenter?

—Très.Levivreestpluspuissantquejenel’auraisimaginé.—Lajalousie,parexemple.(Lesmotsluivenaientlibrement,àprésent,etjedevaisme

concentrer pour n’en laisser échapper aucun.) J’ai lu des dizaines demilliers de pages là-dessus, j’aivudesacteurs la jouerdansdesmilliersdepiècesetde films.Jecroyais l’avoirplutôtbiencomprise.Pourtant,ellem’adéstabilisé. (Ilgrimaça.)Tesouviens-tudu jouroùMiket’ainvitéeaubal?

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Jehochailatête,bienquejemelerappelassepouruneautreraison.—Celuioùtuasrecommencéàm’adresserlaparole.—J’aiétédéconcertéparl’élandecolère,defuriepresque,quej’airessentiet,d’abord,

jenel’aipasidentifiépourcequec’était.J’aiétéencoreplusexaspéréqued’ordinairedenepassavoircequetupensaisnipourquoitul’éconduisais.Était-cepourpréservertonamitiéavecJessica?Ouparcequ’ilyavaitquelqu’und’autre?Jesavaisque,dansuncascommedans l’autre, je n’avais aucun droit de m’en inquiéter, et j’ai vraiment essayé de resterindifférent.Puisilyaeul’embouteillage.

Dansl’obscurité,jeluilançaiuncoupd’œilpeuamène,guèreamusée.—J’aiattendu,anxieuxplusquederaison,d’entendrecequetuallaisleurdire,devoir

tesréactions.J’admetsquej’aiététrèssoulagéenconstatanttonagacement.Pourtant,çanesuffisait pas. Alors, cette nuit-là, pour la première fois, je suis venu ici. Pendant que tudormais,jemesuisdébattupourrésoudreleconflitentrecequejesavaisêtrebien,moral,etceque jevoulais.J’avaisconsciencequesi jecontinuaisà t’ignorerouquesi jem’enallaispourquelquesannées,jusqu’àcequetoi,tusoispartie,tufiniraispardireouiàMikeouàuntypecommelui.Çamerendaitmalade.Etc’estlà(savoixs’adoucit)que,danstonsommeil,tu as prononcémon nom. Si clairement d’abord que j’ai cru t’avoir réveillée.Mais tu t’esretournée dans ton lit, tu l’as marmonné une deuxième fois, puis tu as soupiré. Dans unpremier temps, j’en ai été ébranlé, ahuri. Puis j’ai compris que je ne pouvais te fuir pluslongtemps.

Il se tut un instant, écoutant sans doute les battements, soudain irréguliers, demoncœur.

—Lajalousie,reprit-il,estunechoseétrange.Bienpluspuissantequejenelepensais.Et tellement irrationnelle ! Tiens, à l’instant, quandCharlie t’a questionnée sur l’exécrableMikeNewton...

—J’auraisdûmedouterquetunousespionnerais,grognai-je.—Commentvoulais-tuqu’ilenailleautrement!—Pourtant,çaterendjaloux.—C’est sinouveau.Tues en trainde réveiller l’humainqui est enmoi, et toutparaît

plusviolentparcequeneuf.— Franchement, me moquai-je, que devrais-je dire, moi, après avoir entendu que

Rosalie, la beauté incarnée, t’était destinée ? Emmett ou pas, comment suis-je censéerivaliseravecelle?

—Iln’yapasderivalitéquitienne.Il m’attira contre son torse, refermant mes mains autour de son dos. Je restai aussi

immobilequepossible,respirantmêmeavecprécaution.—Jesais,marmonnai-jedanssapeauglacée.C’estbiençaleproblème.— Rosalie est belle, certes, mais même si elle n’était pas ma sœur ou la compagne

d’Emmett,ellen’atteindraitjamaisledixième,non,lecentièmedel’attirancequetuexercessurmoi.Pendantpresqueunsiècle,j’aifréquentémonespèceetlatienneencroyantquejemesuffisaisàmoi-même,sansmerendrecomptedecequejecherchais.Etsansrientrouver,parcequetun’étaispasencorenée.

—Çaparaîttellementinjuste.Moi, jen’aipaseuàattendre.Pourquoiest-cesisimple,pourmoi?

—Cen’estpas faux,plaisanta-t-il. Il faudraitvraimentque je tecompliqueunpeu leschoses.

Il fitpassermesdeuxmainsdans l’unedessienneset,desapaumelibre,caressames

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cheveux.—Tun’asqu’àrisquertavieàchaquesecondepasséeavecmoi,railla-t-il,cen’estpas

grand-chose,n’est-cepas?Tuasjusteàtournerledosàtanature,àtonhumanité...c’estsipeupayer,biensûr.

—Trèspeu.Jenemesensprivéederien.—Pasencore.Etsavoixs’emplitbrusquementd’untrèsancienchagrin.Jevoulusmereculer,regarder

sonvisage,maisilmetenaitd’unepoignedefer.—Que...Toutàcoup,soncorpssefigea,enalerte.Ilmerelâchaetdisparut.Jefaillistomberàla

renverse.—Couche-toi,siffla-t-il.Jemeprécipitaisousmacouetteetmetournaisurleflanc,commequandjedormais.La

porte grinça, etCharlie passa la tête pour s’assurer que j’étais bien là. Je respirai de façonégale et appuyée. Une longue minute s’écoula. Je tendais l’oreille, pas très sûre d’avoirentendu lebattantserefermer,quand lebras froidd’Edwards’enroulaautourdemoi,souslesdraps.Seslèvreschatouillèrentmonoreille.

—Tuesunetrèsmauvaiseactrice,railla-t-il.Autantteprévenir,cettecarrièren’estpaspourtoi.

—Queldommage!Moncœurbattaitàtoutrompre.Ilsemitàfredonnerunemélodiequejeneconnaissais

pas.Onauraitdituneberceuse.Ils’interrompit.—Veux-tuquejechantependantquetut’endors?—Benvoyons!Commesij’allaisréussiràdormirpendantquetuesici!—Ceseraitloind’êtreunepremière.—Jenesavaispas!—Puisquetuneveuxpasdormir...commença-t-il,moqueur.Jecessaiderespirer.—Oui?—Queveux-tufaire?—Jen’ensaisrien.—Tiens-moiaucourantquandtuaurasdécidé.Son haleine fraîche souffla sur mon cou, son nez glissa le long de mon menton,

respirantavidement.—Jecroyaisquetuétaisinsensibilisé?—Cen’estpasparcequejerésisteauvinquejen’aipasledroitd’enhumerlebouquet.

Tuasuneodeurtrèsflorale,unmélangedelavandeetde...freesia.Trèsappétissant.—C’estça.Onmeledittouslesjours!Ilrit,puispoussaunsoupir.—J’aidécidé,repris-je.Jeveuxensavoirplussurtoi.—Jet’enprie,pose-moiunequestion.Jesélectionnailaplusimportantedemanombreuseliste.—Pourquoiavez-vouschoisicemodedevie?Quevousfournissiezautantd’effortspour

combattrevotrenaturemedépasse.Attention,çanesignifiepasquej’ensuismécontente,aucontraire.Simplement,jenevoispaspourquoivousvousembêtez.

Ilhésitaavantderépondre.—C’est une bonne question, et tu n’es pas la première àme la poser. Ceux de notre

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espècequi sont satisfaitsde leur sort s’interrogentaussi.Mais cen’estpasparcequenousavonsété... façonnésselonuncertainmodèlequenousn’avonspasledroitdedésirernousélever,dépasserlesfrontièresd’undestinqu’aucundenousn’avoulu,essayerderetenirunmaximumdenotrehumanitéperdue.

Jeneréagispas,àlafoisfascinéeetunpeueffrayée.—Tudors?chuchota-t-ilauboutdequelquesminutes.—Non.—C’esttoutcequetuvoulaissavoir?—Rêve!—Quoid’autre,alors?—Pourquoipeux-tuliredanslespenséesdesautres,toiseulement?EtAliceprévoirle

futur?— Nous l’ignorons. Carlisle a une hypothèse... Il croit que tous nous apportons nos

caractéristiques humaines les plus fortes dans notre seconde vie, où elles s’amplifient, àl’instardenotreespritetdenossens.D’aprèslui,jedoisavoirététrèssensibleauxgensquim’entouraient.EtAliceauraiteuundondeprémonition.

—Qu’a-t-ilapporté,lui?Etlesautres?— Carlisle, sa compassion. Esmé, son aptitude à aimer passionnément, Emmett, sa

force,Rosalie,sa...ténacité.Àmoinsquetuappellesçadel’obstination,précisa-t-ilenriant.Jasper est très intéressant. Il était plutôt charismatique, dans sa première vie, capabled’influencer ses proches pour qu’ils voient les choses à sa façon. Aujourd’hui, il arrive àmanipulerlesémotionsdesgensalentour.Ilcalmeunepiècedegensencolèreparexempleou,àl’inverse,stimuleunefouleléthargique.C’estundontrèssubtil.

Jeméditaicetteincroyableinformationpourladigérer.Luiattenditpatiemment.— Où tout a commencé ? demandai-je. Carlisle t’a transformé, mais quelqu’un doit

s’êtreoccupédeluiavantça,etainsidesuite.— Et toi, d’où viens-tu ? Évolution ? Création ? Serait-il impossible que nous ayons

évoluécommelesautresespèces,prédateursetproies?Ousitudoutesquecemondeasurgidelui-même,cequ’ilm’estdifficiled’acceptermoiaussi,est-ilsidurdecroirequelamêmeforcequiacrééledélicatangedemeretlerequin,lebébéphoqueetlabaleinetueuseaitcréénosdeuxespècesenparallèle?

—Soyonsclairs:jesuislebébéphoque,c’estça?—Oui!Ilrit,etquelquechosefrôlamescheveux–seslèvres?J’auraisvoulumetournervers

luipourlevérifier,maisjedevaisêtresage.Inutiledeluirendrelasituationplusardue.—Tuesprêteàdormiroutuasd’autresquestions?—Justeunoudeuxmillions.—Nousavonsdemain,après-demainettouslesjoursquisuivront...Jesouris,euphoriquerienqu’àl’idée.—Es-tucertainquetuneteseraspasévanouiaumatin?Tuesunêtremythique,après

tout.—Jenetequitteraipas.Savoixcontenaitlesceaud’unepromesse.—Justeunedernière,alors...Puis je rougis. L’obscurité neme fut d’aucune utilité, car je suis sûre qu’il sentitma

peaus’enflammer.—Quoi?

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—Oublie.J’aichangéd’avis.—Bella,tupeuxdemandercequetuveux.Jenerépondispas.—Jenecessed’espérerquedenepas lire tespensées finiraparêtremoins frustrant,

gémit-il,maisc’estdepisenpis.— Je suis bien contente que tu n’y arrives pas. C’est déjà assez pénible que tu

m’espionnesquandjedivagueendormant.—S’ilteplaît...mesupplia-t-ilavecdesaccentssipersuasifs,siirrésistibles.Jesecouailatête.—Situtetais, j’enserairéduitàsupposerquec’estencorepirequeçanel’est.Jet’en

prie.Unefoisencore,cesintonationsahurissantesdeséduction.—Ehbien...—Oui?— Tu as dit que Rosalie et Emmett semarieraient bientôt. Est-ce que... cemariage...

représentelamêmechosequepourleshumains?Iléclataderire.—C’estdoncçaquetuasentête?Jemetortillai,gênée.—Oui,jesupposequec’estéquivalent.Encoreunefois,laplupartdecesdésirshumains

sontennous,seulementcachéspardesdésirspluspuissants.—Oh.—Tacuriositéavait-elleunbutprécis?—Jemedemandaisjuste...àproposdetoietmoi...unjour...Aussitôt, il retrouva son sérieux. Je le sus en sentant son corps se figer.

Automatiquement,jecessaidebougermoiaussi.—Jenecroispasquece...queçaseraitpossiblepournous.—Parceque...cetteintimitéseraittropdifficileàsupporterpourtoi?—Sansdoute.Maiscen’estpasceàquoi jepensais.Tuessidouce,si fragile.Jedois

sansarrêtveilleràmesactespournepas te fairedumal.Jepourrais te tuersi facilement,Bella,paraccident.

Sesparolesn’étaientplusqu’unmurmure.Ilposasapaumeglacéecontremajoue.— Si je me précipitais, ou si, le temps d’une seconde, mon attention se relâchait, je

pourrais,entouchanttonvisage,t’écraserlecerveauparmégarde.Tuneréalisespasàquelpointtuessusceptibled’êtrebrisée.Jamaisaugrandjamaisjen’auraisledroitdeperdrelecontrôleentaprésence.

Ilguettauneréponse.Commejemetaisais,ils’inquiéta.—Jetefaispeur?—Non,pasdutout.Çaparutlesoulager.—Tuaséveillémacuriosité,avoua-t-il,d’untonredevenuléger.As-tudéjà...Ils’interrompit,suggestif.—Bien sûr que non ! protestai-je enm’empourprant. Je t’ai dit que je n’avais jamais

éprouvéçapourpersonne,mêmedeloin.— Je sais. Mais je connais les pensées des autres. L’amour et le désir ne vont pas

toujoursensemble.—Pourmoi,si.Enfin,maintenantqu’ilssontentrésdansmavie,soupirai-je.

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—Trèsbien.Nousavonsaumoinsunechoseencommun.Ilsemblasatisfait.—Tesinstinctshumains...Etzut!Est-cequetumetrouvesuntoutpetitpeuattirante

decepointdevue-là?Ilrigolaetébouriffamescheveux.—Jenesuispeut-êtrepasunhumain,maisjesuisunhomme,m’assura-t-il.Unbâillementm’échappa.—J’airéponduàtesquestions.Maintenant,tudevraisdormir.—Jenesuispascertained’yarriver.—Tuveuxquejem’enaille?—Non!Il étouffa un rire puis se remit à fredonner la même berceuse. Sa voix d’archange

envoûtait mes tympans. Plus fatiguée que je ne pensais l’être, épuisée par cette longuejournéedetensionmentaleetémotionnelle,jesombraidanslesommeil,enlacéeparsesbrasfroids.

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15

LESCULLEN

La lumière sourde d’une nouvelle journée de grisaille finit parme réveiller. Je restai

allongée, bras sur les yeux, patraque, hébétée. Quelque chose, un rêve qui essayait deresurgir,sedébattaitauxconfinsdemaconscience.Jegémisetroulaisurleflanc,priantpourquelesommeilrevînt.Puislesouvenirdujourprécédents’imposaàmoi.

—Oh!Jem’assisavecunetellebrusqueriequelatêtemetourna.—Tescheveuxressemblentàunniddecorneilles...maisçameplaîtbien.Savoixsereineémanaitdurocking-chair.—Edward!Tuesresté!Enthousiaste, je courus sans réfléchir me jeter sur ses genoux. À l’instant où mon

cerveaurattrapaitmoncorps, jeme figeai,ahurieparma fougue incontrôlée.Je leregardaitimidement,craignantd’avoirenfreintleslimites.Parbonheur,ils’esclaffa.

—Évidemment!Quoiqu’unpeusurpris,ilparaissaitheureuxdemonardeur.Sesmainsmecaressaientle

dos.Jeposaidélicatementmatêtesursonépaule,humantl’odeurdesapeau.—J’étaissûrequ’ils’agissaitd’unrêve.—Tun’aspasassezd’imaginationpourça,metaquina-t-il.—Bonsang!Charlie!merappelai-jesoudain.Aveclamêmespontanéité,jemerelevaid’unbondetfonçaisurlaporte.—Ilestparti ilyauneheure,m’annonçaEdward.Aprèsavoir rebranché les filsde ta

batterie,suis-jeobligédepréciser.J’avoueêtredéçu.Celaseulsuffiraitdoncàt’empêcherdefiler?

Jeméditai cette question sans bouger. Jemourais d’envie de retourner vers lui,maisj’avaispeurd’avoirmauvaisehaleine.

—D’habitude,tuesplusvivequeça,lematin,remarqua-t-il.Ilmetenditlesbrasenuneinvitationpresqueirrésistible.—J’aibesoind’unenouvelleminuted’humanité,avouai-je.—J’attendraidonc.Jesautillai jusqu’à lasalledebains,mereconnaissantàpeine.J’étaisuneétrangère,à

l’intérieur commeà l’extérieur.Levisagedans lemiroir était celuid’uneautre–yeux tropbrillants,tachesrougesfiévreusessurlesjoues.Aprèsm’êtrebrossélesdents,jem’acharnaiàdémêlerma tignasse. Jem’aspergeaid’eau froide etm’appliquai à respirernormalement,sansrésultatnotoire.C’estencourantàmoitiéquejeregagnaimachambre.Saprésencemefit l’effet d’unmiracle. Ses bras tendus n’avaient pas bougé, et mon cœur se mit à battrefollement.

—Enfinlà,murmura-t-ilenm’enlaçant.

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Il me berça un moment en silence, puis je m’aperçus qu’il s’était changé et que sescheveuxétaientlissés.

—Tuasosémequitter?l’accusai-jeeneffleurantlecoldesachemisepropre.— Je ne pouvais décemment pas garder les vêtements d’hier ! Qu’auraient pensé les

voisins?Jememisàbouder.—Tu étais profondément endormie. Je n’ai rien loupé. Tu avais déjà parlé, ajouta-t-il

avecmalice.—Qu’ai-jedit?grognai-je.—Quetum’aimais.Sesyeuxdorésétaienttrèsdoux.—Cen’estpasunscoop.—C’étaitplaisantàentendrequandmême.J’enfouismonvisagedanssonépaule.—Jet’aime,chuchotai-je.—Tuesmavie,désormais,répondit-iltoutsimplement.Il n’y avait rien à ajouter pour l’instant.Nous nous balançâmes dans le rocking-chair

jusqu’àcequelalumièresoitdevenueplusvive.— C’est l’heure du petit-déjeuner, finit-il par décréter avec décontraction – pour me

prouver,j’ensuiscertaine,qu’iln’oubliaitpasmesfaiblesseshumaines.Je m’attrapai la gorge à deux mains en le contemplant avec des yeux écarquillés

d’horreur.Ilparutchoqué.—Jeblague,rigolai-je.Toiquiprétendaisquejenesavaispasjouerlacomédie.—Cen’étaitpasdrôle,répliqua-t-ilenfronçantlessourcils,dégoûté.—Çal’était,ettulesais.Cequinem’empêchapasd’examinerattentivementsesiris,histoiredevérifierqu’ilme

pardonnait.C’étaitlecas,apparemment.— Faut-il que je reformule ? demanda-t-il. C’est l’heure du petit-déjeuner pour les

humains.—Trèsbien.Ilme jetapar-dessussonépauledepierre,gentimentmaissivivementque j’eneus le

souffle coupé.Malgrémesprotestations, ilmeportaau rez-de-chausséeetm’assitde forcesurunechaise.Lacuisineétaitclaire,joyeuse,commecontaminéeparmonhumeurfolâtre.

—Qu’ya-t-ilàmanger?Maquestionledésarçonna,etsonfrontmarmoréenseplissa.—Euh...jenesaispas.Dequoias-tuenvie?—T’inquiète!Jesuiscapabledem’occuperdemoi.Observeunpeucommentjechasse.Sautantsurmespieds,jeprisunboletlaboîtedecéréales.Jesentisqu’ilsuivaitchacun

demesgestes,tandisquejeversaislelaitetattrapaisunecuiller.Jeposailetoutsurlatablepuism’interrompis.

—Tuveuxquelquechose?demandai-jeparpolitesse.—Mange,Bella!rétorqua-t-ilenlevantlesyeuxauciel.Jem’installaietattaquaimonrepastouten l’examinant.Ilm’observaitdeprès,cequi

m’embarrassa.Jedéglutisetrelançailaconversation,histoiredeledistraire.—C’estquoileprogramme,aujourd’hui?—Voyons...Ilméditasoigneusementsaréponse.

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—Quedirais-tuderencontrermafamille?Jefaillism’étrangler.—Çat’effraie?Ilsemblaitl’espérer.—Oui,reconnus-je.Impossibledenier,illelisaitdansmesyeux.—Net’enfaispas,semoqua-t-il,jeteprotégerai.—Jen’aipaspeurd’eux.J’aipeurqu’ils...nem’apprécientpas.Nerisquent-ilspasd’être

surpris que tu ramènes quelqu’un... commemoi... à lamaison ? Savent-ils que je suis aucourant?

— Oh, on ne peut rien leur cacher, lança-t-il, sarcastique. Hier, ils pariaient sur leschances que tu avais de revenir vivante. C’étaient à six voix contre celle d’Alice. Je medemandebienpourquoi.Quoiqu’ilensoit,nousn’avonspasdesecretlesunspourlesautres.C’estd’ailleursàpeuprèsimpossible,entremoiquiinterceptelespenséesetAlicequidevinel’avenir.

— Sans parler de Jasper, qui doit être capable de te donner l’impression qu’il seraittellementagréableetconfortabledeluiracontertoutcequetuassurlecœur.

—Tuesdécidémenttrèsattentive!—Onmel’adéjàdit.Alors,Alicem’a-t-ellevuerentrer?Sonétrangeréactionm’intrigua.—Quelquechosecommeça,marmonna-t-il,gêné,endétournant lesyeux.C’estbon?

ajouta-t-il,taquin.Franchement,çan’apasl’airtrèsappétissant.—Ehbien,çanevautpaslegrizzliirritable.Il rougit,mais je l’ignorai. Jeme demandais pourquoi il s’était dérobé lorsque j’avais

mentionné Alice. Jeme dépêchai de terminermes céréales tout enm’interrogeant. Lui setenait debout au milieu de la pièce, Apollon statufié une fois encore, perdu dans lacontemplation de la fenêtre. Puis il se tourna vers moi et me gratifia de son sourireépoustouflant.

—Tudevraisaussimeprésenteràtonpère,hasarda-t-il.—Ilteconnaîtdéjà,luirappelai-je.—Pascommetonpetitami.—Pourquoiferais-jeça?—Cen’estpaslacoutume?—Aucuneidée.Mon expérience en la matière était des plus limitées. Non que les règles usuelles

s’appliquassentdanslecasprésent.—Cen’estpasnécessaire,repris-je.Jenem’attendspasàceque...Personneneteforce

àjouerlejeu.—Jenejouepas.Repoussantlescéréalessurlepourtourdubol,jememordisleslèvres.—Diras-tuàCharliequejesuislegarçonaveclequeltusors,ouiounon?insista-t-il.—Carc’estcequetues?Jem’efforçaidebalayermescraintesà laseuleperspectived’Edward,deCharlieetdu

motpetitcopaindanslamêmepièce.—J’admetsquec’estuneacceptionunpeulargedumotgarçon.—J’avaisl’impressionquetuétaisplusqueça,avouai-jeenfixantlatable.—Ehbien,jenesuispassûrquenoussoyonsobligésdeluidonnerlesdétailslesplus

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sanglants.Maisilvafalloirluiexpliquerpourquoijepasseautantdetempsavectoi,ajouta-t-ilenmesoulevantlementond’undoigtfroidpar-dessuslatable.JenetienspasàcequeleChefSwanprennedesmesuresdecoercitionàmonencontre.

—Seras-tulà?demandai-je,soudaininquiète.Seras-tuvraimentlà?Toujours?—Aussilongtempsquetuvoudrasdemoi.—Jenemelasseraijamaisdetoi.Jamais!Ilcontournalatableet,s’arrêtantàquelquespas,mefrôlalajoue.Sonexpressionétait

insondable.—Çat’embête?Ilneréponditpas,secontentantdemescruterpendanttrèslongtemps.—Tuasterminé?finit-ilpardire.—Oui.—Vat’habiller.Jet’attendsici.J’eus dumal à décider quoi porter. Àmon humble avis, il n’existait sûrement pas de

livresdebienséancedétaillant comment se vêtir lorsquevotre vampiredepetit ami tient àvousprésenteràsesvampiresdeparents.Vampires–çamefaisaitdubiend’oserpensercemot.J’étaisconscientedel’éviterconstamment,exprès.

Auboutducompte,jemismaseulejupe,assezlongue,kaki,décontractée,etlecorsagebleumarine sur lequel ilm’avait un jour complimentée.Un rapide examendans lemiroirconfirmaquedomptermescheveuxétaitimpossible,jelesattachaienunequeue-de-cheval.

—Çayest,criai-jeendégringolantlesmarches,jesuisàpeuprèsdécente.Ilétaitassisaupieddel’escalier,cequejen’avaispasprévu,etjeluirentraidedansde

pleinfouet.Ilm’empêchadetomber,metenantàunedistanceprudenteavant,brusquement,dem’attirercontrelui.

—Encoreunefois,tuastoutfaux,murmura-t-ilàmonoreille.Tuesscandaleusementindécente.Aucunefemmenedevraitavoirledroitd’êtreaussitentante,c’estinjuste.

—Commentça,tentante?Jepeuxmechanger...—Tuesabsurde,soupira-t-ilensecouantlatête.Ilappuyadélicatementseslèvresglacéescontremonfront,etlapiècesemitàtourner.

L’arômedesonhaleinemeprivaitdetousmesmoyens.—Est-ilvraimentnécessairequejet’expliquepourquoitumetentes?Questiondepure rhétorique. Ses doigts caressaientmondos, sa respiration était plus

hachée.Lentement,saboucheentrouverteeffleuralamiennepourladeuxièmefoisendeuxjours.

Alors,jem’écroulai.—Bella?s’écria-t-il,inquiet,enmerattrapant.—Tu...m’as...fait...tomber...danslespommes.— Mais comment faut-il que je me comporte ? s’exaspéra-t-il. Hier, quand je t’ai

embrassée,tum’ascarrémentattaqué.Aujourd’hui,tut’évanouis.J’eusunrirefaible.Prisedevertige,jemelaissaiallerdanssesbras.— Apparemment, tu vas devoir réviser ta théorie sur mon excellence dans tous les

domaines...—Ne tedénigrepas.Tues trophabile, c’est ça leproblème.Beaucoup,beaucoup trop

habile.—Tunevaspasêtremalade,hein?—Non.Cen’estpascommel’autrefois.Jecroisjustequej’aioubliéderespirer.—Tun’espasenétatdesortir.

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—Je vais bien.De toute façon, ta famille vame prendre pour une folle, alors, quelleimportance?

Ilmecontemplaunmoment.— J’ai un faible pour lamanière dont la couleur de ce chemisier s’accorde à ta peau,

lança-t-ildefaçoninattendue.Rougissantdeplaisir,jedétournailesyeux.—Écoute,jem’escrimeàéviterderéfléchiràcequejesuissurlepointdefaire.Alors,

pourrions-nousyaller,maintenant?—Tut’angoissesnonparcequetuvasmettre lespiedsdansunniddevampires,mais

parcequetuaspeurquecesvampiresterejettent,c’estça?—Exactement,ripostai-jeencachantmasurprisedel’avoirentenduutiliserlemotavec

tantdefacilité.—Tuesincroyable,conclut-ilensecouantlementon.Au volant de ma camionnette, il me conduisit en dehors de la ville, et je me rendis

comptequejen’avaispaslamoindreidéedel’endroitoùilhabitait.Nousfranchîmeslepontqui enjambait la rivière Calawah, empruntant la route qui serpentait vers le nord. Lesmaisonsétaientdeplusenplusraresetimposantes,puisellesdisparurentcomplètement,etnousnousretrouvâmesdanslaforêtembrumée.J’hésitaientre l’interrogeretprendremonmal en patience, lorsqu’il bifurqua soudain dans un chemin de terre. Aucun panneaun’indiquaitsonexistence,etilétaitàpeinevisibleparmilesfougères.Lesboisdébordaientdepart et d’autre, ne laissant deviner l’allée sinueuse que sur quelques mètres. Au bout deplusieurskilomètres,lesarbress’éclaircirent,etnousdébouchâmessurunepetiteprairie–àmoinsqu’ilnes’agîtd’unevastepelouse.Pourautant,lapénombremélancoliquedelaforêtpersistait, car six cèdres séculaires ombrageaient entièrement l’endroit de leurs ramuresmajestueuses. Les branches protectrices s’étendaient jusqu’aux murs de la maison quis’élevaitaumilieud’eux,rendantinutilelagrandeloggiaquiceignaitlepremierétage.

J’ignore ce à quoi jem’étais attendue. Certainement pas à ça. La villa était sans âge,élégante, sans doute centenaire. D’un blanc un peu fané, comportant trois niveaux,rectangulaire, elle avait des proportions harmonieuses. Les portes et fenêtres étaientd’origineouavaientété l’objetd’unehabilerestauration.Iln’yavaitaucunevoitureenvue,hormislamienne.J’entendaislarivière,cachéeparlaforêtobscure.

—Disdonc!—Elleteplaît?—Elle...nemanquepasdecharme.S’esclaffant,iltirasurmaqueue-de-cheval.—Prête?—Paslemoinsdumonde,tentai-jedeplaisanter.Allons-y.Monriresecoinçadansmagorge,etjemelissailescheveuxd’ungestenerveux.—Tuesmagnifique,melançaEdwardenprenantmamainsansmêmeyréfléchir.Nous traversâmes l’ombre profonde jusqu’au porche. J’étais tendue, et Edward le

savait;sonpoucetraçaitdescerclestendressurledosdemamain.Ilmetintlaporte.L’intérieurserévélaencoreplussurprenant,moinsclassiquequel’extérieur.Lerez-de-

chausséeétait très clair, trèsouvert, immense. Il avaitdûyavoirplusieurspièces,maisonavaitabattulesmurspratiquementpartoutafindecréerunespacegigantesque.Àl’arrière,lafaçadesudavait étéentièrement remplacéepardesvitreset, au-delàdescèdres, lapelousenues’étendaitjusqu’àlarivière.Uncolossalescalieràrévolutiondominaitl’ouestdelasalle.

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Les parois, les hauts plafonds à poutres apparentes, les planchers et les tapis moelleuxcouvraienttoutelapalettedesblancs.Àgauche,suruneestradesupportantunspectaculairepianoàqueue,nousattendaientlesparentsd’Edward.

J’avaisdéjàrencontréledocteurCullen,naturellement.Çanem’empêchapascependantd’être une nouvelle fois frappée par sa jeunesse et son insolente vénusté. À côté de lui setenaitcellequidevaitêtreEsmé,laseuledelafamillequejen’avaispasencorevue.Elleavaitlamêmesplendeurpâlequelesautres.Quelquechosedanssonvisageenformedecœuretles douces boucles caramel de ses cheveux me fit penser aux ingénues des films muetsd’autrefois.Elleétaitmince,pluspetitemaismoinsanguleusequelerestedelafamille.Luicomme elle étaient vêtus sans apprêts de vêtements clairs qui s’harmonisaient avec ladécoration intérieure. Malgré leur sourire accueillant, ils ne vinrent pas à ma rencontre.J’imaginequ’ilsnevoulaientpasm’effrayer.

—Carlisle,Esmé,jevousprésenteBella,lançaEdwardenbrisantlesilence.—Soislabienvenue,Bella,meditCarlisleenavançantàpasmesurés.Iltenditunemaintimide,etjem’approchaipourlaserrer.—Raviedevousrevoir,docteurCullen.—Jet’enprie,appelle-moiCarlisle.—Entendu,répondis-je,enchantée.Masoudaineconfianceenmoim’étonna,etjeperçusaussilesoulagementd’Edward.Se

mêlant à nous, Esmé me donna à son tour une poignée de main. Sa prise froide etmarmoréennenemesurpritpas.

—Heureusedeteconnaître,dit-elle,apparemmentsincère.—OùsontAliceetJasper?demandaEdward.Aumêmeinstant,cesdernierssurgirentenhautduvasteescalier.—Hé,Edward!lehélaAlice,radieuse.Elle dévala les marches, feu follet noir (cheveux) et blanc (peau) avant de s’arrêter

gracieusementdevantmoi.Sesparentsparurentinquietsdesavivacité,maissonattitudemeplut.Elleétaitsi...naturelle.

—Salut,Bella!Alice plongea en avant et embrassa ma joue, ce qui eut le don de transformer en

hébétude la réserve de Carlisle et d’Esmé. Moi aussi, j’étais étonnée, bien que contentequ’elle parût m’accepter entièrement. En revanche, je fus ébranlée en sentant Edward seraidir.Jeluijetaiuncoupd’œil–sonexpressionétaitindéchiffrable.

—Tu sens très bon, ajouta-t-elle àmonplus grand embarras, je ne l’avais pas encoreremarqué.

Ilyeutunbrefsilencegêné,puisJasper,grandet léonin,nousrejoignitd’unbond.Jeme détendis tout à coup, à l’aise en dépit du lieu où je me trouvais. Edward sourcilla endirectiondesonfrère,etledondecelui-cimerevintàl’esprit.

—Bonjour,Bella,mesalua-t-il.Ilgardaitsesdistancesetnemetenditpaslamain,pourtantonnepouvaitqu’êtrebien

ensaprésence.— Bonjour, Jasper, répondis-je, intimidée. Je suis très contente de vous rencontrer,

ajoutai-jeàlacantonade.Vousavezunetrèsbellemaison.—Merci,ditEsmé.Noussommesenchantésquetusoisvenue.Elleétaitchaleureuse,etjecomprisqu’ellemetrouvaitcourageuse.Jem’aperçusaussi

que ni Rosalie ni Emmett n’étaient là et me rappelai les dénégations par trop innocentesd’Edwardlorsquejeluiavaisdemandésisesfrèresetsœursnem’aimaientpas.Carlisleme

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tira demes réflexions. Il contemplaitEdwarddemanière éloquente et intense.Du coindel’œil,jevisEdwardhocherunefoislatête.

Parpolitesse, jedétournai le regardpourm’attardersur le splendidepianodeconcert.J’avaiseu,enfant,lerêved’acheterundecesinstrumentsàmamère,sijegagnaisunjourauloto. Elle n’était pas très douée, ne jouait que pour elle-même sur notre piano droitd’occasion,maisj’adoraiscesinstants.Heureuseetconcentrée,ellemedonnaitl’impressiond’êtreunepersonnenouvelle etmystérieuse,quelqu’und’autreque lepersonnagedemèrequejetenaispouracquis.Biensûr,ellem’avait inscriteàdesleçons.Commelaplupartdesenfants, jem’étaisplainte jusqu’àcequ’ellem’autoriseàabandonner.Esméremarquamonintérêt.

—Tujoues?demanda-t-elle.—Pasdutout.C’estunmerveilleuxinstrument.Ilestàvous?—Non,rit-elle.Edwardnet’apasditqu’ilétaitmusicien?—Jamais,affirmai-jeenfusillantl’intéressédesyeux.Quoiquej’auraisdûm’endouter,

j’imagine.Esméparutdécontenancée.—Edwardréussittoutcequ’ilentreprend,non?expliquai-je.Jasperricana,etEsmédévisageasonfilsd’unairdereproche.—J’espèrequetun’aspasfanfaronné,lemorigéna-t-elle,cen’estpastrèsélégant.—Justeunpeu,riposta-t-ilgaiement.Ils’esclaffasansretenue,etsamères’adoucit,presquecomplice,fière.—Enréalité,ilaététropmodeste,intervins-je.—Ehbien,jouedoncpourBella,Edward,l’encourageaEsmé.—Tuviensjustededirequefanfaronnerétaitmalélevé.—J’aimeraist’écouter,insistai-je.—Affaireconclue,décrétaalorsEsméenlepoussantendirectiondel’estrade.Ilm’entraîna avec lui, allant jusqu’àm’inviter àm’asseoir sur le tabouret à son côté.

Avant de se tourner vers le clavier, il m’adressa une grimace exaspérée. Puis ses doigtsvoletèrentsurl’ivoire,etunmorceauenvahitlapièce,sicomplexeetfoisonnantqu’onavaitdumalàcroirequedeuxmainsseulementjouaient.J’enbéaid’ahurissement.Derrièremoi,de petits rires accueillirent ma réaction. Sans s’arrêter ni donner l’impression d’unquelconqueeffort,Edwardmelançaunclind’œil.

—Tuaimes?—C’esttoiquil’asécrit?m’exclamai-je,interdite.—Oui.C’estlepréféréd’Esmé.Fermantlesyeux,jesecouailatête.—Qu’ya-t-il?—Àcôtédetoi,j’ail’impressiond’êtretotalementinsignifiante.Lamusique ralentit et se transformaenmélodieplusdouce.Àmagrande surprise, je

reconnus,derrièrelaprofusiondenotes,lethèmedelaberceusequ’ilm’avaitchantée.—C’esttoiquiasinspirécelui-ci,chuchota-t-il.Lacompositiondevintinfinimenttendre.J’étaismuettedestupeur.— Ils t’aiment bien, tu sais, continua Edward sur le ton de la conversation. Esmé,

surtout.Jemeretournaibrièvement,lapièceétaitvide.—Pourquoisont-ilspartis?—Unmoyentrèsdiscretdenousdonnerunpeud’intimité,jesuppose.

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—Euxpeut-être,soupirai-je.RestentRosalieetEmmett...Ilserenfrogna.—Net’occupepasdeRosalie,elles’yfera.—EtEmmett?persistai-je,sceptique.—Oh, il pense que je suis fou,mais tu ne lui poses aucun problème. Et il essaie de

raisonnerRosalie.—Qu’est-ce qui l’ennuie tant que ça ? demandai-je bien que je ne fusse pas certaine

d’avoirenviedeconnaîtrelaréponse.—Rosalieestcellequialeplusdedifficultésà...vivrenotrecondition,soupira-t-il.Elle

adumalàaccepterqu’unétrangersachelavérité.Etpuis,elleestunpeujalouse.—Demoi?Incrédule, je tentai d’imaginer un monde où une femme aussi époustouflante que

Rosalieauraitunmotifquelconqued’envierunegaminecommemoi.—Tueshumaine.Elleregrettequecenesoitpaségalementsoncas.—Oh...EtJasper?Luiaussi,il...—C’estmafaute.Jet’avaisexpliquéqu’ilétaitleplusrécentd’entrenous.Jel’aiaverti

degardersesdistances,danssonpropreintérêt.Précisionquim’arrachaunfrisson.—EsméetCarlisle?poursuivis-jerapidementpourqu’ilnes’enaperçoivepas.—Ilsseréjouissentpourmoi.D’ailleurs,Esmésemoqueraitcommed’uneguigneque

tuaiesuntroisièmeœiloulespiedspalmés.Elles’est tellement inquiétée,craignantqu’unélémentessentielaitmanquéàmonaccomplissementouquej’aieététropjeuneaumomentdematransformationparCarlisle...Ellenageenpleinbonheur.Chaquefoisquejetetouche,elles’étrangledejoie.

—Alicem’asemblétrès...enthousiaste.—Elleaunefaçonbienàelled’envisagerleschoses,susurra-t-ilentresesdents.L’espaced’un instant,nousnous comprîmesparfaitement sansavoirbesoindepasser

parlesmots.Luisentitquejedevinaisqu’ilmecachaitquelquechose;moi,qu’iln’étaitpasprêtàmerévélerquoiquecesoit,entoutcaspasmaintenant.

—Alors,qu’est-cequet’aracontéCarlisle,toutàl’heure?demandai-jepourchangerdesujet.

—Tuasaussiremarquéça,n’est-cepas?—Biensûr.Ilmecontemplapensivementavantderépondre.— Il voulait m’annoncer des nouvelles, et il ignorait si j’avais ou non envie de les

partageravectoi.—Et?—J’y suis forcé,dans lamesureoù jevaisdevoirêtre... insupportablementprotecteur

dans les joursou semainesàvenir, etque jene tienspasà ceque tumeprennespouruntyranné.

—Quesepasse-t-il?— Rien de très inquiétant pour le moment. Alice a juste vu la prochaine arrivée de

visiteurs.Ilssaventquenoussommesicietsontcurieux.—Desvisiteurs?—Oui... ilsne sontpas commenous.Pour cequi concerne leurshabitudesde chasse,

s’entend. Ils ne viendront même pas en ville, avec un peu de chance, mais je n’ai pasl’intentiondetelaissersanssurveillancetantqu’ilsn’aurontpasdéguerpi.

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Jefrémis,secouée.— Enfin une réaction rationnelle, murmura Edward. Je commençais à croire que tu

n’avaisaucuninstinctdesurvie.Je ne relevai pas, préférant laisser mes yeux vagabonder à travers la grande pièce.

Suivantmonregard,ilajouta,quelquepeublasé:—Pasceàquoitut’attendais,hein?—Non.—Nicercueils,nicrânesempilésdanslescoins.Iln’yamêmepasdetoilesd’araignée,à

maconnaissance...Quelledéceptioncedoitêtre!— C’est tellement lumineux... tellement ouvert, m’émerveillai-je, insoucieuse de ses

sarcasmes.—C’estunendroitoùnousn’avonspasbesoindenouscacher,admit-ilenrecouvrant

sonsérieux.Laberceusequ’iljouait,monmorceau,s’acheva,lesderniersaccordsplaquésdansune

tonalitéplusmélancolique.L’ultimenoterestasuspenduedanslesilence,poignante.—Merci,chuchotai-je.Réalisantquej’avaisleslarmesauxyeux,jelesessuyai,gênée.Edwardeffleuralecoin

d’une de mes paupières et attrapa une larme qui m’avait échappé. Il souleva son doigt,examinantlagouttedeprès.Puis,sivitequejecrusavoirrêvé,ilportasondoigtàsabouche.Jel’examinai,déroutée,etilmefixalonguementavantdesourire.

—Tuveuxvoirlerestedelamaison?—Pasdecercueils?letaquinai-jesansparveniràmasquerlalégèremaisréelleanxiété

quej’éprouvais.—Aucun,promis!pouffa-t-ilenmetirantparlamain.Nousgravîmesl’imposantescalier,mesdoigtss’attardantsurlarambardelissecomme

du satin. Le vestibule sur lequel nous débouchâmes était lambrissé de panneaux en boiscouleurmiel,delamêmeteintequelesplanchers.

— La chambre de Rosalie et Emmett... le bureau de Carlisle... les quartiers d’Alice...énuméraitEdwardenpassantdevantlesportes.

Il aurait continué sur sa lancée si jen’avaisbrusquementpilénet auboutdu couloir,abasourdiedevantl’objetaccrochéaumur,au-dessusdematête.Edwardrigoladevantmonairéberlué.

—Tuasledroitderire,lança-t-il.Saprésenceest,enquelquesorte,ironique.Jene rispas.Mamainmonta,mueparun réflexe, et je tendis ledoigt vers lagrande

croix de bois dont l’antique et sombre patine tranchait sur le fond clair dumur. Je ne latouchaipas,cependant,bienquejefussecurieusedesentirsilamatièreenétaitaussidoucequ’ellesemblaitl’être.

—Elleestsûrementtrèsvieille,dis-je.—DébutduXVIIe,admitEdwardavecdésinvolture.Environ1630.—Pourquoilagardez-vousici?demandai-jeenmetournantverslui.—Parnostalgie.ElleappartenaitaupèredeCarlisle.—Ilcollectionnaitlesantiquités?J’avaisdesdoutes.— Non, il l’a sculptée. Elle était suspendue au-dessus du pupitre du temple où il

prêchait.J’ignoresimonvisagetrahitmonétonnementmais,parprécaution,jem’empressaide

revenir sur la croix. Mentalement, je fis un rapide calcul – elle avait plus de trois cent

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soixante-dix ans. Le silence s’installa, pendant que je m’évertuais à prendre la mesured’autantd’années.

—Toutvabien?s’inquiétaEdward.—QuelâgeaCarlisle?—Ilvientdecélébrersestroiscentsoixante-deuxans.Jepivotaiverslui,unmilliarddequestionsdanslesyeux.—Carlisle estné àLondresdans les années 1640,m’expliqua-t-il.Enfin, il pense.Les

dates, à l’époque, n’étaient pas aussi précises quemaintenant, dumoins pour les gens du

commun.C’étaitjusteavantl’arrivéedeCromwell[5].

Toutenparlant,Edwardm’étudiaitattentivement,et jem’efforçaidenepas trahirmasurprise.Lemeilleurmoyendelefaireétaitencoredefeindrelescepticisme.

—Ilétaitlefilsuniqued’unpasteuranglican,poursuivaitEdward,samèreétantmorteenlemettantaumonde.Sonpèreétaitunhommeintolérant.Lorsquelesprotestantsontprislepouvoir,ilapersécutéavecbeaucoupd’enthousiasmelescatholiquesetautresmécréants.Ilcroyaitégalementdurcommeferà laréalitédumal.Ilmenaitdeschassesauxsorcières,auxloups-garouset...auxvampires.

Jemefigeai.S’ils’enaperçut,iln’encontinuapasmoins.— Il a mené au bûcher pas mal d’innocents, parce que les créatures qu’il cherchait

n’étaientpassifacilesàattraper,naturellement.Sursesvieuxjours,ilatransmislesrênesàsonfilsobéissant.Audébut,Carlisles’estmontrédécevant.Iln’étaitpasaussipromptàvoirdesdémonslàoùiln’yenavaitpas.Maisilétaitacharné,etplusintelligentquesonpère,etila fini par découvrir une bande de vrais vampires qui se dissimulaient dans les égouts deLondresetnesortaientqu’àlanuit,pourchasser.Quandlescréaturesdémoniaquesn’étaientpasdesmythesetdeslégendes,c’étaitainsiquelaplupartvivaient.Quoiqu’ilensoit,lebonpeuplearassembléfourchesettorches(riresombre)ets’estembusquéàl’endroitrepéréparCarlisle,attendantque l’undesmonstresapparaisse.Cequia finipar seproduire. (Savoixdevintmurmure,etjedustendrel’oreille.)Ildevaitêtreextrêmementvieuxetaffaibliparlafaim.Carlislel’aentenduprévenirlesautresenlatinlorsqu’ilasentilaprésencedelafoule.Ils’estenfuidanslesrues,etCarlisle,quin’avaitalorsquevingt-troisansetcouraitvite,s’estruéderrière lui, prenant la têtede la traque.Le vampire aurait aisémentpu lesdistancer ;mais d’après Carlisle, il avait tellement faim qu’il s’est retourné et a attaqué. Il s’en estd’abordprisàCarlisle,maislesrenfortsn’étaientpasloin,etilaétécontraintdesedéfendre.Il a tué deux hommes et a déguerpi en en emportant un troisième, tandis que Carlisle sevidaitdesonsangsurlepavé.

Ils’interrompit,etjedevinaiqu’ilmetaisaitundétail.—Carlislen’avaitaucundoutequantauxmesuresqueprendraitsonpère.Lescadavres

seraientbrûlés,toutcequirisquaitd’avoirétéinfectéparlacréaturedevraitêtredétruit.Parinstinct, pour sauver sa vie, il a rampé loin de la ruelle où il gisait pendant que la foulepoursuivaitlemonstreetsavictime,ils’esttapidansunecaveets’estenfouisousuntasdepommesdeterrepourriesdurant trois jours.C’estunmiraclequ’ilsoitparvenuàgarder lesilence,etqu’onnel’aitpasrepéré.Quandçaaétéfini,ilacompriscequ’ilétaitdevenu.

Jemetrahispeut-êtrecar,soudain,ilmedemandacommentjemesentais.—Trèsbien,affirmai-je.J’eus beau me mordre les lèvres, hésitante, il décela la curiosité qui me dévorait. Il

sourit.—J’imaginequetudoisavoirdestasdequestionsàmeposer.

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—Quelques-unes.Son sourire s’élargit, dévoilant ses dents luisantes. Me prenant par la main, il me

ramenasurnospas.—Danscecas,viens,jevaistemontrer.

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16

CARLISLE

Edwardmeconduisità laportequ’ilm’avaitdésignéecommeétantcelledubureaude

Carlisle.Ils’arrêtaunesecondedevant.—Entrez!lançalavoixdesonpère.La pièce était haute de plafond, dotée de vastes fenêtres qui ouvraient sur l’ouest. Là

aussi,lesmursétaientlambrissés,dansunboissombre.Dumoins,làoùilsétaientvisibles,car la plupart de l’espace était dissimulée par d’imposantes bibliothèques, beaucoup plusgrandes que moi, qui contenaient la plus impressionnante collection de livres privée quej’eussejamaisvue.

Carlisleétaitassisdansunfauteuilencuir,derrièreuneénormetabled’acajou.Ilplaçaun marque-page dans l’épais volume qu’il était en train de lire. La pièce ressemblaitexactement à l’antre d’un doyen d’université tel que je l’avais toujours imaginé, sauf queCarlisleétaitbientropjeunepourcolleràl’image.

—Quepuis-jefairepourvous?s’enquit-ilavecaffabilitéenselevant.— Je voulaismontrer à Bella une partie de ton histoire, expliqua Edward. Enfin, ton

histoire.—Pardonnez-nousdevousdéranger,m’excusai-jepourmapart.—Maisvousnemedérangezpasdutout,merassura-t-il.D’unemainlégère,Edwardmefitpivoterendirectiondelaportequenousvenionsde

franchir. Chacun de ses contacts, même le plus anodin, me provoquait des palpitations, àmonavis audibles.C’étaitdesplus embarrassant, surtout enprésencede sonpère.Lemurface auquel nous nous tenions différait des autres. Les étagères étaient remplacées pard’innombrables tableaux de toutes les tailles, certains bigarrés, certains tristementmonochromes.Rapidement,jecherchailalogiquedecettepinacothèque,unliencommunàcesœuvresmultiples,n’entrouvaiaucun.

Edwardmepoussasurlagaucheetsepostadevantunepetitehuilecarréeaucadreenboisdesplusbanals.Ellepassaitinaperçueaumilieudetoilesplusgrandesetpluscolorées;cumulant diverses teintes sépia, elle représentait une ville miniature aux toits raides etnichéslesunscontrelesautresd’oùémergeaientdedélicatesflèchesplantéesausommetdetourséparses.Enfond,unelargerivièrequ’enjambaitunpontcouvertd’édificesévoquantdeminusculescathédrales.

—Londresdanslesannées1650,annonçaEdward.—LeLondresdemajeunesse,précisaCarlisle,quelquespasderrièrenous.Jetressaillis.Jenel’avaispasentenduapprocher.Edwardserramamain.—Veux-turaconter?demanda-t-ilensuiteàsonpère.Jemeretournaipourjaugerlaréactiondecelui-ci.Ilsouriait.— Ce serait avec plaisir, mais je suis en retard. L’hôpital a téléphoné ce matin. Le

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docteurSnowestmalade.Detoutefaçon,tuconnaisleshistoiresaussibienquemoi.C’étaitunétrangemélange,duràavaler– lessoucisquotidiensdumédecinde laville

interrompant une discussion sur sa jeunesse dans le Londres duXVIIe siècle. Il était toutaussidérangeantdesavoirqu’ilnes’exprimaitàvoixhautequepourmonbénéfice.Surunhochementdetête,Carlislequittalapièce.

Jecontemplailonguementlareproductiondesavillenatale.— Alors, que s’est-il passé, finis-je par dire en levant les yeux sur Edward qui me

regardait,quandilacompriscequ’illuiétaitarrivé?Edwardinspectabrièvementlemurdetableaux,etjenotaiqu’ils’arrêtaitsurceluiqui

dépeignait un vaste paysage auxmélancoliques couleurs automnales, une clairière vide etombreusedansuneforêtavec,auloin,descimesrocailleuses.

—Lorsqu’ilasucequ’ilétaitdevenu,murmura-t-il,ilalutté.Ilaessayédesedétruireavecacharnement.Hélas,cen’estpasaussisimple.

—Qu’a-t-ilfait?Souslechoc,lesmotsm’avaientéchappé.— Il s’est jetéduhautde falaises, réponditEdward, impassible. Il a tentéde senoyer

dans l’océan...Mais il commençait sanouvellevieet il était très fort. Il est incroyablequ’ilsoitparvenuàrésister...qu’ilaittenusanssenourrir,alorsqu’ilétaitnéophyte.L’instinctestsi puissant, au début, qu’il a tendance à l’emporter. Carlisle éprouvait cependant un teldégoûtenverslui-mêmequ’ilaeulecouragedechercheràsetuerenselaissantmourirdefaim.

—C’estdoncpossible?—Non.Iln’existequetrèspeudefaçonsdenousanéantir.Jefaillisdemanderlesquelles,ilnem’enlaissapasletemps.—Bref,enchaîna-t-il,ladénutritionafiniparl’épuiser.Ilsetenaitleplusàl’écartdela

populacehumaine,conscientquesavolontés’effilochait.Desmoisdurant,ilaévitédesortirlejour,seréfugiantdanslesendroitslesplusdésolés,seméprisant.Unenuit,untroupeaudecerfsestpasséprèsdesacachette.Lasoifl’avaitrendusienragéqu’ilaattaquésansréfléchir.Les forces luisontrevenues,et ilacomprisqu’ilexistaitunealternativeà lamonstruosité.N’avait-ilpasdéjàdînédegibierdanssavieantérieure?C’estainsiquesaphilosophieaprisnaissancedanslesmoissuivants.Ilpouvaitexistersansêtreundémon.Ilaeul’impressionde s’être retrouvé. Dès lors, il a commencé à faire meilleur usage de son temps. Il avaittoujours été intelligent et avide de connaissances. Désormais, il avait l’éternité pourapprendre.Ilétudiaitlanuit,méditaitlejour.IlagagnélaFranceàlanageet...

—Pardon?—LesgenstraversentlaMancheàlanagetoutletemps,Bella.—Ah,oui.C’estjustequeçasonnedrôle,pourl’époque.Continue.—Nagernenousestpasdifficile...—Riennel’est,pourvous,rétorquai-je.Ilpatienta,amusé.—Jejuredeneplust’interrompre.Avecunricanementsombre,ilachevasaphrase:—Parceque,techniquement,nousn’avonspasbesoinderespirer.—Vous...—Non,non!Tuaspromis,s’esclaffa-t-ilenposantsesdoigtsfroidssurmeslèvres.Tu

veuxentendrelafindel’histoire,ouiounon?—Oui,saufquetunepeuxpasmebalancerdeschosespareillessanst’attendreàceque

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jeneréagissepas,bougonnai-je.Ilplaçasamaincontremoncouet,derechef,savivacitéaffolamoncœur.—Bon,insistai-jequandmême,c’estquoicesblagues?—Larespirationnenousestpasunenécessité,justeunehabitude.—Etvouspouveztenir...longtemps?—Indéfiniment,j’imagine.Jenesaispas.Ilestunpeuinconfortabledesepriverdeson

odorat.—Inconfortable,répétai-je.Quelque chosedansmon regard le rendit grave. Sonbras retomba sur le côté, et il se

raidit,sanscesserdemescruter.Lesilenceseprolongea.Sonvisageétaitdepierre.—Qu’ya-t-il?demandai-jeeneffleurantsajouemarmoréenne.Ilsoupira,puissedétendit.—Jepassemontempsàguetterça.—Quoi?—Lemomentoù je t’apprendraiundétail,àmoinsque tune leremarques toi-même,

qui sera trop dur à supporter, et où tu fuiras en hurlant. Je n’essaierai pas de te retenir,ajouta-t-ilavecundemi-souriretriste.Jesouhaitemêmequeçaarrive,parcequejeveuxquetusurvives.Etpourtant,j’aienvied’êtreavectoi.Cesdeuxdésirssontincompatibles...

Ils’interrompit,anxieux.—Jenem’enfuirainullepart.—Onverrabien,commenta-t-ilenretrouvantunsemblantdebonnehumeur.—Allez,poursuis.CarlisleagagnélaFranceàlanage.Ses yeux se posèrent sur un autre tableau, le plus bigarré de tous, au cadre le plus

ornementé,leplusvasteaussi:ilétaitdeuxfoisplusgrandquelaporteàcôtédelaquelleilétaitaccroché.Ypullulaientdespersonnagesvêtusdetogesmulticoloresettourbillonnantesquis’enroulaientautourdecolonneset sepenchaientduhautdebalconsenmarbre.Jenesus déterminer s’il s’agissait d’une scène de lamythologie grecque ou si les êtres flottantparmilesnuagesdanslatranchesupérieuredelatoileétaientbibliques.

—Unefoissurlecontinent,Carlisleaécumélesuniversitésd’Europe.Lanuit,ilétudiaitlamusique, lessciences, lamédecine– ilavait trouvésavocation,sapénitence,sauverdesvieshumaines.(Levisaged’Edwardprituneexpressionrespectueuse,presquerévérante.)Jene peux pas te décrire avec exactitude son combat. Il lui a fallu deux siècles d’effortsdéchirantspourparveniràexerceruntotalcontrôledelui-même.Aujourd’hui,ilestpresqueimmunisé contre l’odeur du sang humain et il est capable d’accomplir le travail qu’il aimesanssouffrance.L’hôpitalluiapporteunegrandepaix...

Edwardseperditdansuneréflexionintense.Auboutd’unlongmoment,ilsesecouaettapotalatoile.

—C’estenItaliequ’iladécouvertlesautres.IlsétaientbienpluscivilisésetsavantsquelesapparitionshantantleségoutsdeLondres.

Il désigna un groupe de quatre personnages représentés sur le plus haut des balcons,observantavecunecertaineplacidité lechaosquirégnaitendessousd’eux.Je lesexaminaiavecsoinetmerendiscompte,ébahie,quejereconnaissaisCarlisleenl’hommeauxcheveuxd’or.

—Solimena[6]

s’estbeaucoupinspirédesamisdeCarlisle,repritEdward,amusé.Illesasouvent peints sous l’aspect de dieux. Aro,Marcus et Caïus, énuméra-t-il enmontrant lestrois compagnons de son père, deux bruns et un à la chevelure blanche. Les ténébreux

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protecteursdesarts.—Quesont-ilsdevenus?—Ilssonttoujourslà-bas.Commeilsl’ontétépendantquisaitcombiendemillénaires.

Carlislenes’estpasattardéauprèsd’eux,àpeinequelquesdécennies.S’iladmiraitbeaucoupleuréruditionetleurraffinement,ilsupportaitmalleurentêtementàvouloirleguérirdesonaversionenvers«sonalimentationnaturelle»,commeilsl’appelaient.Ilsontmutuellementtenté de se convaincre, sans effet. C’est à cette époque que Carlisle a décidé de donner sachanceauNouveauMonde. Il rêvaitdecontacterdescréaturesqui lui ressemblent. Il étaitextrêmement seul, vois-tu. Pendant très longtemps, ses recherches n’ont rien donné.Parallèlement, au fur et àmesure que lesmonstres commençaient à peupler les contes defées,ils’estaperçuqu’ilarrivaitàsemêlerauxhumains,àpasserpourl’und’eux,etils’estmis à pratiquer la médecine. Malheureusement, la camaraderie à laquelle il aspirait luiéchappaitsanscesse,carilnepouvaitprendrelerisquedeselier.Quandl’épidémiedegrippeespagnole a frappé, il travaillait dans un hôpital de Chicago. Depuis plusieurs années, ilmûrissaitunprojetqu’ils’étaitpresquerésoluàmettreenœuvre:puisqu’ilnetrouvaitpasde compagnon, il s’en créerait un. N’étant pas complètement certain de la façon dont sapropre transformations’étaitproduite, ilhésitaitencore.Parailleurs, il répugnaitàvoler lavie d’un être comme on lui avait volé la sienne. C’est dans cet état d’esprit qu’il m’adécouvert. J’étais perdu, onm’avait abandonné au fond d’unmouroir. Il avait soignémesparents,savaitquejen’avaispersonne.Alors,ilaosétenterl’expérience...

Savoix,presqueunchuchotismaintenant,setut.Ilposaunregardvidesurlesgrandesfenêtres. Quelles images défilaient dans sa tête ? Les souvenirs de Carlisle ou les siens ?J’attendis sans impatience. Quand il se tourna vers moi, un sourire tendre illuminait sestraits.

—Etvoilà,conclut-il,laboucleestbouclée.—Ettun’asjamaisquittéCarlisle?—Quasimentpas.Posantunemain légèresurma taille, ilm’entraînahorsdubureau.Je jetaiunultime

coupd’œilaux tableauxenmedemandantsi j’auraisun jour l’occasiond’entendred’autreshistoires.

—Quasiment?repris-je,unefoissurlepalier.Ilsoupira,visiblementréticentàmerépondre.— Eh bien, disons que je suis passé par la phase de rébellion adolescente typique,

environdix ans aprèsma... naissance,ma création, appelle-la comme tu voudras.Cette vied’abstinencenem’emballaitpas,etjereprochaisàCarlislederéfrénermonappétit.Bref,j’aivécuseulpendantunmoment.

—Et?J’étaisplusintriguéequ’effrayée,cequin’étaitpeut-êtrepasnormal.Illesentait.J’eus

vaguement conscience que nous montions au deuxième étage, même si j’avais d’autresprioritésentêtequeledécor.

—Celaneterévulsepas?—Non.—Pourquoidonc?—Parceque...çamesembleraisonnable.Il aboya de rire, très fort. Nous étions en haut desmarches, dans un autre vestibule

lambrissé.—Depuismarenaissance,murmura-t-il,j’aibénéficiéduprivilègedesavoircequetout

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lemondeautourdemoipensait,humains etnon-humains.C’estd’ailleurspourquoi ilm’afallu dix ans avant de défier Carlisle – je connaissais sa parfaite sincérité, je comprenaisexactementpourquoiilvivaitcommeilvivait.Jen’aimisquequelquesannéespourrevenirvers lui et me ranger à sa vision des choses. J’avais cru échapper à... la dépression quiaccompagne la prise de conscience. Puisque je lisais les pensées demes proies, je pouvaisaprès tout épargner l’innocent et ne m’attaquer qu’au bourreau. Si je pourchassais unmeurtrierqui traquaitune jeunefilledansuneruellesombre,si jesauvaissavictime,c’estquejen’étaispassidiabolique.

Je frissonnai, imaginant trop bien la ruelle, l’obscurité, la fille, la peur, la silhouettemenaçante, la traque.EtEdward, leprédateur, terrifiantetmagnifiqueet invinciblecommeunjeunedieu.Luiavait-elleétéreconnaissante,cettefille,ouplusterroriséeencore?

—Avecletempscependant,j’aifiniparvoirlemonstreenmoi.Rienn’effaceraitjamaisla dette de tant d’existences humaines volées, quelles que soient les justifications que jem’inventais. Alors, je suis retourné vers Carlisle et Esmé. Ils m’ont accueilli tel le filsprodigue.C’étaitplusquejeneméritais.

Nousvenionsdenousarrêterdevantladernièreporteducouloir.—Machambre,m’informa-t-ilenouvrantetenm’attirantàl’intérieur.La pièce donnait au sud, avec une façade toute en verre, comme au rez-de-chaussée.

L’arrièredelamaisondevaitn’êtrequ’uneimmensefenêtre.Ondistinguaitlesméandresdelarivièreetlaforêtquisedéployaitjusqu’auxcontrefortsdumassifdel’Olympus,beaucoupplusprochequejenel’avaiscru.

Unmurétaitentièrementtapisséd’étagèressupportantdesCD.Sachambreétaitmieuxapprovisionnée que la boutique d’un disquaire. Dans un coin, une chaîne sophistiquée, decellesquej’auraiseupeurdetouchertantj’étaiscertainedecasserquelquechose.Iln’yavaitpas de lit, juste un vaste canapé de cuir noir à l’allure confortable. Une épaissemoquettedorée dissimulait le plancher, et des tissus lourds d’une teinte légèrement plus soutenueétaienttendussurlesmurs.

—Pourl’acoustique?Ilacquiesçaensouriant.S’emparantd’unetélécommande,ilallumalastéréo.Levolume

étaitbas,maisl’airdejazzrésonnacommesil’orchestreavaitétésurplace.J’allaiinspectersonépoustouflantecollection.

—Comment les ranges-tu ?demandai-je, vuque jene trouvaisni rimeni raison à saclassification.

—Mmm?Oh,parannée.Mespréféréssontsurcetteétagère-là.Ilavaitrépondud’unevoixdistraite,etjemeretournai.Ilmecontemplaitd’unairtrès

particulier.—Qu’ya-t-il?—Jem’étaispréparéà...êtresoulagé.Quetusaches...qu’iln’yaitplusdesecretsentre

nous.Jenem’attendaispasàéprouverplus.Maisj’aimeça.Çamerend...heureux.Ilhaussalesépaulesavecunsouriretimide.—Alors,jesuisheureuseaussi,lerassurai-jeenluirenvoyantsonsourire.J’avais craint qu’il regrette de m’avoir parlé si ouvertement, et ça faisait du bien

d’apprendrequecen’étaitpaslecas.Soudain,ilredevintsérieux,sonfrontseplissa.—Tuguettestoujourslemomentoùjevaisdéguerpirenbraillantcommeuneperdue,

hein?devinai-je.Ilhochalatête,vaguementpenaud.— Désolée de te décevoir, mais tu es loin d’être aussi terrifiant que tu le penses.

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D’ailleurs,jen’aiabsolumentpaspeurdetoi.Unmensongeéhonté,qu’iln’avalapaslemoinsdumonde.Ilsourcilla.—Tuauraismieuxfaitdetetaire,s’esclaffa-t-ilavecespièglerie.Surce,ilsemitàgronder,unsongravequiémanaitdutréfondsdesagorge.Seslèvres

seretroussèrentsursesdentssansdéfaut,soncorpsbougeabrusquement,etilseretrouvaàdemiaccroupi,tenducommeunlionprêtàbondir.Jereculai,furieuse.

—Tun’oserais...Jenelevispasmesauterdessus,cefutbientroprapide.Simplement,lesolsedéroba

toutàcoupsousmespieds,etnousnousécrasâmessurledivan,l’envoyantvalsercontrelemur. Ses bras d’airain avaient formé une cage protectrice autour demoi, et je fus à peinebousculée,mais je haletais lorsque je tentai deme redresser. Il neme laissad’ailleurspasfaire.Meroulantenboulecontresontorse, ilm’emprisonnacontrelui.Jelui jetaiuncoupd’œilaffolé;ilparaissaitcontrôlerlasituation,hilare,lesirispétillantdemalice.

—Tudisais?menargua-t-ilavecunnouveaugrognementdecomédie.—Quetuesleplusterrifiantdetouslesmonstres.Monironiefutquelquepeuatténuéeparlestrémolosdemavoix.—C’estdéjàmieux.Jemedébattis.—J’ailedroitdemerelevermaintenant?Ilmericanaaunez.—Onpeutentrer?lançaquelqu’undepuislecouloir.Jevoulusmelibérer,maisEdwardm’assitsursesgenoux,defaçonjusteunpeumoins

débraillée.—Venez,venez,cria-t-il.Alice surgit, Jasper sur ses talons. Si le rougememonta aux joues,Edwardparaissait

très à l’aise. Alice sembla trouver notre posture parfaitement normale. Elle s’approcha endansant–quelautremotpourdécriresagrâce?–ets’assitparterreaumilieudelapièce.Jasperpréféraseplanterdansl’encadrementdelaporte,l’airunpeuchoqué.Ildévisageasonfrère, et jeme demandai si son exceptionnelle sensibilité lui permettait de détecter ce quis’étaitpassé.

—Nousavons cruque tu t’apprêtais àmangerBella etnous sommesvenus voir si tuétaisprêtàpartagertondéjeuner,annonçaAlice.

Jemeraidis,puism’aperçusqu’Edwardrigolait.Dececommentaireoudemaréaction,jenesusdire.

—Navré,maisjen’enaidéjàpasassezpourmoi,répliqua-t-ilenmeserrantcontreluiavectémérité.

—En fait, expliquaJasperenriantmalgré luietenavançant,Aliceannonceunevraietempêtepourcesoir.Emmettaenviedejouer.Tuenes?

Lesyeuxd’Edwards’éclairèrent,maisilhésita.— Naturellement, tu viens avec Bella, susurra Alice, à laquelle Jasper lança un bref

regard.—Çatedit?s’enquitEdward,brusquementexcitécommeungosse.—Biensûr,répondis-je.(Commentdécevoiruntelvisage?)Euh...quelrapportentrela

météoet...—Nousdevonsattendrequ’ilyaitdutonnerre,pourjouer.Tucomprendrassurplace.—Ilfautquejeprenneunparapluie?Toustroishurlèrentderire.

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—Elleenaurabesoin?demandanéanmoinsJasperàAlice.— Non, affirma-t-elle avec certitude. L’orage restera cantonné sur la ville. Le champ

devraitêtresec.—Super!L’enthousiasme de Jasper était contagieux, et je me surpris à avoir hâte de les

accompagneraulieudemourirdefrousse.—Allons voir siCarlisle veut jouer,décrétaAlice en sautant sur sespieds et en filant

avecuneélégancequiauraitbrisélecœurd’uneballerine.—Commesitunelesavaispas!persiflaJasper.Surce,ilsdisparurentenrefermantdiscrètementlaportederrièreeux.—Àquoijouerons-nous?—Toi,àrien.Tutecontenterasderegarder.Nous,nousallonsfaireunepartiedebase-

ball.—Lesvampiresaimentlebase-ball?m’exclamai-je,dubitative.—N’oubliepasqu’il s’agitdusportpréférédesAméricains, rétorquaEdwardavecune

solennitéironique.

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17

LEMATCH

Il commençait tout juste àbruinerquandEdward tournadansma rue. Jusqu’alors, je

n’avais pas douté qu’il resterait avecmoi tandis que je passerais un peu de temps dans lemonderéel–unesorted’intérim.Puisjevislavoiturenoire,uneForddélabrée,garéedansl’allée de Charlie, etmon chauffeur bougonna desmots inintelligibles d’une voix basse etdure.Tâchantdes’abriterde lapluiesous leporcheétroit,JacobBlackse tenaitderrière lefauteuil roulantde sonpère.LevisagedeBilly, impassible commedugranit,ne trahit rienlorsqueEdwardgaramacamionnette.Jacob,lui,baissalesyeux,mortifié.

—Ildépasselesbornes!râlaEdward,furieux.—IlestvenuavertirCharlie,tucrois?demandai-je,plushorrifiéequemécontente.Ilacquiesça,toutenretournantsonregardnoiràBillyd’unemanièrequin’auguraitrien

debon.JefussacrémentsoulagéequeCharlienefûtpasencorerevenu.—Laisse-moigérerça,dis-je.— C’est sûrement plus raisonnable, accepta-t-il (à ma grande surprise). Mais sois

prudente.L’enfantnesedoutederien.— Jacob est à peine plus jeune que moi ! protestai-je, hérissée par l’emploi du mot

«enfant».—Jesais.Ilmesourit,sacolèresoudainévanouie.Jeposailamainsurlapoignéedelaportière.— Invite-les à entrer pour que je puisse m’éclipser, continua-t-il. Je reviendrai à la

tombéedelanuit.— Tu veux garder la voiture ? proposai-je tout en m’interrogeant sur la façon dont

j’allaisexpliqueràmonpèremonabsencecesoir-là.—Jeserairenduplusviteàpiedquedanscetengin!s’esclaffa-t-il.—Tun’espeut-êtrepasobligédet’enaller,non?soupirai-jeavecregret.—Ohquesi!Etquandtuteserasdébarrasséed’eux,n’oubliepasdepréparerCharlieà

l’idéederencontrertonnouveaupetitami.Sonriredévoilasesdentsblanches.—Merciducadeau!Ilmegratifiadusourireencoinquej’adorais.—Jeseraibientôtderetour,mepromit-il.Après avoir jeté un coup d’œil en direction de la maison, il se pencha et embrassa

rapidementl’arêtedemamâchoire.Lecœurbattant,jemetournaiversmesinvitéssurprise.Billyavaitperdusonflegme,etsesmainsagrippaientlesaccoudoirsdesonfauteuil.

— Reviens vite, insistai-je avant de sortir sous l’averse et deme précipiter jusqu’à laporte.Salut,Billy!Salut,Jacob!lançai-jeleplusjoyeusementpossible.Charlies’estabsentépourlajournée.J’espèrequevousn’êtespaslàdepuistroplongtemps.

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—Net’inquiètedoncpas,réponditlevieilhommed’unevoixétrangementcontrôléeenmescrutantduregard.Jevoulaisjusteluiapporterça.

Il montra un sac en papier sur ses genoux. Je le remerciai machinalement, bienqu’ignorantdequoiils’agissait.

—Venezvousmettreausec.Jefissemblantdenepasm’apercevoirqu’ilm’observaitpendantquejedéverrouillaisla

porteetleurindiquaisdemesuivreàl’intérieur.—Donnez-moiça,proposai-je.Meretournantpourfermerderrièrenous,j’enprofitaipourjeterunderniercoupd’œilà

Edward.Parfaitementimmobileetgrave,ilattendait.— Mets-le au réfrigérateur, me conseilla Billy en me tendant son paquet. C’est du

poissonfritmaisondeHarryClearwater.Charlieadoreça.Jeréitéraimesremerciements,sincèrecettefois.—Jecommençaisàêtreàcourtderecettes,etCharlievasûrementrapporterdupoisson

cesoir.—Ilestàlapêche?demandaBilly,ens’animantbrusquement.Àl’endroithabituel?Et

sij’allaisàsarencontre?—Inutile,medépêchai-jedementir,netenantpasàcequ’ilseretrouveentêteà tête

avecmonpère.Ilvoulaitessayerunnouveaucoin.Jen’aiaucuneidéedulieuoùilsetrouve.Billynes’ylaissapasprendreetm’envisagead’unairsongeur.— Jacob, va donc chercher cette photo de Rebecca que j’avais l’intention d’offrir à

Charlie.—Oùest-elle?répliqual’adolescent,morose.Sourcilsfroncés,ils’absorbaitdanslacontemplationduplancher.—Danslecoffre,jecrois.Tun’asqu’àfouilleraumilieudubazar.Traînantlajambe,Jacobressortitsouslapluie.Billyetmoinousaffrontâmesduregard

ensilence.Unsilencequinetardapasàdevenirembarrassant.Aussi,jetournailestalonsetmedirigeai dans la cuisine, suiviepar le couinementdes roueshumidesdu fauteuil sur lelino. Je flanquai le sachet de Billy sur l’étagère supérieure du réfrigérateur puis virevoltaivivementpourluifaireface.Sonvisageauxridesprofondesétaitindéchiffrable.

— Charlie ne sera pas là avant un bon moment, attaquai-je, sur un ton qui frisaitl’impolitesse.

Ilsecontentadehocherlatête.—Merciencorepourlepoisson.Nouvelacquiescement,ettoujourspasuneparole.Jesoupiraietcroisailesbrassurma

poitrine.Levieillardsembladevinerquejen’ajouterairien,carilselança,hésitant.—Bella.J’attendis.—Bella.Charlieestl’undemesmeilleursamis.—Oui.—J’airemarquéquetupassaisbeaucoupdetempsavecceCullen.Ildétachaitchaquemotsoigneusement,etsavoixétaitsourde.—Oui.—Cen’estsûrementpasmesaffaires,maisjenecroispasquecesoitunebonneidée.—Vousavezraison,cenesontpasvosoignons.—TuignoressansdoutequelafamilleCullenn’apasbonneréputationdanslaréserve,

persista-t-il,irritéparmonimpudence.

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— Si, je le sais, figurez-vous ! Et je ne vois pas en quoi cette réputation estméritée.Aprèstout,ilsnemettentjamaislespiedssurvotreterritoire,non?

Billyétaitdécontenancéd’apprendrequej’étaisaucourantduvieilaccordpasséparsatribu.

—C’estvrai,reconnut-il,prudent.Tuasl’air...bieninforméesurlesCullen.Plusquejenelepensais.

—Etplusquevous,siçasetrouve.—Peut-être,admit-ilàregret.Charlieest-ilaussibieninformé?enchaîna-t-ilavecune

lueurastucieusedanslesyeux.Iln’avaitpasmislongtempsàtrouverlepointfaibledemadéfense.—IlappréciebeaucouplesCullen,éludai-je.Billynemanquapasdesaisirmadérobade.Ilenparutmécontent,maisguèresurpris.—Sicenesontpasmesaffaires,cesontsûrementcellesdeCharlie,s’entêta-t-il.—C’estàmoid’enjuger,ilmesemble.Je guettai anxieusement sa réaction. Il s’absorba dans un silence songeur que ne

rompaitquelebruitdelapluiesurletoit.—J’imaginequetuasraison,finit-ilparconcéder.—Merci,Billy,soupirai-je,soulagée.—Jetedemandejustedebienréfléchir,Bella.—Jevouslepromets.—Cequejeveuxdire,c’estarrête!précisa-t-ilensourcillant.Sesyeuxnereflétaientqu’unvéritablesoucipourmoi.Quepouvais-jerépondre?Àcet

instant,laportes’ouvritbruyamment.Jesursautai.—Iln’yaaucunephotodanscettebagnole!râlaJacob.Lesépaulesdesachemiseétaienttrempées,etsescheveuxdégoulinaient.—Ahbon?marmonnaBilly.J’aidûl’oublieràlamaison.—Super!maugréasonfilsenlevantlesyeuxauciel.—Bella,tudirasàCharlie...quenoussommespassés.—Aucunproblème.—Ons’envadéjà?s’étonnaJacob.—Charlierentreratard,luiexpliquasonpèrequipoussaitsonfauteuilverslecouloir.—Oh!Ben...àuneautrefois,alors,Bella.Legarçonétaitdéçu.—C’estça.—Prendsgardeàtoi,m’avertitBilly.Jelaissaicouler.Jacobaidasonpèreàdescendreleperron.J’agitailamainenjetantun

bref regard surmaChevrolet désormais vide, puis refermai la porte avantmême qu’ils nefussent partis. Debout dans le vestibule, j’écoutai leur voiture reculer dans l’allée puiss’éloigner.Matensionretombaunpeu,etjegrimpaiàl’étagepourchangerdevêtements.

J’essayaiplusieurschemisiers,ignorantcequemeréservaitlasoirée.Cetteperspectivesuffitàrendreinsignifiantelaconversationquivenaitd’avoirlieu.Maintenantquejen’étaisplus sous l’influence de Jasper et d’Edward, je commençais à être rattrapée par la peur.J’abandonnairapidementmeseffetsdestylepourenfilerunevieillechemisedecotonetunjean.Detoutefaçon,jerisquaissûrementdepasserlematchrevêtuedemoncoupe-vent.

Letéléphonesonna,etjemeprécipitaiaurez-de-chaussée.Jenedésiraispasentendred’autrevoixquelasienne,mêmesijesavaisqu’ilseseraittoutbonnementmatérialisédansmachambres’ilavaitvouluprendrecontactavecmoi.

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—Allô?—Bella,c’estmoi,Jessica.—Oh,salut.Ilme fallutunmomentpourreprendrepieddans la réalité.J’avais l’impressiondene

pasavoirparléàJessdepuisdesjoursetdesjours.—Commentc’était,lebal?demandai-je.—Génial!Elle démarra au quart de tour et se lança dans un compte-rendu détaillé de la soirée

précédente.J’émisdesmarmonnementsappréciateursçàet là,malgrémesdifficultésàmeconcentrer.Jessica,Mike,lebal,lelycée,toutcelameparaissaitétrangementdéplacéencetinstant.Jenecessaisderegarderparlafenêtre,jaugeantledegrédeluminositéderrièrelesnuagesnoirs.

—Tum’écoutes,Bella?s’agaçasoudainJessica.—Désolée,quoi?—Mikem’aembrassée!Tuterendscompte?—C’estsuper,Jess.—Ettoi,qu’est-cequetuasfait,hier?Elle était devenue agressive, soit parce qu’elle m’en voulait de mon inattention, soit

parcequ’elleétaitvexéedemonpeud’enthousiasmeàenapprendreplussurson flirtavecMike.

—Riendebienintéressant.Jesuisjustesortieprofiterdusoleil.LavoituredeCharliecrissasurlegravier.—TuasrevuEdwardCullen?Laported’entréeclaqua,etmonpères’affairaàrangersonbardasousl’escalier.—Euh...—Salut,gamine!lançaCharlieenpénétrantdanslacuisine.Jeluiadressaiunsignedelamain.—Oh,tonpèreestlà,ditJessicaquil’avaitentendu.Oublie,ondiscuterademain.Onse

voitenmaths.—Ciao,Jess.Jeraccrochai.—Salut,papa.Oùsonttesprises,aujourd’hui?Ilselavaitlesmainsau-dessusdel’évier.—Jelesairangéesaucongélateur.—Billyestpassétoutàl’heuredéposerunsacdefrituredeHarryClearwater,annonçai-

jeavecunentrainforcé.—C’estvrai?J’enraffole.Charliemonta se doucher pendant que je préparais le dîner.Nous ne tardâmes pas à

passeràtable.Lerepassedérouladanslesilence.Charliesavouraitsonpoissonpendantqueje me creusais désespérément les méninges pour accomplir la tâche qui m’était échue –aborderlesujetd’Edward.

—Qu’as-tufaitdebeau?lançasoudainCharlie,m’arrachantàmarêverie.— Je suis restée à lamaison, cet après-midi. (Uniquement en toute fin d’après-midi,

pourêtrehonnête).Etcematin,ajoutai-jeenm’efforçantderesteroptimisteendépitdemesjambesencoton,j’étaischezlesCullen.

Ébahi,Charlieenlaissatombersafourchette.—Ledocteur?

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—Oui.—Maisqu’est-cequetufabriquaislà-bas?Iln’avaitpasramassésescouverts.—Euh...ilsetrouvequejesorsplusoumoinsavecEdwardCullencesoir...etildésirait

meprésenteràsesparents...Çava,papa?Apparemment,ilétaitentraindes’offriruneruptured’anévrisme.—Papa!—TusorsavecunCullen!tonna-t-il.—Je...jecroyaisquetulesappréciais.—Ilesttropvieuxpourtoi!assena-t-ilavecunevéhémencehorsdepropos.—Noussommestouslesdeuxenpremière.Bon sang ! Heureusement qu’il ne se doutait pas qu’il avait raison plus qu’il ne

l’imaginait.—Attends...Lequelc’est,cetEdwin?—Edward.Leplusjeune,celuiauxcheveuxroux.L’Adonis,ledieuvivant.—Ah...euh...bredouilla-t-il,çachangetout.Jen’aimepaslatêtedugrandcostaud.C’est

sûrementunbongars,maisilal’airtrop...mûrpourtoi.C’esttonpetitcopain,cetEdwin?—Edward,papa.—Réponds-moi.—Onpeutdireça.—Maistum’asracontéhiersoirquetunet’intéressaisàaucundesgarçonsdelaville.Ilavaitrécupérésafourchette–lepireétaitpassé.—Edwardn’habitepasenville.Ilmefusilladuregard,guèreamuséquejeleprennepourunimbécile.— Écoute, ce n’est que le début. Alors, évite de me servir le discours sur les petits

copains,d’accord?—Quandpasse-t-iltechercher?—Ilseralàdansquelquesminutes.—Oùt’emmène-t-il?—Hé,ho!Çasuffitl’Inquisitionespagnole!Onvajoueraubase-ballavecsafamille.LevisagedeCharlieseplissauninstant,puisiléclataderire.—Tujouesaubase-ball,toi?—Euh...jevaissurtoutregarder.—Disdonc,ildoitdrôlementteplaire,cetype!Jemecontentaidesoupirerenlevantlesyeuxauciel.Aumêmemoment,onentenditle

bruit d’une voiture qui se garait devant la maison. Sautant sur mes pieds, j’entrepris dedébarrasserlatable.

—Laisse,bougonnaCharlie.Jem’enoccuperaiplustard.Tumematernestrop.Lasonnetteretentit,etilsedépêchad’allerouvrir,avecmoipendueàsesbasques.Jene

m’étaispasrenducompteàquelpoint l’averse faisait rage.Sous lehaloduporche,Edwardressemblaitaumannequind’unepubpourimperméables.

—Entre,Edward.JefuscontentedeconstaterqueCharlien’avaitpasdéformésonprénom.—Merci,ChefSwan,réponditEdwardavecrespect.—Appelle-moiCharlie.Donne-moitaveste.—Merci.

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—Assieds-toi.Nom d’un chien ! On n’allait quand même pas y passer la soirée ! Edward se posa

souplementdansnotreuniquefauteuil,m’obligeantàprendreplaceàcôtédemonpère,surlecanapé.Jeluijetaiunregarddereprocheauquelilréponditparunclind’œildansledosdeCharlie.

—Alors,commeça,j’apprendsquetuemmènesmapetitefillejoueraubase-ball?Iln’yavaitqueleshabitantsdel’ÉtatdeWashingtonpournepasseformaliseràl’idée

quelapluietombaitàseauxetrisquaitdegêneruntantsoitpeulatenued’unmatchenpleinair.

—C’estcequiestprévu,eneffet.Il ne sembla pas surpris que j’eusse dit la vérité àmon père. Ou alors, il nous avait

espionnés.—Quelexploit!s’esclaffaCharlie.Lesriresd’Edwardsejoignirentauxsiens.—Bon,décrétai-jeenmelevant,vousavezassezricanéàmesdépens.Allons-y.Jefonçaidansl’entréeetenfilaimoncoupe-vent.Ilsmesuivirent.—Nerentrepastroptard,Bella.—Pasdesouci,Charlie,jelaramèneraiàuneheuredécente,promitEdward.—Attentionàmafille,hein?—Ellenerisquerienavecmoi.UnetellesincéritésuintaitdechacunedesesparolesqueCharlien’auraitpudouterde

sa bonne foi. Je me ruai dehors, et tous deux furent saisis d’un nouvel accès d’hilarité.Edwardm’emboîtalepas,maisjem’arrêtainetsurleperron.DerrièremacamionnetteétaitrangéeuneJeepmonstrueuse.Sespneusm’arrivaientsûrementàlataille,lespharesétaientprotégéspardesgrillesetquatreénormesprojecteursétaientfixéssurlepare-chocsenacierrenforcé.Lacarrosserieétaitd’unrougepétant.Charlielaissaéchapperunpetitsifflement.

—N’oubliezpasvosceinturesdesécurité,murmura-t-il.Meprécédant,Edwardm’ouvrit la portière côté passager. J’évaluai la distance quime

séparait du siège et m’apprêtai à sauter quand, avec un soupir, il me souleva d’une seulemain.PourvuqueCharlien’eût rienremarqué.Tandisqu’il contournait lavoitureàunpasmesuré, humain, je m’évertuai à attacherma ceinture. Elle était si complexe que j’en fusincapable.

—Qu’est-cequec’estquetouscesmachins?m’écriai-jequandilm’eutrejointe.—Unharnaistout-terrain.—Ah.Jem’appliquaiàenclencher lesmultiplesboucles lesunesderrière lesautres.Comme

j’étaistroplente,Edwardsoupiradenouveauetentrepritdem’aider.Heureusement,lapluie,trop dense, empêchait Charlie de nous distinguer clairement, et il ne vit pas les mainsd’Edward folâtrer surmon cou et le long demes clavicules. Abandonnant tout effort pourcomprendre comment cet instrument de torture fonctionnait, je me contentai de veiller àrespirerrégulièrement.

Edwardmitlecontact,etnouspartîmes.—Tuasune...sacréegrosseJeep.—ElleappartientàEmmett.J’aipenséquetun’apprécieraispasdefairetoutlechemin

encourant.—Oùgardez-vouscetengin?—Nousavonstransforméunedesdépendancesengarage.

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—Tunemetspastaceinture?Ilmelançaunregardabasourdi.Soudain,sesparolesprécédentesfirentmouche.—Toutlechemin?m’exclamai-jeendéraillantdanslesaigus.Celasignifie-t-ilquenous

allonsdevoircourirunepartieduchemin?—Pastoi,rectifia-t-ilavecunmincesourire.—Maisçamerendmalade.—Tun’aurasqu’àfermerlesyeux,ettoutirabien.Jememordisleslèvres,luttantcontrelapanique.Ilsepenchaetdéposaunbaisersurle

sommetdematête.Ilgémit,etjemetournaiverslui,surprise.—Tusenstellementbonsouslapluie,m’expliqua-t-il.—C’estbienoupasbien?demandai-jeaveccirconspection.—Lesdeux.Commetoujours,lesdeux.J’ignorecommentils’ypritpours’orienterdansl’obscuritéetlapluiebattante,maisil

finitparbifurquerdansuneroutesecondairequin’avaitderoutequelenom:onauraitditunsentierdemontagne.Touteconversationdevintdès lors impossible tant je rebondissaissurmonsiègecommeunmarteau-piqueur.Desoncôté,ilsemblaitbeaucoups’amuser.Nousfinîmespardéboucherdansuncul-de-sacencercléparlaparoivertequeformaientlesarbres.Latempêtes’étaitcalmée,cédantlaplaceàunebruinequisedissipaitpeuàpeutandisqueleciels’éclaircissaitderrièrelesnuages.

—Désolé,Bella,maisàpartird’ici,nouscontinuonsàpied.—Tusaisquoi?Jecroisquejevaist’attendre.—Oùestpassétoncourage?Tun’enaspasmanquépourtant,cematin.—Jen’aipasoubliénotredernièrebalade.Était-ilconcevablequ’ellenedatâtqued’hier?Ilfutprèsdemaportièreenunéclairet

m’aidaàdébouclermonharnais.—Jem’enoccupe,protestai-je.Vas-y,toi,jeterejoins.—Oh,oh,rigola-t-il,j’aibienl’impressionquejevaisdevoirfalsifiertamémoire.Sans me laisser le temps de réagir, il me tira de la voiture et me posa sur le sol. Il

brouillassaitàpeine,maintenant.Alicenes’étaitpastrompée.—Commentça,falsifiermamémoire?m’inquiétai-je.—Quelquechosecommeça.Ilmevrillaitdesonregard,maissesirisrecelaientuneétincelled’humour.Plaçantses

mains sur la carrosserie, de chaque côté dema tête, il se pencha,m’obligeant à reculer. Ils’approcha jusqu’à ce que son visage se retrouve à quelques centimètres à peine dumien.J’étaiscoincée.

— Et maintenant, chuchota-t-il (et son haleine suffit à me faire perdre l’esprit),explique-moidequoituaspeurexactement.

—Euh...ehbien...balbutiai-je,d’entrerencollisionavecunebrancheetdemourir.Devomirpartout.

Ilréprimaunsourire,sepenchaencore,etseslèvresfroideseffleurèrentlecreuxdemagorge.

—Toujoursanxieuse?murmura-t-il.—Oui.Sonnezglissa surmamâchoire, s’arrêtant juste au-dessusdemabouche.Son souffle

fraischatouillaitmapeau.—Etmaintenant?—Lesarbres,lemaldestransports,haletai-je.

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Illevalatêteetembrassamespaupières.—Bella,tunepensestoutdemêmepasquejeheurteraisuntronc,non?—Pastoi,moi.Mavoixflanchait.Ilflairalavictoiretouteproche.Sesbaisersdescendirentlentementle

longdemajoueavantdeseposeràlacommissuredemeslèvres.—Crois-tuquejelaisseraisunarbret’attaquer?—Non,soufflai-je.J’étaissûred’avoird’autresargumentsàluiopposermais,bizarrement,jenelestrouvai

pas.—Tun’asdoncaucuneraisond’avoirpeur,conclut-il.—Aucune,soupirai-je,vaincue.Alors,ilpritmonvisageentresesmains,presquebrutalement,etmedonnaunlonget

vraibaiser.Moncomportement fut inexcusable. J’étaispourtantprévenue.Hélas, je fus incapable

denepasréagirexactementcommelapremièrefois.Au lieuderester tranquille, j’enroulaimes bras autour de sa nuque etme soudais à son visage de pierre. Frissonnant de plaisir,j’ouvrislabouche.Ilreculaentitubant,brisantmonétreintesansdifficulté.

—Nomd’unchien,Bella!s’écria-t-il.Tuasjurémamortouquoi?Jem’accroupis,mainsautourdemesgenoux,pourcalmermestremblements.—Tuesindestructible,marmonnai-jeenessayantdereprendremarespiration.—Ça,c’étaitavantquejeterencontre.Allez,filonsavantquejenem’autoriseungeste

vraimentstupide,gronda-t-il.Comme la veille, ilme jeta sur sondos. Jenotai aupassage les effortsqu’il déployait

pour être le plus doux possible. J’enfermai sa taille entre mes jambes et serrai mes brasautourdesoncou,telunétau.

—N’oubliepasdefermerlesyeux,meprévint-ilsévèrement.J’enfonçaiaussitôtma figuredanssesépaules.Jemerendisàpeinecomptequenous

bougions. Certes, je sentis qu’il se déplaçait, mais il aurait pu aussi bien se baladernonchalammentsuruntrottoirtant ilsemouvaitavecsouplesse.Jefustentéederegarder,justepourvoirs’ilvolaitàtraverslaforêt,maisjerésistai.Macuriositéneméritaitpasunenausée.Jecompensaienécoutantsarespirationrégulière.

Jenefuspascertainequenousnousétionsarrêtésavantqu’ilnecaressemescheveux.—C’estfini,Bella.J’osaiouvrir lespaupières.Ildisaitvrai.Raideetmaladroite, jemedétachaidelui...et

atterrissurlesfesses.—Ouille!Ilmecontempla,incrédule,hésitantentresacolèretouterécenteetunaccèsdegaieté.

Monahurissementdutl’emporter,carilpartitd’unriretonitruant.Jemerelevaietmeforçaià l’ignorer tout en essuyant la boue et les fougères qui s’étaient agglutinées àmon coupe-vent.Iln’enritqueplusfort.Agacée,jem’éloignai.Sonbrasemprisonnamataille.

—Passivite.Oùvas-tu?—Assisteràunepartiedebase-ball.Çan’aplusl’airdebeaucoupt’intéresser,maisles

autressaurontsûrements’amusersanstoi.—Tutetrompesdechemin.Sansleregarder,jefisvolte-faceetpartisdansladirectionopposée.Ilmerattrapaune

nouvellefois.—Nesoispasfâchée,çaaétéplusfortquemoi.Situt’étaisvue!

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L’hilaritélereprit,apparemmentirrésistible.—Tuestimessansdouteêtreleseulàavoirledroitd’êtreencolère,c’estça?—Jenel’étaispascontretoi.—Àd’autres.Bella,tuasjurémamortouquoi?—Simpleconstatation.J’essayaideluiéchapper,envain.—Tuétaisfurieux,insistai-je.—Oui.—Pourtanttuviensdedire...—Quejenel’étaispasaprèstoi.Oh,Bella,tunecomprendsdoncpas?—Comprendrequoi?—Jenet’enveuxjamais.C’estunechosequejen’arrivemêmepasàenvisager.Tuessi

courageuse,confiante...aimante.—Alorspourquoi...Jenemerappelaisquetropbien leshumeurssombresqui l’éloignaientrégulièrement

de moi. Je les avais toujours interprétées comme de la frustration, légitime, devant mafaiblesse,malenteur,mesturbulentesréactionsd’humaine.

—C’estaprèsmoiquej’enai,confessa-t-ilensoulevantdoucementmonmenton.Cettefaçonque j’aide toujours temettreenpéril.Maseuleexistencereprésenteundangerpourtoi.Desfois,jemehais.Jedevraisêtreplusfort,capabledemieux...

Jeplaçaiundoigtsursabouche.—Chut!Ilôtamamaindeseslèvrespourlacollercontresajoue.—Jet’aime,murmura-t-il.C’estunebienpiètreexcuseàmoncomportement,maisc’est

vrai. (C’était la première fois qu’il le disait. Si lui n’en était pas conscient, moi si.) Etmaintenant,poursuivit-il,moqueur,tâchedetetenircorrectement.

Surce,ilsepenchaeteffleuramabouched’unbaiser.Jenebronchaipas.—TuaspromisauChefSwandemeramenertôt,tutesouviens?soupirai-je.Onferait

mieuxd’yaller.—Àvosordres.Avecunsourirederegret,ils’écarta.Ilm’entraînaàtraversleshautesfougèreshumides

et les rideaux de mousse, contourna une énorme ciguë, et m’amena à la lisière d’ungigantesquechampquigrimpaitàl’assautdescimesdumassifdel’Olympus.Laprairieétaitgrandecommedeuxstadesdebase-ball.

Lesautresétaientdéjà là,Esmé,EmmettetRosalieassissurunesaillie rocheusenueassez près de nous ; beaucoup plus loin, Jasper et Alice, séparés par environ quatre centsmètres,selançaientquelquechose,uneballesansdoute,bienqu’ilsfussentsilestesquejene la distinguais pas. Carlisle semblait affairé à délimiter les bases. Semblait, car il étaitimpossiblequ’elles fussentaussi loin lesunesdesautres,non?Lorsquenousémergeâmesdesarbres,lestroispremiersselevèrent.Esmésedirigeaversnous,etEmmettluiemboîtalepasaprèsavoirobservéd’unairsongeurRosaliequis’éloignaitgracieusementàl’opposésansavoirdaignénousaccorderuncoupd’œil.Monestomacsetordit.

—Est-cetoiquenousavonsentendutoutàl’heure,Edward?s’enquitEsmé.—Onauraitditunoursquis’étrangle,ricanaEmmett.—C’étaitbienlui,confirmai-jeavecunsouriretimide.—Malgréelle,Bellaaétéd’unedrôlerieimpayable,sevengeaaussitôtEdward.Aliceavaitquittésonposteetseprécipitait–dansait–dansnotredirection.

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—Ilestl’heure,annonça-t-elle.Sesparolesfurentsaluéesparungrondementdetonnerrequisecoualaforêtalentour

puiséclataàl’ouest,ducôtédelaville.—Sinistre,hein?rigolaEmmettenm’adressantunclind’œil.—Allons-y.Alice s’empara de lamain d’Emmett, et ils se ruèrent sur la prairie disproportionnée.

Elle galopait comme une gazelle ; il était presque aussi beau et tout aussi rapide – etpourtant,onn’auraitjamaissongéàlecompareràunegazelle.

—Prêtspourunepetitepartie?s’écriaEdward,leregardbrillantd’excitation.Jefeignisl’enthousiasmederigueurdanscesoccasions-là.—Hiphiphip!Hourra!braillai-jeenagitantlesbrascommeunepom-pomgirl.Ilpouffapuis,aprèsavoirébouriffémescheveux,bondità lasuitedesdeuxautres.Sa

façondecourirétaitplusagressive,guépardplusquegazelle,etileuttôtfaitdelesrattraper.Sapuissanceetsonélégancemecoupèrentlesouffle.

—Ondescendunpeu?meproposaEsmédesavoixdouceetmélodieuse.Jem’aperçus que je béais d’étonnement.Me ressaisissant, j’acquiesçai. Esmé prenait

gardeàmaintenirunecertainedistanceentrenous,etjemedemandaisielleveillaitencoreànepasm’effrayer.Elleaccordasonallureàlamiennesansmontrerd’impatience.

—Vousnejouezpasaveceux?—Non,jepréfèrearbitrer.Jetiensàcequ’ilssoienthonnêtes.—Est-ceàdirequ’ilsonttendanceàtricher?—Etcomment!Tulesentendraissedisputer,unevraiemeutedeloups!Espéronsque

çaneseproduirapascesoir.—Vousmerappelezmamère,plaisantai-je,étonnée.Ellerit.—C’estque,laplupartdutemps,jelestraitecommemespropresenfants.Mesinstincts

maternelsn’ontjamaisétéassouvis.Edwardt’a-t-ilditquej’avaisperduunbébé?—Non,murmurai-je, abasourdie, en tâchantdedevineràquellepériodede savieelle

faisaitréférence.—Monseuletuniqueenfant.Ilestmortquelquesjoursaprèssanaissance.Çam’abrisé

lecœur.Voilàpourquoijemesuisjetéed’unefalaise,précisa-t-elle,l’airderien.—Edwardajustementionnéquevousétiez...tombée.—Cegarçonestd’unenaturetellementdélicate.Lepremierdemesnouveauxfils.Jel’ai

toujours considéré comme tel, bien qu’il soit plus âgé que moi. Dans un certain sens dumoins.C’estpourquoi,ajouta-t-elleenmesouriantavecchaleur,jesuissiheureusequ’ilt’aittrouvée,machérie. (Danssabouche, le termeaffectif sonnaitnaturel.) Ila trop longtempsétéàpart.Sasolitudefaisaitpeineàvoir.

—Çanevousennuiepas,alors?Quejenesois...pascellequ’illuifaut.—Non...(Elleréfléchit.)Tuescequ’ilveut.Toutfinirapars’arranger.L’inquiétudeluiplissaitlefrontcependant.Undeuxièmecoupdetonnerreébranla leciel.Esmés’arrêta.Visiblement,nousétions

parvenuesauboutde leurterrainde jeu.Lesautresparaissaientavoir forméleurséquipes.Edwardétaitpositionnétrèsloin,surlechampgauche,Carlislesetrouvaitentrelapremièreet ladeuxièmebase, etAlice s’était approprié laballe, àun endroitquidevait tenir lieudemonticule du lanceur. Emmett brandissait une batte en aluminium qui sifflait presqueimperceptiblementdans l’air.J’attendaisqu’ileûtrejoint lemarbrequand jeréalisaiqu’ilyétaitdéjà,bienplus loindu lanceurque les règles traditionnellesne le stipulent. Jasper se

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tenaitàplusieursmètresderrièrelui,jouantlereceveurpourl’équipeadverse.Biensûr,nuln’avaitdegants.

—Trèsbien,lançaEsméd’unevoixclairequemêmeEdwarddevaitpercevoir.Enjeu!Alice se redressa, immobile. Tenant la balle à deuxmains, à hauteur de sa taille, elle

semblaitpréférer laruseaurentre-dedansintimidant.Soudain,teluncobraqui frappe,sonbrasdroitjaillit,etlaballeallafrapperlamaindeJasper.

—C’estunstrike,ça?chuchotai-jeàEsmé.—Quandlebatteurn’arrivepasàfrapper,oui.Jasper renvoya la balle à Alice, qui s’autorisa un bref sourire. Puis, tout aussi

brusquement,samains’envoladenouveau.Cettefois,labatteparvintàintercepterlaballe.Lecraquementdel’impactfutassourdissant.Teluncoupdetonnerre,ilserépercutacontrelesmontagnes,etjecomprisimmédiatementpourquoiilsnejouaientquependantlesorages.La balle partit comme un météore au-dessus de la prairie et alla se perdre dans la forêtenvironnante.

—Homerun,murmurai-je.—Attendonsunpeu,objectaEsmé,prudenteetattentive,unemainlevée.Emmett galopait de base en base, quasiment invisible, Carlisle à ses trousses. Jeme

rendiscomptequ’Edwardavaitdisparu.—Out!criaEsmé.Éberluée, jevisEdwardsauterà la lisièredesarbresenbrandissant laballe.Malgré la

distance,mêmemoijepusdistinguersonsourirebéat.— Emmett frappe peut-être le plus fort, mais c’est Edward qui court le plus vite,

m’expliquaEsmé.Letourdebattesepoursuivitsousmesyeuxéberlués.Ilm’étaitpresqueimpossiblede

suivre la partie, vu la vitesse à laquelle la balle volait et le rythme auquel leurs corps sedéplaçaient autour du champ. Je découvris une autre raison à la nécessité d’une tempête,lorsqueJasper,tentantd’éviter ladéfenseimprenabled’EdwardfrappauneballerasanteendirectiondeCarlisle.Cedernierl’attrapapuisseruaverslapremièrebasetandisqueJasperfaisaitdemême.Quandilssetamponnèrent,levacarmem’évoquaceluidedeuxgigantesquesrochersquiseseraientécroulés.Jesursautai,soucieuse.Parmiracle,ilsétaientindemnes.

—Pointaccordé!annonçaEsmécalmement.L’équiped’Emmett gagnaitd’une courte tête–Rosalie avait réussi à se glisser autour

desbasesaprèsavoirtouchéunedeslonguesballesd’Emmett–lorsqueEdwardinterceptalatroisième.Ilmerejoignitaupetittrot,étincelantdejoie.

—Alors,mecria-t-il,qu’est-cequetuenpenses?—Unechoseestsûre,jenepourraiplusjamaismecontenterdesmatchsàlapapades

championnatsnationaux.—Àcroirequetuaspassétavieàça!s’esclaffa-t-il.—Jesuisunpeudéçuequandmême,lenarguai-je.—Pourquoi?—J’aimeraisvraimentdécouvrirundomainedanslequelvousn’excellezpas.Ilmegratifiadesonsourireencoin.—C’estmontourdefrapper,dit-ilensuiteensedirigeantverslemarbre.Il jouait intelligemment, relançantdes balles rases, horsdeportéedeRosalie, dont la

main, sur le champ extérieur, paraissait cependant toujours prête à les intercepter, etréussissantàrejoindredeuxbasesavantqu’Emmettaiteuleloisirderemettreenjeu.Àunautre moment, Carlisle en expédia une si loin – dans une explosion qui me perça les

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tympans–que luietEdwardparvinrenttousdeuxà faire le tourde lasurfacede jeu.Aliceleur claquadélicatementdans lamainenguisede félicitations.Lematch sepoursuivit, lesscoresoscillantconstamment,et ilssetaquinaientcommen’importequelsgaminsdesruesdèsquelabalancepenchaitenfaveurd’uneéquipeaudétrimentdel’autre.Parfois,Esméenrappelait un à l’ordre. Le tonnerre grondait, mais il ne pleuvait pas, comme l’avait préditAlice.

Carlisle était à la batte et Edward jouait le receveur quand, tout à coup, Alice eut unhoquetdefrayeur.Mesyeuxétaient,commed’habitude,rivéssurEdward,etjelevistournerlatêteverssasœur.Leursregardssecroisèrent,etunmessagepassaaussitôtentreeux.Ilfutprèsdemoiavantmêmequelesautresaienteuletempsderéagir.

—Alice?lançaEsmé,tendue.—Jen’aipasvu...murmura-t-elle.Jenesavaispas.Lerestedelafamilles’étaitrassembléautourdenous.—Quesepasse-t-il?demandaCarlisleàsafilleaveclecalmequeconfèrel’autorité.—Ilsontvoyagébeaucoupplusvitequejenem’yattendais.Jemesuistrompéesurleur

trajectoire.—Elleachangé?l’interrogeaJasperensepenchantverselle,protecteur.—Ilsnousontentendusjoueretilsontbifurqué,avoua-t-elle,contrite.Septpairesd’yeuxseposèrentbrièvementsurmoiavantdesedétourner,embarrassés.—Quandseront-ilslà?marmottaCarlisleàl’adressed’Edward.Cedernierseconcentra.—Moinsdecinqminutes.Ilscourent.Ilsveulentjoueravecnous.Ilfronçalessourcils.— Tu crois y arriver ? s’enquit son père avec un hochement de menton dans ma

direction.—Non.Passijelaporte...Etpuis,ladernièrechosesouhaitable,c’estqu’ilsflairentson

odeuretsemettentenchasse.—Combiensont-ils?demandaEmmettàAlice.—Trois,répondit-elleabruptement.— Trois ! fanfaronna-t-il en bandant lesmuscles de ses brasmassifs. Qu’ils viennent

donc!Pendantunesecondequimeparuts’éterniser,Carlisledélibéra.SeulEmmettsemblait

imperturbable.Lesautrescontemplaientlechefdefamilleavecanxiété.—Continuons à jouer, finit-il par décider d’une voix calme et égale.D’aprèsAlice, ils

sontjustecurieux.Tout cet échange avait été mené tambour battant et n’avait guère duré plus d’une

minute. J’en avais saisi l’essentiel, mais je n’entendis pas la question qu’Esmé posait àEdward,carseulesseslèvresvibrèrent.Ilréagitparunelégèredénégation,etlesoulagementsubmergealestraitsdesamère.

—Prendsmaplace,luiordonna-t-il.J’aieumoncompte.Sur ce, il se planta devantmoi. Les autres avaient regagné le champ, inspectant avec

inquiétudelesboisombreux.AliceetEsmésepositionnèrentdanslazoneprèsdelaquellejemetenais.

—Rabatstescheveux,melançaEdwarddoucement.Docilement,jeretiraimonélastiqueetsecouaimatignasse.—Ilsarrivent,hein?balbutiai-je,bieninutilement.—Oui.Nebougesurtoutpasetnet’éloignepasdemoi,jet’enprie.

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Il avait beau dissimuler sa tension, elle ne m’échappa pas. Il ramena mes longuesmèchesenavant,defaçonàcequ’ellescachentenpartiemonvisage.

—Çaneserviraàrien,chuchotaAlice.Jelaflaireraisàl’autreboutdelaprairie.—Jesais,s’énerva-t-il.Carlisle se tenait sur le marbre, et une nouvelle partie commença, sans beaucoup

d’entrain.—Quet’ademandéEsmé?murmurai-je.—S’ilsavaientsoif,admit-ildemauvaisegrâceaprèsuninstantd’hésitation.Lessecondess’écoulèrent.Lematchétaitapathique.Personnen’osaitfrappertropfort,

etEmmett,RosalieetJaspernes’écartaientpasduchamp intérieur.Endépitde la terreurqui engourdissait mon cerveau, j’avais conscience que Rosalie me regardait de temps entemps. Ses yeux étaient dénués d’expression, mais le pli de sa bouchem’incitait à penserqu’elleétaitfurieuse.Edwardneprêtaitaucuneattentionàlapartie,entièrementconcentrésurlesarbresalentour.

—Excuse-moi,Bella,marmonna-t-il,soudainvéhément.C’étaitstupideetirresponsabledet’exposerainsi.Jesuisvraimentdésolé.

Toutàcoup,ilcessaderespirer,etsesprunellesseposèrentenpleinsurlechampdroit.Il avança imperceptiblement pour s’interposer entre moi et ce qui approchait. Carlisle,Emmettet lesautresse tournèrentdans lamêmedirection,prêtant l’oreilleàdesbruitsdepasquemesfaiblesoreillesn’entendaientpas.

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LATRAQUE

Ilssurgirentunàundelalisière,éloignésd’unedizainedemètreschacun.Lepremier

mâlequidébouchadanslechampreculaimmédiatement,laissantlesecondprendrelatête.Ilseplaçaenretraitdugrandbrund’unefaçonquinepermettaitaucundoutesurl’identitéduchefdemeute.Latroisièmeétaitunefemme;àcettedistance,jenedistinguaisd’ellequesescheveux,d’uneteinterougesaisissante.

Prudents, ils resserrèrent les rangs avant de poursuivre leur route en direction de lafamille d’Edward, affichant tous les signes de respect qu’un clan de prédateurs montrenaturellementquandilcroiselechemind’unehordedesonespècesupérieureennombre.

Aufuretàmesurequ’ilsapprochaient,jenotaiàquelpointilsdifféraientdesCullen.Ilsavaientladémarcheféline,sedéplaçaientcommes’ilsavaientconstammentétéàdeuxdoigtsde se tapir pour bondir. Ils étaient habillés en randonneurs – jeans et grosses chemisespratiquesenlourdtissuimperméable.Leursvêtementssentaientl’usurecependant,certainsétaientmêmedéchirés,etilsétaientnu-pieds.Lesdeuxhommesavaientlescheveuxcoupésras,ceuxdelafemmeétaientparsemésdefeuillesetdedébrisrécoltésdanslesbois.

Leursyeuxperçantsnemanquèrentpasderemarquerl’allurepluspolicéeeturbainedeCarlisle qui, sur ses gardes, avança à leur rencontre, flanqué d’Emmett et de Jasper. Sansconcertationapparente,lesintrusseredressèrent,adoptantunepositionplusdécontractée.

Leleaderétaitdeloinleplusbeau,avecsapeaucouleurolivesousl’habituellepâleurdesa race, et ses cheveuxd’unnoir de jais.De taillemoyenne et, bien sûr, trèsmusclé, il nepesait cependant rien comparé à l’impressionnant Emmett. Il nous décocha un sourireamical, dévoilant deux rangées de dents luisantes. La femme paraissait plus sauvage, et,tandisquesatignasses’agitaitsouslabrise,sespupillesnecessaientd’alleretvenir,passantdes hommes qui lui faisaient face au groupe relâché quim’entourait. Indubitablement, saposture était celle d’une lionne. L’autremâle, plusmenu que le chef, cheveux châtains ettraitsréguliersanodins,piétinaitderrièreeux.Sesprunelles,bienquetotalementimmobiles,semblaientparadoxalementlesplusvigilantes.

Leursyeuxétaientdifférents,d’ailleurs.Nidorésninoirscommejem’yétaisattendue,maisd’unbordeauxsombre,àlafoisdérangeantetsinistre.

LebrunfitunpasendirectiondeCarlisle.—Nousavonscrupercevoirunmatchencours,dit-ild’unevoixdétendueauxaccents

vaguementfrançais.Jem’appelleLaurent.JevousprésenteVictoriaetJames,ajouta-t-ilendésignantsescompagnons.

—Carlisle.Voicimafamille,EmmettetJasper,Rosalie,EsméetAlice,EdwardetBella.Son vaste geste engloba notre groupe, évitant volontairement de s’arrêter sur chacun.

J’eusunchocenl’entendantprononcermonnom.—Vousaccepteriezd’autresjoueurs?demandaLaurentavecaffabilité.

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—Nousvenons justede terminer lapartie, réponditCarlisle enmodulant son ton surceluidel’autre,maisceseraavecplaisir.Uneautrefois.Vouscomptezresterlongtempsdanslarégion?

—En fait, nous allonsdans leNord,maisnous étions curieuxde voir quihabitait lesenvirons.Nousn’avonsrencontrépersonnedepuissilongtemps.

— Je n’en doute pas. Le coin est d’ordinaire désert, mis à part nous et les visiteursoccasionnelstelsquevous.

L’atmosphère tendue s’était peu à peu transformée en conversation mondaine.J’imaginequeJasperavaitmisenbranlesontalentparticulierpourcontrôlerlasituation.

—Oùsesituevotreterraindechasse?s’enquitpolimentLaurent.Carlisleignoralasuppositionquesous-entendaitlaquestion.—Dumassifdel’Olympusàlachaînecôtière.Nousgardonsunerésidencepermanente

alentour.IlexisteuneautrecoloniesemblableàlanôtreprèsdeDenali.—Permanente?répétaLaurentensebalançantlégèrementsursestalons.Commenty

arrivez-vous?Sacuriositéétaitréelle.—Pourquoinepasnousaccompagnerà lamaisonpourendiscuterconfortablement?

proposaCarlisle.C’estunelonguehistoire.James et Victoria échangèrent un regard surpris à la mention du mot « maison ».

Laurent,lui,secontrôlamieux.—Voilà qui est très alléchant et aimable, lança-t-il avec un sourire bienveillant.Nous

sommes en chasse depuis l’Ontario et nous n’avons guère eu le temps de faire un brin detoilette.

IlbalayaCarlisledesyeux,appréciantsonraffinement.—Neleprenezpasmal,s’ilvousplaît,maisnousapprécieronsquevousvousreteniez

d’opérer dans les parages immédiats. Nous devons éviter d’attirer les soupçons, vouscomprenez.

— Naturellement. Il n’est pas question d’empiéter sur votre territoire. Nous avonsmangéjusteaprèsSeattle,detoutefaçon.

Iléclataderire,etunfrissondescenditlelongdemacolonnevertébrale.— Nous allons vous montrer le chemin. Si vous voulez bien courir derrière nous...

Emmett et Alice, accompagnez Edward et Bella pour récupérer la Jeep, ajouta-t-il, l’air derien.

C’estalorsquetroischosesseproduisirentsimultanément.Leventlégerébouriffamescheveux,Edwardsetendit,etledeuxièmemâle,James,tournabrutalementlatêtepourmedétailler,narinesàl’affût.

Uneraideurs’emparadetousquandJamesseprécipitaversmoi,prêtàbondir.Edwardmontralesdents,ungrondementanimalmontantdesagorge.Çaneressemblaitenrienauxsonsjoueursqu’ilavaitémis lematinmême;c’était lachoselaplusmenaçantequej’avaisjamaisentendue,etjefussecouéepardestremblementsdelatêteauxpieds.

—Quesepasse-t-il?s’exclamaLaurent,réellementsurpris.Aucundesdeuxprotagonistesn’abandonnasapostureagressive,etlorsqueJamesfeinta

surlecôté,ilfutimmédiatementcontréparEdward.—Elleestavecnous,déclaraCarlisled’untonfermeàl’intentiondeJames.Laurentparutflairermonodeuravecmoinsdepuissancequesoncompagnon,maison

putliresursonvisagequ’ilvenaitdecomprendre.—Vousavezapportéun casse-croûte ? s’étonna-t-il avecunpas involontairedansma

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direction.Edward gronda encore plus férocement, feulant presque, ses lèvres se retroussant sur

sesdentsluisantes.Laurentrecula.—J’aiditqu’elleétaitavecnous,répétaCarlisled’unevoixdure.—Maisc’estunehumaine!protestaLaurentsansaucunevindicte,plutôtabasourdi.—Oui,confirmaEmmett.Il serapprochadesonpèresansperdredevueJames.Cederniersereleva lentement,

continuant toutefois de me fixer, les narines dilatées. Devant moi, Edward resta tenducomme un lion. Laurent reprit calmement la parole pour tenter de désamorcer l’hostilitéambiante.

—J’ail’impressionquenousavonsbeaucoupàapprendrelesunsdesautres.—Eneffet,admitCarlisle,toujoursaussisec.— C’est avec plaisir que nous accepterions votre invitation. Il va de soit que nous ne

toucheronspasàlafille.Commej’aidit,pasquestiond’empiétersurvotreterritoire.James le contemplauncourt instant,à la fois incréduleetagacé,avantd’échangerun

nouveau regardavecVictoriaquin’avaitpas cessédenousépier tourà tour.CarlisleparutsoupeserlafranchisedeLaurentpendantunmoment.

—Venez,finit-ilpardire.Jasper,Rosalie,Esmé?Les troisCullen se rassemblèrent en s’arrangeantpourme cacher aux intrus.Alice se

postaaussitôtprèsdemoi,etEmmettreculalentementversnousensurveillantJames.—Allons-y,Bella,m’ordonnaEdwardd’unevoixfaible.Tout ce temps, j’étais restée pétrifiée de terreur. Edward fut obligé de me tirer

sèchement par le coude pour me sortir de ma tétanie. Alice et Emmett se tenaient justederrièrenous,medissimulant.JesuivisEdwardentitubant,mortedepeur.Safébrilitéétaitpresquetangible,cependantquenousprogressionsàuneallurehumaineversl’oréedesbois.Une fois dans les arbres, il me jeta sur son dos sans même s’arrêter. Je m’agrippai à luicommeunedésespérée,et ildécolla, lesdeuxautressursestalons.Jebaissais latête,maismesyeuxécarquillésparlafrayeurrefusaientdesefermer.Mesescortesplongèrentdanslaforêt désormais sombre et fantomatique. La joie qui présidait d’habitude aux coursesd’Edwardavaitdisparu,remplacéeparunefureurquileconsumaitetlerendaitencoreplusrapide.Mêmealourdiparmoi,ildistançaitsonfrèreetsasœur.NousatteignîmeslaJeepenuntempsrecord,etilralentitàpeinepourmejetersurlesiègearrière.

—Attache-la!ordonna-t-ilàEmmettquivenaitdeseglisseràmoncôté.Alice s’installait sur le siège passager quand Edward démarra. Le moteur rugit, nous

reculâmeset,dansuntête-à-queue,nousnousretrouvâmesfaceàlaroutesinueuse.Edward grommelait des paroles trop rapides pour que je les comprenne, mais il me

semblabienqu’ils’agissaitd’unchapeletd’insanités.Levoyagechaotiquefutbienpirecettefois,etl’obscuritélerenditencoreplusaffolant.EmmettetAliceregardaientparlesfenêtresd’un air lugubre. Quand nous fûmes sur la route principale, je m’aperçus que nous nouséloignionsdeForks,endirectiondusud.

—Oùm’emmenez-vous?Personnenerépondit,nedaignamêmetournerlatête.—NomdeDieu,Edward!jurai-je.Oùm’emmènes-tu?—Loin.Illefaut.Il était concentré sur sa conduite. Le compteur de vitesse indiquait cent soixante-dix

kilomètresheure.—Faisdemi-tourtoutdesuite,jeveuxrentrerchezmoi!hurlai-jeenmedébattantavec

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lessanglesdecetimbéciledeharnais.—Emmett?lançaEdwardd’untonsansréplique.Legéantemprisonnamesmainsdansl’étaudesapoigne.—Non!Edward!Tun’aspasledroitdefaireça!—Si,Bella,etmaintenant,tiens-toitranquille,s’ilteplaît.—Non ! Tu doisme ramener. Charlie va appeler le FBI qui tombera sur le dos de ta

famille!Vousserezforcésdefuir,devouscacherpourtoujours!—Calme-toi.Ceneseraitpaslapremièrefois.—Cen’estpasuneraison!Vousn’allezpastoutgâcheràcausedemoi!Jemedébattiscommeunefolle...cequiétaitd’unetotalefutilité.—Range-toi,Edward,ditsoudainAlice.Luijetantuncoupd’œilfroid,ilaccéléra.—Essayonsd’endiscuter,insista-t-elle.—Tunecomprendsrien!s’emporta-t-il.Jamaisjenel’avaisentenduhurlerainsi.C’étaitassourdissant,dansl’habitacleconfiné

delaJeep.Nousroulionsàplusdecentquatre-vingts.—C’estuntraqueur,Alice,poursuivait-il.Untraqueur!Tuesaveugleouquoi?Àcôtédemoi,Emmettseraidit.Saréactionmesurprit.Apparemment,lemotsignifiait

plus pour eux que pour moi. J’aurais bien aimé comprendre, mais je comptais pour dubeurre,apparemment.

—Gare-toi,Edward,répétaAliced’untonraisonnableempreintd’unetouched’autoritéquejedécelaispourlapremièrefois.

L’aiguilledépassalescentquatre-vingt-dix.—Edward.—Écoute-moi,Alice,j’ailudanssespensées.Chasserestsapassion,sonobsession,etil

laveut,Alice,ellespécifiquement.Ils’ymettradèscesoir.—Ilnesaitpasoù...—Combiende tempscrois-tuqu’il lui faudrapour croiser sa traceenville ?Sonplan

étaitprêtavantmêmequeLaurentaitparlé.Devinantoùmonodeurallaitleconduire,j’eusunhoquetdeterreur.—Charlie!criai-jeentirantviolemmentsurlessanglesduharnais.Vousnepouvezpas

lelaisserlà-bas.Vousn’avezpasledroit!— Elle a raison,me soutint Alice. (La voiture ralentit légèrement.) Prenons le temps

d’envisagerlesoptionsquis’offrentànous.LaJeepperditencorede lavitesse,plusnotablement.Soudain,dansuncrissementde

pneus,ellestoppasurlebas-côté.Souslechoc,jefusprojetéeenavantpuisplaquéecontreledossier.

—Nousn’avonspasd’autresolution,grondaEdward.—Jen’abandonneraipasCharlie!bramai-je.Ilm’ignoracomplètement.—Nousdevonslaramener,finitpardéclarerEmmett.—Non,s’entêtaEdward,catégorique.—Ilnefaitpaslepoids,faceànous.Ilnelatoucherapas.—Ilattendra.—Jesaisêtrepatientaussi.—Tun’aspasvu...tunesaisispas.Quandilestenchasse,riennel’arrête.Nousallons

devoirletuer.

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—C’estunepossibilitéàenvisager,admitEmmett,guèreébranlé.—La femelle aussi.Elle estde soncôté.Si ça tourneà labataille rangée, leur chef se

joindraàeux.—Noussommesasseznombreux.—Ildoityavoiruneautresolution,murmuraAlice.—Iln’yenapas!grondaméchammentEdwardensetournantverselle,fouderage.TantEmmettquemoiledévisageâmesavecstupeur.Alice,elle,neparutpasdémontée.

Lesilenceduraunelongueminutetandisqu’elleetsonfrères’observaient.C’estmoiquilerompis.

—J’aiunplan.Personnen’aenviedel’entendre?—Non,râlaEdward.Perdantenfinpatience,Aliceluijetaunregardréfrigérant.—Jet’enprie,suppliai-je.Tumeramènes...—Non,m’interrompit-il.—Tumeramènes,repris-jed’unevoixsèche,jedisàmonpèrequejeveuxretournerà

Phœnix,jebouclemesvalises.Nousattendonsqueletraqueurm’épieetnousnoussauvons.IlnoussuivraetficheralapaixàCharlie.Quantàlui,ilnelancerapasleFBIauxtroussesdetafamille.Ensuite,tupourrasm’emmeneroùdiabletuvoudras.

Ilsmedévisagèrent,abasourdis.— Ce n’est pas une si mauvaise idée, marmonna Emmett dont l’ébahissement

m’offensa.—Çapourraitmarcher,admitAlice.Detoutefaçon,iln’estpasquestiondelaisserson

pèresansprotection,tulesais.ToutlemondesetournaversEdward.— Trop dangereux, ronchonna-t-il. Je ne veux pas le voir àmoins de cent kilomètres

d’elle.—Noussommeslesplusforts,assuraEmmettavecuneconfianceabsolue.—Jenepensepasqu’ilattaquera,ajoutaAliceaprèsavoirréfléchi.Ilattendraplutôtque

nousrelâchionsnotrevigilance.—Ilneluifaudrapaslongtempspours’apercevoirqueçan’arriverapas.—J’exigequetumeramènesàlamaison!tonnai-je.Edwardappuyasesdoigtscontresestempesetfermalespaupières.—S’ilteplaît,lesuppliai-jeensuite.Ilnerelevapaslatête.Quandilparla,ilparaissaitépuisé.— Tu pars ce soir, que le traqueur te voie ou non. Tu racontes à Charlie que tu ne

supportes pas de rester une minute de plus à Forks. Ou n’importe quoi de convaincant.Prendslespremièresaffairesquitetombentsouslamainpuisgrimpedanstacamionnette.Jemefichedecequ’ilessaieradetedire.Jetedonnequinzeminutesàpartirdumomentoùtuaurasfranchileseuil.Compris?Pasplus.

LaJeepgrondaetfitdemi-tourdansunhurlementdepneus.L’aiguilleducompteurdevitessesemitàgrimperrapidement.

—Emmett?demandai-jeenluimontrantmesmainsemprisonnées.—Oh,désolé,s’excusa-t-ilenmerelâchant.Quelquesminutespassèrent,puisEdwardrepritlaparole.—Voilàcommentnousallonsprocéder.UnefoischezCharlie,siletraqueurn’estpaslà,

j’accompagneraiBellaàlaporte.Emmett,tusurveillerasl’arrièredelamaison,ettoi,Alice,laChevrolet.Moi, je serai à l’intérieur avec elle.Dès qu’elle ressortira, vous irez expliquer la

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situationàCarlisle.—Desclous!protestaEmmett.Jenetequittepasd’unesemelle.—Réfléchisunpeu,quediable!J’ignorecombiendetempsjeseraiparti.—Tantquenousnesauronspasjusqu’oùcettehistoirevanousentraîner,jetecolleau

train.Edwardpoussaungrossoupirmaisn’insistapas.—Siletraqueurestdéjàlà,continua-t-il,nousnenousarrêtonspas.—Nousseronslà-basavantlui,intervintAlicesanshésiter.Edwardparut accepter cepronostic.Endépitde sadispute avec sa sœur, il nedoutait

plusd’elle.—Queferons-nousdelaJeep?enchaîna-t-elle.—Turetournerasàlamaisonavec.—Iln’enestpasquestion,assena-t-elletranquillement.Cequinousvalutunenouvellelitaniedejuronsinintelligibles.—Nousnetiendronspastousdansmacamionnette,chuchotai-je.Edwardsemblanepasm’avoirentendue.—Jecroisquejedevraispartirseule,ajoutai-jeencoreplusdoucement.Cela,enrevanche,neluiéchappapas.— Je t’en prie, Bella, obéis-moi sans discuter pour une fois, grommela-t-il entre ses

dents.— Charlie n’est pas idiot, objectai-je. Si tu n’es pas en ville demain, il va avoir des

soupçons.— Argument irrecevable. Nous nous assurerons de sa sécurité, et il n’y a que ça qui

compte.—EtJames?Ilabiencompris,toutàl’heure.Ildevineraquetuesavecmoi,oùquetu

ailles.Unefoisencore,Emmettmedévisageaavecunestupeurdesplusinsultantes.—Là,ellen’apastort,àmonavis.—C’estvrai,renchéritAlice.—Jeresteavecelle,décrétaEdward,glacial.—Emmett ne devrait pas venir nonplus, continuai-je. Il en amis plein les yeux à ce

type.—Quoi?s’étonnal’intéressé.—Tuleliquiderasplusfacilementenétantici,confirmaAlice.—Tuveuxvraimentquej’abandonneBellaàelle-même?s’écriaEdward,incrédule.—Biensûrquenon.Jasperetmoil’accompagnerons.—Jeresteavecelle,répéta-t-il.Maisavecdesaccentsmoinsdésespérés.Lalogiquedemonraisonnementcommençait

àluiapparaître.—Unesemaine,tentai-jedelepersuader.Quelquesjours,tempérai-jeaprèsavoirvula

grimace peu amène qu’il m’adressait dans le rétro. Histoire de permettre à Charlie de serendrecomptequetunem’aspasenlevéeetd’entraînerJamessurunefaussepiste.Assure-toiqu’ilacomplètementperdumatrace,puisviensmerejoindre.Parunchemindétourné,biensûr.Après,JasperetAlicepourrontrentrerchezvous.

—Etoùnousretrouverions-nous?—ÀPhœnix,biensûr.—Non.Ildevineraquec’estlàquetuvas.

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— Tu n’auras qu’à t’arranger pour qu’il pense que c’est une ruse. Il saura que noussavonsqu’ilnousécoute.Ilnecroirajamaisquejecompteallerlàoùjeleprétends.

—Elleestdiabolique,s’esclaffaEmmett.—Etsiçanemarchepas?—Ilyadesmillionsd’habitants,àPhœnix.—Iln’estpastrèsdifficiledemettrelamainsurunannuaire.—Jen’iraipaschezmamère.—Etoùça,alors?cria-t-il.—Jesuisassezâgéepourmetrouverunendroitoùvivre.—Nousseronsavecelle,Edward,luirappelaAlice.—Etqueferez-vousàPhœnix,hein?protesta-t-il,acerbe.—Nousnebougeronspas.— J’aime bien ce plan, affirma Emmett, visiblement ravi à la perspective de coincer

James.—Laferme,toi!—Écoute,sinousessayonsd’abattreletraqueurquandelleestencoredanslesparages,

il y a toutes les chances que quelqu’un soit blessé. Elle, ou toi en voulant la protéger. Parcontre,sinousparvenonsàl’isoler...

Ils’interrompitavecunsourirequimeconfirmaquejenem’étaispastrompée.LaJeepsetraînait,maintenantquenousétionsenville.Endépitdemesfanfaronnades,

jesentislespoilsdemesbrassehérisser.JepensaiàCharlie,seulàlamaisonetm’exhortaiaucourage.

— Bella, me dit Edward d’une voix très douce (Alice et Emmett regardèrent par lafenêtre),sijamaisilt’arrivequoiquecesoit,jetetiendraipourpersonnellementresponsable.Compris?

—Oui,hoquetai-je.—Jaspersaurasetenir?demanda-t-ilensuiteàAlice.—Fais-luiunpeuconfiance.Ilaplutôtbienréagijusqu’àprésent.—Ettoi?persista-t-il.Ce à quoi la charmante petite Alice répondit en retroussant ses lèvres avec un rictus

horribletoutenémettantungrognementgutturalquim’amenaàmetapirsurmonsiège.—Gardetesopinionspourtoi,marmonnaEdwardensouriantàsasœur.

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ADIEUX

Charliem’attendait– toutes les lumières étaient allumées. J’avaisbeaume creuser la

cervellepourtrouverunargumentsusceptibledeleconvaincredem’autoriseràpartir,monespritétaitauxabonnésabsents.Çan’allaitpasêtreuneconversationtrèsagréable.

Edwardsegaraendouceur,enprenantsoinderesterloinderrièremacamionnette.Mestroiscompagnonsétaientsurleursgardes,raidescommedespiquets,l’oreilleauxaguetsdumoindre bruit émanant des bois, les yeux scrutant chaque ombre, les narines flairant lesodeurs,à l’affûtdetoutsignesuspect.Lemoteursetut.Jenebougeaipas,attendantqu’ilsaientterminéleurinspection.

—Iln’estpaslà,finitpardireEdwardd’unevoixtendue.Allons-y.Emmettm’aidaàmedébarrasserduharnais.—Ne t’inquiète pas, Bella,me chuchota-t-il joyeusement, nous allons régler ça en un

riendetemps.Moncœurseserra.Jeleconnaissaisàpeineet,pourtant, ignorerquandje lereverrais

mesemblaitintolérable.J’étaisconscientequecelan’étaitqu’unfaibleavant-goûtdesadieuxque j’allais devoir faire dans l’heure à venir, et cette perspective ouvrit les vannes demeslarmes.

—Alice,Emmett!C’était un ordre. Tous deux se glissèrent sans bruit dans l’obscurité et disparurent

aussitôt.Edwardmetintlaportièreetattrapamamain.M’attirantdanslecercleprotecteurdesesbras,ilm’entraînarapidementverslamaisonenbalayantlanuitdesyeux.

—Quinzeminutes,merappela-t-ildansunsouffle.—J’yarriverai,reniflai-je.Mespleursvenaientdemedonneruneidée.Jem’arrêtaisurleperronetpritsonvisage

entremespaumes.Jeplongeaiférocementmonregarddanslesien.—Jet’aime,murmurai-jeavecardeur.Quoiqu’ilarrive,jet’aimeraitoujours.—Toutsepasserabien,Bella,répondit-ilsuruntonaussiintense.— Respecte le plan, d’accord ? Veille à la sécurité de Charlie pour moi. Il ne va pas

m’aimerbeaucoup,d’icicinqminutes,etjetiensàgarderunechancedem’excuserplustard.—Vas-y,Bella.Nousn’avonspasbeaucoupdetemps.—Unedernièrechose.N’écouteplusunseuldesmotsquejevaisprononcercesoir.Il était penché vers moi, et je n’eus qu’à me dresser sur la pointe des pieds pour

embrasserses lèvresglacéesetsurprisesavectoute la forcedont j’étaiscapable.Puis jemedétournaietouvrislaported’uneviolentebourrade.

—Fous-moilapaix!hurlai-jeàunEdwardinterloqué.Jemeprécipitaiàl’intérieurenclaquantlebattantsoussonnez.—Bella?

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Charlie,quitournaitenronddanslesalon,seruaversmoi.— Toi, laisse-moi ! piaillai-je à travers mes larmes qui dégoulinaient à grands flots

maintenant.Jecourusdansmachambre,oùjem’enfermaiàclé.Rapidement,jetiraimonhavresac

desouslelitetlavieillechaussettecontenantmontrésordeguerresecretdesouslematelas.Charliefrappaitàcoupsredoublés.

—Tun’asrien,Bella?Quesepasse-t-il?criait-il,complètementaffolé.—Jerentreàlamaison!braillai-je,etmavoixsecassajusteaubonendroit.—Ilt’afaitdumal?gronda-t-il,encolère,cettefois.—Non!rétorquai-je,quelquesoctavesplushaut.Je me tournai vers la commode. Edward y était déjà. Il arracha des brassées de

vêtementsauhasardetmeleslança.—Ilarompuavectoi?demandaCharlie,intrigué,àprésent.—Non!J’étais un peu essoufflée, à force de me démener. Edward me jeta le contenu d’un

nouveautiroir.Monsacétaitpresqueplein,maintenant.—Quesepasse-t-il?répétaitmonpèreenmartelantfurieusementlaporte.—C’estmoiquiairompuaveclui!hurlai-jeenmedébattantaveclafermetureÉclairde

monbagage.Plushabilequemoi,Edwards’enchargeaavantdepassersoigneusement lasangledu

sacpar-dessusmonépaule.—Jet’attendsdanstavoiture,souffla-t-il.Fonce!Et il sautapar la fenêtre. Jedéverrouillai la serrure, repoussai brutalementCharlie et

dévalailesmarches,gênéeparmonfardeau.—Maisqu’ya-t-il?s’énervamonpère,surmestalons.Jecroyaisquetul’aimaisbien...Danslacuisine,ilm’attrapaparlecoude.Sasurprisen’amoindrissaitenrienlafermeté

desapoigne. Ilm’obligeaà lui faire face,et jevisqu’iln’avaitpas l’intentiondeme laisserpartircommeça.Jen’avaisqu’unmoyendelepersuader,maiscelaallaittellementleblesserque je me haïs de seulement y songer. Malheureusement, j’étais pressée et je devaism’assurerqu’ilnerisqueraitrien.Jelefusillaiduregard,meslarmesrepartantdeplusbelleàl’idéedecequejem’apprêtaisàdire.

—Jel’aimebien,c’esttoutleproblème.Maisj’enaimarredevivreici.Jenetienspasàêtre enfermée comme maman dans cette stupide bourgade qui suinte l’ennui ! Je necommettraipaslamêmeerreurqu’elle.Jedétestecetendroit.Jen’yresteraipasunesecondedeplus!

Samainretombacommesijel’avaisélectrocuté.Medétournantdesonvisagechoquéetpeiné,jefilaiversleporche.

—Bella!Tunevaspast’enallermaintenant,croassa-t-il,ilfaitnuit.—Jedormiraidanslavoituresijemesensfatiguée,ripostai-jesansleregarder.—Patienteencoreunepetitesemaine,mesupplia-t-il,encoresouslecoup.Renéesera

bientôtici.—Quoi?m’écriai-je,complètementpriseaudépourvu.Devantmonhésitation,ilcontinuasursalancée,soulagé,presqueanxieuxdeviderson

sac.—Ellea téléphonépendant tonabsence.Çanemarchepas fort, enFloride.SiPhilne

trouve pas de contrat d’ici la fin de la semaine, ils rentreront enArizona. L’entraîneur desSerpentsàSonnetteditqu’ilsauraientpeut-êtrebesoind’undeuxièmearrêtcourt.

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Je secouai la tête, tentant de rassembler mes idées. Chaque seconde perdue mettaitCharlieendanger.

—J’aiuneclé,marmonnai-je,lamainsurlapoignéedelaporte.Il était trop près de moi, le bras tendu, l’air hébété. Je ne pouvais me permettre de

perdreencoredutempsàdiscuter.Tantpis,jeluiferaiunpeuplusdemal.—Laisse-moipartir,Charlie.C’étaientlesderniersmotsquemamèreluiavaitlancésavantdefranchirlemêmeseuil

tantd’annéesauparavant.Je lesprononçaiaussiméchammentque jepusavantd’ouvrir lebattant.

—Çan’apasmarché,point.Jedétestevraiment,vraiment,Forks!Ma cruauté eut le résultat escompté. Interdit, Charlie se figea sur le perron, et je

m’enfuis dans la nuit. La cour videme flanquaunepeur bleue. Je courus à toutes jambesjusqu’à laChevrolet, imaginantdéjàuneombreàmes trousses.Jebalançaimonsac sur leplateauetouvrisvivementlaportière.Lacléétaitsurlecontact.

—Jet’appelledemain!criai-jeàCharlie.Jeregrettaisplusquejamaisdenepaspouvoirm’expliquertoutensachantqueceserait

àjamaisimpossible.Jedémarraietfilai.Edwardeffleuramesdoigts.—Arrête-toi,medit-ilunefoisquelamaisoneutdisparuderrièrenous.—Jesuiscapabledeconduire,rétorquai-je,lesyeuxnoyésdelarmes.Soudain,seslonguesmainss’enroulèrenthabilementautourdematailletandisqueson

piedpoussaitlemienloindel’accélérateur.Ilmetirasursesgenoux,m’arrachaduvolant,etjemeretrouvaiassisecôtépassageretluiàlaplaceduchauffeur.LaChevroletn’avaitmêmepastangué.

—Tuneretrouveraispaslechemin,expliqua-t-il.Toutàcoup,despharesinondèrentlalunettearrière.Jemeretournai,horrifiée.—Rienqu’Alice,merassura-t-il.L’imagedemonpèrepétrifiésurleseuilhantaitmonesprit.—Letraqueur?demandai-je.—Ilaentendulafindetonnuméro,reconnutEdward,sinistre.—MaisCharlie?m’inquiétai-jeaussitôt.—Jamesnousasuivis.Ilestentraindecourirderrièrenous,encemoment.Jemestatufiai.—Onpeutlesemer?—Non.Pourtant,ilaccéléra,etlavoiturepoussaungémissementdeprotestation.Monplanne

me semblait plus aussi génial, brusquement. J’étais en train d’observer les phares d’Alicequand la camionnette vacilla tandis qu’une silhouette noire s’accrochait d’un bond à lafenêtre.Monhurlementdeterreurneduraqu’unefractiondeseconde–Edwardavaitplaquésamainsurmabouche.

—C’estEmmett!Ilmelibéraavantdemeprendreparlataille.—Toutirabien,enchaîna-t-il.Nousallonsveillersurtoi.Nousfoncionsverslanationale.—Jenem’étaispas renducompteque laviedeprovince t’ennuyait tant,poursuivit-il

surletondelaconversation,pourmedistraireévidemment.J’avaisplutôtl’impressionquetut’adaptaistrèsbien,surtoutcesdernierstemps.Jemesuispeut-êtreflattédet’avoirrendul’existencepluspassionnante.

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—J’aiétédure,avouai-jesansmedérider,latêtebasse.Mamèreluiaditlamêmechosequandellel’aquitté.C’étaituncoupbas,enquelquesorte.

—Net’enfaispas,iltepardonnera,souffla-t-ilavecunfaiblesourire.Jelevailesyeux,etilvitquelleterreurpures’étaitemparéedemoi.—Toutirabien,Bella,répéta-t-il.—Pasquandjeserailoindetoi.—Nousseronsréunisd’iciquelquesjours.C’étaittonidée,nel’oubliepas.—Tuparlesd’uneidée!Etbiensûr,c’estmoiquil’aieue.Sonvaguesouriresefana.—Pourquoia-t-ilfalluqueçaarrive?continuai-jed’unevoixétranglée.Pourquoimoi?—C’estmafaute,s’accusa-t-ilenfixantsombrementlaroute.J’aiétéidiotdet’exposer

ainsi.Laragequilesecouaitluiétaittoutentièredestinée.—Cen’estpasça,persistai-je.J’étais là,d’accord.çan’apaseu l’airdegêner lesdeux

autres.PourquoiJamesa-t-ildécidédemetuer,moi?Ilyadesgenspartout,pourquoimoi?Ilréfléchituninstantavantderépondre.—J’aiattentivementscrutésonesprit,cesoir.Jenecroispasquej’auraispul’éviter,à

partirdumomentoùilt’avaitvue.Tuesenpartieresponsable.Sitonodeurn’étaitpasaussisucculente,ilauraitlaissétomber.Quandjemesuisinterposé...çaaaggravéleschoses.Iln’apasl’habituded’êtrecontrarié;pourquoiquecesoit,d’ailleurs.Ilnes’envisagequecommeprédateur, rien d’autre. Sa vie est entièrement dévouée à la traque, il n’en attend que desdéfis. Nous lui en avons brusquement lancé un très beau – un vaste clan de combattantsaguerris tousvouésàprotégerunélémentvulnérable.Tun’imaginespasàquelpoint ilesteuphorique, en cemoment.C’est son jeupréféré, et nous venonsde le rendre encoreplusaffriolant.(Ilsetut,dégoûté.)D’unautrecôté,reprit-ild’untonmorne,sijen’avaispasréagi,ilt’auraitattaquéetoutdesuite.

—Jecroyaisque...qu’iln’yavaitqu’àtoiquemonodeurfaisaitunteleffet?— C’est juste. Ça ne signifie pas pour autant que tu ne les tentes pas. Si tu avais

vraiment tourné lessensdutraqueur,den’importe lequeld’entreeuxd’ailleurs,commetum’asenivré,labagarreauraitéclatélà-bas.(Jefrissonnai.)Ilnemerestepasd’autresolutionquedeletuer,ajouta-t-il.Carlislenevapasbeaucoupaimerça.

Aubruitdespneus,jedevinaiquenoustraversionslepont,bienquejenepussevoirlarivièredansl’obscurité.Nousarrivions.Jedevaisluiposerlaquestion.

—Commenttue-t-onunvampire?Ilmedévisageadesesyeuxinsondablesavantdemerépondred’unevoixdure.—Leseulmoyenefficaceestdeleréduireenpiècespuisdelebrûler.—Sescompagnonsserallieront-ilsàlui?—Lafemmeoui.Laurent,jenesaispas.Ilsnesontpastrèsliés.Ilnevoyageaveceux

quepourdesraisonspratiques.LecomportementdeJamesl’aembarrassé,danslechamp.—Jamesetlafemme...ilsvontessayerdeteliquider,croassai-je.— Bella, je t’interdis de perdre ton temps à t’inquiéter pour moi. Ton unique

préoccupationdoitêtrederesterenvieet,jet’ensupplie,deresterprudente.—Ilnoussuittoujours?—Oui.Maisiln’attaquerapaslamaison.Pascesoir.Il tourna dans le chemin invisible, Alice derrière nous. Nous roulâmes jusqu’à la

maison. Bien que la vaste demeure fût illuminée, les ténèbres de la forêt environnanterestaientdenses.Emmettouvritmaportièreavantmêmequenousnenoussoyonsgarés.Il

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me souleva du siège et, me calant contre sa poitrine comme un ballon de rugby, fonça àl’intérieur.Nousdéboulâmesdans lagrandepièceblanche,EdwardetAliceànoscôtés. Ilsétaient tous là, déjà débout après avoir perçu nos pas. Au milieu d’eux, Laurent. Ungrondementsourdrouladanslagorged’Emmettlorsqu’ilmeposaprèsd’Edward.

—Ilnoustraque,annonçacelui-ciengratifiantl’étrangerd’unregardsinistre.—C’estcequejecraignais,avouacedernier,l’airmalheureux.En quelques entrechats, Alice rejoignit Jasper. Elle chuchota quelque chose à son

oreille, et ils grimpèrent ensemble l’escalier. Rosalie les observa avant de se rapprochervivementd’Emmett.Sesyeuxmagnifiquesétaientincandescentset,quandilsseposèrentsurmoi,jetressaillis.

—Queva-t-ilfaire?demandaCarlisleàLaurentd’untonglacial.— Je suis désolé. J’ai tout de suite compris en voyant votre fils la défendre qu’il ne

s’arrêteraitpas.—Pouvez-vousl’enempêcher?—Non.Riennel’arrêtelorsqu’ilacommencé.—Alors,nousseronslespremiers,juraEmmett.—Vous n’y arriverez pas. En trois cents ans d’existence, je n’ai jamais rien vu de tel.

C’estuntueur.C’estpourquoij’aiintégrésabande.Sabande?Jesursautai.Évidemment.Lahiérarchieaffichéedans laprairien’avaitété

qu’unmanège.Secouantlatête,Laurentmedétailla,perplexe.—Vousêtescertainquelejeuenvautlachandelle?s’enquit-il.Lerugissementoutragéd’Edwardsecoualapièce,etLaurentsetassasurlui-même.—Vousallezdevoirchoisir,luilançaCarlisleavecgravité.L’autre comprit aussitôt. Il réfléchit un instant, nous observant tour à tour avant

d’examinerlapiècedanssonensemble.—Laviequevousmenezm’intrigue,finit-ilparavouer.Maisjerefusedemeretrouver

au milieu de toute cette affaire. Si je n’éprouve nulle animosité à votre encontre, je nem’opposeraipasnonplusàJames.JecroisquejevaisgagnerleNord,ceclandeDenali.Nelesous-estimezpas,ajouta-t-il aprèsunebrèvehésitation.C’estunespritbrillant, et ses senssontaiguisés. Il est toutaussià l’aisequevousparmi leshumains,et iln’attaquerapasdefront...Jesuisnavrédecequivientdeseproduire,vraimentdésolé.

Il baissa la tête, ce qui ne m’empêcha pas d’intercepter un nouveau coup d’œildécontenancéàmonadresse.

—Allezenpaix,réponditCarlisleavecsolennité.Après un ultime tour d’horizon, Laurent s’empressa de sortir. Le silence dura moins

d’uneseconde.—Oùest-il?demandaCarlisleàEdward.Esmé bougeait déjà. Elle effleura un clavier fixé au mur et, dans un gémissement,

d’énormesvoletsmétalliquessemirentàmonterlelongdelaparoivitrée.J’enrestaicoite.—Àenvironcinqkilomètresdelarivière.Ilopèreuncontournementafinderetrouver

lafemelle.—Qu’avez-vousdécidé?—Nousl’attironsailleurspendantqueJasperetAliceemmènentBellaverslesud.—Etensuite?—Nouslechassons.Lavoixd’Edwardrésonnaitd’accentsmeurtriers.—J’imaginequenousn’avonspasd’autrechoix,admitsonpèreavecmorosité.

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—Monteavecelleetéchangezvosvêtements,ordonnaEdwardàRosalie.Elleletoisa,livideetahurie.—Pourquoiferais-jeça?riposta-t-elle.Qu’est-ellepourmoi?Misàpartunemenace...

undangerquetuasdécidédefairepesersurnoustous.Untelveninsuintaitdecesparolesquej’entremblai.—Rose...chuchotaEdwardenposantunemainsursonépaule.Ellesedégagea.JesurveillaisEdwarddeprès.Connaissantsontempéramentcolérique,

jecraignaislepire.Ilm’étonnacependantensedétournantdesasœursansinsister.—Esmé?lança-t-ilcalmement.—Biensûr,murmuracettedernière.Ellefutàcôtédemoienunéclair.Meprenantsanseffortdanssesbras,elleseruadans

l’escalieravantquej’aieeuletempsderéagir.—Quesepasse-t-il?demandai-je,essoufflée,quandellem’eutreposéedansunepièce

obscuredusecondétage.—Nous allons essayer demélanger nos odeurs,m’expliqua-t-elle. Un pis-aller qui ne

durerapaslongtemps,maist’aiderapeut-êtreàfiler.J’entendissesvêtementstomberparterre.—Jenecroispasquenousayonslamêmetaille.Sans m’écouter, elle s’activait à passer ma chemise par-dessus ma tête. Renonçant à

discuter,jemedébarrassaidemonjean.Ellemetenditquelquechose,unchemisier(simesdoigtsnemetrompaientpas)que je tâchaid’enfilerrapidement.Ellemepassaensuitesonpantalon,ilétaittroplong.Elleenroulaaussitôtl’ourlet.Desoncôté,ellearboraitdéjàmeshabits.Ellemeramenaenhautdesmarches,oùAlicem’attendait,unpetit sacdecuirà lamain.Toutesdeuxm’attrapèrentparlecoudeetmeportèrentjusqu’enbas.

Ennotreabsence,toutavaitétéapparemmentorganisé.EdwardetEmmettétaientprêtsàpartir, le secondchargéd’unsacàdosquisemblait lourd.Carlisle remitunobjetàEsmépuis,setournantversAlice,fitdemêmeaveccelle-ci.C’étaituntéléphoneportablecouleurargent.

—EsméetRosalieprendronttavoiture,Bella,medit-ilenpassant.Je hochai la tête en jetant un coup d’œil inquiet à la blonde sculpturale. Son regard

n’étaitquereproches.— Alice et Jasper, utilisez laMercedes. Les vitres teintées vous seront utiles, dans le

Sud.Ilsacquiescèrent.—NoustroisseronsdanslaJeep.Je fus surprised’apprendrequeCarlisleavait l’intentiond’accompagnerEdward.Dans

unélandefrayeur,jemerendiscomptequ’ilsavaientsoigneusementplanifiéleuraction.—Mordra-t-ilàl’hameçon?demandaCarlisleàAlice.Tout lemondese tournaverselle tandisqu’elle fermait lesyeuxet se figeaitde façon

stupéfiante.— Il vous suivra, finit-elle par annoncer en rouvrant les paupières. La femme se

chargeradelacamionnette.Nousdevrionspouvoirpartiraprès.Elleparaissaitsûred’elle.—Alors,allons-y,déclaraCarlisleensedirigeantverslacuisine.Aulieudelesuivre,Edwardseprécipitasurmoi.Ilmeserracontreluiàm’enécraser,

commeinconscientde laprésencedesafamilleautourdenous.Ilhissamonvisagevers lesien, soulevant mes pieds de terre. Pendant la seconde la plus courte qui fût, ses lèvres

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glacéesseposèrentdurementsurlesmiennes.Puiscefutfini.Gardantmonvisageentresespaumes,ilplongeasesprunellessplendidesetbrûlantesdanslesmiennesetmereposasurleplancher.

Lorsqu’il pivota pour s’en aller, ses pupilles étaient devenues étrangement mortes etvides.

La première équipe partie, nous patientâmes. Les autres m’évitaient, respectant monchagrin – les larmes roulaient sans bruit sur mes joues. Le silence s’éternisa, soudaininterrompupar les vibrations dumobile d’Esméqui s’en empara aussitôt et écouta le brefmessagequeCarlisledevaitluidonner.

—Ànous,annonça-t-elleenraccrochant.Rosalie sortit à grands pas par la grande porte sans un salut pour moi. Esmé, elle,

effleuramajoueenpassant.—Prendsgardeàtoi,souffla-t-elle.J’entendismacamionnetterugirpuiss’éloigner.JasperetAliceattendirent.Leportable

decettedernièreparutêtrecolléàsonoreilleavantmêmed’avoirbourdonné.—D’aprèsEdward,lafemmeestsurlestracesd’Esmé.Jevaischercherlavoiture.Elle s’évanouit dans la pénombre par le même chemin que celui qu’avait emprunté

Edward. Jasper et moi nous dévisageâmes. Il se tenait de l’autre côté du vestibule,prudemmentloindemoi.

—Tutetrompes,tusais,dit-ilcalmement.—Pardon?—Jesenscequeturessens...Tuenvauxlapeine.—Non.S’illeurarrivequoiquecesoit,toutcelaauraétéinutile.—Tutetrompes,répéta-t-ilenmesouriantgentiment.Iln’yeutaucunbruitmais,toutàcoup,Alicepoussalaporteprincipaleets’approchade

moi,brasouverts.—Sijepuismepermettre?—Tueslapremièreàdemanderl’autorisation,répondis-jeavecunsourireforcé.Elle me souleva aussi aisément qu’Emmett, tendre et protectrice, puis nous nous

ruâmesdehorssanséteindre

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20

IMPATIENCE

Jeme réveillai en pleine confusion, l’esprit embrumé et encore perdu entre rêves etcauchemars.Ilmefallutpluslongtempsqued’ordinairepourmesouvenirdel’endroitoùjemetrouvais.

Lachambreétaittropinsipidepourapparteniràunemaisonparticulière–unhôtel.Leslampesdechevetvisséessurlestablesdenuitn’auraienttrompépersonne,nonplusquelestenturescoupéesdans lemêmetissuque lecouvre-litou lesbanalesaquarellesaccrochéesauxmurs.

Jetentaidemerappelercommentj’étaisparvenueici,envaind’abord.Ilyavaiteulalonguevoiturenoireauxvitresplussombresquecellesd’unelimousine,

sonmoteurpresquesilencieuxtandisquenousfoncionssurlanationaleàplusdedeuxfoislavitesseautorisée.IlyavaitAliceaussi,assiseàcôtédemoisurlabanquettearrièredecuirnoir.Parhasard,aucoursdelanuit,matêteavaitfiniappuyéecontresoncoudegranit.Maproximité n’avait pas semblé la perturber le moins du monde, et sa peau dure et fraîchem’avaitétrangementréconfortée.Sachemiseencotonétait froide, trempéeparmes larmesintarissables.

Lesommeilm’avaitfuie;bienqu’irrités,mesyeuxrougesetbouffisavaientrefusédesefermer,ycomprisquandlanuits’étaitachevéepourlaisserplaceàl’aurore,quelquepartau-dessusd’unsommetpeuélevédeCalifornie.Lalumièregrisequis’étalaitdansuncielsansnuagesm’avaitblessée, etpourtant jen’avaispas réussià clore lespaupières, caralorsdesimages réalistes et intolérables défilaient : le chagrin de Charlie, le grondement brutald’Edward et ses dents acérées, le regard furieux de Rosalie, les pupilles inquisitrices dutraqueur,lamortdanslesirisd’Edwardaprèsqu’ilm’avaitembrassélaveille...Incapabledelessupporter,j’avaisluttécontrel’épuisementtandisquel’astredujourgrimpaitpeuàpeuàsonzénith.

Je ne dormais toujours pas quand, passé un col, la boule de feumaintenant derrièrenousavaitilluminélestoitsdetuilesdelavalléeduSoleil.J’étaistropvidéedemesémotionspour m’étonner que nous eussions accompli un périple de trois jours en un seul. J’avaiscontemplésanslavoirlavasteétendueplatequis’étalaitdevantnous.Phœnix,lespalmiers,lescréosotesauxalluresdechiendent,lesbrisureserratiquesdesroutesquisecroisaient,lestaches vertes des parcours de golf et celles turquoise des piscines, le tout noyé dans unebrumelégèreetencadréparunelignedecrêtescourtesetrocailleusesquin’étaientpasassezhautespourmériterqu’onlesappelâtmontagnes.

Le long de la quatre-voies, les palmiers étendaient leurs ombres penchées, nettes etmieuxdéfiniesquedansmonsouvenir,pluspâlesaussi.Riennepouvaits’ydissimuler.Laroute ouverte et claire paraissait plutôt inoffensive. Pourtant, je n’éprouvais aucunsoulagement,aucunplaisiràrentreràlamaison.

—Dansquelledirectionsetrouvel’aéroport,Bella?m’avaitdemandéJasper.

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J’avaistressailli,bienquesavoixdoucenefûtenrienmenaçante.C’étaitlepremierson,leronronnementdumoteurexcepté,quivenaittroublercetteinterminablenuitdesilence.

—RestesurlaI-10,avais-jeréponduautomatiquement.Ellepassejustedevant.Moncerveauavaitpeuàpeuréussià transpercer l’engourdissementdûaumanquede

sommeil.—Onprendl’avion?m’étais-jeenquiseauprèsd’Alice.—Non,maismieuxvautnepasêtretroploin,aucasoù.Nousavionsempruntélerond-pointmenantàSkyHarborInternational...pasjusqu’au

bout.J’imaginequec’estàcetinstantquej’avaissombré.Quoique...maintenantquej’avaisévacuémessouvenirs,ilmesemblaitgarderlavague

impressiond’êtresortiedelavoiture–lesoleilsecouchaitàl’horizon–,monbraspassépar-dessusl’épauled’Alice,lesienceignantmatailleetmetraînant,titubantedanslapénombrechaudeetsèche.

Delachambre,j’avaistoutoublié.Je jetai un coup d’œil sur le réveil de la table de nuit. Trois heures, indiquaient les

chiffres digitaux rouges. Dumatin ou de l’après-midi ? Aucun rai de lumière ne filtrait àtraverslesrideauxépais,maislapièceétaitéclairéeparleslampesdechevet.

Jemelevaiavecraideuretchancelaijusqu’àlafenêtre,dontjetirailestentures.Dehors, c’était la nuit. Trois heures du matin, donc. Ma chambre donnait sur une

portiondésertedelarouteetsurlenouveauparkinglongueduréedel’aéroport.Savoiroùetquandnousétionsétaitvaguementréconfortant.

Je découvris que je portais encore les vêtements d’Esmé, qui ne m’allaient pasfranchement. Examinant la pièce, j’eus le plaisir de découvrirmon havresac posé sur unecommodebasse.J’étaissurlepointdemesortirdeshabitspropresquandunlégercoupàlaportemefitsursauter.

—Jepeuxentrer?lançaAlice.—Naturellement,répondis-jeaprèsavoirreprismonsouffle.Elleentraetm’observalonguement.—J’ail’impressionquetumériteraisdedormirquelquesheuresdeplus,décréta-t-elle.Jesecouai la tête.Sedirigeantsansbruitvers les rideaux,elle les refermaavantdese

tournerversmoi.—Nousallonsdevoirresterenfermés,dit-elle.—Pasdeproblème.Mavoixétaitrauque,cassée.—Tuassoif?—Çava.Etvous?—Rien d’intenable,me rassura-t-elle en souriant. Je t’ai commandé de la nourriture.

Elle t’attend dans le salon. Edward a pris la peine deme rappeler que tu avais besoin demangerplussouventquenous.

—Ilaappelé?m’écriai-je,soudainbienplusalerte.—Non.C’étaitavantnotredépart.Jesentisquemestraitss’affaissaient.Prenantmamaind’ungesteprécautionneux,elle

m’entraînadansladeuxièmepiècedelasuite.Latélévisionfonctionnait,lesonauminimum.Jasper était assis, immobile, sur le bureau situé dans un coin du salon. Il regardait lesinformationssansmontreruneonced’intérêt.Jem’installaiparterre,aupieddudivan,prèsdelatablebassesurlaquelleétaitposéunplateauetentreprisdegrappiller,indifférenteàcequej’avalais.Aliceseperchasurlebrasducanapéet,commeJasper,contemplal’écranavec

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unvisagevide.Je mangeai sans me presser, jetant parfois un coup d’œil à mes compagnons. Il

m’apparut peu à peu qu’ils étaient trop figés. Ils ne se détournaient jamais du poste, ycomprispendantlespublicités.L’appétitsoudaincoupé,jerepoussaileplateau.Alicebaissalatêteversmoi.

—Qu’ya-t-il?luidemandai-je.—Riendutout.Elleaffichaituneminesisincèrequejenelacruspas.—Quefaisons-nous,maintenant?—NousattendonslecoupdefildeCarlisle.—N’aurait-ilpasdûdéjàappeler?Jemerendiscomptequej’avaismarquéunpoint.Lesyeuxd’Alicepapillonnèrentvers

lemobileposésursonsacavantdereveniràmoi.— Qu’est-ce que ça signifie ? m’inquiétai-je aussitôt, des vibratos dans la gorge.

Pourquoin’a-t-ilpasencoretéléphoné?—Parcequ’iln’ariendenouveauànousapprendre.Sesintonationsétaienttroplisses.L’airfutsoudainplusdifficileàrespirer.Toutàcoup,

JasperrejoignitAlice,serapprochantdemoicommejamaisencore.—Bella,medit-ilavecunedouceursuspecte, tun’asrienàcraindre.Tuesenparfaite

sécurité,ici.—Jesais.—Alors,dequoias-tupeur?Jenotaiques’ilétaitcapablededevinermesémotionsilenignoraitlesraisons.—Tu as entenduLaurent, chuchotai-je. James est un tueur. Si jamais il se produisait

quelque chose, s’ils étaient séparés ? S’il leur arrivait quoi que ce soit, Carlisle, Emmett...Edward...(Jedéglutis.)SicettesauvageblesseEsmé...(Jedéraillaidanslesaigus,auborddel’hystérie.) Comment pourrais-je vivre, alors que je suis responsable ? Aucun de vous nedevraitrisquersaviepourmoi...

—Bella!Bella!Stop!m’interrompit-il.Tut’angoissesinutilement.Aucundenousn’estendanger,crois-moisurcepoint-làaumoins.Tuesdéjàasseztendue,n’enrajoutepasavecdevainssoucis.(Jedétournailatête.)Écoute!Notrefamilleestforte.Nousn’avonsqu’unecrainte,celledeteperdre.

—Pourquoifaudrait-ilquevous...Cettefois,cefutAlicequimecoupalaparole.Elleeffleuramajouedesesdoigtsglacés.— Edward est resté seul pendant presque un siècle. Maintenant, il t’a. Tu n’es pas

conscientedeschangementsquetuasprovoquésenlui,noussi.Penses-tuquel’undenoustiendraitàcroisersesyeuxpendantlescentprochainesannéess’ildevaitteperdre?

Quelque peu réconfortée, je sentis la culpabilité se dissiper peu à peu. J’avaisnéanmoinsconsciencequ’ilvalaitmieuxmeméfierdemesémotionsquandJasperétaitdanslesparages.

Cefutunejournéetrès,trèslongue.Nouslapassâmesdanslesalon.Aliceavertitlaréceptionpourleurdemanderd’annuler

leserviceenchambre.Les fenêtresrestèrentcloses, la téléallumée,bienqu’aucundenousnelaregardât.Delanourriturem’étaitlivréeàintervallesréguliers.Leportableargentposésurlesacd’Aliceparaissaitgrossird’heureenheure.

Mesangesgardiensavaientl’airdesupporterlesuspensemieuxquemoi.Tandisquejem’agitais et tournais en rond, cédantà l’impatience, eux se figeaientdeplusenplus, telles

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deuxstatuesdontlesyeuxauraientimperceptiblementsuivichacundemesmouvements.Jem’occupaienmémorisant lapièce– les rayuresdescanapésalternant lebeige, lepêche, lecrème,l’orternepuisdenouveaulebeige;jem’attardaisurlespeinturesabstraites,décelantauhasarddesimagesdansleursdessins–delamêmefaçonqu’enfantjem’étaisamuséeàdonnerdesformesauxnuages.J’imaginaiainsiunemainbleue,unefemmeàsacoiffure,unchatquis’étirait.Lorsquelecerclerougepâlesetransformaenprunelle,jeregardaiailleurs.

L’après-midi s’étirant sans fin, je retournaime coucher. J’espérais que, seule dans lenoir,jeparviendraisàcéderauxpeursaffolantesquirôdaientàlalisièredemaconscienceetquelecontrôlevigilantexercéparJasperempêchaitdes’exprimer.

Malheureusement, Alicem’emboîta le pas avec décontraction, comme si, par quelqueheureuse coïncidence, elle en avait elle aussi eu assez du salon. Je commençais àm’interroger sur les instructions qu’Edward avait bien pu lui donner. Je m’allongeai entraversdulit,elles’yassitentailleur,prèsdemoi.Audébut,jel’ignorai,prised’uncoupdebarre.Mais,auboutdequelquesminutes,lapaniquequi,enprésencedeJasper,s’étaittenuetranquille, resurgit. J’abandonnai l’idée de dormir et me roulai en boule, bras autour desjambes.

—Alice?—Oui?—Quepenses-tuqu’ilsfassentencemoment?— Carlisle voulait entraîner le traqueur le plus au nord possible, attendre qu’il se

rapprochepuisfairedemi-touretluitendreuneembuscade.EsméetRosalieétaientcenséesroulerversl’ouesttantquelafemellelessuivait.Sielleabandonnait,ellesdevaientretournerà Forks et garder unœil sur ton père. S’ils ne téléphonent pas, c’est que ça se passe bien,j’imagine.C’estqueJamesesttoutprèsetqu’ilspréfèrentéviterd’êtreespionnés.

—EtEsmé?— Elle est sûrement à Forks. Elle n’appellera pas non plus s’il y a un risque que la

femellelasurprenne.Jesupposequ’ilssemontrentseulementtrèsprudents.—Tucroisvraimentqu’ilsnerisquentrien?—Bella,combiendefoisvais-jedevoirterépéterquenousnecouronsaucundanger?—Tunemementiraispas?—Non.Jetediraitoujourslavérité.Elleparaissaitsincère.Aprèsquelquesminutesderéflexion,jedécidaidelatester.—Alorsexplique-moi...commentdevient-onvampire?Maquestionladécontenança.Elleneréponditpas.Roulantsurlecôté,jeladévisageai.

Ellemeparutpartagée.—Edwardm’ainterditdetelerévéler.Visiblement,ellen’étaitpasd’accord.—Cen’estpasjuste.Ilmesemblequej’ailedroitdesavoir.—Eneffet.Jecontinuaidelafixer,têtue.—Ilvaêtrevraimentfurieux,soupira-t-elle.—Çaneleregardepas.C’estentretoietmoi.Alice,jeteledemandecommeàuneamie.Carc’estcequenousétionsdésormais,enquelquesorte,commeelleenavaitsûrement

eu la vision dès le début. Elle me contempla de ses magnifiques yeux sages, tout endélibérant.

—Bon,d’accord,finit-elleparcéder,maisjetepréviens,jen’aiaucunsouvenirdemonproprecas,etjenel’aijamaisfaitnivufaire.Donc,n’oubliepasquec’estdelapurethéorie.

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J’attendis.— En tant que prédateurs, reprit-elle, nous possédons quantité d’armes dans notre

arsenal physique... beaucoup, beaucoup plus que nécessaire. La force, la vitesse, les sensaiguisés, sans parler de ceux qui, comme Edward, Jasper et moi sont dotés de talentssupplémentaires.Commedesplantescarnivores,noussommeségalementtrèsattirantspournosvictimes.

JemerappelaiseneffetlafaçondontEdwardmel’avaitprouvédanslaclairière.— Nous avons aussi une arme totalement superflue, poursuivit-elle avec un sourire

menaçant qui dévoila ses dents luisantes.Nous sommes venimeux. Le veninne tue pas, ilsert juste à paralyser en se répandant lentement à travers le système sanguin. Une foismordue,notreproiesouffretellementqu’elleestincapabledes’enfuir,cedontnousn’avonspas besoin puisque, lorsque nous sommes aussi près d’elle, elle ne peut nous échapper.Certes,ilyadesexceptions,Carlisle,parexemple,quiaréussiàsetraînerdanssacachette.

—Alors,leveninagitet...—Ilfautquelquesjourspourquelatransformations’accomplisse,selonladoseinjectée

et laproximitéducœur.Tantquecelui-cibat, lepoisonsediffuse,soignantetchangeantlecorpsqu’ilcontamine.Finalement,ils’arrête,etlaconversionestachevée.Mais,duranttoutcetemps,àchaqueminutepassée,lavictimeaurasubidetellestorturesqu’elleaurasouhaitémourir.(Jefrissonnai.)Tuvois,cen’estguèreplaisant.

—Edwardm’aditquec’étaittrèsdifficileàaccomplir...Pourquoi?—Noussommesdesrequins,dansnotregenre.Unefoisquenousavonsgoûtéausang

ouquenousl’avonsjustesenti,même,ilnousestextrêmementarduderésisteràl’enviedele boire. Au point que c’est parfois impossible. Mordre quelqu’un, s’abreuver à son sang,déclencheunevéritable frénésie ennous.Une transformation estduredesdeux côtés– lasoifdel’un,ladouleurdel’autre.

—Pourquoineterappelles-tupaslatienne,àtonavis?—Je l’ignore.Pour lesautres,cepassageéprouvantest lesouvenir leplusfortde leur

vied’avant.Moi,jen’aiaucunemémoired’avoirétéhumaine.Savoixavaitprisdesaccentsnostalgiques.Lesilences’installa,chacunedenousperduedanssespropresréflexions.Lessecondes

s’écoulèrent, et j’avais presque oublié sa présence quand, tout à coup, elle sauta du lit etatterritgracieusementsursespieds.Étonnée,jelaregardai.

—Quelquechoseachangé!lança-t-elleavecuneurgencequines’adressaitpasàmoi.Elleatteignitlaporteàl’instantoùJasperl’ouvrait.Visiblement,ilavaitentendunotre

conversationetlasoudaineexclamationd’Alice.Posantsesmainssurlesépaulesdecelle-ci,illaramenaversmoi.

—Quevois-tu?luidemanda-t-ilgravementenscrutantsonvisage.Lesyeuxd’Aliceétaientfocaliséssurquelquechosedetrèslointain.Jemepenchaipour

entendresonmurmuresaccadé.—Unesalle.Longue.Avecdesmiroirspartout.Ausol,unplancher.Ilestlà,ilattend.Il

yadel’or...unrubandoréquitraverselesglaces.—Oùsetrouvecettepièce?—Jenesaispas.Ilmanquequelquechose...unedécisionresteàprendre.—Danscombiendetemps?—Bientôt.Ilsera làaujourd’hui,encoredemainpeut-être.Toutdépend.Ilabesoinde

quelquechose.Ilestdanslenoir,maintenant.—Quefait-il?

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Jasperétaitcalme,méthodique,apparemmentrompuàcesinterrogatoires.—Ilregardelatélévision...Non,c’estunecassette.Dansl’obscurité.Uneautrepièce.—Où?—Jenevoispas.Ilfaittropsombre.—Etlapremièresalle,qu’ya-t-ild’autrededans?—Rienquedesmiroirsetdel’orquiformeunebandelelongdesmurs.Unetablenoire

avecunegrandechaînestéréoetunpostedetélé.C’estlàqu’iltouchelacassette,maisillavisionnedansladeuxièmepièce,lanoire.C’estlàqu’ilpatiente.

Reprenantvie,lesyeuxd’AlicesetournèrentversJasper.—Riend’autre?insistacedernier.Ellesecoualatête,etilssedévisagèrentsansbouger.—Qu’est-cequeçasignifie?m’enquis-je.—Quesesplansontchangé,annonçaJasper.Ilaprisunedécisionquil’aamenédans

cespièces.—Etnousignoronsoùellessetrouvent?—Oui.— En revanche, il est certain qu’il a quitté les montagnes du nord de l’État de

Washington,précisaAlice,lugubre.Illeuraéchappé.—Faut-illesprévenir?Ilsseconsultèrentduregard,indécis.Àcetinstant,letéléphonesonna.Alicefiladansle

salonavantquej’aieeuletempsderéagir.Nousnousprécipitâmesderrièreelle.Lemobileàl’oreille,elleécoutait.

—Carlisle,souffla-t-elle,sansmontrerniétonnementnijoie,contrairementàmoi.—Oui,marmonna-t-elleavecuncoupd’œildansmadirection.Ellegardalesilenceunlongmoment.—Jeviensde levoir,poursuivit-elle ensuiteendécrivant savision.Quelleque soit la

raisonpourlaquelleilapriscetavion,ellel’aconduitàcesdeuxendroits,conclut-elleavantdesetairedenouveau.D’accord.

Surce,ellemetenditl’appareil.Jemeruaidessus.—Allô?—Bella,ditlavoixd’Edward.—Oh,Edward,j’étaistellementinquiète.—Bella,soupira-t-il,jet’aiinterditdetesoucierd’autrechosequedetoi-même.C’était tellementbonde l’entendre.Lanuéededésespoirquiplanaitau-dessusdemoi

s’éloigna.—Oùes-tu?—PrèsdeVancouver.Désolé,nousl’avonsperdu.Ilseméfiaitdenous,ilestrestéjuste

assez loin pour que je ne lise pas dans ses pensées. Il a filé. En avion. D’après nous, il aregagnéForkspouryreprendretatraque.

Derrièremoi,AlicemettaitJasperaucourant.—Jesais.Alicel’avuailleurs.—Tun’asaucuneraisondet’enfaire.Riennelemèneraàtoi.Contente-toideresterlà-

basetd’attendrequenousluiayonsmislamaindessus.—Toutirabien.EsméestavecCharlie?—Oui.Lafemelleétaitenville.ElleestalléechezvouspendantqueCharlietravaillait.

Maisellenel’apasapproché,doncinutiled’avoirpeur.EsméetRosaliemontentlagarde,ilnerisquerien.

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—Qu’est-cequ’ellefabrique,cetteVictoria?—Elleespèresansdouteflairerunetrace.ElleaécuméForkstoutelanuit.Rosaliel’a

suiviedanstouteslesrues,aulycée...Elletetraque,Bella,maisiln’yarienàtrouver.—TuessûrqueCharlieestensécurité?—Oui. Esmé ne le perdra pas de vue. Et nous serons bientôt là-bas nous aussi. Si le

chasseurs’approchedeForks,nousl’attraperons.—Tumemanques,chuchotai-je.—Jesais,Bella.Toiaussi.C’estcommesituavaisemportélamoitiédemoi-mêmeavec

toi.—Alors,vienslarechercher.—Dèsqueceserapossible.D’abord,jevaism’assurerquetunecoursaucundanger.—Jet’aime.—Çaparaîtabsurdemais,endépitdetoutcequetutraversesàcausedemoi,jet’aime

aussi.—Jetecrois.—Jeserailàtrèsvite.—Jet’attendrai.Dèsquelalignefutcoupée,lesnuagesrevinrent,insidieux.Jemetournaipourrendre

son portable à Alice et découvris qu’elle et Jasper étaient courbés sur la table basse. Alicedessinaitsurunmorceaudepapieràen-têtedel’hôtel.Mepenchant,jeregardaiau-dessusdeson épaule. Une longue salle rectangulaire dotée, au fond, d’une section plus étroite etcarrée ; des lattes de plancher qui couvrait tout le sol ; auxmurs, des lignesmarquant lesséparationsentre lesmiroirs ; filant le longdesparois,àhauteurde taille,un ruban.CeluidontAliceavaitpréciséqu’ilétaitdoré.

—C’estunstudiodedanse,déclarai-je.Ilslevèrentlatête,surpris.—Tuconnaiscettepièce?demandaJasperavecunesérénitéquin’étaitqu’apparente.Alice se remitau travail, traçant rapidementune sortiede secoursau fondde la salle,

puislastéréoetlatélévisionposéessurunetabledanslecoindroitavant.—Çaressembleàunendroitoùj’aiprisdescoursdedansequandj’avaishuitouneuf

ans.Làétaientlestoilettes,poursuivis-jeenposantledoigtsurlasectionlaplusétroite.Lachaîne se trouvait à gauche,pas àdroite, et elle était plus vieille. Il n’y avait pasde télé, àl’époque.Lasalled’attenteétaitpercéed’unefenêtre.C’estàpartirdecetteperspectivequetuasreprésentélestudio,Alice.

Mescompagnonsétaientbouchebée.—Es-tucertainequ’ils’agitdumêmelieu?insistaJasper.— Non, pas du tout. J’imagine que toutes ces salles se ressemblent... les miroirs, la

barre... (Mondoigt suivit la courbedu« rubandoré»dessinéparAlice.)Disons justequec’esttrèsfamilier.

J’effleurai les contours de la porte, sise exactement à la même place que dans monsouvenir.

—Aurais-tuuneraisonderetournerlà-bas?voulutsavoirAlice.— Non, je n’y ai pas mis les pieds depuis presque dix ans. J’étais si nulle qu’ils me

collaienttoujoursaufond,pendantlesrécitals.—Aucunlienactuelentretoietcetendroit,alors?continua-t-elle,anxieuse.—Ilestsituépastrèsloindechezmamère.J’yallaisàpiedaprèsl’école...Leurcoupd’œilnem’échappapas.

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—Ici,àPhœnix?s’enquitJaspersanssedépartirdesoncalme.—Oui, chuchotai-je,mal à l’aise.À l’angle de laCinquante-huitième rue et deCactus

boulevard.Lesilences’installatandisquenousexaminionslecroquis.—Alice,lalignedetéléphoneest-ellesûre?finis-jepardemander.—Oui.Onnepeutlaremonterquejusqu’àl’ÉtatdeWashington.—Çaneposepasdeproblèmesij’appellemamère?—Jecroyaisqu’elleétaitenFloride.—Elledoitbientôtrevenir.Jeneveuxpasqu’ellerentresi...Mavoixsecassa.Jerepensaiàcequ’avaitditEdwarddelafemmeauxcheveuxrouges

quiavaitfuretéchezCharlie,aulycéeoùsetrouvaitmondossier.—Elleestjoignable?— Seulement sur le fixe de la maison. Elle est censée consulter ses messages

régulièrement.—Jasper?—Çadevraitaller,répondit-ilaprèsavoirréfléchi.Faisjusteattentiondenepaspréciser

oùtues.Je m’emparai prestement de l’appareil et composai le numéro. Au bout de quatre

tonalités,lavoixaériennedemamèremepriadelaisserunmessage.— Maman, c’est moi. Écoute, c’est important. Dès que tu auras eu mon message,

appelle-moiàcenuméro.(Aliceétaitdéjààcôtédemoi,l’écrivantenbasdesondessin.Jelelus lentement, deux fois.) Je t’en supplie, ne bouge pas avant de m’avoir contactée. Net’inquiètepas,jevaisbien,maisjedoisteparlertrèsvite.N’importequelleheureconviendra.D’accord?Jet’aime,maman.Salut.

Je fermai les paupières, priant de toutes mes forces pour qu’aucun plan de dernièreminutene laramèneà l’impromptuàPhœnix.Puis jem’installaisur lecanapéetmordillaides fruits, m’apprêtant à endurer une soirée interminable. Je faillis téléphoner à Charlie,mais j’écartaicetteperspective troppénible.Jemeconcentraisur les informations, l’oreilleaux aguets, des fois qu’on mentionne la Floride, des grèves, des typhons, des attentats,n’importequoirisquantd’avancerleretourdeRenée.

L’immortalité doit s’accompagner d’une patience infinie, car ni Jasper ni Alice nesemblaient éprouver le besoin de s’occuper. Unmoment, Alice dessina les contours de lapiècesombrequ’elleavaitégalementvue,croquisvague,lafaiblelueurdel’écranalluménelui ayant pas permis de distinguer grand-chose. Cela accompli, elle se contenta de resterassise,leregardrivésurlesmursblancs,aussidénuéed’expressionqueJasper.Pascommemoi, qui marchais de long en large, soulevais les rideaux, fonçais dans l’autre pièce pourhurlermonangoisse.

Je finis par m’endormir sur le divan. Les mains froides d’Alice me réveillèrentbrièvementquandellemeportaaulit,maisj’avaissombréànouveauavantquematêteeûttouchél’oreiller.

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21

COUPDEFIL

Auréveil,j’eusl’intuitionqu’ilétait,unefoisdeplus,troptôtetquej’avaistendanceà

inverser les jours et les nuits. Allongée, j’écoutai Alice et Jasper converser dans la pièceattenante.Ilmeparutétrangedelesentendre,euxsidiscretsd’habitude.Roulantsurlecôté,jememisdeboutetallailesretrouverd’unpaschancelant.

L’horlogede la télévision indiquaitdeuxheuresdumatin.AliceetJasperétaientassissurlecanapé–ilobservaitpar-dessussonépaulecequ’elleétaitentraindedessiner.Ilsnelevèrent pas les yeux quand j’entrai, absorbés par le travail d’Alice. Je m’approchai pourregarder.

—Elleavuquelquechosedeneuf?demandai-jeàJasperenchuchotant.—Oui. Pour une raison quelconque, il est revenudans la salle à la vidéo,mais il fait

jour,maintenant.J’étudiai le croquis.Unepiècecarréeavecunplafondbasauxpoutresapparentes.Les

mursétaientlambrissés,dansunboisunpeutropsombreàmongoût,démodés.Lesolétaitrecouvert d’une moquette sombre à motifs. Un des murs était percé d’une baie vitrée ;adjacente, une salle à manger ; une vaste cheminée en pierre reliait les deux pièces. Latélévisionetlemagnétoscopeposésenéquilibresurunetabletroppetiteétaientsituésdanslecoinsud-ouestdusalon.Uncanapéd’angleuséleurfaisaitface,séparéd’euxparunetablebasse.

—Letéléphonesetrouvelà,murmurai-jeenindiquantl’endroitdudoigt.Quatreyeuximmortelsmedévisagèrent.—C’estlamaisondemamère.Aussitôt, Alice bondit sur ses pieds ; son portable en main, elle composait déjà un

numéro. Je contemplai la reproduction précise du salon de Renée. Exceptionnellement,Jasper se rapprocha de moi. Ses doigts effleurèrent mon épaule, et ce contact physiquesemblarenforcersoncharismeapaisant.Lapaniquerestaconfinée,sous-jacente.

Leslèvresd’Alicebourdonnaientàtoutevitesse.Jenecomprispasuntraîtremotdecequ’elledisait,j’étaisincapabledemeconcentrer.

—Bella?melança-t-elle,etjelaregardaiavechébétude.Edwardvavenir.Lui,EmmettetCarlislet’emmènerontdansunendroitsûr.Tut’ycacheraspendantquelquetemps.

Cesparolesmeréconfortèrentimmédiatement.—Edward?—Oui.Parlepremieravion.Nousleretrouveronsàl’aéroport,ettupartirasaveclui.—Mais,mamère...Cetypeestvenulachercher!EndépitdeJasper,l’hystérien’étaitpasloin.—Nousdeuxresteronsicijusqu’àcequ’ellenecraigneplusrien.—Lepartieestperdue,Alice.Onnepeutpasprotégerquelqu’unindéfiniment.Vousne

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comprenezdoncpas cequ’il trafique? Iln’apasbesoindeme traquer. Il veut s’attaqueràunepersonnequej’aime...

—Nousl’aurons,Bella.—Ets’ilvousarrivequoiquecesoit?Tucroisquejem’enremettrai?Quejenetiens

qu’àmesparents?Elle jeta un coup d’œil significatif à Jasper. Brusquement, un épais brouillard

léthargiqueme submergea, etmes paupières se fermèrentmalgrémoi.Devinant ce qui sepassait,jerésistai.Jem’obligeaiàouvrirlesyeuxetm’éloignaideJasper.

—Jeneveuxpasdormir!protestai-je.Jerepartisdanslachambreafindecraquerentoutetranquillité.Cettefois,Aliceneme

suivitpas.Troisheuresetdemiedurant,j’examinailemur,rouléeenboule,enmebalançant.Moncerveautournaitenrond,cherchantenvainunesolution.Iln’yenavaitpas,nonplusquede sursis.Jen’envisageaisqu’undénouementpossible, fatal.La seulequestionétait lenombredepersonnesquirisquaientdesouffriravantquejenel’atteigne.

Monuniqueconsolation,monuniqueespoirétaitEdward.Si j’avais letempsderevoirsonvisage,jeparviendraispeut-êtreàlasolutionquim’échappaitpourl’instant.

Lorsque le téléphone sonna, je retournai dans le salon, un peu honteuse. J’espéraisn’avoiroffenséaucundemesdeuxgardesducorps;j’espéraissurtoutqu’ilssavaientàquelpointjeleurétaisreconnaissantedessacrificesqu’ilsfaisaientpourmoi.

Alice avait pris la communication, aussi volubile qued’habitude. Jasper avait disparu.L’horlogem’appritqu’ilétaitcinqheuresetdemiedumatin.

— Ils embarquent à l’instant, m’annonça Alice. Ils atterriront à dix heures moins lequart.

Ouf!Plusbeaucoupdetempsàteniravantqu’ilnesoitlà.—OùestJasper?—Ilestdescendupayerlanote.—Vousnerestezpasici?—Non.Nouspréféronsnousrapprocherdecheztamère.Cesmotsme tordirent leventre,mais je fusdistraiteparunnouvelappel.Aliceparut

surprise.Jem’étaisdéjàapprochée,maintendue,priantpourcequefûtmamère.—Allô?Elleestjustelà.Jevouslapasse.—Allô,maman?—Bella?Bella?Sesaccentsd’angoissefamiliersmerappelèrentceuxquej’avaisentendusunmillierde

foisdansmonenfance,dèsquej’avaiseulemalheurdemarcherunpeutropprèsdelarueoudem’éloignerdanslafoule.Malgrémonmessagepastropalarmiste,jem’étaispréparéeàcetteréaction.

—Ducalme,maman,soupirai-jeenm’éloignantd’Aliceparcequejen’étaispascertainederéussiràmentircalmementsouslefeudesonregard.Toutvabien.Laisse-moijusteuneminutepourquejet’explique.

Jemetus,soudainétonnéequ’ellenem’eûtpasencoreinterrompue.—Maman?—N’ajouterientantquejenet’enauraispasdonnélapermission.Cette voix-là était aussi étrangère qu’inattendue. Un ténor très plaisant, formaté, de

ceux qui résonnent à l’arrière-plan d’une publicité pour les voitures de luxe. Il parlait trèsvite.

—Bon,jen’aipasenviedefairedumalàtamère,alorsobéis-moiaudoigtetàl’œil,etil

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neluiarriverarien.(Unepausedequelquessecondes,tandisquejemepétrifiaisd’horreur.)Trèsbien,mefélicita-t-il.Maintenant,dis:«Non,maman,resteoùtues.»

—Non,maman,resteoùtues,répétai-jedansunmurmureàpeineaudible.—J’ail’impressionqueçavaêtredifficile,reprit-ilsuruntonamusé,légeretamical.Et

situt’isolais,histoirequel’expressiondetonvisagenegâchepastout?Iln’yaaucuneraisonque tamère souffre. Pendant que tu changesdepièce, dis : «Maman, s’il te plaît, écoute-moi».Vas-y.

— Maman, s’il te plaît, écoute-moi, suppliai-je en me dirigeant lentement vers lachambre,conscientedesyeuxinquietsd’Alicedansmondos.

Jefermailaporteenluttantcontrelaterreurquibloquaitmonesprit.—Trèsbien,tuesseule?Répondsparouiounon.—Oui.—Maisilst’entendentsûrement.—Oui.—Danscecas,dis:«Fais-moiconfiance,maman.»—Fais-moiconfiance,maman.—Toutafonctionnébienmieuxqueceàquoijem’attendais.Jepensaisdevoirattendre,

maistamèreestarrivéeunpeuplustôtqueprévu.C’esttellementplusfacile,tunetrouvespas?Moinsdesuspense,moinsd’anxiétépourtoi.

Jeneréagispas.—Maintenant,écoute-moitrèsattentivement.Tuvasfaussercompagnieàtesamis.Tu

croisenêtrecapable?Répondsparouiounon.—Non.—Commec’estfâcheux!J’espéraisquetutemontreraisunpeuplusinventive.Penses-

tuquetuparviendraisàtedébarrasserd’euxsilaviedetamèreendépendait?Répondsparouiounon.

Ildevaitbienyavoirunmoyen.Jemesouvinsquenouscomptionsallerà l’aéroport.SkyHarborInternational:encombré,pleindecouloirsetderecoins...

—Oui.—C’estdéjàmieux.Jedevinequeceneserapasfacile,maissij’ailemoindresoupçon

d’uneprésenceàtoncôté,tamèrerisquefortementd’enpâtir.Tuensaisprobablementassezsurnouspour tedouterde la vitesse avec laquelle je serais au courant si tu tentaisdemedoubler.Etdecellequ’ilmefaudraitpourm’occuperdetamère.C’estclair?Répondsparouiounon.

—Oui,chuchotai-jed’unevoixbrisée.— Bravo, Bella ! Alors, voici tes instructions. Tu vas venir chez ta mère. Près du

téléphone,tutrouverasunnuméro.Appelle-le,etjet’indiqueraioùterendreensuite.J’avaisdéjàdevinéoùetcommenttoutcelase terminerait.Néanmoins, jesuivraisses

instructionsaupieddelalettre.—Compris?continuait-il.Répondsparouiounon.—Oui.—Avantmidi,s’ilteplaît.Jen’aipastoutelajournéedevantmoi.—OùestPhil?— Attention, Bella ! Tu n’as pas le droit de parler avant que je ne t’en donne la

permission.J’attendis.— Il est extrêmement important que tes amis n’apprennent rien de notre petite

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conversation.Dis-leurquetamèreaappelé,etquetul’asconvaincuedenepasrentrerchezellepourl’instant.Répèteaprèsmoi:«Merci,maman.»Jet’écoute.

—Merci,maman.Jetâchaideluttercontreleslarmesquicommençaientàcouler.—Dis:«Jet’aime,maman.Àbientôt.».Vas-y,maintenant!—Jet’aime,maman.Àbientôt.—Aurevoir,Bella.Ilmetardedeteretrouver.Ilraccrocha.Jegardai l’appareilcolléàmonoreille, tétaniséepar lapeur, incapablede

dénouermesdoigts.Ilfallaitqueréfléchisse,j’enétaisconsciente,maismatêteétaitpleinedelapaniquedemamère.Jemisplusieurssecondesàreprendrelecontrôledemoi-même.

Lentement,trèslentement,mesidéescommencèrentàbriserl’épaismurdedouleur.Àformerunplan.Jen’avaispluslechoix,désormais,sinonceluidemerendredanslasalleauxmiroirspourymourir.Jen’avaisaucunegarantiequeRenéesurvivrait,seulement le faibleespoirqueJamessesatisferaitd’avoirgagnélapartie,d’avoirvaincuEdward.Ladétressemeserrait lecœur.Jen’étaispasenmesuredemarchander, jen’avaisrienàoffrirniàrefuserquipuissel’influencer.J’étaiscoincée.

Jerefoulaimaterreurdumieuxquepossible.Madécisionétaitprise.Inutiledeperdredutempsàselamentersurcequienressortirait.Ilétaitindispensablequejesoismaîtressedemoi devantAlice et Jasper. Leur échapper était absolument essentiel etme paraissait...totalement impossible. J’étais soulagéequeJasper fût sorti.Dans le cas contraire, il auraitaussitôtperçumonangoisse,etjen’auraispul’empêcherdenourrirdessoupçons.Jeravalaimonépouvanteetmonaffolement.Cen’étaitpaslemoment.Àlaplace,jemeconcentraisurmonévasion.Espérantquemaconnaissancedel’aéroportfîttournerlesévénementsenmafaveur.

Alicepatientaitdans le salon, sûrement curieuse.J’avais cependantundernierdeuil àfaireavantdelarejoindre.J’étaiseneffetobligéed’admettrequejenereverraisplusjamaisEdward. Même pas un bref aperçu de son visage à emporter avec moi dans la salle auxmiroirs.J’allaisleblesser,jeneluidiraispasaurevoir.Jem’autorisaiàfondreenlarmes.Unpeuplustard,jemeressaisisetsortisaffronterAlice.

Monexpressionparutl’inquiéter,et jem’empressaideparleravantqu’ellenemeposedesquestions.Jen’étaispasenétatd’improviser.

—Mamèreestsoucieuse,ellesouhaitaitrentreràlamaison.Maistoutvabien,jel’enaidissuadée.

—Nousveilleronsàcequ’ellesoitsaineetsauve,Bella,tranquillise-toi.Jemedétournai. Impossiblede luimontrermonvisage.Jedécouvrisalorsuncalepin

aux armes de l’hôtel sur le bureau. Jem’en approchai, concoctant déjà un plan. Il y avaitégalementdesenveloppes,cequiseraitpratique.

—Alice,lançai-jeenm’évertuantàgarderunevoixégale,sij’écrisunelettreàmamère,tuvoudrasbienlaluiremettre?Tun’aurasqu’àlalaisserchezelle.

—Biensûr,Bella.Sontonétaitprudent.Ellepressentaitquej’étaisàdeuxdoigtsdecraquer.Ilfallaitque

jemeressaisisse.Jerepartisverslachambreetm’agenouillaiprèsdelatabledenuit.Edward, écrivis-je, la main tremblante, mes mots à peine lisibles. Je t’aime. Je suis

vraiment désolée. Il tientmamère, et je dois tenter quelque chose. Je suis consciente desrisques.Jesuistellement,tellementdésolée.

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N’enveuxpasàAliceetJasper.Sij’arriveàlessemer,çaseraunmiracle.Remercie-lesdemapart.SurtoutAlice,s’ilteplaît.

Et, je t’en prie, je t’en supplie, ne le cherche pas. C’est ce qu’il veut, je crois. Je nesupporterais pas que quelqu’un coure à sa perte à cause de moi, surtout toi. Comprendsbien:c’estlaseulechosequejepeuxtedemanderàprésent.Fais-lepourmoi.

Jet’aime.Pardonne-moi.Bella.

Je pliai soigneusement ma missive et fermai l’enveloppe. Il finirait par la trouver.

J’espéraisqu’ilserangeraitàmesraisons,neserait-cequecettefois.Ensuite,jefermaisoigneusementmoncœur.

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22

CACHE-CACHE

Laterreur,ledésespoir,moncœurbriséenmillemorceaux,toutcelaavaitprismoinsde

temps que ce que j’avais prévu pour me sauter à la figure. Désormais, les minutess’écoulaientpluslentementqued’ordinaire.LorsquejerejoignisAlice,Jasperétaittoujoursabsent. J’avais peur deme trouver dans lamême pièce qu’elle, peur qu’elle ne devine... etj’avaispeurdelafuir,pourlesmêmesraisons.

J’avaiscruavoirépuisémescapacitésd’étonnementtantj’étaistorturéeetdéstabilisée,maisjefusvraimentdéconcertéeenvoyantAliceagrippéeaubureau,commeprostrée.

—Alice?Ellem’ignora.Elle se balançait de gauche à droite, et son allurem’effraya– ses yeux

étaientvides,hallucinés.Jepensaisaussitôtàmamère.Était-ildéjàtroptard?Réflexebienhumain,jemeprécipitaiversellepourlaréconforter.

—Alice!claqualavoixdeJasper.Immédiatement, il futderrièreelle, l’arrachantà la table.À l’autreboutde lapièce, la

porteserefermaavecunpetitclic.—Quesepasse-t-il?demanda-t-il.AliceenfouitsonvisagedansletorsedeJasper.—Bella?murmura-t-elle.—Jesuisici.Elle tourna la tête, et ses pupilles se fixèrent sur moi, toujours aussi étrangement

inexpressives. Je compris aussitôt que ce n’était pas à moi qu’elle s’était adressée, maisqu’elleavaitréponduàlaquestiondeJasper.

—Qu’as-tuvu?lançai-jeplatement.Jasperme contempla avec acuité, et jem’appliquai àne rien laisserdeviner.Dérouté,

sonregardfitl’aller-retourentreAliceetmoi,flairantunecatastrophe.JepressentaisquellevisionAliceavaitpuavoir.Soudain,uneatmosphèresédativem’enveloppa,et je l’accueillisavecplaisir,l’utilisantpourcontrôlermesémotions.Alice,elleaussi,secalma.

— Rien d’important, finit-elle par déclarer d’une voix remarquablement paisible etconvaincante.Lamêmepiècequ’avant,c’esttout.Veux-tuunpetit-déjeuner?ajouta-t-elleenosantenfinaffrontermonregard,stoïque,imperturbable.

—Nonmerci,jemangeraiàl’aéroport.Moiaussi,j’étaisparfaitementcalme.Jesortismedoucher.Commesij’avaisemprunté

àJaspersondrôlededonsensoriel,j’avaisperçul’enviefrénétiquequ’avaitAlice,quoiqu’elleladissimulâtàmerveille,demevoirquitterleslieuxafind’êtreseuleavecJasper.Afindeluiconfiersansdoutequ’ilsétaientsurlepointdecommettreuneerreuretd’échouer...

Jemepréparaiavecméthodeenmeconcentrantsurchaquedétail.Jen’attachaipasmescheveux pour qu’ils couvrent mon visage. L’humeur détendue créée par Jasper m’aidait à

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réfléchir de façon claire. Et efficace. Je fouillai mon sac à la recherche de la chaussettecontenantmeséconomiesetvidaicesdernièresdansmapoche.

J’avaishâted’arriver à l’aéroport et accueillis avec joienotredépart, vers septheures.Cettefois,j’étaisassiseseulesurlabanquettearrièredelavoiture.Aliceétaitappuyéecontrela portière, tournée vers Jasper, ce qui ne l’empêchait pas de me lancer des coups d’œilconstantsderrièreseslunettesdesoleil.

—Alice?lançai-jed’unevoixneutre.—Oui?Prudente.—Commentça fonctionne, tesvisions?Edwardm’aditquecen’étaitpas fiable...que

leschoseschangeaient.Affichant l’indifférence, voire l’ennui, je regardais par la fenêtre. Pourtant, il me fut

désagréablementdifficiledeprononcersonprénom.Edward.CeladutalerterJasper,carunenouvelleonderelaxanteemplitl’habitacle.

—Oui...elleschangent,murmura-t-ellecommesielleespéraitqueceseraitaussilecascettefois.Certainessontplussûresqued’autres.Lamétéo,parexemple.Aveclesgens,c’estmoinsaisé.Jenediscerneleursactesquetantqu’ilss’yconsacrent.Dèsqu’ilspassentàautrechose, qu’ils prennent une nouvelle décision, aussi insignifiante soit-elle, le futur setransforme.

—C’estainsiquetun’aspasprévuqueJamesviendraitàPhœnixavantqu’ilaitrésoludes’yrendre.

—Oui,admit-elleaveccirconspection.Àl’identique,ellenem’avaitpasrepéréedanslapièceauxmiroirstantquejenem’étais

pasdéterminéeàyrejoindreJames.Jem’interdisdepenseràcequ’elleavaitpuvoir.Inutileque mon angoisse les rende encore plus soupçonneux. De toute façon, ils allaient mesurveillerd’encoreplusprès,maintenant.Çaallaitêtrevraimentdifficiledeleuréchapper.

Nous arrivâmes à l’aéroport. Soit chance, soit fruit du hasard, l’avion d’Edwardatterrirait au terminal 4, le plus vaste, celui qui accueillait le plus de vols. Rien de trèsétonnantdonc,mais c’était exactement celuidont j’avaisbesoin, car il était immenseet engénéralbondé.Parailleurs, ilexistaitautroisièmeniveauuneportequirisquaitdem’offrirmaseuleopportunitédefuir.

Nousnousgarâmesauquatrièmeétagedugigantesqueparking.Jeprisladirectiondesopérations puisque, une fois n’est pas coutume, j’en savais plus sur l’endroit que mescompagnons.Nous empruntâmes l’ascenseur jusqu’au troisièmeniveau, celui des arrivées.Alice et Jasper s’absorbèrent dans la contemplation du tableau d’affichage des départs,discutantlesméritesetlesinconvénientsdeNewYork,Atlanta,Chicago.Desvillesquejeneconnaissaispas.Etneconnaîtraisjamais.

Jeguettaislebonmoment,impatiente,incapabledemeretenirdetaperdupied.Nousétionsassisdansleslonguesrangéesdesiègesinstalléesprèsdesdétecteursdemétaux.Mescompagnons faisaient semblant d’observer les passants – en réalité, c’est moi qu’ilssurveillaient.Lemoindredemesmouvementsétaitenregistré.J’étaiscoincée.Mesauveràtoutesjambes?Oseraient-ilsm’enempêcherenrecourantàdesmoyensphysiquesdansunendroitaussifréquenté?Ousecontenteraient-ilsdemesuivre?

Tirant l’enveloppe blanche de ma poche, je la posai sur les genoux d’Alice. Elle meregarda.

—Malettre,précisai-je.Elleacquiesçaetlaglissadanssonsacencuirnoir.Edwardl’auraitbienasseztôt.

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Lesminutess’écoulèrent,nousrapprochantdel’heurefatidique.Chaquecelluledemoncorpsparaissaitsentir–espérer–laprochainearrivéed’Edward.C’étaituneémotionassezstupéfiante. Et difficile à supporter. Jeme surpris àme chercher des excuses pour rester,pour l’apercevoirunedernière foisavantdemesauver.Enmêmetemps, j’avaisconsciencequec’étaitirréalistesijevoulaisvraimentlessemer.

Alice proposa à plusieurs reprises de m’accompagner prendre un petit-déjeuner. Jedéclinai toutes ses invitations, prétendant ne pas avoir faim. Focalisée sur le tableaud’affichage,jevislesavionsseposeràl’heurelesunsaprèslesautres.CeluienprovenancedeSeattlegrimpaitpeuàpeuverslehautdel’écran.Toutàcoup,alorsqu’ilnemerestaitquetrenteminutespourprendrelapoudred’escampette,leshorairesfurentbouleversés–ilavaitdixminutesd’avance.C’étaitmaintenantoujamais.

—J’aifaim,annonçai-jeaussitôt.—Jet’accompagne,ditprécipitammentAliceensautantsursespieds.—JepréféreraisquecesoitJasper,çanet’ennuiepas?Jemesensunpeu...Jene terminaipasmaphrase, estimantquemesyeuxdevaientêtreassezégaréspour

transmettrelemessage.Jasperselevadonc.Aliceparuthésitermais,àmongrandsoulagement,ellenesembla

rien soupçonner. Elle attribuait sans doute l’évolution de sa vision à une manœuvrequelconquedutraqueurplutôtqu’àunetrahisondemapart.Jasperm’escortaensilence,samain frôlantmon dos comme s’ilme guidait. Je feignis deme désintéresser des premierscafésde l’aéroport tandis que je cherchaisdu regard l’endroit que je visais. Il se trouvait àdeuxpasdelà,audétourd’uncouloir,horsdevuedelaperspicaceAlice: lestoilettespourfemmesdutroisièmeniveau.

—Tupermets?lançai-jeaumomentoùnouspassionsdevant.J’enaipouruneminute.—Jenebougepasd’ici.Dèsque laportese futreferméesurmoi, jedétalai.Jen’avaispasoublié le jouroù je

m’étaisperdueparcequecestoilettesavaientdeuxsorties.Seulsquelquesmètresséparaientcelledufonddesascenseurset,siJaspertenaitsapromessedem’attendredel’autrecôté,ilnemerepéreraitpas.Jefilaisansmeretourner.C’étaitmaseulechance,etjedevaislasaisir,qu’ilm’aperçoive ou non, d’ailleurs. Les badaudsme dévisagèrent avec étonnement, je n’yprêtaipasattention.J’atteignislesascenseursetglissaiunemainentrelesportesdeceluiquise refermait. Il était plein. Par bonheur, il descendait. Je me faufilai entre des voyageursagacésaprèsavoirvérifiéqueleboutonduniveau1étaitbienallumé.

Aussitôtque lesportesse rouvrirent, jemeruaidehors,poursuiviepardesmurmuresirrités. Je ralentis devant les agentsde sécurité postésprèsdes tapis où l’on récupérait lesbagages,puisrepartisdeplusbelleenmerapprochantdelasortie.Jen’avaisaucunmoyendesavoir si Jasper était déjà sur mes traces. S’il décidait de flairer ma piste, je n’avais quequelquessecondesdevantmoi.Jedéboulaidehors,manquantdeheurterlesportesenverreautomatiquesdansmaprécipitation.

Iln’yavaitpasuntaxienvuelelongdutrottoirbondé.Vite!SoitAliceetJasperétaiententraindeserendrecomptequej’avaisfilé,soitc’était

déjàfait,etilsn’allaientpastarderàmeretrouver.Unenavetteàdestinationdel’hôtelHyattfermaitdéjàsesportes,àquelquesmètresde

moi.—Attendez!criai-jeauchauffeurenagitantlebras.—JevaisauHyatt,medit-il,surpris.—Jesais,haletai-jeenmeruantdanslebus,moiaussi.

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Méfiant,ilnemanquapasderemarquermonabsencedebagagesmaisfinitparhausserles épaules. Après tout, ce n’était pas ses affaires. La plupart des sièges étaient vides. Jem’installaiaussiloinquepossibledesautrespassagersetmeperdisdanslacontemplationdupaysage tandis que nous nous éloignions de l’aéroport. Je ne pus m’empêcher d’imaginerEdwarddeboutauborddutrottoirlorsqu’ilauraitrepérématrace.Jem’interdisdepleurer–j’avaisencoredupainsurlaplanche.

Lafortunesemblaitnepasmequitter.DevantleHyatt,uncoupleàl’airhagardsortaitsadernièrevaliseducoffred’untaxi.Bondissantde lanavette, jemeprécipitaidans l’auto,souslesregardsréprobateursdetous.Auchauffeurébahi,jelançail’adressedemamère.

—Jesuisextrêmementpressée,ajoutai-je.—Maisc’estdanslequartierdeScottsdale!maugréa-t-il.Jejetaiunbilletdevingtdollarssurlesiègeavant.—Çasuffira?—Pasdeproblème,jeunefille!Jem’adossaicontre labanquettearrière,brascroiséssur lesgenoux.Laville familière

défilaitderrièrelavitre,maisjen’yprêtaisaucuneattention,tropoccupéeàgarderlecontrôlede mes nerfs. J’étais bien décidée à ne pas craquer, maintenant que mon plan avaitfonctionné.Ilneservaitàriend’ouvrirlesvannesàlaterreurouàl’angoisse.Marouteétaittracée,nemerestaitplusqu’àlasuivre.Bref,aulieudepaniquer,jefermailesyeuxetpassailesvingtminutesqueduraletrajetencompagnied’Edward.

Jerêvaiquej’étaisrestéeàl’aéroportpourl’accueillir.Jemeseraisdresséesurlapointedespiedspourapercevoirauplusvitesonvisage.Ilauraitfendulafoulenousséparantavecgrâce et aisance puis, toujours aussi téméraire, j’aurais couru me jeter dans ses bras demarbre avec un immense sentiment de sécurité. Je me demandai où nous serions allés.Quelquepart dans leNord, pourqu’il puisse sortir au grand jour.Oudansun endroit trèsreculé où nous aurions lézardé ensemble au soleil. Je l’imaginai sur la plage, sa peauétincelant comme lamer.Nous serions restés cachés autant de temps que nécessaire– çan’aurait pas eu d’importance. Être coincée dans un hôtel avec lui aurait été une sorte deparadis sur terre. J’avais encore tellementdequestions à lui poser. J’auraispu lui parler àl’infini, sans jamais dormir, sans jamais le quitter. Son visage m’apparaissait de façon siclaire, à présent... j’entendais presque sa voix. Et, malgré l’horreur et le désespoir, je fusheureuse,l’espaced’uninstant.Plongéedanslarêveriequimepermettaitd’oublierlaréalité,j’avaisperdulanotiondutemps.

—Hé!C’estquelnuméro?L’interventionduchauffeurde taxime tirademespensées fantaisistes,effaçant lessi

joliescouleursdemondélire.L’épouvante,tristeetimplacable,seruaaussitôtdanslaplacevacante.

—5821.Mes accents étaient tellement étouffés que le type me jeta un coup d’œil inquiet,

histoiredes’assurerquejen’étaispasenpleinecrised’asthme.— Nous y voilà, s’empressa-t-il d’annoncer, sûrement désireux de me voir quitter sa

voitureauplusviteetespérantquejeneréclameraispasmamonnaie.—Merci,murmurai-je.Inutiled’avoirpeur,merappelai-je.Lamaisonétaitvide.Il fallaitque jemedépêche;

mamèreattendait,terrorisée;sasurviedépendaitdemoi.Jemeruaiversl’entréeettendisautomatiquement la main vers l’avant-toit pour m’emparer de la clé de secours. Jedéverrouillai la porte. À l’intérieur, tout était sombre, vide et normal. Je courus vers le

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téléphone, allumant les lampes de la cuisine au passage. Sur le tableau blanc des courses,tracé d’une petite écriture nette, un numéro de dix chiffres que je composai. Mes doigtstremblaienttantque jedusm’yreprendreàplusieurs foisavantd’yarriver.C’estunemainvacillantequejeportaiàmonoreille.Iln’yeutqu’uneseuletonalité.

— Allô, Bella ? lança la voix détendue du traqueur. Tu as fait vite. Je suis trèsimpressionné.

—Mamèrevabien?—Trèsbien.Net’inquiètepas,elleneprésenteaucunintérêtpourmoi.Saufsitun’es

passeule,biensûr.—Jelesuis.Jenel’avaisjamaisétéautantdetoutemonexistence.—Parfait.Tuconnaislestudiodedansequisetrouvedanstonquartier?—Oui.Jesaisoùilest.—Àtoutdesuite,alors.Jeraccrochai.Jefilaiaussitôtetmepropulsaidanslachaleurinfernale.Jenem’attardaipasdevantla

maison. À quoi bon ? Elle était vide, elle incarnait l’épouvante et non plus le sanctuairequ’elle avait pu représenter autrefois. La dernière personne à avoir arpenté les piècesfamilièresétaitmonennemi.

Je voyais presque ma mère, debout à l’ombre du grand eucalyptus où j’avais joué,enfant. Ou agenouillée près du petit coin de terre situé au pied de la boîte aux lettres,cimetière de toutes les fleurs qu’elle avait tenté de faire pousser. Les souvenirs valaientmieux que la réalité qui m’attendait aujourd’hui. Pourtant, je les fuis, galopant à fond detrain,abandonnanttoutderrièremoi.

J’avaisl’impressiondemetraîner,commesij’avaiscourudanslesablemouillé,commeincapable de trouver une prise sur le trottoir en béton. Je trébuchai à plusieurs reprises,tombaiune fois,même,m’écorchant lesmainsenvoulantamortirmachute, titubantpourmieuxretomberensuite.Maisjeréussisàatteindrelepremiercarrefour.Plusqu’unerue!Jefonçais,jehaletais,j’étaisensueur.Lesoleilmebrûlaitlapeau.Violent,ilm’éblouissaitenseréfléchissantsur lesolblanc.Jemesentaisdangereusementexposée.Jeregrettai lesforêtsvertes et protectrices de Forks avec plus de vigueur que je ne m’en serais crue capable.Forks...lamaison.

Quand jedébouchaià l’angledeCactusboulevard, j’aperçus lestudio, telque jeme lerappelais.Leparkingétaitvide,lesstorestirés.J’étaishorsd’haleine.L’épuisementetl’effroim’avaient vidée. Seule la pensée de ma mère me permit de poursuivre mon chemin.M’approchant,jedécouvrisl’affichettescotchéedel’autrecôtédelaportevitrée.Manuscritesurpapierrose,ellestipulaitquel’écoleétaitferméepourlesvacancesdePâques.Jetournaisprudemmentlapoignée,leverroun’étaitpastiré.Lesoufflecourt,j’ouvrislebattant.

Lehallétaitsombreetdésert,fraisaussi,carl’airconditionnéfonctionnait.Leschaisesenplastiquemouléétaientempiléeslelongdesmurs,etlamoquetteexhalaitdessenteursdenettoyant industriel. À travers la fenêtre de la salle d’attente, je distinguai la petite pièceplongée dans la pénombre. L’autre studio, le plus grand, était allumé, lui.Mais ses voletsétaientclos.

Lafrayeurquis’emparademoiétaitsipuissantequ’ellemepiégealittéralement.Jemepétrifiaisurplace.Àcetinstant,lavoixdemamèrerésonna.

—Bella?Bella?Lesmêmesaccentsdepaniquehystériquequelorsducoupdefilpasséàcinqheureset

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demiedumatin.Jemeruaidanscettedirection.—Bella,tum’asfaittellementpeur!Nerecommenceplusjamais!continuait-elle.Unefoisdans lagrandesallededanse, jeregardaiautourdemoi,essayantdedétecter

l’endroitoùellesetenait.Ellerit,etjemeretournaibrusquement.Elle était là : sur l’écran de télévision, ébouriffant mes cheveux avec soulagement.

C’étaitThanksgiving[7]

,et j’avaisdouzeans.Nousavionsrenduvisiteàmagrand-mère,enCalifornie,l’annéeprécédantsamort.Unjour,nousétionsalléesàlaplage,etjem’étaistropapprochéeduborddelajetée.Mamèrem’avaitvuejusteàtemps,aumomentoùj’essayaisdereprendremonéquilibre,unpiedenl’air.«Bella?Bella?»avait-ellecrié,affolée.

L’écrandevintbleu.Jepivotailentementsurmestalons.Ilsetenait,immobile,prèsdelasortiedesecours,

sifigéquejenel’avaismêmepasremarqué.Samainétaitferméesurlatélécommande.Nousnousdévisageâmeslongtemps,puisilsourit.Ilmefrôlapresqueenallantreposerl’objetprèsdelatélé.Jel’observaiminutieusement.

—Désolé,Bella,mais il valaitmieuxque tamèrene soit pas impliquée, tunepensespas?

Il était courtois, presque gentil. Alors, je compris. Ma mère ne risquait rien. Elle setrouvaittoujoursenFloride,n’avaitjamaiseumonmessage.N’avaitjamaisététerrifiéeparces yeux rouge sombre enfoncés dans la peau anormalement blême de la créature qui setenaitdevantmoi.Elleétaitsaineetsauve.

—Si,répondis-je,immensémentsoulagée.—Tunesemblespasfurieusedupetittourquejet’aijoué.—Jenelesuispas.Masoudaineeuphoriemedonnaitducourage.Quelle importance,de toute façon?Ce

seraitbientôtfini.Charlieetmamanneseraientpasatteints,ilsn’auraientpasàavoirpeur.J’enétaispresqueétourdie.Aufonddemoi,unepetitevoixm’avertitpourtantquej’étaisàdeuxdoigtsdecraquer.

—Commec’estétrange.Tuessincère.Ses prunelles foncéesme jaugeaient avec intérêt. Les iris en étaient quasiment noirs,

bordésd’unetracerubis.Ilétaitassoiffé.—Jedois reconnaître ça à ta race, reprit-il.Vous autreshumains vous révélezparfois

passionnants. Tes motivations me désarçonnent. On dirait qu’une part de toi n’a aucuninstinctdesurvie...c’estfascinant.

Bras croisés, il m’étudiait avec curiosité. Ni son attitude ni ses traits n’étaientmenaçants.Ilétaittellementbanal.Seulsleteintblafardetlesyeuxcreusésauxquelsj’avaisfiniparm’habituerletrahissaient.Ilportaitunechemisebleueàmancheslonguesetunjeandélavé.

—J’imaginequetuvasmejurertesgrandsdieuxquetonpetitamitevengera?lança-t-ilaveccequimeparutdesaccentsbravaches.

—Non.Entoutcas,jeluiaidemandédenepaslefaire.—Etcommenta-t-ilréagi?—Jenesaispas,jeluiaiseulementlaisséunelettre.Quelledrôledesituationc’étaitdeconverseravecceprédateurmondain!—Unelettre,commec’estromantique!Respectera-t-iltesdernièresvolontés?Sesintonationss’étaientdurcies,etlesarcasmesous-jacentdémentaitsonaffabilité.—Jel’espère.

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—Hum...Danscecas,nosespérancesdiffèrent.Tuvois,toutcelaaétéunpeutropfacileetrapide.Pourêtre franc, jesuisdéçu.J’attendaisundéfiplusrelevé.Après tout, ilnem’afalluqu’unbrindechance.

Jenerépondisrien.—QuandVictorian’apasréussiàapprochertonpère, je luiaiordonnéd’enquêtersur

toi. Ilne servait à riend’arpenter laplanèteà te traquer envainalorsqu’ilme suffisaitdet’attendre confortablementdansun lieudemonchoix.Bref, aprèsavoirparlé àVictoria, jesuisvenuici,àPhœnix,histoirederendreunepetitevisiteàtamère.Jet’avaisentenduedireque tuvoulais rentrer chez elle.Toutd’abord, j’ai eudumal à croireque tu étais sérieuse.Puis j’ai réfléchi. Les humains peuvent se montrer très prévisibles, ils aiment les placesfamilièresetsûres.Etquellemachinationadmirable–terendre,alorsquetuétaiscenséetecacher, dans le plus évident des endroits, celui-là même où tu avais affirmé aller.Naturellement, ce n’était qu’une intuition. D’ordinaire, j’ai toujours un pressentiment,concernantlaproiequejechasse,unsixièmesens,situveux.J’aieutonmessageenarrivantici.Biensûr,j’ignoraisd’oùtuavaisappelé.Avoirtonnuméroétaittrèsutile,maistuauraispuaussibienêtreenAntarctique,àcestade.Orlejeunefonctionneraitqu’àconditionquetutetrouvestoutprès.

Jel’écoutaisdévidersapetitehistoire,imperturbable.—PuistoncherettendreaprisunavionpourPhœnix.Victorialessurveillaitpourmon

compte,évidemment.Dansunepartieimpliquantautantdejoueurs,ilm’étaitimpossibledefaire cavalier seul. Bref, ils m’ont appris ce que je voulais savoir : tu étais ici. Je m’étaispréparé.J’avaisdéjàvisionné tousvosdélicieuxpetits filmsde famille.Ensuite,çan’aplusétéqu’unequestiondebluff.Vraimenttrèssimple,commetuleconstates,trèsloindemesstandardshabituels.C’estpourquoijesouhaitesincèrementquetutetrompespourcequiestdetonjeuneamoureux,comprends-tu?Edward,sijenem’abuse.

Je ne prononçai pas un mot. Mon courage commençait à flancher. Je devinai qu’ilarrivait au terme de ses fanfaronnades. Ce discours ne m’était sûrement pas destiné,d’ailleurs.Quellegloireavait-ilàmevaincre,moilamisérablehumaine?

—Celat’ennuierait-ilbeaucoupsi je laissaisàmontourunelettredemoncruaucherEdward?

Reculant, il s’emparad’unepetite caméradigitaleposée en équilibre au sommetde lastéréo.Unvoyant rouge indiquaitqu’elle tournaitdéjà. Il réglaminutieusement laprisedevue,élargissantlechamp.Jelecontemplai,épouvantée.

—Excuse-moi,maisjenecroispasqu’ilrésisteraàl’enviedemechasserunefoisqu’ilauraregardéça.Jenevoudraispasqu’ilratequelquechose.Toutçan’étaitquepourlui,tusais.Tun’esqu’unehumainequi,malheureusement,s’estretrouvéeaumauvaisendroitaumauvaismoment.Etqui fréquente indubitablement lesmauvaisespersonnes,si jepuismepermettre.

Ilavançaversmoi,souriant.—Avantdecommencer...Unevaguedenauséemetorditl’estomac.Jen’avaispasprévucefilmamateur.— ... juste une petite précision. Tu aurais pu m’échapper dès le début. Si tu savais

combienj’aicraintquetonsoupirantysongeetmegâchemonplaisir.Carc’estarrivé,figure-toi.Oh,ilyadessiècles!Laseuleetuniquefoisoùmaproiem’aéchappé.Monrivalétaitsibêtemententichédelajeunefillequ’ils’estrésoluàaccomplircequetonEdwardaététropfaiblepourentreprendre.Quandiladevinéquej’enavaisaprèselle,ill’aenlevéedel’asileoùil travaillait – je ne comprendrais décidément jamais l’obsession de certains d’entre nous

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pour les humains– et l’a sauvée aussitôt que libérée. Elle n’amêmepas paru ressentir ladouleur, cettepauvre chérie.Elle avait été confinéedans ce troudebasse-fossependant silongtemps. Cent ans plus tôt, on l’aurait brûlée vive pour avoir eu ces visions. Dans lesannées1820,c’étaitlamaisondefousetlesélectrochocs.Lorsqu’elleaouvertlesyeux,toutepleinedes forcesdesanouvelle jeunesse,c’étaitàcroirequ’ellen’avaitencore jamaisvu lesoleil.Levieuxvampirel’avaittransforméeenl’unedesnôtres.Jen’avaisplusderaisonsdelatoucher.Parvengeance,j’aidétruitsoncréateur,précisa-t-ilensoupirant.

—Alice,soufflai-je,ahurie.—Oui,tonamie.J’aiétévraimentsurprisdelaretrouver.Sonclandevraitarriveràen

tirerunpeuderéconfort.Aprèstout,c’estdonnant-donnant:toicontreelle,l’uniquevictimequi m’ait échappé. Quel honneur ! Et elle sentait tellement bon. Encore aujourd’hui, jeregrettedenepasl’avoirgoûtée...Sonodeurétaitplusenivrantequelatienne,même.Désolé,jenevoulaispastevexer.Tonparfumestdélicieux,unpeufloral.

Il avança jusqu’à se trouver à seulement quelques centimètres demoi. Soulevant unemèchedemescheveux,illahumadélicatementavantdelaremettreenplaceavecsoin,etjesentis le bout glacéde ses doigts contrema gorge. Ilm’effleura rapidement la jouede sonpouce, le visage curieux. J’aurais voulu m’enfuir à toutes jambes, j’étais pétrifiée. Je netressaillismêmepas.

—Non,murmura-t-ilenlaissantretomberlamain,jenesaisispas.Bon,soupira-t-il, ilfaudraitquenousnousmettionsautravail.Ensuite, j’appellerai tesamispour leursignaleroùtuesainsiquemonpetitmessage.

J’étaisvraimentnauséeuse,maintenant.J’allaissouffrir–jelelisaisdanssespupilles.Ilneluisuffiraitpasdegagner,desenourriretdepartir.Lafinrapidequej’avaisescomptéemeseraitrefusée.Mesgenouxsemirentàflageoler,etj’euspeurdetomber.

Ils’éloignadequelquespasetmecontournaavecdécontraction,commes’ilessayaitdetrouverunmeilleurangledevueenadmirantune statuedansunmusée.Sonvisagene sedépartitpasdesonexpressionavenantetandisqu’ils’interrogeaitsurlamanièredontilallaits’y prendre. Soudain, il bondit, adoptant cette position accroupie qui commençait àm’êtrefamilière, et son sourire aimable s’élargit lentement, s’agrandissant jusqu’à n’être plus unsouriremaisunrictusfaitdedentsdécouvertesetluisantes.

Alors, ce fut plus fort que moi – je tentai de fuir. Bien que j’eusse conscience de lafutilitédemongesteetdemesjambesflageolantes,lapaniquel’emportaetjefonçaiverslasortiedesecours.Ilsedressadevantmoienunéclair.J’ignores’ilseservitdesamainoudeson pied, il fut trop rapide. Un coup violent frappa ma poitrine, et je partis à reculons.J’entendislefracasdesmiroirslorsquematêtetapadedans.Lesglacesexplosèrentdansuneaversededébris.Lasurprisem’empêchad’avoirmal.J’avaislesoufflecoupé.

Ilserapprochalentement.—Trèsjolieffet,commenta-t-il,denouveauamical,enexaminantleverrebrisé.Jeme

suisditquecettepiècedonneraitdel’ampleurdramatiqueàmonpetitfilm.C’estpourquoijel’aichoisie.Elleestparfaite,non?

L’ignorant,jerampaiàquatrepattesendirectiondel’autreporte.Unefoisencore,ilfutsurmoienunclind’œil,etsonpieds’écrasasurmontibia.Jeperçuslecraquementécœurantavant même d’en éprouver la souffrance. Mais lorsque celle-ci me submergea, je ne pusretenirunhurlementdemartyreàl’agonie.Jemedévissailecoupourvoirmajambe.Ilmedominait,hilare.

—Souhaites-turévisertadernièrerequête?medemanda-t-ilplaisamment.Sesorteilsfrôlèrentmonmembrecassé,etunnouveauhurlementretentit.Choquée,je

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m’aperçusavecunmomentderetardqu’ils’agissaitdumien.—Tunepréféreraispasqu’Edwardselanceàmestrousses?insista-t-il.—Non,croassai-je.Non.Edward,jet’ensup...Quelquechosepercutamonvisage,merenvoyantdanslesglacesbrisées.Par-dessusla

douleurquiémanaitdemontibia,jesentisunéclatdemiroirentamermoncuirchevelu,puisunliquidechaudserépanditdansmesbouclesàunevitesseaffolante, imbibantmoncoletmesépaules,gouttantsurleplancher.L’odeurmetournalecœur.

Au-delàdemanauséeetduvertige,j’eusunebrusqueboufféed’espoir.Sesprunelles,sifroidesauparavant,brûlaientdésormaisd’unfeuincontrôlé.Lesangquiteintaitdepourprema chemise blanche et tachait le sol rendait sa soif irrésistible. Quelles qu’aient été sesintentionspremières,iln’allaitpasréussiràseretenirtrèslongtemps.

Qu’ilentermine.Tellefutmadernièrepenséeavantquel’hémorragien’avalelepeudeconsciencequimerestait.Mespaupièressefermèrentpeuàpeu,lourdesdefatigue.

J’entendis,defaçonsourdecommesij’avaisétésousl’eau,legrognementduprédateur.Je devinai à travers les longs tunnels étroits qu’étaient devenus mes yeux sa silhouettesombre qui s’approchait. Dans un ultime effort, mamain se porta instinctivement devantmonvisagepourleprotéger.Je

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L’ANGE

Jerêvai.Je flottaisentredeuxeaux.Brisant lasurfacesombresous laquelle jemetrouvais,me

parvintleplusjoyeuxdessonsquemonespritfutàmêmed’évoquer,aussibeauetenvoûtantqu’ilétait fantomatique ;unautregrognement,unrugissementplusgravequi tremblaitdefureur.

Une vive douleur quimordaitmamain levéeme ramena soudain vers la conscience,presqueàlasurface,maisjem’égaraienrouteetneréussispasàouvrirlesyeux.

Alors,jecomprisquej’étaismorte.Parce que, au-delà des eaux profondes, un ange m’appelait, m’invitant vers le seul

paradisdontj’eusseenvie.—Ohnon,Bella!s’écriait-il,horrifié.Derrièrecettemusiquesiardemmentdésiréeretentissaitun tumulteaffreuxquemon

esprit tentait de fuir. Une basse rageuse qui grommelait, un craquement repoussant, unemélopéeaiguëquis’interrompaitbrusquement.Jemeconcentraisurlavoixangélique.

—Bella,jet’ensupplie,réveille-toi!Jet’enprie,Bella,jet’enprie!Bella!«Jesuislà»,voulais-jeluirépondre.Rien.Jeneretrouvaispasmeslèvres.—Carlisle ! hurlait l’angequi paraissait souffrirmillemorts.Bella,Bella, non, ohpar

pitié,non,non!Il sanglotait, de ces sanglots heurtés et sans larmes. Il n’aurait pas dû pleurer, c’était

mal. J’avais envie de lui dire que tout allait bien, mais l’eau lourde m’oppressait, et jen’arrivaispasàrespirer.

Onappuya surma tête.Aïe !La souffrance transperça l’obscuritépourm’atteindreet,soudain, d’autres douleurs, plus vives, suivirent. Je poussai un cri d’agonie qui rompit leseauxnoires.

—Bella!s’exclamal’ange.— Elle a perdu beaucoup de sang, mais la blessure n’est pas profonde, intervint une

autrevoix,calme.Attentionàsajambe,elleestcassée.Un ululement de rage mourut sur les lèvres de l’ange. Un brusque élancement me

déchiraleflanc.Toutcelanepouvaitêtreleparadis.J’avaistropmal.—Quelquescôtesaussi,jepense,poursuivaitCarlisleavecméthode.Puis mes diverses souffrances s’estompèrent, balayées par une concurrente, une

incandescenceabominabledansmamainquiéclipsaittoutlereste.Onmebrûlait.—Edward...Malheureusement,maprononciationétaitsi lenteetsourdequejenemecomprispas

moi-même.—Toutvas’arranger,Bella.Tum’entends?Jet’aime.

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—Edward...—Jesuisprèsdetoi.—J’ai...mal...— Je sais, Bella, je sais... chuchotait l’ange, rassurant, tout proche. Tu ne peux rien

faire?ajoutait-il,pluséloigné,avecdesaccentsangoissés.—Passe-moimasacoche,s’ilteplaît...Retienstonsouffle,Alice,çaseraplusfacile.—Alice...—Elleestlàaussi,c’estellequit’atrouvée.—Mamain...ellebrûle.—Carlislevatedonnerdequoicalmerladouleur.—Mamainbrûle!m’époumonai-jeenjaillissantenfindunéantténébreux.J’ouvrislesyeux.Jenedistinguaipassonvisage.Quelquechosedesombreetdechaud

voilaitmavue.Pourquoin’éteignaient-ilspasl’incendiequimeravageait?—Bella?Ilsemblaiteffrayé.—Lefeu!Arrêtezlefeu!hurlai-je,torturéepard’atrocessouffrances.—Carlisle!Samain!—Ill’amordue.LasérénitédeCarlisleavaitcédélaplaceàlaconsternation.Edwardhoquetad’horreur.—Tudoislefaire,Edward.Alice.Toutprèsdematête.Sesdoigtsfraisessuyaientleliquideobturantmesyeux.—Non!—Alice...—Ilyapeut-êtreuneautresolution,ditCarlisle.—Laquelle?—Essaiedesucerlevenin.Laplaieestpropre.Toutenparlant,iltripotaitmoncrâne,enfonçantettirantsurlapeau,provoquantune

souffrancequisediluaitdanscelledubrasier.—Çavamarcher?demandaAlice,tenduecommeunarc.—Aucuneidée.Entoutcas,ilfautfairevite.— Carlisle, je... je ne suis pas sûr d’y arriver, murmurait Edward, sa belle voix au

supplice.— Il le faut, pourtant. Je ne peux pas t’aider, je dois m’occuper de stopper cette

hémorragie,surtoutsituluitiresdusangparlamain.Jemedébattis,cequiréveillaladouleurdemajambe.—Edward!Jem’aperçusquej’avaisfermélesyeux,etjelesrouvris,espérantl’apercevoir.Oui!Son

visageparfaitétaitpenchésurmoi,partagéentrechagrinetincertitude.—Alice,trouve-moidequoicalersajambe.Décide-toi,Edward,ouilseratroptard.Soudain, une détermination féroce remplaça le doute dans les prunelles d’Edward. Sa

mâchoiresecrispa,etsesdoigtsfraisetfortsemprisonnèrentmamainincandescente.Puisilcourbalatête,etseslèvresfroidesseposèrentsurmapeau.

D’abord, la souffrance fut encore plus vive. Je hurlai et luttai contre les bras quimeceinturaient.Aliceprononçaitdesparolesapaisantes.Quelquechosedelourdmaintenaitmajambeausol,etCarlisleavaitcoincémoncrânedansl’étaudesoncoude.Maisjefinisparmecalmer, lentement, au fur et à mesure que ma main s’engourdissait et que la douleurs’atténuait. Le feu faiblit, lueur rouge de plus en plus lointaine. Jeme sentis de nouveau

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glisserdansl’inconscienceetj’euspeurderetomberdansleseauxnoiresetdeperdreEdwarddanslesténèbres.Jetentaidel’appeler.Jenem’entendispas.Eux,si.

—Ilestjusteàcôté,Bella,merassuraAlice.—Reste,Edward,resteavecmoi...—Jenetequittepas,net’inquiètepas,medit-il,épuisémaiségalementtriomphant.Je poussai un soupir de contentement. Le feu s’était éteint, les autres souffrances

étaientcontenuesparlaléthargiequis’emparaitdemoncorps.—Toutestsorti?s’enquitCarlislequelqueparttrèsloin.—Sonsangestpropre,murmuraEdward,j’aiperçulegoûtdelamorphine.—Bella?m’appelaCarlisle.—Mmm?—Lefeuadisparu?—Oui,soufflai-je.Merci,Edward.—Jet’aime.—Jesais.J’étaiséreintée.Toutà coupretentitmamélodiepréférée, le rire tranquille et soulagé

d’Edward.—Bella?répétaCarlisle.—Quoi?J’étaisfatiguée,jevoulaisdormir.—Oùesttamère?—EnFloride.Ilm’aeue.Ilaregardénosfilmsdevacances.Mes accents outragés étaient ridiculement faibles. Brusquement, je me souvins d’un

détailetj’essayaid’ouvrirlesyeux.—Alice...lavidéo...ilteconnaissait,Alice,ilsavaitd’oùtuvenais.(Malgrémesefforts,

ma voix n’était qu’un chuchotis.) Ça sent l’essence, ajoutai-je, surprise en dépit de monhébétude.

—Ilesttempsdefiler,annonçaCarlisle.—Non,jeveuxdormir.—Dors,chérie,jevaisteporter,murmuraEdward.Je me retrouvai alors dans ses bras, bercée contre son torse, flottant, toute peine

envolée.—Dors,Bella!Telsfurentlesderniersmotsquimeparvinrent.

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IMPASSE

J’ouvrislesyeuxsurunelumièreéclatante.Jemetrouvaisdansunepièceinconnueet

blanche.Lemurleplusprochedemoiétaitcouvertdelongsstoresverticaux;au-dessusdema tête, des lampes éblouissantesm’aveuglaient. J’étais couchée sur un lit dur et bosselédoté de barreaux. Les oreillers étaient plats et mous. Quelque part, un bip résonnait demanièreagaçante.Pourvuque cela signifiâtque j’étais toujours envie.Lamortnepouvaitdécemmentêtreaussiinconfortable.

Mesmainsétaientenchevêtréesdansunréseaudetubestransparents,etquelquechoseétaitcollésousmonnez.Jetentaidel’arracher.

—Ohnon,pasquestion!Desdoigtsfroidsretinrentmongeste.—Edward!Jetournailégèrementlatête,etsondélicieuxvisagem’apparut,àquelquescentimètres

dumien,lementonsurmonoreiller.J’étaisbienvivanteetj’enfusheureuse.—Oh,Edward!Jesuistellementdésolée!—Chut!Toutvabien,maintenant.—Ques’est-ilpassé?Messouvenirsétaientflous,etmoncerveauparaissaitserebellercontretouteffort.—J’aifailliarrivertroptard,chuchota-t-ild’unevoixtourmentée.—J’aiétéidiote,jen’aipenséqu’àmamère.—Ilnousatousroulés.—Ilfautquej’appelleCharlieetRenée.—Alices’enestchargée.Renéeestici,àl’hôpital.Elleestalléemangerunmorceau.—Quoi?Jevoulusm’asseoirmaisfusprisedevertige,etilmerepoussadoucement.—Ellevabientôtrevenir.Quantàtoi,tudoisrestertranquille.—Maisqueluias-turaconté?Jemefichaiscommed’uneguigned’êtrechoyée.Mamèreétaitlà,etj’étaisentrainde

meremettredel’attaqued’unvampire,cequim’inquiétaitbeaucoupplus.—Commentluias-tuexpliquémonséjourici?insistai-je.—Aprèsavoirdégringolédeuxvoléesd’escalier,tuespasséeparunefenêtre.Avoueque

cen’estpassiirréaliste,teconnaissant,osa-t-ilpréciseraprèsunecourtepause.Jepoussaiunsoupirquimefitmal.J’examinaimoncorpssousledrap,l’énormebosse

demonplâtre.—Jesuistrèsamochée?—Unejambeetquatrecôtesbrisées,quelquesentaillessur lecrâne,desbleusunpeu

partout,ettuasperdubeaucoupdesang.Ilst’ontfaitdestransfusions.Çanem’aguèreplu.

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Pendantunmoment,tuassentibizarre.—Çaadûêtreunchangementagréablepourtoi.—Non,j’aimetonodeur.—Commentas-turéussi?Ilcomprittoutdesuitedequoijeparlais.—Jenesaispastrop.Détournant la tête, il souleva doucementmamain bandée en prenant soin de ne pas

déranger les fils qui me reliaient à l’un des moniteurs. J’attendis patiemment la suite. Ilsoupira.

— Ça paraissait impossible, murmura-t-il, et pourtant je l’ai fait. Je dois vraimentt’aimer,ajouta-t-ilavecunfaiblesourire.

—Mongoûts’est-ilrévélédécevantauregarddemonodeur?plaisantai-je.Je lui retournaisonsourire,cequidéclenchaunspasmedesouffrancedans toutmon

visage.—Tuparles!Tuesbienmeilleure.Encoreplusquecequej’imaginais.—Navrée!—Comparéaureste,c’estvraimentundétail!s’écria-t-ilenlevantlesyeuxauciel.—Quellessontdonclesbêtisespourlesquellesjedevraisprésenterdesexcuses?—Tuasfaillimequitteràjamais.—Désolée.—Tuavaisdebonnesraisons.N’empêche,çaaétéirrationnel.Tuauraisdûm’attendre,

m’avertir.—Tum’auraisinterditd’yaller.—Non.Dessouvenirstrèsdéplaisantscommençaientàmerevenir.Mesfrissonsprovoquèrent

unnouvelélandouloureux,etjegrimaçai.—Çava?s’inquiétaaussitôtEdward.—Qu’est-ilarrivéàJames?—EmmettetJaspersesontoccupésdelui.Ilavaitl’airderegretterdenepasavoirparticipéaucarnage.—Jenemerappellepaslesavoirvus.—Ilsontétéobligésdesortir...ilyavaitbeaucoupdesang.—Maistoi,tuesresté.—Oui.—AliceetCarlisleaussi...—Ilst’aiment,tusais.Jemesouvinsbrusquementdesderniersmotsquej’avaisadressésàAlice.—A-t-ellevisionnélavidéo?—Oui,admit-il,avecdesintonationsdehaineabsoluecettefois.—Ellea toujoursétéenferméedans lenoir,quandelleétaithumaine.Voilàpourquoi

elleatoutoublié.—Ellel’acompris,àprésent.Si savoix s’était apaisée, ses traits étaientassombrispar la rage.Jevoulus toucher sa

jouedemamainlibre,quelquechosem’enempêcha–uneperfusion,apparemment.—Beurk,maugréai-je.—Quoi?demanda-t-il,vaguementdistraitdesesidéesnoires.—Lesaiguilles,expliquai-jeenévitantderegardermamain.

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Malgrélesélancementsdansmescôtes,jem’efforçaiderespirerprofondément.—Elleapeurdespiqûres,marmonna-t-ilensecouantlatête.Unvampiresadiqueprêtà

latortureràmortneluiposeaucunproblème,ellesejettemêmedanssesbras!Unesimpleperfusionenrevanche...

Jedécidaidechangerdesujet.—Explique-moiunpeucequetufabriquesici.Ilmedévisagea,d’abordsurprispuispeiné.—Souhaites-tuquejem’enaille?—Biensûrquenon!Jeveuxseulementsavoircommenttuasexpliquétaprésenceicià

mamère.Histoiredeluiservirlemêmeconte.—JesuisvenuàPhœnixpouressayerde tepersuaderderentreràForks. (Sesgrands

yeuxsemblaienttellementsincèresquejemanquaisdelecroiremoiaussi.)Tuasacceptédeme rencontrer, et je t’ai conduite à l’hôtel où je résidais avec Carlisle et Alice. Car,naturellement, j’étaissouscontrôleparental,précisa-t-il, icônedelavertu.Maistuasglissédans l’escalier en montant dans ma chambre et... tu connais la suite. Inutile que tu terappelles tous les détails. Après ce par quoi tu es passé, il est normal que tu aies oubliél’essentiel.

—Ilyades trousdansta fable,répondis-jeauboutdequelques instantsderéflexion.Qu’enest-ildelafenêtrecassée?

—Net’inquiètepas.Aliceaeubeaucoupdeplaisiràfabriquerdespreuves.Nousavonsveilléàtouttrèssoigneusement.Tupourraismêmeattaquerl’hôtelenjusticesitulevoulais.Calme-toi,ajouta-t-ilenmecaressantlajoue,tun’asplusqu’àguérir,maintenant.

Moncorpsendolorietlescalmantsnemeplongeaientpasdansunehébétudesuffisantepourquejeneréagissepasàsoncontact.Lemoniteursemitàbiperdemanièreerratique–Edwardn’étaitplusleseulàpouvoirentendrequemoncœursetenaitmal.

—Voilàquiestsacrémentembarrassant,bougonnai-je.Ilrigola,etsesyeuxs’allumèrentd’unelueurspéculative.—Hum,jemedemande...Ilsepenchalentement,etlamachines’emballaavantmêmequeseslèvresnetouchent

lesmiennes.Quandelleslefirent,légèrescommeunpapillon,lesbipss’arrêtèrentaussitôt.Ilreculabrusquement,anxieux,puissemblasoulagélorsquel’appareilrecommençaàmesurerlesbattementsdemonpouls.

—Jevaisdevoirmemontrerencoreplusprudentqued’habitude,sourcilla-t-il.—Hé!Jen’aipasfinidet’embrasser.Jecroisquejevaisavoirunmalaise.Hilare, ildéposaunnouveaubaisersurmabouche–lemoniteurperdittoutemesure.

Soudain,Edwardseraiditetseredressa.—Tamèrearrive,annonça-t-il.—Net’envapas!—Jeserailà,promit-ilavecsolennité.Jecroisquejemériteunepetitesieste,rigola-t-il.Quittant la chaise de plastique dur installée près demon lit, il alla s’allonger dans le

relax en faux cuir turquoise et ferma les yeux.Une secondeplus tard, il était parfaitementimmobile.

—N’oubliepasderespirer,persiflai-je.Ilprituneprofondeinspiration.J’entendaismamèrediscuterdans lecouloiravecquelqu’un,uneinfirmièrepeut-être.

Elle semblait fatiguée etbouleversée. J’aurais voulu sauterdu lit etmeprécipiter vers ellepourlarassurer,maisjen’étaispasdutoutenétatdebondiroùquecefût.Jemecontentai

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del’attendreimpatiemment.Laportes’entrebâilla,etellejetauncoupd’œildanslachambre.—Maman!chuchotai-je.Apercevant lasilhouetted’Edwarddans lachaise longue,elle s’approchademoisur la

pointedespieds.—Iladécidédecampericiouquoi?grommela-t-elledanssabarbe.—Jesuistellementcontentedetevoir,maman.Ellemeserratoutdoucementcontreelle,etjesentisseslarmestombersurmesjoues.—J’aieusipeur,Bella!—Pardonne-moi.Toutvabien,maintenant.—Jesuisvraimentsoulagéequetuaiesenfinreprisconscience,dit-elleens’asseyantau

borddulit.Jemerendiscomptequej’avaisperdutoutenotiondutemps.—J’aidormilongtemps?m’enquis-je.—Plutôtoui,chérie.Noussommesvendredi.—Vendredi?Cefutunchoc.Jetentaidemerappelerquel jours’étaientdéroulés... lesévénements,

puisdécidaiquejen’avaispasenvied’ypenserpourl’instant.—Ilsontdûtegardersoussédatifspendantunmoment.Àcausedetesblessures.—J’aicrucomprendre.Entoutcas,jelessentais.—TuaseudelachancequeledocteurCullensoitlà.C’estunhommecharmant...très

jeuneaussi.Etilressembleplusàunmannequinqu’àunmédecin...—TuasrencontréCarlisle?—Etlasœurd’Edward,Alice.Unetrèsjoliejeunefille.—C’estvrai.—Tunem’avais pas dit que tu avais d’aussi bons amis à Forks, continua-t-elle après

avoir regardé par-dessus son épaule en direction d’Edward, toujours « endormi » sur sonfauteuil.

Jesursautai,cequidéclenchamesgémissements.—Oùas-tumal?s’inquiéta-t-elleaussitôt,oubliantEdward.Cedernierouvritinstantanémentlesyeux,anxieuxluiaussi.—Çava,larassurai-je.Ilfautjustequejemerappelledenepasbougerlepetitdoigt.Edwardretournaàsonassoupissementfeint,etjeprofitaideladistractionmomentanée

demamèrepourl’éloignerdusujetdemesmensongesparomission.—OùestPhil?— En Floride. Oh, Bella, tu ne devineras jamais ! Juste au moment où nous nous

apprêtionsàpartir,nousavonseudesnouvellesépatantes.—Philaétéengagé?—Oui!Commentas-tudeviné?L’équipedeJacksonville,tuterendscompte?—Génial,maman.—TuvasadorerlaFloride!continua-t-elleàbabillersousmonregardahuri.J’étaisun

peuinquiètequandPhils’estmisàparlerd’Akron.Ilneigetellement,auColorado,ettusaiscombienjedétestelefroid.MaisJacksonville!Ilyfaittoujoursbeau,etl’humiditén’estpassidifficileàsupporter.Nousavonsdénichéunemaisondélicieuse,jauneàparementsblancs,avecunporchecommedanslesvieuxfilms,etunénormechêne,àquelquesminutesàpeinedel’océan.Tuaurastasalledebainspersonnelle,et...

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—Uneminute ! l’interrompis-je en remarquant qu’Edward paraissait bien trop tendupourundormeur,mêmes’iln’avaittoujourspasouvertlesyeux.Dequoiparles-tu?Iln’estpasquestionquej’ailleenFloride.J’habiteàForks,désormais.

— Mais ce n’est plus la peine, petite sotte, s’esclaffa-t-elle. Phil devrait se déplacerbeaucoupmoinsdorénavant.Nousenavonsdiscuté, et je suis arrivéeàuncompromis : lamoitiédutempsavectoi,l’autreaveclui.

—Maman,objectai-jeenm’extirpantdestrésorsdediplomatie.Jeveux resteràForks.Jemesuisbienfaiteaulycée,etj’aideuxamies...(Elletiquaàcemotetneputs’empêcherdeseretournerversEdward.Aussi,jechangeaidesujet.)Etpuis,Charlieabesoindemoi.Ilestvraimenttrèsseul,etilestnulencuisine.

—TuveuxresteràForks?Maispourquoi?Elleétaitdépasséetantl’idéeluisemblaitsaugrenue.—Jeviensdeteledire,lelycée,Charlie...Je haussai les épaules, ce quim’arracha un petit cri de douleur. Aussitôt, elle fut sur

moi,sesmainspapillonnant,inutiles,cherchantunendroitoùmecaressersansdanger.Elledutsecontenterdemonfront.

—Bella,machérie,tudétestesForks.—Cen’estpassiterrible.Ses yeux firent la navette entre Edward etmoi, délibérément cette fois. Elle plissa le

front.—C’estàcausedecegarçon?chuchota-t-elle.J’ouvris la bouche pour luimentir, mais elleme scrutait avec tant d’intensité que je

comprisqu’ellenes’ylaisseraitpasprendre.—En partie, avouai-je. (Inutile de lui préciser l’ampleur de cette partie.) As-tu eu au

moinsl’occasiondeparleraveclui?— Oui. (Elle hésita, observant la silhouette immobile.) Et j’aimerais avoir une petite

conversationavectoi.Houps!—Àproposdequoi?—Jecroisquecegarçonestamoureuxdetoi,lança-t-elled’untonaccusateur.—C’estégalementmonavis,confessai-je.—Ettoi?Qu’éprouves-tupourlui?Elle avait dumal à cacher la curiosité qui la dévorait. Je me détournai. J’avais beau

adorermamère,cen’estpasunsujetquej’avaistrèsenvied’aborderavecelle.—Jesuisdinguedelui.Là!Onauraitditunepré-adoévoquantsonpremierpetitcopain.—Ehbien,ilmeparaîttrèsgentilet,monDieu,ilestincroyablementbeau,maistuessi

jeune,Bella...Ellemanquaitd’entraînement.Aussi loinque jemesouvienne,c’était lapremière fois

depuis mes huit ans qu’elle essayait de faire preuve d’un peu d’autorité parentale. Jereconnaissaissesintonationsraisonnables-mais-fermesdenospremièresdiscussionssurleshommes.

—Jesais,maman.Net’enfaispas.Cen’estqu’uneamourette.—Exactement!renchérit-elleenselaissantconvaincreunpeutropfacilement.Avecunpetit soupir, elle jetauncoupd’œil sur la grossependule rondeaccrochéeau

mur.—Tudoispartir?

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—Philestcensém’appeler, reconnut-elle,piteuse,ensemordant les lèvres.J’ignoraisquandtuallaisteréveiller...

—Aucunproblème.Jenesuispasseule.Jetâchaidedissimulermonsoulagement.Àquoibonlablesser?—Jen’enaipaspourlongtemps.J’aidormiici,tusais,annonça-t-elle,trèsfièred’elle.—Oh,maman!Cen’étaitpaslapeine!Jenem’ensuismêmepasaperçue.—Jen’étaispastranquille,àlamaison,confessa-t-elleàregret.Uncrimeaétécommis

danslevoisinage,etjen’aimepasêtrelà-bastouteseule.—Quoi?—Quelqu’unestentrépareffractiondanscestudiodedansepastrèsloindecheznous

et l’a incendié. Il ne reste plus rien ! Ils ont aussi laissé une voiture volée devant. Tu terappellesquetuyavaisprisdescours,chérie?

—Oui,admis-jeenfrissonnant.Aïe!—Situveux,jepeuxrester.—Non,çaira.IlyaEdward.Cequiparutluidonnerunebonneraisondenepass’enaller.—Jereviendraicesoir,décida-t-elle.Unavertissementaussibienqu’unepromesse.—Jet’aime,maman.—Jet’aimeaussi,Bella.Essaied’êtreunpeuplusprudentequandtumarches,chérie,je

n’aipasenviedeteperdre.Edward n’ouvrit pas les yeux, mais un immense sourire traversa son visage. À cet

instant, une infirmièredébarquapour vérifiermes tubes etmes fils.Mamèrem’embrassasur le front, tapota ma main bandée et partit. L’infirmière consulta le compte-rendu dumoniteur.

—Tutesensanxieuse,petite?medemanda-t-elle.Tonpoulsaeuquelquessautesdetension.

—Non,cen’estrien.— Je vais prévenir la responsable que tu es réveillée. Elle viendra te voir dans une

minute.Dèsquelaportefutrefermée,Edwardbonditprèsdemoi.—Vousavezvoléunevoiture?lançai-jeensourcillant.— Une très bonne voiture, admit-il avec une grimace joyeuse qui n’avait rien de

repentant.Rapide.—Biendormi?—J’aifaitdesrêvesextrêmementintéressants.—Pardon?—Jesuisétonné.JepensaisquelaFloride...tamère...bref,j’avaiscruquec’étaitceque

tuvoudrais.— Mais tu serais cantonné à l’intérieur toute la sainte journée, en Floride ! Tu ne

pourraissortirquelanuit,commeunvraivampire.Unbrefsourireétiraseslèvres,puisildevintgrave.—JecomptaisresteràForks,Bella.Ouailleurs,dansunendroitoùjenepourraipluste

fairedemal.D’abord, jenecomprispaset je le contemplaiavecstupéfaction.Puis lesmotsprirent

leur sens, tel un puzzle abominable. J’eus à peine conscience du bruit de mon pouls qui

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s’affolaitbienque jemesoismiseàhaleter.Parcontre, jesentis trèsbien ladouleuraiguëqui déchirait mes côtes. Il m’observa avec inquiétude, bien que cette nouvelle souffrancen’eûtrienàvoiravecmesblessures.Elleétaitsiviolentequejecrusqu’elleallaitm’anéantir.

Tout à coup, une nouvelle infirmière entra dans la chambre d’un pas résolu. Avecl’aisancedel’expérience,elleeuttôtfaitdedécryptermonexpression.

—Jecroisqu’ilestl’heuredetedonnerd’autresanalgésiques,mabelle,annonça-t-ellegentimententapotantlaperfusion.

—Non,non,protestai-jeentâchantdecomposermestraits.Jen’aibesoinderien.—Paslapeinedejouerleshéroïnes,tusais.Lestressnetevautrien,danstonétat.Elleattendit,maisjesecouailatête.—Trèsbien,soupira-t-elle.Appuiesurceboutonquandtuauraschangéd’avis.Elle lança un ultime coup d’œil soucieux aumoniteur, puis ressortit, non sans avoir

toiséEdwardavecsévérité.Immédiatement,celui-ciposasesmainsfraîchessurmonvisage.Jelefixai,hébétée.

—Calme-toi,Bella.—Nemequittepas,lesuppliai-je.— D’accord. Et maintenant, détends-toi, sinon je rappelle cette fille pour qu’elle

t’assommededrogues.Malheureusement,moncœurrefusaitdes’apaiser.—Bella,reprit-ilencaressantmesjoues,jeserailàtantquetuenéprouveraslebesoin.—Juredenepasmequitter!—J’enfaisleserment.L’odeurdesonhaleineétaitreposante,etj’eusl’impressionderespirerpluslibrement.

Ilsoutintmonregardtandisquemoncorpsserelaxaitpeuàpeu,etquelesbipsreprenaientunrythmenormal.Sespupillesétaienttrèssombres,plusprochesdunoirquedel’or.

—Çavamieux?—Oui.Secouantlatête,ilmarmonnadesparolesinintelligibles,mêmesijecrussaisirlesmots

«tropémotive».—As-tu envie quenousnous séparions,Edward ?En as-tu assezdeme sauver la vie

toutletemps?—Non,biensûrquenon,Bella.Etveillersurtoinemeposeaucunproblème.Maisc’est

moiquitemetsendanger...c’estàcausedemoiquetuesici.—Tunecroispassibiendire.C’estgrâceàtoiquejesuisvivante.—Tuparlesd’unevivante!Bandéeetplâtréedespiedsàlatêtecommeunemomie.—Jenefaisaispasforcémentallusionàmadernièreexpérienceaveclamort,tusais.Je

pensais aux autres – et multiples – fois. Sans toi, je serais en train de pourrir dans lecimetièredeForks.

— Il y apire, reprit-il commes’il nem’avaitpas entendue.Cen’estpasde t’avoir vuegisantsurleplancher,prostrée,blessée.Nid’avoirétéenretard.Nimêmed’avoirentenduteshurlementsdedouleur.Aucundecessouvenirs insupportablesquim’accompagnerontdansl’éternitén’estlepire...Leplushorrible,çaaétédesentir...quejen’arrivaispasàm’arrêter.Desavoiraveccertitudequej’auraisputetuer.

—Çanes’estpasproduit.—Çaauraitpu.Siaisément.J’avaisconsciencequ’ilmefallaitrestercalme.Saufqu’ilétaitentraindeseconvaincre

sousmes yeux qu’il devaitme quitter, et la panique bloquames poumons, incapable d’en

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sortir.—Promets-moiquelquechose.—Quoi?—Commesitunelesavaispas!Son entêtement à ne voir que le négatif commençait à m’irriter prodigieusement. Il

perçutmonchangementd’humeur.Sonfrontseplissa.— Visiblement, lança-t-il avec brutalité, je n’ai pas la force de m’éloigner de toi.

J’imaginequetuarriverasàtesfins,queçatetueounon.—Bien.Jenotaicependantqu’ilnem’avaitrienpromis.—Tum’asditquetuétaisparvenuàt’arrêter...Jeveuxsavoirpourquoi.—Commentça,pourquoi?— Pourquoi n’as-tu pas laissé le venin me contaminer ? Je serais comme toi,

maintenant.Ilserenfrogna,etjemerappelai–troptard–quejen’étaispascenséeêtreaucourant.

Aliceavaitdûêtretroppréoccupéeoubienelleavaitsurveillédetrèsprèssespenséesensacompagnie, car il était évident qu’il ignorait qu’ellem’avait tout révélé desmécanismes decréationd’unvampire.Ilétaitdécontenancéetfuribond.Sesnarinespalpitèrent,etsabouchesedurcit.

—J’admetsvolontiersnepasêtreunespécialistedesrelationsamoureuses,enchaînai-jequandjecomprisqu’iln’avaitpasl’intentiondemerépondre.Maisilmeparaîtlogiquequ’unhommeetunefemmesoient...àégalité.L’und’euxnepeutpassersontempsàseporterausecoursdel’autre.D’unefaçonoud’uneautre,chacunestlàpoursauverl’autre.

Il croisa les bras. Ses traits ne trahissaient plus rien, il dominait sa rage. Il avaitvisiblementdécidéque jen’enétaispas l’objet.Jepriaipouravoir l’occasiond’avertirAliceavantqu’ilnes’enprenneàelle.

—Tum’assauvé,murmura-t-il.

— Je refuse de me cantonner au rôle de Lois Lane[8]

, insistai-je. Je veux aussi êtreSuperman.

—Tunesaispasdequoituparles,répliqua-t-iltendrement.—Jecroisquesi.—Non,Bella.J’aieupresqueunsièclepouryréfléchir,etjen’aitoujourspasd’opinion

arrêtée.—Regrettes-tul’interventiondeCarlisle?—Non.Maislaviem’abandonnait,jen’avaisrienàperdre.—C’esttoi,mavie.Tueslaseulechosequejenesupporteraispasdeperdre.Ilm’étaitdeplusenplusfaciled’avoueràquelpointj’avaisbesoindelui.—Jenepeuxpaslefaire,Bella,décréta-t-iltrèscalmement,déterminé.Jeneteferaipas

ça.—Pourquoipas?m’entêtai-je, lavoixplusrauqueque je l’eussevoulu.Nemedispas

quec’esttropdifficile.Pasaprèscequis’estpasséaujourd’hui...ilyaquelquesjours,plutôt.Enfin,peuimporte,cedevraitn’êtreriendutout.

—Etladouleur?rétorqua-t-ilenmefusillantduregard.Àcestade,jeblêmis.Cefutplusfortquemoi.Malgrétout,jem’appliquaiàdissimuler

l’horreurqu’éveillaitenmoilesouvenirdufeudansmesveines.—Ça,c’estmonaffaire,plastronnai-je.Jesuiscapabledel’affronter.

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—Ilestdesfoisoùlecourageconfineàlafolie.—Cen’estpasunproblème.Troisjours.Fastoche!Edwardgrimaçaunenouvellefoisendécouvrantquej’ensavaisautantmaisilravalasa

colèreetdevintsongeur.—EtCharlie?lança-t-il.EtRenée?Lesilencetomba.J’ouvrislabouche,aucunsonn’ensortit.Jelarefermai.Ilpatientait,

deplusenplustriomphantaufuretàmesurequ’ilconstataitqu’ilm’avaitcoincée.— Écoute, finis-je par marmotter, pas très convaincante, comme toujours lorsque je

mentais.Cen’estpasunproblèmenonplus.Renée s’est toujours rangéeaux choixqui luiconvenaient, elle voudrait que j’en fasse autant. Quant à Charlie, il est résistant et il al’habitude d’être tout seul. Je ne peux pas prendre soin d’eux toutema vie. J’ai lamienneaussi.

—Exactement!aboya-t-il.Etnecomptepassurmoipourt’enpriver.—Situattendsquejemeuredemabellemort,jeterappellequeçaafailliarriveretque

c’esttafautesijesuisencorevivante!—Jeneveuxpasquetumeures.Histoire de me calmer, j’inspirai profondément, ignorant le retour de la douleur

provoqué par cemouvement. Je le toisai, il me rendit la politesse. Il n’était prêt à aucuncompromis.

—Pourtant,jevaismourir,finis-jeparlâcher.Ilparutétonné.—Biensûrquenon!Tun’aurasqu’uneoudeuxcicatrices...—Jevaismourir,répétai-je.— Franchement Bella, protesta-t-il, anxieux à présent, tu sortiras d’ici dans quelques

jours,unesemainetoutauplus.— Peut-être pas maintenant, mais ça finira par arriver. Je m’en rapproche à chaque

secondequipasse.Etjevaisdevenirvieille.Ilserenfrogna,appuyasesdoigtscontresestempesetfermalesyeux.—C’estcequiestcenséseproduire.Cequidevraitseproduire.Cequiseseraitproduit

sijen’avaispasexisté–etjenedevraispasexister.—Ah!N’importequoi!C’estcommesituallaistrouveruntypequivientdegagnerau

loto,quetuluiprenaistoutsonargentenluidisant:«Hé,monpote,faisonscommesiriennes’étaitpassé,c’estmieuxainsi.»Jeréfutecetargument.

—Jenesuispaslegroslot.—Eneffet.Tuvauxbeaucoupplus.—Bella!s’exclama-t-il,exaspéré.Jerefusedediscuterdecelapluslongtempsavectoi.

Pasquestionquejetecondamneàunenuitéternelle.Unpointc’esttout!—Si tu crois que je renoncerai, c’est que tume connais bienmal.Tun’espas le seul

vampireducoin.—Alicen’oseraitpas!L’espaced’uninstant, ileut l’airsieffrayantquejenepusm’empêcherdepenserqu’il

avaitraison–personneneseraitjamaisassezbravepourledéfierainsi.—Ellesait,hein?C’estpourquoituluienveuxtellement.Elleavuquejeseraiscomme

toi...unjour.—Ellesetrompe.Ellet’aaussivuemorte,etcen’estpasarrivé.—Jeneparieraispascontreelle.Nous nous dévisageâmes avec colère pendant quelques minutes dans un silence que

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rompait seulement lebourdonnementdesappareils, lebruitdugoutte-à-goutteet le tic-tacdelapendule.Ilcédalepremieretunevaguedetendresseinondasesprunelles.

—Bon,repris-je,oùtoutcelanousmène-t-il?—Àrien,rigola-t-il.J’aibienpeurqu’onappelleçauneimpasse.Jeserrailespoingsetpoussaiaussitôtunpetitcridedouleur.—Çava?demanda-t-ilenregardantleboutond’appeldel’infirmière.—Oui,mentis-je.—Jenetecroispas.—Jen’aipasenviededormir.—Ilfautquetutereposes.Cesdisputesnetevalentrien.—Tun’asqu’àcéder,danscecas.—Bienessayé.Iltenditlamainverslebouton.—Non!Ilm’ignora.—Oui?couinal’interphone.—Noussommesprêtspourlesantalgiques,annonça-t-ilsereinementennégligeantmes

coupsd’œilfuribonds.— Je vous envoie quelqu’un, répondit l’interlocuteur anonyme, l’air de s’ennuyer à

mourir.—Jeneprendrairien,persistai-je.—Jenepensepasqu’ils’agirad’unproduitàavaler,riposta-t-ilavecuncoupd’œilàla

perfusionsuspendueàcôtédemonlit.Moncœurs’emballa,Edwardlutlapeurdansmesyeuxetsoupira.—Bella,tuasmal.Pourquoifais-tutantdedifficultés?Ilsnevontpastepiquer.—Jen’aipaspeurdespiqûres,marmonnai-je,justedefermerlesyeux.Ilmedécochasonsourireencoinetpritmonvisageentresespaumes.— Je t’ai juré de ne pasm’éloigner. Alors, arrête de paniquer. Tant que ça te rendra

heureuse,jeseraiprèsdetoi.—Tuesentraindet’engagerpourtoujours,jetesignale.—Oh,tutelasserasvite.Cen’estqu’uneamourette,aprèstout.—J’aiétéahuriequeRenéeavalecelle-là.Toi,jetecroyaisplusfuté.—C’estcequiestformidableavecleshumains.Ilschangentd’avistoutletemps.—Rêve!Ilriaitquandl’infirmièreentraenbrandissantuneseringue.—Excuse-moi,luidit-ellebrusquement.Ilse levaettraversalapiècepours’adossercontrelemurdufond.Jenelequittaipas

desyeux.— Eh voilà,ma belle, annonça la femme après avoir injecté lesmédicaments dans le

tube,tuvastesentirbienmieux.Jemarmonnaiunmerciàpeinepoli.L’effetfutrapide.Unetorpeurm’envahitpresque

immédiatement.—Çadevraitsuffire,murmura-t-elletandisquemespaupièressefermaient.Elleétaitsansdoutesortie,carquelquechosede fraisetde lisseeffleuramajouepeu

après.—Reste,bredouillai-jed’unevoixpâteuse.— Promis, chantonna sa belle voix, pareille à une berceuse. Tant que ça te rendra

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heureuse...tantquec’estcequ’ilyaurademieuxpourtoi.Jevoulussecouerlatête,maiselleétaittroplourde.—Pas...la...même...chose...marmottai-je.—Ne t’inquiète pas de celamaintenant, Bella.Nousnous disputerons quand tu seras

réveillée.—D’ac...cord.Seslèvresfrôlèrentmonoreille.—Jet’aime.—Moi...aussi.—Jesais.Jetournaiunpeulementondanssadirection.Ilcompritetm’embrassalégèrement.—Merci.—Toutleplaisirestpourmoi.Jeme sentaispartir,mais luttainéanmoins contre l’engourdissement, car je comptais

bienavoirlederniermot.—Edward?—Oui?—JepariesurAlice.Puislanuitserefermasurmoi.

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Épilogue

UNECÉLÉBRATION

Edwardm’aidaàmonterdanssavoitureenveillantànefroissernilesnuagesdesoieetde mousseline de ma robe, ni les fleurs que je venais juste de ficher dans mes bouclessavammentempilées,nimonénormeplâtre.Mabouchefuribondeparutnepasledéranger.Ensuite,ils’assitderrièrelevolantetreculadanslalonguealléeétroite.

—Quandvas-tutedécideràmerévélercequisepasse?demandai-je,maussade.J’avaishorreurdessurprises,etillesavaittrèsbien.—Jem’étonnequetunel’aiespasencoredeviné,riposta-t-ilavecunsouriremoqueur

quimecoupalesouffle.M’habituerais-jeunjouràsaperfection?—T’ai-jeditàquelpointtuétaisbeau,commeça?—Oui,s’esclaffa-t-il.Jenel’avaisencorejamaisvuvêtudenoir,etcettecouleur,parcontrasteavecsapeau

pâle,rendaitencoreplusirréellesasplendeur.C’étaitindéniable,mêmesilefaitqu’ilarboreun smoking me rendait drôlement nerveuse. Pas autant que ma robe, cependant. Ou machaussure.Rienqu’une,puisquemonautrepiedétaitencoreinvalide.Letalonaiguilleretenupardesimplesrubansdesatinn’allaitsûrementpasm’aideràsautilleralentour.

—JenereviendraiplussiAlices’entêteàme traitercommeuncochond’IndeBarbie,grognai-je.

J’avais,victimeimpuissante,passé l’essentieldemajournéedans lasalledebainsauxproportions renversantes de sa sœur qui s’était amusée à jouer à la coiffeuse et àl’esthéticienne. Lorsque j’avais eu le malheur de m’agiter ou de me plaindre, elle m’avaitrappeléque,n’ayantpasdesouvenirsdesaviehumaine,ellemepriaitdenepasgâchersonplaisirparprocuration.Ensuite,ellem’avaithabilléedelarobelaplusridiculequifût–bleusombre,àfanfreluches,dégageantlesépaules,avecdesétiquettesenfrançaisquej’avaisétéincapablededéchiffrer–,unetenueplusadaptéeàundéfilédemannequinsqu’àForks.Quenous soyons tous deux sur notre trente et un neme disait rien qui vaille. Àmoins que...j’avaistroppeurd’exprimermessoupçons,mêmeintérieurement.

La sonneried’un téléphoneme tirademes réflexions.Edward sortit sonmobilede lapochedesavesteetvérifial’identitédesoncorrespondantavantderépondre.

—Allô,Charlie?lança-t-ilavecprécaution.—Charlie?répétai-je,abasourdie.Mon père s’était montré... difficile, depuis mon retour à Forks. Il avait adopté deux

attitudes bien distinctes depuis ma mésaventure. Envers Carlisle, il était d’une gratitudeconfinant à l’idolâtrie. En revanche, cette tête de mule était convaincue qu’Edward étaitresponsable de mes ennuis – ne serait-ce que parce que j’étais partie par sa faute, avisqu’Edwardpartageaitd’ailleurs.J’avaiseudroitàdesrèglesnouvelles:couvre-feu,heuresdevisite.

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Une des phrases de Charlie fit ouvrir de grands yeux ahuris à Edward, suivi aussitôtaprèsd’unnonmoinsgrandsourire.

—Vousplaisantez!rigola-t-il.—Qu’est-cequ’ilya?demandai-je.Ilm’ignora.—Passez-le-moidonc,répondit-ilenjubilant.Salut,Tyler,reprit-ilauboutdequelques

secondes,c’estmoi,EdwardCullen.Sousdesdehorsaffables, jeperçus lamenacedanssavoix.Qu’est-cequeTyler fichait

chezmoi?Lavérité,affreuse,commençaàm’apparaître.Jejetaiunnouveaucoupd’œilàlarobeabsurdequ’Alicem’avaitforcéeàenfiler.

—Jesuisnavréqu’ilyaiteuunmalentendu,maisBellan’estpaslibrecesoir.Le ton avait changé, et la menace se fit soudain beaucoup plus évidente quand il

poursuivit.—Pourêtrefranc,elleneseralibreaucundessoirsàvenir,dumoinstantqu’ils’agira

de sortir avec un autre garçon quemoi. Sans rancune ? Et encore désolé d’avoir gâché cegrandjour.

Il n’avait pas l’air désolé du tout quand il raccrocha. Au contraire, il semblait trèssatisfaitdelui.Jesentislacolèreempourprermonvisageetmoncou,etdeslarmesderagenoyèrentmesyeux.Ilmeregarda,surpris.

—Tum’emmènesaubaldefind’année?hurlai-je.C’était tellement évident, que j’étais gênée de ne pas avoir saisi. Si j’y avais prêté

attention,j’auraisremarquéladatementionnéesurlesaffichesquidécoraientlesbâtimentsdulycée.Maisjen’auraisjamaisoséimaginerqu’ilauraitleculotdemesoumettreàcegenredetorture.Ilmeconnaissaitdoncsimal?Laviolencedemaréactionledéstabilisait.Ilpinçaleslèvresetplissalefront.

—Nesoispaspénible,Bella.Mesyeuxlancèrentdeséclairsàtraverslavitre.Nousétionsdéjààmi-chemindulycée.—Pourquoimefais-tuuntrucpareil?—Honnêtement,répliqua-t-ilenmontrantsonsmoking,tupensaisalleroù?J’étaismortifiée.D’abordparcequejen’avaispascomprisl’évident.Ensuite,parceque

les vagues supputations – des souhaits, en vérité – auxquelles je m’étais livrée pendantqu’Alice tentait deme transformer en reine de beauté avaient été si loin du compte.Mestimidesespoirsm’apparaissaientvraimentidiots,àprésent.J’avaisbiendevinéqu’uneespècedecérémonieétaitaumenu.Maislebaldefind’année!Cetteidéenem’avaitpaseffleurée.

Des larmes furieuses roulèrent surmes joues. Jeme rappelai avec consternation quej’avaisdumascara,etjem’essuyairapidementpouréviterlesbavures.Mamainétaitviergede tachesnoires lorsque je la retirai.Alice s’étaitpeut-êtredoutéeque j’auraisbesoind’unmaquillagerésistantàl’eau.

—C’estcomplètementridicule!s’exclama-t-il,ennuyé.Pourquoipleures-tu?—Parcequejesuisfollederage!— Bella, reprit-il plus doucement en tournant vers moi toute la puissance de ses

prunellesdoréesaupouvoirdestructeur.—Quoi?marmonnai-je,éblouie.—Fais-moiplaisir.Le feu dema fureur se noya dans ses iris. Impossible deme battre avec lui quand il

trichaitdecettefaçon.Demauvaisegrâce,jerendislesarmes.—Très bien, boudai-je, déçue de ne pas réussir à le fusiller du regard, jeme tiendrai

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tranquille,mais tuneperdsrienpourattendre.J’ai toujours lapoisse, je tesignale.Jevaissûrementmecasserl’autrejambe.Nonmaisviseunpeucettegodasse!C’estlamortassuréeoujenem’yconnaispas!

Pour faire bonnemesure, je tendisma jambe valide au-dessus des sièges avant. Il lacontemplapluslongtempsquenécessaire.

—Hmm,rappelle-moideremercierAlice,toutàl’heure.—Elleseralà?m’écriai-je,quelquepeuréconfortée.—AinsiqueJasper,Emmettet...Rosalie.Monsoulagements’évaporaaussitôt.Mesrelationsnes’étaientenrienamélioréesavec

cettedernière, bienque je fusse en excellents termes avec son épouxoccasionnel.Emmettme trouvait très amusante, etmes réactions humaines avaient tendance à déclencher sonhilarité...àmoinsquecenefussentmesinnombrableschutes.Rosalie,elle,faisaitcommesijen’existaispas.Jesecouailatêtepourchassercespenséesdésagréables.Soudain,uneidéemetraversal’esprit.

—Charlieestdanslacombine?demandai-je,suspicieuse.—Biensûr,rigolaEdward.MaispasTyler,visiblement.Je grinçai des dents. Les fantasmes de Tylerme dépassaient. Au lycée, où Charlie ne

pouvaitsemêlerdenosaffaires,Edwardetmoiétions inséparables.Sauf lesrares joursdesoleil.

Nous étions arrivés. La décapotable de Rosalie était garée bien en évidence sur leparking. La couverture nuageuse était fine et, à l’ouest, quelques rayons parvenaient à latraverser. Edward sortit, fit le tour de la voiture, ouvritma portière etme tendit lamain.Têtue,jenebronchaipas.L’endroitétaitbondédegensapprêtés–detémoins.IlnepourraitdécemmentmetirerdeforcedelaVolvo,cequinel’auraitsansdoutepasdérangélemoinsdumondesinousavionsétéseuls.

—Quandonessaiedetetuer,tuescourageusecommeunelionne.Maisdèsqu’ils’agitdedanser...

Danser.J’avalaimasalive.—Bella, je ne laisserai personne te faire dumal.Même pas toi. Je ne te lâcherai pas

d’unesemelle,juré!Jeréfléchisàcettepromesseetmesentistoutàcoupbeaucoupmieux.Illelutsurmon

visage.—Allez,insista-t-ilgentiment,çanevapasêtresiterrible.Sepenchant, ilpassaunbrasautourdemataille.Jepris lamainqu’ilm’offraitetme

laissaiextrairedelavoiture.Ilcontinuaàmesoutenirtandisquejeboitillaijusqu’àlaporte.ÀPhœnix,lesbalsétaientorganisésdansdeshôtels.Ici,çasepassaitévidemmentdans

legymnase,sûrementlaseulesalleassezgrandepouraccueillircegenredemanifestation.Jene pus m’empêcher de ricaner. Des portiques de ballons avaient été installés, et desguirlandesdepapiercréponauxcouleurspastelornaientlesmurs.

—Ondiraitledécord’unfilmd’horreur,memoquai-je.—Maisc’estquenousavonsnotrelotdevampires,murmura-t-il,complice.Nous approchâmes de la table où l’on vendait les billets. Je contemplai la piste. Un

grandvides’étaitforméensonmilieu,oùdeuxcouplesévoluaientavecélégance.Lesautresdanseurssepressaientsurlesbordspourleurlaisserlaplace,personnenetenantàsefrotterà autant d’éclat. Emmett et Jasper étaient intimidants et parfaits dans leurs smokings defacture classique.Alice était époustouflante dans une robe de satin noir dont les découpesgéométriques dévoilaient de grands triangles de peau blanche comme neige. Quant à

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Rosalie...elleétaitindescriptible.Sonfourreaud’unécarlateaveuglants’évasaitàhauteurdeses mollets en une traîne mousseuse. Son dos était entièrement dénudé, et son décolletéplongeaitjusqu’àsonnombril.J’euspitiépourtouteslesfillesdel’assistance,moicomprise.

— Veux-tu que je verrouille les portes afin que tu puisses massacrer les innocents ?chuchotai-jeavecdesaccentsdeconspiratrice.

—Dansquelgroupeteplaces-tu?—Moi?Aveclesvampires,biensûr!—Prêteàtoutpournepasdanser,hein?—Absolumenttout.Ilachetanosentrées,puismeconduisitsurlapisteenmetraînantpresque.—J’aitoutelanuitdevantmoi,menaça-t-ilfaceàmesréticences.Ilfinitparm’amenerprèsdesesfrèresetsœursquicontinuaientàtournoyeravecgrâce

dans un style qui n’avait rien à voir avec la musique et les mouvements contemporains.J’étaishorrifiée.

—Edward,couinai-je,lagorgesèche,touteprochedelapanique,jetejurequejenesaispasdanser.

—Net’inquiètepas,bêtasse,moijesais.Mettantmesbrasautourdesanuque,ilmesoulevaetglissasespiedssouslesmiens.

Puisilm’emportadansuntourbillon.— J’ai l’impression d’avoir cinq ans, ris-je au bout de quelquesminutes à valser sans

effort.—Rassure-toi,tun’aspasl’aird’avoircinqans,murmura-t-ilenmeserrantunpeuplus

contrelui.Leregardd’Alicecroisalemien,etellemelançaunsourireencourageant.Jemesurpris

àsourireaussi,étonnéedeconstaterquejem’amusais...unpeu.—D’accord,reconnus-je,çan’estpassimal.Edwardcependant fixait lesportesaveccolère. Intriguée, jemedévissai lecouet finis

parapercevoircequil’ennuyait.JacobBlack,pasenhabitdesoiréemaisenchemiseblancheà manches longues et cravate, ses cheveux tirés en queue-de-cheval, venait vers nous.Revenue de ma stupeur, je ne pus m’empêcher d’éprouver de la peine pour lui. Il étaitvisiblement trèsmalà l’aise.Quandsesyeuxrencontrèrent lesmiens, j’ydécelaiune lueurd’excuse.Edwardpoussaungrondementétouffé.

—Tiens-toicorrectement!lemorigénai-je.—Ilveutteparler,lâcha-t-il,glacial.Jacobnousavaitrejoints,maintenant,plusembarrasséetdésoléquejamais.—Salut,Bella.J’espéraistetrouverici.Son ton laissait supposer le contraire, même si son sourire était aussi craquant que

d’habitude.—Salut,Jacob.Quesepasse-t-il?—Puis-je?demanda-t-ilprudemmentàmoncavalier.Jeremarquaiqu’iln’avaitpasbesoinde lever la tête. Ilavaitdûencoregrandirdepuis

notredernière rencontre.Le visaged’Edwardne trahissait rien. Il se contentademeposerprudemmentsurmespiedsetdereculerd’unpas.

—Merci,ditJacob.Edward acquiesça et tourna les talons, non sans m’avoir auparavant intensément

dévisagée. Jacob posa la main sur ma taille, et je tendis les bras pour m’accrocher à sesépaules.

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—Bonsang,Jacob,tumesurescombien?—Unmètrequatre-vingt-huit,annonça-t-ilfièrement.Nous ne dansions pas vraiment, à cause de ma jambe, nous nous balancions plutôt

maladroitementdegaucheàdroitesansbougerlespieds.Cequiétaitaussibien.Sarécentemontéeengrainel’avaitrendudégingandéetmaladroit.Sanscompterqu’ilnedevaitpasêtremeilleurdanseurquemoi.

—Commentsefait-ilquetusoisvenu?m’enquis-je.Vularéactiond’Edward,jemedoutaisdelaréponse.—Monpèreacrachévingtdollarspourque j’assisteaubal, tu lecrois?avoua-t-il,un

peuhonteux.—Hélasoui.Ehbien,j’espèrequetut’amuseras.Tuasrepéréquelqu’unquiteplaisait?

megaussai-jeendésignantdumentonungroupedefillesalignéeslelongd’unmurcommedesbonbonspastel.

—Oui,soupira-t-il,maiselleestprise.Ilbaissabrièvementlesyeuxversmoi,etnousnousdétournâmes,gênés.—Aufait,tuestrèsjolie,ajouta-t-iltimidement.—Euh,merci.Alors,pourquoiBillya-t-ilpayétonbillet?Jacobrougit,hésitant.—Iladitquec’étaitunendroit«sûr»pourdiscuteravectoi, finit-ilparchuchoter.Il

perd laboule, si tuveuxmonavis. (Il rit, et je l’imitai faiblement.)Passons. Ilapromisdem’achetercemaître-cylindredontj’aibesoinsij’acceptaisdeteparler.

—Vas-y.J’aienviequetuterminestavoiture.Entoutcas,ilnecroyaitpasàceshistoires,cequirendaitlasituationunpeuplusfacile.

Adossé àunmur,Edwardm’observait, les traits dénuésd’expression. Je remarquai qu’unefilledesecondelecontemplait,pleined’espoir,maisilneluiprêtaitaucuneattention.

—Netefâchepas,repritJacob,encoreunefoispenaud.—Jen’aiaucuneraisondet’envouloir.Jen’envoudraimêmepasàBilly.Dis-moijuste

cequetuasàmedire.—C’est...c’estvraimentidiot.Jesuisdésolé,Bella...ilsouhaitequeturompesavecton

petitcopain.S’ilteplaît,a-t-ilprécisé.Dégoûté,ilsecoualatête.—Toujoursaussisuperstitieux,hein?—Oui.Il...ilatrèsmalréagiquandilaapprisquetuavaisétéblesséeàPhœnix.Iln’a

pascru...Embarrassé,ils’interrompit.—Jesuistombée,affirmai-jesèchement.—Jesais.—Ilpensequ’Edwardestpourquelquechosedanscetaccident,hein?Cen’étaitpasunequestionet,malgrémapromesse, j’étais furieuse.Jacobn’osaitpas

meregarder.Nousneprenionsmêmepluslapeinedebougeraurythmedelamusique.—Écoute, tantpis siBillyn’y croit pas,mais je tiens à ceque toi, tu sois au courant.

Edwardm’asauvélavie.Sansluietsonpère,jeseraismorte.—Jesais,répéta-t-il.J’eus l’impression que mes paroles sincères l’avaient touché. Il arriverait peut-être à

persuaderBillydeça,sinondureste.—Navréequetuaiesécopédecettemission.Enfin,tuaurasaumoinsgagnétespièces

détachées.

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—Oui,marmotta-t-ilenregardantailleurs,trèsennuyé.—Autrechose?—Laissetomber.Jemedégoteraiunboulot,j’économiserai.Jelefixaijusqu’àcequ’ilacceptederencontrermesyeux.—Crachelemorceau,Jacob.—C’estnul.—Jem’enfiche.— Très bien... Tu vas mal le prendre. Il m’a demandé de te dire, de te prévenir, que

nous–etleplurielestdelui,jen’ysuispourrien–nerelâcherionspasnotregarde.Il m’examina d’un air inquiet, guettant ma réaction. J’éclatai de rire : tout ça faisait

tellementmafia.—Quellesalemissionilt’aconfiée!persiflai-je.— Il y a pire, assura-t-il avec un sourire soulagé tout en jaugeantma tenue d’un air

appréciateur.Bon,dois-jeluifairesavoirqu’ilsemêledesesoignons?—Non,soupirai-je,remercie-ledemapart.Iln’aquedebonnesintentions,aprèstout.Surce,lachansons’acheva.LespaumesdeJacobhésitèrentautourdemeshanches,et

ilenvisageafurtivementmajambeplâtrée.—Tuveuxcontinueràdanseroupréfères-tuquejet’accompagneàunechaise?Edwardréponditàmaplace.—T’inquiète,Jacob,jeprendslerelais.LejeuneIndientressaillitetexaminaavecdesyeuxrondsEdwardquisetenaitjusteà

côtédenous.—Oh,jenet’avaispasvu,balbutia-t-il.Àundecesjours,Bella.Ilreculaetm’adressaunpetitgestedelamain.—C’estça,àplus,lançai-jeavecunsourire.—Désolé,s’excusa-t-ildenouveauavantdegagnerlasortie.Lesbrasd’Edwards’emparèrentdemataillepour ladansesuivante.L’airétaitunpeu

tropentraînantpourunslow,maisça luisemblaitégal.J’appuyaimatêtecontresontorse,heureuse.

—Soulagé?raillai-je.—Pasvraiment.—NesoispasencolèreaprèsBilly. Il s’inquiètepourmoiaunomde sonamitiéavec

Charlie.N’yvoisriendepersonnel.—JenesuispasencolèreaprèsBilly,assena-t-ild’unevoixcinglante.C’estsonfilsqui

m’irrite.—Pourquoi?m’exclamai-jeenmedétachantdelui.Ilparaissaitsérieux.—Pourcommencer,ilm’aobligéàtrahirmaparole.—Pardon?—J’avaispromisdenepastequitterd’unesemelle.—Oh.Jetepardonne.—Merci.Maiscen’estpastout.J’attendispatiemment.—Iladitquetuétaisjolie,finit-ilparlâcherensourcillant.C’estpresqueinsultant.Tu

esbeaucoupplusqueça.—Tuesdepartipris,m’esclaffai-je.—Jenesuispasd’accord.Etpuis,jeterappellequej’aiuneexcellentevue.

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Noustournoyions,mespiedssurlessiens,étroitementenlacés.— Vas-tu m’expliquer la raison de notre présence ici ? demandai-je au bout d’un

moment.Surpris, ilmedévisagea tandisque je faisaisexprèsd’admirer lesguirlandesdepapier

crépon. Il médita quelques instants puis, changeant de direction, m’entraîna en valsant àtravers la foule jusqu’à la porte arrière du gymnase. J’eus le temps d’apercevoir Jessica etMikequidansaientennouscontemplantd’unairétonné.Jessicamesaluadelamain,etjelui adressai un bref sourire. Angela était là elle aussi, rayonnante dans les bras de BenCheney;ellenelevapaslesyeux,plongésdansceuxdesonpartenaire,pluspetitqu’elledequinzebons centimètres.Lee et Samantha,Conner etLauren, laquellenous jetaun regardmauvais ; je pouvais nommer tous les visages qui virevoltaient autour demoi. Puis nousfûmesdehors,danslalumièrefraîcheettroubledusoir.

Dèsquenous fûmesseuls,Edwardmepritdanssesbrasetm’emportade l’autrecôtédesterrainsdesport,jusqu’aubancqu’abritaitunarbousier.Ils’yassitsansmelâcher,serréecontre lui.La lunes’étaitdéjà levée,visiblederrière lesnuagesarachnéens,etsablancheurrendaitlapeaud’Edwardencorepluspâlequed’ordinaire.

—Alors?—C’estlecrépuscule,murmura-t-il.Encoreunefois.Uneautrefin.Aussiparfaitqu’ait

étélejour,ilfautqu’ilmeure.— Certaines choses sont éternelles, marmonnai-je entre mes dents, brusquement

tendue.Ilsoupira.—Jet’aiemmenéeaubal,dit-t-ild’unevoixlente,parcequejeneveuxpasqueturates

quoiquecesoit.Jerefusequemonexistenceteprivedequelquechose,sijepeuxl’éviter.Jedésirequetusoishumaine.Quetaviesedéroulecommeelle l’aurait faitsi j’étaismorten1918commeprévu.

Cesmotsmefirentfrissonner,etjemedébattis,furieuse.—Dansquelleétrangedimensionparallèleserais-jejamaisalléeaubaldemoi-même?

Situn’étaispasmillefoisplusfortquemoi,jenet’auraisjamaislaisséagir.Unsourireétiraseslèvres,sanstouchersesyeux.—Cen’étaitpassimal,tul’asreconnu.—Parcequej’étaisavectoi.Lesilencetomba.Ilseconcentraitsurlalune,moisurlui.J’auraistantvouluréussirà

luiexpliquercombienuneviehumainenormalem’indifférait.—J’aiunequestion,reprit-ilunpeuplustard.Yrépondras-tu?—N’est-cepascequejefaistoujours?—Prometsjustedenepastedérober.—D’accord.Jedevinaiaussitôtquej’allaisleregretter.—Tuasparusincèrementétonnéequandtuascomprisquejet’amenaisici...—Jel’étais,l’interrompis-je.—Certes,maistudevaisbienavoirenvisagéautrechose...Jeseraiscurieuxd’apprendre

ceàquoituaspenséquandjet’aidemandédet’habiller.Jenem’étaispastrompée!J’hésitai.—Jeneveuxpasteledire.—Tuaspromis.—Jesais.

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—Alors?—J’aipeurqueçat’énerve...ouqueçaterendetriste.—Aucuneimportance.S’ilteplaît?Iln’avaitpasl’intentionderenoncer.— Eh bien... j’ai cru qu’il s’agissait... d’une espèce de célébration. Pas unminable bal

humain!—Humain?releva-t-ilplatement.Leseulmotvraimentimportantdemaphrase.Jebaissai lesyeux,tripotantunpande

mousseline.Ilattenditsansriendire.— Très bien, confessai-je, j’espérais que tu avais changé d’avis et que... tu allais

finalementprocéderàmatransformation.Diverses émotions traversèrent son visage. Colère, peur... Puis il parut se ressaisir, et

l’amusementpritledessus.—Tuascruquejeporteraisunecravatenoirepourl’occasion?semoqua-t-il.Jemerenfrognaipourcachermonembarras.—Jen’aiaucuneidéesurlafaçondontceschoses-làsefont.Entoutcas,çamesemble

plusrationnelquepourunbalde find’année.Cen’estpasdrôle,ajoutai-jeparcequ’il riaitauxéclats.

—Tuasraison,çanel’estpas,admit-ilenreprenantsonsérieux.Maisj’aipréférécroirequetuplaisantais.

—Cen’estpaslecas.—J’ensuisconscient,hélas.Tuledésiresàcepoint-là?Ladouleurétaitrevenuedanssesprunelles.Jememordislalèvreetacquiesçai.—Siprêteàmourir,murmura-t-ilcommepourlui-même.Àconnaîtrelecrépusculede

tavie,alorsqu’elleaàpeinecommencé.Àtoutabandonner.—Cen’estpasunemort,c’estunerenaissance,chuchotai-je.—Jeneleméritepas,souffla-t-il,chagrin.—Terappelles-tu le jouroù tum’asditque jenemevoyaispasde façon trèsclaire?

Visiblement,tuesatteintdelamêmecécité.—Jesaiscequejesuis.Soudain,sonhumeurchangeadenouveau.Plissantleslèvres,ilmescrutauntrèslong

moment.—Tuesprête,là,maintenant?demanda-t-il.—Euh...oui?Souriant,ilinclinalentementsatêtejusqu’àcequeseslèvresfroidesfrôlentlapeaude

moncou.—Toutdesuite?chuchota-t-il,sonhaleineglaçantmagorge.Jenepusretenirunfrisson.—Oui,répondis-je,toutbaspourquemavoixnesebrisepas.S’ilpensaitquejebluffais,ilallaitêtredéçu.J’avaischoisi,j’étaissûredemoi.Tantpis

simoncorpsétaitrigidecommeuneplanche,mespoingsserrésetmarespirationheurtée...Avecunriresombre,ilserecula.Ilparaissaitdéçu.

—Tunecroisquandmêmepasquejecèderaissifacilement,railla-t-il.—Onaledroitderêver.—C’estdoncceàquoiturêves?Devenirunmonstre?—Pas tout à fait, répliquai-je, piquée par l’emploi dumot. (Unmonstre, nonmais je

vousjure!)Monrêve,c’estsurtoutd’êtreavectoipourl’éternité.

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Sonvisageprituneexpressionàlafoistendreetmélancoliquequandilperçutmapeine.—Bella.Jeresteraitoujoursavectoi,n’est-cepassuffisant?Sesdoigtsdessinaientlégèrementlescontoursdemeslèvres,etjesouris.—Çanel’estquepourl’instant.Maténacité luidéplaisait.Aucundenousdeuxnecomptaits’avouervaincu,cesoir. Il

poussaunsoupir,presqueungrognement.Jecaressaisonvisage.—Écoute,continuai-je,jet’aimeplusquetoutaumonde.N’est-cepassuffisant?—Si,çal’est,admit-ilensedétendant.Pourl’éternité.Surce,ilsepenchaetposaunenouvellefoisseslèvresglacéescontremoncou.

[1]AuxÉtats-Unis,lesjeunespeuventconduiredèsl'âgedeseizeans.(Touteslesnotessontdutraducteur.)

[2]Allusionauxéquipementsdontsedotentdeplusenplusd'établissementsscolairesaméricainsfaceàlaprolifération

desarmesetauxdiversdramessurvenusdansdeslycéescesdernièresannées.[3]

AuxÉtats-Unis, les élèves lesplusdouésdansunematièrepeuvent suivredes coursd'unniveauplus fortque cequ'exigelecursusnormal.

[4]BruceWayne:leséduisantmilliardairequisetransformeenBatman;PeterParker:l'étudiantmaladroitquidevientSpiderman.

[5]Cromwell(Oliver):1599-1658.Aprèsavoirmenéunerévoltepopulisteetrenversélamonarchie(leroiCharlesIer

futexécutéen1649),Cromwellinstauraunerépubliquequitournaviteàladictature.Époquedegrandstroublesdominéeparlamontéedupuritanismeetl'intolérancereligieuse.

[6]Solimena(Francesco):peintreitalien,1657-1747,auteurdecélèbresfresques.

[7] Journée d'action de grâces, chaque quatrième jeudi de novembre. En 1621, un an après leur arrivée au

Massachusetts, les premiers colons (des puritains ayant fui l'Angleterre pour pratiquer librement leur religion) organisèrentunefêtedestinéeàmarqueruneannéedesacrificesrécompenséepardesrécoltesabondantes.Aujourd'hui,symboledelibertéetdeprospérité.Onyserttoujours lesplatstraditionnels(dinde,sauceauxairellesettarteaupotiron).PourlesAméricains,fêtelaplusimportanteavecle4Juillet(Indépendance).

[8]LoisLane:éternellefiancéedeSuperman.